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Par Simon Piel et Anne Michel • Publié le 20 mars 2016 à 23h03 - Mis à jour le 05 avril 2016 à 15h41
Une société cachée aux îles Vierges britanniques, un compte secret à Guernesey et, à la clé,
2,2 millions d’euros en billets de banque, lingots et pièces d’or sonnantes et trébuchantes. Depuis juin
2015, la justice s’est lancée sur la piste d’un trésor susceptible de conduire à Jean-Marie Le Pen et à sa
femme, Jany Le Pen, et a ouvert une enquête pour « blanchiment de fraude fiscale ».
Le parquet national financier soupçonne l’ancien président du Front national de s’être servi de son
ancien majordome et homme de confiance, Gérald Gérin, ayant droit officiel de la société offshore
Balerton Marketing Limited, pour y dissimuler une partie de sa fortune. Créée dans le secret des
Caraïbes en 2000, Balerton Marketing Ltd apparaît bel et bien sur les fichiers de la firme panaméenne
de domiciliation de sociétés offshore Mossack Fonseca, et les données auxquelles Le Monde a eu accès
révèlent ainsi une opacité parfaitement organisée. Les registres de la firme livrent quelques
documents clés : l’acte de naissance de Balerton (le 15 novembre 2000, sur l’île de Tortola, sous le
numéro d’immatriculation 416881), le nom de son représentant légal (l’avocat suisse Marc Bonnant)
et la mention d’un compte en banque à Guernesey.
Jean-Marie Le Pen chante la Marseillaise, sous un parapluie tenu par Gérald Gérin, à la
fin d'un rassemblement du Front National devant l'Assemblée Nationale pour le
rétablissement de la peine de mort pour les crimes les plus graves, à la suite des
meurtres de deux enfants le 20 mai 2006 Lionel Préau / Riva Press
Le magot de Balerton se divise en billets (97 000 euros), en titres (pour l’équivalent de 854 000 euros),
en lingots (26) et autres pièces d’or. Si le mystère demeure sur le véritable bénéficiaire de ces fonds, les
magistrats ont aujourd’hui entre les mains de multiples éléments qui permettent d’établir un lien
entre les époux Le Pen et les avoirs détenus par Balerton Marketing Ltd, dont l’existence avait été
révélée par Mediapart. Ceux-ci ont été mis au jour par la cellule anti-blanchiment française, Tracfin,
qui les a versés au dossier en avril 2015 afin d’éclairer la justice et dont Le Monde a eu connaissance.
Mis bout à bout, ils aboutissent à ce constat, que devront confirmer les magistrats : l’existence d’une
confusion de patrimoines et de gestion entre, d’un côté, Gérald Gérin, et, de l’autre, Jean-Marie et
Jeanine Le Pen. Dans une note de 23 pages transmise aux juges, les enquêteurs de Tracfin notent : « Il
est possible que l’intéressé assume pleinement son rôle d’homme de confiance, jusqu’à intervenir
comme prête-nom. »
L’emploi du temps des époux Le Pen a aussi intéressé Tracfin, d’autant que leur présence en Suisse a
été repérée aux dates clés de la vie de Balerton. Ainsi, Jeanine Le Pen s’est rendue à Genève le
7 novembre 2008, soit un mois après le décès de son frère ; et Jean-Marie Le Pen y est allé de son côté
les 7 et 8 mars 2014. Soit quelques jours à peine avant que le compte en banque de Balerton soit
transféré de Guernesey (HSBC) aux Bahamas (Compagnie bancaire helvétique). Gérald Gérin, lui, bien
qu’ayant droit de Balerton, ne semble pas être allé en Suisse. Ses comptes bancaires n’en portent en
tout cas pas la trace.
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S’intéressant aussi aux dépenses de l’ex-majordome, Tracfin a fait d’autres trouvailles. Comme « le
maniement par M. Gérin de sommes importantes, sans rapport avec ses revenus officiels », et « la mise à
disposition de moyens de paiement rattachés au FN et aux époux Le Pen ». En tant que trésorier officiel
de plusieurs associations de financement liées au FN (Cotelec entre avril 2011 et décembre 2013, puis,
à compter de cette date, de Promelec), ce proche de Jean-Marie Le Pen semble en effet autorisé à
manier d’importantes sommes relevant du Front national. Un parti dont il serait aussi, selon Tracfin,
« dépendant financièrement ». Pour preuve, souligne la cellule antiblanchiment, ces trois cartes
American Express en sa possession, rattachées à des comptes bancaires ouverts au nom du FN mais
aussi des époux Le Pen. M. Gérin a par exemple réglé 558 000 euros avec la carte du parti entre
août 2011 et avril 2014.
A la lumière des éléments recueillis, les enquêteurs de Tracfin soulignent que l’« on peut s’interroger
sur le degré d’autonomie dont dispose M. Gérin pour les multiples opérations financières qu’il réalise ».
Ils concluent par cette formule prudente : « Les comptes de M. Gérin font apparaître, outre un certain
nombre de flux atypiques, des liens privilégiés avec Jeanine Le Pen et Jean-Marie Le Pen. »
Gérald Gérin se dit indigné. Qu’elles soient judiciaires ou journalistiques, les enquêtes qui lui sont
consacrées depuis plus d’un an lui donnent, dit-il, le sentiment de vivre « dans une république pire que
celle de Ceaucescu ». « Oui », reconnaît-il, il est bien l’ayant droit du trust Balerton Marketing Ltd.
« Non », cet argent « n’a rien à voir avec Jean-Marie Le Pen », contrairement à ce que supposent les
juges. « Je n’ai jamais servi de prête-nom pour Jean-Marie Le Pen. C’était pour mes vieux jours, je ne m’en
souciais pas. C’est Marc Bonnant qui s’en occupait », a-t-il indiqué au Monde. D’ailleurs, il a entamé
une procédure de régularisation auprès du fisc le 26 juin 2015, selon son avocat François Wagner. Si
M. Gérin dit tout ignorer des mouvements sur le compte de Balerton antérieurs à novembre 2008, il
explique que « les parts de la société lui ont été cédées gratuitement par Georges Paschos » sans pour
autant détailler les raisons de cette cession.
Sa ligne de défense est identique à celle de M. Le Pen, qui affirme au Monde que « les affaires de
M. Gérin ne concernent que M. Gérin ». S’il reconnaît aller en Suisse chaque année depuis longtemps, il
assure que c’était pour se rendre au centre d’amincissement tenu par l’un de ses amis, Christian
Cambuzat, décédé en 2010. L’avocat Marc Bonnant a, lui, refusé de répondre à « des questions portant
sur ses mandats d’avocat, soumis au secret professionnel ». La société Figest a, pour sa part, fait valoir
qu’elle s’était « limitée à des services administratifs ». « Nous ignorons totalement dans quelle banque
[la société Balerton] avait un compte, [si cette société a été] transférée aux Bahamas, et qui est ou en
serait l’ayant droit… », précisent deux de ses dirigeants, Gerhard Auer et Dolorès Coulon.