You are on page 1of 74

Bulletin de correspondance

hellénique

Forteresses médiévales de la Grèce centrale


Antoine Bon

Citer ce document / Cite this document :

Bon Antoine. Forteresses médiévales de la Grèce centrale. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 61, 1937. pp.
136-208;

doi : https://doi.org/10.3406/bch.1937.2728

https://www.persee.fr/doc/bch_0007-4217_1937_num_61_1_2728

Fichier pdf généré le 18/04/2018


FORTERESSES MÉDIÉVALES DE LA GRÈCE CENTRALE

(PI. XV-XXI)

La Grèce centrale, comme le reste du pays et en particulier le


Péloponnèse, s'est couverte au Moyen Age de forteresses, tours ou châteaux. De
ces constructions presque rien n'est encore publié ; les voyageurs
nombreux, les historiens qui les ont visitées n'en ont donné que des
descriptions rapides et vagues, accompagnées tout au plus de quelques
croquis ou photographies. Mon intention n'est pas de faire l'inventaire
complet des vestiges médiévaux dans cette région, ni même de faire de
véritables monographies pour certains d'entre eux ; ayant eu l'occasion,
au cours de plusieurs voyages en Béotie, Phocide et Phthiotide entre
1926 et 1935, de visiter à mon tour les plus importantes des forteresses :
Bodonitsa, Salona et Livadie, et ayant pu, grâce à l'aide de M. H. Ducoux,
architecte de l'Ecole française d'Athènes, en lever les plans, je présente
ici les résultats de mes observations, afin de les mettre à la disposition
de ceux qu'intéresse l'art militaire du Moyen Age en Orient.
Ce qui rend l'étude de ces monuments particulièrement difficile, c'est
l'absence à peu près complète de documents ou de renseignements
historiques sur leur construction. On connaît à peu près les événements
qui se sont déroulés au cours des périodes où ils furent élevés, mais
aucune source ne nous raconte qui les bâtirent ou les réparèrent, aucune
inscription sur les monuments n'en vient éclairer l'histoire. Le seul
moyen pour essayer de percer cette obscurité est de rassembler le peu
que nous connaissons des événements qui eurent chaque château pour
théâtre, et reconstituant ainsi les conditions de chaque période, de
chercher par hypothèse à quel moment les circonstances ont rendu
nécessaire la construction, ou probables des réparations. Cette méthode
ne peut mener qu'à des résultats assez vagues, nous ne nous le
dissimulons pas ; la comparaison d'un grand nombre de ruines de ce genre
pourra peut-être un jour permettre de confirmer les hypothèses et de
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 137

préciser les conclusions ; encore ne faut-il pas oublier que ces


rapprochements doivent être faits avec prudence, car la plupart de ces châteaux
sont œuvres de circonstances et, par là, échappent à des règles ou à des
principes généraux. Nous suivrons dans notre étude de chaque forteresse
la même marche : historique rapide, description détaillée des ruines,
enfin conclusion, où nous essaierons de dater les constructions.
Cependant, avant d'aborder les descriptions particulières, il n'est pas
inutile, pour situer les châteaux sujet de notre étude, de donner un
tableau d'ensemble, historique et topographique, de la Grèce centrale au
Moyen Age. Jusqu'aux grandes invasions slaves et bulgares, la population
a continué sans doute à occuper à peu près les mêmes sites que dans
l'antiquité. L'empereur Justinien avait fortifié les lieux de passage
classiques, les Thermopylcs et l'isthme de Corinthe (1). Mais les
bouleversements provoqués par les invasions venues du Nord aux vne et
vine siècles, l'inquiétude répandue par les incursions fréquentes des
Sarrazins, puis par l'apparition des Normands, du ixe au xie siècle,
poussèrent la population à abandonner les lieux les plus exposés, pour
chercher abri derrière de bonnes murailles, ou mieux encore sur des
rochers réputés imprenables. Dès cette époque donc des fortifications ont
pu être élevées soit par les fonctionnaires byzantins, soit par les
habitants eux-mêmes, car les fonctionnaires impériaux inspiraient souvent
plus de haine que de confiance. L'Empire grec était en somme en voie
de désagrégation, conditions particulièrement favorables à l'établissement
d'un système féodal. Dans cette province pauvre et méprisée de Byzance
une seule agglomération a quelque importance, c'est Thèbes, résidence
du stratège de Grèce.
Quand en 1204-5, les Croisés firent leur apparition, ils n'eurent que peu
de peine pour se rendre maîtres du pays, et ils y installèrent sans
difficulté leur organisation féodale. Tandis que l'Eubée était divisée en trois
baronnies, le nouveau roi de Salonique, Boniface de Montferrat confia la
défense de certains points importants de la Grèce centrale à quelques-
uns de ses plus sûrs compagnons : Bodonitsa à Guido Pallavicini, Salona

(1) Procope, de JEdif., IV, 2, p. 272. Nous citons une fois pour toutes les ouvrages
généraux d'où sont tirées ces brèves indications historiques : Hopf, Griechenlaud im Mitte-
alter und in der Neuzeit, in Allgemeine Encyclopédie der Wissenschaften und Kuenste, de
Ersch et Gruber, t. 85 et 86 ; Gregorovius, Geschichte der Stadt Athen, Stuttgart, 1889,
2 vol., et la traduction grecque de Lambros qui a ajouté un 3e volume sous le titre de
"Εγγραφα, Athènes, 1906 ; W. Miller, The Latins in the Levant, Londres, 1908. Nous
indiquerons au passage les études ou les ouvrages sur des sujets spéciaux.
138 A. BON

à Thomas d'Autremencourt, à Othon de la Roche Athènes avec Thèbes


dont les Saint-Omer devinrent plus tard co-seigneurs par héritage ;
chacun reçut son territoire en fief, sous la suzeraineté de Boniface.
Installés en petit nombre dans un pays étranger récemment conquis, la
construction de châteaux-forts fut pour eux une nécessité, à laquelle ils
se plièrent d'autant plus facilement qu'elle était conforme à leurs
habitudes occidentales. Cette nécessité devint plus impérieuse pour les
seigneurs francs de la Grèce centrale, quand, en 1222, disparut l'éphémère
royaume latin de Salonique ; cet événement donnait une importance
militaire particulière aux forteresses les plus septentrionales qui devaient
jouer le rôle de rempart des possessions latines contre les Grecs maîtres
de la Thessalie. Le pape Honorius III comprit si bien cette situation qu'il
consentit à lever les sanctions les plus graves prises contre certains
seigneurs à condition qu'ils consacrassent leur argent à élever les
fortifications nécessaires (lettre du 25 sept. 1223) : il y a donc eu dans la
première moitié du xnie siècle une période de construction active.
Au début du xive siècle, l'arrivée des routiers catalans modifie
profondément la situation. Vainqueurs des chevaliers francs en 1311 à la bataille
du lac Copaïs, ils occupent le pays — à l'exception du marquisat de
Bodonitsa — , ce qui eut pour résultat la création en Grèce centrale d'un
Etat tout à fait isolé, entouré de toute part de voisins hostiles, Grecs ou
Francs, dont il avait à se protéger. Cela conduit à supposer que la période
catalane a vu se renforcer le système de fortifications, soit par la
construction de nouvelles forteresses, soit par l'amélioration des anciennes.
Les troubles de la fin du siècle, consécutifs à l'arrivée des Navarrais, à
l'ambition de la famille florentine des Acciajuoli et à l'apparition des
Turcs, eurent au contraire plutôt pour résultat des ruines, la destruction
de certains châteaux et l'abandon de certains sites ; il y eut sans doute
aussi quelques constructions, mais beaucoup plus rares. Enfin quand les
Turcs eurent étendu leur domination sur tout le pays, au xve siècle, leur
victoire dut paraître si définitive, un retour offensif des anciens maîtres
ou un soulèvement de la population si improbable, que le besoin de
nombreuses forteresses ne se fit plus sentir ; ils placèrent seulement de
petites garnisons dans les plus importantes, celles qui commandaient de
vastes régions, et selon toute apparence ils n'y firent que les réparations
ou travaux d'entretien absolument indispensables ; il suffît de remarquer
pour s'en rendre compte que nulle part, sauf de très rares exceptions,
n'ont été faits d'aménagements pour l'utilisation de l'artillerie. Les
forteresses ont été définitivement abandonnées au début du xixe siècle, et, si
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 139

elles sont aussi ruinées aujourd'hui, c'est moins parce qu'elles ont
supporté des assauts, que faute d'entretien ; c'est surtout parce qu'elles
ont subi les dégâts des tremblements de terre, et des hommes qui y
puisent la pierre et le bois.
C'est donc au xive siècle, sous la domination catalane, que le nombre
des forteresses a été, selon toute vraisemblance, le plus grand : examinons
comment elles étaient réparties et ce qu'il en reste ; nous signalerons au
passage tout ce qui en a déjà été étudié (1), en ajoutant quelques
remarques que nous avons pu faire nous-môme. Nous laissons de côté les
possessions catalanes situées au Nord de l'CEta et du Callidrome et qui
constituaient le duché de la Patria ou Néo-Patras (Hypati); dans les
limites que tracent ces montagnes, les forteresses les plus septentrionales
étaient Sidérokastro et Bodonitsa. L'identification du site de la
première, longtemps sujet de discussion, semble définitivement faite par
M. G. Kolias (2) ; la Chronique de Morée nomme une fois Sidéroporta en
1259 (§ 274) et une fois Sidérokastro en 1304 (§§ 892-893) ; selon toute
vraisemblance il s'agit du même lieu, qui fit partie en 1275 de la dot
d'Hélène Angelina Gomnène mariée à Guillaume de la Roche. Il devait
se trouver sur la route la plus directe de Gravia à la plaine du Sperchios ;
la Chronique de Morée ajoute qu'après Sidéroporta, il faut descendre une
« grant avalée » pour arriver dans la plaine à Lutro (Bains d'Hypati) ; ces
détails sont autant d'arguments contre l'opinion de Buchon qui situait la
forteresse près de la côte du Canal de l'Eubée, vers le Mont Knémis (3) ;

(1) Les études les plus étendues sur l'histoire et la topographie des possessions catalanes
en Grèce au xive siècle sont celles de A. Rubiô y Lluch ; entre les nombreux articles qu'il a
consacrés à ce sujet, ceux qui nous intéressent particulièrement sont : Els castellos catalans
de la Grecia continental, Anuari de l'Institut d'estudis catalans, 1908, p. 364-425, avec une
carte et des photographies, et La Grecia catalana des de la mort de Roger de Lluria fins a
la de Frederic III de Sicilia (1370-1377), ibid., 1913-1 4, p. 393-485, illustré de nombreuses
photographies ; mais l'auteur laisse de côté l'étude archéologique des ruines. On trouve
d'utiles indications topographiques dans la Chronique de Morée, éd. J. Longnon, Notice
géographique, pp. cix sqq. — On se reportera avec fruit à la carte Εύβοία-Βοιωτία, au
1/200. 000e en couleurs publiée aux frais de l'Office hellénique du tourisme, mais elle ne
couvre malheureusement pas toute la région que nous envisageons.
(2) G. Kolias, Sidérokastro, Έπετ. Έτ. βυζ. σπουδών, Γ (1933), ρ. 72-82, 2 phot. ; l'auteur
complète les indications historiques de A. Rubiô y Lluch et décrit sommairement les ruines
où il reconnaît Sidérokastro.
(3) Buchon, Recherches historiques, I, 123 et 143 ; La Grèce continentale et la Morée,
p. 315 sq. ; la présence en ce point d'un lieu dit Sidéroporta ne constitue pas une preuve
décisive, car le nom n'est pas rare en Grèce. — Gregorovius, op. 1., II, 168, proposait Kastri
(Delphes) ou Arachova au Sud du Parnasse, ce qui est impossible. Neroutsos, Xptaxiavtxcù
'Αθήναι, ρ. 108 n., partant de l'indication de la Chronique, était plus près de la vérité en
140 A. BON
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE l4l

il faut admettre qu'il y avait un sentier dans les défilés entre l'QEta et le
Gallidrome, de la vallée supérieure du Céphise à celle de l'Asopos, qui
correspond sans doute aux « passages de l'Œta » que Justinien avait fait
fortifier en même temps que les Thermopyles. M. Kolias a précisément
trouvé les ruines d'un château médiéval, le κάττρο της Όβρ'.γιας, ou τής
Όρια;, sur un rocher au-dessus des Kalyvia de Kouvélo et du torrent de
l'Asopos, près de quelques vestiges antiques que l'on identifie avec ceux
de la ville de Trachis (1) ; on distingue les restes de deux enceintes dont
la plus grande abritait quelques maisons d'un village, une citerne et, au
sommet, une tour, le tout construit dans une maçonnerie de petits
matériaux: plan et construction sont conformes aux habitudes du xme siècle.
Tout près se trouve encore aujourd'hui un lieu-dit Sidéroporta. Plus bas
un pan de mur épais est peut-être un vestige des travaux de fortification
de Justinien. Ne pourrait-on expliquer le double nom : Porte et Château
de Fer? Il est probable que le premier a été remplacé par le second quand
on construisit là un château, qui devrait être postérieur à 1259 et, s'il
faut encore l'attribuer aux Français, il pourrait avoir été élevé au moment
où Guillaume de la Roche entre en possession de cette région. La position
prit une grande importance sous la domination des Catalans (2) ; c'est en
effet là que passe pour eux la seule route qui réunisse librement le duché
de Néo-Patras à celui d'Athènes, la voie des Thermopyles traversant le
marquisat de Bodonitsa qu'ils n'avaient pas conquis. La dernière mention
de Sidérokastro date de 1382. Le bite dut être abandonné par les Turcs.
La route la plus commode évitait cependant les gorges de l'Asopos et
les sauvages défilés où aujourd'hui même le chemin de fer se fraie
difficilement un passage; longeant le pied du Callidrome, elle
franchissait les célèbres Thermophyles. Au-delà on pouvait se diriger vers le
Sud par une région de collines, ou le long de la côte par Atalanti, pour
gagner le bassin du lac Copaïs, ce qui fait un très long détour; il vaut
mieux traverser de suite le Callidrome, plus accessible de ce côté, et
par le col de la Klisoura, dont l'accès ne présente aucune difficulté,
atteindre la haute vallée du Céphise béotien. C'est le château de Bodonitsa
(auj. Mendenitsa) qui surveillait ces passages ; il n'était pas tombé aux

situant Sidérokastro près des ruines antiques d'Iléracleia, sur une colline au bord de
l'Asopos, mais le site est trop près de la plaine pour convenir exadement.
(1) Y. Béquignon, Guide Bleu, Grèce (éd. 1935), p. 261, semble confondre les deux sites ;
t. carte p. 263.
(2) A Rubio y Lluch, Anuari.., 1908, p. 387-393.
142 A. BON

mains des Catalans, bien que le marquis dût sans doute leur payer tribut.
A Atalanti, siège d'une seigneurie catalane, Talandi, aucun vestige
médiéval n'a été signalé.
Vers le Sud deux routes s'ouvrent à nous, qui passent à l'Ouest et à
l'Est du massif du Parnasse. A l'Ouest l'entrée de la route dans les
montagnes est gardée par Gravia, dont certain épisode fameux des guerres
de l'Indépendance hellénique rappelle l'importance stratégique ; une
étude toute récente (1) a fixé la situation du château médiéval et en a

Fig. 2. — Davlia : coin N.-E. de l'Acropole.

décrit les ruines : ce sont les débris d'une enceinte sur un rocher quj
domine le torrent du Koukouvistianos (antique Pindos), à 1 h. 1/2 du
village moderne de Gravia ; ce dernier, postérieur aux guerres de
l'Indépendance, a pris le nom qui s'appliquait auparavant au torrent et au
pays qu'il traverse, et au xme siècle à la forteresse désignée aujourd'hui
par le nom banal de Pyrgos ; l'histoire du château reste obscure et semble
se terminer avec la période française ; la Chronique de Morée le cite pour

(1) G. Kolias, Das Lehngut von Gravia, Byz. Z., XXXVI (1936) p. 330-336, pi. VII. On peut
regretter de ne pas y trouver au moins un plan schématique ou une vue générale du site.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 143

la dernière fois en 1304 : on peut donc considérer cette construction


comme un exemple caractéristique de l'architecture du xine siècle (1).
Les murs épais de 1 m. 60 sont faits de petites pierres mêlées de
fragments de tuiles ; la porte était défendue par une tour carrée de 5 m.
de côté aux murs minces (1 m. 10). Au-delà le chemin passe un col élevé
et descend vers Salona (Amphissa), la Plaine Sacrée et la baie d'Itéa :
c'était la voie la plus rapide de la Grèce du Nord vers le golfe de Corinthe,
et par Vostitsa (Aigion) vers la Morée occidentale. Du comté de Salona
faisaient partie Galaxidi, Vitrinitsa et Lidoriki (2) (en catalan Ledorix et
Veterniça ou Veteraniça).
A l'Est du Parnasse passe la grande route qui par Livadie et Thèbes
se dirige vers l'Attique pour bifurquer et atteindre soit Athènes, soit
Mégare, Gorinthe et la Morée orientale. Le long de la route et dans les
bassins qu'elle traverse les souvenirs médiévaux sont nombreux. Davlia
(catal. la Dahlia) s'étage au pied même de la montagne; l'acropole de
l'antique Daulis porte des vestiges qui, sans avoir le très haut intérêt
qu'on leur a accordé (3), ne laissent pas de doute sur l'occupation du site
au Moyen Age : des débris de maçonnerie médiévale sont superposés
aux assises d'appareil hellénique (fîg. 2) ; il n'y a qu'une enceinte simple ;
à l'intérieur la seule ruine est celle d'une église des Saints-Théodores
dont le plan est étrange, mais ne révèle aucune influence occidentale

(1) Rien ne prouve que Gravia ait appartenu aux Saint-Omer dès Γ205, comme le pense
W. Miller, op. 1., p. 33, d'après la Chronique de Morée, § 891 ; celle-ci dit simplement que le
maréchal Nicolas de Saint-Omer possédait des villages près de là et y prit ses quartiers
en 1304, mais on ne sait quand ces villages revinrent aux Saint-Omer. Il est cependant
certain, d'après une lettre d'Innocent III datée de 1212 (xv, 27), qu'il y avait alors un seigneur
latin de Gravia. Nous savons qu'en 1275 par contre Gravia appartenait à Jean Ier, duc de
Neo-Patras, fils bâtard de Michel II Comnène despote d'Épire, et qu'il la donna avec Sidé-
rokastro en dot à sa fille qui épousait Guillaume de la Roche. Gomme aucune source ne fait
connaître quand elle échappa aux Francs, il faut supposer qu'elle tomba aux mains des Grecs
en même temps que Sidérokastro, Zeitoun et la Thessalie, peu après 1220 ; mais on se
demande alors, si les Grecs étaient installés dans la haute vallée du Céphise béotien,
comment étaient protégées de ce côté les possessions franques, car aucune autre forteresse ne
surveillait les routes, sinon les tours qui les jalonnent. Cette situation en tout cas nous fait
encore mieux comprendre combien il était urgent de fortifier solidement Salona et Bodonitsa
après 1222.
(2) Des photographies de ces sites et des ruines ont été publiées par A. Rubio y Lluch,
Anuari..., 1913-14, p. 465-472.
(3) Rubio y Lluch, Anuari.., 1908, p. 368 et n. 1-3, 1913-14, p. 411-413. Une description
exacte des ruines antiques a été donnée par Frazer, Pausanias description of Greece, V,
222-225. Voir aussi les vues publiées par L. Robert, BCH, LIX (1935), pi. XI.
144 A. BON

(fig. 3 et 4) (1). Sur l'acropole de Chéronée des restes de maçonnerie


sont aussi mêlés aux murs antiques; Rubio y Lluch l'identifie avec « la
Gabrena » (4) qui, au xive siècle, appartenait au seigneur de Karditsa

Syxk.
Fig. 3. — Davlia : église des Saints Theodores.

Fig. 4. — Davlia : église des Saints Theodores.

(1) L'extérieur est tout entier on maçonnerie de petites pierres (v. phot. Ânuari..., 1913-
1Λ, p. 413,', tandis qu'à l'intérieur de nombreux blocs antiques ont été remployés, cf.
L. Robert, 1. 1. p. 201 sq.
(4) Anuari..., 1908, p. 368 (voir phot. Anuari., 1915-20, p. 144). Un document catalan
cite le seigneur de la Cabrena et del Patricio : ce dernier site reste d'identification tout à
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 145

(catal. Cardaniça), à l'Est du lac Copaïs, où une inscription, seul témoin


du Moyen Age franc, rappelle le souvenir d'Antoine le Flamand (1). Au
Sud du Parnasse Stiris, nommé par les Catalans lu Estiru ou el Elstir, n'a
rien gardé de leur passage. Mais la grande forteresse de cette région,
qui surveille à la fois la plaine du Copaïs et les passages vers l'Ouest au
Sud du Parnasse, c'est Livadie; à l'époque catalane elle dépend
directement du vicaire-général et remplit le rôle qu'avait joué au xnie siècle
le puissant château des Saint-Omer à Thèbes démoli par les Catalans.
Aux confins de la Béotie et de l'Attique la petite forteresse de Sykamino
était au xive siècle entre les mains des Chevaliers de l'Hôpital (2). Sur
l'acropole d'Athènes (catal. Séthines ou Céthines), le vicaire-général avait
pris la place des la Roche; je ne soulèverai pas ici de discussion sur les
auteurs de la fameuse tour franque et des fortificatipns de la ville et de
l'acropole attribuées àNerio Acciajuoli : il y faudrait une étude particulière.
Les possessions catalanes s'étendaient plus loin vers le Sud, protégées
sur l'isthme de Corinthe par le château de Mégare, englobaient Égine,
la côte Nord de l'Argolide avec Piada et la partie méridionale de l'Eubée
avec les forteresses de Karystos, surnommée Castel-Rosso (3), de Philagra
et de Larmena (4).
Ce tableau ne vise pas à être complet ; mais il donnerait une idée tout
à fait inexacte de la dispersion des ruines médiévales, s'il ne rappelait
pas l'existence d'un grand nombre de tours qui du haut d'une colline
surveillent les routes et les passages. Plus encore que pour les vrais
châteaux, il est difficile de les dater, car elles n'ont pas d'histoire, mais
nous les croyons en général postérieures à 1204 et antérieures aux Turcs.
Nous en citerons à titre d'exemple trois que nous avons pu examiner ;
elles sont échelonnées sur la route d'Athènes à Lamia, la plus richement

fait incertaine ; Rubio y Luch, ibid., p. 368, l'identifie avec un lieu-dit '^Πατήρι aujourd'hui
désert, mais sans en préciser la situation. Neroutsos, Χριστιανικού 'Αθήναι, Δελτίον τής
Ιυτορικής και εθνολογική; Εταιρίας τής 'Ελλάδος, IV (1892), ρ. 185, veut le reconnaître dans
la tour de Pétra au S. du Copaïs sur la route de Thèbes à Livadie.
(1) Dédicace de l'église de saint Georges datée de l'an 6819 = 1311, publiée par Buchon,
Grèce continentale et Morêe p. 217, et Recherches historiques, I, 409, et en dernier lieu par
W. Miller, JHS, XXIX (1909), p. 198-201.
(2) Les restes médiévaux de la région ont été étudiés^par M.^Orlandos, Δελτίον της
Χριστιανικής 'Αρχαιολογικής Εταιρείας, ΙΥ (1927), ρ. 25-45.
(3) Voir A. Bon et F. Chapouthier, Retour en Grèce, n° 25.
(4) Signalons en passant que le nom de Larraena semble avoir complètement disparu dans
le pays ; on retrouve seulement celui de Ααρενα dans un lieu désert un peu au Sud de
l'acropole de Styra qui est peut-être le château de Larmena ; on y voit en effet quelques
restes de réparations faites au Moyen Age sur les murs antiques.
BCa LXI(1»37). 10
146 A. BON

pourvue de constructions de ce genre, à ma connaissance, avec celle qui,


en Eubée, va de Ghalcis à Kymi (1).
Une tour (fig. 5) se dresse sur une croupe rocheuse tout près de la
route de Thèbes à Livadie, au point où celle-ci débouche dans la plaine
de l'ancien Copaïs, tout près du site d'Haliartos (2) ; elle est à peu près
carrée : 7 m. 80 sur 7 m. 90 de côté; la maçonnerie sans être très soignée
est assez régulière, les coins sont faits de blocs plus gros, mieux appa-

Fig. 5. — Tour de Moulki, au S.-O. du Copaïs.

reillés, dont un certain nombre sont antiques. Au rez-de-chaussée une


première chambre de 3 m. 50 de côté est couverte d'une voûte en plein
cintre ; au-dessus se superposent trois étages dont les deux premiers
ont chacun huit meurtrières, deux sur chaque face, le troisième était
couvert par une voûte renforcée par un arc doubleau et aujourd'hui écroulée.

(1) Sur la carte fig. 1 n'ont été reportées que les tours que nous avons personnellement
vues.
(2) Elle est citée par Rubio y Lluch, Anuari..., 1908, p. 369, sous le nom de tour de
Moulki. W Miller émet l'opinion qu'elle est catalane sans en avoir de preuves (Compte-
rendu de The princes of Achaia and the chronicle of Morea de Renell Rodd, dans The
English historical Review, juill. 1907, p. 572).
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA. GRECE CENTRALE 147

Une ouverture est pratiquée à la base, mais elle est moderne ; la seule
issue devait être autrefois une ouverture suspendue au Sud (fig. 5).

Fig. 6. — Tour près de la station de Livadie.

Fig. 7. — Tour à Dadi (Amphiclia).

Une autre tour est construite sur une colline au Nord-Est de Livadie,
au-dessus de la station du chemin de fer en face de l'acropole d'Orcho-
148 A. BON

mène, et surveille la route, au point où elle quitte la plaine du Copaïs


(fîg. 6). Elle est beaucoup moins imposante que la précédente, parce
qu'elle est beaucoup moins haute et moins bien construite : la
maçonnerie est faite de petits blocs de calcaire irréguliers et de fragments de
briques minces placés toujours horizontalement; elle mesure 7 m. 60 de
côté. L'entrée est à la hauteur du premier étage au Sud-Est.
Une troisième enfin est située sur un mamelon au nord et tout près de
Dadi auquel on a donné le nom antique d'Amphicleia; celle-ci est
beaucoup plus massive (fig. 7), large de 8 m. 50 sur 10 m. 50 de long; les
murs présentent à la base et aux angles de gros blocs provenant de
fortifications antiques dont on voit les débris aux alentours ; l'épaisseur de
1 m. 80 à la base diminue à chacun des deux étages conservés, par un
retrait de 0 m. 20 sur la face intérieure ; on y entrait par une porte large
de 1 m. 30 (la partie supérieure est ruinée) suspendue à 3 m. au-dessus
du sol et ouverte au Sud (1) près du coin Est; sur les autres faces sont
percées les meurtrières dont une à l'Ouest est dissymétrique.
Ces exemples suffisent à montrer combien variées sont ces tours :
elles n'ont certainement pas été construites sur un plan d'ensemble, mais
à mesure des besoins. Si les deux premières sont comparables par leurs
dimensions — sauf la hauteur — , leur situation, leur construction même,
la troisième est toute différente : c'est déjà un fortin, alors que les autres
sont de simples guettes. Leur intérêt est avant tout de révéler
l'importance de la route qu'elles jalonnent et qui est, en effet, une des grandes
voies de communication.
Cependant le vrai rôle de protection et de défense était joué par les
grandes forteresses : Bodonitsa sur la route principale qui vient du Nord,
Salona sur l'embranchement qui, à l'Ouest du Parnasse, va vers le golfe
de Corinthe et la Morée occidentale, Livadie héritière de Thèbes sur la
route qui mène à Athènes ou à Corinthe.

Bodonitsa.

Par sa situation, le marquisat de Bodonitsa (2) a toujours eu le rôle


d'une marche : c'est sur son territoire, en effet, qu'est situé le passage

(1) L'orientation de la porte est presque partout la même ; nous avons déjà remarqué ce
détail pour les tours antiques, cf. BCH, LIV (1930), p. 184.
(2) L'étude la plus complète sur l'histoire de Bodonitsa a été donnée par W. Miller, JHS.
XXVIII (1908). p. 234-249, avec quelques photographies. Sur la situation, cf. Chronique de
Morée, éd. J. Longnon, Notice géogr., p. ex et n. 2.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 149

des Thermopyles. Comme nous le verrons pour Livadie se substituant à


Orchomène, et selon une loi générale, la forteresse a préféré la sécurité
de la montagne à la célébrité du site antique. Elle est construite assez
haut, au-dessus du gros village moderne de Molo, sur le bord d'un replat
que forme le versant du Callidrome ; cette position dominante lui permet
de surveiller au loin la plaine côtière et le canal de l'Eubée, en même
temps qu'elle défend la Klisouro , col ou passe un sentier facile qui
conduit à la vallée du Géphise béotien, c'est-à-dire vers la Grèce centrale (1).
Justinien avait fait élever des fortifications au défilé même des
Thermopyles (2) ; mais la population semble avoir abandonné la plaine dès une
époque assez ancienne, pour échapper aux pirates et aux invasions, et
au début du xm° siècle, elle est installée sur le site de l'antique Pharygai,
qui est désormais Bodonitsa (3).
Léon Sgouros avait espéré pouvoir arrêter la conquête franque en
1204-5 à ce défilé où Léonidas était mort; mais ses troupes ne
supportèrent pas le choc, ni même la vue dès chevaliers bardés de fer que
conduisait le nouveau roi de Salonique; ils s'enfuirent, laissant la Grèce
centrale ouverte aux Croisés (4). Ce fut Guido Pallavicini, avons-nous dit,
qui reçut le territoire en fief avec le soin de garder le passage. iVinsi
fut créé ce marquisat qui devait durer plus de deux cents ans et,
survivant à la rapide disparition du royaume de Salonique, servir de marche
septentrionale aux possessions françaises de Grèce et de Morée pendant
le xiii9 siècle. Aucun document ne nous permet de savoir si une forteresse
existait déjà sur ce point en 1205. Il n'est pas impossible que les
fortifications antiques dont les vestiges sont nombreux aient été utilisées par la

(1) Voir la description du paysage dans Buehon, Grèce continentale et Morée, p. 284 sq.
(2) Procope, de Mdif., IV, 2, p. 272. On peut voir près de la route moderne des débris
de blocage appartenant à un gros mur, qui sont probablement des vestiges des travaux de
Justinien, comme l'avait déjà reconnu Buehon, op. 1., p. 320.
(3) Le nom se présente sous des formes variées. Henri de \'alenciennes, éd. de Wailly,
§ 671, appelle le château la Bonde<Zn^>ice, et le col qu'elle défend le passage delà Closure.
La Chronique de Morée offre les formes suivantes : en français, Bondonnice (mais aussi
Bondonice § 262 et Bondonnize § 1008) ; en aragonais, Bondenîça, Bondiça, Brondica et
Brandira ; en grec, Ποντεν!τσχ, ou Μποδενίτσα. Μποντενίτζα ou Μποντονίτζα, Μπουτενίτσα,
Μουντουνίτζα ou Μουνδονίτζα, formes nombreuses mais très voisines les unes des autres :
il faut y ajouter Mounlinitza dans l'intitulé d'une lettre d'Apokaukos à Michel Choniate qui
trouva à Bodonitsa son dernier refuge : v. Stadtmiiller, Michael Chômâtes, Metropolit von
Athen, Orientalia Christ,, XXXIII (1934), p. 205 n. 5 et 206. Aujourd'hui le nom a pris
la forme Mendenitsa, mais il était encore il y a un siècle Μπουδουνίτσα, comme on le voit sur
un cachet conservé dans le village (cf. W. Miller, 1. 1. p. 247).
(4) Nicétas Choniate, 799 et 805. Il est difficile de dire si le passage des Thermopyles eut
lieu fin 1204 ou, ce qui est plus probable, au printemps 1205.
150 A. BON

population qui avait cherché un refuge sur ce point élevé. Mais il est
légitime de penser que le nouvel occupant de cette importante position
y fit bâtir une vraie forteresse qui fut le centre du fief.
Malgré les vicissitudes, l'histoire de Bodonitsa offre une certaine
unité. Guido Pallavicini (1205-1237), surnommé le marchesopoulo, est
une personnalité assez curieuse, vrai féodal, peu docile, ne craignant pas
de se révolter contre l'empereur en 1209, mais valeureux soldat, comme
l'exigeait dès 1222 la présence sur ces frontières des Grecs vainqueurs
du royaume de Salonique. C'est le moment de la plus grande extension du
marquisat, le moment aussi où il devient le siège d'un évéché, dit des
Thermopyles. A cette époque la suzeraineté est réclamée par le prince
d'Achaïe pour qui la possession de Bodonitsa est fort importante; le fils
de Guido, Ubertino, malgré une révolte qui rappelle celle de son père
contre l'empereur, dut se reconnaître le vassal du prince ; mais ce sera
toujours une entreprise difficile pour les princes ou leurs baux d'obtenir
la reconnaissance de leur suzeraineté. La marquise Isabella qui succéda à
son frère Ubertino rappelé en Italie (1264), refusa de se rendre à Gla-
rentsa pour ne pas prêter hommage à Galéran d'Ivry, bail du prince
Charles Ier d'Anjou. A sa mort (vers 1286), des difficultés de succession
surgirent ; mais Bodonitsa resta aux mains de la famille Pallavicini, grâce
à l'initiative de Tommasso, petit-neveu de Guido, qui s'en empara et la
laissa à son fils Alberto.
La victoire des Catalans au lac Copaïs en 1311 coûta la vie à ce dernier,
mais n'entraîna pas la disparition du marquisat. Il subsista, bien que
divisé en deux : la veuve d'Alberto, Maria dalle Carceri, dame d'un
sixième de l'Eubée, remariée à un Vénitien, Andrea Cornaro, grand
seigneur en Crète et baron de Skarpanto, l'avait, en effet, partagé par
moitié avec sa fille Guglielma, mariée au Génois Bartolommeo Zacearia.
Les Catalans attaquèrent la forteresse et réussirent même à la prendre
pendant une absence de Cornaro. Mais Venise, qui y avait désormais des
intérêts, la fit comprendre dans la paix qu'elle signa en 1319 avec les
Catalans. En 1323, Guglielma se retrouve maîtresse unique du marquisat,
seul fief franc survivant entre les pays conquis par les Catalans. C'est
une dame énergique, digne de son ancêtre Guido. Devenue veuve, elle
demanda à Venise, de qui dépendaient ses possessions d'Eubée, un mari
qui pût l'aider à se défendre : en 1335 une galère vénitienne lui amena à
la skala de Bodonitsa Niccolo Giorgio, ou selon la forme vénitienne Zorzi.
Après des débuts heureux et quelques années de calme achetées sans
doute au prix d'un tribut payé aux Catalans, l'union fondée uniquement
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 151

sur des raisons politiques se révéla peu harmonieuse; il faut voir là


d'ailleurs, plutôt qu'un conflit personnel ou qu'une querelle de ménage, un
épisode des rivalités qui opposèrent si souvent dans ces possessions les
anciens occupants et de nouveaux arrivants. Niccolo dut s'enfuir, mais
garda l'appui de Venise ; et s'il ne revint pas à Bodonitsa, la marquise
reconnut comme héritier le fils qu'elle avait eu de lui, Francesco, qui lui
succéda en 1358. Malgré la menace croissante des Turcs, malgré le
voisinage des Serbes installés en Thessalie, Bodonitsa connaît encore
quelques années paisibles, sous la suzeraineté d'Athènes et la protection de
Venise. Elle réussit même à rompre \h lien de vassalité avec Athènes
quand Nerio Acciajuoli s'en empara ; à cette époque, bien que le marquis
figurât en 1391 par exemple dans la liste des feudataires de Morée, il
était en fait citoyen et ami de Venise.
C'est son fils Giacomo qui vit la fin du marquisat. Les premières
expéditions turques, notamment celle de Bajazet en 1393-94, l'épargnèrent,
nous ne savons pourquoi : peut-être les Turcs reculèrent-ils devant la
saison trop tardive ou le château trop puissant; mais dès ce moment ils
ont dû imposer un tribut, comme peu auparavant le viraire-général
installé à Athènes. Après une courte trêve, la guerre reprit, et en 1410. les
Turcs réussirent à s'emparer de la forteresse après un long siège. Bien que
réoccupée de 1411 à 1414 par le frère de Giacomo, Niccolo de Karystos
en Eubée, et réclamée jusqu'en 1425 encore par Venise, Bodonitsa restera
turque. La famille des Zorzi, chassée d'Eubée même en 1470, ne garda
de ses anciennes possessions que le titre.
Telle est en bref l'histoire de Bodonitsa : elle doit son caractère
particulier en même temps qu'à sa situation à la forte personnalité des
seigneurs, qui lui assurèrent une existence relativement plus indépendante
et surtout beaucoup plus longue que celle des autres fiefs créés par les
Croisés. Comme il faut s'y attendre, les sources ne nous apprennent rien
sur les constructions qui furent faites à Bodonitsa. Il est permis de
supposer que la vraie forteresse date de la création du marquisat ou au
moins des années qui suivirent la chute du royaume de Salonique (1), et
qu'elle a été régulièrement entretenue jusqu'à l'époque troublée de
l'arrivée des Turcs ; par contre ceux-ci n'avaient pas de raison de la
maintenir, dès qu'ils furent maîtres de toute la Grèce, des pays qui
s'étendent en deçà et au-delà des Thermopyles. Le rôle historique de
Bodonitsa est terminé : il n'en reste que des murailles vides qui tombent peu
à peu en ruines auprès d'un village désormais sans importance.

(1) Cf. supra, p. 138.


152 A. BON

Le château est établi, avons-nous dit, au flanc du Callidrome, au bord


d'une sorte de replat constitué par un banc rocheux, à l'extrémité duquel
s'élève une eminence bien détachée même du côté du plateau où se creuse
un petit ravin qui descend vers le Nord", de l'autre côté, vers l'Est, la
pente s'abaisse rapidement vers la plaine côtière, le banc rocheux s'est
brisé, et le sol, formé d'une argile blanche, est sujet à de fréquents
glissements.
La forteresse comprend essentiellement deux enceintes concentriques,
dont la plus petite est la mieux conservée (pi. XV 1, 2 et XIX).
La plus grande est ovale et mesure environ 240 m. suivant le grand
axe orienté S.-E. — N.-O. Bien qu'elle présente de nombreuses lacunes
on peut la suivre sur presque toute sa longueur, sauf à l'Est. Ce qui
frappe d'abord, , c'est l'importance des vestiges antiques : partout on
retrouve les gros blocs anciens faciles à distinguer de la maçonnerie
médiévale, ils sont souvent m situ, formant un appareil semi-régulier, en
assises horizontales, avec des décrochements et des joints parfois
légèrement obliques (fig. 9). Au Moyen Age on a volontiers remployé ces blocs
pour le parement des parties les plus exposées de la construction, mêlés
à des matériaux plus petits et irréguliers, petites pierres ou fragments
de briques (1), à côté du blocage habituel à cette époque (fig. 8 et 10).
Le tracé du mur extérieur forme un plan polygonal. Il est bien visible
au Sud. La pointe méridionale est formée par une tour A (PI. XIX) de
9 m. 10 de front et de 4 m. de saillie à l'Ouest, dont toute la base est
antique; à l'Est elle disparaît au bout de 2 m. dans une maçonnerie que
l'emploi de mortier et de grandes briques plates révèle comme médiévale,
mais assez ancienne ; cette disposition curieuse en angle rentrant est
d'autant plus difficile à expliquer que sur le mur sont construites en ce
point des maisons modernes dont la présence empêche d'examiner
l'agencement intérieur, et même de mesurer l'épaisseur de la muraille. Il en
est de même sur tout le côté Sud-Ouest où le village actuel déborde
dans l'enceinte : des maisons, des basses-cours, des jardins se pressent
devant et sur le mur dont on ne voit plus que partiellement la face
extérieure, sans pouvoir même toujours en approcher. A 38 m. de la tour
Sud vers l'Ouest, une autre (B) est placée à un angle du tracé ; elle est

(1) Nous distinguons deux types de fragments de terre-cuite : les « grandes briques
plates » de forme carrée et d'une épaisseur moyenne d'environ 0 m. 03 et les « briques
minces » qui sont généralement des débris de tuiles épaisses tout au plus de 0 m. 015 à 0.02.
FORTERESSES MÉDIÉVALES DE LA GREGE CENTRALE 153

très ruinée, et il n'est possible d'en mesurer que la largeur, 6 m. 55; il ne


reste que des assises antiques, mais l'on peut supposer qu'elle avait été

tig. 8. — Bodonitsa : tour C et rampe d'accès à la première porte.

reconstruite au Moyen Age, car c'est entre celle-ci et la suivante G


distante de 19 m. 65 que s'ouvrait la porte de la première enceinte. Ce côté

Fig. 9. — Bodonitsa : pan de mur antique dans la première enceinte (près de F).

est le plus accessible de la butte, c'est là que se développe le village, et


aujourd'hui c'est par là que passe le seul chemin qui réunisse le village
et les maisons construites à l'intérieur de la première enceinte. Ce chemin
154 A. BON

après avoir passé une fontaine tourne au pied de la tour C et s'élève le


long du mur jusqu'à 11 m. 25 de cette tour (fig. 8) ; la maçonnerie s'arrête
coupée par l'ouverture de la porte dont l'autre côté n'est pas conservé. Il
faut remarquer que, contrairement à ce qui se produit d'ordinaire, cette
disposition n'oblige pas l'arrivant à découvrir le flanc droit que ne protège
pas le bouclier; mais il restait exposé aux coups partis de la tour Β toute
voisine. La tourC, bien conservée à l'exclusion du couronnement (5 m. 30
sur 3 m. 35 de saillie), offre un bon exemple de parement fait de blocs

Fig. 10. — Bodonitsa : mur Nord-Ouest de la deuxième enceinte.

remployés ; à la base une assise antique, une autre légèrement débordante


sous le mur à l'Est, montrent que la construction suit le tracé antique.
La tour D se dresse à 80 m. environ ; entre C et D il ne reste que des
fragments de la muraille, dissimulés dans les jardins et par les
constructions; la longue distance, le fait que le mur n'est pas rectiligne,
suggèrent l'hypothèse d'une tour intermédiaire placée à un angle et disparue.
Celle que nous rencontrons en D mesure 5 m. 40 de front ; mais la saillie
au Nord est réduite à^l m. 40. Au-delà le mur antique tourne légèrement,
puis fait un petit redan de 0 m. 45, fidèlement suivi par le mur médiéval.
La tour E, plus petite (4 m. 40 de front sur 4 m. au Sud et 2 m. 50 au
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈGE CENTRALE 155

Nord où s'applique un contrefort), est placée non pas à un angle de


l'enceinte mais à côté (1). Le mur antique fait un autre redan à 5 m. 70 au
Nord de E, mais ici le mur médiéval continue droit. La ligne en est bien
visible en terrain découvert, malgré les brèches (pi. XV, 1) ; mais il n'y a
pas traces des tours qu'on attendrait et qui ont peut-être existé. C'est de
ce coté, au sud de F que s'est conservé le plus beau pan d'appareil antique
(tig. 9). Le mur s'élève un peu pour passer sur un éperon. En F, quelques
gros blocs dispersés marquent seuls à un angle du tracé la place d'une
tour antique large de 6 m. environ.
La partie Nord est assez mal conservée ; la base antique apparaît
presque partout, mais le mur a parfois légèrement glissé. Après la tour
G située à 57 m. environ de F et que son état permet de mesurer
exactement (6 m. 60 sur 2 m. 87 de saillie), le tracé comporte deux angles très
ouverts, sans tours ; une brèche, en laissant glisser la terre entassée à
l'intérieur de l'enceinte, a dégagé les extrémités du mur rompu, et l'on
peut en ce point en mesurer l'épaisseur : 1 m. 40 au Nord de la brèche,
2 m. au Sud. Cet accroissement de l'épaisseur peut être mis en rapport
avec la présence à l'extérieur d'une construction placée contre le mur,
qui semble remonter à l'antiquité : le plan qui comporte deux chambres
de 2 m. 40 et 2 m. 25 respectivement de large sur 3 m. 80 de long, et la
minceur des murs, 0 m. 50, la distinguent nettement des tours pleines que
nous avons rencontrées jusqu'ici.
La partie orientale de l'enceinte a le plus souffert du temps ; on n'en
voit plus que quelques débris qui ne se raccordent pas entre eux; les
uns, où l'on retrouve un appareil antique assez grossier, d'aspect « cyclo-
péen » ou « pélasgique », semblent continuer l'alignement du mur qui
vient d'être décrit, mais ne se raccordent pas avec quelques blocs
antiques situés plus au Sud-Ouest; deux autres tout entiers de blocage
forment une ligne sensiblement parallèle à quelques mètres plus à l'Est,
tandis qu'un dernier pan d'une maçonnerie où sont mêlés de gros blocs
et les grandes briques plates est orienté vers le Sud comme pour se
raccorder avec la suite. La dispersion de ces éléments ne doit pas
surprendre : la nature du sol, une argile blanche sujette à de fréquents
glissements, a provoqué sans doute à plusieurs reprises la ruine du mur et
obligé à des remaniements du tracé dont il serait vain de vouloir
retrouver l'histoire.

(1) On voit une disposition analogue à l'Acrocorinthe dans le grand circuit Nord, Corinth
III 2, p. 229 et pi. I n° 33.
156 A. BON

Le mur a complètement disparu au Sud-Est; un ressaut de terrain qui


forme terrasse en marque peut-être la place ; il réapparaît sous une rangée
de maisons qui aboutit à la pointe Sud où la disposition que nous avons
signalée ne peut-être attribuée qu'à un des remaniements qu'a subis cette
partie de l'enceinte.
Dans l'ensemble l'architecte médiéval s'est donc contenté de suivre ici
ses devanciers ; il a gardé le tracé de la vaste enceinte polygonale, la
place des tours avec leurs dimensions variables et leur espacement
inégal (1). Cet élément n'intéresse donc que peu l'art militaire du Moyen
Age, d'autant plus que, d'après l'état de la ruine, les réparations
médiévales ne semblent pas avoir été très soignées. 11 ne reste rien du
couronnement; il est impossible d'émettre une hypothèse sur la hauteur
primitive, et même, sauf en un point, de mesurer l'épaisseur du mur, celui-ci
même dans les parties les mieux conservées ne s'élevant jamais au-dessus
du niveau intérieur.
Pour être complet, il faut signaler qu'à un peu plus de 100 m. de la
pointe Nord, se trouve un petit ouvrage extérieur qui devait être une
tour carrée de 4 m. 80 de côté avec des murs épais de 1 m. 35 à i m. 45
entourant une chambre d'environ 2 m. sur 2 m. 20. Le parement extérieur
présente, notamment aux angles, de beaux blocs antiques, tandis qu'à
l'intérieur le mur est fait de petites pierres mêlées de briques minces.
Cette sorte de guette est placée de manière à surveiller le bas de la
pente, le versant ayant en effet un profil convexe tel que du haut du
château on ne peut en voir le pied (2). C'est un ouvrage purement médiéval.
La seconde enceinte est beaucoup plus petite : elle occupe une sorte
de plateforme au sommet de l'éminence, beaucoup plus longue que large
(130 m. de long sur une largeur maxima de 35 m.) et qui a à peu près la
forme d'une semelle orientée N.-O. - S.-E. ; elle est divisée en deux
parties inégales par un mur de refend flanqué d'une puissante tour carrée.

(1) On peut remarquer qu'à l'exception de la tour A large de 9 m. 10 — ce qui en montre


d'ailleurs l'importance, — les autres peuvent se ranger en trois groupes d'après leur largeur ;
4 m. 40 pour E, 5 m. 30 à 5 m. 40 pour C et D, 6 m. 55 - 6 m. 60 pour Β et G, et
probablement F. D'autre part, les distances qui peuvent être mesurées avec certitude entre les tours
s'expriment par des chiffres qui ont entre eux, au moins approximativement, un rapport
simple : 19 m. 55, 38, 57; entre G et D, l'espace de 80 m environ coupé par une tour
donnerait deux fois 38, plus la tour; il est difficile d'y voir seulement un effet du hasard et non
pas un souci de régularité tel qu'en ont souvent eu les architectes antiques, à l'opposé de
ceux du Moyen Age.
(2) On peut comparer la situation de cette tour avec celle des ouvrages extérieurs Nord-
Est et Nord à l'Acrocorinthe qui devaient répondre à la même nécessité, Corinth III 2,
p. 230 sq. et 234, pi. I, n·* 35 et 38.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 157

Au Sud elle est précédée de constructions très ruinées, où Ton peut


reconnaître un ouvrage avancé, sorte de vaste barbacane, utile de ce
côté par lequel on devait accéder au château : c'est une cour inférieure
qui enveloppe l'enceinte. A l'Est le mur suit cette dernière à une distance
d'une dizaine de mètres, et la rejoignait par un retour à angle droit ; il est
détruit au point où il venait s'appuyer à la courtine sur laquelle il n'a pas
laissé de traces d'arrachement; ce retour, épais seulement de 0 m. 90 et
percé d'une ouverture de 1 m. 30, une poterne sans doute, était surveillé
et défendu par cinq meurtrières pratiquées dans la partie supérieure du
mur de l'enceinte. L'entrée véritable devait se trouver au Sud-Est ; la
porte est détruite, mais c'est l'endroit où passe le sentier actuel ; tout près
un pan de maçonnerie épais (1 m. 70) faisant un angle droit avec le mur
semble bien être le vestige d'une tour qui défendait l'entrée ; le sentier,
un peu plus loin, passe près d'une petite citerne ronde, plutôt une sorte
de jarre enterrée (diamètre 0 m. 70) à laquelle un tuyau de terre-cuite
amenait l'eau. Les murs sont toujours faits d'un mélange de blocs antiques,
de matériaux plus petits et de briques; on se rend compte aux brèches
que la partie visible au-dessus du sol intérieur actuel, épaisse de 0 m. 80
à 90, n'est que le parapet qui couronne une muraille d'épaisseur normale,
et d'autre part qu'il n'y a pas traces de fondations antiques. Au Sud un
bâtiment de forme trapézoïdale a servi de citerne; les parois épaisses de
1 m. 17 et tout entières de petits matériaux — ce qui leur donne l'aspect
d'une construction plus récente que les parties où ont été remployés
des blocs antiques — sont revêtues de stuc rose. A 4 m. de là le mur dis-,
paraît; il ne reste plus rien de la barbacane de ce côté, et pas plus qu'à
l'Est on ne voit d'arrachement dans la paroi de la courtine. Cet ouvrage
est, on peut l'affirmer, de conception proprement médiévale et est venu
simplement s'appliquer sur la deuxième enceinte, peut-être après coup.
Nous arrivons à la dernière enceinte par le Sud-Est où devait se
trouver aussi l'unique porte ; bien que là encore à peu près tout soit
détruit, on peut distinguer un passage dont le côté Sud est marqué par
un talus qui se prolonge sur une longueur de 6 m. vers l'intérieur,
et un coin de mur garde encore un de ces vastes trous carrés où l'on
glissait la poutre de bois destinée à barrer la porte. La partie Sud de la
plate-forme est la plus vaste et la moins bien conservée. La courtine a
une assez grande unité, épaisse en moyenne de 1 m. 80 ; il semble qu'en
quelques points on puisse y retrouver des vestiges de la construction
hellénique; l'ensemble offre l'aspect souvent décrit déjà d'un appareil de
blocs antiques mêlés de petites pierres et de briques, auquel se super-
158 A. BON

pose dans les parties élevées une maçonnerie de matériaux plus petits.
Les seuls détails à relever sont de petits redans et les cinq meurtrières
percées dans l'épaisseur du mur Est, légèrement au Nord de l'ouvrage
extérieur; elles sont aujourd'hui en partie enterrées. Il ne reste rien du
parapet ni même du chemin de ronde, et les quelques vestiges à
l'intérieur ne permettent même pas une hypothèse sur les bâtiments.
La partie Nord est plus intéressante grâce à une meilleure
conservation, due peut-être à un soin plus grand dans la construction ; c'était le
dernier réduit de la place. L'épaisseur assez irrégulière de la courtine,
1 m. 45 à 2 m. 50, résulte surtout de réparations qu'on distingue
facilement sur le plan par des redans, sur les photographies par l'appareil de
matériaux plus petits (avec chaînages intérieurs de bois quelquefois) dans
lequel elles ont été faites et par le fruit donné au mur pour prévenir
de nouvelles brèches ; en certains points on s'est contenté pour
consolider le mur d'ajouter à la base un talus en maçonnerie (fig. 10). A l'Ouest
le mur, d'abord un peu plus mince en haut qu'en bas, parce qu'une
épaisseur de 0 m. 45 a été réservée pour un escalier à l'angle Sud-Ouest,
reprend vite son épaisseur normale de 1 m. 80; la base disparaît sous un
talus de maçonnerie très grossière ; une sorte de bretèche y a été
pratiquée plutôt pour l'évacuation des ordures que pour les besoins de la
défense (fig. 10). Au-delà le mur a été consolidé par l'application d'une
maçonnerie plus récente de matériaux petits abondamment couverts
d'un mortier solide, dont la face extérieure est légèrement oblique.
Signalons un peu plus loin une meurtrière — la seule — dont
l'embrasure couverte d'un linteau droit et large de 1 m. 10 se rétrécit au milieu
de l'épaisseur du mur à 0 m. 46 et se termine par une fente large de
0 m. 20.
Toute la pointe Nord est solidement construite dans l'appareil primitif
de gros blocs remployés, sauf dans la partie supérieure; mais le tracé
ne suit pas exactement le mur antique, car en deux points, tout à fait au
Nord et près de la bretèche, une ligne de blocs antiques en place
affleure en avant de l'enceinte actuelle. Du coté Est, à 6 m. de la pointe,
un décrochement du mur détache une sorte de bastion ou de tour (1) ;
celle-ci n'est pas pleine, mais était occupée par une petite chambre
longue de 3 m. 50, aujourd'hui en contrebas du niveau intérieur et dont
la voûte appareillée s'est écroulée ; un mur révélé par des traces d'arra-

(1) C'est la même disposition, en plus petit, qu'en A à la pointe Sud de la première
enceinte, si l'on ne tient pas compte du mur ajouté postérieurement à l'Est.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA. GRECE CENTRALE 159

chements dans la courtine Ouest fermait vers l'intérieur ce bastion.


Cette chambre devait primitivement s'ouvrir sur l'extérieur à ses deux

Fig. 11. — Bodonitsa : Nord-Est de la deuxième enceinte.

Fig. 12. — Bodonitsa. Tour flanquant le mur de refend du réduit.

extrémités : il y a en effet dans les murs extérieurs les traces de deux


baies murées qui par leurs dimensions (difficilement mesurables avec
exactitude) semblent être plutôt des poternes suspendues que de simples
160 A. BON

fenêtres (1). Une tour plus petite (3 m. 50 de front) et pleine est placée
tout près, ce qui rend plus plausible l'hypothèse d'un passage de secours
dans le bastion Nord qu'elle aurait surveillé. A l'Est le mur est
uniforme ; une réparation y fait seulement un petit redan (fig. 11).
Le réduit est séparé de la cour Sud par un mur simple flanqué en son
milieu d'une tour près de laquelle s'ouvre la porte. Sur la face
méridionale (fig. 12) on remarque l'abondance des blocs antiques remployés,
sans doute pour donner plus de solidité au parement extérieur dans les
points les plus exposés, aux coins de la tour par exemple, et l'usage de

Fig. 13. — Bodonitsa : Tour centrale et porte du réduit (face Nord);


au premier plan, citerne.

grandes briques plates disposées quelquefois très régulièrement autour


des pierres de taille, suivant le système cher aux Byzantins, en
particulier dans les parties hautes de la tour. Sur la face Nord au contraire
(fig. 13) n'apparaissent que de petits matériaux formant un blocage
solide où les pièces de bois de l'échafaudage ont laissé des trous ronds.
Le mur épais en moyenne de 1 m. 70 est conservé en certains points
jusqu'à plus de 5 m. de hauteur, jusqu'au chemin de ronde, mais rien ne
subsiste du parapet que l'arrachement contre la tour centrale, et il est

(1) Comparer des ouvertures analogues à Livadie, infra p. 197 et 199, peut-être à Salona,
p. 179.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 161

impossible de voir comment on parvenait en haut; à l'Est le haut est


plus mince de 0 m. 25 environ, en retraite sur la partie inférieure
suivant une ligne irrégulière, résultat sans doute d'une réparation. A
l'Ouest au contraire, côté de la porte, le mur est plus épais.
La tour, à peu près carrée (7 m. 40 sur la façade), interrompt le mur
qu'elle domine de la hauteur d'un étage ; une porte suspendue, large de
1 m. 35 sur 1 m.. 60 de haut, s'ouvre au Nord à 2 m. 20 du sol actuel
(fig. 13) ; elle était couverte d'un linteau droit fait de poutres de bois à
l'intérieur, les pierres qui l'encadraient à l'extérieur ont disparu ; elle
donne accès à une salle carrée (3 m. 10 sur 3 m. 35) ; des trous destinés
à recevoir la poutraison d'un plancher indiquent qu'il y avait deux étages
au-dessus (les murs sont, au niveau de chaque étage, légèrement en
retrait), le plus haut était éclairé par quatre fenêtres. Tout à côté à
l'Ouest, la porte du réduit, bien protégée par la tour, semble de petites
dimensions et d'une rude solidité, grâce aux blocs antiques dont elle est
encadrée (fig. 12) : l'ouverture est légèrement pyramidante : 1 m. 35 à la
base, 1 m. 25 en haut pour une hauteur de 1 m. 80 ; le linteau est un
bloc puissant (1 m. 88 sur 0 m. 65 de haut) porté par deux parastades :
celle de gauche est monolithe, celle de droite est faite d'un bloc un peu
plus court complété par une petite pierre ; autour du linteau court en
manière de décor une assise de briques placées de coin. Vers
l'intérieur le passage s'élargit, couvert toujours d'un linteau droit, mais qui
était fait ici de poutres de bois. La porte était comme toujours tenue
ferméo par une barre de bois dont le logement subsiste (1).
A l'intérieur du réduit, deux constructions détruites jusqu'au sol
gardent cependant un certain intérêt, car elles ont toutes deux des
chambres souterraines. Celle de l'Est comporte deux chambres de 4 m.
sur 6, couvertes chacune d'une voûte, celle de l'Ouest, une seule salle de
4 m. 60 sur 6, soigneusement stuquée; la voûte, renforcée dans la dernière
par un arc, était faite de petits blocs grossièrement appareillés : ce sont
des magasins et des citernes pour l'approvisionnement des défenseurs (2).

(1) W. Miller, J. H. S., XXVIII (1908), p. 245 sq., relève avec raison la description que
Buchon donne de cette porte (Grèce continentale et Morée\ p. 286) et qui, malgré son
apparente précision, est fantaisiste; on ne peut admettre que Buchon ait décrit une autre
porte, détruite depuis, l'appellation dont il se sert « porte intérieure » ne peut s'appliquer
qu'à celle dont il est question ici. Mais à notre avis, contrairement à l'opinion de W. Miller,
la construction ne peut être considérée comme antique, car le mortier est nettement visible
dans tous les joints, et pas seulement en surface ; de plus on ne retrouve pas dans les mars
voisins d'éléments antiques in situ : il serait surprenant que la porte fût restée seule debout.
(2) II ne reste rien de l'église où Buchon affirme avoir vu une fenêtre en ogive, non plus
IiCU, LXI (1937). 11
162 A. BON

Cet examen détaillé des ruines montre qu'il y a eu de nombreuses


réparations et reprises dans la construction. Cependant ces réparations,
pour nombreuses et variées qu'elles soient, ne semblent pas avoir
modifié profondément l'ensemble de la forteresse telle qu'elle a dû être
édifiée d'abord, ni même en avoir altéré sérieusement le détail; suivant
les besoins on a consolidé un pan de mur, obstrué une brèche, muré une
ouverture; le seul élément défensif où l'on puisse voir une addition
postérieure, est la barbacane qui précède la deuxième enceinte, peut-
être encore n'est-ce que l'extrémité Sud qui en a été reconstruite. Bodo-
nitsa a donc reçu un système de fortifications complet à une certaine
époque, et cet ensemble a été entretenu régulièrement jusqu'au moment
de l'abandon qui doit être déjà ancien à en juger par l'état des ruines.
Cet ensemble comportait une première enceinte, vaste, protégeant
sans doute le village, ou offrant en cas d'alerte un refuge à la population.
C'est un élément constant dans les forteresses médiévales de quelque
importance; cependant ici il n'oifre pas d'intérêt pour l'étude de l'art
militaire du Moyen Age, puisqu'on s'est contenté de reconstruire le mur
antique avec ses tours, et que tous les détails de la porte et du
couronnement ont disparu. Le second élément, la citadelle, est de conception
plus proprement médiévale avec sa barbacane, sa première cour et son
réduit où une tour carrée fait figure de donjon ; mais ce qui frappe là,
c'est la simplicité de la fortification ; elle se réduit à une courtine unie — ,
sauf au Nord : on ne peut rien imaginer de plus simple, de plus primitif
comme système de défense. Il est vrai que, comme à la première
enceinte, tous les détails, si importants pour donner à l'ensemble un
aspect caractéristique plus facilement datable, créneaux, portes et
fenêtres des bâtiments, sont ruinés : il est donc impossible de trouver
dans le monument même des éléments utiles pour le dater,
II faut faire appel à l'histoire pour savoir quelles sont les époques qui

que du « conduit en briques » qui aurait amené l'eau d'une source voisine, ce qui nous
paraît bien invraisemblable, ou tout au moins exceptionnel dans une construction de
l'époque franque, car rien ne permet d'attribuer les citernes que nous avons \ues à une
autre période, en particulier à celle de Justinien que suggère Buchon (op. 1., p. 286). Les
décors sculptés sur certaines pierres de l'église actuelle dans le village nous paraissent non
pas provenir de constructions antérieures, mais bien être modernes comme l'église, quoi
qu'en pense W. Miller, 1. 1., p. 246 sq. — Nous n'avons pas eu l'occasion d'apprendre si le
couvent du Prodromos où, selon Stadtmuller, cf. supra, p. 149, n. 3, Michel Choniate
aurait passé les dernières années de sa vie de 1217 à 1222, existait encore dans le voisinage
de Mendinitsa : nous n'en avons trouvé mention sur aucune carte.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 163

ont pu voir élever ou abandonner ces fortifications : nous avons dit que
celle où il était le plus vraisemblable qu'on eût construit un château était
la première moitié du χΐπθ siècle; aucun texte n'en mentionne un
auparavant, et nous avons insisté sur la nécessité de fortifier ce passage
après 1222, nécessité révélée d'ailleurs par une lettre d'Honorius III. Il
faut donc admettre que la forteresse de Bodonitsa est l'œuvre des
Francs. Si le plan ne diffère pas du plan habituel des constructions
militaires de cette époque, l'appareil des murs caractérisé par le remploi de
blocs antiques est différent du blocage de petites pierres irrégulières
mêlées de fragments de tuiles qui est le plus fréquemment employé par
les Francs et dont Sidérokastro et Gravia donnent de bons exemples. La
conclusion à tirer de cette constatation est non pas que Bodonitsa date
d'une autre époque, mais simplement que les Francs ont pour chaque
forteresse tiré parti de ce qu'ils trouvaient sur place. Ici les murs de
Pharygai offraient des matériaux tout prêts, dont il était naturel de se
servir; pour que les Francs en fissent autrement et gardassent partout
les mêmes modes de construction et de fortification, il leur aurait fallu
avoir avec eux des ingénieurs et des maîtres d'œuvre ayant leurs
habitudes et leurs principes, ce qui n'est pas vraisemblable surtout dans les
premières années de la conquête. Aussi leurs châteaux ont-ils été
construits avec les ressources locales : à Bodonitsa il y avait des pierres
antiques, et ce sont des ouvriers grecs qui ont dû les assembler en y
intercalant quelquefois, suivant la mode byzantine, de grandes briques
plates faisant décor, comme sur la tour centrale et autour de la dernière
porte ; il n'est pas nécessaire de supposer que ces parties aient été
construites en période byzantine avant 1204-5.
La forteresse a toujours servi jusqu'au moment où les Turcs la prirent,
cette continuité fut assurée par des réparations successives, que nous
avons constatées. Mais nous avons constaté aussi qu'elle avait été
abandonnée depuis longtemps, sans doute depuis le xvie siècle ; car elle n'a
plus d'utilité pour les Turcs, et le pays n'est pas assez riche ni peuplé
pour qu'elle servît de résidence à un fonctionnaire turc et reçût une
garnison. Mais si ces nouveaux maîtres n'ont pas occupé ces murs, il
est légitime de penser qu'ils ont pris des précautions pour les rendre
inutilisables ; la destruction de toutes les portes — à l'exception de celle
du réduit, — est trop complète pour ne pas paraître systématique : elle
peut être le fait des dégâts subis pendant le dernier siège, mais elle est
plus probablement le résultat du démantèlement par les Turcs d'une
forteresse devenue sans objet.
164 A. BON

Amphissa — Salona.

Amphissa a joué un rôle assez important dans l'antiquité pour qu'il soit
inutile de le rappeler ici. Ayant retrouvé son nom antique oublié au
Moyen Age, elle étale aujourd'hui ses maisons pittoresques au pied et
Sur le versant Sud et Est du rocher qui porte les ruines de l'acropole
hellénique et du château médiéval; ce rocher se dresse, brusque et rude
au-dessus du moutonnement des oliviers, à l'extrémité Nord-Ouest de
l'ancienne Plaine Sacrée, dernier contrefort de la puissante chaîne de
montagnes qui le domine à l'Ouest et qui atteint 2.512 m. au Mont Kiona.
C'est là, avons-nous dit, que passe la route qui vient du Nord par le défilé
de Gravia et par un col élevé entre les masses montagneuses du Parnasse
et du Kiona, route dont l'importance stratégique a été remise en lumière
au cours de la Grande Guerre ; aujourd'hui comme au Moyen Age, c'est
le passage le plus direct du Péloponnèse et du golfe de Corinthe vers la
Grèce du Nord et Salonique. Amphissa en garde le débouché dans la
plaine qui s'ouvre largement au Sud vers la baie d'Itéa, sur le golfe de
Gorinthe. Rasée par Philippe de Macédoine exécuteur des sanctions de
l'amphictionie delphique, elle se releva de ses ruines, mais fut de
nouveau détruite au début du Moyen Age par les invasions bulgares et
slaves. Cependant le site ne fut pas définitivement abandonné.
Quand Boniface de Montferrat, roi de Salonique, occupa la Grèce
centrale, il donna en fief la région de la Phocide à l'un de ses compagnons
que l'on a pu identifier avec un chevalier du Laonnois, Thomas d'Autre-
mencourl (1) ; celui-ci fixa sa résidence et établit son château là où avait été
Amphissa que l'on appelle désormais Salona. Deux questions se posent :
qu'y a-t-il eu en ce lieu entre la disparition d'Amphissa et le moment où son
héritière apparaît dans l'histoire? — et d'où vient ce nom nouveau ?
Il paraît peu probable qu'entre le vine et le xme siècle le site soit
resté inoccupé : la plaine est trop fertile pour n'avoir pas retenu la
population, et si le site avait été tout à fait abandonné, on peut se
demander si Thomas d'Autremencourt l'eût choisi. Mais le nom antique encore

(1) Et non Stromoncourt, comme on l'a répété longtemps après Buchon et Hopf. Sur ce
personnage et sur l'histoire de Salona pendant la domination française (1205-1311) nous
renvoyons à l'étude définitive de M. J. Longnon, à paraître dans les Mémoires de la Société
historique et archéologique de la Haute-Picardie ; l'auteur a bien voulu nous en communiquer
le manuscrit, ce dont nous lui exprimons ici notre bien vive reconnaissance.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 165

cité par Constantin Porphyrogénète a complètement disparu au xme siècle,


ce qui laisse supposer au moins un changement de population ;
malheureusement l'origine du nom médiéval reste tout à fait obscure, les
différentes hypothèses proposées étant également peu satisfaisantes (1). Ce
qui peut être considéré comme sûr, c'est que le nom n'est pas dû aux
Francs qui l'appelèrent La Sole, et que sous cette appellation la ville
prit une importance beaucoup plus grande; son maître, Thomas Ier,
portait le titre de seigneur (αφέντης) et dépendait du roi de Salonique ; quand
le royaume s'effondra, à Salona comme à Bodonitsa incomba la mission
de défendre les possessions franques contre les Grecs du Nord et de
l'Ouest et c'est pourquoi le Pape Honorais III, en 1223, invita Thomas II
à élever des fortifications (2). La suzeraineté passe d'abord au seigneur
d'Athènes, puis au prince de Morée qui la réclama, non sans rencontrer
de résistance; en 1 258, en effet, Thomas II lit cause commune avec Guy
de la Roche, seigneur d'Athènes, dans son relus de rendre hommage au
prince Guillaume II.
Salona resta durant un peu plus d'un siècle au pouvoir des Autremen-
court, dont le nom s'efface devant celui de La Sole ; nous ne savons à
peu près rien de cette époque où se succèdent Thomas Ier, Thomas II,
Guillaume et Thomas III ; leur généalogie môme reste incertaine. C'est le
dernier de la lignée qui est aussi le mieux connu; sa puissance devait
être grande, car il joua un rôle important et, pour ne donner qu'un
exemple, au début du xive siècle, il pouvait amener au duc d'Athènes un
contingent de cent chevaliers, d'après la Chronique de Morée (§ 892).
Comme pour Livadie, Thèbes et Athènes, ce furent les routiers
Catalans qui enlevèrent ce tief aux descendants des Croisés, après leur victoire
du Copaïs en 1311. Il est possible que Salona ait tenté de résister aux
vainqueurs; quant à Thomas III, bien qu'aucun texte ne le rapporte, on
peut admettre qu'il y périt ; on ne nous parle plus en effet que de sa

(1) La Chronique de Galaxidi, éd. Sathas,p. 201, cf. p. 64, fait venir le nom du titre de Boniface
de Montferrat, roi de Salonique, considéré comme son second fondateur. Bien qu'admise par
W. Miller, The Latins in the Levant, p. 33 sq., cette étymologie est bien peu vraisemblable ;
il est difficile d'admettre que le nom de Salona, toujours employé en latin et en grec (Σάλωνα,
gén. Σαλώνου ou Σάλωνος) ait été donné par les nouveaux occupants français, puisque ceux-ci
ont toujours appelé la ville La Sole (La Sola dans la version aragonaïse de la Chronique de
Morée). D'après la forme du mot on ne peut songer à une origine slave, d'autant plus que
les Slaves ont modifié le nom d'une autre Salona, près de Split en Dalmatie, pour en faire
Solin. On pourrait encore se demander si précisément il n'y a pas un rapport entre notre
Salona grecque et la Salona dalmate ; mais rien ne permet d'étayer une telle hypothèse.
(2) Cf. supra, p. 138.
166 A. BON

veuve ; celle-ci devint la femme du nouveau maître de La Sole, un


seigneur roussillonnais, Roger Deslaurs, que les Catalans avaient choisi
pour chef et qui obtint le titre de comte. A sa mort qui survint avant
1335, le comté passa à la famille d'Alphonse Frédéric d'Aragon, fils bâtard
du roi Frédéric d'Aragon, venu comme son vicaire-général à Athènes ;
nous ne savons d'ailleurs pourquoi Salonalui revint, car rien ne confirme
l'hypothèse de Hopf (1) que le nouveau comte fût le gendre de Roger
Deslaurs. Cette famille considérable, qui fournit trois vicaires-généraux,
Alphonse Frédéric, son troisième fils Jaime et son petit-fils Louis, garda
Salona jusqu'à l'arrivée des Turcs. Les comtes catalans possédaient, comme
sans doute déjà les Autremencourt, les ports de Vitrinitsa et de Gala-
xidi, mais aussi le titre de seigneurs de Lidoriki, et occupèrent plus tard
vers le Nord Sidérokastro (2) et Zeitun (Lamia). A Alphonse Frédéric
succédèrent ses fils Pierre, puis Jaime. Le fils de ce dernier prit à son
tour les titres de comte et de vicaire-général. Il eut à défendre son fief
contre lesNavarrais qu'il réussit à repousser en mai 1382; mais une mort
prématurée ne lui permit pas de survivre à ce succès. Le comté de Salona
revint alors à sa fille Marie-Frédéric qui, trop jeune, laissa le pouvoir à
sa mère, une princesse grecque, Hélène Cantacuzène. La comtesse
douairière, d'accord avec le roi d'Aragon Pierre III, projeta de la marier
au fils du nouveau vicaire-général Roccaberti, Bernaduch, pour assurer
la défense des possessions que menaçait désormais le Florentin Nerio
Acciajuoli installé à Corinthe. Comme le mariage tardait à se réaliser,
elle préféra comme mari pour sa fille, à Bernaduch absent, un autre noble
catalan Mathieu de Moncada. Mais la domination catalane touche à sa fin,
malgré l'énergie de la comtesse attaquée à la fois par les Acciajuoli déjà
maîtres d'Athènes, et les Turcs conduits par Bajazet; elle disparaît en
1394 dans des circonstances tragi-comiques déjà souvent racontées, où
la mère et la fille trouvèrent une fin lamentable. Hélène Cantacuzène,
très bienveillante en général pour le clergé orthodoxe, avait pris pour
amant un prêtre qu'elle laissait gouverner en son nom ; mais celui-ci
abusa de son pouvoir et en profita pour se livrer à des exactions sur les
bergers du Parnasse, et pour séduire les filles de Kastri (Delphes) par
des incantations magiques; en dernier lien il convoita la fille et la fortune
de l'évêque grec Séraphim, mais celui-ci préféra appeler les Turcs qui

(1) Chroniques gréco-romanes , p. 474. Sur la domination catalane, voir A. Rubio y Lluch,
Anuari.., 1908, p. 413-425 et 1913-14, p. 464 sqq.
(2) Cf. supra p.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GREGE CENTRALE 167

délivrèrent la jeune fille, et, aidés par une partie de la garnison révoltée
contre le tyran, s'emparèrent du château. La comtesse douairière fut
livrée à la soldatesque et sa fille enfermée dans le harem de Bnjazet, ou
mise à mort par lui comme indigne d'y entrer, selon une autre tradition.
Pour la première fois un gouverneur turc était établi sur les côtes· du
golfe de Corinthe.
La mort de Bajazet en 1402 fit naître l'espoir de reprendre Salona aux
Turcs. Les chevaliers de Saint-Jean firent une tentative pour l'occuper ; le
sultan avait autorisé Théodore Ier Paléologue, héritier des droits de la
comtesse Marie, à leur céder Salona; mais cette tentative rencontra
l'hostilité du clergé orthodoxe et n'aboutit pas. Le pays resta turc pour plus
de quatre siècles.
L'histoire de Salona se résume donc facilement : 106 ans d'occupation
française, 83 ans de domination catalane, puis la longue période turque.
Les murs de l'acropole antique avaient peut-être été réparés par les
Byzantins, après les invasions bulgares et slaves. Mais une nouvelle ère
de construction a commencé avec l'arrivée des Croisés : c'est lasbelle
période de la forteresse que le xnr3 et le χΐνθ siècle ; comme pour Bodo-
nitsa la date de 1222 est capitale pour l'histoire des fortifications qui
subsistent naturellement pendant toute la période catalane : en 1382 les
Navarrais ne peuvent prendre la forteresse d'assaut, et c'est par trahison
que les Turcs s'en sont rendus maîtres. Pour les Turcs, cette forteresse
comme toutes les autres, a beaucoup moins d'importance que pour leurs
prédécesseurs; cependant Salona étant une ville assez importante et le
centre d'une région riche et peuplée, il est probable qu'ils y maintinrent
une garnison jusqu'au xixe siècle.
*
* *
La vue générale d'Amphissa donne une bonne idée de l'assiette du
château (pi. XVI, 1) : les ruines se dressent sur le rocher qui tombe à pic
à l'Est, et occupent une plate-forme qui s'incline en pente douce vers le
Sud-Ouest, en pente plus forte vers le Sud-Est (pi. XVI, 2). De la ville on
monte soit par un chemin en lacets sur le versant Sud-Est, soit par une
route plus commode qui s'élève en éeharpe et va passer à la pointe
occidentale de l'enceinte, où la plateforme se soude au versant qui monte
vers l'Ouest. C'est au Nord-Est, au point le plus élevé, qu'étaient
accumulées les fortifications les plus solides et que sont les ruines les plus
imposantes. De là-haut la vue s'étend sur la plaine fertile qui, entre les
dernières pentes rocheuses du Parnasse et du Kiona, s'en va vers le Sud-
Est, vers la baie d'Itéa, qui reste cachée.
168 A. BON

Les ruines sont complexes et, nous le verrons, souvent d'interprétation


difficile. On peut y distinguer deux parties (pi. XX) : le réduit au Nord-
Est, au J»ord du rocher, et accolée au Sud-Ouest une basse-cour de forme
irrégulière, approximativement triangulaire dont le sommet est tourné
vers l'Ouest, à quoi il faut ajouter différents vestiges dispersés sur un
périmètre beaucoup plus vaste au Nord et à l'Est. Gomme à Bodonitsa, et
comme on peut s'y attendre sur un site occupé dès l'antiquité par une
population nombreuse, les restes antiques sont assez importants. Aussi
retrouverons-nous ici trois modes de construire nettement distincts,
pouvant d'ailleurs offrir chacun plusieurs variétés : a) l'appareil antique de

Fit;. 14. — Mur antique à Amphissa.

grands blocs assemblés sans mortier; — b) l'appareil médiéval fait de


blocs remployés et calés à l'aide de petites pierres et de briques, le tout
lié au mortier; — c) enfin le blocage habituel des constructions du Moyen
Age où de petites pierres irrégulières et des fragments de tuiles sont
noyés dans un mortier abondant.
Nous décrirons rapidement les éléments les plus excentriques des
fortifications. Au Nord trois pans de mur antiques sur la bordure d'une
olivette se succèdent dans la direction d'un mamelon qui occupe
l'extrémité de la plate-forme portant le château, et où l'on retrouve encore
quelques blocs antiques dispersés : il n'y a pas trace de ce côté de
réfection médiévale. En descendant de là vers l'Est le versant assez raide
couvert de champs enterrasses, on rencontre une ruine imposante où la
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 169

maçonnerie médiévale repose sur les assises antiques : comme la pente


est très forte, la muraille descend par degrés successifs. Plus bas où la
pente devient plus douce, le mur s'est conservé sur une assez grande
longueur : les maisons qui ont été construites dessus, les jardins qui
l'entourent en rendent l'examen particulièrement laborieux : c'est un bel
appareil hellénique à joints légèrement obliques, avec quelques
décrochements (fig. 14) flanqué d'une tour demi-ronde ; on ne peut en
apprécier l'épaisseur (2 m. environ) que dans la partie inférieure; le Moyen
Age n'y a ajouté que peu de chose. Nous avons encore porté sur le plan
un mur orienté Nord-Sud, fait d'une maçonnerie où entrent quelques blocs
antiques et qui sert aujourd'hui simplement de soutènement à des jardins
et des champs en terrasse ; mais il est puissant et flanqué lui aussi d'une
tour demi-circulaire, ce qui laisse supposer qu'il a eu une autre
destination. D'autres vestiges enfin peuvent être signalés au Nord-Est du
château : ce sont des terrasses ou bastions isolés, certainement non
antiques.
Il est donc possible qu'on ait construit au Moyen Age une ligne de
fortification extérieure, en se servant d'une partie de la vaste enceinte de
l'antique Amphissa ; mais il reste trop peu de chose pour qu'on puisse
rien affirmer ni restituer de l'ensemble.
Si l'on monte par la route, on atteint l'enceinte de la basse-cour, que
nous appellerons première enceinte, à la pointe Sud-Ouest, après être
passé le long et au-dessus du mur Sud ; pour entrer il faut contourner
cette pointe, puis longer sur une soixantaine de mètres la muraille
flanquée d'une grosse tour : l'arrivant exposait sur tout ce parcours son
flanc droit aux défenseurs. La porte (C), située habilement dans un angle
rentrant, est ruinée ; c'était un passage de 2 m. 15 sur 4 m. 20 de long
entre les murs faisant retour sur 2 m. 85 au Nord, 2 m. 20 au Sud ; on ne
peut se rendre compte de la manière dont il était couvert, ni fermé ; on
remarque seulement au côté Sud une rainure de 0 m. 40 de large et de
0 m. 35 de profondeur sur 2 m. 50 de haut (1). Cette entrée a-t-elle été
précédée d'un ouvrage extérieur? C'est probable, car un mur beaucoup
plus mince (0 m. 70) en petits matériaux se détache du mur Nord, le
suit à une distance de 5 m. environ, puis fait un angle pour s'aligner sur
le mur Sud; percé de meurtrières, il était certainement destiné à
protéger l'entrée et limitait une cour extérieure dont la porte qui a complète-

il) Ce détail a été remarqué par Buchon, op. 1., p. 257, qui parle des « vestiges d'une
porte-coulisse »,
170 A. BON

Fig. 15. — Château de Salona. Mur Nord de la basse-cour, face intérieure.

, . t '

Fig. 16. — Salona : tour près de l'entrée.


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 171

ment disparu se place logiquement au pied de la grosse tour du mur


Sud ; bas et mince, très différent de l'enceinte, il doit être relativement
récent (pi. XVII, 1 au centre). Il existe un autre fragment de mur, formant
un angle de 12 m. sur 15 à une quarantaine de mètres à lOuest de
l'entrée ; au contraire du précédent, il est fait d'énormes blocs antiques
remployés (pi. XVII, 1 à gauche), mais son isolement rend difficile de
proposer une restitution de l'ouvrage auquel il a appartenu.
L'ensemble de la première enceinte peut être décrit en trois tronçons :
le Nord-Ouest (A à C), l'extrémité Sud-Ouest (C à D) et le côté Sud-Est
(D à F), le côté Nord-Est étant fermé par la seconde enceinte. Au Nord-
Ouest où le terrain est à peu près plat, s'étend un mur droit,
exceptionnellement épais (3 m. 20) et très haut (plus de 8 m. en certains points). La
masse tout entière en est de blocage de petites pierres ; vers l'Est la face
extérieure s'est écroulée, sans doute par suite d'un tremblement de terre,
sans entraîner la ruine complète ; et c'est probablement pour limiter les
dégâts des secousses sismiques que la construction n'est pas homogène,
mais semble faite de panneaux juxtaposés et indépendants (fig. 15) au
moins du côté intérieur. A son extrémité Nord-Est (A), le mur s'arrête
brusquement coupé par un autre perpendiculaire et plus haut, laissant
jusqu'à la seconde enceinte un passage de 5 m. 50 (fig. 20 à gauche) : c'est
beaucoup trop pour une porte, et dans l'état actuel rien ne laisse deviner
comment il était fermé ; un amas de pierres croulantes l'obstrue
grossièrement. Il y avait probablement une issue dont le dispositif nous
échappe, et à laquelle correspond sans doute une petite ouverture à la
base du mur de la seconde enceinte que nous décrirons plus bas. Vers
l'Ouest, une rampe pavée large de 2 m. 75 s'élève jusqu'à une
plateforme (B) située à l'extrémité de ce pan de mur, au niveau du chemin de
ronde; la ruine de certaines parties de la plate-forme laisse voir la
maçonnerie de petites pierres et de fragments de briques dans laquelle sont
noyées des poutres de bois; ce n'est qu'au coin et à la base du mur
Ouest qu'apparaissent des blocs antiques remployés. Le parapet est arasé
sur toute la longueur du mur, mais sur la plateforme, au Nord, il en
subsiste un pan haut de 1 m. 80 ; il n'est pas crénelé, mais il est percé de
deux meurtrières non plongeantes, analogues à celles du petit mur en
avant de la porte G. Toutes ces caractéristiques conduisent à penser que
cette portion de l'enceinte est de construction plus récente; les
dimensions du mur s'expliquent par l'absence de défenses naturelles de ce côté;
mais la plateforme avec sa rampe n'a d'utilité, semble-t-il, que pour des
pièces d'artillerie, d'ailleurs légères et peu encombrantes, et le parapet
172 A. BON

Fig. 17. — Salona : détail des murs antiques entre G et D.

Fig. 18. — Salona : pointe Ouest du château.


FORTERESSE S MÉDIÉVALES DE LA GRECE CENTRALE 173

non crénelé est surtout adapté à l'usage des armes à feu; on ne peut
malheureusement savoir s'il y avait une embrasure à canon, la plus
grande partie du parapet étant détruite; nous croyons cependant qu'on
peut admettre comme date de construction l'époque du début de l'emploi
des armes à feu : à une époque plus récente, on n'eût pas élevé un mur
si haut.
La partie Sud-Ouest de l'enceinte frappe par l'abondance de
matériaux antiques, remployés ou in situ. Dans le mur où est percée la porte G>
les blocs sont remployés et liés au mortier; mais sur une longueur de
plus de 50 mètres, de C jusqu'au bastion de la pointe D, la construction
antique est restée en place ; jusqu'au redan qui précède ce bastion, y
compris la saillie d'une tour de 12 m. 50 de façade sur 5 m. 50 de côté, se
sont conservées les assises isodomes (hauteur 0 m. 70 à 75, un peu
moindre pour les plus élevées) d'un magnifique appareil hellénique (pi. XVII,
1, fig. 16 et 17); on peut en compter 9 dont 7 presque partout visibles ;
les joints, quelquefois légèrement obliques, sont régulièrement
contrariés ; les assises de carreaux alternent avec d'autres où un bloc sur trois
forme parpaing ; l'épaisseur totale est de 2 mètres, comme pour le mur
signalé au Nord en dehors de la forteresse ; la surface présente un
bossage régulier marqué de stries verticales, les coins sont ciselés d'un
double refend. Au-delà du redan, ce système fait place à un appareil
polygonal à joints courbes très soigné intimement assemblé avec ce qui
précède (fig. 17) ; les blocs y sont souvent énormes, — l'un d'eux mesure
1 m. 20 sur 1 m. 60. — finement piquetés et appareillés avec autant de
précision qu'au fameux mur polygonal de Delphes; mais cet appareil s'est
moins bien conservé, la hauteur en est moindre que celle de l'appareil
régulier, et il disparaît très vite, pour réapparaître dans le côté Sud de
l'enceinte ; là aussi il n'est conservé que sur quelques mètres et fait place
ensuite au système régulier (fig. 18). Il semblerait donc que ce mode de
bâtir avait été employé simultanément avec l'autre et était réservé à la
pointe. Aujourd'hui celle-ci (D) date tout entière du Moyen Age : la base
est faite de blocs remployés quadrangulaires ou polygonaux, et la partie
supérieure est de blocage, comme ailleurs où le mur antique s'est bien
conservé; aux angles seuls on a utilisé jusqu'en haut de beaux carreaux.
Le tracé semble dessiner un bastion, mais le saillant, d'ailleurs faible,
peut être aussi bien le résultat d'une réparation.
Le sol à l'intérieur est à peu près au niveau de la 8e assise de
l'appareil régulier, donc très au-dessus du sol extérieur; cet exhaussement
ne peut s'expliquer que par la ruine de bâtiments. L'un au moins se
174 A. BON

Fig. 19. — Salona : vue intérieure de la tour près de l'entrée.

Fig. 20. — Salona : la deuxième enceinte vue de l'Ouest (partie Nord).


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 175

reconnaît bien : sur la tour antique s'élèvent au Nord et à l'Est des murs
correspondant à deux étages : en retrait de 0 m. 20 sur les assises
helléniques, et épais de 1 m. 40 à 1 m. 50 ils sont percés d'étroites ouvertures,
4 sur la façade, 2 sur le côté Est (fig. 19) ; elles ont la forme d'archères,
larges de 1 m. 10 vers l'intérieur et se rétrécissant vers l'extérieur en
une fente mince ; les embrasures sont couvertes d'une voûte peu soignée
qui devait se terminer par un arc mieux appareillé légèrement brisé ; il a
malheureusement été arraché; sans doute ce bâtiment, à la fois caserne
et corps de garde, surveillait-il l'entrée de la forteresse (1). L'ensemble
s'élève encore aujourd'hui à plus de 13 mètres au-dessus du sol extérieur,
mais il ne reste rien de la couverture ni du couronnement. La pointe
Ouest (D) devait se terminer par un massif plein.
Dans la partie Sud-Est de la basse-cour, le terrain s'abaisse assez
rapidement. Ici le mur dépasse rarement le niveau intérieur ; seul un parapet
devait protéger les défenseurs, et presque partout il est arasé; vers
l'extérieur le mur formant soutènement peut atteindre une dizaine de
mètres de hauteur, mais sous la poussée des terres il a cédé en plus d'un
point. Le tracé suit d'abord la direction de l'Est jusqu'à une sorte de
bastion E, de là remonte au Nord-Ouest sur une trentaine de mètres,
puis, faisant un nouvel angle, rejoint par une ligne assez compliquée le
coin Sud de la seconde enceinte (F). La présence fréquente d'assises
d'appareil hellénique atteste que l'on suit le tracé antique ; c'est surtout
au bastion Sud que l'appareil ancien s'est conservé, il est un peu moins
régulier avec des joints souvent obliques et des décrochements ; à l'Est
une ouverture a été murée. Le mur médiéval est épais d'environ 2 mètres,
probablement comme le mur antique ; le parapet qui dépasse seul
(0 m. 70 à 75) n'est conservé que par places et sur une faible hauteur;
dans le tronçon orienté Sud-Est — Nord-Ouest, au Nord de E, il atteint
1 m. 20, n'est pas crénelé et garde la partie inférieure de 2 meurtrières
non plongeantes. Dans un redan a été pratiqué un passage moderne où

(1) A Rubio y Lluch, Anuari..., 1908, p. 415, considère cette construction comme une
église, construite sur une crypte et entourée de plusieurs autres bâtiments : il n'y a trace
d'aucun de ces éléments, et rien dans la construction sur la tour antique ne permet d'affirmer
qu'elle a été une église; il est λ rai que cette description semble s'inspirer plus de celle de
Buchon (op. 1. p. 257) sur laquelle nous reviendrons plus bas, p. 184, que de la réalité;
Buchon situe l'église avec sa crypte, la chapelle byzantine et le sacellum(?) « à l'intérieur
des murailles », expression vague, mais dont la meilleure interprétation, à notre avis, serait
« dans la dernière enceinte », car c'est là seulement qu'il reste des ruines suffisantes; en
tout cas il y a certainement erreur ou confusion dans la description de A. Rubio y Lluch,
ces bâtiments n'ont pas pu complètement disparaître en moins de 30 ans.
176 A. BON

Fig. 21. — Salona : porte de la deuxième enceinte.

Fig. 22. — Salona : porte de la deuxième euceinte (intérieur).


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 177

aboutit le sentier en lacets qui vient de la ville; rien ne prouve qu'il y


ait eu là autrefois une issue. Le mur de la première enceinte vient se
souder à celui de la seconde qui le domine de plus de 7 m. 50.
La seconde enceinte, longue de 115 mètres du Sud-Est au Nord-Ouest
sur une largeur qui n'atteint pas 40 mètres, présente une muraille
imposante à l'Ouest et au Nord, tandis que sur les autres côtés, elle n'a qu'un
mur beaucoup plus faible suspendu au-dessus des rochers à pic.
L'intérieur est encombré de ruines considérables.
Le mur Ouest, d'une épaisseur moyenne de 2 mètres, est composé de
deux parements de blocs antiques à bossage et à stries verticales et
présente un léger fruit, ce qui lui donne un aspect très robuste. Les
matériaux, calés avec de petites pierres et des morceaux de tuiles, sont liés
d'un mortier solide, mais l'assemblage est loin d'être parfait, les joints
se correspondent souvent, et tout un pan du parement extérieur s'est
écroulé vers le Nord (fig. 20). Aux angles cependant on a mis plus de
soin, et l'on a même essayé de réunir les blocs qui présentent le double
refend ciselé (fig. 21) ; en aucun point il ne nous a paru possible d'admettre
que les éléments antiques fussent en place, ni de voir si le mur actuel
reposait sur des fondations antérieures. Le couronnement est
généralement en blocage, un peu plus étroit que le reste du mur. Le tracé
est simple : dans la partie Sud un redan de 2 m. 27 semble destiné à
mieux assurer la défense de la porte ; celle-ci est une ouverture très
simple large de 1 m. 66 (à peine plus étroite en haut) haute de 2 m. 80, dans
le mur épais à cet endroit de 2 m. 75 ; à l'extérieur elle est encadrée de
chaque côté par deux grands blocs, et en haut par un linteau droit ; à
l'intérieur le passage est couvert de dalles posées sur deux assises en
encorbellement (fig. 21 et 22). On remarque au-dessus du linteau une
petite croix formée par quatre morceaux de tuiles noyés dans du mortier,
cantonnée de quatre points en brique; une autre croix est gravée à la
pointe, de façon maladroite sur un des blocs de l'autre côté du mur, à
droite de la porte en entrant (1).
La partie Nord-Ouest est beaucoup plus complexe. Un peu au Sud du
point où arrive la première enceinte (A), la muraille devient beaucoup
plus épaisse et plus haute : elle domine d'au moins 2 mètres la partie la
plus élevée du mur que nous venons de décrire, et mesure près de
4 m. 50 d'épaisseur au couronnement, dont près de moitié occupé par un

(1) Les branches ont 0 m. 19 de long, sauf celle d'en haut qui n'a que 0 m. 06 et chacune
est arrêtée par un petit trait perpendiculaire.
BCH, LXI (1937). 12
178 À. BON

Fig. 23. — Salona : ouverture dans le mur Ouest du réduit.

Fig. 24. — Salona : le château vu du Nord-Est.


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 179

parapet qui fait retour au Sud. Elle garde le même aspect extérieur,
particulièrement soigné, et les blocs antiques s'élèvent ici jusqu'en haut.
Nous avons déjà signalé à la base du mur une petite ouverture dont le
haut seul est dégagé ; large de 0 m. 75 à l'extérieur, de 1 m. 40 à
l'intérieur, tout à fait semblable pour la construction à la porte de la deuxième
enceinte (fig. 23), elle est trop grande et placée trop bas pour une fenêtre ;
ce doit être un passage dérobé comparable à celui qui a été muré au
bastion Nord à Bodonitsa, et dont il y a d'autres exemples à Livadie.
Le puissant mur de blocs antiques disposés en assises à peu près
régulières, dont chacune est un peu en retrait sur la précédente, se poursuit
sur le côté Nord, puis à l'Est jusqu'à 6 mètres du coin, et s'interrompt
brusquement (fig. 24) ; un mur de blocage plus bas et épais seulement
de 1 m. 25 le continue sur un peu plus de 13 mètres, pour faire place
ensuite à un simple parapet suffisant au-dessus des rochers. La partie la
plus soignée est le côté Est; aux angles ont été placés beaucoup de blocs
à refends ciselés; mais le côté Nord est le plus curieux, il est coupé par
une tour ronde d'aspect très différent et qui en est complètement
indépendante : placée dans un angle rentrant très ouvert, elle fait une saillie
de moins d'un demi mètre (fig. 25). A l'intérieur on se rend très bien
compte de la forme de cette tour, malgré une brèche au Sud ; elle mesure
7 mètres de diamètre, les murs, de 2 mètres d'épaisseur, gardent au
sommet l'amorce d'un parapet de 0 m. 40. Elle a la même hauteur que le
mur fait de blocs antiques où elle se trouve prise ; le tout forme une vaste
terrasse de 6 mètres sur 15, entourée d'un parapet de 0 m. 50 à l'Ouest
et au Nord, de 0 m. 95 à l'angle Nord- Est où devait être une petite
chambre.
Une tour analogue, mais plus vaste et tout à fait isolée, se dresse à
16 mètres au Sud-Est (diamètre : 9 mètres ; épaisseur des murs : 1 m. 90) ;
un pan seul demeure, bien qu'on ait pris soin d'assurer une base solide
par un épaississement du mur (fig. 26 et 27). A l'intérieur un plancher
était fixé à la hauteur du premier étage où une ouverture était percée au
Sud; il n'en reste qu'un côté, ce qui ne laisse pas voir s'il s'agit d'une
porte suspendue ou d'une fenêtre. Aucun élément antique ici : c'est un
blocage de pierres grossièrement taillées, de fragments de tuiles, liés
d'un mortier abondant où le gravier est mêlé de débris de briques ; les
poutres de l'échafaudage y ont laissé des trous réguliers et ronds. La
maçonnerie de la tour Nord est différente : pierres un peu plus grosses,
entre lesquelles les interstices sont régulièrement remplis de petits
morceaux de tuiles, mortier moins abondant, pas de trous laissés par les
180 A. BON

Fig. 25. — Salona : pointe Nord du réduit.

Fig. 26. — Salona : tour ronde centrale.


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 181

poutres de l'échafaudage, enfin à la base blocs antiques remployés, sans


assisses débordantes. Par contre le blocage de la tour centrale se retrouve
dans un mur très ruiné situé entre les deux tours, et surtout dans un
gros mur orienté Nord-Ouest — Sud-Est, épais de 2 mètres ; à peu près
parallèle au mur Ouest de la seconde enceinte dont il est séparé par un
intervalle de 4 à 8 mètres, ce dernier est conservé sur une longueur de
40 mètres et au Sud jusqu'à son couronnement. Il-est coupé en deux par
une brèche qui correspond précisément à une tour demi-circulaire
aujourd'hui effondrée qui le flanquait vers l'Ouest au point où le tracé fait un
angle, comme celui de la deuxième enceinte ; cette tour mesurait 7 m. 20
de diamètre et 3 m. 75 de saillie, elle est creuse et ouverte à la gorge.
Au Sud le mur, bien qu'un peu plus mince (1 m. 70), a gardé son
couronnement crénelé à larges merlons pleins (fig. 27 et 28) ; du côté Est un
mur de refend épais de 1 mètre a laissé des traces d'arrachement; de
part et d'autre des fenêtres s'ouvraient à la hauteur de l'étage.
Malheureusement il est impossible de se représenter le bâtiment primitif auquel
a appartenu cette imposante muraille ; elle ne devait pas être un simple
rempart, mais bien faire partie d'un logis fortifié, la présence de fenêtres
le prouve, mais on ne peut lire sur le terrain aucun plan ; un petit mur
au Nord-Est semble seulement indiquer qu'une construction beaucoup
moins importante a été élevée là postérieurement.
Tel est l'ensemble complexe des ruines accumulées dans la partie Nord
du réduit ; à la description qui est notre tâche essentielle, j'ajouterai
quelques remarques sans, avoir la vaine prétention de tout expliquer.
Nous constatons d'abord que les tours rondes ou demi-rondes sont
extrêmement rares, en Grèce centrale comme dans le Péloponnèse (1) ;
mais le point particulièrement embarrassant est la datation. La
maçonnerie des tours rondes et du gros de mur à créneaux donne
l'impression d'une construction relativement récente , alors que les murs
où sont remployés des blocs paraissent plus anciens; logiquement il
semble que l'architecte qui s'est servi des matériaux antiques est celui
qui le premier reconstruisit les fortifications au Moyen Age. Or il est
impossible que la tour ronde du Nord ait été construite après le mur
qui l'enveloppe. Il faut donc admettre que cette tour au moins est
antérieure à la seconde enceinte ; sans doute l'appareil n'en est pas tout à

(1)11 n'y en a pas d'autres dans les grandes fortei esses que nous décrivons; mais on
peut citer le** ruines d'une tour ronde sur l'acropole de Chéronée, de construction
récente, semble-t-il. A Davlia, un bastion près de la porte a un tracé courbe, mais ce n'est
pas une tour proprement dite.
182 A. BON

Fîg. 27. -- La Plaine Sacrée vue du réduit dn château de Salona.

Fig. 28. — Salona : gros mur crénelé dans le réduit.


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 183

fait identique à celui des autres éléments en blocage, mais alors il faut
croire qu'à deux époques différentes on a construit ici des tours rondes,
si rares ailleurs. Enfin ce qui rend l'intelligence de ces ruines plus
difficile, c'est que l'état de destruction ne permet pas de se rendre compte de
l'agencement général : le pan encore debout de la tour centrale ne
montre aucune trace de raccordement : était-elle isolée ? — le bâtiment
dont faisait partie le gros mur a-t-il existé en même temps que le mur de
la seconde enceinte qui lui est sensiblement parallèle, ou l'un des deux
était-il déjà en ruines quand on a construit l'autre, et lequel des deux a
précédé? — les réponses que l'on peut faire ne seraient que des
hypothèses. Il nous semble que la succession chronologique qui approche le
plus de la vraisemblance est celle-ci : a) la tour ronde du Nord, peut-
être isolée, et sans doute byzantine, puisque la plus ancienne ; — b)
l'ensemble de la deuxième enceinte, qui date d'une réfection générale de la
forteresse (ce mode de bâtir se retrouvant dans toutes les parties) qui ne
peut guère se placer historiquement que dans la première moitié du
χΐπβ siècle ; — c) le donjon rond et le grand bâtiment flanqué d'une tour
demi ronde ; peut-être est-ce une construction postérieure, faite pour
renforcer les défenses du réduit déjà ébranlé par les tremblements de
terre, et où les maîtres d'œuvre auraient repris des traditions anciennes (1),
et ces bâtiments très élevés, en petits matériaux, auraient depuis souffert
particulièrement des séismes. C'est un peu plus tard encore qu'il faudrait
placer l'édification du grand mur Nord A-B de la première enceinte.
La partie Sud est moins solidement fortifiée, puisque de ce côté le
rocher à pic constitue une défense naturelle; surtout du côté Est, on s'est
contenté d'obstruer les intervalles entre les rochers par un mur de
blocage (fig. 24) ; au-dessus du sol intérieur ne s'élevait qu'un parapet
aujourd'hui arasé (2). Mais, pour être moins importantes, les constructions
n'en sont pas moins complexes. Tout à fait au Sud, des murs multiples
révèlent l'existence de bâtiments variés; l'un d'eux est assez curieux, on
voit, en effet, au-dessus de l'à-pic, le départ d'un mur courbe : à labase,
visible seulement au Sud-Est, de l'extérieur, le blocage est coupé de place en

(1) On peut même se demander si l'on n'a pas reconstruit sur des fondations plus anciennes :
il y a à la base du gros mur, dans la partie Sud et sur la face Ouest, une maçonnerie où sont
employées de grandes briques plates disposées horizontalement, qu'on ne retrouve pas dans
le reste du même mur.
(2) C'est de ce côté qu'est le « saut de la reine », rocher d'où se serait précipitée une
princesse, suivant une légende populaire (cf. Rubio y Lluch, Annuari . . . , 1908, p. 413) —
ce n'est qu'un thème de folk-lore.
184 A. BON

place par une double ligne de grandes briques plates suivant un système
de construction byzantin : l'emploi de ces briques est extrêmement rare à
Amphissa, on ne les retrouve qu'à la partie inférieure du gros mur
crénelé dans la seconde enceinte, sur la face Ouest ; malheureusement il est
impossible de savoir s'il s'agit d'une autre tour demi-ronde, ou d'une
abside d'église, ce qui paraît cependant le plus probable. Les seuls
bâtiments que l'on puisse reconnaître sont au nombre de deux : l'un,
certainement une citerne, très long (4 m. sur 13 m. 50 à l'extérieur) ne conserve
qu'une partie de la voûte qui devait le couvrir (fig. 29) ; l'autre est
souterrain et avait peut-être la même destination ; il est plus petit (5 m.
sur 9) et divisé en deux compartiments par un mur de refend ; la voûte
en arc légèrement brisé est conservée, sauf au coin Sud-Ouest, et portait
une chambre supérieure (1).
* ♦
Les constructions que nous venons de décrire constituent un ensemble
plus vaste, plus puissant et plus complexe qu'à Bodonitsa. Cependant les
éléments essentiels restent les mêmes : l'existence d'une vaste enceinte
destinée à abriter la population et une partie au moins du village n'est
révélée que par des vestiges dispersés et disparates, trop rares pour offrir

(1) II est difficile de reconnaître les différents bâtiments cités par Buchon, op. 1., p. 256 sq.
Sa description donne peu de détails intéressants, et surtout ne les situe pas de façon sûre
et précise : il a confondu les murs antiques et ceux où les blocs anciens sont seulement
remployés ; il donne des mesures exactes pour la porte de la deuxième enceinte, mais elle
est encadrée de 5 blocs et non de 3 ; les deux tours carrées doivent être celle qui précède
l'entrée — avec « les vestiges d'une porte à coulisse » — et le bastion-plateforme B. Il cite
enfin « dans Vintérieur des murs.., les ruines d'une église franque, au-dessous de laquelle
est une petite église souterraine... les ruines d'une petite église byzantine, et tout à côté de
cette dernière un petit sacellum fort probablement romain. Sur la gauche en entrant est un
degré creusé dans le roc tout le long du mur de côté, et tout le pavé est également creusé
dans le roc. » Nous supposons que par « intérieur des murs » il entend l'intérieur de la
seconde enceinte : c'est là seulement que le sol est de rocher, et qu'il y a quelques vestiges
pouvant être comparés aux ruines citées, alors que près de la porte C où les situe Rubio y
Llueh, il n'y a rien aujourd'hui (cf. supra p. 175, n. 1) et le sol est de terre ; le dernier
bâtiment que nous avons décrit avec ses deux chambres inégales correspond très exactement à
la « petite église souterraine » ; au Sud le bâtiment dont le côté Sud est arrondi en abside
peut êlre l'église byzantine; mais on cherche ce qui pouvait bien être un sacellum romain.
Le degré taillé dans le roc a disparu sans doute sous les murs écroulés. En somme la
description contient des détails réels, en partie vérifiables ; mais on peut se demander si
l'interprétation qu'en donne Buchon est exacte ; car bien qu'il ait vu plus de choses que nous, —
les tremblements de terre, en particulier en 1870, et l'homme ayant causé des dégâts depuis
son passage — , il est douteux qu'il y ait jamais eu un sacellum romain et une église franque
superposée à une église souterraine ; si Rubiù y Lluch en parle, c'est probablement qu'il a
décrit moins d après les notes prises sur les lieux que d'après Buchon, en ajoutant une
confusion topographique.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 185

un véritable intérêt. Le reste est la forteresse proprement dite avec sa


division en deux que nous avons constatée à Bodonitsa, sans omettre
l'ouvrage extérieur protégeant la porte d'entrée La première cour devait
contenir le logement de la garnison et les communs, magasins et écuries ;
la seconde beaucoup plus puissamment défendue est le réduit et contenait
l'habitation seigneuriale, probablement une chapelle et d'autres bâtiments
dont un, sinon deux, était aménagé en citerne. Remarquons en passant
combien le problème de l'approvisionnement en eau, sans avoir été

Fig. 29. — Salona : citerne dans le réduit.

complètement négligé, paraît avoir été résolu de façon modeste; car deux
citernes sont peu de chose pour une forteresse de cette ampleur
dépourvue d'eau courante et de puits; il est vrai que placées ici comme à
Bodonitsa dans le réduit, elles devaient être réservées à l'alimentation de la
garnison sans doute très réduite comme partout au Moyen Age.
Le plan général est donc clair; mais bien des détails restent obscurs,
en particulier nous n'avons pas expliqué le rôle de l'angle de mur en
grosse maçonnerie à l'Ouest de la porte C, la trouée entre le mur de la
basse-cour et celui du réduit en A, et surtout l'agencement des bâtiments
dans la partie Nord du réduit, question autant d'architecture que de
chronologie sans doute. Malheureusement, pour écrire l'histoire monumentale
186 ' A. BON

de cette forteresse comme des autres, on est réduit anx conjectures, par
suite du manque de documents et de la disparition des détails
caractéristiques, créneaux, fenêtres. On peut affirmer qu'il y a eu un ensemble de
fortifications élevé à l'aide des blocs antiques qu'on a remployés, et quand
ces matériaux ont été épuisés, en maçonnerie de petites pierres pour les
parties hautes : ces deux appareils ont été employés alors en plus d'un
point simultanément. Mais, même sans tenir compte de petites
réparations locales, il y a des parties nettement antérieures, d'autres
postérieures à l'ensemble ; l'exemple le plus typique des premières est la tour
ronde engagée dans le mur Nord du réduit, et pour les secondes le mur
A-B terminé par une plateforme qui semble bien faite pour recevoir des
pièces d'artillerie légères ; ces deux éléments sont faits de deux blocages
d'époques manifestement différentes. Enfin il est des éléments dont la
classification chronologique est difficile, parce que nous voyons mal le
rapport qu'ils ont avec ce qui les entoure, tel le gros mur crénelé dans
le réduit. Nous avons vu que la période pendant laquelle l'existence d'un
château complet doit être considérée comme certaine est celle qui va du
début du xiii' siècle juqu'à l'occupation de Salona par les Turcs à la fin
du siècle suivant; c'est à cette époque que doit être attribué l'ensemble
des fortifications : celles-ci ont englobé au moins une tour ronde
antérieure qu'il faut donc regarder comme byzantine. Sans doute comme à
Bodonitsa, les Francs ont simplement relevé des murs sur les fondations
antiques, dont le tracé n'a pas, à cause du terrain, la régularité de
l'enceinte de Pharygai ; ici aussi il se sont servis des matériaux provenant
des ruines helléniques. Mais comme à Bodonitsa ils ont ajouté un réduit
dont l'emplacement au point le plus facilement défendable leur était
désigné par la tour byzantine, et c'est ce réduit, avec ses constructions
complexes, qui est l'élément médiéval le plus original. La forteresse a
subi des dégâts et des réparations : les tremblements de terre en
particulier sont fréquents dans la région. C'est ainsi qu'il a fallu reconstruire le
mur Nord A-B, ce qui a pu être fait au début de l'emploi des armes à feu,
c'est-à-dire au xve ou xvi· siècle, donc par les Turcs. Faut-il leur
attribuer aussi la construction du grand logis fortifié dont il reste un pan de
mur dans le réduit? Nous n'osons l'affirmer. Mais nous regardons oomme
certain que les Turcs ont occupé le château; il n'a sans doute plus pour
eux l'importance qu'il a eue pour les Francs ou les Catalans, mais Salona
est un centre assez important pour qu'ils y eussent une petite garnison,
et ils ne pouvaient mieux la loger qu'à l'abri des murailles de la
forteresse : c'est ainsi qu'ils furent amenés à les entretenir.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 187

Thèbes et Livadie.

Dans les larges plaines de Béotie, deux grandes forteresses se sont


dressées au Moyen Age, Thèbes et Livadie ; nous les réunissons ici parce
qu'au point de vue militaire elles ont joué le même rôle, l'une après
l'autre ; il fallait à l'Est du Parnasse une gardienne de la route vers le
Sud, comme Salona l'était à l'Ouest, ce fut d'abord Thèbes ; puis, pour
des raisons historiques dont toutes ne sont pas claires, au début du
xive siècle, le rôle passa à Livadie qui le garda jusqu'au xixe siècle.
Thèbes, que les Francs appelèrent Estives, transcription française de
la forme qu'ils entendaient prononcer par les Grecs, est bien placée sur
le bord du plateau qui domine la plaine (1) ; elle surveille un important
nœud de communications : la grande route de la Grèce du Nord vers
Athènes y bifurque en deux branches dont l'une va passer par le col de
Décélie entre le Parnès et le Pentélique, et dont l'autre emprunte le défilé
d'Eleuthères entre le Parnès et le Cithéron : de celle-ci se détache plus
loin la route vers Mégare et le Péloponnèse ; en outre une voie
transversale réunit Thèbes aux deux mers, à Chalcis d'Eubée, le Négrepont du
Moyen Age, à l'Est, et à lOuest au golfe de Gorinthe : c'était là qu'était
son vrai port, Rivedostre ou Ripadostro dont les Grecs ont fait Livadostro,
et dont l'activité fut brève, car il ne dura que pendant la courte période
où Thèbes fut une ville importante en rapport étroit avec l'Occident. La
fertilité de la région a fait de tout temps de Thèbes un gros bourg
agricole ; de plus à l'époque byzantine l'industrie de la soie y était florissante,
pratiquée surtout par les Juifs : Benjamin de Tudèle à la fin du xie siècle
n'en avait pas compté moins de 2.000 (2). Enfin son importance était
grande aussi au point de vue administratif : elle était la résidence du
gouverneur des thèmes de Grèce et du Péloponèse réunis depuis le
xie siècle ; elle est donc la vraie capitale et sans conteste la ville la plus
considérable de la Grèce centrale à la veille de la quatrième Croisade (3)
et au xiie siècle.
Dans la distribution des territoires en 1205, la Béotie constitua avec
l'Attique le fief accordé à Othon de la Roche. Celui-ci s'installa à Athènes,

(1) Voir dans la Géographie universelle, t. VIII 2, Pays balkaniques par Chataigneau et
Sion, phot. A en face de la p. 539.
(2) Ed. Adler, texte p. 12.
(3) Sur Thèbes à cette époque, voir en dernier lieu G. Stadtmùller, Michael Chômâtes,
p. 144 et 147.
188 A. BON

alors simple bourgade dont le dernier métropolite, Michel Choniate, a


dépeint la misère; il y était attiré soit par le souvenir de la gloire passée,
soit plutôt par la présence de la forteresse de l'Acropole : ce rocher
isolé est en effet une excellente position naturelle que renforçaient des
fortifications bien entretenues : ce qui le prouve c'est que les Athéniens
sous la conduite de Michel Choniate avaient réussi à repousser en 1204
l'attaque de Léon Sgouros (1). Le nouveau seigneur trouvait là un
château tout près où se dressaient une cathédrale prestigieuse, le Parthenon,
et un palais de marbre, les Propylées. Thèbes cependant vit s'élever à
l'époque franque un château imposant. La moitié de Thèbes qui
constituait la dot de Bonne de la Roche passa en la possession de la famille
de son époux, Bêla de Saint-Omer : ce fut leur fils, Nicolas II qui, enrichi
par un premier mariage avec Marie, princesse d'Antioche, le fit
construire; sur l'antique Cadmée, tout à la pointe de l'éperon découpé par
deux petits ravins, et dominant la plaine, se dresse encore aujourd'hui
une tour massive qui en est le seul vestige. Ce château passait pour « le
plus beau et le plus riche manoir de toute Romanie » d'après la Chronique
de Morée (version française § 554) et la grande salle en était ornée de
fresques retraçant les grands faits des Croisés en Terre-Sainte;
malheureusement il fut détruit par les Catalans après 1314; la Chronique de
Morée (ibid.) explique qu'ils agirent ainsi « pour doute que li dux
d'Athènes ne le preist en aucune manière et recouvrast le ducheame par
cel chastel » (2). Pendant le xiv8 siècle, sous les Catalans, Thèbes resta
un centre actif, dont la population devait déborder l'étendue de la
Cadmée ; elle faisait le commerce avec l'Occident par son port de Ripa-
dostro. Mais il n'est nulle part question d'un château (3). Cependant la
ville qui a perdu son rôle de capitale et sa fonction militaire, ne tarde
pas à tomber en décadence; à l'époque turque ce n'est plus qu'une
bourgade de paysans, tandis que prospère Livadie, devenu résidence
du pacha.

(t) L'exposé le plus récent de cet épisode est dans G. Stadtmùller, op. 1., p. 181 sq.
(2) Nous n'aborderons pas ici la question très discutée de la destruction du château ; mais
il est certain qu'il ne fut pas détruit dès 1311 comme le soutient Rubio y Lluch, Anuari.,
1908, p. 372 sqq , puisqu'il existe encore en 1314 (cf. Valbonnais, Histoire du Dauphiné, II,
p. 151), et peut-être jusqu'en 1331, cf. Hopf. op. 1., t. 85, p. 426 B.
(3) V. Rubio y Lluch, Anuari. .,1 1913-14, p. 474-484, sur l'importance et l'histoire de la
ville avant et pendant la domination catalane. L'expression castrum Destives qu'il cite d'après
un document d'archives de 1400 ne désigne pas un château, mais simplement la ville fortifiée,
comme toujours κάστρον en grec, cf. Stadtmùller, op. 1., p. 299 sq et G. Kolias, Byz. Z.,
XXXVI (1936), p. 331.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 189

L'agglomération a dû avoir une enceinte fortifiée indépendamment du


château, d'où l'expression de castrum Destives employée encore en 1400
(cf. p. 188, n. 3); il n'en subsiste que de rares et misérables vestiges, par
exemple un pan de mur dans le ravin du ruisseau Strophia à l'Est de la
Cadmée (1). Du château même, nous avons signalé le seul témoin, une
tour à la pointe Nord de la Cadmée, que les Catalans ont donc dû res-

Τ H È Β Ε S . *.♦ » » τ f-

V\
\
1
f (
/
1

\\
\
1
1

pecter
leurs
est-ce
l'Buchon,
13
mais
plus
entoure
(1) m.
(2) étendues,
Voir
Des
trop
ont
vicaires,
Vaula
(2)
op.
60
mis
fouilles
Y.; 1.,Béquignon,
mutilées
sur
aumais
cf.
régla
p.jour
récentes
Έπετ.
ou
16
208.
ouaucune
des
Fig.
(fig.
trop
àdont
Έτ.
Antonio
Grèce
ruines
sur
30.
insignifiantes
30
βυζ.
parle
l'esplanade
—(1935),
source
suffisantes
et
σπουδών,
LaAcciajuoli
31);
"ι', 1 '1.PortC
tour
Cyriaque plan
n'apprend
pour
au
franque
IX
les
1 pour
1JΓp.Sud
(1932),
offrir
203
murs
quand
de
d'Ancône
montrer
dequi
lap.si
de Thèbes.
tour
509.
l'intérêt
épais
signale
elle
ilqu'il
etXvint
\ du
\Plan.
•en
servit
yde
une
etjardin
eut
en
1436.
justifier
3là
« mètres
1395;
de
du
petite
desElle
Musée
résidence
des
constructions,
peut-être
tour
recherches
environ
mesure
qui» ; cf.à
190 A. BON

(2 m. 85 du côté Sud) sont conservés sur une^hauteur d'à peu près 12


mètres ; ils sont faits de blocs antiques très variés, de marbre, poros ou
brèche, dont les interstices sont soigneusement remplis de pierres plus
petites et de fragments de briques disposés horizontalement en une, deux
ou trois couches suivant le besoin ; dans les parties supérieures les
matériaux sont de dimensions plus réduites. On pénètre aujourd'hui à
l'intérieur par une porte percée sans doute récemment dans la maçonnerie au

•■■γ *■ *ïf*-~?.s>
'-.jL, '

Fig. 31. — Tour franque à Thèbes : face Ouest.

niveau du sol dans le côté Sud. Au xnie siècle, il n'existait qu'une porte
s'ouvrant à 7 mètres environ du sol sur le côté Ouest (1); elle est
couverte par une voûte, mais l'encadrement extérieur n'est conservé que d'un
côté, et devait comporter, semble-t-il, plutôt un linteau droit qu'un arc ;
elle donnait accès au premier étage. Au-dessous, l'intérieur est divisé en
deux salles larges chacune de 3 m. 55, voûtées en plein cintre et
communiquant par une large baie voûtée aussi de 2 m. 40; toutes les voûtes ont
été construites sur des cintres posés sur des poutres engagées dans les

(1) Buchon, op. 1., p. 208, dit avoir vu un escalier d'où, par une passerelle, on y avait
accès ; il n'en reste rien aujourd'hui.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GREGE CENTRALE 191

murs où leurs logements se voient encore. Le sol revêtu d'un béton


grossier est en contre-bas du sol extérieur (environ 1 m. 50) et un
plancher intermédiaire devait être établi à 1 m. 85 au-dessus; quatre
ouvertures éclairent les salles, toutes du côté Est : deux meurtrières sont
placées irrégulièrement à la hauteur des voûtes, les deux autres, plus
bas, ont été remaniées et élargies. L'appareil des murs est le même qu'à
l'extérieur, mais moins soigné : il y a donc deux parements entre lesquels
l'intervalle est rempli par un blocage.
Ce mode de bâtir avec des matériaux antiques nous est bien connu,
c'est celui de Bodonitsa, de la tour de Dadi, de Salona; les différences
d'aspect tiennent seulement aux difFérenres entre les matériaux dont on
disposait ; c'était encore celui de la « tour franque » de l'Acropole à
Athènes, qui était l'exemple du travail d'assemblage le plus parfait et le
plus régulier. Cet appareil donne à la tour une apparence de solidité à
laquelle contribuent encore ses dimensions; et si nous reprenons la
comparaison avec les grandes forteresses que nous avons décrites, nous
devons constater qu'aucune ne présente rien d'aussi puissant : les
dimensions, l'épaisseur des murs, les grandes salles voûtées en font quelque
chose d'unique, et l'on comprend d'après ce seul témoin l'admiration des
contemporains, et de l'auteur la Chronique de Morée. Sans doute ne
faut-il pas interpréter « le plus beau et le plus riche manoir » avec nos
idées d'aujourd'hui, il ne s'agit pas d'un palais luxueux et confortable
selon notre goût, mais d'une demeure fortifiée plus puissante et plus
soignée que les autres, et cela la tour de Thèbes l'est certainement auprès
des restes souvent misérables des forteresses franques. Ce fut pourtant
une de celles qui durèrent le moins ; Thèbes se vit supplantée par Livadie
dont l'importance ne cessa de croître depuis le début du xive siècle.

Livadie est aujourd'hui une ville active et prospère au pied des


montagnes, près de la grande plaine du Copaïs ; elle s'est développée non
pas sur les bords mêmes de l'ancien lac, autrefois marécageux et
malsains, mais en un point où la plaine s'insinue entre les derniers contreforts
orientaux du massif du Parnasse découpés par les torrents, au débouché
de la célèbre et pittoresque gorge de l'Hercyne. Elle se trouve ainsi placée
à un croisement de deux routes, la grande route qui, venant du Nord,
des Thermopyles, va vers Thèbes et Athènes, et celle qui rejoint Delphes
et Amphissa en passant au Sud du Parnasse : elle ne fait que surveiller
la première sans pouvoir la fermer.
102 A. BON

Dans l'antiquité, bourgade médiocre, Livadie n'a dû sa célébrité qu'à


son oracle de Trophonios; elle se développa assez tard jusqu'à devenir
une ville importante au temps de Pausanias; mais elle ne joua aucun rôle
militaire, laissant la place dans ce domaine à sa puissante voisine Orcho-
mène, située de l'autre côté de la route et dont l'acropole couronnée de
murailles domine fièrement la plaine du Copaïs; aussi ne retrouvons-nous
sous la forteresse médiévale de Livadie aucun vestige de fortification
antique. Au Moyen Age au contraire, Orchomène, occupant une position
très exposée, fut peu à peu abandonnée, elle perdit son importance et
jusqu'à son nom remplacé par celui de Skripou ; et la garde du passage,
au débouché dans les plaines béotiennes, de la route venant de la Grèce
du Nord échut à Livadie, plus retirée, dans un site plus facilement
défendable, en même temps que plus sain et plus riche en eaux courantes.
Cependant aucun document ne nous permet de savoir ce que fut Livadie
à l'époque byzantine : elle ne possède rien de comparable à la fameuse
église de la Dormition de la Vierge à Skripou datée de 874. C'est donc
assez tard que dut commencer le rôle militaire de cette place.
Au cours de la conquête de la Grèce par Boniface de Montferrat, roi
de Salonique, aucun récit ne mentionne la prise de Livadie qui dut être
occupée au début de 1205; sans doute n'était-elle pas encore fortifiée et
l'occupation se fit-elle sans incident. Elle fit partie des territoires donnés
en fief à Othon de la Roche, seigneur d'Athènes : la première mention qui
en soit faite nous la montre au pouvoir des la Roche. Sans que l'on puisse
rien affirmer, il est permis de supposer que les Français prirent soin d'y
élever quelques fortifications.
Mais Livadie ne joue vraiment un rôle intéressant qu'au xive siècle,
sous la domination catalane (1) ; le grand-duc d'Athènes ayant trouvé
la mort sur le champ de bataille du Copaïs en 1311, son fief resta aux
mains de ses vainqueurs, malgré une tentative de son fils, Gautier II de
Brienne, en 1335, pour recouvrer son héritage. A ces nouveaux maîtres,
les Grecs de Livadia ouvrirent les portes de la ville qu'ils livrèrent sans
résistance. Us en furent récompensés : lesCatalans leur accorderont pleine
franchise et des droits municipaux étendus « selon les coutumes de
Barcelone ». Ces faits semblent confirmer l'hypothèse qu'il y eut des
fortifications dès avant 1311 : les Catalans n'auraient pas attaché assez
de prix à la soumission sans combat d'une ville ouverte pour lui accorder
d'aussi grands privilèges.

(1) Voir Rubio y Lluch, Anuari..., 1908, p. 374-387 et 1913-14, p. 418 sqq.
FORTERESSES MÉDIÉVALES DE LA GRECE CENTRALE 193

La nouvelle organisation libérale assura à la ville un grand


développement et un essor inattendu : elle devint un centre très actif,
probablement comme aujourd'hui par l'essor de petites industries et par
les échanges avec la plaine voisine. Devenue prospère et riche, elle
dut selon toute apparence assurer désormais sa protection par un
système défensif complet, d'autant plus que les territoires catalans étaient
entourés de toutes parts par les ennemis. C'est une des plus grandes
places catalanes, on a pu même dire leur « capitale militaire », au centre
de leurs possessions. Le château est toujours cité le premier du duché
dans les documents de chancellerie de l'époque; nous en connaissons
les châtelains — car il ne fut jamais cédé à un seigneur, mais resta sous
l'autorité du vicaire-général — ils appartenaient aux plus grandes familles
siciliennes ou catalanes. Ainsi des raisons historiques nous portent à
supposer que ce sont les Catalans qui construisirent une véritable
forteresse à Livadie restée jusqu'alors une position de second rang.
Ces fortifications eurent d'ailleurs bientôt à subir de nombreuses
attaques. Avant la fin du xive siècle, le pays changea encore une fois de
maîtres. A l'arrivée des Navarrais, la population resta fidèle aux Catalans
à qui elle devait la prospérité ; mais, malgré la belle résistance du
châtelain Guillaume d'Almenara, qui fut tué, la trahison d'un Grec, Rotari
Gasco de Durazzo, livra la ville à l'ennemi. Les habitants, redoutant des
représailles, s'enfuirent vers Salona ou Nègrepont. Il est inutile de suivre
toutes les péripéties des luttes au cours desquelles la forteresse, prise et
reprise, passa des Navarrais aux Turcs d'Evrenos-Beg, puis revint au
Catalan Bertranet Mota (1392), et tomba enfin deux ans plus tard au
pouvoir de Bajazet. En 1394 Nerio Acciajuoli, devenu à son tour seigneur
d'Athènes, laisse par testament le « château de Livadie » à un fils bâtard
Antonio. C'est à ses descendants, longtemps menacés par les Grecs du
despotat de Morée et les Turcs, que ces derniers l'enlevèrent
définitivement en 1460.
Ainsi Livadie, qui n'a gardé aucun vestige de l'époque byzantine, a
commencé à prendre de l'importance au xme siècle, sous la domination
des seigneurs français d'Athènes. De 1311 à 1380, à l'époque catalane, elle
connaît son apogée ; ruinée en partie par l'occupation navarraise, elle
continue cependant à jouer un rôle dans les luttes qui ensanglantent la
Grèce jusqu'à la conquête turque ; et sous ses nouveaux maîtres encore,
elle garde à la fois son rôle de marché où s'échangent les produits
agricoles de la région et les produits de ses petites industries, et de
forteresse, à quoi la destinait sa situation. Comme à Salona, les Turcs éta-
BCH, LXI (1937). 13
194 A. BON

blirent une garnison à l'abri des murailles, Livadie étant le chef-lieu


administratif et militaire de la région. La forteresse fut au moins
grossièrement entretenue, puisqu'elle fut encore en état de jouer un rôle dans
les guerres de l'Indépendance hellénique. Enfin dans la Grèce redevenue
libre, elle fut abandonnée, on ne répara plus les brèches qu'ouvraient
dans les murs les tremblements de terre, tandis que l'assèchement du
Copaïs, la culture du coton donnaient un nouvel essor à l'activité
économique de la ville. En l'absence de tout document sur l'histoire des
constructions, c'est donc le xiv" siècle qui a été considéré comme l'époque à
laquelle l'ensemble des ruines actuelles peut être attribué avec le plus
de vraisemblance (1).

La gorge de l'Hercyne d'où s'échappe le torrent qui arrose Livadie est


une coupure étroite entre deux hautes parois rocheuses presque verticales,
et qui décrit un arc de cercle ouvert au Nord ; l'aspect en est sauvage.

Fig. 32. — Schéma du flanquement à la première porte de Livadie.

Sur la rive gauche se dresse le rocher qui est ainsi inaccessible au Sud
et à l'Est; il descend en pente assez raide au Nord vers la ville qu'il
domine d'environ 150 mètres; vers le Nord-Est seulement l'accès est
facile : le terrain, après s'être légèrement abaissé en un col large, remonte

(1) W. Miller, The Latins in the Levant, p. 311, l'appelle « a noble monument of Catalan
rule in Greece »; cf. p. 327. — Sur le rôle de Livadie dans les guerres de l'Indépendance
hellénique et ses vicissitudes, voir Buchon, op. /., p. 225.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 195

vers un petit sommet qui porte le nom de Saint-Elie et une chapelle


construite sur l'emplacement d'un temple de Zeus Basileus (ait. 402 mètres).
Telle est l'assiette de la forteresse (pi. XVII 2, XVIII 1 et 2). Du haut la
vue embrasse le massif du Parnasse, surveille les chemins qui viennent
de la montagne, et s'étend largement vers l'Est sur le bassin du Copaïs.
La forteresse, coupée à pic à l'Est et au Sud, est constituée par trois
enceintes qui s'étagent sur le versant Nord du rocher (pi. XXI).
Un chemin assez raide monte à la porte de la première enceinte dont
l'abord est défendu par un vaste ouvrage extérieur (pi. XVIII, 2); la
dernière partie du chemin, encore pavée, longe le mur d'Ouest en Est,
obligeant ainsi l'arrivant à présenter le flanc droit aux défenseurs. Cette sorte
de barbacane est destinée à tenir l'assaillant éloigné de ce côté Nord-Ouest
que la nature a fait le plus accessible. C'est une terrasse à peu près
rectangulaire bordée au Sud par un mince parapet (0 m. 75), à l'Ouest et au
Nord par un mur régulier faisant mur de soutènement ; il est, dans sa
plus grande partie, arasé au niveau du sol intérieur, mais garde à l'Ouest
un pan de parapet continu percé de 2 mètres en 2 mètres de meutrières
plongeantes. Le coin à l'angle Nord-Ouest est abattu, et pour plus de
sécurité, le rocher a été grossièrement entaillé au pied du mur Ouest sur
une largeur de 5 à 6 mètres en manière de fossé, élément de défense peu
fréquent dans les forteresses de ce genre, mais non pas unique (1). Le
tracé est beaucoup plus savant près de la porte : il fait un angle saillant,
et c'est dans ce décrochement qu'est percée la porte, passage de 2 m. 25
couvert d'une voûte surbaissée, long de 1 m 95. Si Ton avance, on reste
exposé à droite aux coups des défenseurs de la courtine. Au-delà de la
porte, le mur de la barbacane fait un angle rentrant, puis rejoint la
première enceinte. Ce tracé compliqué est certainement inspiré par le souci
d'assurer la défense par flanquement et croisement des feux, comme le
montre le croquis fig. 32. Ces dispositions, très rares dans les forteresses
médiévales de Grèce, qui sont toutes des forteresses de montagne,
s'expliquent par le fait que de ce côté les défenses naturelles sont inexistantes ;
mais elles laissent aussi supposer un art militaire assez développé,
supérieur à celui des ingénieurs du xine et même du xiv" siècle. La
présence d'un parapet continu commode surtout pour la mousqueterie et la
différence d'appareil entre cet ouvrage et le reste des constructions —

(1) On trouve de même un fossé creusé dans le rocher autour de la partie la plus haute
de la forteresse à Lamia et à Lépante pour la Grèce continentale, à Patras dans le Pélo-
ponèse ; le fossé qui précède la porte de la première enceinte sur l'Acrocorinthe est d'un
type plus perfectionné, cf. Corinth III 2, p. 163 sq.
196 A. BON

Fig. 33. — Livadie : entrée de la première enceinte.

Fig. 34. — Livadie : porte murée près du bastion Ouest de la première enceinte.
FORTERESSES MÉDIÉVALES DE LA. GRÈCE CENTRALE 197

absence presque complète de briques, emploi de matériaux plus


irréguliers — confirment que c'est probablement une addition postérieure à
la forteresse même.
La porte de la première enceinte s'ouvre à l'Ouest et tout près d'un
redan où vient s'appuyer le mur extérieur, faisant chicane avec la porte
précédente (fig. 33) ; elle est plus large, 2 m. 90, suivie d'un passage long
de 3 m. 50 couvert d'une voûte en plein cintre de moellons de poros; le
cadre extérieur de la porte a disparu. Quant au mur il est tout entier d'une
maçonnerie assez régulière et solide mêlée de quelques fragments de
tuiles. Vers l'Ouest il a le même tracé en angle droit que l'ouvrage
extérieur; mais, plus épais (1 m. 60 à 1 m. 80) et plus solide, il a gardé une
certaine élévation au-dessus du niveau intérieur. Il se termine au Sud
par une sorte de grosse tour carrée ou de bastion, tout près duquel
était percée une ouverture encadrée de beaux blocs de poros,
aujourd'hui murée (fîg. 34 à g.) : d'nprès sa largeur ^0 m. 82), sa place à un niveau
supérieur au sol extérieur, on peut hésiter à y voir une fenêtre ou une
poterne suspendue, la seconde hypothèse paraît plus vraisemblable ici
comme à Bodonitsa (1), les fenêtres vers l'extérieur étant d'une très
grande rareté. Aujourd'hui l'ouverture est au-dessous du niveau
intérieur, comme aussi une haute archère (1 m. 90 sur 0 m. 08 de large) qui
s'ouvrait au Nord pies du coin Nord-Ouest. Il y a donc eu là aussi des
remaniements.
A l'Est de la porte, la muraille, prenant en écharpe la colline, descend
jusqu'au bord du torrent au point où il sort de la gorge (pL XVII, 2).
C'est une simple courtine d'une épaisseur variant de 1 m. 70 à 1 m. 85.
Le tracé sinueux en est commandé par des accidents locaux de terrain.
Le seul détail intéressant est une tour creuse, ouverte à la gorge, qui la
flanque ; large de 5 mètres et de peu de saillie, 2 m. 25 d'un côté, 2 m. 85
de l'autre, elle n'interrompt ni ne domine le chemin de ronde qui
continue, à peine plus étroit (sur les petits côtés 0 m. 50 à 60, et 0 m. 80
sur la façade). Un peu plus haut une construction adossée à la muraille a
laissé quelques vestiges, sans que rien n'autorise à y voir les restes d'une
autre tour. Le couronnement est bien mal conservé : le chemin de ronde
descendant par des marches est protégé par un parapet de 0 m. 52 à 57
d'épaisseur, dont on voit encore en un point le crénelage (merlons de
0 m. 70 à 80 entre des créneaux de 0 m. C0 à 72). L'appareil est assez
homogène, fait de blocs de calcaire assez petits entre lesquels sont placées

(1) Cf. supra p. 160.


198 A. BON

des briques larges et plates, le plus souvent horizontalement, parfois


alignées sur plusieurs mètres et formant alors comme une assise de
réglage. Mais le mur a dû subir des réparations, comme le prouvent un
petit contrefort près de la porte ou le parapet continu qui a remplacé les
créneaux à l'Est; un mur moderne ferme, presque en bas, une brèche.
La muraille se termine à l'Est par une énorme tour carrée, lancée en
avant comme une sentinelle pour surveiller l'entrée de la gorge. La façade

Fig. 35. — Livadie, tour Est, intérieur. Fig. 36. — Livadie : le donjon.

à l'Est en mesure 8 m. 63, mais la forme n'en est pas régulière : la tour
va en se rétrécissant à l'Ouest et communique avec l'intérieur par un
étroit passage (1 m. 30) entre la courtine au Nord et, au Sud, un mur
mince et sinueux qui se prolonge sur quelques mètres en un parapet,
jusqu'à la paroi rocheuse : de ce côté point n'est besoin d'une défense
très solide. De l'extérieur, la construction, haute de 12 mètres, sans
ouverture, est imposante et massive ; la base tout entière et les angles
sur la plus grande partie de la hauteur sont faits de blocs antiques rem-
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 199

ployés (1) : c'est le seul point où l'on en trouve, ils proviennent sans doute
des bâtiments qui entouraient l'oracle de Trophonios. La partie
supérieure, légèrement en retrait, est construite d'une manière beaucoup
moins soignée (comme le parapet continu signalé plus haut qui la
prolonge vers l'Ouest)· L'intérieur (fig. 35) se compose d'une chambre longue
de 5 m. 70 sur une largeur de 3 m. 57 à 4 m. 15, dont le sol est à peu près
au niveau extérieur; on y descend par un escalier très rapide fait de
plusieurs volées (voir le croquis pi. XXI). Il y avait trois étages superposés ;
le plus haut seul était éclairé par une petite fenêtre carrée percée au Sud.
Le mur épais de 1 m. 50 à 1 m. 65 se terminait par un parapet
aujourd'hui détruit. Tout près de la tour, dans l'angle rentrant à l'Ouest une
poterne aujourd'hui murée rappelle par sa situation et son aspect
l'ouverture signalée à l'autre extrémité du mur près du bastion Sud-Ouest ;
un peu plus grande (1 m. 18 sur 2 m. 05 de haut) elle est, comme elle,
encadrée de poros bien taillés, mais elle a de plus conservé un linteau
droit de calcaire, décoré d'une mince corniche.
La première enceinte enclôt une vaste étendue aujourd'hui vide, mais
qui a été habitée : outre les vestiges d'une petite citerne dans l'ouvrage
extérieur, d'une autre — très récente — près de la seconde enceinte, il
y a des restes de constructions un peu partout; une partie au moins de la
population de Livadie a dû vivre à l'abri de ces murailles et y avoir non
seulement des maisons, mais de petits jardins; on reconnaît encore
parmi les arbres des amandiers. Mais ces habitants ne pouvaient avoir
que l'eau des citernes ; et l'on se demande pourquoi l'on n'a pas prolongé
le bastion Est un peu plus loin vers le Sud, pour enclore dans l'enceinte
des sources abondantes qui jaillissent au pied même du rocher et qui
alimentent le torrent de Livadie.
La deuxième enceinte se présente au Nord avec une imposante façade
flanquée de trois tours (pi. XVIII, 2). Un sentier décrivant un grand arc
de cercle mène de l'entrée de la première enceinte à la seconde porte
défendue par une haute tour et précédée d'une petite barbacane. Celle-ci
a la forme d'un triangle appliqué à la courtine, dont le petit côté à l'Ouest
prend appui sur la grande tour, et le grand côté au Nord s'en va vers
l'Est jusqu'à une tour plus petite. La construction est dans l'ensemble
médiocre pour les matériaux et pour leur assemblage, aussi les murs
sont-ils assez mal conservés. Celui du Nord a subi des réparations qui
font faire au tracé un angle rentrant que rien ne rend nécessaire ; celui

(1) Un des blocs maçonnés à l'intérieur porte même une inscription, IG. VII 1, 3157.
200 A. BON

de l'Ouest, plus épais (1 m. 20 à 1 m. 80), est percé d'une porte de 2 mètres,


suivie d'un passage de 2 m. 20, dont la couverture a disparu. La porte
de la courtine s'ouvre immédiatement à l'Est de la grande tour qui se
trouve ainsi îa dominer à droite pour l'entrant; c'est une ouverture large
de 1 m. 94 dont le cadre est fait de blocs de poros taillés et assemblés
avec soin ; elle se termine par un arc en plein cintre de poros doublé
d'une ligne de briques minces (iîg. 37). L'assaillant abordait la barbacane
en découvrant son flanc droit, devait y pénétrer et atteindre la porte de

Fig. 37. — Livadie : le donjon vu de la porte de la deuxième enceinte.


l'enceinte en contournant la grande tour : l'entrée était ainsi bien


défendue, mais suivant un système plus primitif que la première enceinte.
La courtine est solidement construite : d'une épaisseur à peu près
régulière, 1 m. 20 à 1 m. 25, elle est conservée jusqu'au chemin de ronde
qui s'élève parfois à 3 mètres au-dessus du niveau intérieur ; cependant
elle n'a gardé que la base du parapet. Les tremblements de terre,
fréquents ici, l'ont endommagée et ont rendu nécessaires des réparations
comme le contrefort intérieur à l'Est de la porte (fig. 39). Le morceau le
plus soigné et le plus imposant est la grande tour, large de 8 m. 70, à
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 201

peu près comme la grosse tour orientale de la première enceinte, et


faisant une saillie de 4 m. 76. Elle repose sur une puissante assise
débordante et les coins jusqu'en haut sont faits de gros blocs très bien
assemblés (fig. 38). On y entre par une porte, elle-même très soignée,
suspendue à la hauteur du chemin de ronde qui continue le long de la
tour par un étroit rebord, sans doute élargi autrefois par une passerelle
mobile; elle a le même cadre de poros très bien appareillés que la porte
de la deuxième enceinte, que les poternes murées de la première,
auxquelles elle ressemble par les dimensions (1 m. sur 1 m. 90); mais de
plus le linteau droit est surmonté d'un arc de décharge fait de briques
d'un heureux effet décoratif (fig. 39). L'intérieur devait être coupé par un
plancher et couvert d'une plateforme. Telle quelle la tour interrompt le
chemin de ronde qu'elle domine de la hauteur d'un étage.
De part et d'autre le mur est flanqué de tours plus petites : celle de
l'Ouest est large de 4 m. 05 et fait une saillie de 2 m. 90, elle est pleine
(fig. 38 à droite), l'autre est creuse et plus grande, 5 m. 20 de largeur
et 4 m. 15 de saillie. Toutes deux sont simplement appliquées contre la
courtine qu'elles ne dominent pas, et sont faites de la môme maçonnerie
médiocre que la barbacane, aux pierres moins régulières, en mortier
moins solide que dans la courtine. Cette différence ne signifie pas
nécessairement une différence d'époque : il se peut qu'on ait mis moins de
soin à construire la barbacane et les petits tours, simplement parce qu'on
les a considérées comme moins importantes pour la défense.
La seconde enceinte forme une sorte de cour à peu près rectangulaire
dont nous venons de décrire le côté Nord, le mieux fortifié. Le réduit qui
occupe le côté Sud au bord du précipice la divise en deux parties : celle
qui est à l'Ouest est à peu près horizontale; sur les côtés Sud et Ouest
où elle est limitée par des rochers à peu près inaccessibles, les murs sont
moins soignés et mal conservés. Ce n'était au Sud, tout près du réduit,
qu'un simple parapet aujourd'hui arasé, puis, au-delà de l'église de Hagia
Sophia, construction moderne élevée sur une citerne ancienne, le mura
conservé une certaine élévation vers l'extérieur ; sur de rares points où
il s'élève au-dessus du niveau intérieur, il mesure 0 m. 80 d'épaisseur.
Vers l'Est la courtine qui suit la pente descendante devient
brusquement plus mince (0 m. 70 à 75 au lieu de 1 m. 20), puis fait un angle
droit vers le Sud; elle se trouve alors rester de niveau, et les terres se
sont accumulées à l'intérieur comme contre un mur de soutènement; elle
a d'ailleurs cédé sur un point. On rejoint ainsi une tour carrée qui tient
au système de défense du réduit ; cependant entre cette tour et le mur
202 A. BON

subsiste un étroit passage : au-delà, parmi les rochers qui tombent vers
la gorge, s'étend une sorte de replat qu'on a eu soin d'enclore dans la
seconde enceinte, et qui peut servir de pâture ou porter quelques maigres
champs. Un mur mince a laissé ici et là quelques vestiges à peu près
suffisants pour qu'on en puisse suivre le tracé.
Tel est l'ensemble de la seconde enceinte ; elle était capable d'offrir
une bonne résistance, grâce à sa muraille solide et bien protégée du côté
accessible. De plus on avait eu la prévoyance d'y annexer des terrains
utiles et de construire des citernes : on retrouve les vestiges de l'une
d'elles contre le mur Ouest; mais la plus curieuse est celle qui, trans-

Fig. 38. — Livadie : base de la tour centrale de la deuxième enceinte.

formée aujourd'hui en chapelle dédiée à Hagia Varvara, sert de crypte à


la petite église moderne de Hagia Sophia que nous avons déjà signalée :
elle est située au bord Sud du rocher, un peu à l'Ouest du réduit.
Creusée dans le roc, elle mesure 5 m. 24 sur 7 m. 05, les dimensions
sont un. peu plus petites au sol, à cause de l'obliquité de la partie
inférieure des parois (voir plan et coupe pi. XXI). Elle est couverte de deux
voûtes parallèles en berceau percées chacune d'un regard aujourd'hui
aveuglé, qui reposent au milieu sur un pilier et deux pilastres ornés
d'une base, d'un chapiteau très simple et d'une moulure de faible relief
au départ de la voûte. On reconnaît dans les coins des tuyaux d'adduction
d'eau en terre-cuite, et la trace du niveau moyen des eaux, à 2 m. 30 du
sol, reste très nettement visible : la transformation en chapelle doit donc
FORTERESSES MÉDIÉVALES DE LA GRÈCE CENTRALE 203

être récente (1). Pour en rendre l'accès possible une sorte de petite porte
a été percée à l'Ouest où le rocher s'abaisse : cette brèche laisse voir
l'appareil de moellons de poros réguliers de dimensions moyennes et de
grandes briques plates (0 m. 31 χ 0 m. 45 X 0 m. 035 à 0 m. 04) dans un
mortier très solide, et le revêtement intérieur de stuc rose.
Dans ce même appareil, très solide et d'aspect plus ancien, subsistent
quelques vestiges de murs dans les rochers au-dessous du réduit,
visibles sur la fig. 37, traces de bâtiments dont il est impossible de
reconnaître la forme ou de deviner la destination.
Le sommet est occupé par une plateforme à peu près triangulaire de
25 mètres sur 30 environ, dont la base suit le bord du rocher et dont
la pointe tournée vers le Nord-Ouest est occupée par une tour, sorte de
donjon, située sur une saillie rocheuse au point le plus élevé. Les murs
qui forment cette sorte de cour sont très mal conservés : au Sud, où l'on
domine à pic la gorge, le tracé, à peine visible au ras du sol, fait un
décrochement pour épouser la forme du rocher. Dans le mur Ouest,
épais de 1 m. 40, était percée la porte dont le côté Sud est seul visible
et dont la largeur et la forme restent inconnues. Par un retour en angle
droit le mur rejoint lo donjon qui ne fait pas saillie; c'est une tour carrée
de 7 m. de côté aux murs épais (1 m. S0) ; au Nord la base est renforcée
par une assise débordant de 7 à 8 centimètres. Il ne reste pas trace de
la porte qui devait être suspendue; et la seule ouverture est aujourd'hui
une petite fenêtre carrée sur le côté Ouest qui est assez bien conservé,
tandis que tout le coin Sud-Est est ruiné (fig. 36 et 37).
Le mur Nord-Est est le plus mal conservé : il semble avoir dessiné à
l'Est du donjon un angle droit comme celui de l'Ouest, puis il rejoint
obliquement le mur Sud (épaisseur 1. m. 50), fermant ainsi cette sorte
de réduit; mais il se prolonge au-delà, hors du réduit, vers le Nord-Est,
le long d'une arête rocheuse qui sépare la deuxième enceinte des champs
en terrasses suspendus au-dessus de la gorge au Sud-Est, et parvient
jusqu'à une autre tour carrée que nous avons signalée en décrivant la
seconde enceinte, car elle vient presque y buter; c'est un massif plein
et sans ouverture de 5 m. S0 de côté ; le seul moyen d'accéder à la
plateforme qu'elle devait porter était sans doute de passer sur le mur épais
de 1 m. 30 qui descend du réduit. Mais il est difficile de se représenter

(1) II faut probablement l'identifier avec la « petite église en ruines » de Buchon, op. /.,
p. 224, « divisée en deux parties parfaitement égales ». Par contre on peut considérer comme
certain que cette citerne n'a jamais abrité la fameuse relique de la tète de Saint-Georges
que possédait Livadie, comme le suppose Rubio y Lluch, Anuari.., 1908, p. 386.
204 A. BON

le détail de cet aménagement; bien que le mur se soit conservé sur une
hauteur de 2 ou 3 mètres, il n'a plus son couronnement ; il est trop étroit
pour avoir pu porter un passage entre deux parapets, il devait n'y en
avoir qu'un vets le Sud-Est; l'ensemble devait servir de poste de
surveillance avancé, et prévenir l'approche d'assaillants qui auraient réussi
à se glisser par escalade jusqu'à ces champs en terrasses dépendant de la
seconde enceinte. Toutes ces constructions sont faites dans le même
appareil de petits moellons de forme irrégulière avec de rares fragments

i^ki^C^^^M^

Fig. 39. — Livadie : la grande tour et la porte de la deuxième enceinte (intérieur).

de tuiles, liés d'un mortier peu résistant; il n'y a pas d'autre partie de
la forteresse qui soit aussi mal conservée que le donjon, mais il y en a
d'autres qui ne sont pas mieux soignées, comme la barbacane de la
première porte, le parapet à meurtrières au Sud de la tour Est, les
réparations de la seconde enceinte. Nous admettons que ces différents éléments
ont été reconstruits ou ajoutés par d'autres ; certains datent
manifestement au plus tôt du xve siècle; or Buchon (1) rapporte que la tour
supérieure est l'œuvre des Turcs qui furent toujours de médiocres bâtisseurs;
ce témoignage confirme notre impression que le donjon et les murs
voisins sont d'une construction différente et plus récente; rien n'interdit

(1) Buchon, op. l.t p. 224.


FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE 205

d'ailleurs de croire qu'un donjon se fût déjà dressé au Moyen-Age sur ce


même rocher qui est le point le plus élevé.

De toutes celles que nous avons examinées, cette forteresse est à la


fois la mieux conservée et la plus homogène ; cet état de conservation
s'explique par le fait qu'elle est restée occupée jusqu'au début du
xixe siècle, époque à laquelle elle était encore jugée en état de résister à
un assaut; sans doute au cours de cette longue carrière elle a subi des
réparations et des additions que nous avons pu signaler au passage, mais
ce ne sont que des détails en comparaison de l'ensemble qui donne bien
l'impression d'apparaître aujourd'hui encore tel qu'il a été conçu et réalisé
d'abord. Si l'on regrette la disparition du couronnement crénelé des
murs abattu par des tremblements de terre depuis le passage de Buchon,
on se rend bien compte de l'ordonnance générale : forteresse de
montagne, elle utilise le terrain, négligeant le côté protégé par I'à-pic, étageant
au contraire du côté accessible ses enceintes successives. Ce sont les
mêmes dispositions qu'à Salona ou à Bodonitsa ; mais des tours
témoignent du souci que les ingénieurs ont apporté à la défense de la place,
on est frappé aussi par la présence de quelques éléments de décor en
briques au-dessus des portes de la deuxième enceinte et de la grande
tour, par les encadrements en blocs soigneusement taillés des
ouvertures : tout cela contribue à donner l'impression d'une construction faite
avec plus d'art ou de soin, peut-être plus à loisir que les autres. Il faut
cependant remarquer l'extrême variété de certains éléments : les tours
sont de dimensions inégales, réparties sans régularité, tantôt creuses et
tantôt pleines ; ces différences correspondent-elles à des périodes de
constructions distinctes ? On pourrait l'admettre pour certaines, la tour
du sommet, les petites tours de la seconde enceinte appliquées
simplement contre la courtine ; mais de ces deux dernières qu'il est bien difficile
de ne pas considérer comme contemporaines, celle de l'Ouest est plus
petite et pleine, celle de l'Est est plus grande et creuse ; il y a donc
certainement des différences qui proviennent simplement du fait que plusieurs
chantiers dirigés par des maîtres d'œuvre différents travaillaient en même
temps. Les ouvertures sont couvertes d'un linteau droit, mais les grandes
portes sont en plein cintre : cette variété peut s'expliquer par la difficulté
de tailler une pierre assez grande, en l'absence de blocs antiques. Il est
inutile d'insister sur cette différence dans le mode de bâtir entre Livadie
et Salona ou Bodonitsa ; si les matériaux antiques sont rares ici, ce n'est
point qu'ils aient été écartés de propos délibéré, c'est parce qu'il n'y en
206 A. BON

avait pas. On a employé les rares blocs existant en les faisant entrer dans
les murs les plus proches, ceux de la grande tour Est ; il n'y a qu'un
principe qui compte pour le constructeur, tirer parti de ce qui se trouve
sur place.
En somme la question importante qui se pose, c'est de savoir à qui
revient le mérite d'avoir dressé ces murailles et ces tours qui dominent
encore la ville de Livadie, plusieurs fois détruite et relevée à leur pied.
Nous avons déjà indiqué quelles raisons nous font supposer que Livadie
n'était pas une ville ouverte en 1311 ; les Français ont certainement
occupé le rocher, mais il est peu probable que ce soit leur ouvrage que
nous voyons. Il y a une différence trop grande entre le rôle effacé de
Livadie au xine siècle et l'importance qu'elle prend après, pour ne pas
admettre que les Catalans aient transformé radicalement la forteresse et
lui aient donné l'aspect qu'elle a encore ; c'est à eux en tout cas qu'il faut
en attribuer les parties les plus caractéristiques ; ils purent travailler avec
moins de hâte que n'avaient dû faire les Francs élevant les murailles de
Bodonitsa ou de Salona après 1222. Leurs successeurs, les Turcs, ont fait
quelques réparations, puisqu'ils occupaient la place : ils ont consolidé les
murs ébranlés par les tremblements de terre, muré telle ouverture,
exhaussé ou refait ici et là un parapet, remplaçant le crénelage par un
mur continu à meurtrières (au Sud de la grosse tour Est par exemple),
rajouté une barbacane qui révèle un art militaire plus évolué que celui du
Moyen Age, enfin reconstruit peut-être les défenses du dernier réduit;
mais ils ont fait le minimum nécessaire, on peut en être sûr; et c'est
grâce à cette indolence dont l'archéologue se réjouit que Livadie,
entretenue mais non défigurée, est restée un type bien caractéristique des
forteresses médiévales en Grèce.

Nous dépasserions les limites que nous avons fixées à cette étude, si
nous voulions en tirer des conclusions générales ; ce serait d'ailleurs une
tentative prématurée après une enquête aussi locale. Cependant quelques
remarques peuvent être faites.
Ces forteresses sont à la fois très semblables et très différentes : très
semblables parles conditions de leur construction, par leurs dispositions
générales ; très différentes parce qu'étant toutes des forteresses de
montagne et des œuvres de circonstances, elles s'adaptent au terrain et
aux conditions locales : constructions antérieures, matériaux existant ; en
un mot semblables dans leurs principes, différentes dans leur aspect.
FORTERESSES MEDIEVALES DE LA GRECE CENTRALE

Toutes révèlent un art militaire extrêmement primitif avec leur tracé


simple, leurs murs flanqués de tours rares, d'une épaisseur relativement
faible (1 m. 40 à 1 m. 80 en moyenne) ; il n'est pas plus développé que
celui de l'antiquité, puisque les ingénieurs du Moyen Age n'ont pas
éprouvé le besoin de s'écarter du tracé antique là où ils ont trouvé une
ruine suffisante pour servir de base à leurs murailles, et ce tracé antique
avec ses tours paraît presque plus savant que les parties proprement
médiévales. Ces ingénieurs ont pourtant innové en ajoutant partout un
échelonnement des défenses en profondeur par la construction de
citadelles ou de réduits, qui ne nous ont pas paru en général reposer sur des
vestiges antérieurs. D'autre part, ces fortifications, qu'elles aient été
occupées ou non jusqu'à l'époque contemporaine, ont souvent été
endommagées, mais très peu défigurées par des transformations modernes ;
c'est à peine si nous avons pu relever certains éléments dont la forme
s'explique par Tusage des armes à feu, un pan de muraille à Salona,
une barbacane à Livadie, quelques murs ou parapets continus à
meurtrières.
Enfin, ces forteresses ont encore ceci de remarquable qu'elles n'offrent
aucun élément d'architecture dont le style soit facilement datable ; sans
doute beaucoup de ces détails ont disparu, parapets crénelés,
encadrements des · ouvertures ; on voit des citernes aux voûtes grossières, de
lourdes portes, mais pas une chapelle, ni une ogive qui évoque le
souvenir des anciens maîtres. Et, même si l'on admet que certains de ces
détails aient existé et soient disparus, on doit reconnaître par ce qu'il en
reste que ce sont des monuments frustes, élevés sans art. Ceux qui les
firent construire, poussés par la nécessité, ne disposaient ni de moyens
puissants, ni d'architectes émérites. Pour permettre aux Autremencourt
et aux Pallavicini de fortifier leur fief, le pape Honorius III ne leur fit-il
pas remise d'un voyage à Rome, de peur que le prix de ce déplacement
ne les empêchât de pourvoir à la défense du pays ? — Et aux côtés des
Croisés qui occupèrent la Grèce, il ne devait pas se trouver de maîtres
d'œuvre habiles à tailler et assembler les pierres ; les Francs durent faire
appel à des ouvriers et à des contremaîtres grecs ignorants de la
fortification et de l'art occidental ; aussi n'y a-t-il pas une moulure, pas un
ornement, pas même un de ces agencements de pierre qui charment par
leur heureuse précision ; tout au plus quelques briques sont réunies pour
un décor rudimentaire ; il n'y a rien non plus d'original ou simplement de
remarquable en fait d'art militaire.
Ainsi ce sont des documents intéressants pour l'historien plus que pour
208 Α. BON

l'archéologue. Un seul château tranchait sur les autres, celui de Thèbes :


un hasard malencontreux n'en a laissé subsister qu'une tour qui, bien
qu'un peu décevante en comparaison de l'admiration hyperbolique des
contemporains, nous paraît en effet supérieure à toute autre, et combien
loin pourtant des forteresses que d'autres Français avaient construites
un peu plus tôt en Terre-Sainte.
A. Bon.

You might also like