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Rappel (morphologie, lexicologie1)

Mots-formes/ lexèmes. Morphèmes/ morphes. Lexèmes/ Vocables. Lexèmes/ lexies.

La notion de mot est assez vague pour ne pas avoir de statut théorique clair, aussi les linguistes parlent-ils
plus volontiers de mots-formes, qui se laissent directement observer au raz des textes, et ont une certaine
autonomie fonctionnelle – que prouve, entre autres, le test de la substitution : un mot-forme se laisse
remplacer par un autre mot-forme qui peut remplir la même fonction syntaxique, dans la phrase :
{les/ces/mes} {élèves/ enfants/ profs} {sont/ restent} {là/ ici}) – et un certain degré de cohésion interne (si
l’on peut insérer un mot-forme entre deux autres mots-formes (le garçon/ le petit garçon ; il marche
lentement/ il marche très lentement), on ne peut pas insérer d’autre mot-forme à l’intérieur d’un mot-
forme : #garpetitçon2).

Il y a des mots-formes qui ne consistent qu’en un seul morphème (et, à, ainsi qu’à première vue du moins,
rose), et d’autres qui consistent en plusieurs morphèmes : radical (morphème support, porteur du signifié
lexical du mot-forme) + affixes dérivationnels (préfixes – avant le radical, suffixes – après le radical,
infixes – dans le radical3) et/ou affixes flexionnels. Un morphème qui constitue à lui seul un mot-forme est
un morphème libre, les autres sont des morphèmes liés. Le radical march- (que partagent les mots-formes
marcher (infinitif), marchant (participe présent du même verbe), (il) marche, (il) marchait, (ils)
marchaient etc., ainsi d’ailleurs que le nom déverbal marche4) est lui aussi un morphème lié : il ne peut
pas apparaître tout seul dans une phrase énoncée, il est toujours accompagné d’un autre morphème lié. Si
les affixes, tant dérivationnels que flexionnels, sont, par hypothèse, des morphèmes liés, tous les radicaux
ne le sont pas (et, vite, à sont des mots-formes non-fléchis, invariables, de simples radicaux).

Les affixes flexionnels (en français, typiquement des suffixes) sont des morphèmes grammaticaux
(porteurs de signifiés très généraux, qui procèdent des catégories syntaxiques) ; ils constituent un
inventaire fermé, et leur combinaison à un radical donné n’est pas optionnelle, mais est imposée par la
grammaire : tout nom français doit avoir un affixe de nombre (le singulier est marqué par l’affixe zéro, le
pluriel, le plus souvent par -s). Les affixes flexionnels sont parfois appelés : désinences (du latin
desinentia, signifiant : « qui vient à la fin », « terminaison »), puisqu’ils viennent d’habitude non

1
Nous présenterons dans cette brève mise au point, assez librement, des notions de lexicologie et morphologie définies dans
Polguère 2008 (notamment aux chapitres 3 et 4), à partir de présupposés théoriques de la lexicologie explicative et combinatoire
(LEC). Sauf spécification contraire, les exemples illustratifs sont de notre main.
2
En anglais il y a des tmèses opérant à l’intérieur du mot : unbeblodyleivable, misfuckingunderstanding (excusez mon anglais !).
Le français (que je sache) n’instancie que des tmèses qui respectent les frontières de mots-formes : lorsque/ lors même que.
3
Contrairement à ce que vous pouvez retrouver sur certains sites internet dédiés à la révision de la grammaire scolaire, -ill- n’est
pas un vrai infixe, car il n’est pas inséré dans le radical du verbe, mais ajouté à celui-ci : à supposer que -ill- soit, lui, un formant
dont dispose le lexique du français, c’est au mieux par ajout du suffixe lexical -ill- (marqueur aspectuel fréquentatif) au radical
verbal de sauter (le morphème lié saut-), et puis par ajout du suffixe grammatical d’infinitif –er, à ce thème lexical obtenu par
dérivation suffixale, que l’on obtiendrait saut+ill+er. Maintenant, du fait que -ill- ne puisse être suivi que de l’affixe d’infinitif -er,
quel que soit le groupe du verbe dont procède le radical auquel il s’adjoint (mordre/ mordiller), il est à déduire que la forme –iller
soit lexicalisée en bloc, comme suffixe dérivationnel verbal (telle est l’analyse du TLFi, appuyée par des arguments
étymologiques). On peut retrouver ailleurs, en français, des infixes dérivationnels (lexicaux) : en terminologie de la chimie par
exemple, il y a, à l’instar de l’anglais, des infixes tel que -pe- (indicateur d’hydrogénation complète) : lupetidine < lutidine.
L’infixation (courante, entre autres, dans les langues sémitiques) est rare dans les langues romanes, bien qu’elle se laisse retrouver
en latin : des verbes tel vinco, vincere, vici, victum comportent l’infixe -n- d’aspect imperfectif (marqueur qui disparaît aux formes
perfectives). Dans certaines variétés géographiques d’espagnol (au Nicaragua notamment), il y a infixation diminutive dans les
noms propres : Oscar/ Osquitar (comparer à l’espagnol standard Oscarito).
4
Dérivé de ce même radical verbal, par changement de catégorie grammaticale (conversion) ; dans cette logique, -er n’est pas un
affixe dérivationnel, mais une marque flexionnelle d’infinitif. Si, au contraire, on envisageait -er comme affixe dérivationnel,
alors il faudrait analyser marche (n.f.) en tant que dérivé régressif (obtenu de marcher par enlèvement du suffixe dérivationnel -
er). Mais, si, dans le cas de verbes dérivés de noms tels que cafarder < cafard, cochonner < cochon, fureter < furet, lézarder <
lézard…, -er peut être envisagé comme suffixe verbalisateur (affixe dérivationnel) ajouté au nom-base, quel serait la base dont le
verbe marcher ait été, lui, dérivé ? La même analyse vaut pour crier/ cri, refuser/ refus, chanter/ chant…
seulement après le radical (pluieRAD + s DÉS.PL), mais aussi (le cas échéant) après les suffixes dérivationnels
(inPRÉF + égalRAD +ité+SUFF +s DÉS. PL ; marchRAD + aient DÉS. {IMPARF. INDIC., 3PL}).

Les notions de mot-forme (association d’une signification lexicale et d’une forme, analysable ou simple) et
de lexème sont distinguées en termes de flexion : un lexème est un ensemble de mots-formes que seule
différencie les unes des autres la flexion (MARCHER1 (« avancer en faisant des pas ») est le lexème correspondant
aux mots-formes marcher (infinitif), marchant (participe présent du même verbe), (il) marche, (il)
marchait, (ils) marchaient etc. ; ÉLÈVE est le lexème correspondant aux mots-formes élève et élèves).
Le radical est le morphème que partagent tous les mots-formes d’un lexème donné, mais que peuvent en
outre partager des lexèmes distincts : considérer, reconsidérer et considération partagent le radical5
considér-, et diffèrent entre eux surtout par la présence ou l’absence d’affixes dérivationnels (vs
flexionnels).

Selon le contexte d’occurrence, un morphème (y compris le radical) peut changer légèrement de


signifiant : ainsi, avant une syllabe à e muet, le radical achet- du verbe acheter change-t-il en achèt-, celui
du verbe jeter, en jett-, et celui du verbe considérer, en considèr-.
Du fait que certains morphèmes avaient des signifiants légèrement différents au gré des contextes, on a
proposé de distinguer, en général, formes observées (réalisations en contexte) et entités pertinentes dans le
système de la langue6. Les premières ont été appelées morphes (réalisations d’un morphème donné en
contexte), et l’on a réservé le terme de morphème pour les secondes. Les radicaux achet- et achèt-, jet- et
jett-, considér- et considèr- sont des morphes différents (allomorphes7) respectivement des morphèmes
{ACHET-}, {JET-} et {CONSIDÉR-} – les accolades symbolisant le caractère ensembliste de la notion
de morphème (ainsi que le note, à propos d’autres exemples, Polguère 2008 : 70), et les majuscules, son
caractère virtuel (virtualité de langue, réalisée en contexte par ses (allo)morphes).
Polguère 2008 : 70 donne un exemple lexical de variation intra-morphématique : majeur (adjectif)/
majorité (nom), paradigme structuré autour du morphème {MAJOR-}, et de ses allomorphes major- et
majeur-, comparés à stupide/ stupidité, qui exhibent dans les deux contextes des morphes identiques
(morphème et morphe trivialement indistincts : {STUPID-}, stupid-).

Quand ces différences de signifiant sont plus importantes, entre mots-formes d’un même lexème, on
parlera de formes supplétives : les radicaux v- (en contexte de présent de l’indicatif, singulier) et i- (en
contexte de futur ou de conditionnel) du verbe aller en sont des exemples (le radical de référence étant
évidemment all-).

Si le lexème comporte un certain degré de variation au niveau de la forme et des signifiés grammaticaux
(différences flexionnelles entre ses mots-formes), il semble être envisagé (en LEC) comme ne pouvant pas
gérer de variation de sens lexical en même temps : les unités lexicales polysémiques définiront donc un
niveau supérieur d’analyse, et seront appelées vocables.

Un vocable serait (selon Polguère 2008 : 59) un regroupement de lexèmes à significations lexicales
dérivées les unes des autres : par exemple, MARCHER2 (« fonctionner ») (avec sujet inanimé Ma montre ne
marche plus) participe du même « vocable » que MARCHER1 (« avancer en faisant des pas »).
Bref, les diverses acceptions d’une unité lexicale polysémique seront appelées lexèmes, et l’entrée lexicale
polysémique elle-même, vocable.

Un lexème n’est en outre, par hypothèse, corrélé qu’à un seul « mot-forme ».

5
Nous n’endossons pas ici la distinction entre radical et racine, au sens de Polguère 2008.
6
Une démarche consistante à celle qui préside à la distinction entre mots-formes et lexèmes.
7
En effet, allo- signifie « qui est différent ».
Or, il existe aussi des unités lexicales (offertes à l’actualisation discursive comme blocs préconstruits) qui
sont bien constituées de deux ou plusieurs mots-formes en séquence. Certaines d’entre elles ont une
signification compositionnelle, mais ne se prêtent pas à une analyse syntaxique comme groupes de mots
(lave-vaisselle n’est pas un syntagme verbal, mais est intégré dans la phrase comme un nom – un nom
composé, et il en va de même de porte-monnaie ou de portefeuille), d’autres, au contraire, se prêtent à une
telle analyse (pomme de terre est bien un syntagme nominal, poser un lapin à quelqu’un, un syntagme
verbal8), mais elles ont une signification lexicale non-compositionnelle (une pomme de terre n’est pas une
pomme ni d’ailleurs un fruit ; poser un lapin ne signifie pas que l’on manipule un petit mammifère, mais
que l’on fasse attendre inutilement quelqu’un en ne se présentant pas au rendez-vous que l’on avait avec
cette personne).
D’où la nécessité d’introduire une catégorie plus compréhensive que celle des lexèmes : la notion de lexie.

Les unités lexicales (associations, stabilisée en mémoire de longue durée qu’est le lexique mental9 d’un
certain locuteur, entre une forme verbale simple ou complexe, et une signification lexicale non-
grammaticalisée) seront appelées lexies : tous les lexèmes sont des lexies, mais toutes les lexies ne sont
pas des lexèmes, en particulier les locutions et les lexies composées. Les dernières sont des radicaux
complexes, créés par concaténation de radicaux simples, et se combinant ensuite à des affixes flexionnels
(portefeuille-, portefeuille-s10).

Lexies :
- Lexies simples = lexèmes
- Lexies complexes ( lexèmes !)
- Locutions
- Lexies composées

Lecture facultative : désinences flexionnelles vs suffixes flexionnels


Comme, dans le cas des verbes, les traits de nombre et de personne (ou les traits de genre et de nombre,
pour le participe passé), à valeurs spécifiées en syntaxe, suite à des procédures d’accord, à partir des traits
correspondants de groupes nominaux, sont en général marqués après leurs traits de temps-mode-aspect (ce

8
Exemples empruntés à Polguère, op.cit., pp. 54-55.
9
Alain Polguère parle alors de « vocabulaire ». Une distinction qui ne nous a pas semblé pertinente dans le contexte de ce cours
de syntaxe, non plus.
10
L’ajout de l’affixe de pluriel aux noms composés n’est pas toujours aussi évident, il faut penser au sens, à la catégorie des
composants et du composé :

- adjectif+nom et nom+nom – marque de pluriel sur les deux constituants : un grand-père/ des grands-pères ; un chef-
lieu/ des chefs-lieux,
- nom+préposition+nom, pluriel sur le premier nom seulement (des chefs-d’œuvre, des arcs-en-ciel) sauf si le sens de ce
nom ou le sens du composé lui-même rend sa pluralisation inconsistante (des tête-à-tête ; des pot-au-feu : pluraliser ici
pot serait retrouver le sens de « récipient » par-dessus la métonymie à l’origine du sens « mets préparé dans ce
récipient ») ;
- avec des verbes, pas de marque d’accord, tant dans le cas des composés verbe+adverbe tels que un couche-tard/ des
couche-tard, un lève-tôt/ des lève-tôt, que dans celui des composés verbe+nom – un/des lave-vaisselle, un sèche-
cheveux (« qui sèche les cheveux »)/ des sèche-cheveux).

Par ailleurs, il faut également penser aux particularités formelles du radical complexe en soi : une grand-mère –à adjectif grand
non accordé en genre/ des grand-mères – adjectif non accordé en nombre non plus.
Les nouvelles règles d’orthographe (toujours optionnelles selon l’Académie Française) viennent encore embrouiller les choses en
promouvant le critère formel aux dépens du critère sémantique, sans pour autant parvenir à entièrement éliminer le recours au
dernier (les composés qui sont des phrases nominalisées ou ceux qui comportent un nom propre ne reçoivent pas de marque de
pluriel : des trompe-la-mort, des Marie-couche-toi-là, des pince-moi-sans-rire ; des prie-Dieu) ; qui pis est, l’application
mécanique du critère formel et analogique aboutit dans certains cas à des résultats hilaires (un sèche-cheveu – des sèche-cheveux,
bonjour, la calvitie !)…
qui est visible pour le moins à l’écrit), certains grammairiens ont appelé désinences les suffixes
flexionnels nominaux, qui effectivement « viennent à la fin », et réservent le terme d’affixes flexionnels
(en roumain et en français : des suffixes flexionnels notamment) aux seuls morphèmes grammaticaux liés
de temps-aspect-mode, dans la conjugaison verbale. Tel est notamment l’usage en grammaire scolaire
roumaine, usage préservé aussi dans la GALR 2005.
Sont alors traités de « désinences » les morphèmes grammaticaux liés de personne, de genre, de nombre
mais aussi de cas :
- les morphèmes grammaticaux liés de nombre et de cas – traits syntaxiques dont les valeurs
varient, au gré des occurrences (actualisations) d’un certain nom substantif, article ou pronom ; si
le roumain est une langue à flexion nominale riche (une « langue à cas »), en français seuls les
pronoms dits personnels ont un résidu de marquage flexionnel du cas, à coup de formes
supplétives plutôt que de désinences casuelles il/le/lui ; elle/la/lui ; ils (elles)/les/leur ; en/y, les
soi-disant « pronoms adverbiaux » se laissent analyser, dans cette logique, comme formes
casuelles d’ablatif-génitif et respectivement de locatif, dans le cadre du paradigme des pronoms de
troisième personne ; encore que dans une moindre mesure, les noms de personnes – que sont les
« pronoms » personnels de première et de deuxième personnes – témoignent eux aussi de
variation casuelle, du moins au singulier, formes qui distinguent le nominatif de l’accusatif et du
datif (sous homonymie casuelle pour les derniers) : je/me, me, tu/te, te ; par contre, nous et vous
ne différencient pas le nominatif (nous les remercions, nous leur rendons la monnaie) de
l’accusatif (ils nous remercient, ils nous regardent) ni du datif (ils nous obéissent, ils nous
rendent la monnaie).
- les morphèmes grammaticaux liés de genre et de personne – traits syntaxiques qui, tout en
étant intrinsèques aux nominaux virtuellement référentiels qui les portent, varient au gré des
occurrences sur les catégories prédicatives accordées aux derniers – sur des verbes et des adjectifs
donc.

Tous les noms substantifs (avec ou sans article ou déterminant défini) régissent l’accord à la
troisième personne (Des/Trois enfants jouaient à cache-cache dans la cour de l’immeuble), et leur
genre en est une propriété intrinsèque, sujette soit à motivation sémantique (le père/ la mère) soit
à arbitraire lexical : problème, lemme, théorème, livre sont masculins en français mais féminins en
roumain. Les pronoms dits personnels varient en personne, en nombre et/ou en genre mais, en
raison du caractère supplétif des réalisateurs de ces catégories (en français et en roumain),
chacune des formes a ou bien des traits de personne et de nombre intrinsèques (pour la première et
la deuxième personne, qui varient en genre au gré des occurrences : je suis arrivé – si le locuteur
est un homme/ je suis arrivée – si c’est une femme), ou bien des traits de genre et de personne
intrinsèques (à l’instar des noms substantifs qu’ils peuvent substituer), à la troisième personne
(il/elle, au pluriel : ils/elles). Pour la mémoire : il< bas latin illi, de : ille (démonstratif masculin
singulier latin), elle, elles proviennent du féminin du même démonstratif latin – illa (nominatif
singulier), illas (pluriel accusatif), toujours au XIIIe siècle (à l’époque mérovingienne), selon le
TLFi. Mais si, en latin, l’opposition de genre était marquée sur ce démonstratif d’éloignement par
des désinences, en français, ce sont les radicaux eux-mêmes qui diffèrent entre eux (voyelles
initiales distinctes).

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