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PANAMA PAPERS

« Panama papers » : sur la piste du trésor de Jean-Marie Le


Pen
Le parquet national financier soupçonne l’ex-président du Front national de s’être servi de son
homme de confiance, Gérald Gérin, ayant-droit de la société offshore Balerton Marketing Ltd,
pour dissimuler une partie de sa fortune dans les îles Vierges britanniques.

Par Simon Piel et Anne Michel • Publié le 20 mars 2016 à 23h03 - Mis à jour le 05 avril 2016 à 15h41

Une société cachée aux îles Vierges britanniques, un compte secret à Guernesey et, à la clé,
2,2 millions d’euros en billets de banque, lingots et pièces d’or sonnantes et trébuchantes. Depuis juin
2015, la justice s’est lancée sur la piste d’un trésor susceptible de conduire à Jean-Marie Le Pen et à sa
femme, Jany Le Pen, et a ouvert une enquête pour « blanchiment de fraude fiscale ».

Les « Panama papers » en trois points

• Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées


par le Consortium international des journalistes d’investigation
(ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui
jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance
offshore et des paradis fiscaux.

• Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du


cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la
domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit
de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des
médias.

• Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers


d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des
grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous
le coup de sanctions internationales ont recouru à des
montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Le parquet national financier soupçonne l’ancien président du Front national de s’être servi de son
ancien majordome et homme de confiance, Gérald Gérin, ayant droit officiel de la société offshore
Balerton Marketing Limited, pour y dissimuler une partie de sa fortune. Créée dans le secret des
Caraïbes en 2000, Balerton Marketing Ltd apparaît bel et bien sur les fichiers de la firme panaméenne
de domiciliation de sociétés offshore Mossack Fonseca, et les données auxquelles Le Monde a eu accès
révèlent ainsi une opacité parfaitement organisée. Les registres de la firme livrent quelques
documents clés : l’acte de naissance de Balerton (le 15 novembre 2000, sur l’île de Tortola, sous le
numéro d’immatriculation 416881), le nom de son représentant légal (l’avocat suisse Marc Bonnant)
et la mention d’un compte en banque à Guernesey.

Jean-Marie Le Pen chante la Marseillaise, sous un parapluie tenu par Gérald Gérin, à la
fin d'un rassemblement du Front National devant l'Assemblée Nationale pour le
rétablissement de la peine de mort pour les crimes les plus graves, à la suite des
meurtres de deux enfants le 20 mai 2006 Lionel Préau / Riva Press

Un magot en billets, titres, lingots et pièces d’or


Dans ces fichiers figurent aussi plusieurs documents confidentiels, signés de la main de Me Bonnant.
Ils montrent que ce célèbre avocat pénaliste délègue le règlement des factures dues par Balerton à
une société suisse spécialisée dans l’offshore, Figest Conseil SA. En 2013, Figest est chargée d’organiser
le transfert de Balerton de Mossack Fonseca vers un groupe concurrent, Icaza Gonzalez - Ruiz
& Aleman… Un domiciliateur d’entreprises qui est actuellement dans le viseur de la cellule
antiblanchiment Tracfin.

Le magot de Balerton se divise en billets (97 000 euros), en titres (pour l’équivalent de 854 000 euros),
en lingots (26) et autres pièces d’or. Si le mystère demeure sur le véritable bénéficiaire de ces fonds, les
magistrats ont aujourd’hui entre les mains de multiples éléments qui permettent d’établir un lien
entre les époux Le Pen et les avoirs détenus par Balerton Marketing Ltd, dont l’existence avait été
révélée par Mediapart. Ceux-ci ont été mis au jour par la cellule anti-blanchiment française, Tracfin,
qui les a versés au dossier en avril 2015 afin d’éclairer la justice et dont Le Monde a eu connaissance.

Mis bout à bout, ils aboutissent à ce constat, que devront confirmer les magistrats : l’existence d’une
confusion de patrimoines et de gestion entre, d’un côté, Gérald Gérin, et, de l’autre, Jean-Marie et
Jeanine Le Pen. Dans une note de 23 pages transmise aux juges, les enquêteurs de Tracfin notent : « Il
est possible que l’intéressé assume pleinement son rôle d’homme de confiance, jusqu’à intervenir
comme prête-nom. »

Un emploi du temps troublant


Pour établir ce diagnostic, Tracfin s’est penché sur l’origine des fonds déposés sur le compte en
banque de Balerton, depuis que l’ex-majordome de Jean-Marie Le Pen en est devenu l’ayant droit,
en 2008, en lieu et place du frère de Jeanine Le Pen, Georges Paschos, premier bénéficiaire de cette
société-écran, mort cette année-là.
Or, ce qu’ont trouvé les enquêteurs financiers les a troublés. A commencer par deux virements d’un
montant total de 506 000 euros, effectués en septembre 2004 sur le compte de Balerton par la banque
suisse Lombard Odier Darier Hentsch & Cie (LODH). L’établissement, justement, qui avait hébergé les
fonds issus de la succession du riche cimentier Hubert Lambert, mort en 1976, et dont Jean-Marie Le
Pen a été l’héritier controversé. Des transferts de titres provenant de cette même banque ont suivi. De
même que de gros achats d’or par Balerton, en 2009, 2010 et 2011.

L’emploi du temps des époux Le Pen a aussi intéressé Tracfin, d’autant que leur présence en Suisse a
été repérée aux dates clés de la vie de Balerton. Ainsi, Jeanine Le Pen s’est rendue à Genève le
7 novembre 2008, soit un mois après le décès de son frère ; et Jean-Marie Le Pen y est allé de son côté
les 7 et 8 mars 2014. Soit quelques jours à peine avant que le compte en banque de Balerton soit
transféré de Guernesey (HSBC) aux Bahamas (Compagnie bancaire helvétique). Gérald Gérin, lui, bien
qu’ayant droit de Balerton, ne semble pas être allé en Suisse. Ses comptes bancaires n’en portent en
tout cas pas la trace.

Lire aussi | « Panama papers » : après avoir préparé le terrain, le Front national nie

La confusion des finances


Au-delà du cas Balerton, l’examen des comptes bancaires personnels de M. Gérin met en lumière une
certaine confusion entre ses finances et celles des époux Le Pen. Les enquêteurs y ont ainsi découvert
des mouvements « ne semblant pas le concerner », dont, en particulier, des rentrées d’argent
annuelles de 135 000 euros en moyenne entre 2010 et 2013. En 2010, l’un de ses comptes personnels a
même été crédité de 30 560 euros pour la vente de deux tableaux. Le virement comportait cette
mention explicite : « Avance Mme Le Pen ».

S’intéressant aussi aux dépenses de l’ex-majordome, Tracfin a fait d’autres trouvailles. Comme « le
maniement par M. Gérin de sommes importantes, sans rapport avec ses revenus officiels », et « la mise à
disposition de moyens de paiement rattachés au FN et aux époux Le Pen ». En tant que trésorier officiel
de plusieurs associations de financement liées au FN (Cotelec entre avril 2011 et décembre 2013, puis,
à compter de cette date, de Promelec), ce proche de Jean-Marie Le Pen semble en effet autorisé à
manier d’importantes sommes relevant du Front national. Un parti dont il serait aussi, selon Tracfin,
« dépendant financièrement ». Pour preuve, souligne la cellule antiblanchiment, ces trois cartes
American Express en sa possession, rattachées à des comptes bancaires ouverts au nom du FN mais
aussi des époux Le Pen. M. Gérin a par exemple réglé 558 000 euros avec la carte du parti entre
août 2011 et avril 2014.

A la lumière des éléments recueillis, les enquêteurs de Tracfin soulignent que l’« on peut s’interroger
sur le degré d’autonomie dont dispose M. Gérin pour les multiples opérations financières qu’il réalise ».
Ils concluent par cette formule prudente : « Les comptes de M. Gérin font apparaître, outre un certain
nombre de flux atypiques, des liens privilégiés avec Jeanine Le Pen et Jean-Marie Le Pen. »

« Les affaires de M. Gérin ne concernent que M. Gérin »

Gérald Gérin se dit indigné. Qu’elles soient judiciaires ou journalistiques, les enquêtes qui lui sont
consacrées depuis plus d’un an lui donnent, dit-il, le sentiment de vivre « dans une république pire que
celle de Ceaucescu ». « Oui », reconnaît-il, il est bien l’ayant droit du trust Balerton Marketing Ltd.
« Non », cet argent « n’a rien à voir avec Jean-Marie Le Pen », contrairement à ce que supposent les
juges. « Je n’ai jamais servi de prête-nom pour Jean-Marie Le Pen. C’était pour mes vieux jours, je ne m’en
souciais pas. C’est Marc Bonnant qui s’en occupait », a-t-il indiqué au Monde. D’ailleurs, il a entamé
une procédure de régularisation auprès du fisc le 26 juin 2015, selon son avocat François Wagner. Si
M. Gérin dit tout ignorer des mouvements sur le compte de Balerton antérieurs à novembre 2008, il
explique que « les parts de la société lui ont été cédées gratuitement par Georges Paschos » sans pour
autant détailler les raisons de cette cession.

Sa ligne de défense est identique à celle de M. Le Pen, qui affirme au Monde que « les affaires de
M. Gérin ne concernent que M. Gérin ». S’il reconnaît aller en Suisse chaque année depuis longtemps, il
assure que c’était pour se rendre au centre d’amincissement tenu par l’un de ses amis, Christian
Cambuzat, décédé en 2010. L’avocat Marc Bonnant a, lui, refusé de répondre à « des questions portant
sur ses mandats d’avocat, soumis au secret professionnel ». La société Figest a, pour sa part, fait valoir
qu’elle s’était « limitée à des services administratifs ». « Nous ignorons totalement dans quelle banque
[la société Balerton] avait un compte, [si cette société a été] transférée aux Bahamas, et qui est ou en
serait l’ayant droit… », précisent deux de ses dirigeants, Gerhard Auer et Dolorès Coulon.

Simon Piel et Anne Michel

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