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li242

Xavier Blanco & Inès Sfar (dir.)

Lexicologie(s) :
approches croisées
en sémantique lexicale
Peter Lang

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li242 Le présent volume comporte un ensemble de
contributions qui montrent à quel point la disci­
pline de la lexicologie est à la croisée de toutes les
autres disciplines de la linguistique. Cet ouvrage
collectif réunit seize articles en lexicologie fran­
çaise et comparée de contributeurs appartenant
à quatorze universités européennes, américaines
et africaines. Il se donne pour ambition d’orienter
la réflexion vers de nouvelles pistes de recherche
qui tiennent compte, d’une part, des développe­
ments récents en description du lexique, notam­
ment en sémantique lexicale dans l’espace fran­
cophone et, d’autre part, de l’intégration progres­
sive d’une variété de domaines et sous­domaines,
comme la lexicographie, la terminologie, la néo­
logie, la phraséologie (en incluant la parémio­
logie), les études diachroniques et diatopiques, la
linguistique informatique, la linguistique contras­
tive, l’enseignement­ apprentissage des langues,
l’analyse du texte littéraire, la syntaxe lexicale, la
traductologie et la créativité lexicale, voire les
jeux de langage.

Xavier Blanco est professeur de philologie fran­


çaise à l’Université Autonome de Barcelone où il
enseigne la lexicologie, la sémantique et l’histoire
de la langue. Il est l’auteur de nombreuses publi­
cations en lexicologie française et comparée, en
lexicographie et en traduction. Il dirige le groupe
de recherche Phonétique, Lexicologie et Séman­
tique (UAB­SGR 442).
Inès Sfar est maître de conférences à l’UFR de
Langue Française de l’Université Paris Sorbonne
et membre de l’équipe Sens, Texte, Informatique,
Histoire (EA 4509). Elle a publié plusieurs articles
et dirigé plusieurs ouvrages sur les langues de
spécialité, la phraséologie, l’humour, la traduc­
tion, l’enseignement­apprentissage de la gram­
maire française et les études contrastives
ISBN 978-3-0343-3056-5
(français­arabe).

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Lexicologie(s) : approches croisées en sémantique lexicale

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Linguistic Insights
Studies in Language and Communication

Edited by Maurizio Gotti,


University of Bergamo

Volume 242

ADVISORY BOARD
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Jan Engberg (Aarhus)
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PETER LANG
Bern • Berlin • Bruxelles • New York • Oxford • Wien

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Xavier Blanco et Inès Sfar (dir.)

Lexicologie(s) : approches croisées


en sémantique lexicale

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« Die Deutsche Nationalbibliothek » répertorie cette publication dans la « Deutsche
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ISSN 1424-8689 hb. ISSN 1424-8689 eBook


ISBN 978-3-0343-3056-5 hb. ISBN 978-3-0343-3057-2 eBook
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Table des matières

Xavier Blanco & Inès Sfar


Présentation............................................................................................7

Salah Mejri
L’unité lexicale au carrefour du sens. La troisième
articulation du langage.........................................................................19

Danguolė Melnikienė
L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu »,
dans Le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré................49

Małgorzata Izert & Ewa Pilecka


Quelques moyens d’intensification « non-standard » et leurs
usages en français contemporain : une recherche sur corpus..............67

Inès Sfar
Le proverbe : dénomination d’un concept préconstruit
ou vérité générale ?..............................................................................91

Thouraya Ben Amor Ben Hamida


Les fondements linguistiques du jeu de mots....................................113

Pierre-André Buvet
Les noms de métier : diversité, non fixité et invariance.....................133

Àngels Catena
Les locutions verbales du champ sémantique communication
en espagnol et en français. Identification des composantes
sémantiques........................................................................................153

Jan Goes
Les adjectifs dits « de relation » ou la montée
en puissance d’un lexique adjectival particulier................................177

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6 Table des matières

Christine Portelance
Sémantique cognitive : du rôle de l’adjectif
dans l’émergence de catégories..........................................................199

Antonio Pamies & Yara El Ghalayini


Les métaphores de la lumière à la lumière
de la métaphore (français-arabe)........................................................219

Pedro Mogorrón Huerta


Similitudes / différences dans les formations diatopiques
des expressions figées en espagnol et en français..............................245

Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim


La variation lexicale dans le portugais brésilien................................269

Xavier Blanco
Sémantique lexicale et combinatoire :
le combat singulier dans le Roman de Thèbes...................................295

Yauheniya Yakubovich
De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire : les anomalies
linguistiques dans les textes poétiques...............................................355

Marie-Sophie Pausé
Locutions : du défigement à la flexibilité formelle,
il n’y a qu’un pas…............................................................................383

Monika Sułkowska
Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique....... 407

Notes sur les contributeurs.................................................................429

Index des termes................................................................................437

Index des auteurs................................................................................441

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Présentation

Le présent volume comporte un ensemble de contributions qui montrent


à quel point la discipline de la lexicologie est à la croisée de toutes
les autres disciplines de la linguistique. S’étant imposée grâce au
lexique, comme objet d’étude qui lui est propre, elle implique toutes
les dimensions susceptibles d’intervenir dans l’étude de l’ensemble des
unités lexicales : la forme, le sens, la syntaxe, le discours, etc.
Tous ces aspects concourent à construire une structure complexe
dont on peut ramener les principales problématiques aux points sui-
vants :

– les propriétés formelles,


– les relations sémantiques,
– l’enchaînement syntagmatique,
– l’organisation paradigmatique,
– l’insertion dans le discours,
– les spécificités culturelles, etc.

Cet ouvrage collectif, qui réunit seize articles en lexicologie fran-


çaise et comparée de contributeurs appartenant à quatorze universi-
tés européennes, américaines et africaines, se donne pour ambition de
reprendre de telles problématiques de manière à orienter la réflexion
vers de nouvelles pistes de recherche qui tiennent compte, d’une part,
des développements récents en description du lexique, notamment en
sémantique lexicale dans l’espace francophone et, d’autre part, de l’in-
tégration progressive de ces méthodologies de la part d’une variété de
domaines et sous-domaines, comme la lexicographie, la terminologie,
la néologie, la phraséologie (en incluant la parémiologie), les études
diachroniques et diatopiques, la linguistique informatique, la linguis-
tique contrastive, l’enseignement-apprentissage des langues, l’analyse

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8 Xavier Blanco & Inès Sfar

du texte littéraire, la syntaxe lexicale, la traductologie, la créativité lexi-


cale, voire les jeux de langage.
Trois axes structurent ce recueil d’articles :

– il s’agit tout d’abord de montrer que le sens se trouve au croise-


ment de tous les autres niveaux d’analyse linguistique et que son
étude doit tenir compte de la nature de l’unité linguistique qui
lui sert de support. L’objectif principal est de décrire la fonction
dénominative des unités lexicales quelle qu’en soit la forme  :
morphémique ou polymorphémique (les onomatopées, les
morphèmes d’intensification et les syntagmes quantifieurs, les
proverbes et les jeux de mots) ;
– dans la deuxième partie, on insistera sur la relation entre sens
et forme pour montrer que le sens prend forme dans des cadres
discursifs différents qui vont de la phrase au texte et que son
étude doit rendre compte des contraintes imposées par ces
cadres d’analyse (combinatoire, métaphorique, pragmatique,
diachronique, diatopique, etc.).
– la troisième partie propose une approche de la sémantique lexicale
appliquée à l’informatique et à la didactique afin de compléter le
panorama théorique.

Le lexique, qu’il soit abordé par le biais de la partie du discours ou consi-


déré comme point de rencontre des différents niveaux de description
linguistique, se trouve au centre de toutes les contributions et, en parti-
culier, celle de Salah Mejri, qui représente les prolégomènes du présent
ouvrage de par son double objectif  de synthèse et d’innovation. Tout
d’abord, S. Mejri commence par passer en revue les grandes tendances
de l’étude du sens, depuis les travaux privilégiant la nature de l’unité
d’analyse (morphème, mot ou unité polylexicale) à ceux se centrant
sur la valeur de vérité des énoncés en passant par ceux focalisant sur le
cadre dans lequel le sens prend forme (phrase, cotexte ou contexte). Il
se penche, ensuite, sur le traitement du sens par la grammaire et par la
lexicographie en montrant comment celle-ci a privilégié le sens lexical.
Pour le volet innovateur, l’auteur postule l’existence d’une troisième
articulation du langage dont l’unité linguistique correspondrait à l’unité
lexicale. Ladite troisième articulation, lieu d’interaction entre l’infra- et

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Présentation 9

le supra-lexical, viendrait combler l’hiatus existant entre le morphème


et l’énoncé complet. L’unité lexicale constitue, par ailleurs, le lieu des
trois fonctions primaires du langage : celle du prédicat, de l’argument
et du modalisateur et représente, en même temps, le point de rencontre
de trois opérations : la référentiation, la dénomination et les relations
sémantiques primitives (dans la mesure où l’unité lexicale renferme une
prédication complexe, car elle porte en elle-même une proposition ana-
lytique qui conditionne son insertion dans l’énoncé).
L’article de Danguolė Melnikienė vient illustrer parfaitement la
question du statut de l’unité linguistique. En effet, en présentant les dif-
férents points de vue à propos de la description lexicographique des
onomatopées, elle soulève des interrogations, pour le moins actuelles,
autour du statut lexical de l’onomatopée et de la légitimité de son
traitement lexicographique. En analysant les particularités du recen-
sement et de la description des onomatopées dans le dictionnaire de
Littré, elle montre comment ce dictionnaire représente un tournant
dans le domaine du traitement lexicographique de l’onomatopée, dans
la mesure où il prend en considération cette partie du discours non
seulement comme procédé de formation de mots, mais aussi comme
«  mot imitatif  ». Littré rend compte dans sa nomenclature d’entrées
comme miaou, frou-frou ou patati-patata en leur accordant le statut
grammatical d’« onomatopée », sans renoncer bien entendu à présenter
les éventuels emplois substantifs de ces formes. Même si le célèbre
érudit ne décrit pas toujours de façon uniforme toutes les onomatopées,
il demeure néanmoins le premier lexicographe français à avoir montré
un intérêt marqué pour ces unités lexicales et à en avoir proposé une
description qui a été héritée par les dictionnaires contemporains.
C’est avec l’article d’Ewa Pilecka et Malgorzata Izert que la pro-
blématique de la nature de l’unité linguistique comme support du sens
prend tout…son sens. En adoptant une approche onomasiologique dans
l’étude de l’intensification, elles confirment l’idée que le lexique n’est
autre qu’une superposition de couches ou réseaux sémantiques et que
son étude nécessite de passer entre les mailles de ce « filet sémantique »
pour déterminer avec précision les formes lexicales impliquées dans
l’expression du sens. Les auteurs étudient quatre moyens d’intensifi-
cation : les préfixes méga, giga- et hypra-, les quantifieurs nominaux
une forêt de N et une marée de N, les verbes intensifieurs Vcouleur de

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10  Xavier Blanco & Inès Sfar

Naffect (par exemple, rougir de colère) et les collocations de type Adj/N à


faire V de Naffect SNparangon (par exemple, un amour à faire pâlir de jalou-
sie Roméo et Juliette). Ces moyens, qui appartiennent au vocabulaire
courant du français actuel, élargissent considérablement le choix des
marqueurs d’intensité et connaissent une large diffusion. Elles montrent
comment l’exploration de corpus sur le Web permet de découvrir une
très grande quantité d’information qui est absente des descriptions lexi-
cographiques disponibles.
Les contributions d’Inès Sfar et de Thouraya Ben Amor Ben
Hamida viennent corroborer la réflexion sur le statut linguistique des
unités polylexicales (les énoncés proverbiaux pour la première et les
jeux de mots linguistiques pour la seconde) dans l’étude du lexique,
celle-ci ne pouvant pas se contenter de la catégorisation grammaticale
des parties du discours. Selon I. Sfar, si la sémantique morphémique a
pris pour support d’analyse les mots, les unités monolexicales (simples
ou construites) et les unités polylexicales (des plus figées au moins figées),
on est en droit de se demander quelle sémantique peut-on impliquer
dans l’analyse des énoncés, sentencieux ou non sentencieux, mais qui
du point de vue sémantique représentent une cohérence et une globa-
lité suffisantes pour en faire des énoncés syntaxiquement autonomes.
En attribuant le statut d’unité de troisième articulation au proverbe,
elle confronte sa fonction essentielle de dénomination à sa valeur de
vérité générale. Selon l’auteur, en tant que « signe-phrase », le proverbe
constitue à la fois une unité intégrante en langue, compte tenu des items
lexicaux qui le composent, et une unité intégrée, dès lors qu’il s’in-
sère dans le discours. Sa valeur de vérité ne ressort pas à une vérité
absolue et universelle qui transcende les cultures et les croyances, mais
à une réalité linguistique, imposée par son statut dénominatif. T. Ben
Amor Ben Hamida, pour sa part, montre que le jeu de mots participe
tout à fait des domaines de la lexicologie et de la sémantique lexicale,
dans la mesure où il participe de toute une série d’oppositions fonda-
mentales en linguistique, à savoir : la paire motivation / immotivation
(qui appelle la remotivation), la complémentarité de l’axe syntagma-
tique et de l’axe paradigmatique, le principe dual de l’analogie, l’auto-
nymie (qui implique un emploi en mention face à un emploi en usage),
la polysémie et l’inférence. De façon plus spécifique, le jeu de mots en

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Présentation 11

français exploite les idiosyncrasies morphosyntaxiques de cette langue,


comme l’ambiguïté de la structure N de N ou l’existence de noms épi-
cènes.
Réduire le sens à la nature de l’unité linguistique (morphé-
mique vs poly-morphémique) c’est amputer l’étude lexicale d’une des
approches les plus innovantes du XXe siècle, celle qui considère en
effet que c’est dans la combinatoire que naît le sens des unités lexi-
cales et que l’étude sémantique des unités lexicales ne doit pas se faire
en dehors du contexte (droit et/ou gauche) de celles-ci. C’est ce qu’a
tenté de montrer Pierre-André Buvet à travers l’étude des noms de
métier. En présentant une typologie sémantique des noms humains,
il constate, d’une part, que la dénomination est fondamentale pour la
catégorisation et, d’autre part, que les propriétés morphosyntaxiques et
sémantiques des noms de métier expliquent leurs particularités déno-
minatives. Il fait appel à la notion de « moule phraséologique » au sein
duquel il est possible de décrire les très nombreuses variantes observées
(directeur des opérations > directeur opérationnel ; directeur associé
des finances > directeur des finances associé). Le dictionnaire élec-
tronique dont rend compte cet article recense et décrit plus de 80 000
noms de métier. Leur nombre et leur variété s’expliquent par trois capa-
cités mises à l’œuvre au sein des moules phraseólogiques : la capacité
lexicale (stockage des mots), la capacité structurelle (organisation des
niveaux morphologique, syntaxique et sémantique et imbrication de ces
niveaux) et la capacité combinatoire.
Àngels Catena, quant à elle, inscrit son étude le cadre de la lexi-
cologie explicative et combinatoire. Elle aborde l’analyse sémantique
des locutions. Son but est d’identifier la composante centrale du sens
des locutions, ce qui lui permet, d’une part, de tester et d’enrichir le
système d’étiquettes sémantiques employées comme genre prochain
des définitions lexicographiques et, d’autre part, de contribuer à préci-
ser et à normaliser ces définitions. Dans une optique contrastive espa-
gnol-français, l’article se centre sur les locutions verbales appartenant
au champ sémantique «  communication langagière  » et précise les
conditions d’attribution des différentes étiquettes sémantiques appli-
quées aux locutions qui comportent le sémantème ‘dire’ dans une com-
posante non périphérique de leur définition.

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Avec les articles de Jan Goes et Christine Portelance, qui choi-


sissent comme support d’analyse l’unité adjectivale, la notion d’emploi
acquiert toute sa légitimité. En effet, si le premier auteur défend l’hypo-
thèse que l’adjectif de relation n’est pas en rapport d’homonymie avec
l’adjectif qualificatif homographe (hypothèse dite «  unitaire  »), mais
qu’il s’agit bel et bien de deux emplois d’un seul adjectif, la deuxième
montre comment le composé nominal peut relever de deux modèles de
sens différents pour un adjectif : l’un qui serait descriptif (par exemple,
doux signifiant ‘contient du sucre’  : vin doux/vin sec) et l’autre qui
serait instructionnel (doux comme atténuateur  : drogue douce/drogue
dure, gymnastique douce, etc.). En fournissant une étude détaillée des
adjectifs dits « de relation », relevant d’une productivité de plus en plus
large aussi bien en langue générale qu’en langues de spécialité, Goes
tente de montrer qu’il y aurait des adjectifs statistiquement relation-
nels (présidentiel) et des adjectifs statistiquement qualificatifs (gra-
cieux). Selon lui, l’interprétation d’une occurrence d’un adjectif donné
dépendrait, en dernière instance, du substantif porteur, quitte à trouver
quelques syntagmes ambigus, comme une chanson populaire. Le fait
que l’emploi relationnel des adjectifs dénominaux devienne de plus en
plus courant pourrait s’expliquer, entre autres facteurs, par le fait que
les adjectifs relationnels sont des termes classificatoires par excellence,
ce qui les fait particulièrement appropriés pour la dénomination dans
les langues de spécialité. L’auteur montre bien que l’emploi relationnel
est possible avec tout type sémantique d’adjectif dénominal et qu’à côté
de la construction relationnelle standard (l’héritage césarien) on trouve
un emploi « argument » (la conquête césarienne).
En tenant compte de la cognition, qui « crée » le monde moyen-
nant un va-et-vient entre contraintes extérieures et activité intérieure,
Portelance affirme que la catégorisation est au cœur du langage mais que
les catégories ne sont pas universelles. Elle prend bien soin de signaler
qu’au sein de syntagmes terminologiques, tout adjectif se comporte
comme un adjectif relationnel, ce qui l’amène à parler d’adjectifs des-
criptifs terminogènes. Dans ces derniers exemples, doux se comporte
comme un adjectif relationnel (il n’admet pas de construction attri-
butive ni de modification adverbiale). Une autre fonction adjectivale
serait représentée par l’adjectif de changement de domaine (comme,

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Présentation 13

par exemple, dans navigation aérienne). Cet adjectif altère la défini-


tion de sa base nominale, dans la mesure où le trait sémantique [+eau]
n’est plus pertinent. Cela facilite les analogies ultérieures (navigation
sur Internet, navigation sociale, etc.).
En intégrant également le point de vue cognitiviste, Anto-
nio Pamies et Yara El Ghalayini tentent de montrer que le sens prend
forme également au niveau du cotexte et que l’analyse isotopique est
en mesure d’attribuer des valeurs sémantiques à des unités lexicales.
Et ce en prenant l’exemple du concept de lumière, et en élargissant
l’étude à d’autres langues, comme l’arabe. Après avoir passé en revue
les nombreuses extensions métonymiques du culturème lumière (et sa
contrepartie, l’ombre) dans les deux langues, ils aboutissent au constat
que la lumière est associée à la connaissance (mettre qqch. en lumière,
faire la lumière sur qqch.), à l’intelligence (être une lumière, avoir
une idée brillante), à la vérité (parler clair, être transparent), à l’hon-
neur (naissance illustre, coup d’éclat), à la vie (donner le jour, voir le
jour), à l’espoir (rayon d’espérance, lueur d’espoir), à la joie (regard
rayonnant, visage radieux). Le blanc et le jour hériteraient des valeurs
métaphoriques positives de la lumière (blancheur virginale, aube d’es-
poir), alors que le noir et la nuit incarneraient les valeurs opposées (liste
noire, la nuit éternelle). Les auteurs insistent sur le fait qu’il existe,
en diachronie, une expansion radiale du sens d’après un ordre logique
motivé, alors qu’en synchronie, l’ordre des expansions ne serait pas
pertinent  ; le locuteur connaît l’existence des associations sans avoir
pourtant besoin d’en connaître l’orientation.
Les trois contributions de Pedro Mogorrón Huerta, Josane
Moreira de Oliveira et Marcela Moura Torres Paim et Xavier Blanco
viennent illustrer la réflexion au sujet des contraintes variationnistes
impliquées par les différents contextes d’emploi du lexique (diato-
pique, diastratique, diachronique) en étudiant respectivement les simi-
litudes et différences dans les formations diatopiques des expressions
figées en espagnol et en français, la variation lexicale diastratique dans
le portugais brésilien et l’ensemble des moyens lexicaux diachroniques
employés pour rendre compte du motif du combat singulier dans le
Roman de Thèbes.

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14  Xavier Blanco & Inès Sfar

Pour le faire, Mogorrón Huerta adopte le point de vue diatopique


pour faire ressortir l’extrême variété phraséologique apportée par la
dimension mondiale de l’espagnol et du français. En effet, pour véhiculer
un même sens il n’est pas rare de trouver des solutions fort divergentes
selon les zones géographiques prises en considération. Pour l’espagnol,
l’auteur présente des données de l’espagnol péninsulaire et américain
(Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Équateur, Sal-
vador, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay,
Pérou, Porto Rico, République dominicaine et Venezuela) ; pour le fran-
çais, l’échantillonnage se limite au français hexagonal et à celui de la
Côte d’Ivoire. L’article met l’accent sur la présence, au sein des unités
phraséologiques, d’éléments lexicaux appartenant à des langues locales
(par exemple, le quéchua pour le Pérou et la Bolivie ou le fanti pour la
Côte d’Ivoire) ou à des langues internationales (anglais, arabe, espa-
gnol, portugais).
Josane Moreira de Oliveira et Marcela Moura Torres Paim rendent
compte des variations lexicales documentées dans l’Atlas linguistique
du Brésil à partir des cartes sémantico-lexicales (aussi bien générales
que régionales) concernant la faune. Les auteurs montrent qu’il existe
une grande diversité lexicale pour les désignations d’animaux qui ont
été analysées, que cette diversité concerne surtout les noms composés
et qu’il est possible de mettre en évidence des corrélations fortes
entre des mouvements d’occupation/peuplement de certaines zones
géographiques et la distribution spatiale des variantes lexicales. L’Atlas
linguistique du Brésil (ALiB) permet ainsi de coupler la dimension
sémantico-lexicale avec la dimension diatopique, mais aussi diastratique
(variations de type social).
Xavier Blanco, quant à lui, analyse le motif du combat sin-
gulier dans le Roman de Thèbes du point de vue de la structuration
textuelle dudit motif, de la sémantique lexicale et de la combinatoire
lexicale. Sont identifiés, d’abord, les différents combats singuliers pré-
sents dans le roman, ainsi que les moments ou éléments composant le
motif. Ensuite, les moyens lexicaux de l’ancien français employés pour
rendre compte de ces éléments sont décrits à l’aide, entre autres, des
concepts d’« opérateur approprié » et de « grammaire locale ». L’auteur
passe en revue successivement le lexique associé aux armes offensives

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Présentation 15

et défensives, à l’action de se déplacer pour attaquer, aux coups portés


sur l’adversaire ou sur son équipement, ainsi qu’à la chute et à la mort
des combattants. L’article comporte de très nombreux exemples et
des observations par rapport à la traduction de ce lexique en français
moderne et en espagnol.
La contribution de Yauheniya Yakubovich montre l’impact de
l’insertion dans les textes des jeux de mots linguistiques. Elle propose
une typologie d’« anomalies linguistiques » récurrentes dans la langue
poétique. Elle met en relief le rôle de l’analyse linguistique comme
outil particulièrement puissant pour l’étude du texte littéraire qui, à son
tour, constitue un terrain d’exception pour l’observation de certains
phénomènes linguistiques. Moyennant des exemples en français, espa-
gnol, catalan, russe, biélorusse et polonais, Yakubovich présente des cas
de ruptures de restrictions sémantiques, de manipulations lexicales, de
manipulations morphologiques, de défigements concernant des collo-
cations et des locutions, ainsi que des cas de métaphores (aussi bien in
absentia qu’in præsentia) dont les termes ne présentent pas, ou à peine,
de sème commun qui puisse donner la clé interprétative du trope en
question.
Pour conclure ce joli panorama de textes, nous rappellerons que
théorie et applications sont les deux facettes de toute problématisation
linguistique. Les deux contributions qui concluent cet ouvrage en sont
la preuve. Nous avons privilégié deux domaines d’application : l’infor-
matique et la didactique. Nous considérons que la traduction, qui aurait
pu être à notre avis le troisième domaine d’application, est présente à
travers la dimension contrastive qui finalement jalonne l’ensemble des
contributions.
Grâce à son approche de modélisation, Marie-Sophie Pausé
présente un modèle de description des variantes formelles des locu-
tions dans le cadre de la Lexicologie Explicative et Combinatoire. Les
locutions décrites au sein du Réseau lexical du Français (RL-fr) (res-
source développée au laboratoire ATILF de l’Université de Lorraine) se
voient attribuer une structure lexico-syntaxique qui permet d’identifier
les unités lexicales constitutives de chaque locution, ainsi que les liens
de dépendance syntaxique existant entre elles. L’accès aux définitions
contenues dans le RL-fr permet de considérer une correspondance

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16  Xavier Blanco & Inès Sfar

entre les unités lexicales présentes dans la locution et les sémantèmes


de leurs définitions. Cette mise en correspondance est appelée « projec-
tion structurale ». La projection structurale permettrait de prédire une
grande partie des variations formelles des locutions (passivation, cli-
vage, relativation…). L’article illustre cette capacité prédictive en pre-
nant l’exemple de l’ajout d’un actant supplémentaire attaché, en tant que
complément du nom, à une locution verbale du type Verbe + Article +
Nom Commun (par exemple : allonger la sauce de l’intrigue ou lever le
pied de ses recherches).
Monika Sułkowska, quant à elle présente toute une série de pro-
cédés qui peuvent être exploités en didactique de la phraséologie, aussi
bien en ce qui concerne l’enseignement-apprentissage des locutions que
celui des collocations et des parémies. Tout en faisant remarquer que la
phraséodidactique constitue un domaine d’études encore relativement
peu exploité, Sułkowska présente les principales propositions de traite-
ment didactique avancées par différents auteurs comme la constitution
d’un dictionnaire personnalisé, la comparaison contrastive, l’analogie,
les démarches sémasiologiques et onomasiologiques, la consultation
des locuteurs natifs, ainsi qu’un large éventail d’exercices de recompo-
sition, substitution, modification, mobilisation, contextualisation, com-
plétion, traduction, visualisation, etc.
Finalement, il serait à remarquer l’intérêt général pour la struc-
turation sémantique du lexique et, en particulier, pour les systèmes
d’étiquetage lexico-sémantique. Ce volume a vu le jour grâce à l’appui
financier du projet de recherche et développement R&D FFI2013-
44185-P Jerarquía de etiquetas semánticas español-francés para los
géneros próximos de la definición lexicográfica (Hiérarchie d’éti-
quettes sémantiques espagnol-français pour les genres prochains de la
définition lexicographique), Ministerio de Economía y Competitividad
espagnol. Les contributions de Blanco, Catena et Yakubovich sont direc-
tement issues de ce projet de recherche. D’autres contributions (Buvet,
Mogorron Huerta, Pausé) se situent dans les mêmes cadres théoriques
qui sous-tendent le projet (Lexique-Grammaire étendu et théorie Sens-
Texte) ; d’autres encore participent d’une méthodologie de description
linguistique qui, tout en transcendant ces approches, les intègrent (Ben
Amor, Mejri, Sfar, Pilecka et Izert). Et encore d’autres contributeurs

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Présentation 17

abordent, de différents points de vue et en envisageant des applications


diverses, la question de la catégorisation et la classification sémantique
(Goes, Portelance, Pamies et Ghalayini, Melnikiené, Moreira de Oli-
veira et Moura Torres Paim, Sułkowska).
De ces entrecroisements est justement né le présent volume1,
Lexicologie(s) : approches croisées en sémantique lexicale, que nous
laissons maintenant entre vos mains, ami lecteur.

1 Nous remercions chaleureusement nos collègues Krzysztof Bogacki (Univer-


sité de Varsovie), André Clas (Université de Montréal), Rafael García Pérez
(Universidad Carlos III de Madrid), Teresa Lino (Universidade Nova da Lisboa)
et Alain Polguère (Université de Lorraine) d’avoir accepté de faire partie du
comité scientifique de cet ouvrage.

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Salah Mejri

L’unité lexicale au carrefour du sens. La troisième


articulation du langage

Introduction

Après un bref rappel des orientations générales de l’étude du sens, nous


essayerons d’expliciter l’hypothèse qu’il existe une troisième articula-
tion du langage dont l’unité de base serait l’unité lexicale qui sert de
lieu où interagissent tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration du
sens. Nous rappellerons d’abord que la simple double articulation ne
permet pas de montrer comment on passe directement du morphème
supposé être le lieu du sens à l’énoncé dont le sens est nécessairement
cohérent et complet. C’est pourquoi nous démontrerons par la suite
qu’il y a lieu de combler l’hiatus entre ces deux niveaux d’analyse par
l’existence d’une unité linguistique qui assure le lien entre le morphème
et l’énoncé en intégrant le premier dans sa formation et en participant,
de par sa nature de carrefour où s’élabore le sens, à la construction des
énoncés, qu’ils soient phrastiques ou non. Cela rejoint la théorie géné-
rale de l’universel linguistique présentée par R. Martin (2016), qui voit
dans tout sens l’expression d’une relation.

1. Bref rappel des grandes tendances de l’étude


du sens 

Comme tout dans la langue converge vers l’élaboration du sens, force


est de constater qu’on ne dispose pas de travaux qui revendiquent un
niveau d’analyse linguistique à partir duquel s’élabore le sens, encore

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20  Salah Mejri

moins d’analyses qui lui assignent une unité linguistique qui lui sert de
support.
Si l’on excepte la parenthèse où certaines théories ont essayé de
faire l’économie du sens dans la description des langues, on peut dire
que les travaux dédiés au sens peuvent être ramenés à trois ensembles :

a) Des travaux qui ont privilégié la nature de l’unité d’analyse selon


qu’il s’agit de morphèmes, de mots ou d’unités polylexicales.
La sémantique qu’on pourrait considérer comme morphémique
a surtout mis en exergue la construction du sens soit au niveau
du morphème soit au niveau de la combinaison de plusieurs mor-
phèmes. De telles analyses correspondent à la période où se sont
développées les analyses sémiques avec les traits sémantiques
pertinents et la morphologie lexicale, notamment dérivationnelle.
Ainsi une unité comme insoutenable est analysée comme suit :
in/souten/able ; trois constituants dont la combinaison donnerait
lieu à une paraphrase comme « ce qui ne peut être soutenu », où
l’on croise d’un côté la négation du préfixe et les notions de passif
et de possibilité, et de l’autre le morphème souten- supposé ren-
fermer une prédication transitive qui renvoie à l’idée de soutien.
Une telle analyse s’intéresse plus particulièrement à l’interaction
sémantique à l’intérieur du mot et s’inscrit dans le présupposé de
la régularité de la synthèse sémantique compositionnelle. Elle ne
tient pas compte des cas où la construction sémantique est non
compositionnelle comme dans le fromager en tant qu’arbre qui
est formé par métaphore doublée d’une métonymie à partir de
fromage dont on ne retient que la couleur (qui ressemble à celle
du bois de cet arbre) et de -er qui signifie arbre et qui intègre ce
mot dans le paradigme des arbres (olivier, oranger, cerisier…).
Elle ne rend pas compte non plus de la dimension sémantique qui
dépasse le mot.
Si l’on situe l’analyse exclusivement au niveau du mot, notamment
celui qui est formé d’un seul morphème comme bras, l’analyse
sémique retient essentiellement les éléments définitoires associés
à l’unité et, éventuellement, les transferts tropiques qu’on trouve
dans des séquences comme bras droit (personne), bras de mer
(détroit, passage), bras d’un fauteuil (accoudoir), etc.

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L’unité lexicale au carrefour du sens 21

La polylexicalité pose le problème de la dualité sémantique par


laquelle deux significations coexistent dans la même séquence (un
sens littéral et un autre global) disponibles, tous les deux, même
si c’est le sens global qui est le plus sollicité dans l’usage courant
des séquences polylexicales. En plus de l’opacité sémantique, des
aspects culturels et même ethnologiques s’associent à la synthèse
sémantique de ce genre de séquences. Dire faire Pâques avant
les Rameaux, c’est d’abord parler d’une jeune fille pour signifier
qu’elle a « accordé ses faveurs avant la cérémonie de mariage »
(P. Desalmand et Y. Stalloni 2014, S. Mejri 2017a). Mais c’est
également inscrire ce dire, de par le signifiant pluriel de la
séquence, dans des références chrétiennes avec la chronologie
normale des fêtes.
b) Avec les travaux focalisant sur le cadre dans lequel le sens prend
forme, on distingue trois types cadres : la phrase, le cotexte et le
contexte. On peut dire que le lexique-grammaire est l’approche
qui a le mieux montré que le sens définitif d’un item lexical se
précise en fonction de ses liens avec les autres items dans la
combinatoire de la phrase. C’est pourquoi des linguistes comme
Gaston Gross (2012) préfèrent parler d’emplois au lieu de sens,
privilégiant ainsi un traitement homonymique des différents
emplois de la même unité. Dans les exemples suivants :
(1) L’enfant suit sa mère
(2) Le médecin suit son patient,

c’est la nature des classes sémantiques des arguments qui détermine les
deux significations : dans le premier cas, il s’agit d’un sens concret qui
renvoie au mouvement physique effectué par quelqu’un qui se met der-
rière quelqu’un d’autre en se déplaçant dans la même direction ; dans le
second, où le premier argument est quelqu’un qui est en mesure de soi-
gner les autres (médecin, cardiologue, dermatologue, etc.) et le second
argument quelqu’un qui souffre d’une maladie quelconque, suivre
signifie « s’occuper d’une manière continue des soins prodigués à un
malade ». Ainsi le sens est-il déductible dans chaque cas d’un nombre
de traits de sélections qui décident de l’emploi final de l’unité lexicale.
Il y aurait donc deux verbes suivre : suivre 1 et suivre 2 correspondant

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aux deux significations mentionnées. Les travaux de M. Gross, déve-


loppés dans une perspective beaucoup plus sémantique par G. Gross,
ont pu conduire à des développements qui croisent lexique et gram-
maire pour recenser les différents emplois des unités lexicales en vue
d’éventuelles exploitations en traitement automatique (D. Le Pesant et
M. Mathieu-Colas 1998, X. Blanco et P.-A. Buvet 2009,), etc. Cette
approche, même si elle a le mérite de dépasser les frontières du mot, ne
tient pas compte de ce qui se situe au-delà de la phrase.
D’autres travaux fixent le cadre de l’analyse du sens dans le
co-texte. Trois exemples nous permettront de voir comment la problé-
matique du sens se pose dans une telle perspective :

– le premier concerne l’analyse isotopique dans les textes poé-


tiques  : nous savons qu’en poésie, ce qui prime, c’est l’esthé-
tique. Le sens n’y est que suggéré. Derrière les mots se profilent
des isotopies qui structurent le texte poétique et lui donnent son
unité. Dans ce poème de Baudelaire (« À une passante  »), les
isotopies sont à la fois multiples et entrelacées :
(3) La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! –Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut- être ?
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, Ô toi qui le savais !

Si on considère que l’isotopie est une redondance sémique qui structure


les énoncés, on peut aisément dégager de ce poème plusieurs isotopies
croisées, hiérarchisées et structurantes : celles du regard, de la beauté
dévastatrice, de l’éblouissement, du caractère fugitif, etc. De telles
redondances ne peuvent être localisables dans des foyers uniques ; elles

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L’unité lexicale au carrefour du sens 23

sont, au contraire, faites de renvois et de reprises directes ou indirectes,


sortes d’échos qui finissent par construire une trame qui fait sens ;

– le deuxième exemple permet d’illustrer la distinction opérée par


des linguistes comme Rastier entre sens inhérent et sens afférent.
Le premier, qu’il soit générique ou spécifique, est considéré
comme un noyau stable. Le deuxième s’acquiert en fonction du
co-texte. Le fameux exemple de rouge et noir illustre bien cette
opposition : l’emploi qui est réservé à ces deux mots dans l’ou-
vrage de Stendhal active des sèmes afférents qui renvoient dans
ce roman respectivement à l’armée et à l’église. Dans cette per-
spective interprétative le co-texte décide du sens final que l’unité
lexicale acquiert ;
– le troisième exemple, tout en reprenant le premier, s’en distingue
par le mécanisme sémantique à l’œuvre dans la structuration du
sens au niveau de l’énoncé. La métaphore filée ou l’allégorie
illustrent bien ce phénomène sémantique. Cela signifie que le
contenu sémantique final est décidé en fonction du filtre imposé
par l’analogie qui structure le texte, comme c’est le cas de ce
passage cité par R. Martin (1992 : 222), extrait d’un quotidien
lausannois, 24 heures :

(4) La présence de 1,2 million d’étrangers sur notre sol produit l’effet de la
drogue  ; elle nous fait oublier les maux qui nous rongent… Grâce à la
drogue, nous connaissons une certaine euphorie, puisque tout semble fonc-
tionner à la perfection, et nous ne nous apercevons pas que nous avons
développé le phénomène de la dépendance  : nous sommes devenus tota-
lement dépendants de la main d’œuvre étrangère. La réaction de tous les
milieux intéressés face à l’initiative du 20 octobre en fait foi. Nous consta-
tons aussi qu’on augmente constamment la dose : le nombre des étrangers
ne fait que croître. Ce processus conduira immanquablement à la désinté-
gration de notre personnalité et en définitive à la perte de notre identité.

Une autre orientation d’analyse sémantique montre que le sens définitif


ne pourrait s’établir sans que l’on tienne compte du contexte énoncia-
tif, c’est-à-dire le cadre spatio-temporel, l’intention de l’énonciateur, la
relation avec les interlocuteurs, les attentes des uns et des autres, etc. Les
contraintes qui pèsent sur le sens sont dans cette perspective de nature
pragmatique. Les formules de politesse (Mejri 2017c) illustrent très bien

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24  Salah Mejri

ce genre d’emploi. On ne peut avoir par exemple un tel échange que


dans une situation de présentation où une personne présente une autre
personne à une tierce personne tout en respectant les usages en cours :

(5) P1 : Je vous présente Monsieur / Madame X.


P2 : Enchanté.
P3 : Merci.

L’orientation des échanges, l’emploi des formules, le respect des


manières sont autant d’éléments dont il faut tenir compte pour faire
réussir cet échange verbal. Il s’agit là d’un type particulier de pragma-
tèmes (Mel’čuk 2008, Blanco 2008, 2013) ; mais ce genre de contraintes
énonciatives dépasse largement ce type d’unités pour embrasser bien
d’autres aspects des usages langagiers dont le sens de la séquence ver-
bale dépend (voir Bracops 2010).

c) On ne peut pas clore cette partie sans tenir compte des travaux
qui traitent de la valeur de vérité des énoncés, qui peuvent être
vrais, faux ou plus ou moins vrais ou faux. Robert Martin (1983–
1992, 1987) en donne les détails dans Pour une logique du sens
(1983–1992) et expose clairement la structuration du sens en
fonction de l’inscription de la valeur de vérité des propositions
dans les univers de croyances et les différents mondes qui les
structurent : le monde de ce qui est et les mondes de potentiels
(possibles, contrefactuels…). Une telle approche nécessite la
confrontation du contenu des énoncés à ces mondes pour vérifier
s’ils s’y inscrivent ou pas.

2. Le traitement du sens par la grammaire et par


la lexicographie 

Se limiter aux différentes théories sémantiques sans tenir compte des


descriptions du sens par les grammairiens et les lexicographes serait
amputer cet exposé de toute la doxa, qui est revendiquée par les uns,

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L’unité lexicale au carrefour du sens 25

comme un argument d’autorité, et rejetée par les autres, comme dépas-


sée, et qui joue le rôle de cadre de référence souvent sous-jacent à toutes
les analyses.
En effet, rares sont ceux qui nient l’opposition entre sens gram-
matical et sens lexical. Le sens grammatical est un contenu sémantique
qu’on peut facilement isoler en neutralisant celui des mots comme c’est
le cas dans ces exemples :

(6) Paul frappe Jacques


(7) Jaques frappe Paul

La différence de sens entre (6) et (7) provient du changement de posi-


tions syntaxiques, celles de sujet et de complément d’objet, des mêmes
items que sont les deux noms propres Paul et Jacques. Le grammatical
pourrait être conçu sur le plan sémantique comme la fixation dans la
langue de grandes catégories sémantiques qui ne laissent pas au locu-
teur de choix individuels.
Deux types de contenus grammaticaux peuvent être retenus : les
contenus catégoriels et les contenus combinatoires. Pour les contenus
catégoriels, il y a lieu de distinguer les grandes catégories qui corres-
pondent aux parties du discours et les contenus sémantiques généraux
grammaticalisés selon les langues comme celles de genre, nombre, per-
sonne, temps, aspect et les relations interprédicatives qui découlent de
l’ordonnancement temporel et logique des prédicats, comme la cause,
la conséquence, la finalité, la concession, l’hypothèse, etc. Pour les par-
ties du discours, on sait maintenant qu’elles sont loin d’être de simples
tiroirs syntaxiques dans lesquels on range les unités lexicales mais elles
relèvent de la forme du sens. Par exemple le même contenu prédicatif
peut se reconfigurer en fonction de la partie du discours dans laquelle il
est versé. Ainsi dans les exemples suivants :

(8) Il respecte les règles,


Il est respectueux des règles,
Il a le respect des règles,

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26  Salah Mejri

il est clair que les trois catégories que sont le verbe, l’adjectif et le nom
dans lesquelles s’exprime la notion de respect n’offrent pas les mêmes
configurations de ce contenu sémantique : la forme nominale, de par
son incidence interne1 qui fait que le nom comporte en lui-même sa
catégorie de genre, dispose d’une relation directe avec l’entité concep-
tuelle2qui lui sert de référence. C’est pourquoi il peut servir de support
à d’autres prédications. Ce qui n’est pas le cas pour le verbe et l’adjectif
dont l’incidence est externe et dont la référence passe nécessairement
par d’autres éléments nominaux. On peut dire autant de l’adverbe
respectueusement dans cet exemple :

(9) Le disciple a salué son maître respectueusement,

dont l’incidence passe nécessairement par le prédicat saluer, lequel a


pour support disciple. Cette incidence externe de second degré participe
du sens et impose des choix prédéfinis par la langue.
On sait par ailleurs que toutes les langues ne comportent ni les
mêmes parties du discours ni les mêmes grandes catégories sémantiques.
Pour ces dernières, même si certaines sont partagées par plusieurs lan-
gues, elles ne répondent pas à la même structuration. Telle est le cas par
exemple de la catégorie du nombre qui comporte l’opposition singulier/
pluriel en français et singulier/ duel/ pluriel en arabe. On peut dire autant
des catégories de personne3, de genre4, etc. Les langues configurent à
leur façon les grandes catégories et imposent ainsi à l’expression une
forme sémantique qui ne laisse pas aux locuteurs le choix en dehors
de ces formes pour couler les contenus sémantiques des unités lexi-
cales. Tel est le cas également des catégories temporelles, aspectuelles
et modales auxquelles les manuels de grammaire consacrent des cha-
pitres pour en détailler les marques morpho-syntaxiques et en décrire
les nuances sémantiques. Qu’on songe aux différentes valeurs du condi-
tionnel en français qui mélangent contenus temporels et modaux, aux

1 Voir G. Guillaume pour cette notion.


2 Voir R. Martin, 2016.
3 Cf. Tesnière pour le français.
4 Comparez par exemple le français qui oppose le masculin et le féminin à l’anglais
qui leur ajoute le neutre, etc.

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L’unité lexicale au carrefour du sens 27

nuances aspectuelles telles qu’elles s’expriment à travers les formes


verbales et leur combinaison avec d’autres éléments dans le cadre de la
phrase comme c’est le cas dans cet exemple :

(10) Il n’a pas encore fini de ranger ses affaires,

où le semi-auxiliaire à l’accompli (finir de), la négation, l’adverbe


encore et le sémantisme lexical du prédicat ranger participent à l’éla-
boration du contenu sémantique aspectuel.
Ce genre de contenus sémantiques est clairement retenu par la
grammaire. S’y ajoute tout ce qui relève de la combinatoire dans le
cadre de la phrase comme les positions syntaxiques, l’emploi d’outils
comme les prépositions et les conjonctions, les différentes transforma-
tions auxquelles on pourrait avoir recours en fonction des besoins de
l’expression. Font partie de cette dimension sémantique tous les aspects
relatifs aux techniques de focalisation (clivage, détachement, disloca-
tion, etc.), les moyens de reformulation qui permettent d’exprimer de
plusieurs manières les mêmes contenus avec des nuances fines, les res-
tructurations, qui rendent possibles plusieurs opérations par lesquelles
le sens se reconfigure : opérations de nominalisation, de thématisation,
de passivation, etc.
Le traitement lexicographique a privilégié le sens lexical. Le dic-
tionnaire, structuré en articles, cherche à fournir le maximum d’indica-
tions sur les différents emplois des entrées sélectionnées. Trois éléments
méritent qu’on s’y attarde : le traitement à base morphémique, l’entrée
mot et les relations implicatives.
La nature de l’entrée de l’article du dictionnaire trahit une vision
du lexique et de ses différents emplois. Comme ni la grammaire ni
la lexicographie n’ont réussi à doter la théorie linguistique de l’unité
linguistique qui serait le siège de la construction du sens, la tradition
lexicographique a opté soit pour le morphème soit pour le mot en tant
qu’entrée dans le dictionnaire. Pour le premier mode de présentation,
nous prendrons l’exemple de la première édition du Dictionnaire de
l’Académie française et celui de la tradition lexicographique arabe. Cette
vision lexicographique privilégie les familles de mots et considère que
toutes les unités construites partageant la même base ont en commun un
socle sémantique qui établit des liens corrélés par la morphologie. Ainsi

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28  Salah Mejri

sous l’entrée libre, la première édition du Dictionnaire de l’Académie


traite-t-elle : librement, libérer, libérateur, liberté, libertin, libertinage.
À partir de la deuxième édition, l’Académie opte pour le mot comme
entrée. Tel n’est pas le cas de la tradition arabe qui considère que le
sens est rattaché à la matière consonantique, le plus souvent, trilitère
(formée de trois consonnes) et que les différents schèmes dans lesquels
cette matière est versée permettent de donner un sens en fonction du
schème choisi : à partir de qrʔ, qui renvoie à la notion de LECTURE,
on peut avoir :

– ca:cic(un) → qa:riʔ(un) (« lecteur »)


– maccu:c(un) → ma:qru:ʔ(un) (« ce qui est lu »)
– cica:cat → qira:ʔat(un) (« lecture »)

Cette pratique lexicographique est toujours en usage, malgré quelques


tentatives pour substituer le mot à la matière consonantique du radical.
Avec le mot, on reconnaît que le sens est rattachable à un type
d’unité lexicale, l’unité monolexicale ayant des emplois et des combi-
natoires propres. L’entrée, libérée des contraintes du morphème de base,
se trouve ainsi dotée d’un pouvoir dénominatif et d’emplois différenciés
décrits sous forme de plusieurs paraphrases définitoires et illustrés par
des exemples et des citations. Le traitement, qu’il soit polysémique ou
homonymique  − différence à notre avis de nature technique − essaie
dans tous les cas de rendre compte du contenu sémantique fixé dans
l’emploi du mot décrit.
Cette description du sens cherche à saisir l’ensemble des rela-
tions sémantiques qui déterminent la sphère de contenu dans laquelle
évolue le mot. Ainsi l’adjectif libre est-il défini dans la sixième édition
de l’Académie française par :

– des paraphrases du type  : «  qui a le pouvoir de faire ce qu’il


veut, d’agir ou de ne pas agir, qui n’est pas marié, qui n’éprouve
aucune contrainte, aucune gêne » ;
– des synonymes : indépendant, licencieux, indiscret…
– des antonymes : esclave, servile, captif, prisonnier, etc.

Ces relations sémantiques traduisent en réalité la compétence méta-


linguistique des locuteurs formalisée à travers des moules définitoires.

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L’unité lexicale au carrefour du sens 29

Mais cette manière de traiter du sens uniquement par le biais du mot se


trouve confrontée évidemment au caractère partiel de l’unité monolexi-
cale. C’est pourquoi la même édition du Dictionnaire de l’Académie
ajoute aux différentes acceptions celles qui sont rattachables à des
emplois qui impliquent des locutions comme espace libre, avoir ses
entrées libres chez quelqu’un, avoir le champ libre, avoir le cœur libre,
ne pas avoir l’esprit libre, vers libres, traduction libre, papier libre,
avoir la parole libre, avoir la main libre, etc. Avec la manière dont les
unités polylexicales sont traitées, la description lexicographique atteint
ses limites.
Avec de telles limites, il serait légitime de se poser la question
relative à l’existence d’un type particulier d’unité linguistique qui ne
soit pas le morphème et qui soit le lieu d’ancrage du sens et le lieu
de l’intégration des unités infra-lexicales (phonèmes et morphèmes) et
l’unité à partir de laquelle s’élabore l’énoncé.
Nous pensons que la description des langues nécessite que l’on
tienne compte de l’existence d’une troisième articulation du langage
dont l’unité linguistique propre est l’unité lexicale, qu’elle soit mono-
ou polylexicale. Ce n’est qu’en tenant compte de cette troisième articu-
lation que la linguistique peut combler l’hiatus qui existe actuellement
entre le morphème, considéré comme l’unité linguistique minimale
douée de sens et l’énoncé complet, et ce, quelle qu’en soit la forme.
Pour étayer cette hypothèse de travail, nous faisons un bref rappel de
la double articulation du langage en en évaluant la pertinence par rap-
port au traitement du sens et nous monterons la portée épistémologique
d’une telle hypothèse.

3. La double articulation et le morphème comme


lieu du sens 

La notion d’articulation renvoie aux plans d’organisation de la langue


qui fait que depuis Martinet on en distingue deux  : celui des unités
minimales dotées de sens et celui des unités encore plus petites qui

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30  Salah Mejri

demeurent étanches au sens. Il m’a été donné d’en faire le rappel dans
Mejri 2017a, je me contenterai de retenir les points suivants :

– la double articulation, telle qu’elle est présentée par Martinet,


s’inscrit dans le point de vue du décodeur qui déchiffre l’énoncé ;
– grâce aux opérations de segmentation et de commutation de
l’énoncé, on dégage d’abord les unités minimales de sens (les
morphèmes), lesquelles sont décomposées en unités encore plus
petites, les phonèmes. Un énoncé comme le garçon prend le
ballon donnerait lieu aux découpages suivants :

(11) lǝ /garsõ/ prã/ lǝ /balõ (1e articulation : 5 morphèmes)


l/ǝ /g/a/r/s/õ/p/r/ã/l/ǝ/b/a/l/õ (2e articulation : 16 phonèmes)

Une telle distinction, tout en rendant compte du caractère économique


du système linguistique, est confrontée néanmoins à la problématique
de l’unité de sens :

– que faire de l’opposition entre morphèmes lexicaux et grammati-


caux?
– le sens du morphème n’est-il pas un sens conçu en dehors de tout
emploi syntaxique ; dans institution/ nelle/ ment, chacun des trois
morphèmes est appréhendé dans sa virtualité sémantique ;
– que faire du mot, cette unité considérée par plusieurs linguistes,
dont Martinet (1966), comme une unité inutile, pourtant intuiti-
vement bien présente dans la conscience des locuteurs ?

S’ajoutent à ces interrogations les trois remarques suivantes :

– l’orientation de l’analyse, celle du décodeur, ne tient pas compte


de celle de l’encodeur qui englobe nécessairement la première (on
n’encode que ce qu’on est capable d’interpréter), est fermante :
puisqu’on part de l’énoncé vers le phonème, il n’y a plus possi-
bilité de continuer les opérations de segmentation et de commu-
tation au-delà du phonème. Le résultat, c’est que cette analyse
rejette des deux articulations tout ce qui dépasse le morphème ;
– cette analyse ne tient pas compte des éléments nécessaires à la
combinatoire syntaxique comme l’appartenance à des parties du

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L’unité lexicale au carrefour du sens 31

discours, qui implique toutes les virtualités grammaticales des


unités lexicales ;
– les morphèmes, en tant qu’unités de la première articulation
n’ont comme espace immédiat d’intégration que le mot ou
l’unité lexicale, non au-delà :
prison(n) / ier ; en / prison

D’où la nécessité d’avoir une unité intermédiaire entre le morphème et


l’énoncé complet : l’unité lexicale.

3.1. L’unité lexicale comme lieu d’interaction entre l’infra- et le


supra-lexical

Si on inverse l’orientation de l’analyse en substituant le point de vue


de l’encodeur à celui du décodeur, on aurait les trois niveaux suivants :

– le premier, celui des plus petites unités linguistiques, les


phonèmes ;
– le deuxième, celui des plus petites unités linguistiques ayant un
sens, les morphèmes ;
– celui des unités lexicales, qu’elles soient simples ou construites,
mono- ou polylexicales, en tant qu’unités combinables entre elles
pour créer l’énoncé.

Ces unités de troisième articulation se distinguent par des caractéris-


tiques morphologiques, grammaticales et sémantiques leur permettant
d’être l’élément pivot de toute description sémantique.

3.1.1. Les caractéristiques morphologiques 


Il faut commencer par rappeler que la structure générale des unités lexi-
cales, indépendamment des différentes configurations qu’elles peuvent
avoir selon les langues, est la suivante :

morphème1, morphème2… morphèmen + catégorie grammaticale (partie du


discours)

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32  Salah Mejri

Cette structure générale peut se traduire dans plusieurs configurations


possibles :

(12) il /a/œ̃ /livr (a et œ̃ sont des phonèmes tout en jouant le rôle de mor-
phèmes)
(13) œ̃ /sak (sak, unité lexicale formée d’un morphème)
(14) ɛ̃ /diskyt /abl (unité lexicale formée de trois morphèmes conjoints)
(15) prãdr / lǝ /tɔro /par /le /kɔrn (unité lexicale formée de cinq morphèmes
disjoints)
(16) un [décrochez-moi -ça] (unité lexicale formée à partir d’une phrase)

Cette unité dont l’une des caractéristiques principales est l’intégration


de la catégorie grammaticale qui lui assure la congruence nécessaire à
la concaténation garantissant la construction du sens, porte les marques
morphologiques des grandes catégories sémantiques grammaticalisées
comme celles :

– du nombre : cheval/ chevaux


– du genre : directeur/ directrice
– du temps, de la personne… : nous mangeons, nous mangions
– etc.

Comme la morphologie est irrégulière, certaines unités lexicales


peuvent ne pas avoir de marques formelles indiquant la partie du dis-
cours à laquelle elles appartiennent. Cette absence de marque ne bloque
pas leur fonctionnement grammatical. Rien n’indique dans une unité
comme sac qu’il s’agit d’un nom, mais la langue se charge de mettre en
œuvre toutes les virtualités grammaticales que cette partie du discours
comporte en tant que nom en lui attribuant des déterminants, un genre,
une variation en nombre et tout ce qui découle de toutes les positions
qu’il peut avoir dans la phrase :

(17) Le (s) sac(s) est (sont) ouvert(s).


On a ouvert le(s) sac(s)

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L’unité lexicale au carrefour du sens 33

3.1.2. Les caractéristiques grammaticales 


Elles sont le lieu de toutes les virtualités d’emploi que chaque unité
lexicale comporte. Des unités comme jouer, lune, rose et prudemment,
bien qu’elles obéissent au même schéma de construction de l’unité lexi-
cale, ne renferment pas les mêmes potentialités grammaticales : jouer,
en tant que verbe, présuppose l’architecture de la phrase avec le sujet
comme élément qui lui confère les catégories de personne, de nombre
et éventuellement de genre ; lune est un nom féminin qui peut servir
de support à toutes sortes de prédications, et qui peut également satu-
rer toutes les positions syntaxiques prévues pour cette classe d’unités ;
rose, de nature ambivalente, fonctionne comme nom ou adjectif, ce qui
lui permet de s’employer entre autres comme épithète, attribut, etc.  ;
prudemment, en tant qu’adverbe, s’ajoute à d’autres prédicats pour les
modifier, etc.
L’unité lexicale est également le lieu de la relation prédicative,
une relation qui assure l’organisation de ce qui est dit et lui garantit la
structure de base nécessaire à tout sémantisme précis. Dans l’exemple
suivant :

(18) Le petit garçon dessine un mouton,

nous avons les trois couches suivantes :

– celle de la relation prédicative dans toute son abstraction qui


pourrait avoir la forme suivante : Prédicat (a, b…) ;
– celle de son déploiement qui indique le nombre de positions, leur
ordre et éventuellement les hiérarchies prédicatives prévues  :
position1 (indice), Prédicat, position2, positionn ;
– celle de l’expression lexicale qui vient saturer toute la relation
prédicative, avec tout ce que cette expression lexicale implique
comme paradigmes lexicaux pouvant saturer toutes les posi-
tions : (18) n’en est qu’une réalisation possible.

Il s’ensuit que l’unité lexicale est également le lieu des trois fonctions
primaires qui constituent selon R. Martin (2016) la grammaire univer-
selle : M (PA), M étant le modalisateur, P le prédicat et A l’argument.
Cet énoncé peut en être l’illustration :

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34  Salah Mejri

(19) Selon moi, tout est parfait,

où la répartition des trois fonctions couvre les trois arguments : selon


moi (M), parfait (P) et tout (A). Mais il faut préciser que peu importe
la réalisation discursive, l’essentiel réside dans ce schéma de base qui
structure tout énoncé. C’est lui qui sert de moule universel au sens,
qu’il soit de nature grammaticale ou lexicale. Encore faut-il rappeler
que la différence entre ces deux types de sens n’est pas une différence
de nature, mais de proximité avec la référence : plus un sens est gram-
maticalisé, moins il est référentiel.

3.1.3. Caractéristiques sémantiques


En plus des contenus sémantiques grammaticaux, l’unité lexicale sert
de vecteur à trois opérations : la référenciation, la dénomination et les
relations sémantiques primitives.
L’unité lexicale est l’unique unité linguistique préconstruite qui
sert de lieu d’ancrage à la référence ; la référence étant cette opération
par laquelle un objet de l’univers est isolé, grâce à une opération de
discrimination, puis conceptualisé au moyen de la construction d’une
entité conceptuelle autonome. À cette entité conceptuelle est assigné un
signe linguistique. Cette opération complexe se fait couramment dans
le domaine terminologique. Le même principe est appliqué dans la néo-
logie du langage ordinaire.
L’élaboration conceptuelle à partir de l’objet du monde discri-
miné est la phase de référenciation. Il est à préciser qu’il ne faut pas
confondre objet et concept. C’est par la création de l’entité conceptuelle
que se fait la référenciation. Ainsi aurait-on le schéma suivant :

Objet de l’univers (concret ou abstrait)  entité conceptuelle → unité lexicale.


→ [plante qui pousse dans les oasis du Sahara et qui a des dates comme fruits]
→ palmier.

Une fois cette opération terminée, s’accomplit alors avec l’unité lexi-
cale la prédication sémiotique par laquelle un signe linguistique, l’unité
de la troisième articulation, est attribué à la référence isolée selon le
schéma suivant :

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L’unité lexicale au carrefour du sens 35

[entité conceptuelle]  prédicat sémiotique (désigner, appeler, dénommer…)


 [unité lexicale]

Cette prédication est de nature strictement sémiotique : elle établit une


relation entre la référence (entité conceptuelle) et le système sémiotique
qui est la langue. Le signe créé tire son sens de l’entité conceptuelle et
le signifiant doit avoir la configuration d’une unité lexicale. Ainsi (30)
pourrait être illustré par cet exemple :

(20) [embarcation qui se meut grâce à la force du vent qui souffle dans les
voiles]  Prédicat de dénomination (est désignée, dénommée, appe-
lée…)  [voilier]

Ces deux opérations, référenciation et dénomination, sont à l’origine de


l’unité lexicale, siège des principales relations sémantiques qui struc-
turent le lexique : relations de synonymie, d’antonymie, d’implication.
Les deux premières ne sont pas systématiques alors que les relations
d’implication le sont.
Les relations synonymiques sont nécessaires au fonctionne-
ment du système parce qu’elles lui garantissent la fluidité nécessaire
à la variation lexicale, aux reprises discursives et aux reformulations.
Quand la synonymie n’est pas disponible, c’est la reformulation qui
reprend le relais.
Trois grandes fonctions de la synonymie peuvent être retenues :

– la variation lexicale (diatopique, diaphasique, diastratique, dia-


chronique, etc.)  : une telle variation permet d’intégrer des élé-
ments d’emplois nécessaires à l’interprétation des énoncés ; elle
prend en charge l’inscription des unités lexicales dans les dimen-
sions spatio-temporelles, sociales, idiosyncrasiques, etc. ;
– la variation conceptuelle : la même entité de l’univers peut être
conceptualisée différemment. Une telle différence est reconnue
quand il s’agit de la comparaison des langues  ; mais le même
phénomène est fréquent dans la même langue. C’est cette dif-
férenciation de point de vue qui fonde la richesse du lexique
d’une langue. On fournit souvent comme illustration la grande
richesse lexicale couvrant le même champ sémantique. Ainsi en
est-il de la neige chez les Esquimaux, du dromadaire chez les

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36  Salah Mejri

Arabes, etc. L’exemple suivant pourrait nous aider à comprendre


comment une telle variation permet de mettre en évidence cer-
tains traits par rapport à d’autres :

(21) Pluie, averse, crachin, bruine, etc.

Dans cette série lexicale, le noyau sémantique partagé est fait de l’hy-
peronyme pluie, mais l’activation à chaque fois d’un aspect sémantique
particulier permet d’avoir une nouvelle unité : avec l’abondance et la
soudaineté, on a l’averse ; avec le brouillard, la finesse et le froid, on a
la bruine ; avec le caractère fin et serré, on a le crachin, etc. ;

– la variation modalisatrice, qui inscrit la synonymie lexicale dans


le cadre du point de vue du locuteur. Cette variation est systéma-
tique parce qu’elle fait de certaines dénominations en même
temps une appréciation qui trahit une subjectivité qui fait de la
dénomination choisie un moyen d’exprimer un point de vue sur
ce qui est dénommé. La même entité conceptuelle «  maison  »
peut être considérée comme un home si on privilégie le caractère
intime et familial, un asile si on tient compte de la protection
que cette habitation assure, un taudis si on met l’accent sur le
caractère misérable de l’abri, etc. Ce genre de variation inscrit
l’expression de la modalité au cœur du lexique.

Les relations antonymiques traduisent deux opérations fondamentales


inscrites dans les unités de la troisième articulation  : l’opération de
contradiction qui s’établit entre deux termes par laquelle ils s’excluent
mutuellement (mort/ vivant) ; opération d’inversion sur une échelle gra-
dable : si dans la contradiction chaque terme conduit à la négation de
l’autre, dans l’opération d’inversion, la négation d’un terme n’implique
pas l’affirmation des autres  ; ainsi en est-il de chaud/ froid  ; le non
chaud ne signifie pas nécessairement non froid ; cela pourrait signifier
ni chaud ni froid, c’est-à-dire tiède.
Certains sémanticiens ajoutent à ces deux relations ce qu’ils
appellent l’antonymie converse qui consiste dans «  l’inversion de
l’ordre » des termes concernés (Riegel et al. 2009, p. 929) comme dans
Pierre est le mari de Jeanne et Jeanne est la femme de Pierre.

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L’unité lexicale au carrefour du sens 37

Quant aux relations implicatives, tout en étant systématiques,


elles font partie des universaux sémantiques. Martin (2016 : 30–31) en
distingue plusieurs :

– l’implication catégorielle qui se fonde sur la « hiérarchie être » :


le lion est un animal ; c’est une relation qui structure la totalité
du lexique sans laquelle il ne serait pas possible d’établir des
définitions ;
– l’implication analogique fondée sur la relation « être comme »
source des rapprochements métaphoriques et de comparaison ;
– l’implication partitive à la source des liens métonymiques,
marquée par avoir (contenir, comporter, présenter…)  ; cette
relation « porte sur les facettes d’un même objet : un bronze est
une statuette de bronze […] L’implication partitive présente cette
propriété caractéristique d’être une relation hétérogène » (2016 :
30–31) ;
– l’implication conceptuelle qui se traduit par «  impliquer l’idée
de  »  ; elle «  est tout particulièrement à l’œuvre dans la para-
phrase » (2016 : 31). C’est grâce à ce genre d’implication qu’on
peut passer de on doit le faire  à on est obligé de le faire à il
faut le faire, trois énoncés qui paraphrasent la même idée. C’est
également grâce à ce genre d’implication que la traduction est
possible.

3.2. L’unité lexicale comme lieu des relations sémantiques 


inscrites en langue

Martin définit l’unité linguistique ainsi : « Toute unité lexicale, qu’elle


qu’en soit la langue, est un prédicat complexe définissable par une
paraphrase (la chaise est un siège à dossier sans bras). » (2016 : 31)
Nous souscrivons à cette définition et essayons d’en tirer les conclu-
sions qui s’imposent.
À la source de l’unité lexicale réside une relation prédicative,
certes de nature sémiotique, mais qui est à la base de la création du
signe linguistique : c’est par cette relation qu’on assigne un symbole
(le signe linguistique) à une entité conceptuelle. Il n’est pas étonnant

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38  Salah Mejri

que ce signe renferme en lui-même ce schéma de base (X Relation Y).


Saussure en a fait la démonstration en soulignant la nature bicéphale
du signe linguistique (signifiant- signifié). Le même schéma relationnel
s’inscrit dans le contenu sémantique de chaque unité lexicale.
Comme le souligne la définition de Martin, au cœur de l’unité
lexicale réside une prédication complexe. Peu importe la fonction
qu’elle assure dans la grammaire universelle (prédicat, argument ou
modalisateur) : elle est un condensé prédicatif. Le lexique d’une langue
est un ensemble de condensés prédicatifs. Les lexicographes l’ont très
bien compris : grâce à la compétence définitoire des locuteurs, ils ont
élaboré des méthodes leur permettant de rendre compte du condensé
prédicatif que renferment les unités lexicales. Ils les ont d’abord appli-
quées aux unités monolexicales (les mots) puis ils les ont de plus en
plus étendues aux unités polylexicales.
Les exemples empruntés au Grand Robert nous serviront d’illus-
trations pour notre analyse :

(22) Carte  : 1. Papier résistant et souple fait de plusieurs feuilles collées


ensemble.
2. Petit rectangle de carton dont l’une des faces porte une figure, et qui est
utilisée dans différents jeux par séries conventionnelles.
3. Représentation à échelle réduite d’une partie ou de la totalité de la
surface terrestre.

Les trois contenus sémantiques correspondant à l’unité monolexi-


cale carte, réalisés sous forme de paraphrases lexicographiques, sont
susceptibles d’une analyse prédicative qui montre que chaque équi-
valent sémantique est un complexe prédicatif pouvant avoir la forme
canonique de l’attribution prédicative :

(23) X est Y,

X étant l’argument et Y le prédicat attribué à X ; ce qui donnerait :

(24) La carte est un papier résistant…


(25) La carte est un petit rectangle…
(26) La carte est une représentation…

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L’unité lexicale au carrefour du sens 39

Cette prédication complexe est intrinsèquement liée aux différents


emplois des unités lexicales. Toute la congruence des énoncés com-
portant ces unités est gouvernée par les prédicats de leurs paraphrases
définitoires. Ainsi pourrait-on dire pour les trois contenus retenus en
(27), (28) et (29) :

(27) Il a plié la carte.


(28) Il joue aux cartes.
(29) Il regarde la carte de France.

Le condensé linguistique qu’est l’unité lexicale, une fois réalisé dans un


énoncé lexicographique, crée une proposition analytique. Autrement dit
l’unité lexicale porte en elle-même une proposition analytique condi-
tionnant son insertion dans la production des énoncés. Ainsi les énoncés
ne seraient en fin de compte qu’un enchaînement prédicatif construit
conformément à la grammaire universelle telle qu’elle est représentée
par la formule M (PA), et aux règles de la grammaire propre à chaque
langue.
L’unité lexicale se charge donc du contenu sémantique qui se
déploie dans les énoncés sous la forme d’une concaténation de prédica-
tions hiérarchisées.
Il est à remarquer que les mots de nature grammaticale assurent
des fonctions prédicatives spécialisées. Tel est le cas :

– dans les relations inter-prédicatives comme celles de l’ordon-


nancement, des relations temporelles, logiques, etc.
– dans les relations déictiques qui établissent un lien direct avec les
éléments de l’énonciation : personne, temps, espace.

Le potentiel sémantique de l’unité lexicale se réalise complètement à


travers les relations co-textuelles ou contextuelles.

3.2.1. Les relations co-textuelles 


Le déploiement de l’unité lexicale dans l’énoncé, de par sa structure
prédicative, s’accompagne d’un ensemble de contenus prédicatifs qui
représentent autant de points d’ancrage à d’autres prédicats. Généra-
lement, on présente les relations des éléments constitutifs des énoncés

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40  Salah Mejri

d’une manière linéaire et strictement plane. Or il s’agit en réalité d’une


dynamique multidirectionnelle et exponentielle, dynamique qui permet,
à la faveur de l’ajout à chaque unité de nouvelles unités lexicales, des
allers-retours entre les prédicats impliqués par les unités lexicales, la
formation de nœuds prédicatifs générant d’autres nœuds et participant
ainsi à la construction du sens dans le cadre du discours et des énoncés
d’une manière générale.
Ainsi trois niveaux sont-ils à distinguer :

– celui de l’unité lexicale avec son potentiel prédicatif ;


– celui du cadre dans lequel l’unité lexicale se déploie et entre, par
conséquent, en relation avec d’autres unités lexicales ;
– celui de la construction multidimensionnelle du sens au niveau
du texte.

Si nous prenons l’exemple de l’unité lexicale angoisse, on apprend


par le Grand Robert qu’il s’agit d’«  un malaise général, physique et
psychique, consistant en manifestations neuro-végétatives pénibles,
associées à un sentiment d’anxiété », lequel « malaise psychique [est]
né du sentiment de l’imminence d’un danger, caractérisé par une crainte
diffuse pouvant aller de l’inquiétude à la panique ». Ce complexe pré-
dicatif virtuel, une fois l’unité qui le véhicule employée dans le cadre
d’un énoncé, si réduit soit-il, se trouve nécessairement actualisé, et offre
ainsi un espace prédicatif où la construction discursive peut se réaliser.
Cette unité prédicative peut donner lieu à des énoncés comme :

(30) Je venais d’éprouver une angoisse ;


(31) Swann se serait bien moqué de cette angoisse ;
(32) Une angoisse semblable fut le tourment de longues années de la vie de
Swann ;
(33) L’angoisse de Swann [consiste à] sentir l’être qu’on aime dans un lieu de
plaisir où l’on n’est pas, où l’on ne peut le rejoindre…
(34) L’angoisse de Swann, c’est l’amour qui la lui a fait connaître, l’amour
auquel elle est en quelque sorte prédestinée, par lequel elle sera accaparée ;
(35) Mon angoisse est entrée en [moi] avant que l’amour ait encore fait son
apparition dans [ma] vie….

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L’unité lexicale au carrefour du sens 41

Dans chaque cas, le prédicat angoisse est actualisé à travers les liens
établis dans le cadre des trois fonctions primaires. Ainsi angoisse a dans
(30) comme premier argument, le je de l’énonciateur. Dans (31), l’an-
goisse est l’argument du prédicat se moquer. On apprend la nature de
l’angoisse de Swann à travers (33). (34) et (35) nous fournissent les
causes respectives des deux angoisses. À toutes ces réalisations prédi-
catives s’ajoutent celles de l’envoi d’une lettre du narrateur à Swann
portant sur son angoisse, etc.
La génération des énoncés se fait à travers l’établissement
de liens onomasiologiques entre différents prédicats à la manière de
l’implication conceptuelle (Martin, 2016 : 31–32). De tels liens s’ins-
crivent dans des schémas prédicatifs plus généraux comme l’opposition
(or, au contraire, mais…), la comparaison (comme, semblable à…),
la temporalité (quand, plus tard…), etc. C’est ce qui donne lieu à un
énoncé comme celui de Proust :

(36) « L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann s’en serait
moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but ; or, au contraire,
comme je l’ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de
longues années de sa vie, et personne aussi bien que lui peut-être n’aurait
pu me comprendre ; lui, cette angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime
dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas, où l’on ne peut pas le rejoindre,
c’est l’amour qui la lui a fait connaître, l’amour auquel elle est en quelque
sorte prédestinée ; mais quand, comme pour moi, elle est entrée en nous
avant qu’il ait encore fait son apparition dans notre vie, elle flotte en l’at-
tendant, vague et libre, sans affectation déterminée, au service un jour
d’un sentiment, le lendemain d’un autre, tantôt de la tendresse filiale ou
de l’amitié pour un camarade ». (Proust, À la recherche du temps perdu I,
Beq, p. 64- 65)

Dans ce passage dont la densité illustre très bien la génération des énon-
cés et leur structuration interprétative, on peut voir comment l’unité lexi-
cale, avec ce qu’elle comporte comme virtualités prédicatives, se déploie
en donnant à l’énoncé une charpente qui lui assure une cohérence par-
faite : l’unité angoisse est tantôt prédicat, tantôt argument pour d’autres
prédicats ; le contenu prédicatif de cette unité est l’objet de la lettre du
narrateur et en est le but ; une angoisse similaire tourmente Swann ; celle
de Swann est en rapport avec l’être qu’il aime ; celle du narrateur est
encore vague, libre, sans qu’elle ait un objet déterminée, etc.

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42  Salah Mejri

Les réseaux sémantiques sont « aiguillés » en quelque sorte avec


les virtualités prédicatives que comporte l’unité lexicale et dont l’actua-
lisation dans un cadre co-textuel précis donne lieu à un énoncé cohérent
et structuré.

3.2.2. Les relations contextuelles


Les mêmes métaphores d’aiguillage peuvent être appliquées aux rela-
tions que les unités de la troisième articulation peuvent avoir avec le
contexte extra-linguistique, c’est-à-dire énonciatif. Les unités qui nous
serviront d’exemple répondent à l’exigence de pouvoir être ancrées
dans une situation énonciative bien précise.
Si nous prenons l’exemple de la formule « à vos souhaits ! », on
relève que le TLF en donne l’explication suivante : « formule familière
que l’on adresse à une personne qui éternue. “Comme on le constate, la
définition comporte les indications suivantes :

– formule familière,
– formule adressée à une personne qui éternue.

Ces indications portent sur l’aspect oral de la formule, la proximité


dans les relations entre le locuteur et l’interlocuteur, le moment où l’on
emploie la formule, l’occasion à laquelle elle doit être prononcée.
C’est cet ensemble d’éléments contextuels qui s’ajoute au sens
véhiculé par les mots, que ce sens soit compositionnel ou non composi-
tionnel. Ne pas tenir compte de ce réseau sémantique qui rattache l’em-
ploi de la formule à sa signification globale serait comme si on isolait
une unité lexicale du co-texte qui actualise sa signification.
Ce genre de formules se mue le plus souvent en acte de langage
(cf. les actes de langage stéréotypés chez Kauffer 2018). Le fait de pro-
noncer la formule constitue un acte langagier qui fait partie de rituels
sociaux bien codés (cf. Mejri 2017d) : dire « Bon appétit », c’est faire
preuve de politesse vis-à-vis de ceux à qui on s’adresse à table. Les
formules de salutation, d’excuse, de remerciements, etc. sont autant
d’actes dont l’emploi obéit à des règles d’usage très strictes. Ne pas
dire « Bonjour ! » à quelqu’un qu’on connaît quand on le croise, c’est
un manquement aux usages qui risque de provoquer un incident entre
les personnes concernées !

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L’unité lexicale au carrefour du sens 43

Cette dimension performative n’est pas l’unique aspect qui


rattache la formule au contexte. D’autres séquences sont étroitement
conditionnées dans leur emploi par des données contextuelles. Nous en
retenons les trois suivants :

– Les pragmatèmes qui n’ont pas de dimension performative avérée.


Une indication sur un appareil comme « en panne » n’a de sens
que si elle joue le rôle d’une information fournie aux usagers de
l’appareil. Il en est de même des indications comme « Établisse-
ment sous vidéo-surveillance » ou « Travaux ! », même si on peut
toujours dégager l’idée d’avertissement qui se profile derrière ce
genre de pragmatème. L’essentiel des liens avec le co-texte réside
dans les contraintes d’emploi relatives au code employé (écrit), à
l’endroit où telles indications sont affichées, au caractère public,
donc anonyme, de l’information qui s’adresse à tout le monde, à
la source émettrice de ce genre de message ;
– Les déictiques ou les unités lexicales à valeur indexicale comme
certains pronoms ou des unités lexicales comme maintenant, ici,
etc. qui ne tirent leur signification que par rapport aux éléments
constitutifs de la situation d’énonciation : moi-ici-maintenant ;
– Les signalétiques par lesquels on emploie des unités lexicales
pour désigner des objets du monde comme les titres de tableau
(Le déjeuner sur l’herbe  ; La liberté guidant le peuple  ; Pèle­
rinage à l’Île de Cythère), les noms des rues (rue des Filles du
Calvaire, rue de l’Enfer, rue de Paradis), ou l’indication des pro-
duits sur les étalages (kiwi, café, tisane, etc.). Même si la relation
entre le contenu sémantique littéral de ces unités et l’objet auquel
elles renvoient n’est pas toujours le même, la relation entre l’ob-
jet indiqué et la séquence linguistique qui lui est attribuée est
identique (cf. Bosredon 1997).

Qu’il s’agisse de relations avec le co-texte ou le contexte, l’unité lexi-


cale est le lieu où le sens prend forme, la forme étant ce contenu caté-
goriel, dans lequel sont versés les contenus sémantiques « bruts » que
comportent par exemple les morphèmes qui est de nature à donner à
l’unité lexicale une configuration lui permettant :

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44  Salah Mejri

– soit de se combiner avec d’autres unités pour former des énon-


cés : il s’agit là de la forme que représentent les parties du dis-
cours ou des séquences phrastiques qui s’insèrent dans des con-
textes inter-phrastiques ;
– soit d’être ancrée dans un contexte énonciatif : la forme transcende
dans ce cas celle des parties du discours et relève le plus souvent d’un
aspect peu étudié qui consiste à donner à des séquences linguistiques
une certaine autonomie d’emploi. Si l’on excepte les déictiques dont
l’emploi dépend de la partie du discours à laquelle ils appartiennent,
tous les autres emplois dépendent de l’autonomie de la séquence : un
pragmatème par exemple peut être un nom (Danger !), une interjec-
tion (Halte !), un syntagme prépositionnel (À consommer avant… !),
un verbe (Ralentir !), etc., mais son emploi n’est pas conditionné par
cette nature. Elle relève d’un autre type de catégorie formelle qui
assure à la formule cette autonomie et lui permet d’être ancrée dans
la situation d’emploi. Cette forme est de nature « formulaire ».

Dans cette catégorie, on peut par exemple ranger les formules senten-
cieuses, les phrases descriptives (Un ange passe ; De l’eau a coulé sous
les ponts…), les actes de langage stéréotypés, les pragmatèmes, les for-
mules de salutation, d’excuse, de remerciement, de présentations, etc.
Ce qui conditionne l’emploi de ces formules, c’est leur forme complète
qui leur donne une autonomie qui annihile totalement ou partiellement
l’action de leur appartenance à une partie du discours.

4. Les caractéristiques fondamentales des unités de


la troisième articulation 

Ce qui distingue les unités lexicales comme unités de la 3e articula-


tion du langage des unités de la 2e articulation (les morphèmes) est un
faisceau de caractéristiques fonctionnelles et structurelles qui en font
le carrefour de toutes les interactions nécessaires à la production des
énoncés et à l’ensemble des usages courants de la langue. Ce faisceau
de caractéristiques se présente comme suit :

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L’unité lexicale au carrefour du sens 45

– une morphologie protéiforme qui fait que l’unité lexicale épouse


toutes les formes possibles allant du phonème à la phrase, en
passant par le morphème ou un ensemble de morphèmes soudés
ou conglomérés ;
– une structure qui comporte nécessairement une dimension for-
melle conditionnant l’emploi de l’unité dans les co-textes ou
contextes possibles  ; cet aspect formel pouvant être l’apparte-
nance à une partie du discours ou l’usage formulaire ;
– une autonomie référentielle et prédicative permettant à ces unités
d’assurer des fonctions de dénomination, de référenciation et de
structuration prédicative des énoncés ;
– une autonomie énonciative qui fait qu’une unité de la 3e articu-
lation peut former à elle seule un énoncé complet : les énoncés
formulaires l’illustrent bien, mais on peut y ajouter l’usage qu’en
font certains auteurs où des passages entiers sont faits d’unités
lexicales autonomes :

(37) C’était déjà le soir. Soleil. Obscurité. Étoiles. Brises. Frisson. Angoisse.
Infinitude du cosmos.

– l’aptitude à servir de support pour la création de réseaux mor-


phologiques, sémantiques et lexicaux  : la morphologie fait des
unités lexicales le support d’une variation étroitement liée à l’ex-
pression des catégories grammaticales propres à chaque langue
(personne, temps, aspect, genre, nombre, etc.). Ces unités sont
également le point d’ancrage de réseaux sémantiques établis sur la
base de l’ensemble des relations implicatives d’hyperonymie, d’hy-
ponymie, de similitude, de contiguïté, etc. (ce qui donne lieu soit
à une polysémie inscrite en langue, soit à des potentialités d’em-
plois discursifs comme pour les métaphores vives)  ; les réseaux
sémantiques s’appuient à la fois sur les réseaux lexicaux et sur les
phénomènes de polylexicalité tels qu’ils se traduisent dans les for-
mations phraséologiques comme les séquences figées et les emplois
collocatifs ; cette structuration en réseaux bien décrite par I. Mel’čuk
et A. Polguère (2007) est au cœur de l’idiomaticité des langues ;
– l’aptitude à cumuler fonction dénominative et fonction prédica-
tive, ce qui fait des unités lexicales un lieu où se superposent des

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46  Salah Mejri

virtualités d’emplois multiples et variés faisant de la langue un


outil doté d’une très grande souplesse permettant de s’adapter
aux différents besoins en communication et en expressivité ;
– l’aptitude à assurer la jonction entre les unités de la deuxième
articulation (les morphèmes) et les réalisations discursives, ce qui
donne aux unités lexicales le pouvoir de servir de support à la fois
lexical et morphologique  ; c’est pourquoi dans certaines langues
agglutinantes une phrase peut avoir la configuration d’une seule
unité lexicale (ou un mot), preuve supplémentaire que ces unités
sont le siège de toutes les interactions sémantiques donnant lieu à
des énoncés sémantiquement cohérents, assurant en même temps la
jonction entre le préconstruit linguistique et le construit discursif.

5. De quelques problématiques

Toute cette présentation des unités lexicales dans ce qu’elles ont de


particulier dans l’expression du sens conduit naturellement à certaines
difficultés théoriques qu’on peut résumer dans les questions suivantes :

– Que faire des unités polylexicales discontinues du type : tel…tel,


soit…soit, ou les deux éléments de la négation en français (cf. le
discordanciel et le forclusif chez Damourette et Pichon) ? Faut-il
y voir une seule unité lexicale ou deux ? S’il s’agit d’une unité
lexicale, quel statut théorique faut-il donner à l’espace interne
que crée leur configuration discontinue  ? Faut-il le rapprocher
des positions impliquées par la relation implicative ?
– En rapport avec les unités discontinues, il faut donner un statut
lexical aux unités structurantes des énoncés du type  : d’un
côté…de l’autre (côté) ; d’une part…, d’autre part ; d’abord…
ensuite…puis…enfin ; primo…secundo…tertio… ; faut-il y voir
un seul prédicat d’ordination discursive se déclinant à travers une
sorte d’enchaînement polylexical, ou au contraire, des prédicats
autonomes se combinant entre eux pour créer un enchaînement
prédicatif ?

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L’unité lexicale au carrefour du sens 47

– Toujours en rapport avec la même problématique de structur-


ation, se pose également la question relative aux moules lexi-
co-sémantiques créés par les proverbes qui ont une fonction
structurante des énoncés  : faut-il y voir un seul prédicat dont
la forme polylexicale n’a aucune incidence sur les dimensions
endophoriques des proverbes, ou, au contraire, une polylexicalité
qui implique une dualité d’emploi à la fois global et littéral ?

Toutes ces interrogations renvoient en réalité à trois problématiques dif-


férentes :

– celle de l’unité des formes polylexicales ;


– celle de l’organisation interphrastique ;
– celle du moule (la matrice, le schème) comme forme du sens
structurant les énoncés.

Bibliographie 

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Dictionnaires

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(http://atilf.atilf.fr/academie9.htm)
Le Grand Robert de la Langue Française (2000)
Trésor de la Langue Française (http://atilf.atilf.fr/)

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Danguolė Melnikienė

L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu »,


dans Le Dictionnaire de la langue française
d’Émile Littré

« […] l’onomatopée, qui serait un monstre –


au sens latin, monstrum, un miracle de
la langue –, le rêve qui est derrière cette
catégorie, un voyage vers la langue mère,
dont les certitudes sont fluides comme
l’eau […] » (Dotoli 2017 : 5)

1. Introduction

Par quoi commence un grand projet lexicographique ? Techniquement,


par la construction d’«  une liste de formes couramment désignées
comme les « mots du dictionnaire » […] dites « entrées » (Rey, 1984 :
II). Mais avant de passer aux choses « techniques », tout lexicographe
est contraint de se poser des questions qui lui sont non moins fonda-
mentales que la fameuse question hamlétique et que Claude Dubois
avait formulée de la manière suivante : «  un nouveau dictionnaire  :
Pourquoi? Pour qui et pour quoi faire ? » (1991 : 1574). Pourquoi donc
le dictionnaire général d’une langue  ? Référons-nous tout d’abord à
Josette Rey-Débove. Elle nous rappelle que ce dictionnaire «  vise à
décrire l’ensemble de son lexique mais ne peut pas décrire la totalité
des mots. […] Un dictionnaire général n’est donc pas un recensement
total du lexique, ce sont les intentions de globalité et de ciblage qui
importent » (2005 : 2). Élaboré dans cette perspective, le dictionnaire
général devient non seulement un vrai ouvrage de référence, « un ‘trésor’

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50  Danguolė Melnikienė

réunissant les recherches éparses de l’usage  » (Rey 2008  : 13) mais


aussi ce témoignage précieux qui peut être même considéré « comme
l’archive d’un état de langue » (Collinot, Mazière 1997 : 55).
En même temps, il en reste non moins évident, que même
le meilleur «  modèle global  » n’est pas à l’abri des lacunes parfois
considérables qui peuvent défigurer l’image de la langue en question.
Rey-Debove les attribuent à deux types, à savoir aux «  incertitudes
quant à l’unité linguistique » (1971 : 86) et aux « incertitudes quant à
l’homogénéité du lexique  » (1971 : 91). Dans la littérature métalexi-
cographique on prête plutôt l’attention au deuxième type d’«  incerti-
tudes » qui concerne la discrimination consciente (ou inconsciente) des
sous-langues « représentées par des regroupements d’idiolectes ayant
en commun des habitudes de langage, notamment et surtout lexicales »
(Rey-Debove 1971 : 91) et qui n’épargne même pas les mots de haute
fréquence (par exemple, certains mots familiers et néologismes). La
déstructuration, engendrée par les « incertitudes quant à l’unité linguis-
tique », le plus souvent est un peu délaissée par les chercheurs, car en
principe dans ce cas-là, il ne s’agit que des entrées un peu spéciales,
les abréviations ou des monèmes liés, par exemple. Mais est-il possible
que cette incertitude puisse amener à la discrimination lexicographique
d’une sous-classe grammaticale entière ? Une question dérangeante, en
effet, et pourtant très sérieuse, car parfois même de grands dictionnaires
de langue rejettent de leur nomenclature ces « sémantismes tout nus »
que sont pour Emile Benveniste les onomatopées (Resweber 2003 : 7).
Composant une sous-classe des interjections, ces mots sont, d’après
Rey-Debove, « entièrement sacrifiés aussi bien dans la macrostructure
que dans la microstructure » (1971 : 251).
Nos recherches, menées sur le recensement et la description lexi-
cographique des onomatopées dans les dictionnaires français1, nous
avaient confrontée à un phénomène assez paradoxal. D’une part, il est
évident que les onomatopées, «  mots qui, avec les sons du langage,
imitent de façon conventionnelle, propre à chaque langue, les bruits de
la vie courante et les cris d’animaux » (Picoche, Rolland 2002 : 856),
stimulaient, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, l’imagination des

1 Danguolė Melnikienė, 2016. L’onomatopée, ou le monstre hybride, Paris  :


Hermann.

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 51

philosophes et des linguistes. Séduits par « la musique de l’onomatopée


légère et brève, même si elle se répète à la façon d’une ritournelle, car le
rythme en souffle la mélodie à chaque avancée » (Resweber 2003 : 9), ils
y voyaient les combinaisons de ces sons primitifs qui seraient sortis de
la bouche des premiers hommes. Ainsi, les onomatopées étaient impli-
quées dans les théories de la glotto-genèse, dont les dernières datent de
la deuxième moitié du XXe siècle2, ainsi que dans le questionnement sur
la nature même du langage.
D’autre part, il s’est avéré qu’en se retrouvant juste au centre
de toutes ces théories, cette «  forme curieuse de la combinaison des
‘mots’ et du ‘chant’  » (Bally 1965 : 129), était négligée durant les
siècles en tant qu’ unité linguistique, digne non seulement d’une ana-
lyse méthodique et approfondie, mais aussi de son attestation dans les
dictionnaires de langue. Il fallait attendre le XIXe siècle pour que « les
onomatopées authentiques » (terme de Ferdinand de Saussure) (1995 :
102), non lexicalisées, celles qui font « pénétrer dans les langues tous
les bruits du monde » (Rey-Debove 1998 : 29), s’implantent peu à peu
dans les nomenclatures de grands dictionnaires. Il faut avouer, bien
sûr, que les premières présentations des onomatopées authentiques
dans les dictionnaires du XIXe siècle sont loin d’être parfaitement
cohérentes et ordonnées. Mais cela n’est pas étonnant : même de nos
jours « la constitution de ce sous-ensemble paraît marquée au coin d’un
empirisme encore plus prononcé que celui qui affecte inévitablement
toute nomenclature  » (Bally 1965  : 129). Quoi qu’il en soit, c’est à
la lexicographie du XIXe siècle que nous devons la légalisation des
onomatopées authentiques, et surtout à son dictionnaire pionnier dans
ce domaine, à savoir le Dictionnaire de la langue française, paru en
quatre volumes entre 1863 et 1872 et rédigé par Émile Maximilien
Paul Littré (1801–1881).
Le but de cet article est donc d’analyser les particularités du
recensement et de la description des onomatopées dans le dictionnaire
que Jules Michelet traitera comme un «  colossal monument  ». «  Ce
dictionnaire qui a fait longtemps autorité et qui se consulte aujourd’hui
encore avec profit » (Pruvost, 2006 : 72), visait, aux dires de son auteur,

2 Cf. Danguolė Melnikienė, 2016. L’onomatopée, ou le monstre hybride, Paris :


Hermann.

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52  Danguolė Melnikienė

à embrasser et à combiner « l’usage présent de la langue et son usage


passé, afin de donner à l’usage présent toute la plénitude et la sûreté
qu’il comporte  » (Littré 1873  : III). La «  plénitude  », désirée par
Littré, qui s’étend sur les 415 636 feuillets, différait globalement de
« l’inflation incontrôlée du nombre d’entrées » dans « des nomenclatures
pléthoriques3  » (Pruvost 2006  : 65), car il accordait une attention
particulière à chaque élément de cet immense ensemble.

Je n’ai prétendu à rien de moindre qu’à donner une monographie de chaque


mot, c’est-à-dire un article où tout ce qu’on sait sur chaque mot quant à son
origine, à sa forme, à sa signification et à son emploi, fût présenté au lecteur.
Cela n’avait point encore été fait. Il a donc fallu, pour une conception nou-
velle, rassembler des matériaux, puis les classer, les interpréter, les discuter, les
employer (Littré 1873 : XXXVIII).

Mais avant de procéder à l’analyse de ce dictionnaire d’importance


majeure, nous voudrions proposer quelques remarques sur la définition
et la nature linguistique de l’onomatopée et faire un court aperçu
diachronique de leur apparition dans les dictionnaires français.

2. L’onomatopée : le son figé dans le langage

Le Dictionnaire historique de la langue française en trois volumes


d’Alain Rey (2006) et le TLF nous permettent de retrouver les pre-
mières traces du lexème onomatopée en français. C’est l’emprunt
au bas latin onomatopeia, attesté par l’Académie depuis 1762, mais
recensé presque deux cents ans plus tôt par le célèbre humaniste Pan-
taléon Thévenin, dans la réédition de La Sepmaine ou la création du
monde de Guillaume de Salluste du Bartas de 1581 (sa première édition
date de 1579). Il s’agit de « formation de mots imitant un son ou un
bruit ». Mais c’est en remontant jusqu’à la source première – car le bas
3 Parmi ces ouvrages «  accumulateurs de mots  », Jean Pruvost évoque tout
d’abord deux, les plus éminents, à savoir le Dictionnaire universel de la langue
française de Pierre-Claude Boiste (1800) et le Pan-lexique de Nodier qui, de
1800 à 1857, a connu 14 éditions.

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 53

latin, à son tour, a emprunté le mot au grec ancien – que nous pourrons
relever avec précision les éléments composants le terme4, notamment :
ὀνοματοποιία signifie  «  création de noms  », de ὀνομα, génitif du
ὀνόματος – nom et ποιέω – « je fais, je crée ».
Ces deux définitions de l’onomatopée mettent en évidence une
différence significative entre la conception de l’onomatopée  chez les
Latins et chez les Grecs anciens : tandis qu’en bas latin elle désignait la
formation des mots imitatifs, en grec ancien elle signifiait la néologie
au sens large du mot.
Les dictionnaires français héritent de la définition restreinte de
l’onomatopée. Pourtant ce lexème acquiert le statut d’une entrée dic-
tionnairique assez tardivement, par rapport aux premiers dictionnaires
français5, c’est-à-dire, en 1690 dans l’édition posthume du Dictionnaire
universel contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que
modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts d’Antoine
Furetière. L’article Onomatopéeyinséré, est assez volumineux à l’échelle
de son temps, car outre la définition de l’entrée, il propose plusieurs
exemples de « mots sonores », apportant de la lumière sur leur séman-
tisation : « sifler, qui se dit des oiseaux, beller qui se dit des moutons ;
grogner des pourceaux, hennir des chevaux ; miauler des chats ; japper
des petits chiens ; hurler des loups ; beugler des bœufs ; courcailler des
cailles ; guiller du passereau ; coquetter des cocqs, de même les mots de
tret & trotter, de frie & friture, de cliquetis, esclat, etc. Mais revenons à
la définition de l’onomatopée, proposée par Furetière :

4 Cf. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française en trois volumes,


Paris, Éditions le Robert, 2006  ; Pierre Chantraine, Dictionnaire étymolo-
gique de la langue grecque. Histoire des mots, tome I. Ouvrage publié avec
le concours du Centre National de la Recherche scientifique, Paris, Éditions
Klincksieck, 1968, http://archive.org/stream/Dictionnaire-Etymologique-Grec;
Trésor de la langue française informatisé. Dictionnaire de la langue du XIXe et
du XXe siècle (1789–1960) http://atilf.atilf.fr.
5 Comme nous le savons, le premier dictionnaire, dont la langue source est le
français, le Dictionnaire françois-latin de Robert Estienne, fait son apparition
en 1539. Le « faust bilingue » de Jean Nicot paraît en 1606 et le premier mono-
lingue de Richelet en 1680.

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54  Danguolė Melnikienė

ONOMATOPÉE f. fem. Terme de Grammaire, ou figure des mots qui se fait,


lorsqu’on forme quelque nom sur le bruit ou la ressemblance de la chose qu’il
signifie, comme le trique-trac.

Comme nous le voyons, Furetière, de même que les Latins, met


l’accent sur la formation onomatopéique des mots (d’après lui, elle
apporte aux dérivés lexicaux une véritable transparence étymolo-
gique), mais n’évoque pas du tout le mot ainsi formé. La tradition de
considérer l’onomatopée comme un processus de formation des mots,
mais non comme son résultat, perdurera jusqu’à la première moitié du
XIXe siècle. Par exemple, pour Nicolas Beauzée qui, à la mort de Du
Marsais, devient en 1756 le grammairien officiel de l’Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert et y rédige un article sur la question, l’onoma-
topée est « la génération matérielle des mots expressifs », mais pas un
mot ainsi «  généré  ». C’est seulement la sixième édition du Diction-
naire de l’Académie française (1832–1835) qui introduira la deuxième
acception : l’onomatopée est donc comprise non seulement comme le
moyen de formation des mots, mais aussi comme « des mots imitatifs
eux-mêmes  ». En guise d’exemple, les auteurs proposent le Diction-
naire des onomatopées françaises, probablement par allusion au Dic-
tionnaire raisonné des onomatopées françaises de Charles Nodier, dont
la première édition date de 1808 et sa réédition, sensiblement remaniée,
de 1828.
Le dictionnaire mentionné ci-dessus est le premier dictionnaire
dans la lexicographie française, consacré entièrement aux onomatopées.
Mais quelle ne fut pas la surprise de l’utilisateur contemporain, familier
du Dictionnaire des onomatopées de Pierre Enckell, Pierre Rézeau, de
constater que Nodier n’offre aucune transcription linguistique du bruit
lui-même (par exemple, badaboum, bling, miaou, patatras, etc.), c’est-
à-dire, aucune onomatopée authentique ! L’auteur de ce dictionnaire ne
conçoit les onomatopées que comme des mots dérivés (des substantifs,
des adjectifs, des verbes) d’origine imitative qui « désignent les choses
bruyantes par l’imitation du bruit qu’elles font » et s’y concentre exclu-
sivement. Il est à la lignée de la tradition des dictionnaires français,
rédigés avant le XIXe siècle, où l’on trouve parfois les lexèmes d’origine
imitative, mais presque jamais, à notre connaissance, des onomatopées
non lexicalisées.

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 55

Ainsi, la relecture ‘verticale’ de la première édition du Dictionaire


françois-latin (1539) de Robert Estienne permet de relever quelques
mots d’origine imitative, à savoir coucou  (coucou), bêler (beeller,
beellement), mugir (meurler), tinter et ses dérivés (tintant, tintement).
Pour chaque entrée Estienne propose un ou plusieurs équivalents latins,
parfois grecs, mais l’information étymologique ou lexicale, concernant
les entrées elles-mêmes, est complètement absente. Un seul mot, le
verbe tinter, fait l’exception à la règle : tinter, c’est sonner clerement,
comme fait ung verre, or, ou argent. Voilà enfin une caractéristique
« sonore » d’un mot d’origine imitative qui sert à relever son essence,
mais ce n’est pas vraiment qu’une exception !
Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, pour qui, comme
nous l’avons déjà mentionné, le lexème onomatopée devient une entrée
à plein titre, prête une attention particulière aux mots d’origine imita-
tive. En offrant un « stock » impressionnant de dérivés onomatopéiques,
il en propose également une sémantisation assez convaincante. Ainsi,
il précise que le verbe TINTER décrit le son d’une cloche quand on la
met en branle, « ne la laissant frapper que d’un côté et lentement ». Le
CLIQUETIS est un « bruit que font les armes en se choquant ». Afin de
relever les nuances du sens, le lexicographe recourt à l’exemplification :
« On entendit un cliquetis d’épées qui fit sortir les bourgeois ». « Le
cliquetis de ceux qui se battoient reveilla les plus endormis  ». Dans
l’article du substantif GLOUGLOU, Furetière ne se limite pas à l’expli-
cation du mot (c’est « le bruit que fait le vin en sortant d’une bouteille :
ce n’est pas que toutes les autres liqueurs ne fassent le même bruit ») ;
il donne aussi le regard normalisateur sur la langue. Selon l’auteur du
Dictionnaire, GLOUGLOU est « un terme burlesque, qui ne se met que
dans les chansons bachiques ».
D’après Brigitte Lépinette (1990), un des aspects novateurs du
Dictionnaire universel tient à l’accent mis sur l’origine des termes de la
langue française et cette information est apportée d’une manière presque
toujours systématique. Par exemple, dans le cas de GLOUGLOU,
Furetière explique que « ce mot vient de glutius, qui signifie la partie du
col par où passent les viandes, ou plustost il a esté fait par onomatopée
du son de la liqueur qui passe au travers d’un canal estroit ».

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56  Danguolė Melnikienė

Comme nous le voyons, ce sont toujours des dérivés onoma-


topéiques, suivis systématiquement d’indication grammaticale : subst.
fem. (substantif féminin), subst. masc. (substantif masculin), verb. act.
(verbe actif), part. pass. & adj. (participe passé et adjectif), interjection,
etc.
Dans ce contexte, les articles TIC ET TAC et CRAC occupent une
place particulière. D’après Furetière, tic et tac ou tic et toc sert à expri-
mer « un battement, un mouvement réitéré d’un marteau qui frappe,
d’un cheval qui marche, d’un balancier d’horloge, d’un pouls qui bat ».
À son tour, crac « exprime le bruit que fait une chose qu’on déchire. Il
se joint ordinairement avec crac. Quant on rompt quelque chose avec
violence, elle fait cric crac ». Comme nous le voyons, il ne s’agit pas ici
de dérivé onomatopéique comme, par exemple, dans le cas de TINTER
ou CLIQUETIS. On est face à l’onomatopée non lexicalisée, telle que
nous la trouvons dans les dictionnaires d’aujourd’hui. Elle ne sert pas
à exprimer les sentiments (« les passions ») du sujet parlant mais, en
imitant le son, produit par différents objets extérieurs, transmet l’idée
qu’on peut se faire de ces objets « sonores » et de leurs propriétés. Nous
considérons donc que TIC ET TAC ainsi que CRAC sont les premières
onomatopées authentiques, celles qui nous représentent aujourd’hui
cette catégorie de mots, jamais enregistrée auparavant dans les diction-
naires français, qui ne font pas toutefois l’exception à la règle.
Dans ce contexte il serait intéressant de voir le rôle qui est attri-
bué aux mots imitatifs dans la nomenclature du Dictionnaire de la
langue française de Littré, ce premier dictionnaire moderne, et d’ana-
lyser les particularités de leur description dans les articles, considérés
par l’auteur comme des « monographies ».

3. La conception de l’onomatopée chez Littré

Dans l’article ONOMATOPÉE de l’Encyclopédie, Beauzée constate


que « c’est surtout dans le genre animal que l’on en rencontre le plus »
(1765 (11) : 484). En feuilletant le dictionnaire de Littré qui, d’après

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 57

son auteur est « un enregistrement très étendu des usages de la langue »
(Littré 1873 : III), nous y retrouvons enfin non seulement coquerico,
mot imitatif préféré des dictionnaires antérieurs, mais aussi d’autres
voix « authentiques », à savoir, miaou et ronron. Mais avant de procéder
à l’analyse de ces articles, jetons un coup d’œil rapide sur celui de
l’Onomatopée.
La première acception du mot, formulée par Littré, s’inscrit
parfaitement dans les observations grammaticales et lexicographiques
de ses prédécesseurs. L’onomatopée est tout d’abord traitée comme le
terme de grammaire qui sert à désigner la « formation d’un mot dont
le son est imitatif de la chose qu’il signifie  ». Pour les illustrations,
Littré recourt aux exemples cités, à savoir ceux de Rollin, Dumarsais et
Diderot, les trois grandes autorités du XVIIIe siècle6.
Pour la deuxième acception, Littré se réfère, de toute évidence,
à la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française. Pour lui
les onomatopées sont donc non seulement les moyens de formation des
mots, mais aussi « des mots imitatifs eux-mêmes ». Littré réutilise un
exemple de l’Académie, à savoir le Dictionnaire des onomatopées fran-
çaises.
La troisième et la dernière acception de l’onomatopée chez Littré
reste assez obscure. Il estime qu’« en un sens plus large, on applique
quelquefois aujourd’hui le nom d’onomatopée aux cris qui naturelle-
ment accompagnent certains gestes ». Faute d’exemples, nous n’avons
qu’à prétendre qu’il s’agit probablement des cris émotifs comme ah !
(bruit marquant la satisfaction), aïe ! (marquant la douleur), ouf ! (bruit
de soupir étouffé manifestant une douleur soudaine). S’il en est ainsi,
on est face à la confusion entre de « vraies » interjections (sous-classe
des interjections modales) et les onomatopées (sous-classe des interjec-
tions dictales) qui perdurera jusqu’au XXIe siècle (Melnikienė 2016 :
117–127). Mais revenons donc aux articles de miaou et de coquerico :

Coquerico
(ko-ke-ri-ko) s. m.
• Chant du coq.

6 Charles Rollin est recteur de l’Université de Paris à 33 ans (en 1694), puis prin-
cipal du collège dit de Beauvais : il est à nouveau recteur en 1720. Du milieu du
XVIIIe au milieu du XIXe, c’est la référence pédagogique par excellence.

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58  Danguolė Melnikienė

ÉTYMOLOGIE
Onomatopée.
Miaou
(mi-a-ou) onomatopée
• qui exprime le cri du chat. S. m. Un chat. Un petit miaou.
Ronron
(ron-ron) s. m.
• 1 Sorte de petit grognement continu produit par le chat, et qui marque le
contentement. Minette fait son ronron.
• 2 Par extension, bruit monotone comparé au ronron du chat. Figurez-vous
[à l’opéra] un charivari sans fin d’instruments sans mélodie, un ronron
traînant et perpétuel de basses ; chose la plus lugubre, la plus assommante
que j’aie entendue, [Rousseau, Hél. II, 23]
ÉTYMOLOGIE
Onomatopée.

Pour les deux premières entrées, Littré propose une glose du même
type : chant du coq = cri du chat, c’est-à-dire, « bruit produit par… ».
La troisième est plus développée, le type de bruit étant plus nuancé
(« sorte de petit grognement continu produit par … »), mais sa structure
est toujours la même. On pourrait s’attendre donc à la description lexi-
cographique analogue et structurée de la même manière. Cependant la
différence entre les deux articles est considérable.
Miaou, qui n’est pas grammaticalement défini, a le statut « offi-
ciel » d’onomatopée. La marque grammaticale s.m. (substantif mascu-
lin) n’apparaît qu’à l’intérieur de l’article quand miaou est traité comme
un substantif, signifiant un chat. C’est un article tout à fait « transpa-
rent » et logique dont l’organisation sera héritée par les dictionnaires de
notre temps.
Les entrées coquerico et ronron, qui ont la même nature linguis-
tique que miaou (l’imitation du son), ne sont pas désignées comme des
onomatopées. Dans ces articles, elles sont attribuées à la classe gram-
maticale des substantifs. L’onomatopée n’est évoquée ici qu’à la fin de
l’article, en parlant de l’étymologie, ce qui nous fait rappeler les for-
mules définitoires, insérées dans les dictionnaires précurseurs, à savoir
«  formé par onomatopée  », «  formé par harmonie imitative  ». Dans
ces cas-là, on a l’impression de revenir vers la conception de l’onoma-
topée des siècles précédents, quand elle était traitée seulement comme
« moyen de génération des mots ». 

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 59

4. « Un étrange Babel » des indications de catégories


grammaticales

L’analyse de la description lexicographique des onomatopées dans


ce grand dictionnaire extrêmement riche nous a montré que Littré
s’intéresse plutôt aux onomatopées authentiques qui sont le résultat de
la transcription lexicale des bruits du monde qu’aux problèmes de leurs
dérivations éventuelles (comme, par exemple, dans le cas de Nodier).
En même temps, il nous a fait confronter au phénomène qui concerne
de près les dictionnaires contemporains et que P. Rézeau et P. Enckell
définissent comme « un étrange Babel où les indications de catégories
grammaticales éclatent dans de multiples directions » (si ce n’est pas
le cas où elles ne sont pas complètement absentes : d’après P. Enckell
et P. Rézeau, «  l’absence d’indications est fréquente dans Littré  »
(2003 : 11).
La présence de cet «  étrange Babel  » dans le Dictionnaire de
la langue française  nous a permis de relever quelques types de des-
cription lexicographique des onomatopées, que nous allons présenter
ci-dessous.

4.1. L’entrée est considérée comme une onomatopée

Parlons d’abord du premier type de description, celui qui est, de toute


évidence, le plus « onomatopéique ». Dans les articles de ce type, l’en-
trée est considérée comme une onomatopée (par exemple, le cas de
miaou). De la même manière, sont organisés aussi les articles du frou-
frou, patati, patata que nous reproduisons entièrement ci-dessous.

frou-frou
(frou-frou)
• Onomatopée dont on se sert pour exprimer le froissement des feuilles, des
vêtements, particulièrement des robes de soie, de taffetas.
Populairement. Faire frou-frou, faire du frou-frou, étaler un grand luxe.
• s.m. Nom vulgaire des oiseaux-mouches.
Au plur. Des frou-frous.
REMARQUE

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60  Danguolė Melnikienė

Au commencement du XVIIe siècle, on a dit frifilis, dans un sens ana-


logue  : Vous aimez la foi, et ne voudriez pas qu’une seule pensée vous
vînt au contraire ; et, tout aussitôt qu’une seule vous touche, vous vous en
attristez et troublez ; vous êtes trop jalouse de cette pureté de foi ; il vous
semble que tout se gâte ; non, non, ma fille, laissez courir le vent, et ne
croyez pas que le frifilis des feuilles soit le cliquetis des armes, [St François
de Sales, Lett. à Mme de Chantal, 30 août 1605]
patati, patata
(pa-ta-ti, pa-ta-ta)
• Onomatopée pour exprimer un babil insignifiant et ennuyeux. Et patati et
patata, Prêtons bien l’oreille à ce discours-là, [Béranger, Juge de Char.]
Monsieur et madame patati et patata, faiseurs d’embarras.
HISTORIQUE
XVIe s.Vous entrerez patic patac,  [Roger de Collerye,  Œuv. p. 45, dans
LACURNE]

Ces deux articles sont extrêmement intéressants pour notre recherche,


non seulement à cause de leur sémantisation exhaustive qui transmet
parfaitement les nuances du bruit exprimé par l’onomatopée. Ils sont
très importants car, grâce à leurs parties supplémentaires (REMARQUE
et HISTORIQUE), nous pouvons nous rendre compte de combien les
réflexions de Littré sur la nature de l’onomatopée sont plus modernes
en comparaison avec celles des autres linguistes de son époque et même
de la première moitié du XXe siècle.
Rappelons que dans leur recherche monumentale Des Mots à la
pensée. Essai de grammaire de la langue française, Jacques Damou-
rette et Edouard Pichon attribuaient un rôle très important à l’onoma-
topée, « encore en pleine vitalité dans la langue française ». Pourtant, il
faut le souligner, cette « vitalité » dans Des Mots à la pensée a pris des
contours assez étranges. Notons d’abord que les recherches sur l’ono-
matopée de Damourette et Pichon partaient des postulats de Kristoffer
Nyrop, exposés dans sa Grammaire historique de la langue française
en six volumes (1899–1930). Ils admettent donc le postulat fondamen-
tal du romaniste danois, estimant que l’onomatopée « se recrée chaque
fois qu’on l’emploie » et « reste toujours jeune» (Damourette, Pichon,
1983  : 434). En développant cette pensée, Damourette et Pichon
constatent « le fait curieux et très naturel » : les onomatopées « se sous-
traient à tout développement phonétique  », elles «  persistent pendant
des siècles sans changement  ». On les observe donc «  pieusement et

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 61

sans aucun changement. Une évolution phonétique régulière finirait par


les rendre méconnaissables et hors d’état de remplir leur rôle » (1983 :
434).  Mais est-il possible qu’une unité langagière reste, pendant des
siècles, tout à fait figée, « sans aucun changement » ? Dans ce cas-là
pourrait-on parler vraiment de vitalité  ? Alors Damourette et Pichon
inventent une formule complètement paradoxale et oxymoronique : les
onomatopées « se créent constamment de nouveau, et en se renouvelant
toujours, elles ne se renouvellent jamais » (1983 : 434).
Référons-nous maintenant aux articles de Littré. Dans le premier,
celui de frou-frou, Littré remarque qu’au «  commencement du XVIIe
siècle, on a dit frifilis, dans un sens analogue » ; dans le deuxième, le
lexicographe propose à titre d’illustration un exemple du XVIe siècle,
patic patac, qui diffère considérablement de la forme actuelle du patati
et patata. Cela veut dire que par ces articles Littré réfute la possibilité
d’une étrange vitalité « stagnante » et confirme la conception moderne
de la langue, à savoir d’un phénomène très complexe, constitué de
différentes unités structurelles qui poursuivent, toutes sans exception, le
mouvement perpétuel de changement. D’après Littré :

les mots ne sont immuables ni dans leur orthographe, ni dans leur forme, ni
dans leur sens, ni dans leur emploi. Ce ne sont pas des particules inaltérables,
et la fixité n’en est qu’apparente. Une de leurs conditions, est de changer  ;
celle-là ne peut être négligée par une lexicographie qui entend les embrasser
toutes. Saisir les mots dans leur mouvement importe, car un mouvement existe
(Littré 1873 : XXXVII).

Il s’avère donc que le traitement des onomatopées dans cet ouvrage,


paru presque cinquante ans après la parution du dictionnaire, témoigne
d’un anachronisme incompréhensible, tandis que Littré fait preuve de
la vision historique des onomatopées, propre à la linguistique moderne.
Car aujourd’hui il n’y a plus aucun doute que « les onomatopées suivent
les lois générales du lexique. Elles se lexicalisent par le volume des
échanges ; elles meurent (drelin ! drelin ! est vieux) et d’autres naissent
qui les replacent (dring ! a remplacé drelin ! drelin !)» (Rey-Debove,
1971 : 87). Ainsi, à l’instar de P. Enckell et P. Rézeau, on est parfaitement

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62  Danguolė Melnikienė

conscient qu’au cours de l’histoire, « les mêmes choses font des bruits


différents et les mêmes bruits sont perçus différemment7 ».

4.2. L’entrée est considérée comme un substantif

Ce deuxième type d’articles onomatopéiques est probablement le


plus répandu dans le dictionnaire de Littré. Tels sont, par exemple,
les articles de cric-crac, de glouglou, de tic tac et de coucou. Malgré
la ressemblance formelle de tous ses articles, la sémantisation des
entrées est bien différente : glougou est défini comme le « bruit que
fait le vin qu’on verse d’une bouteille » (première acception), « cri du
dindon  » (deuxième acception), tandis que cric-crac et tic tac, sont
présentés comme des onomatopées, la première exprimant « le bruit
que font certains corps solides en se brisant ou en se déchirant », et la
deuxième, « un bruit sec ». Dans le cas de glouglou, de même que dans
celui de coquerico, l’onomatopée n’est évoquée qu’à la fin de l’article,
en parlant de l’étymologie. Finalement, il est intéressant de remarquer
que parmi neuf acceptions du fameux coucou, Littré n’évoque pas du
tout « le cri d’oiseau », même si ce cri authentique apparaît dans les
exemples, illustrant la première acception (oiseau du genre des pies
qui dépose ses œufs dans le nid des autres oiseaux)  : un misérable
oiseau pensa me rendre fou à force de crier coucou, coucou, coucou,
[Bour­sault, Merc. gal. III, 4].

7 En illustrant leur pensée, ces auteurs proposent plusieurs exemples du chan-


gement historique des onomatopées. « Si les tirs d’artillerie exposent en boum
ou baoum, c’en est fini des bou et des boudou, et les tambours qui sonnaient
naguère don, don, bededou ou di/dou be don font aujourd’hui fla, ra, ran ou ran,
plan, plan ; il ne reste quasiment rien des onomatopées évoquant tel concert des
16e ou 17e siècles ou telle musique militaire du Grand Siècle, et les imitations
médiévales de la trompe de chasse ou de chant du rossignol nous sont deve-
nues étrangères. Plus près de nous, […] les applaudissements sont rendus par
clap clap et non plus par ta ta », Pierre Enckell, Pierre Rézeau, Introduction,
in Pierre Enckell, Pierre Rézeau, Dictionnaire des onomatopées, Paris, PUF,
2005, p. 20–21.

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L’onomatopée, ou le « sémantisme tout nu » 63

4.3. L’entrée est considérée comme une interjection

Enfin, certains mots imitatifs sont attribués chez Littré à la catégorie


grammaticale de l’interjection, sans évoquer l’onomatopée :

paf
(paf)
• Interj. indiquant un coup donné. Pif, paf, en veux-tu, en voilà.

ou en précisant que cette interjection est une onomatopée :

toc
(tok’) interj.
• Onomatopée d’un bruit, d’un choc sourd. Le loup ne fut pas longtemps à
arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte, toc toc ! [Perrault, le Petit
Chaperon rouge.] Lundi dernier, à cette heure-ci à peu près, j’entends à
ma porte, toc toc, [Genlis, Mères riv. t. II, p. 102, dans POUGENS]

En récapitulant les observations faites à propos de la description des


onomatopées dans le dictionnaire de Littré, nous pouvons constater que
ces unités de la même nature linguistique ne sont pas toujours décrites
d’après le même modèle lexicographique. Ainsi, elles apparaissent
dans la nomenclature du dictionnaire sous la mention « onomatopée »,
« interjection », « substantif » ou même « mot8 ». Dans le cas où les
onomatopées sont désignées comme des substantifs, la partie étymolo-
gique comporte l’indication de sa formation onomatopéique. Cepen-
dant, malgré certaines incohérences et des lacunes qui sont évoquées
par Littré lui-même dans sa Préface9, le Dictionnaire de la langue fran-
çaise est le premier dictionnaire monolingue français témoignant de
l’intérêt très profond « aux bruits du monde ».

8 patatras (pa-ta-trâ) Mot qui exprime par onomatopée le bruit que fait un corps
qui tombe. Je n’y fus pas longtemps qu’aussitôt, patatras, Avec un fort grand
bruit voilà l’esprit à bas, [Régnard, Fol. amour. I, 2]
9 « Je n’ai certainement suffi ni à les réunir tous ni à tous les éclaircir ; et déjà des
trouvailles que je rencontre ou qu’on me signale m’apprennent que des choses
d’un véritable intérêt m’ont échappé. Aussi, dans un si grand ensemble et dans
l’immensité de ces recherches, je n’ai besoin d’aucune modestie pour demander
l’indulgence à l’égard des omissions et des erreurs » (Littré 1873 : XXXVIII).

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64  Danguolė Melnikienė

5. En guise de conclusion

D’après Alain Rey, en parlant de l’originalité du dictionnaire, «  on


pourrait évaluer, par rapport à l’ensemble des dictionnaires antérieurs
produits par la culture concernée, un certain «  taux d’originalité  »,
allant du zéro (plagiat intégral) à un maximum théorique, limité par les
formes propres au genre » (Rey 2011 : 11). Cela veut dire que tout dic-
tionnaire, même le plus original, est tissé du matériel, directement ou
indirectement hérité de ses homologues antérieurs. Et pourtant, quand
on parle du recensement et de la description des onomatopées authen-
tiques dans le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré, on
peut dire sans exagérer que cet ouvrage est exceptionnel par son origi-
nalité qui est proche de 100 %. C’est à ce titre que le Dictionnaire de
Littré est resté pendant longtemps une référence incontestable dans ce
domaine, donnant un exemple à suivre aux dictionnaires monolingues
des générations suivantes.

Bibliographie

Bally, Charles 1965. Linguistique générale et linguistique française,


4e éd., Berne : Francke.
Beauzée, Nicolas 1765. «  Onomatopée  », in Encyclopédie ou Dic-
tionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par
une Société de Gens de lettres, sous la direction de Diderot et
d’Alembert, t. 11, Paris, 484–486. http://artflsrv02.uchicago.edu/
cgi-bin/extras/encpageturn.pl?V11/ENC_11-486.jpeg.
Collinot, André / Mazière, Francine 1997. Un prêt à parler : le diction-
naire, Paris : PUF.
Damourette, Jacques / Pichon, Édouard 1983. Des mots à la pensée.
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Genève-Paris : Slatkine reprints.

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Dotoli, Giovanni 2016, « De l’onomatopée entre science du langage et


poétique du monde », in Melnikienė, Danguolė 2016, p. 5.
Dubois, Claude 1990. « Considérations générales sur l’organisation du
travail lexicographique  », in Wörterbücher Dictionnaries Dic-
tionnaires. Ein internationales Handbuch zur Lexicographie.
An International Encyclopaedia of Lexicography. Encyclopédie
internationale de lexicographie, von/by/par Franz Josef Hauss-
mann, Oscar Reichmann, Herbert Ernst Wiegand, Ladislav
Wgusta, t. 2, New York : Walter de Gruyter, 1574–1579.
Enckell, Pierre / Rezeau, Pierre 2005. « Introduction », in Dictionnaire
des onomatopées, Paris : PUF, 11–24.
Lépinette, Brigitte 1990. «  Trois dictionnaires du XVIIe siècle, trois
traitements différents de l’étymologie : Richelet (1680), Furetière
(1690), Académie (1694) ». Les marques d’usage dans les dic-
tionnaires (XVII–XVIIIe siècles), M. Glatigny (ed.), Lexique 9,
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Littré, Émile 1873–1874. « Introduction », Dictionnaire de la langue
française, Paris : L. Hachette, I–XXXIX.
Melnikienė, Danguolė. 2016. L’onomatopée, ou le monstre hybride,
Paris : Hermann.
Picoche, Jacqueline / Rolland, Jean-Claude 2002. Le Dictionnaire du
français usuel (DFU), Bruxelles : De Boeck.
Pruvost, Jean 2006. Les dictionnaires français outils d’une langue et
d’une culture, Paris : Ophrys.
Resweber, Jean-Paul 2003. «  Préface  », in Dictionnaire des onoma-
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Rey, Alain 1984. « Préface à la deuxième édition du Grand Robert de
la langue française», Le Grand Robert de la langue française.
Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française
de Paul Robert, 2e éd. Paris : Le Robert.
Rey, Alain 2006. Dictionnaire historique de la langue française en trois
volumes, Paris : Le Robert.
Rey, Alain 2008. De l’artisanat des dictionnaires à une science du mot,
Paris : Armand Colin.
Rey, Alain 2011. « La conservation et la transmission des données »,
Cahiers du dictionnaire, n° 3, 11–17.

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66  Danguolė Melnikienė

Rey-Debove, Josette 1971. Étude linguistique et sémiotique des dic-


tionnaires français contemporains, Paris : Mouton.
Rey-Debove, Josette. 1998. La linguistique du signe. Une approche
sémiotique du langage, Paris : Armand Colin.
Rey-Debove, Josette 2005. «  Typologie des dictionnaires généraux
monolingues de la langue actuelle  », Quaderni del CIRSIL 4,
www.lingue.unibo.it/cirsil, 1–6.
Saussure, Ferdinand de 1995. Cours de linguistique générale, publié par
Charles Bailly et Albert Séchehaye avec la collaboration d’Albert
Riedlinger. Édition critique préparée par Tullio de Mauro, post-
face de Louis-Jean Calvet, Paris : Editions Payot & Rivages, 102.

Sources

Émile, Littré 1873–1874. Dictionnaire de la langue française, Paris :


L. Hachette, Electronic version created by François Gannaz.
http://www.littre.org.

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Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Quelques moyens d’intensification


« non-standard » et leurs usages en français
contemporain : une recherche sur corpus

Introduction

« Les dictionnaires, même les plus vastes, enregistrent un


lexique tourné vers le passé, filtré par des présupposés
lexicographiques et déséquilibré par le primat donné à un
certain type de sources. Un hapax forgé par un écrivain du
19e siècle y figurera, mais la plus grande part de la
production actuelle en est absente. » [Roché, 2009 : 77]

La description de la langue passe toujours par l’observation des actes


de parole, qui précède nécessairement la formulation d’une règle
grammaticale ou l’élaboration d’une définition lexicographique. Celles-ci
sont d’ailleurs souvent accompagnées, à titre d’illustration, d’exemples
d’usage, provenant de sources diverses. Ainsi les grands dictionnaires
(ex. TLFi, GRLF, Larousse, etc.) et les grammaires traditionnelles (ex.
Wagner et Pinchon, 1962, Arrivé et al., 1964, Grevisse, 1980) font
majoritairement appel à des extraits d’ouvrages littéraires. Les
linguistes d’obédience générativiste, à leur tour, forgent généralement
eux-mêmes leurs exemples, partant du principe que leur compétence
de locuteur natif les y autorise. En cas de doute, l’acceptabilité de tel
syntagme ou énoncé peut également être soumise au jugement d’un
groupe de locuteurs natifs. Toutes ces démarches ont cependant leurs
défauts, à savoir : (a) l’étude limitée aux exemples littéraires laisse de
côté des pans entiers de la langue, en privilégiant le registre standard/
soigné de l’écrit ; (b) l’introspection privilégie l’idiolecte de l’individu
qui la pratique ; (c) le jugement d’acceptabilité venant d’un groupe de

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68  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

locuteurs natifs n’a qu’une valeur d’approximation, d’autant plus fiable


que le groupe est numériquement important, mais toujours tributaire
des caractéristiques du groupe, d’une part, et du contexte dans lequel
le linguiste fait figurer les exemples soumis à l’évaluation, de l’autre1.
Il n’est plus nécessaire, à l’heure actuelle, d’argumenter en
faveur de la linguistique de corpus, qui a, depuis au moins une ving-
taine d’années, acquis ses lettres de noblesse. Avec l’apparition de très
grands corpus textuels facilement accessibles et interrogeables grâce
aux moyens techniques tout aussi nouveaux (moteurs de recherche,
parseurs, concordanciers…) la recherche sur (grand) corpus tend à
occuper une place de plus en plus importante dans les travaux des lin-
guistes, en particulier ceux consacrés à la combinatoire lexicale dans
son usage réel. Il est intéressant de constater dans quelle mesure les
données recueillies grâce à la recherche sur corpus diffèrent de ce que
l’on trouve dans les dictionnaires traditionnels, aussi bien du point de
vue quantitatif que qualitatif.
Dans ce qui suit, nous nous proposons de démontrer l’adéqua-
tion de cette approche pour l’étude de quelques intensifieurs et quanti-
fieurs « non-standard », jusque-là peu ou insuffisamment décrits dans
les dictionnaires et grammaires du français contemporain. Précisons à
cette occasion que nous qualifions de « standard » les moyens de quan-
tification ou d’intensification de divers type – lexicaux, syntaxiques
ou morphologiques – qui ont un spectre combinatoire large2, et qui de
ce fait s’apprennent et s’enseignent en premier lieu. Les quantifieurs /
intensifieurs « non-standard » à leur tour se caractérisent par un degré
d’expressivité plus grand, dû à leur caractère néologique, et pré-
sentent davantage de restrictions combinatoires. Notons que certains
d’entre eux ont tendance à se grammaticaliser – ce qui va de pair avec

1 À ce sujet, cf. p.ex. la remarque de Leeman (1988 : 125) à propos des diver-
gences dans les jugements de la part d’un groupe de locuteurs natifs (compre-
nant entre autres un linguiste, un lexicographe et un littéraire…) portant sur
l’acceptabilité des expressions de type en tout Naffect.
2 Ainsi par exemple la structure (être) si Adj que… intensifie tout adjectif qui y
figure. De même, grand se combine avec à peu près tous les noms de qualité,
très avec n’importe quel adjectif graduable, beaucoup – avec n’importe quel
verbe désignant un processus quantifiable ou intensifiable, etc., ce qui confère à
ces associations le statut de collocations régulières, voire de syntagmes libres.

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Quelques moyens d’intensification 69

l’élargissement de leurs possibilités combinatoires – et, à ce titre, leur


valeur quantifiante ou intensifiante est mentionnée dans les diction-
naires  ; cependant, comme nous avons pu montrer ailleurs (Pilecka
2009, Izert 2014, Pilecka 2015, Izert 2015), aussi bien leur accessibilité
que leurs définitions laissent à désirer.
Nous allons étudier ici quatre moyens d’intensification : les
préfixes méga-, giga- et hypra- (méga-efficace, giga-menteur, hypra-
sympas), les quantifieurs nominaux une forêt de/une marée de N (une
marée de fleurs, une forêt de signes), les verbes intensifieurs V int de Naffect
(crier/hurler/… de colère/douleur...) et les collocations du type Adj/N à
faire V de Naffect SNparangon, (un amour à faire pâlir de jalousie Roméo et
Juliette).
Notre corpus de référence ainsi que les exemples donnés dans
cet article proviennent des textes du Web français dépouillés grâce au
moteur de recherche d’accès public google.fr. L’essentiel de la recherche
a été effectué à des périodes diverses, entre 2008 et 2017.

1. Les nouveaux préfixes : méga-, giga- et hypra-

1.1. Les données dictionnairiques

Grâce au développement de l’informatique dans les années 1990 et de


sa pénétration dans la vie quotidienne où beaucoup d’entre nous sont
usagers d’ordinateurs et familiers de termes comme mégabit, gigabit ou
méga-octet, giga-octet, giga mémoire, les préfixes méga- et giga- ont
acquis une forte présence dans la langue familière en tant que simples
intensifieurs. Ils ont une fréquence qu’ils n’avaient jamais eue aupa-
ravant. Pourtant, leur emploi familier est rarement mentionné par les
dictionnaires.
Méga- en tant que simple intensifieur « reprend une méga-
valeur vers 1990  » (Merle, 1996  : 245), mais il n’y a que quelques
dictionnaires qui notent l’emploi familier de ce préfixe (GRLF, Nou-
veau Littré, NPR, TLFi) et l’illustrent par un ou deux exemples, d’ail-
leurs toujours les mêmes, provenant de l’argot scolaire (cf. méga

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70  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

fête, méga note, mégachiée). Seul le DMC (1991) de P. Gilbert donne


quelques exemples de son emploi dans les domaines de l’économie et
de l’administration : les méga-entreprises, des méga-outils, des méga-
institutions, les méga-centrales.
L’emploi familier du préfixe giga- en tant qu’intensifieur n’est
mentionné par aucun dictionnaire.
Hypra- est le plus récent de ces trois préfixes. Il ne figure que
dans quelques dictionnaires d’argot, par exemple celui de J.-P. Colin
et al. (1990) ou celui de P. Merle (1996). D’après J.-P. Colin ce pré-
fixe nouveau est « un néologisme combinant hyper et supra  ». Selon
P. Merle (1996 : 195) il signifie « plus que super [et il est] à ranger aux
côtés des supra, méga, giga et autres superlatifs […] Ainsi, un hypra-
gol est un mec très, très con ».
En raison du manque de données dictionnairiques, ce ne sont que
les relevés des pages Web qui permettent de confirmer l’usage de ces
préfixes dans la langue française contemporaine, de déterminer leur dis-
ponibilité à former de nouveaux lexèmes et leurs préférences construc-
tionnelles ainsi que de voir leur productivité quantitative approximative.3

1.2. L’analyse des données provenant du Web français

1.2.1. Méga- et giga-


La disponibilité constructionnelle de méga- et de giga- ressemble
approximativement à la disponibilité des préfixes « du vieux fond pré-
fixal  », surtout super- et puis hyper-. En général, la construction des
adjectifs préfixés en méga- et giga- paraît moins fréquente que la for-
mation des noms. Mais on observe des différences selon le milieu qui a
recours à ces préfixes. D’après les données recueillies de blog.lemonde.fr,
nouvelobs.com et lefigaro.fr., la presse et les médias se servent de
méga- et de giga- pour former plutôt des noms, surtout [+abstrait], mais
aussi [+concret] et occasionnellement des noms propres [+humain], par
exemple :

3 570 unités distinctes construites en méga-, 313 en giga- et 239 en hypra- dans
le corpus d’Izert 2015.

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Quelques moyens d’intensification 71

Noms [+ abstrait] :

[…] Cette méga-corporation française est le leader mondial en matière […].


(économie)
[…] Le Real Madrid prépare pour janvier une méga-offre pour Luis Suarez
[…]. (sport)
Le Palace’s Colosseum […] a notamment accueilli le dernier giga-spectacle de
Céline Dion […]. (culture)
[…] La chaîne a mis les moyens pour cette giga-production de deux fois deux
heures : des têtes d’affiche, Gérard Depardieu (Balzac) et Jeanne Moreau (sa
mère) […]. (télévision)

Noms [+ concret] :

[…] Méga-construction : Le méga-pont suspendu du Colorado […]. (événe-


ments)
[…] RDC : Inga, le projet de méga-centrale hydroélectrique avance à grand
pas […]. (technologie)
[…] Un giga-stade super-beau de Santiago Bernabeu […]. (sport)

Noms propres [+ humain] :

[…] dans le cas du GSk, comme vous savez le Giga-Sarko, on peut tomber
dans un oxymoron dû à la contradiction entre giga, tiré du latin « gigas –antis »
(géant), et sa taille […]. (politique)
[…] 007: Méga-Bond ! […] Le célèbre agent 007 revient pour une vingtième
fois […]. (cinéma)

En français familier employé, par exemple, sur les blogs, la formation


des adjectifs axiologico-affectifs, surtout désignant les sentiments,
les opinions, les jugements, etc. des locuteurs est très fréquente, par
exemple :

Je vous souhaite une méga-magnifique année […].


Préparation méga-facile et rapide, 15 minutes seulement […].
[…] bravo, giga-belle émission et comme on l’a déjà dit […].

ainsi que la formation de noms [+ humain] :

[…] autre enfant de sportif, Sam Alexis Woods, la fille du giga-champion Tiger
Woods […].

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72  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

[…] Nous pensons que notre Président actuel est un giga-menteur […].
[…] moi, j’ai trouvé le job de rêve, avec une méga- chef […].

Les préfixes méga- et giga- sont aussi aptes à intensifier quelques


adverbes de temps et de manière, par exemple :

Ça serait giga-bien de pouvoir laisser mes enfants youtouber […].


[…] surtout quand vous avez une voisine qui chante giga- fort !
Comment faire pour ne pas payer méga-cher ?

Méga- forme incidemment des verbes :

[…] un truc qui me méga-dépasse […].


[…] Pour méga-fêter ça, Capcom nous offre une méga-galerie de screens […].

La disponibilité constructionnelle d’hypra- qui s’adjoint de préférence


aux adjectifs est la plus proche de celle des préfixes « anciens » archi- et
extra-. Les internautes s’en servent surtout pour intensifier les adjectifs
axiologico-affectifs d’opinion, de jugement, de sentiments, etc. mais
aussi les adjectifs dénotant les propriétés physiques, par exemple :

Je vous mets toutefois sur la voie : dinde aux marrons et bûche au beurre
hypra-calorique (cuisine)
[…] à l’âge de 64 ans, a publié son désormais hypra-célèbre Dracula […]
(culture)
[…] le fond de ciel hypra-noir et hypra-bas […] (météo)
chez «  Comme des Garçons  » avec des vestes courtes hypra-cintrées [… ]
(mode)
En 2000 les DVD était hypra-coûteux (technologie)
Avec sa nouvelle formule hypra-hydratante, cette coloration […] (produits
de beauté)

Par rapport à la création des adjectifs, la formation récente des subs-


tantifs préfixés en hypra-, dans la langue familière est plutôt rare. Nous
n’en avons trouvé que quelques-uns appartenant à la langue commune
et dotés le plus souvent du trait [+ abstrait], par exemple :

L’hypra-libéralisme, c’est donner le pouvoir à ceux qui l’ont déjà. (politique)


Il n’est presque plus question de luxe, mais bien d’hyper ou d’hypra-luxe. (éco-
nomie)

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Quelques moyens d’intensification 73

Je pressens un marché de l’hypra-qualité, des produits ménagers garantis cent


ans […] (économie)

ou [+ humain], par exemple :

Abdou Diouf vole au secours de l’hypra-ministre, fils de […] (politique)


[…] Jacques, l’un des conseillers de l’hypra-président, en 1992 […] (politique)
Il y avait bien sûr quelques fascistes ou les hypra-conservateurs (politique)

Pareillement aux préfixes méga- et giga-, hypra- peut se joindre aux


adverbes de temps et de manière, par exemple :

[…] la musique colle hypra-bien […].


[…] Merci de m’avoir répondu hypra-vite […]

1.2.2. Les séries des préfixes


Pour rendre leur message encore plus important, plus expressif, plus
intéressant, plus marqué, plus persuasif, etc. les locuteurs recourent à
des séries de préfixes – de deux à plusieurs. La longueur d’une série
ainsi que les préfixes choisis semblent n’avoir aucune importance. Á
vrai dire il s’agit d’augmenter l’intensité par la réduplication, la répé-
tition du préfixe ou par l’accumulation de plusieurs préfixes différents,
par exemple :

Supra-supra-supra-supra et encore hypra-hypra-magnifique !


Personnellement, je trouve que ses modèles MMD sont ultra-supra-extra-
hyper-super-méga-beaux.

L’analyse de ces séries permet d’observer qu’il n’y a aucune règle fixe
pour l’ordre de ces préfixes. Il n’existe pas de relations hiérarchiques
établies à priori entre les préfixes intensifieurs. Leur place dépend du
choix libre de celui qui se prononce, aucun préfixe n’est plus fort que
les autres. Le même préfixe peut apparaître aussi bien au début d’une
série qu’à la fin d’une autre série. En même temps, ce manque de règle
rend possible de placer les préfixes les plus récents, hypra-, méga- ou
giga-, à la fin d’une série de préfixes, par exemple :

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74  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Pêche à pieds sur la plage de Port-mer à marée « super-méga-giga-basse » […]


Ta question ultra-supra-méga-hypra-stupide appelait une réponse du même
niveau intellectuel.

ou n’employer que les nouveaux préfixes :

[…] car il a eu des parents supra-hypra-giga-protecteurs […].


Du coup, moi je te souhaite un hypra-giga-méga-supra-anniversaire.
C’est hypra-supra-méga-giga-vexant.

En effet, les nouveaux préfixes intensifieurs sont ressentis comme plus


expressifs et, par-là, plus forts parce qu’ils sont plus récents et « moins
usés » que d’autres préfixes comme hyper-, super-, extra- fonctionnant
depuis longtemps dans la langue, mais leur force intensificatrice paraît
identique à celle des anciens préfixes intensifieurs.

2. Les collocations avec une forêt de et une marée de

Les collocations, formées avec deux noms quantifieurs (une forêt de,
une marée de) choisis pour le besoin de notre analyse, enregistrées par
les dictionnaires de la langue française ne sont pas nombreuses. Le
corpus dictionnairique (provenant de deux dictionnaires d’une grande
extension quantitative et qualitative  : Larousse et TLFi) ne comporte
que 17 collocations avec des bases distinctes pour une marée de et
11 collocations pour une forêt de. Les données provenant du Web
français enrichissent considérablement la liste des types de bases qui
acceptent ces deux noms quantifieurs.

2.1. Les données dictionnairiques

D’après les données dictionnairiques, le collocatif une forêt de signi-


fie ‘vaste étendue de terrain couverte d’arbres ; ensemble des arbres
qui couvrent cette étendue’ (TLFi) ou par extension : ‘grande quantité
de choses qui s’élèvent en hauteur’ (Larousse) ou encore au figuré  :

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Quelques moyens d’intensification 75

‘grande quantité de choses abstraites formant un ensemble complexe


ou confus, inextricable’ (TLFi). L’analyse des exemples et des citations
trouvés dans ces deux dictionnaires fait apparaître que ce collocatif
est sélectionné par les noms-bases de collocation ayant :

– des traits inhérents [+concret] [-animé] [+comptable] et un trait


spécifique [+arbre], par ex. : cèdres, bouleaux ;
– des traits [+concret] [-animé] [+comptable] et des traits spéci-
fiques [+artefact] [+forme longue], par ex. : colonnes, chemi­
nées, carabines ;
– un trait inhérent [+humain] et des traits spécifiques [+partie du
corps] [+forme longue], par ex. : bras levés ;
– des traits inhérents [+abstrait] [+comptable], par ex. : sensations,
chiffres.

2.2. L’analyse des données provenant du Web français

Le recours à des ressources numérisées permet de constater que la pro-


ductivité qualitative, comprise comme la disponibilité construction-
nelle de ce collocatif à former des collocations nouvelles selon le même
schéma syntaxique, est beaucoup plus grande que ne le montrent les
dictionnaires de langue. Ainsi, une forêt de peut donner non seulement
des collocations avec les noms d’arbres, mais il peut aussi être joint au
nom d’une partie d’arbre ou aux noms d’autres plantes, par exemple :

[…] une forêt de branches enracinées dans le ciel […]


[…] le prince doit traverser une forêt de roses sauvages […]
Un hameau sous une forêt de lilas au-dessus d’une vallée sauvage.

Il sert à quantifier ou amplifier non seulement les parties du corps


humain longues et menues comme bras tendus, mains levées, poings
dressés, jambes, cheveux, mais aussi les parties du corps qui n’ont pas
forcément une forme longue ou beaucoup de volume :

Une forêt de têtes qui occultent une partie des acteurs […]
[…] ils sont noyés dans une forêt de bras et de visages enthousiastes.

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76  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Un peu de fraîcheur dans une forêt de bras musclés et de moustaches trem-


pées de houblons.

Il peut également être approprié aux bases nominales ayant un trait


[+humain]  : gens, hommes, femmes, enfants, jeunes filles, etc., par
exemple :

[…]une forêt de gens remarquables qui s’avancent sur la terre […]


Ségolène Royal est une femme qui cache une forêt d’hommes, Nicolas
Sarkozy, un homme qui cache une forêt de femmes.
[…] une forêt d’enfants se met en marche au Havre […]

ou aux bases [+concret] [-animé] désignant des objets quelconques  :


pierres, livres, chaises, toits, projecteurs, bateaux, usines, etc., par
exemple :

[…] le plateau se transforme en une forêt de chaises, amenées une à une par
la vieille.
En plein saison, on peut se retrouver à nager entre une forêt de bateaux.
Au loin une forêt de projecteurs forme un bouquet d’ombres et de lumières
[…].

Les noms bases acceptent différentes extensions : des participes passés/


présents, toute sorte d’adjectifs qualificatifs ou des phrases relatives, par
exemple : une forêt de bras levés / tendus / dressés / brandissant / nus /
musclés / décharnés / noirs / bisontins /qui se lèvent /qui se dressent…
Quant au nom quantifieur une marée de, d’après les définitions
dans les dictionnaires de langue, il prend, par analogie à un flot de la
marée, la signification : ‘grand nombre de gens, de choses qui déferlent
en un lieu’ (Larousse) ou par métonymie : ‘grand nombre de choses, de
faits difficiles à distinguer [désignés par les noms abstraits]’ (TLFi). Les
exemples et les citations provenant de ces dictionnaires permettent de
dresser une liste des bases qui imposent au collocatif les restrictions de
sélection suivantes :

– un trait inhérent [+humain], par ex. : hommes, soldats ;


– des traits [-animé] [+concret] [+comptable], par ex. : drapeaux,
camions, feuilles ;

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Quelques moyens d’intensification 77

– des traits [+abstrait] [-comptable], par ex. : adoration, désir,


enthousiasme ;
– des traits [+abstrait] [+comptable] (noms interprétés en acte), par
ex. : insultes, prières, revendications.

Les données provenant des ressources numérisées confirment la dispo-


nibilité constructionnelle de ce nom quantifieur que donnent les dic-
tionnaires de langue et ajoutent à l’inventaire des bases sélectionnant
ce collocatif les noms ayant des traits inhérents [-animé] [+concret]
[-comptable], par exemple :

Une marée de sang a remplacé les champs de coquelicots rouges […]


[…] elle resta immobile quelque seconde, une marée de sueur coulait de son
visage…
Une marée de salive qui fouille et qui s’engouffre […]

ou des traits [+animé] [-humain], par exemple :

[…] on se retrouvait submergé par une marée de chiens qui réclamaient des
bisous.
[…] une marée de fourmis se hâtait de sortir […]
[…] ça me fait penser à une marée de rats qui fuient les souterrains […]

2.3. La valeur sémantique des collocatifs quantifieurs

Il est indéniable que les collocations figuratives4 construites avec une


forêt de et avec une marée de ont une valeur quantitative. «  […] la
relation entre les notions de collection, de quantification et de méta-
phore dans le domaine nominal est […], en règle générale, présentée,
sans aucune forme de commentaire, comme une donnée communé-
ment admise » (Benninger 2001 : 28). Néanmoins, on peut se poser la
question si les paraphrases ‘beaucoup de/ grand nombre de/multitude
de N’ qu’on trouve dans les dictionnaires de langue sont adéquates et
suffisantes pour ce type de noms quantifieurs.

4 Blanco (2002 : 69) appelle les collocatifs dans ce type de collocations « déter-
minants nominaux figuratifs  ». Les noms collocatifs ne fonctionnent jamais
« comme des déterminants nominaux en dehors de leur emploi figuré ».

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78  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Les substantifs forêt et marée sont à l’origine des substantifs caté-


gorématiques en ce sens qu’ils ont une autonomie référentielle, c’est-
à-dire qu’ils ont leur référent dans le monde réel, respectivement ‘un
ensemble d’arbres qui couvrent une grande étendue de terrain’ et ‘une
oscillation périodique et journalière de la mer dont le niveau monte et
descend alternativement’. En tant que noms quantifieurs, ils ne renvoient
pas exactement à leur référent d’origine, mais ils gardent certains de leurs
traits spécifiques, donc leur interprétation doit être soumise à un processus
métaphorique. Par exemple, une marée d’hommes c’est un grand nombre
d’hommes, mais ce sont aussi des hommes qui bougent, qui se répandent
avec impétuosité, qui ressemblent à un amalgame dont les bornes sont
indéterminées, etc. Les paraphrases ‘beaucoup d’hommes’ ou ‘une mul-
titude d’hommes’ pour une marée d’hommes ne sont que des synonymes
partiels. Elles perdent certaines informations sur une situation réelle. De
même, une forêt d’antennes ne signifie qu’approximativement ‘beaucoup
d’antennes’. Cette collocation renvoie à une image où les antennes instal-
lées les unes à côté des autres ne permettent pas de voir le ciel comme les
arbres dans une forêt. Une forêt de ou une marée de ne sont pas donc de
simples déterminants nominaux comme une multitude de ou une grande
quantité de. Le sens exact qu’ils apportent est beaucoup plus complexe et
nuancé. Ce sens n’équivaut pas à un simple ‘beaucoup de’ qui n’est qu’un
synonyme imparfait parce qu’il renvoie seulement ‘à une partie du sens
apporté par ce type de noms quantifieurs figuratifs. Les définitions qu’on
trouve dans les dictionnaires de langue ne permettent pas de se rendre
compte d’une telle valeur sémantique de ces noms quantifieurs. Ce ne sont
que leurs emplois en contexte (tirés des pages Web) qui la confirment.

3. V de Naffect : les verbes d’activité para-verbale comme


intensifieurs de noms d’affect

La fonction intensifiante du moule syntaxique V de Naffect est sous-tendue


par le raisonnement qui fait inférer l’intensité de la cause à partir du
caractère intense de sa manifestation observable (cf. Romero 2005).

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Quelques moyens d’intensification 79

Les verbes intensifieurs apparaissant dans le cadre syntaxique V  de 


Naffect forment une classe numériquement importante (237 unités dans le
corpus de Pilecka 2010) et, du point de vue sémantique, assez disparate,
désignant entre autres les mouvements (ou leur absence), le change-
ment de la couleur de la peau, les sécrétions physiologiques, les façons
de respirer, les états pathologiques et la mort, les bruits et les manifesta-
tions vocales diverses. Les exemples étudiés ici : crier / hurler / rugir /
gémir / bégayer de Naffect appartiennent à cette dernière catégorie.

3.1. Entre manifestation observable et intensification pure

Les comportements para-verbaux peuvent être une manifestation effec-


tivement observée accompagnant une émotion forte, comme dans :

Je me mis à crier de terreur. Je crus que je devenais fou moi-même, mais le son
aigu de ma voix me calma soudain […]
Il n’ouvrit point sa bouche que pour faire une seule chose : hurler de remords
et de pleurs.
Malgré les protestations du clerc, le barbier saisit alors une poignée de verges et
frappa le garçon, qui se tortilla et se mit à gémir de douleur.

ou n’être que hypothétiques, voire manifestement non-réalisés ou non-


réalisables ; plusieurs marqueurs syntaxiques ou lexicaux (ici, en gras)
peuvent mettre le locuteur sur la piste de l’interprétation non-littérale,
purement intensifiante :

Un espoir insensé monta en lui et il aurait voulu crier de soulagement (= ‘il a


éprouvé un grand soulagement’)
J’ai failli hurler d’excitation au décollage (= ‘j’étais très excité’)
Ce qui m’avait fait presque crier de surprise, ce n’était pas de trouver
une étrangère dans la chambre de mon fils, mais de voir ma fille […] si
magnifiquement étrange (= ’ce qui m’a énormément surpris’)
(…) Jorane se frottera à l’oeuvre de Riopelle avant de se joindre à l’Orchestre
symphonique de Québec pour une expérience qui la fait littéralement crier
d’excitation5 (= ‘une expérience très excitante’)

5 L’adverbe littéralement étant un marqueur épilinguistique d’hyperbole qui, par


définition, porte en elle une valeur de non-réalisation due au caractère exagéré
de la description (cf. Tamba 1981 et 1994, Pilecka à paraître).

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80  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Les deux interprétations sont parfois possibles, voir :

Tous les affiliés à l’extrémisme islamique vont hurler de joie en proclamant la


défaite de l’Amérique.
Le comportement de ses compatriotes qui nous tiraient dessus – et par la même
occasion sur lui –, malgré la croix rouge, le faisait bégayer d’indignation….
et de peur!

où les expressions hurler de joie, bégayer d’indignation et de peur


peuvent être interprétés soit comme une description du comportement
effectivement observé, soit comme une manière d’insister sur l’intensité
de l’émotion éprouvée (‘éprouver une très grande joie’, ‘être extrême-
ment indigné’, ‘avoir très peur’).

3.2. Définitions lexicographiques

Toutes les définitions ci-dessous proviennent de NPR ; les autres sources


lexicographiques consultées en proposent une description semblable.

3.2.1. Hurler
Le caractère intense de la manifestation vocale est explicite6  : hurler
c’est ‘parler, crier, chanter de toutes ses forces’ ainsi que ‘pousser des
cris prolongés et violents’ Le dictionnaire note également l’association
entre ce comportement et diverses émotions (hurler de rage, de terreur,
de douleur7) et donne un exemple qu’il désigné (presque) explicitement
comme intensifiant (« Par exagér. C’est d’une laideur à hurler ! »).

3.2.2. Crier
Crier c’est ‘parler fort, élever la voix’ ; un seul exemple d’association
V/Naffect est proposé (crier de douleur8), et le caractère symptomatique
de l’association n’est pas explicité.

6 Nous avons mis en gras les éléments l’indiquant.


7 Dans le TLFi on trouve : de douleur, d’angoisse, d’épouvante.
8 Dans TLFi : crier d’angoisse, de joie.

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Quelques moyens d’intensification 81

3.2.3. Rugir
Rugir c’est ‘pousser des rugissements, en parlant du lion, de cer-
tains grands fauves’ et, ‘par anal. pousser des cris terribles’ (syno-
nymes proposés: crier, hurler), l’exemple en est rugir de fureur9.

3.2.4. Bégayer
Bégayer c’est ‘souffrir de bégaiement’, l’association avec un affect est
présente dans l’exemple Il bégayait sous le coup de l’émotion10.

3.2.5. Gémir
La définition de gémir est la seule à évoquer explicitement aussi bien
le lien avec un affect que le caractère intense de celui-ci  : ‘exprimer
une sensation intense, souffrance, plaisir, d’une voix plaintive et par
des sons inarticulés’ (un des synonymes proposés : crier) ; les affects
mentionnés sont la douleur et le plaisir.
Ce bref survol des définitions lexicographiques permet de constater
le caractère restreint – si ce n’est pas le manque absolu – d’informations
sur la possibilité d’employer les verbes examinés comme intensifieurs des
noms d’affects ; les informations sur les associations préférentielles entre
tel verbe et tel nom d’affect sont également très sommaires.

3.3. « Intensification multiple »

Le moule syntaxique intensifiant Adj/N à SV11, où l’intensification de


la propriété ou du processus est exprimée à travers une conséquence
intense (et expressive), accueille souvent comme réalisation du para-
digme verbal à caractère consécutif (à SV) la collocation V de Naffect. On
observe donc une superposition des moyens d’intensification, qui s’ex-
plique sans doute par la recherche de l’expressivité encore plus grande.

9 Dans TLFi : de colère, de fureur, de rage.


10 Dans TLFi la description est plus ample, on peut bégayer « sous le coup d’une
émotion soudaine et brutale (surprise, colère, chagrin, peur), de l’ivresse ou par
timidité ».
11 Comme p.ex. bête à manger du foin, jolie à croquer, etc., cf. Izert 2006.

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82  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Le recours à la construction V de Naff permet également de sup-


pléer au manque de verbe exprimant l’émotion (les substantifs tels que
dépit, douleur, honte ou malaise devant être actualisés par un verbe sup-
port) :

Il y a aussi eu, à l’époque, des imbécil[l]ités militaires et politiques qui sont à


crier de honte.
Le brouillard ce matin. À couper au couteau, à ratisser des ongles, à crier de
dépit en tapant sur le volant […]
La scène du baiser des héroïnes est à hurler de malaise, tant elle est loin de
cette image éthérée qu’on colle aux premières amours […]

– en l’occurrence, on a affaire à un verbe support sémantiquement


enrichi qui permet l’intensification de la propriété12.

3.4. Richesse des paradigmes et règles de sélection catégorématique

Le même affect peut être intensifié par plus d’un verbe, ainsi p.ex. Naffect
extase s’accompagne du verbe crier :

1 CD Rom […] PC et MAC. Pas à crier d’extase mais pas mal.

Mais d’autres verbes d’activité para-verbale sont également possibles


(parmi ses 37 verbes intensifieurs relevés dans le corpus Web, figurent :
hurler, gueuler, râler, chialer, glousser, couiner, ronronner, roucouler,
bêler).
Le même verbe peut à son tour intensifier un grand nombre d’af-
fects ; ainsi hurler s’associe dans notre corpus à 53 affects (dont les plus
représentés – plus de 100 occurrences – sont joie, peur, rage, terreur,
horreur, désespoir), crier – à 41 affects, gémir et bégayer chacun à
10 affects.
L’attraction mutuelle entre tel verbe et tel substantif s’explique
aussi bien par leurs caractéristiques sémantiques (dont valorisation
affectivo-axiologique, degré d’intensité à exprimer, caractère plus ou

12 Celle-ci peut être explicite ou à inférer (cf. aussi 4.2) ; dans nos exemples, ce
serait [+imbécile], [+épais] et [+vulgaire].

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Quelques moyens d’intensification 83

moins symptomatique…) que par l’influence du contexte, où le même


sème est récurrent, ex. :

Tandem Twin – Leopard Gals […]: Pour rugir de dégoût!


One woman show, à rugir de rire!!! […] Nathalie Boileau, la «Lionne» est de
retour.13

parfois à caractère ludique, comme dans :

Le mari d’une femme qui venait d’accoucher de jumeaux, s’est mis à bégayer
d’émotion14.

4. Adj/N à faire Vinf de Naffect SNparangon, ou une


intensification à strates

Nous avons présenté ailleurs (Pilecka 2011) une analyse détaillée


des mécanismes mis en jeu dans ce type d’énoncés  ; rappelons-en
brièvement les caractéristiques de base.

4.1. (Absence de) données dictionnairiques

Vu la complexité de la construction et le caractère peu contraint de


ses éléments constitutifs, son absence dans les dictionnaires n’est pas
étonnante. Notons toutefois qu’à l’entrée pâlir le TLFi propose un
exemple d’emploi (non commenté ni paraphrasé) :

Et nous sommes sans doute plusieurs […] qui aurons le courage de mainte-
nir, même dans le fracas de l’indignité, la véritable parole humaine, et son
orchestre à faire pâlir les rossignols15 (ARAGON, Crève-coeur, 1941, p.76)

13 Nous avons mis en gras les éléments présentant les sèmes récurrents (rugir
étant la voix des fauves).
14 Sème [+répétition].
15 Nous avons mis en gras l’expression en question.

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84  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Les dictionnaires (TLFi, Larousse, NPR) indiquent que faire pâlir peut
signifier ‘rendre jaloux’, mais ne donnent aucune information à propos
de la signification équivalente de blêmir et verdir (si ce n’est de manière
indirecte à travers leur synonymie possible avec pâlir). La jalousie n’est
pas le seul affect dont la pâleur serait le symptôme – cf. NPR : « Faire
pâlir qqn, lui inspirer de la jalousie, du dépit » ; « P. méton. [Sans compl.
prép.] Faire pâlir. Inspirer de la crainte, de l’envie, du dépit, etc. ».
Ces informations bien sommaires concernant ses éléments
constitutifs ne permettent cependant pas à eux seuls d’expliciter le
fonctionnement de la construction examinée.

4.2. Accumulation des moyens d’intensification

La construction associe l’intensification sous-jacente au cadre syn-


taxique consécutif Adj/N à Vinf à celle exprimée par le cadre syntaxique
V de Naffect (cf. 3, 3.1 et 3.3) et à celle due à la présence d’un parangon
de la qualité intensifiée, comme dans :

Jonathan Lajoie a une gueule à faire saliver de jalousie Tom Cruise, Brad
Pitt et tous les anges du paradis (= ‘une gueule extrêmement belle’)

que l’on pourrait paraphraser, en distinguant ces trois strates, comme :

1) une gueule [belle] à (SV = rendre jaloux, intensification de belle),


2) une gueule [belle] à faire (V de N = saliver de jalousie, intensification de
rendre jaloux),
3) une gueule [belle] à faire saliver de jalousie (SN = Tom Cruise, Brad Pitt
et tous les anges du paradis – parangon de beauté, à valeur intensifiante et
expressive).

4.3. Propriété intensifiée

L’adjectif exprime explicitement la propriété intensifiée :

Cette femme était certainement une diva noire […] belle à faire pâlir le soleil
tropical.

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Quelques moyens d’intensification 85

tandis que le substantif peut soit l’évoquer de manière explicite


(lorsqu’il est la nominalisation d’un adjectif), soit – ce qui est souvent
le cas – la suggérer voire la faire deviner :

Halloween 2011 : Heidi Klum la reine du déguisement […] à faire pâlir de


peur toutes les sorcières, vampires, squelettes et revenants de tous horizons
réunis !

(trait intensifié implicite : [+effrayant], suggéré par la présence du Naffect


peur et du parangon sorcières, vampires, squelettes et revenants) ;

C’est un pré-ampli JEFF-ROWLAND, cela vaux [sic !] un prix à faire pâlir de


honte un milliardaire.

(trait intensifié implicite : [+cher], suggéré par la présence du parangon


milliardaire) ;

[…] un scénario digne des meilleurs films d’aventure hollywoodiens à faire


pâlir de rage le vieillissant Indiana Jones […]

(on peut hésiter entre [+excitant], [+exotique], [+remarquable]16 ou


bien d’autres encore).

4.4. Paradigmes semi-ouverts et parangons non contraints

L’association particulièrement fréquente unit le verbe pâlir (ou ses


quasi-synonymes : blêmir, verdir, jaunir) au substantif jalousie (ou ses
quasi-synonymes envie et convoitise). L’étude du corpus permet cependant
de constater que les éléments du moule collocationnel donnent lieu à
une substitution paradigmatique large, tant pour le verbe que pour le
nom d’affect. Ainsi, divers verbes intensifieurs accompagnent le même
substantif (pour jalousie ce seront, dans notre corpus, exploser, glapir,
rugir, saliver, sangloter), tandis que le même verbe s’accompagne de
divers noms d’affect (p.ex. pâlir sélectionne frustration, honte, peur,
rage, remords – cf. les exemples en 4.2).

16 P. ex. en matière d’effets spéciaux.

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86  Małgorzata Izert & Ewa Pilecka

Les parangons, dont la présence permet de renforcer davantage


l’expressivité de la formulation intensive, diffèrent de ceux que l’on ren-
contre dans les collocations Adj/V comme SN17. Ces derniers sont des
syntagmes à la limite du figement, qui font appel à des images fortement
stéréotypées ; ce n’est d’ailleurs pas sans raison que les collocations de
ce type sont assez bien représentées dans les dictionnaires. En revanche,
les parangons qui apparaissent comme compléments des verbes pâlir,
blêmir, verdir, etc. semblent relever avant tout de l’imaginaire de la
culture contemporaine, et exigent une connaissance des idoles, modes et
symboles culturels souvent éphémères, familiers parfois seulement à un
groupe de locuteurs spécifique et limité, comme dans :

Il faut tout de même reconnaître que la dame a une carrière hallucinante à


faire rugir de jalousie Douchka ou même Dorothée.18

De ce fait, ils sont non seulement moins prévisibles, mais aussi


moins transparents. Dans plus d’un cas, c’est le fait de figurer à la
place prévue pour le nom-parangon qui fait deviner au locuteur non
compétent en la matière qu’il s’agit d’un personnage exemplaire
connu pour telle qualité.

4.5. Choix des cooccurrents influencé par le contexte

Là encore – comme c’était aussi le cas pour les verbes intensifieurs


(cf. 3.4) – le choix du collocatif (et en particulier du parangon) est peu
restreint. Il peut notamment être conditionné par le contexte ; nous nous
bornons à en donner un exemple bien expressif :

Le radicchio trevigiano, c’est donc cette salade italienne croquante et cra-


quante, dotée par la Nature d’une amertume spirituelle, dont la sublime robe
pourpre et blanche aurait probablement fait glapir de jalousie feu le Cardinal
Mazarin qui, en matière de salade italienne en connaissait un sacré rayon.19

17 Du type beau comme un dieu, courir comme un lapin, cf. Izert 2002.
18 Les parangons évoqués sont deux stars françaises de la chanson pour enfants.
19 Dans l’exemple en question, l’isotopie sémantique de l’énoncé est assurée
grâce à la présence de plusieurs éléments (mis ici en gras) relevant des isotopies
parallèles basées sur les sèmes [+italien], [+rouge] et [+spirituel], tous associés
– comme inhérents ou afférents – au parangon Cardinal Mazarin.

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Quelques moyens d’intensification 87

5. Conclusions

La recherche menée à partir du corpus des textes du Web français a


montré que les moyens d’intensification analysés dans cet article sont
loin d’être marginaux ou réservés à un genre de textes spécifiques. Elle
nous a permis de constater que :

– ces moyens « non standard » élargissent le choix des marqueurs


d’intensité et semblent intensifier d’une manière plus efficace
que les moyens appartenant au « vieux fond lexical » ;
– ils sont utilisés par les usagers de la langue française pour ren-
forcer et mieux “accentuer” leurs paroles ;
– ils appartiennent au vocabulaire courant du français actuel, sur-
tout familier, mais aussi au vocabulaire de la publicité et de la
presse ;
– ils connaissent une forte extension dans différents domaines de
la vie quotidienne, économique, sociale, politique, culturelle,
etc.

On peut conclure à la nécessité d’élaborer un ouvrage (ou base de


données) permettant de répertorier de manière systématique les prin-
cipaux types de moyens d’intensification (en particulier ceux non-stan-
dard, absents des dictionnaires «  classiques  » mais abondamment
représentés dans les corpus) et d’y proposer une description prenant en
considération leurs propriétés combinatoires, les restrictions paradig-
matiques, le registre, le domaine d’utilisation, etc.

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Peytard, Jean 1964. Grammaire Larousse du français contempo-
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Inès Sfar

Le proverbe : dénomination d’un concept


préconstruit ou vérité générale ?

1. Introduction

La littérature consacrée aux parémies d’une manière générale et aux


différentes séquences à valeur proverbiale est très abondante. Plusieurs
notions sont associées au concept de « proverbe » et établissent avec
lui des liens plus ou moins précis. L’intérêt porté à ce genre d’unités
pourrait s’expliquer par la nature problématique du proverbe, en ce sens
que cette unité n’a pas encore fait l’objet d’une définition linguistique
précise qui permet de la distinguer d’une manière univoque des autres
unités mono- ou polylexicales et de lui attribuer un statut linguistique
précis.
Considéré d’abord sous son aspect de catégorie marquée par une
structure particulière, un archaïsme ou des traits moins essentiels mais
très fréquents comme les assonances, les échos, les répétitions (Rey :
1989)1, le proverbe se révèle pourtant bien plus complexe et plus hété-
rogène. Et bien que sa sémantique demeure très controversée (cf. Ans-
combre 1994, 2012, vs Kleiber 1989, 2014), l’unique trait définitoire
sur lequel s’accordent la plupart des parémiologues est celui de vérité
générale. Le proverbe exprime, contrairement aux autres phrases figées,
une vérité qui a une portée générale ou universelle. Toutefois, cette
« généricité » se heurte à un obstacle de taille : la présence de proverbes
antinomiques comme l’argent ne fait pas le bonheur et abondance de
biens ne nuit pas (Kleiber 1998 : 52).

1 Parmi les définitions lexicographiques les plus courantes, celle d’A. Rey (1989 :
X–XI), semble la plus complète : « Le proverbe est un fait de langue. Plus pré-
cisément, une phrase, complète ou elliptique […]. Cette phrase est assez brève
et possède des caractères particuliers, archaïsme, structure particulière ».

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92  Inès sfar

Le présent travail montrera que la valeur de vérité des proverbes


se dégage essentiellement des unités lexicales impliquées dans les
énoncés proverbiaux, qui forment des paradigmes structuraux servant
de vecteur à la relation inférentielle ou d’implication. À la lumière des
travaux qui ont tenté de faire de ce phénomène parémiologique une
problématique linguistique et un modèle bien formalisé sur des critères
linguistiques propres (Mejri 1997, Anscombre 2015), nous essayerons
de répondre successivement aux trois interrogations suivantes : (i) quel
statut linguistique peut-on attribuer au proverbe en tant que phrase ou
énoncé syntaxiquement autonome ; (ii) pourquoi le proverbe est-il tou-
jours vrai contrairement à d’autres énoncés phrastiques figés ; (iii) com-
ment peut-on expliquer cette valeur de vérité qui peut être partagée ou
non par des proverbes dans le cadre respectivement de la synonymie et
de l’antonymie.

2. Le proverbe : une unité linguistique de type


« particulier »

Une grande partie de la littérature sur le proverbe est consacrée à l’étude


des critères permettant de définir cette unité et de la distinguer d’autres
unités polylexicales comme le dicton, la maxime et d’autres «  énon-
cés sentencieux » (cf. Anscombre 1994, 2015, Kleiber 1989, 2014, à
paraître, Mejri 1997, 2006) à l’aide de traits formels (la prosodie, le
lexique, la syntaxe, etc.), sémantiques (la généricité, la non-composi-
tionnalité, la métaphoricité, etc.), pragmatiques (la polyphonie, la cita-
tion, etc.) et extra-linguistiques (le contenu socio-culturel, le domaine
d’application, etc.). Dans toutes ces caractérisations, il y a des points
de convergence et des points de divergence dont il ne sera pas ques-
tion dans cet article. Nous retenons particulièrement les traits admis par
tous et qui nous semblent bien résumés dans la définition de S. Mejri
qui classe le proverbe parmi les unités de langue, par opposition aux
unités de discours, et lui attribue le statut de “séquence linguistique
figée qui se présente sous la forme d’une phrase, métaphorique ou non,

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Le proverbe 93

dont l’origine est anonyme, ayant une valeur générique et dénommant


une situation générale relative aux conduites humaines. Sa validité se
vérifie dans tous les univers de croyance  » (1997  : 242). Se dégage
de cette caractérisation la particularité linguistique du proverbe d’être
une phrase, un énoncé syntaxiquement autonome, dont l’insertion dans
le discours, sous forme de citation, est nécessairement polyphonique.
Ce statut de phrase autonome dont l’interprétation se réalise grâce à
une opération de construction se heurte à une autre réalité, celle du
caractère préconstruit des signes linguistiques (comme unités codées,
ou données), qui le composent et qu’il partage avec des phrases figées
du type : les carottes sont cuites ; un ange passe.
On est en droit de s’interroger dès lors sur le statut linguistique
de ce type de phrase qu’est le proverbe, par lui-même et par opposition
à toutes les unités phrastiques non proverbiales. De quelle unité linguis-
tique s’agit-il ?
Toute l’interrogation repose en effet sur le statut ambivalent du
proverbe, à la fois signe linguistique et phrase. Cette ambivalence a été
clairement démontrée par Kleiber qui parle de « signe-phrase » (1994 :
214). Le proverbe possède les propriétés du signe sans perdre pour
autant son caractère de phrase, d’unité, malgré la pluralité d’items qui
le constituent. Sa forme est fixe et cette « fixité formelle » va de pair
avec une « fixité référentielle », qui résulte de sa fonction dénominative
(Kleiber 1999, à paraître).
Pour résumer : en tant que signe, ou unité codée (comme les mots
du lexique), le proverbe partage avec les autres signes linguistiques,
qu’ils soient mono- ou polymorphémiques, les propriétés suivantes :

– c’est une dénomination qui appartient à la langue,


– il a sa place dans le dictionnaire et nécessite un apprentissage de
la part des locuteurs,
– il s’emploie dans le discours et son insertion peut avoir un impact
sur son actualisation et son sémantisme,
– il s’utilise par le locuteur en tant que citation (sauf dans le cas de
détournements d’auteurs),

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94  Inès sfar

– il appartient à une liste plus ou moins finie, susceptible d’évoluer


grâce aux énoncés « potentiellement proverbiaux »2 d’un côté, et
aux néologismes de l’autre,
– il renvoie à un code culturel spécifique à la langue.

En tant que phrase, le proverbe :

– est un énoncé bref et autonome du point de vue grammatical et


référentiel,
– est un énoncé générique, qui exprime une opinion commune,
– peut être compositionnel dans le cas des proverbes littéraux ou
non-compositionnel dans le cas des proverbes métaphoriques (cf.
Tamba 2000).

Qu’il soit signe ou phrase, le proverbe constitue à la fois une unité inté-
grante en langue, compte tenu des items lexicaux qui le composent, et
une unité intégrée, dès lors qu’il s’insère dans le discours. Il s’agit bel
et bien d’une unité de type « particulier », ou selon la terminologie de
S. Mejri (2017, à paraître, ici-même), d’une « unité de troisième articu-
lation ». Selon lui, la troisième articulation couvre tout ce qui échappe
aux deux premières articulations qui rendent compte, respectivement,
des phonèmes, comme unités minimales et des morphèmes porteurs
de sens, à savoir les unités monolexicales (simples ou construites) et
les unités polylexicales (phrastiques ou non phrastiques). Les trois arti-
culations sont étudiées au niveau du décodage et non de l’encodage
et ont respectivement «  une pertinence phonémique, morphémique et
lexicale. » (Mejri, à paraître).
Si nous reprenons les mêmes critères appliqués par S. Mejri (op.
cit.) sur les pragmatèmes, nous n’aurions aucune difficulté à démontrer
que le proverbe est une unité linguistique de troisième articulation :

2 Charlotte Schapira (2017 : 298–299) insiste sur la présence d’énoncés lexica-


lisés qui partagent des traits communs assez nombreux avec les énoncés pro-
verbiaux, qui s’apparentent, de par leur forme et leur sens, à des proverbes
comme par exemple  : comparaison n’est pas raison, l’exception confirme la
règle, noblesse oblige, et qui pourraient être classés dans une catégorie à part
entière qu’elle appelle « sous-classe paraproverbiale. »

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Le proverbe 95

– Le proverbe représente un prédicat figé d’un type particulier. Il


est employé avec ses arguments actualisés grâce à leur inscrip-
tion dans une situation d’énonciation impliquant les catégories
de personne, de temps et d’espace. Il a une double combinatoire
interne et externe (cf. Sfar 2011). Au niveau de la combinatoire
interne, il comporte un prédicat qui sélectionne des arguments,
que la prédication soit élémentaire comme dans :

les bons comptes font les bons amis


Préd (faire) (arg1: comptes; arg 2: amis),

ou de second ordre :

qui n’entend qu’une cloche n’a qu’un son


Préd (entendre, avoir).

Les arguments n’ont aucune autonomie. Toutes les positions inscrites


dans la structure de la phrase sont lexicalement saturées et la signifi-
cation est de nature globale. Dans le cas de la combinatoire externe, le
proverbe fonctionne comme une seule unité :

Mais c’est déjà le même défaut, ce contresens d’aligner des mots bien sonores
en ne se souciant qu’ensuite du fond. C’est mettre la charrue avant les bœufs.
[PROUST, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 474]

Le contenu sémantique et prédicatif du proverbe est attribué à l’énoncé


dans sa globalité et non à la somme de ses constituants. C’est pourquoi
son insertion dans le discours se fait sur la base d’une unité englobante,
qui peut avoir des valeurs référentielles différentes selon les emplois :

M. Silvestre considère que ce traitement de l’information par son propre journal


lui rappelle le « temps de la guerre froide ». « Chassez le naturel, il revient au
galop », ajoute-t-il, en dénonçant l’utilisation de l’invective et en invitant à la
réflexion plutôt qu’à l’anathème. [Le Monde, 30 octobre 1993]

– En tant que prédicat, le proverbe peut avoir une fonction endo-


phorique dans le discours. Plusieurs relations lexicales et séman-
tiques sont relevées, comme l’anaphore :

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96  Inès sfar

« Son grand tort [au monde], c’est qu’il tient trop aux apparences et les respecte
trop. Il sait théoriquement que tout ce qui brille n’est pas or, mais il court néan-
moins à ce qui brille ». [Amiel, Journal intime, 1866, p. 277]

ou la cataphore :

« Toute médaille a son revers, et il est bien rare qu’une vertu ne soit pas doublée
d’un vice. Chez les Grecs, l’amour de la liberté est doublé du mépris des lois et
de toute autorité régulière ». [ABOUT, Grèce, 1854, p. 65].

– Son emploi véhicule une dimension culturelle. C’est le lieu priv-


ilégié des transferts sémantiques qui trahissent la manière dont
une langue catégorise l’extra-linguistique. Il véhicule une valeur
argumentative et pragmatique qui est beaucoup plus importante
que dans d’autres types de séquences. Nous référons par exemple
aux travaux qui s’intéressent aux proverbes comme outil didac-
tique surtout dans les sociétés africaines (Zouogbo 2009, Tamba
2000, etc.). Il peut être spécifique à une langue ou partagée par
plusieurs langues. Par exemple, le proverbe chose promise chose
due, aurait deux équivalents en arabe littéral :
litt. [Promesse du libre dette] ‫الحر دين‬
ّ ‫وعد‬
litt. [réaliser-accompli le libre ce qu’il promet] ‫حر ما وعد‬ّ ‫أنجز‬
et deux équivalents en tunisien (variante dialectale de l’arabe) :
litt. [Qui donne sa parole donne son cou] ‫الّي عطا كلمته عطى رقبته‬
litt. [D’où sort le mot sort l’âme] ‫منين تخرج الكلمة تخرج الروح‬

La traduction du proverbe est considérée comme un outil permettant


de vérifier sa généricité et son universalité, à la fois dans des variantes
d’une même langue (grâce aux proverbes synonymiques) et dans deux
langues différentes (où le contenu conceptuel est commun à toutes les
traductions).

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Le proverbe 97

3. Proverbe et vérité

3.1. Valeur de vérité générale 

En tant que réceptacle des croyances partagées par une ou plusieurs


communautés, le proverbe exprime une valeur de vérité générale sur
laquelle s’accorde toute la littérature parémiologique (Anscombre
1994, Arnaud 1991, Kleiber 1989, Mejri 1997, Tamba 2000, etc.). Cette
vérité est imputable à son caractère à la fois ancien et anonyme et à son
origine collective et populaire. Plusieurs tests ont été forgés pour mon-
trer cette valeur de vérité générale. On cite notamment la présence de
marqueurs de quasi-universalité tels que généralement, normalement,
la plupart de, presque tous, etc. qui peuvent introduire les proverbes
dans des constructions du type (Kleiber 1998) :

Généralement, qui ne risque rien n’a rien,


Normalement, qui aime bien châtie bien,

ou des marqueurs discursifs tels que comme on dit, on a bien raison de


dire, si on en croit la sagesse populaire, etc. :

Comme dit un beau proverbe arabe : les chiens aboient, la caravane passe.
[PROUST, 1918 : 461] (TLFi)
On dit communément : « la plus belle femme du monde ne peut donner que
ce qu’elle a » ; ce qui est très faux : elle donne précisément ce qu’on croit rece-
voir, puisqu’en ce genre c’est l’imagination qui fait le prix de ce qu’on reçoit.
[Chamfort, Max. et pens., 1794, p. 63] (TLFi).

Cependant, nous constatons que :


(i) les « quantifieurs quasi-universaux » peuvent être appliqués
à tous les proverbes, en tant qu’énoncés complets. Nous aurons d’un
côté, généralement, qui ne risque rien n’a rien, et de l’autre côté  :
généralement, prudence est mère de sûreté. Or, il s’agit là de deux
proverbes antinomiques. Le pouvoir de déduction propre au proverbe
peut-il être altéré ? Comment expliquer la coexistence de ces énoncés
toujours vrais même s’ils sont contraires ? Si on a souvent, l’argent
ne fait pas le bonheur, ceci implique  : souvent, contentement passe

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98  Inès sfar

richesse, c’est-à-dire qu’il vaut mieux être pauvre et joyeux que riche
et malheureux, contrairement à : souvent, abondance de biens ne nuit
pas, qui infère qu’on n’a jamais trop de ce qui est bon ;
(ii) cette valeur de vérité générale n’est pas spécifique au pro-
verbe. Elle s’applique à toutes les phrases sentencieuses puisqu’on la
retrouve dans la définition de la plupart d’entre elles :

– le dicton : « sentence exprimant une vérité d’expérience sous une


forme imagée, généralement d’origine populaire, et passée en
proverbe dans une région donnée » (TLFi). L’exemple fourni par
le dictionnaire illustre bien l’idée qu’on peut jouer d’un dicton
et remettre en question sa valeur de vérité générale : Le dicton
est juste : « loin des yeux, près du cœur » (Flaubert, Correspon-
dances, 1874, p. 126) ;
– l’adage : « formule généralement ancienne, énonçant une vérité
admise, un principe d’action ou une règle juridique  » (TLFi),
comme dans l’exemple nul n’est censé ignorer la loi / on sait
tous que nul n’est censé ignorer la loi ;
– l’apophtegme  : «  parole, sentence mémorable de personnages
de l’Antiquité  » (TLFi), est considéré péjorativement quand il
désigne la création individuelle d’une formule concise sur un
sujet considéré comme important par la seule personne qui en
parle. Par exemple : « … j’ai dégagé cet apophthegme : De toutes
les qualités du cuisinier, la plus indispensable est l’exactitude.
(…) J’appuie cette grave maxime par les détails d’une observation
faite dans une réunion dont je faisais partie … » (Brillat-Savarin,
Physiologie du goût, 1825, p. 60) ;
– la maxime : « proposition, phrase généralement courte, énonçant
une vérité morale, une règle d’action, de conduite. Ils avaient
inventé pour leur usage cette maxime singulière « que la misère
est l’engrais du talent » (Murger, Scènes vie jeun, 1851, p. 232)3 »
(TLFi) ;

3 Le TLFi note l’existence du verbe transitif maximer, au sens de donner la valeur


d’une règle générale à. On ne peut, on ne veut pas enfermer sa vie en soi en
agissant, on agit comme pour tous et en tous. C’est la raison pour laquelle natu-
rellement nous sommes portés tous à maximer notre conduite. (Blondel, Action,
1893, p. 230).

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Le proverbe 99

– le lieu commun  : «  idée, formule générale souvent répétée et


appliquée à un grand nombre de situations  » (TLFi), comme
dans : souvent, la vie n’est pas facile ;
– la locution : « groupe de mots pris souvent dans une acception
figurée que l’usage a réunis pour former une sorte d’unité dont
le sens «  se définit comme sa capacité d’intégrer une unité de
niveau supérieur » (E. Benveniste, Problèmes de ling. gén., Paris,
Gallimard, 1966, p. 127) ». Par exemple : − Je recevrai demain
l’avis officiel du non-lieu. − Il ne peut plus y avoir de surprise? −
Non : les carottes sont cuites, comme on dit. (Mauriac, Thérèse
Desqueyroux, 1927, p. 171), (TLFi) ;
– la formule : « expression concise d’une idée ou d’un ensemble
d’idées », qu’elle soit incantatoire, de politesse ou routinière.

Tous ces énoncés phrastiques partagent une propriété commune que


l’on retrouve à deux niveaux :

– au niveau grammatical  : tous ces énoncés stéréotypés se car-


actérisent par une autonomie grammaticale. Ils forment des
structures phrastiques complètes. Elles peuvent être elliptiques,
certes, mais cette troncation n’entrave pas cette autonomie gram-
maticale, qui est doublée d’une autonomie sémantique ;
– au niveau sémantique : ces structures phrastiques se présentent
comme des énoncés syntaxiquement autonomes et sémantique-
ment complets.

(iii) le proverbe, de par son caractère polyphonique, peut impliquer des


situations d’énonciation ambiguës, en ce sens où le même proverbe
peut être énoncé dans deux situations contraires et inversement deux
proverbes antinomiques peuvent être énoncés dans un même contexte
sans que cela remette en question leur généricité. En effet, un locuteur
L1, qui accepte la vérité de P1  : loin des yeux, loin du cœur, accepte
également la vérité de P2 : pas de nouvelles, bonnes nouvelles, contraire
à P1 et considéré comme vrai pour L2. De ce fait, deux proverbes anti-
nomiques peuvent être acceptés par deux locuteurs différents, mais éga-
lement par un même locuteur. D’où l’emploi de marqueurs lexicaux
permettant d’avoir dans un même contexte des paires antagonistes, pour
un même locuteur (1) et dans le cas de deux locuteurs différents :

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100  Inès sfar

(1) Il est vrai que « Tel père, tel fils », mais il est vrai aussi que « À père avare,
fils prodigue ».
(2) -A- Tel père, tel fils
-B- Pour toi peut-être, mais pour moi, à père avare, fils prodigue.

Il est clair qu’un tel échange (2) ne choque pas. Ce qui est soumis à varia-
tion, ce n’est pas uniquement le locuteur, mais la situation. La vérité d’un
proverbe ne s’établit pas dans le même univers de croyance que celui d’un
autre. Ainsi, on infère du premier proverbe qu’on hérite le comportement et
les goûts de ses parents (voir telle mère, telle fille / les chiens ne font pas des
chats). L’intervention du proverbe dans la deuxième réplique – attribuée
à un locuteur L2 – entraîne un changement au niveau de la conséquence
du contenu proverbial sur la situation donnée et dénomme une réalité
contraire, celle du fils qui prend une attitude contraire à celle du père.
Prenons un autre exemple. Imaginons qu’un locuteur L1 connaisse
le proverbe qui va à la chasse perd sa place, avec le sens de «  qui
change de place, ne peut plus la conquérir à son retour ». Supposons
qu’il soit confronté à la situation suivante : alors qu’il passe la soirée
avec son ami (Locuteur L2) dans un bar, celui-ci doit s’absenter pour
aller téléphoner ; à son retour, L2 constate que sa chaise a été empruntée
par une autre personne. L1 pourra énoncer, à juste titre, le proverbe qui
va à la chasse perd sa place. En effet, la situation vécue correspond
parfaitement au contenu sémantique véhiculé par le proverbe. L2 peut
répondre : Pour toi peut-être, mais pour moi, quand le camelot a pris
son pli, c’est pour toujours.
Les proverbes ont un sens préconstruit qui nécessite un appren-
tissage. Une fois cet apprentissage fait, ils sont associés à des situations
bien déterminées  : à chaque situation correspond un énoncé prover-
bial. Y intervient évidemment l’appréciation des situations par les locu-
teurs ; ce qui justifie le choix de la forme proverbiale idoine.

3.2. Vérité linguistique

Il faut donc accepter que la valeur de vérité du proverbe ne ressort pas


à une vérité des objets du monde, une vérité générale et absolue, une
vérité universelle qui transcende les cultures et les croyances, mais qu’il

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Le proverbe 101

s’agit d’une vérité linguistique, régie par des règles d’agencement lexi-
cal, des contraintes prosodiques et rythmiques impliquant une structu-
ration sémantique bien définie. En effet, le proverbe donne la possibilité
d’être étudié sous plusieurs dimensions, longuement analysées, et dont
nous évoquerons notamment  le niveau prosodique, qui se caractérise
par une fixité rythmique se présentant sous la forme d’une structure
binaire (à bon chat, bon rat / à paroles lourdes, oreilles sourdes) et le
niveau syntaxique, avec ses propriétés spécifiques (concision, absence
de déterminants, absence de verbe, etc.  : accoutumance est loi bien
dure / à Rome comme à Rome). Ces deux critères font que n’importe
quel énoncé, respectant ses contraintes, peut acquérir le statut de pro-
verbe, s’il est repris régulièrement dans le discours qui le fixerait dans
la langue. C’est pourquoi, on retrouve des constructions régulières et
des structures récurrentes. Anscombre (1994 : 96) affirme que les trois
formes les plus fréquentes du proverbe sont :

– les structures en Le : les eaux calmes sont les plus profondes, les
yeux sont les fenêtres de l’âme, les belles paroles n’écorchent
pas la langue ;
– les structures en Qui : qui a le temps a la vie, qui aime Martin
aime son chien, qui dort dîne ;
– les structures à article zéro frontal : promesse d’un grand n’est
pas héritage, santé passe richesse, pauvreté n’est pas vice.

La fréquence de ces structures proverbiales s’explique par l’impor-


tance des critères prosodiques et syntaxiques dans la construction du
proverbe. Ils représentent en effet les deux piliers sur lesquels repose la
signification du proverbe. Ce sont donc deux critères nécessaires, mais
pas suffisants puisqu’il faut traiter également la dimension sémantique
(§ 3).
Le deuxième critère qui appuie particulièrement cette idée de
fixité linguistique est celui de la substitution. Elle peut se faire sur
l’axe paradigmatique, mais elle est inacceptable sur l’axe syntagma-
tique. Autrement dit, le proverbe autorise la substitution paradigma-
tique. Kleiber (1999) donne l’exemple du proverbe qui dort dîne qui
se mue en qui roupille bouffe. Toutefois, la substitution syntagmatique
ou paraphrase demeure inacceptable étant donné qu’elle rompt à la fois

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102  Inès sfar

la fixité formelle, caractéristique du proverbe, et sa fixité rythmique.


La reformulation va altérer une des propriétés prosodiques propre au
proverbe :

Une hirondelle ne fait pas le printemps


→ Un seul exemple ne permet de tirer aucune conclusion générale.

Enfin, il est possible d’évoquer les « combinaisons épilinguistiques »


(Tamba 1994 : 82) comme dernier argument en faveur l’idée de vérité
linguistique du proverbe. En effet, ce sont des représentations qui pro-
cèdent de la langue, contrairement aux combinaisons métalinguistiques,
qui sont effectuées dans un langage formel autonome. Autrement dit, il
est possible de combiner les proverbes avec des termes comme vrai,
vérité, etc., par exemple :

Le proverbe dit vrai lorsqu’il affirme qu’une hirondelle ne fait pas le printemps.
Mais il est vrai qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
La vérité du proverbe selon lequel c’est la poule qui chante qui fait l’œuf n’est
plus à vérifier, certes, mais il est vrai aussi que c’est la plus mauvaise roue qui
fait le plus de bruit.

Pour finir, le proverbe n’est autre qu’une « unité lexicale codée, pos-
sédant à la fois une certaine rigidité ou fixité de forme et une certaine
« fixité » référentielle ou stabilité sémantique, qui se traduit par un sens
préconstruit, c’est-à-dire fixé par convention pour tout locuteur, qui fait
donc partie du code linguistique commun » (Kleiber 2000 : 40).

4. Le proverbe : dénomination d’un concept préconstruit

Afin de confirmer le statut dénominatif du proverbe en tant qu’unité de


troisième articulation, nous reprenons la définition des unités dénomi-
natives présentée par Kleiber (2018 : 40). En effet, « une dénomination
(quelle qu’elle soit) comporte, (…) deux composants sémantiques : -i-
une partie commune à toutes les dénominations et qui indique qu’il
s’agit d’une « chose », ou si l’on veut, d’un « tout » ; -ii- une partie qui

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Le proverbe 103

varie avec les dénominations et qui consiste en la description ou repré-


sentation du type de choses dont il s’agit ».
Le proverbe représente une dénomination et en tant que tel, il
peut renvoyer à des classes sémantiques4. Il peut donc catégoriser, ou
rassembler sous une même catégorie des occurrences particulières du
concept dénommé  ; d’où la superposition, sur le plan sémantique de
deux contenus différents :

– un contenu conceptuel, qui résulte de la valeur dénominative du


proverbe en tant qu’unité linguistique et qui représente la signi-
fication de la séquence à travers laquelle il se réalise : c’est en
forgeant qu’on devient forgeron, pauvreté n’est pas vice, qui ne
dit mot consent ;
– un contenu prédicatif, qui consiste à créer des liens entre des
entités. Dans l’exemple  l’habit ne fait pas le moine, on peut,
entre autres, dégager des propositions comme «  il ne faut pas
se fier aux apparences », « il y a une différence entre l’être et le
paraître », etc.

La présence nécessaire de ces deux contenus dans chaque proverbe fait


qu’il ne peut pas être réduit à l’un d’eux.

1. En tant qu’unité linguistique dénominative autonome, le proverbe


renvoie à un concept préconstruit. Ce contenu conceptuel peut
exister soit dans les mots, quand il s’agit d’un proverbe lit-
téral (ex : les bons comptes font les bons amis) ; soit dans l’image
représentée par les mots dans le cas du proverbe métaphorique
(ex : à chaque pot son couvercle, qui trop embrasse mal étreint).

4 Pour en savoir plus sur la formalisation des unités parémiques sur la base de
classements sémantiques, voir Marcon M., 2018, « Méthode lexico-grammati-
cale pour la recherche de parémies et de séquences phraséologiques sur corpus :
introduction à la parémiologie linguistique basée sur l’usage  », in O. Soutet,
I. Sfar, S. Mejri (dirs.), H. Champion, pp. 435–458. Il affirme que les paré-
mies représentent la saturation même du principe de « idiom principle », que
(Sinclair 1991 : 109–110) définit comme l’utilisation de « semi-preconstructed
phrases that constitutes single choices » de la part d’un locuteur. En revanche,
les variantes parémiques et – encore plus – les parémies candidates sont l’ex-
pression la plus prototypique de la présence de séquences préfabriquées prêtes
à l’emploi et aux réemplois.

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104  Inès sfar

C’est à partir de ce contenu conceptuel qu’on arrive à dégager


le sens, qu’il s’agisse d’unités monolexicales ou polylexicales.
L’analyse sémantique des proverbes doit obéir aux mêmes critères
que ceux des unités monolexicales, le résultat de la dénomination
étant le même.

En effet, la dénomination peut donner lieu soit à des concepts similaires


(synonymes), soit à des concepts contraires (antonymes).
Pour ce qui est de la synonymie, le fait de disposer de deux ou plu-
sieurs unités pour désigner ou exprimer le même concept, ne signifie pas
qu’on ait affaire à un système non fonctionnel, mais la conséquence d’une
telle situation est que la synonymie ne se pose pas en termes d’équivalence
absolue entre les termes d’une équation. L’analyse permet de dégager une
nuance ou une caractéristique sémantique qui s’ajoute à la différence des
deux signifiants. Ainsi des exemples comme : tel père, tel fils ou tel arbre,
tel fruit, telle mère, telle fille, les chiens ne font pas des chats, les cor-
beaux ne font pas des pies, bon sang ne saurait mentir, le fruit ne tombe
pas loin de l’arbre (variante québécoise) etc., bien qu’ils renferment des
concepts identiques, ne peuvent pas être considérés comme des syno-
nymes absolus parce qu’il existe nécessairement une différence. Des fac-
teurs, qui sont parfois périphériques mais non négligeables, doivent être
considérés comme le niveau de langue, les marques d’usage, les emplois
dans le discours, les facteurs socio- et psycholinguistiques, les variations
régionales et stylistiques, etc. L’analyse la plus adéquate du phénomène
serait donc fondée sur une approche qui voit dans les séquences prover-
biales synonymiques des unités ayant des traits communs plus ou moins
nombreux dont l’analyse servira a en dégager les éléments spécifiques.
L’étude de la synonymie des proverbes, comme d’ailleurs toutes les
autres unités lexicales, ne peut se limiter au contenu conceptuel. Or, pour
rendre compte de la synonymie des autres unités lexicales, notamment
celles de deuxième articulation, on a recours aux relations hyponymiques
ou hyperonymiques. Les proverbes littéraux peuvent être considérés à
juste titre comme des proverbes hyperonymiques et les autres comme des
hyponymes comportant des nuances5.
5 Une telle hypothèse doit être vérifiée sur un corpus de proverbes littéraux et
métaphoriques dans le seul objectif d’affirmer ou d’infirmer cette idée de clas-
sification hyperonymique.

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Le proverbe 105

Pour les dénominations contraires, la question est plus complexe.


Dans le cas des unités monolexicales, le fonctionnement de l’antonymie
n’est pas toujours le même et dépend des relations établies entre les
unités lexicales. Nous devons à ce propos à R. Martin une analyse pro-
fonde et détaillée de l’antonymie (1976, 2016) où il a essayé de déter-
miner le niveau d’analyse auquel il faut situer l’antonymie et où il décrit
les mécanismes logico-sémantiques sous-jacents à ce phénomène6.
Dans le cas des énoncés proverbiaux, on est en droit de se demander où
se situe l’antonymie : au niveau des mots qui le forment ou de la dualité
sémantique qui le caractérise (voir partie 2) ; et si on distingue, comme
pour les unités monolexicales, deux types d’antonymie  : contraire et
inversée ?

2. Les significations représentées dans le contenu conceptuel


reposent sur une relation d’implication. En effet, le contenu
sémantique inhérent au proverbe en tant qu’unité dénominative
est tautologique  : A implique B. La relation d’implication est
exprimée dans le cas des proverbes grâce à la structure binaire.
Les proverbes sont alors construits sur deux types de savoirs
différents :
– un savoir lexico-stéréotypique pré-établi  : c’est-à-dire que la
relation binaire qui unit les deux éléments nominaux du proverbe
est préconstruite. Nous relevons deux relations d’implication dif-
férentes  : l’équivalence, comme dans : à bon chat bon rat  ; à
grand homme, grand verre, etc., ou l’opposition comme dans :
à père amasseur, fils gaspilleur ; à petite cloche, grand son, etc.
C’est uniquement l’expression lexicale de la relation d’implica-
tion qui change7. On peut avoir des structures avec :
o la copule être : un sou est un sou, ou ne pas être : emprunt
n’est pas avance, apprenti n’est pas maître, etc. ;

6 R. Martin (2016) distingue d’ailleurs au niveau de l’opération de discrimina-


tion trois cas : quand (a) est différent de (b) (ex : chat/chien) ; quand (a) est le
contraire de (b) (ex : présent/absent) ; quand (a) est l’inverse de (b) (ex : grand/
petit).
7 Pour plus de détails concernant les différentes structures sémantiques des pro-
verbes, cf. Mejri (1997).

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106  Inès sfar

o les prépositions  : selon la jambe, la chausse  ; dans les


petits pots les bons onguents, etc. ;
o les adverbes  : trop tirer rompt la corde  ; trop n’est pas
assez ; trop de sel gâte la soupe, etc. ;
o etc.
– un savoir culturel : dans ce cas, la relation d’implication repose
sur les stéréotypes, qui seraient ainsi des propositions figées dans
des univers de croyance déterminés qui conditionnent l’inter-
prétation des proverbes. Quelqu’un qui ne partagerait pas ces
stéréotypes serait incapable de comprendre les proverbes suiv-
ants :
L’oreille s’est amourachée avant l’œil.
Recueil de proverbes et dictons du Maghreb (1855)
Qui veut la fille courtise la mère.
Un cœur sans amour est un arbre sans fruits.
Proverbes et locutions arabes (1835)
Si ton ami est de miel, ne le mange pas tout entier.
Livres des proverbes arabes – Ve siècle.

En revanche, le contenu sémantique tautologique peut figurer dans


n’importe quelle autre séquence phrastique, répondant à la même confi-
guration, sans pour autant que cette séquence assure la fonction de pro-
verbe. Nous citons à titre d’illustration deux énoncés repris respective-
ment à Kleiber (op. cit.) et Mejri (2008) :

Tous les proverbes mènent aux hommes


Qui cherche la fortune, fond devant les thunes

Si le premier énoncé est un simple détournement du proverbe : tous les


chemins mènent à Rome, le deuxième, quant à lui, est une pure création
de l’auteur, selon qui, l’énoncé a toutes ses chances d’acquérir le statut
de proverbe à condition d’être repris dans le discours.
Ce qui est déterminant dans cette affirmation, c’est la valeur infé-
rentielle qu’on retrouve dans les deux énoncés. Or, cette relation d’in-
férence est bel et bien établie grâce au lexique. L’exemple de la relation
tautologique est le plus représentatif à ce titre. Définie comme « une
proposition qui ne saurait être fausse » (Neveu 2004) du fait même que

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Le proverbe 107

le contenu sémantique de son prédicat soit nécessairement impliqué par


le sujet, la tautologie représente un bel exemple qui montre que la vérité
contenue dans les proverbes est bel et bien linguistique. En effet, dans :
tel père, tel fils, nous avons une relation binaire entre A et B de manière
à ce que A implique B. Cette relation, de nature lexicale, est explicitée
au moyen de l’adjectif tel. En effet, quand on dit père, cela veut dire que
X a un fils et quand on dit fils, cela voudrait dire que Y a un père ; d’où
le père a un fils et le fils a un père, donc père/fils ≈ fils/père. Toutefois,
dans un proverbe comme : l’argent ne fait pas le bonheur, il y a inver-
sion de la tautologie, puisqu’on a :

L’argent négation bonheur


= =
bonheur argent

Dans les deux exemples, il y a une tautologie puisqu’il y a correspon-


dance entre les deux éléments de la structure binaire. Encore faut-il
rappeler que la relation antonymique est fondée sur une synonymie
inversée ou niée :

Aujourd’hui ami, demain ennemi → opposition entre ami/ ennemi

Cette analyse peut être appliquée à d’autres exemples comme :

Au col on connaît l’habit → métonymie entre col/habit


Santé passe richesse → opposition entre santé/richesse
Tel maître, tel valet → correspondance entre maître/ valet
À laide chatte, beaux minous → opposition entre laid/beau

5. Conclusion

D’après Kleiber (2018 : 54) « ce sont les faits qui se trouvent dénom-
més par les proverbes ». C’est cette fonction dénominative d’unité de
la troisième articulation que nous avons tenté d’illustrer à travers cette
étude. Les proverbes, au même titre que les unités du lexique, renvoient

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108  Inès sfar

à des concepts préconstruits, qui peuvent être similaires ou antonymes.


Les relations d’implication ne peuvent pas remettre en question leur
valeur de vérité qui puise sa légitimité dans les unités lexicales qui le
forment. Une question reste tout de même posée, celle de savoir si les
proverbes peuvent être classés en catégories sémantiques hyperony-
miques, à l’instar des unités lexicales.

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Bern : Peter Lang.

Ressource en ligne

Dictionnaire automatique et philologique des proverbes français–


DicAuPro, réalisé par  : Monique Coppens d’Eeckenbrugge,
Jean-René Klein et Jean-Marie Pierret, accessible à l’adresse sui-
vante : http://cental.uclouvain.be/dicaupro/index.php.

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Thouraya Ben Amor Ben Hamida

Les fondements linguistiques du jeu de mots

1. Introduction

Le jeu de mots, en tant que champ d’étude, n’est pas un terrain en friche
mais c’est un espace que l’on a surtout exploré sous certains angles aux
dépens d’autres. Le point de vue le moins exploré est, à notre avis, celui
du jeu de mots en tant qu’outil linguistique. En cherchant à cerner les
fondements linguistiques des jeux de mots, nous voudrions souligner
l’intérêt linguistique de ce phénomène. Cette dimension est d’autant plus
importante que le potentiel transversal du jeu de mots est considérable.
Les jeux de mots nous fournissent une esquisse pertinente des
spécificités du système lexical d’une langue du point de vue morpholo-
gique, syntaxique et sémantique. Ils nous renseignent sur les contraintes
internes et combinatoires les plus saillantes des unités lexicales d’une
langue. Ce rôle essentiellement linguistique n’est pas encore conven-
tionnellement reconnu malgré certains écrits qui développent cet aspect
heuristique envisageant le jeu de mots comme un outil d’investigation
linguistique (Mejri 1997, 2008).
Notre objectif principal est de cerner les principaux ressorts
linguistiques des jeux de mots. En tant que branches de la linguistique,
la lexicologie et la sémantique lexicale ne servent pas seulement à
« expliquer les critères d’élaboration des jeux de mots » (Fernández-
Echevarría 2016), elles sont à la source de leur formation.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous commencerons par rappeler
sommairement les différentes approches que les jeux de mots ont sus-
citées avant d’acquérir un intérêt proprement linguistique (§2). Nous
démontrerons ensuite le lien entre les jeux de mots et certaines notions
fondamentales qui relèvent de la linguistique générale (§3) et de la lin-
guistique française (§4).

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114  Thouraya Ben Amor Ben Hamida

2. Les jeux de mots : émergence d’un statut linguistique

Nous ne remonterons pas à la tradition bien française des monographies


qui recueillent ou qui classent thématiquement ou par auteurs les jeux
de mots comme celle du Baron de la pointe et Eugène Le Gai (1860)
à titre d’exemple. Mais, au-delà des ressources, nous signalons l’exis-
tence d’une part, d’études non linguistiques et d’autre part d’études
proprement linguistiques. Pour illustrer le premier type, nous citerons
certaines monographies qui ont eu le mérite de réaliser des descriptions
immanentes aux jeux de mots avec des propositions de typologie donc
de description systématique du phénomène et une illustration très riche
(Bruno de Foucault 1988).
Le jeu de mots a aussi été appréhendé selon une approche rhé-
torico-linguistique  comme celle de Xavier Blanco (2012), à titre
d’exemple, sur les jeux de mots par défigement en tant que trait de
style chez un poète. Ce type de descriptions est le plus souvent mixte
puisqu’il engage la dimension linguistique au service de la dimension
stylistique.
Quant aux descriptions strictement linguistiques, elles demeurent
relativement peu nombreuses. Nous citons essentiellement l’approche
structuraliste du jeu de mots réalisée par Pierre Guiraud (1976) dans
laquelle la profusion des jeux de mots est perçue à travers une grille
qui combine d’une part trois principaux mécanismes : l’enchaînement,
la substitution et l’inclusion et d’autre part trois niveaux d’analyse, les
niveaux phonétique, lexical et pictographique. Cet ouvrage a participé
à « l’ouverture d’une brèche » dans la mesure où il a souligné l’inter-
férence avec des phénomènes voisins dont la distinction entre le jeu
de mots et le jeu d’esprit1. Cette démarche différentielle qui a tiré parti
des outils linguistiques a engagé des spécificités définitoires et affiné
l’appréhension du jeu de mots.
Avec la monographie de Jacqueline Henry, La traduction des
jeux de mots (2003), le jeu de mots entre dans la sphère des probléma-
tiques théoriques par le truchement de la traduction. L’angle d’approche

1 Cf. Mejri 2001, 2008.

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 115

traductologique est confirmé par d’autres écrits à visée également théo-


rique (Mejri 2008).
D’autres descriptions plus récentes de nature expérimentale qui
intègrent la composante numérique (Zhu L. et G. Lejeune 2014) visent
la génération automatique de jeux de mots et de suites défigées notam-
ment à partir de la modalisation des jeux de mots dans la presse.
Ce très bref survol montre d’abord que les approches classiques
dont la tradition rhétorico-littéraire n’ont pas épuisé ce fait de langue.
Par conséquent, l’intérêt du jeu de mots se vérifie également dans des
domaines connexes dont la traductologie, la didactique des langues, etc.
De même, le jeu de mots constitue un banc d’essai à des disciplines
récentes comme la linguistique outillée, où le traitement automatique
des langues confronte ses compétences technologiques aux emplois les
moins normatifs mais les plus expressifs.
Finalement, l’orientation linguistique émergente du jeu de mots
s’expliquerait essentiellement par sa résistance à une vue globalisante
et systématique.

3. Jeu de mots et linguistique générale

Si les jeux de mots illustrent les potentialités du système, on relève


parmi ces dernières des relations aléatoires même si elles portent sur la
langue comme dans cet exemple de jeu de mots en arabe sur une récente
affiche dans une campagne publicitaire citoyenne tunisienne (2017) :

‫( معاناة‬muʕanɛ:t) (littéralement : souffrance)


‫( معانا‬mʕa:nɛ) (littéralement : avec nous (ensemble)

Le jeu de mots exploite la coïncidence qui fait que la simple suppres-


sion de la lettre /‫ة‬/ dans ‫( معاناة‬par une croix en rouge dans le texte initial
de l’affiche) à partir d’une paire minimale lexicale (‫ معاناة‬/ ‫ )معانا‬souligne
une parenté graphique et par voie de conséquence au niveau de l’inter-
prétation, la possibilité de la transformation de la souffrance par ou pour
la solidarité.

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Les potentialités du système sont aussi aléatoires quand elles


reposent sur des homophonies du type lit vide et livide dans ce genre de
rapprochement fortuit :

(1) « Quand elle vit le lit vide elle le devint » (Guiraud, 1976 : 11)

S’il y a une dimension linguistique dans ce jeu de mots, elle réside


surtout dans l’exploitation transgressive des mécanismes syntactico-
sémantiques de nature anaphorique ; l’anaphorique pronominal (le) est
censé avoir pour antécédent un adjectif prédicatif. Puisque l’anaphorisé
est un argument nominal lit, l’anaphore est tronquée et le sens n’est
rétabli que grâce à l’homophonie.
En réalité, si le jeu de mots, en général, tient du linguistique,
c’est d’abord parce qu’il tire son existence de propriétés relevant de
la linguistique générale comme la linéarité du signe linguistique ou la
subduction ainsi que le souligne ce jeu de mots sur la double nature du
verbe prendre tantôt verbe support (prendre une décision) tantôt verbe
prédicatif (prendre trois bières) :

(2) « Jean a pris une décision et trois bières. » (Mel’čuk, Clas et Polguère
1995 : 64)

Nous soulignons, par cet exemple, le point de parenté entre la séman-


tique lexicale et la sémantique grammaticale.
Afin de mieux démontrer l’enjeu linguistique du jeu de mots,
nous avons sélectionné certains aspects linguistiques incontournables :

– l’arbitraire du signe décliné suivant ses différents degrés et toutes


les questions qui ont trait à la motivation : immotivation/démoti-
vation/remotivation (Lecolle 2015) ;
– les rapports syntagmatiques  et paradigmatiques qui se croisent
pour produire la signification ;
– le principe de l’analogie qui est à la source de la propriété de la
créativité lexicale ;
– l’autonymie où les unités lexicales sont employées pour se
désigner elles-mêmes ;

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 117

– l’inférence qui inscrit nécessairement dans les lexèmes des sens


présupposés ou impliqués ;
– la polysémie qui démultiplie le sens de la quasi-totalité des
lexèmes.

3.1. L’arbitraire du signe

L’arbitraire du signe et, son pendant, sa motivation comptent parmi les


notions linguistiques fondamentales. Pour Dubois J. et alii. (1973, moti-
vation), la motivation est « la relation de nécessité qu’un locuteur met
entre un mot et son signifié (contenu) ou entre un mot et un autre signe »
(cité par Holeš 2001 : 97). Nous avons déjà interrogé le lien entre la
motivation et les jeux de mots formés sur défigement (Ben Amor 2012)
mais nous voulons nous arrêter, en particulier, à l’importance de l’im-
motivation / motivation relative et la remotivation dans la structuration
des unités du lexique.
Les jeux de mots ont le privilège d’expliciter ces liens notamment
quand l’unité lexicale correspond à un mot construit, un mot composé,
ou une séquence figée. Pour certains mots construits, la remotivation
exploite la perte de la motivation étymologique comme dans :

(3) « Les épaules, c’est un beau piédestal pour poser la tête. » (Gourio 2013 : 25)

Si on envisage la motivation d’un point de vue synchronique, le nom


piédestal aurait tendance à être considéré comme démotivé. Or, en (3),
l’agencement de la cooccurrence épaules/piédestal/tête déclenche,
par cette disposition, automatiquement le sens du formant pied inscrit
dans piédestal, cet emprunt à l’italien piedestallo, « piédestal » dérivé
du latin classique pedem, accusatif de pes, « pied ».
Le même mécanisme est opérationnel dans les jeux de mots
incidents à des noms composés :

(4) «  La mort (…) c’est un manque de savoir-vivre  » (Dac, in Gagnière


1986 : 73)
(5) «  La vraie lutte gréco-romaine, c’était un Grec contre un Romain  »
(Gourio 2013 : 69)

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En (4), la paraphrase définitoire de la « mort » renferme un jeu de mots


qui crée une connexion avec une autre unité lexicale opaque savoir-
vivre. Le sens global de cet énoncé n’acquiert sa cohérence qu’à travers
la sollicitation du sens remotivé de savoir-vivre. Dans la lutte gréco-
romaine (5), l’adjectival composé gréco-romaine qui désigne un type
de lutte joue sur la création d’une pseudo-motivation.
Le champ de la remotivation augmente de façon exponentielle
quand il s’agit des séquences figées caractérisées, en principe, surtout
par la globalisation du sens et la non référentialité des formants. La non
motivation relative des séquences figées suscite la possibilité d’un jeu
de mots par remotivation comme pour respectivement livre de poche
(6), garde du corps (7), bain de mer (8) :

(6) « Le livre de poche, tu l’as plus dans la poche, tu l’as dans l’iPhone que
t’as dans la poche. » (Gourio 2013 : 27)
(7) « - Johnny Hallyday, il a plus beaucoup de gardes du corps.
- Il a plus tellement de corps. » (Gourio 2013 : 41)
(8) « Mon meilleur souvenir de bain de mer c’était dans une mare. » (Gourio
2013 : 57)

C’est une remotivation qui est également sous-tendue par la dimension


morphologique comme dans la connexion entre toile cirée et le verbe
cirer établie dans ce jeu de mots :

(9) « La toile cirée dans la cuisine a disparu en même temps que la femme qui
cire. » (Gourio 2013 : 82)

La remotivation peut aussi prendre la forme d’une motivation erronée


comme dans le cas de l’étymologie dite populaire, cette « ressemblance
formelle de deux mots d’origine différente [qui] est suffisante à réin-
terpréter leur généalogie. On associe ces deux mots en cherchant un
rapport sémantique entre eux.  » (Holeš 2001  : 102) Ce rapport peut
s’appuyer sur une pseudo parenté morphologique (10) formation/forme
ou sémantique (11) dans l’acception de médecine du travail :

(10) « Je veux pas une formation, je veux un boulot, j’ai déjà une forme et j’ai
pas de travail ! » (Gourio 2013 : 42)
(11) « Le travail, c’est une maladie, d’ailleurs, y’a une médecine pour ça. »
(Gourio 2013 : 44)

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 119

En définitive, en activant le procédé de la remotivation, le jeu de mots


dévoile un double apport croisé celui de la sémantique lexicale quand
la motivation engage le mot et son signifié et celui de la lexicologie,
notamment la structuration du lexique, quand l’unité lexicale installe un
lien avec une autre unité lexicale. Nous voyons ainsi comment l’ancrage
linguistique du jeu de mots passe notamment par deux disciplines rele-
vant de la linguistique : la lexicologie et la sémantique lexicale à travers
le procédé de la remotivation.

3.2. Les rapports paradigmatiques et syntagmatiques

Comme tous les énoncés, les jeux de mots se plient aux règles de sélec-
tion, relevant de l’axe paradigmatique, et à celles de combinaison rela-
tives à l’axe syntagmatique. Toutefois, si la signification émane, en
général, de l’interaction entre ces deux axes, le jeu de mots a la parti-
cularité de dédoubler l’un des deux axes ; prenons le cas de l’axe para-
digmatique. Certains jeux de mots sont le résultat d’une gestion très
particulière des rapports verticaux qu’il s’agisse de paradigme formel
(12) ou de paradigme sémantique (13) :

(12) « Un porc altier. Une truie altière. » (Fournier 1992 : 68)
(13) «  Si le chameau est le vaisseau du désert, le rat est le hors-bord des
égouts. » (Fournier 1992 : 37)

En (12), le locuteur encodeur a la possibilité de sélectionner un nom


compatible avec l’adjectif altier parmi les rapports associatifs et à partir
du paradigme des noms homophoniques port, porc, pore. Le jeu de
mots se noue à partir d’une double projection de l’axe paradigmatique
sur l’axe syntagmatique :

port
porc altier

Au lieu de la collocation port altier qui signifie «  une attitude de


majesté », le jeu de mots fait appel, à travers le lexème porc, au rapport
associatif virtuel et disponible dans le système de la langue. Par consé-
quent, deux lexèmes se disputent la projection sur l’axe syntagmatique :

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le nom absent mais prévisible port et l’un des lexèmes par relation asso-
ciative porc. C’est ainsi que le jeu de mots sollicite le système linguis-
tique.
Autre configuration du rapport vertical en (13) où hors-bord des
égouts est forgé sur le modèle du cliché qui désigne le chameau, le vais-
seau du désert par substitution paradigmatique de nature sémantique :

vaisseau du désert
hors-bord des égouts

L’interaction du syntagmatique et du paradigmatique se vérifie dans la


plupart des jeux de mots comme dans :

(14) « Il conduit avec prévenance sa délicieuse vieille maman impotente chez
le vétérinaire, pour la faire piquer. » (Fournier 1992 :10)

La forme factitive «  faire piquer  » du verbe piquer évoque nécessai-


rement le sens de «  faire périr un animal en lui faisant une injection
spéciale » en sélectionnant les arguments N0 humain et N1 animal selon
ce schéma d’arguments : N0 <humain> faire piquer N1 <animal>. Les
contraintes de sélection se réalisent dans la combinatoire syntagmatique
et c’est en les déjouant que les jeux de mots les confirment.
Le même procédé est investi dans le calembour suivant  où les
auteurs, en voulant vérifier la « cooccurrence compatible », dégagent
« l’existence de deux lexèmes S’OCCUPER » :

(15) «  Jean s’occupe beaucoup de ses petits-enfants et de la lexicologie


moderne. » (Mel’čuk, Clas et Polguère 1995 : 65)

Nous savons déjà que « le lexique ne doit pas être vu comme une suc-
cession de mots, mais plutôt comme un ensemble de structures (les
structures de valence) organisées chacune autour d’un noyau lexi-
cal » (Muller 2002 [2008] : 28). Les jeux de mots créés par manipulation
des liens paradigmatiques et syntagmatiques interdépendants révèlent
l’existence de microsystèmes linguistiques.

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3.3. Le principe de l’analogie

L’analogie est un puissant vecteur de créativité linguistique. Les for-


mations analogiques sont souvent mises au service de la néologie. Le
principe est tellement général et productif qu’il intervient dans les mots
construits (16), les mots composés (17), les séquences figées (18), etc. :

(16) « - Et mon kir, il vient à vélo ?


– Et un kirocipède ! un ! » (Gourio 2013 : 22)
(17) « Vous entendriez les bêtises qu’ils disent quand ils sont à table chez eux,
c’est de la radio-réalité. » (Gourio 2013 : 65)
(18) «  Le rat des villes, le rat des champs, ajoutez le rat des banlieues.  »
(Gourio 2013 : 78)

Le ressort analogique de la langue n’est étranger ni à la créativité


lexicale ni au jeu de mots ; chaque unité lexicale pouvant servir de
modèle de formation à une autre. Ainsi, les lexèmes kirocipède (16)
radio-réalité (17) rat des banlieues (18) sont respectivement des for-
mations analogiques à vélocipède, télé-réalité et rat des villes/des
champs.
Tout jeu de mots est, d’une manière ou d’une autre, le résultat
d’une analogie qu’elle soit binaire comme en (16), (17) et (18) ou pro-
portionnelle (19) Guillotin/ guillotine ; Nicotin/ nicotine :

(19) «  Le docteur Guillotin avait inventé la guillotine. Pour ne pas être en


reste, le docteur Nicotin inventa la nicotine. » (Fournier, 1992 : 29)

Le principe de l’analogie est si fécond que le jeu de mots l’exploite dans


la moindre parenté entre diverses unités lexicales comme dans l’exemple
(20) où les unités monolexicale (panier) et polylexicale (mettre la main
au panier) partagent un lexème commun panier. À l’article Le sens des
mots où Fournier rappelle que :

(20) «  Les mots ne veulent pas toujours dire la même chose. Au cours du
temps, leur signification évolue.
Exemple : Panier
À l’origine, « panier » désignait exclusivement la corbeille destinée au
pain. De nos jours, sons sens s’est considérablement élargi.

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Exemple  : Bernard entraîna Geneviève dans les fourrés et lui mit la


main au panier. 
Ici, il n’est plus question de pain, quoiqu’il soit encore question de
« miches ».» (1992 : 16)

3.4. L’autonymie

L’autonymie en tant que «  propriété linguistique par laquelle le lan-


gage ne renvoie pas à des référents « mondains », mais à lui-même de
manière réflexive  » (Neveu 2009) constitue une forme de dualité du
signe linguistique dans la mesure où ce dernier est employé, notam-
ment dans le cadre d’un jeu de mots, à la fois en usage et en mention.
Chaque jeu de mots sous-tend une fonction métalinguistique et tout ce
qui peut signaler un double usage de l’unité lexicale comme la pré-
sence des guillemets (21), d’une glose ou d’un commentaire métalin-
guistique (22) et (23) trahit la présence d’un jeu de mots comme dans
les exemples qui suivent :

(21) « La bergère conseilla au berger de ‘laisser pisser le mérinos’ » (Four-


nier 1992 : 23)
(22) « Soudain, Robinson dresse l’oreille, entre autres » (Desproges 1983 : 143)
(23) « Mes bras tremblaient, mes jambes flageolaient (…), bref mes membres,
je veux dire la plupart de mes membres » (Desproges 1983 : 165)

En (22), la séquence verbale dresser l’oreille (« écouter attentivement »)


connaît un défigement sémantiquement, sans manipulation formelle.
Le commentaire métalinguistique «  entre autres  » est à l’origine du
passage de la lecture non compositionnelle à la lecture composition-
nelle. Toutefois, par inférence, c’est tout le paradigme des arguments
appropriés au verbe dresser qui est évoqué :

dresser la tête
les cheveux
un membre
etc.

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 123

Ce point de vue est facilement vérifiable à travers les connexions lexi-


cales non seulement manifestes mais aussi inférées dans la formation
des jeux de mots.

3.5. L’inférence

Parmi les fixités sémantiques, Mejri évoque particulièrement « les infé-


rences qui structurent toutes les significations des unités lexicales telles
qu’elles sont employées dans le discours comme l’implication et la pré-
supposition. » (2008 : 73)
Certains jeux de mots révèlent les présuppositions inscrites dans
les unités lexicales elles-mêmes. Ces dernières renferment des traits
définitoires prototypiques nécessaires, ce sont des inférences définition-
nelles. Si nous prenons les lexèmes suivants : passoire, boomerang et
voyage de noces, chacun d’entre eux sous-tend des inférences : la pas-
soire présuppose l’existence de plusieurs trous, de même, le boomerang
revient mécaniquement à son point de départ s’il n’atteint pas sa cible,
enfin, le voyage de noces présuppose le déplacement de deux époux.
Dès que ces traits inférentiels définitoires respectifs sont trans-
gressés, nous nous retrouvons devant des jeux de mots :

(24) «  Parmi les objets usuels de ménage, citons la nouvelle passoire à un


seul trou, infiniment pratique et qui permet de passer instantanément
les objets les plus divers et les plus résistants » (Pawlowski in Gagnière
1986 : 117)
(25) « Voici une invention bien curieuse que l’on vient de présenter à l’Insti-
tut : c’est le nouveau boomerang français dont le bois est taillé de sorte
que l’instrument, une fois jeté sur l’adversaire ne revient pas à celui qui
l’a lancé. On évite ainsi tout risque d’accident. » (Pawlowski in Gagnière
1986 : 116–117)
(26) «  Oh  ! Faire un voyage de noces tout seul  !  » (Renard in Gagnière
1986 :129).

Certains énoncés pourraient être confondus avec des jeux d’esprit ou


considérés comme des énoncés incohérents si la dimension linguistique
de l’inférence n’est pas identifiée d’où l’importance de dégager la part
inférentielle du sens comme dans ces exemples :

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(27) « Le cyclone qui a ravagé l’île de la Réunion était d’origine criminelle »
(Fournier 1992 : 11)
(28) «  Courageusement, il demanda à ne pas être endormi pendant son
autopsie. » (Fournier 1992 : 15)

En (27), cyclone est un nom prédicatif appartenant à la classe des évé-


nements. En tant que phénomène climatique, il présuppose qu’il est
non organisé. C’est pourquoi il est en relation de non congruence avec
le prédicat adjectival d’origine criminelle. C’est l’inférence définition-
nelle qui intervient pour pointer le jeu d’incompatibilité sémantique
également en (28) où l’autopsie présuppose la mort.

3.6. La polysémie

D’autres propriétés sémantiques participent également à établir des


connexions lexicales, à tisser des liens entre les unités lexicales comme
la synonymie, l’antonymie et la polysémie. Les jeux de mots (29) et
(30) sont construits sur la polysémie de lunette et de suites :

(29) « Passionné d’optique sanitaire, il s’était spécialisé dans les lunettes de


W.-C. » (Fournier 1992 : 27)
(30) « Les Suites de Bach, ça suit quoi ? » (Gourio, 2013 : 18)

Le jeu sur la pluralité du signifié dédouble les domaines en (29) où nous


avons une connexion entre le domaine de l’optique et celui du sanitaire.
La polysémie joue aussi sur l’opposition sens général vs sens spécia-
lisé ; en (30), le sens général du verbe suivre est mêlé à la terminologie
propre à un domaine de spécialité, celui de la musique qui intègre une
dénomination Les Suites de Bach.
Le même mécanisme est opératoire non seulement dans la poly-
sémie nominale mais aussi dans la polysémie adjectivale (démontable) :

(31) « Parmi les retombées calamiteuses des ridicules événements estudian-


tins de mai 1968, un certain nombre de lieux communs écologiques ou
animaliers, qui sont autant de contre-vérités aisément démontables sans
cric, continuent néanmoins de circuler. » (Desproges 1987 : 151)

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L’adjonction d’un modifieur ambiguïsant  «  sans cric  » à l’adjectif


démontable sur-inscrit un sens supplémentaire. Cette combinatoire est
certes libre mais elle présente une contrainte de sélection au niveau du
N0 :

*contre-vérités <démontables> sans cric

Cet exemple illustre parfaitement l’interdépendance des axes paradig-


matique et syntagmatique dans une relation polysémique.
Quelle que soit la nature du jeu de mots, il prend nécessairement
sa source dans le système linguistique et essentiellement dans le lexique
d’une langue, donc l’ensemble des unités lexicales appartenant à une
langue. C’est ainsi qu’il établit des liens entre diverses unités qui tout
en partageant certaines caractéristiques linguistiques sont en relation
distinctives dans une langue donnée.

4. Jeu de mots et linguistique française

Bien qu’aucune entrée ne soit réservée au jeu de mots ni dans un


dictionnaire de linguistique ou des sciences du langage ni même dans
un dictionnaire d’analyse du discours, certains ouvrages fondamen-
taux de la linguistique (Bally 1932 [1944]), de la sémantique (Ullmann
1952) font explicitement référence aux jeux de mots et aux calembours
en expliquant certaines spécificités linguistiques propres notamment au
français. Nous ne retiendrons que trois exemples assez représentatifs
des fondements linguistiques du jeu de mots : les principales origines
de l’homonymie en français, certaines spécificités morpho-syntaxiques
dont l’existence de noms épicènes et l’ambiguïté de la structure de sur-
face N de N.
L’homonymie en français s’explique le plus souvent par
l’« homonymie étymologique » : « l’évolution phonique convergente
de deux ou plusieurs formes distinctes a abouti à leur coïncidence (…)
laudare et locarer ont donné tous les deux louer en français » (Ullmann
1952 : 219). De même, le fait que le français soit exceptionnellement

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riche en homonymes étymologiques s’explique, entre autres, par « le


volume des mots ayant subi des réductions répétées et radicales  »
(Ullmann 1952 : 220) ainsi « le groupe de son vɛr représente l’aboutis-
sement commun de vermis ˃ ver, viridis ˃ vert, varius ˃ vair, vitrum ˃
verre, versus (préposition) ˃ vers, versus (substantif) ˃ vers.  »
(Ullmann 1952 : 119–220)
L’homonymie étymologique a des répercussions même sur des
suites polylexicales comme dans ce jeu de mots qui exploite ces fixités
d’un héritage morphologique : verre/vert à pied :

(32) « Dans une pub intitulée « Les règles de base pour servir le vin », « Le
Figaro » (14/12) publie des lignes qui pourraient faire jaser au sommet de
Copenhague : « N’oubliez pas de déboucher le vin quinze minutes avant
le dîner afin que le gaz carbonique s’en échappe.  » Qu’en pensent les
Verts à pied ? » (CE 16/12/09)

Par ailleurs, l’amuïssement du e explique la formation d’un nombre


important de jeux de mots comme le précise Ullmann, « l’amuïssement
de la majorité des e caducs, donne lieu à d’innombrables rencontres
homonymiques dans la chaîne parlée. C’est elle qui fait du français la
langue du calembour. Au point de vue phonétique, il n’y a guère de
différence entre l’admiration et la demi-ration, de l’atout et de la toux,
un ami qui l’aime et un ami qu’il aime. » (1952 : 78). C’est le cas de ces
calembours homophoniques :

(33) « Quand ce grand homme ouvrit d’une main leste la vanne qui allait libé-
rer les eaux en furie, un grand silence d’une minute, à peine troublé par
le bruit de la cataracte, étreignit les cœurs et les âmes. C’est en souvenir
de ce grand instant que l’on baptisa ainsi ce haut lieu touristique : « Les
chut ! du Niagara » (Desproges 1981 : 89–90)

Dans le jeu de mots (33) formé sur les chutes de Niagara, c’est avec
l’amuïssement du e de chute que se crée l’homonymie avec l’interjec-
tion pour demander le silence : chut.
Par ailleurs, l’existence de noms épicènes figure parmi les spéci-
ficités morpho-syntaxiques du français. C’est le cas de chiot qui possède
la même forme pour le masculin et pour le féminin. Par conséquent, il
ne devrait pas se confondre avec le nom chiotte dans ses différentes

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 127

acceptions. Cette spécificité sur la non variation en genre suscite le


jeu suivant :

(34) «  (…) des chiens louches ou borgnes arrachés au ruisseau, dont l’un,
si véritablement épouvantable, qu’on eût dit le fruit des amours contre
nature entre une serpillière écorchée et quatre pieds de tabouret de
prison. Il répondait rarement, et d’une voix de chiotte, au nom de Badin-
guet. » (Desproges 1987 : 80)

Dans cet exemple qui développe une isotopie canine, le foyer du jeu
de mots une voix de chiotte dédouble la lecture en suggérant deux
structures syntaxiques profondes :

– une voix de chiotte où chiot(te) est un argument ;


– une voix de chiotte où de chiotte est un modifieur dépréciatif.

De même, dans le cadre de la linguistique française, nous pouvons rete-


nir un certain nombre de spécificités syntaxiques  dont des propriétés
de nature idiomatique qui résistent notamment à la traduction littérale,
c’est le cas de la structure N de N en français qui subsume certaines
ambiguïtés, comme celles des homomorphies, etc.

(35) « En voyageant en Belgique, il [Alphonse Allais] envoya à l’un de ses amis
un bouchon sur lequel il avait gravé ces simples mots : « SOUVENIR DE
LIEGE ! » (Gagnière 1986 : 13)

La structure syntaxique N de N sous-tend une double lecture dans la


mesure où la préposition de peut indiquer aussi bien l’origine locative,
la ville de Liège, que la matière, le liège.
Ullmann avait déjà conclu que « les jeux de mots, très populaires
en français, prouvent que les usagers sont conscients de cette condi-
tion sémantique (…) [que] l’autonomie sémantique du mot français est
relativement faible. Arbitraire et abstrait, porteur d’une multiplicité de
valeurs objectives et affectives, exposé à des équivoques polysémiques
et homonymiques, il a, plus que les mots d’autres langues, besoin d’un
contexte pour être compris. » (1952 : 317)

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128  Thouraya Ben Amor Ben Hamida

5. Conclusion

Le jeu de mots est un fait de langue qui s’inscrit de plain-pied à la fois


dans la lexicologie et dans la sémantique lexicale. Ce qui contribuerait
à l’installer, définitivement, dans le champ de la linguistique est tribu-
taire du fait de réaliser que la dualité fondatrice du jeu de mots ne lui
est pas seulement intrinsèque ; elle puise sa source dans une binarité
foncièrement linguistique qui se vérifie à tous les niveaux des notions
fondamentales de la linguistique générale :

– l’arbitraire du signe et plus précisément la paire motivation/


immotivation qui appelle la remotivation ;
– le croisement et la complémentarité entre les deux axes syntag-
matique et paradigmatique  qui organisent les relations d’asso­
ciations et de combinaisons ;
– le principe même de l’analogie nécessairement dual ;
– l’autonymie qui dédouble les unités lexicales en ajoutant l’em-
ploi en mention à l’emploi en usage ;
– la polysémie qui dédouble voire qui multiplie les signifiés ;
– l’inférence qui se greffe au propos manifeste.

En définitive, le jeu de mots est inscrit dans chacune de ces notions


binaires.
Mis à part ces principes généraux partagés par les langues natu-
relles, le jeu de mots aurait aussi un rôle à jouer dans la linguistique
française qui se caractérise par certaines propriétés idiomatiques qui
s’expliquent entre autres par un héritage linguistique structurel et des
phénomènes idiosyncrasiques  morpho-syntaxiques comme les noms
épicènes, les structures syntaxiques plurivoques (N de N), etc.
Finalement, l’ultime garant de la systématicité de ce dédouble-
ment linguistique pour le jeu de mots est la dualité dans la signification.

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Les fondements linguistiques du jeu de mots 129

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Pierre-André Buvet

Les noms de métier : diversité, non fixité


et invariance

1. Introduction

Le fonctionnement non univoque des noms d’être humain les distingue


de la plupart des autres types de noms1. Par exemple, le substantif
enquiquineur dans j’ai croisé un enquiquineur correspond simultané-
ment à une entité, à une propriété de cette entité et à une appréciation
du locuteur. Autrement dit, il fonctionne à la fois comme un argu-
ment, comme un prédicat et comme un modalisateur. Le plus souvent,
les noms d’être humain fonctionnent de deux façons différentes. Ils
relèvent de la catégorie des arguments et de celle des modalisateurs,
par exemple, le substantif malotru dans j’enrage de voir des malotrus
cracher sur le bitume, ou bien la catégorie des arguments et de celle
des prédicats, par exemple, fumeurs dans je ne supporte plus le sans-
gêne des fumeurs. Plus rarement, ils relèvent des trois catégories, c’est
le cas du substantif enquiquineur signalé ci-dessus ou du substantif
chauffard dans c’est l’heure où les chauffards sont de sortie.
Les noms de métier sont un sous-ensemble des noms d’être
humain. Ils sont recensés dans la base de données ET_HU_DIC,
qui décrit l’ensemble des noms d’être humain du français, cf. Buvet
2009. Ces substantifs ont la particularité de fonctionner conjointement
comme des arguments, en dénotant des entités, et comme des prédicats,
en faisant état d’une activité. Par exemple, le substantif cultivateur dans
j’ai croisé un cultivateur ce matin dénote à la fois un être humain et
ce qui le caractérise sur le plan professionnel. Bon nombre des noms
de métiers sont des mots construits du type suffixé, par exemple le

1 Les noms d’artefact ont également la particularité de fonctionner doublement,


en tant qu’argument et en tant que prédicat, cf. Buvet 2016.

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134  Pierre-André Buvet

substantif éleveur, ou du type composé, par exemple avocat à la cour.


Les mots composés sont souvent formés à partir d’un mot suffixé, par
exemple éleveur de bovins. Les noms de métier du type composé ont
souvent des dénominations très variées. Par exemple, les substantifs
directeur digital, directeur du digital, directeur numérique, directeur
du numérique, responsable digital, responsable du digital, responsable
numérique, responsable du numérique, chief digital officer, cdo sont
des synonymes. Ces substantifs se caractérisent également par la non
fixité des éléments qui le composent, par exemple, directeur digital,
marketing et communication, directeur marketing, communication
et digital et directeur digital, communication et marketing sont trois
formes attestées pour dénommer un même métier.
Nous faisons l’hypothèse que les propriétés morphosyntaxiques
et sémantiques des noms de métier expliquent leurs particularités déno-
minatives. Pour vérifier cette hypothèse, le concept de moule phraséo-
logique est mis en avant car il explique le mode de formation des phra-
séologismes (Mejri 1997). Ce concept implique le postulat suivant  :
la structure des séquences figées est inscrite en langue et régit leurs
occurrences en discours. Il s’agit d’établir ici quels sont les mécanismes
langagiers à la source des noms de métier, notamment ceux du type
composé.
Dans un premier temps, nous présentons la typologie des noms
d’être humain exploitée dans la base de données ET_HU_DIC. Dans
un deuxième temps, nous nous intéressons aux propriétés des noms de
métier. Dans un troisième temps, nous montrons comment expliquer la
diversité des noms de métier à partir d’un moule phraséologique.

2. Approche typologique

La notion d’être humain est intuitive car elle s’applique à chacun d’entre
nous. Elle est facile à comprendre car nous en avons une connaissance
intrinsèque par la pratique de l’introspection et une connaissance extrin-
sèque à travers notre relation à l’autre. Pour autant, les êtres humains

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Les noms de métier 135

donnent lieu à des dénominations qui ont des propriétés linguistiques


complexes. La plupart des travaux sur les êtres humains mettent en avant
les notions de locuteur et d’interlocuteur ainsi que les pronoms de per-
sonne pour expliquer le statut d’être humain dans la langue. La notion
de subjectivité est également importante dans ces travaux2. D’autres,
plus rares, traitent de la dimension lexicale des noms d’humain, qui
est loin d’être négligeable, soit sous un angle morphologique soit sous
un angle syntaxique. Le traitement sémantique est souvent limité à
des approches faisant état d’ontologies ou de terminologies. Dans les
dictionnaires, on trouve des définitions comme celles- ci- :

Humain : qui est formé, composé d’hommes. (TLF)


Homme : être appartenant à l’espèce animale la plus développée, sans considé-
ration de sexe. (TLF)
Humain : qui possède les caractéristiques spécifiques de l’homme en tant que
représentant de son espèce ; qui est composé d’hommes. (Larousse)
Homme : primate caractérisé par la station verticale, par le langage articulé, un
cerveau volumineux, des mains préhensibles, etc. (Larousse)

Les noms d’humain sont classés ici de la façon suivante :

– Noms propres (Adèle, Dupont, Amadeus, Diarra)


– Noms communs :
1. êtres humains généraux (personne, âme)
2. êtres humains sexués (homme, femme, garçon, fille, type, quidam)
3. êtres humains raciaux (blanc, noir, jaune, métissé,…)
4. êtres humains ethniques (Basque, Celte, Navajo,…)
5. êtres humains locatifs (Parisien, Antillais, Allemand, Européen, ..)
6. êtres humains d’orientation sexuelle (homo, hétéro, transgenre)
7. êtres humains religieux (bouddhiste, catholique, musulman, …)
8. êtres humains générationnels (jeunes, vieux, bébé, homme mur…)
9. êtres humains du point de vue physique (blonde, gaillard, cul-de-jatte, …)
10. êtres humains en rapport avec maladie (cancéreux, trisomique, tubercu-
leux, …)
11. êtres humains en rapport avec un métier (coiffeur, ouvrier, ingénieur, …)
12. êtres humains en rapport avec un titre (pape, empereur, chef de la diplo-
matie, …)

2 Les travaux d’Emile Benveniste sont prototypiques de cette approche, cf. Ben-
veniste 1966 et Benveniste 1977.

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136  Pierre-André Buvet

13. êtres humains en rapport avec une activité (collectionneur, escrimeur,


voyageur, …)
14. êtres humains collectifs (groupe, bande, quatuor, …)
15. êtres humains relationnels (frère, voisin, président, …)
16. êtres humains appréciatifs (ahuri, indécis, vantard…)

Qu’il s’agisse de prénoms comme Albert ou Clovis ou de noms de


famille comme Camus ou Hesteau de Nuysement, les noms propres
sont désormais négligés. Seuls les noms communs sont examinés. La
première classe est celle des noms d’êtres humains généraux ; ils ont
la particularité d’être neutre quant à l’appartenance à un sexe déter-
miné. La seconde classe est celle des noms d’êtres humains sexués. Les
deux premières classes sont sémantiquement proches, mais la seconde
se différencie de la première parce qu’elle contribue à la spécification
du sexe et, de ce fait, à la catégorisation des êtres humains. La caté-
gorisation caractérise également les troisième, quatrième et cinquième
classes, celle des noms raciaux, celle des noms ethniques et celle des
noms locatifs3. Il en est de même pour les sept classes suivantes. La
dénomination est fondamentale pour la catégorisation car on catégo-
rise en dénommant, cf. Bosredon 2012. Les quatorzième, quinzième et
seizième classes, celles des noms d’êtres humains collectifs, celles des
noms d’êtres humains relationnels et celles des noms d’êtres humains
appréciatifs, se prêtent moins à la catégorisation. Leurs items sont
analysés comme des prédicats du fait qu’ils dénotent une relation entre
deux êtres humains (classe 14 et 15) ou une propriété d’un être humain
(classe 16). Par ailleurs ils sont plus syncatégorématiques que catégoré-
matiques, cf. Kleiber 1981.
Désormais, il est question uniquement de la classe 11, celles des
noms d’êtres humains en rapport avec un métier.

3 Les frontières entre les noms ethniques et les noms locatifs dits gentilés (c’est-
à-dire en rapport avec une ville, une région, un pays, une communauté de pays
et celles des noms ethniques ont des propriétés communes – par exemple le fait
de s’écrire avec une majuscule à la lettre initiale – sont assez floues.

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Les noms de métier 137

3. Les noms de métier

Plus de 80  000 noms de métiers sont recensés dans le dictionnaire


ET_HU_DIC (version française). Si l’on prend en compte leurs variantes
flexionnelles, ce sont près de 300  000 substantifs qui sont listés. La
constitution de ces listes s’est faite, d’une part, à partir de la consultation
de dictionnaires généraux et spécialisés et, d’autre part, en exploitant
des corpus. Dans le second cas de figure, un système d’acquisition de
vocabulaire a été développé pour extraire automatiquement les termes
recherchés, cf. Buvet, Qin 2015.
Le dictionnaire ET_HU_DIC est un dictionnaire électronique,
c’est-à-dire une ressource linguistique conçue pour être intégrée dans
un système dédié au traitement de l’information, cf. Gala, Zock 2013. Il
comporte autant de dictionnaires qu’il existe de classes d’être humain4,
cf. supra. Pour le dictionnaire en rapport avec la classe 11, sa macros-
tructure est constituée des formes lemmatisées des noms de métier. Sa
microstructure comporte l’entrée et les descripteurs normalisés qui lui
sont associés. Le tableau ci-dessous indique comment est structuré un
article du dictionnaire.

Entrée forme lemmatisée ingénieur du son


Descripteur 1 catégorie grammaticale  N
Descripteur 2  catégorie morphologique Ncomposé
Descripteur 3  type morphologique N de LE N
Descripteur 4  variante 1 ingénieur son
Descripteur 5  variante 2 Ingénieur-son
Descripteur 6  variante 3
Descripteur 7 variante 4
Descripteur 8 hyperclasse sémantique HUMAIN
Descripteur 9 classe sémantique HUMAIN_METIER
Descripteur 10 Synonyme
Descripteur 11 domaine 1 CINEMA
Description 12 domaine 2 AUDIOVISUEL
Description 13 domaine 3

4 Les spécificités fonctionnelles des items de chaque classe expliquent cette


diversité lexicographique.

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138  Pierre-André Buvet

La deuxième colonne du tableau indique la nature des treize descrip-


teurs. La troisième colonne donne un exemple de description lexico-
graphique dans la microstructure du dictionnaire. L’entrée est un nom
de métier présenté sous sa forme lemmatisée. Les descripteurs sont des
méta-informations rattachées à l’entrée. Certains ne sont pas toujours
renseignés.
Le descripteur 1 spécifie la catégorie grammaticale de l’entrée ;
ici c’est toujours un nom. Le descripteur 2 signale si c’est un nom
simple, par exemple boucher, un nom dérivé, par exemple fromager, ou
un nom composé commandant de bord. Pour le descripteur 3, le type
dépend de la catégorie morphologique de l’entrée (nom dérivé ou nom
composé), signalée dans le descripteur 2, c’est-à-dire que ce dernier
n’est pas renseigné lorsque l’entrée est un nom simple. Sinon, lorsqu’il
s’agit d’un nom dérivé, le mode de préfixation ou de suffixation est spé-
cifié, par exemple N-eur pour vendeur, et lorsqu’on a affaire à un nom
composé, sa configuration morphosyntaxique est indiquée, par exemple
N de N pour chef de chantier. Si la tête nominale d’un composé est un
dérivé, les deux encodages sont mobilisés, par exemple N-eur de N pour
vendeur de voiture. Les descripteurs 4 à 7 se rapportent aux variantes
de l’entrée à condition qu’il s’agisse d’un composé. Ces descripteurs ne
sont pas toujours renseignés, car il n’y a pas nécessairement plusieurs
variantes flexionnelles, aucune variante étant également possible5. Les
variantes affectent uniquement les composés. Elles impliquent soit une
modification de la position des mots lexicaux dans la configuration,
par exemple responsable du marketing senior est une variante de res-
ponsable senior du marketing, soit l’insertion d’un mot grammatical
dans la configuration, par exemple ingénieur de maintenance est une
variante de ingénieur maintenance ou, inversement, l’omission d’un
mot grammatical dans la configuration, par exemple directeur innova-
tion est une variante directeur de l’innovation, soit un changement de
catégorie grammaticale de l’un des constituants, par exemple gestion-
naire du pôle financier de gestionnaire du pôle finance6. La prise en

5 Par exemple sergent n’a pas de variante.


6 Les variantes sont traitées par ailleurs comme des entrées à part entière afin de
créer un réseau de liens entre toutes les dénominations d’un nom de métier qui
mettent en jeu les mêmes principaux constituants.

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Les noms de métier 139

compte des variantes est fondamentale ici car elles illustrent le concept
de moule phraséologique, cf. infra. Les descripteurs 8 et 9 sont de nature
sémantique. Ils reprennent des informations extraites du dictionnaire
ET_HU_DI  ; le premier descripteur spécifie l’hyperclasse, le second
la classe. Les descripteurs 10 à 13 ne sont pas renseignés lorsque
l’information n’existe pas ou n’a pas été identifiée par le lexicographe.
Ils indiquent le secteur d’activité professionnelle concerné par le métier
décrit, cf. Quemada 1984.
Nous indiquons à présent quelles sont les propriétés générales de
noms de métier puis nous examinons successivement leurs propriétés
morphosyntaxiques et leurs propriétés sémantiques.

3.1. Propriétés générales

Les noms de métier appartiennent aussi bien à la langue générale, par


exemple facteur, qu’aux langues spécialisées, par exemple opérateur
fond en pétrole-gaz7. Certains noms de métier sont attestés depuis
des siècles, par exemple forgeron ou, au contraire, sont des créations
récentes, par exemple pilote de drone. Parmi ces dernières, il y a de
nombreux anglicismes, par exemple channel sales director France.
Malgré le caractère hétérogène des noms de métier, plusieurs points
saillants peuvent être relevés.
En premier lieu, sur plan morphologique, le mode de formation
des mots construits est plutôt régulier. Les noms dérivés mobilisent
un nombre limité de suffixes, le plus souvent le suffixe -eur, cf. infra.
Quant aux noms composés, ils ont en commun d’être fréquemment
endocentriques et, à ce titre, d’être réductible à leur tête nominale : chef
de projet -> chef ; agent d’entretien -> agent ; cadre comptable -> cadre.
Par ailleurs, sur le plan sémantique, des régularités sont éga-
lement observables. Ainsi, des noms de métier en -eur et des noms
de machine en -euse partagent une même racine morphosémantique
lorsqu’il s’agit de dérivés, cf. Buvet 1997 et Buvet 2016. C’est le cas
7 Dans le second cas de figure, les approches terminologiques sont souvent
mobilisées pour analyser ces substantifs car ils ont une double dimension  :
linguistique et extralinguistique, cf. Lerat 1995. Il existe toutes sortes de
nomenclatures et de taxinomies décrivant les noms de métier.

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140  Pierre-André Buvet

par exemple, du nom de métier glaneur et du nom de machine glaneuse.


Dans le contexte du monde du travail, la substitution des êtres humains
par des machines explique cette parenté entre les deux types de noms.
Les tâches effectuées par les uns et les autres sont dénommées par les
mêmes verbes, ceux qui servent de base aux noms suffixés, par exemple
glaner pour le nom de métier glaneur et le nom de machine glaneuse.
Il s’ensuit que ces deux types de substantifs sont paraphrasables par per-
sonne qui ‘V’ dans un cas, machine qui ‘V’, dans l’autre ; ainsi glaneur
équivaut à personne qui glane et glaneuse à machine qui glane. D’une
façon plus générale, les noms de métier sont très souvent sémantique-
ment transparents lorsqu’ils correspondent à des mots construits du
type dérivé ou du type composé. Cette transparence s’explique par leur
mode de construction, qui est fondé sur une prédication. Avant de l’éta-
blir, nous précisons quelles sont leurs propriétés morphosyntaxiques et
sémantiques en analysant leur structure interne.

3.2. Propriétés morphosyntaxiques

Quelle que soit leur catégorie grammaticale, deux oppositions majeures


caractérisent les mots français sur le plan morphologique : d’une part,
l’opposition mot simple vs mot construit, cf. Huot 2006 ; et d’autre part,
l’opposition unité monolexicale vs unité polylexicale, cf. Mejri 1997.
Les deux oppositions ne se recouvrent pas puisque les unités monolexi-
cales comportent des unités simples, par exemple paysan, et une partie
des mots construits, par exemple forgeron. Les unités polylexicales
concernent l’autre partie des mots construits, par exemple agent de
sureté.
Si l’analyse des unités monolexicales peut se cantonner unique-
ment à la morphologie, ce n’est pas le cas de l’analyse des unités polylexi-
cales car ces dernières ont également une dimension syntaxique ; elles
sont toutes fondées sur une construction, c’est-à-dire un agencement
structuré d’éléments8. Les constructions des unités polylexicales sont
8 Ces éléments sont généralement autonomes, c’est-à-dire ils ont des occurrences
discursives indépendantes. Plus rarement, ils sont non autonomes, c’est-à-dire
ils n’existent pas en dehors de la séquence qui les réunit, par exemple aujourd’
et hui dans aujourd’hui.

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Les noms de métier 141

atypiques, par exemple acheteur charcuterie volaille, ou bien elles sont


comparables à celles de la syntaxe libre, par exemple directeur de la
région nord de la France.
Les noms de métiers correspondant à des mots simples sont peu
fréquents. Ils représentent environ 0,5 % de la nomenclature :

artisan, avocat, caporal, marabout, ouvrier, etc.9

Les noms de métier sont surtout des mots construits correspondant à des
noms dérivés et à des noms composés. Les noms dérivés représentent
environ 6% de la nomenclature. Ce sont le plus souvent des noms suf-
fixés. Dans la majorité des cas, les noms suffixés sont formés d’une
base verbale et du suffixe -eur10. Des bases nominales sont toutefois
possibles avec divers suffixes dont le suffixe -eur. Le tableau ci-dessous
rend compte des différents cas de figure :

Base Suffixe Exemple


verbale -eur enlumineur
verbale -ent président
nominale -iste Caviste
nominale -ier douanier
nominale -ien logisticien
nominale -eur marbreur
nominale -logue radiologue
nominale -er vacher

L’essentiel des noms de métier sont donc des unités polylexicales


(93% de la nomenclature). Il s’agit principalement de composés
endocentriques. Il y a également des composés non endocentriques, qui
ne sont pas pour autant des composés exocentriques11. Ils sont formés
d’une juxtaposition d’unités monolexicales correspondant à autant de
noms de métier comme menuisier-boiseur-coffreur.
9 Certains servent de base des noms dérivés artisan / artisanat. D’autres ne le
permettent pas, par exemple avocat.
10 Le fait de se terminer par -eur n’implique pas qu’il s’agisse systématiquement
d’un dérivé, comme l’atteste docteur.
11 Le nom rouge-gorge est prototypique des noms composés exocentriques.

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142  Pierre-André Buvet

La tête nominale des composés endocentriques est un nom de


métier correspondant à une unité monolexicale12. Elle appartient à la
catégorie des mots simples, par exemple ouvrier dans ouvrier en métaux,
ou à la catégorie des mots construits, par exemple accessoiriste dans
accessoiriste de théâtre. Les expansions des composés endocentriques
sont  : 1) des groupes prépositionnels, par exemple en filature dans
coconneur en filature ; 2) des adjectifs, par exemple opérationnel dans
directeur opérationnel ; 3) des substantifs, par exemple assurance dans
directeur assurance.
Le tableau ci-dessous rend compte des différentes sortes de
groupes prépositionnels correspondant aux expansions du type 1 :

Préposition Groupe Prépositionnel Exemple


à àN infirmier à domicile
à à LE N ouvrier au pétrin / passementier à la
main
de de N peigneur de coton
de de LE N acheteur du commerce / directeur de la
photographie
en en N consultant en communication
en charge de en charge de LE directeur en charge de la mobilité
pour pour LE N directeur pour la sécurité
sur sur N ponceur sur bois

Les groupes prépositionnels en de sont très largement majoritaires et,


dans une moindre mesure ceux en en.
Les expansions du type 2 font appel à deux catégories d’adjec-
tifs  : des adjectifs prédicatifs comme général dans directeur général
et des adjectifs non prédicatifs, dits également adjectifs de relation,
comme opérationnel dans directeur opérationnel13, cf. Bosredon 1988.
Les adjectifs de la deuxième catégorie sont substituables à des groupes

12 Seule la tête nominale chef, par exemple dans chef de service, est une unité
monolexicale ne correspondant pas à un nom de métier
13 Le mot opérationnel a deux acceptions : l’une est prédicative (par exemple dans
Ce soldat est opérationnel), l’autre ne l’est pas, comme dans l’exemple traité
ci-dessus.

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Les noms de métier 143

prépositionnels en de comportant le nom morphologiquement relié à


l’adjectif de telle sorte que les séquences N A et N de le N sont séman-
tiquement équivalentes cf. Monceau 1997. Ainsi directeur opérationnel
a comme synonyme directeur des opérations. Les adjectifs du second
type ont la particularité d’interdire une telle substitution. Leurs proprié-
tés lexico-combinatoires expliquent cette interdiction, cf. infra.
Les expansions du type 3 s’analysent comme des expansions du
type 1 dont la préposition et, s’il existe, l’article défini ont été effacés :
directeur des achats / directeur achats ; ingénieur en télécoms / ingé-
nieur télécoms ; éducateur pour chien / éducateur chien ; polisseur sur
métaux / polisseur métaux. Il s’ensuit que les expansions des types 2 et
3 sont des variantes de l’expansion du type 1. Lorsqu’il s’agit de com-
posés endocentriques, les noms de métier correspondant à des unités
polylexicales sont donc formés d’une tête nominale et d’une expansion
correspondant à un groupe prépositionnel de telle sorte que leur forme
fondamentale serait :

1) N PREP (DET) N

Cette hypothèse n’est pas en contradiction avec l’existence des adjec-


tifs prédicatifs des expansions du type 2 car ils ont un statut séman-
tique spécifique. Cette spécificité est imputable à la complexité mor-
phosyntaxique des noms de métier. Les têtes nominales des composés
endocentriques sont non seulement des unités monolexicales mais éga-
lement des unités polylexicales, par exemple monteur de moules dans
monteur de moules en fonderie ou bien monteur levageur dans mon-
teur levageur en chaudronnerie. Les expansions autorisent également
des séquences nominales, par exemple, organisation et management
dans consultant en organisation et management ou lignes de cisaillage
dans opérateur de lignes de cisaillage. La combinaison des deux cas de
figure est aussi possible, par exemple opérateur de forages dirigés en
pétrole gaz ou rédacteur de presse en sciences et techniques. Il y a donc
toutes sortes de configurations. Les adjectifs prédicatifs des expansions
du type 2 ont la particularité de se combiner uniquement avec les têtes
nominales  ; ils ont pour finalité de particulariser le métier dénommé
par le substantif avec lequel ils se combinent, par exemple délégué
dans directeur délégué de la holding, principal dans agent principal

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144  Pierre-André Buvet

de Communes ou qualifié dans employé qualifié d’actuariat. D’autres


modifieurs ont un rôle similaire, par exemple junior dans consul-
tant junior en stratégie et en chef dans rédacteur en chef photos. Ces
modifieurs des têtes nominales s’observent également en l’absence des
expansions du type 1 ou assimilées : directeur délégué ; agent princi-
pal ; consultant junior correspondent aux expansions du type 2 qui ne
sont pas des adjectifs de relation.
Ces observations conduisent à reformuler l’hypothèse ci-dessus,
en rapportant tous les noms de métier, malgré leur diversité, à la forme
fondamentale suivante :

2) N (PREP (DET) N) (PREP(DET) N)

Cette forme incorpore la précédente en stipulant qu’un nom de métier


ne comporte pas nécessairement des expansions du type 1 ou assi-
milées. L’élément N en position initiale est un mot simple ou un mot
construit correspondant à un dérivé ou à un composé formé d’un adjec-
tif prédicatif ou assimilé. Les autres éléments sont facultatifs soit à titre
individuel soit en tant que groupe prépositionnel. La liste ci-dessous
illustre comment la forme fondamentale caractérise les noms de métier
indépendamment de leur diversité configurationnelle (le symbole E
indique l’absence d’un groupe prépositionnel :
(assistant chef de projet) (marketing digital) (E)
consultant (digital) (en organisation et management)
découpeur (à la scie à rubans) (en bonneterie)
directeur adjoint (E) (E)
hôtesse (d’accueil) (multisites)

L’analyse morphosyntaxique des noms de métier, que résume la seconde


forme fondamentale, ne permet pas d’expliquer le rattachement du
second groupe prépositionnel de la façon suivante :

2a) [N PREP (DET) N] [PREP (DET) N]

Ainsi, la séquence pour la France dans directeur du marketing pour


la France est globalement rattachée à la séquence directeur du marke-
ting et non au seul nom marketing. Pour faire état de la dépendance du
second groupe prépositionnel, il faut prendre en compte les propriétés
sémantiques des noms de métier.

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Les noms de métier 145

3.3. Propriétés sémantiques

L’extension maximale de la forme fondamentale des noms de métier


(version 2) est la plus informative. Elle fait état du contenu des trois
constituants majeurs : la tête nominale et les deux groupes préposition-
nels qui sont autant d’informations sur un nom de métier dénommé.
Ainsi, dans filiériste de rasage en tréfilerie, filiériste se rapporte à une
fonction professionnelle, de rasage à une activité professionnelle et
en tréfilerie à un secteur d’activité professionnelle. Dans directeur
financier pour l’Europe de l’Est, directeur se rapporte à une fonc-
tion professionnelle, financier à une activité professionnelle et pour
l’Europe de l’Est à une zone d’activité professionnelle.
Dans les groupes prépositionnels, des informations de nature
différente s’observent avec une même préposition. Par exemple, la
préposition pour introduit une activité professionnelle et une zone
d’activité professionnelle dans secrétaire général pour les affaires
régionales, un secteur d’activité professionnelle dans gainier écrins
pour instrument de musique, et une zone d’activité professionnelle dans
administrateur général pour la France. Par ailleurs, elles sont souvent
interchangeables  : secrétaire général des affaires régionales est une
variante attestée de secrétaire général pour les affaires régionales et
gainier écrins sur instruments de musique de gainier écrins pour ins-
trument de musique. De plus, les prépositions ne sont pas toujours men-
tionnées, par exemple administrateur général France est une variante
attestée de administrateur général pour la France. Du point de vue de
l’analyse de la structure interne des noms de métier, les prépositions ne
sont donc pas des indicateurs fiables pour inférer le contenu sémantique
du groupe prépositionnel.
Les trois catégories de contenus sémantiques des groupes prépo-
sitionnels, c’est-à-dire en rapport avec une activité professionnelle, un
secteur d’activité professionnelle et une zone d’activité professionnelle,
justifient de reformuler à nouveau l’hypothèse initiale en rapportant les
noms de métier à la forme fondamentale suivante :

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146  Pierre-André Buvet

3) N (PREP (DET) N) (PREP(DET) N) (PREP(DET) N)


L’extension maximale de cette forme n’est pas attestée car les noms
de métier recensés sont au plus formés d’une tête nominale et de deux
groupes prépositionnels. Néanmoins la version 3 de l’hypothèse initiale
a le mérite de définir un nom de métier, comme la combinaison d’une
fonction professionnelle, d’une activité professionnelle, d’un secteur
d’activité professionnelle et d’une zone d’activité professionnelle. Une
fonction professionnelle, ou une activité professionnelle, impliquant un
secteur d’activité professionnelle, cela explique que cette dernière soit
parfois implicite. Par ailleurs, une zone d’activité professionnelle est
occultable parce que sa spécification n’a pas le même caractère obli-
gatoire selon la fonction professionnelle. Il existe une solidarité plus
forte entre une fonction professionnelle et une activité professionnelle,
comme l’attestent les nombreux noms de métier recensés. Les deux
informations forment un premier bloc informatif telle que le rattache-
ment des autres informations s’effectue relativement à ce bloc et non
à la seule fonction professionnelle ; il s’ensuit le parenthésage de la
formule 2a.
L’extension minimale d’un nom de métier est un substantif cor-
respondant à une unité monolexicale ou polylexicale. Le nom de métier
est alors limité à un nom fonction, par exemple médecin ou chef de
projet. Le substantif est compatible avec des modifieurs. Il s’agit en
majorité d’adjectifs : secrétaire (E+ général) ; caissier (E +principal) ;
professeur (E+ titulaire). Ils indiquent le statut hiérarchique ou admi-
nistratif associé à la fonction professionnelle : (chef + E) accessoiriste ;
Ils peuvent se combiner entre eux : chef adjoint enquêteur.
Les modifieurs des noms de fonction professionnelle s’observent
également lorsque les noms de métier sont formés d’une tête nominale
et d’au moins un groupe prépositionnel ou assimilé : consultant (E +
junior) en stratégie ; souscripteur (E + junior) maritime et transports.
Le modifieur ne se combine pas nécessairement avec la tête nomi-
nale : chef de projet (E + junior). Ce dernier point corrobore la cohé-
sion de l’association entre une fonction professionnelle et une activité
professionnelle au sein d’un nom de métier.

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Les noms de métier 147

4. La notion de moule phraséologique

Les noms de métier du français sont très hétérogènes. Cette hétérogé-


néité se manifeste en termes de diversité dénominative, de non fixité des
unités polylexicales et de variabilité de l’extension des séquences nomi-
nales. Pour autant, les différentes propriétés linguistiques des noms de
métier passées en revue ci-dessus attestent qu’au-delà de leur grande
diversité sémantique et syntaxique, ils ne sont pas exempts de régula-
rités. C’est pourquoi il est possible d’expliquer leur mode de forma-
tion à partir d’un nombre limité de règles dont l’assemblage hiérarchisé
constitue un moule phraséologique.
L’étude des données montre qu’une grande diversité dénomina-
tive caractérise les noms de métier. Plusieurs dénominations sont pos-
sibles pour un métier donné. Par exemple, créateur de notes de syn-
thèse, concepteur de notes de synthèse et rédacteur de notes de synthèse
sont des termes synonymes. L’étude montre également que le critère
de la fixité ne s’applique pas toujours aux noms de métier qui sont
des noms composés. Par exemple, le modifieur associé est observable à
différentes positions : associé directeur des finances, directeur associé
des finances et directeur des finances associé. La même observation vaut
pour le composant pour l’Europe : directeur pour l’Europe des finances
et directeur des finances pour l’Europe. De même, l’ordre des compo-
sants correspondant à un secteur d’activité professionnelle ou une zone
d’activité professionnelle est parfois interchangeable. Par exemple,
en ingénierie biomédicale et pour la région PACA s’observent aussi
bien en seconde position qu’en troisième position : auditeur interne en
ingénierie biomédicale pour la région PACA ; auditeur interne pour
la région PACA en ingénierie biomédicale. Par contre, le composant
correspondant à une fonction professionnelle est toujours en première
position.
La profusion lexicale et combinatoire des noms de métier ne doit
pas masquer qu’ils sont fondés sur des invariants syntaxique et com-
binatoire. La version 3 de leur forme fondamentale participe de cette
analyse. De même, au niveau logico-sémantique, il apparaît qu’un nom

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148  Pierre-André Buvet

de métier s’appuie sur une structure prédicat-argument telle que le pré-


dicat équivaut à une fonction professionnelle14.
Le caractère prédicatif des noms de fonction professionnelle est
évident lorsqu’ils correspondent à des suffixés, ce qui est très souvent
le cas. En effet, ces substantifs mentionnent explicitement un prédicat
comme le montrent la paraphrase d’un suffixé à base verbale, monteur
=> personne qui monte, et la paraphrase d’un suffixé à base nominale
chimiste => personne qui fait de la chimie15. Lorsque le nom de fonction
professionnelle est un mot simple, il n’est en pas moins porteur d’une
prédication. Par exemple, la définition du nom avocat est constitutive
de sa dénomination : « personne amené à plaider devant les tribunaux ».
La prédication portée par le nom de fonction professionnelle met
en relation trois arguments en rapport respectivement avec une activité
professionnelle, un secteur d’activité professionnelle et une zone d’ac-
tivité professionnelle. La présence des trois arguments dans la dénomi-
nation est plus ou moins facultative ; Si l’argument en rapport avec l’ac-
tivité professionnelle est souvent spécifié, ce qui explique la solidarité
entre cette information et celle portant sur la fonction professionnelle,
c’est moins souvent le cas pour les arguments en rapport avec le secteur
d’activité professionnelle et la zone d’activité professionnelle.
Ce schéma sémantique est à l’origine des noms de métier. Il
rend possible la modélisation d’un moule phraséologique propre à
ces substantifs en intégrant la version 3 de leur forme fondamentale.
Le moule phraséologique prend en compte les contraintes lexicales et
les contraintes syntaxiques qui caractérisent les noms de métiers. Les
contraintes syntaxiques portent sur la construction et sur la combinatoire
de ses éléments. Nous présentons ci-dessous les différentes règles qui
constituent la matrice phraséologique. Ces règles précisent les diffé-
rentes configurations possibles sur le plan lexico-syntaxique. Elles font
état de la structure interne des noms de métier existants, indépendam-
ment de leur diversité sémantique et formelle, et permettent de prédire
la création de nouveaux noms de métier.

14 Sur les notions de prédicat et d’argument mises en avant ici, cf. Blanco et Buvet
2009, Mejri 2017.
15 Certains suffixés sont plus compliqués à analyser. Par exemple, dentiste =>
personne qui soigne les dents.

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Les noms de métier 149

Métarègle1 FONCTION (ACTIVITE, SECTEUR_ACTIVITE, ZONE_ACTI-


VITE)
Métarègle 2 [N PREP (DET) N] [PREP (DET) N] [PREP (DET) N]
Règle 1 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (MODIFIEUR_Fonction
+ E) (PREPOSITION_Métier + E) (Nactivité + E) (PREPOSI-
TION_Métier + E) (Nsecteur_activité + E)
Règle 2 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (PREPOSITION_Métier
+ E) (Nactivité + E) (MODIFIEUR_Fonction + E) (PREPOSI-
TION_Métier + E) Nsecteur_activité + E)
Règle 3 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (MODIFIEUR_Fonction
+ E) (PREPOSITION_Métier + E) (Nactivité + E) (PREPOSI-
TION_Métier + E) (Nzone_activité + E)
Règle 4 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (PREPOSITION_Métier
+ E) (Nactivité + E) (MODIFIEUR_Fonction + E) (PREPOSI-
TION_Métier + E) Nzone_activité + E)
Règle 5 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (MODIFIEUR_Fonction
+ E) (PREPOSITION_Métier + E) (Nsecteur_activité + E) (PRE-
POSITION_Métier +E) (Nzone_activité+E)
Règle 6 (MODIFIEUR_Fonction + E) Nfonction (MODIFIEUR_Fonction
+ E) (PREPOSITION_Métier + E) (Nsecteur_activité + E) (PRE-
POSITION_Métier + E) (Nzone_activité + E)

Les métarègles font état des principes généraux qui sous-tendent la


formation des noms de métier. La métarègle 1 est une mention de la
structure prédicat-argument décrite ci-dessus. La métarègle 2 est une
variante de la version 3 de la forme fondamentale  ; elle indique le
degré de solidarité des groupes prépositionnels ou assimilés à la tête
nominale. Les six règles stipulent les configurations possibles compte
tenu des contraintes lexicales, par exemple le premier composant est
toujours formé d’un nom de fonction professionnelle16. Le symbole
E signifie vide  ; il permet d’indiquer que l’élément avec lequel il se
combine est facultatif. Le symbole + signifie ‘ou’, au sens booléen du
terme. Les étiquettes sémantiques mentionnées subsument le lexique
que l’on trouve dans les différentes positions. Des restrictions de sélec-
tion restreignent la combinatoire lexicale. Par exemple en façonnage est
possible à droite de secoueur de papier mais pas en blanchisserie. Elles
ne sont pas détaillées ici.

16 Les six règles peuvent faire l’objet d’une représentation sous la forme d’un seul
graphe qui précise toutes les configurations possibles.

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150  Pierre-André Buvet

Faute de place, des particularités des noms de métier n’ont pas


été prises en compte ici. Notamment, la présence de trait d’union, par
exemple inspecteur-chef, la présence de composants en anglais, par
exemple analyste sell side pour les biens d’équipement Europe, la coor-
dination de deux composants majeurs, par exemple chargé d’études
qualité et environnement ou la concaténation de plusieurs fonctions,
par exemple ouvrier monteur câbleur en électronique et cf. supra. La
prise en compte de ces particularités nécessite une modélisation de la
matrice phraséologique plus développée.

5. Conclusion

Trois mécanismes sont à l’œuvre dans la matrice phraséologique étu-


diée ici, il s’agit de trois des capacités linguistiques dont disposent les
humains. La première est la capacité lexicale, c’est-à-dire le stockage
des mots de la langue. La seconde est la capacité structurelle qui porte
sur l’organisation des niveaux morphologique, syntaxique et séman-
tique de la langue et sur l’imbrication de ces niveaux. La troisième est
la capacité combinatoire, qui permet à la langue d’exprimer un même
concept de toutes sortes de façons. Cette capacité est dépendante des
deux précédentes.
La modélisation de la matrice lexicologique a donné lieu à la
création d’une grammaire locale implémentée, dans le cadre du traite-
ment automatique, sous la forme d’un transducteur à états finis, c’est-à-
dire un outil informatique qui a vocation à identifier automatiquement
l’information dans un texte et à la qualifier, cf. Buvet 2016. Cette gram-
maire locale simule les trois capacités linguistiques évoquées ci-dessus.
La capacité lexicale est reproduite en exploitant des dictionnaires élec-
troniques de grande ampleur. La capacité structurale s’appuie sur les
descriptions formalisées des structures morphologiques, syntaxiques
et sémantiques des langues. La capacité combinatoire est simulée à
partir du calcul des combinaisons de mots, ou de groupes de mots,
pertinentes. L’extraction automatique des noms de métier à partir de

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Les noms de métier 151

cette grammaire locale et l’évaluation des résultats obtenus ont validé


les hypothèses sur l’objet théorique étudié, en l’occurrence la matrice
phraséologique relative aux noms de métier.
D’autres matrices phraséologiques sont étudiées dans cette
perspective, notamment celle en rapport avec les noms d’artefact, par
exemple cylindre des systèmes de freinage et d’embrayage. L’objectif
général est de valider à termes le concept de matrice phraséologique et
d’en comprendre le mode de fonctionnement.

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Paris : Gallimard.
Benveniste, Emile 1974. Problèmes de linguistique générale, tome 2,
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word Terms in French », Actes du Colloque Europhras 2015.

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152  Pierre-André Buvet

Gala, Nuria/ Mickael Zock (éds) 2013. Ressources Lexicales Contenu,


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Kleiber, Georges 1981. Problèmes de référence : descriptions définies
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Mejri, Salah 1997. Le figement lexical  : descriptions linguistiques et
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Mejri, Salah 2017. « Les trois fonctions primaires. Une approche systé-
matique. De la congruence et de la fixité dans le langage » in De
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Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français, 2e série, Vol. 2,
Paris : Klincksieck.

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Àngels Catena

Les locutions verbales du champ sémantique


communication en espagnol et en français.
Identification des composantes sémantiques

1. Introduction

Le présent travail s’inscrit dans la continuité des recherches menées au


sein du laboratoire fLexSem (Phonétique, Lexicologie et Sémantique)
de l’Université Autonome de Barcelone dans le cadre du projet Label-
Sem1 qui vise à développer une hiérarchie d’étiquettes sémantiques
pour l’espagnol et pour le français.
Les notions que nous utiliserons pour la description des lexies sont
empruntées à la Lexicologie Explicative et Combinatoire (Mel’čuk et al.
1995 et Mel’čuk 2006). La notion d’étiquette sémantique prend appui
sur celle de genre prochain ou de composante centrale d’une définition
analytique. Ce type de définition consiste à décomposer le sens lexical de
manière à identifier la composante centrale de la structure sémantique,
c’est-à-dire, la paraphrase minimale du sens lexical en question. Pre-
nons la lexie PERMITIR (Me permitió volver después de las diez ‘il m’a
permis de rentrer après dix heures’). La composante centrale de l’unité
lexicale PERMITIR a une structure interne dans laquelle le sémantème
‘communiquer’ est le pivot sémantique classifiant (X communique à Z
que Y (Z) n’est pas contraire à la volonté de X)2. L’étiquette sémantique

1 Cette recherche est financée par le Ministerio de Economía y Competitividad


(Espagne) dans le cadre du projet FFI-2013-44185-P Jerarquía de etiquetas
semánticas (español y francés) para los géneros próximos de la definición lexi-
cográfica.
2 Pour faciliter la lecture, la langue utilisée dans les définitions est le français.

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154  Àngels Catena

decir algo3 ‘dire quelque chose’ correspond à l’expression norma-


lisée du genre prochain et elle établit une classe sémantique comprenant
toutes les lexies4 qui, comme PERMITIR, organisent leur sens autour
du même genre prochain. Étant donné que ce verbe est un prédicat
sémantique, il est associé nécessairement à une formule actancielle (la
personne X ~ le fait Y (Z) à la personne Z) dans laquelle sont identifiés
ses actants sémantiques. Dans cet exemple, une étiquette sémantique est
également attribuée à chaque variable afin de représenter les restrictions
sémantiques imposées aux actants  : ici, l’étiquette personne indique
que l’expression des actants X et Z peut correspondre à un individu (mi
padre ‘mon père’) ou à une entité sociale (el comité ‘le comité’) tandis
que le deuxième actant est nécessairement un fait.
Les unités lexicales qui présentent une ambivalence sémantique,
c’est-à-dire qui ont une double composante centrale, sont associées
à des étiquettes sémantiques complexes  (cf. à ce propos Milićević,
Polguère, 2010). Dans l’exemple suivant, la lexie CONSEJO peut
dénoter un acte de communication langagière (se pasa el día haciendo
sugerencias sobre ese tema ‘il passe son temps à faire des suggestions à
ce propos’) ou l’énoncé qui en résulte (recuerdo dos sugerencias suyas
‘je me souviens de deux de ses suggestions’) mais il s’agit de la même
unité lexicale puisque les deux contenus sémantiques peuvent être
réunis dans un même énoncé en respectant le critère de cooccurrence
sémantique compatible (se pasa el día haciendo sugerencias pero solo
recuerdo dos ‘il passe son temps à faire des suggestions mais je me
souviens de deux seulement’) :

(1) SUGERENCIA
acte de communication langagière et/ou énoncé
~ Y de la persona X a la persona Z sobre el hecho W
Composante centrale :
Communication langagière par laquelle la personne X suggère.1 Y à la
personne Z
et/ou
Énoncé correspondant

3 Par convention, nous représentons les étiquettes sémantiques en police non pro-
portionnelle, les sémantèmes entre guillemets simples, les unités lexicales et les
vocables en majuscules.
4 Nous utilisons le terme lexie comme synonyme d’unité lexicale.

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Les locutions verbales du champ sémantique 155

À l’heure actuelle, notre projet a recensé environ 700 étiquettes séman-


tiques en espagnol attribuées à 13  000 unités lexicales simples. S’il
est vrai qu’une étape préliminaire de la recherche avait été consacrée à
l’étiquetage des verbes prédicatifs (Blanco 2007), il s’agit d’un projet
moins développé pour l’instant car l’essentiel du travail repose sur
l’élaboration d’une hiérarchie d’étiquettes sémantiques de noms de
hechos (‘faits’) que nous appellerons dorénavant JESHE (Blanco 2010,
2016). Pour l’élaboration de la JESHE, nous nous sommes basés sur
les travaux présentés pour le français par l’équipe ATILF (Analyse et
Traitement Informatique de la Langue Française, Université de Lorraine)
et par l’Observatoire de Linguistique Sens-Texte (OLST, Université de
Montréal)5. Le nombre total d’étiquettes de la hiérarchie ne peut pas
être fixé d’avance car la hiérarchie est construite principalement de
façon inductive à partir de l’identification du genre prochain des lexies
étudiées. Il est important de souligner que les étiquettes sémantiques ne
sont pas universelles mais dépendantes de chaque langue. Cependant,
des mécanismes de connexion différents entre hiérarchies peuvent être
proposés pour des applications translinguistiques et d’autant plus entre
l’espagnol et le français car ces deux langues présentent une grande
similitude en ce qui concerne la structuration sémantique du lexique.
À partir des travaux mentionnés ci-dessus, nous présenterons
dans cet article les principes du classement sémantique que nous
sommes en train d’appliquer actuellement afin d’intégrer l’étiquetage
sémantique des locutions dans le cadre du projet LabelSem.
Le reste de l’article est structuré de la façon suivante : dans un
premier temps, nous aborderons l’intérêt de développer des analyses
sémantiques des locutions  dans le cadre des descriptions lexico­
graphiques  ; nous présenterons ensuite le champ sémantique de la
communication langagière et les critères retenus pour délimiter les
frontières des entités locutionnelles  ; finalement, nous analyserons
certaines configurations sémantiques propres aux locutions du champ
sémantique de communication langagière.

5 Cf. Milićević (1997), Polguère (2003) ou Mel’čuk & Polguère (2007).

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156  Àngels Catena

1. Décomposition sémantique des locutions

Malgré l’intérêt croissant suscité par la phraséologie et l’abondante


littérature sur le sujet pendant les dernières décennies aussi bien
en français qu’en espagnol, la description des locutions dans les
dictionnaires traditionnels reste très insuffisante et l’analyse du sens
est souvent approximative (2) ou bien il s’agit d’une simple mise en
relation avec d’autres lexies quasi-synonymes (3)6 :

(2) ROMPER UNA LANZA (DLE) : 1. Loc.verb. Salir en defensa de alguien


o algo (‘prendre la défense de quelqu’un ou de quelque chose’)
(3) MONTRER LES DENTS (TLFi) : Menacer

En effet, la définition proposée dans (2) reste imprécise (malgré son effi-
cacité) car elle ne tient pas compte, entre autres, du fait que cette locu-
tion dénote la manifestation d’une opinion sur quelque chose (souvent
par le biais d’un acte de communication langagière) et que cette opinion
est manifestée pour la première fois contre l’opinion générale. Ainsi, il
n’est pas possible d’utiliser cette locution et salir en DEFENSA [DE N]
dans les mêmes contextes :

(4) Cuando le pegaron, salió en defensa de /?? rompió una lanza por su her-
mano y terminó muerto
‘Quand ils l’ont frappé, il a pris la défense de / rompu une lance pour son
frère et il a fini par mourir’7
(5) Cada vez son más y más las personas que salen en defensa de / ??rompen
una lanza por el referéndum.
‘Il y a de plus en plus de personnes qui prennent la défense du / rompent
une lance pour le référendum

Dans l’exemple (3), il n’y a pas de véritable définition puisqu’il s’agit


d’une relation de quasi-synonymie dans laquelle il n’y a pas de décom-
position du sens. Cette relation est, par ailleurs, proposée avec une
6 Sans oublier le fait que, d’un côté, les éléments lexicaux de la définition ne
sont pas désambiguïsés (les sens contenus dans la définition doivent être plus
simples que ceux de la lexie à définir).
7 Pour éviter la confusion entre les formes et les sens dans les deux langues, les
locutions des exemples espagnols sont traduites littéralement en français.

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Les locutions verbales du champ sémantique 157

forme polysémique car il n’est pas précisé avec quelle(s) acception(s)


du vocable MENACER s’établit cette relation.8
Le deuxième inconvénient concernant le traitement lexicogra-
phique des locutions est en rapport avec l’instabilité de cette notion
et il n’est pas rare de constater des hésitations quant au statut des
entités lexicales dans les différents dictionnaires. Ainsi, PASSER UN
SAVON est considéré comme une locution dans le Petit Robert et dans
le TLFi mais dans ce dernier dictionnaire on propose en même temps
une définition du lexème SAVON avec le sens ‘sévère réprimande’ ;
ce lexème est décrit de façon similaire dans le Larousse (en ligne)
mais cette fois-ci il n’est pas fait mention de la locution. De même, le
lexème PESTE (pl.) est traité comme une unité lexicale (précédée du
verbe echar dans les exemples) dans le DLE et dans le CLAVE mais
il apparaît en même temps dans la locution DECIR PESTES dans
ces mêmes dictionnaires. Le DUE réserve une entrée pour DECIR
(o ECHAR) PESTES et dans le GDUEA, le nom PESTE reçoit le
traitement de lexie mais il est indiqué que ce nom peut se combi-
ner avec les verbes echar, decir ou lanzar pour désigner une critique
envers quelqu’un ou quelque chose.
Il est important de souligner que les syntagmes sémantiquement
non compositionnels ont fait l’objet de nombreuses recherches sous
des orientations diversifiées, parmi lesquelles on peut trouver des
approches sémantiques (citons, à titre d’exemple, Penadés Martínez
2012 et Aznárez 2006). Pour ce qui est des travaux élaborés dans le
cadre de la LEC, le traitement lexicographique des phrasèmes en
général a fait l’objet de nombreuses publications (cf. Mel’čuk 2011,
2013 et 2015) et les locutions sont décrites comme des unités à part
entière aussi bien dans le Dictionnaire explicatif et combinatoire du
français contemporain, (DECFC) que dans le Lexique Actif du Fran-
çais (LAF). Plus récemment, la polysémie des locutions françaises a été
abordée dans Pausé & Sikora (2016). Cependant, il est difficile à notre
connaissance de trouver des travaux dans lesquels il est question de la
structuration du sens d’une classe sémantique de locutions. Ce travail a
donc un double objectif : d’une part, il nous permettra de développer le

8 Pour une étude critique de la décomposition sémantique dans les dictionnaires


de langue générale en français et en anglais cf. Frassi (2016).

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158  Àngels Catena

système d’étiquettes verbales de la hiérarchie et d’autre part, il se veut


une contribution au traitement lexicographique de ces unités lexicales
sur un pied d’égalité avec les unités lexicales simples.

2. Délimitation du champ d’étude

Comme il a été indiqué précédemment, nous nous intéressons aux


locutions appartenant au champ sémantique de la communication
langagière. Avant de continuer notre analyse, il convient de distinguer
la notion de champ sémantique de celle de champ lexical et de classe
sémantique9.
Par «  champ sémantique  » nous entendons une classe d’unités
lexicales qui possèdent dans leur définition un composant sémantique
donné en position stratégique (Polguère 2013). Ainsi, le champ séman-
tique de la communication10 comprend en français des unités lexicales
contenant le sémantème ‘dire1’ et, en espagnol, des unités lexicales qui
contiennent le composant sémantique ‘decir1a’.11 L’appartenance à un
champ sémantique est de nature graduelle, car le sémantème peut faire
partie du genre prochain de la définition (composante centrale) ou appa-
raître dans des positions plus ou moins périphériques.
Il est important de remarquer qu’un champ sémantique est un
classement des lexies tandis qu’un champ lexical est un classement des
vocables. Un vocable appartient au champ lexical L si la lexie de base
de ce vocable appartient au même champ sémantique S que les lexies de
base des autres vocables de L. Ainsi, le vocable DAR CALABAZAS (≈
‘refuser’) comprend (au moins) deux unités lexicales DAR CALABA-
ZAS I.1 (≈ ‘l’individu X s’oppose à ce que l’individu Y soit considéré

9 Pour plus de détails, cf. Polguère (2011).


10 Nous empruntons le nom du champ sémantique à la liste des champs séman-
tiques proposée dans le Lexique Actif du Français (Mel’čuk & Polguère 2007).
11 Nous nous appuierons sur les acceptions proposées par le Trésor de la Langue
Française informatisé (TLFi) [http  ://www.atilf.fr/tlfi] pour le français et sur
les acceptions proposées dans le Diccionario de la Lengua Española (DLE)
[http ://dle.rae.es/index.html] pour l’espagnol.

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Les locutions verbales du champ sémantique 159

comme ayant réussi Z’) et DAR CALABAZAS I.2 (≈ ‘Réagissant à une


proposition amoureuse de Y, l’individu X s’oppose à la proposition de
Y [et X dit à Y qu’il s’oppose à la proposition de Y])12, comme l’illustre
l’exemple suivant :

(6) Le han dado calabazas en matemáticas (‘il a été refusé en mathéma-


tiques’)
(7) El hombre de mis sueños me ha dado calabazas (‘l’homme de mes rêves
m’a refusé’)

Si l’on s’en tient aux définitions proposées dans le DLE, la lexie de base
(c’est-à-dire, la lexie à partir de laquelle est dérivé le sens des lexies
copolysèmes) serait DAR CALABAZAS I.1 ce qui exclut ce vocable
du champ lexical de communication car cette locution ne contient pas
le semantème ‘dire’ dans sa struture sémantique13.
D’un autre côté, une classe sémantique regroupe toutes les
lexies qui ont la même étiquette sémantique. Dans la JESHE, la classe
sémantique des noms de comunicación lingüística (‘com-
munication langagière’) fait partie à son tour de la classe acto de
comunicación (‘acte de communication’) et a comme étiquettes filles
les classes sémantiques declaración (‘déclaration’), intercambio
de palabras (‘échange de propos’), hecho de preguntar (‘fait
de questionner’), reprimenda (‘réprimande’). Comme il a été signalé
précédemment, il est nécessaire d’identifier la composante centrale de la
définition lexicographique d’une lexie avant de lui attribuer une étiquette
sémantique (qui n’est que la formule standardisée d’une classe de genres

12 La composante entre parenthèses est une composante faible (cf. Milićević


2008) car on peut DAR CALABAZAS I.2 avec un geste ou un comportement
précis mais très souvent ce refus est communiqué verbalement. La cooccur-
rence compatible montre qu’il s’agit d’une seule lexie : Me han dado calabazas
a veces a gritos pero también con una simple mirada (‘On m’a refusé parfois
à grands cris mais aussi avec un simple regard’). À notre avis, il y aurait une
troisième lexie DAR CALABAS1.2.b. avec un sens très proche signifiant le fait
de ‘refuser une proposition’ mais sans la restriction du domaine sentimental.
13 L’identification de la lexie de base d’un vocable n’est pas toujours une tâche
aisée et doit correspondre au sens de base en synchronie. Dans l’exemple cité,
il n’est pas incontestable que le sens de base du vocable soit de nos jours celui
que le DLE propose en premier. La notion de champ lexical reste cependant la
même quelle que soit l’orientation de la dérivation adoptée.

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160  Àngels Catena

prochains équisignifiants), c’est pourquoi dans cette étape préliminaire


nous nous concentrerons sur les composantes sémantiques qui structurent
les sens des locutions.
Dans un premier temps, nous avons recensé autour de 200 locu-
tions verbales espagnoles et 140 locutions verbales françaises suscep-
tibles d’appartenir au champ sémantique de la communication.14
Rappelons que dans la LEC, une locution est un phrasème
sémantiquement non compositionnel. On distingue les locutions fortes
des locutions faibles. TIRER LES VERS DU NEZ est une locution
forte parce que le sens global ‘≈ faire parler quelqu’un sur un sujet
dont il ne veut pas ou ne doit pas parler’ ne correspond pas à la somme
des sens des éléments qui l’intègrent. Cependant, le sens de DAR A
ENTENDER (lit. ‘donner à comprendre’) ne peut pas être réduit à la
somme du causatif DAR et du verbe COMPRENDRE car on ne dira
pas d’un professeur qui fait comprendre un exercice à ses élèves ? el
profesor dio a entender el ejercicio a sus alumnos (‘le professeur a
donné à comprendre l’exercice à ses élèves’). Pour expliquer le sens
de cette locution on aura besoin de prendre en compte d’autres aspects
comme par exemple le fait qu’on communique quelque chose sans le
dire directement15.
Il découle de cette approche que certaines entités lexicales qui fai-
saient partie de notre liste de départ ne remplissent pas les critères des
locutions verbales. Voici quelques exemples de « pseudo-locutions » qui
ont été écartées :

– Andarse con RODEOS (≈ ‘tourner autour du pot’), mettre


l’ACCENT sur quelque chose. On a affaire ici à des colloca-
tions dont la base RODEO (‘détour’) ou ACCENT a une certaine
autonomie vis-à-vis du verbe support tout en gardant le même

14 La sélection a été réalisée, fondamentalement, à partir d’ouvrages monolingues


ou bilingues dans lesquels les locutions (et autres phrasèmes) sont classées à
partir de critères notionnels, parfois avec des équivalents de traduction proposés
(cf. entre autres, Mogorron, 2002 ; González-Rey, 2012 ou Aznárez, 2006).
15 Dans Mel’čuk (2015) il est question d’un troisième groupe de locutions dont le
sens global inclut le sens d’un des lexèmes qui l’intègre mais ce sens, comme
dans le cas des locutions faibles, ne peut pas être le pivot sémantique, contrai-
rement à ce qui arrive avec les collocations.

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Les locutions verbales du champ sémantique 161

sens : Lo dijo sin rodeos (‘il l’a dit sans détours’) ; Une pédago-


gie d’excellence avec un accent sur l’employabilité ;
– DEMANDER la lune, PROMETER el oro y el moro, PARLER
aux murs sont également des collocations dans lesquelles un
complément est lexicalisé. Les deux premières sont des collo-
cations qui peuvent être modélisées avec des fontions lexciales
standard16 tandis que la troisième ne peut pas être modélisée au
moyen de ces fonctions lexicales parce que le lien sémantique
entre la base et le collocatif est trop spécifique (PARLER ‘à
quelqu’un qui n’écoute pas’).
– dire LE DERNIER MOT ou sacar (a relucir) LOS TRAPOS
SUCIOS. Il s’agit de locutions nominales (ex  : C’est votre
dernier mot ? / Está al corriente de los trapos sucios del partido
[‘vous êtes au courant du linge sale du parti’]
– DECIR por DECIR  : La construction syntaxique Vinf por
Vinf (ex.  : hablar por hablar, comer por comer, escribir por
escribir….) est porteuse d’un sens spécifique en espagnol (‘faire
une action sans but précis, de façon un peu absurde’) et fait partie
des phrasèmes syntaxiques.17

Il arrive parfois que la même structure formelle corresponde à une col-


location et à une locution différente. Ainsi, dans les exemples suivants
on a affaire à une collocation dans (8) et une locution dans (9) :

(8) L’effondrement du Grand-Duc nous avait mis en garde contre les périls de
la suffisance (La Vallée des masques, Tarun Tejpal)
(9) Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a
mis en garde mercredi le président américain Donald Trump contre un
éventuel retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le changement
climatique18

16 Le lien sémantique entre la base et le collocatif peut être modélisé au moyen de


fonctions lexicales complexes : [Magn2 + AntiVer2]S2 (demander) = la lune et
[Magn2 + AntiVer2]S2 (prometer) = el oro y el moro.
17 Il est à remarquer une autre construction syntaxique très proche Vinf por (no)
Vinf (ex. : hablar por no callar, reir por no llorar, fumar por no comer….) avec
le sens ‘faire l’action A dans le but d’éviter l’action B’.
18 Cf. <https ://www.rtbf.be >

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162  Àngels Catena

Ces exemples montrent que la collocation mettre EN GARDE (9) est


composée d’un verbe causatif et d’une locution adjectivale EN GARDE
dont le sens est proche de ‘causer que quelqu’un soit en garde contre
quelque danger’, c’est-à-dire, ‘causer que quelqu’un soit vigilant’. En
revanche, dans (10) on est face à un verbe de communication langagière
et rien n’indique que le fait de dire à une personne qu’une action future
peut avoir des conséquences négatives pour elle implique que cette per-
sonne soit vigilante ou soit en garde contre ce fait.
Signalons pour terminer quelques cas plus complexes. Cer-
taines locutions comme JETER/RAMASSER/ RELEVER LE GANT
admettent des opérations syntaxiques telles que la passivation (10) ou
la cliticisation (11) et un de leurs éléments (ici, le nom gant) semble
garder une certaine stabilité sémantique :

(10) Mais c’est la pierre de touche de la démocratie, de la démocratie


moderne, de l’Europe électronique, un gant jeté par l’Europe aux autres
pour qu’ils relèvent le défi
(11) La France jette le gant et Zaccagno le relève19

Pour Mel’čuk (2015), ces constructions syntaxiques dérivent d’opéra-


tions sémantiques en rapport avec la structure communicative, ce qui
démontre que ce ne sont pas de vraies locutions mais des collocations
contenant un « lexème unique » du français. Par conséquent, il faudrait
admettre l’existence d’une nouvelle acception du vocable GANT avec
un sens synonyme de ‘défi’. Cependant, nous préférons adopter une
solution plus « traditionnelle » et continuer à considérer qu’il s’agit de
séquences non-compositionnelles, donc des locutions. Nous rejoignons
ainsi l’hypothèse avancée dans Pausé & Sikora (2016) selon laquelle la
structure lexico-syntaxique des locutions et leur définition lexicogra-
phique permettraient d’expliquer les variations formelles admises ou
bloquées pour chaque locution.
Dans la prochaine section, nous étudierons les configurations
sémantiques à l’oeuvre dans les éventuelles définitions des locutions
retenues dans le but de dégager la composante centrale de chaque locu-
tion et proposer par la suite une étiquette sémantique permettant de
classer les lexies analysées. Comme il a été souligné précédemment,

19 Cf. <http ://www.europarl.europa.eu] et [http ://fr.fifa.com>

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Les locutions verbales du champ sémantique 163

l’attribution des étiquettes ne peut se faire sans un travail approfondi du


lexique. Étant donné que dans notre projet les lexies verbales n’ont pas
été suffisamment étudiées, nous ne prétendons pas proposer un système
d’étiquettes sémantiques complet mais uniquement un échantillon de
classification sémantique.

3. Composantes sémantiques et définitions préliminaires

Le sens ‘dire’ fait partie des primitifs sémantiques cités dans Wierzbicka
(1996). Selon l’auteur, ce prédicat a deux actants sémantiques obliga-
toires  (un agent qui réalise l’acte de communication langagière et le
contenu de cet acte) et deux actants optionnels (celui à qui s’adresse l’acte
de communication et le thème sur lequel on dit quelque chose).
En espagnol et en français, ce sens peut être lexicalisé par les verbes
de parole dire et parler, qui se distinguent par la structure informative à
laquelle ils sont associés. Comme le signale Fernández Lorences (2012),
les verbes du paradigme de parler sont utilisés de préférence pour expri-
mer le thème ou le support de l’information du discours référé tandis que
les verbes du paradigme de dire se sont spécialisés dans l’expression de
l’information communiquée à propos de ce thème, de sorte que X parle de
son livre peut être paraphrasé par ‘X dit quelque chose sur son livre’. Le
sens ‘dire’ fait, donc, partie de la définition de parler même si le deuxième
argument de ce prédicat sémantique (les paroles produites) reste indéter-
miné. Par ailleurs, cet objet du dire que constituent les propos tenus dans
le cas des verbes de parole comme dire se traduit au niveau syntaxique
par des constructions transitives, comme il a été signalé par plusieurs
auteurs20 tandis que les verbes de parole comme parler se caractérisent
par leur intransitivité. En ce qui concerne les locutions, on pourrait penser
qu’il existe, à l’instar des verbes dire et parler, une dichotomie similaire
entre les locutions verbales qui sont utilisées pour faire référence à ce que
l’on dit à propos du thème et celles qui font allusion au thème du discours

20 Cf. Fernández Lorences (2012), Lamiroy & Charolles (2008) ou Pérez Hernán-
dez (2012), entre autres.

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164  Àngels Catena

référé. Cependant, les locutions admettant toutes les constructions de


l’échelle de transitivité21 proposée dans Lamiroy & Charolles (2008) sont
très rares22. La plupart des locutions de notre corpus ne sont pas aptes
à rapporter directement les propos tenus mais sont plutôt utilisées pour
introduire des reformulations indirectes ou des commentaires et des éva-
luations du locuteur sur un acte de communication langagière. Ainsi, des
locutions comme TIRER À BOULETS ROUGES (la personne X ~ sur
la personne Y à propos du fait Z), DAR JABON ‘flatter’ (la personne X
~ à la personne Y), FAIRE L’ARTICLE ( la personne X ~ de la personne
ou du fait Y à l’ensemble d’individus Z), PASSER DE LA POMMADE
(la personne X ~ à la personne Y), JETER LA (PREMIÈRE) PIERRE
(la personne X ~ à la personne Y pour Z), PONER VERDE ‘dire du mal’
(la personne X ~ à la personne Y à propos du fait Z), etc. incorporent
dans leur signification une évaluation (en quelque sorte, X fait des com-
pliments à Y ou X critique quelque chose de Y). En revanche, des locu-
tions comme DAR CUENTA Y RAZÓN ‘expliquer’ (la personne X ~ du
fait Y à la personne Z), VIDER SON SAC (l’individu X ~ à l’individu
Y à propos du fait Z), METTRE LES POINTS SUR LES I (la personne
X ~ à propos du fait Y auprès de la personne Z), TOUCHER UN MOT
(l’individu X ~ à l’individu Y à propos du fait Z), IRSE DE LA LENGUA
‘révéler’ (l’individu X ~ à propos du fait Z), etc. font plutôt allusion à la
façon dont le thème du discours référé a été abordé.
Comme nous l’avons signalé précédemment, une étiquette
sémantique correspond à l’expression normalisée du genre prochain et
elle ne peut pas être attribuée a priori. La construction d’une hiérarchie
d’étiquettes verbales implique la nécessité de procéder à la construc-
tion d’une définition lexicographique (même si celle-ci reste incom-
plète) d’un nombre suffisant de lexies afin de déterminer la création de
nouvelles étiquettes et les relations de dépendance entre elles. Prenons

21 Échelle de transitivité allant du moins transitif au plus transitif : Incise > discours
direct > SN > que P > clitique.
22 Un exemple en espagnol correspond à la locution ECHAR EN CARA (‘repro-
cher’) : Se lo echó en cara (‘il le lui a reproché’) < Le echó en cara que no fuera
amable (‘il lui a reproché de ne pas être aimable) < Le echó en cara su falta de
amabilidad (‘il lui a reproché son manque d’amabilité) < Le echó en cara : « no
eres amable » (‘il lui a reproché : « tu n’es pas aimable ») < « No eres amable »
le echó en cara (« tu n’es pas aimable » lui a-t-il reproché’).

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Les locutions verbales du champ sémantique 165

l’exemple de la locution française ÉCLAIRER LA LANTERNE (de


quelqu’un) pour illustrer la démarche à suivre dans le processus d’ana-
lyse du sens. Les définitions proposées dans les dictionnaires consultés
présentent des structures différentes :

(12) Lui donner des précisions, des indications, des éclaircissements pour
l’aider à comprendre quelque chose (Larousse)23
(13) Lui donner des explications pour qu’il comprenne. (DPTFE)24
(14) Lui fournir les renseignements nécessaires pour qu’il comprenne claire-
ment (Le Petit Robert)
(15) Aider (quelqu’un) à comprendre quelque chose. (TLFi)25

Nous pouvons observer que dans (12), (13) et (14) le sémantème ‘dire’
fait partie de la composante centrale étant donné qu’EXPLIQUER,
RENSEIGNER ou PRÉCISER sont des actes de communication lan-
gagière. En revanche, le genre prochain de l’exemple (15) correspond à
une action bénéfique vis-à-vis de quelqu’un. Les contextes dans lesquels
apparaît cette locution semblent montrer que la composante centrale ne
correspond pas à un acte de communication langagière car la paraphrase
minimale qui semble plus naturelle dans un énoncé comme (16) est
plutôt factitive ‘X fait26 que Y comprenne Z’ et non pas ‘X donne des
explications à Y à propos de Z’. Par ailleurs, (17) montre que l’on peut
donner des précisions et des explications sans réussir pour autant à ce
que l’autre comprenne :

(16) Il a réussi à éclairer ma lanterne avec ses commentaires


(17) Malgré mes explications, je n’ai pas réussi à éclairer sa lanterne

Il découle de ces exemples que l’acte de communication27 est plutôt


le moyen par lequel on peut accomplir l’acte d’éclairer la lanterne et
par conséquent, ne devrait pas apparaître comme genre prochain de la
définition.
23 Cf. <http ://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-monolingue >
24 Dictionnaire Phraséologique thématique français-espagnol
25 Cf.< http ://atilf.atilf.fr/ >
26 Il s’agit ici du semantème de causation agentive ‘causer.2’ (Kahane & Melčuk,
2009).
27 Dans un sens plus large, probablement, que la communication langagière strictu
sensu.

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166  Àngels Catena

Les locutions verbales qui ont le sémantème ‘dire’ dans la com-


posante centrale de leur définition ont été rassemblées au moyen de sept
étiquettes sémantiques : decir algo ‘dire quelque chose’, decla-
rar algo ‘déclarer quelque chose’, tener un intercambio
de palabras ‘avoir un échange de propos’, enfrentarse ver-
balmente ‘s’affronter verbalement’, hacer preguntas ‘poser
des questions’, echar una reprimenda ‘réprimander’, hablar
‘parler’. Voici un exemple de chaque classe sémantique  avec une
traduction en français purement orientative :
ECHAR EN CARA ‘reprocher’ lit. « jeter en face »
(decir algo)
La persona X ~ el hecho Y a la persona Z
Mi marido me echa en cara que no trabajo
‘Mon mari me jette en face que je ne travaille pas’
RENDIR CUENTAS ‘rendre des comptes’
(declarar algo)
La persona X ~ del hecho Y ante la persona Z
Nunca rindió cuentas de sus acciones ante la justicia paraguaya
‘Il n’a jamais rendu de comptes à la justice paraguayenne’
PEGAR LA HEBRA ‘avoir une conversation’ lit. « coller le fil »
(tener un intercambio de palabras)
El individuo X y el individuo Y ~ sobre Z
Te esperaremos pegando la hebra entre vecinos
‘On t’attendra en collant le fil entre voisins’
TENER UNAS PALABRAS ‘se disputer’ lit. « avoir des mots »
(enfrentarse verbalmente)
El individuo X y el individuo Y ~ por el hecho Z
El cliente y el camarero tuvieron unas palabras pero al final todo se arregló
‘Le client et le serveur ont eu des mots mais tout s’est arrangé finalement’
TIRAR DE LA LENGUA.1b28 ‘poser des questions’ lit. « tirer la langue »
(hacer preguntas)
El individuo X ~ al individuo Y [sobre el hecho Z]
Si le tiras un poco de la lengua, acabará hablando
‘Si tu lui tires un peu la langue, il finira par parler’
LEER LA CARTILLA ‘réprimander’ lit. « lire le cahier »
(echar una reprimenda)

28 Il s’agit d’une de deux acceptions du vocable TIRAR DE LA LENGUA. L’autre


lexie du vocable TIRAR DE LA LENGUA.1a est une locution factitive  :
‘X cause.2 que Y parle à propos de Z’.

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Les locutions verbales du champ sémantique 167

El individuo X ~ al individuo Y por el hecho Z


El entrenador le leyó la cartilla por hablar mal al árbitro
‘L’entraîneur lui a lu le cahier parce qu’il a mal parlé à l’arbitre’
SACAR LA LENGUA A PASEAR ‘bavarder’ lit. « sortir la langue se prome-
ner »
(hablar)
El individuo Y ~
Toma asiento, se relaja y decide sacar la lengua a pasear
‘Il s’assoit, se détend et décide de sortir la langue se promener’

Quelques locutions françaises qui dénotent également des actes de com-


munication langagière sont : FAIRE PART (La personne X ~ du fait Y
à la personne Z), TAILLER UNE BAVETTE (L’individu X et l’individu
Y ~ sur Z), SE PRENDRE LE BEC (L’individu X et l’individu Y ~ sur
le fait Y), REMONTER LES BRETELLES (L’individu X ~ les bretelles
à l’individu Y pour le fait Z), etc.
À côté de ces exemples, il existe d’autres locutions qui, sans
appartenir à la classe sémantique communication langagière,
incluent le sémantème ‘dire’ dans une position de leur définition qui ne
correspond pas au genre prochain. Analysons l’exemple suivant :

(18) Macron caresse dans le sens du poil les Français de Londres […]
Il caresse dans le sens du poil le public, en moyenne âgé de 30  à 50
ans, appuie sur tous les bons boutons. Il parle de « retrouver le goût du
succès », de ne « plus vouloir entendre comme dans l’Eurostar ce matin
qu’un type qui a voulu lancer une start-up n’a pas pu en France et est
venu à Londres, où ça a marché ». « Ça, ça ne doit plus arriver ». La salle
applaudit chaudement. (Libération, 21 février 2017)

La locution CARESSER/ BROSSER DANS LE SENS DU POIL est


classée sous l’étiquette sémantique avoir une certaine atti-
tude car elle dénote la façon de traiter une personne dans le but de ne
pas la contrarier. Cependant, le sens ‘dire quelque chose’ doit occuper une
position stratégique dans sa définition car c’est un acte de communication
langagière qui constitue le moyen principal par lequel l’individu X cherche
à plaire ou à rassurer l’individu Y (….’en disant à Y ce que X croit que Y
veut entendre’). De même, la locution COGER/PILLAR POR BANDA
‘prendre à part’ est une action physique mais le but de cette action
est un acte de communication langagière : ‘…dans le but de parler à Y sur
le thème Z’.

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168  Àngels Catena

Un dernier groupe de locutions contient le sémantème ‘dire’


dans les composantes présupposées de la définition. Ainsi, AVALER /
MANGER SON CHAPEAU signifie que ‘X reconnaît s’être trompé
dans son jugement sur la situation Z’ mais cela n’implique pas que X
est contraint de communiquer l’acceptation de son erreur. Or, le sens
de la locution présuppose qu’il y a eu un acte de communication lan-
gagière préalable par lequel X a dit quelque chose qui s’est avéré une
erreur (‘X réagissant à la situation Y sur laquelle X a communiqué son
avis | X accepte que…’). Des exemples similaires sont d’une part, la
locution NO DECIR ESTA BOCA ES MÍA ‘se taire’ qui fait partie des
comportements et dont le sens ne peut pas être réduit à ‘X ne parle pas’
car cette locution présuppose une situation dans laquelle X est censé
parler (‘X étant censé parler’ | X ne parle pas’)  ; ou d’autre part, la
locution SE MORDRE LA LANGUE.2 (Le candidat a dit des bêtises
et il s’en mord la langue) à laquelle nous avons attribué l’étiquette
éprouver un sentiment négatif mais dont la composante
présupposée inclut ‘X ayant dit Y’.
Puisque les étiquettes sémantiques ne sont pas de véritables défi-
nitions, il est nécessaire dans une deuxième étape d’identifier les diffé-
rences spécifiques qui permettent de préciser le sens d’une lexie par rap-
port à d’autres locutions quasi-synonymes. L’élaboration des définitions
étant une tâche ardue, nous proposons à ce stade certains éléments à
prendre en compte afin de définir les configurations sémantiques de ces
locutions. Analysons quelques exemples :

– Les locutions françaises LÂCHER LE MORCEAU, CRACHER


LE MORCEAU, VENDRE LA MÈCHE et leurs équivalents
espagnols IRSE DE LA LENGUA ‘partir de la langue’ et TIRAR
DE LA MANTA ‘tirer la couverture’ partagent la composante
centrale ‘X communique des informations à propos du fait Y’,
la même étiquette sémantique dire quelque chose et ont
une composante présupposée similaire : cette information a été
cachée jusque-là à un individu (ou à un ensemble d’individus)
qui a (ont) un certain intérêt pour connaître cette information.
Une différence spécifique de ces locutions est en rapport avec
l’intentionnalité de l’acte de communication. Ainsi, IRSE DE LA
LENGUA admet sans difficulté les modificateurs sin querer ‘sans

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Les locutions verbales du champ sémantique 169

faire exprès’, sin darse cuenta ‘sans se rendre compte’ tandis


que TIRAR DE LA MANTA est un acte intentionnel de sorte
que les occurrences de cette locution précédées du verbe decidir
‘décider’ sont fréquentes29 et il faudrait inclure une composante
de but dans sa définition (‘dans le but que Z ait connaissance de
cette information’). Dans la même veine, les locutions SALIRSE
POR PETENERAS lit. ‘sortir par peteneras’30, MEAR FUERA
DE TIESTO lit.’pisser hors du pot’, TOCAR EL VIOLÓN lit.
‘jouer de la contrebasse’ ou IRSE POR LAS RAMAS lit. ‘partir
dans les branches’ ainsi que TOURNER AUTOUR DU POT ou
NOYER LE POISSON ont en commun le fait que le locuteur ne
parle pas de ce qui est censé être le thème dans un échange de
propos mais seulement SALIRSE POR PETENERAS, TOCAR
EL VIOLÓN et NOYER LE POISSON sont intentionnels.
– Les locutions ESCAPARSE LA LENGUA lit.’s’échapper la
langue’ et IRSE DE LA LENGUA lit.’partir de la langue’ ont en
commun le fait que ‘X communique une information (cachée)
à propos du fait Y’ mais la composante ‘X ne voulant pas com-
muniquer cette information’ fait partie uniquement du sens de la
première locution qui implique la perte du contrôle des propos
de X. De la même manière, CALENTARSE LA LENGUA
lit.’chauffer la langue’ implique qu’il y a une perte de contrôle de
la part du locuteur mais il n’y a pas de présupposition concernant
une information cachée jusque-là.
– Certaines locutions quasi-synonymes se distinguent par les
composantes sémantiques d’intensité. Ainsi, les locutions qui
partagent l’étiquette echar una reprimenda ou certaines
locutions avec l’étiquette decir algo comme DESCENDRE
EN FLAMMES, PONER DE VUELTA Y MEDIA, PONER
COMO UN TRAPO SUCIO, DECIR PESTES, etc. semblent
incorporer un degré d’intensité supérieur à PASSER UN

29 Il y a bien évidemment d’autres composantes spécifiques concernant le contenu


de l’information révélée qui correspond à un ensemble de faits qui ont un certain
caractère négatif dans le cas de TIRAR DE LA MANTA tandis que l’information
révélée avec IRSE DE LA LENGUA peut correspondre à un fait occasionnel et il
n’y a aucune évaluation présupposée sur ce même fait.
30 Variété de chant flamenco.

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SAVON, TAILLER UN COSTARD, LEER LA CARTILLA,


etc. puisque ces derniers se combinent plus facilement avec des
modifieurs tels que : passer un sacré/ terrible savon ; tailler un
beau/ sacré/ joli / bon costard ; leer (muy) bien la cartilla…

Il est important de mettre en rapport la définition des locutions avec leur


cooccurrence libre et restreinte de façon à rendre explicites les compo-
santes sémantiques de la définition sur lesquelles portent les modifieurs
ou les quantifieurs des locutions verbales. L’exemple suivant est parti-
culier dans la mesure où l’élément qui est dans la portée du quantifieur
est un quasi-signe :

(19) Les projets de loi qu’il propose sont conformes aux dispositions de la
Charte, et il a ajouté que le ministère avait bien mis tous les points sur
les i à ce sujet.

Il est important de proposer une définition dans laquelle le déterminant


indéfini tous puisse quantifier la composante centrale. Dans notre défi-
nition, la composante centrale peut être sous la portée du quantifieur
(donner des /toutes les informations) :

(20) METTRE LES POINTS SUR LES I : (la personne X ~ à la personne Y à
propos du fait Z) : ‘X étant convaincu que les informations de Y sur Z ne
sont pas claires ou sont insuffisantes et cela ayant causé ou pouvant causer
un comportement de Y qui affecte X négativement | X donne des informa-
tions précises à Y à propos du fait Z dans le but que Y ait connaissance de
ces informations et agisse en conséquence’

En ce qui concerne la cooccurrence des locutions, leur combinatoire


avec la négation peut révéler des différences de sens entre les acceptions
copolysèmes d’un vocable. Analysons deux occurrences de la locution
VENDER LA MOTO / LA BURRA dont la définition donnée dans le
DLE correspond à « essayer de convaincre quelqu’un de quelque chose
par son bagout » :

(21) La fuente era fiable. No me estaba vendiendo la moto (‘La source était
fiable. Elle n’était pas en train d’essayer de me convaincre’)

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Les locutions verbales du champ sémantique 171

(22) Intentó convencerme de que estaba equivocada, pero no pudo venderme


la moto  con su historia (‘Il a essayé de me convaincre que j’avais tort
mais il n’a pas pu me convaincre avec son histoire’)

On remarque dans ces exemples que (21) correspond au sens donné


dans le dictionnaire car dans la traduction française il faut ajouter le
verbe essayer afin de rendre explicite la différence entre le progressif
de cet exemple et l’accompli de l’exemple (22)31. Apresjan (1999, cité
dans Iordanskaja, 2007) a remarqué que la forme perfective de certains
verbes russes inclut le sens du verbe imperfectif en tant que composante
présupposée de la définition du verbe perfectif. De même, il faudrait
distinguer ici deux acceptions de cette locution en espagnol :

(23) VENDER LA MOTO1a (la personne X ~ à la personne Y du fait Z) :


Y ne croyant pas à la vérité de Z et (X sachant que Z est douteux) | X
essaye de convaincre Y de la vérité de Z en disant Z à Y dans le but de
protéger certains intérêts de X. Ex. : El agente (X) del jugador empezó
a vendernos (Y) la moto de que (Z) lo quería el Madrid (‘l’agent du
joueur a commencé à nous vendre la moto que le Real Madrid le
voulait’)
(24) VENDER LA MOTO1b (la personne X ~ à la personne Y du fait Z) : X
ayant essayé de convaincre Y de la vérité de Z en disant Z à Y dans le but
de protéger certains intérêts de X (= ‘vender la moto.1a’) et Z étant faux
| X cause.2 que Y croit que Z est vrai. Ex. : Consiguió venderme la moto
de que el Barça ganaría la Liga (‘Il a réussi à me vendre la moto que le
Barça gagnerait la Ligue)32

Cette différence expliquerait la combinatoire fréquente de VENDER


LA MOTO1b avec des verbes comme querer ‘vouloir’ ou intentar
‘essayer’ et la possibilité d’être accompagné des adverbes compatibles
avec les achèvements : me vendió totalmente la moto (lit. ‘il m’a vendu
totalement la moto’).

31 ‘X n’était pas en train de me (Y) convaincre’ est ambigu car cela peut signifier
que ‘X ne réussissait pas à me convaincre’ ou bien que ‘X n’essayait pas de me
convaincre’
32 La composante entre parenthèses de la première définition semble être une
composante faible car dans certains contextes il n’est pas clair que X croit que
Z n’est pas vrai. En revanche, le sens 1b implique la non vérité de Z.

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172  Àngels Catena

4. Conclusion

Nous pensons que l’étiquetage sémantique des lexies peut présenter


certains avantages dans différentes applications linguistiques. Dans le
domaine lexicographique, bien évidemment, un système formalisé de
genres prochains permettrait de contrôler la structuration des défini-
tions lexicographiques et représente un outil précieux en lexicographie
bilingue. Dans le domaine du traitement automatique du langage, une
telle hiérarchie peut aider à la traduction automatique ou, en conco-
mitance avec le travail des champs sémantiques, à la création de sous-
ensembles lexicaux de spécialité (cf. Blanco 2010). Cela est d’autant plus
nécessaire dans le cas des locutions compte tenu du besoin d’améliorer
l’analyse sémantique de ces entités lexicales en les mettant sur un pied
d’égalité avec les unités lexicales simples.
Nous avons montré que l’étiquette sémantique d’une locution
constitue une ébauche de sa définition car elle correspond à la compo-
sante centrale de sa définition et s’accompagne d’une formule actan-
cielle dans laquelle apparaissent ses actants sémantiques et la classe
sémantique à laquelle ils appartiennent. L’analyse sémantique des locu-
tions d’un champ sémantique donné permet de mettre en rapport les
lexies partageant une même composante à différents niveaux de leur
structure sémantique.
Cependant, nous avons présenté une description préliminaire qui
doit être complétée par une décomposition plus poussée du sens des
locutions dans le but de définir de façon plus précise plusieurs aspects,
tels que :

– Le nombre d’actants sémantiques, déterminé à partir de la com-


binatoire lexicale restreinte de ces locutions. Un nombre impor-
tant de locutions semble à première vue bloquer l’expression
de certains participants de la situation dénotée par la locution
(le contenu de l’information à propos du thème ne peut pas être
exprimé directement avec VENDRE LA MÈCHE, LÂCHER LE
MORCEAU, VIDER SON SAC…)
– Les ponts sémantiques qui tissent les liens de polysémie entre les
locutions appartenant au même vocable.

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Les locutions verbales du champ sémantique 173

– La correspondance entre les actants sémantiques et syntax-


iques (ex. : tirer à boulets rouges sur quelqu’un/ lui tirer dessus,
tirait sur lui à boulets rouges)
– La modélisation des liens lexicaux paradigmatiques (conversifs :
REMONTER LES BRETELLES/ EN PRENDRE POUR SON
GRADE ; antonymie : CARESSER DANS LE SENS DU POIL/
À REBROUSSE-POIL…) et syntagmatiques au moyen des fonc-
tions lexicales.
– Le rapport de certaines locutions du champ sémantique avec
des actes de langage stéréotypés (ex. : ¡Punto en boca! énoncé
adressé à celui qui ne doit pas parler vs DARSE UN PUNTO EN
LA BOCA ‘ne pas parler’).

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Jan Goes

Les adjectifs dits « de relation » ou la montée


en puissance d’un lexique adjectival particulier

1. Introduction

Bien que Frei (2011 [1929] : 191) se soit gentiment moqué des construc-
tions avec un « adjectif de relation », en mentionnant des exemples comme
la mutualité silencieuse (Union des sourds-muets) et que des exemples
comme *une cuisinière gazeuse et *un verre pédestre fassent sourire, ces
emplois adjectivaux connaissent une croissance exponentielle. Partout,
on les rencontre, non seulement dans la langue courante (le palais royal
= le palais du roi, l’avion présidentiel = l’avion du président), mais éga-
lement dans la publicité (le brossage dentaire = le brossage des dents),
la météo (l’animation européenne = les images animées de l’Europe), les
textes scientifiques (historiques : la conquête césarienne [de la Gaule] ;
littéraires  : l’univers proustien  ; économiques  : le monde assurantiel  ;
géographiques : le massif dunaire, les plaines gangétiques ; politiques :
la bulle sondagiaire1).
Ce type de constructions est sans doute très ancien, le premier
grammairien qui l’ait décrit est très probablement Du Marsais, qui écrit
qu’« un palais de roi est équivalent à un palais royal » (1797 : 182).
Les puristes critiquent ce que Le Bidois (Le Monde, le 29 novembre
1961) appelle l’adjectivite, critique que l’on retrouve dans un courrier
de lecteur du Monde du 27 juin 19942. Les exemples sont intéressants :

1 L’expression est de J.-M. Le Pen, qui hésite entre bulle sondagique et bulle
sondagiaire. (Entendu, France 2, le 23 avril 1995, 21h30).
2 Le Bon Usage (13e édition) écrit : « Cette sorte d’épithète fait l’objet de cri-
tiques » (§ 317b, 1993 : 494).

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178  Jan Goes

(1) (…) Le même soir, aux informations de 20 heures, sur France 2, on a


entendu répéter pour la énième fois : « Président français » et « Serbes
bosniaques  ». Charles Pasqua veillant au grain, nous ne risquons
pas d’avoir un chef d’État qui ne soit pas français. […] Qu’il s’agisse
d’anglo-américain mal digéré, de dépêches d’agences mal traduites ou
d’  «  adjectivite  » galopante, c’est trop souvent un laisser-aller au goût
du jour. C’est ainsi que j’ai entendu aux informations sur France-Culture
et à la télévision, je n’invente rien : « Ambassade française ; conditions
hygiéniques déplorables ; travail infantile au Portugal  ; situation sécu-
ritaire  ; capitales bosniaque, russe, malienne  ; guerre sécessionniste  ;
record mondial… (Le Monde (sur CD-rom), 27/06/1994 : R02, COUR-
RIER : « Les parleurs des médias »)

En 1963, le Français Moderne ouvre une discussion sur cette structure


controversée sous la forme d’une question formulée par Michel Gla-
tigny  : «  Existe-t-il des critères qui permettraient de distinguer deux
classes d’adjectifs qualificatifs : les déterminants et les caractérisants
(Brunot) ? »3. Dans le cadre de cette discussion Kalik (1967) répond
par l’affirmative  ; il appelle ces adjectifs des adjectifs de relation et
stipule qu’ils « se sont différenciés grammaticalement des qualificatifs à
la suite d’une longue évolution linguistique » (1967 : 275). Ils se carac-
térisent notamment par les traits suivants : du point de vue sémantique
ce type d’adjectifs « indique le caractère particulier d’un objet par la
relation avec un autre objet » (1967 : 271). Cette valeur de relation fait
que ces adjectifs refusent la gradation, la fonction attribut et l’antépo-
sition et qu’ils ne peuvent être coordonnés avec un adjectif qualificatif.
Du point de vue morphologique, ils forment difficilement des adverbes,
il est difficile de les substantiver et ils ne forment pas de séries anto-
nymiques (avec im-)4. Même s’il considère qu’il s’agit d’un deuxième
type d’adjectifs, Kalik admet qu’ils puissent «  se colorer de nuances
subjectives en recevant la valeur d’un vrai qualificatif » (1967 : 272).
Dans cet article, nous montrerons quels procédés morphosyn-
taxiques et sémantiques sont à l’origine de cette créativité adjectivale.
Contrairement à Kalik (1967) nous soutiendrons l’hypothèse que ces
adjectifs ne constituent pas un type d’adjectifs différent à côté des
3 Question posée lors de la séance du 26 janvier 1963 de la Société d’étude de la
langue française.
4 « Nous vivons dans une démocratie, non populaire ». (J. Brel, dans une inter-
view à Knokke 1971).

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 179

adjectifs qualificatifs, mais qu’il s’agit d’un emploi adjectival relation-


nel auquel les adjectifs dénominaux en particulier se prêtent facilement.
Nous développerons cette hypothèse dans le cadre d’une approche
« unitaire » de l’adjectif : nous estimons en effet qu’un même adjectif
peut être qualificatif ou relationnel, et ceci en fonction du substantif
sur lequel il porte. Il s’agit par conséquent non pas de deux adjectifs
homonoymes (qualificatif vs. relationnel), mais bien d’emplois diffé-
rents d’un seul et même adjectif.

2. Prémisses théoriques et définitions

2.1. Les différents emplois de l’adjectif : l’« hypothèse unitaire »

Depuis la publication de L’adjectif sans qualités (Schnedecker 2002),


il est devenu usuel de répartir la classe de l’adjectif en trois types  :
les adjectifs qualificatifs, les adjectifs relationnels et les « adjectifs du
troisième type » ou « jamais attributs » (Marengo 2011). Le caractère
vague de la dénomination de troisième type s’explique par le fait que
ces adjectifs peuvent encore être catégorisés en adjectifs de repérage
temporel (un ancien château), de quantification du temps (un jeune
marié, un jeune centenaire5) et de quantification des traits dans le cas
de grand homme (cf. Marengo 2011). Marengo rejette ce qu’il appelle
l’hypothèse unitaire, hypothèse que nous avons développée dans Goes
(1999) et que nous réexaminerons ici en prenant comme point de départ
les adjectifs dénominaux/relationnels.
À notre avis, l’hypothèse des trois types présente le désavantage
de fragmenter la classe des adjectifs en une multitude de types. Il en
résulte une impression d’homonymie, renforcée par la numérotation des
différents types de grand (grand1, grand2), ancien (ancien1, ancien2) et
d’autres adjectifs introduite dans Marengo (2011)6. On peut alors se poser
5 Personne qui n’est centenaire que depuis peu de temps, par rapport à supercen-
tenaire (110 ans et plus).
6 Selon Marengo (2011  : 337), grand1 est un adjectif de mesure (une grande
quantité de), grand2 un adjectif d’intensité (un grand courage), grand3 un

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180  Jan Goes

la question de savoir si la catégorie de l’adjectif présente encore une cer-


taine unité, ou si elle regroupe effectivement des unités (très) différentes
comme c’est le cas de la catégorie de l’adverbe (très, si, vs. anticonstitu-
tionnellement), qualifiée de « classe fourre-tout » par Guimier (1996 : 1).
Nous estimons qu’une autre approche est possible  : au lieu de
distinguer globalement trois types d’adjectifs, on peut considérer qu’il
y a trois emplois possibles du même adjectif. Un seul adjectif pourrait
donc connaître un emploi qualificatif, relationnel, voire du troisième
type. L’adjectif grand – adjectif le plus fréquent de la langue française
et prototype sémantique de la catégorie7 – peut nous servir d’exemple.
Dans un grand cheval nous aurions ainsi un emploi qualificatif (dimen-
sionnel)  ; nous aurions un emploi du troisième type dans un grand
homme (grand par ses qualités humaines8) et, ce qui nous intéresse le
plus, un potentiel emploi relationnel dans la grande classe (= la classe
des grands9), comme l’indique l’exemple suivant :

(2) On était divisé en deux sections, la petite classe et la grande classe. Par
mon âge, j’appartenais réellement à la petite classe, qui contenait une
trentaine de pensionnaires de six à treize ou quatorze ans. [la classe des
petits, la classe des grands] (George Sand, (http://www.cnrtl.fr/lexicogra-
phie/classe, consulté le 18 fév. 2015)

adjectif de quantification des traits (un grand homme)  ; ancien1 (ancienne


auberge) et ancien2 (ses anciennes richesses) sont des adjectifs de repérage
temporel indiquant pour le premier que l’objet a changé de fonction (2011 :
335), pour le deuxième qu’il n’existe plus ; tandis que ancien3 est un adjectif de
repérage ensembliste (ancien président, par rapport à l’ensemble des anciens,
de l’actuel, et du futur présidents).
7 Voir Goes (2004).
8 Dans le cadre de cet article nous choisissons de ne pas entrer dans le détail de
l’hypothèse du «  troisième type  ». En fonction de notre hypothèse unitaire,
nous estimons néanmoins qu’il s’agit plutôt d’une qualification intensionnelle
(qualification d’un sème interne du substantif). Cette dernière peut être plus ou
moins vague (grand homme), ou plus précise (grand fumeur = quantité de ciga-
rettes ; vieil ami (durée de l’amitié)). Nous limiterions l’emploi du « troisième
type » autant que possible, sans doute à des cas bien précis du type un grand/
bon kilo (quantification approximative). Des recherches ultérieures devraient
nous apporter plus de réponses à cette problématique.
9 Cet emploi de grand est rare, mais il est comparable à l’emploi tout aussi rare
des adjectifs de couleur dans la condition noire (des Noirs), la politique verte
(des Verts).

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 181

Du point de vue sémantique, on peut constater que l’interprétation de


grand dépend en grande partie du support auquel il est incident (un
grand kilo ≠ un grand fumeur ≠ un grand homme ≠ un grand éléphant
≠ la grande classe). À notre avis, c’est bien cette syncatégorématicité
qui constitue la caractéristique fondamentale de la catégorie adjecti-
vale. Si elle permet de distinguer différents emplois du même adjectif
(in casu l’adjectif grand), elle ne nous oblige pas à distinguer diffé-
rents types de grand (grand1, grand 2, cf. Marengo, 2011). La question
se pose évidemment de savoir si les adjectifs de relation peuvent entrer
dans le cadre de cette hypothèse unitaire.

2.2. Adjectifs dénominaux et adjectifs de relation

Les adjectifs dénominaux sont formés à partir de noms communs (pré-


sidentiel), ou de noms propres (proustien, français) et ceci avec les
suffixes -able (goncourable), -ain (américain), -aire (réglementaire),
-ais (français), -al (monumental), -ard (trouillard), -éen (herculéen),
-el (existentiel), -escent (arborescent), -esque (romanesque), -eux (épi-
neux), -ien (indien), -ier (laitier), -if (expressif), -in (chevalin), -ique
(méthodique), -iste (marxiste), -ois (zaïrois), -u (barbu)10. Ce sont des
mots construits auxquels on peut appliquer l’analyse dérivationnelle
de Corbin (1987) qui postule que l’interprétation sémantique d’un mot
et sa structure morphologique sont associées. Pour elle, trois éléments
principaux entrent dans le sens dérivationnel : le sens prédictible spé-
cifié par la base (désormais SPsB), le sens prédictible construit par la
règle (SPcR), le sens prédictible spécifié par le procédé morphologique
(SPsM). Le sens d’un adjectif dénominal comme royal, ou romanesque,
est prédictible, dans la mesure où il est composé du sens de la base (roi,
roman), le sens prédictible construit par la règle (‘qui est en relation
avec Nom base’ ; roi, roman), et le procédé morphologique (le sens du
suffixe ; -al, -esque).
Le suffixe est à notre avis le facteur le moins important pour
l’interprétation de l’adjectif dénominal comme qualificatif ou relation-
nel. Il peut néanmoins donner un coup de pouce dans l’une ou l’autre

10 La liste est de Stein (1971 : 74).

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182  Jan Goes

direction  : certains suffixes favorisent légèrement la valeur qualifica-


tive (-if, -esque, -eux), tandis que d’autres favorisent le sens relationnel
(-ier, -iste). Ce sont bien le sens prédictible spécifié par la base et le
sens prédictible construit par la règle qui font qu’un même adjectif
peut être utilisé en emploi qualificatif et en emploi relationnel. Nous
illustrerons ce fait avec des exemples de quelques adjectifs dénomi-
naux : royal (3–6) monumental (7–12), gracieux (13–16), romanesque
(17–19), cornélien (20–24), populaire (25–27), japonais (28–32),
caniculaire (33–34) et présidentiel (35–38).

Royal 
(3) Tout au loin vous voyez le palais royal. (Hietbrinck, 1990 : 7) [du roi, rel.]
(4) X-Factor : le salaire royal du jury. (http://www.staragora.com/, consulté
le 26 juillet 2017). [comme d’un roi, qual.]
(5) Une royale naissance11 [digne d’un roi, qual.] ≠ une naissance royale [au
sein de la famille royale, naissance d’un futur roi, rel.]
(6) Le dîner n’est pas royal, je dois me contenter de sachets déjà périmés […]
(Leeds Internet Corpora (désormais LIC), consulté le 30 juillet 2017)
[comme pour un roi, qual.]
Monumental 
(7) La monumentale façade enfin est Renaissance… (Larsson, 1994  : 75)
[~ très grande, impressionnante, qual.]
(8) Au musée des erreurs monumentales, Superphénix figurera entre les
avions renifleurs et le sang contaminé. (Le Monde, 24 fév. 1994  : 9)
[~grand, qual.]
(9) Max est un crétin monumental. [~invétéré, qual.]
(10) Son exceptionnelle richesse archéologique et monumentale (Larsson,
1994 : 140) [en monuments, rel.]
(11) Le cunéiforme monumental [= utilisé pour les monuments, le cunéiforme
des monuments, rel.]
(12) C’est une tâche qui requiert beaucoup de travail, les détails sont monu-
mentaux, mais c’est une tâche que nous entreprenons dans un esprit de
paix. (Le Monde, 20 août 1994 : 4) [très importants, qual.]
Gracieux 
(13) Fautil zapper sur Beny More, ou sur Tito Rodriguez qui supplie sa gra-
cieuse compagne de rester à ses côtés ? (Le Monde, 05 mai 1994 : R04)
[pleine de grâce, qual.]

11 FR3, Brigitte Bardot, le vendredi 27 jv. 2017 ; sur la naissance de son bébé, très
suivie par les paparazzi.

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 183

(14) […] des centaines d’oiseaux évoluent dans un ballet gracieux en guise
d’adieux. (LIC, consulté le 28 juillet 2017) [plein de grâce, qual.]
(15) Jean Nouvel n’a pas désarmé : dans un recours gracieux déposé le
1er décembre, (…) (Le Monde, 14 déc. 1994 : 18) [en grâce, rel.]
(16) Il est gracieux et ne pense jamais, (…) (Le Monde, 08 jv.1994 : 20) [plein
de grâce, qual.]
Romanesque 
(17) Idées romanesques12 (Kalik, 1967 : 284) [~dignes d’un roman, qual.]
(18) Elle-même (Simone de Beauvoir) a souligné l’attachement qu’elle a tou-
jours manifesté pour la production romanesque. (Kalik, 1967 : 285) [pro-
duction de romans, rel.]
(19) C’était une histoire très romanesque, celle de Joseph Houzé, apprenti hor-
loger […] (LIC, consulté le 30 juillet 2017) [digne d’un roman, qual.]
Cornélien
(20) T’es moche ma mère. Et si tu savais comme je ne t’aime pas! Je te le
dis avec la même sincérité que le « va, je ne te hais point » de Chimène,
dont nous étudions en ce moment le cornélien caractère. (Bazin, cité par
Wilmet, 1981 : 54) [étant donné que Chimène est une authentique héroïne
cornélienne, l’antéposition s’explique comme une sorte d’épithète de
nature (cf. la blanche neige), qual.]
(21) Tel se présente, à l’époque classique, le héros cornélien, dont on imagine
mal qu’il puisse être de basse ou de médiocre condition, […]. Le héros
cornélien, qui est presque toujours un prince ou une princesse, […] (LIC,
consulté le 28 juillet 2017) [héros de Corneille, rel.]
(22) Personnellement, je trouve ce passage poignant, et Cornélius devient ici
un héros cornélien ! (Les tuniques bleues, LIC, consulté le 28 juillet 2017,
requête : cornélien) [héros comme ceux de Corneille, qual.]
(23) Cette visée noble, généreuse, cornélienne, qui ne s’embarrasse pas des
idées de gloire ou de gloriole […] (LIC, consulté le 28 juillet 2017), [‘qui
fait passer son devoir au-dessus de tout’13, qual.]
(24) Parmi les 450 chaînes proposées, le choix est cornélien. (LIC, consulté le
30 juillet 2017) [comme de Corneille, qual.]

12 -esque est un des rares suffixes qui poussent l’adjectif vers un sens qualificatif,
dans la mesure où il signifie « ayant le comportement stéréotypique de Nbase »
(Melis-Puchulu, 1993)  : chevaleresque. Selon Kalik, romanesque opère un
retour à son sens d’origine dans production romanesque (de romans).
13 Les interprétations possibles de héros cornélien : ‘héros de Corneille’, ‘héros
comme ceux de Corneille’, ‘qui fait passer son devoir au-dessus de tout’ ont
été décrites par Bartning et Noailly (1993  : 28) pour illustrer l’évolution du
relationnel au qualificatif.

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184  Jan Goes

Populaire
(25) Des milliers de Français sur cette place symbole, […] Un hommage popu-
laire auquel les responsables du PS se joignent. (TF1, le 10 jv. 1996,
décès de F. Mitterrand) [du peuple, rel.]
(26) Une chanson populaire [du peuple, ou très appréciée]
(27) Cette manifestation est populaire. (Les journées du patrimoine  ; LIC
consulté le 30 juillet 2017) [très appréciée, qual.]
Japonais
(28) Sa japonaise petite maman. (Forsgren, 1978 : 38) [Elle peut avoir toutes
les qualités d’une « japonaise » stéréotypique : humble, douce, souriante,
sauf celle d’être japonaise (de nationalité), qual.]
(29) Robert, rendu sourd et chauve par un cancer du cerveau, qui s’inclinait
avec une politesse presque japonaise devant chacun des aides-soignants
pour les remercier après un traitement pénible d’irradiation […] LIC,
consulté le 28 juillet 2017) [~comme au japon, de style japonais, qual.]
(30) […] le président William Clinton, lors de sa rencontre avec le premier
ministre japonais […] (LMD14, juillet 1997 : 10) [du Japon, rel.]
(31) Personne ne semble s’occuper de cette insulte japonaise à Mme Cresson.
(Monceaux, 1992 : 75–76) [l’insulte du Japon, rel.]
(32) […] mais j’aurais tendance à dire : soyez pleinement japonais, comme
nous sommes pleinement français […] (LIC, consulté le 30 juillet 2017)
[comme un Japonais, Français, qual.]
Caniculaire
(33) En période caniculaire, les risques pour les compétiteurs comme pour le
public sont importants. ((LIC, consulté le 30 juillet 2017) [de canicule]
(34) La douleur ne supporte pas le soleil, et l’ été de ce drame est caniculaire.
(LIC, consulté le 30 juillet 2017) [de type canicule]
Présidentiel 
(35) La voiture présidentielle, encadrée de motards, fermait le cortège des voi-
tures diplomatiques. (Mélis-Puchulu, 1991 : 38) [du président, rel.]
(36) Qui donc ouvrira dans les bras présidentiels le prochain bal de l’Opéra ?
(Le Monde, 27 janv. 1994 : 22) [du président, rel.]
(37) Obama a adopté un ton présidentiel (entendu, déc. 2008) [comme d’un
président15, qual.].
(38) Manuel Valls en Chine  : «  un agenda très présidentiel  » (BFMTV, le
30 janv. 2015) [digne d’un président, comme d’un président, qual.]

14 LMD = Le Monde Diplomatique sur CD-rom.


15 Notre interprétation se base sur le fait qu’il n’était pas encore président, mais
président élu en décembre 2008.

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 185

Des exemples ci-dessus on peut déduire que tous les adjectifs déno-
minaux ont effectivement un sens composé : il est formé du SPcR ‘en
relation avec Nbase’, ce qui les rend potentiellement relationnels  ; il
s’y ajoute le SPsB (roi, monument, roman…) et éventuellement le sens
du suffixe (ex.  :-esque). L’interprétation relationnelle ou qualificative
dépend néanmoins largement du contexte, plus précisément du subs-
tantif porteur. Ce dernier impose soit une interprétation qui favorise le
potentiel caractérisant (un ballet gracieux), métaphorique (un salaire
royal, une façade monumentale, une erreur monumentale16), ou sté-
réotypique (une politesse japonaise) du Nbase, soit une interprétation
relationnelle (le palais du roi, la richesse en monuments, un ministre
du Japon). Comme c’était le cas pour grand, nous estimons qu’il n’est
pas nécessaire de distinguer des adjectifs homonymes populaire1 (du
peuple) et populaire2 (apprécié)  ; nerveux1 (le système nerveux), ner-
veux2 (un cheval nerveux), comme l’a fait Bartning en 1980, mais bien
qu’il y a un « flux et reflux » entre l’emploi qualificatif et l’emploi rela-
tionnel (Bartning et Noailly 1993). L’interprétation s’opère en fonction
du substantif porteur (sans exclure évidemment qu’il puisse y avoir des
syntagmes ambigus, comme une chanson populaire). Nous pensons par
conséquent qu’il vaut mieux nuancer la différence entre relationnel et
qualificatif et considérer, comme le fait Wennerberg (cité par Forsgren
(1978 : 37)), qu’il y a des adjectifs statistiquement relationnels (prési-
dentiel) ou statistiquement qualificatifs (gracieux). Par leur dépendance
syntaxico-sémantique du nom porteur, les adjectifs dénominaux, qu’ils
soient statistiquement qualificatifs ou statistiquement relationnels,
s’inscrivent dans la catégorie de l’adjectif (cf. grand)17.
Dans la suite de cet article, nous nous concentrerons sur la face
« relationnelle » des adjectifs dénominaux.

16 Les Nbase en question possèdent déjà une valeur métaphorique : Le livret A


est le placement roi en France (entendu TF1, le 17 juillet 1996) ; Luise attaque,
un monument du Rock français aux 3 éléphants à Laval (http://france3-regions.
francetvinfo.fr, consulté le 28 juillet 2017) ; sa vie est un vrai roman ! (exemple
construit).
17 Nous abandonnons donc la notion de pseudo-adjectif, souvent employée pour
les adjectifs relationnels.

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186  Jan Goes

3. Les adjectifs dénominaux en emploi


relationnel : une analyse

3.1. Un aperçu des adjectifs concernés

Dans son étude de 1980, Wilmet inventorie 734 adjectifs dénominaux,


dont 180 sont prototypiques d’après nos analyses, c’est-à-dire qu’ils
acceptent l’antéposition et la postposition au substantif porteur, qu’ils
acceptent la gradation, et peuvent fonctionner comme des attributs
[Groupe 1]. Ces adjectifs peuvent être considérés comme «  statis-
tiquement qualificatifs  », ce qui n’exclut pas un emploi relationnel
(cf. monumental (7–12) gracieux (13–16)), les 544 autres s’éloignent
graduellement du prototype, tout d’abord en acceptant difficile-
ment l’antéposition (248 adjectifs), ensuite en la refusant (91 adjec-
tifs, auxquels il faut ajouter les adjectifs ethniques et ceux dérivés
de noms propres18). Ce deuxième groupe [G2] accepte la gradation
et la fonction attribut (cf. romanesque (17–19), cornélien (20–24)).
Un troisième groupe [G3] n’admet plus la gradation (73 adjectifs)
et regroupe des adjectifs plus techniques (caniculaire (33–34))  ; le
quatrième et dernier groupe [G4] ne compte que des adjectifs exclusi-
vement épithètes postposés (142 adjectifs, dont présidentiel (35–38)),
les deux derniers groupes peuvent être considérés comme statistique-
ment relationnels. Ils nous semblent d’ailleurs sous-représentés dans
l’inventaire, étant donné que Wilmet s’est surtout basé sur des textes
littéraires. Dans les analyses qui suivent, nous nous attacherons donc à
fournir des exemples plus récents, non littéraires, dont certaines nous
semblent de vraies créations (cf. 44).

18 Ils n’acceptent qu’exceptionnellement l’antéposition (cf. cornélien (20), japo-


nais (28)) ; potentiellement très nombreux, ils sont difficiles à inventorier et ne
sont pas comptés dans le nombre de 91 adjectifs dénominaux du groupe 2.

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 187

3.2. Analyse des syntagmes et de l’emploi attribut

3.2.1. Les syntagmes N + adjectif en emploi relationnel


Presque tous les syntagmes nominaux comportant un adjectif relation-
nel se laissent paraphraser par une construction N1 prép. N2. Cette pré-
position est généralement de, même si on peut trouver à / en, et plus
rarement dans. Au sein de certains syntagmes la relation grammaticale
n’est néanmoins pas très claire (cf. Bartning 1980 : 32) :

(39) les nations baleinières [ ?de la baleine19, qui chassent la baleine, G4]
(40) Dopage : la Russie perd plusieurs chances féminines de médaille. (Orange
actualités, le 31/07/2008) [ ?de femmes remportant une médaille, G1]
(41) Nous sommes entrés dans l’époque de l’irrésistible montée des croyances
identitaires (Kauffman, Burkini. Autopsie d’un fait divers, 2017  : 93)
[liées à l’identité, G2]

La paraphrase par de convient à la plupart des syntagmes, quel que soit


le type d’adjectif dénominal (dérivé d’un nom commun, géographique/
ethnique, dérivé d’un nom propre) :

(42) Des particules cométaires [d’une comète] ; les images satellitaires [du


satellite/d’un satellite], la couche neigeuse  [de neige] ; la masse volu-
mique  [de volume]  ; un traitement médicamenteux [de médicaments]
[G2]
(43) Cécile Bourgeon a tenté samedi soir de mettre fin à ses jours par voie médi-
camenteuse, en avalant une centaine de pilules. (http://www.msn.com/
fr-fr/actualite/france/faits-divers, le 30 juillet 2017) [de médicaments]
[G2]
(44) Un grand nombre de vestiges et de matériaux, souvent fragmentés, ont
été récupérés, notamment un ensemble de 385 pièces de monnaies (des
réaux, monnaies royales) et des outils de défense comme des «  boules
catapultiques ». (Orange Actualités, Algérie : 2000 ans d’histoire révélés,
le 13/03/2017) [de catapulte20, G4]
(45) Le logement conspiratif (TF1, 20 h, le 18/11/2015) [attaque de l’apparte-
ment lié aux attentats du 13 novembre 2015) [de la conspiration, G4]

19 Cette paraphrase n’est peut-être pas tout à fait à exclure, cf. Là-bas, au nord,
le peuple des rennes (http://www.lefigaro.fr/voyages/2010/12/31/ consulté le
30 juillet 2017).
20 Un seul autre exemple sur la toile, dans Le midi libre du 17 mars 2017, www.
lemidi-dz.com/pdf/download, consulté le 30 juillet 2017.

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188  Jan Goes

(46) Cela n’implique pas qu’on doive reconnaître le gouvernement génoci-


daire. (Maria Nyiararukundo au sujet du Burundi, BRT, 05/01/1995, 19h
40) [du génocide, G4]
(47) « Aujourd’hui, beaucoup de choses sont faites pour développer et moder-
niser la marine », a déclaré M. Poutine aux militaires après avoir passé
en revue les bâtiments militaires à bord de sa vedette présidentielle.
(http://actu.orange.fr/monde/poutine-affiche-la-puissance-navale-russe,
consulté le 30 juillet 2017). [du président, G4]
(48) La vieille machine otanienne reste à ce jour, et en dépit de tout, le seul dispo-
sitif militaire crédible en Europe. (Le Monde, 10/01/1994 : 5) [de l’Otan, G4]
(49) Le site Natura 2000 du massif dunaire de Gâvres-Quiberon, sur la côte du
Morbihan, est un ensemble dunaire maritime continu sur 35 kilomètres de
littoral […] (Google, le 29 juillet 2017) [de dunes, G4]
(50) L’ambition nord-coréenne de se munir de la puissance nucléaire pose un
épineux problème à Donald Trump qui est en désaccord avec Pékin sur
la manière de gérer le régime de Pyongyang. (http://www.msn.com/fr-fr/
actualite/monde/, le 30 juillet 2017).[de la Corée du Nord ; pour épineux
voir 64 ; G2].
(51) […] tandis que les pièces régimentaires et les canons antichars entraient
en action. (G. Blond, L’agonie de l’Allemagne, Fayard, 1952 : 225) [des
régiments, G4]
(52) Les enjeux du service client dans le secteur assurantiel. (LIC, consulté le
29 juillet 2017) [le secteur des assurances, G4]
(53) Elles jouent elles aussi un rôle photosynthétique (http://www.msn.com/
fr-fr/sante/consulté le 29 juillet 2017) [un rôle de photosynthèse, G4]
(54) Pourtant depuis l’aube de l’islam, certains savants affirment au contraire
que la prophétie muhammadienne concerne l’humanité entière. (Google,
consulté le 30 juillet 2017) [de Muhammad, G2].
(55) Dans le corpus prophétique du Hadith […] (Guidère, La guerre des isla-
mismes, 2017 : 99) [du Prophète, G1]
(56) L’héritage césarien (Entendu Arte, Le destin de Rome, Venger César (épi-
sode 1), le 7 février 2017) [de César, G2]
(57) […] la loi 1905 avait sanctionné l’inversion du fait religieux, concluant
un processus qui avait émergé de manière fracassante lors de la Révolu-
tion française […] puis de façon un peu plus accomodante dans les suites
napoléoniennes. ((Kauffman, Burkini. Autopsie d’un fait divers, Paris,
LLI, 2017 : 95) [de Napoléon, G2]

Paraphrase par d’autres prépositions :

(58) On appelle planètes gazeuses (aussi appelées géantes gazeuses, ou bien


planètes joviennes) les planètes qui n’ont pas de surface solide […] (https://
fr.vikidia.org/wiki/ , consulté le 30 juillet 2017) [?planète à gaz, G2]

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 189

(59) Eau gazeuse [à gaz, G2].


(60) Une carie dentaire [des dents, aux dents, G4].
(61) Un séjour mexicain [au Mexique, G2]
(62) J. Chirac – au Bénin – s’informe de la situation française. (TF1, 20h, déc.
1995) [en France, G2]
(63) Nos chips sont exclusivement cuisinées à huile de tournesol haute teneur
oléique (Emballage Sibell Chips bio) [teneur en huile, G4]
(64) Ensemble réduisons l’impact environnemental des emballages. (Embal-
lage Pressade) [sur l’environnement, G4]
(65) Un moment d’inattention et sa tige épineuse vous agrippe par les vête-
ments, par les cheveux. (www.gite-lafora.com/index.php, consulté le
30 juillet 2017) [pleine d’épines, G1]
(66) Une expédition spatiale soviétique. (Kim, 1995 : 47) [dans l’espace, G4].

Lorsque le N support est un nom déverbal, il est possible d’ajouter une


deuxième paraphrase à celle en de (ou une autre préposition) : dans ce
type de syntagmes on peut en effet déceler une relation argumentale entre
le N déverbal et l’Adj. dénominal. Ce dernier est alors dérivé d’un nom qui
dénote soit le sujet, soit le COD du verbe qui a donné lieu au N support.
Nous les désignerons par la notion d’adjectif argument (désormais AA ;
cf. aussi Goes 2005). Les exemples suivants illustrent ce phénomène :

AAsujet

(67) Une histoire de pots-de-vin qui a causé deux morts et 4 démissions minis-
térielles. (TF1, 20/10/1995, 20 h). [démission d’un ministre / un ministre
démissionne ; AA sujet, G4]
(68) […] le christianisme dominant diagnostique un état de possession démo-
niaque avancé. (Le Monde Diplomatique21, août 1994 : 30) [possession du
démon / le démon possède (quelqu’un) ; AA sujet, G1]
(69) On est encore surpris de cette « soudaine maturité, comme si elle était le
fruit d’une intervention divine  » s’étonne un chercheur de l’Institut du
Maténadaran, (LMD, juillet 1988 : 8) [intervention de Dieu / Dieu inter-
vient  ; AA sujet] Notons encore  : appel divin, commandements divins,
création divine, élection divine, inspiration divine, manifestation divine,
réglementation divine. (Dieu est sujet à chaque fois) [G1]
(70) effondrement boursier, dégénérescence cellulaire, développement
embryonnaire, [effondrement de la bourse / la bourse s’effondre ; dégéné-
rescence des cellules / les cellules dégénèrent ; développement de l’em-
bryon / l’embryon se développe ; AA sujet, G4]

21 Désormais LMD.

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190  Jan Goes

(71) (…) pour lutter, dans les années 60, contre la menace communiste dans
le tiers-monde. (LMD, août 1997 : 13) [la menace des communistes / les
communistes menacent ; AA sujet, G2]
(72) (…) construire une digue et combattre l’érosion maritime (…) (LMD,
mai 1996 : 26) [l’érosion de/par la mer / la mer érode, AA sujet, G4]
(73) Personne ne semble s’occuper de cette insulte japonaise à Mme Cresson.
(Monceaux, 1992  : 75–76) (l’insulte du Japon / le Japon insulte Mme
Cresson) [AA sujet, G2]
(74) La promesse américaine au président Thieu de toujours le soutenir. (Hiet-
brinck, 1990  : 79) (la promesse des Américains / les Américains pro-
mettent22) [AA sujet, G2]
(75) La statue a été faite deux cents ans après la conquête césarienne. (Gou-
dineau, Par Toutatis ! Que reste-t-il de la Gaule ?, 2002 : 12) (César a
conquis la Gaule) [AA sujet, G4]

AAObjet

(76) Il faudra diminuer la production laitière. ((Hietbrinck, 1990 : 9) (la pro-


duction de lait / on produit du lait) [AA objet, G4]
(77) Récolte céréalière (récolte de céréales / on récolte des céréales) [AA
objet, G4]
(78) Élection présidentielle (élection du président / on élit le président) [AA
objet, G4]
(79) Enfin, les «  cas-limites  » de l’exploitation enfantine sont aussi compa-
rables : (…) (LMD, août 1995 : 3) (l’exploitation des enfants / on exploite
les enfants) [AA objet, G1]
(80) La concentration des terres, accentuée par la modernisation agricole
(LMD, sept. 1997 : 14) (la modernisation de l’agriculture / on modernise
l’agriculture) [AA objet, G4]
(81) La représentante de la CPAM fait un exposé sur l’importance du brossage
dentaire (TF1, le 20/11/2002, JT) (brossage des dents / on se brosse les
dents) [AA objet, G4]

AA issu d’un complément prépositionnel/adverbial

(82) L’inscription universitaire (on s’inscrit à l’Université) [AA complément


prépositionnel, G4].
(83) Un voyage mexicain (on voyage au Mexique) [AA complément adverbial,
G2]

22 Les exemples (76–77) montrent que les adjectifs ethniques peuvent s’interpréter
de deux façons : soit renvoyant au pays, soit à ses habitants. Parfois les deux inter-
prétations sont possibles : insulte, du Japon ou des Japonais ? (exemple 75).

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 191

Ce type de constructions avec un adjectif argument n’est pas rare. Les


exemples montrent que ce sont principalement (mais non exclusive-
ment) des adjectifs dénominaux dérivés de noms concrets humains
(présidentiel, enfantin), ou reliés à des activités humaines exprimées
par le substantif déverbal (production, récolte), qui peuvent revêtir le
statut d’adjectif argument. La paraphrase se fait toujours par le biais
de la base nominale qui devient un argument du verbe dont est dérivé
le nom support (la récolte céréalière → la récolte de céréales → on
récolte des céréales). En sens inverse, on peut dire que si le verbe
est nominalisé (récolter → récolte), son argument est alors adjectivé
(céréales → céréalier). Dans Goes (2005), nous avons constaté que
c’étaient principalement des adjectifs du groupe 4 (exclusivement
épithètes) qui constituent le gros des effectifs (60 %), tandis que 40 %
de nos exemples concernaient les adjectifs des groupes 1–3 (cf. supra,
les adjectifs concernés23).
Song (2007), quant à elle, montre que les noms prédicatifs
d’action, d’état et d’événement «  peuvent tous se combiner avec
une forme adjectivale exprimant leur argument » (2007 : 135). Nous
reprenons ses exemples (2007 : 135–136)24 :

(84) <action> En 1933, le Dr Vorony, en URSS, effectue le première greffe


rénale.
(85) <état> Cela ne fait qu’augmenter le ressentiment populaire contre ses
dirigeants.
(86) <événement> Une coupure électrique est survenue il y a quelques minutes
sur un circuit électrique alimentant nos serveurs.

3.2.2. La fonction attribut et l’emploi relationnel


Selon Kalik (1967), les adjectifs relationnels se distinguent des autres
par le fait qu’ils refusent la fonction attribut. Pour lui, «  employé
comme attribut, l’adjectif de relation se dépouille de son sens concret
de relation, se colore de nuances subjectives en recevant la valeur
23 Il faudrait néanmoins faire de plus amples recherches statistiques pour confir-
mer ces données.
24 Tous les noms prédicatifs ne sont pas nécessairement déverbaux. Nous avons
néanmoins pris soin de ne sélectionner que ces derniers, étant donné que nous
ne sommes pas tout à fait convaincu qu’il y ait un adjectif argument dans « le
chauvinisme américain » (exemple de Song 2007 : 136).

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192  Jan Goes

d’un vrai qualificatif  » (1967  : 272). Depuis Kalik, Bartning (1980),


Nowakowska (2004) ont amplement démontré qu’ils peuvent garder un
sens classifiant en fonction attribut. Pour Bartning, la fonction attribut
n’est néanmoins naturelle qu’avec des adverbes d’exclusion, ou dans un
contexte contrastif :

(87) Le gouvernement a pris grand soin d’expliquer que sa décision du


19 janvier avait été prise pour des raisons strictement monétaires.
(Bartning 1980 : 60) [G4]
(88) C’est ainsi que la première action tentée dans les Dardanelles fut unique-
ment navale ; et ce n’est qu’après son échec que l’on se résolut au débar-
quement dans la presqu’île de Gallipoli. (Le Monde, 02 août1994 : 2) [G4]
(89) La constitution de la Ve est-elle présidentielle ou parlementaire ? (Le
Canard Enchaîné, Bartning, 1980 : 15) [G4]
(90) Cette industrie est lainière et non pas alimentaire. (Bartning 1980 : 75)
[G4]
(91) Cette critique n’est pas musicale, mais littéraire. (Riegel 1985 : 17) [G4]

Nous avons néanmoins trouvé des exemples qui contredisent ces consta-
tations :

(92) Le moteur de la croissance est désormais clairement américain – auto-


mobile et pétrolier. (Attali Une brève histoire de l’avenir, 2006 : 90) [G2,
G4, G4]
(93) En France, les psychothérapies sont souvent verbales et d’inspiration
analytique. (Song 2007 : 116) [G4]
(94) L’idée des talibans était anglaise, la gestion était américaine […] et la
mise en place était pakistanaise. (Song 2007 : 116) [G2]

Bartning considère en outre que ces constructions sont plus naturelles


avec un support nominal :

(95) Ces problèmes sont d’ordre politique. [G4]


(96) Vous faites erreur, ce moteur est un moteur solaire, pas un moteur élec-
trique. (A. Zribi-Hertz 1972 : 165) [G4]

Les particularités syntaxiques mentionnées ci-dessus – principale-


ment le besoin d’un appui nominal (95–96) – ont poussé Zribi-Hertz
(1972) et Bartning (1980) à considérer ces constructions comme étant
pseudo-prédicatives. Pour elles, ce ne seraient pas de vraies prédications,

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 193

tout comme les pseudo-adjectifs ne seraient pas de ‘vrais’ adjectifs (cf.


notre introduction, note 17).
Forsgren (2000) a néanmoins montré que le sémantisme de l’at-
tribut ne se limite pas à la qualification. Il distingue notamment des
attributs caractérisants (Je suis fatigué), typants (Luc est médecin),
dénominatifs (Je suis Mats) et identifiants (Luc est le pilote de l’avion).
Les attributs qui comportent un adjectif relationnel peuvent être clas-
sés parmi les attributs identifiants lorsqu’ils comportent un adjectif
ethnique, typants dans les autres cas.

4. Quelques hypothèses concernant l’augmentation de


l’emploi des constructions relationnelles

D’«  emploi critiqué  », l’emploi relationnel des adjectifs dénomi-


naux devient de plus en plus courant. À notre avis, plusieurs éléments
expliquent cet engouement. Outre l’effet d’économie, de «  rac-
courci », on peut constater que les adjectifs relationnels sont des termes
«  classificatoires par excellence  » (Bartning 1980  : 70)25. Ainsi, nous
distinguons les élections présidentielles / municipales / cantonales /
sénatoriales / européennes (…). Ils sont donc particulièrement utilisés
dans les discours techniques (l’adjectif relationnel, un plancher stalag-
mitique, l’érosion maritime / hydrique / éolienne, la production céréa-
lière / bananière / laitière, les conquêtes napoléoniennes / césariennes,
l’univers proustien […], ou dans le discours des journalistes (l’auteur
royal 26, l’exploitation enfantine, le président américain, les ambitions

25 S’ils le font plus facilement que les autres adjectifs, cette caractéristique ne les
en distingue pas nécessairement : « Les deux catégories d’adjectifs [les déno-
minaux et les autres – JG] ont en principe la même possibilité au niveau du
système linguistique d’opérer une classification » (Forsgren 1987 : 268). « Il ne
se trouve aucun adjectif qui ne puisse jamais avoir une valeur de détermination
pure » (Blinkenberg, 1933 : 85).
26 L’auteur royal, Phil Dampier, a raconté à Life & Style […] (http://www.msn.
com/fr-fr/divertissement , Gala, le 28 juillet 2017). Il s’agit d’un écrivain qui
écrit sur/concernant la maison royale d’Angleterre.

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194  Jan Goes

nord-coréennes). Par cette faculté de sous-classification, ils conviennent


également à la dénomination d’entités préexistantes : un ours polaire, un
pain français (= baguette), un arrêté royal 27, une encéphalite japonaise28,
une géante gazeuse, le cunéiforme monumental… Finalement, ils se prêtent
à des combinaisons institutionnalisées, c’est-à-dire des collocations (déci-
sion / remaniement / démission ⇔ gouvernemental(e), ministériel(le)).
Finalement, dans le cadre du discours, les adjectifs dénominaux
relationnels permettent de construire des anaphores fidèles. Un texte
qui nous annonce la nouvelle que « Huit ans après avoir perdu contact
avec le satellite Chandrayaan-1 envoyé en orbite autour de la Lune par
l’Inde en 2008, la NASA a réussi à le relocaliser, a annoncé l’agence
spatiale américaine jeudi 9 mars  » (Intitulé d’article, MSN Actu, le
12 mars 2017) continue en nous parlant du satellite indien et du satel-
lite lunaire, anaphores fidèles par rapport à l’intitulé. De plus amples
recherches devraient nous donner plus de précisions concernant ce type
d’anaphore, qui n’est certainement pas un cas isolé.

5. Une conclusion provisoire

À la suite des remarques de Le Bidois sur l’adjectivite, Hug (1971)


a mené une étude statistique sur ce phénomène en dépouillant des
journaux de 1928 et de 1968. Il en a conclu que le remplacement de
compléments nominaux par des adjectifs relationnels était plutôt
insignifiant, voire qu’il reculait par rapport à 192829. Cinquante ans plus

27 Comme pour pain français, il s’agit d’un belgicisme. Le roi n’arrête plus rien
depuis bien longtemps, mais le nom est resté.
28 Elle a d’abord été décrite au Japon.
29 Il est néanmoins très difficile d’évaluer la portée réelle de son étude, étant donné
que sa définition de l’adjectif est différente de la nôtre : elle inclut, entre autres, les
adjectifs numéraux, qui sont actuellement considérés comme des déterminants.
Hug considère également les structures du type « une soirée Anne Sylvestre »
comme des compléments nominaux et les incorpore dans ses statistiques à côté de
structures qui pourraient donner lieu à des adjectifs en emploi relationnel (vol de
nuit / vol nocturne). Ex. : Paris-Mexico-Paris est desservi en vol nocturne. (http://
fr.travelgenio.com/compagnie-aerienne/aeromexico, consulté le 31 juillet 2017).

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Les adjectifs dits « de relation » ou la montée 195

tard, nous estimons que cet emploi se développe de façon exponen-


tielle. La création se fait avec la construction « relationnelle » standard
(l’héritage césarien, le monde assurantiel), mais aussi avec ce que l’on
peut appeler un emploi « argument » des adjectifs concernés (conquête
césarienne, brossage dentaire, démission ministérielle). L’interpréta-
tion des syntagmes se fait en fonction du substantif porteur ; en cela, les
adjectifs dénominaux, qu’ils soient en emploi qualificatif ou en emploi
relationnel, se comportent comme tous les adjectifs.
On a pu constater que l’emploi relationnel est accessible à tout
type d’adjectif dénominal, qu’ils soient dérivés de noms communs
(monumental), de noms ethniques (français) ou de noms propres (prous-
tien), qu’ils soient prototypiques (monumental, gracieux) ou exclusive-
ment épithètes (présidentiel). Ce potentiel emploi relationnel peut être
expliqué par leur structure dérivationnelle (« en relation avec Nbase »).
La construction est ouverte à la création (le monde assurantiel, le gou-
vernement génocidaire) et est très utilisée dans les langues spécialisées
(une géante gazeuse, le plancher stalagmitique). Si les emplois en tant
qu’attributs identifiants (Je suis français30) nous paraissent naturels, les
emplois attributs typants restent encore rares, mais ils font une appari-
tion timide dans des écrits spécialisés (cf. aussi (94)) :

(97) Le projet FOS (Français sur Objectif spécifique) que je vais décrire est
une commande faite à l’Alliance Française et qui provient du NCAA
(Ngorogoro Conservatory Area Authority). Le commanditaire est gouver-
nemental. (Carla Ravon, Travail FOS, année universitaire 2016–2017)

Loin d’adopter une attitude de puriste par rapport à ces constructions,


nous estimons qu’elles témoignent de la créativité et de la dynamique
de la langue française et de ses locuteurs.

30 Je suis très français est par contre qualifiant, cf. l’exemple (32).

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196  Jan Goes

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Christine Portelance

Sémantique cognitive : du rôle de l’adjectif


dans l’émergence de catégories

La dénotation d’un nom propre est l’objet même


que nous désignons par ce nom ; la représentation
que nous y joignons est entièrement subjective;
entre les deux gît le sens, qui n’est pas subjectif
comme l’est la représentation, mais qui n’est pas
non plus l’objet lui-même. — Frege (1970 : 107)

1. Introduction

La catégorisation est au coeur du langage. Incontournable, elle est


l’opération mentale permettant le découpage linguistique du réel. Elle
est fort probablement ce qui a permis à Homo de passer d’un proto-
langage à des systèmes linguistiques de plus en plus complexes, tels
qu’on les connaît aujourd’hui dans leur diversité. Si on ne peut vérifier
cette hypothèse parce qu’infalsifiable, on peut assurément en constater
l’inépuisable richesse sémantique qu’elle engendre. Les catégories ne
sont pas universelles puisqu’elles sont façonnées par l’interaction entre
l’expérience du monde et l’expérience de la pensée des sujets parlants,
elles le sont également par l’expérience du langage.
Dans cet article, nous reprenons certaines questions qui nous
ont intéressée au fil des ans concernant l’émergence des catégories
en examinant plus particulièrement le rôle de l’adjectif, et ce, en nous
servant principalement des concepts de saillance et d’enracinement,
concepts centraux dans le cadre de la sémantique cognitive. Nous

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200  Christine Portelance

examinerons trois types de rôles : l’adjectif purement descriptif, l’ad-


jectif à sens instructionnel et l’adjectif de changement de domaine.

2. Quelques remarques épistémologiques

Il convient tout d’abord de définir ce que nous entendons par séman-


tique cognitive. Si les sciences et techniques cognitives (STC)
concernent différentes disciplines (neurologie, psychologie, lin-
guistique, informatique, etc.), elles présentent également une diver-
sité d’approches imbriquées, mais non parfaitement étanches, que
Varela (2000 : 7) organise en une carte polaire formée de trois cercles
concentriques : au centre le cognitivisme, puis le connexionisme et,
en périphérie, l’approche enactive que nous privilégions. Tout comme
Varela, nous croyons que la cognition est un mode d’action qui fait
émerger le monde dans un va-et-vient continuel entre contraintes
extérieures et activité intérieure.
Une telle conception trace une voie du milieu entre une interpré-
tation d’un monde prédéfini par des règles fixes et la construction d’un
monde élaborée à partir de la seule activité interne du sujet pensant.
Nous ne pouvons en effet ni penser le monde en nous en extrayant (pure
objectivité) ni ignorer l’existence de la matérialité du monde exté-
rieur (pure subjectivité). La perception des couleurs exemplifie cette
forme de couplage complexe puisqu’elle n’est pas la représentation de
ce que sont les couleurs, mais résulte d’une coopération entre divers
neurones associant une image rétinienne à une expectative de ce que
doit être l’objet, comme s’il existait une forme d’horizon d’attente de
la couleur1. Qui plus est, notre monde chromatique n’est pas le seul
envisageable, il diffère notamment de celui de certains oiseaux (tétra-
chromats plutôt que trichromats2), pourtant le monde que fait émerger
notre cognition est stable parce qu’il fonctionne et parce qu’il constitue
1 Pour retrouver la discussion sur la perception des couleurs, voir Varela,
Thompson et Rosch (1993 : 157–179).
2 Les primates primitifs étaient dichromats ; en devenant trichomats, il leur était
plus facile d’identifier les fruits mûrs et sucrés.

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Sémantique cognitive 201

une intersubjectivité partagée, et ce, en dépit du fait que les langues


puissent découper différemment le chromatisme3. Varela (1996 : 111)
renchérit en mentionnant des expériences qui montrent que l’olfaction
n’est pas une simple fonction passive induite par des propriétés exté-
rieures4.
Par ailleurs, la physiologie du goût5 nous apprend que le nombre
d’images gustatives possibles est illimité (l’expérience individuelle
d’une image sensorielle est ainsi incommunicable) et que le système
gustatif est un système de reconnaissance de formes plutôt qu’un
système de catégorisation ; par conséquent, les catégories de goût ne
peuvent qu’être des catégories de langage. Les saveurs de base sont
des catégories sémantiques prototypiques (sucre pour le sucré, chlorure
de sodium pour le salé, etc.). Or qui dit reconnaissance de formes dit
apprentissage et l’apprentissage a besoin de se déployer dans le temps ;
il semble toutefois difficile, voire impossible, de mémoriser une image
gustative que l’on ne peut nommer.6
Cette voie du milieu, qu’emprunte la sémantique cognitive telle
que nous la concevons, intègre donc la corporéité, le sens commun et lie
les facultés cognitives à l’historique d’un vécu. Pour Varela (1996 : 111),
«[l]’image de la cognition […] n’est pas la résolution de problèmes au
moyen de représentations, mais plutôt le faire-émerger créateur d’un
monde avec la seule condition d’être opérationnel  ». À cet égard, et
l’instar de Talmy (2000), nous croyons que le langage est une faculté
cognitive distincte, - parmi d’autres certes et partageant certaines pro-
priétés avec ces dernières - jouant néanmoins un rôle primordial pour la
pérennité de l’univers de signification engendré par la cognition.

3 Pensons au célèbre exemple français/gallois de Hjemslev : bleu, vert, gris, brun/


glas, llwyd, gwyrdd.
4 Pour une certaine approche de la sémantique des odeurs, voir Kleiber et
Vuillaume (2011).
5 Faurion (2000).
6 Pour la sémantique du goût, voir Portelance (2011, 2016a et b).

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202  Christine Portelance

3. Catégorisation : saillance et enracinement

Sur le plan linguistique, la notion d’« historique d’un vécu » appliquée


à la dénomination réfère à l’enracinement7 qui, aux dires de Langacker
(1997), augmente avec la fréquence d’usage et sert notamment à établir
la prototypicité des catégories. Dans la catégorie « fruits », pomme a
un plus grand enracinement que pitaya et dans la catégorie « oiseau »,
merle plus qu’autruche8, ils sont donc plus saillants dans leur catégorie.
Pour les différentes acceptions de canard, on conviendra que le sens
« animal palmipède » est plus enraciné que « couac » ou « journal »,
donc plus saillant.
Ferdinand de Saussure, en distinguant linguistique diachronique
et linguistique synchronique, et en plaçant cette dernière au cœur de
l’étude du langage, a fait passer la linguistique du XIXe au XXe siècle.
Un tel changement de paradigme a certes été des plus féconds, le struc-
turalisme devenant au milieu du siècle dernier une sorte de creuset
méthodologique pour bon nombre de sciences humaines. Or étudier la
syntaxe ou la phonologie d’un état de langue est une chose, mais vou-
loir arrêter le mouvement du lexique, dont celui de la dénomination,
pour en étudier une image fixe en est une autre.
Chaque génération transmet à ses enfants une langue légèrement
différente de celle qu’elle a reçue, et si les mutations phonétiques et
syntaxiques se font rares, le lexique par ailleurs fluctue au rythme des
expériences de vie. La sémantique lexicale purement synchronique
nous apparaît donc comme une vue de l’esprit motivée par des consi-
dérations d’ordre méthodologique plutôt qu’épistémologique. Nous ne
sommes pas en train de suggérer de retourner à une sémantique lexicale
étymologique, mais nous estimons qu’il faut considérer la dynamique
du lexique comme faisant partie du savoir lexical actif du sujet parlant,
de son expérience de langage, notamment en matière de catégorisation
et de polysémie.

7 Le terme original pour enracinement est celui de R. Langacker (1987)  :


entrenchment.
8 La prototypicalité des catégories est définie à même l’expérience du monde,
elle n’est donc pas universelle, mais culturelle.

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Sémantique cognitive 203

Par ailleurs, qu’il s’agisse d’une sémantique du prototype ou d’un


modèle des conditions nécessaires et suffisantes (CNS), la catégorisa-
tion est la plupart du temps définie en termes de classement par ressem-
blance établie sur la base d’analogies. En effet, c’est par ressemblance
que des éléments sont réunis dans une même catégorie. Or catégori-
ser est une opération mentale qui permet par la voie de l’apprentissage
d’identifier également les différences et de les organiser.9 Pour la caté-
gorisation linguistique, la différence est généralement marquée. Cette
fonction de marquage est la fonction adjectivale qui nous intéresse.

4. Adjectifs « instructionnels » contre adjectifs


descriptifs

En sémantique du goût, l’adjectif doux a comme sens premier « contient


du sucre ».

(1) vin doux/vin sec


cidre doux/ cidre sec

L’adjectif présente également une double axiologie selon que l’on utilise
le paramètre hédonique10 (agréable/ désagréable) comme dans vent doux/
vent aigre ou le paramètre d’intensité qui nous concerne ici plus particu-
lièrement. Reliée une expérience fort ancienne de primates11, l’axiologie
doux/amer a servi à sélectionner dans notre passé lointain les aliments
comestibles. L’adjectif doux a comme propriété d’exprimer le pôle faible
de différentes échelles d’intensité de saveurs, soit le pôle non marqué.

(2) beurre doux / beurre salé


amande douce / amande amère
piment doux / piment fort

9 Voir Le Ny (2005).
10 Dans ce cas, il est souvent difficile de discriminer ce qui origine du goût ou du
toucher comme dans douce peine.
11 Voir Hladik et Pasquet (2004).

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204  Christine Portelance

mais également :

(3) eau douce / eau salée


eau douce / eau dure

Ces derniers exemples, en (3), ne relèvent pas du domaine de l’alimen-


tation tout en suivant exactement le même modèle absence/présence.
L’adjectif connaît également une expansion dans différents champs.

(4) drogue douce / drogue dure


fer doux / fer aigre

Pour drogue douce/drogue dure, l’échelle d’intensité est celle de l’effet


de la substance et de son caractère addictif ; l’opposition douce/dure
peut paraître surprenante puisque l’adjectif dur est généralement utilisé
en opposition à l’idée de mou ou de souple (comme dans palais dur/
palais mou, disque dur/disque souple). On retrouve cette idée de sou-
plesse dans fer doux, un fer assez malléable pour être forgé, contraire-
ment au fer aigre, qui ne l’est pas.

(5) gymnastique / gymnastique douce


énergie / énergies douces
médecine / médecines douces

En (5), gymnastique douce est une sous-catégorie de gymnastique,


exercice moins intense comme le prédit l’échelle d’intensité marquée
par doux ; pour ce qui est d’énergies douces12, c’est l’impact sur l’envi-
ronnement qui est visé, mais cette notion d’impact environnemental ne
faisait pas partie du concept « énergie » de départ .On comprend que
l’impact des lampes à pétrole ou des premières voitures était à l’époque
peu perceptible, donc non pertinent. L’adjectif crée une nouvelle caté-
gorisation opposant notamment énergies fossiles, énergie nucléaire à
énergie solaire, énergie éolienne ; le concept « énergie » est ainsi redé-
fini par ajouts de sèmes grâce à de nouvelles expériences du monde.
Le troisième cas est particulier puisque médecine n’a pas exac-
tement la même aire sémantique dans les deux cas. Seuls les titulaires
d’une faculté de médecine peuvent se dire médecins et poser des gestes
12 Quelquefois en concurrence avec énergie verte.

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Sémantique cognitive 205

médicaux. Il y a normalisation par un ordre professionnel définissant


ce qu’est la science de la médecine. Nous n’essaierons pas de définir
l’intensité en jeu ici puisque l’étiquette médecines douces réunit des
activités fort différentes, et en d’autres cultures, la catégorisation se ferait
différemment. En Chine, les mêmes facultés de médecine enseignent la
médecine occidentale et la médecine traditionnelle chinoise (comprenant
l’acupuncture et la phytothérapie, qualifiées ici de médecines douces).
Le sens premier de doux est la propriété « contient du sucre », l’ad-
jectif est descriptif, mais le sens le plus enraciné est un sens instruction-
nel d’« atténuateur » (par opposition à « intensificateur ») qui module
le sens référentiel du syntagme nominal. À ce titre, l’aire sémantique
de doux paraît floue, imprécise13 parce l’atténuation est déterminée soit
par le pôle opposé (salé, sec, fort, dur, etc.), soit par l’expérience modi-
fiée du concept de base comme dans énergie douce, médecine douce.
S’agissant de l’apparition d’un néologisme de composition contenant
doux, l’interprétation de doux se fait grâce à l’instruction induite par
une série d’emplois préalables qui permet d’accéder au référent. On
retrouve ainsi en présence de deux modèles de sens différents dans un
même composé nominal : le modèle descriptif pour la tête du syntagme
et le modèle instructionnel pour la détermination adjectivale.14
Voyons maintenant dans quels contextes cet adjectif, modifi-
cateur de la référence, connaît une échelle d’intensité dans certains
emplois alors que dans d’autres cas, il se comporte comme un adjectif
relationnel pur et dur.

(6) a. vin très doux / vin très sec


cidre très doux / cidre très sec
eau très douce / eau très dure
b.*beurre très doux / beurre très salé
*piment très doux / piment très fort
*eau très douce / eau très salée
*fer très doux / fer très aigre

13 Pour la discussion des rapports entre polysémie et sens vague, voir Geeraerts
(1993).
14 Nous reprenons ici la proposition de Kleiber (1999a : 51, iii) à propos d’une
conception hétérogène du sens.

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206  Christine Portelance

c.*amande très douce/*amande très amère


*drogue très douce/*drogue très dure
*gymnastique très douce
*énergies très douces
*médecines très douces

On observe trois types de comportements de l’adjectif reflétant divers


degrés de figement des syntagmes nominaux. En a) les oppositions
doux/sec et doux/dur connaissent une échelle d’intensité puisqu’un vin
sec par exemple peut contenir un certain pourcentage de sucs résiduel;
la frontière entre les deux catégories n’étant pas parfaitement étanche,
la présence de l’adverbe est donc possible dans des emplois contrastifs
de type ce vin est très doux, celui-ci est plus sec. En b), il s’agit d’une
frontière étanche entre absence/présence, le pôle doux ne peut donc pré-
senter d’intensité, mais le deuxième pôle si, en emplois contrastifs : ce
piment est plus fort que celui-là, ce piment plus doux que celui-là (dans
le sens de moins fort, mais non ce piment est très doux, dans le sens
de ce poivron est doux15. En revanche, la construction attributive est
possible : ce beurre est doux. En c), il s’agit soit d’une frontière étanche
entre deux catégories (amandes, drogues), soit de nommer une nou-
velle expérience du concept de base (médecine, gymnastique énergie),
dans les deux cas, doux se comporte comme un adjectif relationnel, il
est non modifiable par un adverbe et il ne connaît pas de construction
attributive.

5. Catégorisation et langues de spécialité

Départager langue générale et langues de spécialité n’est pas toujours


aisé puisque régulièrement des termes réservés à des domaines tech-
niques ou scientifiques s’installent dans l’usage commun. Pensons aux
termes du domaine de l’informatique ces dernières années. Certains
croient qu’une image scientifique naïve du monde16 se dépose ainsi dans

15 ce poivron est doux constitue naturellement un pléonasme.


16 Comme J. Apresjian, cité par Wierzbicka (1985).

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Sémantique cognitive 207

la langue générale. Pour sa part, Wierzbicka (1985) propose l’existence


d’une échelle conceptuelle reflétant les différentes expériences que l’on
peut avoir d’un concept, échelle qui irait de l’expert (concept maxi-
mum) au profane (concept minimum). Grâce à cette distinction, on peut
dès lors définir une langue de spécialité comme l’expérience partagée
par des sous-ensembles de locuteurs d’une communauté linguistique
donnée. Un sous-ensemble se définit par une situation de communica-
tion ou un univers de discours communs. La description des langues
de spécialités se trouve principalement dans des ouvrages terminogra-
phiques (nomenclatures, glossaires, lexiques) qui comportent un certain
nombre de syntagmes terminologiques lourds, de type méthode d’accès
direct avec file d’attente en télétraitement, dont on ne peut ignorer le
caractère quelque peu artificiel et la faible fréquence. Les composés
lourds ont peu d’enracinement ; ils existent parce que sont réunis dans
un ensemble un grand nombre d’objets semblables à distinguer, dans un
même domaine :

(7) méthode d’accès direct hiérarchique


méthode d’accès séquentiel hiérarchique
méthode d’accès séquentiel indexé hiérarchique
méthode d’accès direct avec file d’attente
méthode d’accès direct avec file d’attente en télétraitement

Plus la tête du syntagme est constituée d’un nom peu spécifique (sys-
tème, méthode, réglage, commande, etc.), plus la série peut s’allonger.
Le modèle de formations le plus courant est le NOM + adjectif, les
composés lourds peuvent combiner des déterminations : ADJ, prép +
NOM comme on le voit en (7) ou présenter des successions d’adjectifs
comme suit :

(8) énergie électromagnétique


énergie électromagnétique volumique
énergie volumique acoustique
énergie volumique cinétique acoustique instantanée
énergie volumique potentielle acoustique instantanée
énergie volumique acoustique instantanée

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208  Christine Portelance

Dans tous ces exemples17, l’adjectif est descriptif  : plus le terme est
lourd, plus le terme prend la forme d’une sorte de définition synthé-
tique, chaque adjectif ayant un contenu notionnel déjà défini dans le
domaine.

5.1. L’adjectif descriptif terminogène

Nous avons déjà montré (Portelance 2000) qu’au sein de syntagmes


terminologiques, tous les adjectifs (qu’ils soient qualificatifs à propre-
ment dits, dénominaux, déverbaux, simples ou composés) se compor-
taient en fait comme des adjectifs relationnels, c’est-à-dire comme des
modificateurs de la référence, au sens de Bolinger (1967), et comme des
adjectifs – Q, selon la typologie de Hietbrink (1985). À titre d’exemple,
les syntagmes terminologiques suivants :

(9) ampoule claire


accès séquentiel
accessibilité totale
courant continu
action flottante
alternateur tachymétrique

Nous avions alors conclu que l’adjectif relationnel (ou – Q) était en


quelque sorte le prototype de l’adjectif terminogène. En situation
discursive, on conviendra que ces adjectifs peuvent avoir d’autres
comportements  : le courant est-il continu? pour est-ce du courant
continu?
Il existe en outre une fonction adjectivale en terminologie
permettant d’entraîner des mouvements internes du lexique d’un
domaine à un autre. L’adjectif de changement de domaine permet la
catégorisation d’objets nouveaux avec une économie linguistique.

17 Exemples tirés du Vocabulaire Électrotechnique International de la CEI (Com-


mission électrotechnique internationale).

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Sémantique cognitive 209

5.2. L’adjectif de changement de domaine

Le premier à notre connaissance à s’être intéressé aux phénomènes


reliés à la formation d’un nouveau champ sémantique à même du voca-
bulaire existant en français est Louis Guilbert (1965) dans son étude de
la naissance du vocabulaire de l’aviation18. Les domaines qui alimentent
le transfert terminologique sont nombreux et comprennent les sciences
connexes de l’aéronautique (physique, astronomie, etc.), les sciences
naturelles (ornithologie, entomologie, etc.), la marine et le transport
(maritime et ferroviaire), c’est ce dernier domaine qui nous intéresse au
premier chef. Selon Guilbert, le procédé le plus courant pour les néolo-
gismes est l’utilisation d’un adjectif marqueur du nouveau champ, dont
le plus fréquent sera aérien, comme dans les exemples :

(10) navigation aérienne


wagon aérien
nageoire aérienne
combat naval aérien
montagne russe aérienne

Guilbert fait remarquer que la création de navigation aérienne pro-


voque de plus le transfert de lexèmes associés tels hauban et hublot. On
voit bien ici à l’œuvre le mécanisme de l’analogie décrit par Hofstadter
et Sander (2013). Ces auteurs soutiennent que l’analogie, plus que la
logique, est le fondement de la pensée; ils lient intimement les notions
de catégories et analogie  : La catégorisation/analogie règne sur la
pensée à tous les niveaux, du microscopique au macroscopique (2011 :
36). Nous ne les suivrons pas jusque-là sur le plan linguistique, car si la
catégorisation linguistique ne se fait pas ex nihilo et relève bien sur le
plan cognitif de l’analogie, nous croyons par ailleurs que toute analogie
ne génère pas nécessairement une catégorisation linguistique qui, elle,
doit appartenir au système de la langue.
L’adjectif aérien conserve aussi, dans certains cas, une fonction
purement descriptive :

18 Cette étude s’étend sur trois décennies : de 1861 avec la création du mot héli-
coptère jusqu’à la première apparition du mot avion en 1891.

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210  Christine Portelance

(11) exercice aérien


bond aérien
mouvement aérien

Pour bien comprendre la différence sémantique entre ces deux fonctions


(description et changement de domaine), il faut examiner les transfor-
mations sémantiques du nom au sein du syntagme. En (11) la configu-
ration sémantique du nom n’est pas modifiée, l’adjectif le spécifie par
une caractérisation, il n’y a pas d’analogie, alors qu’en (10), l’adjectif
modifie la configuration de départ du nom (ou du syntagme nominal)
et cette modification est possible à cause de l’existence d’une analogie.
Comparons deux séries avec et sans analogie :

(12) a. navigation maritime


navigation fluviale
b. navigation aérienne
navigation spatiale

En a), l’adjectif, comme en (11), modifie la référence, mais non la


configuration sémantique du nom. En b), les adjectifs modifient non
seulement la référence en distinguant des types de navigation dans
différents domaines, mais ces adjectifs en altèrent la saillance sémantique
du lexème navigation en rendant le trait sémantique [+eau], qui appa-
raissait pourtant comme un trait essentiel en a), non pertinent, le trait
n’étant plus que latent. La première mutation générée par analogie, avec
l’adjectif aérien, transforme la configuration sémantique de navigation
en une région non bornée, seuls les composés navigation + détermina-
tion constituent alors des régions bornées parce l’adjectif détermine le
domaine.19 Autrement dit, le vocable navigation a toujours un sens lin-
guistique, mais ce sens n’est plus référentiel. Ce flou quant au contour
sémantique de navigation instauré par la première mutation facilite les
analogies subséquentes.

19 Une « chose  » est définie par Langacker comme une région bornée dans un
domaine. En situation de discours lorsque le contexte identifie le domaine,
navigation, employé seul en tant qu’occurrence d’une catégorie, redevient une
région bornée.

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Sémantique cognitive 211

(13) navigation sur Internet


navigation spatiale*
b. navigation sémantique*
c. navigation sociale*20

En (13), le déplacement n’est plus que virtuel, la navigation consiste


à se déplacer d’un site de réseau à un autre. Les exemples a) b) et c),
des termes spécialisés, en sont des sous-catégories dans le domaine
informatique : la navigation spatiale mime des déplacements réels, on
trouve ce genre de navigation surtout en réalité virtuelle ; la navigation
sémantique se fait en fonction des attributs de l’information, ce type de
navigation est employé dans les systèmes hypertextes  ; la navigation
sociale est mise en œuvre en suivant des liens proposés par d’autres
utilisateurs, sur les réseaux sociaux, notamment. Pour exister, ces trois
termes d’informatique doivent s’appuyer sur le sens récent de naviga-
tion déjà bien enraciné.

5.3. Naviguer sur21 internet ou naviguer dans internet

Voici ce qu’en disait l’Office de la langue française22 au Québec en


1999 :

«  Actuellement, la préposition «  sur  » est très employée avec les termes


« Internet », « web ». […] La logique voudrait que ce soit « dans » dont on se
serve, puisque Internet est un réseau dans lequel on pénètre. De plus, l’image
que contiennent les termes « navigation » et « naviguer » devrait être reliée à
la navigation aérienne plutôt qu’à la navigation maritime car le cyberespace
dans lequel évoluent les internautes est plus proche de l’espace aérien que de
la mer. »

20 Termes* trouvés dans Vernier (1997).


21 Il ne s’agit pas ici de l’extension de la préposition sur qui a donné des énoncés
comme : j’habite sur Paris ou je vais sur Paris, puisque le français québécois
ne la connaît pas.
22 Depuis, l’Office de la langue française (OLF) est devenu l’Office québécois de
la langue française (OQLF), l’adresse du site http//www.OLF. gouv.qc.ca n’est
donc plus valable. Les commentaires de 2017 se trouvent à l’adresse : http://bdl.
oqlf.gouv.qc.ca/

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212  Christine Portelance

L’OLF critiquait ainsi le manque de logique de l’usage! À l’époque,


nous avions plutôt fait valoir l’existence d’autres images que l’image
spatiale générée par les termes internaute et cyberespace, notamment
l’image de la ligne comme dans la série en ligne  : service en ligne,
achat en ligne, conférence en ligne, qui pouvaient motiver l’usage de
la préposition sur. Aujourd’hui, nous avons quelque peu modifié notre
position, tout comme l’OQLF d’ailleurs, qui commente en 2017 l’usage
de prépositions sur et dans en des termes qui relèvent d’une certaine
grammaire spatiale :

« Fait-on des recherches sur Internet ou dans Internet? Cette hésitation est tout
à fait normale puisqu’on peut considérer Internet comme une surface (ce qui
appelle la préposition sur) ou comme un volume (ce qui appelle la préposition
dans). On peut donc utiliser tant la préposition sur que la préposition dans
devant Internet. »

Toutefois, l’Office québécois continue à voir dans l’usage de sur une


faille de logique :

« Lorsqu’on utilise dans, on se représente Internet comme un volume, plus pré-


cisément comme un réseau à l’intérieur duquel on se déplace, un peu comme
une navette qui se déplace dans l’espace. Ainsi, comme le cyberespace rappelle
davantage l’espace aérien que l’étendue maritime, il serait plus logique de dire
qu’on navigue dans Internet (on fait donc référence à la navigation aérienne
plutôt qu’à la navigation maritime). »

Dans le choix des usagers de la préposition sur, nous voyons maintenant


la manifestation du sens commun. Le sens le plus récent n’efface pas
le sens premier de navigation et de naviguer « déplacer un navire d’un
point à un autre » à partir duquel se sont élaborées les analogies. Or se
déplacer d’un point à un autre, selon une route que l’on doit tracer, ne
s’imagine qu’en tirant une ligne entre des points, sur une carte physique
ou mentale, peu importe dans quel type d’espace se trouve le sujet. En
fait, l’usage de sur renforce l’idée que navigation, comme région non
bornée, comporte des traits sémantiques qui peuvent être réactivés au
besoin. L’erreur de l’OQLF, nous semble-t-il, est de considérer l’ordre
chronologique de l’apparition des usages de naviguer ou de naviga-
tion comme provoquant nécessairement un cloisonnement entre ces
différents usages, suivant la flèche irréversible du temps, alors que c’est

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Sémantique cognitive 213

la description linguistique des différents usages qui cherche à délimiter


et séparer des éléments en mouvance.
On trouve la même situation avec l’expression réseaux sociaux
sur laquelle l’OQLF reste néanmoins muet :

(14) a. Cette entreprise a effectué des changements dans son réseau de distri-
bution.
Max a trouvé un emploi dans le réseau de la santé.
b. Sur les réseaux sociaux, les commentaires sont souvent vulgaires
Les discussions s’enveniment sur les réseaux sociaux.

Si réseau peut s’interpréter en a) comme un volume, et en b) comme


une surface, c’est qu’il y a toujours dans sa configuration séman-
tique « enchevêtrement de lignes » ; ce sont ces traits sémantiques qui
redeviennent saillants avec le terme réseaux sociaux. Nous y voyons
une preuve que la dynamique du lexique fait partie du savoir lexical
actif du sujet parlant.
En conférant un certain flou à une configuration sémantique,
un tel usage linguistique empêche la cristallisation du lien signifiant/
signifié dans la monosémie. Cette « imperfection du langage » s’inscrit
dans une stratégie cognitive d’adaptation de l’outil langagier au fil de
l’expérience : l’expérience du monde, comme l’expérience du langage.

6. En guise de conclusion

On peut certes avancer que la principale « tare » ici est d’ériger le flou
en concept et de négliger une description systématique. Il faut peut-
être se rappeler que la sémantique cognitive est née d’une querelle au
sein de la famille générativiste à propos de la sémantique générative
qui, dans la foulée, a été en quelque sorte sacrifiée23; ce conflit a mené
à un schisme opposant la linguistique de Chomsky au MIT à celle de
Lakoff à Berkeley. La première a privilégié un modèle syntaxique sans
sémantique, la syntaxe devenant la théorie linguistique en elle-même, et

23 Newmeyer (1986) la décrit comme la Linguistic War.

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214  Christine Portelance

a mené au cognitivisme ; la seconde a pris le contre-pied de la première


avec une sémantique cognitive et l’approche enactive. En grammaire
générative, les seuls vestiges sémantiques concerneront un sens aréfé-
rentiel.
Dans sa recherche d’un modèle scientifique de type déductif, la
grammaire générative a cependant échoué à formuler une grammaire
universelle24; elle a toutefois indéniablement apporté une grande rigueur
dans la formalisation de l’analyse linguistique dont les retombées se
sont surtout fait sentir en ingénierie linguistique et en linguistique
computationnelle, mais les progrès en intelligence artificielle sont lents.
À preuve, grâce à de grands corpus informatisés, les meilleurs systèmes de
traduction automatiques actuels reposent sur des calculs de probabilités
plutôt que sur des descriptions linguistiques fines. Toutefois, comme le
dit le mathématicien René Thom, prédire n’est pas expliquer. S’agissant
du rapport entre linguistique et mathématique, il affirme : « Je serais
personnellement tenté de dire que c’est le domaine linguistique qui est
le domaine fondamental. » (1993 : 125). Sur l’importance de l’analogie
et de la corporéité, il dira  : C’est parce nous avons implicitement le
schéma de la pompe réalisé dans le cœur que nous avons pu ultérieure-
ment construire des pompes technologiques (p.124). Le langage permet
à l’analogie d’être féconde. Le pouvoir créateur des mots réside dans
leur flexibilité sémantique.
Le principal défi de la sémantique lexicale est d’arriver à une
sémantique qualitative et explicative en évitant de prendre des ves-
sies pour des lanternes, c’est-à-dire en ne négligeant pas le biais et les
limites apportés par les méthodes de description employées. L’histoire
assez récente de la linguistique nous apprend à ne pas définir le sens
linguistique en fonction de la capacité d’un modèle linguistique à le
prendre en charge, à ne pas confondre méthodologie et épistémologie.
Une conception hétérogène25 du sens s’est faite peu à peu une
place dans la sphère linguistique. Il serait bon de se rappeler de temps en
temps qu’analyser le champ lexical « siège » en s’inspirant d’une matrice
phonologique, tenter une liste exhaustive des primitifs sémantiques ou
24 L’idée d’une grammaire universelle avait suscité beaucoup d’enthousiasme et
d’adhésions au point de départ, elle a dû être abandonnée par la suite ; le modèle
a connu de nombreuses transformations depuis ses débuts.
25 Sur les difficultés à intégrer le sens référentiel, voir Kleiber (1999a).

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Sémantique cognitive 215

des fonctions lexicales, identifier les proverbes comme des dénomina-


tions très spéciales ou encore noter dans un glossaire un terme comme
réglage du degré d’inclination par l’éjection de gaz par les tuyères
(nozzle gas ejection ship altitude control) constituent des jeux de
langages au sens où l’entendait Wittgenstein. Les linguistes ne peuvent
s’extraire de la sphère du langage pour décrire leur objet d’étude, c’est
peut-être justement ce qui rend l’entreprise si passionnante.

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Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

Les métaphores de la lumière à la lumière


de la métaphore (français-arabe)

1. Introduction

La polysémie, loin de constituer une imprévisible liste fermée de


sens secondaires, possède sa systématicité. Ce qu’Apresjan (1974)
appelle polysémie régulière, et qui affecte aussi bien le lexique que la
phraséologie, se fonde sur des associations entre domaines conceptuels
complets, qui, à leur tour, sont associables à d’autres par dérivation secon-
daire. Plusieurs dimensions de la pensée participent à ces projections
et extensions entre concepts. Outre la pensée analogique proprement
dite, comme dans les métaphores « expérientielles » de Lakoff (1983),
interviennent aussi des éléments de logique inférentielle (symétries,
réciprocités, inclusions) et de symbolisme culturel (associations
d’idées historiquement établies et socialement transmises). Aucun de
ces mécanismes n’est arbitraire ni statique, et les langues en conservent
de nombreuses traces (Dobrovol’skij 1998, Dobrovol’skij et Piirainen
2005, Pamies 2014, 2017, Zykova 2013, 2014). Les métaphores de
la lumière montrent que, dans les manifestations linguistiques de ces
réseaux mentaux, il n’y a pas toujours une frontière très nette entre ces
catégories, qui peuvent se chevaucher, voire collaborer. Par exemple,
l’expérience peut se superposer aux préjugés idéologiques (valeurs
culturelles, positives et négatives). Même si, pour les nécessités de
l’analyse, nous aimerions pouvoir décrire et classer ces métaphores
en distinguant toujours les macro-modèles d’inspiration universaliste,
comme les métaphores conceptuelles (Lakoff 1983), des associations
d’idées culturellement restreintes, comme les culturèmes (Pamies
2007, 2017, Pamies et Lei 2014, Pamies, Craig et Ghalayini 2014),
c’est-à-dire, des symboles culturels extralinguistiques, qui fonctionnent

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220  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

comme des modèles métaphoriques dans la langue (Pamies 2017 : 101),


chaque symbole représentant des « valeurs », attestées dans le lexique
par un sens métaphorique, les deux types de phénomènes peuvent se
chevaucher et même coopérer dans la motivation de certains modèles
sémantiques. Par exemple l’opposition entre la lumière et l’ombre est
vraisemblablement liée par des déductions logiques à l’archi-métaphore
que Lakoff appelle knowing is seeing, mais elle est également connectée
– culturellement – à des connotations idéologiques d’origine religieuse
opposant des valeurs positives et négatives.

2. La lumière et l’ombre comme culturèmes religieux


et philosophiques

Du point de vue chronologique, les métaphores attestées les plus


anciennes proviennent de croyances ancestrales sur la lumière « réelle »,
reflétées par les mythes créationnels antiques. Selon la Théogonie
d’Hésiode (116–124), les Grecs croyaient que les ténèbres (Érebus /
Ἔρεβος) et la nuit (Nyx / Νύξ) provenaient du Chaos, alors que le dieu
primordial (Æther / Αἴθω) et le jour (Hémera / Ἡμέρα) étaient nés de la
nuit. Le Judéo-christianisme associe d’une façon encore plus détermi-
niste la lumière à la Création :

– Dieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut. (Genèse 1 : 1–3)1
– Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les
ténèbres (Genèse 1 : 4–5).

Ces exemples parlent de la « lumière littérale », présente ou absente,


mais leur appréciation prédispose ces concepts au rôle métaphorique
qu’ils jouent déjà dans d’autres passages de l’Ancien Testament,
opposant la lumière de Dieu, en tant que vérité absolue de la révéla-
tion, aux ténèbres préexistantes, qui représentent la condamnation
de tous ceux qui s’obstinent à continuer dans le péché.

1 [BIB] Nous citons la version française de Louis Second.

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  221

– 
Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière ; sur ceux
qui habitaient le pays de l’ombre de la mort, une lumière resplendit (Isaïe 9 :
2).
– 
Ton soleil ne se couchera plus, et ta lune ne s’obscurcira plus ; car l’Éternel
sera ta lumière à toujours, et les jours de ton deuil seront passés (Isaïe 60 :
20).

Le mot lumière apparaît des centaines de fois dans la Bible, presque


toujours au sens figuré, avec ces connotations métaphysiques et
morales, par exemple : La lumière des justes est joyeuse, mais la lampe
des méchants s’éteint (Proverbes, 13 : 9). L’Évangile utilise l’image de
la lumière dans les révélations et les prophéties : Je suis la lumière du
monde (Jean, 8 : 12) / Il n’y aura plus de nuit ; et ils n’auront besoin ni
de lampe ni de lumière, parce que le Seigneur Dieu les éclairera (Apo-
calypse, 22 : 5)2.
L’association entre divinité et lumière est d’ailleurs inhérente
au mot français dieu, dérivé du latin deus, lui même du proto-indo-
européen *deywós, dérivation de *dyew, d’où proviennent également le
sanskrit devah (देव) et le grec Zeus. Cette racine signifiait littéralement
« lumière diurne » (dyew > dyē > lat. diēs « jour » & diurnus « diurne »
[Anders]). Les noms propres Iovis et Jupiter proviennent indirectement
de cette même racine (lat. Iuppiter < i-e. dyeu+pƏter « dieu+père »)
([ROB-PAS] : 34–35).
L’Islam coïncide avec cette association, explicitée plusieurs fois
dans les métaphores du Coran, par exemple :

– Allahu nur as-samāwāt wa al-,rḍ


(‫)هللا نور السماوات واألرض‬
« Allah est la Lumière des cieux et de la terre » (24 : 35) ;
– Wa min shari ghāsiqin ،ithā waqab. (113 : 3)
(‫ب‬َ َ‫ق إِذَا َوق‬
ٍ ‫)ومِ ن ش ِ َّر غَا ِس‬
َ
« contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit ».

2 Ce symbolisme ne semble pas sans rapport avec la tradition d’allumer des chan-
delles dans la maison de Dieu, ou avec le fait que, dans l’iconographie ortho-
doxe et catholique, les saints soient représentés avec une auréole, qui symbolise
le degré de gloire qui distingue les saints dans le ciel [Littré].

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222  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

Une prière musulmane basée sur un verset coranique dit également


[« Allah, que tu fasses sortir les gens des ténèbres vers la lumière » /
yukhrij an-nās men althulumāt ,ila alnur = ‫]يخرج الناس من الظلمات إلى النور‬
(2 : 257, 14 : 1 et 14 : 5). Certaines locutions sont des variantes abrégées
de ces versets. Par exemple, [Allah yib،idnā ،an althalām w yij،alnā
fy alnur da,man = ‫« هللا يبعدنا عن الظالم ويجعلنا في النور دائما‬ faire sortir les
gens des ténèbres vers la lumière »]. On peut aussi trouver cette image
dans un contexte non religieux, par exemple : la métaphore coranique
mentionnée plus haut inspire une formule de politesse pour saluer un
invité : [Nawartnā « tu nous as donné la lumière » = ‫] نورتنا‬, à laquelle
on répond [Albalad nawarat / mnawrah biṣḥābhā « le pays était / est
illuminé par ses gens » = ‫ منورة بصحابها‬/ ‫] البلد نورت‬. Par ailleurs, l’un des
cent noms d’Allah est [Nour = ‫« نور‬ lumière »], qui est aussi de nos
jours un prénom de femme très commun au Moyen-Orient (la reine de
Jordanie), coexiste avec le prénom masculin [Noureddine = ‫نور الدين‬
« lumière de la religion »).
Une des extensions de l’association culturelle religieuse rejoint
dans ce cas une autre association, dont la base est psycho-sensorielle : la
métaphore conceptuelle knowing is seeing (Lakoff 1983), attestée en
anglais par des idiomes tels que I see what you’re getting at; his claims
aren’t clear; the passage is opaque, etc. La Bible elle-même signale que
le précepte est une lampe, et l’enseignement une lumière (Proverbes, 6 :
23), et l’expérience prouvant que nous comprenons mieux ce que nous
pouvons voir, permet de relier la lumière et la connaissance, au-delà
du domaine théologique.
En français moderne, cela va même jusqu’à frôler la contradic-
tion, du fait que les pionniers de l’athéisme aient choisi l’image de
la lumière pour s’opposer au discours religieux qui l’avait créée, en
appelant, philosophie des lumières une idéologie qui défendait la raison
naturelle affranchie de toute influence religieuse. Les métaphores créa-
tives des philosophes du XVIIIe siècle (philosophie des lumières, illus-
tration, despotisme éclairé) s’exportaient ainsi vers d’autres langues en
profitant d’une base cognitive et culturelle commune :

fr. siècle des lumières /illustration ; alm. Aufklärung ; ang. age of enlightment ;
esp. siglo de las luces /ilustración ; it. Illuminismo ; rs. эпоха просвещения ;
ar. ،aṣr at-tanwyr (‫)عصر التنوير‬ ;

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  223

fr. despotisme éclairé ; alm. aufgeklärter Absolutismus  ; ang. enlightened despo-


tism ; esp. despotismo ilustrado ; it. dispotismo illuminato ; rs. просвещённый
абсолютизм ; ar. al-istibdād al-mustanyr (‫)االستبداد المستنير‬.

Ces lumières de la raison ont même été explicitement opposées aux


ténébreuses querelles théologiques (d’Alembert), antonymie qui sous-
tend le terme obscurantisme3. Cette habile appropriation rhétorique du
langage de l’adversaire dévie le potentiel connotatif de la lumière au
profit d’une conception laïque de la connaissance. Un nouveau cliché,
In Lumine Sapientia4, côtoie son modèle religieux (In Lumine Domin)5
comme en témoigne la locution les lumières de la science6 ou le pro-
verbe arabe [al ،lmnu nur = ‫« العلم نور‬ la science est lumière »].
Un autre revirement sémantique complet de la métaphore reli-
gieuse originelle est le fait que le mot illuminé soit aussi devenu péjo-
ratif dans certains contextes. Des sectes se proclamant elles-mêmes
« illuminées » par Dieu (esp. iluminados / alumbrados / it. illuminati)
ont été accusées d’hérésie au cours de différentes luttes internes au sein
de l’Église, et, par extension, ce mot désigne depuis lors un fanatique
([TLFi]), et même un fou :

Personne ne croit en lui et pour cause, il est complètement illuminé : porté par
un vrai rêve de grandeur, il veut faire construire un opéra au milieu de la forêt
amazonienne7.

On peut retrouver une extension ironique relativement similaire en


arabe colloquial du Moyen-Orient, où [ḍāwy (‫« )ضاوي‬ illuminé »] peut
s’appliquer à une personne stupide.

3 ang. Obscurantism  ; esp.&it. Oscurantismo  ; alm. Obskurantismus  ; rs.


обскурантизм.
4 Actuelle devise de l’université d’Almería.
5 Isaïe (2 : 5).
6 144.000 références sur Google.fr (accès septembre 2016).
7 Blog Écran Noir (01/07/2008) : « Festival de la Rochelle, chapitre 1: Héroïque! »
(Accès 03/08/2017) (http://ecrannoir.fr/blog/blog/tag/fitzcarraldo/).

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224  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

3. Extensions métonymiques du domaine cible

3.1. Lumière et connaissance

De nombreuses significations figurées (non religieuses) associent le


savoir et la lumière à d’autres « valeurs » qui convergent avec le modèle
de la révélation. Ainsi clair et transparent signifient «  compréhen-
sible », alors que leurs antonymes littéraux, obscur et opaque, signifient
« incompréhensible », etc. La langue manifeste une association produc-
tive entre sagesse et lumière. Il s’agit bien d’une extension métonymique
où se croisent une métaphore idéologique (lumière → révélation)
et une base empirique et sensorielle (visibilité → connaissance),
attestée en français dans des séquences figées (éclaircir un mystère /
avoir les idées claires), ou dans les créations discursives. Par exemple,
à la lueur du présent, le passé s’éclaire (André Gide, apud. TLFi).
français
– mettre en lumière « faire connaître / aider à comprendre (quelque chose) »
– porter en pleine lumière «  faire connaître / aider à comprendre (quelque
chose) »
– faire la lumière sur (quelque chose) « faire connaître / aider à comprendre
(quelque chose) »
– jeter quelque lumière sur (quelque chose) « faire connaître / aider à com-
prendre (quelque chose) »
– à la lumière de / à la lueur de « compte tenu de quelque chose qui permet de
mieux comprendre »
– apparaître en pleine lumière « cesser d’être caché »
– donner quelques lumières sur (quelque chose) «  faire connaître / aider à
comprendre (quelque chose) »
– de la discussion jaillit la lumière [DUN] (Proverbe) : « on ne peut atteindre
un accord que si on se donne la peine de discuter » [WIK]
– demander lumière et conseil « demander des conseils à quelqu’un de plus
savant en cas de dilemme »
– lucide (« qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité
[…]) p.ex., esprit lucide, analyse lucide [LAR]
– élucider (quelque chose) « expliquer ce qui était confus [LAR] » p.ex. élu-
cider une énigme; élucider un mystère. [TLFi]
– clair (« dont la compréhension ou l’interprétation n’offre pas de difficulté
[…]  ») p.ex., les faits sont clairs, un langage clair, style clair, allusion (/
indication /réponse) claire et précise [cf. TLFi]

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  225

– clair comme le jour « parfaitement compréhensible »


– clair comme de l’eau de source (/de roche) « parfaitement compréhensible »
– clair comme deux et deux font quatre « parfaitement compréhensible »
– mettre au clair « faire connaître / aider à comprendre (quelque chose) »
– tirer au clair « réussir à comprendre (quelque chose) »
– avoir l’esprit clair « être logique et conséquent dans ses idées »
– avoir les idées claires « être logique et conséquent dans ses idées »
– avoir une claire connaissance de (quelque chose) « bien connaître »
– être au clair « être parfaitement au courant de quelque chose » [REY]
– y voir clair « réussir à comprendre » p. ex. je crois que je commence à y voir
clair dans cette affaire8
– clairvoyance « …sagacité, pénétration, lucidité… » [LAR]
– clairvoyant « qui discerne ; qui ne se laisse pas abuser » [TLFi])
– éclairer (« rendre compréhensible, intelligible » […]) p.ex., éclairer un mys-
tère / éclairer de ses conseils [TLFi]
– être éclairé « se dit d’une personne cultivée capable de discerner la vérité »
– éclaireur «  soldat qu’on envoie pour visiter le pays dans lequel on veut
s’avancer  » [ACAD]), par extension «  personne civile envoyée quérir un
renseignement » [TLFi]). p.ex. envoyer/ marcher en éclaireur.
– éclaircir « rendre moins confus, plus intelligible… » [TLFi]) p.ex., éclaircir
une affaire /une difficulté /une erreur /des faits /un malentendu, etc.)
– clarifier «  rendre plus clair, plus compréhensible ce qui était ambigu,
confus.. » [TLFi] p.ex., clarifier un problème / un concept/ sa position /ses
idées, etc.
– illustration «  action d’adjoindre une représentation graphique à quelque
chose, généralement un texte, ou de représenter quelque chose sous une
forme graphique afin de la compléter, de la rendre plus claire ou plus
attrayante » (TLFi)
– illustrer « rendre plus clair par des notes, par des commentaires » [Littré]
– phare «  personne ou chose qui éclaire, rayonne, qui est un guide, un
modèle…  » [TLFi]  ; p.ex. écrivain-phare, livre-phare, film-phare, ville-
phare, homme-phare
– une preuve éclatante « qui apparaît de façon manifeste ou évidente » [TLFi]
– obscur « difficile de comprendre » p.ex. un texte obscur. [LAR] / d’un vain
sens déguisé sous d’obscures paroles, [Voltaire, Œdipe, II, 3 apud. Littré]
– opacité « caractère de ce qui est difficilement compréhensible, de ce qui est
impénétrable ou obscur » [TLFi]
– opaque « dont on ne peut pénétrer la signification », p.ex., un texte opaque
[LAR]
– clair comme de l’eau de vaisselle / du jus de boudin) [iron.] « incompréhen-
sible » [CAR]
– assombrir « brouiller, rendre confus » [TLFi]

8 Sandrine Liochon-Weislinger 2013 Révélations. Mon Petit Éditeur 189.

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226  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

– à l’ombre de (archaïque) « sous prétexte de » [DHL]


– sous ombre de / sous l’ombre de (archaïque soubz ombre) «  excuse  » /
« apparence » [DHL]
– fermer les yeux (sur quelque chose) « ignorer intentionnellement une situa-
tion conflictuelle » [DC]
– une ombre au tableau « un problème mal évalué dans une situation » [DC]
– les temps ténébreux de l’histoire « les temps où l’histoire est incertaine, peu
connue » [Littré]
arabe
– Min nur al-waḥy (‫* )من نورالوحى‬de la lumière de la Révélation « personne
très savante »
– Wāḍḥ *clair (‫« )واضح‬ évident »
– Waḍiḥ zay ،yn ash-shams (‫* )واضح زي عين الشمس‬clair comme l’œil du soleil
« parfaitement compréhensible »
– Bikul wuḍwḥ (‫* )بكل وضوح‬clairement « en rendant compréhensible »
– Yulqy ad-ḍw (‫* )يلقي الضوء‬donner de la lumière « rendre compréhensible »
– Ywaḍḥ (‫* )يوضح‬illustrer « aider à faire comprendre »
– Tawḍyḥy (‫* )توضيحي‬illustratif « utile pour comprendre »
– Fy ḍw، hatha al،mr (‫* )في ضوء هذا األمر‬à la lumière (de) « compte tenu de
quelque chose qui permet de mieux comprendre »
– Bidy ,ṣafy mukhy (‫* )بدي أصفي مخي‬je veux éclaircir mon esprit. Formule
exprimant le désir de « mettre de l’ordre dans ses idées »
– Biqaldh zay al,،mā (‫* )بقلده زي األعمى‬il imite aveuglément « imiter sans
connaître ni réfléchir »
– Bishwf w bighamiḍ ،ynh (‫* )بشوف وبغ ّمض عينه‬il voit mais il ferme les yeux
« feindre d’ignorer (quelque chose) ».

3.2. Lumière et intelligence

Par métonymie, l’association entre lumière et connaissance peut


également être étendue à la capacité individuelle de comprendre,
l’intelligence. Symétriquement, l’incapacité de comprendre
(l’entêtement et la bêtise), peuvent être symbolisées par l’obscurité,
et, par une extension secondaire, l’aveuglement, la cécité, la myopie,
etc. La Bible, que le Coran qualifie de Livre Lumineux (3 : 184), évo-
quait déjà une similitude entre l’intelligence des grands personnages
et la sagesse divine : il y a dans ton royaume un homme qui a en lui
l’esprit des dieux saints ; et du temps de ton père, on trouva chez lui
des lumières, de l’intelligence, et une sagesse semblable à la sagesse
des dieux (Daniel, 5 : 11).

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  227

français
– idée lumière « excellente idée »
– brillante idée « excellente idée »
– être une lumière (« très intelligent et très instruit » [TLFi])
– lumière des yeux (du regard) « clarté due à la réflexion de la lumière sur les
yeux et qui manifeste l’intelligence, la conviction, l’émotion » [TLFi]
– intelligence rayonnante (TLFi)
– obscurcir «  affaiblir intellectuellement, priver de jugement, de discerne-
ment ». p.ex., obscurcir l’âme, /l’entendement [CNTRL]
– obscurcissant « qui ôte la clairvoyance, le discernement » [CNTRL]
– sombre brute « complètement abruti »
– sombre idiot « complètement idiot »
– aveuglément « sans examen, sans réflexion… » [Larousse]
– à l’aveuglette « sans connaître les tenants et aboutissants » [DC]
– l’aveuglement de l’esprit «  fait de priver quelqu’un de discernement de
sens critique; état d’une personne privée de discernement, de sens critique
(notamment sous l’empire de la passion) » [TLFi].
– l’amour est aveugle (« une personne amoureuse d’une autre n’en perçoit pas
les défauts »)
– avoir un bandeau sur les yeux «  être incapable de comprendre la réalité
à cause d’un préjugé ou d’une croyance  ». p.ex. Mais on lit les journaux
comme on aime, un bandeau sur les yeux. On ne cherche pas à comprendre
les faits (M. Proust, 1922 Le Temps retrouvé, p. 751. apud. TLFi)
– mettre un bandeau sur les yeux (de quelqu’un) « tromper (quelqu’un) ».
– ne pas être une lumière! Euphémisme (par litote) pour « être idiot »
– ne pas voir plus loin que le bout de son nez « manquer de clairvoyance »
[TLFi].
arabe
– Fikrah lāmi،ah (‫* )فكرة المعة‬brillante idée « excellente idée »
– ṭl،tlh al-lambah (‫* )طلعتله اللمبة‬l’ampoule s’est allumée « avoir soudainement
une excellente idée »
– Allah ،amā ،alā qalbh (‫* )هللا عمى على قلبه‬Dieu a aveuglé son cœur (euphé-
misme pour « faire une bêtise par manque de réflexion »)
– Al-ḥub ,،mā (‫* )الحب أعمى‬l’amour est aveugle
– Mā bishwf ,b،ad min mnākhyrh (‫* )ما بشوف أبعد من مناخيره‬il ne voit pas plus
loin que son nez « manquer de clairvoyance »
– ،alā bāl myn yaly bturqṣ bil،itmeh (‫* )على بال مين يلى بترقص بالعتمه‬dans l’esprit
de celui qui danse dans l’obscurité. Phrase proverbiale à propos de « per-
sonnes qui se croient bien plus importantes qu’elles ne le sont » 9

9 http://alansab.net/forum/showthread.php?t=2486

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228  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

3.3. Lumière et légitimité

Il y des contiguïtés logiques entre vérité et justice, ou entre


interdiction et occultation le symbolisme de la lumière peut
s’étendre par métonymie de la connaissance publique à la légitimité,
de l’ignorance à l’occultation volontaire. La Bible affirmait Tu mets
devant toi nos iniquités, Et à la lumière de ta face nos fautes cachées
(Psaumes, 90 : 8). Dans le langage figuré, la lumière dévoile les véri-
tés que les ténèbres cachent, que ce soit dans des créations discursives
(p.ex. dans l’ombre du secret… [Racine, Mithr. IV, 4 apud. Littré]) ou
dans des séquences figées.

français
– clair et franc « sans arrière-pensée » [ TLFi]
– parler clair et net « sincèrement / sans ambigüité » [ACAD]
– dire une chose tout clair « sincèrement / sans ambigüité »
– éclaircir la vérité «  rendre publiquement intelligible ce qui était mysté-
rieux »
– transparence « qualité d’une institution qui informe complètement sur son
fonctionnement, ses pratiques » [TLFi]
– obscur “qui se prépare secrètement, dans l’ombre » [TLFi]. p.ex. une obs-
cure conspiration
– être/rester dans l’ombre « à l’abri des regards » / « secrètement » [DC]
– n’être pas venu en lumière « secret » [DUN]
– dans l’ombre « dans l’effacement ». Peut suggérer l’humilité et l’obscurité
assumées ou une activité secrète [REY]
– marcher à l’ombre [argot] « ne pas se faire remarquer » [COL]
– opacité « manque délibéré d’information pour empêcher qu’une chose soit
rendue publique »10
– gouvernement dans l’ombre « pouvoir politique réel exercé secrètement par
des oligarches qui ne font pas partie du gouvernement officiel » (« crypto-
cratie »)
– ténébreux « qui se fait secrètement, dans l’ombre et avec une intention mal-
veillante » p. ex., prêter de ténébreux projets [à quelqu’un] [Larousse]
– porter ombre (archaïque) donner du soupçon [Oudin, apud. DHL]

10 Cette acception n’apparaît ni dans le Littré ou le Larousse ou le Trésor de la


langue Française, ni dans Le Petit Robert. Cependant l’usage offre de nombreux
exemples conformes à cette définition, du type : la Suisse toujours pas prête à
agir contre l’opacité du financement des partis politiques (http://www.human
rights.ch) (21/10/2014) (Accès sept. 2016).

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  229

– coquin ténébreux, «  un homme qui cache avec soin ses manœuvres cou-
pables » [Littré].
arabe
– Takalam biwuḍuḥ (‫* )تكلم بوضوح‬parler clairement « s’exprimer de façon
directe », « ne pas tourner autour du pot »
– Nur ،alā nur (‫)نور على نور‬11*lumière sur lumière [on le dit d’une personne très
religieuse dont le visage reflète la paix intérieure]
– As-shams mā btetghaṭa bighurbāl (‫ )الشمس ما بتتغطى بغربال‬12*on ne peut cou-
vrir le soleil avec une passoire proverbe affirmant que « rien ne peut cacher
la vérité »
– Bukra kul shy byṭla، ،alā ad-ḍaw (‫* )بكرة كل شي بيطلع على الضو‬demain tout sera
illuminé. Proverbe affirmant « on ne doit rien cacher car la vérité apparaîtra
tôt ou tard »
– Shafāfyah (‫*)شفافية‬transparence « abondance d’information pour éviter la
corruption »
– At-ta ،tym (‫* )التعتيم‬opacité « manque délibéré d’information pour empêcher
qu’une chose soit rendue publique »
– At-ta ،tym al ،lamy (‫* )التعتيم اإلعالمي‬opacité des médias « black out des
médias ».

3.4. Lumière et honneur

Plus proche du pôle culturel, une autre métonymie peut étendre le


symbolisme religieux de la gloire à des concepts voisins  : succès,
célébrité, honneur. Symétriquement, l’ombre devient l’antonyme de
la gloire, et représente l’anonymat, ou même le déshonneur. Ainsi,
être d’une naissance obscure (de parents obscurs / de famille obscure)
signifie « ne pas être né dans une classe distinguée » (Littré), et ne pas
être brillant signifie entre autres « médiocre, mesquin, sans grandeur »
(Larousse).

français
– illustre « dont le renom est très grand du fait de qualités, de mérites extraor-
dinaires ou d’actions exceptionnelles qui s’y attachent  » p.ex., l’Illustre
Compagnie : « l’Académie française » [TLFi] ;
– naissance illustre /origine illustre « noble » [TLFi]

11 Allusion au Coran (24:35).


12 http://www.arabna.info/vb/showthread.php?t=2509

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230  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

– illustration « Marque d’honneur à l’égard de quelqu’un reconnu illustre »


[TLFi]
– illustrer «  faire devenir illustre, contribuer à rendre illustre quelqu’un ou
quelque chose » [TLFi]
– pousser en lumière / se mettre en lumière (archaïque) « se faire remarquer »/
« se distinguer » [DHL]
– éclat « qualité de ce qui s’impose à l’admiration, splendeur, magnificence »
[Larousse]
– coup d’éclat « action remarquable » (DC)
– succès éclatant/triomphe éclatant «  qui frappe par son côté remarquable,
illustre, glorieux » [TLFi]
– splendeur « réputation de valeur, de grandeur, de suprématie » [TLFi]
– splendide « [personne] qui se distingue par son prestige, sa gloire » [TLFi]
– briller « se faire remarquer avec éclat, par telle qualité » (Larousse)
– brillant «  qui sort du commun, qui se manifeste avec éclat, de manière à
frapper l’imagination et/ou l’esprit ». p.ex. études brillantes / brillant succès
[TLFi] / brillant fait d’armes (Littré) ; jouer un rôle brillant / brillant cau-
seur [DUN]
– rayonnant de gloire [ACAD]
– le rayon de la gloire [TLFi]
– étoile du cinéma « acteur/actrice très célèbre »
– être / rester dans l’ombre. p.ex. « n’être connu de personne » / « manquer de
gloire ». p.ex. chez nous, où les hommes ont une carrière active, il faut que
les femmes soient dans l’ombre… [Mme de Staël, Corinne, apud. Littré]
– obscur « sans renom, ignoré et humble ». p.ex., un romancier obscur / mener
une existence obscure [Larousse]
– obscurcir « priver de lustre /de renom » [TLFi]
– faire de l’ombre / faire ombre « rendre jaloux » / « éclipser » [DC]
– obscurcir le mérite (de quelqu’un) / jeter une ombre sur la gloire (de
quelqu’un) [Littré].
arabe
– Lami، (‫*)المع‬brillant « remarquable »
– Nijm lāmi (‫* )نجم المع‬étoile brillante « personne de grande célébrité »
– Sum،ith mithl ḥajar albirlant ( ‫* )سمعته مثل حجر البرلنت‬sa réputation est comme
une pierre brillante « personne d’une irréprochable renommée »
– Nijm synymā،y (‫* )نجم سينيمائي‬étoile du cinéma « acteur/actrice très célèbre »
– ،Nṭfa، ḍaw، nujumyth (‫* )انطفأ نجوميته ضوء‬son étoile s’est éteinte « sa célé-
brité commence à s’effacer ».

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  231

3.5. Lumière et vie

Jésus Christ parlait de la lumière de la vie (Jean 8  : 12) alors que le


royaume des ombres était la désignation païenne des enfers (cf.
Virgile, Énéide, 6 : 384–425 ; Ovide, Métamorphoses, X : 1–142). Le
Dictionnaire historique des locutions (DHL) atteste en moyen français
esteindre la lumiere «  faire mourir  », et de nos jours voir la lumière
signifie encore « naître », alors que s’éteindre signifie « mourir ». Les
métaphores créatives basées sur ce modèle sont très abondantes dans
le discours libre : Hâte-toi d’éclairer, ô lumière éternelle, des malheu-
reux assis dans l’ombre de la mort [Racine, apud. Littré]/des ombres du
trépas ses yeux s’enveloppèrent, [Voltaire, Henry VIII apud. Littré] / ses
beaux yeux noirs s’éteignirent et furent couverts des ténèbres de la mort
[Fénelon, Télémaque apud. Frantex].

français
– voir le jour /voir la lumière « naître » [TLFi]
– venir à lumière (archaïque) « naître » [DHL]
– donner le jour « engendrer » [TLFi]
– éteindre « détruire, faire disparaître » [Littré]
– s’éteindre « mourir doucement » [Littré]
– mettre à l’ombre « tuer » [DUN]
– extinction « extermination » (p.ex. l’extinction des réformés) [Littré]
– espèce menacée d’extinction / en voie d’extinction « espèce biologique qui
risque de disparaître parce que son rythme de décès dépasse largement celui
des naissances ».
arabe
– ،nṭfa،t sham،ath (‫* )انطفأت شمعته‬sa chandelle s’est éteinte « il est mort ».

3.6. Lumière et espoir

Une autre métonymie, probablement dérivée de la précédente, étend


le symbolisme religieux de la lumière à l’opposition psychologique
espoir / désespoir. En mer, l’espoir de survie des pêcheurs dépendait
principalement de la météorologie, opposant l’obscurité des orages
au soleil des mers calmes (comme l’atteste le proverbe anglais, every
cloud has a silver lining). Plus récemment, l’industrie minière a motivé
l’image de la lumière au bout du tunnel, qui, bien qu’ayant une image

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232  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

bien différente, débouche sur une projection presque identique, où la


moindre lumière dans l’obscurité permet l’optimisme en dépit d’une
situation pénible. Ce symbolisme culturel est reflété en français et en
arabe, par des collocations antonymiques du type lueur d’espoir/ mus-
taqbal mushriq (*futur brillant) s’opposant à sombre désespoir/ mus-
taqbal mushriq (*futur sombre).

français
– voir le bout (/la sortie) du tunnel « arriver au bout d’une période difficile »
[TLFi]
– lueur d’espoir / lumière d’espoir « signe permettant un peu d’optimisme »
– rayon d’espérance (TLFi)
– brillant avenir « futur prometteur »
– obscur pressentiment /sombre présage « perception anticipée et irrationnelle
d’un désastre futur »
– sombre avenir « futur où l’on ne prévoit rien de bon ».

arabe
– baṣyṣ ,amal (‫* )بصيص أمل‬lueur d’espoir « signe permettant un peu d’opti-
misme »
– mustaqbal mushriq (‫* )مستقبل مشرق‬futur brillant « avenir prometteur »
– mustaqbal mubhir (‫* )مستقبل مبهر‬futur impressionnant « avenir prometteur »
– illy ,awalh sharṭ ,akhrh nur (‫ )اللي أوله شرط آخره نور‬13*les choses bien commen-
cées finissent dans la lumière. Formule pour justifier certaines précautions
avant de passer un accord avec quelqu’un mustaqbal muthlim (‫)مستقبل مظلم‬
*futur sombre « perception anticipée et irrationnelle d’un désastre futur »
– ,ibḥath ،an an-nur dākhil ad-dthalām (‫* )إبحث عن النور داخل الظالم‬regarde la
lumière dans l’obscurité « ne te laisse pas vaincre par le pessimisme ».

3.7. Lumière et joie

Par métonymie entre cause et effet, le symbole de la vie et de l’espoir


représente aussi la joie, et celui du deuil et du désespoir représente
aussi la tristesse : Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé (Nerval,
El Desdichado). Cela explique d’autres extensions figurées telles que
radieux (« animé par le contentement » [Littré]) ou resplendissant de
joie, s’opposant à sombre (« empreint de tristesse, de mélancolie… »

13 Agence de presse palestinienne: http://www.wafainfo.ps/atemplate.aspx?id=8996


(http://www.arabna.info/vb/showthread.php?t=2509).

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  233

[TLFi]), s’assombrir (« devenir triste, soucieux ») ; regard rayonnant ;


figure rayonnante ; visage radieux [TLFi]) ; regard illuminé par la joie ;
visage rayonnant de joie [ACAD]. Ces images verbales contrastent avec
celles de collocations au sens opposé, telles que visage sombre, esprit
sombre, avoir l’air sombre [ACAD], regard sombre, caractère sombre,
humeur sombre, sombres pensées, sombres réflexions [Larousse]. Cette
opposition ne se limite pas aux formes lexicalisées, elle fonctionne éga-
lement dans le discours libre :

– L’arrivée de Delangle avait un peu éclairci la vie (Aragon, Beaux quartiers,


apud. Frantex) ;
– …le visage éclairci par un sourire (…) (Journal des débats politiques et
littéraires [24/09/1891) apud gallica bnf.fr) ;
– Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres [Racine, Esther, apud. Littré] ;
– Le vice toujours sombre aime l’obscurité [Boileau, Épîtres, apud. Littré].

En arabe, on trouve aussi des métaphores témoignant d’un rap-


port lexicalisé entre la lumière et la joie : [،ywnh ،am tilma،/tubruq
‫ تبرق‬/‫* عيونه عم تلمع‬ses yeux brillent/reluisent « être heureux parce qu’on
est amoureux »].

4. Extensions métonymiques du domaine source

4.1. Noir et blanc

Le blanc hérite, par contiguïté, les valeurs métaphoriques positives


de la lumière, particulièrement la légitimité. Candide, du latin candĭ-
dus «  blanc brillant  », signifie en français «  d’un blanc d’une pureté
absolue », comme dans c’est trop peu d’être blanc, le lys était candide
(Hugo, Le sacre de la femme, apud. TLFi). De même, candeur, littérale-
ment « blancheur éclatante », s’emploie essentiellement au sens figuré
(« pureté de l’âme, confiance, franchise d’une âme pure » [Ibid.])14, et

14 Par ironie, candide signifie aussi «  naïf  » (l’innocence devient un défaut par
excès).

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« celui qui postule une place, une fonction » est un candidat, parce que,
à Rome, pour indiquer qu’il aspirait à une charge ou dignité, il devait
s’habiller de blanc [Littré].

– blancheur virginale « pureté, innocence » [DC]


– montrer patte blanche « prouver que l’on est digne de confiance »

On peut également citer des séquences discursives positivement conno-


tées, comme ouvrir une page blanche, au sens de «  recommencer à
zéro », « oublier les erreurs du passé ». Par exemple :

Lever la voile, c’est comme ouvrir une page blanche. Dans les deux cas, on crée
sa route là où il n’y en a pas. (Erik Orsenna)15.

Symétriquement, le noir incarne les valeurs opposées, comme un


calque de l’obscurité qui s’ajoute ici à une association antérieure, héritée
de la médecine antique, ou gr. melancholia (μελαγχολία), *bile noire,
a donné en français mélancolie (« état affectif plus ou moins durable
de profonde tristesse16… » [TLFi]). On parle ainsi de noirs pressenti-
ments ; noires pensées ; pessimisme noir ; faire un tableau noir de la
situation ; se faire des idées noires ; avoir l’âme noircie. Cette couleur
évoque donc les mêmes valeurs attribuées aux ténèbres :

– être dans le noir « ne rien comprendre » [TLFi]


– être la bête noire (de quelqu’un) « personne ou chose qu’on déteste » [DC]
– liste noire « document rassemblant les noms d’individus ou d’entités jugés
indésirables, hostiles ou ennemis par une personne, un groupe ou une orga-
nisation donnée » [WIK]
– broyer du noir « avoir des pensées pessimistes » [DC]
– être noir de colère « dans une colère extrême » [TLFi]

Par opposition à la «  pureté  » du blanc, le noir est l’hyperbole de la


saleté (p.ex. être noir de crasse), d’où la synonymie entre laver et blan-
chir, par opposition à marché noir (« commerce illégal »). Ce critère
s’étend au plan moral en général : âme noire, il n’est pas si diable qu’il

15 La grammaire est une chanson douce. Paris : Stock, 2001.


16 Selon la théorie hippocratique des humeurs, l’excès de bile noire provoquait cet
effet.

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  235

est noir (« il est moins méchant qu’il ne paraît »), noirs desseins, noirs
complots, etc. Ces images verbales péjoratives, anciennes ou modernes,
sont particulièrement nombreuses, par exemple :

– dénigrer (<lat. denigrare « noircir ») « attaquer la réputation de quelqu’un… »


[Larousse] ;
– noircir (quelqu’un) « exagérer ses défauts, ses insuffisances » [TLFi] ;
– noircir la situation « présenter un fait […] sous des couleurs plus sombres
que n’est la réalité » [Ibid.] ;
– se noircir la tête « rendre sombre, triste » [Ibid.] ;
– série noire / roman noir  : ouvrage littéraire «  qui évoque des péripéties
terrifiantes, notamment meurtrières » [Ibid.].

Symétriquement le blanchiment d’argent désigne le «  fait de donner


à une somme d’argent de provenance illicite une apparence légale  »
[DC]. Cette opposition chromatique est donc un calque de la dicho-
tomie lumière/obscurité, comme dans marquer d’une pierre (croix)
blanche « noter une date, un évènement positif de manière à s’en souve-
nir longtemps » [DC] vs. marquer d’une pierre (croix) noire « signaler
comme dangereux ou néfaste » [TLFi].
Cependant, la couleur permet de nuancer davantage, en ajoutant
un degré intermédiaire, le gris, que Littré définit comme « de couleur
entre blanc et noir… », et qui représente, de façon assez péjorative, la
modération, la discrétion, l’inexpressivité et/ou la médiocrité :

– être gris « à moitié ivre » [Littré],


– avoir le teint gris « terne, manquant d’éclat »,
– éminence grise « personne conseillant, guidant un dirigeant sans en assumer
officiellement la responsabilité ».
– faire grise mine (à quelqu’un) «  le traiter avec froideur, sans aménité  »
[TLFi],
– mener une existence grise « une vie morne, sans intérêt ».

Le discours abonde en variantes plus ou moins lexicalisées, p. ex.

…le «rond-de-cuir» fait partie de ces classes moyennes qu’aimera dépeindre


le roman de mœurs, personnage gris avec ses petites routines, ses petites ambi-
tions… [HAM.VIB].

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En arabe, le blanc a aussi des valeurs symboliques positives de bonté


et d’innocence qui s’opposent symétriquement au noir, qui représente
la méchanceté, la rancune, la honte. Le Coran lui-même disait que la
noirceur est destinée aux mécréants :

[Yawm tbyaḍ wujuh wa taswad wujuh f,ma althyn iswadat wujuhuhm ,akafrtm
ba،da ,ymanikm fathuqu al-,athābah bimā kuntum takfurun
(ْ ‫يَ ْو َم َ ْبيَضُّ ُو ُجوهٌ َوتَس َْودُّ ُو ُجوهٌ ۚ فَأ َ َّما الَّذِينَ اس َْودَّتْ ُو ُجو ُه ُه ْم أ َ َكف َْرتُم بَ ْعدَ إِي َمانِ ُك ْم فَذُوقُوا‬
َ‫اب بِ َما ُكنتُم ت َ ْكفُ ُرون‬ ْ
َ َ‫)العَذ‬
« au jour où certains visages blanchiront, et que d’autres noirciront. A ceux dont
les visages seront noircis [il sera dit]: Avez-vous mécru après avoir eu la foi ? Eh
bien, goûtez au châtiment, pour avoir renié la foi. » (3 : 106)]

L’arabe moderne utilise cette opposition dans des contextes non reli-
gieux :

– qālbh ,abyaḍ (‫* )قلبه أبيض‬son cœur est blanc « (locution à propos d’une) per-
sonne magnanime »
– qālbh ,aswad (‫ * )قلبه أسود‬son cœur est noir « (locution à propos d’une) per-
sonne rancunière » [Moyen-Orient]
– bāyaḍly wujhy (‫* )بيضلي وجهي‬m’avoir blanchi le visage. Locution qui com-
mente une « mauvaise action d’un proche qui nous fait sentir fiers » ;
– sāwādly wujhy (‫*)سودلي وجهي‬m’avoir noirci le visage « locution qui com-
mente une mauvaise action d’un proche qui nous fait sentir honteux »
[Moyen-Orient].
– kidthbh byḍah (‫* )كذبة بيضة‬mensonge blanc « pieux mensonge ».

Certaines expressions coïncident, même littéralement, avec le français.


Par exemple :

– niftāḥ ṣāfḥa byḍah (‫* )نفتح صفحة بيضة‬ouvrir une page blanche
– tābyiḍ amwal (‫* )تبيض أموال‬blanchiment d’argent
– as-souq al-,aswād (‫* )السوق األسود‬marché noir
– al-la,ḥh as-swda, (‫* )الالئحة السوداء‬la liste noire
– fkar sāwdawyāh (‫* )أفكار سوداوية‬pensées noires

D’autres sont propres à l’arabe mais le blanc et le noir y transmettent


le même symbolisme respectif, par exemple :

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  237

– labes , ābyāḍ fy al-lyl al-,āswād (‫* )البس أبيض في الليل االسود‬s’habiller de blanc
dans la nuit noire « locution qui critique une contradiction entre un acte et
son contexte »
– khāby qrshāk al-,ābyād lāyowmāk al-,āswād (‫)خبي قرشك األبيض ليومك األسود‬
*garde ton centime blanc pour ton jour noir « ne gaspille pas aujourd’hui
l’argent qui peut te manquer en cas de besoin »
– al-qrsh al-,ābyād bynfā، bilyowm al-,aswad (‫* )القرش األبيض بينفع باليوم األسود‬le
centime blanc est utile dans le jour noir « un sou est un sou »
– ibn albāṭāh al-sowdāh (‫* )ابن البطة السودة‬fils du petit canard noir « le vilain
petit canard ».

Un proverbe arabe oppose explicitement les deux chromatismes :

– lāwla sāwad al-lyl ma kan bāyaḍ an-nāhar (‫)لوال سواد الليل ما كان بياض النهار‬
*sans la noirceur de la nuit, la blancheur du jour n’existerait pas ; « à quelque
chose malheur est bon ».

Le gris est également négatif en arabe, représentant le manque de per-


sonnalité ou de confiance.

– rāmady (‫* )رمادي‬gris « personne passive et sans opinion »


– alrāmady byn al , ābyād wo al-āswād (‫)الرمادي بين األبيض واألسود‬ :*le gris [est]
entre le blanc et le noir ; « il y a anguille sous roche ».

4.2. Jour et nuit

Une autre métonymie applique au jour les valeurs figurées de la lumière,


et à la nuit, celles de l’obscurité. L’aube (du latin alba *blanche) est
porteuse de connotations positives d’espoir (aube d’espoir, aube nou-
velle, aube attendue) alors que la nuit et le crépuscule renvoient aux
valeurs contraires : la nuit du chaos, la nuit des âges, la nuit des temps,
la nuit de l’esprit, la nuit du tombeau, la nuit éternelle [TLFi]. Dans le
discours libre, cette dichotomie métaphorique forme une isotopie assez
cohérente. Par exemple :

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…nous avons traversé la longue nuit du Moyen-âge qui s’écoule entre deux
crépuscules, entre les dernières lueurs de la civilisation ancienne et la pre-
mière aube de la civilisation moderne17…

En arabe on retrouve aussi cette opposition :

– qul ,،uwdhu birab al-falaq.


ِ َ‫)ِ قُلْ أَعُو ذُ بِ َربّ ْالفَل‬
(‫ق‬
*je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube qui s’ouvre (Coran
113 : 1)
– yushrik fājr jādyd fy mokhāyamat al-lajy،yn as-souryin wa fy ṣufuf qaṭinyha
myn aṭfal, fājrun howah fājr at-tā،lym
(‫فجر التعليم‬ ُ ‫فجر هو‬ ٌ ُ‫)يشرق‬
ٌ ،‫فجر جديدٌ في مخيمات الالجئين السوريين وفي صفوف قاطنيها من أطفال‬
*une nouvelle aube surgit pour les enfants des camps de réfugiés syriens,
[c’est] l’aube de l’éducation (Laha)18.
– nādthrāh jādydāh lidāwr al-māḥafil al-masownyāh lāḥdthāt ghuroub
ad-dāwlāh al-،thmanyāh
(‫)نظرة جديدة لدور المحافل الماسونية لحظة غروب الدولة العثمانية‬
*un nouveau regard sur le rôle de la franc-maçonnerie dans le crépuscule de
l’empire Ottoman [‫ [الشرق األوسط‬20/04/2017(]19. ‫ا‬

5. Pensée figurative et polysémie

D’un point de vue diachronique, la polysémie est une expansion


radiale du sens selon un ordre logique motivé (Apresjan 1974). Le
schéma 1 illustre cette hypothèse pour la lumière  : les associations
inter-conceptuelles sémantiques viennent les unes des autres, parfois en
série, parfois en parallèle, et pas dans n’importe quel ordre :

17 Ampère, Jean-Jacques, 1839. « Vue générale de la littérature française au Moyen-


âge ». Revue des Deux Mondes, 19 (https://fr.wikisource.org/wiki/La_Litt%C3%
A9rature_fran%C3%A7aise_au_moyen-%C3%A2ge).
18 Lahamag 22/03/2017 (http://www.lahamag.com) (Accès 07/08/2017).
19 « Moyen-Orient » https://aawsat.com/home/article/906161 (Accès 07/08/2017).

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  239

Schéma 1 : Polysémie radiale de la lumière en diachronie

Si deux concepts, ayant chacun leurs connections métonymiques, se


retrouvent reliés entre eux par une métaphore, celle-ci devient exten-
sible à ces métonymies, ce qui multiplie les nœuds du réseau, qui à leur
tour peuvent se connecter à leurs antonymes (schémas 2a, 2b). À partir
d’une métaphore culturelle de base tous ces concepts seraient reliés
entre eux.

Schémas 2a, 2b : Extension sémiotique d’un culturème par enchaînement de métaphores,
métonymies et antonymies.

Synchroniquement, par contre, l’ordre des expansions n’est pas perti-


nent, il suffit aux locuteurs de connaître l’existence de ces associations
pour en maîtriser tout le réseau. Le schéma 3 illustre – en synchronie le
domaine linguo-culturel de la lumière en français et en arabe. Les lignes
continues correspondent aux associations directes entre un culturème
et les valeurs qu’il symbolise, et les lignes pointillées représentent les

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240  Antonio Pamies & Yara El Ghalayini

associations indirectes disponibles dans le lexique mental, entre une


« valeur » et toutes les autres.

Schéma 3 : Réseau associatif linguo-culturel de la lumière en français et en arabe

La lumière serait donc un culturème essentiellement partagé par le


lexique mental du français et de l’arabe, car, en dépit des différences
concrètes au niveau des expressions métaphoriques de ces deux lan-
gues, son symbolisme permet les mêmes associations d’idées.

6. Conclusions

a) Le concept de lumière permet d’observer de nombreuses similarités


entre ses représentations figurées en français et en arabe, dans la mesure
où, malgré les différences entre les métaphores particulières, les mêmes
macro-modèles métaphoriques sont en jeu. Étant donné la grande
distance typologique entre ces langues, ces coïncidences sémantiques
confirment la puissance des modèles culturels dans le langage figuré.
b) Diachroniquement la culture grecque et la culture biblique établissent
des projections entre la lumière et la divinité, avec leur contrepartie
négative liée aux ténèbres. Ces métaphores culturelles constituent un
modèle mental générateur d’images verbales dont la base est fonda-
mentalement idéologique. Ces symbolismes se fusionnent entre eux,
repris par le Christianisme et l’Islam, et subissent des extensions vers
d’autres valeurs dans des domaines non religieux.

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Les métaphores de la lumière à la lumière de la métaphore (français-arabe)  241

c) Les extensions métonymiques peuvent s’élargir par le domaine


cible (p.ex., révélation > connaissance > intelligence) ou par le
domaine source (p.ex. lumière > blanc > aube).
d) Ces métaphores et leurs extensions métonymiques forment un
réseau sémantique de plus en plus complexe, auquel peuvent s’ajouter
symétriquement les concepts contraires. On peut distinguer des associa-
tions « directes », celles attestées dans les langues entre un culturème
et ses valeurs, ainsi que des associations « indirectes », potentiellement
disponibles par enchaînement successif de plusieurs liens.

Biliographie

Apresjan, Yurij D. 1974. « Regular polysemy », Linguistics, an interna-


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Pedro Mogorrón Huerta

Similitudes / différences dans les formations


diatopiques des expressions figées en espagnol
et en français

1. Introduction

La phraséologie, est devenue un sujet de recherche actuel fondamental


et incontournable comme le montre l’importante quantité de publica-
tions individuelles ou collectives, de thèses de doctorat et de réunions
scientifiques nationales et internationales traitant des aspects linguis-
tiques, contrastifs, traductologiques, etc., et ce, dans de nombreuses
langues.
Les recherches réalisées au sein du groupe de recherche
FRASYTRAM1 de l’Université d’Alicante afin d’élaborer, d’une part,
un dictionnaire électronique phraséologique des Constructions verbales
figées2 (CVF) de l’espagnol et, d’autre part, une classification séman-
tique qui permet de travailler les équivalences phraséologiques dans
1 (Fraseología y Traducción multilingüe).
2 Pour référer aux constructions verbales figées, nous utiliserons dans cet article
les sigles CVF. Pour voir les bases théoriques des constructions incluses dans
les constructions verbales figées, voir Mogorrón 2010 (88–90), 2015. Dans
cette base de données nous traitons :
– Les « locutions verbales » qui ont pour principale propriété l’idiomaticité :
coger el toro por los cuernos (DUE), (prendre le taureau par les cornes)
(GR).
– Les « collocations verbales » combinaisons syntagmatiques dans lesquelles
il s’établit une relation de solidarité lexicale entre les composantes : guiñar
un ojo (DUE), (faire un clin d’œil) (GR).
– Les «  constructions à verbes support  »  : dar un paseo (RAE), (faire une
promenade) (GR).
– Les constructions verbales comparatives : dormir como un tronco (DEA),
(dormir comme une souche) (GR); etc.

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246  Pedro Mogorrón Huerta

plusieurs langues, nous ont permis de recueillir à partir d’une quin-


zaine de dictionnaires espagnols 27 000 CVF appartenant à l’espagnol
péninsulaire et commun. Ces recherches nous ont également permis de
constater qu’il existe dans toutes les langues de nombreuses variantes
régionales qui ne sont pas traitées dans les dictionnaires référentiels
et que dans le cas des langues comme l’espagnol, le français, l’an-
glais, le portugais, l’arabe, etc. utilisées comme langues officielles ou
co-officielles dans de nombreux pays il existe également de nombreuses
créations ou variantes diatopiques phraséologiques dans chacun des
pays qui utilisent ces langues. Ces créations ou variations phraséolo-
giques géographiques ou régionales sont utilisées par les usagers de
ces langues qui habitent dans des régions géographiques différentes,
voir éloignées des zones d’origine de la création de ces langues pour
exprimer les mêmes concepts dans différents actes de communication
mais avec des combinaisons plurilexicales qui emploient des éléments
lexicaux ou culturels propres à la région et ou aux pays. Ces créations
diatopiques incorporent de cette façon des nuances, des aspects sociaux,
historiques, linguistiques qui appartiennent à la culture locale et qui ne
sont pas connus ou employés par les autres zones géographiques. Ainsi,
dans le cas de l’espagnol, nous avons extrait 14 000 CVF appartenant à
l’espagnol d’Amérique.
Le dictionnaire électronique (construit sous forme de Base de
Données, (BD) à partir du programme Excel) des CVF de l’espa-
gnol se compose donc actuellement de 41 000 entrées dont 27 000
appartiennent à l’espagnol péninsulaire et généralement commun et
14 000 appartiennent à l’espagnol d’Amérique. L’analyse de la BD des
41 000 entrées nous a permis d’observer :

– que les dictionnaires espagnols n’incorporent qu’un nombre


limité d’Unités Phraséologiques (UP) diatopiques. Ainsi, les
deux dictionnaires référentiels (DRAE et DUE) n’incluent que
700 UP de l’espagnol d’Amérique et plus de 15 dictionnaires
utilisés pour élaborer la BD n’en incluent que 1 114. Ces chiffres

– Les constructions V + loc adverbiale qui ont un paradigme fermé avec un


ou plusieurs verbes avec lesquel(s) ils forment une combinaison interdépen-
dante à usage fréquent ou à caractère préférentiel. Llover a cántaros (DUE),
(pleuvoir à verses).

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 247

qui représentent 5 et 8% respectivement sont évidemment nette-


ment insuffisants et montrent un traitement phraséologique défi-
citaire.
– que les dictionnaires de l’espagnol d’Amérique, n’incluent
généralement que des créations diatopiques. Ceci a pour princi-
pal inconvénient de ne pas permettre de savoir si les expressions
de l’espagnol péninsulaire sont également employées en Améri-
que. Pour répondre à cette question, nous venons de déposer un
projet de recherche afin de trouver le noyau d’UP actuelles et
fréquentes avec un usage commun en Espagne, Argentine, Chili,
Colombie, Mexique et Pérou.

2. Délimitation

Comment surgissent ces expressions figées (EF)3, géographiques ou


diatopiques ? Quelles structures linguistiques utilisent-elles ? Quelles
langues sont impliquées dans le processus de formation de ces nou-
velles créations phraséologiques ? En effet il ne faut pas oublier que ces
grandes langues internationales coïncident et coexistent dans de nom-
breux pays avec d’autres langues parlées par les populations locales
avant de se voir obligées à utiliser ces nouvelles langues. Nous essaie-
rons de répondre dans le cadre de ce travail à toutes ces questions à
partir de nombreux exemples de l’espagnol parlé en Hispano-Amérique
tirés de la BD et du français de Côte d’Ivoire en utilisant les exemples
de la thèse doctorale d’un des membres du groupe de recherche4. Bien
que l’extraction des CVF ne soit pas terminée (14 000 dans le cas de
l’espagnol d’Amérique et 2 030 dans le cas des expressions du fran-
çais de Côte d’Ivoire), le nombre des CVF diatopiques dans les deux

3 Pour nous référer à ces expressions figées, nous utiliserons dans cet article les
sigles EF. Tout au long de ce travail nous pourrons désormais employer les
sigles CVF ou EF.
4 P.H. Anoy (2013). Estudio sintáctico y semántico de las construcciones verbales
fijas en francés de Costa de Marfil, sus equivalencias en español y en francés.

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248  Pedro Mogorrón Huerta

cas est cependant suffisamment important pour permettre d’en tirer des
analyses et des conclusions pertinentes.
Pour l’analyse que réaliserons, étant donné que la BD des
CVF espagnoles diatopiques est beaucoup plus avancée que celle des
expressions du français de Côte d’Ivoire, nous partirons des analyses
de celle-ci et nous réaliserons des comparaisons avec les créations des
CVF du français de Côte d’Ivoire5.
L’information tirée du dépouillement des dictionnaires utilisés
pour sélectionner les EF diatopiques espagnoles montre qu’il s’agit
d’un phénomène d’envergure qui a lieu dans chacun des différents pays
qui utilisent l’espagnol comme langue officielle, avec les origines sui-
vantes6: Argentine : 2 738 ; Bolivie : 878 ; Chili : 1 344 ; Colombie :
802 ; Costa Rica : 697 ; Cuba : 1 445 ; Ecuador : 490 ; El Salvador :
600 ; Guatemala :1 010 ; Honduras : 1 658 ; México : 3 219 ; Nicara-
gua : 1 415 ; Panamá : 568 ; Paraguay : 254 ; Perú : 821 ; Puerto Rico :
1 354 ; République Dominiquaine : 943 ; Uruguay : 720 ; Venezuela :
808 ; etc.
Ces recherches ne sont pas terminées actuellement. Il faut éga-
lement souligner que selon les informations données par les diction-
naires certaines expressions sont utilisées dans un seul pays : aguan-
tar (alguien) bala (resisitir con entereza una situación adversa, DdAm,
México), ahorrar (alguien) camino (1. tomar el sendero más corto,
DdAm, Argentina  ; 2 resolver con prontitud y decisión un asunto,
DdAm, Argentina) ; et d’autres expressions peuvent être utilisées par la
population dans deux ou plusieurs pays. P. ex. : hablar (alguien) como
carretilla (hablar mucho sin parar  ; DdAM  : Paraguay, Puerto Rico,
Ecuador, Perú), bajarse (alguien) de esa nube (dejar una persona de
ser ilusa, DdAm, Colombia, Costa Rica, Cuba, Honduras, Guatemala,
Nicaragua, República Dominicana, Venezuela).

5 Nous ne parlerons dans ce travail, ni des CVF/EF, ni des composantes de


ces CVF/EF utilisées par les jeunes lycéens ivoiriens dans leur argot nommé
nouchi.
6 Il serait également intéressant pour les usagers et les traducteurs de pouvoir
disposer d’une BD le plus complète possible des EF du français d’Afrique.

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 249

3. Difficulté de délimiter les zones géographiques

Ces origines sont cependant parfois à mettre sous réserve, car l’infor-
mation tirée de la BD réalisée en grande partie grâce à la consultation
de nombreux dictionnaires espagnols et hispano-américains, nous a
également permis d’observer que différents dictionnaires signalent des
zones géographiques d’influence et d’usage linguistique différents pour
une même CVF. Ainsi, nous avons trouvé :

DRAE DUE DTDFH DdAm


irse alguien al tacho
1. mourir Bol, Ur --------- Ar , Bo, Pa, Bo, Ch, Py, Ar, Ur.
Ar, Bo, Par. Ur.
2. échouer Ur Ar Ar, Bo, Par, Bo, Ar, Ur
Ur
estar alguien de Me, Ur --------- Me, Ur Me, RD
encargo
être enceinte
dar bola a alguien ES, Ar, Bo, Ch,
1. faire attention Am. Mer, Hispam AmM, Gu, CR, Cu, Ec, Gu,
à qq’un Co, Gu, Ho, Ni Ho, Ni, Pa, Pe, R
Hon, Nic, D, Ur
Ven
2. Déplacer --------- -------------- Cu, RD
gratuitement Gu ---- -----
qq’un
apuntarse alguien un apuntarse apuntarse [apuntarse, ano-
poroto un poroto un poroto tarse] un poroto
annoter un point dans Am. Mer Ar, Ch, Ec, Pe, Ar, Ur
un sport ou un succès Pa, Pe,
dans une activité Ur,
caerse alguien de la Cu --------- Cu Cu
cama ----
être très ingénu
Estar alguien a tres Bo, Ch, Pe, ----------- Bo, Ch, Pe, ---------------
dobles y un repique PR PR
être très pauvre
Tableau 1

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250  Pedro Mogorrón Huerta

Le tableau 1 nous permet, en effet, d’observer que différents diction-


naires donnent souvent des zones d’utilisation différentes à une même
UF. Il est vrai que la délimitation de ces zones d’utilisation n’est pas
évidente même quand la zone d’usage de l’UP se limite à un pays car
elle peut ne pas être employée par les usagers de certaines régions de ce
pays et se limiter à un usage régional bien circonscrit7.

4. Origine et contenu lexical des CVF/EF

L’analyse initiale des composantes lexicales principales (verbes et subs-


tantifs) des CVF diatopique de la BD diatopique de l’espagnol, nous
montre que le contenu lexical des CV d’origine hispano-américaines a
trois origines linguistiques bien déterminées.

(Mogorrón 2017 sous presse)  :  El análisis y el estudio del origen léxico de


las 14 000 CVF diatópicas nos permite observar que en la formación de estas
expresiones intervienen la lengua española, las lenguas indígenas y elementos
léxicos de las lenguas internacionales (Cuadrado Rey 2015, Mogorrón 2012,
2015). La proporción de estos tres elementos es la siguiente: lengua española
93%, elementos de las lenguas indígenas, 4%, elementos de las lenguas inter-
nacionales 3%.

Nous analyserons, à partir de ces trois situations décrites, le contenu


lexical des EF diatopiques de l’espagnol d’Amérique et du français de
Côte d’Ivoire à l’aide de nombreux exemples tirés de la BD et de la
thèse citée.

7 Aujourd’hui,il est possible de réaliser des enquêtes collaboratives informatisées


à distance pour confirmer ces zones d’utilisation à différents usagers de nom-
breuses zones géographiques, comme nous sommes en train de réaliser dans le
cas de l’espagnol avec par exemple des documents Google drive qui permettent
également de traiter rapidement les résultats.

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 251

4.1. Tous les éléments présents dans l’EF diatopique


appartiennent à la langue officielle

4.1.1. EF diatopiques espagnoles avec toutes les composantes


appartenant à l’espagnol
Il existe dans le cas des langues utilisées comme langue officielle dans
plusieurs pays (ex : l’espagnol, le français, l’anglais, le portugais, etc.)
un grand pourcentage d’expressions qui sont utilisées en commun dans
les différents pays. Nous venons de voir que dans le cas des CVF espa-
gnoles hispano-américaines de la BD diatopique c’est la situation la
plus fréquente avec environ 94% des CVF relevées :

« Il s’agit de CVF qui utilisent des composantes appartenant à l’espagnol et qui
pourraient être senties comme appartenant à l’EspPC mais qui sont caractéris-
tiques de chaque pays en raison de différences culturelles, géographiques, voir
anecdotiques, etc. » (Mogorrón 2015 : 279) 

Ces EF sont formées avec des termes lexicaux appartenant à l’espa-


gnol et une structure syntaxique espagnole correcte linguistiquement
parlant. Il est pratiquement impossible pour les usagers hispanophones,
étant donné que la compétence phraséologique de chaque personne est
limitée, de savoir si ces EF appartiennent à l’espagnol péninsulaire ou
à un pays hispano-américain. Ces créations apparaissent dans chaque
pays8. Par exemple :

– Argentina: abrirse (alguien) de gambas (1. referido a un problema o dilema,


desentenderse o excusarse, DFHA ; 2. eludir responsabilidades, DFHA ;
3. referido a una mujer, tener relaciones sexuales, GDLA, grosero ; 4. aguan-
tar, sufrir resignadamente, soportar con resignación una injusticia, un abuso,
pena, castigo, GDLA, coloquial) ;

8 Tout au long de ce travail, nous utiliserons de nombreux exemples de CVF


généralement d’usage et de création hispano-américaine. Dans chaque exemple,
nous suivrons la même méthodologie. Ex : acabarse el tabaco (DDHA ; perdre
les recours économiques ; Argentina). Nous indiquerons pour chaque EF/CVF
le dictionnaire dans lequel nous l’avons trouvée, la définition en espagnol quand
elle est tirée d’un dictionnaire espagnol et en français quand elle est tirée d’un
dictionnaire français ; la zone géographique dans laquelle est utilisée la CVF
selon le dictionnaire.

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252  Pedro Mogorrón Huerta

– Bolivia: agarrar (alguien) la copa (dedicarse a consumir bebidas alcohóli-


cas, DdAm) ;
– Chilie: arrastrar (una chiquilla) la bolsa del pan (no haber alcanzado una
mujer la edad para mantener relaciones sexuales, DdAm) ;
– Colombia: dar (alguien) en el bocín (acertar, dar en el blanco, DUE) ;
– Costa Rica: agarrar (alguien) (a alguien) de chancho (burlarse de alguien,
DdAm) ;
– Cuba: estar (alguien) más pelado que un plátano (estar sin dinero,
DTDFH) ;
– Ecuador: darse (alguien) teja (presumir, jactarse, hacer alarde de, RAE) ;
– El Salvador: no dar (alguien) patada sin mordida (ser convenenciero, inte-
resado, RAE) ;
– Guatemala: bajar (alguien) libros (Pensar algo con detenimiento, general-
mente, para recordar alguna cosa, DdAm) ;
– Honduras: agarrar (alguien) palco (tomarse demasiada confianza, DdAm) ;
– México: abrir (alguien) los ojos (perder la inocencia, DEUEM) ;
– Nicaragua: cantar (alguien) el volado (descubrir un secreto, DdAm) ;
– Panamá: dar (a alguien) lo mismo Chana que Juana (dar igual una cosa que
otra, DdAm) ;
– Paraguay: conversar (alguien) de bueyes perdidos y vacas encontradas
(conversar sobre un tema cualquiera independientemente de su trascend-
encia, DTFFH) ;
– Perú: amarrar (alguien) el macho (holgazanear, no hacer nada, DdAm) ;
– Puerto Rico: aguantar (alguien) el caballito (controlar una persona, fre-
narla, DdAm) ;
– República Dominicana: tener (alguien) tabaco en la vejiga (ser muy
valiente, DRLE) ;
– Uruguay: estar (alguien) del tomate (estar loco, DTDFH) ;
– Venezuela: gastar (alguien) pólvora en zamuros (hacer esfuerzos por algo o
alguien que, en realidad, tiene poca importancia, RAE) ;
– etc.

Il est intéressant d’observer que les substantifs les plus employés dans
les CVF hispano-américaines coïncident avec les substantifs les plus
employés en espagnol péninsulaire :

« Une analyse des substantifs les plus utilisés dans la BDT et la BDD (diato-
pique) nous montre que les substantifs les plus employés en espagnol péninsu-
laire ou commun sont également les substantifs les plus employés dans les diffé-
rents pays qui utilisent l’espagnol comme langue officielle. Une analyse lexicale
et sémantique de ces substantifs nous montrerait qu’il s’agit de substantifs qui
font référence aux différentes parties du corps humain : ala, alma, boca, barba,
cabeza, cara, codo, dedo, frente, diente, mano, muela, nariz, ojo, pierna, pie,

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 253

uña ainsi qu’à des termes qui appartiennent aux activités quotidiennes de la
vie de la vie quotidienne : aire, caja, agua, camino, etc. employés par tous les
usagers de l’EspPC et de l’EspDiat » (Mogorrón 2015 : 284).

4.1.2. EF diatopiques du français de Côte d’Ivoire avec toutes les


composantes appartenant au français
Dans les pays d’Afrique francophone, et notamment en Côte d’Ivoire :
pays faisant l’objet de notre étude, de nombreuses EF se forment avec
des termes lexicaux appartenant au français et une structure syntaxique
française correcte linguistiquement parlant9. Par exemple :

– abandonner la craie (abandonner l’enseignement, SL) ;


– acheter un caillou (acheter une dose de drogue, SL) ;
– abandonner les bancs (abandonner les études, SL) ;
– aimer la chose (aimer le sexe, SL) ;
– attraper son caleçon (résister une tentation sexuelle, VV) ;
– avoir la maladie (avoir le Sida, SL) ;
– avoir la maladie du siècle (avoir le Sida, SL) ;
– avoir gros-français (être pédant, SL) ;
– avoir le ventre amer (être rancunier, SL) ;
– avoir du solide entre les jambes (être courageux, SL, IFA) ;
– avoir un rideau (avoir une maison close, SL, IFA) ;
– casser le drap (dévoiler un secret, SL) ;
– entrer par un bras long (entrer par favoritisme, SL) ;
– couler des larmes10 (pleurer, SL) ;
– [gagner, prendre] [le, un] ventre (avoir une grossesse involontaire, SL, IFA) ;
– montrer papier (enseigner, donner des cours, SL) ;
– parler français (donner un pourboire (corruption), SL) ;
– prendre le goudron (prendre la grande voie goudronnée, SL, IFA) ;
– rester garçon (rester digne, courageux, SL, IFA) ;
– etc.

9 « La tipología 1 ofrece 1335 CVF de las 2030 CVF contenidas en la BD o sea
un 65% del contenido de esta misma BD, eso viene a decir que las CVF cuya
morfología pertenece totalmente al sistema de la lengua francesa ocupan una
gran parte del discurso en francés marfileño » (Anoy 2013 : 394).
10 Nous n’analyserons pas au cours de ce travail les possibles variations diato-
piques des EF de l’espagnol et du français  : français de France  : verser des
larmes (GR) ; français de Côte d’Ivoire : couler des larmes (SL), etc.

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254  Pedro Mogorrón Huerta

Les substantifs français les plus employés dans les expressions figées
du français de CI sont : « affaire, affectation, ambiance, barreau, besoin,
bic, bouche, blindé, bois, bordereau, broussard, bureau, cabinet, car-
reau, CFA, chefferie, chose, coeur complet, diable, dot, figure, foulard,
grenier, habitat, honte, jeton, lamantin, lune, mademoiselle, maladie,
maquis, médicament, main, négociant, œil, ordalie, papier, parole,
phase, promotion, rideau, ravin, route, solde, sorcier, tablier, traite,
trésor, ventre » (Anoy 2013 : 194). La plupart de ces noms sont et ont
été également employés dans la formation d’EF du français hexagonal
mais il est également intéressant d’observer que la productivité et la
variation phraséologique d’une même langue dans différents pays peut
utiliser des termes qui ne l’ont pas été en français hexagonal comme
nous observons par exemple avec le terme bic :

– tenir le bic (1. SL ; écrire, une lettre, un devoir ; 2.IFA ; pour le prof cor-
riger) ;
– savoir tenir le bic (SL ; être intelligent à l’école);
– pouvoir s’acheter le bic (1. SL ; pouvoir financer les études ; 2. SL ; mani-
fester un intérêt pour lécole) ;
– n’avoir jamais usé le bic (1. SL ; être analphabète ; 2. SL ; n’avoir jamais fait
d’études) ;
– jeter le bic (SL ; abandonner ses études) ;
– se servir du bic rouge (SL ; faire usage du bic rouge) ;
– avoir le bic qui n’écrit plus (SL ; IFA, 1. être impuissant ; 2. être stérile).

4.2. Présence dans l’EF diatopique d’éléments lexicaux qui appar-


tiennent à des langues locales

Avant l’arrivée des  «  colonisateurs  », dans les différents pays actuels


qui utilisent l’espagnol en Hispano-Amérique comme langue officielle,
les populations parlaient de nombreuses langues locales. De même en
Côte d’Ivoire et dans les pays de l’Afrique francophone. Aujourd’hui
plusieurs siècles après, une importante partie de la population conti-
nue d’utiliser ces langues dans leurs activités quotidiennes. Le contact
quotidien de ces différentes langues a produit des créations hybrides (en
utilisant par exemple dans les cas des EF des termes appartenant aux
deux langues dans une même EF), comme preuve de la fusion qui s’est
produite entre les différentes langues et les différentes cultures.

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 255

Nous avons montré dans le tableau 1 la difficulté de bien délimi-


ter géographiquement la zone d’utilisation des expressions. Il en est de
même avec les langues locales dont la zone d’influence s’étend à travers
différents pays et qui peuvent même prêter certains termes à d’autres
langues11.

4.2.1. Exemple d’EF diatopiques espagnoles aves une des


composantes appartenant à une des langues précolombiennes
Nous reproduisons des EF diatopiques espagnoles avec une des com-
posantes appartenant à une langue précolombienne afin de montrer que
cette possibilité existe dans chacun des pays hispano-américain qui uti-
lise l’espagnol comme langue officielle ou co-officielle. Par exemple :

– Argentina: andar (alguien) mal del mate (estar loco, chiflado, tener las fac-
ultades mentales alteradas, DFHA, quechua), colgar (alguien) los guayos
(retirarse de la práctica de futbol, DdAm, mapuche), hacerse algo curuvica
(romperse algo, DHA, guaraní);
– Bolivia: andar (alguien) condor (caminar tambaleándose por la borrachera,
DdAm, quechua);
– Chile: caer (alguien) como patada en la guata (resultar alguien antipático,
DdAm, mapuche), importar alguien/algo una callampa a alguien (no
importar(le) nada alguien/algo a alguien, expresar su indiferencia hacia ella,
DdAm, quechua);
– Colombia: mandar al papayo (matar una persona a alguien, DdAm, ara-
huaco), poner (alguien) tiza (complicarlo, DdAm, náhuatl);
– Costa Rica: estar (algo) hecho picha (1.referido a cosa, rota, hecho jirones,
destrozada, DdAm, maya, 2. estar (alguien) cansado, agotado físicamente,
DdAm, maya);
– Cuba: hacer (alguien) un papalote (perjudicar a alguien, RAE, náhuatl),
picar (alguien) maíz (escribir a mano lentamente, DdAm, arahuaco-taino);
– Ecuador: hacer (alguien) yuca (1. hacer un corte de manga, RAE, arahuaco,
2. mostrar rechazo hacia lo que pide, propone o afirma alguien, RAE arahuaco);

11 Les langues pré-colombiennes ont donné lieu à des EF de l’espagnol péninsu-


laire. Ainsi dans Mogorrón (2017 sous presse) nous trouvons : “Otra prueba de
la importancia de la incorporación de estos términos a la lengua española es
que el español peninsular y común usado en España también ha incluido en su
uso cotidiano algunas de esas palabras pertenecientes a lenguas indígenas. El
análisis de la Base de Datos nos ha permitido encontrar un grupo de 44 expre-
siones que tienen en sus componentes algún término perteneciente a alguna de
las lenguas indígenas de América”.

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256  Pedro Mogorrón Huerta

– El Salvador: quedar (alguien) cheles (quedar de acuerdo, RAE, náhuatl);


– Guatemala: apagar (a alguien) el ocote (perder el entusiasmo por algo,
DdAm, quechua); alborotar (alguien) el zompopero (causar alteración,
DdAm, maya); Honduras: agarrar (alguien) palco (tomarse demasiada con-
fianza, DdAm);
– México: estar (alguien) hecho un chile (estar furioso, enojado, irritado,
DdAm, náhuatl), echar (alguien) la papa (comer,DdAm, quechua) ;
– Nicaragua: echar (alguien) maíz a la pava (perder el tiempo, DdAm, ara-
huaco-taino), parecer (alguien) zanate remojado (sentirse alguien muy
triste, DdAm, náhuatl);
– Panamá: tener (alguien) mucha concha (ser una persona descarada, muy
fresca, desvergonzada, RAE, quechua);
– Paraguay: hablar (alguien) con la papa en la boca (imitar el modo de hablar
de las personas de clase alta, DdAm, quechua);
– Perú: meter (alguien) yuca (engañar, burlar a alguien, DTDFH, arahua-
co-taino); caer la quincha a alguien (sobrevenir a alguien un infortunio
del que difícilmente podrá reponerse, RAE, aimara), [ser, estar] (algo)
papaya (ser muy fácil de hacer o de obtener; voces del español de Perú,
arahuaco-taino); Puerto Rico: caerse (alguien) como guanábana podrida
(perder alguien una posición importante, DdAm, arahuaco-taino), lamberse
(alguien) la arepa (verse alguien en muy mala situación, DdAm, cumana-
gato);
– República Dominicana: coger (alguien) cacao (sufrir un daño, DdAm,
náhuatl), enredar (alguien) la cabuya (equivocarse, hacer o decir algo inop-
ortuno, DdAm, voz caribe);
– Uruguay: estar (alguien) del tomate (estar loco, DTDFH, náhuatl);
– Venezuela: calentar (alguien) el guarapo (castigar a alguien dándole correa-
zos, DdAm, quechua), etc.

L’analyse de la BD et des CVF dont l’une des composantes appartient


à une des langues pré-colombiennes nous montre que de nombreuses
langues ont été utilisées pour former des CVF hybrides. Nous avons
élaboré le tableau ci-dessous pour indiquer la fréquence d’utilisation de
ces langues dans les CVF diatopiques.

langue Nº de CVF
aimara 1
arahuaco taino 127
cahía 1
cumanagato 5
guaraní 19

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 257

langue Nº de CVF
lenca 1
mapuche 1
maya 7
náhuatl 284
quechua 202
tarasco 2
tehuelche 2
tolteca 1
total 653
Tableau 2

4.2.2. EF diatopiques du français de Côte d’Ivoire aves une des


composantes appartenant à une des langues locales
Il n’existe pas, du moins à notre connaissance, d’étude exhaustive
phraséologique, qui indique également l’origine des termes des langues
africaines qui apparaissent dans les EF qui utilisent des termes appar-
tenant aux langues locales12. Cependant l’étude (Anoy 2013) que nous
prenons comme référence montre que de nombreux termes de langues
ivoiriennes ou originaires d’autres pays voisins ont été utilisés pour
élaborer des EF du français de Côte d’Ivoire13. Par exemple :

– faire aboki (être vendeur de café de trottoir, SL, aboki),


– jouer les aboki (se conduire comme un trompeur, SL, aboki),
– aller à l’harmattan14 (aller en période d’harmattan, SL, IFA, fanti),
– avoir de beaux harmattans devant soi (avoir encore de beaux jours, SL, IFA,
fanti),
– passer l’harmattan (passer les congés de Noël, SL, IFA, fanti),
– accepter la cola (accepter les avances d’une personne, SL, IFA, yakouba),

12 Ce travail de recherche serait d’un grand intérêt car il permettrait aux cher-
cheurs de connaître, de même que nous sommes en train de le faire pour l’es-
pagnol, l’origine de chacun de ces termes et les langues locales ayant formé par
hybridation avec le français des EF du français d’Afrique.
13 Il serait aussi très intéressant de savoir si les termes appartenant à des
langues locales parlées dans d’autres pays voisins ont été incorporés à travers
les contacts entre ces peuples ou à travers le français.
14 haramata (transformée en harmattan en anglais puis en français).

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258  Pedro Mogorrón Huerta

– recevoir la cola (1. accepter un cadeau, SL; 2. donner son accord dans une
affaire, SL, yakouba),
– offrir la cola (offrir un gage symbolique, SL, IFA, yakouba),
– aimer awoulaba (avoir un faible pour les femmes, SL, akan),
– préparer le gôpô (préparer les antisèches, SL, bété),
– préserver le n´daya (obtenir la note académique minimale pour avoir une
demi-bourse, SL, n´daya),
– se faire des gombos (se créer un boulot temporaire, SL, bantou),
– partager les gombos (se partager le revenu des petits boulots, SL, bantou),
– souhaiter akwaba (souhaiter la bienvenue, SL, baoulé),
– avoir du gris-gris (avoir des pouvoirs surnaturels, SL, IFA, eve),
– faire du gris-gris à qu’un (faire un envoutement à qu’un, SL, IFA, eve),
– etc.

Il existe beaucoup d’EF avec cette combinaison linguistique diatopique


hybride et il faudrait indiquer, pour chacune d’entre elles, la famille linguis-
tique ; ce qui permettrait de connaître la vitalité et le nombre de termes que
chacune de ces langues a prêté au français de Côte d’Ivoire. Par exemple :

– payer en aboussan (payer selon le mode du contrat au tiers du produit, SL, IFA) ;
– prendre antilaleka (consommer des produits aphrodisiaques, SL) ;
– savoir logobi (frimer avec mesure, SL) ;
– adorer le bakara (implorer la bénédiction du bakara15, SL) ;
– faire gbass (faire du gris-gris, SL, IFA) ;
– faire du djembé (participer à un groupe floklorique de percussion, SL) ;
– faire du Didiga (faire du théâtre, SL) ;
– être un gahou (être paumé, SL) ;
– etc.

Ces quelques exemples montrent la grande richesse linguistique,


géographique et conceptuelle des termes appartenant aux langues
locales et qui sont présents dans les EF du français de Côte d’Ivoire.
Selon Anoy (2013 : 212) :

“Los rasgos principales de los núcleos sintagmáticos de la tipología 3 son esen-


cialmente palabras de lenguas marfileñas o africanas, de variada categoría. En
el marco de nuestro trabajo, nos hemos centrado en los sustantivos, es decir,
palabras con función de nombre, sujeto o complemento: Gentilicios (aboki,
bougouni, dawa, gawa), nombres propios (n’daya, kouadio, Blé, Gaou, Dago)
Nombres comunes (didiga, gbaka, gbata, etc.), Comidas (kedjenou, aloko, foufou,

15 Statuette de la fécondité. 

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 259

attiéké, placali,) frutas (gombo, cola, etc.) bebidas (kpayôrô, dolo, dèguè, Tiapalo,
gnamankou, koutoukou etc.), los trabajos eventuales o duraderos (Wôro-wôrô,
Djossi, abougnan / abougnon / aboussan, donita, samarakoro etc.)”.

4.3. Présence dans l’EF diatopique d’éléments lexicaux


appartenant à des langues étrangères et internationales

Les créations phraséologiques géographiques diatopiques des pays his-


panophones ou francophones reçoivent aussi l’influence des grandes
langues internationales et utilisent également des termes appartenant à
ces langues internationales voisines ou aux grandes langues internatio-
nales utilisées dans les échanges culturels et commerciaux.

4.3.1. EF diatopiques espagnoles aves une des composantes


appartenant à une langue internationale
L’analyse de la BD des CVF espagnoles diatopiques nous a permis de
relever certaines constructions dans lesquelles nous observons :

– l’utilisation de termes français dans la création d’EF diatopiques


hispano-américaines :
– borrarse el casete (DdAm, Colombia, Ecuador, Guatemala, Honduras,
México, Nicaragua, Paraguay, 1. perder la percepción de una cosa; 2. olvi-
darse de una cosa, du français cassette) ;
– dar chance (AoMex, México; 1. dar oportunidad; 2. hacer espacio, du français
chance) ;
– comer bulones (DdAm, Argentina; ingerir alimentos de difícil digestión, du
français boulon) ;
– dar fuete (DdAm, Colombia, Cuba, Panamá, Puerto Rico, República Domin-
icana; golpear a alguien con un fuete o una correa, du français fouet) ;
– chicotear los caracoles (DdAm; Chile; 1. darse prisa en una actividad;
2. apremiar a alguien, du français chicot) ;
– etc.16.

16 Nous avons également relevé des exemples avec : bus, paca, cran, caché, lonjas,
blonda, angulema, marchanta, etc.

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260  Pedro Mogorrón Huerta

– l’utilisation de termes anglais dans la création d’EF diatopiques


hispano-américaines :
– acomodarse al bate (DdAm; Venezuela; prepararse para enfrentarse a una
situación difícil, de l’anglais bate) ;
– agarrar en offside (DdHisp; México, sorprender a alguien, de l’anglais offside) ;
– dar una chequeada (DdAm; Bolivia; comprobar, cotejar algo, de l’anglais
check) ;
– checar tarjeta (DdAm; Guatemala; ponerse en contacto con alguien para
justificar la presencia en un lugar o la causa de una ausencia, de l’anglais
check) ;
– Chequear la tarjeta (AoMex; México; Marcar la tarjeta al entrar o salir de
trabajar, de l’anglais check) ;
– etc17.

– l’utilisation de termes italiens dans la création d’EF diatopiques


hispano-américaines :

Dans le cas de l’Argentine, qui a connu une très forte immigration de pays euro-
péens nous trouvons une grande influence de l’italien dans la langue et dans les
UFS. Par ex : hacer vento y la marroca (DDHA ; de l’italien, vento, argent ; et
marroca, chaîne de montre ; voler l’argent dans la poche d’une personne); darle
el pesto (DDFA ; de l’italien : ti do il pesto, « Je te donne une raclée » ; vaincre,
être supérieur à qq’un) ; etc.

4.3.2. EF diatopiques du français de Côte d’Ivoire aves une des


composantes appartenant à une des langues internationales
De même qu’avec les CVF espagnoles diatopiques, nous observons
avec les EF du français de Côte d’Ivoire la présence de termes apparte-
nant aux grandes langues internationales :

– l’utilisation de termes anglais dans la création d’EF diatopiques


ivoiriennes :

– mamiwatta. (Mamiwatta, reine des eaux provient de Mammie (français et


mommy anglais + water). Ex  : célébrer mamiwatta (faire le rituel pour

17 Nous avons également relevé des exemples avec : bife, bonche, breik, checazo,
candy, cranque, down, easy, escrache, face, etc.

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 261

invoquer la reine des eaux, SL) ; être une vraie mamiwatta (être une vraie
diabolique , ange et démon, SL).
– cope. (Vient de l’anglais cup s’écrit avec différentes graphies en Côte
d’Ivoire : cop-cope, kop-kope) ; prendre un cope / offrir un cope.
– toutou. (Vient de l’anglais two). Faire toutou (se prostituer, SL, IFA).
– avoir boy-jardinier (avoir un jardinier, SL) ;
– etc.

– l’utilisation de termes qui proviennent de l’arabe :

– marabout18. (arabe  murābitlowdot). Ex  : aller au marabout (aller chez le


devin, SL) ; faire l’école marabout /aller à l’école coranique, SL) ; etc.
– talibet. (De taliban). Ex : vivre des talibets. (Vivre d’aumones, SL).
– etc.

– l’utilisation de termes qui proviennent du portugais :

– igname. (de ñame mot qui désigne le fruit tropical). Ex : couper l’igname
(rompre avec qq’un); avoir de ligname crue dans la bouche (parler sans
arrêt, SL) ; faire des ignames (produire de l’igname, SL), etc.
– griot. (de guriot, valet). Ex : avoir un griot (avoir un suiveur propagandis-
tique, SL) ; jouer les griots (être un lèche-bottes, SL).
– etc.

– l’utilisation de termes qui proviennent de l’espagnol :

– listao. (genre de thon rayé qui se capture au golphe de viscaye et de Guinée).


Ex : aller au listao (aller à la pêche du listao, SL).
– palabre. (de l’espagnol palabra). Ex  : aimer palabre (être régulièrement
impliqué dans des disputes et querelles de personnes, SL, IFA) ; achever
les palabres (finir les négotiations, SL, IFA) ; aller sous l’arbre à palabres
(aller à un règlement de litiges, SL, IFA) ; conduire la palabre (conduire les
négociations, SL).
– etc.

18
TLFi : MARABOUT, subst. masc.
I. A.1. HIST. Moine-soldat musulman servant dans un couvent fortifié de l’an-
cien empire arabe. (Dict. XIXe et XXe s.).
2.  Pieux musulman vénéré comme un saint de son vivant ou après sa
mort. Tedjini n’est plus un saint homme, c’est un saint, et sa maison devient
une chapelle. Selon la coutume des marabouts, il a achevé sa vie à côté de son
tombeau  (FROMENTIN,  Été Sahara, 1857, p. 268)…P. anal.  Sorcier, prêtre
d’une religion fétichiste.

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262  Pedro Mogorrón Huerta

5. Nature des composantes employées dans la formation


des CVF/EF

Nous avons également relevé une autre coïncidence. L’analyse des


exemples de CVF/EF diatopiques du français19 et de l’espagnol nous
permet (comme le montrent les nombreux exemples que nous avons
utilisés dans ce travail) de souligner le fait suivant : l’immense majorité,
pour ne pas dire 99% des composantes des langues locales ou interna-
tionales utilisées pour former ces constructions sont des substantifs  :
papaya, papa, yuca, casete, chance, bulones, water, cup, listao, palabre,
griot, igname, cola, gôpô, etc. etc. Nous avons cependant trouvé :

– dans le cas de l’espagnol quelques rares cas de CVF/EF hybrides


qui emploient des verbes originaires de l’anglais  : chequear,
checar ou des verbes transformés en substantifs checada ;
– dans le cas du français, certaines combinaisons hybrides dans
lesquelles le terme appartenant aux langues locales subit une com-
binaison linguistique appartenant au système linguistique français :

– soit en se combinant avec le français. Ex français + dioula :


avoir le warifou20 (être riche SL); chercher le warifou (courir après l’argent,
SL, diula); coûter le warifou (coûter beaucoup d’argent, SL, diula); se faire
le warifou (s’enrichir illicitement, SL). 
– soit en adoptant des formules linguistiques. Ex apocopes.
être tiré en abacost 21 (être élégamment vêtu de veste à la Mao, SL).

Finalement le terme appartenant aux langues locales, peut se combiner


avec des termes d’autres langues internationales : arabe + diulá :

faire baragnini (Baragnini: demander un emploi temporaire) (baragnini est un


hybridisme composé de bara de l’arabe baraka (chance), et de gnini, chercher
en diula ; avoir nassidji (Nassidji: eau bénite) (léxème hybride de l’arabe nassa /
nassi texte coranique, et du diula dji / gui signifie eau, c’est l’eau bénite pour
les musulmans.

19 Nous ne parlerons pas dans ce travail, ni des CVF (EF, ni des composantes de ces
CVF/EF utilisées par les jeunes lycéens ivoiriens dans leur argot nommé nouchi).
20 Cette EF se compose du dioula wari (argent) + le français fou.
21 Apocope de à bas le costume.

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Similitudes / différences dans les formations diatopiques 263

6. Conclusions

Les recherches réalisées tout au long de ces travaux comparatifs, nous


montrent que les trois grands procédés de formations de CVF/EF diato-
piques en Hispano-Amérique et en Afrique francophone sont les mêmes
dans les deux langues et les différents pays analysés.
Des travaux de recherches antérieurs nous avaient permis d’ob-
server que dans la formation des CVF/EF de l’espagnol d’Amérique,
intervenaient par ordre d’importance quantitative, uniquement des élé-
ments lexicaux de l’espagnol (93%)  ; des éléments lexicaux de l’es-
pagnol en combinaison avec des langues pré-colombiennes (3%) ainsi
que des éléments lexicaux de l’espagnol combinés à des éléments lexi-
caux des grandes langues internationales, à savoir l’anglais, le français,
le portugais, l’italien, etc. (3%). L’analyse des CVF/EF du français de
Côte d’Ivoire, nous permet d’observer que dans leur formation inter-
viennent également ces trois cas mais dans un ordre différent. Ainsi,
les CVF/EF les plus nombreuses sont celles qui utilisent une syntaxe
et des termes uniquement français (65%) ; les expressions qui utilisent
des éléments appartenant au français en hybridation avec des éléments
appartenant aux grandes langues internationales représentent 21% et
les CVF/EF qui utilisent des termes appartenant aux langues locales de
Côte d’Ivoire et aux langues africaines représentent 15%.

CVF/EF de l’espagnol d’Amé- 14 000 CVF/EF du français de Côte 2 030


rique. d’Ivoire.
Composantes uniquement 93% Composantes uniquement 65%
espagnoles. françaises.
Composantes espagnoles en 4% Composantes françaises en 15%
combinaison avec des éléments combinaison avec des éléments
des langues précolombiennes. des langues africaines.
Composantes espagnoles en 3% Composantes françaises en 21%
combinaison avec des éléments combinaison avec des éléments
des langues internationales. des langues internationales.
Tableau 3

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264  Pedro Mogorrón Huerta

De même que dans le cas des CVF/EF du français de Côte d’Ivoire qui
se forment par hybridation en utilisant des mots français et des mots
des langues locales, le pourcentage de CVF/EF du français de Côte
d’Ivoire22 qui se forme par hybridation en utilisant des mots français
avec des mots appartenant à des langues internationales est nettement
supérieur à celui des expressions espagnoles. À quoi peuvent être due
ces différences numériques dans l’emploi de ces procédés de formation ?
À partir de ces observations, s’ouvrent de nombreuses pistes de
recherche. Ces pourcentages sont les mêmes dans les autres pays de
l’Afrique francophone ? Si oui, pourquoi les langues africaines et inter-
nationales sont davantage utilisées dans la formation des CVF/EF de
Côte d’Ivoire ou du français d’Afrique ? Si non à quoi ces différences
sont-elles dues ?

Bibliographie

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22 Il faudrait également corroborer ces résultats avec des CVF/EF d’autres pays de
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Afrique n° 16 et 17.


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Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

La variation lexicale dans le portugais brésilien

1. Introduction

L’étude du lexique permet d’observer la lecture qu’une communauté


réalise de son contexte, de sauvegarder une partie de sa mémoire
socio-historique et linguistique-culturelle et de rendre accessible la
documentation de la variation lexicale et géolinguistique du portugais
parlé au Brésil. Réaliser cette étude vient aussi contribuer au projet de
l’Atlas Linguistique du Brésil (ALiB). Elle permet de décrire la réalité
linguistique du portugais brésilien, en focalisant sur l’identification des
variations diatopiques du point de vue géolinguistique.
Après la publication du volume des cartes linguistiques de
l’Atlas Linguistique du Brésil (Cardoso et al. 2014b), plusieurs zones
dialectales brésiliennes ont été dégagées. C’est dans ce sens que nous
présentons sous forme d’illustrations les résultats qui montrent la
diversité d’usages associée à des zones spécifiques, et liée également à
des facteurs sociaux. Pour cette étude, nous considérons des faits liés
à la diversité lexicale.

2. La linguistique contrastive et la variation lexicale


portugais / français

Dans une analyse contrastive, le linguiste doit tenir compte des normes
linguistiques des groupes sociaux étudiés. Comme elles sont liées à
certaines valeurs socioculturelles, ces variétés présentent des caracté-
ristiques identitaires ; en plus, elles s’influencent les unes les autres

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270  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

(Faraco 2002 : 39). À partir de ce principe, le traducteur doit distinguer


les différentes variantes d’une langue. Selon Barbosa et Durão (2008),
par exemple, pour quelqu’un qui travaille avec les combinaisons por-
tugais-français, il est important de connaître les différents sens du mot
« culotte » :

n.f. 1- Vêtement masculin de dessus qui couvre de la ceinture aux genoux


(d’abord serré aux genoux) et dont la partie inférieure est divisée en deux élé-
ments habillant chacun une cuisse (opposé à pantalon). Les sans-culottes (les
révolutionnaires – les aristocrates portaient la culotte). Vêtement de forme ana-
logue porté par les enfants et les sportifs : porter des culottes courtes – short,
bermuda. Fig. Trembler dans sa culotte: avoir très peur. C’est elle qui porte la
culotte : c’est elle qui commande son mari – « Dans le ménage, c’était le mari
qui portait les jupes et la femme les culotes » (Proust). Attraper quelqu’un par le
fond de la culotte ; baisser culotte : se soumettre, avouer. Vulg. N’avoir rien dans
la culotte : être impuissant, lâche (c’est le même que n’avoir pas des couilles).
2- Sous-vêtement féminin qui couvre le bas du tronc, avec deux ouvertures pour
les jambes – slip ; culotte de bains (hommes et enfants). 3- Boucherie. Partie de
la cuisse du bœuf, de l’échine au filet.

Cependant, les sens présentés dans le dictionnaire français-portugais


consulté pour le même nom sont :

« culotte » : 1- Roupa de baixo masculina que cobre desde a cintura até os


joelhos (originalmente era presa aos joelhos), cuja parte inferior é dividida em
duas partes, cada uma vestindo uma coxa (por oposição à calça comprida).
Os sans-culottes (os revolucionários [chamados assim durante a Revolução
Francesa], pois os aristocratas usavam calças). Roupa análoga usada por
crianças e esportistas : usar calças curtas – short, bermuda. Fig. Tremer nas
calças (ou mijar nas calças, como se diz vulgarmente em português) : ter muito
medo ; agarrar alguém pelo fundo das calças; baixar as calças : se submeter,
confessar. Chulo. Não ter nada dentro das calças: ser impotente, frouxo – (o
mesmo que não ter collhões). Diz-se também da mulher que manda na casa :
enquanto ele veste saia ela usa calças. 2- Roupa íntima feminina que cobre
o baixo ventre, com duas aberturas para as pernas – slip ; calção de banho.
3- Açougue. Parte da coxa do boi que vai da região das costas ao filé.

Avec le mot « culotte », l’étudiant brésilien aura tendance à chercher


dans son répertoire une correspondance à faire avec le substantif
masculin « culote », qui, en portugais, a d’autres sens qui ne sont pas
exactement les mêmes proposés en langue française. Parmi les sens en

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 271

portugais, le plus connu est celui qui associe « culote » à « celulite » et


« graisse située dans les cuisses et haute dans les hanches », ou encore
d’autres sens comme :

« Calça comprida, bem larga nos quadris e justa abaixo do joelho, usada para
montar a cavalo. Parte posterior reforçada de um projétil ou de um estojo de
um cartucho. (Encontram-se no culote do estojo o alojamento da cápsula ou
estopilha e a virola pela qual o estojo é extraído do cano) ».

À partir de la similarité des mots – culotte et culote – tous deux sous forme
orale et écrite, l’apprenant peut croire qu’ils ont le même sens dans les
deux langues. Même après avoir pris connaissance des sens de « culotte
», l’étudiant considère comme improbable que ce mot fasse référence à
« cueca » (vêtement pour les hommes) et à « calcinha » (vêtement pour
les femmes). Dû au fait qu’il existe en portugais un mot spécifique pour
ces vêtements intimes de l’homme et de la femme, l’apprenant peut
penser au mot avec un certain embarras, avec un regard égaré, comme
s’il avait trouvé en français une faute qui le mettait dans une situation
inconfortable.
En partant du présupposé que la variation linguistique constitue
une réalité concrète dans la communication, il convient à l’enseignant de
permettre à l’étudiant d’accéder aux différentes variétés de la langue et
de savoir dans quels contextes sociaux il peut utiliser chaque variante. Il
ne peut pas restreindre l’enseignement de la langue et l’activité traductive
à une norme standard privée d’un contexte pragmatique-discursif. Ainsi,
il faut à l’enseignant une préparation qui ne soit pas limitée à la connais-
sance structurale de la langue maternelle et de la langue étrangère.

3. La délimitation des régions linguistiques

Pour ce qui est des caractéristiques du portugais du Brésil, Nascentes


(1953) montre que les linguistes ont tenté de créer des cartes des dia-
lectes brésiliens afin de présenter la diversité géographique et culturelle,

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à l’instar de ce qui a été fait pour d’autres langues d’Europe. Selon


l’auteur :

A realidade, porém, é que as divisões « dialetais » no Brasil são menos geográ-


ficas que socioculturais. As diferenças na maneira de falar são maiores, num
determinado lugar, entre um homem culto e o vizinho analfabeto que entre dois
brasileiros do mesmo nível cultural originários de duas regiões distantes uma da
outra. A dialetologia brasileira será menos horizontal que vertical.1 (Nascentes,
1953 : 78–79)

À propos de la thématique de la division dialectale brésilienne, Silva


Neto (1979) dit :

É preciso ter na devida conta que unidade não é igualdade; no tecido linguístico
brasileiro, há, decerto, gradações de cores. Minucioso estudo de campo
determinaria, com segurança, várias áreas. O que é certo, porém, é que o
conjunto dos falares brasileiros se coaduna com o princípio da unidade na
diversidade e da diversidade na unidade.2 (Silva Neto 1979 : 632)

Dans ce sens, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, même après plus de


six décades de la délimitation des parlers régionaux du Brésil, faite par
Nascentes (1953), les chercheurs brésiliens, n’ont pas encore réussi, à
partir de données prises in loco, à confirmer la proposition de division
dialectale de Nascentes ni à élaborer un nouveau plan pour les zones
dialectales brésiliennes.
La publication des atlas linguistiques régionaux et des États
aide à l’identification des parlers régionaux du Brésil. Cependant, elle
n’offre pas encore les indices suffisants pour la délimitation des zones
dialectales. Le Projet de l’ALiB vise à éliminer cet écart, en établissant
1 Cependant, la réalité c’est que les divisions « dialectales » au Brésil sont moins
géographiques que socioculturelles. Les différences dans la façon de parler sont
plus grandes, dans un certain endroit, entre un homme cultivé et son voisin
illettré qu’entre deux brésiliens du même niveau culturel provenant de deux
régions éloignées. La dialectologie brésilienne sera moins horizontale que ver-
ticale (nous traduisons nous-mêmes).
2 Il faut prendre en compte qu’unité n’est pas d’égalité ; dans le tissu linguistique
brésilien, il y a, peut-être, des gradations de couleurs. Une étude de champ
minutieuse déterminerait, sûrement, plusieurs zones. Ce qui est sûr, cependant,
c’est que l’ensemble des parlers brésiliens va avec le principe de l’unité dans la
diversité et de la diversité dans l’unité (nous traduisons nous-mêmes).

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 273

des isoglosses permettant de délimiter les frontières dialectales du


Brésil.
Nascentes, dans un article publié dans la Revista Brasileira de
Geografia (Nascentes 1955 ; Barbadinho Neto 2003), fait une rétros-
pective générale des propositions de division dialectale du Brésil, pro-
duites jusqu’à ce moment-là, et défend l’idée suivante :

[…] enquanto não existir o Atlas Lingüístico do Brasil, não se pode fazer uma
divisão territorial em matéria de dialectologia com bases absolutamente segu-
ras. Tal atlas está muito longe de se tornar realidade. Por isso, não vem de todo
fora de propósito que se tente esse desiderato, embora sua realização seja de
valor duvidoso e sujeita a revisão definitiva quando aparecer o Atlas.3 (Barba-
dinho Neto 2003 : 691)

L’auteur n’imaginait pas que la proposition qu’il a élaborée deviendrait


la division dialectale brésilienne classique. Ainsi, en faisant son article,
Nascentes (1955) analyse les propositions de division dialectale exis-
tantes. D’abord, l’auteur présente la proposition de Júlio Ribeiro
(1891), élaborée selon des critères géographiques en quatre zones : le
Nord (formé par les états de Amapá, Pará, Manaus, Piauí, Ceará, Rio
Grande do Norte, Paraíba et Pernambuco) ; l’Est (formé par les états de
Alagoas, Sergipe, Bahia, Espírito Santo, Rio de Janeiro et São Paulo) ;
le Centre (formé par les états de Minas Gerais, Goiás et Mato Grosso)
et le Sud (formé par les états de Paraná, Santa Catarina et Rio Grande
do Sul). En présentant ce découpage géographique, Nascentes pose les
critiques suivantes :

Esta divisão apresenta os seguintes defeitos: junta o Norte e o Nordeste, que


é diferente dele; separa Alagoas dos demais estados do Nordeste; coloca o
Espírito Santo e o Rio de Janeiro junto da Bahia, tão diferente esta; coloca
São Paulo, tão caracteristicamente sulino, junto de Alagoas (!), junto com Ser-
gipe e Bahia e junto do Espírito Santo e Rio de Janeiro; coloca Minas (sem

3 […] puisque l’Atlas Linguistique du Brésil n’existe pas, on ne peut pas faire
une division spatiale dans le domaine de la dialectologie sur des bases absolu-
ment sûres. Un tel atlas est bien loin de devenir réalité. C’est pourquoi, il ne
vient pas du tout sur place d’essayer cet objectif, si bien que sa réalisation est
douteuse et aura besoin d’une révision finale quand l’Atlas sera paru (nous
traduisons nous-mêmes).

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discriminar) junto de Goiás e Mato Grosso; no sul, só há que objetar a falta


de São Paulo. Como se vê, toda ela imperfeita.4 (Barbadinho Neto 2003 : 691)

Ensuite, Nascentes présente la division de Maximino Maciel (1950) en


trois parties : (i) brésilien-guyanais ou septentrional ; (ii) idiodialectes
des états ou centrales ; et (iii) brésilien-castillan ou méridional, en mon-
trant ses limites :

Além do defeito do critério geográfico exclusivo, esta divisão conta com outros:
a língua da chamada Guiana Brasileira se estende à margem direita do Ama-
zonas; que serão idiodialetos?; a influência do castelhano platino na língua da
fronteira com o Uruguai e com a República Argentina não vai a ponto de domi-
nar o nosso subfalar do extremo sul.5 (Barbadinho Neto 2003 : 693)

Une autre proposition qui est abordée par Nascentes est celle de
Rodolfo Garcia (1915), qui a expliqué la continuité spatiale, les
voies de communication, l’homogénéité de cultures ou industries,
les éléments ethniques et, finalement, les glossaires qui contenaient
des «  localismes  ». La division de Rodolfo Garcia est organisée en
cinq zones : (i) Nord (constituée par les états de Amazonas, Pará et
Maranhão) ; (ii) Nord-orientale (composée par les états de Piauí, Ceará,
Rio Grande do Norte, Paraíba, Pernambuco et Alagoas) ; (iii) centrale-
maritime (constituée par les états de Sergipe, Bahia, Espírito Santo
et Rio de Janeiro) ; (iv) méridionale (composée par les états de São
Paulo, Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul) ; et (v) altiplane-
centrale (constituée par les états de Minas Gerais, Goiás et Mato
Grosso). À propos de cette division, Nascentes remarque que la jonction

4 Cette division présente les défauts suivants : elle met ensemble le Nord et le
Nord-Est, si différents ; elle sépare Alagoas des autres états du Nord-Est ; elle
place Espírito Santo et Rio de Janeiro avec Bahia, celle-ci est si différente ; elle
met São Paulo, avec des traits caractéristiques du Sud, à côté de Alagoas, Sergipe,
Bahia, Espírito Santo et Rio de Janeiro ; elle met Minas (sans discrimination) à
côté de Goiás et Mato Grosso ; au Sud, il ne faut que contester le parler de São
Paulo. Comme on peut voir, toute elle imparfaite (Nous traduisons nous-mêmes).
5 Au-delà de la faute du critère géographique exclusif, cette division en a d’autres :
la langue de la Guyane Brésilienne s’étend à la marge droite de l’Amazonas ;
qu’est-ce que c’est idiodialectes ? l’influence du castillan de la Plata dans la
langue de frontière avec l’Uruguai et la République de l’Argentine ne domine
pas notre sousparler de l’extrême Sud (Nous traduisons nous-mêmes).

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 275

des critères historiques et géographiques est un aspect positif, pourtant


il en relève quelques aspects négatifs :

Há os seguintes defeitos nesta divisão: coloca o Maranhão na zona Norte,


quando ele é uma espécie de intermediário entre ela e o Nordeste; coloca o Rio
de Janeiro e o sul do Espírito Santo na zona Central-marítima; coloca Minas
Gerais (sem discriminar) e Goiás junto com Mato Grosso.6 (Barbadinho Neto,
2003 : 691)

C’est à partir de la refonte de la division de Rodolfo Garcia (1915) que


Nascentes propose la division du Brésil en zones linguistiques, publiée
dans la première édition de son livre O Linguajar Carioca em 1922.
Cette division a permis l’identification des zones dialectales sur des cri-
tères géographiques associés à ce qu’il appelait des faits linguistiques.
Dans cette proposition, Nascentes présente une répartition du Brésil
en quatre parties : (i) Nord (contenant les états de Amazonas et Pará,
le littoral des états du Maranhão jusqu’à Bahia) ; (ii) « Fluminense »
(composée par les états de Espírito Santo, Rio de Janeiro, le Sud de
Minas Gerais el le District Fédéral) ; (iii) « Sertaneja » (constituée par
les états de Mato Grosso, Goiás, le Nord de Minas Gerais, le « sertão »
des états du littoral du Nord-Est, du Maranhão jusqu’à Bahia) ; (iv) Sud
(formée par les états de São Paulo, Paraná, Santa Catarina, Rio Grande
do Sul et par le « Triângulo Mineiro »).
En tenant compte des critiques reçues au sujet de la division de
1922, Nascentes (1953) publie une répartition revue qui divise le Brésil
en six sous-catéorgies de parlers, organisés en deux groupes : (i) le parler
du Nord, avec les sous-catégories : « Amazônico » et « Nordestino » ;
(ii) le parler du Sud, avec les sous-catégories « Baiano », « Fluminense »,
« Mineiro » et « Sulista ». La division de Nascentes présente aussi une
zone définie par l’auteur comme territoire non caractérisé. C’est la
région située entre la frontière de Mato Grosso avec Pará et Amazonas.
La répartition de Nascentes (1953) est fondée sur des faits pho-
niques, comme :

6 Il y a les fautes suivantes dans cette division : elle met l’état de Maranhão dans
la zone Nord, quand il est intermédiaire entre cette zone et le Nord-Est ; elle
place Rio de Janeiro et le Sud de l’Espírito Santo dans la zone Centrale-mari-
time ; elle met Minas Gerais (sans discrimination) et Goiás avec Mato Grosso
(Nous traduisons nous-mêmes).

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– la présence de voyelles pré-toniques ouvertes dans des mots qui


ne sont ni des diminutifs ni des adverbes en –mente : voyelles
ouvertes – caractéristiques de la région Nord – versus voyelles
fermées – typiques de la région Sud – ;
– la cadence de la parole : « fala cantada » au Nord et « fala des-
cansada » au Sud.

Dans le champ des études sur la division dialectale brésilienne, la pro-


position de Nascentes (1953) se distingue par son importance fondée
sur des observations faites par l’auteur pendant ses voyages dans tous
les États du pays. Elle est donc considérée comme une référence pour
la plupart des travaux qui ont pour but de décrire la variation dialectale
brésilienne.

4. Le Projet Atlas Linguistique du Brésil : constitution


et méthodologie

Le Projet de l’ALiB est un projet essentiellement linguistique parce que


son but est d’enregistrer, décrire et interpréter la réalité du portugais
brésilien. En effet, il présente une interface évidente avec des différentes
branches de la science dûe au fait que l’histoire d’une langue est l’his-
toire du peuple qui la parle.
Cette caractéristique du Projet ALiB a deux implications évi-
dentes : d’un côté, il inspire et établit sa conception dans la pluralité
de la connaissance ; de l’autre côté, il permet, à partir des résultats
obtenus, de développer la pédagogie de la langue portugaise, à la fois
comme langue maternelle et comme langue étrangère. Il est intégré
dans un ensemble de quatorze institutions universitaires brésiliennes,
liées sur la base d’un accord. La coordination du Projet ALiB est sous
la responsabilité d’un Comité National, constitué de treize personnes.
Le Projet ALiB offre, par la nature des données qu’il réunit, une inter-
face avec d’autres branches des sciences, ce qui lui assure son caractère
multi- et interdisciplinaire, comme nous l’illustrons ci-dessous.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 277

En ce qui concerne les données, elles permettent de mettre en


évidence différents comportements linguistiques selon le type de dis-
cours. La posture linguistique du locuteur, selon la nature de son élocu-
tion, offre aux études dans le champ de la psychologie et de la sociolo-
gie une grande source d’analyse pour la connaissance du comportement
humain. Les réponses non dites et les restrictions présentes dans le
discours des locuteurs, ainsi que les métaphores et les circonlocutions,
permettent des réflexions dans le domaine des études culturelles, en
général, qui révèlent des tabous construits au long de l’histoire et moti-
vés par des raisons différentes.
L’ensemble des données qu’un atlas contient peut : (i) montrer
les coordonnées suivies dans le peuplement du pays, en expliquant les
routes de pénétration et en offrant des éléments de la formation de ces
localités, y compris les gens qui ont transités par là ; (ii) signaler le
rôle des accidents géographiques dans la diffusion des habitudes lin-
guistiques – en regardant, par exemple, le rôle des rivières – ou dans
l’isolement de phénomènes qui se placent derrière les montagnes ou
incrustés dans les vallées ; (iii) fournir des éléments spécifiques pour
des études ponctuelles dans le domaine de la médecine, en montrant les
noms de maladies, diagnostiques et guérisons de la sagesse populaire
qui émergent dans des questions, ou dans le domaine de la géologie,
avec la caractérisation et les dénominations des types de terrains, par
exemple, ou encore dans la façon de nommer les éléments du monde
psychosocial, un vaste champ pour les psychanalystes.
Le rapport entre le Projet ALiB et l’éducation est très clair
puisque les résultats des analyses linguistiques fourniront une meilleure
adaptation à la réalité de l’enseignement-apprentissage du parler de
chaque région. À partir de la description des particularités de chaque
zone et de la caractérisation de chaque variété d’usage de la langue, on
peut développer un modèle d’enseignement plus efficace.
Nous pouvons constater cela, par exemple, si nous considérons la
référence aux voyelles moyennes pré-toniques. Selon Nascentes (1953),
à propos de la division dialectale du Brésil, la réalisation ouverte ou
fermée des voyelles moyennes pré-toniques sépare le Nord du Sud.
Telle réalité se confirme dans l’analyse des données du Projet ALiB,
dont les résultats peuvent aider l’enseignement-apprentissage de la

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278  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

langue portugaise, en présentant, par exemple, le profil de la réalisation


des voyelles « e » et « o », pré-toniques, en ce qui concerne l’ouverture,
la fermeture ou l’élèvement, dans des mots comme « menino » (garçon)
et « colégio » (collège), et contribuer pour les discussions contre les
préjugés linguistiques.
Au-delà de ces aspects, dans lesquels nous n’avons pas montré
toutes les possibilités d’interdisciplinarité de l’ALiB, il faut souligner
ce qui peut ressortir d’un atlas pour les études linguistiques, spécifique-
ment dans les différents domaines comme la sémantique, la lexicologie,
la syntaxe, la morphologie, la phonétique/phonologie, la pragmatique,
le discours.
L’implantation du Projet ALiB, en 1996, a permis la discussion
de la méthodologie des travaux géolinguistiques et de l’élaboration
d’instruments adéquats pour recueillir des données empiriques, fait très
important pour le développement de la Géolinguistique au Brésil. C’est
pourquoi nous pouvons dire que le Projet ALiB est un point de repère
d’une nouvelle étape de la Dialectologie Brésilienne, la quatrième, si
l’on considère les trois étapes précédentes proposées par Cardoso et
Ferreira (1994), au-delà des deux précédentes proposées par Nascentes
(1952, 1953).
Le Projet ALiB, par la nature de ses données, peut être un apport
pour la compréhension du portugais brésilien dans son aspect global,
puisqu’il permet la reconnaissance des formes d’expression de la langue
portugaise au Brésil à partir de la documentation des nouvelles formes,
inconnues dans l’usage général, en les ajoutant dans le domaine lexique
de la langue, comme les mots « carapanã » (pernilongo / moustique),
« musse » (geleia / confiture), « bolita » (bola de gude / bulles). On doit
ajouter la nécessité de considérer la pluralité d’usages dans l’enseigne-
ment formel pour les brésiliens et les étrangers, en leur présentant les
usages dépourvus de jugement de valeur.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 279

5. Le Projet Atlas Linguistique du Brésil : un bilan

Le résultat immédiatement attendu du Projet ALiB est, évidemment, la


production de l’atlas lui-même, dont les deux premiers volumes, Intro-
duction et Cartes Linguistiques I, ont été publiés en 2014.

5.1. Volume 1 – Introduction

Le volume 1 (212 pages), présente la trajectoire du Projet ALiB et décrit


la méthodologie suivie. Il y a aussi la reproduction des instruments
méthodologiques employés et des annexes qui apportent des informa-
tions complémentaires.
Parmi ces instruments méthodologiques, nous citons :

– les questionnaires linguistiques, présentés en leur version initiale,


car des modifications ont été faites au fur et à mesure de l’évolution
de la recherche ;
– le cahier de notes sur la localité et le locuteur ;
– le contrôle des réponses, instrument qui permettait au chercheur,
en signalant les réponses non obtenues, d’évaluer immédiatement
la validité de l’interview en fonction du pourcentage de réponses
données.

Dans les annexes, il y a le réseau de points, la relation des chercheurs


de l’ALiB, des enquêteurs et de leurs auxiliaires autant que la relation
des étudiants-chercheurs et des étudiants-techniciens, liés à différents
programmes officiels de financement de recherche.

5.2. Volume 2 – Cartes Linguistiques 1

Le volume 2 (368 pages) présente le premier ensemble de cartes lin-


guistiques qui montrent les résultats concernant les capitales d’État,
dans le domaine de la phonétique, du lexique et de la morphosyntaxe,

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en portant, dans certains cas, l’apport diagénérationnel, diassexuel et


diastratique, au-delà de la vision diatopique.
D’abord, il y a dix cartes avec des données générales à propos des
aspects politiques et géographiques du Pays, en détaillant les régions
géographiques dans lesquelles nous pouvons identifier tous les points
du réseau. Ensuite il y a les cartes linguistiques elles-mêmes :

– 46 cartes phonétiques à propos de six phénomènes variables ;


– 106 cartes sémantico-lexicales, dont 104 onomasiologiques et
2 sémasiologiques, qui concernent huit parmi les quatorze champs
du Questionnaire Sémantique-Lexical et qui présentent les données
dans une perspective générale – cartes diatopiques générales – et
aussi avec l’indication par région – cartes diatopiques régionales ;
– 7 cartes morphosyntaxiques avec des données concernant les
flexions de numéro et de genre, la distribution des pronoms
de deuxième personne et l’usage du verbe ter (avoir) à valeur
existentielle.

Quelques cartes sont enrichies de notes avec des commentaires des


locuteurs et de notes de l’enquêteur ou du chercheur responsable par le
dessin de la carte, pour élucider des aspects intéressants.
Dans ce texte, nous analysons quatre cartes linguistiques lexi-
cales, publiées dans le volume 2 (Cardoso et al., 2014b)7, qui concernent
le champ sémantique de la faune. Les données ont été obtenues du
Questionnaire Sémantique-Lexical (QSL) de l’ALiB (Comitê Nacional
do ALiB, 2001) : question 67 – comment s’appelle l’animal de la cour
qui ressemble à la poule avec des plumes noires et des points blancs ?
– équivalente à la carte L11 – galinha d’angola (pintade) ; question 85
– comment s’appelle l’insecte à corps long et mince, à quatre ailes bien
transparentes, qui vole et dont la queue touche l’eau ? – correspondante
à la carte – L12 – libélula (libellule) ; question 86 – comment s’appelle

7 Les analyses linguistiques des cartes sélectionnées ont été faites par : L11 –
Vanderci de Andrade Aguilera et Valter Pereira Romano ; L12 – Vanderci de
Andrade Aguilera et Valter Pereira Romano ; L13 – Vanderci de Andrade Agui-
lera, Fabiane Cristina Altino et Hélen Cristina Silva ; L14 – Aparecida Negri
Isquerdo et Daniele de Souza Silva Costa.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 281

le tout petit vers blanc, ridé, qu’on trouve dans la goyave, dans le coco ?
– correspondante à la carte L13 – bicho da goiaba (chenille de goyave)
; question 88 – comment s’appelle le petit insecte à longues pattes qui
chante, siffle à l’oreille des gens la nuit ? – correspondante à la carte
L14 – pernilongo (moustique).

6. Analyse des données

Selon Barbosa et Durão (2008), l’expression française « ce n’est pas


grave », ou, comme on dit couramment, « c’est pas grave », sans la par-
ticule de négation « ne », peut être traduite, en portugais, comme « não
tem problema ». Cet énoncé, en portugais, est presque une convention,
employé tout le temps dans des situations quotidiennes comme réponse,
par exemple, à une excuse quand on se heurte, ou quand on verse un
verre de vin sur la nappe. Dire, en portugais, « não tem problema » ne
pose pas de grandes réflexions, ni au locuteur ni à l’auditeur. Mais en
français, par contre, dans l’expression « ce n’est pas grave », ce qui
importe pour l’apprenant c’est le mot « grave », écrit de la même façon
dans les deux langues. Son sens, pour un brésilien ou un portugais, a une
forte impression, car le mot « grave » signifie quelque chose de sérieux,
à lourdes conséquences, néfaste, comme dans les phrases : « o acidente
foi grave » (l’accident a été grave), ou « o estado do paciente é grave »
(l’état du patient est sévère). Un apprenant de français brésilien, fera
attention au mot « grave » et comprendra l’expression d’une manière
littérale  : « não é grave » (ce n’est pas sévère). Or, la phrase, ainsi
dite, a un autre sens, bien plus chargé. On pense qu’il y avait quelque
chose d’inquiétant qui, à la fin, est devenu « rien de sévère ». Mais, dire
que quelque chose « não é grave » n’adoucit pas tout ce qui est arrivé.
L’expression garde son sens de « situation grave ».
Un autre exemple donné par les auteurs est l’expression
« rendez-vous », présentée dans le dictionnaire français-portugais
comme : « n.m. Rencontre convenue bs. masc. (Encontro marcado
entre pessoas. Lugar de encontro ». Le substantif, en fait, est l’impératif
du verbe rendre à la deuxième personne du pluriel (rendez-vous à tel

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endroit – dirija-se, encaminhe-se a tal lugar). Ce mot a été incor-


poré au lexique du portugais, écrit exactement comme en français.
« Rendez-vous : ponto de encontro ; local escolhido para entrevista ;
conversa, encontro marcado, combinado de antemão ». En portugais,
le sens du mot, même si on maintient le sens du mot en français, met en
évidence plutôt l’endroit de la rencontre que la rencontre elle-même.
Au Brésil, le mot « rendez-vous », prononcé « randevu » ou « randivu »,
a été recatégorisé. C’est un exemple de régionalisme  : le mot a été
popularisé à la campagne du Nord-Est et signifie « casa de prosti-
tuição, local de encontros libidinosos, prostíbulo, bordel » (maison
de prostitution, lieu de rencontres libidinales, bordel). Le mot est
employé, particulièrement, au Sud-Ouest de Bahia, dans les villages
autour du fleuve Gavião, comme synonyme de confusion, discussion,
désordres, mais toujours avec des femmes comme pivot de la dispute.
Cette recatégorisation du mot peut être due à l’influence française pen-
dant la période coloniale du Brésil, spécialement à Rio de Janeiro et
à São Luís, villes qui ont subi la domination des français. Selon l’his-
toire officielle, il y a eu au moins deux tentatives principales de cette
colonisation : d’abord, en 1555, quand 600 français dirigés par Nicolas
Durand de Villegaignon ont dominé Rio de Janeiro pour y établir une
colonie (la France Antarctique). Après avoir été expulsés par les portu-
gais en 1567, les français ont fait encore une deuxième tentative, cette
fois-ci au Maranhão, en 1612, quand l’aventurier Daniel de la Touche,
seigneur de La Ravardière, en France, avec 500 hommes, a fondé dans
la côte du Maranhão la ville de Saint Louis (en portugais São Luís),
capitale de celle qui serait la France de l’Equinoxe, un projet qui n’a
duré que trois ans. En 1615, rejetés par les portugais, les français ont
fui, autour de la côte Nord de l’Amazonie, et se sont installés dans
la région où se trouve aujourd’hui la Guyane Française, voisine du
Brésil. Logiquement, dans ces tentatives de colonisation du Brésil, les
français ont laissé plus que des forteresses, fars et d’autres œuvres
architecturales. La langue française, certainement bien plus que ces
mots, a maintenu une convivialité avec le portugais du Brésil, avec les
indigènes et les africains, dans un mélange très inhabituel et très peu
étudié jusqu’aujourd’hui. Et, pour renforcer encore plus la thématique
de la présence française au Brésil, on a « importé » quelques mots et

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 283

expressions après les habitudes de la belle époque, qui a eu son apogée


à la fin du XIXe siècle. De cette période jusqu’à la moitié du XXe siècle,
quand la langue et la culture américaines ont commencé leur imposi-
tion, le français était symbole de raffinement, et, donc, enseigné dans
les collèges fréquentés par l’élite brésilienne. À l’époque, des français
célèbres (musiciens, danseuses de cancan et autres artistes) venaient
au Brésil. Des actrices, des chanteuses et des danseuses y arrivaient
avec le rêve de faire fortune dans les tropiques (en 1935, l’anthropo-
logue franco-belge Claude Lévi Strauss a utilisé l’expression Tristes
Tropiques, titre de son célèbre livre). Dans ce contexte, il y avait des
artistes français qui avaient accepté de rencontrer des admirateurs loin
de leurs vestiaires et, pour cela, fixaient de tels rendez-vous. Les ren-
contres, dans l’imaginaire populaire, ont reçu d’autres sens, en faisant
référence à des interviews aléatoires et peu orthodoxes, et les artistes
français avaient été associés aux femmes de comportement répréhen-
sible. Le passage de « rendez-vous » à « randevu » a été très rapide. Le
mot français, incorporé au lexique brésilien, est utilisé, par extension,
comme synonyme de zone de prostituées.
Les deux exemples présentés, « ce n’est pas grave » et
« rendez-vous », qui ont des sens différents en français et en portu-
gais, illustrent l’importance d’une étude contrastive du lexique dans
ces langues, en mettant en évidence les phraséologismes, pas encore
bien décrits dans des dictionnaires. Alors, nous avons commencé
l’analyse des données du portugais brésilien, en soulignant la varia-
tion diatopique dans cet article, pour essayer de faire une analyse
contrastive avec le français dans l’avenir.
En ce qui concerne l’analyse des données de l’Atlas Linguistique
du Brésil, comme nous ne pouvons pas reproduire les images des cartes
analysées, nous faisons leur description8 pour montrer la variété lexicale
dans les régions brésiliennes du Nord au Sud. Nous présentons aussi
l’enregistrement des mots dans des dictionnaires et la distribution géo-
graphique des variantes, en montrant ce qui est général dans toutes (ou
presque toutes) les capitales et puis ce qui est spécifique à quelques villes.

8 L’étude détaillée de chaque carte du Volume 2 est à paraître dans le Volume 3 de


l’Atlas Linguistique du Brésil et montre l’analyse des résultats cartografes avec
des informations complémentaires issues du corpus.

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284  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

L11 – GALINHA D’ANGOLA (pintade) – L’ensemble des six


cartes, une générale et cinq régionales, enregistre les lexies suivantes :
angolista, capão, capote, catraia, cocar, galinha d’água, galinha d’an-
gola, galinhola, guiné, picote, saqué, tô-fraco. Ces dénominations
révèlent des créations métaphoriques, associées au corps de l’oiseau,
comme capote, galinhola et capão ; des onomatopées, associées au
bruit que l’animal fait, comme tô-fraco, cocar, saqué et picote ; et des
patronymiques, qui informent l’origine africaine de la poule, comme
galinha d’angola, angolista et guiné.
En ce qui concerne les dictionnaires, Ferreira (2004) et Houaiss
(2009) enregistrent la forme galinha d’angola, dont la définition est
oiseau provenant de l’Afrique, appartenant à la famille des gallinacés
et donnent comme synonymes angolinha, angolista, capote, cocar,
estou-fraca, galinha-da-guiné, galinha-da-índia, galinha-da-numídia,
galinhola, guiné, picota, pintada et sacuê.
Les dénominations capão, catraia et galinha d’angola, qui ont
été enregistrées dans la carte L11, sont présentées dans les dictionnaires
avec d’autres sens. La forme capão est définie comme poulet castré et
nourri spécifiquement pour grossir vite et être abattu pour la consom-
mation ; animal castré ; individu couard, faible ; poisson-coq. Le mot
catraia est enregistré comme une sorte de bateau ; construction petite
à valeur insignifiante ; putaine à catégorie faible ; putaine. La dénomi-
nation galinha d’água est dictionnarisée comme poule d’eau, oiseau au
bec tâché.
En ce qui concerne la distribution spatiale des variantes, la carte
L11 montre galinha d’angola comme le seul mot enregistré dans les
capitales de la Région Sud-Est (Belo Horizonte, São Paulo et Rio de
Janeiro)9, dans la Région Sud (Curitiba) et dans la Région Centre-Ouest
(Campo Grande). C’est la variante majoritaire dans la capitale du Sud
Porto Alegre et dans les capitales Cuiabá et Goiânia, de la Région
Centre-Ouest. Au Nord-Est, elle est présente dans toutes les capitales,
sauf à Maceió.

9 Les capitales d’État sont mentionnées selon l’ordre de numération du réseau de


points.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 285

La variante picote est utilisée dans les capitales de la Région


Nord, à l’exception de Rio Branco, où il y a la forme capote. Au Nord-
Est, la variante guiné prévaut à Natal, João Pessoa, Recife, Maceió et
Aracaju et la dénomination capote est plus fréquente à Teresina et à
Fortaleza. Dans la Région Sud-Est, seulement la capitale Vitória a trois
variantes : galinha d’angola, galinhola et tô-fraco. Dans la Région Sud,
à l’exception de Curitiba, où il n’y a que la forme galinha d’angola,
les capitales Florianópolis et Porto Alegre enregistrent galinha d’an-
gola, angolista et tô-fraco. La dénomination capão n’est présente que
dans deux capitales de la Région Nord-Est (Teresina et Fortaleza). La
variante catraia n’existe que dans la Région Nord-Est (São Luís) et
le mot cocar n’apparaît que dans la Région Centre-Ouest (Cuiabá et
Goiânia). La forme saqué n’est enregistrée que dans la Région Nord-
Est (Teresina et Salvador).
L12 – LIBÉLULA (libellule) – Dans les six cartes présentées,
il y a des dénominations qui révèlent des créations bien populaires :
assa-peixe, bate-bunda, besouro, cachimbal, catirina, cavalo-do-cão,
cigarra, helicóptero, jacinta, lava-bunda, lava-cu, lavadeira, libélula,
macaco, mané-magro, olho-de-peixe et zigue-zague.
En ce qui concerne l’étude de la dictionnarisation de chacune
des variantes pour l’insecte à corps long et mince, à quatre ailes bien
transparentes, qui vole et touche la queue sur l’eau, Ferreira (2004) et
Houaiss (2009), dans le mot libélula (libellule), révèlent que cet animal
est un insecte de l’ordre des odonates, facilement reconnaissable par
son abdomen long et étroit, à quatre ailes allongées, transparentes et
pourvues de riches veinures. Ces auteurs donnent comme synonymes de
cet animal les mots : aviãozinho, cabra-cega, calunga, cambito, canzil,
catarina, cavalinho-de-judeu, cavalinho-do-diabo, cavalo-judeu, chu-
peta, donzelinha, fura-olho, fura-terra, helicóptero, jaçanã, jacinta,
lava-bunda, lava-cu, lavadeira, libelinha, macaquinho-de-bambá,
odonato, olho-de-peixe, papa-fumo, papa-vento, pito, zabumba, zigue-
zague, zigue-zigue.
La dénomination assa-peixe, qui fait référence au monde de l’eau,
est enregistrée dans les dictionnaires consultés avec le sens de plante.
La variante bate-bunda, motivée par l’action de l’insecte de battre la
queue sur l’eau, n’est pas enregistrée dans les œuvres consultées.

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286  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

Quelques dénominations n’ont plus l’acception de libellule, mais


elles sont l’extension de sens d’autres mots – comme besouro, cigarra,
macaquinho, mané-magro –, avec lesquels elles partagent un trait
sémantique commun : le son du vol, l’apparence physique, la grâce, la
légèreté, l’agilité. Le mot catirina semble être en rapport avec la figure
féminine du bumba-meu-boi10, métaphoriquement heureuse et ludique,
sens qui peut être étendu à l’insecte.
Quelques variantes, peut-être parce que nous n’avons pas obtenu
la forme standard, mais une forme phonétiquement altérée, ne per-
mettent qu’une analyse hypothétique. C’est le cas de cachimbal, mot
non répertorié dans le dictionnaire, dont la forme la plus proche est
cachimbó, qui signifie, selon Ferreira (2004) et Houaiss (2009), un
oiseau qui vit dans le marais.
Les ouvrages consultés ont les formes cavalinho-de-judeu, cava-
linho-do-diabo et cavalo-judeu, cependant, dans la carte analysée, il
y a la dénomination cavalo-do-cão, qui semble être née à partir de la
connotation que le locuteur attribue à l’animal. Parmi les dénomina-
tions enregistrées dans la carte L12, la seule origine tupi est dans le mot
jacinta ; toutes les autres sont des créations populaires fondées sur des
éléments de la langue portugaise.
En regardant la distribution diatopique des variantes, nous véri-
fions sur la carte L12 que libélula (libellule) est le seul nom enregistré
à Belo Horizonte, dénomination plus productive dans le résultat global
des capitales et n’est absente que dans huit villes. À Salvador et à Rio
de Janeiro, 50% des locuteurs ont dit la forme standard. À São Paulo, la
plupart des locuteurs ont répondu aussi libélula (libellule), bien qu’ils
aient ajouté d’autres noms populaires.
Les dénominations helicóptero, bate-bunda/lava-bunda/lava-cu,
jacinta, zigue-zigue et cigarra sont présentes dans cinq ou six capitales,
quelques-unes spécifiques à telle ou telle région, comme jacinta dans
la Région Nord (surtout à Macapá, Boa Vista, Manaus, Belém et Porto
Velho), cavalo-do-cão dans la Région Nord (surtout à Rio Branco),
zigue-zigue dans la Région Nord-Est (Fortaleza, Natal, João Pessoa,

10 Le bumba-meu-boi est une danse du folklore brésilien avec des personages


humains et des animaux fantastiques qui représente une légende sur la mort et
la résurrection d’un boeuf.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 287

Recife, Maceió et Aracaju) ; et d’autres qui dépassent les capitales de


deux régions ou plus : helicóptero dans la Région Nord (Rio Branco),
dans la Région Nord-Est (Natal), dans la Région Sud (Curitiba et Flo-
rianópolis) et dans la Région Centre-Ouest (Goiânia et Campo Grande) ;
bate-bunda/lava-bunda/lava-cu dans la Région Nord-Est (Aracaju),
dans la Région Sud-Est (Vitória), dans la Région Sud (Curitiba) et dans
la Région Centre-Ouest (Goiânia et Campo Grande) ; et cigarra dans
la Région Nord (Macapá et Belém), dans la Région Sud-Est (Vitória et
São Paulo) et dans la Région Sud (Porto Alegre). La variante assa-peixe
n’est présente que dans la Région Centre-Ouest (Cuiabá). La forme
besouro est documentée dans la Région Sud (Florianópolis). Le mot
cachimbal est employé dans la Région Nord-Est (Maceió et Aracaju),
aussi bien que catirina (Teresina). La lexie lavadeira se trouve dans la
Région Nord (Porto Velho) et Sud-Est (Vitória et Rio de Janeiro). La
dénomination macaco est notée dans la Région Nord-Est (São Luís),
aussi bien que mané-magro (Fortaleza). L’expression olho-de-peixe est
exclusive de la Région Centre-Ouest (Cuiabá).
L13 – BICHO DA GOIABA – Dans les six cartes présentées,
nous avons trouvé les dénominations bicho da fruta, bicho da goiaba,
broca, coró, gongolô, lagarta, larva et tapuru.
Comme on peut voir, il y a des variantes qui sont des noms géné-
riques – bicho da fruta, bicho da goiaba –, d’autres créées par extension
de sens – comme broca, larva, lagarta – et des noms de base indigène
ou africaine – comme tapuru, coró et gongolô.
Dans les dictionnaires consultés, la variante bicho da goiaba n’a
pas d’entrée. C’est la dénomination bicho da fruta qui figure comme
entrée, définie comme la mouche des fruits.
Les œuvres présentent la variante broca comme les insectes ou
les larves adultes, qui, pour se nourrir, perforent ou corrodent du bois,
des légumes, des livres ou d’autres surfaces. Les formes coró et gon-
golô sont aussi définies comme larves, qui, à leur tour, sont enregistrées
comme représentant le stade embryonnaire des insectes.
Ferreira (2004) et Houaiss (2009) définissent lagarta comme des
larves vermiculaires de papillons et de papillons de nuit, qui sont des
polypodes et présentent le corps allongé et souple.

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288  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

Les lexicographes montrent la dénomination tapuru pour


« bicho da fruta », en identifiant la forme comme d’usage au Nord-
Est. La variante tapuru, d’étymologie tupi, est enregistrée par Ferreira
(2004) avec deux sens, l’un comme un brésilienisme du Nord-Est pour
désigner l’insecte du fruit. Houaiss (2009) présente tapuru comme le
« même que verme » et aussi comme un « arbre qui va jusqu’à 40 m.
(Sapium taburu) de la famille des euphorbiacées, typique du Brésil ».
En ce qui concerne la distribution spatiale des variantes, la carte
L13 montre bicho da goiaba comme la seule forme enregistrée dans les
capitales de la Région Sud-Est (São Paulo et Rio de Janeiro) et de la
Région Sud (Porto Alegre), dénomination plus fréquente dans le résul-
tat global des capitales des régions Nord (Macapá), Nord-Est (São Luís,
Natal et Aracaju), Sud-Est (Belo Horizonte et Vitória) et Sud (Curitiba
et Florianópolis) et qui n’est absente que dans une capitale de la Région
Nord (Rio Branco) et dans une capitale de la Région Nord-Est (Recife).
Nous pouvons dire que la variante tapuru est attestée dans toute
la Région Nord et dans la Région Nord-Est, dans les capitales São Luís,
João Pessoa, Recife et Maceió. Toujours dans la Région Nord, autant
que tapuru il y a aussi les dénominations bicho da goiaba et larva à
Manaus. À Belém, les formes plus génériques bicho da goiaba et bicho
da fruta sont trouvées à côté de tapuru. La dénomination broca est
documentée à Macapá et à Porto Velho. Le mot gongolô est dans la
Région Nord (Rio Branco et Porto Velho) et dans la Région Nord-Est
(Teresina). La forme lagarta est attestée dans les régions Nord (Porto
Velho) et Nord-Est (Teresina, Fortaleza, Natal, João Pessoa, Maceió,
Aracaju et Salvador). Dans la Région Sud-Est, à Belo Horizonte, la
forme bicho da goiaba, la plus employée, varie avec la dénomination
larva. À Vitória, au-delà de bicho da goiaba et larva, on enregistre aussi
la variante lagarta. Dans la Région Sud, les variantes bicho da goiaba
et larva sont courantes à Curitiba et à Florianópolis. Dans la Région
Centre-Ouest, bicho da goiaba et coró sont présents dans toutes les
capitales.
L14 – PERNILONGO – Dans une seule carte générale pour
le Brésil, nous avons trouvé les dénominations : carapanã, mosquito,
muriçoca, pernilongo et praga.

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 289

Chez Ferreira (2004) et Houaiss (2009), La forme carapanã est


définie comme l’usage typique de moustique de la région de l’Amazonie
et aussi du groupe indigène qui habite le Nord-Ouest de Amazonas, auprès
de la rivière Solimões et de la République de Colombie. La lexie mos-
quito est enregistrée comme insecte diptère, à petite taille, ayant comme
synonymes bicuda, carapanã, fincão, fincudo, pernilongo et muriçoca.
Les auteurs apportent la dénomination muriçoca dictionarisée
comme mosquito, provenant du tupi, formé par mbe’ru « mouche » et
soka « celui qui casse, qui pique ». La variante pernilongo est définie
comme « animal à longues pates, moustique ». L’une des acceptions de
la forme praga est « n’importe quelle forme de vie animale qui détruit
ce qui appartient à l’être humain lui-même ».
En ce qui concerne la distribution diatopique des variantes, la
carte L14 enregistre la forme pernilongo dans toutes les capitales d’État
du Brésil. C’est le seul nom documenté à Belo Horizonte (Région Sud-
Est) et à Florianópolis (Région Sud). C’est la dénomination la plus
productive, parce qu’il y en a d’autres, à São Paulo (Région Sud-Est),
à Curitiba (Région Sud) et à Campo Grande (Région Centre-Ouest).
Par contre, la forme pernilongo n’a pas été enregistrée à Rio Branco
(Région Nord) ni à Recife (Région Nord-Est).
La variante mosquito est présente dans les capitales de la Région
Nord, à l’exception de Macapá, Belém et Rio Branco ; dans la Région
Nord-Est, sauf à Teresina ; dans la Région Sud-Est, sauf à Belo Hori-
zonte ; dans la Région Sud, sauf à Florianópolis ; et dans la Région
Centre-Ouest, à l’exception de Goiânia.
La dénomination muriçoca est attestée dans les capitales de la
Région Nord, sauf à Belém et à Rio Branco ; dans toutes les capitales
de la Région Nord-Est ; à Vitória, dans la Région Sud-Est ; et à Cuiabá
et Goiânia, dans la Région Centre-Ouest.
La forme carapanã est exclusive aux capitales de la Région
Nord. Le mot praga n’a été enregistré qu’à São Luís, dans la Région
Nord-Est.
À partir de ces données, nous pouvons voir la distribution diato-
pique générale des formes prédominantes dans les capitales des diffé-
rentes régions du Brésil dans le tableau suivant :

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290  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

Dénomination générale Distribution diatopique


Galinha d’angola Région Sud-Est : Belo Horizonte, São Paulo et Rio de
Janeiro
Région Sud : Curitiba et Porto Alegre
Région Centre-Ouest : Cuiabá, Campo Grande et
Goiânia
Libélula Région Sud-Est : Belo Horizonte et São Paulo
Bicho da goiaba Région Nord : Macapá
Région Nord-Est : São Luís, Teresina et Aracaju
Région Sud-Est : Belo Horizonte, São Paulo, Vitória et
Rio de Janeiro
Pernilongo Région Sud-Est : Belo Horizonte et São Paulo
Région Sud : Curitiba et Florianópolis
Région Centre-Ouest : Campo Grande
Tableau 1 – Distribution diatopique des dénominations générales des cinq désigna-
tions pour la faune dans les capitales brésiliennes

En observant le tableau, nous pouvons constater que la Région Sud-Est


est bien représentative de l’usage des désignations de la faune du portu-
gais brésilien. Les régions Nord et Nord-Est, contrairement aux autres
régions, montrent l’usage standard seulement pour la forme bicho da
goiaba.
Pour les cartes L11 et L14, Cardoso (2016) identifie une zone
formée exclusivement par les capitales de la Région Nord, comme nous
pouvons attester avec les registres des mots carapanã (L14), présent
dans toutes les capitales, et capote (L11), qui n’a pas été documenté à
Rio Branco, sous-zone dénommée Zone A par l’auteur.
L’analyse des données montre qu’au Nord/Nord-Est, il y a une
certaine unité, comme disait déjà, en 1922, Nascentes (1953 [1922]),
qui montrait, pour la première fois, deux « Brésils linguistiques », celui
du Nord et celui du Sud. Ce que nous pouvons dire c’est que l’ensemble
des capitales de la Région Nord du Brésil actuel a une configuration qui
permet voir une unité dialectale.
À partir de ce petit ensemble de formes analysées, selon le
registre dans les dictionnaires de Aulete (1958), Houaiss (2001) et
Ferreira (2004), les mots d’origine tupi – carapanã, muriçoca, jacinta

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La variation lexicale dans le portugais brésilien 291

et tapuru – se situent dans la Région Nord ou dans celle-ci et dans la


Région Nord-Est.
Après notre analyse, il est évident que la socio-histoire contribue
à confirmer la concentration ou la diffusion des variantes populaires
dans les capitales et dans les plusieurs régions du Pays. Cependant, il
faut approfondir l’étude de l’occupation de chaque localité et vérifier
les groupes qui ont peuplé le territoire et leur importance dans la for-
mation de la communauté linguistique, ainsi que d’autres groupes qui
y sont allés ultérieurement. Dans la Région Nord, par exemple, la pré-
sence massive d’indigènes peut expliquer la haute fréquence de l’usage
des variantes carapanã, jacinta et tapuru. Des études réalisées avec des
données de l’ALiB et recueillies in loco montrent la haute fréquence de
mots provenant du tupi dans la Région Nord. La préservation du parler
des indigènes de l’Amérique dans le portugais vernaculaire de cette
région a un rapport avec la concentration des plus grands contingents
d’indigènes dans l’Amazonie.

7. Considérations finales

Nous avons essayé, à travers cette étude, de présenter les bases de la


diversité lexicale du portugais brésilien dans le domaine de la faune. Et
nous avons montré que :

(i) la variation lexicale est très productive pour les dénominations


attribuées aux animaux considérés ;
(ii) la création lexicale se fait, plutôt, avec des noms composés (bate-
bunda, lava-bunda, lava-cu, mané-magro, olho-de-peixe), avec
des onomatopées (tô-fraco, zigue-zigue), avec une référence
au corps de l’animal (capote, capão) et avec des patronymes
(galinha d’angola, angolista, guiné) ;
(iii) la corrélation entre les mouvements d’occupation / peuplement
des zones géographiques et la distribution spatiale des variantes
lexicales peut être vue dans l’analyse de données ;

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292  Josane Moreira de Oliveira & Marcela Moura Torres Paim

(iv) l’Atlas linguistique du Brésil peut contribuer pour les études lexi­
cographiques, particulièrement celles qui travaillent sur les dia-
lectes, pour ne pas perdre la richesse dialectale de la langue.

Nous avons montré comment les éléments lexicaux reflètent la diver-


sité de la langue portugaise, au Brésil. Même s’il faut encore d’autres
recherches pour approfondir l’étude du lexique, et même s’il y a
d’autres éléments concernant le cadre théorique-méthodologique, il est
déjà possible d’observer que le composant sémantique-lexical est en
rapport avec la Dialectologie.

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Xavier Blanco

Sémantique lexicale et combinatoire :


le combat singulier dans le Roman de Thèbes1

1. Introduction

Dans cet article, nous analysons le motif 2 du combat singulier dans le


Roman de Thèbes du point de vue de la sémantique lexicale et la com-
binatoire lexicale. De façon secondaire, nous abordons également la
structuration textuelle du motif et des questions de traduction au fran-
çais moderne et à l’espagnol.
Le choix du motif du combat singulier n’est pas arbitraire,
car, comme le signale A. Micha (1970 : 160), Thèbes est peut-être le
premier roman, puisque le premier il accorde une place à l’amour, mais
la matière et la manière restent épiques. En même temps, l’importance
accordée au combat singulier est romanesque, aussi bien par son traite-
ment courtois que par le fait qu’il est accompagné de repères temporels
beaucoup plus précis que dans la chanson de geste.
L’objectif principal de notre travail sera de mettre en relief
(à l’intérieur d’une structure définie de combat singulier que nous
mettrons en évidence au début de notre étude) les ressources lexicales
dont l’auteur se sert pour décrire ce motif.
À telle fin, nous nous servirons principalement de deux notions
linguistiques  : la notion d’opérateur approprié et la notion de gram-
maire locale. Un opérateur approprié (Gross 2012 : 75) est un prédicat

1 Cette recherche a été financée par le Ministerio de Economía y Competitividad


espagnol dans le cadre du projet R&D FFI2013-44185-P Jerarquía de etiquetas
semánticas (español-francés) para los géneros próximos de la definición lexico-
gráfica.
2 Pour la définition du motif par rapport au sujet, au thème et aux formules, cf.
Rychner (1955 : 126).

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296  Xavier Blanco

qui permet de délimiter une classe, dans la mesure où, dans un sens
déterminé, il se combine de préférence avec des compléments apparte-
nant à une classe sémantique donnée. Ainsi, par exemple, dégainer est
un opérateur approprié aux Armes blanches parce que, dans son accep-
tion ‘tirer de son fourreau (dans l’intention de se battre)’, il sélectionne
des armes blanches en tant qu’objet direct.
Un opérateur approprié permet rarement de délimiter par lui-
même une classe. On se sert alors de l’intersection de plusieurs opé-
rateurs qui, considérés en tant qu’ensemble, constituent la grammaire
locale (Gross 1995) de la classe en question. La grammaire locale des
Armes blanches comprendra, donc, des opérateurs comme dégainer,
trancher, blesser, enfoncer, mais aussi des substantifs comme entaille,
pénétration, des adjectifs comme aiguisé, à double tranchant, ou des
méronymes comme hampe, lame, gouttière… Le fait de décrire les
grammaires locales que l’on peut repérer dans un ouvrage ou dans une
série d’ouvrages permet de dresser un panorama des ressources lexi-
cales et syntaxiques déployées par un auteur par rapport à un besoin
expressif précis. C’est donc d’une série d’ébauches de grammaires
locales que sera, pour l’essentiel, composé notre travail.
Concernant la structure de cette étude, nous commencerons par
présenter la notion de combat singulier (alinéa 2). Nous préciserons
quels sont les éléments constitutifs du combat singulier, que nous pas-
serons ensuite successivement en revue. L’alinéa 3 traitera des armes
offensives (armes d’estoc, d’hast, de trait et de jet), l’alinéa 4 du dépla-
cement offensif, l’alinéa 5 des coups (aussi bien ceux qui sont portés sur
l’armement défensif que ceux dont on précise l’effet sur une partie du
corps du combattant), l’alinéa 6 de la chute d’un des chevaliers (ou des
deux) et, finalement, l’alinéa 7 traitera des ressources lexicales et des
constructions employées pour faire référence à la mort d’un guerrier.
De façon générale, les vers cités sont accompagnés de leur tra-
duction publiée. Au fil de la description, nous avons fait un certain
nombre d’observations concernant la traduction en français moderne
des unités lexicales et des constructions observées. Bien que ces réfé-
rences ne soient pas systématiques, notre travail présente une orienta-
tion claire vers la propédeutique de la traduction dans la mesure où la
mise en évidence de l’ensemble des ressources lexicales que l’auteur

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Sémantique lexicale et combinatoire 297

met en œuvre dans son texte devrait permettre d’opérer (ou d’évaluer)
des choix de traduction.
Nous ne discuterons pas de la tradition textuelle du Roman
de Thèbes. Précisons toutefois qu’il nous a été transmis par cinq
manuscrits, dont deux connaissent des éditions récentes3 et accessibles,
accompagnées d’une traduction en français moderne : le ms C (Paris,
BNF fr. 784, fol. 1–67a), en dialecte francien, édité par Aimé Petit en
2008, et le ms S, anglo-normand (Londres, Brit. Mus., Add. 34114,
ex-Spalding, fol. 164a-226d), édité par Francine Mora-Lebrun en 1995.
Nous avons choisi de travailler sur cette dernière édition, car, bien que
le manuscrit S soit plus tardif (il a été copié en Angleterre entre 1370
et 1406, alors que le manuscrit C aurait été produit vers la moitié du
XIIIe siècle), il est considéré comme étant le plus conservateur et le plus
fidèle reflet de la version primitive du Roman de Thèbes. Cela est proba-
blement dû au fait que le scribe qui a copié ce manuscrit ne connaissait
pas bien le français et n’a donc pas effectué de modifications. Nezirović
(1973 : passim) a bien mis en évidence comment le copiste du manus-
crit C a introduit des changements notables sur plusieurs questions
touchant la civilisation et les mœurs de son époque (des questions qui
concernent, par exemple, l’attitude des rois, qu’il essaie de dignifier),
afin de flatter le goût et ménager la sensibilité de son public.
Par ailleurs, une édition numérique du manuscrit C (celle de
G. Raynaud de Lage, 2 vol. 1966 et 1968) est disponible en ligne dans
la Base du Français médiéval (BFM). Il nous a semblé, donc, que nous
ferions œuvre utile en présentant, pour le sujet qui nous occupe, les
contextes correspondant au ms S, puisque le ms C est beaucoup plus
facile d’interroger grâce à l’interface de la BFM. En plus, la numé-
rotation des vers coïncide avec l’édition d’A. Petit, qui devient ainsi,
à son tour, aisément consultable, tandis que ce n’est pas le cas pour
l’édition de Mora-Lebrun. Le lecteur intéressé pourra donc, sans trop
de peine, procéder à des comparaisons entre les contextes du ms S que
nous avons mis en évidence et les contextes équivalents du ms C en
interrogeant la BFM sur les mots-clés pertinents (pourvu que l’écueil
des variantes graphiques ne pose pas trop de problèmes).

3 Citons aussi la toute récente édition de Luca di Sabatino (2016) chez Classiques
Garnier, qui correspond au manuscrit A (Paris, BNF, fr. 375, fol 36r-67v).

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298  Xavier Blanco

Concernant les questions de format, précisons que toute citation


du Roman de Thèbes est accompagnée de l’indication du numéro de vers.
Sauf indication contraire, tous les vers cités le seront d’après l’édition
de F. Mora-Lebrun (1995) (ceux qui proviennent de l’édition d’A. Petit
seront précédés d’un C_). Dans les citations de vers apparaissant dans le
courant du texte, l’italique marque le vers original en ancien français. Si
la citation comporte plus d’un vers, ils sont séparés par une barre oblique
(« / »). La traduction suit, en lettre ronde, après deux points, suivie d’une
virgule et du numéro du vers. Les différents exemples sont séparés par
un point-virgule. Dans les citations qui ne sont pas intégrées au corps du
texte, une tabulation sépare, au besoin, l’ancien français de sa traduction.
Au besoin, nous nous servirons des guillemets simples (‘ ’) pour
faire référence aux sens, alors que l’italique fera référence aux formes.
Les dictionnaires et bases textuelles seront cités par les abréviations (en
lettre capitales) signalées dans la bibliographie.

2. Le motif du combat singulier

Le combat singulier au sein du roman antique peut être considéré un


motif. En suivant Rychner (1955 : 126), et sans entrer dans plus de
détails concernant la définition de ce terme, nous considérerons que le
motif constitue une façon stéréotypée, aussi bien sur le plan du récit que
sur celui de l’expression, de traiter un thème littéraire.
Voici un exemple de combat singulier dans le Roman de
Thèbes (4840–4848) :

Antoine fu filz Florïant ;


l’espié brandist, point l’auferant
et vait ferir Milon par rage,
un vavassour de grant parage.
L’escu lui pesceie et fent,
l’osberc lui desront et desment ;
el cors li myst son gonfanon
et de la haste un grant tronçon :
mort le tresbuche des arçons

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Nous pouvons observer différents moments ou éléments qui constituent


cette scène4. Afin de disposer d’un moyen formalisé de les identifier,
nous associerons à chacun de ces moments une étiquette sémantique
de Fait 5.

– Identification (des combattants) :


Antoine fu filz Florïant
[…] Milon […]
un vavassour de grant parage.
– Identification (des armes offensives) :
l’espié brandist, […]
– Action de se déplacer (pour attaquer) :
[…], point l’auferant
– Coup :
(sur les armes défensives) :
L’escu lui pesceie et fent
l’osberc lui desront et desment
(avec pénétration) :
el cors li myst son gonfanon
et de la haste un grant tronçon :
– Chute :
[…] le trébuche des arçons
– Mort :
mort […]

4 Bien que nous l’ayons établi sans avoir encore pris connaissance de l’ouvrage
de Rychner, il se trouve que la structuration en éléments que nous proposons est
très proche de celle proposée par cet auteur pour le motif du combat singulier
à la lance, qu’il distingue du motif du combat singulier à l’épée (1955 : 141).
Rychner distingue sept éléments fixes composant le motif complet : 1. Éperonner
le cheval, 2. Brandir la lance, 3. Frapper, 4. Briser l’écu de l’adversaire,
5. Rompre son haubert ou sa brogne, 6. Lui passer la lance au travers du corps
ou alors le manquer, l’érafler seulement, 7. L’abattre à bas de son cheval, le plus
souvent mort. Il prend soin de préciser que « « l’un ou l’autre de ces éléments
manque souvent ».
5 Les étiquettes sémantiques sont un moyen de formaliser le sens en lexicologie,
sur cette notion cf. Polguère (2011).

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300  Xavier Blanco

Voici un deuxième exemple de combat singulier (5843–5857) :

Partonopex fut en l’afere ;


de cele parte le torneie tient
et ot d’Arcaide oue sei grant gent.
Tout eslaissez apoignant vint,
onques aincés ne se retint
tresque il joinst oue des lor,
oue un baron de grant valor :
Meleager ot non, ce crei,
parenz proschains esteit le rei.
Il le ferit de tiel vertu,
l’escu li ad frait et fendu,
l’osberc rompu et desmaillé.
par mie le corps li mist l’espé.
Cil Chaït mort sempres a terre

Nous y retrouvons un certain nombre d’éléments avec d’autres formu-


lations :

– Identification (des combattants) :


Partonopex fut en l’afere ;
[…]
Meleager ot non, ce crei
– Action de se déplacer (pour attaquer) :
Tout eslaissez apoignant vint
– Coup :
(sur l’armement défensif) :
l’escu li ad frait et fendu
l’osberc rompu et desmaillé.
(avec pénétration) :
par mie le corps li mist l’espé.
– Chute :
Cil Chaït […] sempres a terre
– Mort :
[…] mort […]

Nous avons répertorié un total de quarante-quatre combats singuliers


dans le Roman de Thèbes (cf. ci-dessous). Leur caractère stéréotypé

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Sémantique lexicale et combinatoire 301

ne pose pas de doute, puisqu’ils peuvent être caractérisés par un même


schéma sous-jacent.
Dans un combat singulier, il y a, premièrement, un moment cor-
respondant à l’Identification des combattants. Cet élément est néces-
saire pour distinguer entre les différents combats, mais il n’est pourtant
pas spécifique du motif qui nous occupe, ni comporte une expression
de type formulaire. Par conséquent, nous ne le traiterons pas de façon
détaillée dans ce qui suit. Précisons, cependant, que pour qu’un choc
soit considéré comme combat singulier nous avons retenu comme cri-
tère qu’il faut que ce soit une lutte corps à corps entre deux individus
dont l’un au moins serait un chevalier. Cela exclut les luttes d’un contre
plusieurs ou de deux groupes entre eux, ainsi que les luttes entre des
fantassins ou des sergents à cheval et les luttes contre des animaux,
monstres ou êtres fabuleux. Cela s’explique parce que, même si tous
ces types de rencontres peuvent partager certaines expressions formu-
laires avec les combats singuliers, ils n’appartiennent pas au même
paradigme.
Deuxièmement, nous avons dans un certain nombre de combats,
l’Identification des armes offensives. Elles ne sont pas particulièrement
nombreuses mais elles revêtent une importance capitale pour le dérou-
lement du choc. Nous en discuterons dans l’alinéa 3.
Troisièmement, nous trouvons souvent un déplacement (Action
de se déplacer) effectué par un des combattants ou par tous les deux.
Les moyens d’expression de ce déplacement sont récurrents. Nous les
étudierons dans l’alinéa 4.
Vient ensuite l’élément central, Coup, qui est définitoire (son
absence impliquerait de facto l’absence de combat à proprement
parler6). Nous lui consacrerons l’alinéa 5. Il peut être décrit comme
portant explicitement sur l’armement défensif (le cas le plus fréquent)
(cf. 5.1.) et/ou sur une partie du corps (cf. 5.2).

6 Nous ne comptons donc pas au nombre des combats singuliers la rencontre


d’Adran avec un ennemi (un des lor), narrée dans les vers 6609–6616, parce
que celui-ci s’enfuit sans que le premier ait eu le temps de porter un coup. Rap-
pelons que, même si c’est nécessaire, l’élément Coup n’est pas suffisant pour
qu’un combat donné soit considéré comme combat singulier  : il faut encore
que celui-ci remplisse les conditions spécifiées ci-dessus concernant ses parti-
cipants et leurs armes.

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302  Xavier Blanco

Puis, nous trouvons, dans la plupart des combats, l’élément Chute


(il s’agit, en général, d’une chute de cheval), qui présente également un
caractère fortement formulaire et que nous examinerons dans l’alinéa
6. Finalement, nous pouvons avoir l’élément Mort, qui fera l’objet de
l’alinéa 7.
Le motif du combat singulier répond, donc, à un schéma bien
identifiable et récurrent. Et, cependant, cette récurrence ne comporte
aucune rigidité. Tous les éléments sont optionnels ou peuvent rester
implicites dans une certaine instance de combat singulier. En effet, les
combattants peuvent rester anonymes, les armes non identifiées, le type
de déplacement peut ne pas être précisé, le coup peut être passé sous
silence (bien que ce soit rare, cf. pourtant combat nº 26), ou bien encore
rater sa cible ou être évité, la chute ou la mort peut ne pas se produire.
En plus, certains combats sont abruptement interrompus, soit par
la fuite d’un des combattants, soit par l’intervention d’un troisième ou
par l’effet d’un projectile. Nous observons quatre types de dénouements
atypiques pour un combat singulier :

– quelqu’un s’interpose entre les deux combattants  ; ainsi, le


combat initial entre Polynice et Tydée (792 et sq.), qui comporte
de longues intercalations descriptives caractérisant les person-
nages du point de vue aussi bien physique que psychologique,
est finalement interrompu par le roi Adraste et débouche sur une
amitié jamais démentie depuis entre les deux personnages7. De
même, un premier duel entre Polynice et son frère (7491 et sq.)
est interrompu par leurs troupes qui s’interposent entre eux.
– un des combattants est fait prisonnier au lieu d’être tué. Ainsi
Ménécée fait prisonnier Pancrace (6130 et sq.) et Dorcée est
fait prisonnier par Alexandre pendant son combat contre Dryas
(11027 et sq.).
– un des combattants prend la fuite. Nous en avons un seul exem-
ple : Hemon (6589 et sq.) qui réussit à s’enfuir devant Tydée.

7 Il est intéressant de constater que, dans le Roman de Thèbes, le combat entre


Polynice et Tydée comporte trente-neuf octosyllabes face aux trois hexamètres
qui lui étaient consacrés dans la Thébaïde. Nous sommes, donc, devant un cas
clair d’amplificatio.

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Sémantique lexicale et combinatoire 303

– un des combattants est tué par un projectile pendant le combat.


Ainsi, le combat entre Amphyon et Porphyre (6156 et sq.) se
termine brusquement quand un arbalétrier tue Porphyre, qui avait
déjà renversé son adversaire. À son tour, Tydée est tué par un
archer pendant son combat contre le roi de Thèbes (7269 et sq.)8.

Ajoutons à cela que quelques éléments secondaires, comme Défi,


Persécution, Blessure, Fait de saigner (cf. 7), pourraient être également
pris en considération, et que, au sein d’un combat singulier, peuvent
apparaitre des éléments superfétatoires, en général de type descriptif,
parfois d’une extension considérable. Le combat singulier nous appa-
raît ainsi, du point de vue communicatif, comme un univers d’attente
qui introduit certaines attentes qui peuvent, cependant, être frustrées,
ce qui introduit des effets de saillance et de singularisation de certains
combats. Nous trouvons, donc, le plaisir de la répétition et le charme
de la variation, le tout dans un cadre qui reste parfaitement identifiable
pour le lecteur, avec, souvent, des successions rapides de combats brefs,
enchaînés les uns aux autres par un élan de vengeance ou par la simple
contiguïté physique des personnages situés au cœur de la mêlée9. De
quoi satisfaire le goût pour la composante épique, au sein de laquelle
l’auteur peut, sans renoncer à une certaine fluidité de style, introduire
des détails, somme toute assez techniques, qui devaient trouver un
accueil favorable chez un public familiarisé avec l’art de la guerre et
souhaitant y trouver un reflet satisfaisant10 (mais non nécessairement
fidèle au réel) dans la narration.
8 Tydée ne saurait pas tuer Étéocle, qui est destiné à mourir par le bras de Poly-
nice, mais, en même temps, ne pourrait non plus tomber sur les coups du roi
de Thèbes, combattant somme toute assez médiocre, sans que son image de
guerrier redoutable soit ternie. La flèche, arme anti-chevaleresque par nature,
résout la difficulté par une sorte de Deus ex machina.
9 A. Petit (1985 : 313) fait remarquer, à juste titre, que la succession de ces com-
bats n’altère pas de façon significative la progression de la narration : « l’auteur
décrit successivement une série de combats singuliers qui sont certes parallèles
mais qui, en même temps, le plus souvent, ne sont absolument pas reliés les uns
aux autres, si bien que la disparition de l’un ou plusieurs d’entre eux ne saurait
altérer une progression, une continuité narratives quasi-inexistantes ».
10 Si pour un public contemporain la succession de combats singuliers peut résul-
ter fastidieuse, il faut croire que le public de l’époque l’appréciait particulière-
ment. Comme le font remarquer Baumgartner et Vielliard dans la présentation

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Voici la liste des combats singuliers :

1. Polynice vs Tydée (850 et sq.)


2. Tydée vs Galeran (1870 et sq.)
3. Tydée vs Tenelaus (4666 et sq.)
4. Aimon vs Archivenin (4670)
5. Perifas vs Minscenenin (4671)
6. Hippomédon vs Sybart (4672 et sq.)
7. Parthénopée vs Itier (4676 et sq.)
8. Garsiavarre vs le roi de Thèbes (4758 et sq.)
9. Atys vs Garsie (4766 et sq.)
10. Polynice vs Eblun (4792 et sq.)
11. Garsie vs Floriant (4806 et sq.)
12. Antoine vs Milon (4840 et sq.)
13. Eustache vs un Phrygien (4854 et sq.)
14. Antoine vs Garsie (4858 et sq.)
15. Antoine vs un chevalier (4868 et sq.)
16. Hypsée vs Mélampus (5766 et sq.)
17. Agrée vs Phégée (5778 et sq.)
18. Athamas vs Iphis (5798 et sq.)
19. Athamas vs Argus (5802 et sq.)
20. Phérès vs Abas (5808 et sq.)
21. Ion vs Daphnée (5815 et sq.)
22. Parthénopée vs Méléagre (5843 et sq.)
23. Alexis vs un chevalier “nu” (5918 et sq.)
24. Agénor vs Halys (5948 et sq.)
25. Lucien vs Poinçon (6024 et sq.)
26. Ménécée vs Pancrace (6136 et sq.)
27. Amphyon vs un Grec (6156 et sq.)
28. Palémon vs le prince d’Aquilée (6184 et sq.)
29. Un frère contre un autre (neveux de Ménécée) (6233 et sq.)
30. Polynice vs un Thébain (6362 et sq.)
31. Hémon vs Tydée (6589 et sq.)
32. Tydée vs Anténor (6603 et sq.)
33. Atys vs Tydée (6639 et sq.)
34. Tydée vs le roi de Thèbes (7269 et sq.)
35. Adraste vs Créon (7483 et sq.)
36. Polynice vs Étéocle (7491 et sq.)
37. Étéocle vs Parthénopée (10991 et sq.)
38. Alexandre vs Dorcée (11001 et sq.)

de leur édition du Roman de Troie : « Le public médiéval au contraire devait


suivre avec compétence et plaisir complices l’alternance savante des mêlées et
des combats singuliers » (1998 : 13).

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Sémantique lexicale et combinatoire 305

39. Dryas vs Parthénopée (11023 et sq.)


40. Dryas vs Dorcée (11031 et sq.)
41. Nestor vs Alexis (11382 et sq.)
42. Agénor vs Nestor (11389 et sq.)
43. Polynice vs Agénor (11393 et sq.)
44. Polynice vs Étéocle (11405 et sq.)

Le combat nº 23 fait figure d’anti-combat, dans la mesure où Alexis


refuse de se battre contre un chevalier thébain qui est allé au combat nu
(c’est-à-dire sans armes défensives) et le bat à coups de verge. Comme
l’élément Coup est quand-même présent, nous l’avons malgré tout
ajouté à la liste.
Notons que le Roman de Thèbes fait la part large aux combats
singuliers et ajoute même des combats qui ne sont pas présents dans
son hypotexte, la Thébaïde de Stace11, comme le fera aussi Benoît de
Sainte-Maure dans son Roman de Troie. Ce n’est pas le cas dans le
Roman d’Eneas (1997 : 15), qui évite la narration de ce type de combats
(excepté, bien entendu, ceux qui mettent aux prises les personnages
centraux, comme Turnus et Pallas) même quand ils se trouvent chez
Virgile.
Il serait à signaler que, considérée globalement, la structure des
combats ne change pas de façon substantielle entre les différents manus-
crits du Roman de Thèbes. Toutefois, le nombre de combats n’est pas
exactement le même12 et certaines différences importantes peuvent être
occasionnellement observées. Ainsi, le combat singulier nº 17 (d’après
notre inventaire) est joué par Agreüs (Agrée) (Agreüs ot del duc dolour,
5778) dans le manuscrit S, alors que, dans le manuscrit C, il est ques-
tion d’un Grieu (un grec) (Un Grieu y ot de grant valor, C_5533). Sans
doute la leçon de S est plus fidèle au texte original. En effet, d’une part,
le manuscrit S (même s’il est plus récent que le C) est reconnu comme

11 En effet, les combats Garsy vs Florïant ; Anthoine vs Milon ; Anthoine vs Garsy ;


Anthoine vs un chevalier anonyme ; Alexis vs un chevalier ‘nu’ ; Ménécée vs
Pancrace, entre d’autres, ne se trouvent pas dans la Thébaïde (Petit, 1985 : 262
et ss).
12 A. Petit présente un tableau comparatif intéressant (Petit, 1985 : 313 et sq) de
la présence des combats singuliers dans les différents manuscrits du Roman de
Thèbes.

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306  Xavier Blanco

plus conforme à l’ancienne tradition du texte primitif et, d’autre part, la


leçon de C semble un cas clair de lectio facilior.
La table 1 montre la présence ou absence des différents éléments
qui constituent le motif du combat singulier :

01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15
ID. ARMES x x x x x
OFFENSIVES
ACTION DE SE x x x x x
DÉPLACER
sur armes défen- x x x x x x x x
sives x x x
sur partie du corps
x x x x x
COUP(S)

avec pénétration
raté x
esquivé
CHUTE x x x x x x x x
MORT x x x ‘x’ x x x x x

16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
ID. ARMES x
OFFENSIVES
ACTION DE SE x x x x x x x x x x x x x
DÉPLACER
sur armes défen- x x x x x x x x x
sives x x x x x x x x
sur partie du corps
x x
COUP(S)

avec pénétration
raté x x
esquivé
CHUTE x x x x x x x x x x x
MORT x x x x ‘x’ x x x

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Sémantique lexicale et combinatoire 307

31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44
ID. ARMES x x x
OFFENSIVES
ACTION DE SE x x x x x x x
DÉPLACER
sur armes défen- x x x x x x x
sives x ‘x’ x x x x x
sur partie du corps
x
COUP(S)

avec pénétration
raté x x
esquivé x x x
CHUTE ‘x’ x x x x x x x x
MORT x x x x x x x

Table 1- Éléments du combat singulier

Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, l’élément Coup est défini-
toire et, par conséquent, présent dans tous les combats. Nous marquons,
donc, cinq de ses possibles caractéristiques. Notons que le Coup peut
ne présenter aucune de ces cinq précisions. Si aucun autre élément du
motif n’est présent (c’est le cas pour les combats nº 4 et nº 5), la colonne
correspondante apparaît vide.
Le signe x marque la présence de l’élément correspondant. Le
x entre guillemets simples (‘x’) indique que l’élément est bel et bien
mentionné par rapport au combat en question, mais avec une polarité
négative ou sous le mode hypothétique. Ainsi par exemple, l’élément
Chute se trouve dans les combats nº 28 et nº 31, mais la chute ne se
produit pas de façon effective : por poi ne l’abat de la sele (6197) ; por
poi nel mist jus del cheval (6594). La même chose par rapport à l’élément
Mort dans por poi ne l’ad mort abatu (5967) ou dans Si li colps alast
bien a dreit, / le rei laissast el champ tout freit (7275). Les hauberts, qui
ne cessent de céder dans les autres combats, résistent dans le combat
nº 36 où Polynice affronte pour la première fois Étéocle : escu sont bien
enfondré, / mais li hauberc sont bien serré ; / li hauberc sont serré et
fort / qui lez guarirent bien de mort (le combat ne saurait se terminer sur
la mort d’un des deux combattants puisqu’ils sont destinés à s’entretuer
plus tard).

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308  Xavier Blanco

Précisons que nous marquons comme présent l’élément Identifica-


tion des armes offensives dans la Table 1 uniquement si le nom de l’arme
est mis en rapport avec un opérateur approprié (p. ex. l’espié brandist).
De par sa nature formelle, on pourrait considérer que le motif
aurait les caractéristiques d’un script (Shank et Abelson, 1977). Un script
représente un ensemble d’événements, avec leurs relations temporelles,
spatiales, causales… qui donne un cadre à partir duquel il est possible de
décrire des événements peu fréquents ou inattendus, voire d’inférer des
événements non décrits explicitement à partir d’une structure de base.
Il est important de souligner que le script du combat singulier
dans le Roman de Thèbes ne semble pas obéir à la logique du prototype,
mais que les différentes instances de ce motif seraient reliées entre elles
par une relation de type « air de famille » (Kleiber 1990 : 159). En effet,
plutôt que de présenter une série de combats prototypiques par rap-
port auxquels il existerait des cas marqués, le motif du combat singulier
s’articule autour du noyau Coup par ajouts et modifications successives,
de telle façon que deux combats singuliers, pourvu qu’ils remplissent
les conditions définitoires concernant les combattants, peuvent ne pas
partager des éléments et continuer, pourtant, à faire partie du même
motif. De façon graphique, nous pourrions représenter cela comme
suit : dans une relation de type prototypique, un certain membre ou un
certain nombre de membres occuperaient une position centrale par rap-
port aux autres (Figure 1). Par contre, dans une relation de type air de
famille (Figure 2), les différents membres de la classe sont reliés, certes,
mais ne convergent plus vers un centre, de façon que les membres non
contigus de la classe ne présentent pas de propriétés communes.

Figure 1 Figure 2

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Sémantique lexicale et combinatoire 309

Ainsi, par exemple, en référence à la Table 1, le combat nº 36 partage


Action de se déplacer et Coup (sur armes défensives) avec le combat
nº 26 qui, à son tour, partage Chute avec le nº 42, qui partage Coup (sur
partie du corps) avec le nº 6. Mais le combat nº 36 n’a aucun élément
commun ni avec le nº 42 ni avec le nº 6. En même temps, et cela est
important, nous ne pouvons pas considérer que le combat nº 42, qui
présente les éléments Coup (sur partie du corps), Chute et Mort soit un
représentant ni plus ni moins typique du motif du combat singulier que
le combat nº 36, qui compte sur des éléments aussi caractéristiques que
Action de se déplacer et Coup (sur armement défensif).
Il nous semble que cette représentation permettrait de reprendre,
tout en la nuançant, la position de Donovan, d’après laquelle on ne
trouverait pas vraiment un style formulaire13 dans le Roman de Thèbes
(Donovan, 1975  : 238 et sq.). En effet, l’emploi de la formule dans
Thèbes n’est pas celui de la chanson de geste, mais cela ne veut pas dire,
à notre avis, que nous ne soyons pas en présence de formules, mais que
celles-ci admettent des degrés de liberté plus importants que celles que
l’on retrouvait dans le genre épique. Il faut aussi tenir compte du fait
que les scènes de combat singulier sont nettement moins nombreuses
dans Thèbes que, par exemple, dans la Chanson de Roland à en juger
par les inventaires de Rychner (1955 :129). D’où moins d’occasions de
répétition de formules.
Il serait à remarquer, par ailleurs, que l’extension des combats est
très variable, allant du combat minimal d’un vers (Aimon ferist Archive-
nin, 4670) à plusieurs dizaines de vers pour des combats importants.
Comme signalé, les différents moments spécifiques du script du
combat singulier sont résolus, dans l’essentiel, par une série de for-
mules récurrentes que nous allons passer en revue dans les alinéas ci-
dessous. Dans la mesure où lesdites formules sont communes aux com-
bats singuliers et aux autres types de combat (escarmouches, batailles,
assauts lors d’un siège…), nous considérerons ici des vers présents dans

13 Bien entendu, cela dépend, en dernière instance, de la définition que l’on adopte
de cliché formulaire. À notre avis, un cliché formulaire ne prend pas appui
uniquement sur des unités lexicales concrètes et leur agencement, mais sur l’ap-
parition de certains schémas d’arguments paraphrastiques. La récurrence stric-
tement lexicale peut être, donc, limitée tout en constatant cependant le recours
à un cliché.

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310  Xavier Blanco

l’ensemble du Roman de Thèbes, ce qui nous permettra de mettre en


évidence un maximum de structures récurrentes.

3. Les armes offensives

L’élément Identification des armes offensives peut soit comporter la


simple mention de l’arme (lance ou épée) en tant que complément ins-
trumental d’un prédicat de Coup, soit constituer un élément à part du
combat, préparatoire au coup. C’est le moment qui précède la charge,
où le chevalier brandit l’épée ou lève la lance. Nous distinguerons entre
trois groupes d’armes : l’arme d’estoc, mais surtout de taille (qui est
l’épée14), les armes d’hast et les armes de trait.

3.1. L’épée

La forme la plus usuelle est espé, mais nous trouvons aussi les variantes
espée, espié, le synonyme brant (brans) et les méronymes à valeur
synonymique alemele (‘lame’) et fer :

Tydeüs sut ferir d’espé Tydée connaissait bien l’escrime (1882)


sache l’espée qu’il ot al lez il tire l’épée qu’il portait au côté (792)
Donc traist s’espié nue Il tire alors son épée nue (11704)
Atant il trait le brant d’acier il tire alors son glaive d’acier ; (7396)
et estreindre ses brans d’acier et empoigner son épée d’acier, (11312)
que le trenchant de l’alemele que le tranchant de sa lame (6046)
et traient fors ceux trenchant fers et dégainent leurs fers tranchants (11308)

L’épée est l’arme emblématique du chevalier (en buena ora cinxiestes


espada!). Ses opérateurs appropriés (prédicats qui s’appliquent spécifi-
quement sur cette forme ou ses synonymes) dans le Roman de Thèbes

14 D’autres armes de taille ne sont pas représentées dans le Roman de Thèbes. En


effet, nous ne trouvons pas de hache. Les armes de contact (p. ex. la dague ou le
poignard) ne jouent pas non plus de rôle dans les combats singuliers.

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Sémantique lexicale et combinatoire 311

sont les verbes traire, trenchier, paumoier15 et les adjectifs nu et tren-


chant :

hanste out frainte, s’espé trait comme il avait rompu sa lance, il tire son
épée (11032)
Molt trencha bien le jour s’espé, Son épée trancha très bien ce jour-là (5182)
et son espié vait palmeiant, tout en brandissant son épée, (11942)
Donc traist s’espié nue Il tire alors son épée nue (11704)
d’un bon espié qui fut trenchant d’une bonne épée bien tranchante (11396)

Les formes espee, espé (du latin impérial spatha ‘spatule’) sont celles
qui seraient attendues dans la mesure où elles ne sont pas ambiguës. Par
contre, la forme espié (qui apparaît aussi dans l’édition d’A. Petit, p. ex.
C_4742 l’espié brandist point l’auferrant) mais que nous ne trouvons
ni dans le FEW ni dans GODEFROY, est problématique parce qu’elle
peut faire référence soit à ‘épée’ soit à ‘épieu’ (cf. 3.2.). En général,
la présence d’opérateurs appropriés permet de désambiguïser. Notons
aussi que dans le contexte ci-dessus, il y a une alternance des formes
espié/espé :

Donc traist s’espié nue :


par mie le cors se volt feir.
Capaneüs le vait tolir ;
del poing lui ad saké l’espé (11704–11707)

Le problème inverse se pose aussi, car, comme fait remarquer F. Mora-


Lebrun dans son édition du Roman de Thèbes (1995 : 711), on attendrait
la forme espié plutôt que espee dans :

Ambedui tout a estrus


granz coups se donnent entre eux deux ;
forment se corent ambedui ;
li rois failli, et cil fiert lui

15 Les occurrences que nous avons repérées dans Thèbes n’épuisent pas forcé-
ment toutes les possibilités combinatoires d’une forme donnée. Ainsi, par
exemple, dans le Roman d’Eneas, nous trouvons, comme opérateurs appropriés
de ‘épée’, yert fors (mar yert t’espee por euz fors, 2513 ‘tire’), esgrunee (‘ébré-
chée’, 4521), forbie (‘fourbie’, 4554), et les méronymes heux (‘quillon’, 4565),
entretor (‘fusée’, 4566), pons (‘pommeau’, 4571), fuerre (‘fourreau’, 4589)
pour espee (2513).

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312  Xavier Blanco

parmi le cors de son espee :


de Blanche[nue] l’abatié (11411–11416)

Et cela aussi bien à cause de la rime espié – abatié que du fait que tra-
verser le corps de l’adversaire est beaucoup plus faisable avec un épieu
(arme d’hast) qu’avec une épée. Le vers 5855 par mie le corps li mist
l’espé, par exemple, fait référence à un épieu. Signalons, cependant, que
dans la Thébaïde (XI, 542), Étéocle est blessé mortellement par l’épée
de Polynice, non par sa lance. En dehors de ce cas, la seule occasion où
il est spécifié qu’une épée a traversé tout le corps d’un homme, c’est
quand il s’est agi d’un suicide :

Je ne morrai ja par t’espee,


car la meie est molt privé.
Le point vers terre en apoia,
parmi le cors le treperça
Tresperce sei parmi le cors
li fers en saut demie pé fors (2011–2016)

La traduction de brant par glaive (7396) (du latin classique gladius)


risque de compliquer inutilement le tableau, car glaive, en ancien fran-
çais, renvoie souvent à une arme d’hast (que ce soit pique, lance ou
javelot). En fait, le même traducteur le rend par lance dans les vers 8228
(que neiez, que a glaive ocis : soit noyés, soit tués à coups de lance) et
aussi 10808 (morir de glaive et tresbucher : et mourir abattus sous les
coups de lance). Aimé Petit, dans son édition (2008 : 602) traduit brant
par lame (Atant a tret le branc d’acier : Alors il dégaine sa lame d’acier,
C_10246), ce qui nous semble préférable, surtout si l’on tient compte
du fait que brant (qui provient d’un terme francique qui signifie ‘tison,
brandon’) fait référence surtout à l’éclat de la lame. Notons que dans
le Roman d’Eneas, le héros se sert de son épée, qu’on voyait reflam-
boier (2592) (‘resplendir’) comme d’une torche lors de sa descente aux
Enfers.
Alamele (méronyme d’épée) apparaît une fois avec le sens
‘épée’ par synecdoque pars pro toto (6046) et fer (11308) par synec-
doque matière > objet. Le méronyme mure (DMF : ‘pointe de l’épée,
de la lance’ : del foerre trait le branc d’acier / […] / la more en dresce
encountre sei, 2002–2004) et son espié vait palmeiant,  / la mure

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Sémantique lexicale et combinatoire 313

contremont tournant, 11942–11943) est une forme archaïque (Neziro-


vić, 1980 : 120) qui ne se trouve pas dans le ms C.
Un cas singulier est représenté par le vers 11004 où la formule
s’appuie sur le substantif escrime (aprestent sei de l’eschermie : et se
préparent au combat à l’épée, 11004).

3.2. Les armes d’hast

Les armes d’hast sont représentées par les formes lance, launce, glaive
et espié. Nous trouvons également la forme peus, qui doit correspondre
à pieu (TLFi  : ‘long bâton ferré dont on se servait pour la chasse’)
et les formes haste, hanstes (possible croisement entre le latin hasta
‘lance’ et le germanique harsta ‘gril’, cf. GREIMAS) qui peuvent être
employées pour ‘lance’ (pars pro toto) ou désigner spécifiquement la
hampe d’une lance ou d’un épieu (p. ex. dans et de la haste un grant
tronçon, 4846). Le combat dans lequel s’intègre ce vers (nº 12, Antoine
vs Milon) s’effectue à l’épieu, bien que la forme utilisée (espié) soit
ambiguë (cf. 3.1.) et qu’elle soit accompagnée d’un opérateur (brandist,
4841) qui est nettement plus fréquent avec l’épée16. Nous trouvons aussi
une occurrence de la forme fuz (fût, ‘hampe’) employée pour la lance
par métonymie (11335).
Voici les contextes où l’on peut observer les opérateurs appro-
priés aux armes d’hast :

lances brisier, tronçons voler, des lances se briser, des tronçons voler
(3710)
et des lances et des espees  et de leurs lances, de leurs épées
(5026)
si ferit Abum de sa lance il frappe si fort Abas de sa lance (5809)
de sa launce ne de s’espee. ni de sa lance, ni de son épée (6099)
al joindre ount les lances perdues, dès la première rencontre ils ont perdu
leurs lances (10789)

16 C’est sans doute en référence à ce contexte que Donovan (1975  : 115) fait
remarquer : « Nous pouvons noter d’emblée que dans les quatorze exemples
d’attaque à la lance de Thèbes, on ne brandit la lance (ou l’épieu) qu’une fois
(l’espié brandist, 4741) ». Mais il nous semble qu’il se trompe de vers, puisque
dans l’édition qu’il est censé citer (Raynaud de Lage), ce vers est le nº 4742.

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314  Xavier Blanco

de lance done grant colé  il donne de grands coups de lance


(10929)
haste ot redde, grant coup done. la lance raide, puis donne un grand
coup (4769)
et de la haste un grant tronçon : et un grand tronçon de sa lance (4847)
tant come la haste lui dura, de toute la longueur de sa lance (4856)
les hastes gietent molt grant croisse, 
les lances éclatent à grand fracas
(5820)
hastes peceient et dequassent  mettent en pièces et brisent leurs
lances (5839)
as premiers cops les hastes froissent aux premier coups les lances se brisent
(6372)
haste ot rede, pas ne fu torte, de sa lance rigide, bien droite (7281)
Lungement […] ces hastes frusshent,  Sur-le-champ les lances volent en
éclats (10759)
les hanstes donerent grant cruis, les lances craquèrent à grand fracas
(11337)
frussent hastes, escus fendent, les lances se brisent, les boucliers se
fendent (11403)
en l’escu sa haste pecie ;  brisant sa lance contre son bouclier
(5780)
haste out reide et le fer agu : sa lance était rigide, et son fer aigu
(10993)
son espié par le cors li myst, il lui fit passer son épieu à travers le
corps (5774)
de son espié parmi le cors, de son épieu, lui traversant le corps
(4674)
l’espié li myst par mie le cors il lui passa l’épieu à travers le corps
(4680)
par le cors li conduit l’espié dans le corps il lui enfonce son épieu
(4754)
l’espié li myst par mie le cors il lui passa l’épieu à travers le corps
(4680)
aval lour getent peus acuz, ils leur jettent des épieux acérés (9027)
morir de glaive et tresbucher ; et mourir abattus sous les coups de
lance (10808)

La forme haste est fréquente dans le manuscrit S mais apparaît


uniquement une fois dans le manuscrit C, et cela à cause de la rime :
D’ambedeus parz chascun se haste  / pour peçoier chascun sa haste,
4565–4566). Nezirović (1980 : 95) fait l’hypothèse, fort plausible, que

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Sémantique lexicale et combinatoire 315

haste était déjà senti comme un archaïsme par le copiste de C, qui tend
donc à le remplacer par les formes hanste et hante, plus modernes.
Une différence doit être faite entre ‘lance’ et ‘épieu’, qui présentent
des caractéristiques différenciées. En effet, même si le texte n’établit
pas une distinction nette entre ces deux types d’armes, l’épieu serait, en
général, une arme de fabrication plus grossière, qui présente une hampe
plus épaisse et plus courte que celle de la lance et qui se termine par un
fer plat. C’est pourquoi l’opérateur brisier sera plus fréquent avec lance
qu’avec espié, tandis que celle-ci apparaîtra souvent avec des formules
comme mettre par mi le corps. Il ne faut cependant pas confondre ce
type d’épieu avec un autre sens de la même forme qui correspond à une
arme de jet (un type de javelot), comme dans lancent espiez set cenz
et plus  : ils lancent sept cents épieux, et même plus (3371). Dans la
mesure où espié reste relativement vague dans le texte, trouver un équi-
valent vers une langue étrangère résulte parfois malaisée.
Dans sa traduction à l’espagnol, Paloma Gracia (1997 : passim) se
sert de venablo pour rendre espié, terme qui a l’inconvénient d’être trop
spécialisé dans le domaine de la chasse et de faire référence de façon
claire à une arme de jet (qui correspondrait à peu près à un javelot, cf.
3.3.2.). Un chevalier répugne, en principe, à blesser à distance un autre
chevalier et, dans le combat singulier, l’épieu est utilisé comme arme
d’hast. Les dictionnaires bilingues français-espagnol proposent chuzo
comme arme de guerre, mais cette forme pose problème (en dehors de
sa fâcheuse association à des anciens veilleurs de nuit urbains et à cer-
tains proverbes météorologiques) parce qu’elle désigne une arme d’in-
fanterie, extrêmement simple (un bâton muni d’une pointe de fer), une
sorte de goedendac semblable à ceux qui furent utilisées dans la bataille
de Courtrai en 1302 (la célèbre bataille des Éperons d’or).
Notons que F. Mora-Lebrun, dans quelques passages de sa tra-
duction, semble traiter espié et lance comme synonymes. Ainsi, elle
n’hésite pas à faire alterner les deux formes en faisant référence à la
même arme, celle d’Antoine dans le combat nº 12, à laquelle nous
avons déjà fait référence ci-dessus à propos du terme haste. Voici sa
traduction :

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316  Xavier Blanco

Antoine, le fils de Floriant,


brandit son épieu, éperonne son coursier
et avec rage va frapper Milon,
un vavasseur de grande lignée.
Il lui met en pièces et lui fend son bouclier,
lui déchire son haubert, le mettant hors d’usage ;
dans le corps lui enfonce son gonfanon
et un grand tronçon de sa lance (4840–4847)

Le texte original se sert, en effet, de haste (répétons ici ce vers : et de la


haste un grant tronçon, 4846), qui peut être une partie aussi bien d’un
épieu que d’une lance. Soit la traductrice n’avait plus à l’esprit la coréfé-
rence avec espié (4841) quand elle a traduit haste (4847), soit elle consi-
dérait que lance peut fonctionner comme hyperonyme de épieu, soit
encore elle considérait que la différence n’était pas vraiment relevante
dans le Roman de Thèbes et que la présence des deux formes pouvait
être due davantage aux besoins de la rime qu’à une distinction tranchée
entre deux armes. Tout bien considéré, cette dernière possibilité est
parfaitement plausible, car aucun opérateur approprié (cf. ci-dessous)
ne permet de distinguer de façon nette ces armes. Notons, encore, que
toutes les deux arborent des gonfanons, et qu’une de ces bannières ne
serait pas suspendue, en conditions normales, à une arme de fabrication
trop grossière.
Revenant à haste, signalons qu’il faut se garder d’effectuer des
rapprochements trop hâtifs entre deux formulations similaires présentes
dans deux ouvrages différents. Ainsi, nous avions ci-dessus tant come la
haste lui dura (4856) correctement traduit par de toute la longueur de
sa lance, car le vers décrit la pénétration de l’arme lors d’un coup. Dans
la Chanson de Roland, nous trouvons le passage :

La bataille est merveilluse e cumune.


Li quens Rollant mie ne s’asoüret ;
fiert de l’espiet tant cume hanste li duret :
a .XV. cols l’ad fraite e perdue (1320–1323)

où tant cume hanste li duret ne fait pas référence au fait que la lance
aurait pénétré par effet d’un coup mais, tout bonnement, au fait qu’il
continue à frapper des adversaires jusqu’au moment où il rompt sa
lance (après avoir porté quinze coups).

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Sémantique lexicale et combinatoire 317

Mis à part haste, nous avons également les méronymes appro-


priés tronçon (3710), fer (de lance, qui peut être agu ‘aigu’, 10993) et
fuz (‘bois’, ‘fût’), qui est employé dans le sens ‘lance’ par métonymie
(A la pount haussent les fuz : Au moment de charger ils lèvent le bois
de leurs lances, 11335).
Parmi les opérateurs appropriés des armes d’hast, nous trouvons
les verbes brisier, geter, peceier, pecier, dequasser, froisser, frusser,
frussher (forme non attestée dans le FEW), qui font tous référence au
fait que la lance se brise sous l’effet du coup. Le substantif cruis (les
hanstes donerent grant cruis, 11337) est employé aussi pour signifier
que la lance se brisa.
Le verbe hausser (11335) est à comprendre comme le fait de
pointer la lance (parallèle au sol) vers l’ennemi (lever la lance) (cf. aussi
Par la champ point, lance levé, 6670). L’adjectif redde ou rede (4769
et 7281) rend compte de la même circonstance. Notons que ‘hausser
la lance’ équivaut, en quelque sorte, à ‘traire l’épée’, ce sont les gestes
qui dénotent que le chevalier s’apprête au combat imminent, qu’il va
charger. Ces gestes (par ailleurs très iconiques) activent chez le lecteur
le motif du combat singulier, avec toutes les attentes que celui-ci com-
porte.
L’expression mettre parmi le corps est particulièrement fréquente
avec épieu (cf. ci-dessus les vers 4674, 4680, 4754, 5754 et 5774). La
scène de la lance ou de l’épieu avec le gonfanon s’enfonçant dans le
corps de l’ennemi, parfois le traversant complètement, est frappante et
revient à plusieurs reprises :

el cor li myst son gonfanon dans le corps il le lui enfonce son gonfanon
(4846)
et de la haste un grant tronçon : et un grand tronçon de sa lance (4857)
l’espié li myst par mie le cors il lui passa l’épieu à travers le corps (4680)
oue tout le gonfanon entors. avec le gonfanon entortillé autour (4681)
li fers en saut demie pé fors. le fer en ressort sur la longueur d’un demi-
pied (2016)
que un alne l’en saillit fors. si bien que l’arme ressort sur la longueur
d’une aune (4675)
passe l’en outre demie pié. le faisant dépasser, de l’autre côté, d’un
demi-pied (4755)

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318  Xavier Blanco

3.3. Les armes de trait

Les armes de trait ne font pas partie, à proprement parler, du motif


du combat singulier, mais elles mettent fin de façon abrupte et peu
honorable à certains de ces combats. Nous en traiterons, donc, dans
cet alinéa. Elles sont représentées par les formes arc (arme), bozon,
dardeal, dart, saiete, quarreal (projectiles) et arbalastrier, archier
(combattants). Précisons qu’un quarreal (‘carreau’) est le projectile de
l’arbalète, de fer pyramidal. Dart semble employé toujours dans le sens
de ‘flèche’ (notons le méronyme approprié penons dans 6624), bien que
cette forme pourrait aussi correspondre à une arme de jet à manche
court. Voici des contextes contenant les noms des projectiles :

maint dart trenchant y ot lancié  plus d’une flèche acérée avait été
lancée (3282)
traient saietes et quarreals. ils tirent des flèches et des carreaux
d’arbalète (3301)
Traient saietes, lancent dartes Ils tirent des flèches, lancent des traits
(9047)
le ferit si oue un quarrel le frappa si fort d’un carreau d’arbalète
(3532)
darz esmoluz corre lor laissent faisant filer des traits acérés (5133)
une saiete atant desteise, alors il décoche une flèche (5791)
de saietes et de dardeals, de flèches et de traits (5832)
tant comme l’en poet traire un bozon s’éloignant à portée d’arbalète (6025)
traient quarreas et lancent dars, tirant des carreaux d’arbalète, lançant
des traits (6035)
d’un dart molu jusqu’as penons d’un trait aiguisé qui pénètre jusqu’aux
barbes (6624)

Les opérateurs appropriés aux armes de trait sont les verbes aviser
(‘viser’), destendre, traire (‘tirer’), lancer, launcer ; deux déterminants
nominaux, une gresle de (li gieldon gietent molt grant gresle : les fan-
tassins font pleuvoir une forte grêle, 5831), ploie de (et de saietes si
grant ploié : et une très grande pluie de flèches tomber, 4735), et le par-
ticipe entoschié17 ‘empoisonné’ (Li darz fut entoschié molt fort : Le dard
était empoisonné, 5794). La forme traire peut induire à confusion, dans

17 La flèche empoisonnée est une invention de l’auteur du Roman de Thèbes


puisqu’il n’est nullement question de flèches empoisonnées dans la Thébaïde.

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Sémantique lexicale et combinatoire 319

la mesure où elle est ambiguë (‘traire l’épée’ vs ‘traire une flèche’). Le


vers 6180 résulte particulièrement intéressant, car il contient trois opé-
rateurs d’affilée : il avise, destent et trait : il vise, lâche la corde et tire.

Launcent et traient par orguil, Ils les lancent et les décochent avec violence
(3283)
ne par traire ne par lancier,  ni en tirant des traits, ni en lançant des
pierres (3385)
a descovert ensemble traient à découvert ils tirent tous ensemble (8199)
et cil archer forment destendent. et les archers décochent force traits (11404)

La seule présence de l’opérateur approprié (le plus souvent verbal, mais


qui peut être aussi nominal, p.ex. trait dans 5787) suffit à désigner l’ac-
tion, sans besoin de mentionner le projectile ni l’arme :

traient cinc bacheler legier ; cinq jeunes gens agiles tiraient à l’arc (6734)
que n’i ait plius al tornei trait  afin qu’on ne tire plus de traits dans ce
combat (6511)
Menalipus ad fait gent trait : Mélanippe a fait un beau tir (7424)
a un trait ad mort Tydeüs ; d’un seul coup, il a tué Tydée (7425)
car nul rien son trait n’eschive ; car nulle créature ne pouvait esquiver son
trait (5787)
desore y lancent a une fés :  lançant des traits sur eux tout d’un coup
(9035)
a tel fais lancent cil desus ceux du dessus lancent une telle quantité de
traits (9039)
Dedenz traient a ceux defors, De la ville les assiégés tirent sur ceux du
dehors (9043)

Quand traire est associé avec lancer ou lancier moyennant une conjonc-
tion copulative, le vers fait souvent référence, de façon synthétique, à
un échange de projectiles et d’armes de jet respectivement, comme la
traduction met en évidence :

lancent et traient par ces places, ils lancent des javelots et des flèches sur
ces places (8983)
Ore ne crieint mais lancier ne traire, Maintenant il ne craint plus les javelots
ni les flèches (6517)
Il ne criement lancier ne traire, Ils ne craignent ni javelots ni flèches
(6587)

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320  Xavier Blanco

Le vers 2533 parle de fer et d’acier pour désigner, par métonymie, des
javelots : Tut y lancent fer et ascire : Tous lancent du fer et de l’acier.
L’archer ou l’arbalétrier sont des hommes d’armes, mais nulle-
ment des chevaliers. Il doivent avoir reçu un entraînement spécifique
(particulièrement dans le cas de l’archer), mais, même si l’auteur peut
reconnaître leur habileté (6178–6179  : Dejoste ot un arbalestier/qui
molt sot bien de son mestier  : Non loin se trouvait un arbalétrier/qui
connaissait très bien son métier ; 5786 : icil trait mielz que homme qui
vive  : il tirait mieux que personne au monde  ; 7213  : de traire esteit
molt forment proz  : il savait très bien tirer à l’arc  ; 7287  : molt solt
traire et arc ot fort : il savait bien tirer des flèches, et son arc était puis-
sant), ils sont particulièrement mal vus et traités de pautoniers (3532)
(c’est-à-dire, ‘vaurien’, ‘scélérat’), de garçons (7294, à sens péjoratif à
l’époque : ‘goujat’, ‘misérable’, ‘lâche’, cf. GODEFROY), ou encore de
pute gent adverse (5784) (quand il s’agit d’un archer perse : Amintaus
fut uns dus de Perse). Voici d’autres contextes comportant un nom de
combattant équipé d’une arme de trait :

et oue treis cenz arbalastriers avec trois cents arbalétriers (3299)


et plius de quatre mil archies, et plus de quatre mille archers (3300)
Dejoste ot un arbalestier Non loin se trouvait un arbalétrier (6178)
n’i avra mais reguart d’archier sans plus se garder des archers (6520)

Signalons que, quand un combattant tombe de son cheval par effet d’un
projectile, les verbes ne sont pas trebuchier ou abatre, mais tout sim-
plement choir (‘tomber’) : chiet del cheval morz el chemyn : il tomba de
cheval, mort, sur le chemin (5797).
Quand les archers sont absents ou ont été massacrés, les cheva-
liers peuvent se battre « comme il faut » : Bon torneier des ore y fait /
car onques puis d’arc n’i ot trait, 5910–5911. Ces deux vers sont réu-
tilisés plus tard de façon pratiquement exacte : Bone torneier des ore y
fait : Désormais il fait bon combattre, car onc puis d’arc n’i ot trait : car
jamais plus un arc ne lança un seul trait, 6515–616).

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Sémantique lexicale et combinatoire 321

3.4. Les armes de jet

Dans le cadre d’un combat singulier entre chevaliers, les armes de


jet sont exclues, mais le chevalier peut s’en servir quand il combat
un adversaire qui n’appartient pas à sa classe18. Un cas qui revient à
plusieurs reprises est le combat contre un animal. Ainsi, par exemple,
Capanée se sert d’un chêne comme arme de jet improvisée pour tuer
un serpent (il n’a à respecter aucun code d’honneur pour combattre un
animal indigne, un monstre) :

une joefne chesne ad aracié,


lance et fiert le parmi le dos :
aguisé l’ad devers le gros
D’outre en outre le li passa,
que deux pleins piez en terre entra (2547–2552)

Ajoutons, pour en finir avec les armes, qu’en dehors des combats singu-
liers nous pouvons trouver occasionnellement d’autres armes, comme
certaines armes contondantes  : baston (8841), verge ‘bâton’ (8816),
mace (5081), ou encore une machine de guerre comme le perrier ‘cata-
pulte’ (3333). Le célèbre et temible fou grezeis (‘feu grégois’) est men-
tionné à plusieurs reprises (p. ex. 3353, 4903). Finalement, des pierres
(3309, 3336, 5088), des roches (11923), des brandons, des ardanz
çoches ‘souches’ (5084) ou de l’eau bouillante (3323) peuvent être uti-
lisés dans les cas d’un siège.

4. Action de se déplacer (pour attaquer)

Le combat singulier comporte, très souvent, un moment où il est expli-


citement indiqué que l’un des combattants (plus rarement tous les deux)
se rue sur l’autre avec l’intention de le frapper. Les formes employées

18 Rappelons la célèbre scène de Le conte du Graal où Perceval tue avec un javelot


le chevalier vermeil, qui ne s’attendait certainement pas à ce type d’attaque.
Perceval n’était pas encore instruit sur les règles de la chevalerie.

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322  Xavier Blanco

(verbales, dans tous les cas) sont : abandoner, aller, apoindre, brocher,
se corer, desserrer, s’esbriver, esporoner, joindre, poindre et torner.
Les combattants sont, en général, à cheval. La plupart des verbes
employés pour dépeindre leurs mouvements sont, donc, appropriés à un
cavalier, jusqu’au point que certains verbes voient leur classe séman-
tique modifiée. C’est le cas, notamment, de esporoner qui est, à l’ori-
gine, un verbe de Coup19 et qui passe à présenter une syntaxe propre à
un verbe de mouvement, employé de façon intransitive avec la nuance
ajoutée de ‘grande vitesse’ :

De vertue broche et esporone, Avec violence il éperonne et s’élance (4768)


Ambedui forment esporonent Tous deux éperonnent vivement leurs mon-
tures (5818)
brochent adés et esporonent, piquant des deux et éperonnant (11385)

Cette observation se voit confirmée par des contextes en moyen fran-


çais comme Adont esperonnèrent il l’un contre l’autre et abaissièrent
les glaves et se consieuirent en venant l’un sus l’autre moult roide-
ment. (DMF, FROISS., Chron. R., X, c.1375–1400, 197) ; Contre lui
esperonne (DMF, Cip. Vignevaux W., p. 1400, 58). Notons, pourtant,
qu’une traduction comme éperonner contre qqn serait agrammaticale
en français moderne.
Nous observons également la présence de l’adverbe composé a
esperon, dont le sens est proche de ‘à grande vitesse’ : a esporon, lance
levé : à grands coups d’éperons, lance haute (10978) et, dans l’édition
d’A. Petit  : Sor un cheval sist de Gascoingne  / qui tost le porte a la
besoingne / par l’ost montent si compaingnon / qui le sivent a esperon
(C_6349-6352).
La même observation est valable pour brochier (cf. aussi, ci-des-
sus, 4768) :

19 Sa première attestation, dans la Chanson de Roland le montre bien : BFM, En


Tencendur, sun bon cheval, puis muntet — Il le cunquist es guez desuz Marsune,
Sin getat mort Malpalin de Nerbone, — Laschet la resne, mult suvent l’espero-
net, 2993–2996.

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Sémantique lexicale et combinatoire 323

molt tost brochent et pas ne faillent ; ils s’élancent à toute allure, sans fai-
blir (6240)
Qui veïst Grés poindre, brochier, […] on avait pu voir les Grecs éperon-
ner, s’élancer (6344)
broche vers lui a grant espelit : fonce vers lui à toute allure (11394)

Au lieu de brocher un cheval (des, avec les éperons), nous avons bro-
cher employé intransitivement. Ces emplois pourront alterner jusqu’en
moyen français, p. ex. dans les Chroniques de Froissart, où nous trou-
vons des emplois transitifs directs, transitifs indirects et intransitifs de
brochier avec des prépositions régissant une destination : DMF, pluis-
seurs chevaliers et esquiers, qui se desiroient a avancier et a faire armes,
brochierent cevaus des esporons, les lances ens es poins et les targes au
col, et entrerent en la riviere. (FROISS., Chron. D., p. 1400, 711). Sitos
que cil Espagnol et François d’un costé les perchurent, il brochièrent
sus yaus et tantost les desconfirent, car il n’i avoit que mesnies et gar-
çons. (FROISS., Chron. L., VII, c.1375–1400, 21). Si escriièrent clere-
ment li Englès : « Mauni ! Mauni ! » Et s’en feri une partie en ces Fran-
çois, et li aultre partie brochièrent devers le ville. (FROISS., Chron. L.,
III, c.1375–1400, 93). Nous observons même un emploi adverbial où À
brochant (de l’esperon) a pris le sens de ‘à toute vitesse’ : DMF, Li dis
messires Guis et se route s’en vinrent tout à brochant les grans eslais,
jusques en le place où la bataille avoit esté. (FROISS., Chron. L., VI,
c.1375–1400, 130).
Le verbe poindre suit la même logique, avec des contextes comme
poindre a (‘s’élancer contre’), poindre a travers ou même poindre en
qui prend le sens de ‘viser’ :

l’espié grandist, point l’auferant brandit son épieu, éperonne son coursier
(4841)
par ire point a un des lour, avec colère, il s’élance contre l’un des
Thébains (5779)
attaquer tout droit, s’élancer de biais
joindre de dreit, poindre a travers, 
(6495)
vers Tydeüs point par le sable s’élançant vers Tydée sur le sable (6591)
entre les rencs point a bandon et entre les lignes il fonce à toute allure
(6610)
Point vers le en l’escu Il s’élance vers Tydée, visant son bouclier
(6697)

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324  Xavier Blanco

et quant il point par la riviere et quand il charge le long de la rivière


(6754)
bien eslaissier et bien point. comme il s’élance bien en piquant des
deux (7490)
lance levé vers l’ost point lance haute, il fonce vers l’armée (10787)
ensemble poignent a esleis ;  fonçant tous ensemble à bride abattue
(11472)

Encore une fois, d’autres textes nous confirment la vivacité de ces


emplois : ledit Anglois, qui estoit party d’avecques eulx, qui vint poin-
gnant sur son cheval les rencontrer (Chancell. Henri VI, L., t.1, 1423,
39). Et roidement poindre les uns contre les autres, et leur vit grans
cops donner, et departir et l’un cheoir et l’autre relever (Bérinus, I,
c.1350–1370, 232).
Le verbe apoindre ‘piquer, donner des éperons’ est proche de
l’antérieur, mais, d’une part, il est beaucoup plus rare et, d’autre part, il
apparaît toujours comme circonstant de venir :

Tydeüs y vint apoignant ; Tydée arriva, en piquant des deux (2527)


Si come Drias vint apoignant, Mais Dyras, venant au galop (11027)

Ce qui semble confirmer les occurrences que nous avons pu repérer


dans d’autres textes : DMF, En tel point vint apoingnant Anchisés, qui
estoit remonté, courroucié et iré de ce que Falmar l’avoit ainsi des-
monté, et tant se hasta qu’il actaint Falmar a l’entree de ses bailles.
(Percef. II, R., t.1, c.1450 [c.1340], 157) ; BFM : En ce qu’il parloient
einsi vint Galaad apoignant vers mon seignor Gauvain (qgraal_cm p.
206d). Par rapport à vint apoignant, Petit (1985 : 298) signale que :

«  […] la fréquence de cette expression constitue une survivance du style


formulaire épique. On la rencontre dans la Chanson de Roland et on la retrouve
dans le Couronnement de Louis et dans la Prise d’Orange. Elle figure 22 fois
dans le Roman d’Alexandre […]. Enfin, elle figure épisodiquement dans le
Roman de Troie, alors qu’elle n’apparaît que deux fois dans Eneas. »

Faisons remarquer que souvent les réminiscences qui procèdent de


la chanson de geste correspondent à des formules de quatre syllabes
(vint apoignant mort le tresbuche, l’espee trait, l’auberc fausser…) car

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Sémantique lexicale et combinatoire 325

l’octosyllabe du roman permet de récupérer facilement les formules qui


ouvraient le décasyllabe épique 4+6 (Micha, 1970 : 150).
Les verbes qui sont spécifiquement des verbes de mouvement,
même ceux qui incluent le sens ‘attaquer’ (comme se corer ‘courir qqn,
le poursuivre pour l’attaquer’, s’esbriver ‘se précipiter’) :

forment se curent ambedui, ils se ruent l’un contre l’autre (11384)


forment se corent ambedui ;  tous deux se ruent l’un contre l’autre
(11412)
et Lucïens vers lui s’esbrive ; Lucien se précipite vers lui (6031)

sont nettement moins employés que ceux qui désignent exclusivement


un déplacement (aller, torner, venir). Voici quelques occurrences de
ces derniers :

il se desserent, vers eux vienent ; lâchant la bride à leurs chevaux, ils foncent
(9033)
Turnent al gué, vont les ferir : Les autres font demi-tour dans le gué et
vont frapper l’ennemi (10729)
Vers Dorceon Drias en vait : Puis Dyras se dirige vers Dorcée (11031)

5. Les coups

Comme nous l’avons déjà signalé, la présence de l’élément coup est


nécessaire pour le motif du combat singulier. Comme on pourrait s’y
attendre, le mot coup est fréquent. Le mot colle20, est de sens a priori
plus restreint (‘coup donné sur le cou, sur la nuque, sur l’épaule’) mais,
dans le Roman de Thebes, il fonctionne comme synonyme de coup (p. ex.
pois ne dona le jor colee : il ne donna plus de coups ce jour-là, 6090 ;
mainte colee y ot doné : on y donna plus d’un coup, 6149).
Les verbes supports appropriés de coup, colee, qui suivent le
schéma X donne un coup à Y, sont doner, ferir, referir et les converses
(du type Y reçoit un coup de X) sont prendre, aver, rendre. La présence

20 Nous trouvons, en plus, une forme rare mais plausible (cobes, 4665)  : qui li
premiers cobes en fu soens : le premier coup lui revint.

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326  Xavier Blanco

d’un verbe support neutre et un converse dans le même vers est fré-
quente et marque bien l’échange de coups qu’implique le combat :

por granz cops ferir ne doner  pour frapper ou asséner de grands


coups (7544)
doner un cop pour aver cent ; quand on donne un coup pour en rece-
voir cent (8824)
colee y ot doné et prise ; des coups furent donnés et reçus (7504)
granz colees y donc et prent ; donnant et recevant de grands coups
(7536)
mainte colee y ot doné, on y a donné plus d’un coup (7576)
et mainte en y veïssez prendre, et vous auriez pu en voir recevoir beau-
coup (7577)
et colees doner et prendre, en donnant et en recevant des coups
(10732)
cil lour rendent colees males : et leur portent de rudes coups (11496)

Notons le verbe support réciproque par préfixation s’entredoner :

il s’entredonent si grantz cops ils échangent de si grands coups (856)


cops s’entredonent merveillous. échangent des coups extraordinaires
(1875)

Nous trouvons aussi faire change :

de granz colees y fait change : il échange là des coups violents (7537)

Les prédicats le plus souvent associés à coup sont liés à l’intensifica-


tion. Mis à part l’utilisation fréquente de l’adjectif granz :

Ou sont ore les grantz colees Où sont maintenant les grands coups
(1844)
come savez granz cops de comme tu sais donner de grands coups
branz doner! d’épée (1992)
es escuz granz colps se donerent. se donnant de grands coups sur les
boucliers (7270)
granz colees y done et prent ; donnant et recevant de grands coups
(7536)
de granz colees y fait change : il échange là des coups violents (7537)
por granz cops ferir ne doner.  pour frapper ou asséner de grands
coups (7544)

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Sémantique lexicale et combinatoire 327

et chevaliers granz colps doner. les chevaliers, eux, doivent donner de


grands coups (7462)
mais oi ferront granz cops maneis. mais aujourd’hui ils vont frapper de
grands coups (7478)
Sis niés li vit : grant cop li done Le neveu d’Alexis le vit : il lui porte un
grand coup 11389)
granz coups se donnent échangent des coups violents (11411)
entre eux deux ;
Molt veïssiez granz cops ferir Vous auriez pu voir frapper de bien
grands coups (11501)

Nous trouvons quelques autres adjectifs comme gentz, male (‘mâle’)


ou mortal :

ne taunz gentz coups ne fist Torpins, et jamais Turpin ne porta d’aussi beaux
coups (5186)
cil lour rendent colees males : et leur portent de rudes coups (11496)
Cil chaït por le cop mortal, Atys, frappé de ce coup mortel (6705)

Notons que 5 186 constitue une référence explicite à la Chanson de


Roland. Elle se trouve à proximité d’une référence explicite à la pre-
mière Croisade :

Molt trencha bien le jour s’espé,


a ceux dedenz fu molt privé :
onc l’espé al duc Godefrei
ne mist les Turs en tiel effrei,
ne taunz gentz coups ne fist Torpins
en Espaigne sur Sarazins
come fist l’archevesque le jour
sur ceux de Thebes en l’estour. (5182–5189)

La seule autre comparaison référée à l’efficacité d’un coup est :

plius tost li eust le col trenché il lui trancha le cou plus vite (2539)
que uns rasours un peil dolgié  qu’un rasoir tranche un cheveu fin
(2540)

Un procédé fréquent consiste à mettre en relief l’effet d’un coup moyen-


nant une construction consécutive (si grantz cops… que ou bien tiel

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328  Xavier Blanco

coup… que). Notons, dans 858, le déterminant nominal quantifieur


chapleïs (‘volée’) :

il s’entredonent si grantz cops ils échangent de si grands coups


que touz en recentist l’arvols que toute la voûte en retentit (856–857)
La veïssiez granz chapleïs Là vous auriez pu voir des volées de
coups
sur les healmes des brancs forbeis assénées sur les heaumes par les lames
fourbies,
que li carrois en recentist si fortes que toute la place en retentit
et li arvols en resplendist et que toute la voûte en résonne (858–
861)
del espié tiel coup li done de son épée il lui porte un tel coup
que Tydeüst tout en estone  que Tydée en est tout étourdi (1878–
1879)

Ces constructions consécutives se trouvent aussi avec le verbe ferir :

Il se fierent de tiel aïr, Ils se frappent avec une telle rage,


le fou vermeil en font saillir  qu’ils font jaillir de rouges étincelles
(854–855)
celui ferit de tiel vertu il frappa son adversaire avec une telle
vigueur,
que le chief fait voler del bu. qu’il lui fit voler la tête loin du buste
(5806–5807)
Il le ferit de tiel vertu, Il le frappa avec une telle force,
l’escu li ad frait et fendu qu’il lui a brisé et fendu son bouclier
(5852–5853)

Bien que le verbe ferir puisse fonctionner comme support de cop (Molt
veïssiez granz cops ferir : Vous auriez pu voir frapper de bien grands
coups, 11501), le plus souvent il fonctionne comme verbe prédicatif
accompagné d’une série d’intensificateurs ou quantificateurs à carac-
tère adverbial : se fierent (molt forment, molt proz, de tiel aïr, iriement,
par rage, tanz colps, de but, bien, de vertu, de vert si plain a plain, ne
cesse, durement) :

Il le ferit iriement, Il le frappa avec colère (4678)


et vait ferir Milon par rage, et avec rage va frapper Milon (4842)

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Sémantique lexicale et combinatoire 329

la veïssiez tanz colps ferir, là vous auriez vu frapper bien des coups
(4866)
que nes augent de but ferir  à aller frapper de but en blanc leurs
adversaires (5025)
Alon li ad grant cop rendu Halys a répliqué en lui donnant un grand
coup (5964)
Agenor del ferir ne cesse, Agénor ne cesse de frapper (5982)
del bien ferir pas ne s’oblient. n’oubliant pas de bien frapper (5987)
le tierz ferit si plain a plain et frappa le troisième avec une telle force
(6045)
del bien ferir ne fu pas lent : n’hésitant pas à bien frapper (6080)
del bien ferir pas ne s’oblie ; et n’oublie pas de frapper comme il faut
(5179)
de bien ferir les amoneste il les exhorte à bien frapper (6108)
De vertu li conte se fierent,  Les comtes se frappent avec violence
(6142)
et fu bien feruz li estourz ; et l’on échangea de beaux coups dans la
mêlée (6377)
Molt les vont ferant durement Ils ne cessent de les frapper cruellement
(6539)
del bien ferir n’aiez merci ; frappez bien, sans pitié (7449)
et tant bon cop doner a mort  que de bons coups mortels donné
(10763)
del bien ferir : ses pers y meine à bien frapper  : il mène ses pairs au
combat (6157)
et si ferras molt proz, ceo crei, et tu frapperas très vaillamment, je crois
(6687)

Nous trouvons un seul exemple de suite adverbiale référée non pas à


l’intensité du coup ou à la quantité de coups portés, mais à son caractère
qualitatif :

a grant forfait et a grant tort portant un coup criminel et injuste


(11029)

Le verbe ferir peut prendre un complément instrumental avec la prépo-


sition de :

ferir de lances et d’espees, frapper de la lance et de l’épée (6494)

Et il accepte le préfixe re- à valeur itérative :

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330  Xavier Blanco

Estaice en refiert un [de] Frise, Eustache, de son côté, frappe un Phry-


gien (4854)
et cil les refierent maintenant,  et les autres les frappent derechef
(11510)

Et le se réciproque :

ambedui molt forment se fierent tous deux se frappent très violemment


(852)
Il se fierent de tiel aïr Ils se frappent avec une telle rage (854)

Mentionnons un cas isolé qui utilise la construction rendre merite pour


signifier ‘donner un coup’, coup conçu en tant que vengeance de Poly-
nice qui se voit injustement privé de son héritage :

a un de eux en rent tiel merite, il en récompense si bien l’un d’entre eux
(6365)

Le coup peut rater sa cible ou bien il peut être esquivé :

mais li cops eschapa fors mais le coup dévia (1880)


mais li duc faut, et cil fiert lui, mais le duc manque son coup, et son
adversaire le frappe (5771)
cil faut, et li Grex de travers il le manque tandis que le Grec, de biais
(6176)
Mais Tydeüs a lui faillit Mais Tydée, lui, le manqua (6595)
li rois failli, et cil fiert lui mais le roi manque son coup, et l’autre le
frappe (11414)
ne fus le cheval estorços, si le cheval ne s’était pas dérobé (6597)
guenchié li ad, et si s’en rit ; il l’a esquivé, et en a ri (6678)
et lui guenchir est a vilance ; et se dérober serait un déshonneur (11016)
guenchera lui, mais ceo est tart  il se dérobera, mais il est bien tard  !
(11018)

5.1. Les coups portés sur l’armement défensif

Nous distinguerons entre les coups portés sur le bouclier (5.1.1.) et les
coups portés sur le haubert (5.2.2.).

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Sémantique lexicale et combinatoire 331

5.1.1. Le bouclier
Les effets des armes offensives sur l’armement défensif sont mention-
nés de façon réitérée, donnant lieu à certaines des formules les plus
répétées dans les scènes de combat. Nous commencerons par examiner
les contextes contenant escu (‘bouclier’). Nous y observons les verbes :
briser, croissir, croistre, effondrer, enfo(u)ndrer, eschanteler, fendre,
fraindre, froisser, partir, peçoier, pertuiser et poindre. Ils sont proches
des opérateurs que nous avons mis en relief en parlant des armes d’hast
mais (sauf briser-brisier) ils ne coïncident pas avec ceux-ci. Notons
que, pour ce type de verbes, le sujet correspond à un humain, non pas à
l’arme, qui serait en position de complément instrumental.
La variété de verbes pour indiquer que le bouclier a accusé l’effet
d’un coup est remarquable. Rappelons que rapporter un bouclier intact
après une bataille pouvait être considéré un signe de couardise (5735–
5736, Celui tendront a jumentier / comme portera l’escu entier). Il ne
s’agit donc pas d’une simple question descriptive.
La plupart de ces verbes ne sont pas spécifiques au domaine de
l’armement, ils peuvent s’appliquer sur une diversité d’objets. C’est le
cas de briser, partir, effondrer, enfo(u)ndrer, fendre, pertuiser, poindre
(‘faire un trou’). Nous observons, cependant, une certaine spécialisa-
tion de ces formes au sein du Roman de Thèbes, p. ex. avec enfondrer,
esfondrer :

et escus et osbercs s’enfoundrent boucliers et hauberts furent défoncés


(6141)
bien li ad esfondré l’escu, il lui a bien démoli son bouclier, (5965)
li escu sont bien enfondré, les boucliers sont bel et bien défoncés,
(7499)
en l’escu l’espeire un poi il espère lui percer un peu son bouclier,
poindre, (6702)
touz lour pertuisent les escuz ; leur trouant tous leurs boucliers, (9028)

Précisons que le vers 6702, qui peut sembler étrange hors contexte (pour-
quoi poindre ‘un peu’, alors que, en général, plus les coups sont forts,
plus ils sont prisés ?), correspond au combat nº 33, où Tydée n’aurait
pas voulu tuer Atys, qu’il considère beaucoup trop jeune. Mais Tydée
ne réussit pas à contrôler son coup (mais ne poet ameïr sa main / el piz

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332  Xavier Blanco

le ferit tout a plain, 6703–6704) et finit par blesser Atys mortellement.


Il s’agit de la première attestation du verbe ameïr (vraisemblablement
ameser dans la version primitive du Roman), que T.-L., par rapport au
vers en question, glosé comme ‘diriger vers un but’ mais qui, en fait,
veut dire ‘modérer’, ‘retenir’, comme l’avance GODEFROY et comme
a démontré Gilles (1976 : 106).
En revanche, d’autres formes, comme fraindre, ont une tendance
plus marquée à apparaître dans des contextes de type guerrier : fraindre
un écu (BFM, ErecKu, p11f. v. 2865 enmi le piz le fraint et ront), mais
aussi fraindre une lance (BFM, CharretteKu, p. 49e v. 5937, Que sa
lance fraint et estrosse), un healme, un haubers, une tour, une prison,
voire… un chief (‘tête’).

l’escu li fait fraindre et partir qu’il brise et fend son bouclier (3724)
fiert le en l’escu, tout le il le frappe sur son bouclier, le lui fend
li fent, complètement (4751)
L’escu lui pesceie et fent, Il lui met en pièces et lui fend son bouclier
(4844)
trestout l’escu li fent et fendant et brisant tout son bouclier (4855)
brise ;
l’escu li ad frait et fendu, qu’il lui a brisé et fendu son bouclier (5853)
tout li ad frait et fendu ; le lui a complètement brisé et fendu (5966)
et li escu fendent et les boucliers se fendent et craquent (6373)
croissent ;
tout le li ad frait et fendu ; et le lui a tout brisé et fendu (6698)
et cil escu fendent et freussent les boucliers se fendent et se brisent (10760)
fiert li en l’escu, tout le il le frappe sur son bouclier, le lui fend
li fent, complètement (11033)

Il est intéressant de constater que, dans le Roman D’Eneas, le bouclier que


Vulcain a fabriqué pour le héros reçoit les mêmes opérateurs appropriés,
mais à la modalité négative, puisqu’il s’agit d’une arme d’une résistance
hors du commun : il ne fendi ne il ne frut : l’écu ne se fendit ni ne se brisa,
9756. Et nous trouvons aussi quasser (‘casser’), qui n’apparaît pas dans
Thèbes : il ne quassa ne ne fendit : l’écu ne se brisa ni ne se fendit, 9804.
Le verbe eschanteler (‘mettre en morceaux’, ‘briser’) (que desus
le li eschantele : qu’il lui ébrèche sur le dessus, 6196) n’est pas fréquent
et apparaît souvent associé à escu, targe ou heaulme, et non seulement
dans le Roman de Thèbes : BFM, Gormont, p. 4, v. 51 sil fiert sur la

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Sémantique lexicale et combinatoire 333

targe novele
qu’il la li freint e eschantele21 ; DMF, si la leva [la masse]


contre mont et en férit le roy sur le heaulme, si terriblement que il lui
eschantela et brisa (WAUQUELIN, Gir. Ross. M., 1447, 395).
La forme freussent et rare. On s’attendrait plutôt à freusent (de
froisser, ‘briser, rompre, fracasser’). Elle n’apparaît qu’une fois dans
l’édition de F. Mora-Lebrun et nous ne l’avons pas trouvée ailleurs.
L’édition d’A. Petit comporte froissent (C_8495, C_8496 et C_9761),
qui est beaucoup plus courant. La forme pesceie est rare aussi. Si l’on
supposait une graphie peceie, elle pourrait être mise en rapport avec
peçoyer (DMF) ou peçoier (GODEFROY) (‘mettre en pièces’). Quant à
la forme croissent, elle peut être mise en rapport soit avec croissir, soit
avec croistre, de sens semblable. Les deux infinitifs sont représentés
dans le Roman de Thèbes, mais tandis que le premier semble se combi-
ner de préférence avec des substantifs comme escu ou targe, le second
admet d’autres emplois. La forme cruissent appartient à croissir :

escuz croissir, haubers fausser,  des boucliers craquer, des hauberts se


fausser (3709)
hastes froissier et escus croistre! voir les lances se briser, les boucliers
craquer ! (6497)
brisent escuz, hastes cruissent ; brisent les boucliers, font craquer les lances ;
(9038)

La grammaire locale de escu pourrait être complétée avec des verbes


comme tenir, embracier, guarir (nel poet guarir escu ne broine  : ni
bouclier ni cuirasse ne peuvent le protéger, 4667), resplendir, luire, des
adjectifs comme enferré, des expression comme mettre devant son piz,
faire passer par mi (l’escu), au col, ou des méronymes comme panne
‘bord supérieur’, pane (d’azur), boucle, astele ‘éclat de bois’ (d’escuz
veïssiez tant astele : que de débris de boucliers vous auriez vus, 10761).
Bien entendu, sur escu s’appliquent également les prédicats
généraux des Coups : ferir en, donner colps en, entreferir as… L’escu
peut être arraché du cou d’un combattant par effet d’un coup : tant vile-
ment le porte del col / come si fuist un fuil de chol, 10995. Notons, au

21 Notons qu’A. Petit a fait très justement remarquer que le lexique de Thèbes
évoque souvent Gormont et Isembart (Petit, 1985 : 297 et ss).

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334  Xavier Blanco

passage, que les comparaisons sont rares22 dans le Roman de Thèbes


qui, sans doute en suivant les recommandations des Arts poétiques de
son temps, les évite et supprime même la plupart de celles que son
modèle latin comportait. E. Faral fait, en effet, remarquer que la compa-
raison tombe en défaveur à partir du XIe siècle, alors que les écrivains
du IXe et du Xe s’en servaient volontiers (Faral, 1962 : 69). Et A. Petit
(2008  : 27) souligne que les 193 comparaisons de la Thébaïde n’ont
pratiquement pas laissé de trace dans le Roman de Thèbes.
Voici un certain nombre de contextes où escu se combine avec les
opérateurs généraux des Coups :

En son escu le vait ferir, Il va le frapper sur son bouclier (4810)


par mie l’escu le dona tal, en plein son bouclier il lui donna un tel
coup (4872)
et nel ferit pas en l’escu, pas sur son bouclier (5772)
et es escuz granz colps se et s’assènent de grands coups sur les
donnent boucliers ; (5819)
es escus grat colps se il se donnèrent de grands coups sur les
donerent ; boucliers ; (6139)
celui ferit si en l’escu il frappe si violemment son adversaire
sur son bouclier (6195)
et es escuz granz cops se s’assénant de grands coups sur les
donent ; boucliers ; (6239)
n’i ad escun quin torge entiers ; sans qu’aucun bouclier s’en tire intact ;
(7498)
Parthonopeu fiert en l’escu ; il frappe Parthénopée sur son bouclier,
(10994)
puis s’entrefierent as escuz : puis se frappent sur les boucliers ; (11336)
sur les escus grant cops se et se donnent de grands coups sur les
donent boucliers (11386)

5.1.2. Le haubert
Les verbes appropriés à auberc (‘chemise en mailles d’acier tissées’)
sont : fausser, desmaillier, desront, porfendre, defriser, rompre, percer,
enfoundrer. La forme auberc et ses variantes (hauberc, haubers, osberc)

22 Mentionnons, cependant : Cil se defent come leons (1701) (Tydée se défend comme
un lion). Voici un contexte qui contient implicite une comparaison que la traduction
fait ressortir : enz un gué fait de lui sope ; et dans un gué le trempe comme une
soupe, 5963 (soupe ‘tranche de pain sur laquelle on verse le bouillon’).

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Sémantique lexicale et combinatoire 335

sont très fréquentes. Par contre, nous ne trouvons qu’une fois leur qua-
si-synonyme broine23 (DMF : ‘Cuirasse formant tunique, faite d’étoffe
épaisse ou de cuir recouvert d’anneaux ou d’écailles de métal ou bien
de métal’) : nel poet guarir escu ne broine, 4667.
Les verbes rompre, derompre, enfondrer, pourfendre sont d’em-
ploi général, car ils peuvent s’appliquer sur une diversité d’entités, non
seulement sur des équipements défensifs. Le dernier, dans des scènes
de combat, s’applique souvent à la tête ou à des couvre-chefs divers
(‘heaume’, ‘coiffe’), souvent accompagné de jusques es dens.
Bien qu’il présente d’autres acceptions (p. ex. avec des noms abs-
traits, fausser la foy ‘engagement’, fausse son serement ‘serment’), le
verbe fausser a souvent le sens de ‘endommager un objet pendant un
combat’, en général un haubert, un haubergeon ou un harnois, mais
aussi un bassinet, etc.

l’auberc fausser et desmaillier, fausse et démaille son haubert (3725)

Le verbe percer admet aussi une combinatoire assez large, mais le DMF
lui assigne quand même une acception spécifique au combat : ‘Blesser
en traversant d’un instrument pointu, d’une arme pointue’. Le verbe
desmaillier (‘briser, rompre les mailles’), quant à lui, est le plus spé-
cifique, puisqu’il s’applique toujours sur un type d’haubert (haubers,
broigne, jazeran…) dans la mesure où maille est un méronyme appro-
prié d’haubert, qui est, par définition une ‘tunique de mailles’ :

l’osberc rompu et desmaillé, déchiré et démaillé son haubert (5854)


li hauberc rompent et ils déchirent et démaillent leurs hauberts
desmaillent, (6241)
tout son hauberc li ad rompu il lui a déchiré tout son haubert (7274)
l’osberc li desrot et desmaille lui déchire et lui démaille son haubert
(4752)
l’osberc desront, tout le porfent ; déchira son haubert, le pourfendit (4679)
l’osberc lui desront et desment ; lui déchire son haubert, le mettant hors
d’usage (4845)

23 La broine releverait d’une technique d’armement plus ancienne que le hauberc.


Sa variante de lorica squamata (armure d’écaille) serait plus près de l’arme-
ment contemporain des guerriers thébains que le modèle de cotte de mailles
annulaires auquel ferait référence haubert, qui est typiquement médiéval.

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336  Xavier Blanco

La forme defrise est rare. Nous ne l’avons trouvée que dans le Roman
de Thebes, où, par surcroît, elle n’apparaît qu’une fois (l’osberc li desrot
et defrise : il lui déchire et lui ébrèche son haubert, 4812). Elle pourrait
être mise en rapport avec defroisser.
D’autres opérateurs viendraient compléter la grammaire locale
de auberc, comme le verbe rollez (n’i fut la noet rollez haubers : cette
nuit-là, on ne fourbit pas les hauberts, 5368), de roller ou roler, qui
signifie ‘fourbir’ et est spécifique pour pièces d’armure (GODEFROY :
‘fourbir en parlant de heaumes, de cottes de mailles’). Il présente un
emploi figuré (roler le haubert de qqn) qui signifie ‘charger de coups’
(GODEFROY : A ce cop l’on tant porbatu… / Bien hont son hauberc
roulé, De la dame qui fist battre son mari, ms. Berne 354, f° 79).
Nous avons aussi le verbe s’escondist, peu fréquent, qui signi-
fie ‘résister le coup’ (onc li osbercs ne s’escondist : sans que son hau-
bert pût résister, 5775). Nous trouvons également l’adjectif jazerenc
(d’étymologie problématique, comme le signale le DEAF) dont le sens
correspond à ‘fait de mailles de fer (d’œuvre orientale)’. Il est employé
comme épithète de hauberc (falsa li l’auberc jazerenc : qu’il lui fausse
son haubert d’Alger, 6367), mais peut fonctionner en solitaire comme
substantif.
Des expressions comme ne li valut un meaille ou ne lui valut une
chemise24 accompagnent parfois le vers où l’auteur rend compte de la
rupture du haubert et marquent bien l’importance des dégâts :

l’osberc li desrot et desmaille


ne li valut un meaille, (4751–4752)
l’osberc li desrot et defrise
ne lui valut une chemise (4811–4812)

24 Le manuscrit C comporte la leçon ne li valut unne cerise (4716). Le FEW (s.v.


ceraseum Redewendungen) date cette expression de 1180. Elle ne pouvait donc
pas être la leçon originale si l’on retient comme date de composition du roman
le 1150.

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Sémantique lexicale et combinatoire 337

Notons que le bouclier et le haubert ne partagent qu’un seul opérateur


approprié (enfoundrer), qui se combinait aussi souvent avec heaume,
teste, chief, cf. DMF, troisiesme lui enfondra le heaulme et la teste si
que mort le fist choir a ses piez (LEFÈVRE, R., Hist. Jason P., c.1460,
144) :

boucliers et hauberts furent défoncés (6141)


et escus et osbercs s’enfoundrent 
et que de solides hauberts enfoncés ! (10764)
et enfoundrer tant hauberc fort ! 

La diversité des opérateurs permet des parallélismes syntaxiques  :


l’escu lui pesceie et fent, / l’osberc lui desront et desment (4845).
Nous avons vu aussi que certains des opérateurs appropriés à escu
et à haubers se combinaient avec heaume. La forme heaume présente
beaucoup moins d’occurrences que escu ou que hauberc et sa combina-
toire est assez générale (p. ex. ferir en, 4859), bien qu’elle se combine
avec quelques opérateurs un peu moins fréquents comme terdre ‘asti-
quer’ (ne brant d’acier ne healme ters, 5369). Dans le Roman d’Eneas
nous trouvons aussi les méronymes cercles et nasalz (7241).

5.2. Les coups portés sur une partie du corps

Bien entendu, le coup reçu par le haubert intéresse nécessairement le


torse du chevalier. Mais souvent, un nom spécifique de partie du corps
est précisé. Considérons, d’abord, la tête : teste, chief, cervelle, chiere
(‘visage’), col, front.
Les opérateurs appropriés concernant les coups reçus sur la
tête sont embatre (‘enfoncer’) une arme pour cervele, qui apparaît à
deux reprises, dans des passages du roman fort éloignés, mais dans un
contexte presque identique (précédé de que li trenchanz de l’alemele,
1884 et que le trenchant de l’alemele, 6046) :

li embatist en la cervele s’enfonça dans sa cervelle (1885)


li embatit en la cervele s’enfonça dans sa cervelle (6047)

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338  Xavier Blanco

Quant à chief (‘tête’), ainsi que pour le col, les coups peuvent corres-
pondre à des décapitations (faire voler, trencher). La combinatoire res-
tante est d’ordre général (ferir), en spécifiant parfois que le coup a été
porté en pleine tête. Il serait seulement à remarquer que les chevaux
sont frappés au front (6029, 10999) :

que le chief fait voler del bu qu’il lui fit voler la tête loin du buste
(5807)
qui trenche bu, qui trenche teste, tranchant des bustes, tranchant des têtes
(6084)
plius tost li eust le col trenché il lui trancha le cou plus vite (2539)
ainz le ferit si en la chiere mais le frappe si fort au visage (5960)
par mie le chief donc le feri, il le frappa alors en pleine tête (8817)
et par mi le chief l’en ferist, et le frappa en pleine tête (8840)
en mie le front fiert l’auferant, frappant son coursier en plein front
(6029)
le cheval fiert en mie le front,  mais frappe son cheval au milieu du
front (10999)

Un cas curieux nous est fourni par les vers (6200–6201), où un coup sur
le heaume aurait eu pour effet de raser la barbe et la moustache (gernon)
du chevalier, ainsi que de lui avoir entamé le menton :

ret la barbe et le gernon, il lui rase la barbe et la moustache (6200)


un poi l’entama el melton et lui entaille un peu le menton (6201)

La poitrine (piz, pectrine) est une des parties du corps souvent atteintes
par les coups (fiert, grant cop li done) :

el piz le fiert de l’alemel, il le frappe en pleine poitrine de sa lame


(4668)
si en fiert un par la pectrine, s’il en frappe un à la poitrine (5140)
el piz le ferit tout a plain et le frappe en pleine poitrine (6704)
par mie le piz le naufre a mort il lui transperce la poitrine, le blessant à
mort (11030)
en mie le piz, souz le tetine,  en pleine poitrine, sous la mamelle
(11391)

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Sémantique lexicale et combinatoire 339

Signalons seulement le verbe naufrer (‘blesser’) et le fait que souvent


l’endroit atteint est identifié comme étant la zone qui se trouve souz le
tetine (11391) ou, dans le manuscrit C, souz la mamele, (C_4571 et
C_5555). Ce type de coup est considéré comme étant mortel. Le Roman
d’Eneas présente un contexte illustrateur à cet égard, car la flèche (figu-
rée) d’amour qui blesse Lavine l’aurait fait soz la mamelle (8129), ou
elle reçut le cop mortal (8133).
La forme mamele est pratique à cause de la rime avec selle (dans
les deux cas, le vers suivant est : mort le trebuche de la sele). Le manus-
crit S fait rimer tetine avec sovine (que del cheval mort le sovine, 11392).
D’autres parties du torse mentionnées sont longe (‘échine’), espalle,
essele, flancs, dos ou la destre part, qui fait référence au flanc droit :

si le ferist parmi la longe il frappa si bien le géant dans l’échine


(5128)
que l’espalle li a sevree lui séparant l’épaule du tronc (5783)
de destre le fiert souz l’essele, il le frappe au côté droit, sous l’aisselle
(5800)
li branc d’acier li mysts es flancs et lui enfonça la lame d’acier dans le
flanc (11442)
Ferant, ferant les vont al dos, ils ne cessent de les frapper, de les frap-
per dans le dos (6346)
fiert le devers la destre part il le frappe sur le côté droit (4673)

Quand le corps est mentionné sans spécifier, il s’agit du tronc et l’at-


tention est focalisée sur la pénétration de l’arme. Bien que le Roman
de Thèbes ne comporte pas des hyperboles extrêmes (nous ne trouvons
pas de guerriers capables de trancher le chevalier et le cheval enne-
mis d’un seul coup d’épée, comme dans le roman arthurien en prose,
par exemple), certains coups relèveraient d’une force que l’on pourrait
considérer surhumaine :

qu’il aconseut, par mie le fent. celui qu’il atteint, il le coupe en deux
(6081)
tout le fendi jusqu’a l’arçon. et le coupa en deux jusqu’à l’arçon de sa
selle (11398)

Et, sans pour autant les couper en deux, certains coups peuvent abattre
cheval et chevalier :

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340  Xavier Blanco

sil fiert que lui et son poltrel


abatit tout en un mouncel. (4808–4809)

Finalement, nous avons les coups sur les membres ou leurs parties (mais,
braz, poign, braon, talon). Parfois, on précise que le coup tranche une
jambe à un piéton (6043) :

et nel ferit pas el talon, et ne le frappe pas au talon (5959)


a un autre trencha la main, à un autre coupa la main (6044)
el braz le fiert, del poign l’afole, il le frappe au bras, le mutile au poing
(6296)
El braon le fiert a travers, Il lui transperce la cuisse (7289)
lor fist sempres un eschacier ; il fit aussitôt de l’un d’eux un unijam-
biste (6043)

Nous trouvons une seule mention aux veines et aux nerfs :

les veines li trenche et les ners ; lui tranchant les veines et les nerfs
(7290)

6. La chute

Un moment clé du combat correspond à la chute d’un des combat-


tants (ou des deux). Il peut impliquer la mort (cf. 7). Sa grammaire
locale est, somme toute, assez restreinte, avec une forte récurrence des
structures X (abat, met jus, sovine) Y ; Y (tresbuche, chaït, s’abat) ; X et
Y s’entreabatent :

Yfim abat el champ envers ; faisant tomber Iphis à la renverse (5799)


par la croupe l’abat arriere ; qu’il le renverse sur la croupe du cheval
(5961)
Alon abat par somme la crope,  il renverse Halys par-dessus la croupe
(5962)
abatit tout en un senter.  il les abattit tous deux sur un sentier
(6033)
por poi ne l’abat de la sele.  peu s’en faut qu’il ne le désarçonne
(6197)

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Sémantique lexicale et combinatoire 341

et si l’ad mis del cheval jus ; et l’a jeté à bas de son cheval (7484)
sovent y abat chevalier, souvent il renverse des chevaliers (10789)
que del cheval mort le sovine. de sorte qu’il l’abat de son cheval, mort
(11392)
jus aval les fount tresbucher ;  mais ils les font culbuter tout en bas
(11497)
jusque les tresbuchent a un fés : jusqu’à ce qu’ils les fassent culbuter d’un
seul coup (11507)
molt les abatent molt les grievent les abattant et les écrasant cruellement
(11511)
des chevals s’abatent arriere ils tombent en arrière de leurs chevaux
(6144)
et des chevals s’abatirent et tombèrent de leurs chevaux (6245)
Cil chaït por le cop mortal Atys, frappéde ce coup mortel (6705)
sur l’erbe verte, del cheval tombe du cheval sur l’herbe verte (6706)
la ou chaïst, molt se blesça quand il était tombé, il s’était gravement
blessé (10749)
tant chevalier chaïr de sele, que de chevaliers désarçonnés (10762)
et Dampius tresbuche del cheval et Daphnée tombe de son cheval (5825)
se désarçonnant mutuellement dans le
et gué, qu’est granz, s’entreabatent 
gué, qui était vaste (10786)

En ce qui concerne X abat Y et ses expressions synonymes, la variété est


donnée par le complément adverbial : envers, par la croupe, par somme
la crope, par-dessus la croupe, arriere, de la sele, des chevals. Cette
variété permet au poète de jouer avec des rimes différentes. Pour Y tres-
buche ou chaït, la variété est moindre (del cheval, de sele) mais joue le
même rôle. À titre d’exemple, quelques-unes des rimes de sele (manus-
crit C) sont : praële, novele (2 fois), sorsele (2 fois), mamele (2 fois),
pucele (3 fois), chaele, essele, arondele. Il est significatif que sele appa-
raisse toujours en fin de vers sauf une fois au singulier (C_1238) et une
fois au pluriel (seles) (C_1482). Il s’agit donc d’un élément étroitement
lié à la rime. Par contre, nous trouvons deux occurrences de la variante
selle (C_4635 et C_6335), aucune d’elles en position finale.
La forme sovine (‘jeter à la renverse’) est peu fréquente, mais elle
n’est pas, pour autant, une forme rare. Elle procède de l’adjectif souvin
(‘sur le dos’, de supinus). Elle n’apparaît qu’une fois dans le manus-
crit S du Roman de Thèbes, mais elle apparaît aussi une fois dans le
manuscrit C, rimant avec poitrine (u piz le fiert souz la poitrine / que du

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342  Xavier Blanco

cheval mort le sovine, C_9749-9750), et encore une fois dans le Roman


D’Énéas (BFM : Eneas1, p.39, v. 1254), dans Yvain (BFM : YvainKu,
p 95d, v. 4248) et dans Erec (BFM : ErecKu, p18e, v. 4698), toujours
en fin de vers. Dans ces derniers, elle rime avec raïne (‘reine’), enha-
tine (‘défi’, ‘provocation’) et fine (‘meure’). Le dictionnaire GODE-
FROY donne l’exemple suivant : En mi le pi, sor la poitrine / Que del
ceval mort le souvine (Étéocle et Polin. Ricbel 375 f˚ 66f).
Nous ne trouvons pas, dans Thèbes, une formule qui sera très fré-
quente par la suite dans la littérature arthurique (faire vider les arçons o
lui fait vider la selle). Dans l’Eneas, nous avons mainte selle a delivree :
il a vidé bien des selles, 9542.
Souvent le chevalier tombe mort. Nous traiterons, donc, d’autres
contextes concernant la chute d’un combattant dans l’alinéa consacré à
la mort (cf. 7).

7. La mort

La mort d’un des adversaires est l’issue « canonique » du combat sin-


gulier (même si des culminations distinctes apparaissent). Si le combat-
tant n’est pas d’une relevance toute particulière (ou si l’auteur n’ajoute
pas un pathos spécial à une mort donnée), la référence à la mort peut
être fort laconique et consister en la seule mention de l’adjectif mort en
tant que complément prédicatif d’un verbe désignant la chute du cheval.
C’est le cas, par exemple, des vengeances expéditives, où le chevalier
X vient de tuer le chevalier Y et, immédiatement après, un camarade ou
un parent du chevalier Y tue, à son tour, le chevalier X.
Le schéma de ce type de vers est : mort le tresbuche de (destrier,
sele, arçons, cheval, ferant, falvel). C’est à dire, cheval, ses hyponymes
ou certains méronymes :

mort le tresbuche del destrier : le renverse mort à bas du destrier (3726)
mort le trebuche de la sele. et le renverse, mort, à bas de sa selle (4669)
mort le tresbuche el sablon. et le renverse mort sur le sable (4793)

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Sémantique lexicale et combinatoire 343

mort le tresbuche des arçons, il le renverse mort des arçons de sa selle
(4848)
mort del falvel le tresbucha. il le renversa, mort, de son cheval fauve
(4857)
mort le tresbuche del cheval. qu’il le renversa, mort, de son cheval
(4873)
mort le tresbuche del ferant. il le fait tomber, mort, de son cheval gris
(5777)
mort le tresbuche de la sele. le renversant mort de sa selle (5801)

Quelques variantes contemplent l’expression du point d’arrivée (gra-


vier, champ, terre, jus, chemin) avec une certaine variété de verbes
(tresbucher mais aussi choïr, abatre, acravanter) :

que mort l’ad jus acravanté. qu’elle le renversa mort en bas (11925)
el gravier mort le tresbucha. le renversant mort sur le gravier (4815)
chiet del cheval morz el chemyn. il tomba de cheval, mort, sur le chemin
(5797)
Cil chaït mort sempres a terre : L’autre tomba mort à terre aussitôt (5856)
el champ l’abat del cheval mort. il le jette mort par terre, à bas de son cheval
(6369)

Et nous trouvons encore un exemple avec le verbe craventer ‘renverser,


abattre’ :

que del cheval mort le cravente ; qu’il le fait s’écraser, mort, à bas du cheval
(5810)

Et un cas « manqué » :

por poi ne l’ad mort abatu. peu s’en faut qu’il ne l’ait renversé mort
(5967)

Une autre façon de signifier la mort d’un combattant est d’ajouter un


vers qui fait référence au fait que celui-là «  ne se relèvera jamais  »,
« ne mangera plus de pain », « ne combattra jamais personne », etc.
Ci-dessous, nous groupons les contextes d’après le type d’allusion qui
est faite :

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344  Xavier Blanco

Cil qui illoec chiet n’en releve,  Celui qui tombe là ne s’en relève pas
(1794)
cil qui il fiert pas ne se dresce ; celui qu’il frappe ne se relève pas (5139)
Cil qui chaït ne redresça, Celui qui tomba ne se releva pas (8225)
qui chiet ne poet mais redrecier, celui qui tombe ne peut plus se relever
(11498)
li abatu pas ne relievent. ceux qui sont abattus ne se relèvent pas
(11512)
li abatu pas ne relievent. ceux qu’ils renversent ne se relèvent pas
(6542)
ja ne mangera mais de pain ne mangera plus jamais de pain (2870)
il ne manjast jamais de pan. jamais plus le roi n’aurait mangé de pain
(4765)
cil ne lui ferront mais oi presse, ceux-là ne l’attaqueront plus désormais
(1738)
Ceux ne criendra mes Tydeüs ; Ceux-là, Tydée ne les craindra plus (1743)
que n’i ot puis par lui la longe  qu’il ne querella plus jamais personne
(5129)
Cil ne sent mais freide ne chaut ;  L’autre ne sent plus ni froid ni chaud
(11174)
ne sent mais rien que cil lui face, il ne sent plus rien de ce qu’on lui fait
(11175)
ne li ot puis mestier mecine. il n’a plus besoin de remèdes (5141)
ja ne traisist son pié a sei. jamais plus il n’aurait retrouvé l’usage de
ses membres (10713)
que de lui mais n’est nuls conforz qu’il n’y avait plus rien à faire pour le
réconforter (11182)
de lui est mais fait la guerre. pour lui la guerre est désormais finie
(1887)
Ne poet aveir de mort guarant : Plus de recours contre la mort (5776)

Notons que la bataille présente des moyens spécifiques de présenter la


mort des combattants :

et tant vassal giser envers ! et bien des guerriers gisant sur le dos  !
(4737)
et tant bon chevalier morir. et mourir bien des bons chevaliers (4867)
et tant gesir envers, et voir tant de morts étendus à la renverse
(6496)

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Sémantique lexicale et combinatoire 345

cent en y morrent desconfés.  cent guerriers y trouvent la mort, sans


confession (9036)
La veïssiez gesir es plains Là vous auriez pu voir étendus dans la
plaine (11343)
et maint bon chivaler morir : et mourir maint bon chevalier (11502)
mil en muerent desconfés.  mille en moururent sans confession
(11508)

Parfois, le combattant est présenté gisant mort sur le sol, ce qui intro-
duit un pathos particulier. Il s’agit d’un procédé en général réservé à des
guerriers de renom, comme Tydée25 ou Parthénopée :

En mi le pree Tydeüs geist, Tydée gît au beau milieu du pré (7295)


qui gist envers en mie le pré. qui gisait sur le dos au milieu du pré
(11040)

Dans certains cas, la mort ne s’est pas encore effectivement produite,


mais elle est annoncée comme imminente et inévitable (p. ex. avec la
construction estuet + Vinf ‘il faut’) :

Ne poet aveir de mort guarant Plus de recours contre la mort (5776)


et a morir pas ne demore et ne tarde pas à mourir (6182)
et qu’il ert a mort naufrez, et qu’il était mortellement blessé (11419)
bien sout qu’il fu a mort feruz, sachant bien qu’il l’avait frappé à mort
(11421)
et set bien que l’estoet morir il sait bien qu’il lui faut mourir (11435)
volsist ou noun, l’estuet morir ; qu’il le veuille ou non, il lui faut mourir
(11454)

Une autre possibilité est de présenter l’âme au moment de sortir du


corps :

atant l’alme est del cors eissue  son âme est alors sortie de son corps
(6822)
mainte alme font eissir del cors, faisant sortir plus d’une âme de son corps
(9044)

25 Dont la mort est accompagnée également d’effets de ralentissement : Tydeüs ad


naufré a mort (7286) / […] / il pert le sancs, li cuer li ment (7291) Tydeüs est de
la mort prés, / car tout le sanc voie a eslés ; / il pert la sanc et le colour, / sor
l’erbe muert a grant dolor (7303–7306).

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346  Xavier Blanco

l’alme li ad del corps partie. il lui a séparé l’âme du corps (11388)


illoec morut, l’alme en ala ; puis il est mort là, son âme s’en est allée
(11452)

Ou encore d’avoir recours à certaines comparaisons. Nous avons déjà


signalé que les comparaisons ne sont pas fréquentes dans le Roman de
Thèbes ni dans le roman antique en général. Nous trouvons pourtant des
comparaisons assez stéréotypiques :

reddes est et freis come glace ; il est tout raide, et froid comme la glace
(11176)
et freis plus que neif sur branche. et il est plus froid que neige sur la
branche (11178)

qui développent l’indication de la Thébaïde (frigidus et nuda iaceo tel-


lure, 898) (Petit, 2001 : 496).
Associé à la thématique de la mort, nous trouvons le topos de
la blessure et de l’épanchement du sang. Il ne s’agit pas, à proprement
parler, d’un moment du script du combat singulier, mais il est quanti-
tativement relevant. Le substantif sanc présente une grammaire locale
assez développée avec les structures : li sanc (voie, eist, sailli, courut,
raie, saut, gieta) ; X (se baigne el, pert) sanc ; li sanc ad soillié Y, ainsi
que les déterminants nominaux un (raie, moi) de sanc (‘jet, ‘muid’26) et
certains modifieurs comme l’épithète vermeil.

a grant vertue voie le sanc. le sang coule à grands flots (6626)


car tout le sanc voie a eslés ; car tout son sang jaillit avec force (7304)
par la plaie li sancs lui eist la sang coule de sa plaie (7296)
que li sanc sempres en sailli.27 si for que le sang jaillit aussitôt (8818)
li sancs l’en courut al talon. que le sang lui coula jusqu’aux talons
(8842)
pur retenir le sanc qui raie. pour retenir le sang qui coule (11066)
et le sanc vermeil qui fors raie. et le sang vermeil qui en sort (11424)
li sanc en saut par tiel desrei  le sang jaillit avec une telle violence
(2019)

26 Muid correspond à une ancienne mesure de capacité, mais son emploi ici est
typique des déterminants nominaux intensifs de type ‘unités de mesure’, dont
le sens est ‘une grande quantité de’, p. ex. nous avons une tonne de problèmes.
27 Observons le flottement de la déclinaison (li sancs – li sancs), auquel Queffélec
consacre un intéressant article (2003 : 4).

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Sémantique lexicale et combinatoire 347

el sanc vermeille trestout se baigne ; il baigne tout entier dans son sang ver-
meil (6742)
il pert le sancs, li cuer li ment, Tydée perd son sang, le coeur lui manque
(7291)
il pert la sanc et le colour il perd son sang et ses couleurs (7305)
que tout en ad soillié le rei qu’il a tout souillé le roi (2020)
un raie de sanc en gieta fors. un jet de sang jaillit (3536)
ainz en perdront de sanc un moi. car ils y perdront plutôt un muid de sang
(7552)
De sanc est vermeil la place, L’endroit est rouge de sang (11041)

Nous observons également une occurrence du verbe saigner et deux de


l’adjectif participial sanglant :

que lour bliauz sanglenz en sont. si bien que leurs tuniques en sont ensan-
glantées (2022)
sanglant en fu jusqu’al talon ; me couvrant de sang jusqu’aux talons
(9119)
Cil saigne molt pur le grant chalt : La chaleur intense le fait beaucoup sai-
gner (11063)

8. Conclusion

Nous avons étudié le lexique concernant les combats singuliers dans le


Roman de Thèbes, ainsi que sa combinatoire et certains aspects liés à la
traduction vers le français moderne. Nous avons appliqué deux concepts
linguistiques qui nous ont semblé utiles pour cette étude, à savoir  :
la notion de grammaire locale et la notion d’opérateur approprié. La
première nous a permis de passer en revue les différents moments du
script du combat singulier, la deuxième nous a permis d’en dresser une
sorte de cartographie lexicale.
Nous avons illustré nos observations avec la totalité ou la presque
totalité des exemples que l’on peut trouver dans le Roman de Thèbes
pour chaque fait constaté. La présence d’un tel nombre d’exemples peut
résulter prolixe du point de vue du déroulement de l’exposition, mais

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348  Xavier Blanco

nous pensons que cela a le mérite de permettre une appréciation à la fois


qualitative et quantitative des constatations réalisées.
Nous avons pu constater que le motif du combat singulier pré-
sente une macrostructure (moments du combat) et une microstructure
(combinaisons lexicales appropriées) déterminées où l’auteur puise
pour construire les différents affrontements. Nous pensons que, de cette
analyse, l’on peut tirer la conclusion que le motif étudié dans le roman
antique comporte une haute récurrence mais une basse répétition, alors
qu’il semblerait que la chanson de geste a recours de façon beaucoup
plus marquée à la répétition de segments. Dans le Roman de Thèbes,
les itérations ne concernent pas tant le lexique, comme le prétend
Aragón Fernández (1976  : 70) (qui, cependant, cite dans son article
trois vers de ce roman antique contenant jusqu’à cinq verbes différents
seulement pour le sens ‘briser, démailler’ un hauberc), mais les combi-
naisons syntactico-sémantiques de prédicats appropriés appliqués sur
leur domaine d’arguments.
Bien entendu, nos analyses n’épuisent ni le rôle ni la signification
du combat singulier dans le Roman de Thèbes. Nous n’avons pas pris
en considération plusieurs aspects importants, dont le caractère cour-
tois des combats, qui se déroulent souvent sous les yeux des dames et
en arborant leurs signes distinctifs, et qui comportent des traits d’un
certain fair play contrastant avec la férocité de certaines chansons de
geste. Ainsi, par exemple, on essaie d’épargner le chevalier « nu » ou le
chevalier jugé trop inexpérimenté. Et Polynice va jusqu’à épargner un
ennemi au nom de l’amour que celui-ci portait à sa sœur et à descendre
du cheval pour assister son frère blessé, geste qu’il payera de sa vie.
Nous n’avons pas, non plus, fait référence aux fameuses répéti-
tions transposées (sous forme de croisements, alternances, chiasmes,
embrassement, anadiploses…) employées davantage dans le Roman de
Thèbes que dans n’importe quel autre ouvrage qui nous soit parvenu et
qui, d’après Warren (1905 : 16), auraient fait fortune au moins jusqu’à
l’arrivée de Chrétien de Troyes, qui ne s’en sert plus que de façon
sporadique. Elles ont été étudiées en détail par A. Petit (1985 : 676 et
sq.) entre autres et, bien qu’elles aient une réalisation lexicale, elles
concernent en réalité davantage la syntaxe que le lexique du roman.

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Sémantique lexicale et combinatoire 349

De la même façon, nous avons passé sous silence les rapports


entre les combats et les strophes qui les contiennent et qui les déve-
loppent, par exemple, le rapport entre les quatrains bien découpés et la
présentation des combattants argiens avant la campagne contre Thèbes
ou encore les huitains employés pour présenter les chefs aux portes de
Thèbes (Micha, 1970 : 157).
Les questions de morphologie ont été aussi reléguées à un deu-
xième plan et nous avons renoncé à traiter certaines questions, comme
l’utilisation des temps verbaux dans les différents moments du combat
(en particulier du présent qui semble marquer les « gros plans » avec
une technique presque cinématographique).
Notre étude était avant tout linguistique, ainsi avons-nous éga-
lement renoncé presque entièrement à tout débat concernant la plau-
sibilité des combats. Or l’auteur du Roman de Thèbes se révèle être
un vrai connaisseur dans le domaine des combats et, en général, de la
poliorcétique médiévale28, par exemple en matière de guerre de siège,
aspect que nous ne trouvons pas chez Stace (Mora, 2003 : 45). Il s’auto-
rise également certaines précisions techniques où il révèle sa familiarité
avec les équipements de son temps, entre autres, quand il procède à
la description des destriers (C_6245-6257). La technique militaire qui
sous-tend le Roman de Thèbes est celle de la Première Croisade. Et
cependant, faut-il rappeler que le récit d’un combat est bel et bien un
récit et non pas un combat ? Par conséquent, l’auteur est plus redevable
de la tradition poétique que de la technique militaire. On pourra consul-
ter pour ces questions, et bon nombre d’autres, l’excellent ouvrage de
synthèse d’A. Petit (2010).
Bref, nous avons essayé, dans cette étude, de revisiter la question
du cliché formulaire et ses conditions d’existence ou de transformation
dans le premier roman antique et nous avons essayé de montrer que le
cliché dans le Roman de Thèbes ne prend plus appui uniquement sur
des unités lexicales concrètes et leur agencement, mais sur l’apparition
de certains schémas d’arguments paraphrastiques. La récurrence stric-
tement lexicale peut être, donc, limitée tout en conservant pourtant le

28 Par rapport au reflet de la guerre médiévale dans le roman antique et les ana-
chronismes que cela implique, on pourra consulter avec grand profit l’ouvrage
d’A. Petit (2002: 85 et sq.).

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350  Xavier Blanco

recours au cliché. Cela permet à l’auteur de notre roman de se servir


de certains mots peu fréquents, voire rares, sans que pour autant le
motif soit moins reconnaissable. Il semble suivre, en cela, l’indication
de Geoffroi de Vinsauf dans sa Poetria Nova (Faral, 1965: 205), avec
laquelle nous terminons cet article :

[…] sententia cum sit


Unica, non uno veniat contenta paratu,
Sed variet vestes et mutatoria sumat ;
Sub verbis aliis praesumpta resume ; repone
Pluribus in clausis unum ; multiplice forma
Dissimuletur idem ; varius sis et tamen idem (220–225)

Bibliographie

Nous distinguerons ici entre les éditions et traductions du Roman de


Thèbes et certains ouvrages étroitement liés à celui-ci (1), les diction-
naires et bases textuelles consultés (2) et, finalement, les études (3) que
nous avons citées. Cette bibliographie contient exclusivement les docu-
ments que nous avons consultés et cités dans le corps du travail.

1. Éditions et traductions

Cligès, par Chrétien de Troyes. Édition et traduction de Charles Méal et


Olivier Collet, Paris : Le Livre de Poche, coll. Lettres gothiques,
1994.
La Chanson de Roland, Édition et traduction de Ian Short, Paris : Le
Livre de Poche, coll. Lettres gothiques, 1990.
Le Roman d’Éneas, Édition critique d’après le manuscrit B.N. fr. 60,
traduction, présentation et notes d’Aimé Petit, Paris : Le Livre de
Poche, coll. Lettres gothiques, 1997.
Le Roman de Thèbes, Édition du manuscrit A (BNF, fr. 375, fol. 36r-
67v) par Luca di Sabatino (Textes littéraires du Moyen Âge 42,
Translations romanes, 2), Paris : Classiques Garnier.

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Sémantique lexicale et combinatoire 351

Le Roman de Thèbes, Édition du manuscrit C (Paris, BNF, fr. 784, fol.


1–67a, 10562 v.), traduction, présentation et notes par Aimé Petit,
Paris : Champion, coll. Champion Classiques, 2008.
Le Roman de Thèbes, Édition du manuscrit C (Paris, BNF, fr. 784, fol.
1–67a, 10562 v.), par Guy Raynaud de Lage, 2 vol., Paris : Cham-
pion, 1966 et 1968.
Le Roman de Thèbes, Édition du manuscrit S (Londres, Brit. Lib., Add.
34114), traduction, présentation et notes par Francine Mora-
Lebrun, Paris : Le Livre de Poche, coll. Lettres gothiques, 1995.
Le Roman de Thèbes, publié d’après tous les manuscrits par Léopold
Constans, Paris : Firmin Didot, SATF, 1890, 2 vol.
Le roman de Troie, par Benoît de Sainte-Maure publié d’après tous les
manuscrits connus par Léopold Constans, Paris : Firmin Didot
pour la Société des anciens textes français, 6 t., 1904–1912.
Le roman de Troie, par Benoît de Sainte-Maure, édité, présenté et tra-
duits, par Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard, Paris :
Le Livre de Poche, coll. Lettres gothiques, 1998.
Libro de Tebas, Introducción y traducción de Paloma Gracia, Madrid :
Gredos, 1997.
Thébaïde Stace., texte établi et traduit par Roger Lesueur, Paris : Les
Belles Lettres, Livres I-IV, 1990 ; Livres V–VIII, 1991 ; Livres
IX–XII, 1994.

2. Dictionnaires et bases textuelles

BFM2016 : Base de français médiéval 2016, École Normale Supérieure


de Lyon <http://txm.bfm-corpus.org>.
DEAFél : Dictionnaire étymologique de l’ancien français (DEAF). Ver-
sion électronique. Heidelberger Akademie der Wissenschaften.
Romanisches Seminar der Universität Heidelberg <http://deaf-
server.adw.uni-heidelberg.de>.
DMF  : Dictionnaire du Moyen Français (1330–1550), Laboratoire
ATILF, Université de Lorraine <www.atilf.fr/dmf>.
FEW : Französisches Etymologisches Wörterbuch de Walther von Wart-
burg <https://apps.atilf.fr/lecteurFEW>.

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352  Xavier Blanco

GODEFROY : Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous


ses dialectes du IXe au XVe siècle, par Frédéric Godefroy (1881).
T.-L.  : Tobler, A. et Lommatzsch, E. Altfranzösisches Wörterbuch.
Tobler-Lommatzsch. Édition électronique conçue et réalisée par
Peter Blumenthal et Achim Stein, Stuttgart : F. Steiner, 1925–1995.
TLFi : Trésor de la langue Française informatisé, ATILF – CNRS &
Université de Lorraine <http://www.atilf.fr/TLFi>.

3. Études

Aragón Fernández, María Aurora 1976. « Campos semánticos y


recurrencia lexical en la narrativa francesa del siglo XII »,
Medioevo romanzo, 3, 66–84.
Donovan, Lewis Gary 1975. Recherches sur Le roman de Thèbes, Paris :
Société d’édition d’enseignement supérieur.
Faral, Edmond 1913. Recherches sur les sources latines des contes et
romans courtois du Moyen Âge, Paris : Champion.
Faral, Edmond 1962. Les Arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècles,
Paris : Champion.
Gross, Gaston 2012. Manuel d’analyse linguistique. Approche sémanti-
co-syntaxique du lexique, Presses universitaires du Septentrion :
Villeneuve-d’Ascq.
Gross, Maurice 1995. « Une grammaire locale de l’expression des sen-
timents », Langue française, 105, 70–87.
Heintze, Michael 1988. « La réception des plus anciens troubadours
dans le Roman de Thèbes », Cahiers d’histoire des littératures
romanes, 12 : 1–2, 226–241.
Kleiber, Georges 1990. La sémantique du protoype, Paris : PUF.
Micha, Alexandre 1970. « Couleur épique dans le Roman de Thèbes »,
Romania, 91, 145–160.
Moignet, Gérard 2003. «  Les combats dans le Roman de Thèbes  : le
clerc et les chevaliers », Information Littéraire, 55, nº 1, 42–52.
Mora, Francine 2003. « Les combats dans le Roman de Thèbes : le clerc
et les chevaliers », L’information littéraire 2003/1, 55, 42–52.
Nezirović, Hamo 1973. «  Quelques écarts de civilisation entre deux
manuscrits du Roman de Thèbes », Romania, 94, 210–221.

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Sémantique lexicale et combinatoire 353

Nezirović, Muhamed 1980. Le vocabulaire dans deux versions du


Roman de Thèbes, Clermont-Ferrand  : Association des publi-
cations de la Facultés des Lettres et Sciences Humaines de
Clermont-Ferrand (Nouvelle série, fascicule 8).
Petit, Aimé 1979. «  La répétition par inversion dans le Roman de
Thèbes », Romania, 100, 433–460.
Petit, Aimé 1985. Naissances du roman. Les techniques littéraires
dans les romans antiques du XIIe siècle, 2 t., Paris : Champion /
Genève : Slatkine.
Petit, Aimé 2001. « Les chefs-d’oeuvre à l’épreuve de la traduction : le
Roman de Thèbes et le Roman d’Énéas », Le Moyen Âge, 107,
481–502.
Petit, Aimé 2002. L’anachronisme dans les romans antiques du XIIe
siècle  : le Roman de Thèbes, le Roman d’Enéas, le Roman de
Troie, le Roman d’Alexandre, Paris : Champion (Nouvelle biblio-
thèque du Moyen Âge, 65).
Petit, Aimé 2010. Aux origines du roman : Le roman de Thèbes, Paris :
Champion (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, 93).
Polguère, Alain 2011. «  Classification sémantique des lexies fondées
sur le paraphrasage  », Cahiers de lexicologie 98, Paris  : Clas-
siques Garnier, 197–211.
Queffelec, Ambroise 2003. « Flottement et effacement de la déclinaison
en ancien français. Le cas du Roman de Thèbes », Information
Grammaticale, 96, 3–6.
Rychner, Jean 1955. La chanson de geste. Essai sur l’art épique des
jongleurs, Paris : Droz/Giard.
Shank, Rogert/ Abelson, Robert 1977. Scripts, Plans, Goals and
Understanding, NJ : L. Erlbaum.
Silberztein Max 2015. La formalisation des langues  : l’approche de
NooJ, London : ISTE.
Simó, Meritxell 2011. « La narrativa cavalleresca als segles XII i XIII »
in Cerdà, J. (coord.), Literatura europea dels orígens. Introducció
a la literatura romànica medieval, Barcelona : UOC.
Warren, Frederick Morris 1905. « Some features of style in early french
narrative poetry (1150–70) », Modern Philology, 3 : 2, 179–209.

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Yauheniya Yakubovich

De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire : les


anomalies linguistiques dans les textes poétiques1

1. Introduction

La poésie a toujours été un enfant terrible au sein de l’univers textuel


du bon usage. Depuis les poèmes épiques de l’Antiquité et le Moyen
Âge jusqu’aux palimpsestes postmodernistes, une organisation ryth-
mique, métrique, syntaxique particulière, différents procédés servant
d’ornements et destinés à suggérer une émotion, rendent le langage de
la poésie anormal, ou plus précisément appartenant à une autre réalité
textuelle où la norme existe pour la surmonter.
La force d’évocation et la forme soignée, propres aux textes
poétiques, se laissent analyser moyennant les termes de la stylistique et
de la rhétorique. En même temps, comme l’expressivité poétique réside
dans la langue et la langue seule, tous les effets stylistiques, à leur tour,
se basent sur des mécanismes linguistiques très concrets (voir, par
exemple, Jakobson 1977). Ainsi, la mélodie du poème et sa suggestivité
(rimes, assonances, allitérations, entre autres choses) s’appuient
sur les lois de la phonétique et l’orthoépie, mais l’indicible que la
poésie cherche à exprimer se transmet à l’aide de moyens sémantico-
syntaxiques.
Le mécanisme probablement le plus universel qui sert de base
à plusieurs effets stylistiques c’est la rupture de restriction sémantique
que Todorov (1966) appelle anomalie sémantique (ou combinatoire) et
qui consiste dans la violation des restrictions sélectives des lexèmes

1 Cette recherche a été financée par le  Ministerio de Economía y Competitivi-


dad espagnol dans le cadre du projet R&D FFI2013-44185-P Jerarquía de eti-
quetas semánticas (español-francés) para los géneros próximos de la definición
lexicográfica.

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356  Yauheniya Yakubovich

ou la destruction de la structure syntaxique. Chez Todorov, il s’agit


principalement des cas où, par exemple, la restriction d’un verbe ne lui
permet de s’associer qu’avec des adverbes à trait sémantique concret,
mais le poète force la combinatoire du verbe et lui adjoint des adverbes
ayant une étiquette sémantique inappropriée, comme dans le célèbre
quatrain de Rimbaud « L’étoile a pleuré rose… » (1871).
Pris dans un sens plus large, le terme d’anomalie linguistique
peut englober toute sorte d’usages non normatifs, fondés sur la rupture
de la contrainte sélective, et se produit aussi bien au niveau du syntagme
(destruction de la combinatoire d’une séquence libre ou défigement
d’un phrasème) qu’au niveau du mot (modifications morphologiques à
l’intérieur d’un lexème).
Stylistiquement marquées (puisqu’anomales par rapport à
l’usage standard), ces anomalies se montrent extrêmement expressives,
en particulier, grâce à leur capacité d’entrechoquer et souder des signi-
fiés lexicaux et engendrer ainsi des sémantismes très denses dans un
espace très concis.
Dans cet article, nous analysons en détail quelques types d’ano-
malies qui donnent lieu aux réorganisations syntaxiques et séman-
tiques et qui provoquent un effet marqué, inaliénable de la poésie. Étant
convaincue que la perspective plurilingue permettra d’universaliser
nos conclusions, nous proposons une étude prenant appui sur quelques
textes poétiques de notre corpus romanoslave.

2. L’antinormalité des textes littéraires : quelques


idées de base

2.1. La linguistique de la poésie chez Jakobson

L’importance d’un texte poétique comme condensateur des régularités,


des irrégularités et, en général, de tout le potentiel mutable d’une langue
a été mise en relief dans les travaux de Jakobson. Ses essais et articles
présentent une vision globalisante d’un texte poétique qui comprend,

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 357

en plein accord avec la méthode structuraliste, une analyse minutieuse


de toutes les couches (phonique, syntaxique, lexicale, sémiologique,
métrique et d’autres encore) de la toile linguistique d’un poème (voire,
par exemple, « Les Chats » de Charles Baudelaire, 1977) et permet de
voir comment la beauté abstraite de la poésie se matérialise en combi-
naisons des signes linguistiques.
Les ouvrages de Jakobson, considérés comme patrimoine de la
science linguistique, sont largement exploités par les chercheurs en
études littéraires, et c’est d’autant plus naturel car Jakobson lui-même,
contrairement à la tendance actuelle, n’a jamais tracé une frontière
tangible entre la linguistique et les études littéraires puisque, pour une
appréhension exhaustive des choses, l’analyse littéraire inclut toujours
une analyse linguistique et, à l’inverse, la deuxième ne peut pas se passer
de la première. Et comme la poésie est la plus condensée de toutes
les formes littéraires, il n’est point surprenant que le grand linguiste et
philologue mette en valeur la poétique parmi d’autres domaines de la
langue et lui attribue la première place parmi les études littéraires (cf.
Jakobson 1963 : 210).
Les spécificités de l’usage poétique sont décrites, entre autres,
dans son essai Poésie de la grammaire et grammaire de la poésie
(1977). Jakobson y évoque le terme de fiction linguistique, désignant
des concepts grammaticaux, ou significations formelles (dénomina-
tion de Fortunatov), ou même encore plus précisément des potentialités
grammaticales permettant diverses actualisations des mêmes concepts
cognitifs et se réalisant en toute plénitude dans le langage poétique. Le
savant cite à ce propos des lignes de Maïakovski И жизнь/ хороша,//
И жить/ хорошо (Et la vie est bonne, et il est bon de vivre, traduction
de Jakobson), où le même message est exprimé dans deux tournures
syntaxiques différentes : dans la première, c’est l’adjectif en fonction
du prédicat qui est accentué, et dans la deuxième, le prédicat à l’infinitif
sans sujet réel met en relief le procès.
C’est donc dans la grammaire, dans ses ressources morpholo-
giques et syntaxiques, et non seulement dans l’opulence des épithètes

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358  Yauheniya Yakubovich

et des métaphores2 que la poésie puise sa force expressive et ses valeurs


artistiques :

Les manuels croient à l’existence de poèmes dépourvus d’images, mais en fait


la pauvreté en tropes lexicaux est contrebalancée par de somptueux tropes et
figures grammaticaux. Les ressources poétiques dissimulées dans la structure
morphologique et syntaxique du langage, bref la poésie de la grammaire, et son
produit littéraire, la grammaire de la poésie, ont été rarement reconnues par les
critiques, et presque totalement négligés par les linguistes  ; en revanche, les
écrivains créateurs ont souvent su en tirer un magistral parti (Jakobson 1963 :
244).

Jakobson ne se focalise pas sur les usages anomaux, agrammaticaux


provenant des textes poétiques, mais il évoque, parmi les premiers, les
fondements purement linguistiques, et même plus exactement, gram-
maticaux de la poésie.
Et quand il affirme, en parlant de la rime, que celle-là peut être
soit grammaticale soit anti-grammaticale, mais jamais a-grammaticale
(cf. Jakobson 1977  : 101), cette observation peut concerner, d’après
nous, non seulement la rime, mais tout phénomène de nature lin-
guistique à l’intérieur d’un poème. En effet, la violation des normes
sémantico-syntaxiques, qui est l’objet de notre article, fait preuve du
dépassement conscient et intentionnel de la grammaire3, tout à fait
congruent à l’univers autonome d’un texte poétique, et non de la négli-
gence ou, encore moins, de l’ignorance du standard grammatical. Le
préfixe anti- est donc, probablement, plus pertinent dans ce cas que le
a- neutralisant. L’on se permet, par conséquent, de se servir quelque-
fois des termes antigrammatical ou antinormal (à côté des traditionnels
anomal, agrammatical) en se référant aux emplois linguistiques contre-
disant consciemment le bon usage.
Quant au côté sémantique de la poésie, Jakobson prête attention
à « la forme intérieure des mots », ou la « charge sémantique de leurs

2 La métaphore, cependant, est aussi résultat des procédés grammaticaux ou,


plutôt, antigrammaticaux : voire le sous-chapitre 2.3.
3 Tout en tenant compte de la distinction que l’on fait entre la sémantique et la
grammaire, et donc entre le sens lexical et le signifié grammatical, nous utili-
sons ici le terme grammaire comme le synonyme de la norme linguistique ou le
système régularisateur de toutes les strates de la langue.

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 359

constituants », qui « retrouve sa pertinence » dans la poésie, en rappelant


à ce propos le titre de Claudel Dialogue de l’éventail et du paravent, ou
le raccourci de Villon La reine Blanche comme lis… (Jakobson 1963 :
247). Autrement dit, Jakobson ébauche le problème de l’ambigüité
lexicale, ou du dédoublement de sens comme un des attributs principaux
de l’expression poétique, ce qui a été confirmé par de nombreuses
études sur les jeux de mots dans les textes littéraires.
En fait, la séparation de la sémantique et de la grammaire est
artificielle quand l’on analyse un énoncé dans sa totalité : l’ambigüité
lexicale, par exemple, se base sur l’actualisation d’un sens inapproprié
au moule syntaxique impliqué, et la rupture de la combinatoire, dont il
sera question par la suite, attache fortement la syntaxe à la sémantique
lexicale.

2.2. Anomalie sémantique chez Todorov

Les textes poétiques, comme tous les textes en général, sont construits
selon les normes grammaticales et pragmatiques d’une langue. Le
caractère unique d’un texte poétique ne consiste pas dans la violation
totale des règles linguistiques mais dans la possibilité d’en contourner
ou d’en rompre quelques-unes pour atteindre un effet marqué contri-
buant à l’expressivité, à la suggestivité et à la densité sémantique d’un
poème. La flexibilité du langage poétique par rapport à la norme lin-
guistique n’est pas un but en soi (sauf quelques exceptions, pourtant
très importantes) mais le moyen et la principale condition de la créati-
vité textuelle artistique.
Le terme d’anomalie linguistique, proposé par Todorov (1966),
décrit ce trait du langage poétique (et plus largement, littéraire) qui
réside dans la potentialité de la poésie de se libérer des contraintes du
bon usage. C’est pour cette raison que la norme langagière, d’après
Todorov (1966 : 123), est difficilement acquise comme résultat de la
lecture de grands écrivains, sans compter les cas où il s’agit des poètes
devenus classiques dont le style, avant ressenti comme non commun,
s’est transformé, au cours de l’évolution de la langue, en normatif et
élégant.

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360  Yauheniya Yakubovich

De simples agrammaticalités, commises involontairement, par


exemple, dans le processus d’apprentissage d’une langue étrangère (e.g.
Vous faire moi rigoler, cité chez Todorov 1966), sont de tout autre nature,
comme le sont aussi des phrases, agrammaticales du point de vue de la
combinatoire ou la restriction sélective, comme La table respecte la tra-
dition, qualifiées comme sémantiquement anomales également par les
linguistes générativistes (cf. Nkollo 2001). Quoiqu’anomales, ce genre
d’expressions ne sont ni fonctionnelles ni volontaires par contraste avec
les anomalies dans la poésie, où leur utilisation est intentionnelle et où
elles accomplissent une fonction stylistique particulière.
Todorov (1966) parle des anomalies sémantiques (ou combina-
toires), logiques (tautologies, contradictions, paradoxes) et référentielles
(ou anthropologiques, quand la chose traitée est étrange, improbable,
absurde). Les frontières entre les unes et les autres ne sont pas toujours
facilement distinguées. À titre d’exemple, dans ce fragment de Lorca :

En Viena hay cuatro espejos 


donde juegan tu boca y los ecos. 
Hay una muerte para piano 
que pinta de azul a los muchachos. 
(Pequeño vals vienés ; García Lorca, 2011)

la phrase Hay una muerte para piano que pinta de azul a los muchachos
{Il y a une mort pour piano qui peint les garçons en bleu} suggère
une image bizarre, absurde mais pas totalement incorrecte du point de
vue strictement linguistique sauf la combinaison piano que pinta où la
norme de sélectivité n’est pas respectée ; on peut donc rapporter cette
phrase aussi bien aux anomalies anthropologiques que sémantiques.
Cependant, nous allons nous arrêter particulièrement sur les
anomalies sémantiques, ou combinatoires, qui portent sur les relations
sémantico-syntaxiques, plus précisément, sur la combinatoire et les
règles de sélectivité des lexèmes et, si on adopte une perspective plus
large, des morphèmes.
À part du cas classique de la rupture de restriction sémantique
(comme dans l’exemple de Lorca et de Rimbaud, cités auparavant),
on devrait signaler les occurrences assez fréquentes dans la poésie de
rupture de la combinatoire à l’intérieur d’un phrasème qui détruit le

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 361

figement et produit ainsi l’effet de défigement, comme dans cet extrait


en français :

Au péril de mon cœur, la malheureuse écorne


Le pacte conjugal et me le déprécie,
Que je ne sache plus où donner de la corne
Semble bien être le cadet de ses soucis
(Le cocu ; Brassens in Bonnafé (réd.), 1963)

où la combinatoire interne de la locution ne plus savoir où donner de la


tête est violée par le remplacement de la composante nominale par son
méronyme. Cette transformation donne lieu à un effet comique marqué,
précise le sens primaire du phrasème et, en plus, l’adapte au contexte
de la chanson.
Les anomalies interviennent aussi au niveau du lexème en brisant
les combinatoires morphologiques. Du côté stylistique, ce sont bien
les cas de certains jeux de mots unilexicaux, comme la dérivation par
analogie невыгаўкны {inaboyable*} au lieu du normatif невымоўны
{indicible} chez la poétesse bélarusse Koudasava (2016). Le suffixe
négatif s’y associe avec la racine inappropriée, mais l’effet est encore
plus accentué par l’impossibilité de l’adjectivalisation du verbe déjà
peu acceptable выгаўкнуць {≈ prononcer en aboyant}. On ne peut pas
sous-estimer la charge sémantique considérable que cette anomalie
apporte sans augmenter le volume du texte.

2.3. La métaphore comme un cas d’usage irrégulier

Les métaphores, devenues un truisme de tout texte littéraire et déjà


assez bien étudiées par les linguistes, restent néanmoins l’un des procé-
dés les plus courants et les plus efficaces de la poétique. Comme on le
sait, la métaphore n’appartient pas uniquement au langage littéraire : les
métaphores terminologiques font partie inhérente des textes spécialisés
tandis que notre langage quotidien est plein de métaphores clichéisées,
pétrifiées par l’usage au cours des siècles ou décennies.
Cependant, à ses origines, une métaphore est en fait une dévia-
tion des règles de la langue qui marquent l’usage normatif. Comme
l’affirme Moeschler (1991 : 52), l’analyse sémantique de la métaphore

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362  Yauheniya Yakubovich

envisage « l’usage du langage dans les métaphores et les tropes comme


un usage marqué, violant des règles sémantiques et syntaxiques  ». Il
s’agit, entre autres, de la violation des règles de restriction sélection-
nelle dont la métaphore est l’un des effets stylistiques possibles.
Si on prend deux exemples, analysés par Moeschler (1991),
Sophie est un glaçon et D’incolores idées vertes dorment furieusement,
cette paire de phrases suffit pour illustrer la violation des règles de res-
triction sélectionnelle mais à un niveau différent d’interprétabilité et de
défectuosité : le premier énoncé est plus interprétable et moins défec-
tueux que le deuxième (cf. Moeschler 1991  : 54–55). Dans le conti-
nuum entre la normativité et l’anormalité, la métaphore se situe au point
où l’interprétabilité est possible et la défectuosité n’est pas complète.
Ainsi, le premier exemple est une métaphore, puisqu’interprétable, et
dans le deuxième cas, il s’agit d’un énoncé anomal tout court.
On peut donc conclure (et cette conclusion sera le point essentiel
de notre analyse des anomalies linguistiques) que dans la fabrication des
métaphores, la violation des règles doit être non seulement intentionnelle,
mais aussi avoir une fonction de création d’un sens et, par conséquent,
porter une charge sémantique interprétable. Les cas contraires, i.e. non
interprétables, sont évidemment présents dans la poésie : rappelons des
expérimentations dadaïstes, surréalistes, oulipistes et d’autres, rompant
les clichés langagiers et ayant des buts purement ludiques (comme, par
exemple, À cœur payant un rien vaut cible, extrait de Rrose Sélavy de
Desnos, 1953) ou bien les jeux de sons des poètes comme l’auteur russe
Khlebnikov et sa langue par-dessus-de-la-raison (заумный язык, cf.
Шкловский, 1919). Pourtant, ces derniers se laisseraient également
interpréter si on les étudie selon la logique et dans le contexte expérimen-
tateur desdits mouvements artistiques.
Néanmoins, un texte poétique typique exploite des métaphores
s’appuyant sur les antinormalités interprétables. Revenons à la strophe
rimbaldienne déjà citée :

L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,


L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.
(« L’étoile a pleuré rose » ; Rimbaud, 2010)

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 363

Dans l’usage standard, la combinaison des verbes pleurer, rouler, perler


et saigner n’admettent pas l’association avec des lexèmes ayant l’éti-
quette sémantique [couleur]. Cependant, dans le poème, cette com-
binaison sert à construire un sens, une métaphore «  synesthétique  »,
indispensable pour comprendre le texte et, en général, l’univers du
Rimbaud « voyant ».
Il est à rappeler que la métaphore permet d’exprimer plus en
disant moins, i.e. d’être plus précis et d’apporter plus de nuances de sens
dans un espace textuel réduit que l’énoncé non métaphorique et norma-
tif. Selon Moeschler (1991 : 63), l’énoncé Tu es sale et répugnant est
moins nuancé sémantiquement que Tu es un porcelet. L’accumulation
de nuances et de connotations contribue ou même directement forme
l’expressivité d’un texte. C’est pour cette raison que la métaphore est
surtout fonctionnelle et pragmatiquement justifiée dans la poésie qui se
caractérise par la concision et la densité sémantique et dont l’expressi-
vité est une condition capitale.
Pour le confirmer, prenons un exemple du moderniste russe
Maïakovski :

И небу − стихши − ясно стало :


туда, где моря блещет блюдо,
сырой погонщик гнал устало
Невы двугорбого верблюда.
(Кое-что про Петербург ; Маяковский, 1955)
{litt. Et au ciel − calmé − il est devenu clair :
là-bas, où brille
l’assiette de la mer,
un humide chamelier fatigué dirigeait
le chameau qu’est la Néva}

La combinaison блюдо моря {assiette de la mer} est non normative du


point de vue de la combinatoire standard des deux lexèmes participants.
Il s’agit d’une métaphore poétique qui transmet de manière très exacte
ce que l’œil humain voit quand on est en train de regarder la surface de
la mer limitée par la ligne de l’horizon : la mer semble ronde et bril-
lante comme une assiette. Il va sans dire que, en détruisant la combina-
toire, le poète crée un sémantisme difficile à exprimer autrement : une

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364  Yauheniya Yakubovich

périphrase ou une simple comparaison, qui pourrait véhiculer un sens


pareil, étendrait le texte et romprait le rythme.
Nkollo (2001 : 89) attire l’attention sur le fait que la métaphore
s’appuie sur le remplacement sémique, i.e. la substitution, « à un des
sèmes du mot précédent, d’un autre sème, le reste demeurant intact ».
Et ainsi, moins de sèmes ont en commun les lexèmes qui se remplacent,
plus anomal sera l’effet. Dans la célèbre citation française, aussi de
motif « maritime », Ce toit tranquille où picoraient des focs (Le cime-
tière marin  ; Valéry in Décaudin (réd.), 1983), le mot focs remplace
l’attendu oiseaux pour mettre en relation la surface de la mer où se
balancent les focs et le toit où picorent les oiseaux. Si les lexèmes pico-
rer (dans l’acception ‘prendre avec le bec, à petits coups’) et oiseaux
ont quelques sèmes en commun, focs et picorer n’en ont aucun, d’au-
tant plus que l’attente est trompée et l’effet stylistique est remarquable.
Il est, pourtant, important, pour nous, de ne pas confondre
deux types de métaphores : 1) la métaphore banalisée, ayant à ses ori-
gines une déviation sélectionnelle mais qui est déjà devenue un fait
de la diachronie de la langue et 2) la métaphore synchronique dont la
non-normativité de la sélection est encore fraîche et pas assimilée par
les experts ni locuteurs. Dans le premier cas, le sens métaphorique du
lexème-base fait partie du bagage culturel des locuteurs et est attesté
dans les dictionnaires (comme celui de glaçon, par exemple) ; dans le
deuxième cas, la combinatoire des lexèmes en question reste marquée
et qualifiée en tant que non régulière, puisqu’un possible sens métapho-
rique n’est pas encore ancré dans l’usage, comme dans pleurer rose. Ce
sont bien ces derniers cas qui nous inspirent dans notre étude.

3. Anomalie au niveau du lexème

Nous insistons sur le fait que les anomalies linguistiques au service de


la poésie possèdent au moins trois traits incontournables  : elles sont
intentionnelles, fonctionnelles et sémantiquement chargées. Rapelons
aussi que, dans cet article, nous observons des anomalies sémantiques,

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 365

ou combinatoires, à savoir, des usages antinormaux consistant dans la


rupture de la contrainte sélective.
Les anomalies combinatoires à l’échelle minimale, i.e. d’un
lexème, renvoient au phénomène des jeux de mots unilexicaux, quoique
pas tous les jeux de mots puissent être considérés comme des cas d’ano-
malies combinatoires. Ainsi, un des exemples cités par Guiraud dans
son ouvrage Jeux de mots (1979), Quand mon vers est plein/ Je le vide/
Quand mon verre est vide/ Je le plains (Ponchon) est un cas très clair
de jeu de mots d’ordre lexémique, mais l’astuce linguistique réside ici
dans la ressemblance phonique de deux paires de lexèmes (plein/vide v.,
plains/vide adj.) et il ne s’agit donc pas d’une anomalie combinatoire.
La typologie des jeux de mots unilexicaux est, en général, assez
ramifiée et inclut un grand nombre de transformations orthographiques
et morphologiques, comme les dérivations régulières, modifications
de la combinatoire phonématique ou morphématique, compositions,
etc. (cf. Ben Amor 2007). Les transformations unilexicales qui cor-
respondent à notre définition de l’anomalie présentent des déviations
morphologiques s’effectuant par l’addition des affixes plus ou moins
réguliers à des racines inappropriées, c’est-à-dire, on a affaire à une
combinatoire morphologique violée. Cette déviation peut être « aggra-
vée » par la composition avec d’autres racines ou affixes ou par la déri-
vation adjectivale ou autre.
Les cas les plus « purs », i.e. sans d’autres contaminations mor-
phologiques, de la violation de la combinatoire sont détectés dans la
poésie bélarusse. Cela s’explique, très probablement, par le caractère
relativement agglutinant, synthétique des langues slaves, contraire-
ment aux langues romanes qui sont plus analytiques et où les modifi-
cations concernant la combinatoire affectent plutôt les syntagmes que
les lexèmes.
Le style intensément émotionnel de la jeune poétesse bélarusse
Nasta Koudasava (n. 1984) se forme à travers de nombreuses allitéra-
tions et des manipulations verbales (entre autres, morphologiques et
phonétiques) dans lesquelles l’auteure ne cherche pas un jeu en soi mais
aspire aux sens très fins et aux formes extrêmement suggestives. À titre
d’exemple, dans le fragment ci-dessous :

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366  Yauheniya Yakubovich

люляй мяне, маё невымаўля,


закалышы ўвесь боль, на сэрцы змоўчаны.
я запалю мінулага кальян,
і абдыму цябе хвастом вавёрчыным.
(« люляй мяне… » ; Кудасава, 2016)
{berce-moi, mon petit indicible,
dodeline toute la douleur que je tais dans mon cœur.
je vais allumer le narguilé de mon passé,
et je t’embrasserai avec ma queue d’écureuil}

l’un des motifs centraux de sa poésie – l’impossibilité de transmettre


l’impénétrable et le plus profond de soi – se concentre dans un seul
lexème невымаўля  formé par le substantif немаўля {bébé, litt. non-
parlant} auquel on insère le préfixe невы- de l’adjectif de la même racine
невымоўны {indicible} au lieu de son préfixe négatif habituel не- {non-}.
Le lexème невымаўля, créé comme résultat d’une anomalie de
combinatoire morphologique, est difficile à traduire en français, et pour-
tant un bélarussophone saisit immédiatement le sémantisme complexe
mais très précis de ce néologisme, composé des sèmes ‘enfant’, ‘indi-
cible, inexprimable’ mais aussi ‘incapable de s’exprimer’, qui fabrique
une image métaphorique de quelque chose de petit, imparfait, même
maladroit que la poétesse ne peut pas pleinement exprimer mais qu’elle
soigne et qui est le seul capable de la consoler.
Pour Koudasava, c’est l’image la plus exacte de la poésie, de la
richesse intérieure qui cherche, parfois en vain, de «  s’habiller  » de
mots. Et justement dans cette quête d’un bon mot, d’une bonne forme
pour l’«  incarner  », la poétesse a recours aux anomalies, puisque le
langage normatif, même dans son standard le plus élégant, n’est pas
suffisamment habile pour dire tout ce qui doit être dit. Les anomalies
ne sont donc pas seulement un procédé stylistique pour montrer la vir-
tuosité poétique, pour jouer à la poésie, elles sont le seul moyen d’être
comprise, des porteurs de la philosophie même de la poésie.
Aussi dans un autre extrait de Koudasava :

прарвацца ў санцавітае заўтра


ратунак ад сябе-цемразаўра
(« нішчымная шчымлівая бессань… » ; Кудасава, 2016)
{pénétrer dans le demain ensoleillé
mon salut de moi-même obscurosaure}

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 367

on atteste une anomalie : l’hapax цемразаўр est construit moyennant la


violation de la combinatoire du radical -saure, provenant du grec, qui
normalement fusionne avec les racines en antéposition, aussi d’origine
grecque, comme, par exemple dino- ou titano-, mais jamais avec un
adjectif librement choisi, comme dans ce cas l’adjectif obscure. Aussi
bien dans le texte bélarusse que dans la traduction française, il s’agit de
la destruction d’un mot composé, quoique cette composition soit moins
perceptible, ce lexème remontant aux racines grecques savantes.
Dans la conscience linguoculturelle du lecteur bélarusse, la
racine -saure, employée ici, ne renvoie pas seulement aux animaux
préhistoriques mais aussi aux monstres en général, dévoreurs et impla-
cables. Quant à l’adjectif obscure, son signifié figuré est plus ou moins
commun pour les cultures européennes et est habituellement en relation
avec le pénible, le lugubre. Le symbole poétique, fabriqué à l’aide de
ces deux racines (et ces deux sèmes ayant peu en commun) et actualisé
dans le contexte de l’extrait cité, est destiné éventuellement à désigner
un être autodestructif qui a peur de lui-même.
Tout cela rime très bien avec un autre thème de la poésie de Kouda-
sava, celui de l’auto-identification de la poétesse avec le monde animal,
plus sensible à la douleur et moins protégé que l’espèce humaine et, ce
qui est plus important, muet. Dans les lignes suivantes, par exemple, ce
sujet est développé moyennant une autre anomalie :

паімчу палямі басалап –


мірыяды музыкаў у пашчы…
(Сабачае ; Кудасава, 2016)
{je vais courir les champs pattes nues –
avec des myriades de musiques dans ma bouche canine}

Ici, l’unité lexicale басалап {pattes nues} vient de l’adverbe басанож


{pieds nus}, où la composition normative des racines баса- {nus} et
-нож {pieds} est détruite à cause du remplacement de la deuxième
composante par la racine -лап {pattes}, inexistant en bélarusse dans
cette forme raccourcie adverbialisée. Dans cet exemple, on voit claire-
ment que ce qui est une anomalie d’ordre morphologique en bélarusse
pourrait être une transformation syntagmatique en français.

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368  Yauheniya Yakubovich

L’hapax résultant de cette transformation est infaillible dans la


création de la métaphore de la « réincarnation » animale du je lyrique.
Le fragment cité, dans son ensemble, suggère la comparaison du chien,
enfermant dans sa bouche ses « myriades de musiques », avec un poète
dans son impuissance à articuler ce qui est le plus précieux.
Dans l’univers poétique de Koudasava, les anomalies combina-
toires au niveau d’un lexème, étant une marque significative de son style,
reflètent la tentative de vaincre le mutisme, l’insuffisance d’une langue
par rapport à l’esprit, – un motif, d’ailleurs, archétypique dans la litté-
rature, mais devenant aigu, saillant chez la poétesse bélarusse. On peut
dire que ces anomalies sont une sorte de métaphore métalinguistique de
la manière poétique, souvent déchirante, de Koudasava puisque ce sont
bien ces formes courtes, précises, bien ajustées au contexte qui font que
la poésie de l’auteure bélarusse soit pleine d’une vive émotion.
Dans les langues romanes, par contre, notre corpus présente
moins d’occurrences d’anomalies combinatoires au niveau du lexème4.
Les cas d’anomalie par dérivation morphologique, i.e. par soudure d’un
affixe avec une racine inadéquate, n’ont pas été massivement détectés,
en revanche, il nous arrive de rencontrer des cas d’une composition non
normative. Pour le français, prenons cet exemple de Prévert :

et le grand édifice judiciaire s’embrase d’un magnanime feu d’artifice


et il y a beaucoup de monde aux drapeaux
et les balcons volent dans le vent
et le grand orchestre francophilarmonique des gardiens de la paix…
(Encore une fois sur le fleuve ; Prévert, 1963)

L’intersection des lexèmes-radicaux (francophile + philarmonique)


sur l’axe morphologique commun -phil- contrarient la combinatoire
des deux radicaux en question (aucun des deux n’accepte de compo-
sition avec d’autres racines en anté- ni en postposition) en formant
un soi-disant mot-valise. Pour être plus précis, il faut remarquer que
l’unité qui subit la transformation ici c’est non seulement le lexème

4 Toutefois, Ben Amor (2007) atteste un grand nombre de manipulations unilexi-


cales en français dans les romans de Queneau, bien que plusieurs de ces
manipulations ne correspondent pas exactement à ce que nous appelons une
anomalie combinatoire.

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 369

philarmonique mais aussi tout le syntagme, i.e. la collocation orchestre


philarmonique.
Chez Prévert, cette opération morphologique est une arme lin-
guistique servant à la satire : l’apparition du sème ‘francophile’ (avec
une connotation sarcastique dans ce contexte) à l’intérieur de la collo-
cation incite le lecteur à déceler le faux pathos dans la situation décrite
et l’hypocrisie de ses participants.
Pour en donner un exemple d’une autre langue romane, aussi
chez un avant-gardiste argentin Oliverio Girondo (1891–1967) on
trouve des cas de néologismes qui pourraient être considérés comme
une sorte d’anomalie combinatoire, du genre :

mientras sigo y me sigo


y me recontrasigo
de un extremo a otro estero
aridandantemente
sin estar ya conmigo ni ser un otro otro.
(Aridandantemente  ; Girondo, https://www.poemas-del-alma.com/oliverio-
girondo-aridandantemente.htm)
{litt. alors que je continue et je me suis
et je me recontresuis
d’un bout à l’autre marée
aridandamment
sans être plus avec moi-même ou être un autre autre}

La forme verbale recontrasigo est construite moyennant le verbe conju-


gué seguir {suivre} dont la combinatoire est forcée par l’addition des
préfixes re- et contra-, inacceptable pour la norme. En ce qui concerne
l’adverbe aridantantemente, ici, le suffixe normatif adverbial -mente
subit une fusion avec la composition de radicaux difficiles à identifier :
probablement, árido {adj. sec, stérile} + andante {mus. adv. douce-
ment, avec souplesse ou adj. errant}.
Vu la tonalité manifestement avant-gardiste et expérimentatrice
de Girondo, ces anomalies ont un objectif purement linguistique, i.e.
elles visent un jeu de langage en soi et pour soi. Les valeurs sémantiques
sont presque réduites à zéro, c’est-à-dire, on peut parler plutôt de la
défectuosité que de l’interprétabilité. Alors, la charge sémantique de ces
anomalies peut être définie presque comme un non-sens, mais, parado-
xalement, ce non-sens apporte quand même un sens – une signification

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370  Yauheniya Yakubovich

ludique, la valeur métalinguistique mise à part, d’où vient un marquage


stylistique qui accompagnent n’importe quelle anomalie linguistique.
Les anomalies au niveau du lexème, qu’on a pu observer ci-dessus,
se basent soit sur la dérivation non-normative qui brise la combinatoire
morphologique d’un affixe ou d’une racine, ou sur la composition lexi-
cale non-habituelle où une des racines est remplacée par une autre, non
acceptée par la norme. Les mêmes mécanismes se répètent au niveau
d’un syntagme dont on va voire quelques preuves par la suite.

4. Anomalie au niveau du syntagme

4.1. Rupture de la restriction sémantique d’un énoncé libre

Selon Mel’čuk (2013 : 130), un énoncé est libre si chacune de ces com-


posantes peut être remplacée par n’importe quelle expression plus ou
moins synonymique, à condition de préserver la correction linguistique
et le sens de l’énoncé. Le fait que seul le synonyme peut substituer
une composante indique qu’une contrainte sémantique existe et régit la
combinatoire, et au-delà de cette contrainte, les relations sémantiques et
syntaxiques de l’énoncé sont rompues.
Pour déterminer la restriction sémantique de tel ou tel lexème,
on peut recourir à la description en termes d’étiquettes sémantiques (cf.
Mel’čuk & Polguère 2007 ; Blanco 2010). L’étiquette sémantique (doré-
navant ES) est une unité lexicale (lexème ou phrasème) ou un syntagme
d’une langue L qui peut servir comme genre prochain dans la définition
analytique d’un ensemble relativement nombreux d’unités lexicales de
la langue L (Blanco 2010 : 160).
Plusieurs cas de rupture de la restriction sémantique sont détectés
dans les textes de Jacques Brel. Analysons l’extrait suivant :

Des villes et des villages


Les roues tremblent de chance
C’est Paris en chemin
(Les prénoms de Paris ; Brel, 1998)

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 371

Le verbe français trembler (avec l’ES [réaction]) peut se combiner avec


les substantifs de l’ES [état physique], [état psychique], [état physio-
logique], [sensation] : trembler de froid, peur, colère, fièvre, etc. Le
lexème chance, quoique désignant lui aussi un fait et non pas une entité,
est mis en rapport avec l’ES [événement non prévisible] qui n’entre pas
dans la combinatoire du verbe trembler. Alors, la combinaison trembler
de chance est un cas de rupture de la restriction sémantique.
Le sens de la suite les roues tremblent de chance est transparent :
il s’agit des roues qui cahotent à cause d’un roulement rapide et saccadé
d’un chauffeur/conducteur impatient et joyeux. Cette lecture est en plus
suggérée par les lignes courtes et dynamiques de la chanson du poète
belge. Une fois de plus, les anomalies combinatoires, dont la structure
est succincte mais le sens extensif, aident à maintenir le laconisme que
le rythme du poème exige, sans le priver d’expressivité.
Dans les chansons de Brel, les cas similaire sont assez nombreux.
Citons une autre occurrence :

Elles vieillisent à petits pas


De petits chiens en petits chats
(Les bigotes ; Brel, 1998)

Ici, la contrainte concernée est encore plus restreinte : la locution adver-


biale à petits pas accepte des combinaisons avec les verbes de l’ES
[action de se déplacer], comme avancer, marcher, venir, aller à petits
pas. Le sens figuré de l’adverbe composé en question permet aussi de
l’associer avec des verbes correspondant à l’ES [amélioration]  : pro-
gresser à petits pas. La locution à petits pas renferme également dans
son signifié le sème ‘développement, avancement, progression, amélio-
ration’. Ainsi, la combinaison de la locution adverbiale avec le verbe
vieillir dont l’ES est [phénomène physiologique non souhaitable] et qui
désigne la progression à l’inverse, l’avancement en âge5, crée un sens
antithétique, inattendu.
5 Bien que, en réalité non-linguistique, le vieillissement ne soit pas une période
forcément pénible de la vie, linguistiquement, ce terme inclut dans son signifié
une connotation d’un fait non souhaitable. Et si on voulait dire qu’avec l’âge,
l’on devient meilleur, que l’on se développe dans une direction positive, on
dirait Je deviens sage, par exemple, au lieu de Je vieillis. Dans le contexte de la
chanson de Brel, la connotation peut être même péjorative.

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372  Yauheniya Yakubovich

Notons qu’ici la rupture sémantique peut être moins marquée vu


l’élargissement actuel de la signification (vers une acception plus géné-
rale, abstraite et métaphorique) de l’adverbe composé. En tout cas, chez
Brel, la combinatoire anomale vieillir à petits pas renvoie à une méta-
phore, ou même plus exactement, à une métonymie (cause remplace effet)
où la manière de vieillir est décrite dans les termes de la façon de se dépla-
cer chez les personnes très âgées, i.e. peu à peu, péniblement, sans envie.
La sensation de l’écart de la normativité est plus accentuée quand
la combinatoire se montre plus étroite, et il y a des cas de rupture de la
sélectivité aussi restreinte que l’effet est proche à celui du défigement,
comme dans cet exemple russe :

Люблю. И потому вольна


жить наизусть, ласкать с листа.
(« Люблю. И потому вольна… » ; Павлова, 2006)
{J’aime. C’est pour ça que j’ai le droit
de vivre par cœur, de caresser à l’improviste}

La combinatoire normative de l’adverbe наизусть {par cœur} permet


de créer des collocations non standard avec des bases verbales comme
читать {lire}, играть {jouer un instrument musical}, рассказывать
{raconter} et peu d’autres qui appartiennent à l’ES [acte de commu-
nication] et leurs dérivés syntaxiques. Cet adverbe est aussi très fré-
quent en combinaison avec le verbe знать {connaître} dans la col-
location знать наизусть {connaître par cœur}. Par contre, le verbe
жить {vivre}, utilisé dans le poème, contredit la norme et est, donc,
une invention personnelle.
De même, pour le collocatif с листа {litt. directement de la par-
tition, ≈ à l’improviste, sans préparation}, les bases читать {lire de
la partition}, играть {jouer}, петь {chanter} sont acceptées pour la
création de collocations non standard, et le verbe ласкать {carresser}
n’entre pas dans ce paradigme. Le collocatif с листа, en russe, est
un terme strictement musical et n’a pas de sème en commun avec les
verbes « non-musicaux » .
Comme les adverbes par cœur et à l’improviste constituent une
paire antonymique, la suite des syntagmes vivre par cœur, carresser
à l’improviste crée une sorte de parallélisme qui est stylistiquement

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 373

renforcé par la non-normativité de la combinatoire produisant une col-


lision des deux champs sémantiques, ou plus précisément, des séman-
tismes relativement généraux (vivre, caresser) avec un vocabulaire plus
spécifique (с листа {à l’improviste}).
Il existe des structures sémantico-syntaxiques où, selon les données
de notre corpus, les anomalies combinatoires sont surtout productives, et
c’est bien le cas des déterminants nominaux du genre N de N, dans les
langues romanes, et N Ngén. dans les slaves. En voici deux exemples :

…Tota una casa


malfrisa, i esgarrifa la cisterna
de silenci.
(Fill ; Ferrater in X. Lloveras & A. Roig (réds.), 1993)
{…Toute une maison
flétrie, et fait frémir la citerne
de silence}

Le substantif catalan cisterna prévoit la combinaison avec des noms


désignant des liquides et appartenant à l’ES [substance chimique] ou
[substance naturelle]. L’association de ce substantif avec le lexème à
signifié abstrait est hors de la restriction sémantique. Cette union d’un
déterminant nominal manifestement concret avec des lexèmes abstraits
non comptables cause un effet de contraste, d’antinomie qui résulte for-
tement évocatrice.
L’effet est similaire dans ce fragment bélarusse :

Вязалі долі нашае снапы,


А кожны сноп на зерне не скупы
(Мы ўсе ; Барадулін, 2006)
{Elles liaient les gerbes de notre destin,
Et chaque gerbe est riche en grains}

La combinatoire normale du lexème сноп {gerbe} exige l’associa-


tion avec des noms appartenant à l’ES [plante]. En ordonnant les lots
humains en gerbes, le poète bélarusse établit un rapport d’analogie
entre l’action abstraite de «  programmer  » le destin avec une activité
rurale concrète, typique pour la saison estivale. La mise en voisinage des
images concrètes avec des concepts abstraits permet d’« objectiver » ces
derniers, les rendre plus facilement représentés et, donc, plus suggestifs.

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374  Yauheniya Yakubovich

En parlant de rupture de la restriction sémantique, il ne faut pas


oublier que l’évolution de la langue fait surgir de nouvelles acceptions
figurées des lexèmes qui enrichissent leur restriction, et les cas de rup-
ture de la restriction entrent dans les dictionnaires à côté des combinai-
sons normatives. À titre d’exemple, la suite порцыя смутку і трохі
дзіўнай любові {portion de tristesse et d’un amour un peu étrange}
(« кожнага ранку порцыя кіслароду… » ; Хадановіч, 2007) n’occa-
sionne presque plus d’effet d’anomalie : il s’agit d’une métaphore assez
stéréotypée dans certains contextes, puisque le déterminant nominal
portion s’étend dernièrement, aussi bien en bélarusse qu’en français,
aux noms de champs lexicaux très variés.
Répétons qu’une anomalie sémantique, comme surtout son cas
particulier de rupture de la restriction sémantique au niveau syntagma-
tique, est probablement un des procédés linguistiques à effets stylistiques
le plus souvent exploité par les poètes. On en a déjà donné quelques
exemples au début de notre article (l’étoile a pleuré rose, ce toit tranquille
où picoraient les focs, et d’autres), et les exemples cités ci-dessus confir-
ment la supposition que, habituellement, de telles anomalies fonctionnent
en tant que moyens linguistiques de création métaphorique.

4.2. Rupture du figement

Si les syntagmes libres ont des combinatoires restreintes dont les dévia-
tions sont ressenties comme marquées, les phrasèmes possèdent des
contraintes encore plus étroites avec, le plus souvent, une seule variante
possible de saturation lexicale d’une structure syntaxique.
Une anomalie sémantique à l’intérieur d’un phrasème (i.e. un
énoncé non libre englobant des unités comme les locutions, les collo-
cations et les clichés, cf. Mel’čuk 2013) résulte de la rupture des liens
internes de ses composantes, et dans ce cas, l’on est en présence du phé-
nomène de défigement. Sous le terme de défigement, nous comprenons
un recours linguistique qui consiste en la modification, moyennant un
mécanisme concret, du signifié (quoi qu’il soit synthétique, analytique
ou même seulement grammatical) et, souvent, du signifiant d’un phra-
sème ayant pour résultat le déblocage de sa contrainte sémantique et
syntaxique qui est marqué comme non normatif (Yakubovich 2015). Il

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 375

s’agit du défigement uniquement dans le cas où l’énoncé final suggère


au récepteur le phrasème initial.
Dans la poésie, le défigement, comme cas particulier de l’anoma-
lie sémantique, a les mêmes fonctions que les autres variétés de cette
anomalie, notamment, celle d’exprimer plus en disant moins. Pourtant,
le défigement implique forcément un jeu sur les stéréotypes linguis-
tiques, sur le figement, ce qui le fait quelquefois plus marqué à cause de
la combinatoire extrêmement limitée, voire unique.
La rupture de la contrainte peut découler du remplacement d’une
des composantes par un terme inapproprié. C’est justement un des pro-
cédés favoris de Brassens qui pratique des substitutions nominales dans
les locutions verbales, comme, par exemple, la suivante :

Une femme du monde et qui souvent me laisse


Fair’ mes quat’ voluptés dans ses quartiers d’ noblesse
M’a sournois’ment passé, sur son divan de soie,
Des parasit’s du plus bas étage qui soit…
(Les trompettes de la renommée ; Brassens in Bonnafé (réd.), 1963)

La semi-locution verbale faire les quatre volontés [de N], comme résul-
tat du remplacement paronymique de la composante nominale (volon-
tés → voluptés), ne s’écarte pas de son signifié initial, ‘céder à tous les
caprices de quelqu’un, faire tout ce qu’on veut’, mais acquiert, dans le
texte ingénieux de Brassens, une interprétation sensuellement conno-
tée, propre à toute son œuvre poétique. Ce genre de substitutions sert
toujours, chez Brassens, à un but précis : accomoder un phrasème à une
situation concrète, fabriquer un signifié sollicité par un contexte à partir
d’un des sens d’un phrasème donné.
En tant que source où puisent leur inspiration les grands lyriques
français, comme Villon, Baudelaire, mais aussi Brassens, l’amour phy-
sique va toujours de pair avec la mort. Ce motif de la mort est évoqué
dans un autre poème de Brassens, où la substitution non-systémique
de la composante nominale école → tombe modifie la semi-locution
verbale faire l’école buissonnière, signifiant ‘manquer l’école’, de
manière que la locution défigée démasque l’intention du personnage de
tromper la mort, comme les écoliers rusés qui trompent leurs maîtres en
négligeant les cours :

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376  Yauheniya Yakubovich

S’il faut aller au cimetière,


J’ prendrai le chemin le plus long,
J’ ferai la tombe buissonnière,
J’ quitterai la vie à reculons…
Tant pis si les croque-morts me grondent,
Tant pis s’ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
(Le testament ; Brassens in Bonnafé (réd.), 1963)

Le défigement peut coudoyer un autre mécanisme linguistique, celui


de greffe collocationnelle qui est, elle aussi, une sorte d’anomalie com-
binatoire. Ce terme métaphorique désigne, chez Polguère (2007), une
expression produite à l’oral ou à l’écrit, constituée d’au moins deux
éléments lexicaux A1+B2 (e.g. jouer + contrepoids [ART~]6). Dans l’en-
semble, l’expression A1+B2 nous fait penser qu’elle a été construite par
interférence inter- ou intralinguistique, et, de ce fait, une collocation
valide A1+B1 (faire contrepoids), visée par le locuteur, se mêle à une
autre collocation valide A2+B2 (e.g. jouer + rôle [ART~]), ce qui donne
une expression mutilée A1+B2 (jouer un contrepoids). Les greffes col-
locationnelles sont, en premier lieu, considérées comme des fautes de
langue, fréquentes dans les discours produits oralement. Cependant, il
existe aussi des greffes volontaires qui ont pour but un effet stylistique.
Un cas intéressant de greffe collocationnelle, la double greffe, est
causé par l’échange des composantes adjectivales de deux séquences
figées chez une poétesse russe :

унесёшь моё дыханье


в безвоздушность, в духов дом,
в мрак слепящий, свет кромешный
(« Сожаленья и желанья… » ; Павлова, 2007)
{tu emporteras mon souffle
dans le vide, dans les domaines de l’esprit,
dans la nuit éblouissante, dans la lumière noire}

Les phrasèmes sources sont les collocations мрак кромешный {nuit


noire} et свет слепящий {lumière éblouissante}. Du point de vue sty-
listique, l’on atteste ici trois figures de style, celle d’oxymore (un double

6 L’exemple est emprunté à l’article de Polguère (2007).

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 377

oxymore même), d’antithèse et d’antimétabole (une sorte de métathèse


affectant deux composantes lexicales appartenant à deux syntagmes dif-
férents). Un simple échange de collocatifs, du point de vue de la norme
langagière, est un emploi erroné, ce qui n’est plus vrai si on adopte la
perspective d’un stylisticien, pour lequel cette greffe démontre la puis-
sance créatrice d’un écart de l’emploi normatif.
Ce n’est pas toujours un remplacement lexical ou une substitu-
tion mutuelle des composantes qui peut provoquer l’effet d’anomalie et
celui de défigement. La rupture de la restriction combinatoire et séman-
tique peut être produite par d’autres déviations syntaxiques au sein d’un
phrasème (extension, soudure, etc). Dans le fragment en polonais :

…odważmy się spojrzeć


prawdzie w te szare oczy, których z nas nie spuszcza,
które są wszędzie, wbite w chodnik pod stopami,
wlepione w afisz i utkwione w chmurach…
(Spójrzmy prawdzie w oczy ; Barańczak,
http://www.goldenline.pl/grupy/Literatura_kino_sztuka/poezja/stanislaw-ba-
ranczak,615896/)
{…osons regarder
dans ces yeux gris de la vérité qu’elle ne détourne pas de nous
qui sont partout, enfoncés dans la chaussée sous nos pieds,
collés sur une affiche et fixés sur les nuages…}

la locution spojrzeć prawdzie w oczy {regarder dans les yeux de la


vérité}, ayant le signifié ‘avouer l’existence d’un fait réel mais désa-
gréable, insouhaitable, se rendre compte de la réalité de ce fait’, se voit
altérée par l’insertion de l’adjectif szare {gris} et le déterminant te
{ces} qui s’accordent avec la composante nominale oczy {yeux} ; plus
précisément, il s’agit de l’intersection de la locution avec la collocation
szare oczy {yeux gris} et la concrétisation de la composante nominale
par le déterminant te {ces}.
En plus, la locution est développée par une large extension lexi-
co-syntaxique externe moyennant une proposition relative liée à la compo-
sante oczy {yeux} : …oczy + których z nas nie spuszcza,/ które są wszędzie,
wbite w chodnik pod stopami,/ wlepione w afisz i utkwione w chmurach
{…yeux + qu’elle ne détourne pas de nous/ qui sont partout, enfoncés dans
la chaussée sous nos pieds,/ collés sur une affiche et fixés sur les nuages}.

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378  Yauheniya Yakubovich

La présentation poétique est très imagée  : la littéralisation du


signifié analytique de la locution et l’amalgame de tous les sens émer-
gés lors de l’intersection des deux phrasèmes suggèrent la lecture ‘la
réalité est incontournable, elle nous surveille comme si elle était une
personne vivante aux yeux gris provoquant un état d’angoisse’. Moyen-
nant ce défigement, le poète arrive à inspirer une sensation glaçante de
la réalité cruelle et tout à fait tangible qui nous concerne directement
même si nous ne voulons pas nous en rendre compte.
Notons que la rupture du figement a une valeur ajoutée, en com-
paraison avec d’autres cas de rupture sémantique : mise à part la créa-
tion métaphorique et la fabrication de nouvelles nuances de sens, le
défigement implique presque toujours la réduplication des signifiés,
i.e. l’actualisation simultanée des sens propre et figuré (analytique et
synthétique, étymologique et actuel) des composantes d’un phrasème.
Cela s’explique par le caractère fortement contraint, clichéisé des phra-
sèmes, contrairement aux syntagmes libres, limités uniquement par la
restriction sélective qui peut être assez large.
Le jeu de sens et la lecture métalinguistique sont donc plus
transcendants dans le défigement que dans d’autres types d’anoma-
lies sémantiques. Nous pouvons conclure que le marquage stylistique,
lui aussi, est potentiellement plus notable dans les cas où la contrainte
rompue est plus réduite et la norme violée plus imposante.

5. Conclusions

Selon la conviction de Jakobson (1963  : 248), la poésie ne consiste


pas à ajouter au discours des ornements rhétoriques : elle implique une
réévaluation totale du discours et de toutes ses composantes quelles
qu’elles soient. Cela veut dire que le langage poétique est évalué selon
une échelle à part et la norme linguistique du bon usage s’y relativise et
ne sert qu’aux buts proprement stylistiques.
Le langage poétique vise le laconisme du contenu et la vivacité
des images, entre autres choses, afin d’augmenter sa force suggestive.

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 379

Les exemples, en plusieurs langues, que nous avons analysés dans cet
article (e.g. Les roues tremblent de chance, cisterna de silenci, faire
mes quatre voluptés) démontrent la capacité exceptionnelle des anoma-
lies combinatoires (ou sémantiques) à économiser des moyens linguis-
tiques, i.e. à contourner des enjolivements rhétoriques encombrants en
créant des métaphores par une simple rupture des paradigmes combina-
toriels des lexèmes ou morphèmes. Comme le prouvent nos exemples,
plus la restriction normative est limitée, plus la déviation de la norme
est défectueuse et, donc, marquée.
L’expressivité poétique réside également et, probablement dans
une plus grande mesure, dans les manipulations sémantiques. Vues sous
cet angle, les anomalies sémantiques sont des procédés opérants de la
génération de sémantismes insolites et de connotations imprévisibles
grâce aux collisions des auréoles sémantiques des lexèmes ou radicaux
ayant des sèmes opposés ou appartenant aux champs sémantiques diffé-
rents (comme dans orchestre francophilarmonique, obscurausaure, les
yeux gris de la vérité et d’autres).
Compte tenu de l’« étoffe » profondément linguistique dont les
poèmes sont faits, nous considérons que l’analyse linguistique, et en
premier lieu lexico-sémantique, des fragments poétiques multilingues,
et notamment une interprétation détaillée des sémantismes dans leur
entourage textuel, trace le chemin vers une analyse littéraire plus exacte
et profonde et offre une des réponses possibles à la question importante
sur ce qui rend la poésie poétique.

Bibliographie

Ben Amor, Thouraya 2007. Le jeu de mots chez Raymond Queneau.


Tunis : Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse.
Blanco, Xavier 2010. « Etiquetas semánticas de hecho como género
próximo en la definición lexicográfica », Quaderns de Filologia.
Estudis Lingüístics 15, 159–178.

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380  Yauheniya Yakubovich

Guiraud, Pierre 1979. Les jeux de mots, Paris : PUF.


Jakobson, Roman 1963. « Linguistique et poétique », in Essais de lin-
guistique générale, Paris : Minuit, 209–248.
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tiques et collocations du français, Bruxelles  : De Boeck &
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Moeschler, Jacques 1991. « Aspects linguistiques et pragmatiques de
la métaphore : anomalie sémantique, implicitation conversation-
nelle et système métaphorique », Tranel 17, 51–74.
Nkollo, Mikołaj 2001. «  La correction grammaticale, les anomalies
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nelle-générative », Studia Romanica Poznaniensia 28, 83–97.
Polguère, Alain 2007. «  Soleil insoutenable et chaleur de plomb : le
statut linguistique des greffes collocationnelles », in L’Homme,
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Les Presses de l’Université d’Ottawa, 247–291.
Todorov, Tzvetan 1966. «  Les anomalies sémantiques  », Langages 1,
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Yakubovich, Yauheniya 2015. Défigement dans les textes poétiques.
Typologie et exemples en français, espagnol, catalan, russe,
bélarusse et polonais. Thèse de doctorat, Universitat Autònoma
de Barcelona.
Шкловский, Виктор 1919. « О поэзии и заумном языке ». In Брик,
Осип / Поливанов, Евгений / Шкловский, Виктор / Эйхенбаум,
Борис / Якубинский, Лев (éds.), Поэтика. Сборники по теории
поэтического языка, Петроград  : 18-ая Государственная
Типография.

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De l’analyse sémantique à l’analyse littéraire 381

Poésie citée

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www.goldenline.pl/grupy/Literatura_kino_sztuka/poezja/stanis
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nafé, Paris : Éditions Seghers.
Brel, Jacques 1998. Tout Brel, Paris : Éditions Robert Laffont.
García Lorca, Federico 2011. Poesía completa, Barcelona  : Galaxia
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Girondo, Oliverio. « Aridandantemente », Poemas del Alma  : https://
www.poemas-del-alma.com/oliverio-girondo-aridandantemente.
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Desnos, Robert 1953. Corps et Biens, Paris : Gallimard.
Lloveras, Xavier / Roig, Albert (réds.) 1993. L’artista de la paraula :
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Prévert, Jacques 1963. Histoires, Paris : Gallimard.
Rimbaud, Arthur 2010. Œuvre complète, Paris : Flammarion.
Барадулін, Рыгор 2006. Руны Перуновы, Мінск : Радыёла-плюс.
Кудасава, Наста 2016. Маё невымаўля, Мінск : Кнігазбор.
Маяковский, Владимир 1955. Полное собрание сочинений в
тринадцати томах. (Vol. 1 : Стихотворения, трагедия, поэмы
и статьи 1912–1917 гг.), Москва : ГИХЛ.
Павлова, Вера 2007. Три книги, Москва : Захаров.
Павлова, Вера 2006. Письма в соседнюю комнату, Москва : АСТ.
Хадановіч, Андрэй 2007. Сто лі100ў на tut.by, Мінск : Логвінаў.

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Marie-Sophie Pausé

Locutions : du défigement à la flexibilité formelle,


il n’y a qu’un pas…

1. Introduction

Cet article traite de la modélisation lexicologique des variations for-


melles des locutions, principalement verbales, sous l’angle de la Lexi-
cologie Explicative et Combinatoire (LEC) (Mel’čuk et al. 1995).
Dans la lexicographie française traditionnelle, les locutions n’ont
pas leurs propres entrées, mais figurent à l’intérieur des articles lexi-
cographiques des lexies sur lesquelles elles sont construites. Leur des-
cription lexicographique est sommaire, à commencer par les définitions
qui ne sont pas systématiquement présentes. Les informations trouvées
dans les dictionnaires ne permettent donc pas à un locuteur de connaître
la façon dont s’emploient les locutions. Parmi les informations d’em-
ploi d’une locution comptent les variations formelles que celle-ci peut
subir : s’il s’agit d’une locution verbale, peut-elle être passivée ? Dislo-
quée ? Ou ses variations formelles se limitent-elles au changement de
flexion du verbe ?
Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une étude sur
47 locutions verbales. Ces locutions ont été sélectionnées pour leur fré-
quence d’usage apparente, sans application d’une méthode statistique.
Elles ont reçu une définition lexicographique et leurs usages ont été
recherchés en corpus1.
Nous énumèrerons dans un premier temps les propriétés défini-
toires de la locution, que nous rediscuterons dans un second temps, en
abordant les notions de défigement et flexibilité formelle (section 2.).

1 Les bases textuelles les plus fréquemment utilisées sont Frantext et le FrWac.
Pour étendre le nombre de résultats, nous avons également utilisé le web, à
l’aide du moteur de recherches Google.

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384  Marie-Sophie Pausé

Nous présenterons ensuite la description lexico-syntaxique des locu-


tions dans une ressource lexicographique de type réseau lexical (section
3.), avant de proposer une modélisation de l’ajout d’un complément
du nom à des locutions verbales, à travers l’exemple de allonger la
sauce (section 4.).
Les lexies – lexèmes et locutions – apparaîtront en petites capi-
tales – allonger la sauce – et seront illustrées, lorsque nécessaire, par
un exemple en italique entre crochets [Les scénaristes ont allongé la
sauce]. Nous éviterons autant que faire se peut le recours à la numérota-
tion lexicographique, qui diffère d’une ressource à l’autre, mais chaque
lexie employée sera bien l’association d’un signifiant à un seul signi-
fié. Les exemples décrits dans le corps de l’article, qui proviennent de
bases textuelles ou du web, seront numérotés. Les lexies qu’ils illustrent
apparaîtront en italique.

2. Locutions et variations formelles

Cette section vise à rappeler les propriétés définitoires de la locution,


parmi lesquelles figure la fixité syntaxique. Cette dernière est ensuite
remise en cause par la présence, dans les corpus, de variations formelles
structurales appliquées à certaines locutions.

2.1. Propriétés définitoires de la locution

Les locutions sont souvent qualifiées de syntagmes figés. Les critères de


figement communément admis concernant ces phrasèmes sont :

1. la non-compositionnalité sémantique ;
2. la non-actualisation des référents ;
3. la restriction combinatoire ;
4. la fixité syntaxique.

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 385

pomper l’air dans l’exemple (1) signifie ʻennuyer, importuner


quelqu’un’. On identifie un syntagme formé par la combinaison des
lexies pomper, le et air [Jean pompe l’air avec une machine] mais
le sens global de la combinaison n’est pas obtenu par la somme de
ʻpomper’, ʻle’ et ʻair’ : le syntagme est sémantiquement non composi-
tionnel.

(1) Je voulais qu’ils puissent vivre ensemble un week-end, un mois, un an.


Ou toujours. Sans que les adultes leur pompent l’air. [Frantext  ; Izzo
Jean-Claude, Chourmo, 1996, p. 63]

La non-compositionnalité sémantique a pour conséquence la non-ac-


tualisation des référents des constituants de la combinaison  : dans
l’exemple (1) le locuteur ne prédique pas sur de l’air qui est pompé. La
combinatoire libre des constituants n’est pas activée. On ne peut pas les
remplacer par leurs quasi-synonymes : *les adultes leur aspirent l’air.
Les relations syntaxiques entre les constituants ne peuvent pas non plus
être modifiées. Par exemple, la voie passive est exclue : *l’air leur est
pompé par les adultes.
Les contraintes traditionnellement associées aux locutions ont
toutefois été relâchées suite à l’avènement du travail sur corpus (voir,
notamment, Abeillé 1995 et Fellbaum 2014). Étudions la locution
allonger la sauce ʻajouter de façon superflue quelque chose à un
contenu informationnel’2, employée dans la série d’exemples (2).

(2) a. En prenant ainsi son temps pour installer les personnages dans leurs
milieux respectifs, Jean-Philippe Pearson dilue la sauce et retarde le
moment où il plongera réellement au coeur du sujet, soit les dommages
collatéraux d’un divorce. [Web ; voir.ca]
b. Attendre neuf ans pour lire du déjà lu, du réchauffé. La sauce a été
allongée au maximum. TRÈS GROSSE DÉCEPTION. [Web  ; babelio.
com]
c. Si ce qui est révélé est certes grave, je trouve que la sauce qu’elle
allonge encore et encore a par moments un goût de « trop » qui a du mal
à passer. [Web ; critiqueslibres.com]

2 Cette paraphrase de la locution est minimale. Elle sera enrichie en section 4.

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386  Marie-Sophie Pausé

Dans l’exemple (2a), le verbe allonger est remplacé par le verbe


diluer. En (2b), la locution est employée à la voie passive. En (2c),
sauce est le gouverneur syntaxique d’une proposition relative qui prend
allonger comme noyau verbal. De telles variations formelles sont
explicables, de par le signifiant syntagmatique de la locution. Une telle
conception est partagée par Haßler et Hümmer (2005) qui nomment les
locutions « séquences figées » :

« Une séquence figée est une unité polylexicale syntaxiquement bien formée et
constituant une sorte de ‘doublet’ avec la séquence libre d’origine qui demeure
remotivable à n’importe quel moment. »3 (ibid. : 108)

D’un poit de vue stylistique, les emplois de allonger la sauce que


nous venons d’illustrer ne doivent pas être considérés sur le même plan.
Comparons les exemples (2b) et (2c). Dans le cas de (2b), la passivation
ne réactive pas le sens des constituants lexicaux de la locution – allon-
ger [allonger un café trop serré avec de l’eau], le et sauce [la sauce
de ce plat est excellente]. Dans l’exemple (2c), sauce est le sujet de la
proposition a par moments un goût de « trop » qui a du mal à passer.
La présence, dans ce contexte linguistique, de goût réactive le sens
lexical de sauce. Ceci nous amène à la notion de défigement, définie
comme suit :

Le défigement est un […] « recours linguistique qui consiste en la modification,


moyennant un/des mécanisme(s) concret(s), du signifié (quoi qu’il soit synthé-
tique, analytique ou même seulement grammatical) et, souvent, du signifiant
d’un phrasème ayant pour résultat le déblocage de sa contrainte sémantique et
syntaxique qui est marqué comme non normatif. Le défigement est considéré
comme tel si et seulement si l’énoncé final suggère au récepteur le phrasème
initial. » (Yakubovich 2015 : 110)

3 Nous ne pourrons pas aborder cette question, mais précisons que cette défi-
nition de la séquence figée pose problème pour des locutions, comme à cali-
fourchon ‘les jambes de part et d’autre’ ou à tire-larigot ‘beaucoup, en
grande quantité’, dont certains constituants n’existent pas (ou plus) dans le
lexique actuel de la langue. Ou bien encore dans le cas des locutions dont la
forme syntagmatique appartient à un état antérieur de la langue, comme sans
coup férir ‘facilement’.

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 387

Si l’on se réfère à cette définition, l’exemple (2c) relève du défigement :


le sens de la locution et le sens du syntagme libre sur lequel elle est
construite sont tous deux activés. Lecler (2006) propose une conception
plus large de la notion de défigement :

« […] [D]étournement [d’une forme figée qui] altère de manière significative la


forme […] à un niveau lexical, sémantique et/ou syntaxique. »

Dans une telle conception du défigement, le sens des constituants n’est


pas obligatoirement réactivé. Le défigement s’applique alors à toute
modification effectuée sur une configuration de base (cf. la notion de
base form chez Langlotz 2006). Allonger la sauce est la configuration
de base de la locution allonger la sauce. La passivation en (2b)
entraîne une modification de sa configuration de base. Néanmoins,
comme nous l’avons déjà souligné supra, cette modification de la
configuration de base n’est pas associée à la réactivation du sens des
constituants de la locution.
Cet état de fait selon lequel toutes les locutions n’admettent pas
les mêmes variations de leur forme de base, et toutes les variations ne
sont pas stylistiquement équivalentes, a conduit Mejri (2005) à envisa-
ger un continuum du figement. Cusimano (2013) parle de « défigement
en voie de figement » ; idée que l’on retrouve également chez Lecler
(2006) :

« Le défigement représente, dans sa dénomination même […] la forme opposée


au figement, pourtant, il en est également le devenir potentiel. » (ibid. : 43).

Pour notre part, nous considérons que les variations formelles d’une
locution qui ont un effet stylistique provoquent un défigement de
celle-ci. Les autres variations formelles relèvent de ce que nous nom-
mons la flexibilité formelle de la locution.

2.2. Défigement et flexibilité formelle

Nous appliquons ici la définition du défigement proposée par Yakubo-


vich (2015) et opposons cette notion à la notion de flexibilité formelle :

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388  Marie-Sophie Pausé

« La flexibilité formelle d’une locution est sa capacité à s’exprimer sous diffé-
rentes formes lexicales et syntaxiques, qui ne réactivent pas le sens lexical d’un
ou plusieurs de ses constituants. » (Pausé 2017)

La flexibilité formelle d’une locution doit être étudiée, comme le sou-


ligne Fellbaum (1993 : 278) :

« An analysis of the lexical, morphological, and syntactic flexibility of idioms,


and the possible systemic constraints on this flexibility would represent a very
considerable undertaking. »

La flexibilité formelle a même toute sa place dans un modèle du lexique


tel qu’un dictionnaire ou un réseau lexical4, en tant qu’elle fait partie
des réalisations formelles d’une locution, tout comme les formes mor-
phologiques associées à un lexème. Il convient toutefois de discrimi-
ner les variations formelles qui relèvent de la flexibilité formelle d’une
locution, de celles qui relèvent d’un défigement.
Dans les exemples en (3) ci-dessous, les modifications appli-
quées à la forme de base de la locution ne réactivent pas le sens de ses
constituants lexicaux.

(3) a. Ça sent la sauce qu’on allonge pour faire durer. Genre: « on n’a pas
beaucoup d’idées pour cette série, alors on va les éééééétirer [sic] au
maximum ». [Web ; mad-movies.com]
b. André Tubeuf allonge une sauce frisant l’infantilisme ; il tend à la naï-
veté la plus grossière ! [Web ; blogs.nouvelobs.com]

Par contre, dans l’exemple en (4), le sens de sauce est réactivé par
l’ajout de plat en tant que complément du nom, ce qui provoque un
défigement de allonger la sauce.

(4) Comme Hollywood aime allonger la sauce de plats qui rapportent des
millions (300 pour les deux premiers films !), ce dernier livre a été décliné
en deux films. [Web ; cinetelerevue.be]

4 Pour une discussion autour des réseaux lexicaux, voir Polguère (2014a).

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 389

Le défigement d’une locution n’est pas seulement provoqué par la


réactivation du sens d’un ou plusieurs constituants lexicaux. Il peut
également résulter de l’ajout d’un modificateur à un constituant non-
tête avec lequel il est sémantiquement incompatible, ou bien encore
de l’ajout d’une position actancielle non prévue par la valence active
de la locution  –  à savoir le nombre de positions actancielles qu’elle
contrôle. Dans l’exemple (5), outre la commutation de rallonger avec
allonger, sauce est modifié par scénaristique. Les deux lexies sont
sémantiquement incompatibles, et la locution se voit donc défigée.

(5) On aurait pu aussi montrer la vie à Kun Lun, etc. Ça aurait approfondit
[sic] le personnage et permis de tenir 13 épisodes sans pour autant rallon-
ger la sauce scenaristique. [Web ; casusno.fr]

En (6), le même principe est appliqué, cette fois avec l’ajout de intrigue
comme complément du nom sauce.

(6) La lucidité analytique de Philippe lui faisait deviner les raison de telles
erreurs de jugement des personnages  : elles permettaient d’allonger la
sauce de l’intrigue. À défaut, bon nombre de fictions n’eussent dépassé la
longueur d’une nouvelle ! [Leysens Michel, La Reculade, Paris: Société
des Écrivains, 2009, p. 256]

Nous verrons infra (section 4.) que ces compléments du nom, séman-
tiquement incompatibles avec leurs gouverneurs syntaxiques, sont
sémantiquement compatibles avec une composante de la définition de
la locution.
Certaines locutions contenant un adjectif sont compatibles avec
l’insertion d’un adverbe d’intensité dépendant de l’adjectif en question.
Parmi les locutions en question figurent main verte ʻaptitude au jardi-
nage’ illustrée en (7a), ne pas voler haut ʻêtre d’un niveau intellec-
tuel bas’ illustrée en (7b) et d’un bon pied ʻdans de bonnes conditions’
illustrée en (7c).

(7) a. Organisé par l’association Orchidée 77 dans la salle des fêtes de la


commune, le rendez-vous a attiré près de 1 200 visiteurs en trois jours.
L’occasion pour ces inconditionnels de dégoter, pour une trentaine d’eu-
ros, des spécimens rares, et pour ceux qui ont la main moins verte de

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390  Marie-Sophie Pausé

venir glaner quelques conseils auprès des trois producteurs participant au


salon. [Web ; leparisien.fr]
b. L’anniversaire est considéré comme une comédie, même si l’humour ne
vole pas très haut […]. [FrWac]
c. Je me lève d’un meilleur pied ce matin, à l’idée que nous partons enfin.
Je décide d’appeler mes comparses mes bobos parce qu’ils sont des
beaufs bourgeois et qu’ils me gâchent toute possibilité de plaisir. [Berni-
cat Jane, Femme de plusieurs vies, 2004, Paris : Publibook, p. 96]

L’attachement de l’adverbe à l’adjectif est possible si l’adjectif est lui-


même gradable, et si les locutions dénotent des faits également gra-
dables. Il est aussi important qu’il y ait une intersection entre le sens
de l’adjectif et celui de la locution. Prenons l’exemple de main verte.
Nous considérons ici bel et bien une locution nominale et non ver-
bale, même si la plupart des ressources lexicographiques considèrent
une locution verbale avoir la main verte (voir, par exemple, avoir la
main verte dans l’article lexicographique de vertadj du Robert). main
verte, illustrée en (8a), peut être employée avec d’autres verbes sup-
ports, comme garder comme en (8b), mais elle peut également être le
dépendant syntaxique de la préposition à, comme en (8c) (voir Pausé
en préparation).

(8) a. Les plus grands paysagistes rivalisent de créativité et d’ingéniosité


pour concevoir des jardins tour à tour bucoliques ou futuristes. Venez
vous creuser les méninges et exercer votre main verte, vous repartirez
avec un panier d’idées nouvelles pour cultiver votre jardin. [FrWac]
b. Toute l’année, des ateliers ont lieu avec les jardiniers et habitants
volontaires pour garder la main verte en hiver. [Web ; gre-mag.fr]
c. Tous les jours, été comme hiver, l’homme à la main verte passe ses
matinées au cœur de son terrain de 3.300 m². [Web ; letelegramme.fr]

La locution est définie5 de la façon suivante :

main verte de X : bonne aptitude de X au jardinage

5 Les principes de la définition lexicographique dans la LEC sont explicités en


section 4.1. infra.

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 391

Le vocable vert est polysémique et compte, parmi toutes ses accep-


tions, deux sens qui nous intéressent particulièrement ici : d’une part le
sens premier, qui dénote une couleur, et d’autre part, un sens métony-
mique qui dénote le fait de contenir beaucoup de végétation : Au prin-
temps, les près sont tout verts. Ce sens est indéniablement activé dans
celui de main verte. Un énoncé tel que Paulette a la main très verte
signifie Paulette a une excellente aptitude au jardinage. On peut aisé-
ment considérer que, plus Paulette a la main verte, plus sa végétation
sera prospère et verte. Pour intensifier l’aptitude au jardinage, on peut
alors intensifier la lexie vert contenue dans main verte. Nous avons pu
observer l’attachement d’un adverbe d’intensité sur 40 locutions d’un
échantillon contenant 43 locutions nominales et verbales qui dénotent
un fait et contiennent un adjectif (Pausé, 2017). Cette variation formelle
est transversale, puisqu’elle est applicable à plusieurs locutions,
explicable et prédictible. En cela, elle relève de la flexibilité formelle
des locutions concernées.
D’autres variations formelles sont transversales, mais provoquent
un défigement. C’est le cas de l’ajout d’un modificateur adjectival ou
d’un complément du nom dans les exemples (5) et (6) décrits supra,
que nous retranscrivons ci-dessous respectivement en (9a) et (10a).
L’ajout du modificateur scénaristique observé sur la locution allon-
ger la sauce peut, par exemple, être observé sur la locution sauver les
meubles en (9b).

(9) a. On aurait pu aussi montrer la vie à Kun Lun, etc. Ça aurait approfondit
[sic] le personnage et permis de tenir 13 épisodes sans pour autant rallon-
ger la sauce scenaristique. [Web ; casusno.fr]
b. Disons que ça sauve les meubles. Et il y a beaucoup de meubles scé-
naristiques à sauver ! Le début du film pose la question intéressante du
conflit entre les humains et les mutants maintenant que ces derniers se
sont révélés au monde. Cependant, cet élément est très vite balayé pour
laisser place à Apocalypse et à ses (quatre) cavaliers qui font de la figura-
tion. [Web ; surnosecrans.com]

Sur un échantillon de 47 locutions verbales du type Verbe + Article +


Nom commun, nous avons pu observer l’attachement d’un complément
du nom non prévu par la valence de 15 locutions, dont allonger la
sauce en (10a) et sauver les meubles en (10b).

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392  Marie-Sophie Pausé

(10) a. La lucidité analytique de Philippe lui faisait deviner les raison de telles
erreurs de jugement des personnages  : elles permettaient d’allonger la
sauce de l’intrigue. À défaut, bon nombre de fictions n’eussent dépassé la
longueur d’une nouvelle ! [Leysens Michel, La Reculade, Paris: Société
des Écrivains, 2009, p. 256]
b. Pour sauver les meubles de la gauche, diviser et affaiblir la droite, il
n’y a rien de tel que de faire monter le Front national. [Web ; europe1.fr]

Ces variations provoquent un défigement des locutions. Mais elles sont


applicables à plusieurs locutions et sont, comme nous allons le démon-
trer en section 4.2., prédictibles.
La multiplication des occurrences de locutions sous des formes
différentes de leur forme de base pousse les linguistes à envisager une
modélisation de ces variations formelles. Ceci nécessite de prendre en
considération le signifiant particulier de la locution, constitué d’unités
lexicales dont la combinaison forme un syntagme.

3. Description lexico-syntaxique des locutions


dans un réseau lexical

Cette section vise à présenter brièvement la description lexico-syn-


taxique des locutions initiée dans le Réseau Lexical du Français (désor-
mais RL-fr). Cette description lexico-syntaxique nous permettra de
revenir, en section 4., sur la modélisation de certaines des variations
formelles des locutions.

3.1. Réseau Lexical du Français (RL-fr)

Le RL-fr est une ressource de type réseau lexical, actuellement déve-


loppée au laboratoire ATILF6 (Lux-Pogodalla et Polguère 2011, Sikora
2017). Elle est basée sur les principes de la Lexicologie Explicative et

6 Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française, UMR 7118.

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 393

Combinatoire (LEC) (Mel’čuk et al. 1995)7. Il s’agit d’un ensemble non


hiérarchisé de lexies, liées les unes aux autres par des relations lexicales
(Polguère 2014a).

3.1.1. Caractéristiques générales


Les principaux nœuds du réseau sont des lexies  –  lexèmes et locu-
tions8. Au 14 juin 2017, le RL-fr comptait 27 801 lexies, dont 3 224
locutions (soit environ 11% des lexies). Les lexies sont regroupées
dans des vocables et ont chacune leur propre article lexicographique.
Les locutions partagent certains de leur paramètres de description
avec les lexèmes : caractéristiques grammaticales, informations mor-
phologiques, informations sémantiques (dont une définition lexico-
graphique), informations syntaxiques, exemples et connexions avec
d’autres nœuds du réseau via des liens de fonctions lexicales Sens-
Texte (Mel’čuk 2007).
La figure 1 montre un extrait de la vue-article9 de allonger la
sauce. Cet extrait comporte des caractéristiques grammaticales  –  la
partie du discours, identifiée suivant les principes exposés par Mel’čuk
(2006) et la classe sémantique, d’après la classification sémantique des
locutions de Mel’čuk (2013)  –  une définition [DF] (voir section 4.1.
infra), des liens de fonctions lexicales [LF] et un exemple [EX].

7 Dans la lignée de ressources telles que le Dictionnaire Explicatif et Combina-


toire (DEC) (Mel’čuk et al. 1984, 1988, 1992, 1999) et du DiCouèbe (Steinlin
et al. 2005).
8 Il y a également des clichés linguistiques (voir classification des phrasèmes de
Mel’čuk 2013).
9 « La vue-article d’une lexie est la rétroaction de forme textuelle que l’éditeur
[lexicographique] génère pour le lexicographe à partir des informations linguis-
tiques associées à la lexie en question. » (Polguère 2014b : 83)

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394  Marie-Sophie Pausé

Figure 1 : extrait de la vue-article de allonger la sauce dans le RL-fr.

La figure 1 permet également d’entrevoir ce que nous nommons la


structure lexico-syntaxique de la locution. Nous en exposons les prin-
cipes dans la sous-section suivante.

3.1.2. Structures lexico-syntaxiques des locutions


Une structure lexico-syntaxique (SLS) est obtenue par la connexion
entre une suite de parties du discours et des lexies. Chaque suite de
parties du discours correspond à un arbre de dépendance qui lie les
unités constitutives du syntagme suivant les relations syntaxiques entre
unités gouverneurs et unités gouvernées (pour une exposition des prin-
cipes d’une grammaire de dépendance, en opposition avec l’analyse en
constituants immédiats, voir Kahane 2008).
L’attribution d’un patron syntaxique aux locutions rappelle le tra-
vail effectué dans le cadre du Lexique-Grammaire (Gross 1982 ; Tolone
2011). Les tables du Lexique-Grammaire constituent un inventaire des
constructions syntaxiques à noyau verbal – la phrase simple y est consi-
dérée comme l’unité minimale de sens. Certaines tables sont consa-
crées aux verbes dont au moins un actant est lexicalement contraint. De
telles constructions sont appelées « phrases figées » (Gross 1982). Les
tables du Lexique-Grammaire se limitent aux structures syntaxiques

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 395

linéarisées, et ne permettent pas de mettre en lien la combinatoire des


unités lexicales identifiées comme constitutives des locutions avec la
combinatoire des locutions elles-mêmes.
L’originalité de notre modèle est qu’il est adossé à une ressource
lexicale. Les SLS se situent alors à l’interface sémantique-syntaxe. La
figure 2 illustre l’attribution d’une SLS à allonger la sauce.

Figure 2 : attribution d’une SLS à allonger la sauce.

Les SLS permettent de prédire les différentes réalisations formelles


potentielles des locutions. Elles donnent en effet accès à toutes les
informations combinatoires de leurs lexies constituantes. Ceci permet
de connaître les mots-formes qui expriment les formes fléchies des
lexèmes – grâce aux tables morphologiques (Gader et al. 2014) – ainsi
que les constructions syntaxiques dans lesquelles ils peuvent apparaître.
Par exemple, le syntagme libre allonger la sauce illustré en (11a), sur
lequel est construite la lexie allonger la sauce peut être passivé,
comme en (11b).

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396  Marie-Sophie Pausé

(11) a. Allonge la sauce si nécessaire, toujours avec l’eau de cuisson. Ajoute


les pâtes dans la sauce et sers immédiatement ! [Web ; cuisine.journaldes
femmes.com]
b. La sauce a été allongée par un peu d’eau et le goût salé de la sauce au
poisson à été ainsi réduit. [Web ; soscuisine.com]

Nous avons vu plus haut que la locution pouvait elle-même se présenter


à la voie passive. Nous retranscrivons l’exemple (2b) ci-dessous :

Attendre neuf ans pour lire du déjà lu, du réchauffé. La sauce a été allongée au
maximum. TRÈS GROSSE DÉCEPTION. [Web ; babelio.com/livres/Auel-Les-
Enfants-de-la-Terre-Tome-6--Le-pays-des-grott/254449/critiques?pageN=4]

Par ailleurs, sauce a un actant sémantique10 qui se réalise comme com-


plément du nom [la sauce du ragoût]. La locution allonger la sauce
a deux actants sémantiques qui se réalisent comme sujet syntaxique
[L’auteur allonge la sauce] et complément circonstanciel [allonger la
sauce avec de longues descriptions], mais nous avons vu supra qu’elle
apparaît dans certains énoncés avec une position actancielle supplé-
mentaire, complément du nom sauce [allonger la sauce du roman].
Nous allons voir comment les SLS, couplées aux définitions lexicogra-
phiques, peuvent prédire l’ajout de cette position actancielle.

4. Modélisation de l’ajout d’une position actancielle


à une locution verbale

La modélisation que nous proposons nécessite l’utilisation de défi-


nitions lexicographiques formalisées, telles que développées dans le
cadre de la LEC. Nous en présenterons dans un premier temps les prin-
cipes. Ils nous permettront ensuite, dans un second temps, d’introduire
la notion de projection structurale, qui articule la définition et la SLS
de la locution.

10 Sur l’opposition entre actant sémantique et actant syntaxique, voir Mel’čuk


(2004a,b).

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 397

4.1. Définition lexicographique dans la LEC

Les principes de la définition lexicographique dans le cadre de la LEC


ont été initiés durant la constitution du Dictionnaire Explicatif et Com-
binatoire, et plus récemment décrits dans Mel’čuk et Polguère (2016).
Nous énonçons ici ces principes de manière succincte.
Le définissant d’une lexie est une paraphrase linguistique com-
posée de sémantèmes plus simples, construite à partir de la forme
propositionnelle de la lexie ; à savoir la formule qui associe une lexie
aux positions actancielles qu’elle contrôle. La forme propositionnelle
constitue le défini de la définition lexicographique. La forme proposi-
tionnelle de allonger la sauce est X allonge la sauce avec Y [L’auteur
allonge la sauce avec des descriptions sans fin].
Le définissant se subdivise en deux types de composantes  : la
composante centrale et la/les composantes périphérique(s). La compo-
sante centrale est la paraphrase minimale de la lexie. X allonge la sauce
avec Y = ʻX ajoute Y à un contenu informationnel’. Les composantes
périphériques, introduites par une puce (●), permettent de spécifier le
sens de la lexie par rapport à d’autres lexies qui ont la même compo-
sante centrale qu’elle. Dans le cas de allonger la sauce, il faut préci-
ser que l’ajout est superflu. Il faut également indiquer que la réalisation
du procès présuppose que X a entrepris la production d’une entité ayant
un contenu informationnel (film, texte, discours, etc.). Nous appliquons
la notion de présupposition telle qu’elle est définie par Mørdrup (1975) :

« P présuppose Q si et seulement si à chaque fois que P est affirmée, niée ou


mise sous forme de question le locuteur ne peut pas nier que Q sans se contre-
dire. » (ibid. : 128)

L’assertion X a entrepris la production d’une entité ayant un contenu


informationnel reste toujours vraie dans un énoncé tel que X n’a pas
allongé la sauce. Par contre, le procès dénoté par la lexie ne peut pas
se réaliser si X n’a pas entrepris la production de l’entité en question.
Nous nommons cette entité α. Elle correspond à un participant de la
situation décrite par allonger la sauce, mais ne s’exprime pas de
façon privilégiée comme dépendant syntaxique de la locution. X ayant
produit α qui a un certain contenu informationnel est la composante

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398  Marie-Sophie Pausé

présupposutionnelle de la définition de allonger la sauce. La com-


posante présuppositionnelle est un type de composante périphérique.
La définition de allonger la sauce peut alors être formalisée comme
suit11 :

X allonge la sauce avec : [[● X ayant produit α qui a un certain contenu


Y informationnel]]
X ajoute Y au contenu informationnel de α
● cet ajout est superflu

Les définitions lexicographiques des locutions verbales, associées à


leurs structures lexico-syntaxiques, vont nous permettre de prédire un
certain nombre de leur variations formelles, grâce à ce que nous nom-
mons la projection structurale.

4.2. Projection structurale

Nunberg et al. (1994) ont établi des correspondances entre des séman-
tèmes du sens global de certaines locutions, et une partie de leurs
constituants lexicaux. Ces locutions sont appelées «  idiomatically
combining expressions » :

« To say that an idiom is an idiomatically combining expression is to say that


the conventional mapping from literal to idiomatic interpretation is homomor-
phic with respect to certain properties of the interpretation of the idiom’s com-
ponents. » (ibid. : 504)

Nunberg et al. (ibid.) proposent de mettre en corrélation ces correspon-


dances entre sémantèmes et constituants lexicaux avec les variations
formelles que peuvent subir les idiomatically combining expressions :

«  We are thus in effect proposing to explain a variety of ‘transformational


deficiencies’ of idioms by positing a bifurcation between idiomatic phrasal

11 Nous ne mettons pas de guillemets sémantiques autour du définissant, pour


alléger la présentation. Précisons que la version complète de la définition, telle
qu’elle est encodée dans le RL-fr, contient des liens vers les lexies dont le signi-
fié est inclus (par exemple, la lexie ajouter, etc.).

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 399

constructions and idiomatically combining expressions […]. […] [T]his


approach predicts a strong correlation between semantic analyzability and
‘transformational productivity’. » (ibid. : 508)

On retrouve cette idée chez Langlotz (2006), qui étudie un exemple


emprunté à Abeillé (1995) : C’est le taureau des privatisations qu’il a
pris par les cornes de l’actionnariat populaire.

« For instance, prendre le taureau par les cornes can be rendered as ‘tackle
a problem directly’ with taureau denoting the problem and prendre meaning
‘tackle.’ Consequently, this idiom can be passivised because taureau has its
independent metaphorical meaning in the context of the phrase. The same is
true for the cleft extraction and adnominal modification […]. The constituent
taureau can be postmodified by the complement des privatisations due to its
metaphorical sense. » (Langlotz 2006 : 35)

La mise en relation de la syntaxe et de la sémantique est également


notée par Mel’cuk (1995 : 205) :

« A speaker does not normally grab a phraseme and try on it a battery of existing
syntactic transformations. What he really does is make semantic choices,
that is, choices that take place at the semantic level and can lead to syntactic
transformations of the phraseme, such as passivization, clefting, relativization,
and the like. »

Examinons le cas de allonger la sauce. La locution est construite


sur une métaphore avec la collocation allonger la sauce : X ajoute de
façon superflue Y à un contenu informationnel, comme s’il allongeait
une sauce. La lexie utilisée dans la collocation est définie comme suit :

X allonge Y avec Z : X ajoute le liquide Z au liquide Y


● pour diminuer la densité de Y

Le défini d’une définition lexicographique est équivalent à un réseau


sémantique. La figure 3 montre le réseau sémantique de la paraphrase
définitionnelle de allonger la sauce.

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400  Marie-Sophie Pausé

Figure 3 : réseau sémantique de la paraphrase définitionnelle de allonger la sauce.

Le lien métaphorique qui établit une analogie entre la situation décrite


par allonger la sauce et la situation décrite par la collocation allon-
ger la sauce permet de connecter leurs réseaux sémantiques, tel qu’il-
lustré par la figure 412.

Figure 4 : connexions entre les réseaux sémantiques de allonger la sauce et allonger
la sauce.

Ceci nous permet de considérer une correspondance entre les consti-


tuants de la SLS de la locution et des sémantèmes de sa définition  :
allonger est à ʻajouter’ ce que sauce est à ʻcontenu informationnel’.
Lorsqu’une telle correspondance est possible, nous parlons de projec-
tion structurale.

« La projection structurale entre la SLS d’une locution et un réseau sémantique


est la mise en correspondance de tout ou partie de ses constituants lexicaux avec
des constituants du réseau. La projection structurale déclenche une activation

12 On peut également envisager ces connexions en terme de sémantique des


frames (Frame Semantics). Voir, à ce propos, Haßler et Hümmer (2005).

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 401

de tout ou partie des propriétés combinatoires des constituants lexicaux de la


locution. » (Pausé, 2017)

Dans le cas de allonger la sauce, la projection structurale permet,


entre autres, d’ajouter un dépendant syntaxique qui est prévu par
la valence de l’unité lexicale sauce  : sauce de X. C’est le cas dans
l’exemple (6) présenté supra et retranscrit ci-dessous :

La lucidité analytique de Philippe lui faisait deviner les raison de telles erreurs
de jugement des personnages : elles permettaient d’allonger la sauce de l’in-
trigue. À défaut, bon nombre de fictions n’eussent dépassé la longueur d’une
nouvelle ! [Leysens Michel, La Reculade, Paris: Société des Écrivains, 2009,
p. 256]

Si nous nous reportons à la définition lexicographique de la locution,


ainsi qu’au réseau sémantique de la figure 3, nous nous rendrons compte
que le complément du nom permet d’exprimer le participant α, qui fait
partie de la composante présuppositionnelle de la définition : sauce de
l’intrigue correspond à ʻcontenu informationnel de α’.
Nous avons pu observer l’ajout d’un complément du nom sur 15
des 47 locutions du type Verbe + Article + Nom Commun dont nous
avons examiné les usages. Ces 15 locutions ont toutes une composante
présuppositionnelle qui contient un participant. Le participant exprimé
peut également se réaliser comme complément du verbe, et non du
nom. C’est le cas dans l’exemple (12).

(12) […][À] cette époque, Gottman traverse une mauvaise passe conjugale :
sa femme enceinte, lui demande de lever le pied de ses recherches pour
se consacrer à leur vie de famille naissante. [leplus.nouvelobs.com/contri
bution/1579116-maries-au-premier-regard-beaucoup-de-bruit-scienti
fique-pour-un-bon-vieux-mariage-force.html]

lever le pied II est définie comme suit :


X lève le pied : [[● X faisant l’activité α de façon trop intense]]
X se met à faire α de façon moins intense

L’expression de α comme dépendant syntaxique de lever dans l’exemple


(12) est possible grâce au lien métaphorique avec la première acception

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402  Marie-Sophie Pausé

lever le pied I ʻse mettre à conduire à une vitesse plus basse’13 [mieux
vaut lever le pied à l’approche d’une intersection]. Cette première
acception est construite sur une métaphore de nature métonymique avec
le syntagme libre lever le pied. Si aujourd’hui le conducteur de n’im-
porte quel véhicule peut lever le pied, à l’origine il s’agissait d’un véhi-
cule disposant d’une pédale d’accélérateur dont on lève le pied pour
ralentir. Lever le pied de ses recherches est analogue à lever le pied de
l’accélérateur.
La projection structurale permet de modéliser un certain nombre
de variations formelles de locutions verbales. Nous avons pris l’exemple
du complément du nom, mais nous aurions pu décrire la passivation
en ajoutant une structure communicative faisant de sauce ʻcontenu
informationnel’ le thème de l’énoncé La sauce a été allongée (Pausé
2017 : chap. 5).

5. Conclusion

La linguistique de corpus nous oblige à redéfinir la notion de figement,


en admettant que toutes les locutions ne témoignent pas d’une fixité
syntaxique complète. Ceci pose la question de la frontière entre fige-
ment et défigement : la passivation d’une locution verbale provoque-t-
elle nécessairement un défigement ? Les emplois attestés des locutions
verbales indiquent que la passivation, ainsi que d’autres variations for-
melles, fait partie de la flexibilité formelle de certaines locutions.
La projection structurale nous permet de comprendre pourquoi
certains constituants lexicaux des locutions acquièrent une autonomie
sémantico-syntaxique, qui active certaines variations formelles des
locutions concernées. Dans un modèle de type Sens-Texte l’identi-
fication des unités lexicales constituantes et des patrons syntaxiques
des locutions, associée à leurs définitions lexicographiques permet de
prédire une bonne part de leurs variations formelles. Nous avons, dans
cet article, abordé plus précisément l’attachenement d’un complément

13 Pour une description de la polysémie des locutions, voir Pausé et Sikora (2016).

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Locutions : du défigement à la flexibilité formelle, il n’y a qu’un pas… 403

du nom, mais nous aurions pu décrire les méchanismes en jeu dans la


passivation, le clivage, la relativation ou bien encore la variabilité d’un
déterminant de la forme de nommage.

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Monika Sułkowska

Techniques, stratégies et suggestions utiles


en phraséodidactique

1. Introduction

La phraséologie en tant que branche de la linguistique et de la lexico-


logie analysant les expressions figées est issue d’une longue tradition.
Mais l’énorme complexité du phénomène, son caractère multi-aspectuel
et de nombreux problèmes théoriques et pratiques dans l’étude du
figement expliquent l’absence de travaux exhaustifs et univoques dans
ce domaine. Malgré une riche documentation scientifique, la plupart
des questions liées au figement lexical se révèlent tout à fait actuelles et
soulèvent aujourd’hui des débats animés autant que des analyses poin-
tues. Ces derniers temps, l’essor de la linguistique et de ses disciplines
collatérales permet aussi d’envisager la phraséologie dans une optique
nouvelle.
Par contre, la phraséodidactique représente un domaine d’étude
peu exploité. Le terme en soi est inconnu de la plupart des didacticiens
et des praticiens de l’enseignement des langues, encore plus sa signifi-
cation et son champ d’application. Au niveau de la phraséologie, l’inté-
rêt consacré à l’enseignement-apprentissage des suites figées demeure
en revanche marginal. Par conséquent, la didactique de la phraséologie
constitue actuellement une sorte de lacune placée à mi-chemin entre la
phraséologie pure et la didactique des langues.
La perception, la compréhension et l’acquisition des expressions
figées en langue maternelle semblent naturelles et inconscientes, mais
leurs décodage et apprentissage en langue étrangère sont souvent très
embarrassants, même pour les locuteurs à compétence avancée. Les
constructions figées de toutes sortes (expressions idiomatiques, col-
locations, parémies, etc.) constituent l’une des pierres d’achoppement

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408  Monika Sułkowska

traditionnelles dans l’acquisition des langues étrangères. Les unités


figées englobent différents types de structures polylexicales qui sont
figées à différents degrés et qui se caractérisent par différents degrés
d’opacité sémantique. Par conséquent, à cette catégorie appartiennent
des constructions qui se révèlent assez faciles pour les non-natifs et
celles qui sont pour eux très embarrassantes parce que leur rapport
image-sens est peu explicite aux yeux des non-natifs. L’énoncé idio-
matique peut souvent s’apparenter à un message tout à fait énigma-
tique pour l’interlocuteur étranger parce qu’il arrive qu’il n’en saisisse
pas le sens, bien qu’il connaisse et qu’il comprenne la signification de
tous les éléments lexicaux qui paticipent à la formation de cette expres-
sion. Par exemple : cordon-bleu, tenir tête, à bon chat, bon rat… Il est
hors de doute que la connaissance des structures figées et idiomatiques
est absolument indispensable pour que l’étudiant puisse accéder à une
compétence communicative respectable tant orale qu’écrite, d’autant
plus que la fréquence des unités phraséologiques est assez significative
dans chaque système linguistique. (Cf. Sułkowska 2013).
Chaque analyse lexicologique doit affronter le problème du fige-
ment. De plus, la lexicologie au niveau des langues étrangères devrait
toucher aussi les problèmes de la phraséodidactique et de ses divers
aspects. Le but de ce texte est donc de présenter quelques techniques,
stratégies et suggestions qui peuvent être utiles en phraséodidactique
des langues étrangères.

2. Techniques, stratégies et suggestions en didactique


du figement

Depuis les années soixante-dix du XXe siècle, les travaux de phraséo-


logie ont abordé des problèmes très divers, toutefois les recherches
inspirées par la didactique du figement sont toujours restées peu nom-
breuses. Par conséquent, l’enseignement de la phraséologie est encore
un domaine en grande partie inexploré. L’acquisition-apprentissage
des compétences phraséologiques est en fait un processus complexe

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  409

qui exige beaucoup d’effort particulier. Comme le dit S. Bąba, déjà en


1986, l’emploi correct des expressions figées exige qu’on respecte cinq
règles principales :

– le principe de stabilité de structure formelle d’une expression


figée,
– le principe de stabilité de structure sémantique d’une expression
figée,
– le principe de stabilité du contexte lexical d’une expression figée,
– le principe d’harmonisation sémantique et stylistique d’une
expression figée avec l’énoncé lexical dans lequel elle apparaît,
– le principe de modération de la fréquence de l’emploi du fige-
ment en discours.

Dans le troisième chapitre de son ouvrage intitulé Des mots pour com-
muniquer. Éléments de lexicométhodologie, R. Galisson (1983) expose
les suggestions concernant la didactique des locutions idiomatiques en
français. L’idée maîtresse de Galisson a pour axe sa conviction que c’est
à l’apprenant lui-même qu’il appartient de mettre au point une straté-
gie d’approche des expressions figées. Il écrit « Au bout du compte,
dans le domaine des vocabulaires, on n’a les moyens d’enseigner que le
sens approximatif et un rudiment d’usage des items rencontrés. Pour le
reste, c’est à l’apprenant de se constituer son mode d’emploi personnel,
en observant le fonctionnement des mots qui font problème pour lui »
(1983 : 78). Le travail individuel de l’apprenant est le point de départ
des suggestions de R. Galisson (ibidem) qui se ramènent à deux types
d’activités complémentaires :

1. la constitution d’un auto-dictionnaire personnalisé,


2. la pratique d’exercices et d’auto-exercices de familiarisation et
de création.

La constitution de l’auto-dictionnaire personnalisé comporte quatre


étapes :

1. Étape de décodage des locutions, la découverte de leur sens au


moyen d’un dictionnaire. C’est la démarche sémasiologique de la
forme au contenu.

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410  Monika Sułkowska

2. Étape dite onomasiologique où l’apprenant passe du contenu à la


forme.
3. Étape dite analogique où l’apprenant effectue une comparaison
contrastive des locutions en parenté sémantique.
4. À la quatrième étape, l’apprenant revient à la démarche séma-
siologique contrastive à travers une analyse corrélationnelle lui
permettant de découvrir certains traits pertinents des locutions
comparées.

Ainsi, l’étudiant commence à se constituer son propre dictionnaire


d’expressions figées à partir des conversations des francophones, en
écoutant la radio ou en regardant la télévision. À ce stade, il se sert
d’un dictionnaire monolingue ou bilingue parce qu’il s’agit de bien
comprendre le sens d’une unité et de trouver son équivalent le plus
juste dans la langue maternelle. Par contre, l’enseignant doit montrer
à l’étudiant la nécessité de ce travail parce qu’il faut que l’apprenant
soit motivé et tout à fait conscient des avantages que peut lui procurer
le travail avec le dictionnaire. Cette première étape exige donc le plus
d’efforts de la part de l’étudiant.
En ce qui concerne la deuxième étape, onomasiologique, la tâche
de l’étudiant consiste à trouver pour chaque expression qu’il a notée, une
étiquette sémantique résumant de façon la plus pertinente possible la notion
fondamentale de l’expression. Par exemple, la locution toucher sa bille
peut être réduite à l’étiquette sémantique compétence. L’étudiant trouve
donc pour chaque locution le sème-noyau le plus adéquat. Il peut choisir
l’étiquette qui lui semble la plus juste, par conséquent on peut s’imaginer
quelques solutions différentes possibles pour une même expression. Mais
l’essentiel est que l’apprenant se rende bien compte du sens.
Puis, à la troisième étape, l’apprenant doit passer à un autre
dictionnaire d’encodage, cette fois-ci réalisé selon la procédure
analogique. Cette étape a pour but de relever les relations de sens
existant entre les séries synonymiques et l’étudiant doit s’apercevoir
que plusieurs expressions peuvent correspondre à une seule notion
et qu’elles ont le même noyau sémique. Par exemple, les expessions
avoir la main heureuse, décrocher le gros lot, être né coiffé peuvent
être rangées sous la même étiquette sémantique chance. Il faut ajou-
ter que l’étudiant saisit mieux les nuances de sens et de style existant

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  411

entre les unités figées des séries synonymiques quand il trouve les
bons équivalents dans sa langue maternelle.
La quatrième étape mentionnée par R. Galisson (ibidem) consiste
en une analyse corrélationnelle. Il s’agit de comparer deux expressions
ayant une même étiquette sémantique en relevant leurs traits pragma-
tiques pertinents, c’est-à-dire les marques d’usage en situation. À titre
d’illustration, pour les phraséologismes avoir un coup dans le nez et
se piquer le nez, qui ont le même noyau sémique ivresse, l’apprenant
doit trouver que le premier se réfère à l’état accidentel tandis que le
deuxième à l’état habituel. Cette tâche de l’apprenant devrait être éven-
tuellement secondée par l’enseignant.
La deuxième proposition de R. Galisson (1983) concerne les
exercices susceptibles d’amener les apprenants à la maîtrise de l’emploi
des locutions idiomatiques. L. Zaręba (2004 : 165–166) cite quelques
types d’exercices proposés par R. Galisson :

1. Exercices de recomposition à caractère ludique.


2. Exercices de substitution à triple inducteur : contextuel, défini-
toire et formel.
3. Exercices de complétion de trois sortes :
– à inducteur formel,
– à inducteur sémantique,
– à inducteur contextuel multiple.
Cet exercice consiste à compléter les locutions proposées en
choisissant dans la liste d’appoint les composants qui manquent
(exercice à inducteur formel) ou en s’aidant des étiquettes séman-
tiques proposées (exercice à inducteur sémantique). Par exem-
ple : dans les expressions suivantes : … son grain de sel, partir
les pieds …, c’est … que le roquefort, ne pas avoir les yeux ….,
les éléments à ajouter sont : dans sa poche, mettre, devant, plus
fort.

4. Exercices de restitution de trois types :


– à inducteur iconique,
– à inducteur mimétique,
– à inducteur définitoire progressif.

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412  Monika Sułkowska

5. Exercices de modification de deux types :


– la cacographie,
– jeux de mots (pouvant épouser diverses formes).
Ce type d’exercices consiste à relever par exemple dans les textes
publicitaires des jeux de mots réalisés à partir de la modifica-
tion de certains éléments de locutions idiomatiques, à restituer
les locutions transformées, enfin à gloser les jeux de mots. À titre
d’exemple, la locution modifiée : mettez la puce à l’oseille cor-
respond à la locution restituée : mettez la puce à l’oreille, et la
glose est  : «  faites entrer le microordinateur (la puce) dans les
banques » (l’oseille = argent).

6. Exercices de mobilisation :
– à indicateur formel,
– à indicateur sémantique.
7. Exercices de traduction.
8. Exercices de situalisation / contextualisation.
9. Exercices de sémantisation.
Dans ces exercices, on propose à l’apprenant un microsystème
idiomatique, c’est-à-dire un système synonymique ou dérivation-
nel. Il s’agit de trouver un trait sémantique commun (étiquette
sémantique), puis des traits sémantiques distinctifs, par exemple
forcer la main – mettre le couteau sous la gorge.
10. Exercices de pragmatisation.
Dans ce cas-là, il s’agit de trouver pour une locution proposée
une situation et un contexte dans lesquels elle peut être employée.
Ensuite, il faut déceler les traits pragmatiques pertinents. Par
exemple, l’expression toucher sa bille  ; un contexte  possible  :
– Qui a réparé ta bagnole ? – C’est Robert ! – Oh, celui-là, il
touche sa bille ! et une situation : conversation entre deux amis,
dans un garage. Traits pragmatiques pertinents : le locuteur est
admiratif pour celui à qui cette locution s’applique ; la locution
est valorisante pour la personne dont on parle.

Les suggestions de R. Galisson (1983) inspirent aussi la méthodologie


applicable en classe, proposée par L. Collès (1992). Selon lui, ce que
les étrangers attendent des cours de français qui leur sont dispensés,

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  413

c’est moins de posséder des connaissances encyclopédiques que de


pouvoir comprendre les francophones dans leur vie quotidienne et
d’être compris par eux. En d’autres termes, ils souhaitent avoir accès
à la culture comportementale partagée par l’immense majorité des
natifs. Or, R. Galisson constate que celle-ci se dépose avec prédilection
dans certains mots qu’il appelle « mots à charge culturelle partagée »
(C.C.P.). Par exemple, le mot vache désigne, en Inde comme en France,
la femelle du taureau, mais sa C.C.P. diffère d’un pays à l’autre : en
Inde, la vache est protégée parce que sacrée, alors qu’en France elle
est exploitée parce que nourricière. R. Galisson propose une typologie
élémentaire qui se veut une recension des lieux où se concentrent les
mots « plus culturels que les autres ». Ceux-ci se regrouperaient donc
en trois catégories :

– La première comprendrait ceux dont la C.C.P. est le produit de


jugements tout faits véhiculés par des locutions figurées.
– La seconde, ceux dont la C.C.P. résulte de l’association d’un lieu
à un produit spécifique.
– La troisième, ceux où la C.C.P. est la coutume suggérée par le mot
(par exemple, Noël évoquant le sapin, la bûche, la crèche, …).

S’inspirant de la méthodologie de C.C.P., L. Collès (1992) propose un


travail de classe, qui comporterait quelques étapes et composantes, à
savoir :

1. Interroger des natifs  : dans la mesure où les circonstances le


permettent, on peut demander aux apprenants des niveaux inter-
médiaire et avancé de partir en quête d’informations auprès
des natifs. Des mots auront été sélectionnés par le professeur
dans les dialogues et les textes des leçons et répartis parmi
les apprenants. Mieux vaut ne pas en donner trop à la fois et
demander aux enquêteurs de varier leur échantillon, puisque
la charge culturelle peut différer selon l’âge et l’appartenance
socioculturelle des locuteurs.
2. Élaborer son propre dictionnaire de culture partagée : il s’agit
d’un dictionnaire de type onomasiologique, qui part du contenu
pour aller vers la forme  : en l’occurrence, on va du monde

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414  Monika Sułkowska

«  informé  », à l’état brut au monde «  formé  », ordonné, qui


autorise l’accès au signifiant des signes à inventorier. La
démarche admise est anthropocentrique, c’est-à-dire qu’elle
découpe l’univers en zones concentriques autour de l’homme.
On peut donc proposer à des étudiants d’un niveau avancé de
réaliser des articles d’un dictionnaire de mots à C.C.P.
3. Élaborer un dictionnaire d’expressions imagées  : l’élaboration
d’un auto-dictionnaire peut se limiter aux expressions imagées
rencontrées dans les nombreux textes et dialogues abordés en
classe, auxquelles on pourra éventuellement ajouter celles vues
ou entendues en dehors de celle-ci.
4. Manipuler un grand nombre d’expressions imagées : cette étape
a pour objet la compréhension et la production de locutions
figurées, choisies parmi les plus courantes, mais aussi parmi
les plus délicates à maîtriser. C’est l’utilisation systématique
d’un dictionnaire qui rend ce travail efficace. En effet, si des
exercices suffisent rarement à l’acquisition d’une langue, on
peut considérer que, liés à la manipulation répétée d’un dic-
tionnaire, ils contribueront au renforcement de la compétence
culturelle.
5. Travailler sur les expressions idiomatiques  : selon M. Yaguello
(1989), il faut apprendre à transposer les locutions figées en bloc
dans la langue étrangère. Mais leur mémorisation ne va pas de soi,
vu leur caractère inexpliqué, voire incongru. De plus, la véritable
difficulté pour les étrangers consiste à établir dans l’usage un
rapport entre un contenu à première vue sibyllin (issu de conditions
sociales disparues) et le contexte d’énonciation. La mémorisation
de ses syntagmes doit donc se faire en situation. L’idéal serait de
recenser ceux-ci au fur et à mesure de leur rencontre, au départ des
textes ou dialogues abordés en classe. Cette étape peut s’appuyer
sur des activités diverses telles que les exercices de traduction, de
composition, de réécriture, de transformation.

Quelques stratégies phraséologiques intéressantes apparaissent aussi


dans le texte de S. Ettinger (1992). Il donne donc quelques propositions
concrètes qui devraient faciliter l’acquisition-apprentissage des locu-
tions figées :

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  415

1. Tout d’abord il faut citer l’expression idiomatique dans un con-


texte suffisamment large. La définition développée, la traduction
et la recherche d’une expression équivalente en langue maternelle
contribuent à la compréhension de l’expression idiomatique.
2. Tout en restant dans le cadre purement linguistique, il faut ensuite
tenir compte des restrictions classématiques et grammaticales et
essayer de définir le niveau de langue.
3. Dans la pragmatisation proprement dite des expressions idioma-
tiques, l’apprenant doit répondre aux questions suivantes : Qui
emploie cette expression en s’adressant à qui, dans quelle situ-
ation (quand, où) et avec quelles intentions ? Les réponses nous
permettent d’établir une relation entre les sujets qui parlent et
ceux qui écoutent et elles devraient nous permettre également la
compréhension des connotations inhérentes.

Le problème de l’acquisition des compétences phraséologiques ainsi que


la question des stratégies phraséodidactiques apparaissent aussi dans
les travaux de J.-P. Colson (1992, 1995). Un premier principe général
indiqué par J.-P. Colson (1992), qui vaut pour l’enseignement des diffé-
rentes unités phraséologiques et particulièrement pour les expressions
verbales et collocatives (ces expressions sont les plus difficiles selon
lui), concerne le contexte. Quelle que soit la méthode choisie, il faut
veiller à présenter les expressions dans leur contexte. L’idéal serait de
situer l’expression dans un texte. Un moyen très simple est de demander
aux étudiants de souligner dans un texte toutes les expressions et de
tenter ensuite d’en donner la signification et la valeur affective (ironie,
humour, registre, etc.) en se basant sur le contexte linguistique (les
autres phrases) ou même extra-linguistique (la situation en question, le
personnage ou le pays dont on parle, etc.). D’autres exercices peuvent
consister à imaginer un contexte possible pour telle ou telle expression,
ou à choisir la bonne solution parmi d’autres, dans un test à choix mul-
tiples. La deuxième chose qu’il faut accentuer est la rétention à long
terme des expressions figées. De nombreux traducteurs déduisent du
contexte le sens des expressions idiomatiques qu’ils rencontrent, mais
ils ne les utilisent pas lors d’une composition écrite ou orale en langue
étrangère. Pour acquérir les expressions idiomatiques, il faut donc que
les étudiants soient confrontés à un matériel (interviews, textes, romans,

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416  Monika Sułkowska

etc.) qui contient ces structures. L’idéal serait par exemple de concevoir
un certain nombre de situations riches en expressions figées. Le sup-
port visuel apparaît comme un renforcement puissant de la rétention
des expressions en situation. La rétention à long terme des expressions
peut aussi être favorisée par des exercices basés sur les synonymes et
antonymes, ou encore par le classement par champs sémantiques. De
plus, l’enseignement des expressions idiomatiques et verbales peut être
assisté utilement par ordinateur. La création d’une banque de données
phraséologiques bilingues peut se révéler fort utile aux apprenants.
Dans cette banque de données, chaque expression devrait idéalement
être reprise dans son contexte original : il suffirait de recopier l’extrait
du roman ou de l’article de journal où intervient l’expression.
J.-P. Colson (1995) développe quelques étapes qui sont nécessaires
pour travailler les expressions figées du point de vue de la didactique
traductologique, à savoir :

– Le dépistage des phraséologismes.


– L’analyse sémantique.
– L’analyse contextuelle et macrostructurelle.

Par ailleurs, L. Wéry (2000) parle des médias qui offrent du matériel de
travail facile à exploiter pour travailler des expressions figées en classe
de FLE. Il mentionne tout d’abord le slogan publicitaire. Ces slogans
sont omniprésents dans notre quotidien. Ils sont souvent supportés
par un autre canal que la langue : l’image, mobile (T.V.) ou immobile
(affiche). Celle-ci, la plupart du temps, peut considérablement faciliter
la compréhension du slogan. L. Wéry (ibidem) suggère aussi d’exploi-
ter les titres de presse qui sont particulièrement riches en expressions
idiomatiques. La publicité apparaît exploitable à tous les niveaux tandis
que la presse reste davantage exploitable à des niveaux moyens ou avan-
cés. De plus, L. Wéry (ibidem) parle également des films. Le travail sur
des extraits de films en français lui semble très intéressant à plusieurs
niveaux. On peut par exemple demander aux étudiants de relever les
expressions sur un extrait préalablement choisi et ensuite, de les tra-
vailler selon différentes grilles. Après le repérage et les explications de
compréhension, on peut passer à la production avec des saynètes, des
jeux de rôles inspirés directement du film. Le cinéma générerait plutôt

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  417

des exercices oraux, la presse et la publicité des exercices écrits (cf.


M. Sułkowska 2011 et 2013). P. Nation (1993) conseille en revanche
d’employer les textes de chansons qui sont en principe riches en struc-
tures figées. Ils peuvent donc aider à connaître et à mémoriser des
expressions idiomatiques en langue étrangère. À côté des chansons, le
langage métaphorique et figuré apparaît aussi fréquemment dans les
horoscopes et affiches.
Des suggestions phraséodidactiques marquantes viennent aussi
de l’étude de A. Cieślicka (2006). Pour ce qui est des expressions idio-
matiques, J. Charteris-Black (2002) suggère de porter l’attention des
apprenants à des ressemblances et des différences non seulement au
niveau linguistique, mais aussi au niveau conceptuel, surtout en ce
qui concerne des expressions culturellement différentes. A. Deignan,
D. Gabryś et A. Solska (1997) soulignent également la nécessité
d’analyser d’une façon consciente des expressions idiomatiques par
les apprenants en langue étrangère. Or, après avoir étudié le problème
de la composabilité des expressions idiomatiques et ses implications
didactiques, A. Cieślicka (2006) prétend aussi que la signification
littérale constitue en réalité un facteur important pour que l’apprenant
puisse décoder le sens figuré d’une expression figée. Au lieu d’éviter
des significations littérales, il faut donc plutôt porter l’attention des
élèves à la coexistence des sens propre et figuré, et montrer leurs rela-
tions mutuelles. Pour atteindre ce but, on peut appliquer différents types
d’exercices, par exemple :

– traduire des expressions figées d’une façon littérale en langue


étrangère et montrer aux apprenants les erreurs qui en résultent ;
– composer des petites histoires en employant des expressions
figées au sens propre et figuré ;
– composer des dialogues où il y a des quiproquos résultant de la
compréhension littérale des expressions idiomatiques employées ;
– présenter le sens propre et figuré d’un idome à l’aide des techniques
de pantomime ;
– profiter des illustrations qui présentent les sens propre et figuré
des expressions traitées.

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418  Monika Sułkowska

A. Cieślicka (ibidem) parle aussi des exercices de visualisation qui


peuvent jouer un rôle mnémotechnique en phraséologie. Ces derniers
temps, une conception intéressante, applicable en phraséodidac-
tique, fut proposée par J. Florczak (2010, 2011). Elle englobe deux
simples techniques d’analyse comparée des expressions à caractère
idiomatique-phraséologique de la langue française et polonaise.
Les outils proposés sont d’origine cognitive et le modèle d’analyse
conseillé aux apprenants de FLE de niveau avancé a pour finalité de
les doter d’un savoir-faire linguistique dont ils pourront se servir
dans leur développement linguistique autonome. On propose ici
deux outils d’analyse linguistique. Le premier visera à expliquer les
différences les plus frappantes entre les concepts, les conventions et
les mises en profil des expressions phraséologiques ou idiomatiques
considérées comme équivalentes. Le deuxième tentera de visua-
liser les différences observées. J. Florczak (ibidem) prouve qu’une
acquisition appropriée de la compétence lexicale en langue étrangère
nécessite une connaissance approfondie des concepts, des degrés
de conventionnalisation et des profils considérés comme conven-
tionnalisés dans cette langue. Afin d’y aboutir, la première analyse
proposée consiste à comparer les expressions L1 et L2 du point de
vue des éléments susmentionnés. L’analyse de ce type fut nommée
l’analyse CCP (Concepts, Conventions et Profils). Par exemple :
Loin des yeux, loin du coeur Co z oczu, to z serca
Cvfr + = Cvpl +, Cpfr = Cppl, Pfr ~ Ppl
Prendre ses jambes à son cou Brać nogi za pas
Cvfr + = Cvpl +, Cpfr = Cppl, Pfr # Ppl (Ppl *prendre ses jambes à sa ceinture)

Ce n’est qu’à force d’entendre dire les expressions figurées dans des
contextes particuliers qu’elles s’enracinent dans notre esprit, si bien
que nous finissons par oublier leurs profils métaphoriques (catachré-
tiques) et commençons à les interpréter conformément à la convention
de la langue donnée. Dans l’approche structurale, nous dirons donc
qu’elles ont été lexicalisées, dans l’approche cognitive, que la langue
les a conventionnalisées. Ainsi, prendre ses jambes à son cou devient
une façon plus expressive de dire «  s’enfuir précipitamment  ». Bien
fréquemment, en fait, nous réagissons aux mots ou expressions étran-
gers tout comme nous réagissons aux mots ou expressions de la langue

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  419

maternelle au moment de leur première perception. Dans cette pers-


pective « perceptionniste », dans la didactique des langues étrangères,
il s’agira donc d’habituer l’apprenant de LE à percevoir aussi bien la
langue qu’il apprend que la réalité qu’elle décrit conformément à sa
convention. Et en vue de le sensibiliser aux différentes perceptions
linguistiques de la langue française et polonaise ainsi que de lui faire
acquérir le réflexe de représentations visuelles conventionnalisées dans
la langue française qu’est proposé l’exercice suivant. Sa matrice est très
simple : sur les deux côtés des ovales en intersection, on dessine « les
sens littéraux  » des expressions comparées (cf. profilographes dans
J. Florczak 2010), considérées comme pleinement conventionnalisées
dans les deux langues et dont les sens inférentiels sont les plus proches
possibles. Dans leur partie commune, nous présentons leur sens cata-
chrétique commun, dont la représentation peut être soit proposition-
nelle, soit visuelle. Selon l’auteur, l’exercice, applicable en phraséodi-
dactique, possède une grande valeur didactique (la visualisation de ce
qui doit être mémorisé) et cognitive (la représentation de ce qui doit être
enraciné). J. Florczak (ibidem) souligne que les visualisations compa-
rées, basées sur les profilographes, ont un effet didactique-cognitif fort.
Bien que les exercices de dessins puissent parfois paraître fort naïfs,
nous pensons que l’application de cette technique en phraséodidactique
peut faciliter la mémorisation et l’enracinement des expressions figées
en langue étrangère. (Sułkowska 2013).

3. Techniques et suggestions en traitement didactique


des collocations

De toutes les expressions figées, les collocations sont celles qui tendent
le plus à être ignorées aussi bien par les apprenants que par les ensei-
gnants, alors que leur importance en nombre dans la langue et dans le
discours a été révélée. Elles sont courantes dans le langage quotidien
et scientifique (Sułkowska 2013). Les collocations apparaissent par
exemple dans les phrases suivantes :

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420  Monika Sułkowska

Il faut comparer les résultats avec ceux obtenus.


Il se pose donc un problème lié à notre travail.
Hier, j’ai passé un examen difficile.

Si l’on se place dans une perspective psycholinguistique, les études sur


l’acquisition des collocations en langue seconde montrent qu’elles sont
parmi les plus difficiles à maîtriser par les apprenants, même de niveau
avancé, et que leur analyse représente par conséquent un enjeu réel.
L’idée d’association habituelle de deux unités lexicales (cf.
I. Mel’čuk 1993) se retrouve dans les descriptions linguistiques et
permet de cerner un peu mieux les critères facilitant la description de
ces éléments. C. Cavalla (2008) retient pour l’enseignement des collo-
cations les critères suivants :

– Les collocations ont un sens figé  : Si l’un des éléments de la


collocation garde son sens habituel (la base), l’autre prend une
valeur métaphorique plus ou moins marquée (le collocatif).
À titre d’exemple, passer un examen, sens propre de examen
(base), sens métaphorique de passer (collocatif).
– Les collocations ont une morphologie et une syntaxe variable (cf.
A.Tutin 2007).
– Les collocations acceptent souvent des insertions  : avancer
clairement une hypothèse (insertion adverbiale).
– Les collocations ont un lexique plutôt stable (paradigmes limités) ;
par exemple, le nom hypothèse accepte une liste fermée de verbes
(32 dans un corpus d’environ 2 M de mots) (cf. C. Cavalla,
F. Grossmann 2005).

Les difficultés qu’ont les apprenants à acquérir les structures colloca-


tives ont été analysées p.ex. par M. Netzlaff (2005) dans une étude sur
les collocations françaises et allemandes. Elle est d’avis que les fautes
commises par les élèves dans l’usage des collocations relèvent de l’in-
terférence de leur langue maternelle et d’une préférence pour l’emploi
de termes généraux. D’une part, les apprenants auraient tendance à
décomposer les collocations en éléments pour les analyser et cherche-
raient séparément des équivalents pour la base et le collocatif. D’autre
part, si les termes leur manquent, ils seraient tentés de traduire le concept
par un terme plus générique. On peut penser que la fréquente apparition

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  421

de certaines collocations dans les consignes des manuels facilite leur


mémorisation. Cependant, on constate que les apprenants ne retiennent
pas seuls ces structures et ont besoin d’une mise en exergue de la phra-
séologie pour la retenir.
C. Cavalla (2008) aborde la question de l’enseignement-
apprentissage des collocations. Elle focalise son attention sur les col-
locations transdisciplinaires fréquentes dans des écrits scientifiques
de chercheurs locuteurs natifs de différentes disciplines universi-
taires. Parmi les collocations rencontrées, elle s’arrête sur celle dont
la structure est fréquente : V + N (émettre une hypothèse). Ses exer-
cices sur multimédia s’adressent à des étudiants locuteurs non-natifs
(LNN) de niveau B1 minimum, qui suivent une formation universi-
taire à l’Université Stendhal-Grenoble 3. Son ouvrage est davantage
destiné à des étudiants LNN de niveau A2-B1. De façon générale, les
exercices suivent la progression suivante :
Avec texte support :

– repérage guidé des collocations sur une partie de l’article : lecture


attentive en vue d’une mémorisation des structures collocatives de
type : V+ N ;
– vérification du sens par la réutilisation des structures en contexte ;
– repérage non-guidé des structures collocatives spécifiques ;
– mémorisation : insertion dans des phrases issues de l’article, puis
dans de nouveaux contextes.

Sans texte support :

– utilisation d’images support ;


– développement de stratégies de déduction du sens ;
– mémorisation : appariements répétés ;
– réinvestissement dans des contextes variés.

L’expérience d’enseignement conduit C. Cavalla (ibidem) à envisager


l’enseignement de la phraséologie dès le niveau A2 afin d’aborder rapi-
dement des structures primordiales dans une langue étrangère. Mémo-
riser puis utiliser la phraséologie collocative demande à l’apprenant
un travail de reconnaissance de la forme morpho-syntaxique de ces
constructions et celle de leur sens.

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Comme le remarque M. Pecman (2005), la linguistique de corpus


et le traitement automatique des langues ont joué un rôle décisif dans
l’étude des combinaisons de mots récurrentes et arbitraires appelées
collocations. M. Pecman (ibidem) aborde également le problème des
collocations au niveau de la « Langue Scientifique Générale » (LSG).
Sa recherche défend l’idée de l’existence d’une langue commune aux
scientifiques indépendamment de leurs spécificités disciplinaires et de
leur origine linguistique. En ce sens, la LSG peut être définie en tant que
pratique langagière spécifique à une communauté de discours compo-
sée de chercheurs en sciences exactes dont les objectifs communicatifs
poursuivis émanent des préoccupations partagées par des scientifiques
à travers le monde et indépendamment de leurs spécificités discipli-
naires (M. Pecman, 2005: 4). Le corpus de la LSG fut stocké dans une
base de données. Son analyse montre que la LSG est caractérisée par
un type d’unités phraséologiques bien déterminé. Ainsi, la plupart des
unités phraséologiques collectées entrent dans la catégorie des «  col-
locations restrictives  », c’est-à-dire catégorie à laquelle de nombreux
linguistes réfèrent d’ailleurs sous le terme simple de « collocations ».
Les idiomes purs tels que vendre la mèche, casser sa pipe, avoir du pain
sur la planche, n’apparaissent jamais dans le discours scientifique. De
plus, dans le corpus sélectionné par M. Pecman (ibidem) il n’y a pas
non plus d’idiomes figuratifs comme sortir du lot, tourner au vinaigre,
c’est dans la poche. Par contre, la présence fréquente des collocations
dans la LSG fait penser à la nécessité de leur traitement didactique.
Selon M. Pecman (ibidem), l’un des outils qui pourrait répondre le
mieux aux difficultés que connaissent les locuteurs non-natifs face aux
constructions de mots récurrentes et arbitraires se présente sous forme
d’un dictionnaire phraséologique multifonction. Celui-ci se compose-
rait de deux volets :

– un volet qui propose une approche sémasiologique du vocabu-


laire phraséologique (le dictionnaire phraséologique proprement
dit),
– et l’autre qui offre une approche onomasiologique du même
vocabulaire (le thésaurus phraséologique).

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Un tel dictionnaire phraséologique de la LSG est sous-tendu par une


approche sémasiologique de la langue permettant de connaître la tra-
duction d’une unité phraséologique dans la langue cible. En effet,
toute mise en relation des unités lexicales de deux ou plusieurs lan-
gues passe par la compréhension du contenu sémantique spécifique des
unités phraséologiques et de leur distribution dans la langue donnée.
Un tel dictionnaire phraséologique bilingue devrait permettre en outre
de consulter les données à partir de n’importe quel mot contenu dans
l’expression recherchée, afin de faciliter l’accès aux unités figées
(cf. H. Zinglé 2003). En revanche, l’approche onomasiologique de la
langue apparaît comme une réponse aux problèmes de formulation de
sens dans la langue seconde. Un des principaux obstacles auxquels se
trouvent confrontés les locuteurs non-natifs est la difficulté que l’on a
parfois à trouver une forme linguistique précise pour exprimer une idée
(cf. H. Zinglé, ibidem). Selon M. Pecman (2005), le projet de création
du dictionnaire phraséologique multifonction répond bien à une absence
générale à l’heure actuelle de dictionnaires phraséologiques bilingues
et il offre des solutions concrètes face à la difficulté que présente le
maniement des collocations pour les locuteurs non-natifs.
Une proposition intéressante quant à l’enseignement-apprentissage
des collocations de toutes sortes vient aussi de I. González Rey (2010). Son
manuel La didactique du français idiomatique (2007), appelé méthode par
l’auteur, contient des collocations qui font l’objet d’exercices offerts dans
les deux niveaux ansi que leur recensement dans le glossaire.
Au niveau 1, les collocations exploitées concernent :

1. les relations restrictives entre les composants des expressions


construites selon les schémas suivants :
– verbe + CN : grelotter de froid, trembler de peur ;
– verbe + N : faire attention, prendre congé, rendre service ;
– verbe + adv. : faire vite, aller bien, couper court ;
– adv. + adj. : grièvement blessé, éperdument amoureux ;
– adj. + prép. : enclin à, fier de, fort en ;
– collocations prépositionnelles : par hasard, de la sorte, sans
détours .

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424  Monika Sułkowska

2. les relations d’implication :


– nom + verbe : tomber (la pluie), couler (l’eau), miauler (le chat) ;
– nom + CN : le clapotement des vagues, l’aboiement du chien,
le miaulement du chat.

Au niveau 2, l’exploitation se fait :

1. sur la structure :
– expression verbale sans article  : chercher noise, tenir tête,
tirer profit, prêter secours ;
– expressions hyponymiques et hyperonymiques  : refuser une
invitation = décliner une invitation ; prendre une responsabilité
= assumer une responsabilité ;
– expressions réduites  : prendre une douche = se doucher,
rendre visite = visiter, donner un coup de fil = téléphoner.
2. sur le sens :
– les expressions antonymiques : prendre du temps <-> gagner
du temps, mettre un terme à qqch. <-> mener qqch. à terme ;
– les expressions terminologiques : avoir le droit de, avoir droit
à, être en droit de, être dans son droit.
3. sur le discours dans un texte.

Dans le glossaire, toutes les collocations employées dans les deux


niveaux sont regroupées et divisées en trois grands groupes de champs :
lexical, structural et sémantique.
Dans le champ lexical, les termes relevant d’un domaine en
particulier (celui du corps humain, des animaux, des sentiments, etc.)
servent de critère pour réunir les collocations qui les contiennent. Dans
le champ structural, le critère employé pour les regrouper est celui des
catégories lexicales sans article (avoir raison), avec article partitif ou
indéfini (avoir de la chance – avoir la chance de), les composés (une
mi-temps, aigre-doux), etc. Dans le champ sémantique, les collocations
sont réunies dans des domaines communs génériques, par exemple, les
tâches ménagères (faire la lessive, faire le ménage, mettre la table), les
affaires (arrêter un projet, conclure un marché, signer un accord).
L’omniprésence des structures collocatives ainsi que la difficulté
que rencontrent les locuteurs non-natifs pour apprendre leur emploi

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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  425

correct nous amènent sans doute à porter plus d’attention à cette


catégorie du figement. À l’heure actuelle, les collocations ne sont que
très rarement prises en compte en didactique des langues. D’un côté,
elles sont un peu marginalisées dans la phraséologie traditionnelle qui
s’appuie avant tout sur les expressions imagées ou proverbes. De l’autre,
elles ne sont pas suffisamment accentuées en didactique du vocabulaire.
Les cas surcités de leur traitement spécifique présentent donc de bons
exemples à suivre. La fréquence notable des collocations en langage
quotidien et scientifique, souvent à l’écrit, fait que leur emploi naturel
et spontané est la preuve indéniable d’une bonne maîtrise de la langue
étrangère. De cette raison, les structures collocatives méritent donc bien
leur mise en place particulière en didactique des langue (Sułkowska
2013).

4. En guise de conclusion

La nécessité d’apprendre le figement en langues étrangères est incon-


testable. Elle est confirmée même par le Cadre Européen Commun de
Référence pour les langues. L’acquisition et le développement des com-
pétences phraséologiques en langues étrangères est un processus vaste et
multi-aspectuel. Il exige la connaissance de la nature complexe du fige-
ment et son traitement spécialisé. Les expressions figées se situent au
niveau où se croisent les compétences lexicales, syntaxiques et séman-
tiques. Les composantes des expressions figées, en tant que lexèmes,
fonctionnent d’habitude comme des unités lexicales autonomes, et elles
constituent en fait des éléments significatifs qui participent également à
créer des énoncés non figés. Ce fait rend les expressions figées encore
plus difficiles à apprendre parce que les apprenants doivent mémoriser
les unités figées en totalité en faisant abstraction de leurs significations
lexicales. L’acquisition des compétences phraséologiques en langue
étrangère constitue le degré le plus élevé des compétences lexicales et
collocatives, ce qui rend la phraséodidactique encore plus actuelle.

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426  Monika Sułkowska

Pour récapituler les principales techniques, stratégies et sugges-


tions phraséodidactiques dont nous avons parlé plus haut, nous propo-
sons le schéma graphique suivant :

Dictionnaires Différents types d’exercices


et auto-dictionnaires phraséologiques phraséodidactiques

PHRASÉODIDACTIQUE

Contexte Documents authentiques Visualisation du sens


linguistique et situationnel riches en figement (propre et figuré)
(textes, affiches, publicité, films,
chansons, internet, etc.)

Fig. 1 : Techniques, stratégies et suggestions phraséodidactiques.

Bibliographie

Bąba, Stanisław 1986. Twardy orzech do zgryzienia, czyli o poprawności


frazeologicznej, Poznań : Wydawnictwo Poznańskie.
Cavalla, Cristelle 2008. « Propositions didactiques pour l’enseignement
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Techniques, stratégies et suggestions utiles en phraséodidactique  427

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kompetencji języka obcego, Łódź : Wydawnictwo UŁ.
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428  Monika Sułkowska

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Pecman, Mojca 2005. «  Les apports possibles de la phraséologie à la
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Wéry, Laurénce 2000. « Approche des expressions idiomatiques en
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Yaguello, Marina 1989. « Pas si idiot que ça … », préface de Les Idio-
matics français-anglais, Paris : Point-virgule.
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Księgarnia Akademicka.
Zinglé, Henri 2003. « Construction et exploitation d’une base de don-
nées phraséologiques en français », Actes du Congrès intrerna-
tional des linguistes, 24–29 juillet 2003, Prague.

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Notes sur les contributeurs

Thouraya Ben Amor Ben Hamida a un doctorat en langue, littérature


et civilisation françaises de l’Université de la Manouba (Tunisie). Elle
est membre de l’unité de recherche Traitement informatique du lexique
(UR11ES45). Ses travaux de recherche sont relatifs à la sémantique
lexicale, à la phraséologie et à la linguistique du discours et notamment
au discours humoristique. Elle a publié un ouvrage intitulé Le jeu de
mots chez Raymond Queneau (2007) et d’autres articles sur ce fait de
langue dont, à titre d’exemples : « Polylexicalité, polysémie et jeu de
mots »(2003), « Discours et jeu de mots » (2015). Elle s’intéresse, en
particulier, aux phénomènes qui tiennent de la langue et du discours,
qui constituent des emplois transgressifs ou déviants au sein des unités
ou des entités phraséologiques comme le défigement, les ruptures
collocationnelles, le détournement des proverbes, etc. La construction
du sens à partir de la déconstruction phraséologique constitue l’un de
ses principaux centres d’intérêt.
Xavier Blanco Escoda est professeur de philologie française à
l’Université Autonome de Barcelone où il enseigne la lexicologie,
la sémantique et l’histoire de la langue. Il est l’auteur de nombreuses
publications en lexicologie française et comparée, en lexicographie et en
traduction, ainsi que de dictionnaires électroniques à très large couverture
pour des systèmes de traduction automatique et des plates-formes
d’ingénierie linguistique. Il dirige le groupe de recherche Phonétique,
Lexicologie et Sémantique (UAB, SGR 442). Il a été secrétaire général du
réseau Lexicologie, Terminologie et Traduction et professeur invité aux
universités de Franche-Comté, Sorbonne-Paris-Cité, Bialystok, LMU
Munich, UNL Lisbonne, Herzen de Saint-Pétersbourg, Université d’État
de Bélarus et UP de Cracovie. Il fait partie des comités de rédaction
ou des comités de lecture de revues scientifiques, comme Cahiers de
Lexicologie, Epos, Langues et Parole, Le français moderne, Lingvisticae
Investigationes, Phrasis,Verbum.

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430  Notes sur les contributeurs

Pierre-André Buvet est enseignant-chercheur à l’université Sorbonne


Paris Cité Paris 13. Il est responsable pédagogique du Master 2 Trai-
tement Informatique et Linguistique des Documents Écrits (TILDE)
qui forme les étudiants au métier d’ingénieur en Industrie des Langues.
Ses travaux en recherche fondamentale portent sur la sémantique et la
syntaxe. Il est l’auteur d’un livre intitulé : La dimension lexicale de la
détermination en français. Ses travaux récents portent sur une modéli-
sation du langage intitulée « La théorie des trois fonctions primaires »
(en collaboration avec Salah Mejri). Ses travaux en recherche appliquée
portent sur la compréhension automatique des textes. Il a notamment
travaillé sur la Compréhension Automatique des Discours Politiques.
Àngels Catena est maître de conférences  au Département de Philo-
logie Française et Romane de l’Université Autonome de Barcelone
où elle enseigne depuis 2003. Elle est également membre du groupe
de recherche  Fonètica, Lexicologia i Semàntica  (fLexSem) de cette
même université. Ses travaux portent sur la lexicologie et la sémantique
lexicale en français et en espagnol ainsi que sur des aspects lexicaux
dans le domaine de l’enseignement-apprentissage du français langue
étrangère. Elle a participé à différents projets de recherche internatio-
naux et actuellement elle travaille dans le cadre du projet  FFI-2013-
44185-P Jerarquía de etiquetas semánticas (español y francés) para los
géneros próximos de la definición lexicográfica.
Yara El Ghalayini est professeur assistant à la South Mediterranean
University (SMU) à Tunis. Elle est titulaire d’une maîtrise d’Études
Anglaises à l’Université Nationale de Jordanie et d’un doctorat en
Linguistique Générale de l’Université de Grenade (Espagne) avec une
thèse intitulée : Langage figuratif et culturel : botanismes métaphoriques
dans le lexique et la phrasé-parémiologie de l’espagnol et de l’arabe :
l’olivier. Elle a participé à des conférences nationales et internationales
de linguistique et elle a publié différents articles dans des livres et
des revues.  Ses principaux domaines d’intérêt sont la linguistique
contrastive, la lexicologie, la phraséologie et la linguo-culturologie.
Jan Goes a étudié la philologie romane et la philologie orientale à
l’Université de Gand (Belgique) où il a soutenu un doctorat en lin-
guistique française en 1996. Maître de conférences, puis Professeur

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Notes sur les contributeurs 431

en linguistique et français langue étrangère à l’Université d’Artois


(France) depuis 1999, il est directeur du centre de recherche Gramma-
tica depuis 2008. Il est lauréat de l’Académie Royale de Belgique et
Chevalier dans l’ordre des palmes académiques. Ses recherches portent
sur le comportement sémantique et syntaxique de l’adjectif en français
moderne, sur la didactique du français langue étrangère, sur la poésie
hispano-arabe et sur l’humanisme en islam. Parmi ses publications,
on compte L’adjectif. Entre nom et verbe (De Boeck – Duculot, coll.
Champs linguistiques, 1999), et avec Inès Sfar, La grammaire en FLE/
FLS. Quels savoir pour quels enseignements  ? (Le Français dans le
monde, Recherches et Applications n° 57, 2015).
Małgorzata Izert est maître de conférences habilitée à diriger
les recherches au Département de linguistique à l’Institut d’Études
Romanes – Université de Varsovie. Elle enseigne la linguistique
générale, la sémantique, la lexicologie, la grammaire descriptive et la
grammaire historique de la langue française. Ses travaux de recherche
portent sur le lexique, la phraséologie et les analyses linguistiques sur
corpus. Depuis sa thèse de doctorat (2002) : Les expressions Adj. comme
SN et intensification de la propriété, elle analyse les différents moyens
linguistiques servant à exprimer l’intensité, entre autres les adjectifs, les
adverbes, les syntagmes binominaux : N1 N2, les collocations Adj./N/V
à SVinf , le suffixe -issime et les préfixes intensifieurs qui ont fait l’objet
de sa thèse d’habilitation (2015), La construction préfixale de forte
intensité en français contemporain, Łask : Leksem.
Salah Mejri est professeur des universités à Sorbonne Paris Cité,
Paris 13. Il a dirigé plusieurs équipes de recherche et plusieurs projets
scientifiques nationaux et internationaux. Il a publié et coordonné
plusieurs ouvrages et numéros de revue portant sur la polylexicalité, la
phraséologie, la problématique du mot, l’unité en sciences du langage,
le figement, la dialectologie, etc. Il a traduit en arabe plusieurs ouvrages
de linguistique. Sur le plan théorique, il développe actuellement les
concepts des trois fonctions primaires, de troisième articulation du
langage, des principes de congruence et de fixité. Parmi ses publications,
on peut retenir  : La néologie lexicale (1995), Le figement lexical.
Descriptions linguistiques et structuration sémantique (1997), Les
séquences figées : entre langue et discours (en collaboration avec Peter

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432  Notes sur les contributeurs

Blumenthal, 2008), Les configurations du sens (en collaboration avec


Peter Blumenthal, 2010), Le figement linguistique : la parole entravée
(en collaboration avec Jean-Claude Anscombre, 2011), Phraséologie et
profils combinatoires (en collaboration avec Gaston Gross, 2016).
Danguolė Melnikienė, professeur de linguistique et directrice du
Département des langues romanes à l’Université de Vilnius, est l’auteur
des dictionnaires bilingues franco-lituaniens (Dictionnaire des syno-
nymes français-lituanien, Nouveau dictionnaire français-lituanien et
lituanien-français, Grand dictionnaire lituanien-français), de quelques
dizaines d’articles sur la lexicographie bilingue articles. Elle a publié
aussi trois monographies, dont les deux dernières, Le dictionnaire
bilingue : un miroir déformant (2012) et L’onomatopée, ou le monstre
hybride (2016), sont parus à Paris, chez Hermann éditeur.
Pedro Mogorrón Huerta est professeur titulaire à l’Université d’Ali-
cante où il enseigne la traduction générale, la traduction audiovisuelle et
la déontologie. Il est l’auteur de nombreuses publications en lexicologie
et lexicographie espagnole et française et en traduction. Il est spécialisé
dans l’élaboration de dictionnaires phraséologiques multilingues classés
sémantiquement et syntaxiquement. Il a été directeur du Département de
Traduction de l’université d’Alicante (2009–2017) et actuellement il est
le coordinateur du programme de doctorat de traductologie, traduction
professionnelle et audiovisuelle et le Directeur du groupe de recherche
FRASYTRAM de l’Université d’Alicante. Il a été professeur invité
dans plusieurs universités (U. Paris 13, U. d’Évry, U. Paris-Diderot,
U. Pédagogique de Cracovie, U. Ricardo Palma de Lima, U. d’Anta-
nanarivo).
Josane Moreira de Oliveira est Docteur en Lettres de l’Université
Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Elle est Professeur au Département
de Lettres et Arts de l’Université de l’État de Feira de Santana (UEFS)
et participe au Programme de Post-Graduation en Langue et Culture de
l’Université Fédérale de Bahia (UFBA). Elle enseigne la linguistique, la
sociolinguistique, la phonologie, la morphologie et l’histoire de la langue
portugaise et dirige des mémoires et des thèses en sociolinguistique. Elle
est membre de l’Association Nationale de Post-Graduation et Recherche
en Lettres et Linguistique (Groupe de travail sur la sociolinguistique) et

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Notes sur les contributeurs 433

de l’Association Bréslienne de Linguistique. Elle participe au Projet de


l’Atlas Linguistique du Brésil et fait des recherches dans les domaines de
la sociolinguistique, de la dialectologie, de la grammaticalisation, de la
variation et du changement linguistiques, de la comparaison et de l’ensei-
gnement des langues.
Marcela Moura Torres Paim est professeur agrégé au Départe-
ment de Langue et littérature vernaculaires, professeur permanent et
vice-coordonnateur du programme d’études supérieures en langue et
culture de l’Université fédérale de Bahia, docteur ès lettres de l’Univer-
sité fédérale de Bahia (2007). Elle détient un diplôme en littérature de
l’Université fédérale de Pernambuco (2001) et une maîtrise en littéra-
ture et linguistique de l’Université fédérale de Bahia (2005). Elle est la
coordinatrice du projet CAPES-COFECUB 838/15 projet, en partena-
riat avec l’Université Paris 13, et membre effectif du Groupe de travail
de lexicologie, la lexicographie et la terminologie de ANPOLL. Elle
participe au Projet de l’Atlas Linguistique du Brésil (ALiB) en tant que
chercheur et enquêteur auxiliaire. Elle travaille principalement sur les
domaines suivants : la dialectologie, la sociolinguistique, les atlas lin-
guistiques, la langue portugaise et les variations.
Antonio Pamies Bertrán est professeur de linguistique générale à
l’Université de Grenade depuis 1987. Il est titulaire d’un diplôme en
traduction-interprétation, d’un mastère en philologie française et d’un
doctorat en philologie. Il est membre honoraire de l’Académie nationale
des sciences de l’enseignement supérieur d’Ukraine et membre corres-
pondant de l’Académie américaine de la langue espagnole (ANLE). Il a
également été vice-président de la Société européenne de phraséologie
(Europhras) et président honoraire de la Société italienne de phraséo-
logie (Phrasis). Il est l’auteur d’une centaine de publications sur la lin-
guistique contrastive, principalement la phraséologie et la phonétique,
dans des maisons d’édition ou des revues de plusieurs pays d’Europe,
d’Amérique et d’Asie.
Marie-Sophie Pausé est docteure en Sciences du Langage, et est
actuellement Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à
l’Université de Lille (France). Elle détient un Doctorat de l’Université de
Lorraine (Nancy, France), avec une thèse qui porte sur la modélisation

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434  Notes sur les contributeurs

lexicographique des locutions du français et la description, à l’interface


sémantique-syntaxe, de leurs variations formelles avec étude sur corpus.
Ses domaines de recherche incluent la lexicologie et la phraséologie.
Marie-Sophie Pausé participe au développement du Réseau Lexical
du Français (RL-fr), sous la direction de Alain Polguère au laboratoire
ATILF (CNRS & Université de Lorraine).
Ewa Pilecka est docteur HDR à l’Université de Varsovie (Pologne) où
elle enseigne la linguistique générale et française à l’Institut d’Études
Romanes. Ses principaux centres d’intérêt sont la linguistique cognitive,
l’interface syntaxe/sémantique et le traitement automatique du langage
naturel. Elle a publié, ces dernières années, une monographie intitu-
lée : Verbes intensifieurs et leur fonctionnement en français contempo-
rain, ainsi que plusieurs articles consacrés aux moyens d’intensification
en français et en polonais. Elle a été directrice de l’Institut d’Études
Romanes, où elle dirige actuellement le module TALN.
Christine Portelance enseigne la linguistique au Département de
lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), elle
est professeure titulaire depuis 2001. Ses travaux ont été publiés dans
diverses revues et ouvrages collectifs et se déploient selon deux axes de
recherche en sémantique cognitive : la catégorisation, par l’étude de la
syntagmatique en langues de spécialité (dans les nomenclatures et en
discours), et la sémantique du goût, domaine peu étudié en français et
dont elle a jeté les bases, notamment dans l’article de synthèse « Séman-
tique du goût : quand l’analogie et le figement construisent l’intersub-
jectivité » dans Analogie, figement et polysémie, Language Design,
Journal of Theoretical and Experimental Linguistics, A. Pamies,
P. Monneret, et S. Mejri (éds), Grenade, 2016.
Inès Sfar est maître de conférences en Linguistique et français langue
étrangère à l’UFR Langue Française de l’Université Paris Sorbonne et
membre de l’équipe de recherche Sens, Texte, Informatique, Histoire
(EA 4509). Qualifiée en 7e section, ses travaux de recherche portent
sur la morphologie, la lexicologie, la phraséologie, les langues spéciali-
sées, l’humour, la traduction et les études contrastives (français-arabe).
Son enseignement, comme sa recherche, sont fondés sur l’apport de
la linguistique théorique, avec ses différents domaines, aux méthodes

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Notes sur les contributeurs 435

d’appropriation de la langue française. Elle a co-dirigé plusieurs


ouvrages collectifs, numéros de revues et actes de colloque avec comi-
tés scientifiques, dont La phraséologie : sémantique, syntaxe, discours,
2017, en collaboration avec Francis Grossmann et Salah Mejri, chez
Honoré Champion.
Monika Sułkowska est docteur d’État de linguistique française,
générale et appliquée. Elle travaille à l’Institut des Langues Romanes
et de Traduction à l’Université de Silésie en Pologne. Elle est l’auteur
de nombreuses publications en phraséologie contrastive et appliquée.
Elle s’intéresse à la lexicologie, lexicographie, phraséologie, phraséo-
didactique et phraséotraduction. Elle a publié deux monographies  :
Séquences figées. Étude lexicographique et contrastive. Question
d’équivalence (2003), De la phraséologie à la phraséodidactique.
Études théoriques et pratiques (2013), deux manuels universitaires
(2007, 2014), un dictionnaire phraséologique (2005), et une quarantaine
de textes scientifiques. Site internet  : www.romanistyka.us.edu.pl;
monika.sulkowska@ us.edu.pl.
Yauheniya Yakubovich est professeur adjoint à l’Institut des langues
modernes de l’Université Pédagogique de Cracovie et possède un doctorat
en Langues et cultures romanes (Université Autonome de Barcelone).
En tant qu’enseignante, elle est chargée de cours de thématiques variées
en licence et en master dont le séminaire de recherche en Linguistique
comparée. Elle est auteure d’une douzaine d’articles (en français,
anglais, espagnol, biélorusse) rédigés dans le cadre de différents projets
scientifiques internationaux et concernant surtout les études de corpus
littéraires multilingues. Ses intérêts scientifiques se situent à l’intersection
de la lexicologie et de la stylistique comparée. Plus précisément, sa
recherche porte sur la comparaison des phénomènes linguistiques
(comme, par exemple, le défigement, l’usage non normatif des phrasèmes,
les anomalies linguistiques, etc.) dans le langage littéraire (en particulier,
poétique) dans les langues romanes (principalement français, mais aussi
espagnol et catalan) et slaves (biélorusse, russe et polonais).

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Index des termes

A B
acception 54, 57, 62, 118, 157, 162, 228, base de données 87, 133, 134, 176, 245,
286, 296, 335, 364, 372 428
acquisition 137 C
actant 16, 154, 394, 396 catégorie 26, 31, 32, 44, 49, 56, 63, 79,
activité 12, 78, 82, 133, 136, 139, 145, 133, 137, 138, 140, 142, 180, 181,
146, 147, 148, 149, 200, 228, 249, 185, 202, 203, 204, 210, 216, 284
271, 373, 401 catégorisation 10, 11, 12, 17, 136, 151,
adjectif 12, 26, 28, 33, 56, 68, 84, 85, 199, 201, 202, 203, 204, 205, 208,
116, 119, 125, 143, 144, 151, 177, 209
178, 179, 180, 181, 183, 185, 187, champ sémantique 11, 35, 153, 155,
189, 191, 193, 194, 195, 196, 197, 158, 160, 172, 173, 209, 280
199, 203, 204, 205, 206, 207, 208, collocatif 74, 75, 76, 77, 86, 161, 372
209, 210, 216, 317, 326, 336, 341, collocation 15, 75, 78, 81, 119, 161, 162,
342, 347, 357, 366, 367, 377, 389, 369, 372, 376, 377, 399, 400, 428
390, 391, 428 combinatoire 8, 11, 14, 21, 27, 30, 68,
adjectif dénominal 12, 181, 187, 195 120, 125, 131, 147, 148, 149, 150,
adjectif relationnel 12, 187, 193, 205, 157, 170, 171, 172, 174, 175, 295,
206, 208 335, 337, 338, 347, 355, 356, 359,
analogie 10, 16, 23, 76, 116, 121, 128, 360, 361, 363, 364, 365, 366, 367,
130, 209, 210, 214, 215, 216, 361, 368, 369, 370, 371, 372, 373, 375,
373, 400 377, 384, 385, 395
analytique 9, 39, 192, 374, 378, 386, compétence phraséologique 251
389, 392, 401 compréhension 224, 278
ancien français 14, 298, 312, 351, 353 concaténation 32, 39, 150
anomalie combinatoire 365, 368, 369, 376 concept 13, 34, 91, 134, 139, 150, 151,
anomalie sémantique 355, 374, 375, 380 204, 205, 206, 207, 213, 215, 216,
antonymie 35, 36, 124, 173, 223 219, 225, 238, 240, 242
approche 9, 15, 21, 22, 24, 66, 68, 114, connotation 286, 369, 371
130, 135, 152, 160, 179, 180, 200, contexte 8, 11, 21, 23, 42, 43, 44, 56,
201, 214, 353 68, 78, 83, 86, 127, 140, 185, 192,
arbitraire 116, 117, 128, 219, 295 210, 222, 237, 269, 271, 283, 311,
argument 9, 12, 21, 25, 33, 38, 41, 116, 313, 331, 334, 337, 339, 361, 362,
127, 133, 148, 149, 163, 189, 191, 367, 368, 369, 371, 375, 386
195 corpus 10, 68, 69, 70, 74, 79, 82, 85,
axe paradigmatique 10, 119 87, 164, 188, 198, 214, 356, 368,
axe syntagmatique 10, 119 383, 385

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438  Index des termes

co-texte 22, 23, 42, 43, 45 E


création lexicale 291 emploi qualificatif 180, 182, 185, 195
créativité lexicale 8, 116, 121 emploi relationnel 12, 180, 182, 185,
culturème 13, 239, 240, 241 186, 187, 191, 193, 194, 195
encodage
D énoncé 9, 19, 23, 29, 30, 31, 33, 34, 39,
décodage 94, 407, 409 énoncé 9, 19, 23, 29, 30, 31, 33,
décomposition sémantique 157 34, 39, 40, 41, 42, 45, 67, 86, 118,
déduction 97, 421 154, 165, 173, 281, 359, 362, 363,
défigement 114, 117, 122, 129, 131, 370, 374, 386, 391, 397
356, 361, 372, 374, 375, 376, 377, enracinement 199, 202, 207
378, 383, 386, 387, 388, 389, 391, enseignement-apprentissage 16, 277
392 entité 26, 34, 35, 36, 37, 133, 154, 371,
définition 11, 13, 16, 37, 38, 42, 52, 53, 397
67, 79, 81, 148, 153, 156, 157, étiquette sémantique 153, 159, 162, 164,
158, 159, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 172, 299, 356, 363, 370
167, 168, 169, 170, 171, 172, 175, expansion 13, 143, 204, 238
194, 208, 228, 251, 284, 295, 298, expression idiomatique
309, 335, 365, 370, 383, 386, 387, extraction 150, 247, 399, 428
389, 390, 393, 396, 397, 398, 399,
400, 401 F
définition analytique 153, 370 fixité 61, 147, 152, 384
démotivation 116
dénominatif 10, 28, 216 G
dénomination 9, 10, 11, 12, 34, 35, 36, généricité 10
45, 91, 124, 136, 148, 151, 179, genre prochain 11, 153, 155, 158, 164,
194, 202, 284, 285, 286, 287, 288, 165, 167, 173, 370
289, 357, 387 grammaire locale 14, 150, 295, 296,
dérivation 159, 219, 221, 361, 365, 368, 333, 336, 340, 346, 347, 352
370 greffe collocationnelle 376
descripteur 138
dialectologie 272, 273 H
dictionnaire 9, 11, 16, 27, 48, 49, 51, hyperbole 79, 89, 234
52, 53, 54, 56, 59, 61, 62, 63, hypothèse unitaire 179, 180, 181
64, 65, 70, 80, 89, 125, 130, 137,
138, 139, 157, 171, 174, 175, I
242, 243, 245, 246, 251, 270, implication 35, 37, 41, 123
281, 342, 388 inférence 10, 117, 122, 123, 124, 128
discours 7, 8, 9, 10, 25, 26, 31, 32, 40, insertion 7, 9, 15, 39, 138, 377, 389
44, 45, 60, 123, 125, 134, 151, intensification 8, 9, 67, 68, 69, 79, 81,
163, 164, 174, 193, 194, 207, 210, 82, 83, 84, 87, 88, 89
222, 231, 233, 235, 237, 277, 278, interface sémantique-syntaxe 395
376, 378, 393, 394, 397 invariance 133

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Index des termes 439

J morphosyntaxe 279
jeu de mots 10, 113, 114, 115, 116, 118, motivation 10, 116, 117, 118, 119, 128,
119, 121, 122, 125, 126, 127, 128, 130, 220
129, 130, 365, 379 moule phraséologique 11, 134, 139, 147,
148
L
langue de spécialité 207 N
langue étrangère 271, 276, 315, 360, nom commun 187
427, 428 nom de métier 138, 140, 142, 144, 145,
langue générale 12, 129, 139, 157, 206 146, 148
lexicologie 7, 10, 11, 113, 119, 120, 128, nom quantifieur 76, 77
131, 174, 175, 176, 196, 278, 299, nomenclature 9, 50–51, 56, 63, 141
353 non fixité 133, 134, 147
Lexicologie Explicative et Combinatoire
15, 153, 383, 393 O
lexie 153, 154, 156, 157, 158, 159, 166, onomasiologique 9
168, 287, 289, 384, 391, 393, 395, onomatopée 9, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55,
397, 398, 399 56, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 65
lexique mental 240 onomatopée authentique 54
linguistique de corpus 68 opérateur approprié 14, 295, 296, 308,
locuteur 13, 25, 36, 42, 79, 86, 117, 119, 316, 319, 337, 347
133, 135, 164, 169, 277, 279, 281,
286, 376, 383, 385, 397 P
locution 15, 156, 157, 159, 160, 161, parangon 84, 85, 86, 88
162, 164, 165, 166, 167, 168, 169, phrasème 160, 356, 360, 361, 370, 374,
170, 171, 172, 223, 236, 237, 361, 375, 377, 378, 386
371, 375, 377, 378, 383, 384, 385, phraséodidactique 16, 427, 428
386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, phraséologie 7, 16, 47, 48, 131, 156,
394, 396, 397, 399, 400, 401 173, 219, 245, 427, 428
poétique 15, 22, 65, 349, 355, 356, 357,
M 358, 359, 361, 362, 363, 366, 367,
matrice 47, 148, 150, 151, 214 368, 375, 378, 379, 380
mémorisation 414, 419, 421 polylexicalité 21, 45, 47, 129
métaphore 20, 23, 77, 88, 216, 219, 220, polysémie 10, 45, 117, 124, 128, 129,
222, 223, 224, 239, 358, 361, 362, 157, 172, 202, 205, 216, 219, 238,
363, 364, 368, 372, 374, 380, 399 239
métaphore conceptuelle 222 préconstruit 46, 91
métarègle 149 prédicat 9, 26, 27, 33, 35, 37, 38, 41, 46,
métonymie 20, 76, 226, 228, 229, 231, 47, 124, 133, 148, 149, 151, 154,
232, 237, 313, 317, 320, 372 163, 295, 310, 357
modalisateur 9, 33, 38, 133 prédication 9, 20, 34, 35, 38, 39, 140,
modélisation 15, 148, 150, 173, 383, 148, 216
384, 392, 396 préfixation 138, 326

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440  Index des termes

préfixe 20, 69, 70, 73, 329, 358, 366 sémasiologique 409–10, 422–23
production 39, 44, 67, 71, 183, 190, 191, sens figuré 89, 221, 233, 371
193, 279, 397 sens instructionnel 200, 205
proverbe 10, 91, 223, 229, 231, 237 sens propre 378
structuration sémantique 16, 152, 155
Q suffixation 138
quantification 68, 77, 88, 179, 180 suffixe 141, 181, 185, 361, 369
syncatégorématicité 181
R synonymie 35, 36, 84, 124, 156, 234
référenciation 34, 35, 45
règle 55, 56, 67, 73, 77, 181, 182 T
remotivation 10, 116, 117, 118, 119, trois fonctions 9, 33, 34, 41, 152
128, 129, 130 troisième articulation du langage 8, 19,
réseau sémantique 42, 241, 399, 400, 401 29
rupture de restriction sémantique 355, typologie 11, 15, 114, 129, 134,
360 208, 365
russe 178
U
S unité lexicale 8, 19, 21, 23, 28, 29, 31,
saillance 199, 202, 210, 303 32, 33, 34, 35, 37, 38, 39, 40,
sémantique 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 41, 42, 43, 45, 46, 117, 118, 119,
17, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 121, 122, 153, 154, 157, 367,
30, 31, 36, 38, 39, 43, 77, 78, 79, 370, 401
86, 88, 113, 116, 118, 119, 120, unité monolexicale 28, 29, 38, 140, 142,
124, 125, 127, 128, 129, 131, 135, 146
137, 139, 143, 145, 147, 148, 150, unité polylexicale 8, 140, 386
153, 154, 155, 156, 157, 158, 159,
160, 161, 162, 163, 166, 167, 172, V
175, 176, 178, 180, 181, 185, 196, variante 137, 138, 145, 149, 271, 284,
197, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 285, 287, 288, 289, 292, 335, 341,
205, 210, 211, 213, 214, 216, 223, 374
245, 252, 278, 280, 286, 292, 295, variation lexicale 13, 35, 269, 291
296, 322, 352, 353, 355, 356, 358, vérité générale 91
359, 361, 362, 363, 369, 370, 371, vocable 157, 158, 159, 162, 166, 170,
372, 373, 374, 377, 378, 379, 384, 172, 210, 391
385, 386, 387, 393, 396, 399, 400 vocabulaire 10, 48, 87, 137, 152, 209,
sémantique cognitive 199, 200, 201, 213 215, 353, 373, 380
sémantique lexicale 7, 10, 14, 17, 113,
116, 119, 128, 131, 202, 214, 295,
359

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Index des auteurs

A Fournier 119, 120, 121, 122, 123, 124,


Abeillé 385, 399 130, 175
Arrivé 67, 87 Frassi 157, 174
Frei 177, 196
B
Bally 51, 64, 125, 129 G
Bartning 183, 185, 187, 192, 193, 196 Galisson 427
Beauzée 54, 56, 64 García-Page 264
Ben Amor 10, 16, 113, 117, 129, 365, Ghalayini 13, 17, 219, 242
368, 379 Goes 12, 17, 177, 179, 180, 189, 191,
Benninger 77, 88 196
Benveniste 50, 87, 135, 151 González Rey 427
Blanco 13, 14, 16, 22, 24, 47, 77, 88, Gourio 117, 118, 121, 124, 130
114, 129, 148, 151, 155, 172, 173, Gross 21, 22, 48, 264, 265, 295, 296,
264, 295, 370, 379 352, 394
Bosredon 43, 47, 136, 142, 151 Grossmann 426
Buvet 11, 16, 22, 47, 133, 137, 139, 148, Guilbert 209, 215
150, 151 Guimier 180, 197
Guiraud 114, 116, 130, 365, 380
C
Cardoso 269, 278, 280, 290 H
Catena 11, 16, 153, 173 Henry 114, 130, 231
Cavalla 426 Huot 140, 152
Colson 427
Corbin 181 I
Corpas Pastor 264 Izert 9, 16, 67, 69, 70, 81, 86, 88

D J
Dobrovol’skij 219, 241, 242 Jakobson 355, 356, 357, 358, 378, 380
Dubois 49, 117
K
F Kahane 165, 174, 394
Faral 334, 350, 352 Kauffer 42, 47
Faurion 201, 215 Kleiber 136, 152, 201, 205, 214, 215,
Forsgren 184, 185, 193, 196 216, 308, 352
Foucault 114, 130

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442  Index des auteurs

L Polguère 17, 45, 48, 116, 120, 131, 154,


Lakoff 213, 219, 222, 241 155, 158, 174, 175, 176, 299, 353,
Lamiroy 163, 164, 265 370, 376, 380, 388, 392, 393, 397
Langacker 202, 210, 216 Portelance 12, 17, 199, 201, 208, 216
Lecler 387
Lerat 139, 152 Q
Littré 9, 49, 51, 52, 56, 57, 58, 59, 60, Queffelec 353
61, 62, 63, 64, 65, 66, 69, 89, 221, Quemada 139, 152
225, 226, 228, 229, 230, 231, 232,
233, 234, 235, 243, 266 R
Rey 50, 52, 64, 250
M Rey-Debove 50, 51, 61, 66, 89
Martin 19, 23, 24, 33, 37, 48, 197, Riegel 36, 48, 192, 197, 216
215, 216 Roché 67, 89
Martinet 29, 30, 48
Mejri 8, 16, 19, 21, 23, 30, 42, 48, S
113, 114, 115, 123, 129, 130, Saussure 38, 51, 66, 131, 202
131, 134, 140, 148, 152, 174, Schmid 216
265, 387 Schnedecker 179, 197
Melnikienė 50, 51, 57, 65 Sfar 10, 16, 131
Milićević 154, 155, 159, 175 Silberztein 353
Moeschler 361, 362, 363, 380 Silva Neto 272, 293
Mogorrón Huerta 13, 14, 245, 265 Sułkowska 16, 17, 428
Monceau 143, 152
Muller 120, 131 T
Tamba 79, 89
N Teyssier 293
Nascentes 272, 273, 274, 275, 277, 278, Todorov 355, 359, 360, 380
290, 292, 293 Tutin 428
Neveu 122
W
P Wagner 67, 89
Pamies 13, 17, 219, 241, 242 Wilmet 183, 186, 198
Pausé 15, 16, 157, 162, 175, 383, 388,
390, 391, 401 Y
Pecman 422–23, 428 Yakubovich 15, 16, 355, 374, 380, 386,
Petit 38, 63, 89, 130, 157, 165, 174, 225, 387
228, 297, 298, 303, 305, 311, 312,
322, 324, 333, 334, 346, 348, 349, Z
350, 351, 353 Zinglé 428
Pilecka 9, 16, 67, 69, 79, 83, 88, 89 Zribi-Hertz 192, 198
Pinchon 67, 89 Zykova 219, 242

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Linguistic Insights
Studies in Language and Communication

This series aims to promote specialist language studies in the fields of linguistic
theory and applied linguistics, by publishing volumes that focus on specific
aspects of language use in one or several languages and provide valuable
insights into language and communication research. A cross-disciplinary ap-
proach is favoured and most European languages are accepted.

The series includes two types of books:

– Monographs – featuring in-depth studies on special aspects of language


theory, language analysis or language teaching.
– Collected papers – assembling papers from workshops, conferences or
symposia.

Each volume of the series is subjected to a double peer-reviewing process.

Vol. 1 Maurizio Gotti & Marina Dossena (eds)


Modality in Specialized Texts. Selected Papers of the 1st CERLIS Conference.
421 pages. 2001. ISBN 3-906767-10-8 · US-ISBN 0-8204-5340-4

Vol. 2 Giuseppina Cortese & Philip Riley (eds)


Domain-specific English. Textual Practices across Communities
and Classrooms.
420 pages. 2002. ISBN 3-906768-98-8 · US-ISBN 0-8204-5884-8

Vol. 3 Maurizio Gotti, Dorothee Heller & Marina Dossena (eds)


Conflict and Negotiation in Specialized Texts. Selected Papers
of the 2nd CERLIS Conference.
470 pages. 2002. ISBN 3-906769-12-7 · US-ISBN 0-8204-5887-2

Vol. 4 Maurizio Gotti, Marina Dossena, Richard Dury, Roberta Facchinetti & Maria Lima
Variation in Central Modals. A Repertoire of Forms and Types of Usage
in Middle English and Early Modern English.
364 pages. 2002. ISBN 3-906769-84-4 · US-ISBN 0-8204-5898-8

Editorial address:
Prof. Maurizio Gotti Università di Bergamo, Dipartimento di Lingue, Letterature
Straniere e Comunicazione, Piazza Rosate 2, 24129 Bergamo, Italy
Fax: +39 035 2052789, E-Mail: m.gotti@unibg.it

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Vol. 5 Stefania Nuccorini (ed.)
Phrases and Phraseology. Data and Descriptions.
187 pages. 2002. ISBN 3-906770-08-7 · US-ISBN 0-8204-5933-X

Vol. 6 Vijay Bhatia, Christopher N. Candlin & Maurizio Gotti (eds)


Legal Discourse in Multilingual and Multicultural Contexts.
Arbitration Texts in Europe.
385 pages. 2003. ISBN 3-906770-85-0 · US-ISBN 0-8204-6254-3

Vol. 7 Marina Dossena & Charles Jones (eds)


Insights into Late Modern English. 2nd edition.
378 pages. 2003, 2007.
ISBN 978-3-03911-257-9 · US-ISBN 978-0-8204-8927-8

Vol. 8 Maurizio Gotti


Specialized Discourse. Linguistic Features and Changing Conventions.
351 pages. 2003, 2005.
ISBN 3-03910-606-6 · US-ISBN 0-8204-7000-7

Vol. 9 Alan Partington, John Morley & Louann Haarman (eds)


Corpora and Discourse.
420 pages. 2004. ISBN 3-03910-026-2 · US-ISBN 0-8204-6262-4

Vol. 10 Martina Möllering


The Acquisition of German Modal Particles. A Corpus-Based Approach.
290 pages. 2004. ISBN 3-03910-043-2 · US-ISBN 0-8204-6273-X

Vol. 11 David Hart (ed.)


English Modality in Context. Diachronic Perspectives.
261 pages. 2003. ISBN 3-03910-046-7 · US-ISBN 0-8204-6852-5

Vol. 12 Wendy Swanson


Modes of Co-reference as an Indicator of Genre.
430 pages. 2003. ISBN 3-03910-052-1 · US-ISBN 0-8204-6855-X

Vol. 13 Gina Poncini


Discursive Strategies in Multicultural Business Meetings.
2nd edition. 338 pages. 2004, 2007.
ISBN 978-3-03911-296-8 · US-ISBN 978-0-8204-8937-7

Vol. 14 Christopher N. Candlin & Maurizio Gotti (eds)


Intercultural Aspects of Specialized Communication.
2nd edition. 369 pages. 2004, 2007.
ISBN 978-3-03911-258-6 · US-ISBN 978-0-8204-8926-1

Vol. 15 Gabriella Del Lungo Camiciotti & Elena Tognini Bonelli (eds)
Academic Discourse. New Insights into Evaluation.
234 pages. 2004. ISBN 3-03910-353-9 · US-ISBN 0-8204-7016-3

Vol. 16 Marina Dossena & Roger Lass (eds)


Methods and Data in English Historical Dialectology.
405 pages. 2004. ISBN 3-03910-362-8 · US-ISBN 0-8204-7018-X

Vol. 17 Judy Noguchi


The Science Review Article. An Opportune Genre in
the Construction of Science.
274 pages. 2006. ISBN 3-03910-426-8 · US-ISBN 0-8204-7034-1

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Vol. 18 Giuseppina Cortese & Anna Duszak (eds)
Identity, Community, Discourse. English in Intercultural Settings.
495 pages. 2005. ISBN 3-03910-632-5 · US-ISBN 0-8204-7163-1

Vol. 19 Anna Trosborg & Poul Erik Flyvholm Jørgensen (eds)


Business Discourse. Texts and Contexts.
250 pages. 2005. ISBN 3-03910-606-6 · US-ISBN 0-8204-7000-7

Vol. 20 Christopher Williams


Tradition and Change in Legal English. Verbal Constructions
in Prescriptive Texts.
2nd revised edition. 216 pages. 2005, 2007. ISBN 978-3-03911-444-3.

Vol. 21 Katarzyna Dziubalska-Kolaczyk & Joanna Przedlacka (eds)


English Pronunciation Models: A Changing Scene.
2nd edition. 476 pages. 2005, 2008. ISBN 978-3-03911-682-9.

Vol. 22 Christián Abello-Contesse, Rubén Chacón-Beltrán,


M. Dolores López-Jiménez & M. Mar Torreblanca-López (eds)
Age in L2 Acquisition and Teaching.
214 pages. 2006. ISBN 3-03910-668-6 · US-ISBN 0-8204-7174-7

Vol. 23 Vijay K. Bhatia, Maurizio Gotti, Jan Engberg & Dorothee Heller (eds)
Vagueness in Normative Texts.
474 pages. 2005. ISBN 3-03910-653-8 · US-ISBN 0-8204-7169-0

Vol. 24 Paul Gillaerts & Maurizio Gotti (eds)


Genre Variation in Business Letters. 2nd printing.
407 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-681-2.

Vol. 25 Ana María Hornero, María José Luzón & Silvia Murillo (eds)
Corpus Linguistics. Applications for the Study of English.
2nd printing. 526 pages. 2006, 2008. ISBN 978-3-03911-726-0

Vol. 26 J. Lachlan Mackenzie & María de los Ángeles Gómez-González (eds)


Studies in Functional Discourse Grammar.
259 pages. 2005. ISBN 3-03910-696-1 · US-ISBN 0-8204-7558-0

Vol. 27 Debbie G. E. Ho
Classroom Talk. Exploring the Sociocultural Structure of Formal ESL Learning.
2nd edition. 254 pages. 2006, 2007. ISBN 978-3-03911-434-4

Vol. 28 Javier Pérez-Guerra, Dolores González-Álvarez, Jorge L. Bueno-Alonso


& Esperanza Rama-Martínez (eds)
‘Of Varying Language and Opposing Creed’. New Insights into Late Modern English.
455 pages. 2007. ISBN 978-3-03910-788-9

Vol. 29 Francesca Bargiela-Chiappini & Maurizio Gotti (eds)


Asian Business Discourse(s).
350 pages. 2005. ISBN 3-03910-804-2 · US-ISBN 0-8204-7574-2

Vol. 30 Nicholas Brownlees (ed.)


News Discourse in Early Modern Britain. Selected Papers of CHINED 2004.
300 pages. 2006. ISBN 3-03910-805-0 · US-ISBN 0-8204-8025-8

Vol. 31 Roberta Facchinetti & Matti Rissanen (eds)


Corpus-based Studies of Diachronic English.
300 pages. 2006. ISBN 3-03910-851-4 · US-ISBN 0-8204-8040-1

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Vol. 32 Marina Dossena & Susan M. Fitzmaurice (eds)
Business and Official Correspondence. Historical Investigations.
209 pages. 2006. ISBN 3-03910-880-8 · US-ISBN 0-8204-8352-4

Vol. 33 Giuliana Garzone & Srikant Sarangi (eds)


Discourse, Ideology and Specialized Communication.
494 pages. 2007. ISBN 978-3-03910-888-6

Vol. 34 Giuliana Garzone & Cornelia Ilie (eds)


The Use of English in Institutional and Business Settings.
An Intercultural Perspective.
372 pages. 2007. ISBN 978-3-03910-889-3

Vol. 35 Vijay K. Bhatia & Maurizio Gotti (eds)


Explorations in Specialized Genres.
316 pages. 2006. ISBN 3-03910-995-2 · US-ISBN 0-8204-8372-9

Vol. 36 Heribert Picht (ed.)


Modern Approaches to Terminological Theories and Applications.
432 pages. 2006. ISBN 3-03911-156-6 · US-ISBN 0-8204-8380-X

Vol. 37 Anne Wagner & Sophie Cacciaguidi-Fahy (eds)


Legal Language and the Search for Clarity / Le langage juridique et la quête de clarté.
Practice and Tools / Pratiques et instruments.
487 pages. 2006. ISBN 3-03911-169-8 · US-ISBN 0-8204-8388-5

Vol. 38 Juan Carlos Palmer-Silveira, Miguel F. Ruiz-Garrido &


Inmaculada Fortanet-Gómez (eds)
Intercultural and International Business Communication.
Theory, Research and Teaching.
2nd edition. 343 pages. 2006, 2008. ISBN 978-3-03911-680-5

Vol. 39 Christiane Dalton-Puffer, Dieter Kastovsky, Nikolaus Ritt &


Herbert Schendl (eds)
Syntax, Style and Grammatical Norms. English from 1500–2000.
250 pages. 2006. ISBN 3-03911-181-7 · US-ISBN 0-8204-8394-X

Vol. 40 Marina Dossena & Irma Taavitsainen (eds)


Diachronic Perspectives on Domain-Specific English.
280 pages. 2006. ISBN 3-03910-176-0 · US-ISBN 0-8204-8391-5

Vol. 41 John Flowerdew & Maurizio Gotti (eds)


Studies in Specialized Discourse.
293 pages. 2006. ISBN 3-03911-178-7

Vol. 42 Ken Hyland & Marina Bondi (eds)


Academic Discourse Across Disciplines.
320 pages. 2006. ISBN 3-03911-183-3 · US-ISBN 0-8204-8396-6

Vol. 43 Paul Gillaerts & Philip Shaw (eds)


The Map and the Landscape. Norms and Practices in Genre.
256 pages. 2006. ISBN 3-03911-182-5 · US-ISBN 0-8204-8395-4

Vol. 44 Maurizio Gotti & Davide Giannoni (eds)


New Trends in Specialized Discourse Analysis.
301 pages. 2006. ISBN 3-03911-184-1 · US-ISBN 0-8204-8381-8

Vol. 45 Maurizio Gotti & Françoise Salager-Meyer (eds)


Advances in Medical Discourse Analysis. Oral and Written Contexts.
492 pages. 2006. ISBN 3-03911-185-X · US-ISBN 0-8204-8382-6

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Vol. 46 Maurizio Gotti & Susan Šarcević (eds)
Insights into Specialized Translation.
396 pages. 2006. ISBN 3-03911-186-8 · US-ISBN 0-8204-8383-4

Vol. 47 Khurshid Ahmad & Margaret Rogers (eds)


Evidence-based LSP. Translation, Text and Terminology.
584 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-187-9

Vol. 48 Hao Sun & Dániel Z. Kádár (eds)


It’s the Dragon’s Turn. Chinese Institutional Discourses.
262 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-175-6

Vol. 49 Cristina Suárez-Gómez


Relativization in Early English (950-1250). the Position of Relative Clauses.
149 pages. 2006. ISBN 3-03911-203-1 · US-ISBN 0-8204-8904-2

Vol. 50 Maria Vittoria Calvi & Luisa Chierichetti (eds)


Nuevas tendencias en el discurso de especialidad.
319 pages. 2006. ISBN 978-3-03911-261-6

Vol. 51 Mari Carmen Campoy & María José Luzón (eds)


Spoken Corpora in Applied Linguistics.
274 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-275-3

Vol. 52 Konrad Ehlich & Dorothee Heller (Hrsg.)


Die Wissenschaft und ihre Sprachen.
323 pages. 2006. ISBN 978-3-03911-272-2

Vol. 53 Jingyu Zhang


The Semantic Salience Hierarchy Model. The L2 Acquisition of Psych Predicates
273 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-300-2
Vol. 54 Norman Fairclough, Giuseppina Cortese & Patrizia Ardizzone (eds)
Discourse and Contemporary Social Change.
555 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-276-0

Vol. 55 Jan Engberg, Marianne Grove Ditlevsen, Peter Kastberg & Martin Stegu (eds)
New Directions in LSP Teaching.
331 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-433-7

Vol. 56 Dorothee Heller & Konrad Ehlich (Hrsg.)


Studien zur Rechtskommunikation.
322 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-436-8

Vol. 57 Teruhiro Ishiguro & Kang-kwong Luke (eds)


Grammar in Cross-Linguistic Perspective.
The Syntax, Semantics, and Pragmatics of Japanese and Chinese.
304 pages. 2012. ISBN 978-3-03911-445-0

Vol. 58 Carmen Frehner


Email – SMS – MMS
294 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-451-1

Vol. 59 Isabel Balteiro


The Directionality of Conversion in English. A Dia-Synchronic Study.
276 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-241-8

Vol. 60 Maria Milagros Del Saz Rubio


English Discourse Markers of Reformulation.
237 pages. 2007. ISBN 978-3-03911-196-1

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Vol. 61 Sally Burgess & Pedro Martín-Martín (eds)
English as an Additional Language in Research Publication and Communication.
259 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-462-7

Vol. 62 Sandrine Onillon


Pratiques et représentations de l’écrit.
458 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-464-1

Vol. 63 Hugo Bowles & Paul Seedhouse (eds)


Conversation Analysis and Language for Specific Purposes.
2nd edition. 337 pages. 2007, 2009. ISBN 978-3-0343-0045-2

Vol. 64 Vijay K. Bhatia, Christopher N. Candlin & Paola Evangelisti Allori (eds)
Language, Culture and the Law.
The Formulation of Legal Concepts across Systems and Cultures.
342 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-470-2

Vol. 65 Jonathan Culpeper & Dániel Z. Kádár (eds)


Historical (Im)politeness.
300 pages. 2010. ISBN 978-3-03911-496-2

Vol. 66 Linda Lombardo (ed.)


Using Corpora to Learn about Language and Discourse.
237 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-522-8

Vol. 67 Natsumi Wakamoto


Extroversion/Introversion in Foreign Language Learning.
Interactions with Learner Strategy Use.
159 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-596-9

Vol. 68 Eva Alcón-Soler (ed.)


Learning How to Request in an Instructed Language Learning Context.
260 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-601-0

Vol. 69 Domenico Pezzini


The Translation of Religious Texts in the Middle Ages.
428 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-600-3

Vol. 70 Tomoko Tode


Effects of Frequency in Classroom Second Language Learning.
Quasi-experiment and stimulated-recall analysis.
195 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-602-7

Vol. 71 Egor Tsedryk


Fusion symétrique et alternances ditransitives.
211 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-609-6

Vol. 72 Cynthia J. Kellett Bidoli & Elana Ochse (eds)


English in International Deaf Communication.
444 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-610-2

Vol. 73 Joan C. Beal, Carmela Nocera & Massimo Sturiale (eds)


Perspectives on Prescriptivism.
269 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-632-4

Vol. 74 Carol Taylor Torsello, Katherine Ackerley & Erik Castello (eds)
Corpora for University Language Teachers.
308 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-639-3

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Vol. 75 María Luisa Pérez Cañado (ed.)
English Language Teaching in the European Credit Transfer System.
Facing the Challenge.
251 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-654-6

Vol. 76 Marina Dossena & Ingrid Tieken-Boon van Ostade (eds)


Studies in Late Modern English Correspondence. Methodology and Data.
291 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-658-4

Vol. 77 Ingrid Tieken-Boon van Ostade & Wim van der Wurff (eds)
Current Issues in Late Modern English.
436 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-660-7

Vol. 78 Marta Navarro Coy (ed.)


Practical Approaches to Foreign Language Teaching and Learning.
297 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-661-4

Vol. 79 Qing Ma
Second Language Vocabulary Acquisition.
333 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-666-9

Vol. 80 Martin Solly, Michelangelo Conoscenti & Sandra Campagna (eds)


Verbal/Visual Narrative Texts in Higher Education.
384 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-672-0

Vol. 81 Meiko Matsumoto


From Simple Verbs to Periphrastic Expressions:
The Historical Development of Composite Predicates, Phrasal Verbs,
and Related Constructions in English.
235 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-675-1

Vol. 82 Melinda Dooly


Doing Diversity. Teachers’ Construction of Their Classroom Reality.
180 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-687-4

Vol. 83 Victoria Guillén-Nieto, Carmen Marimón-Llorca & Chelo Vargas-Sierra (eds)


Intercultural Business Communication and
Simulation and Gaming Methodology.
392 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-688-1

Vol. 84 Maria Grazia Guido


English as a Lingua Franca in Cross-cultural Immigration Domains.
285 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-689-8

Vol. 85 Erik Castello


Text Complexity and Reading Comprehension Tests.
352 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-717-8

Vol. 86 Maria-Lluisa Gea-Valor, Isabel García-Izquierdo & Maria-José Esteve (eds)


Linguistic and Translation Studies in Scientific Communication.
317 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0069-8

Vol. 87 Carmen Navarro, Rosa Mª Rodríguez Abella, Francesca Dalle Pezze


& Renzo Miotti (eds)
La comunicación especializada.
355 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-733-8

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Vol. 88 Kiriko Sato
The Development from Case-Forms to Prepositional Constructions
in Old English Prose.
231 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-763-5

Vol. 89 Dorothee Heller (Hrsg.)


Formulierungsmuster in deutscher und italienischer Fachkommunikation.
Intra- und interlinguale Perspektiven.
315 pages. 2008. ISBN 978-3-03911-778-9

Vol. 90 Henning Bergenholtz, Sandro Nielsen & Sven Tarp (eds)


Lexicography at a Crossroads. Dictionaries and Encyclopedias Today,
Lexicographical Tools Tomorrow.
372 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-799-4

Vol. 91 Manouchehr Moshtagh Khorasani


The Development of Controversies. From the Early Modern Period
to Online Discussion Forums.
317 pages. 2009. ISBN 978-3-3911-711-6

Vol. 92 María Luisa Carrió-Pastor (ed.)


Content and Language Integrated Learning. Cultural Diversity.
178 pages. 2009. ISBN 978-3-3911-818-2

Vol. 93 Roger Berry


Terminology in English Language Teaching. Nature and Use.
262 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0013-1

Vol. 94 Roberto Cagliero & Jennifer Jenkins (eds)


Discourses, Communities, and Global Englishes
240 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0012-4
Vol. 95 Facchinetti Roberta, Crystal David, Seidlhofer Barbara (eds)
From International to Local English – And Back Again.
268 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0011-7
Vol. 96 Cesare Gagliardi & Alan Maley (eds)
EIL, ELF, Global English. Teaching and Learning Issues
376 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0010-0
Vol. 97 Sylvie Hancil (ed.)
The Role of Prosody in Affective Speech.
403 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-696-6
Vol. 98 Marina Dossena & Roger Lass (eds)
Studies in English and European Historical Dialectology.
257 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0024-7
Vol. 99 Christine Béal
Les interactions quotidiennes en français et en anglais.
De l’approche comparative à l’analyse des situations interculturelles.
424 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0027-8
Vol. 100 Maurizio Gotti (ed.)
Commonality and Individuality in Academic Discourse.
398 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0023-0
Vol. 101 Javier E. Díaz Vera & Rosario Caballero (eds)
Textual Healing. Studies in Medieval English Medical, Scientific and Technical Texts.
213 pages. 2009. ISBN 978-3-03911-822-9

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Vol. 102 Nuria Edo Marzá
The Specialised Lexicographical Approach. A Step further in Dictionary-making.
316 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0043-8
Vol. 103 Carlos Prado-Alonso, Lidia Gómez-García, Iria Pastor-Gómez &
David Tizón-Couto (eds)
New Trends and Methodologies in Applied English Language Research.
Diachronic, Diatopic and Contrastive Studies.
348 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0046-9
Vol. 104 Françoise Salager-Meyer & Beverly A. Lewin
Crossed Words. Criticism in Scholarly Writing?
371 pages. 2011. ISBN 978-3-0343-0049-0.
Vol. 105 Javier Ruano-García
Early Modern Northern English Lexis. A Literary Corpus-Based Study.
611 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0058-2
Vol. 106 Rafael Monroy-Casas
Systems for the Phonetic Transcription of English. Theory and Texts.
280 pages. 2011. ISBN 978-3-0343-0059-9
Vol. 107 Nicola T. Owtram
The Pragmatics of Academic Writing.
A Relevance Approach to the Analysis of Research Article Introductions.
311 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0060-5
Vol. 108 Yolanda Ruiz de Zarobe, Juan Manuel Sierra &
Francisco Gallardo del Puerto (eds)
Content and Foreign Language Integrated Learning.
Contributions to Multilingualism in European Contexts
343 pages. 2011. ISBN 978-3-0343-0074-2
Vol. 109 Ángeles Linde López & Rosalía Crespo Jiménez (eds)
Professional English in the European context. The EHEA challenge.
374 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0088-9
Vol. 110 Rosalía Rodríguez-Vázquez
The Rhythm of Speech, Verse and Vocal Music. A New Theory.
394 pages. 2010. ISBN 978-3-0343-0309-5
Vol. 111 Anastasios Tsangalidis & Roberta Facchinetti (eds)
Studies on English Modality. In Honour of Frank Palmer.
392 pages. 2009. ISBN 978-3-0343-0310-1
Vol. 112 Jing Huang
Autonomy, Agency and Identity in Foreign Language Learning and Teaching.
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Desarrollo de la competencia sociolingüística por aprendices de español en un contexto
de inmersión en el extranjero.
241 pages. 2018. ISBN 978-3-0343-2325-3

Vol. 236 Maria Chiara Janner


Sguardi linguistici sulla marca. Analisi morfosintattica dei nomi commerciali in italiano
364 pages. 2017. ISBN 978-3-0343-2829-6

Vol. 237 Bárbara Herrero Muñoz-Cobo & Otman El Azami Zalachi


La primavera del árabe marroquí.
192 pages. 2017. ISBN 978-3-0343-3104-3

Vol. 238 Consuelo Pascual Escagedo


El papel del oyente en la construcción de la conversación espontánea
de estudiantes italianos en su interlengua y en su lengua materna
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Vol. 239 Stefania M. Maci


The MS Digby 133 Mary Magdalene. Beyond scribal practices:
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Vol. 240 Eliecer Crespo-Fernández


Taboo in Discourse. Studies on Attenuation and Offence in Communication.
326 pages. 2018. ISBN 978-3-0343-3018-3

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Vol. 242 Xavier Blanco et Inès Sfar (dir.)


Lexicologie(s) : approches croisées en sémantique lexicale.
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Vol. 243 Yunfeng Ge


Resolution of Conflict of Interest in Chinese Civil Court Hearings.
A Perspective of Discourse Information Theory.
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Vol. 244 Carla Vergaro


Illocutionary Shell Nouns in English.
322 pages. 2018. ISBN 978-3-0343-3069-5

Vol. 245 Paolo Frassi


L’adjectif en français et sa définition lexicographique.
270 pages. 2018. ISBN 978-3-0343-3394-8

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