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Université Paul Valéry (Montpellier III) – CNRS
UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »
Équipe « Égypte Nilotique et Méditerranéenne » (ENiM)

CENiM 5
Cahiers de l’ENiM

Et in Ægypto et ad Ægyptum

Recueil d’études dédiées à Jean-Claude Grenier

Textes réunis et édités


par
Annie Gasse, Frédéric Servajean et Christophe Thiers

***

Montpellier, 2012
© Équipe « Égypte Nilotique et Méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie des Sociétés
Méditerranéennes » (Cnrs – Université Paul Valéry – Montpellier III), Montpellier, 2012
Jean-Claude Grenier dans son bureau du Museo Gregoriano Egizio, en juillet 1994.
Et tout cela exactement selon sa volonté
La conception du corps humain (Esna no 250, 6-12)

Bernard Mathieu

Pour Jean-Claude Grenier,


cette incursion en Égypte romaine,
... et en souvenir de “Sappiamo tutto”.

G
RAVÉ SUR L’UNE des colonnes du temple d’Esna 1 durant le règne d’Hadrien (117-138
apr. J.-C.), ce texte exceptionnel, comme l’a reconnu très vite S. Sauneron, son
éditeur, est un hymne à Khnoum, divisé en trois parties : le dieu est d’abord honoré en
sa qualité de concepteur du corps humain, puis comme créateur des races et des êtres vivants,
avant d’être nommé, enfin, sous ses différentes manifestations. Seule est présentée ici la
première partie, qui constitue un remarquable exposé d’anatomie fonctionnelle, un exposé
tributaire, bien entendu, de la représentation qu’avaient les Égyptiens du corps humain ainsi
que du contexte théologique d’Esna.
S. Sauneron, qui eut le grand mérite d’en proposer une première interprétation, portait
toutefois sur ce texte un jugement sévère : « on chercherait vainement un ordre absolument
logique » ; « passé la gorge, le désordre devient total » 2. Cette sévérité ne doit plus être de
mise aujourd’hui. Ph. Derchain a contribué récemment à restituer à cette composition une part
de sa logique 3 : « un tableau d’anatomie fonctionnelle étroitement structuré », annonce-t-il
d’emblée. L’appréciation, on le voit, a radicalement changé. Mais l’auteur d’ajouter aussitôt :
« la description des organes et des activité sexuels n’est pas d’une extrême clarté ».
On peut aller plus loin désormais, et reconnaître à ce développement unique, au-delà des
incertitudes de détail qui subsistent, une précision et une construction remarquables. Avant
d’en proposer ici une nouvelle traduction, il est utile de rappeler brièvement les principes de
génétique et d’anatomie égyptiennes tels qu’on peut les énoncer aujourd’hui 4.

1
Colonne intérieure n° 7, Esna n° 250 ; S. SAUNERON, Le temple d’Esna, Esna I, Le Caire (1959), 2004, p. 99-
101 ; id., Esna III (1968), 2004, p. 130-134 ; id., Esna V (1962), 2004, p. 94-107.
2
Esna V, p. 102.
3
« À eux le bonheur ! (La naissance d’un homme, Esna 250, 6-11) », GöttMisz 200, 2004, p. 37-44.
4
Voir S. SAUNERON, « Le germe dans les os », BIFAO 60, 1960, p. 19-27 ; J. YOYOTTE, « Les os et la
semence masculine. À propos d’une théorie physiologique égyptienne », BIFAO 61, 1961, p. 139-146 ;
Y. KOENIG, « Égypte et Israël. Quelques points de contact », Journal Asiatique 273, 1985, p. 1-10 ; D. MEEKS,
Chr. FAVARD-MEEKS, La vie quotidienne des dieux égyptiens, Paris, 1993, p. 83-124 ; Th. BARDINET, Les
Papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Paris, 1995. Outre les papyrus médicaux, de nombreux passages de
la littérature funéraire – Textes des Pyramides, Textes des Sarcophages, Livre des Morts, rituel de l’Ouverture de
la bouche, etc. – permettent de vérifier et d’affiner les conclusions auxquelles ont abouti ces auteurs. Il s’agit
donc d’une théorie ancienne, qui a pu connaître quelques évolutions, notamment au cours des époques tardives,
mais dont les principes remontent aux plus hautes époques.
500 Bernard Mathieu

Éléments durs et éléments mous


L’être humain est constitué de deux composantes fondamentales : les « éléments durs », d’une
part, héritage paternel, à savoir les os proprement dits (qs.w), les dents (jbÌ.w), les ongles
(©n.wt) mais aussi le système pileux, les cheveux (‡nw) et le duvet (srw) qui recouvre la peau ;
les « éléments mous », d’autre part, qui proviennent du lait (jrÚ.t) de la mère : il s’agit de la
chair (jwf), de la peau (jnm), des organes internes du tronc (ß.t) mais aussi des conduits métou
(mt.w), équivalents de nos vaisseaux, muscles, ligaments, etc. Cette théorie des « éléments
durs » et des « éléments mous » ressort clairement, comme l’a souligné J. Yoyotte 5, d’un
passage du Papyrus Jumilhac (IIIe s. av. J.-C.), où l’on décrit ainsi le corps d’Anti : « sa chair
et sa peau, sa mère les a fait naître de son lait ; ses os proviennent du liquide (séminal) de son
père » 6.
C. Spieser signale qu’« on retrouve des conceptions très proches, entre autres, dans le Talmud
de Jérusalem (fin IVe siècle) : “ce qui est blanc vient du mâle grâce auquel le cerveau, les os
et les nerfs sont formés ; le rouge vient de la mère de laquelle proviennent la peau et la
chair” » 7.

La semence-os
Le lien direct établi entre l’apport masculin et les éléments durs vient de ce que la semence
masculine (mtw.t, mwy, mw) est considérée par les Égyptiens comme constitutive de la
matière osseuse. Un passage de l’un des grands hymnes à Amon-Rê créateur du temple
d’Hibis, dans l’oasis de Kharga, datant du règne de Darius Ier (début du Ve s. av. J.-C.) le
formule ainsi : « il a séparé leur nature (en l’occurrence leur sexe) afin d’enfanter des mâles
fécondant des femelles, créant leurs sécrétions et versant leur semence dans les os » 8. Une
conception similaire existait, parallèlement, chez Hippon de Samos (philosophe présocratique
du Ve s. av. J.-C.) et le célèbre Hippocrate de Cos (Ve s. av. J.-C.), qui l’ont certainement
empruntée à l’Égypte, comme l’a démontré J. Yoyotte : « Il semble que cette question de
paternité “scientifique” doive être tranchée en faveur de l’Égypte » 9.
La « semence-os » se fixe (Ús) : « c’est lui (le dieu) qui a assuré la fixation de son liquide
(séminal) dans les os dès le sein maternel » 10. Elle se coagule (sqfn) : (Khnoum) « lui qui a
fait se coaguler le liquide (séminal) dans les os » 11 . Elle assure de cette manière le
développement des éléments durs de l’enfant.

5
J. YOYOTTE, BIFAO 61, 1961, p. 139, n. 3.
6
Jr jwf≠f jnm≠f spr~n mw.t≠f m jrt.t≠s jr qs.w≠f ø m-© mw n(y) jt≠f (P. Jumilhac XII, 24-25 ; J. VANDIER, Le
Papyrus Jumilhac, Paris, 1961, p. 124).
7
C. SPIESER, « Le sang et la vie éternelle dans le culte solaire amarnien », dans J.-Cl. Goyon, Chr. Cardin (éd.),
Actes du IXe Congrès international des égyptologues II, OLA 150, Louvain, 2007, p. 1727, n. 64.
8
Wp~n≠f (?) qj≠sn r ms(.t) k“.w Ìr st.t jd.wt Ìr qm“ ©“©.w≠sn sÚ(w) mtw.wt≠sn m qs.w (N. DE G. DAVIES, The
Temple of Hibis in el Khargeh Oasis III, New York, 1953, pl. 32, col. 16-17 ; cité par S. SAUNERON, BIFAO
60, 1960, p. 20).
9
BIFAO 61, 1961, p. 142.
10
Ntf jr(w) Ús mw≠f m qs.w m ß.t. Edfou III, 114, 7, cité par S. SAUNERON, op. cit., p. 21.
11
Sqfn~n≠f mw m qs.w (Esna, n° 17, 8 ; cité op. cit., p. 22 et n. 8 [pour le terme technique s-qfn, « durcir,
coaguler »]).
Et tout cela exactement selon sa volonté 501

À la puberté, chez le garçon, la « semence-os » des os converge vers la moelle épinière


(jm“≈), c’est-à-dire vers la colonne vertébrale (psƒw, j“.t) 12 qui joue le rôle de collecteur, pour
former finalement le liquide séminal émis par le membre viril 13. Le jeune homme est alors
capable d’engendrer à son tour.

Les conduits métou


Désignation générique de nos vaisseaux 14, muscles ou ligaments, les conduits métou jouent
quant à eux un rôle essentiel : ils portent les flux vitaux, les « courants dynamiques »
(Th. Bardinet), qui supposent la présence conjointe de liquides (mw) et d’air (Ú“w), dont
l’élément nourricier et liant que constitue le sang (snfw). Ces conduits doivent être avant tout
fermes, résistants (rwƒ), mais aussi sains (wƒ“), efficients (mn≈) et souples (nƒm). C’est ce
qu’affirme un passage des « vœux pour le défunt », un texte canonique inscrit notamment
dans la tombe de Pahéry, nomarque d’Elkab sous Thoutmosis III : « tes chairs étant fermes,
tes conduits métou étant souples » 15. Ou encore le Chant du Harpiste de la tombe du
gouverneur Amenemhat (XIXe dynastie) : « ton corps sera vivant, et fermes tes conduits
métou » 16.
Leur rigidité, pathogène, peut provenir d’un agent agressif extérieur (maladie), d’une usure
naturelle (vieillesse), ou de substances trop dures qui y circulent 17.

Le sang
Une fonction essentielle du sang, reçu de la mère 18, est de lier à la fois la « semence-os »
masculine, pour agréger les éléments durs, et le lait maternel, pour agréger les éléments mous.
Les Égyptiens avaient appliqué, logiquement, cette même représentation génétique à l’œuf
(swÌ.t), dans lequel le jaune est assimilé au sang, liquide liant servant à solidifier les éléments
durs. On peut lire ainsi, dans les Textes des Sarcophages : « j’ai brisé l’œuf, je me suis hâté
hors de son blanc et j’ai glissé hors de son jaune (litt. “sang”) » 19.

12
C’est toute la démonstration de J. YOYOTTE, BIFAO 61, 1961, p. 139-146. Cette théorie génétique enrichit la
réinterprétation du pilier djed comme colonne vertébrale d’Osiris.
13
Dans le rituel d’Ouverture de la bouche, l’encens permet à la moelle d’Osiris de sortir de sa colonne
vertébrale, à moins qu’il n’en soit le substitut : j jm“≈ pr(w) m psƒw Wsjr, « vienne la moelle issue de la colonne
vertébrale d’Osiris » (CT VI, 122b [TS 530]) ; cf. J.-Cl. GOYON, Rituels funéraires de l’Ancienne Égypte,
LAPO 4, Paris, 1972, p. 140.
14
Il existe semble-t-il un terme spécifique , Ìt.w, litt. « tuyaux », pour les vaisseaux sanguins (veines et
artères) : ‡sp n≠k s(.j) m-© N pn wƒ“≠tj mw≠s jm≠s wƒ“≠tj Úrw≠s jm≠s wƒ“≠tj Ìt.w≠s jm≠s wƒ“≠tj, « Prends-le (l’Œil
d’Horus) donc de la part de ce N, en totalité, avec la totalité du liquide qu’il contient, la totalité du (sang) rouge
encre qu’il contient, la totalité des vaisseaux qu’il contient » (§ 451a-c [TP 301]).
15
Rwd(≠w) jwf.w≠k nƒm(≠w) mt.w≠k (J.J. TYLOR, F.Ll. GRIFFITH, The Tomb of Paheri at El Kab, Londres,
1894, pl. IX, l. 7 ; Urk. IV, 114, 15-16. Voir aussi Urk. IV, 149, 9-10 ; 497, 2-3 ; 1219, 6-7).
16
¢n≈(≠w) Ì©w≠k rwd(≠w) mt.w≠k. J. ASSMANN, « Harfnerlied und Horussöhne: Zwei Blöcke aus dem
Verschollenen Grab des Bürgermeisters Amenemhet (Theben nr. 163) im Britischen Museum », JEA 65, 1989,
p. 57 et 61, n. f.
17
Voir Th. BARDINET, op. cit., passim.
18
C. SPIESER, op. cit., p. 1727.
19
Sƒ~n≠j m swÌ.t “s~n≠j m sf≠s sbn~n≠j Ìr snfw≠s (CT IV, 181g-h [TS 334]).
502 Bernard Mathieu

Comme le résume parfaitement C. Spieser, le sang « était aussi responsable de nombreuses


maladies lorsqu’il était à un endroit non souhaitable du corps, qu’il était en manque ou en
surplus, qu’il s’échappait du corps, ou provoquait des troubles et ne remplissait plus sa
fonction liante » 20. Dans le langage mythologique, on distingue ainsi le sang d’Isis, nourricier
et structurant, de celui de Nephthys, pathogène 21. Le mal peut s’y introduire, sous la forme
d’une agression séthienne, comme l’indique cet extrait du P. Edwin Smith : « chassé est
l’adversaire qui était dans la plaie, ébranlée la conspiration qui était dans le sang, livré le
conspirateur d’Horus, d’où qu’il vienne, à la bouche de la Glorieuse (Isis) » 22.

Le corps divin
Qu’il s’agisse de la fabrication d’une statue de culte, de la conception du nouveau corps du
défunt (par le rituel de momification) ou de la génération de l’enfant royal (par la théogamie),
la réalisation d’un corps divin implique de savants processus de transposition et de
substitution, auxquels il serait nécessaire de consacrer des études approfondies. Il faut en effet
remplacer le corps humain corruptible par un corps divin inaltérable, les éléments durs étant
réputés être faits, métaphoriquement et, parfois, réellement, de métal dur (̃, « argent », Ìmtj,
« cuivre »), tandis que les éléments mous sont d’un métal plus tendre (nbw, « or »),
l’ensemble pouvant être associé à l’électrum (ƒ©m) ou à l’« airain » (bj“) 23.
On ne donnera ici que quelques exemples, parmi des centaines. Description du corps de Rê
dans le Livre de la Vache du Ciel : « ses os étaient d’argent, son corps d’or, sa chevelure de
lapis-lazuli véritable » 24. Description du corps d’Amon-Rê dans le P. mag. Harris : « ses os
sont d’argent, ses chairs d’or, et ce qui couvre sa tête de lapis-lazuli véritable » 25. Description
du corps du défunt : « Osiris-Khentyimentiou, ton corps est d’airain, il ne moisira pas (…),
Osiris N., ta chair est d’or, elle ne souffrira pas, Osiris N., ton ossature est d’argent, elle ne
disparaîtra pas, à tout jamais » 26. Ptah s’adressant à Ramsès II : « je vais fondre ton corps en
électrum, tes os en cuivre et les parties de ton corps en airain céleste » 27. C’est à cette
conception que se réfère aussi, bien sûr, le passage célèbre du P. Westcar décrivant la
20
Ibid., p. 1722.
21
Sur la distinction des deux sangs, voir B. MATHIEU, « Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche
des systèmes chromatiques », ENiM 2, 2009, p. 35-37.
22
Dr(≠w) ≈fty jmy wbnw snwr w“.t jmy.t snfw d(≠w) w“tj Îr (m) gs nb n r(“) n(y) ”≈.t (P. Edwin Smith 5, 2 [cas
n° 9] ; cf. J.H. BREASTED, The Edwin Smith Surgical Papyrus, OIP 3-4, Chicago, 1930, réimpr. 1991 ;
traduction récente : J.P. ALLEN, The Art of Medecine in Ancient Egypt, New York, 2005, p. 70-115 [60]).
23
La thématique du corps métallique inaltérable est bien connue, mais elle mériterait d’être analysée plus
précisément en fonction des représentations anatomiques et physiologiques. Voir notamment Fr. DAUMAS, « La
valeur de l’or dans la pensée égyptienne », RHR 149, 1956, p. 1-17, en part. p. 6-7 ; Y. KOENIG, Le Papyrus
Boulaq 6, BiEtud 87, Le Caire, 1981, p. 117, n. f ; N. GRIMAL, Les termes de la propagande royale égyptienne
de la XIXe dynastie à la conquête d’Alexandre, Paris, 1986, p. 126-128 ; S. AUFRÈRE, L’Univers minéral dans
la pensée égyptienne, BiEtud 105/2, Le Caire, 1991, p. 353-445 ; D. MEEKS, Chr. FAVARD-MEEKS, La vie
quotidienne des dieux égyptiens, Paris, 1993, p. 89-90.
24
Qs.w≠f m ̃ Ì©w≠f m nbw ‡ny≠f m ≈sbd m“© (E. HORNUNG, Der ägyptische Mythos von der Himmelskuh,
OBO 46, Fribourg, 1982 ; N. GUILHOU, La vieillesse des dieux, OrMonsp 5, Montpellier, 1989, pl. A1).
25
Qs(.w)≠f (m) ̃ jwf≠f m nbw Ìry tp≠f m ≈sbd m“© (P. mag. Harris 4, 9 ; O. LANGE, P. mag Harris,
Copenhague, 1927, p. 38). La description du corps de Khnoum à Esna est identique : Esna III, 272, 3-4 ;
S. SAUNERON, Esna V, p. 143.
26
Wsjr ⁄nty-jmnty.w Ì©w≠k m bj“ nn ≈sd≠f (...) Wsjr N jwf≠k m nbw nn s(w)nj≠f Wsjr N qsw≠k m ̃ nn skj≠f r nÌÌ
ƒ.t (P. Caire JE 97249 ; G. BURKARD, Die Papyrusfunde, ArchVer 22, Mayence, 1986, p. 64).
27
Nb(≠j) Ì©w≠k m ƒ©mw qs.w≠k m Ìmtj ©.wt≠k (m) bj“-n(y)-p.t (« Bénédiction de Ptah » [Ramsès II, an 35] ;
KRI II, 266, 5-11).
Et tout cela exactement selon sa volonté 503

naissance miraculeuse des enfants royaux : « cet enfant glissa sur ses mains, un enfant d’une
coudée, dont les os étaient solides, les parties du corps recouvertes d’or et la coiffure de lapis-
lazuli véritable » 28.
La spécificité du corps divin, qu’il s’agisse d’une divinité quelconque, d’un défunt ou d’un
roi, « dieu parfait » (nÚr nfr), est que ses deux composantes, éléments durs et éléments mous,
proviennent du dieu créateur (Atoum, Osiris, Amon, etc.), la mère, divine ou humaine, ne
servant in fine que de simple réceptacle. C’est la justification de ce passage des Textes des
Pyramides, qui nomme les deux composantes issues du créateur héliopolitain comme étant
produites respectivement par le phallus et le vagin de ses enfants jumeaux, Chou et Tefnout :
« Vois, de ce dieu (= le défunt) les pieds sont effleurés par les liquides purs qui sont
originaires de son père : ceux qu’a engendrés le phallus de Chou et ceux qu’a fait naître le
vagin de Tefnout ; s’ils sont venus en t’apportant les liquides purs originaires de leur père,
c’est pour te purifier et te rendre divin » 29. C’est ce qui explique aussi, dans le domaine
funéraire, la théorie apparemment complexe des humeurs d’Osiris (rƒw), des Enfants d’Horus
et des « vases canopes », dont le but ultime est de conférer au défunt ses éléments mous
divins 30. La formulation canonique de ce principe, là encore, figure déjà dans les Textes des
Pyramides : (adressé à Osiris) « ton corps, c’est le corps de ce N, ta chair, c’est la chair de ce
N, tes os, ce sont les os de ce N » 31. Elle est plus explicite encore dans les Textes des
Sarcophages, où le défunt peut déclarer : « je suis ce grand ba d’Osiris…, qu’Osiris a créé des
humeurs provenant de sa chair et de la semence issue de son phallus » 32. Les humeurs
d’Osiris constituent donc pour le corps djet du défunt l’équivalent fonctionnel du lait 33. Dans
le domaine de l’idéologie royale, le mythe de la théogamie n’a d’autre but que de montrer
comment le créateur introduisit chez la reine non seulement sa semence masculine (mtw.t), à
l’origine des éléments durs, mais aussi l’effluve parfumé (j“d.t) destinée à former les éléments
mous 34.
Le sang, quant à lui, nécessairement absent du corps divin inaltérable, a pour équivalent
fonctionnel l’onguent mƒ.t. Il ne semble pas qu’on ait remarqué jusqu’ici le rôle spécifique de
cet onguent. C’est ce que décrit de manière limpide, pourtant, la formule 637 des Textes des
Pyramides, prototype d’un passage du « Rituel d’Abydos » : « Ô ce N, je suis venu moi-
28
W©r~jn ßrd pn tp ©.wy≠sy m ßrd n(y) 1 mÌ rwd(≠w) qs.w≠f n≈b{t}(≠w) ©.wt≠f m nbw ©fn.t≠f m ≈ sbd m“©
(P. Westcar 10, 9-11 = 10, 17-19 = 10, 24-26 ; cf. A.M. BLACKMAN, W.V. DAVIES, The Story of King Kheops
and the Magicians, 1988, p. 13-14 ; trad. récentes par P. GRANDET, Contes de l’Égypte ancienne, Paris, 1998,
p. 65-82 ; B. MATHIEU, « Les contes du Papyrus Westcar : une interprétation », Égypte, Afrique & Orient 15,
1999, p. 29-40.
29
Mk j N pn j.sn≠tj rd.wj≠f jn mw w©b.w wnn.w ≈r tmw jr Ìnn ‡w s≈pr k“.t Tfnw.t jw~n≠sn jn~n≠sn n≠k mw w©b.w
≈r jt≠sn sw©b≠sn Úw snÚr≠sn Úw (Pyr. § 2065a-2066b [TP 685]).
30
Voir Th. BARDINET, op. cit., p. 74-79 ; B. MATHIEU, « Les Enfants d’Horus : théologie et astronomie »,
ENiM 1, 2008, p. 10-11.
31
·.t≠k ƒ.t n.t N pn jwf≠k jwf n N pn qs.w≠k qs.w N pn (Pyr. § 193a-b [TP 219]).
32
Jr(w)~n Wsjr m rƒw jmy jwf≠f m mtw.t pr(w).t m Ìnn≠f (CT II, 68b-c = 71b-c [TS 94] = CT II, 77d-78b
[TS 96]).
33
Il suffit pour s’en convaincre de rapprocher ces passages des Textes des Pyramides : mw≠k n≠k b©Ì≠k n≠k
rƒw≠k n≠k pr m Wsjr, « tu as ton eau, tu as ton abondance, tu as tes humeurs issues d’Osiris » (Pyr. § 1291a,
2007a ; cf. § 2031a) ; mw≠k n≠k b©Ì≠k n≠k jrÚ.t≠k n≠k jmj.t mnƒ.wj mw.t≠k ”s.t, « tu as ton eau, tu as ton
abondance, tu as ton lait qui provient des seins de ta mère Isis » (Pyr. § 734a-b, *1883b-c). Les humeurs d’Osiris
ne sont autres qu’un lait divin.
34
La démonstration de cette nouvelle lecture de la théogamie dépasserait bien sûr le cadre de cet article ; elle
sera proposée ailleurs.
504 Bernard Mathieu

même auprès de toi pour t’emplir de l’onguent medjet issu de l’Œil d’Horus, pour t’emplir de
lui afin qu’il t’attache tes os, qu’il te réunisse les parties de ton corps, qu’il t’agrège tes chairs,
et qu’il jette tes effluves infects à terre » 35. Remarquable est le jeu phonique sur mƒ.t et dmƒ,
« réunir », qui a peut-être déterminé la fonction spécifique dévolue à cette huile sainte !

Il est temps d’aborder notre hymne à Khnoum, ou plutôt à Rê-Khnoum ( ) – et non


Khnoum-Rê, comme lu jusqu’ici –, puisque tel est le nom qui lui est donné, par référence à
l’antique sanctuaire héliopolitain où furent élaborés, tout au long de l’histoire pharaonique,
les principes théologico-politiques majeurs 36.
Une première section, en six distiques, honore le divin potier, fondateur de l’Égypte, père du
premier couple, les « oisillons » Chou et Tefnout, à l’instar de Rê-Atoum, dispensateur du
souffle de vie et de l’inondation nourricière, et créateur des êtres vivants – dieux, hommes et
animaux. Le dernier distique, traitant de la « semence-os » et du sang, sert de transition vers
la section suivante.
La deuxième section, constituée également de six distiques, rappelle les principes de la
génération, tels que les a conçus le dieu : c’est lui qui insuffle la vie à l’intérieur des êtres, fait
couler le sang pour lier les éléments corporels, assigne à la semence masculine sa fonction
osseuse, règle le corps féminin pour la parturition, donne la vie à l’embryon et, tel un fondeur
métallurgiste, fait « couler la peau sur les parties du corps ». L’idée que Khnoum est le
modeleur de tout être humain n’est pas propre à la théologie latopolite. On rappellera, parmi
bien d’autres exemples, la plainte d’Ipouour, dont les Lamentations sont d’obédience
memphite : « Hélas, les femmes sont stériles, on ne conçoit plus, et Khnoum ne façonne plus
à cause de l’état du pays » 37. Ou cet extrait d’une autobiographie thébaine de la XXIIe
dynastie : « Khnoum m’a façonné sur son tour » 38.
Suit la troisième et dernière section, dédiée à l’anatomie fonctionnelle proprement dite, et
ordonnée, comme c’est la règle dans les textes égyptiens 39, en progressant du haut du corps
vers le bas. Cette section se divise en réalité en deux stances, parfaitement équilibrées puisque
35
H“ N pw jw~n≠j ≈r≠k ƒdÚ j.mÌ(≠j) Úw m mƒ.t pr.t m Jr.t Îr j.mÌ(≠j) Úw jm≠s Ús≠s n≠k qs.w≠k dmƒ≠s n≠k ©.wt≠k
s“q≠s n≠k jwf≠k sf≈≠s fdw.t≠k ƒw.t jr t“ (Pyr. § 1800b-1801c). Sur le texte du rituel d’Abydos (12e tableau), cf.
A. MORET, Le rituel du culte divin journalier, Paris, 1902, p. 75-76 : mÌ tw (m) mƒ.t pr.t m Jr.t-Îr mÌ tw jm≠s
Ús≠s qs.w≠k dmƒ≠s ©.wt≠k s“q<≠s> jwf.w≠s, « Emplis-toi d’onguent medjet issu de l’Œil d’Horus, emplis-toi de lui
afin qu’il attache tes os, qu’il réunisse les parties de ton corps et qu’il agrège tes chairs ! ».
36
Sur la prégnance de la tradition héliopolitaine, voir par exemple S. BICKEL, La cosmologie égyptienne avant
le Nouvel Empire, OBO 134, Fribourg, 1994, p. 299 ; M. GABOLDE, « Un bon créateur crée (aussi) avec ses
pieds », dans A. Gasse, V. Rondot (éd.), Séhel entre Égypte et Nubie, OrMonsp 14, Montpellier, 2004, p. 89.
37
Jw-ms Ìm.wt w‡r(≠w) n jwr~n≠tw n qd~n ∫nmw m-© srw t“ (P. Leyde I 344, r° 2, 4) ; R. ENMARCH, The
Dialogue of Ipuwer and the Lord of All, Oxford, 2005, p. 23.
38
NÌp~n wj ∫nmw (G. DARESSY, « Notes et remarques », RecTrav 16, 1894, p. 56). Sur Khnoum potier, voir en
général A. BADAWY, Der Gott Khnum, Glückstadt, 1937, p. 53 sqq. ; J.Fr. BORGHOUTS, The Magical Texts of
Papyrus Leiden I 348, OMRO 51, 1970, p. 28 et 140-142 ; H. BRUNNER, Die Geburt des Gottkönigs. Studien
zur Oberlieferung eines altagyptischen Mythos, ÄgAbh 10, Wiesbaden, 1964 (2e éd.), 1986, p. 68-74 et pl. 6 ;
M. GABOLDE, op. cit., p. 90-94.
39
Voir en particulier A. MASSART, « À propos des “listes” dans les textes égyptiens funéraires et magiques »,
AnBibl 12, 1959, p. 227-246 ; J.F. BORGHOUTS, The Magical Texts of Papyrus Leiden I 348, OMRO 51, 1970,
p. 105 (203) ; H. ALTENMÜLLER, « Gliedervergottung », LÄ II, 1977, col. 624-627 ; J.H. WALKER, Studies in
Ancient Egyptian Anatomical Terminology, ACE-Stud. 4, Sydney, 1996, p. 283-341 ; T. DUQUESNE, « La
déification des parties du corps. Correspondances magiques et identification avec les dieux dans l’Égypte
ancienne », dans Y. Koenig (éd.), La magie en Égypte : à la recherche d’une définition, Paris, 2002, p. 239-271.
Et tout cela exactement selon sa volonté 505

comprenant chacune six distiques, et se terminant chacune par des expressions similaires :
dr.ty ©.wt jr(y).w(t) Ìr jr(.t) b(“)k≠sn, « les mains et parties constitutives pour remplir leur
office ; ̃.w jr(y).w Ìr jrw≠sn, « les os constitutifs assumant leur fonction ». C’est donc en
vingt-quatre vers (deux fois douze) – est-ce un hasard ? – que se développe cette description
fonctionnelle du corps humain.
Description qui n’est pas, il faut y insister, une simple liste anatomique, mais bien un tableau
synthétique physiologique, l’intention du rédacteur étant d’évoquer les parties du corps sous
l’angle de leurs capacités d’action : le dieu potier, en effet, ne s’est pas contenté de réaliser un
assemblage d’éléments statiques mais il a conçu un système animé, organisé et productif. Ce
parti pris justifie que la terminologie utilisée soit généralement distincte du vocabulaire
anatomique usuel. On parle ainsi du faciès (mnƒ.t) plutôt que du visage (Ìr), de l’appendice
lingual (‡sr) plutôt que de la langue (ns), de l’organe cardiaque (nÚrj) plutôt que du cœur
(Ì“ty), etc.
Ces quelques clés de lecture contribueront, nous l’espérons, à rehausser encore le crédit que
mérite cette composition qui sort de l’ordinaire.

Translittération
ky ƒd Ìr dw“ R©-∫nmw

(250,7) NÌp(y) grg(w) t“ m r(“)-©.wy≠f


q“s(w) (m-)≈nty ‡t“.t
≈wsw m swƒ“w Ú“.ty
s©n≈(w) n≈n.wy m nf-n(y)-r(“)≠f
s“pw~n≠f t“ pn ßr Nwn
‡n-wr dbn-wr [m]-q“b≠f
∫nmw qd~n≠f nÚr.w rmÚ
snb~n≠f ©.wt mnmn.t
jr~n≠f “pd.w m-©b ≈nw.w
sjp~n≠f k“.w ms~n≠f jd.wt
(250,8) Ús~n≠f Ì“p(w) (w)trw m qs.w
nb(w) (m-)≈nt(y) ©fd.t≠f m r(“)-©.wy≠f

jsk swÌ n(y) ©n≈ m-≈nt(y) ≈.t nb(.t)


Ìw (w)trw tj.t
m-©b mw m qs.w r n≈b
“≈“≈.w m ‡©(w)
bß~n≠f Ìm.t r ß.t r dmƒ≠s
506 Bernard Mathieu

r wp[.t]≠f [...].w
‡wj.w (?) r mr≠f s(n)d~n≠f ≈ww
r-d(d) jb≠f
(250,9) snƒmnƒm(w) Ìtw.w n(y).w srq(w).wt-Ìtw.w
r s©n≈ n≈wy (m-)≈nt(y) b“d.t
s“≈“≈~n≠f dbn.w(t) srwd~n≠f s“rw
nb(w) jnm Ìr ©.wt

qd~n≠f hnn nb~n≠f m(n)ƒ.t


r ©pr jrw n(y) mnw
s‡~n≠f jr.ty wb“~n≠f ©n≈.wy
snsn~n≠f ß.t m-m jgbw
(250,10) jr~n≠f r(“) r wnm msn.t r s©m
wp≠f ‡sr jsk Ìr ≈nw
©r.ty Ìr p(“)≈d Ìngg.t Ìr s©m
q“b.t Ìr ©m m-©b bs
bqsw Ìr rmn b(j)g Ìr Úbb
ms≈t(j) m k“.t pr-©
©r.ty Ìr jr(.t) k“.t Ìng“.t Ìr “m
dr.ty (250,11) ©.wt jr(y).w(t) Ìr jr(.t) b(“)k≠sn

nrÚj Ìr s‡m sm“ Ìr rmn


wtt jsk Ìr st.t
jwf-n(y)-Ì“.t Ìr ndb ≈.t nb(.t)
jwf-n(y)-pÌ.wy Ìr snsn jm(y).w-ß.t
(m-)mjt.t Ìr Ìms m wÌ© Ìr s©n≈
‡t“ty m rk kkw
Ì©w-©n≈ Ìr st.t b(“)d.t Ìr ‡sp mtw.t
Ìr swr ƒ“m.w m ≈.t-mn.t
‡pty.t (250,12) Ìr “fn (= jnf) jw-jmy-©n≈ Ìr b‡
Ìr swr s≈nw m mn.ty
sbq.wy Ìr sqd jÌ.ty Ìr ≈nd
̃.w jr(y).w Ìr jrw≠sn

jw≠sn “ n-“w n jb≠f


Et tout cela exactement selon sa volonté 507

Traduction.
(Titre)
Autre hymne à Rê-Khnoum.

(Rê-Khnoum créateur)
(250,7) Le Tourneur qui a fondé le pays par son activité,
qui a noué à l’intérieur de la matrice (a),
qui a construit et constitué les deux oisillons,
qui a fait vivre les deux nourrissons par son haleine (b),
lui qui a immergé ce pays sous le Noun (c),
Pourtour-vénérable et Cercle-vénérable étant autour de lui.
Khnoum qui a façonné au tour dieux et hommes,
qui a forgé gros et petit bétail,
qui a créé oiseaux comme poissons,
qui a fabriqué les mâles et enfanté les femelles (d),
(250,8) qui a lié le dissimulé et le (liquide) rouge dans les os,
en (les) coulant à l’intérieur de leur coffrage par son activité (e).

(Invention de la génération)
En effet, le zéphyr de vie est à l’intérieur de toute chose
et le (liquide) rouge imprègne la forme (f)
tout comme le liquide des os, pour la constitution
du squelette au commencement (g).
Il a fait accoucher la femme quand le ventre est à terme (h),
afin d’ouvrir les […
…] selon sa volonté, ayant restreint la douleur
à son gré,
(250,9) assouplissant la gorge de celles dont la gorge respire (i)
pour assurer la vie de l’embryon à l’intérieur de l’utérus (j).
Il a fait se développer les bouclettes et consolidé le duvet (k),
ayant coulé la peau sur les parties du corps (l).
508 Bernard Mathieu

(Partie supérieure du corps humain)


Il a façonné la boîte crânienne et coulé le faciès
pour doter l’individu d’une physionomie (m) ;
il a écarté les yeux et perforé les oreilles (n),
ayant fait respirer le tronc grâce à l’atmosphère (o).
(250,10) Il a fait la bouche (p) pour l’alimentation, la denture pour l’ingestion (q),
séparant l’appendice lingual (r), par ailleurs, pour l’élocution,
la mandibule pour la mastication, l’œsophage pour l’ingestion (s),
la trachée (t) pour l’inspiration comme pour l’expulsion ;
la nuque (u) pour soutenir, l’articulation de l’épaule pour les mouvements (v),
le bras pour les travaux de force (w),
les avant-bras pour l’exécution du travail, le poignet (x) pour la préhension,
les mains (250,11) et parties constitutives (y) pour remplir leur office.

(Partie inférieure du corps humain)


L’organe cardiaque pour la distribution, l’appareil respiratoire pour le transport (z),
le pénis, par ailleurs, pour la fécondation (aa),
les éléments mous antérieurs pour l’absorption (bb) de toute chose,
les éléments mous postérieurs pour le soulagement des intestins (cc).
De même, pour une grossesse aisée (dd) et pour assurer la vie
du fœtus durant la période de gestation (ee),
l’organe de vie pour la fécondation, l’utérus pour la réception de la semence (ff)
et l’accroissement des générations dans le monde habité (gg).
La vessie (250,12) pour la miction (hh), les sphincters (?) pour l’expulsion
et pour la dilatation de ce qu’enserrent les cuisses (ii),
les jambes pour le déplacement, les cuisses pour la progression (jj),
les os constitutifs assumant leur fonction (kk).

Et tout cela exactement selon sa volonté (ll).

Notes de commentaire
(a) , « le Tourneur », avec N.t (Neith) pour n, Îp (Hâpy) pour Ìp, B“ (le Bélier) pour
b = p, et le tour comme déterminatif explicite servant de « clef de lecture » au groupe. Comme
l’explique Ph. Derchain, ce jeu graphique permet d’associer féminité, fécondité / fertilité et
virilité (GöttMisz 200, 2004, p. 38 et 41). Mais on pourrait ajouter que la fécondité androgyne
Et tout cela exactement selon sa volonté 509

du créateur, par sa position centrale, est conçue comme la combinaison de la féminité,


représentée par Neith, et de la virilité, représentée par le Bélier !
‡t“.t, litt. « la secrète » ; pour ce terme anatomique, cf. J.Fr. Borghouts, Ancient Egyptian
Magical Texts, Leyde, 1978, p. 64.
(b) Les « deux oisillons » sont Chou et Tefnout. Sur la forme duelle Ú“.ty, cf. A.M. Blackman,
« The King of Egypt’s Grace before Meat », JEA 31, 1945, p. 62, n. 19 ; J.-Cl. Goyon, « Le
cérémonial de glorification d’Osiris du papyrus du Louvre I. 3079 », BIFAO 65, 1967, p. 120,
n. 106. Mais une lecture Ú“.wy n’est pas exclue, le terme pouvant désigner aussi,
métaphoriquement, les bronches : S. Cauville, Dendara. Les chapelles osiriennes. Index,
BiEtud 119, Le Caire, 1997, p. 621.
« Haleine » rend l’expression nf-n(y)-r(“)≠f, litt. « le souffle de sa bouche ».
(c) L’inondation, qui se répand comme les humeurs (rƒw) d’Osiris, d’où la graphie , qui
évoque le dieu inerte. L’eau de l’inondation pouvait aussi être comparée à du sang menstruel
coulant dans le ventre de la femme enceinte, comme le rappelle C. Spieser, op. cit., p. 1726, qui
cite en particulier Chr. Leitz, Magical and Medical Papyri of the New Kingdom, HPBM 7,
Londres, 1999, p. 68-70 et n. 192.
Sur le verbe s“p, « mouiller », « tremper », « humecter », cf. copte swp (SB).
(d) Le déterminatif de (un poisson) a été délibérément arraché. Sur le mot ≈nw, qui signifie
peut-être étymologiquement « celui qui porte des nageoires », cf. J.F. Borghouts, The Magical
Texts of Papyrus Leiden I 348, OMRO 51, 1970, p. 113-114. Il s’agit en réalité d’un terme
générique très ancien, déjà attesté à l’époque thinite : P. Lacau, J.-Ph. Lauer, La pyramide à
degrés V. Inscriptions à l’encre sur les vases, Le Caire, 1965, p. 55, fig. 79, n° 128 (information
aimablement communiquée par J.-P. Pätznick).
« Qui a fabriqué les mâles et enfanté les femelles » : c’est la distinction des sexes dont parle le
grand hymne du temple d’Hibis évoqué dans l’introduction.
(e) En lisant le groupe , Ì“p(w) (w)trw, qui désigne la moelle, assimilée au sperme,
et le sang. Comme le confirme Ph. Derchain (GöttMisz 200, 2004, p. 41-42), il faut renoncer à
l’interprétation de S. Sauneron : « il organisa la course du sang dans les os » (Esna V, p. 95).
Mais sa traduction (« le liquide caché dans les os ») ne rend pas compte de tous les mots du
texte. Pour l’explication de ce passage, on se reportera à l’introduction.
« Leur coffrage », litt. « son coffre » ; il s’agit de l’enveloppe osseuse, le terme , ©fd.t
(> ©ft.e) étant déterminé par le signe de la branche, déterminatif usuel qui fournit une métaphore
indirecte pour les « éléments durs (comme du bois) ».
(f) SwÌ n(y) ©n≈, « le zéphyr de vie », équivalent de notre oxygène.
« Imprègne », litt. « frappe » ; le même verbe Ìwj est utilisé à propos de l’inondation qui atteint
les rivages de l’Égypte.
(g) Le « liquide des os » est la moelle, « semence-os » masculine, assimilée au liquide séminal ;
voir notre introduction.
Pour , “≈“≈, « squelette », cf. S. Cauville, op. cit., p. 11-12 ; P. Wilson, A Ptolemaic
Lexikon. A Lexicographical Study of the Texts in the Temple of Edfu, OLA 78, Louvain, 1997,
p. 20-21, qui traduisent simplement « os ».
(h) Pour bß, « faire accoucher », cf. Wb I, 472, 7-8.
510 Bernard Mathieu

S. Sauneron, suivi par Ph. Derchain, voit dans , une graphie de ß.t, « ventre ». D. Meeks,
que je tiens à remercier ici, me précise : « Ìw.t est certainement une graphie de ß.t pris dans son
sens premier de “enveloppe fœtale” ; cf. G. Roquet, dans Société d’ethnozoologie et
d’ethnobotanique, Bulletin de liaison n° 15, 1984-1985, p. 3-20 ».
(i) « Celles dont la gorge respire », c’est-à-dire les parturientes, comme le le déterminatif du
groupe , plutôt que, simplement, « ceux qui respirent » (S. Sauneron, suivi par
Ph. Derchain) ; sur l’expression, voir aussi Esna III, n° 318, 10 et VII, n° 634, 13. En employant
les mots Ìtw.w, « gorges », et srq(w).wt-Ìtw.w, « celles dont la gorge respire », le
hiérogrammate rappelle à l’évidence le nom complet de la déesse Serqet : Srq.t-Ìtw, Serqet-
hétou, litt. « Celle qui fait respirer la gorge » (déjà Pyr. § 489b [TP 308], § 606d [TP 362],
§ 673d [TP 385], etc.). Sur les liens entre Serqet et la naissance, ce qui justifie sa présence ici,
cf. C. Spieser, « Serket, protectrice des enfants à naître et des défunts à renaître », RdE 52,
2001, p. 251-264.
(j) La lecture du mot , qui réapparaît plus loin sous la forme (250, 11), est sans aucun
doute b(“)t.t. Ce terme anatomique, synonyme de ‡t“.t, « matrice », n’est en réalité qu’une
acception spécialisée de , b“d.t, qui peut désigner tout récipient creux de dimension
réduite, coquille, moule, cuillère, etc. : Wb I, 432, 9 à identifier avec Wb I, 489, 8-12 (bt.t / bt.y /
bt) ; voir V. Loret, « Pour transformer un vieillard en jeune homme (Papyrus Smith XIX, 9-XX,
10) », dans Mélanges G. Maspero, MIFAO 66/2, Le Caire, 1935-1938, p. 861-862 ; D. Meeks,
AnLex, 77.1195 ; dém bt.y ; copte bhte (S). S. Sauneron précise que le premier signe de ,
« ressemble à l’hiéroglyphe de la barbe » (op. cit., n. jj), mais il corrige le texte en fonction de
Urk. VIII, 36, 14 : bt.t n(y.t) njw.wt, (Thèbes) « l’utérus des cités ». Cette dernière expression
figure aussi dans la procession des nomes de Haute-Égypte du propylône de Karnak-Nord : ntÚ
b(“)t.t n(y.t) njw.wt swÌ.t sp“.wt, « tu es l’utérus des cités et l’œuf des nomes » ; cf.
S.H. Aufrère, Le propylône d’Amon-Rê-Montou à Karnak-Nord, MIFAO 117, Le Caire, 2000,
p. 85 et 86, n. (b). La proposition étymologique qu’avance l’auteur (« une forme dérivée de
bj“ ») ne peut être retenue, bien que sa traduction (« le creuset des villes ») soit judicieuse.
(k) Le terme dbn.t est enregistré au Wb V, 438, 15-16, qui renvoie à nbd.t. Il est possible que
l’inversion manifeste nbd > dbn ( ) soit due à la volonté d’éviter d’employer un homophone
de Nbƒ / Nbd, « le Malfaisant », désignation bien connue de Seth (Wb II, 247, 4-8). Sur ce type
d’inversion, voir par exemple gn, inversion de ng, « taureau de sacrifice » ; nr, « nom
magique », inversion de rn, « nom » ; Ìtp « en paix », inversion de PtÌ, « Ptah » ; N-m-j(w)
inversion de Jmn, « Amon », etc. Cf. P. Montet, Scènes de la vie privée, Le Caire, 1925, p. 138-
139 ; G. Posener, « Le mot égyptien pour désigner le “nom magique” », RdE 16, 1964, p. 214 ;
G. Roquet, BIFAO 78, 1978, p. 479-480 ; B. Van Rinsveld, « Un cryptogramme d’Amon »,
dans Chr. Cannuyer, J.-M. Kruchten (éd.), Individu, société et spiritualité. Mélanges
A. Théodoridès, Le Caire, 1993, p. 263-268. Selon les conceptions génétiques égyptiennes, le
système pileux fait partie des « éléments durs », à côté des os, dents et ongles.
Le mot , srw, désigne précisément la toison, le duvet. Rapprocher, dans le conte du
Pâtre qui vit une Déesse : ‡nw≠j ƒdf(≠w) m““≠j srw≠s n©© n(y) jwn≠s, « mes cheveux se sont
hérissés quand j’ai vu sa toison et le poli de son teint » ; cf. A.H. Gardiner, Die Erzählung des
Sinuhe und die Hirtengeschichte, Leipzig, 1909, pl. 16 ; B. Mathieu, « Le conte du Pâtre qui vit
une déesse (P. Berlin 3024, verso). Nouvelles lectures », dans un volume d’Hommages (sous
presse).
(l) Comme un orfèvre appliquant des feuilles d’or, ce deuxième vers évoquant les « éléments
mous » et l’or (nbw) de la chair des dieux. On doit rappeler que le terme ©.wt ne s’applique pas
aux « membres » proprement dit, mais à toute partie du corps susceptible d’être nommée ; Ì©w
désigne collectivement ce que les ©.wt désignent distributivement.
Et tout cela exactement selon sa volonté 511

(m) Le féminin (collectif) , m(n)ƒ.t, « faciès », bien que dérivé du même radical, comme
mnƒ.t, « paupière », n’est pas identique à mnƒ.ty, « joues » ; voir G. Lefebvre, Tableau des
parties du corps humain mentionnées par les Égyptiens, CASAE 17, Le Caire, 1952, p. 15 ;
D. Meeks, AnLex 79.1252. Le mot *mƒnn enregistré comme un hapax par S. Cauville, op. cit.,
p. 236 (« tête »), doit probablement être assimilé à ce dernier. Le terme , mnw, litt.
« quelqu’un », présente un jeu graphique permettant d’évoquer le dieu Min (Mnw) qui avait
justement fourni à Amon-Rê son iconographie.
jrw, « forme (visible) », est écrit avec le signe de l’œuf (lecture jr).
(n) Rapprocher déjà, dans les Textes des Pyramides : wp n≠j r“≠j wb“ n(≠j) ‡r.t≠j s“‡≠j n≠j
msƒr.wj≠j, « ma bouche m’a été ouverte, mes narines m’ont été perforées, mes oreilles m’ont été
écartées » (§ 712a-b [TP 407]).
(o) En lisant , snsn~n≠f, à la suite de S. Sauneron, mais sans adopter son interprétation
(« il mit le corps en contact intime avec l’atmosphère »), ni celle de Ph. Derchain (« (il a) fait
pénétrer l’air dans < le > corps par la respiration »). Pour cet emploi de snsn, voir par exemple
S.H. Aufrère, op. cit., p. 210-211. Le terme ß.t désigne précisément l’ensemble thorax +
abdomen + pelvis.
Le mot (Wb I, 140, 16-18) est peut-être apparenté à l’ancien j.gp.w, « nuages », dont le
sens se serait affaibli ; le [p] final se serait logiquement sonorisé en [b] sous l’influence de la
sonore [g].
(p) Il n’a pas été remarqué que la graphie , pour jr~n≠f r(“), disposée verticalement,
permet de réaliser un calligramme dessinant un visage (œil + nez + bouche), le verbe nf
signifiant précisément « respirer ». Ce jeu graphique, utilisant généralement deux yeux oudjat,
est bien connu dans l’iconographie égyptienne : cf. M. Lurker, An Illustrated Dictionary of the
Gods and Symbols of Ancient Egypt, Londres, 1980, p. 129. Citons en particulier le décor du
pyramidion d’Amenemhat III (Caire JE 35133 et 35745 ; cf. D. Wildung, L’Âge d’or de
l’Égypte. Le Moyen Empire, Paris, 1984, p. 75, n° 66). Ou le décor de la stèle BM 175 [101]
(temp. Sésostris III - Amenemhat III ; cf. HTBM II, Londres, 1912, pl. 1). Ou encore un
fragment de calcite du Nouvel Empire, signalé par H.G. Fischer, Varia Nova, Egyptian Studies
III, New York, 1996, p. 44, fig. 1. Voir également la coupe Louvre AO 15727 (Ougarit, XIVe-
XIIe s. av. J.-C.), ou la coupe de l’Israel Museum à Jérusalem (Lachish, XVe-XIIIe s.).

Pyramidion d’Amenemhat III (détail). Motif de la stèle BM 175 [101].


512 Bernard Mathieu

Fragment de calcite du Nouvel Empire. Motif de la coupe Louvre AO 15727.

(q) La lecture du mot n’est pas assurée, mais on peut admettre, étant donné le
déterminatif du couteau, qu’il s’agit d’un collectif msn.t, dérivé de msnj, « couper »,
« trancher » (Wb II, 146, 2), litt. « la coupante », avec jeu sur msnty, « le harponneur »
(S. Cauville, op. cit., p. 226 ; P. Wilson, op. cit., p. 462-463). On rapprochera aussi msn.t,
« tranchée (de fondation) » (D. Meeks, AnLex 79.1349). La proposition de Ph. Derchain (ms
nƒÌ.t) est difficile à retenir. Sur la probable distribution lexicale jbÌ.w, « incisives », nƒÌ.w,
« canines », et Ús.w, « molaires » (et prémolaires) : I.E.S. Edwards, Oracular Amuletic Decrees
of the Late New Kingdom, HPBM, 4e série, Londres, 1960, p. 37 et n. 15. s©m, litt. « pour faire
avaler ». Les « racines dentaires » se disaient w“b.w ny.w jbÌ.w : M. Collier, St. Quirke, The
UCL Lahun Papyri : Religious, Literary, Legal, Mathematical and Medical, BAR-IS 1209,
Oxford, 2004, p. 54-55.
(r) S. Sauneron (p. 100, n. w) propose sans conviction pour le groupe la lecture Ìw≠f. Si tel
était le cas, le scribe opèrerait un jeu entre Ìwj, « frapper », « consacrer », et Îw, « Hou », le
Verbe du créateur, ce qui est séduisant ; mais la graphie fait difficulté, tout comme le sens
nouveau qu’il faudrait attribuer à Ìwj. , ‡sr (< ‡s“w), « langue », est un mot très ancien :
Pyr. § 127b [TP 210], § 2154c [TP 694] ; P. Wilson, op. cit., p. 1031 ; il est utilisé ici dans une
acception anatomique spécialisée.
(s) À distinguer de wgw.t, « mâchoire », le mot ©r.tj désigne la mandibule (autrefois « maxillaire
inférieur »), seul os mobile du crâne. La forme duelle se justifie par le fait que la mandibule est
formée de deux os symétriques qui fusionnent progressivement, chez le fœtus et durant les
premiers mois du nourrisson ; c’est l’explication, dans les Textes des Pyramides, de l’énoncé :
h“ N j.smn n≠k ©r.tj≠k ps‡≠t(j), « Ô N, a été fixée pour toi ta mandibule, qui était divisée »
(Pyr. § 30a [TP 37]). Voir aussi Th. Bardinet, Dents et mâchoires dans les représentations
religieuses et la pratique médicale de l’Égypte ancienne, Studia Pohl 15, Rome, 1990, p. 56-61.
, p(“)≈d, « mastication », litt. « adduction », terme technique pour désigner un mouvement
d’abaissement, ici mandibulaire. Le note l’assourdissement de la dentale sonore en position
finale [d] > [t].
, Ìngg.t, étant donné le contexte, est plutôt l’« œsophage » que le « gosier », comme on
le traduit généralement : Wb III, 121, 10-11 ; D. Meeks, AnLex 77.2765 ; S. Cauville, op. cit.,
p. 379 ; P. Wilson, op. cit., p. 658. Dans un autre contexte d’anatomie fonctionnelle, le gosier se
dit ‡nb.t (Wb IV, 512-513), comme l’exprime par exemple P. Leyde T 32, VIII, 6 : wnm≠k m
r“≠k swr≠k m ‡nb.t≠k wrÌ≠k jwf≠k m st.wt jtn, « tu mangeras avec ta bouche, tu boiras avec ton
gosier, et tu oindras tes chairs des rayons du disque » ; cf. Fr.R. Herbin, Le livre de parcourir
l’éternité, OLA 58, Louvain, 1994, p. 70 et 252-253). Le terme est à distinguer bien sûr de
Ìngw, « denture » ; cf. D. Meeks, AnLex 77.2764. Noter que ce même Ìngw signifie bien
« denture » (et non « bave ») dans CT V, 133a [TS 398] : jn.w≠s Ìngw tp(y) r“ n(y) Wsjr, « ses
cordages, c’est la denture qui est dans la bouche d’Osiris ». Rapprocher l’expression tpj.w-r“,
litt. « celles qui sont sur la bouche » (Pyr. § 443a [TP 298]), pour désigner les dents.
Et tout cela exactement selon sa volonté 513

L’œsophage est aussi nommé ÚpÌ.t wƒ(w.t) k“.w, « la caverne qui envoie les aliments » (Dend.
VI, 159, 5) : cf. Ph. Derchain, « Jeu de langue. L’œsophage métaphore de Maât »,
ChronEg 85/169-170, 2010, p. 9-13. Ou encore Ìn© Ìr Ìn r ß.t, litt. « le tube qui dirige (les
aliments) vers le ventre » : cf. P. Wilson, op. cit., p. 653 ; S. Cauville, Dendara. La porte d’Isis,
Le Caire, 1999, p. 43, 7, p. 110 et 197.
(t) La lecture p(“)≈d de Ph. Derchain s’applique à sa traduction « s’ouvrir vers le bas », et non,
comme l’indique l’emplacement des parenthèses, au mot « gorge » (GöttMisz 200, 2004, p. 40).
Le groupe se lit q“b.t, litt. « celle de la poitrine », le signe du vase de granite (Gardiner,
Sign List W7) ayant la valeur “b. Le terme désigne la « trachée », que représente précisément le
déterminatif. Le mot enregistré par S. Cauville, op. cit., p. 569 (« entrailles ? »), est
certainement le même. Après la fonction digestive est évoquée la fonction respiratoire.
(u) , bqs.t, « la nuque », derrière laquelle se situent les vertèbres cervicales Ús.w-bqs.w.
(v) Pour , bg / bjk, voir J.Fr. Quack, LingAeg 5, 1997, p. 238, qui cite P. Chester Beatty
VII r° 3, 2 (bjk.w ny.w rmn.wy) ; et A.H. Gardiner, Hieratic Papyri in the British Museum.
Third Series: Chester Beatty Gift, Londres, 1935, p. 135. Le terme bg / bjk désigne l’arrondi de

l’épaule, avec la clavicule et le muscle deltoïde. Le mot , bjk.ty (Edfou I/1, 16, 9), que
Ph. Derchain assimile à bg / bjk, est en réalité un dérivé féminin de bg / bjk nommant
précisément les « clavicules » : bjk.ty<≠k> ƒr.ty s“.ty≠k Ìr(y).w(t) snbw jwnn≠k, « tes clavicules,
ce sont les deux milans, tes deux filles (Isis et Nephthys), perchées sur les remparts de ton
sanctuaire » ; voir R.B. Finnestad, Image of the World and Symbol of the Creator, SOR 10,
Wiesbaden, 1985, p. 117 (« collar bones »). Il faut définitivement renoncer à la lecture de
S. Sauneron : bk“.ty, « testicules » (Wb I, 482, 3).
Le verbe , Úbb, pourrait être assimilé au de Pyr. 681e [TP 388] : Úbb~n Îr r“≠f m
Úbw≠f, « Horus lui a aplati la gueule avec sa plante de pied ». D. Meeks (communication
personnelle) suggère une lecture tbtb, « mettre en mouvement »
(w) Le mot , ms≈tj, litt. « patte avant, épaule » (et non « cuisse », comme on le traduit
parfois) évoque ici, comme le ferait ≈p‡, la force musculaire du biceps (brachial), nécessaire au
travail physique. Il est très vraisemblable que le hiérogrammate a voulu habilement suggérer le
couple Horus et Seth en utilisant le signe du faucon pour la graphie de bg / bjk, le terme ms≈tj se
référant bien sûr, comme ≈p‡, à notre constellation de la Grande Ourse, où les Égyptiens
reconnaissaient l’épaule de Seth ; sur cette constellation, voir notamment O. Neugebauer,
R.A. Parker, Egyptian Astronomical Texts I, Providence, 1969, pl. 6 ; M. Rochholz, Schöpfung
Feindvernichtung, Regeneration, Untersuchung zum Symbolgehalt der machtgeladenen Zahl 7
im alten Ägypten, ÄAT 56, Wiesbaden, 2002, p. 30-32 ; B. Mathieu, « Les Enfants d’Horus :
théologie et astronomie », ENiM 1, 2008, p. 7-14, en part. p. 12-14.
(x) « Les avant-bras », en suivant Ph. Derchain. Le vocable pourrait être une désignation
anatomique non reconnue de l’avant-bras, litt. « ce qui monte » radical ©r. J.Fr. Quack,
LingAeg 5, 1997, p. 238, propose « Ellbogen », en rapprochant le mot ©rr.t, « portail »,
déterminé précisément par un angle ; il faudrait comprendre « articulation du coude ».
Le terme , Ìng“.t, que S. Sauneron traduisait « gosier », serait une erreur du graveur
pour Ìn.t, « paume », selon J.Fr. Quack, LingAeg 5, 1997, p. 238, suivi par Ph. Derchain. Mais
le sens de « poignet », et plus précisément de « carpe », qui donne à la main sa liberté de
mouvement, est beaucoup plus logique, après la mention de l’avant-bras (ou du coude). Aucune
correction nécessaire.
514 Bernard Mathieu

(y) L’auteur évite le « banal » ƒb©.w, « doigts », invoqué par Ph. Derchain, parce qu’il veut
désigner ici tous les os de la main au-delà de la Ìng“.t, à savoir les cinq métacarpes et les
quatorze phalanges.
(z) « Pour la distribution », litt. « pour conduire, diriger ». On ne peut employer ici le terme de
« conduction », qui désigne le système (électrique) de transmission cardiaque des influx
nerveux, évidemment étranger à la conception égyptienne.
Le mot , nÚrj, « cœur », « organe cardiaque », est bien connu : S. Cauville, op. cit., p. 300 ;
P. Wilson, op. cit., p. 559 ; ici encore, un terme rare, pour une acception physiologique
spécialisée, est préféré au vocable anatomique Ì“ty. Sur le rôle « distributeur » du cœur, cf.
P. Ebers 855a : jr Ú“w ©q(w) m fnd ©q≠f n Ì“ty Ìn© sm“ ntsn dd(w) n ß.t tm(w), « Quant à l’air qui
pénètre par le nez, il pénètre dans le cœur ainsi que dans l’appareil respiratoire, et ce sont eux
qui (le) dispensent au tronc entier ».
Le vocable , sm, comme le suggère l’étymologie (litt. « ce qui est réuni »), désigne à la fois la
trachée (Ìt.t-jb) et les poumons (wf“w), c’est-à-dire l’ensemble de l’appareil respiratoire. Les
bronches étaient probablement considérées comme des conduits métou. Le « transport » (rmn)
dont il est question est celui de l’air.
(aa) , wtt, « pénis », en réservant la traduction « verge » à bÌ (Wb I, 419, 14-16), « phallus »
à Ìnn (déjà dans Pyr. § 510b [TP 317], § 681d [TP 388], etc.) et « membre viril » à Ìms (déjà
dans Pyr. § 632b [TP 366]) ; cf. J.H. Walker, Studies in Ancient Egyptian Anatomical
Terminology, ACE-Stud. 4, Sydney, 1996, p. 272. Voir également mÚ“, nfr et qrn.t (G. Lefebvre,
op. cit., p. 40), ainsi que mnhp, « (membre) procréateur, générateur » ou « appareil génital », un
« terme rarissime d’anatomie sacrée » selon J. Yoyotte, BIFAO 61, 1961, p. 140-142. On

mentionnera enfin l’hapax , n©.wt, « verges », litt. « les glissantes » (TP 1006 B = P/F/Se 93 ;
J. Leclant et al., Les textes de la pyramide de Pépy Ier. Édition. Description et analyse,
MIFAO 118/1-2 (2e éd.), Le Cairen 2010, pl. II B).
SÚ.t, « fécondation », litt. « éjaculation ». Le signe est à lire en réalité , sorte de
coupelle à parfum, de lecture sÚj ; cf. Fr. Daumas et al., Catalogue des valeurs phonétiques IV,
OrMonsp 4, Montpellier, 1995, p. 759-760.
(bb) La graphie , « absorber », reflète une prononciation du type [nádab > núteb],
vocalisation bien attestée (schème AáBaC) du nom d’action (infinitif) des transitifs 3-lit. ; cf.
Ìbs « vêtir » > copte jwbs (SB)] ; ≈tm « sceller » > copte Òwtm (S), Òwtem (B)] ; dbÌ,
« demander » > copte twbj (SB), twbaj (S), etc.
(cc) Sur l’opposition entre jwf-n(y)-Ì.t et jwf-n(y)-pÌ.wy, parfaitement vue par S. Sauneron, cf.
J.H. Walker, op. cit., p. 225-230. Il s’agit d’une distinction physiologique intéressante entre
deux types d’« éléments mous », ceux qui absorbent et ceux qui rejettent.
, jmy.w-ß.t, « intestins », litt. « ce qui est dans le tronc », est une graphie étymologique de
mßt.w. Sur ce mot, voir notamment Fr.-R. Herbin, Le livre de parcourir l’éternité, OLA 58,
Louvain, 1994, p. 91-92 ; S. Ikram, Choice Cuts: Meat Production in Ancient Egypt, OLA 69,
Louvain, 1995, p. 138.
(dd) , Ìms m wÌ©, litt. « pour s’asseoir à l’aise », habituellement pour manger (Wb I,
349, 7 ; S. Cauville, op. cit., p. 375 ; P. Wilson, op. cit., p. 648).
(ee) J’interprète ‡t“ty, comme un nisbé formé sur ‡t“.t, litt. « ce qui est en relation avec la
matrice ».
M rk kkw, « la période de gestation », litt. « dans la période de ténèbres ».
Et tout cela exactement selon sa volonté 515

Pour la lecture du groupe , voir S. Sauneron, Esna V, p. 11, n. hh.


(ff) Pour , Ì©w-©n≈, « l’organe de vie » (phallus), cf. Wb III, 39, 8 ; L. Pantalacci,
Cl. Traunecker, Le temple d’El-Qalca II, Le Caire, 1998, p. 86 (scène 203).
Sur bt.t, « utérus », voir ci-dessus, n. (j).
(gg) , ß.t-mn.t : cf. Wb III, 353, 8-9 ; D. Meeks, AnLex 78.3167 (qui cite CT VII, 210e-f
[TS 995]) ; P. Wilson, op. cit., p. 757-758, S. Cauville, Dendara. La porte d’Isis, Le Caire,
1999, p. 209 (index). Le recours à ce mot, dont le sens est très voisin du grec oijkoumevnh, est
déterminé par la volonté de produire une assonance entre Ìr swr ƒ“m.w m ≈.t-mn.t,
« l’accroissement des générations dans le monde habité », et Ìr swr s≈nw m mn.ty, « la
dilatation de ce qu’enserrent les cuisses ».
(hh) Ph. Derchain lit à juste titre , jnf : Wb I, 96, 10 ; Fr. Daumas, Les mammisis des
temples égyptiens, Paris, 1958, p. 34-35, n. 7 ; P. Wilson, op. cit., p. 84. Il s’agit à l’évidence
d’un terme technique désignant l’écoulement d’un liquide issu d’un organe, en l’occurrence la
miction, élimination de l’urine (mwy.t).
(ii) La lecture du groupe , jw-jmy-©n≈ ou r(“)-jmy-©n≈, est difficile. S. Sauneron, suivi
par Ph. Derchain, y voit une nouvelle désignation du membre viril mais, pour plusieurs raisons,
une allusion à la défécation paraît ici beaucoup plus probable : 1. la fonction sexuelle a déjà été
évoquée ; 2. le terme b‡ s’applique presque toujours à l’expulsion d’une matière jugée
malsaine ou dangereuse (crachat, venin, etc.) ; 3. enfin et surtout, la fonction urinaire venant
d’être citée, on attend logiquement une évocation de la fonction associée. On comprend mieux,
dans ces conditions, le sens spécialisé de swr, « dilater » ; S. Sauneron (p. 102) s’étonnait d’un
prétendu « emploi intransitif » (« grandir »), qu’il n’y a pas lieu de postuler.
On peut admettre également sans trop de difficulté, dans la périphrase , s≈nw m mn.ty,
litt. « ce qui est enserré entre les cuisses », une appellation euphémique de l’orifice anal.
(jj) Probablement une distinction fonctionnelle entre les deux parties des membres inférieurs.
(kk) Rappelons le parallélisme délibéré entre dr.ty ©.wt jr(y).w(t) Ìr jr(.t) b(“)k≠sn, « les mains et
leurs éléments pour remplir leur office », et ̃.w jr(y).w Ìr jrw≠sn, « les os concernés assumant
leur fonction », qui souligne le parallélisme entre membres inférieurs et membres supérieurs, et
structure la section en deux stances d’égale longueur. On rapprochera l’expression Ìt.t Ìr jr(.t)
k“.t≠s, « la gorge faisant son œuvre », dans S. Cauville, Dendara. La porte d’Isis, Le Caire,
1999, p. 45, 1.
(ll) Jw≠sn “ n-“w n jb≠f, compris comme « à la disposition du cœur » par S. Sauneron.
L’interprétation de Ph. Derchain (« Ah ! Le bonheur est à eux ! ») est grammaticalement
impossible : ni le jw de l’égyptien classique, ni ceux du néo-égyptien (séquentiel, circonstanciel,
Futur III) ne sont compatibles avec un énoncé exclamatif, que soulignerait la particule “ ; sur les
emplois de cette particule, voir désormais E. Oréal, Les particules en égyptien ancien, de
l’ancien égyptien à l’égyptien classique, BiEtud 152, Le Caire, 2011, p. 25-60. Donner à n-“w
(pour r-“w) la valeur bien connue de « en totalité » permet de justifier la fonction conclusive de
ces derniers mots.
Le terme jb ne désignant en aucun cas un organe (sauf dans des mots composés où son sens
« organique » s’est figé), la lecture jb≠f, « sa volonté », pour le groupe s’impose, au lieu du
simple jb.
516 Bernard Mathieu

Esna n° 250, 6-12 (d’après S. Sauneron, Esna I, p. 99-101).


Table des matières

Volume 1

Avant-propos ........................................................................................................................ I-IV


Bibliographie de Jean-Claude Grenier............................................................................... V-X

Florence Albert et David Ojeda


Les portraits de l’empereur Hadrien en Égypte ........................................................... 1-6

Martine Assénat et Antoine Pérez


Amida restituta ............................................................................................................ 7-52

Sydney H. Aufrère
Le Chersydre de Nicandre et l’Hydre d’Ésope et d’Élien ........................................... 53-64

Laure Bazin
Transfert de motifs pharaoniques
dans quelques péripéties nocturnes des Pères du désert .............................................. 65-80

Sébastien Biston-Moulin
L’épithète Ìq“ m“©(.t)
et l’activité architecturale du début du règne autonome de Thoutmosis III ................ 81-102

Charlène Cassier
Hathor maîtresse d’Atfih
auprès des complexes funéraires royaux du Moyen Empire ....................................... 103-110

Julie Cayzac
Jeux d’ombre et de lumière à Philae.
Placages métalliques et « structures couvrantes » dans le téménos d’Isis ................... 111-144

Alain Charron
Un Harpocrate arlésien ................................................................................................ 145-158
598

François Chausson
Un groupe statuaire à Patara et des dédicaces à Tentyris. Hadrien en famille ........... 159-180

Michel Christol
Les dernières étapes de la carrière du préfet d’Égypte Quintus Maecieus Laetus ...... 181-196

Tables des matières .............................................................................................................. 197-202

Volume 2

Philippe Collombert
À propos des toponymes de la stèle Bucheum n° 9 ..................................................... 203-212

Didier Devauchelle
Pas d’Apis pour Sarapis ! ............................................................................................ 213-226

Sylvie Donnat
Gestion in absentia du domaine familial.
À propos des lettres aux morts et des documents d’Héqanakht .................................. 227-242

Françoise Dunand
Des images sauvées de l’oubli ..................................................................................... 243-252

Khaled El-Enany
Le pharaon hiéracocéphale Ramsès II ......................................................................... 253-266

Marguerite Erroux-Morfin
Guirlandes de « chardons », feuilles de perséa et fleurs de lotus ................................ 267-282

Luc Gabolde
™āma et Chāma. Éléments d’une enquête sur le nom des colosses de Memnon ......... 283-294

Marc Gabolde
Smenkhkarê à Ugarit ? ................................................................................................ 295-330
599

Claudio Gallazzi
Le 300 nuove domande oracolari di Tebtynis ............................................................. 331-344

Annie Gasse
L’enfant et les sortilèges.
Remarques sur la diffusion tardive des « stèles d’Horus sur les crocodiles » ............. 345-358

Jérôme Gonzalez
Infans anserem strangulat : est-ce un jeu pour Harpocrate ? ...................................... 359-374

Ivan Guermeur
À propos du cheval, d’Horus et d’un passage du de Iside de Plutarque ..................... 375-382

David Klotz
The Lecherous Pseudo-Anubis of Josephus and the ‘Tomb of 1897’ at Akhmim ...... 383-396

Tables des matières .............................................................................................................. 397-402

Volume 3

Véronique Laurent
Des monuments migrateurs. De Tjekou à Tjekou ....................................................... 403-428

Vanina Lefrancs
Les tribulations d’une tombe de Deir al-Medîna
(O. BM EA 5624, O. Florence 2621 et P. Berlin P 10496) ......................................... 429-470

Paolo Liverani
Constanzo II e l’obelisco del Circo Massimo a Roma ................................................ 471-488

Magali Massiera
La tresse d’Héliopolis .................................................................................................. 489-498
600

Bernard Mathieu
Et tout cela exactement selon sa volonté.
La conception du corps humain à Esna (Esna n° 250, 6-12) ....................................... 499-516

Dimitri Meeks
La hiérarchie des êtres vivants selon la conception égyptienne .................................. 517-546

Jürgen Osing
Notizen zum Tebtunis-Onomastikon ........................................................................... 547-550

Stéphane Pasquali
La huitième heure du Book of Hours.
Une invocation aux divinités et aux défunts de la nécropole de Memphis ................. 551-562

Jean-Pierre Pätznick

Être ou comment Imhotep accéda au monde des dieux et en revint......................... 563-592

Stéphanie Porcier
Apis, Mnévis, l’Occident et l’Orient ........................................................................... 593-596

Table des matières ............................................................................................................... 597-602

Volume 4

Isabelle Régen
Ombres. Une iconographie singulière du mort sur des « linceuls »
d’époque romaine provenant de Saqqâra .................................................................... 603-648

Jérôme Rizzo
Sur l’expression j©-jb et ses variantes .......................................................................... 649-660

Alessandro Roccati
Sinuhe come prototipo di Marco Polo (Note Letterarie - V) ....................................... 661-666
601

Vincent Rondot et Olga Vassilieva


Sobek-Rê et Pramarès au musée Pouchkine ................................................................ 667-674

Frédéric Rouffet
Îk“w, “≈w et md.t, éléments essentiels d’un rituel égyptien ....................................... 675-690

Pierre Sauzeau
Toponymie, idéologie et mythologie ........................................................................... 691-698

Frédéric Servajean
Atteindre le temps et l’éternité.
À propos des épithètes sbb(w) nÌÌ et sbb(w) ƒ.t ....................................................... 699-718

Marie Susplugas
Domitien victime de l’Histoire ?
La construction littéraire de l’empereur maudit .......................................................... 719-742

Christophe Thiers
Souvenirs lapidaires d’une reine d’Égypte. Cléopâtre Philopâtor à Tôd .................... 743-754

Youri Volokhine
Rire, fécondité et dévoilement rituel du sexe féminin.
D’Hathor à Baubô, un parcours revisité ...................................................................... 755-772

Mey Zaki
Un bloc inédit de Tourah ............................................................................................. 773-778

Christiane Zivie-Coche
Khentetiabtet, l’invention d’une déesse tout orientale ................................................ 779-808

Table des matières ............................................................................................................... 809-814


I
SSN2102-
6637

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