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L’identité sexuelle UTL 2006-2007

Identité sexuelle et psychanalyse

"Les hommes, les femmes, les enfants, ce ne sont que des signifiants1"
J. Lacan

10identité.pdf
Pendant longtemps, on a cru que le sexe biologique c'était le destin, qu'en fonction du
sexe à la naissance, des portes se fermaient et d'autres s'ouvraient, aujourd'hui, la
pulsion égalitaire de notre monde vise à récuser ce déterminisme et souhaite un monde
ou toutes les portes resteraient ouvertes quelque soit le sexe anatomique, un monde ou
jamais une porte serait fermée pour moi et ouverte pour d'autres, parce qu'alors je
crierai à l'injustice et je serai une victime.

Cette pulsion égalitaire s'est appuyée notamment sur les théories du genre pour mon-
trer qu'être un homme ou être une femme résulte notamment d'une opération de so-
cialisation et certains groupes d'activistes ont donc défendus l'idée que dans la sociali-
sation de l'enfant il ne faut pas qu'on oriente son désir d'un coté ou de l'autre en
fonction des stéréotype du sexe, c'est à dire, on y revient, qu'on lui ferme des portes.

Orienter le désir d'un enfant, on voit mal comment nous pourrions faire autrement
puisque par définition, les parents sont tout de même là pour donner une certaine
direction.

J'ai trouvé depuis la dernière fois d'autres exemples de contestation qui s'inscrivent
parfaitement dans l'analyse que je vous ai faite. J'ai découvert que certaines fémin-
istes très engagées, comme la française Monique Wittig, dénonçaient la catégorie sexe
elle même comme catégorie stigmatisante, ceci toujours dans l'idée qu'au bout du com-
pte ce sont les femmes qui sont victimes : "la catégorie de sexe est une catégorie qui
régit l'esclavage des femmes et elle opère très précisément grâce à une opération de
réduction - {entendez comme un arbitraire} - comme pour les esclaves noirs, en
prenant la partie pour le tout, une partie (la couleur, le sexe), au travers de laquelle
un groupe humain tout entier doit passer comme au travers d'un filtre (…), cependant,
grâce à l'abolition de l'esclavage, la déclaration de la couleur est maintenant consid-

1. Séminaire Encore, Seuil 1975, p34

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érée comme une discrimination. Mais ceci n'est pas vrai pour la déclaration de sexe que
même les femmes n'ont pas rêvé d'abolir. Je dis : qu'attend-on pour le faire ?".
Monique Wittig ne conteste pas seulement la catégorie sexe mais aussi l'hétérosexual-
ité : "Les discours qui nous oppriment tout particulièrement nous lesbiennes féministes
et hommes homosexuels et qui prennent pour acquis que ce qui fonde la société, toute
société, c'est l'hétérosexualité, ces discours nous nient toute possibilité de créer nos
propres catégories, ils nous empêchent de parler sinon dans leurs termes".

En fait, Wittig revendique la possibilité de créer "nos propres catégories" tout en con-
testant la notion même de catégorie puisque du fait qu'on rentre dans une catégorie,
cela relève d'une contrainte. C'est en cela que Wittig est très moderne.

Certains théoriciens Queer (Sedgwick2 par exemple) poussent les choses jusqu'à af-
firmer que la catégorie des sexes homme/femme n'existe pas puisqu'il existe des dif-
férences anatomiques d'un sexe mâle à un autre sexe mâle etc… si tout est différent,
il n'y a plus de catégorie et donc plus d'arbitraire !
-
A ce propos, le psychanalyste Charles Melman a fait une conférence jeudi 22 mars à
Clermont-Ferrand sur le thème "Aimons nous encore les femmes ?". Je vais vous lire
quelques lignes de sa présentation :

"Un puissant courant moral et politique agit en faveur de la parité


hommes-femmes et de l'homogénéité des tâches, qu'elles relèvent de la
famille, de l'entreprise ou de la cité.
Ce mouvement est conçu comme un progrès culturel et vise le mieux-être
collectif. Il est notable qu'il s'inspire des courants philosophiques de
gauche comme d'écoles religieuses de droite, seuls l'intégrisme ou les
extrêmes traditionalistes (et encore !) faisant obstacle.

La modernité est ainsi placée sous le signe de la confusion des genres,


voire avec les USA, du libre choix offert à chacun du rôle - puisque le
sexe est ramené à l'apparence - qu'il entend jouer, fût-ce pour un temps
donné.

Les Anciens auraient vu dans cette promotion de l'androgynie un signe de


fin du monde. Nous partageons aussi cette crainte, mais en l'attribuant à

2. E.K Sedwick, Epistemology of the closet, Penguin book Londres 1990, p2, cité par javier Saez,
Théorie Queer et psychanalyse, edition Epel 2005, p86

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la pollution, et en la vivant dans l'ensemble, plutôt gaiement. Elle


n'entame pas le moral des consommateurs, voire l'excite.
Si le conformisme le permet, deux remarques se proposent :

- cette homogénéisation des sexes s'est déjà vue. À Sparte d'abord, et


contre Athènes la démocratique, qui confinait les femmes au foyer.
Ensuite, et plus récemment, dans les régimes totalitaires où, le devoir de
procréation mis à part, tous les autres étaient également distribués.

- quelle pente entraîne donc l'économie libérale vers ce même objectif ?


Car une femme est emblématique de l'altérité. Et le voeu de la "mêmifier"
(la rendre identique à soi) fait partie de l'ambition classique du
totalitarisme.

Je suppose que Melman part déjà de ce fil pour réintroduire ce qu'on a abordé la
dernière fois, ce qu'il a traité dans son livre d'entretiens avec Lebrun ; sur cette notion
de "femme est emblématique de l'altérité", je ne l'aborderai pas aujourd'hui, on verra
ça la prochaine fois.
-
J'ai employé le mot "queer", le "queer" c'est à l'origine un mouvement rebelle de Cal-
ifornie qui date de la fin des années 80, composé surtout d'homosexuels hommes et
femmes et qui se sont mis à contester toute forme de normalisation en matière de
sexualité et d'identité, vous le voyez, là encore on est en plein dans la modernité.

Si je pensais qu'effectivement nous pourrions être totalement libérés de certaines con-


traintes, autonomes, sans personnes pour nous dire ce qu'il faut faire (à part mon
médecin traitant), alors j'aurai pu terminer l'année de cette façon, j'aurai pu vous
laisser sur la déconstruction de l'identité, sur le fait qu'il n'y a rien de déterminé à la
naissance, que c'est relatif d'un continent à l'autre, d'une époque à l'autre, qu'être
homme ou femme relève d'une performance quotidienne parce que justement rien n'est
jamais acquis, qu'il s'agit d'un vernis etc… Cela vous aurait certainement laissé dans
une certaine instabilité, l'impression que rien n'est solide, que tout est mou, mais cela
convient bien à notre époque.

Hé bien tout ce que j'ai dit depuis le début de l'année, je ne le conteste pas, je pense
que c'est exact, je pense qu'effectivement, qu'homme, et femme relève - je fais court
- d'une mascarade. Je n'enlève donc rien de ce que j'ai dit. Le psychanalyste Jacques
Lacan, bien avant Judith Butler était encore plus incisif, dans son séminaire de 1972 il
dit ce que je vous ai noté au tableau, des signifiants, c'est à dire que cela relève pure-
ment et simplement du langage, on se range sous un signifiant, le signifiant homme par
exemple, avec toute la chaîne qui découle de ce signifiant : force, maîtrise etc…. Mais

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attention : il ne dit pas que la différence biologique des sexes n'existe pas, il parle
"d'homme" et de "femme", je suis un homme, je suis une femme.

Alors justement, qu'est ce que la psychanalyse peut nous enseigner du coté de l'i-
dentité sexuelle ?

Dans le numéro 15 de la revue "cerveau et psycho", il y a un article dont je vous ai


parlé rapidement la dernière fois à propos de l'homosexualité, cet article est intitulé
"l'homosexualité est-elle un choix ?", c'est, je vous le rappelle, la théorie du contin-
uum, celui des préférences sexuelles, qui va des personnes totalement hétérosexuelles
au personnes totalement homosexuelles. Cet article possède un sous titre qui nous
donne la clef de la démarche opéré dans cette théorie : "comportement". L'auteur de
l'article cite le cas de Matt, le sous titre de ce passage s'appelle "le choix de Matt" :
"Etudiant à l'université au début des années 80, il travailla dans un bar gay et
fréquenta des centaines de partenaires sexuels. Il eut également une relation d'une
durée de 4 ans avec un homme. Matt se qualifiait de "féminin". "Je pesais 65 kilos,
déclarait-il, j'avais des ongles longs, une queue de cheval, et je portais une boucle
d'oreille. On ne pouvait pas se tromper à mon sujet". A 24 ans, son partenaire rentra
d'un week end avec une information incroyable : "Etre gay n'est pas une vérité ab-
solue". Matt fut effaré, son ami se mit à sortir avec une femme. Le choc fut rude,
mais matt continua à fréquentrer de nombreux hommes. Pourtant il était destabilisé.
"Un jour, se souvient-il, j'ai décidé que l'homosexualité n'était peut être pas ma vérité.
Et je suis sorti avec une femme, c'était plutôt bien". Pendant 2 ou 3 ans, Matt ne sor-
ti qu'avec des femmes (…) il atteignit le point où ses fantasmes sexuels concernant les
hommes disparurent totalement (…) il devint probablement encore plus hétéro que
beaucoup d'hétérosexuels3".

La "théorie" du continuum a une particularité - je vais employer un gros mot -


topologique, c'est que si vous dessinez sur un tableau d'un coté les hommes et de
l'autre les femmes avec une ligne qui rejoint les deux, il ne vous manque rien, vous
pouvez mettre Matt au milieu, raconter que comme il est au milieu, il pouvait soit être
hétéro soit être homo, vous avez l'impression que tout est clair, que c'est limpide et
quand vous avez fini l'article, vous avez une bonne théorie ficelée en deux dimensions.

Pourquoi je vous parle à nouveau de la théorie du continuum ? Parce qu'elle a cette


particularité qu'elle suppose que le sujet peut surfer sur le continuum sans rencontrer

3. Robert Epstein, "L'homosexualité est-elle un choix ?", Cerveau et psycho N°15, p38 à 42

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de butée, il n'y a pas de rupture, il n'y a pas d'impossibilité, ce qui est - on l'a vu la
dernière fois - très moderne.

Soit dit en passant, si on se réfère et la psychanalyse, qu'est ce qu'on peut dire sur
l'homosexualité ou l'hétérosexualité ? Freud n'a jamais qualifié les homosexuels de
malades parce qu'il savait que l'hétérosexualité n'est pas inscrite dans les gènes, que
c'est une opération propre à l'histoire de chacun, il écrit en 1905 que "pour la psycha-
nalyse, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme n'est pas une chose qui va
de soi", dans cet essais, il soutient quelque chose d'essentiel, c'est que l'humain n'est
pas au prise avec un instinct qui lui dicte ce qu'il faut faire mais avec la pulsion qui
"jusqu'à un certain point, est dissociée de son objet4" ou bien que "la pulsion sexuelle
existe d'abord indépendamment de son objet5". Quinze ans plus tard, dans un article
sur l'homosexualité féminine, il écrit que "Notre libido à tous hésite normalement la vie
durant entre l'objet masculin et l'objet féminin" ou bien "La sexualité normale elle
aussi repose sur une restriction du choix d'objet, et qu'en général transformer un
homosexuel pleinement développé en un hétérosexuel est une entreprise qui n'a guère
plus de chances d'aboutir que l'opération inverse6" il précise plus loin qu'il existe une
différence entre les orientations sexuelles et les traits d'identité : "un homme dans le
caractère duquel les traits féminins l'emportent d'une manière aveuglante, qui va
jusqu'à se comporter comme une femme dans l'amour, devrait être aiguillé par cette
position féminine vers l'objet d'amour masculin ; mais il peut malgré tout être hétéro-
sexuel7". Autrement dit dans un langage plus moderne, un homme peut être efféminé,
se sentir homme et être hétérosexuel, d'autres permutations existent.

Ses élèves n'ont pas pris en compte cette lecture très ouverte de Freud et ont
souhaité être politiquement correct en stigmatisant l'homosexualité, pendant très
longtemps il était impossible pour un homosexuel d'être psychanalyste par exemple et
je pense que c'est encore le cas à l'IPA.

En France, Jacques Lacan a renversé tout ça, il a ouvert son école aux personnes sans
s'occuper de leurs pratiques sexuelles. Dans son séminaire de 72, il écrit des choses in-
téressantes sur l'amour, des choses stimulantes et dérangeantes, il dit que "quand on

4. Freud, 3 essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard 1962, p31


5. Idem p31
6. S.Freud, "sur la psychogénèse d'un cas d'homosexualité féminine", in Névrose, psychose et
perversion, Puf, 1974, p249 et 256
7. opus cité p268/269

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aime, il ne s'agit pas de sexe8", autrement dit, pour Lacan, le désir n'est pas déterminé
par le genre de l'objet élu, mais par un objet qu'on lui attribut (petit a), l'autre aurait
ce qui me manque.

Ceci étant dit, en lisant certains ouvrages queer, je me suis effectivement demandé ce
que j'aurai à répondre si on me demandait mon avis sur l'adoption d'un enfant par un
couple homosexuel ? Cela fait parti des choses qu'on demande des fois aux psy à la
télé ou à la radio et vous avez des réponses différentes selon les psy, certains affir-
ment que les couples homo produisent des enfants symboliquement modifiés, d'autres
que ce n'est pas problématique puisque cet enfant est issus d'un couple hétéro etc…
Après tout, si on est attentif à la théorie de Freud et Lacan, qu'on sort de l'idée qu'il
s'agit de monstres, ou est le problème ? Mais on pourrait me poser des questions beau-
coup plus difficiles, concernant la fécondation artificielle d'une femme dans une banque
du sperme, ou bien celle d'une femme avec le sperme de son mari décédé : qu'en pense
le psy ? Hé bien je crois que dans des histoires pareilles, on a tout intérêt à ne pas se
fourvoyer et à se placer du coté de la normalité, de ce qui est bon ou de ce qui ne
l'est pas, pour la simple raison que la psychanalyse n'est pas "la gardienne de la loi
symbolique". Je crois qu'en répondant sur une généralité de façon univoque, on se pose
comme expert, c'est à dire qu'on répond à la demande d'expertise : "qu'en pense l'ex-
pert psy ?", on tourne le dos au fait que "le psychanalyste est celui qui assume en
connaissance de cause l'impossibilité d'universaliser" (Colette Soler). Au final, le seul
point essentiel dans ces questions - pour moi - c'est que ces nouveautés dans la vie
privé reposent sur le refus de l'arbitraire, si il y a quelque chose à dire c'est surtout
de ce coté là.

Ceci dit, si les média interrogent les experts, c'est en partie parce que les médias sont
là pour distraire et par définition, l'expert produit un savoir clôt, qui ferme les inter-
rogations, il permet de roupiller tranquille. A ce propos, un auteur que je cite
régulièrement est décédé, il s'agit de Jean Baudrillard, Baudrillard avait une très jolie
formule pour parler des média modernes : pour tuer l'information il suffit de sur-
informer.

Alors tout à l'heure, je vous ai précisé quelque chose autour de cet article de psy-
chologie, je vous ai dit qu'un des sous-titres de l'article c'est "comportement", et bien
voyez vous, tout le problème que tente de dépasser la psychanalyse, c'est de ne pas
situer les choses du coté du comportement, pour la simple raison que le comportement
ne nous renseigne jamais sur ce qui l'anime. Je vous rapelle ce jeu de mot de Lacan :
le comporte-ment.

8. J.Lacan, Séminaire Encore, leçon du 19 décembre 1972, le seuil 1975, p27

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Le comportement, c'est ce à quoi nous avons accès, c'est ce qui semble nous donner une
certaines stabilité aux choses, si on reste sur le registre de l'identité sexuelle on
pourra dire qu'une femme qui s'habille de façon féminine, qui couche avec des hommes,
qui a des poses de femmes "assume sa féminité" par exemple, mais qu'est ce qui nous
garanti que cela ne relève pas de la mascarade ? Que ses fantasmes sont du coté
d'une rivalité avec les hommes par exemple ? Je n'ai pas pris cet exemple par hasard,
c'est un cas clinique exposé par Joan Rivière dans les années 50. Les exemples ne man-
quent pas, qu'un même comportement aura une signification totalement différente en
fonction du sujet, du contexte, des valeurs… Prenons cet autre exemple très banal,
cette femme qui tombe amoureuse d'un homme marié, ils se fréquentent quelques mois
et lui, un jour, lui annonce qu'il à tout dit à sa femme, qu'il la quitte et qu'il veut vivre
avec elle et là, patatras elle romp, sous prétexte de ne pas s'engager. Vous voyez, si
nous restons du coté du comportement, à les voir tous les deux dans la rue on pouvait
dire qu'ils s'aiment mais c'était sans compter que ce qui donnait à cet homme tout son
charme, c'est qu'il était l'homme d'une autre.

On peut citer un autre exemple, coté homme par exemple, celui de Don Juan, un psy-
chanalyste, Otto Rank, disciple de Freud, avait émis une hypothèse intéressante : Don
Juan était homosexuel, un homosexuel qui voulait se prouver qu'il ne l'était pas. C'est
une hypothèse, mais vous voyez bien que la logique à l'oeuvre n'est pas celle du com-
portement mais de ce qui peut psychiquement être en jeu dans un comportement. Sans
aller aussi loin qu'Otto Rank, on peut tout de même repérer que cette frénésie fémi-
nine du coté de Don Juan nous indique tout de même quelque chose : c'est qu'à chaque
fois, il y a quelque chose de raté, de raté du coté d'une rencontre. Si ça ne ratait pas,
si il pouvait rencontrer l'autre, il ne partirait pas dès qu'il a tiré son coup.

Nous passons notre temps à donner du sens aux comportements, aux notre et à ceux
des autres, je ne critique pas, c'est très bien, nous donnons du sens parce que cela
nous permet la plupart du temps de produire une certaine stabilité, si ce type en
voiture me double c'est qu'il est pressé, mais je pourrai aussi me dire comme certains,
que si il me double c'est qu'il cherche à m'avoir, qu'il veut se foutre de moi, etc.

En disant que la masculinité et la féminité relèvent d'une performance, on peut aussi


rabattre ça du coté du comportement, de la façon, du style d'être homme ou femme,
on ne peut qu'être de ce coté là puisqu'il n'y a pas de savoir sur le sexe, il n'y a pas de
savoir sur ce que c'est qu'être une femme ou un homme, quelque chose qui nous donn-
erait une garantie une bonne fois pour toute, sinon je n'aurai pas passé une année là
dessus.

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En 98 est publié un ouvrage queer qui est une étude sur les femmes ayant un com-
portement viril, ce que son auteur, Judith Halberstam appelle "une masculinité qui n'a
pas besoin d'homme pour être pensée9", elle soutient que la masculinité féminine est
contestée par la culture qui en a fait quelque chose de péjoratif, on parle d'hommasse
par exemple.

Le problème, une fois de plus, c'est que nous sommes du coté du théâtre social et
qu'une femme occupe un rôle viril ne nous indique peut être rien du tout sur ce qui est
en jeu pour elle dans ce comportement.

Pour terminer sur le comportement, on pourrait se demander si au bout du compte, ce


n'est pas l'acte sexuel qui permettrait de produire d'une certaine manière du masculin
ou du féminin, qu'un homme, c'est celui qui couche avec une femme ; ce qui nous renvoi
alors à la notion de performativité dont j'ai parlé, mais ça pose alors la question de
l'homosexualité : un gay qui fait l'amour à un homme se sentirait femme ? Freud, dans
son article sur "un cas d'homosexualité féminine", a souligné que justement, il s'agissait
de deux choses séparées, qu'une femme homosexuelle ne s'en sentait pas femme pour
autant10 par exemple.

Dans les années 50, un chercheur en cybernétique, Turing, a imaginé une machine qui
porte son nom et qui s'appelle "la machine de Turing", son idée c'était d'essayer de voir
si il était possible de produire un jour une machine ayant la faculté d'imiter la conver-
sation humaine (c'est à dire ayant une apparence sémantique humaine). Il invente un
test consiste à mettre en confrontation verbale un humain avec un ordinateur et un
autre humain à l'aveugle. Si l'homme qui engage les conversations n'est pas capable de
dire qui est l'ordinateur et qui est l'homme, on peut considérer que le logiciel de l'or-
dinateur a passé avec succès le test11. À l'origine Turing a imaginé ce test pour
répondre à sa question existentielle : « une machine peut-elle penser ? ».

9. Female masculinity, duke university press, Durham, 1998, cité par Javier Saez, opus cité p103
10. "Le degré d'hermaphrodisme psychique est dans une large mesure indépendant du degré
d'hermaphrodisme physique". In "sur la psychogénèse d'un cas d'homosexualité féminine", opus
cité p252
11. Le prix Loebner est une compétition annuelle qui permet de déterminer le meilleur programme
capable de passer le test de Turing. Bien que le prix soit attribué chaque année au logiciel jugé le
plus proche de la conversation humaine, dont ALICE a été un vainqueur à plusieurs reprises, le prix
attribué au système qui passerait le test de Turing n'a encore jamais été attribué (sources Wikipédia)

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Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que Turing s'est inspiré, je vous le
donne en mille, d'un jeu d'imitation dans lequel un homme et une femme vont dans des
pièces séparées tandis que d'autres personnes dans une autre pièces leur écrivent des
questions et lisent leurs réponses. Dans ce jeu l'homme et la femme essayent de con-
vaincre les invités qu'ils sont tous deux des femmes.

Depuis, le jeu s'est modernisé et vous l'avez peut être pratiqué à votre insu : les jeux
en réseau ou certains forum sur Internet sont habités par des personnes portant des
prénoms de femme alors qu'un homme en chair et en os se cache derrière. Qu'est ce
qui permet de deviner à quel sexe on a affaire à travers ce qui se dit ? Est ce qu'un
homme peut produire une pensée féminine et réciproquement ?

En fait, tout cela existe depuis très longtemps, cela s'appelle le roman, des romans
écrits par des hommes qui parlent de l'intimité d'une femme et Flaubert nous dit "Mme
Bovary c'est moi". Mais s'agit-il de l'intimité d'une femme ou d'une femme imité ? En
quoi le "parler femme" ou le "parler homme", le "penser femme" ou le "penser homme"
ne relèverait pas aussi du théâtre social, d'une performance d'un acteur qui imite ce
qu'il a attrapé du "parler homme" ou "du parler femme" ?

Le dispositif analytique, qui repose sur l'association libre, au delà des convenances, pro-
duit un savoir, quelque chose qui nous rapprocherait peut être plus du sujet que de l'é-
go, que de l'image que l'on donne, le fait qu'un sujet dise "tout ce qui lui passe par la
tête" permet-il de s'approcher d'une distinction au delà des apparences, de l'image, de
la mise en scène, entre homme et femme ? Autrement dit, l'inconscient est-il sexué ?
Comment l'inconscient traite le sexe ? Ou encore les fantasmes inconscients des
hommes sont-ils différents de ceux des femmes12 ?

Alors, sur l'identité sexuelle qu'est ce que la psychanalyse peut nous apprendre ?
Qu'est ce que la psychanalyse pourrait nous dire qui ne soit pas du coté du comporte-
ment, du théâtre social, de la représentation. C'est à dire - et c'est ça le point fonda-
mental - existe t-il un point, qu'il nous faudrait cerner, qui définisse une différence
psychique entre les sexes, un point transculturel.

D'abord, ce qu'on peut dire c'est que "La psychanalyse ne s'intéresse pas particulière-
ment à la biologie, aux hormones, ni même aux pratiques sexuelles. Ce n'est pas une

12. Autrement dit, la relation du sujet à l'objet est-elle différente ?

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sexologie13" nous dit Marie-Hélène Brousse, là ou elle a affaire à la sexualité, c'est du


coté de la parole. Mais pourquoi ne pas s'intéresser à la biologie ? Parce que la biolo-
gie - on l'a vu - ne donne aucune cordonnés au sujet sur le sexe, "la biologie n'est pas
porteuse d'un savoir sur le féminin, ni sur le masculin d'ailleurs14", elle donne des indica-
tions sur le réel du sexe mais cela ne produit pas des cordonnés qui baliseraient la vie
du sujet parlant. Une vulve ou un pénis n'informe en rien leur porteur sur ce que c'est
qu'être une femme ou un homme, sur le rapport entre les sexes.

Si l'animal réalise son identité d'adulte en très peu de temps ; dans le cas de l'homme,
du fait de sa prématurité initiale, cette identité exige du temps et qu'elle doit passer
par la médiation de l'autre, de ses parents, pour se constituer. C'est parce que l'humain
est immature à l'origine qu'il est malléable.

Si on part de cette prématurité, de cette absence de cordonnées, on a donc déjà un


premier élément, c'est qu'à l'origine il n'y a pas de différence psychique entre le bébé
garçon et le bébé fille. Pour Freud, si la différence des sexes est une réalité bi-
ologique, elle n'a pas d'équivalence du point de vue psychique, il écrit que "nous ne
savons pas ce qu'est un cerveau de femme15", c'est parce que pour Freud, l'inconscient
ignore la différence des sexes, il n'y a pas de représentation de cette différence.

Alors, de quelles opérations la psychanalyse a essayé de rendre compte qui vont


aboutir, déjà, à la construction d'une identité chez l'enfant ? Ce soir on va tirer ce fil
là : l'identité qu'est ce que c'est ? L'identité c'est le fait justement de se sentir "un",
de se penser "un", ce qui nous permet, dit Melman "de me donner cette sorte d'axe,
cette sorte de contance, de permanence, de solidité au delà de tous ces appels au
mimétisme16". Sans identité, nous serions des caméléons, comme dans cette nouvelle des
chroniques martiennes de Ray Bradbury ou un martien a cette capacité - qui le
détruira - de devenir celui que son interlocuteur rêve d'avoir en face de lui ; dans la
réalité, c'est d'ailleurs un trait de l'hystérie que de s'adapter à son interlocuteur, de
lui donner ce que l'hystérique croit qu'il lui demande, même si l'hystérique en souffre.

13. Marie-Hélène Brousse, Qu'est-ce qu'une femme ?, conférence du Pont Freudien, Québec,
2000
14. Idem
15. Freud, 3 essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard 1962, p28
16. C. Melman : "les 4 composantes de l'identité", conférence 1990 hôpital bicêtre, dispo sur le site
Freud-lacan.com

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L'identité est formée de plusieurs composantes, Charles Melman en évoque 4 : l'identité


imaginaire, l'identité symbolique, le symptôme et le désir inconscient. Pour les deux
derniers, je ne développerait pas, je vous renvoi à son article qui n'est pas trop
difficile.

L'identité, ce n'est pas quelque chose qui existe à la naissance, cela se construit et
c'est d'autant plus visible que ça se construit qu'il existe des cas ou ça ne se construit
pas, des enfants qui non seulement ne vont pas s'identifier comme garçon ou fille mais
qui passent devant un miroir sans se reconnaître, qui ne sont pas en mesure de dire
"moi" ou "je", que cela n'a aucune signification pour eux ; mais sans aborder la psy-
chopathologie, on sait par expérience que les petits enfants ont cette facilité d'em-
pathie en miroir face à l'autre, qu'ils reproduisent nos grimaces lorsqu'on est en face
d'eux ou que les pleurs d'un petit contaminent les autres, que c'est le visage d'in-
quiétude de la mère parce qu'il est tombé par terre dans le jardin qui va produire les
larmes, pas la douleur.

Si ces enfants psychotiques - sans identité - existent c'est donc parce que l'identité
n'est pas une opération automatique d'une part et d'autre part parce que l'identité né-
cessite un espace psychique entre la mère et son enfant pour se construire, un espace
de paroles qui anticipent déjà l'enfant comme identité avant même qu'il incarne cette
identité. C'est crucial.

Cette place de l'autre pour l'enfant, une place vitale, lieu des plaisirs mais aussi des
douleurs, c'est une place ou l'autre est tout pour l'enfant et cette place, l'enfant va
devoir progressivement la perdre. Dans son livre sur l'image inconsciente du corps,
Françoise Dolto évoque les différentes castrations symboliques que doit vivre l'enfant
au cours de sa maturation, quelles castrations l'enfant doit faire ? Des castration de
jouissances pulsionnelle, c'est cela qu'il doit perdre, et que sa mère doit supporter qu'il
perde pour s'éloigner de ce corps à corps maternel. Elle donne pour cela l'image du
rosier : si vous ne coupez pas la rose d'un rosier, vous aurez une belle fleur mais plus
de bouton. Le sevrage par exemple, c'est la castration d'un plaisir de bouche, c'est
cette castration là par exemple qui va lui permettre de s'autonomiser vis à vis de sa
mère, d'une part en étant moins dépendant d'elle pour manger et d'autre part en
mangeant avec les autres, la même chose, c'est un processus d'humanisation. Donc
cette castration a besoin pour s'opérer que l'enfant - qui pour Dolto a une éthique
progressive17, c'est à dire veut aller de l'avant - que l'enfant repère chez l'autre un
désir similaire.

17. Dolto, Séminaire de psychanalyse d'enfants, Points Seuil T3, p 27

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S'autonomiser vis à vis de sa mère, cela relève déjà de l'identification, l'enfant qui s'ha-
bille tout seul etc…, qu'il soit garçon ou fille, devient une mère pour lui même, il se
materne.

Le complexe d'oedipe, c'est le conflit produit entre un désir et une défense, l'interdit
de l'inceste qu'on peut résumer par "tu ne peux être tout pour ta mère" cette formule
étant valable tant pour le garçon que pour la fille. Classiquement, on dira qu'à défaut
d'avoir la mère tout à lui, l'enfant va s'identifier à celui qui l'a. Chez la fille cela
s'avère plus compliqué puisqu'elle va devoir se détacher de sa mère pour orienter son
désir du coté du père.

L'échec de cette opération, c'est à dire le refus de cette castration, cela produit la
névrose.

Alors il y a tout de même quelque chose à préciser, c'est qu'on ne voit pas pourquoi
spontanément le petit garçon va s'identifier au père, c'est à dire lâcher quelque chose
entre la mère et lui pour aller voir du coté du père, et pas la petite fille. Pourquoi
puisque la mère est interdite aux deux, à la petite fille comme au petit garçon ?
Pourquoi d'ailleurs vis à vis du père, le garçon se placerait du coté de l'identification et
la petite fille du coté de l'amour ? N'oubliez pas qu'il n'y a pas de coordonnés na-
turelles. Hé bien ces coordonnés, ce sont les parents qui les produisent. Qui position-
nent l'enfant dans une lignée familiale, générationnelle, et qui le placent du point de
vue de la différence des sexes. Mais si je me contente de dire cela, on est du coté de
la psychologie "il faut parler à ses enfants", ce n'est pas faux, Dolto a beaucoup écrit
là dessus, mais au delà de leur parler, c'est tout de même aussi du coté de l'inconscient
parental, de la place de l'enfant dans l'économie psychique des parents qui se situent
aussi les choses.

Certains analystes interrogés sur la question de l'adoption des enfants par des couples
homosexuels affirment qu'au bout du compte ce n'est pas grave puisque cet enfant est
issu d'un homme et d'une femme, il suffira de le lui dire. Mais vous voyez bien que les
limites de cette lecture, c'est qu'elle suppose qu'une certaine norme de la nature suffi-
rait pour placer l'enfant dans la bonne trajectoire, de lui donner les bonnes coordon-
nées pour son existence d'homme ou de femme à venir. Le problème c'est que là n'est
pas l'essentiel, on va dire que l'essentiel, c'est la place de l'enfant dans l'économie psy-
chique du couple, quel qu'il soit.

Je vais pousser encore ça avec l'exemple des demandes d'insémination artificielles par
des lesbiennes que j'ai évoqué tout à l'heure : en quoi cette demande là est plus prob-

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lématique pour l'avenir psychique de l'enfant que lorsqu'il s'agit d'une demande d'in-
sémination par le sperme d'un mari décédé ?

Pour résumer, la traversé de l'Oedipe suppose la possibilité pour l'enfant d'occuper une
autre place et donc de se dégager de celle ou il serait tout pour sa mère, cette autre
place nécessite l'introduction de ce que lacan a élaboré sous le terme de "nom du
père", c'est à dire non pas le père réel, mais une fonction symbolique. Pourquoi cette
différence ? Parce que le père réel n'est pas essentiel, il l'est en tant que facilitateur,
le père symbolique c'est d'abord dans la tête de la mère qu'il se trouve.

Si on part de cette élaboration, on peut mieux saisir les remarques de Dolto sur le fait
par exemple qu'il n'est pas vital pour l'enfant, psychiquement parlant, d'être élevé par
un couple, que l'essentiel c'est tout de même dans la tête de la mère que ça se situe,
que c'est là le premier temps de l'opération, que le second temps, celui de l'identifica-
tion, chez le petit garçon par exemple, il peut le trouver chez un oncle, un voisin
proche, et elle précise quelque chose d'intéressant, elle dit : "qui compte pour la
mère".

Si la dimension symbolique était secondaire dans l'opération de l'identité, on pourrait se


contenter des théories sociologiques de l'étiquetage par exemple ("les garçons en
bleue…"). Si nous en restions là, nous serions sur le versant imaginaire de l'identifica-
tion, au père ou à la mère, l'enfant va s'identifier à une image, à un moi idéal, Freud
est surtout de ce coté là18, du coté imaginaire de l'identification, Lacan introduira la
dimension symbolique propre à l'identification, c'est important parce que l'identification
imaginaire ne suffit pas pour répondre à la question de l'identité sexuelle du point de
vue de la psychanalyse.

La prochaine fois, nous aborderons les choses sur un autre versant, celui de la lecture
lacanienne de la sexuation.

18. Même si il évoque aussi "l'identification à un trait unique", que Lacan formalisera du coté du
trait unaire, différence pure du signifiant.

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