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CYCLE 2018/2019
Plan
Introduction
Problématique
Conclusion
INTRODUCTION
D’après Saint Augustin : « On ne cherche pas la paix pour faire la guerre, mais on fait la
guerre pour obtenir la paix. Sois donc pacifique en combattant, afin de conduire ceux que tu
connais au bienfait de la paix, en remportant sur eux la victoire ».
Alors que les grandes puissances usent et abusent des doctrines de la guerre juste, les auteurs
présentent trois axes théoriques de réflexion : le droit de la guerre, le droit dans la guerre et le
droit d’après la guerre.
En Occident, cette notion provient essentiellement des pensées de Cicéron. Ce dernier intègre
les guerres défensives, préventives, ou même de représailles dans la définition des « Guerre
Justes ».
Cette interprétation sera ensuite reprise par de nombreux auteurs et philosophes que Sénèque
(cf. Lexique), qui ajoute une justification de la guerre à travers les interventions humanitaires,
appelées « militarisme de l’humanitaire ». Comme par exemple l’opération « Restaure Hope »
menée en 1992 pat l’ONU en Somalie pour stopper la guerre civile qui rongeait le pays.
La pensée chrétienne quant à elle va limiter la notion de « Guerre Juste ». En effet, selon la
religion, la paix est un acte de vertu, et la guerre est contraire à la paix. C’est donc un péché.
Mais St Augustin (cf. Lexique) va quand même justifier la guerre par l’action de défense des
Etats, et à la condition d’une première agression par les envahisseurs/ennemis (qui correspond
donc à une violation de la paix). Cette justification sera utilisée à nombreuses reprises au
cours de l’histoire, notamment durant la guerre du Golfe : à l’époque, l’Irak convoitait le
Koweït pour ses ressources (pétrole). L’invasion en 1990 par l’armée Irakienne a déclenché le
conflit.
Au XIIIe siècle, St Thomas d’Aquin (dans La Somme Théologique) déclare que la guerre
n’est pas toujours un péché, et qu’elle peut être juste, sous trois conditions :
A. AUCTORITAS PRINCIPIS : La guerre est juste si elle est décidée par une
autorité légitime qui cherche le bien publique. A contrario de la décision
individuelle appelée persona privata ;
B. CAUSA JUSTA : La cause doit être juste ;
C. INTENTIO RECTA : L’intention doit avoir pour seul but de faire triompher
l’intérêt commun, sans cause cachées.
Un peu plus tard, l’école de Salamanque reconnait la guerre préventive comme étant juste, et
va poser comme condition que la guerre ne doit être qu’un dernier recours pour éviter « un
mal plus grand ». Mais que toutes les formes de dialogues et différents recours devront être en
place en amont.
En 1648, la fin de la guerre de 30 ans va apporter l’ordre Westphalien. L’ordre du monde se
composera alors d’Etats Souverains, et l’ONU est créée. La notion de guerre juste évolue
alors. La légitimité est déclenchée lorsqu’un état attaque l’un de ses états nations. Par contre
les problèmes internes (comme en Chine ou en Syrie) ne suffisent pas à donner légitime à une
intervention dans le conflit par d’autres Etats.
En 1918, W. Wilson crée la doctrine des Sociétés Des Nations (SDN). La suprématie du
monde prend alors racine à partir de l’alibi des valeurs : on intervient pour les droits de
l’homme exclusivement (ex. : Lybie, on intervient au Moyen orient pour instaurer la
démocratie).
A l’époque contemporaine, Michael Walzer divise le principe de Guerre Juste en 3 catégories,
les « Laws of War » :
1. Le « Jus ad Bellum » : La guerre ne peut avoir comme objectif que la paix et la
justice. Cette notion peut être illustrée par les interventions autorisées en
Somalie en 2O11 ;
2. Le « Jus in Bello » ou « droit international humanitaire » : La légitime d’entrer
en guerre est régie par 2 critères : la discrimination (on ne fait pas subir les
répercussions de la guerre au peuple innocent), et la proportionnalité (les
dégâts infligés ne doivent pas dépasser un certain niveau). On met l’accent sur
l’importance de la politique des droits de la guerre, l’Etat décide seul de la
justice et la justice de la cause de la guerre ;
3. Le « Jus post Bellum » : concerne la phrase terminale et les accords de paix qui
doivent être équitables pour toutes les parties.
En se basant sur ces différentes définitions, apportées à travers le temps, on peut se poser la
problématique suivante : « Une guerre peut-elle réellement juste ? »
Tout d’abord, les différents principes de Walzer ne sont souvent pas respectés.
En effet, dans un premier temps les conséquences de la guerre sont souvent désastreuses
(destructions, victimes, injustices, etc.) le « Jus post Bellum » n’est donc pas souvent respecté,
Ensuite, la théorie du « Jus in Bello » oublie que les Etats qui décident de la légitimité de
leurs actes sont conduits par des hommes de pouvoir. Ces derniers sont au-dessus des lois, et
agissent pour leur propre intérêt (gagner du territoire, du pouvoir…etc.), pour agrandir leur
puissance. Cela se retrouve dans la théorie des Réalistes qui démontre que la morale est faite
pour les personnes et les situations « ordinaires ». Donc la morale est totalement incompatible
avec une situation d’urgence, exceptionnelle, telle que la guerre. Elle est donc incompatible
avec l’aspect politique des guerres (Machiavel, dans son traité Le prince).
Toujours dans la même idée, la théorie de la discrimination est contestée par Rothbard par le
fait que l’entrée dans la guerre d’un gouvernement induit des conséquences sur ses citoyens,
telles que : une augmentation des impôts (et donc une certaine forme de violation des droits
de propriété), ainsi que des dégâts collatéraux sur des personnes innocentes. L’implication des
Etats dans le conflit n’est donc finalement pas juste, du moins pas pour tout le monde. Depuis
la seconde guerre mondiale, il existe de nombreux problèmes concernant le « Jus in Bello », à
travers l’utilisation d’armes à longue portée, ou encore le recours à l’arme nucléaire par les
Américains en 1945 par le Japon, Car cela touche la population innocente.
Finalement, la notion de « Guerre Juste » contredit la pensée Chrétienne qui dit que la guerre
en elle-même est un péché. Ainsi, le terme de « Guerre Juste » est mai définit en lui-même,
car une guerre ne peut être considérée comme « Juste », même si la cause est légitime. En
effet, cette dernière peut être réellement ¨Juste¨ (cause humanitaire par exemple), mais la
façon de la mener peut ne pas l’être (destruction, tortures, etc.). Le terme de « Guerre Juste »
indique donc en réalité que la cause de d’une des parties en conflit puisse être légitime, à
partir d’un certain point de vue et de certains critères. Mais il existe une certaine difficulté
pour définir une cause juste ainsi que la moralité d’une guerre.
En effet, le « Jus Ad Bellum », la définition de « cause juste », reste vague et est souvent mise
en avant par les Etas de façon à servir leurs intérêts. Ainsi, en plus de revendiquer une cause
comme étant basée sur l’aspect matériel (bombardement de villes, destruction de biens, de
territoire.. etc.), les Etats intègrent parfois les causes morales et psychologiques (honneur,
sentiment d’être menacé, sentiment d’injustice sociale … etc.), afin de justifier une cause qui
n’est souvent pas légitime. Par exemple, quand les Islamistes font la guerre Sainte (la Jihad),
on peut se demander s’ils la font pour leur honneur, pour venger une injustice ou pour
imposer leurs idéaux au reste du monde.
Finalement, une cause revendiquée par un Etat est souvent difficile à contester car les
dirigeants transforment la nature de cette cause afin de la rendre totalement légitime. Par
exemple les guerres menées par Hitler ou Saddam Hussen sont injustes car elles servent leur
propre intérêt, dans le but d’agrandir leur territoire, mais ces derniers ont toujours prétendu
récupérer un territoire leur appartenant de droit.
Ensuite, il existe une grande variété de points de vue éthiques qui sont souvent en
contradiction sur l’aspect moral de la guerre : Par exemple :
Il existe donc plusieurs interprétations et courants de pensées basés sur les causes émises qui
justifient la guerre. (Par exemple « la liberté », ou encore « l’humanitaire », sont des notions
qui ne sont pas définie de la même façon en termes de politique, ou d’économie).
Enfin, d’après St Thomas d’Aquin, l’issue d’une guerre ne justifie pas la justesse, et seul Dieu
est capable de juger la légitimité de la guerre en question. Mais dans notre société de plus en
plus laïque, les institutions et personnalités pouvant définir ou non la « justesse » d’une guerre
sont nombreuses (Etat, Organisations internationales, Président, peuple victime d’une
injustice …etc.) et il n’y as aucun moyen de connaitre la valeur accordée à chacune d’elle
pour tenir ce rôle de « juge ». De plus, plusieurs normes créées par le Conseil de Sécurité de
l’ONU, et la mise en place de tribunaux pénaux internationaux (par exemple pour le cas de
l’ancienne Yougoslavie ou du Rwanda), a eu des répercussions sur la conduite des relations
internationales (querelles, modifications et interprétations).
En conclusion, il s’avère que le terme de « Guerre Juste » ne peut pas être vrai. Une guerre,
d’un point de vue éthique n’est jamais « Juste ». De plus cette notion reste ouverte à un grand
nombre d’interprétations. La Guerre Juste se présente en réalité comme un véritable outil de
guerre. Elle permet de faire jouer les mécanismes de légitimation et donc d’avoir un impact
psychologique positif sur la population des pays concernés. En stratégie légitimer la guerre est
très important, car l’opinion publique est un outil clefs pour les dirigeants, pour appuyer leur
démocratie ou leur dictature.
Aujourd’hui, avec l’avancée et l’utilisation des armes de destruction massives (arme
nucléaire, guerres chimiques) il est difficile de définir la notion de Guerre Juste comme étant
encore pertinente. Michael Walzer (Glossaire) a pu écrire que « les armes nucléaires
pulvérisent la théorie de la guerre juste » (Guerre juste ou injustes). Au contraire, on peut se
demander si l’arrivée de nouvelles technologies (telles que les drones ou les armées
robotisées) apporterons des guerres sans injustices.
PROBLEMATIQUE DE LA GUERRE JUSTE
Il est difficile de nier le poids de la guerre dans l’évolution des civilisations humaines. Les
conditions particulièrement dures de la survie de l’espèce humaine durant des dizaines de
milliers d’années, la violence utilisée comme facteur de développement des empires
notamment par le biais de l’esclavage, l’amplitude de la colonisation et ses conséquences sur
les peuples asservis sont des étapes de démonstration suffisamment explicites. Dans la plupart
des cas de figure, la paix ne fut préservée que pour et par un équilibre des forces.
15
Nous passons sur l'historique de la théorie de la guerre juste (antiquité, période paléochrétienne, penseurs
médiévaux, école scolastique espagnole, école du droit de la nature et des gens et déclin de la doctrine,
période contemporaine).
I. Justice du point de vue du jus ad bellum
I.1. Moralité de l'acte
De façon évidente, le fait de déclencher une guerre constitue un acte moral. Cet acte peut
donc être juste ou injuste, soit quant à sa matière, soit quant à son auteur par rapport à son
intention.
Il s'agit de savoir si l'on peut dire que la guerre est juste, ou injuste, ou tantôt l'un tantôt
l'autre, c'est-à-dire si elle a une valeur morale. L'Église a toujours affirmé qu'elle en avait une.
Pour juger une action (indépendamment de celui qui la commet), il faut considérer l'objet en
lui-même (la guerre, le recours à la violence, aux armes et l'affrontement entre deux armées)
et les circonstances. On peut alors déterminer si cette action constitue une matière
peccamineuse, vénielle ou mortelle. Or l'Église a toujours affirmé que la guerre n'était pas
toujours injuste. Comme l'objet ne change pas et que la valeur morale de la guerre varie, il
faut bien admettre que la justice du déclenchement d'une guerre dépend d'abord des
circonstances --- les circonstances ne changent pas un mal en bien (Catéchisme de l'Église
Catholique, 1754), mais en moindre mal.
C'est aussi ce principe, qui fait du déclenchement de la guerre un acte moral, qui
permet d'affirmer que l'une seule des deux parties peut mener une guerre juste. Le deuxième
principe est nié par ceux qui prétendent que la guerre en tant qu'objet est toujours mauvaise,
autrement dit qu'elle rentre dans cette catégorie d'actes condamnables « quelles que soient les
circonstances et l'intention» (CEC, 1756). C'est l'objection déontologique : la guerre n'est
jamais un moyen pour faire la paix. « Il n'est pas permis de faire le mal pour qu'il en résulte
un bien. » Elle fut en particulier le fait d'Erasme, de Thomas More, de Fénelon. Il y a surtout
deux arguments : soit les maux de la guerre sont toujours supérieurs à ses profits, soit il y a
toujours un moyen de sauver la paix sans compromettre le bien commun dans ce qu'il a de
fondamental à défendre. C'est le contraire de ce qu'affirme la doctrine de la guerre juste.
I.1.2. Moralité du sujet
Il y a la moralité de l'acte et celle de celui qui le commet (autrement dit, commet-il un péché
ou non). Cette dernière dépend de la moralité de l'acte et de l'intention avec laquelle il a été
commis (sauf pour les actes immoraux quelle que soit l'intention). Cela n'amène pas
d'objection si l'on admet que déclencher une guerre est un acte moral.16
Cet exposé est le noyau de la doctrine du jus ad bellum. Ces conditions sont apparues
progressivement à mesure qu'on prenait conscience de la valeur de la paix. Tout commence
avec saint Augustin qui fait de la paix la fin universelle, l'entéléchie2 de la cité divine. Le
corps et ses appétits contraires, les hommes, la famille, les nations, tout en ce bas monde
recherche la paix qui ne sera véritable que dans le paradis de Dieu. Même lorsque les hommes
font la guerre, ils recherchent la paix, une certaine paix fort à leur avantage, autrement dit un
ordre, une stabilité dans le rapport de forces contraires. La paix, c'est « la tranquillité de
l'ordre » (tranquilitas ordinis). La paix est donc possible dès aujourd'hui et souhaitable par-
dessus toutes choses. Il y a des guerres justes. Elles se font pour la véritable paix. Saint
Thomas3 va reprendre tous les éléments disséminés chez saint Augustin et les formaliser. La
paix ne peut être imposée, obtenue par la crainte, sinon, il n'y a pas de paix. Cet ordre qui
donne la paix doit être une concorde, autrement dit il doit y avoir accord des volontés entre
elles, mais de plus, la paix demande de faire « la paix avec soi-même », elle nécessite l'accord
de nos divers appétits. Alors on atteint vraiment la paix. Elle est la vraie fin, elle est un fruit
de la charité. Certes, on fait toujours la guerre pour « sa » paix, néanmoins il peut y avoir une
guerre juste pour défendre « la » paix.
Il y a des guerres qui sont licites moralement. Il y a trois conditions à tout acte moral, et elles
valent donc pour la guerre :
b) La juste cause (matière). Pour saint Augustin, la guerre juste « punit une injustice ».
Saint Thomas va dans le même sens : « il est requis que l'on attaque l'ennemi en raison
de quelque faute (illi qui impugantur propter aliquam culpam impugnationem
mereuntur). » C'est ultérieurement que seront ajoutées les fameuses quatre conditions
de la cause juste qui sont dans le Catéchisme et définissent les cas où la guerre
constitue un moindre mal (elles sont parfois improprement appelées conditions de la
guerre juste : il reste les deux autres conditions pour que la guerre soit juste). Les
voici17 :
Que le dommage infligé par l'agresseur à la nation ou à la communauté des nations
soit durable, grave et certain.
Que tous les autres moyens d'y mettre fin se soient révélés impraticables ou
inefficaces.
16
Nous passons sur le problème très intéressant de la guerre providentielle : position augustinienne, position
de Luther, position de l'Église, postérité.
17
2309 Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d'une légitime défense par la force militaire. La
gravité d'une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois:
Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
Que l'emploi des armes n'entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le
mal à éliminer.
La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l'appréciation de
cette condition. Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la «
guerre juste ». L'appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement
prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun.
c) L'intention juste. Cette condition est évidente. Saint Thomas d'Aquin écrit : on doit se
proposer de promouvoir le bien ou d'éviter le mal (vel ut bonum promoveatur, vel ut
malum vitetur). La guerre ne doit pas être faite à des fins personnelles mais en vue du
bien commun. L'intention du prince doit être juste. Saint Thomas, comme saint
Augustin, se soucie surtout du salut de l'âme des princes. À partir de Vitoria, on
s'accordera à dire qu'une guerre peut être juste bien que le souverain la mène avec une
intention pernicieuse. Il faut distinguer la valeur morale de la matière de l'acte et celle
de l'acte lui-même (donc celle du sujet). Réciproquement, on peut être objectivement
dans son tort tout en étant de bonne foi.
Ces conditions appellent quelques remarques. Le « prince » d'abord. S'il peut s'agir d'un État, la
doctrine de la guerre juste a toujours affirmé qu'il fallait si possible avoir recours à un juge
supraétatique impartial. Ce n'est qu'en l'absence d'un tel juge que le prince peut exceptionnellement
être à la fois juge et partie (ce qui est le grand problème de cette doctrine). Encore les théologiens
précisent-ils qu'il doit s'entourer d'avis sages et éclairés avant de prendre sa décision4. La juste guerre
n'est en effet qu'un moindre mal et s'il existe une autorité juridique compétente et impartiale, il est
nécessaire de s'en remettre à elle. Si la partie fautive refuse son juste jugement, il est nécessaire de
défendre le droit, fût-ce par les armes, mais alors cette juste violence ne s'apparente plus vraiment à
une guerre, mais plutôt à une opération de police.
Nous touchons là un paradoxe que nous allons sans cesse retrouver : quand sont vraiment réunies
toutes les conditions qui permettent de faire de la guerre une juste guerre, elle n'a plus raison d'être.
Toutefois, en l'absence de cette autorité, les princes doivent eux-mêmes juger de la justice de la guerre
qu'ils envisagent d'entreprendre. D'où la possibilité d'une bonne foi des deux côtés. C'est l'argument
relativiste. Il est bien entendu que pour les théoriciens de la guerre juste, il y a au plus une des deux
parties qui est dans son droit. Les théologiens espagnols de la Renaissance commencent à admettre le
cas fort improbable où les deux parties sont sincèrement convaincues d'avoir raison. Objectivement,
l'une a tort, mais l'erreur est « invincible » ; l'intention est bonne, et donc il n'y a pas péché, mais il faut
pour cela, précise Vitoria, avoir pris toutes les précautions nécessaires et avoir consulté toutes les
personnes sages et capables de juger la situation sans animosité ni parti pris. Pour Vitoria et ses
disciples, cette possibilité existe mais reste très improbable car il y a le plus souvent de la mauvaise foi
à ne pas vouloir entendre les voix de la raison et de la vérité. L'école du droit de la nature et des gens,
fondée par Grotius puis Pufendorf, va renverser cette vision. Rares sont les cas où l'une des parties est
vraiment de mauvaise foi. Vattel dans Le droit des gens (1758) écrit : « La guerre doit être regardée
comme juste de part et d'autre. »5 Si le jus in bello doit permettre d'atténuer les horreurs de la guerre,
les incriminations du jus ad bellum n'ont pas lieu d'être.
Cette évolution n'est pas sans lien avec la séparation du droit des gens de la religion, initiée avec
Grotius. Il faudra attendre le vingtième siècle pour que revienne l'idée de guerre injuste, de « crime
contre la paix », et l'aspiration à un organisme supranational qui puisse juger les déclarations de guerre
des États. Cet argument ne peut toucher l'Église qui a toujours condamné toute espèce de relativisme
moral. La guerre ne peut être juste des deux côtés, et si les critères qui doivent nous permettre de nous
prononcer sont imparfaits, ce n'est pas une raison pour faire abdiquer le droit quand la situation est
obscure. 18
Cette question est très compliquée et très délicate. Évidemment, tout dépend de ce que l'on
appelle « guerre préventive ». Le Vatican s'est prononcé contre les guerres « dites préventives
». On a peut-être un peu trop retenu cette condamnation qui d'ailleurs ne vient pas du Pape
mais du nouveau président du conseil pontifical Justice et Paix, Monseigneur Renato Martino,
qui a déclaré que « la guerre préventive est une guerre d'agression ». À ce titre, elle ne peut
être une guerre juste. Pour que la cause soit juste, il faut en effet que la guerre réponde à une
agression. Pour saint Thomas, il faut « punir une injustice ». La guerre préventive (autrement
dit, on prend l'initiative des hostilités avant d'avoir subi un dommage réel et grave) ne peut
donc être juste (sous réserve de toutes les autres conditions) que si elle répond à une
agression, une « injustice » autre que celle de l'utilisation offensive des armes.
Les dirigeants peuvent et même parfois doivent intervenir pour protéger leurs populations. Il
faut donc à notre avis proscrire la relecture moderne libérale de la doctrine de la guerre juste
qui la restreint à la guerre de légitime défense, donc après que le dommage a été effectif et
non potentiel. Ajoutons encore que s'il s'agit d'agression multilatérale (comme l'est une
violation du droit international en matière d'armements), la réponse doit être multilatérale et
par conséquent être le fait de la communauté internationale. En revanche, si la guerre
préventive a lieu avant l'agression (redéfinie au sens large en incluant les violations du droit
international en vue d'actions belliqueuses), elle est toujours injuste. En fait, le fond du
18
Nous passons sur l'objection pratique que l'on oppose souvent à ce critère. Nous passons également sur la
position de l'école du droit de la nature et des gens (inaugurée par Grotius), et les doutes de l'époque moderne
; d'ailleurs, nous y reviendrons plus loin.
problème est de savoir si des guerres offensives peuvent être justes (nous n'évoquerons pas ici
les différentes visions de la guerre offensive et les distinctions qu'on a pu faire : guerre
offensive par défense in continenti, etc.6). La réponse est oui, si elles réparent une injustice
grave (dommage n'est pas synonyme d'agression militaire). C'est même tout l'objet de la
doctrine de la guerre juste. La légitime défense ne pose pas de problème, c'est la guerre
offensive qui est délicate et c'est pour elle qu'a été inventé le critère exposé ci-dessus.
Nous passons sur ce problème, marginal mais soulevé par une relecture libérale de la
doctrine de la guerre juste, telle que l'utilisent par exemple les Américains. Voir la version
complète de cet article, ou celui de Bertrand Lemennicier pour un exposé détaillé.
Encore un problème très délicat. Comme pour tout le reste, il ne s'agit ici que d'apporter les
principaux moments et éléments de la réflexion. C'est l'école scolastique espagnole qui va
d'une certaine façon parler la première d'une juste guerre d'ingérence. Vitoria est très net. Pour
lui, la solidarité qui unit les nations les autorise à intervenir dans des conflits où elles ne sont
pas directement impliquées et même à venir en aide à des populations opprimées par la
tyrannie. « Les princes peuvent, en vertu du droit naturel, défendre l'univers contre l'injustice.
» (cit. in Bacot, p. 46). Suarez est plus réaliste et admet seulement que l'on secoure ses alliés
si ceux-ci le demandent. Aujourd'hui, il est communément admis que c'est à des instances
supranationales qu'il importe de « défendre l'univers contre l'injustice », afin d'éviter des abus
de la part des États. Son intervention même armée constitue le moindre mal.
Aujourd'hui de très nombreuses guerres civiles déchirent des pays. Leur appréciation est très
difficile. Y a-t-il une révolte juste ? Dans Immortale Dei, Léon XIII a rappelé la doctrine
constante de l'Église : la légitimité du pouvoir vient de Dieu (Rm 13,1). Il faut donc lui obéir.
Cela dit, si celui-ci dénature le pouvoir qui lui est échu en ne respectant plus Dieu et son
amour pour l'homme, s'il viole la morale et les droits fondamentaux, s'il use de ses
prérogatives à des fins personnelles et non pour le bien et le salut public, et s'il le fait de façon
insoutenable, tyrannique, odieuse, scandaleuse et cruelle, comme cela s'est vu bien souvent,
alors la révolte, la guerre contre la tyrannie, est d'une certaine façon justifiée, si odieuse que
soit la guerre civile. Je ne sais si des « conditions » ont été établies à ce sujet comme pour la
doctrine traditionnelle de la guerre juste.
L'Église reste très prudente : « On ne saurait oublier que la crise fondamentale des systèmes
qui se prétendent l'expression du gouvernement et même de la dictature des ouvriers
commence par les grands mouvements survenus en Pologne au nom de la solidarité. Les
foules ouvrières elles-mêmes ôtent sa légitimité à l'idéologie qui prétend parler en leur nom,
et elles retrouvent, elles redécouvrent presque, à partir de l'expérience vécue et difficile du
travail et de l'oppression, des expressions et des principes de la doctrine sociale de l'Église.
Un autre fait mérite d'être souligné : à peu près partout, on est arrivé à faire tomber un tel
«bloc», un tel empire, par une lutte pacifique, qui a utilisé les seules armes de la vérité et de la
justice. Alors que, selon le marxisme, ce n'est qu'en poussant à l'extrême les contradictions
sociales que l'on pouvait les résoudre dans un affrontement violent, les luttes qui ont amené
l'écroulement du marxisme persistent avec ténacité à essayer toutes les voies de la
négociation, du dialogue, du témoignage de la vérité, faisant appel à la conscience de
l'adversaire et cherchant à réveiller en lui le sens commun de la dignité humaine. »
(Centesimus annus, 23 ; le marquage n'est pas dans le texte)
Ainsi l'extermination d'un peuple, d'une nation ou d'une minorité ethnique, doit être
condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui
commandent un génocide. » (CEC, 2313) L'Église va plus loin, elle a toujours déclaré « la
validité permanente de la loi morale durant les conflits ». En 1947, le tribunal de Nuremberg
applique ce principe : « L'ordre reçu par un soldat de tuer ou de torturer, en violation du droit
international de la guerre, n'a jamais été regardé comme justifiant ces actes de violence. (...)
Le vrai critère de responsabilité pénale n'est nullement en rapport avec l'ordre reçu. Il réside
dans la liberté morale, dans la faculté de choisir, chez l'auteur de l'acte reproché. » Deux
problèmes se posent alors. Le premier consiste en la relecture libérale de la doctrine de la
guerre juste, qui met la responsabilité du conflit tout entière dans les mains de ceux qui
exécutent les ordres et acceptent de tuer pour défendre leur droit, car ils sont libres et seuls
responsables de la défense de ces droits. Ce n'est pas la position de l'Église, qui a toujours fait
porter la responsabilité du conflit (jus ad bellum) sur les seuls dirigeants qui prennent la
décision initiale. Cela dit, si des ordres violent les principes moraux (jus in bello) qui restent
valables durant la conduite d'une guerre, la responsabilité incombe au donneur d'ordre mais
aussi à celui qui l'exécute (la gravité de la matière dépendant toujours des circonstances).
Ainsi, un soldat n'est pas responsable des morts qu'il provoque mais il n'a pas le droit
d'attaquer des civils si on lui en donne l'ordre (en gros).
Mais le second problème qui se pose est plus radical encore : a-t-on le droit d'accepter
d'être soldat dans la mesure où « la loi morale reste valide durant les conflits » et où l'on sera
conduit à des homicides, condamnables en toutes circonstances et pour toute intention ? Il faut
préciser sur quoi porte la culpabilité. Prenons le cas d'une guerre juste en tous points. Il s'agit
donc d'une guerre de légitime défense (réponse à un dommage, CEC, 2309). Saint Thomas
établit dans sa Somme Théologique le principe du double effet : «L'action de se défendre peut
entraîner un double effet: l'un est la conservation de sa propre vie, l'autre la mort de
l'agresseur... L'un seulement est voulu; l'autre ne l'est pas. » (ST, II-IIae, q. 64, 7) Ainsi, la
légitime défense a deux effets : un effet principal (sa propre survie) et un effet secondaire (la
mort éventuelle de l'autre, malgré la proportion de la riposte).
Les homicides des guerres justes sont donc des effets secondaires, même s'ils restent des
homicides : la défense légitime des personnes et des sociétés n'est pas une exception à
l'interdit du meurtre de l'innocent que constitue l'homicide volontaire. Il me semble nécessaire
de considérer qu'en tant qu'effet secondaire, cet homicide perd sa qualité de péché «
quaecumquae circumstantiae et intentio», et que les circonstances et l'intention droite enlèvent
toute sa culpabilité à l'exécutant (quant au jus in bello, sous réserve) et à l'ordonnateur (quant
au jus ad bellumet au jus in bello, sous réserve). Il est donc permis de servir son pays dans
l'armée, fût-ce par les armes (cf. l'historique dans l'article complet), et le Catéchisme déclare :
« Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la
sécurité et de la liberté des peuples. S'ils s'acquittent correctement de leur tâche, ils
concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix (cf. Gaudium et
Spes 79). » (CEC, 2310) Un gouvernement peut même imposer licitement ce service (CEC,
2310), bien que dans le même temps, l'Église se fait l'écho des « cas de conscience », qui
demandent depuis longtemps un statut spécial, même si cela ne peut se généraliser19 :
Autant de sociétés, autant de préceptes différents. Pourtant, le principal n'est pas là.
L'important est qu'il y ait un jus in bello. Autrement dit, tout n'est pas permis. Il tient tout
entier dans ce principe : il ne faut pas faire plus de mal que nécessaire. L'inspiration est
souvent religieuse. De là à interdire certaines armes pour elles-mêmes, indépendamment de la
situation, il n'y a qu'un pas (gaz, armes chimiques, biologiques ou nucléaires). La fin ne
justifie pas tous les moyens. Les problèmes commencent quand ceux d'en face ne pensent pas
la même chose. Peut-on se priver unilatéralement de certains moyens d'action ? C'est tout le
problème. Tout est affaire de morale. Si vous êtes conséquencialiste, seul le résultat compte.
Si en revanche vous êtes déontologue, seules les règles comptent et vous refuserez d'employer
la bombe nucléaire quelles que soient les circonstances (i.e. si ceux d'en face ne s'en privent
pas).
Le Deutéronome est très prudent. Il interdit par exemple d'abattre les arbres fruitiers d'une
ville assiégée. Nous passons sur la citation des passages concernés (Dt 20). En gros, il faut
d'abord proposer la paix à la cité avant de lui livrer bataille. À ce moment-là on peut « passer
tous les mâles au fil de l'épée », et prendre le reste comme butin.
Contre le païen donc, point de pitié. Il n'est pas question d'aimer ses ennemis. Les livres
sacrés se contentent d'organiser la guerre, avec de nombreuses prescriptions pour celui qui
construit sa maison ou n'a pas encore moissonné, celui qui vient de se fiancer, et même celui
qui a peur ; les scribes diront encore ceci au peuple: «Qui a peur et sent mollir son courage?
Qu'il s'en aille et retourne chez lui, afin de ne pas faire fondre comme le sien le coeur de ses
frères!» (Dt 20,8) De toutes façons Jahvé apportera la victoire. Le reste de l'Ancien Testament
s'attache à en apporter la démonstration (le livre de Josué, par exemple).
Le jus in bello est présent dans tous les textes sacrés. Citons encore les lois de Manou, en
Inde, qui ordonnent : « Que le guerrier ne frappe ni celui qui est assis, ni celui qui dit ``je suis
ton prisonnier'', ni celui qui est endormi, ni celui qui n'a pas de cuirasse, ni celui dont l'arme
est brisée, ni celui qui est accablé par le chagrin, ni celui qui est grièvement blessé, ni un
19
2311 : Les pouvoirs publics pourvoiront équitablement au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience,
refusent l'emploi des armes, tout en demeurant tenus de servir sous une autre forme la communauté humaine
(cf. GS 79).
lâche, ni un fuyard. » Quelle grande idée de la guerre se dessine derrière ces lignes. Nul ne
sait si elles étaient respectées ; probablement pas car ces lois sont plus exigeantes que toutes
les conventions internationales sur le droit de la guerre des deux siècles précédents réunies. Le
jus in bello était en effet promis --- comme la guerre --- à un bel avenir. Présent bien sûr chez
saint Augustin, codifié dans les sommes théologiques du Moyen-Âge, il sera ensuite repris par
tous les penseurs scolastiques dont Francesco de Vitoria, Suarez, etc. Il prend un nouvel essor
avec l'école du droit de la nature et des gens qui remet en question le jus ad bellum (Grotius)
et finira dans les fameuses conventions de Genève ou de La Haye et tous les accords
contemporains. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les limitations quantitatives (qui furent le plus
souvent des échecs) et les limitations qualitatives qui ont eu plus de succès. Quant à l'Église,
depuis un anathème contre les arbalètes au concile du Latran (1139), elle ne s'est plus risquée
à des restrictions positives dans l'usage des armes, pas même pour la bombe atomique.
Il faut distinguer entre des interdits positifs et historiques, qui dépendent forcément de l'état
de la communauté internationale et de l'avancée des techniques, et les principes mêmes de la
justice d'une guerre par rapport au jus in bello. Ces principes sont au nombre de deux pour la
majorité des commentateurs. Dans le cadre de ces principes, la doctrine de la guerre juste a
toujours admis qu'il fallait mettre en oeuvre les moyens militaires nécessaires à la fin
poursuivie, fussent-ils radicaux. Mais dans le même temps, elle reconnaît qu'il y a des
principes à mettre en oeuvre de façon unilatérale. Aujourd'hui, ces deux principes sont
généralement acceptés par la communauté internationale et sans cesse rappelés par l'Église :
le principe de discrimination et celui de proportionnalité.
Le premier exige que les belligérants fassent la différence entre les civils et les militaires afin
de ne combattre que les militaires. Frapper un tiers innocent revient à se constituer agresseur à
son égard, ce qui est une faute vis à vis du jus ad bellum. Toutefois, la victime d'une agression
n'est pas responsable des effets collatéraux non prévisibles de sa riposte (dans le cas bien sûr
où celle-ci est justifiée, est juste), ce qui est logique mais montre bien toutes les limites de ce
principe. Au vu de ce principe, on peut considérer que la technologie militaire a fait de gros
progrès. En revanche, il n'en est pas ainsi au regard du deuxième principe, le principe de
proportionnalité, qui impose que la riposte soit proportionnée à l'agression (le contraire des
représailles massives).
Remarquons que la négation de ces deux principes correspond à la guerre totale, qui combat
toute une nation sans distinction et par tous les moyens. L'Église la condamne donc quelles
que soient les circonstances, me semble-t-il, et je m'appuie sur le fait que Pacem in terris l'a
qualifiée de « crime contre Dieu et contre les hommes ». Gaudium et spes renouvelle ce
jugement (GS, 80 § 4). Le catéchisme ajoute d'autres principes que l'on peut ranger dans le jus
in bello (et le droit international positif les multiplie) : respect de la loi morale (toujours valide
en temps de guerre), traiter « avec humanité » les non combattants, les blessés et les
prisonniers.
Ces principes comportent des préceptes toujours généraux mais déjà plus positifs. On y
retrouve l'inspiration du droit de la guerre tel qu'a voulu l'instaurer l'École du droit des gens,
dont la philanthropie est partagée par les milieux catholiques (cf. en particulier les directives
des évêques américains), mais pas le raisonnement de départ (on ne peut déterminer de
guerres justes ou injustes, mieux vaut toutes les contraindre dans un cadre juridique qui en
limitera les horreurs les plus marquées).
La doctrine de la guerre juste préconise au contraire la proportionnalité de la riposte avec le
dommage subi et les intérêts à défendre. Cela n'empêche pas de soutenir les efforts faits pour
mettre en oeuvre des codes de conduite de la guerre qui ne valent bien sûr que s'ils sont
multilatéraux : traité de limitation des armements, conventions sur les armements en usage,
etc. La violation de ces traités constitue alors une faute grave. Mais bien sûr, ces traités sont
des oeuvres collectives. D'où bien des objections sur leur inefficacité, et sur celle du jus in
bello en général.
Et si tout le monde fait ce raisonnement, le jus in bello n'est jamais respecté. C'est ainsi qu'il
faut comprendre l'anathème si injustement décrié du concile du Latran (1139). En effet, on
avait frappé d'anathème ceux qui utilisaient des arbalètes, armes jugées lâches et inhumaines,
excepté si l'on s'en servait contre des infidèles. Certains commentateurs ont vite fait de
dénoncer une distinction entre deux morales, une pour les chrétiens et une pour les païens. En
réalité, il s'agit juste du problème fondamental du jus in bello : les musulmans n'ont que faire
des anathèmes du Pape et si une des parties ne respecte pas les interdits, l'autre ne peut pas se
lier les mains si la cause est juste (un juste recours aux armes pour une juste cause reste le
principe de la guerre juste).
Rappelons que la victoire de Charles Martel à Poitiers (en 733 probablement) fut en partie due
aux lances franques qu'utilisaient ses guerriers, plus longues que celles de ses adversaires.
Depuis 1139, l'Église ne s'est plus aventurée à dicter des principes multilatéraux de jus in
bello aux États chrétiens, et pour cause... La seule possibilité d'un jus in bello global serait
finalement qu'il soit imposé à tous par une instance supraétatique qui ait les moyens de le faire
respecter, à ce paradoxe près que si c'est le cas, cette instance peut régler tous les conflits en
faveur du juste belligérant potentiel et que le recours à la guerre ne s'impose plus. Quand sont
réunis les moyens et les volontés de conflits justes, ceux-ci n'ont plus vraiment lieu d'être.20
20
Passons sur les développements contemporains du jus in bello.
distinction entre militaires et civils). L'usage de la bombe nucléaire n'est donc pas licite. En
revanche, il est juste, et c'est même un devoir pour les dirigeants en charge du bien public, de
mettre fin à l'agression, fût-ce au moyen d'une riposte armée s'il n'y a plus d'autres moyens
(l'urgence due à la « proximité» d'une attaque peut remplir partiellement voire totalement
cette condition). S'il ne sert en rien la juste cause de frapper les populations civiles par des
armes de destruction massive, il se révèle alors nécessaire d'empêcher par tous les moyens le
massacre des populations défendues (détruire les bombes, frapper le commandement, etc.).
On peut alors imaginer, de façon très théorique, que, si du fait de circonstances
extraordinaires et dans un péril extrême et pressant, le principe de proportionnalité l'emporte
sur celui de ségrégation, on recoure justement (sous réserve de remplir toutes les autres
conditions, notamment celle de l'évaluation des conséquences : il faut préférer se rendre si
elles doivent être pires) à l'arme nucléaire malgré les dommages collatéraux (i.e. les
destructions autres que celles de l'objectif militaire) de court et long terme qui sont
prévisibles. Depuis 1139, l'Église n'a plus condamné de façon absolue aucune arme, pas
même celles de la guerre A.B.C. (atomique, biologique, chimique), malgré des restrictions
majeures. En 1954, devant l'association médicale mondiale, Pie XII les a explicitement
admises « dans le cas où elles doivent être jugées indispensable pour se défendre ». Pour citer
encore Guillaume Bacot7 : « Nul ne peut prétendre avec certitude que jamais aucune valeur
ne méritera d'être défendue à ce prix. » Toutefois gardons en mémoire que, du fait du principe
de discrimination, les armes de destruction massive sont a priori illicites dans une guerre
juste.
II.4.2. La dissuasion nucléaire
Nous passons sur ce sujet, ainsi que sur la position de l'Église sur la course aux armements.
21
Michel Dubost, La Guerre. Un évêque prend la parole, Paris,…. »
22
Christian Mellon, in Actes du colloque : Servir la paix :… ».
23
Henri Burgelin, « Un point de vue protestant. Les chrétiens et… »
24
John Howard Yoder, qui a beaucoup travaillé sur les questions…
25
Rép. V, p. 467-471 ; Lois, p. 628.,
26
Rép. V, p. 470 b..
27
Éthique à Nicomaque, V, VI, 4. Texte traduit et annoté par Jean…. »
28
« Il suit de là que l’art de la guerre est, en un sens, un mode….
Avant tout, elle doit avoir la paix comme fin. En ces domaines, il est nécessaire de faire le
même choix préférentiel que pour les parties de l’âme et leurs activités : que la guerre soit en
vue de la paix, le travail en vue du loisir, et ce qui est nécessaire et utile, en vue de ce qui est
noble29. Puis il résume sa conception de l’art de la guerre. On n’a pas non plus de conception
correcte du genre d’autorité que le législateur doit manifestement mettre en honneur, car
commander à des hommes libres est plus noble (kalliôn) et s’accorde mieux avec la vertu que
de commander en despote. En outre, il ne faut ni croire une Cité heureuse, ni faire l’éloge de
son législateur, parce qu’il l’a entraînée à la domination, afin de commander aux États voisins.
De tels principes sont forts nuisibles : on voit, en effet, que tout citoyen qui le pourrait
tenterait de s’emparer du pouvoir, afin d’être en mesure de commander à sa propre Cité ; c’est
précisément ce que les Laconiens reprochent à Pausanias, leur roi, bien qu’il ait eu une
dignité si élevée. Aucune théorie ni aucune loi de ce genre n’est digne d’un homme d’État, ni
utile, ni vraie. La perfection est la même pour l’individu et pour la communauté, et cet idéal,
le législateur doit l’enraciner dans l’âme des hommes.
L’entraînement à la guerre, il ne faut pas le pratiquer en vue de réduire en esclavage des gens
qui ne le méritent pas30, mais d’abord en vue d’éviter soi-même de devenir esclave des
autres ; ensuite pour rechercher l’hégémonie dans l’intérêt des sujets, et non pour régner en
maître sur tous ; et, en troisième lieu, afin de dominer en maître des êtres qui méritent d’être
esclaves31. Nous faisons un bond de plusieurs siècles en avant pour nous intéresser à Cicéron.
Il constitue en effet le maillon principal entre la pensée grecque et les Pères latins et il sera
abondamment cité au Moyen Âge. Cicéron déclare s’être largement inspiré de Panétius pour
élaborer sa philosophie politique32. Les idées stoïciennes l’influencent suffisamment pour
qu’il récuse les idées grecques sur les Barbares33. Il déclare sans ambages qu’« il y a un droit
de la guerre et [que] la foi jurée doit être observée même contre un ennemi34. Il assimile le ius
gentium au ius naturale et considère l’humanité comme une communauté fondée sur le
langage et la raison35.
Par conséquent, il reconnaît des droits aux catégories subalternes de la société, et notamment
aux esclaves dont l’acquisition ne saurait à elle seule constituer un motif légitime de guerre.
La guerre juste doit rester dans les limites assignées par le droit et avoir pour fin la recherche
de la paix36. Elle ne peut donc être entreprise que dans la mesure où il s’est révélé impossible
de résoudre le conflit par la négociation37, ce qui implique qu’elle ait été déclarée en bonne et
due forme afin de permettre à l’ennemi d’ouvrir une voie diplomatique avant de se faire
assaillir38.
29
Ibid., VII, XIV, 13.
30
« Anaxious ; ce sont les “frères de race”, les Hellènes […]. La…
31
Politique, VII, XIV, 19-22, traduit par Jean Tricot.
32
« Il s’inspire largement de Panétius (Panaïtios de Rhodes) et…
33
Totalement incompatibles, d’ailleurs, avec ses idées sur…
34
Ibid., III, XXIX, (107). »
35
« Mais il paraît qu’il faut reprendre de plus haut les…
36
Ibid., I, XXII, (80).
37
Ibid., I, XI, (34).
38
Ibid., I, XI, (36).
On peut résumer ainsi la conception cicéronienne du jus ad bellum :
avoir toujours en vue l’obtention d’une paix juste ;
partir en guerre en dernier recours ;
ne guerroyer que pour une juste cause (répondre à une agression ou secourir un allié) ;
déclarer la guerre en bonne et due forme et dans le respect du droit.
Il ajoute à cela que la guerre doit être conduite dignement et sans violence excessive39.
La doctrine cicéronienne de la guerre juste était connue des cercles cultivés. On y retrouve, à
quelques nuances près, les principes de ce qu’on présentera bien plus tard comme la théorie
chrétienne de la guerre juste. La question qui s’impose à notre esprit est de savoir comment
ces réflexions de philosophes païens ont été intégrées, puis assimilées au droit canon et à la
théologie chrétienne ? À quelle époque cette pensée a-t-elle été comprise comme pensée
chrétienne ? Est-ce, comme on l’affirme généralement, la grande œuvre d’Augustin
d’Hippone qui a été déterminante ? Nous allons voir que la question est certainement plus
complexe qu’il n’y paraît.
39
Ibid., I XXIV, (82) et I, XI, (35).
40
Tert. De Idol. 17, 3 ; Hipp. Trad. Ap., canon 16.
41
Voir Clém. Alex. Ad Gentes X, 100 ; Cyprien Ad Don. 4 ;…
42
Contre Celse VIII, 73.
43
Ibid. »
Origène n’exprime aucune objection quant à la légitimité de la guerre. Il reprend même
ostensiblement la doctrine de la guerre juste et y associe les chrétiens, combattants spirituels
mais combattants tout de même ! Cette argumentation est donc à nos yeux la première
légitimation explicite par un auteur chrétien de l’ancienne thématique de la guerre juste.
Nous savons par ailleurs, de l’aveu même de Tertullien, que de nombreux chrétiens s’étaient
enrôlés dans les armées. Il semble donc que les exhortations des théologiens et des évêques
aient été suivies de peu d’effets pratiques. Au point même que l’on a pu supposer que
Constantin s’était converti au christianisme pour se rallier les nombreux chrétiens présents au
sein des légions ! Toujours est-il qu’en 313, de nombreux militaires sont chrétiens et que la
conversion de l’Empereur va encore accentuer ce phénomène. Se pose alors aux évêques la
question de la pastorale de ces soldats. Comme le reconnaissait déjà Origène, il faut bien
défendre l’Empire, menacé par les Barbares. La majorité des sujets se convertissant
progressivement au christianisme, les évêques les autorisèrent officiellement à servir dans les
armées. Tous les théologiens ne s’y sont pas résolus de gaieté de cœur, mais la plupart d’entre
eux ne répugnèrent plus à justifier ouvertement le service militaire. Basile, par exemple, écrit :
« Nos pères n’ont pas compté comme assassinats les meurtres commis à la guerre. 44 Et plus
loin : « Ils pardonnaient donc, autant qu’il me semble, à ceux qui se battaient pour le bien et
pour la religion. Toutefois, je conseillerais de priver de trois ans de communion ceux qui
n’ont pas les mains pures de sang45 »
Comme Origène, il semble que Basile se soit plus préoccupé de la pureté rituelle nécessaire
pour accéder à la cène que de réflexion éthique. Son opinion est pour le moins ambiguë,
puisqu’il absout le soldat du péché d’assassinat, tout en lui refusant provisoirement
l’eucharistie. En outre, il ne considère plus, comme Origène, l’orant comme un prêtre
sacrifiant spirituellement : insister à sa suite sur le sacerdoce universel l’aurait conduit à
demander que tout chrétien soit exempté du service armé. La christianisation de l’armée et la
nouvelle position du christianisme dans l’Empire l’en empêchaient. Cependant, l’argument
d’Origène sera largement repris à partir du IVe siècle pour justifier l’exemption des clercs
parce qu’ils offrent l’eucharistie, évolution reflétant la cléricalisation de l’Église.
Régulièrement rappelée au cours de l’Antiquité tardive, l’interdiction aux clercs de prendre
les armes sera intégrée au droit canon au Moyen Âge. Quant à la question de la pénitence à
infliger aux soldats ayant tué à la guerre, elle restera controversée durant tout le haut Moyen
Âge, la dernière mention d’une pénitence collective imposée pour cette raison étant celle de la
bataille de Hasting, en 106646.
Parallèlement à ces glissements ecclésiologiques, la théorie cicéronienne de la guerre juste
entre de plain-pied dans le champ de la réflexion théologique avec Ambroise de Milan. Il est
le premier à rédiger un traité de morale chrétienne. Ouvertement disciple de Cicéron, il
intitule son traité De Officiis. Comme Cicéron s’était adressé aux magistrats, Ambroise
s’adresse aux prêtres, magistrats de l’Église. Il n’adopte pas seulement le titre du traité de
l’orateur, mais aussi les principales divisions de son ouvrage.
44
[24][24]Basile, Epist. 188, 13. »
45
[25][25]Ibid..
46
[26][26]Georges Minois, L’Église et la guerre. De la Bible à l’ère…
Il n’apporte d’ailleurs aucune nouveauté à la doctrine de la guerre juste, mais il tente de la
justifier à l’aide d’arguments évangéliques. Il récuse ainsi le droit à la légitime défense (si
cher aux tenants actuels de la doctrine) et fonde le droit à partir en guerre sur le devoir de
secourir son prochain. La force qui défend la patrie contre les barbares est tout à fait conforme
à la justice de même que celle qui protège des voleurs, des infirmes ou des compagnons47.
Il y a deux manières de pécher contre la justice ; l’une, c’est de commettre un acte injuste ;
l’autre, de ne pas défendre une victime contre un injuste agresseur48. Nous connaissons les
liens qui unissaient Ambroise de Milan et Augustin d’Hippone. Il aurait été surprenant que
l’évêque d’Hippone ne reprenne pas les arguments développés par Ambroise, cela d’autant
plus qu’il dut interpréter théologiquement les graves événements dont il fut contemporain.
47
Amb. De Officiis, I, 27.
48
Ibid., I, 29.
49
Cela afin de laisser aux criminels la possibilité de se…
Certains éléments de la théorie de la guerre juste se trouvent déjà dans le De Libero Arbitrio.
Le soldat qui tue l’ennemi, comme le juge et le bourreau qui exécutent un criminel, ne me
paraissent pas pécher, parce que, ce faisant, ils obéissent à la loi […]. Or rien n’est plus juste
qu’une loi portée pour la défense du peuple […] et qui pour sauvegarder des intérêts
supérieurs, donne licence à de moindres désordres. Et en effet le meurtre de celui qui attente à
la vie d’autrui, n’est pas chose aussi grave que le meurtre de celui qui défend sa propre vie. Le
soldat en tuant l’ennemi n’est que le ministre de la loi. Il peut donc facilement remplir sans
passion son ministère, défendre ses concitoyens et repousser la force par la force50.
Déjà en 385, Augustin affirme la justice du soldat ou du bourreau à certaines conditions : (1)
l’obéissance à une autorité légitime ; (2) la défense du prochain comme raison suffisante pour
recourir à la force51; (3) l’importance de la disposition intérieure.
Vers 398, Augustin écrit le Contra Faustum. Fauste de Milève est un manichéen qu’Augustin
connaît bien parce qu’il l’a autrefois fréquenté. C’est un homme habile, capable de séduire par
ses raisonnements et son art oratoire52. Dans ses trente-trois livres, Augustin reproduit les
arguments de Fauste et leur apporte la contradiction. L’enjeu principal du débat est l’Ancien
Testament. Pour les Manichéens, en effet, le dieu de l’A.T. est le Grand Archonte Saclas, une
hypostase du roi des Ténèbres qui n’a aucun rôle dans la création du monde53. Fauste tire
argument des guerres de l’A.T. pour soutenir les thèses manichéennes. En réponse, Augustin
va montrer que les guerres ordonnées par Dieu et narrées dans les livres bibliques sont des
guerres justes. Il commence par justifier le recours à la guerre défensive.
Le soin de l’État est confié aux princes : il leur appartient de défendre la cité, le royaume ou la
province qui se trouve sous leurs ordres. Ils doivent les défendre par le glaive matériel contre
ceux qui les troublent à l’intérieur : ce qu’ils font quand ils punissent les malfaiteurs […]. De
même, ils doivent les défendre contre les ennemis extérieurs, ce qu’ils font par le glaive de la
guerre54. Il continue et explique qu’en ordonnant à Moïse de faire la guerre, Dieu entendait
punir les nations cananéennes de leur injustice. On ne s’étonnera point des guerres faites par
Moïse, on n’en aura point horreur, attendu qu’en cela, il n’a fait que suivre les ordres mêmes
de Dieu, il n’a point cédé à la cruauté, mais à l’obéissance. Quant à Dieu, en donnant de tels
ordres il ne se montrait point cruel, il ne faisait que traiter ces hommes et les effrayer comme
ils le méritaient.
En effet, que trouve-t-il à blâmer dans la guerre ? Est-ce parce qu’on y tue des hommes qui
doivent mourir un jour, pour en soumettre qui doivent ensuite vivre en paix ? Faire à la guerre
de semblables reproches serait le propre d’hommes pusillanimes, non point d’hommes
religieux. Ce qu’on blâme avec raison dans la guerre, c’est le désir de faire du mal, la cruauté
dans la vengeance, une âme implacable, ennemie de la paix, la fureur des représailles, la
passion de la domination et tous autres sentiments semblables ; voilà ce qu’on blâme dans la
guerre.
50
De Lib. Arb., I, V, 11 et 12. L’idée est reprise et développée,…
51
Augustin n’admet pas l’autodéfense personnelle : le chrétien…
52
Augustin reconnaît lui-même son intelligence et l’élégance de…
53
Ioan Couliano, Les gnoses dualistes d’Occident, Paris, Plon,…
54
C. Faust. XXII, 22. L’allusion à Rm 13 est transparente.
Il arrive souvent que, pour punir ces excès avec justice, il faut que les hommes de bien eux-
mêmes entreprennent de faire la guerre, soit sur l’ordre de Dieu, soit sur l’ordre d’un
gouvernement légitime, contre la violence de ceux qui résistent, quand les hommes de bien se
trouvent dans un tel état de choses humaines, que l’ordre même les contraint soit à prescrire
quelque chose de pareil, soit d’obéir justement à ces sortes d’ordres55.
Un peu plus loin, il ajoute que « ce qui importe, dans les guerres qui sont entreprises, ce sont
les causes qui les font entreprendre et ceux qui en sont les auteurs 56. Quant au Sermon sur la
Montagne, il devance l’argument qui pourrait lui être opposé en affirmant que le
commandement de tendre l’autre joue est de toute évidence spirituel, et qu’il ne concerne que
l’attitude du cœur de ceux qui sont amenés à rendre la justice57. Par conséquent, le soldat,
lorsqu’il tue, ne commet pas de péché « quand il est certain que ce qui lui est commandé n’est
point contre la loi de Dieu, ou du moins quand il n’est pas certain qu’il lui soit contraire58.
Le Contra Faustum se réfère donc, parfois implicitement, parfois explicitement, à la guerre
juste. Cela ne nous surprend pas puisque nous avons vu que cette notion était bien connue du
bas stoïcisme. Saint Augustin y fait allusion comme à un lieu commun et il n’éprouve pas
toujours le besoin de l’expliciter. Le long passage que nous venons de citer évoque plusieurs
éléments de cette doctrine : l’autorité légitime ; la juste fin : rétablir l’ordre (la paix) ; la juste
cause (légitime défense ou punition d’un crime).
Le but de l’évêque est de montrer que les guerres vétérotestamentaires sont réductibles aux
guerres justes, telles qu’elles sont habituellement définies. Il les légitime donc selon les
critères suivants :
elles avaient pour but d’établir une vraie paix, c’est-à-dire sans le désordre des
nations païennes ;
elles étaient ordonnées par une autorité légitime, car aucune autorité n’est plus
légitime que celle de Dieu ;
elles devaient punir les coupables d’un crime (les pratiques abominables des
nations cananéennes) : la cause était juste.
Le lecteur moderne est troublé par le fait que dans la guerre, Deus auctore (Augustin
n’emploie pas le terme de guerre sainte), le jus in bello est suspendu. Dans la mesure où c’est
Dieu qui ordonne de passer femmes et enfants au fil de l’épée, l’ordre ne peut être que juste.
Certains en ont déduit que l’évêque d’Hippone faisait dépendre le principe de la guerre juste
du modèle de la guerre sainte59. Cette interprétation ne rend pas justice au texte augustinien
qui veut au contraire ramener la guerre Deus auctore, qui horrifie son adversaire manichéen,
au schéma général et communément admis de la guerre juste.
Les Quaestiones in Heptateuchum revêtent une importance particulière du point de vue de
leur réception. Il est donc intéressant de s’interroger sur leur sens et le mouvement d’un texte
devenu célèbre après avoir été détaché de son contexte originel. Deux passages ont retenu
l’attention des canonistes du Moyen Âge. Le premier se trouve au livre IV, chapitre 44, où
55
Ibid., XXII, 74. Il justifie ensuite ces propos en citant Luc…
56
Ibid., XXII, 75. »
57
Ibid., XXII, 76.
58
Ibid., XXII, 75. »
59
Minois, op. cit., p. 71. Cet auteur se laisse séduire par…
l’auteur commente le texte de Nombres 21, 24 et 25. Le terme « guerre juste » y apparaît
ainsi : Il faut noter comment on faisait alors les guerres justes. Ils [les Hébreux] s’étaient vu
refuser le passage sur leurs terres [celles des Amorrhéens], sans y causer de dégâts, quoique
d’après les conventions d’équité de la société humaine, ils devaient le leur accorder60.
Bien que le texte biblique affirme que les Israélites ont été agressés par le roi Sihon, Augustin
ne justifie pas la guerre par la légitime défense, mais par le non-respect d’une règle admise
par l’ensemble des nations. Il semble donc qu’il ait envisagé la possibilité de recourir à la
guerre dans un tel cas, mais ce seul texte nous paraît insuffisant pour conclure sur ce point.
Le second texte des Quaestiones nous paraît mieux révéler la pensée du docteur de la grâce. Il
s’agit du dixième chapitre du livre VI, qui contient, au détour du commentaire du livre de
Josué (8, 10), la définition de la guerre juste que reprendra saint Thomas d’Aquin dans
sa Somme Théologique : « On a coutume de définir guerres justes celles qui punissent des
injustices, quand il faut par exemple entrer en guerre contre une nation ou une cité, qui a
négligé de punir un tort commis par les siens ou de restituer ce qui a été enlevé injustement61
L’auteur semble en effet justifier le recours à la guerre offensive dans les cas cités.
Mais, lorsqu’on examine le contexte, le raisonnement nous paraît bien différent. La question
10 porte sur l’embuscade : pour s’emparer de la ville d’Aï, Josué, suivant les instructions
divines, a tendu une embuscade à ses adversaires. Un tel procédé est-il légitime ? Augustin
répond que l’embuscade faisant partie des usages de la guerre, la seule question importante est
celle de la légitimité de la guerre elle-même. Si la guerre est juste, le procédé est juste. Aussi
donne-t-il la définition de la guerre juste que nous venons de citer. Malheureusement, la
guerre entreprise par Josué contre Aï n’entre pas dans cette définition. Il y oppose donc une
raison suffisante indépendante de la cause matérielle : toute guerre ordonnée par Dieu est
juste, ce qui nous rappelle la suspension du jus in bello dans la guerre Deus auctore que nous
avons constatée à la lecture du Contra Faustum.
Il reprend ensuite son développement sur Josué. On constate donc que : (1) la
définition est donnée incidemment, comme en passant ; (2) elle est de peu d’utilité au
développement, puisqu’elle est opposée à un motif supérieur qui la rend sans effet. On ne peut
donc pas soutenir raisonnablement qu’Augustin livre sa doctrine de la guerre juste dans ce
commentaire de Josué. Il livre incidemment une définition qui n’aura d’utilité que si ses
lecteurs l’acceptent sans hésitation. Après quoi, l’argument selon lequel toute guerre qui a
Dieu pour auteur est une guerre juste prend toute sa valeur : « Sed etiam hoc genus belli sine
dubitatione iustum est, quod Deus imperat. » La force de conviction repose de toute évidence
sur l’adversatif « sed etiam ». La soi-disant définition augustinienne de la guerre juste n’est
donc rien de plus qu’un lieu commun, cité incidemment dans le cadre d’une démonstration
voulant justifier la guerre Deus auctore62 par un argument a contrario.
60
Quaes. Hept. IV, 44 : « Notandum est sane quemadmodum iusta…
61
« Iusta autem bella ea definiri solent, quae ulciscuntur…. »
62
Voir Peter Haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre…
L’originalité de saint Augustin se trouve plutôt dans la manière dont il utilise la doctrine à des
fins apologétiques. Il défend les Écritures à l’aide des théories philosophico-politiques
admises par la culture de son temps. Il instrumentalise la doctrine de la guerre juste bien qu’il
y adhère sincèrement comme le montrent les lettres à Marcelin, secrétaire impérial, rédigées
environ quatorze ans plus tard.
Si les républiques de la terre observaient les préceptes chrétiens, la charité serait gardée
jusque dans les guerres mêmes, et dans un but d’utilité pour les vaincus, en les ramenant à la
justice et à la piété ; car on ne perd rien à être vaincu, quand on a perdu l’occasion de mal
faire. Rien, en effet, n’est plus malheureux que la prospérité des méchants ; elle nourrit
l’impunité et fortifie la volonté du mal comme un ennemi intérieur63.
Les conseils pastoraux de l’évêque restent donc globalement cohérents avec ses écrits
antérieurs. Dans son dernier grand texte, La Cité de Dieu, saint Augustin critique la
monstruosité de la guerre64 et assimile la guerre de conquête au brigandage65. Il affirme que la
défaite est toujours le signe d’un jugement divin66. Contrairement à ce que l’on a parfois
écrit67, il est très critique vis-à-vis de l’histoire guerrière de Rome alors qu’il loue la clémence
des Goths, clémence dont il crédite leur christianisme bien qu’ils soient ariens68. Il est très
proche de la thématique de la guerre juste lorsqu’il constate que tout prince n’entreprend la
guerre qu’en vue de la paix, même s’il s’agit d’une paix qui lui sera plus profitable que celle
qui existait avant le conflit, bref de la paix du vainqueur69 ! De là à la critique ouverte de la
théorie, il n’y a qu’un pas. Il nous semble le faire quand il déclare en XIX, 7 que le sage
devrait déplorer d’avoir à livrer des guerres justes « car si elles ne l’étaient pas, il ne serait pas
obligé de les faire, et le sage éviterait ainsi toute guerre ». Si la nécessité impose parfois de
partir en guerre, celle-ci est toujours un mal qui doit attrister le sage. L’évêque dépasse ici la
doctrine traditionnelle et esquisse une critique évangélique du principe même de la guerre.
Ce survol rapide et non exhaustif des principaux textes d’Augustin d’Hippone sur la guerre
nous permet de constater combien sa contribution est éloignée de tout dogmatisme. Il reprend
la théorie de la guerre juste comme un lieu commun dans la mesure où elle éclaire ses propres
opinions. Il n’hésite pas à s’en démarquer lorsqu’il argumente sur la guerre Deus auctore ou
quand il évoque les guerres romaines. On perçoit alors l’esquisse d’une critique chrétienne
qu’il ne développe pourtant pas. Sa contribution principale à la christianisation de la doctrine
est son insistance sur la disposition intérieure, exprimée dès la rédaction du De Libero
Arbitrio70. Il paraît être le premier à s’intéresser aux conditions psychologiques et spirituelles
dans lesquelles se trouve le serviteur de l’État lorsqu’il donne la mort. Il ne suffit pas de se
conformer à la lettre d’une règle de droit pour agir justement, il faut aussi se trouver dans des
dispositions intérieures conformes à la justice.
63
Epist. 138, 14.
64
De Civ. Dei, XIX, 7. La Cité de Dieu est citée dans l’édition…
65
IV, 6.
66
XIX, 15.
67
Par ex. Minois, op. cit.
6868
I, 1-7.
69
XIX, 12.
70
Voir supra.
Le chrétien ne sera juste dans l’exercice du droit de glaive que s’il agit sans passion, c’est-à-
dire sans haine pour son ennemi. Loin d’absoudre le violent, saint Augustin exige qu’il
maîtrise sa violence et qu’il n’use de la force que contraint par la nécessité. Il s’agit sans
conteste d’un apport profondément chrétien à une théorie qui était restée jusque là purement
légale.
4 – Le Moyen Âge
43Nous avons vu que saint Augustin n’a pas inventé la théorie de la guerre juste. Il
l’a intégrée à ses réflexions, l’a parfois critiquée mais il en a peu modifié le fond. Si
l’on en croit l’abondante historiographie sur le sujet, l’adoption de la doctrine par le
docteur de la grâce est sa porte d’entrée dans le champ de la théologie chrétienne
(même si on reconnaît le rôle d’Ambroise de Milan). Cela pose la question de la
réception au Moyen Âge des textes augustiniens sur la guerre : ont-ils servi de base
à la réflexion sur le thème de la guerre juste durant le haut Moyen Âge, ou s’est-on
plutôt tourné vers d’autres auteurs, tels Cicéron ou saint Ambroise ? Cette question
est déterminante pour notre compréhension de l’histoire de la théorie de la guerre
juste.
44Durant le haut Moyen Âge, trois auteurs nous permettent par l’ampleur de leurs
œuvres de faire un état des lieux des connaissances des textes anciens : Isidore de
Séville, Raban Maur et Hincmar de Reims.
Isidore de Séville
45Évêque de Séville auprès des rois wisigoths récemment convertis au
catholicisme, il a grandement contribué à la rénovation d’une culture hispano-
romaine. Avec les Étymologies sur l’origine des choses en vingt livres, Isidore
donne la première somme médiévale. Suivant un mode de pensée propre à la
tradition antique (différence, analogie, glose, étymologie), il sélectionne, organise,
explique l’héritage hellénistique et romain. Isidore ambitionne de saisir l’essence
même des choses à travers l’origine des mots, en vertu d’une conviction
doublement fortifiée par la philosophie grecque et par les traditions exégétiques
judéo-chrétiennes. Il affirme que la culture antique est nécessaire à la bonne
compréhension des Écritures. Animé de la passion encyclopédique qui hantera les
clercs médiévaux, il a le souci permanent d’apprendre autant que d’instruire.
46C’est sans doute parce qu’il donne à la culture antique une forme médiévale
qu’Isidore aura un tel rayonnement dans la civilisation hispano-arabe. Son œuvre
connaîtra une diffusion extraordinaire aux siècles suivants dans l’Europe entière :
auteur favori de Raban Maur, il est l’écrivain latin le plus souvent recopié et lu au
Moyen Âge.
47Le texte d’Isidore sur la guerre se trouve au chapitre XVIII des Étymologies,
intitulé De bello et ludis. Isidore commence par y affirmer qu’il existe quatre sortes
de guerres : « iustum, iniustum, civile, et plus quam civile [51][51]Isidore de Séville,
Etymologiarum sive originum. Recognovit… ». Ces catégories sont assez
disparates et si l’évêque d’Hippone a bien divisé les guerres en guerres justes et
injustes, il n’a pas fait des guerres civiles et fratricides [52][52]Nous traduisons ainsi
l’expression isidorienne « plus quam…des catégories spécifiques. D’ailleurs, les
exemples donnés par Isidore pour illustrer ces deux dernières catégories sont issus
de la littérature classique.
48Au premier abord, les définitions des guerres justes et injustes semblent
augustiniennes.
49
Une guerre est juste si elle est déclarée par un acte officiel et conduite pour recouvrer
des biens ou pour repousser des ennemis. La guerre est injuste si elle trouve sont
origine dans la colère, et non dans une raison légitime [53][53]« Iustum bellum est quod
ex praedicto geritur de rebus….
50Mais seule une lecture superficielle permet de s’en tenir à cette impression.
Isidore cite lui-même Cicéron plutôt qu’Augustin à l’appui de sa définition, qui est
en réalité une simple paraphrase. Ainsi s’explique la soi-disant extension des
causes augustiniennes de juste guerre alléguée par certains commentateurs : citant
Cicéron [54][54]« Illa iniustia bella sunt quae sunt sine causa suscepta. Nam…,
Isidore est incapable de comprendre le lien de « de rebus repetitis » avec l’ancien
rituel fécial et en fait une nouvelle cause de guerre, comme l’a bien vu
Haggenmacher [55][55]Peter Haggenmacher, op. cit., p. 156-7.. Loin de voir en ce
texte la reprise et l’extension de la doctrine augustinienne de la guerre, nous n’y
trouvons que la traditionnelle reprise d’un lieu commun de la littérature classique.
Raban Maur
51Raban est né à Mayence vers 780. Élève d’Alcuin à Tours, il devint abbé de
Fulda en 822. D’abord fidèle à Louis le Pieux, il prit ensuite le parti de Lothaire.
Après la défaite de Fontenoy, Raban se retira à Petersberg. Il fut ensuite appelé par
Louis le Germanique à l’évêché de Mayence en 847, où il participa à la controverse
contre Gottschalk le Saxon. Mort en février 856, il fut le théologien le plus
considéré de son temps et l’un des plus prestigieux savants du IXesiècle. Il laissa
une œuvre abondante qui est totalement conservée, et notamment deux pénitentiels
(en 841 et 853) et la première encyclopédie depuis deux siècles (après celle
d’Isidore dont il s’inspire largement) qui restera une des plus grandes du Moyen
Âge, et la seule illustrée [56][56]Franz Brunhölzl, Histoire de la littérature latine du
Moyen….
52Sur la guerre, il recopie mot pour mot les Étymologies d’Isidore. Sa seule
originalité est une incise sur le combat spirituel émaillée de quelques citations
bibliques [57][57]Rabanmaur, De universi libri, XII, in Migne, Patrologie Latine,….
Une pensée si indigente sur une question de cette importance chez un auteur de
cette envergure démontre que l’on était alors incapable d’élaborer une doctrine de
la guerre.
Hincmar de Reims
53Hincmar, évêque de Reims, était l’un des personnages influents de son temps.
Son rôle dans la réfutation et la dégradation de Gottschalk en 849 au synode de
Quierzy a été déterminant. Suite à des questions directes de Charles le Chauve, il
écrit en 831 De regis persona et regio ministerio [58][58]Hincmar de Reims, De
regis persona et regio ministerio, in…, dans lequel nous trouvons « la première
théorie du Moyen Âge sur la guerre [59][59]Brunhölzl, op. cit., p. 200-203.
Haggenmacher considère que ce… ».
54Il s’agit d’un de ces « miroirs de princes » qui furent rédigés à l’époque de la
décadence de la dynastie carolingienne. Hincmar fait cependant une œuvre peu
originale, puisqu’il reprend un texte anonyme, les XXIV capitula diversarium
sententiarum pro negociis reipublice consulendis [60][60]Nous n’avons pu avoir
accès aux Capitula, aussi dépendons-nous…. Il se contente de les ordonner
différemment et de les surmonter de rubriques. Sur la guerre, il cite cinq textes
d’Augustin, deux textes qui lui sont attribués à tort, deux textes d’Orose et un
extrait du second livre des Macchabées. Voici les cinq textes de l’évêque
d’Hippone :
Nous avons déjà cité ou mentionné la plupart de ces textes dans notre chapitre sur
saint Augustin, nous ne reviendrons pas sur leur sens dans leur contexte original.
Les points abordés par Hincmar en référence à l’évêque d’Hippone ne touchent
qu’au statut moral de la guerre, qui doit être regardée comme une regrettable
nécessité, à la justice des soldats dans l’exercice de leurs fonctions, et à la
providence divine qui décide de la victoire. Il est étonnant de ne pas retrouver la
soi-disant définition augustinienne de la guerre juste telle qu’elle se trouve dans
les Quaestiones in Heptateuchum, VI, 10. Les définitions cicéroniennes rappelées
par Isidore de Séville et Raban Maur avaient le mérite de s’en approcher. On peut
supposer qu’Hincmar ou l’auteur anonyme des Capitula ne les ont pas reprises, à
cause de leur origine païenne qui affaiblissait leur autorité. Ils n’ont pas su les
rapprocher du commentaire augustinien de l’Heptateuque, bien qu’ils aient été en
quête de textes de l’évêque d’Hippone. Comment l’expliquer, sinon par leur
ignorance, ignorance qui illustre et confirme notre thèse : la définition
augustinienne de la guerre juste était totalement inconnu des lettrés de l’époque
carolingienne.
55Cela ne signifie pas que les principes généraux de la guerre juste étaient
inconnus. On en trouve des traces dans les pénitentiels jusqu’au IXe siècle. Mais ils
sont plus proches des principes de pureté rituelle de Basile que de la réflexion
éthique d’Augustin. Souvenons-nous que ce dernier estimait que le soldat qui
donnait la mort au cours d’une guerre juste ne péchait pas. Or, du Ve au IXe siècle,
on préféra infliger des pénitences plutôt sévères aux soldats. Cette pratique tomba
en désuétude lorsqu’on eût tenté d’en utiliser les conséquences canoniques afin
d’écarter Louis-le-Pieux du trône en 833. La dernière pénitence collective imposée
pour faits de guerre l’a été à l’occasion de la conquête de la Grande-Bretagne par
les Normands (1066). Bien que l’expédition ait été approuvée par le pape, les
combattants se sont vus imposer une pénitence publique. La persistance de cette
pratique montre que durant tout le haut Moyen Âge, saint Augustin ne fut pas la
référence majeure sur notre sujet. En droit, on se référait, soit à Cicéron, soit au
code Justinien, soit au droit coutumier germanique. Pour le salut de l’âme des
combattants, les pénitentiels se situaient plutôt dans la tradition de Basile.
56Les choses changèrent à partir du XIIe siècle avec la publication de l’œuvre
monumentale du moine Gratien.
Gratien
4 – Conclusion
75On perçoit en définitive comment Gratien, servant les desseins de la papauté
suite à la Querelle des Investitures, redécouvre la définition donnée par saint
Augustin au détour de son commentaire du livre de Josué, et comment il la
travaille, l’infléchit sensiblement pour appuyer son propos général. La plaçant ainsi
transformée dans un nouveau contexte, il la « canonise » d’une manière qui
permettra aux scolastiques de formaliser leur réflexion sur la guerre, celle-ci
trouvant sa forme la plus accomplie dans la formulation de saint Thomas d’Aquin.
On peut dire que la théorie chrétienne de la guerre juste est née lorsque la discipline
pénitentielle fut réformée au cours du XIIe siècle. Le rôle plus important attribué aux
confesseurs impliquait que la littérature pénitentielle fût mêlée de quelques
principes théologiques. Évaluer la gravité du péché et la satisfaction nécessaire
demandait à considérer si le meurtre avait été commis ou non dans le cadre d’une
guerre juste. Alexandre d’Alès [89][89]Alexandre d’Alès, Summa theologica, III, n.
446. reprit et systématisa ses conditions, reprenant à la suite de Raymond de
Penafort [90][90]Raymond de Penafort, Summa de casibus poenitentiae., les canons
patristiques d’Yves de Chartres et de Gratien. Thomas d’Aquin [91][91]Saint
Thomas d’Aquin, Somme théologique, La charité, Tome… eut plus tard le mérite
de la clarifier et de l’énoncer à nouveau en des termes qui la rapprochaient de ses
origines latines avec suffisamment de liberté pour qu’elle s’adapte à la situation
contemporaine. Il sut également préserver et perpétrer ce qui constitue à nos yeux
la dimension spécifiquement chrétienne de la théorie : l’accent placé sur le for
intérieur, avec la condition de la recta intentio qui ne peut que transcender un
cadre trop restrictivement juridique.
76La théorie de la guerre juste, telle qu’elle fut formulée par l’Aquinate, servit de
base aux controverses de la renaissance aux cours desquelles elle subit de
nombreuses altérations [92][92]On pense naturellement aux apports de Francisco de
Vitoria…. Devant une histoire aussi riche et complexe, il nous semble difficile de
faire de la tradition de la guerre juste une tradition spécifiquement chrétienne. Il
semble tout aussi compliqué d’en attribuer la paternité à saint Augustin. Son apport
fut certes, en ce domaine comme en tant d’autres, important. Il ne nous a pas paru
décisif, tant d’autres contributions, telles celles des textes juridiques romains et des
canonistes du XIIe siècle, se sont révélés conséquents.