Professional Documents
Culture Documents
Henry
Naissance
le
10
janvier
1922
à
Haïphong.Son
père,
commandant
de
marine,
meurt
dans
un
accident
de
voiture
quand
il
a
dix-‐sept
jours.
Sa
mère,
au
lieu
de
reprendre
la
belle
carrière
de
pianiste
à
laquelle
elle
avait
renoncé
lors
de
son
mariage,
choisit
de
rester
en
Indochine
jusqu’en
1929
afin
de
mieux
se
consacrer
à
ses
deux
fils
dont
l’aîné
a
un
an
et
demi.
De
ces
premières
années
M.H.
gardait
le
souvenir
de
ses
jeux
d’enfant
dans
un
grand
jardin
et
des
longues
traversées
en
mer
quand
ils
retournaient
passer
l’été
en
France.
Il
a
toujours
aimé
les
vieilles
civilisations
d’Asie,
le
style
de
leurs
monuments
et
de
leur
statuaire.
Après
un
séjour
d’acclimatation
chez
des
amis
en
Anjou
puis
à
Lille
chez
son
grand-‐
père,
chef
d’orchestre
et
directeur
du
Conservatoire,
installation
de
la
famille
à
Paris
dans
le
Ve,
en
face
du
square
Langevin
où
sa
mère
demeurera
jusqu’à
sa
mort
en
1967.
Études
au
lycée
Henri
IV
où
Jean
Guéhenno,
son
professeur
de
littérature
française
le
remarque
comme
un
élève
exceptionnel.
Mais
dès
son
année
de
terminale,
«
entré
dans
le
monde
fascinant
des
idées
»,
a-‐t-‐il
dit,
c’est
à
la
philosophie
qu’il
se
destine.
En
classe
préparatoire,
il
privilégie
le
cours
de
Jean
Hyppolite
qui
deviendra
avec
Jean
Wahl
son
codirecteur
de
thèse.
Sa
passion
exclusive
pour
la
philosophie
lui
vaut
de
n’être
que
boursier
de
licence
au
concours
de
l’E.N.S.
L’hiver
1942-‐1943,
il
rédige
son
mémoire,
Le
bonheur
de
Spinoza,
que
son
directeur,
Jean
Grenier,
souhaitait
faire
publier
chez
Gallimard,
ce
que
les
restrictions
de
papier
et
la
censure
allemande
rendaient
alors
impossible.
La
Revue
de
Métaphysique
et
de
Morale
s’en
chargera
en
1944
et
1946.
Dès
le
début
de
juin
1943,
suivant
l’exemple
de
son
frère
parti
en
Angleterre
dans
le
groupe
des
vingt
premiers
«
Free
French
»,
M.H.
s’engage
dans
la
Résistance.
Il
rejoint
le
maquis
du
Haut
Jura,
section
Périclès
qui
regroupait
des
intellectuels.
Son
nom
de
code
était
Kant
parce
qu’il
n’avait
pu
emporter
dans
son
sac
à
dos
que
La
critique
de
la
raison
pure.
Dès
les
premiers
froids,
ils
descendaient
de
leur
montagne
pour
se
disperser
et
accomplir
leurs
missions
dans
le
Lyon
quadrillé
par
les
agents
de
Klaus
Barbie
de
sinistre
mémoire.
Cette
expérience
de
la
clandestinité
a
eu
une
grande
influence
sur
sa
conception
de
la
vie
et
l’orientation
de
sa
future
philosophie.
La
guerre
terminée,
négligeant
des
occasions
de
carrière
brillante,
il
passe
l’agrégation
de
philosophie
en
1945
avec
l’intention
de
se
consacrer
à
sa
réflexion
personnelle.
Jusqu’en
1960,
les
allocations
de
la
Fondation
Thiers
puis
du
C.N.R.S.
dont
les
années
étaient
alors
accordées
en
nombre
limité
l’obligent
à
enseigner
par
intermittence,
trois
ans
et
demi
au
total.
Lors
d’un
séjour
en
Forêt
Noire,
peu
après
la
guerre,
en
compagnie
de
Henri
Biraud
et
Jean
Beaufret,
il
était
allé
rendre
visite
à
Heidegger
alors
reclus
dans
son
petit
chalet
de
Todtnauberg.
Malgré
la
séduction
de
leur
long
entretien
philosophique,
l’orientation
de
son
propre
travail
l’éloignait
déjà
d’une
phénoménologie
de
l’extériorité
et
sa
lecture
approfondie
de
Sein
und
Zeit
alors
non
traduit
a
achevé
son
pressentiment
des
lacunes
de
toute
philosophie
intellectualiste
:
l’absence
d’une
prise
en
compte
de
la
vie
telle
que
chacun
l’éprouve.
Sa
première
initiative
a
été
de
rejeter
le
dualisme
traditionnel
du
corps
et
de
l’âme
ou
esprit
et
de
réunifier
ce
qui
n’aurait
jamais
dû
être
écartelé
en
ce
qu’il
a
appelé
«
corps
subjectif
»
puis
ultérieurement
«
chair
».
Les
analyses
de
Maine
de
Biran
lui
préparaient
pour
cela
le
terrain.
L’examen,
d’ailleurs
critique,
auquel
il
a
soumis
cette
œuvre
a
fourni
un
point
de
départ
au
développement
de
sa
propre
intuition
:
une
philosophie
de
l’immanence
concrète.
Cette
première
étude,
Philosophie
et
Phénoménologie
du
corps,
achevée
en
1949,
ne
sera
éditée
qu’en
1965
pour
des
raisons
universitaires.
Le
règlement
d’alors
exigeant
deux
thèses
publiées
en
édition
spéciale
pour
soutenance,
il
en
avait
fait
sa
thèse
secondaire.
C’était
le
premier
jalon
de
sa
recherche
principale,
L’Essence
de
la
Manifestation,
son
grand
ouvrage,
terminé
dix
ans
après.
Il
lui
avait
fallu
de
longues
années
pour
établir,
malgré
son
immense
admiration
pour
Husserl,
le
renversement
de
la
phénoménologie
intentionnelle,
la
grande
découverte
contemporaine
d’alors.
M.H.
estimait
qu’avec
ses
héritiers
français,
Sartre
et
Merleau-‐Ponty,
elle
se
situait
dans
le
prolongement
de
la
philosophie
classique
qui
depuis
la
Grèce
ne
se
consacre
qu’à
la
relation
impersonnelle
de
la
conscience
et
du
monde.
Elle
laissait
dans
l’ombre
l’essentiel
de
la
réalité
:
la
vie
en
laquelle
chacun
naît
à
l’être,
qui
n’est
donc
pas
hors
du
soi,
l’ipséité
constituant
une
évidence
immédiate
dans
l’épreuve
de
la
passivité
ontologique
et
dissipant
la
tentation
qui
commençait
alors
à
poindre
dans
la
mode,
la
«
crise
du
sujet
»,sous-‐produit
d’une
philosophie
de
la
représentation.
Son
jury,
J.
Hyppolite,
J.
Wahl,
P.
Ricoeur,
F.
Alquié,
H.
Gouhier,
avait
été
impressionné
en
février
1963
par
une
démonstration
qui
passait
par
le
démontage
des
grands
systèmes
existants
pour
aboutir,
au
terme
d’une
réduction
phénoménologique
rigoureuse,
fixée
par
des
notions
neuves
clairement
définies,
à
des
perspectives
inédites
qui
ouvraient
un
immense
territoire
à
la
spéculation
par
leur
renouvellement
positif.
Entre
temps,
M.H.
qui
s’était
marié
en
1958
avait
opté
pour
un
poste
à
l’Université
de
Montpellier
en
1960
de
préférence
à
celui
de
la
Sorbonne
que
souhaitait
lui
voir
prendre
Jean
Hyppolite.
Plus
soucieux
de
continuer
sa
recherche
que
de
promouvoir
son
œuvre,
il
avait
préféré
une
institution
aux
obligations
plus
légères,
située
dans
une
région
alors
aussi
belle
que
la
Grèce
et
où
il
pouvait
sans
perte
de
temps
pratiquer
les
sports
indispensables
à
ses
habitudes
de
travail.
Refusant
presque
chaque
année
la
possibilité
de
rejoindre
la
Sorbonne,
il
a
exercé
à
Montpellier
jusqu’à
sa
retraite
en
1982.
C’est
vers
1965
qu’il
entreprend
l’étude
de
Marx
dont
L’Idéologie
allemande,
travaillée
au
hasard
d’un
cours
d’agrégation
lui
avait
révélé
la
génialité
du
penseur,
déformée
et
pervertie
par
ses
disciples
à
des
fins
politiques
primaires.
Les
voyages
que
M.H.
avait
effectués
dans
les
pays
communistes,
Tchécoslovaquie,
Hongrie,
Allemagne
de
l’Est,
l’avaient
convaincu
sans
peine
de
l’échec
de
ce
qui
était
a
priori
une
initiative
aussi
neuve
que
catastrophique
:
fonder
autoritairement
une
société
sur
des
bases
rationnelles
sans
se
soucier
des
individus.
Il
avait
donc
entrepris
un
livre
sur
la
pensée
de
Marx.
La
mise
au
point
de
la
véritable
philosophie
marxienne
avait
exigé
une
recherche
de
longue
haleine,
soutenue
par
le
bonheur
de
découvrir
la
vivacité
d’une
intelligence
philosophique
exceptionnelle
mais
aussi
une
réflexion
voisine
de
la
sienne
qui
prenait
en
compte
la
subjectivité
à
propos
du
«travail
vivant
».
J.
Hyppolite
dont
il
était
devenu
l’ami
le
pressait
de
terminer
ce
livre
mais
sa
disparition
en
septembre
1968
ne
lui
a
fait
prendre
connaissance
que
des
premières
pages.
Cette
longue
étude
constitue
la
première
application
de
la
philosophie
henryenne
de
l’immanence
à
la
vie
concrète.
A
une
époque
où
la
puissance
soviétique
était
intacte,
ce
livre
dérangeant,
publié
par
un
outsider
qui
ne
se
réclamait
que
de
la
rectitude
philosophique
avait
déconcerté
les
médias
de
tout
bord.
De
gauche
parce
qu’il
défaisait
les
bases
du
marxisme
officiel,
dont
sa
préface
avertissait
qu’il
était
«
l’ensemble
des
contresens
qui
ont
été
faits
sur
Marx
».
De
droite
parce
qu’il
était
consacré
à
Marx.
Il
a
malgré
tout
été
lu
par
les
bonnes
têtes,
jeunes
souvent,
et
sa
publication
ultérieure
en
livre
de
poche
a
facilité
son
accès.
Cette
année
1976,
Gallimard
avait
également
publié
son
second
roman,
L’Amour
les
Yeux
fermés,
qui
a
obtenu
le
prix
Renaudot.
M.H.
aimait
écrire
des
fictions
pour
exprimer
sur
un
autre
mode
l’historial
de
la
vie.
Il
souhaitait
même
au
début
partager
ses
journées
entre
création
imaginaire
et
philosophie
mais
avait
rapidement
renoncé
à
pratiquer
simultanément
deux
registres
qui
se
contrariaient
:
maintien
du
mystère
dans
l’un,
explicitation
dans
l’autre.
En
1947,
à
la
suite
d’une
anecdote
racontée
par
un
ami
qui
venait
de
faire
son
service
militaire
sur
un
bateau
de
guerre,
il
avait
rédigé
en
quelques
semaines
un
récit,
Le
jeune
Officier,
sur
l’impossibilité
d’imposer
à
l’existence
une
structure
logique.
Une
amie
l’avait
exhumé
d’un
tiroir
et
envoyé
en
1954
chez
Gallimard
à
Roger
Nimier
qui
l’avait
fait
publier
dans
l’enthousiasme
et
vainement
tenté
de
lui
obtenir
le
prix
Goncourt.
Quant
au
roman
de
1976,
il
décrivait
l’effondrement
d’une
civilisation
prestigieuse
parvenue
à
son
apogée,
le
retournement
d’une
communauté
contre
elle-‐même,
phénomène
qui
s’est
tant
répété
au
XXe
siècle,
«
ce
siècle
à
l’échine
brisée
»,
disait
le
poète
russe
Mandelstam.
Ce
thème
avait
indigné
certains
critiques
qui,
indifférents
à
ce
qui
se
passait
à
Pékin
ou
ailleurs,
n’y
voyaient,
malgré
l’intemporalité
du
cadre
choisi,
qu’une
dénonciation
de
mai
68.
D’autres
avaient
relevé
le
gant,
mais
M.H.
qui
ne
songeait
qu’à
ses
idées
poursuivait,
imperturbable,
l’avancée
de
son
œuvre.
Son
roman
suivant,
Le
Fils
du
Roi
(1981),
expose
de
façon
symbolique
la
condition
de
la
vie
subjective.
Pour
faire
de
ses
personnages
des
fous,
il
avait
exploré
toute
une
littérature
psychiatrique
et
en
particulier
l’œuvre
de
Pierre
Janet.
En
même
temps,
il
préparait
son
livre
sur
l’advenue
de
la
notion
d’inconscient
dans
la
pensée
occidentale.
Invité
au
Japon
en
1983
par
Y.
Yamagata
au
Centre
de
Philosophie
française
d’Osaka,
il
a
pu
profiter
de
son
séjour
de
trois
mois
pour
structurer,
à
l’occasion
du
séminaire
qu’il
y
a
donné,
cet
essai,
Généalogie
de
la
Psychanalyse,
publié
en
1985,
dont
le
véritable
titre
était
Le
Commencement
perdu,
c’est
à
dire
la
métamorphose
progressive
de
l’affect
en
inconscient
par
toute
une
tradition
philosophique.
Héritage
reçu
par
la
psychanalyse
même
si
Freud,
qui
a
reconnu
la
puissance
des
affects,
s’est
soumis
dans
sa
théorie
à
l’entrave
d’une
philosophie
de
la
représentation.
C’est
un
dévoiement
identique
mais
d’une
autre
nature
que
celui
décrit
dans
L’Amour
les
yeux
fermés
qui
est
dénoncé
dans
l’essai
qui
a
fait
sensation,
La
Barbarie,
en
1987.
Il
s’agit
de
la
destruction
de
la
culture
par
l’idéologie
scientiste
qui
soutient
le
développement
de
la
technique.
Celle-‐ci
s’auto
produit
et
se
multiplie
en
roue
libre
aux
temps
modernes,
corrompant,
dénaturant
toutes
les
formes
de
l’existence,
le
travail,
l’économie,
les
loisirs,
l’éducation,
l’éthique,
bref
l’ensemble
de
la
praxis
humaine.
Pour
cette
mise
en
question
M..H.
se
réfère
à
sa
conception
de
la
culture
en
prise
directe
sur
sa
philosophie
de
l’immanence.
La
culture,
qui
ne
se
limite
pas
à
la
production
ou
à
la
connaissance
des
arts,
n’est
que
l’auto
transformation
constante
de
la
vie
qui
tend
à
se
dépasser
en
tout
domaine.
Elle
est
développement
positif
de
l’existence
entière,
ce
qui
explique
la
gravité
de
l’auto
destruction
de
soi
qu’est
la
«
barbarie
».
Grand
amateur
d’art
plastique
et
connaisseur
de
peinture,
M.H.
a
complété
ce
dévoilement
de
la
culture
dans
les
réflexions
suscitées
en
lui
par
les
tableaux
et
les
écrits
de
Wassily
Kandinsky,
l’inventeur
de
la
peinture
abstraite,
dont
une
récente
exposition
à
Beaubourg
venait
de
rassembler
un
ensemble
de
tableaux
éblouissants.
Voir
l’Invisible
(1988)
développe
sa
conception
de
l’art,
expression
du
corps
subjectif
qui
fait
la
preuve
de
la
richesse
et
de
la
différence
de
la
subjectivité.
L’art
abstrait
mais
aussi
toute
peinture
qui
s’écarte
du
réalisme
fait
voir
dans
la
lumière
du
visible
les
tonalités
affectives
de
la
vie
invisible.
Dans
l’historial
de
la
vie,
la
barbarie
n’était
pas
le
seul
fléchissement
qui
peut
atteindre
la
communauté.
La
chute
du
mur
de
Berlin
et
l’effondrement
des
régimes
totalitaires
qui,
croyant
y
trouver
un
remède,
se
sont
tournés
vers
l’économie
occidentale,
ont
reconduit
la
réflexion
de
M.H.
vers
les
vraies
raisons
de
l’échec
du
marxisme.
Mais
c’était
pour
mettre
celui-‐ci
dos
à
dos
avec
l’illusion
dont
jouit
le
capitalisme,
fondé
en
apparence
sur
des
principes
opposés
mais
qui
court
à
la
même
catastrophe
pour
la
même
raison.
Du
Communisme
au
Capitalisme
se
termine
par
l’apologue
de
la
mort
qui
attendait
à
Samarcande
celui
qui
était
allé
la
fuir
jusque
là.
Bien
que
publié
en
1990,
cet
essai
a,
hélas,
encore
gagné
en
actualité.
La
même
année,
M.H.
rassemble
sous
le
titre
Phénoménologie
matérielle
des
textes
qui
font
le
point
sur
la
méthode
impliquée
par
les
principes
de
sa
propre
phénoménologie.
Le
premier
définit,
à
propos
de
l’interrogation
husserlienne
du
temps,
la
façon
dont
la
phénoménologie
matérielle
se
différencie
de
la
phénoménologie
hylétique.
Les
deux
autres
démontrent
l’échec
de
la
phénoménologie
classique
à
produire
au
moyen
d’une
approche
intentionnelle
une
connaissance
de
la
subjectivité
mais
aussi
de
l’expérience
d’autrui,
toute
intersubjectivité
se
situant
en
réalité
au
niveau
d’une
communauté
pathétique.
Activité
intensifiée
de
conférencier
en
France
ou
à
l’étranger
et
surtout
aboutissement
de
longues
méditations
ont
fait
de
1996
une
année
où
se
dessine
plus
nettement
encore
la
rupture
de
M.H.
avec
une
phénoménologie
de
l’intentionnalité.
Il
publie
son
dernier
roman,
Le
Cadavre
indiscret,
conte
philosophique,
inspiré
par
un
cas
réel,
sur
le
pouvoir
politique,
l’argent
sale,
les
astuces
policières.
Mais
l'important
est
pour
lui
ailleurs:
C’est
Moi
la
Vérité
ouvre
une
période
nouvelle
de
sa
phénoménologie,
la
complète
en
consolidant
son
ontologie.
M.H.
répond
en
pleine
lumière
à
la
grande
question
de
la
philosophie,
posée
déjà
à
la
fin
de
l’Essence
de
la
Manifestation
et
qui
donne
toute
sa
dimension
à
l’expérience
immanente
de
l’auto-‐affection
:
si
chaque
vivant
vient
à
l’Etre
dans
la
vie,
n’est-‐ce
point
parce
que
cette
vie
est
Dieu
?
Une
vie
absolue
dont
l’Évangile
de
Jean
apporte
le
témoignage,
liant
Vie,
parole
de
Dieu
(le
Verbe)
et
la
vérité,
sans
rompre
avec
la
méthode
philosophique
la
plus
pure.
Une
vie
qui
garantit
à
chaque
homme
sa
dignité,
sa
responsabilité,
son
égalité
en
tant
que
Fils.
Car
seule
une
communauté
d’origine,
la
vie
invisible,
peut
justifier
une
communauté
visible.
Au
colloque
de
Cerisy
qui
a
été
consacré
à
M.H.
en
septembre
1996
et
qui
a
regroupé
une
centaine
de
participants
de
tous
pays
dans
une
atmosphère
très
chaleureuse.,
les
discussions
ont
donc
pu
porter
sur
la
totalité
du
champ
philosophique
qu’il
avait
exploré.
Souhaitant
repenser
le
problème
de
la
vie
jusqu’à
sa
limite,
il
a
complété
sa
réflexion
dans
Incarnation,
une
philosophie
de
la
chair
(2000)
qui
reprend
à
un
autre
niveau
la
question
du
corps
qu’il
avait
abordée
dans
son
premier
essai.
Une
mise
au
point
liminaire
reformule
énergiquement
les
raisons
et
les
modalités
de
son
renversement
de
la
phénoménologie
historique,
ce
qui
permet
l’affirmation
que
l’invisible
précède
le
visible
et
que
«
Dieu
est
beaucoup
plus
certain
que
le
monde.
Nous
aussi
».
C’est
la
chair,
reprise
élargie
de
la
notion
de
corps
subjectif,
qui
est
ouverture
sur
la
réalité.
C’est
elle
qui
fonde
la
liberté,
possibilité
de
mise
en
œuvre
de
son
propre
pouvoir,
c’est
elle
qui
porte
en
elle
l’Archi
Intelligibilité
de
la
Vie.
Le
développement
contient
une
longue
analyse
de
l’angoisse
en
prenant
appui
sur
la
relation
érotique
et
sur
l’échec
du
désir,
modalité
de
la
vie
qui
ne
se
reconnaît
pas
dans
son
extériorisation.
Car
la
vie
est
bonne
quand
elle
est
sans
pourquoi
et
demeure
dans
son
immanence.
Telle
Eurydice
sous
le
regard
d’Orphée,
elle
se
dissout
quand
elle
est
vue.
La
vie
est
invisible
tout
comme
Dieu.
«
L’incarnation
rend
manifeste
à
l’homme
sa
génération
invisible
»
Notre
chair
qui
n’est
pas
un
corps
opaque
est
en
son
pathos
la
Parousie
de
l’absolu.
L’essai
se
termine
sur
cette
phrase
:
«
Heureux
ceux
qui
souffrent,
qui
n’ont
rien
d’autre
peut-‐être
que
leur
chair.
L’Archi
gnose
est
la
gnose
des
simples
».
Ces
deux
derniers
ouvrages
lui
ont
gagné
l'écoute
de
ceux
qui
cherchent
dans
le
monde
actuel
enfoncé
dans
un
materialisme
générateur
d'insatisfaction
une
autre
conception
de
la
vie,
en
un
mot
des
valeurs
spirituelles.
M.H.
destinait
Paroles
du
Christ,
essai
où
il
oppose
notamment
le
langage
de
l’homme
et
la
parole
de
Dieu,
à
un
large
public.
Il
y
use
du
discours
simple
que
pratiquait
le
penseur
qui
l’a
souvent
accompagné,
Maître
Eckhart.
Atteint
d’un
mal
inguérissable,
il
a
corrigé
les
épreuves
de
ce
dernier
ouvrage
sur
son
lit
d’hôpital
avant
de
glisser
dans
la
mort
le
3
juillet
2002
avec
courage
et
lucidité.
Quelques
mois
avant,
il
souhaitait
faire
un
écrit
sur
«
la
subjectivité
clandestine
».
Ce
survol
biographique
souhaite
restituer
la
cohérence
d’une
recherche
philosophique
authentique
qui
s’est
frayé
sa
propre
voie,
insoucieuse
des
modes
et
des
idéologies
contemporaines.
Celui
dont
Paul
Ricoeur,
questionné
sur
ses
confrères,
disait,
«
celui
que
j’estime
le
plus,
Michel
Henry
»
et
auquel
Emmanuel
Lévinas
a
consacré
son
premier
cours
en
Sorbonne,
n’a
connu
qu’un
seul
mobile
:
«
savoir
ce
que
j’étais
vraiment
»,
comme
il
le
confiait
dans
un
entretien.
Or
la
philosophie
dans
laquelle
il
avait
été
formé,
un
intellectualisme,
concevant
l’individu
«
comme
un
sujet
libre
qui
constitue
le
monde
et
l’ordonne,
ne
correspondait
pas
à
ce
que
je
vivais
concrètement
».
Ce
désaccord
lui
a
fait
mesurer
l’énorme
impensé
de
la
réalité
vécue,
dans
les
systèmes
du
passé.
Un
impensé
qu’il
a
retrouvé
dans
le
courant
moderne
de
la
phénoménologie.
Toutefois,
avant
qu’il
puisse
accomplir
et
justifier
le
déplacement
régional
qu’il
visait,
l’existence
était
allée
au
devant
de
son
initiative.
Son
expérience
de
la
Résistance
au
lieu
de
susciter
comme
chez
nombre
de
ses
camarades
une
politisation,
avait
éclairé
sa
résolution.
La
nécessité
de
se
cacher,
de
dissimuler
ce
qu’on
pensait
et
surtout
faisait
avait
eu
cet
effet
:
«
L’essence
de
la
vraie
vie
se
révélait
à
moi,
à
savoir
qu’elle
est
invisible.
Dans
les
pires
moments,
quand
le
monde
se
faisait
atroce,
je
l’éprouvais
en
moi
comme
un
secret
à
protéger
et
qui
me
protégeait.
Une
manifestation
plus
profonde
et
plus
ancienne
que
celle
du
monde
déterminait
notre
condition
d’homme.
Définir
celui-‐ci
comme
un
animal
politique
n’était
plus
possible
».
La
violence
des
événements
plaçait
l’histoire
au
premier
plan
mais
le
mythe
de
la
société
«
en
recevait
une
atteinte
irréparable
».
La
société
était
devenue
«
l’espace
de
la
violence
des
armes,
de
la
délation,
du
marché
noir,
de
la
torture,
d’une
mort
atroce
pour
beaucoup,
de
la
peur
pour
tous.
Le
salut
se
tenait
justement
dans
le
secret
d’une
communauté
réduite
au
couple,
à
la
famille,
au
mieux
à
un
service
clandestin
toujours
trop
nombreux
d’ailleurs
puisque
constamment
menacé
par
l’infiltration
et
la
trahison.
Dès
ce
moment
j’avais
compris
que
le
salut
de
l’individu
ne
peut
lui
venir
du
monde
».
M.H.
n’a
jamais
méconnu
le
poids
de
l’histoire,
ses
régressions,
ses
bonheurs
aussi
ni
la
formidable
puissance
d’empêchement
des
idéologies.
Mais
il
la
considérait
dans
la
perspective
de
l’historial
dont
elle
n’est
que
l’apparence
:
son
activité
collective
est
le
fait
d’individus
particuliers,
ses
grands
mouvements
sont
la
surface
visible
de
la
vie
invisible.
Il
a
analysé
la
complexité
de
ce
rapport
dans
sa
grande
étude
sur
Marx
et
dans
ses
deux
livres,
La
Barbarie
et
Du
Communisme
au
Capitalisme.
Ses
parcours
dans
l’Europe
entière
notamment
n’étaient
pas
seulement
destinés
à
voir
et
revoir
fresques,
tableaux
ou
architectures
mais
à
mesurer
directement
certains
faits
de
civilisation
-‐
ou
d’effondrements
de
civilisation.
Mais
chacune
des
analyses
qu’il
a
consacrées
à
ces
phénomènes
repose
sur
la
remontée
au
principe
qui
œuvre
en
eux.
Voilà
pourquoi
dès
1945
c’est
le
statut
de
l’individu,
sa
réalité
invisible,
qui
a
été
le
but
de
sa
réflexion.
«
Savoir
ce
que
j’étais
vraiment
»
suppose
une
scrutation
de
la
façon
dont
on
sent
en
soi-‐même
la
vie.
Bien
qu’il
ait
démonté
exemplairement
un
bon
nombre
de
systèmes,
c’était
pour
se
faire
mieux
entendre
à
l’aide
du
déjà
connu
et
non
pour
jouer
sa
philosophie
sur
un
échiquier
conceptuel
où
triomphe
le
plus
malin.
C’est
cette
épreuve
de
la
vie
qui
lui
a
fait
refuser
d’emblée
la
séparation
d’un
corps
objet
et
d’
un
principe
intellectuel
ou
spirituel.
Le
corps
subjectif
est
identique
à
l’ego.
Il
est
le
lieu
de
la
révélation
,
ce
qui
fait
écrire
à
M.H.
dès
son
premier
essai
:
«
Notre
corps
est
un
savoir
qui
ne
présuppose
pas
que
nous
soit
déjà
ouvert
l’horizon
de
la
vérité
de
l’être,
mais
qui
est
au
contraire
le
fondement
et
l’origine
de
cette
vérité
».
Aussi
«
être
affecté
»,
cet
apparaître
de
l’apparaître,
but
de
la
réduction
phénoménologique,
façon
dont
l’essence
se
reçoit,
n’est
pas,
il
l’a
dit,
«
un
se
diriger
vers
mais
un
laisser
advenir
en
soi
ce
qui
se
révèle
par
soi
».
En
tant
qu’auto
affection
le
corps
subjectif
ne
doit
donc
rien
à
l’extériorité.
D’autre
part,
l’être
humain
s’est
reçu
dans
la
vie,
il
ne
s’y
est
pas
apporté
lui-‐même.
La
«
passivité
»
vient
de
cette
donation.
Elle
est
sentie
comme
telle
et
en
même
temps
elle
contient
un
«
Je
peux
»,
une
invite
à
l’effort,
à
l’accroissement
de
soi.
Ennemi
des
néologismes
tapageurs,
M.H.
a
usé
de
mots
connus
dont
il
a
toujours
défini
le
sens
et
tout
en
détruisant
la
conception
de
la
psyché
classique
qui
continue
de
régner
sur
les
esprits,
il
n’a
jamais
discrédité
celle-‐ci,
préférant
construire.
Accroissement
de
soi,
puisque
c’est
bien
de
soi
qu’il
s’agit
et
point
d’un
«
on
».
La
certitude
de
l’ipséité
fait
partie
de
chaque
mouvement
interne,
elle
n’a
pas
à
être
prouvée
par
le
recours
à
la
représentation.
C’est
une
révélation
sans
distance
qui
n’a
rien
à
voir
avec
ce
qui
est
communément
appelé
intériorité,
regard
tourné
vers
l’intérieur
de
soi
–
comme
si
une
telle
chose
était
possible,
comme
si
on
pouvait
se
dédoubler
pour
un
face
à
face
conscience-‐
objet
«
soi
»,
de
l’ordre
justement
de
la
représentation.
Elle
est
bien
sûr
également
étrangère
au
flux
des
états
psychiques
de
la
durée
bergsonienne,
de
leur
défilé
dans
la
conscience.
L’ego
concret
que
définit
L’Essence
de
la
Manifestation
adhère
à
soi,
se
meut
dans
son
essence.
M.H.
a
comparé
la
condition
du
vivant
à
celle
du
nageur
porté
par
la
mer.
D’où
ses
notions,
constitutives
de
l’ipséité,
qui
doivent
être
comprises
comme
métaphysiques
–
et
non
psychologiques
–
telles
que
«
souffrir
»,
c’est-‐à-‐dire
être
passif,
reçu.
«
Jouir
»,
c’est-‐à-‐dire
s’accroître
de
soi
dans
la
reconnaissance
de
cette
ipséité.
Croissance
qui
est
un
effort
qui
monte
du
dedans
et
n’est
pas
appelé
du
dehors.
L’affectivité
ne
doit
pas
être
confondue
avec
la
sensibilité
ou
avec
les
modalités
que
sont
les
sentiments
divers.
Elle
caractérise
la
donation
de
tous
les
mouvements
de
la
vie
y
compris
ceux
de
l’intellect,
elle
est
présente
derrière
chacun.
Comprendre
repose
sur
l’affection
première,
écrit
M.H
:
«
L’affectivité
a
déjà
accompli
son
œuvre
quand
se
lève
le
monde
»(
L'essence
de
la
manifestation,
604)
Ce
recentrage
ainsi
conçu
sur
le
sujet
–
qui
s’oppose
au
nihilisme
plus
ou
moins
sous-‐jacent
de
la
pensée
contemporaine
–
l’a
conduit
à
repenser
tous
les
grands
domaines
de
la
vie.
Son
étude
qui
rétablit
le
vrai
Marx
a
bénéficié
de
cette
assise
ontologique
:
la
subjectivité
corporelle
du
travail
vivant
qui
est
au
principe
de
l’économie.
Ont
été
l’objet,
on
l’a
vu,
de
sa
préoccupation
:
la
dénaturation
progressive
par
l’intellectualisme
des
affects,
l’aliénation
de
la
vie
contemporaine
par
l’idéologie
de
la
techno
science,
responsable
des
destructions
de
la
culture.
Il
s’est
surtout
attaché
à
une
réhabilitation
de
la
vie
invisible
avec
ses
vrais
phénomènes
que
sont
l’angoisse,
la
peur,
le
désir,
la
force
etc.
Il
a
donc
redéfini
l’action,
la
liberté,
le
mal,
la
relation
érotique,
et
bien
sûr
l’art
et
le
rapport
à
Dieu.
Ses
derniers
livres,
fidèles
à
la
conception
de
sa
méthode
phénoménologique,
placent
la
spéculation
à
un
autre
niveau
mais
pour
la
renforcer,
non
pour
contredire
ce
qu’il
avait
établi.
C’est
dans
cette
dimension
qu’ils
doivent
être
approchés.