Professional Documents
Culture Documents
CLAUDE ZILBERBERG
Résumé
des années soixante, à savoir d’une part le caractère achronique des struc-
tures, d’autre part la possibilité de produire par un simple jeu de réécri-
ture la temporalité : « On y voit déjà à l’œuvre l’ambition de construire
un modèle rigoureusement achronique, et de dériver les aspects irréducti-
blement diachroniques du récit, tel que nous le racontons ou le recevons,
par l’introduction de règles de transformations appropriées » (1984c : 71).
Le modèle initial retenu par Greimas est à la fois achronique et paradig-
matique : au titre du premier point, il exclut le temps ; au titre du second,
il ne se « syntaxise », ou se « syntagmatise », qu’en convoquant, sans la
déclarer, une « sémantique de l’action » qui est aux yeux de Ricœur le ga-
rant fiduciaire de l’indispensable transformation des relations en opéra-
tions que la théorie greimassienne requiert sans pouvoir la produire à par-
tir des prémisses restreintes qu’elle retient.
des relations est défaite. Mais pour l’observateur sourcilleux, cette trans-
formation ajoute « du » sens qu’elle emprunte à l’intelligence narrative,
« à la longue fréquentation des récits traditionnels ». Les structures narra-
tives de surface sont la scène où les actants se mesurent et où les objets de
valeur passent de main en main. Cette scène, dotée d’actants mais non en-
core d’acteurs, est la mieux maı̂trisée selon Ricœur : « Nulle part l’auteur
[Greimas] ne sent plus près de réaliser le vieux rêve de faire de la linguis-
tique une algèbre du langage » (1984c : 80). Ricœur suggère que cette ré-
ussite a pour corrélat, à la date où il écrit, le déficit des structures figura-
tives [discursives].
Parmi les adjonctions indispensables pour rendre la description des
contenus « adéquate » (Hjelmslev), Greimas dans son analyse de Deux
amis de Maupassant recourt aux structures aspectuelles traditionnelle-
ment requises pour rendre compte de l’état d’avancement des procès
pour un observateur donné. Ricœur ne conteste pas la pertinence des
catégories aspectuelles, mais leur légitimité, c’est-à-dire leur non-
appartenance à la structure élémentaire de la signification. La pertinence
— indiscutable — de l’aspectualité met en cause l’antériorité de la para-
digmatique sur la syntagmatique, des relations sur les opérations. Une
di‰culté du même ordre se fait jour à propos de la teneur des contenus
sémantiques traités par le carré sémiotique. D’un côté, les termes se pré-
sentent comme des places disponibles pour articuler une isotopie identi-
fiée, d’un autre côté, ces places sont en a‰nité avec deux catégories
anthropologiquement prégnantes : [vie versus mort] et [nature versus cul-
ture] ; l’élucidation du sens doit dès lors autant à la formalité de la struc-
ture élémentaire qu’à ces contenus dépositaires de valeurs capitales. Enfin
— et c’est la « troisième adjonction » au modèle initial selon Ricœur — la
dynamisation du modèle semble due à des destinateurs intervenant au ni-
veau figuratif : leur insertion au sein de la structure élémentaire de la sig-
nification ne laisse pas de faire problème ; la détermination (Hjelmslev)
établit — au rebours de ce qui devrait avoir lieu — la structure comme
variable et la destination-communication comme constante.1
proposé par R. Girard, les deux penseurs s’a¤rontent parce que l’un
comme l’autre « convoitent » le contrôle de la narrativité.
2.1. L’enjeu
3. Modération ?
axe sémantique
#
gradualité
procès d’un procès d’un
sujet non humain sujet humain
# #
aspectualité progressivité
définis !
définissants Propp-Greimas Aristote-Ricœur
# # #
mode d’e‰cience ! parvenir Survenir
mode d’existence ! Visée Saisie
mode de jonction ! Implication Concession
Notes
1. La démarche de Greimas reproduit sur ce point comme sur bien d’autres celle de
Hjelmslev dans les Prolégomènes. Dans le onzième chapitre, Hjelmslev aborde la rela-
tion entre le système et le processus et constate une double inégalité au titre de la man-
ifestation et de la préséance : « Un processus et le système qui le sous-tend contractent
une fonction mutuelle qui, selon le point de vue adopté, peut être considérée comme
une relation ou comme une corrélation. Un examen approfondi de cette fonction mon-
tre aisément que c’est une détermination dont le système est la constante : le processus
détermine le système . . . l’important est que l’existence d’un système soit une condition
nécessaire à l’existence d’un processus . . . On ne saurait imaginer un processus sans un
système qui le sous-tend parce qu’il serait inexplicable, au sens fort du terme » (Hjelms-
lev 1971a : 55–56). Hjelmslev n’évite pas la question qui préoccupe Ricœur : comment
12. Vers la fin de sa vie, Valéry écrit dans les Cahiers : « Quelle merveille que l’action mu-
tuelle des mots qui composent une phrase ! Cela passe l’imagination — cette composi-
tion des images, des signes opérateurs » (Valéry 1973 : 462).
13. Fr. Jullien (2001) montre dans son livre que la mimésis I telle que l’a conçoit Ricœur
est loin d’être partagée de par le monde.
14. Voir Steiner (1991). La relation du sujet singulier à la doxa est non pas implicative
comme le suppose implicitement Ricœur, mais concessive : bien que Hegel, Gœthe et
Hölderlin appartiennent grosso modo au même « monde », leur approche de l’Antigone
de Sophocle est d’abord personnelle.
Références
Cassirer, E. (1986). La philosophie des formes symboliques, tome 2. Paris : Les Editions de
minuit.
Coquet, M. (1987). Rencontre entre A. J. Greimas et P. Ricœur. In Sémiotique en jeu, M.
Arrivé et J. C. Coquet, 294–297. Paris : Hadès ; Amsterdam : Benjamins.
Deleuze, G. (1991). Nietzsche et la philosophie. Paris : P.U.F.
Fontanille, J. et Zilberberg, Cl. (1998). Tension et signification. Liège : P. Mardaga.
Greimas, A. J. (1970). Pour une théorie de l’interprétation du récit mythique. In Du sens I,
185–230. Paris : Seuil.
— (1987). De l’imperfection. Périgueux : P. Fanlac.
Greimas, A. J. et Courtés, J. (1979). Sémiotique. Dictionnaire Raisonné de la Théorie du Lan-
gage, vol. 1. Paris : Hachette.
Greimas, A. J. et Fontanille, J. (1991). Sémiotique des passions. Paris : Les Editions du Seuil.
Hjelmslev, L. (1971a). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris : Les Editions de Minuit.
— (1971b). Essais de linguistique. Paris : Les Editions de Minuit.
Jullien, Fr. (2001). Du ‘temps’ — Eléments d’une philosophie du vivre. Paris : Le collège de
philosophie.
Merleau-Ponty, M. (1999). La prose du monde. Paris : Tel-Gallimard.
Parret, H. (1995). Réflexions saussuriennes sur le temps et le moi. Les manuscrits de Hough-
ton Library à Harvard. In Saussure aujourd’hui (Colloque de Cerisy), M. Arrivé et Cl.
Normand (dir.), 85–119. Paris : Presses de l’Université de Paris.
Propp, V. (1970). Morphologie du conte. Paris : Points-Seuil.
Ricœur, P. (1980). La grammaire narrative de Greimas. Documents de recherche du Groupe
de Recherches sémio-linguistiques 15, 5–35.
— (1984a). Temps et récit, tome 1. Paris : Seuil.
— (1984b). Temps et récit, tome 2. Paris : Seuil.
— (1984c). La sémiotique narrative de Greimas. In Temps et récit, tome 2, 71–91. Paris : Seuil.
— (1985). Temps et récit, tome 3. Paris : Seuil.
Saussure, Ferdinand de (1962). Cours de linguistique générale. Paris : Payot.
Steiner, G. (1991). Les Antigones. Paris : Gallimard.
Valéry, P. (1973). Cahiers, tome 1. Paris: Gallimard.
Wöl¿in, H. (1989). Principes fondamentaux de l’histoire de l’art. Brionne : G. Monfort.