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Puisque nous avons beaucoup parlé les dernières fois du désir, nous allons commencer d'aborder la
question de l'interprétation. Le graphe doit nous servir à quelque chose 50.
Ce que je vais vous dire aujourd'hui sur un exemple, à savoir sur l'interprétation d'un rêve, je veux
l'introduire par quelques remarques sur ce qui résulte des indications que nous donne Freud
précisément sur l'interprétation du rêve.
Voici en effet à peu près le sens de la remarque de Freud que je vise actuellement, c'est dans le chapitre
VI où il s'intéresse au sentiment intellectuel regardant le rêve 5l. Par exemple au moment où le sujet
rapporte un rêve, il a le sentiment qu'il y manque quelque chose qu'il a oublié, ou que
50. Schéma donné tel quel en début de leçon dans la retranscription de la sténotypie. 51."Die
intellektuellen Leistungen ira Traum" in Traumdeutung, G.W. 11-111, chap. v1, § G. "Absurde
Traüme", p. 428.
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quelque chose est ambigu, douteux, incertain. Dans tous ces cas, nous dit Freud, ce qui est dénoncé par
le sujet à propos du rêve, concernant son incertitude, sa mise en doute, son ambiguïté - à savoir "c'est
ou ceci ou cela", "je ne me souviens plus", "je ne peux plus dire" - même son degré de réalité, c'est-à-
dire le degré de réalité avec lequel il a été vu, soit que ce fut quelque chose qui s'affirme dans le rêve
avec un tel degré de réalité que le sujet le remarque, ou au contraire que ce fut un rêve [...], tout ceci
nous dit Freud, dans tous ces cas, doit être pris pour énonçant ce que Freud appelle « une des pensées
latentes du rêve ».
Ce qui en somme est dit par le sujet en note marginale concernant le texte du rêve, à savoir tous les
accents de tonalité, ce qui dans une musique s'accompagne d'annotations comme allegro, crescendo,
decrescendo, tout cela fait partie du texte du rêve. je ne pense pas que pour le plus grand nombre
d'entre vous que je suppose avoir déjà pris connaissance de la Traumdeutung, de la technique, ceci soit
nouveau. C'est là quelque chose de vraiment fondamental pour ce qui est de l'interprétation d'un rêve.
je ne fais donc que le rappeler car je n'ai pas le temps d'en donner des exemples qui sont dans Freud, et
je vous renvoie au texte de la Traumdeutung. Vous verrez l'usage que fait Freud de ce rappel essentiel.
Il interprète le rêve en intégrant le sentiment de doute, par exemple, qu'il y a dans ce rêve au moment
où le sujet le raconte, comme un des éléments du rêve sans lequel le rêve ne saurait être interprété.
Nous partons donc de l'interprétation freudienne, et nous nous posons la question de savoir ce que ceci
comporte d'implication. Il ne suffit pas d'accepter ce fait, ou cette règle de conduite, comme devant
être reçue religieusement comme l'ont fait bien des disciples de Freud, sans chercher à voir plus loin,
faisant confiance à l'inconscient en quelque sorte. Qu'est-ce que cela implique que Freud nous dise, ce
n'est pas seulement la tension de votre inconscient qui est là au moment où votre rappel du rêve se
dérobe, ou au contraire se met sous une certaine rubrique, sous un certain accent. Il dit: « ceci fait
partie des pensées latentes du rêve lui même ». C'est donc ici que, ce que nous sommes convenus
d'appeler le graphe nous permet de préciser, d'articuler d'une façon plus évidente, plus certaine ce dont
il s'agit quand Freud nous donne une telle règle de conduite dans l'interprétation du rêve.
Voilà en effet ce que nous pouvons dire. Que faisons nous quand nous communiquons un rêve, que ce
soit dans ou hors l'analyse ? (on n'a pas attendu l'analyse pour que nous puissions donner de
l'énonciation d'un rêve une formule qui la spécifie dans l'ensemble des énonciations possibles comme
ayant une certaine structure par rapport au sujet). Dans ce que nous pouvons, dans un - 142 -
discours, apporter comme énoncés événementiels, nous pouvons légitimement distinguer ceci que,
parmi ces énoncés concernant des événements, il y en a qui ont une valeur tout à fait digne d'être
distinguée au regard du registre signifiant. Ce sont les énoncés que nous pouvons mettre sous cette
rubrique générale d'être du discours indirect; ce sont les énoncés concernant les énonciations d'autres
sujets; c'est ce qui est rapport des articulations signifiantes de quelqu'un d'autre. Et beaucoup de choses
s'introduisent par là, y compris d'autres énoncés, c'est-à-dire le ouï-dire: "on m'a raconté...", "un tel a
attesté que ceci s'est passé...", "tel ou tel...". Ce qui est la forme, ou une des formes les plus
fondamentales du discours universel, la plupart des choses dont nous avons nous-mêmes à rendre
compte faisant partie de ce que nous avons recueilli de la tradition des autres. Disons donc un rapport
d'énoncé pur et simple, factuel, que nous prenons à notre compte et, d'autre part, ceci comportant d'une
façon latente la dimension de l'énonciation qui n'est pas forcément mise en évidence, mais qui le
devient dès lors qu'il s'agit de rapporter l'énoncé de quelqu'un d'autre. Ce peut être aussi bien du nôtre
qu'il s'agit. Nous pouvons dire que nous avons dit telle chose, que nous avons porté témoignage devant
tel autre, et nous pouvons même nous faire l'énonciation que l'énoncé que nous avons fait est
complètement faux. Nous pouvons témoigner que nous avons menti.
Une de ces possibilités est celle qui retient notre attention à l'instant. Qu'est-ce que nous faisons dans
l'énonciation d'un rêve ? Nous faisons quelque chose qui n'est pas unique de sa classe, tout au moins
dans la façon que nous allons avoir de la définir maintenant. Car d'une façon dont il est intéressant de
souligner que c'est la façon spontanée qu'on a vis à vis d'un rêve, avant que nous soyons entrés dans la
querelle des sages - à savoir le rêve n'a aucune signification, c'est un produit de décomposition de
l'activité psychique, qui est la position dite scientifique qui a été tenue pendant une assez courte
période de l'histoire - Freud faisait remarquer lui-même qu'il ne faisait que rejoindre la tradition. C'est
déjà une chose considérable que ce que nous avons avancé à l'instant, à savoir que la tradition n'a
jamais été sans poser, à tout le moins concernant le rêve, un point d'interrogation quant à sa
signification.
En d'autres termes, ce que nous énonçons en produisant l'énoncé du rêve, c'est quelque chose à quoi
est donné - dans la forme même sous laquelle nous la produisons à partir du moment où nous
racontons notre rêve à quelqu'un d'autre - ce point d'interrogation qui n'est pas n'importe lequel, qui
suppose que quelque chose est sous ce rêve, dont ce rêve est le signifiant. Je veux dire, nous pouvons
écrire ceci dans notre formalisation, qu'il s'agit d'une énonciation - 143 -
d'un [énoncé], qui a lui-même un indice d'énonciation, qui est supposé lui-même prendre valeur, bien
entendu non pas factuelle, événementielle.
Il faut que nous y ajoutions un accent supplémentaire pour raconter cela d'une façon et dans une
dimension purement descriptive. L'attitude qui reste spontanée, l'attitude traditionnelle, tellement
ambiguë du petit enfant qui commence à vous raconter ses rêves, qui vous dit: "cette nuit j'ai rêvé". Si
l'on observe les choses, tout se passe comme si, à quelque moment, avait été découverte à l'enfant la
possibilité qu'il a d'exprimer ces choses-là, et c'est au point que très fréquemment on ne peut pas
vraiment savoir, à l'âge où commence cette activité confidentielle de l'enfant concernant ses rêves, si
après tout ce qu'il vous raconte est vraiment bien quelque chose qu'il a rêvé ou quelque chose qu'il
vous apporte parce qu'il sait qu'on rêve et qu'on peut raconter des rêves.
Ces rêves de l'enfant ont ce caractère d'être à la limite de l'affabulation, comme le contact avec un
enfant le fait sentir. Mais justement, si l'enfant le produit ainsi et le raconte ainsi, c'est avec le caractère
de ce petit e indice d'énonciation E(e). Quelque chose est au-delà. Avec cela justement il joue avec
vous le jeu d'une question, d'une fascination. Et pour tout dire, la formule de toute espèce de rapport
concernant le rêve, qu'elle soit intra ou extra-analytique étant celle-ci E(e), ce que nous dirons être la
formule générale de quelque chose qui, donc, n'est pas particulier au rêve, est celle de l'énigme.
À partir de là, que signifie ce que Freud veut dire ? Voyons-le sur notre petit graphe qui se propose
comme ceci à l'occasion, à savoir que si nous supposons que la production du rêve... Pour voir
comment nous allons nous servir de ce graphe pour y projeter les différents éléments de cette
formalisation. Il peut y avoir plusieurs façons. L'intérêt structural du graphe, c'est que c'est une struc -
ture qui nous permet de repérer le rapport du sujet avec le signifiant, pour autant que nécessairement,
dès que le sujet est pris dans le signifiant - et il est essentiel qu'il y soit pris, c'est ce qui le définit, c'est
le rapport de l'individu avec le signifiant, une structure. Et un réseau à ce moment s'impose qui reste
en quelque sorte toujours fondamental.
Tâchons ici de voir comment nous pouvons répartir les diverses fonctions intéressées dans
l'énonciation du rêve dans ledit graphe dans ce cas. Ce dont il s'agit, le point pivot, l'énoncé je dirai
total, le rêve - dans ce fait que création spontanée, il se présente comme quelque chose qui dans son
premier aspect a un caractère de relative totalité -il est le fait d'un certain bloc. On dit: "j'ai fait un
rêve", on le distingue de l'autre rêve qui a suivi et qui n'est pas le même. Il a le caractère de ce
discours, il se réfléchit en tant que rien n'y fait apparaître, au - 144 -
moment où nous le faisons, ce morcellement, cette décomposition du signifiant sur laquelle nous
avons toutes sortes d'indices rétroactifs que ce morcellement est là incident dans la fonction de tout
discours. Mais le discours, pour autant que le sujet s'y tienne, suspend à chaque instant notre choix au
moment de pousser un discours, sans cela notre façon de communiquer aurait quelque chose
d'autrement ardu.
Ce rêve il nous est donné comme un tout. C'est cet énoncé qui se produit, si je puis dire, au niveau
inférieur du graphe. C'est une chaîne signifiante qui se présente sous cette forme d'autant plus globale
qu'elle est fermée, qu'elle se présente justement sous la forme habituelle du langage, qu'elle est
quelque chose sur quoi le sujet a à faire un rapport, une énonciation, à se situer par rapport à elle, à
vous le faire passer justement avec tous ses accents, qu'il a à y mettre le plus ou moins d'adhésion à ce
qu'il vous raconte. C'est-à-dire qu'en somme c'est au niveau du discours pour l'autre, qui est aussi le
discours où le sujet l'assume, ce rêve, que va se produire ce quelque chose qui accompagne le rêve et
le commente en quelque sorte de sa positon plus ou moins assumée par le sujet. C'est-à-dire qu'ici,
pendant le récit de ce qui s'est passé, il se présente déjà lui-même à l'intérieur de cela comme l'énoncé
du rêve. C'est ici, dans le discours où le sujet l'assume pour vous à qui il le raconte, que nous allons
voir se produire ces différents éléments, ces différentes accentuations qui sont toujours des
accentuations de plus ou moins d'assomption par le sujet. Il me semble, il m'est apparu que ceci s'est
passé à ce moment-là.
À ce moment-là tout s'est passé comme si tel sujet était en même temps tel autre, ou se transformait en
tel autre. C'est ce que j'ai appelé tout à l'heure ses accents; ces divers modes d'assomption du vécu du
rêve par le sujet se situent ici dans la ligne qui est celle du je de l'énonciation, pour autant que
justement vis à vis de cet événement psychique, il l'assume plus ou moins dans son énonciation.
Qu'est-ce à dire, sinon que ce que nous avons là, c'est justement ce qui dans notre graphe, se présente
sous la forme de la ligne morcelée, discontinue, qu'il vous indique comme étant la caractéristique de
ce qui s'articule au niveau de l'énonciation en tant que ceci intéresse le signifiant. Car, remarquez ceci,
s'il est vrai que ce qui justifie la ligne inférieure, celle sur laquelle à chaque occasion nous avons placé
cette rétroaction du code sur le message qui à chaque instant donne à la phrase son sens, cette unité
phrastique est d'ampleur diverse: à la fin d'un long discours, à la fin de mon séminaire ou a la fin de
mes séminaires, il y a quelque chose qui boucle rétroactivement le sens de ce que je vous ai énoncé -
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auparavant, mais jusqu'à un certain point, de chacune des parties de mon discours, chacun des
paragraphes, il y a quelque chose qui se forme. Il s'agit de savoir à quel degré le plus réduit il faut nous
arrêter pour que cet effet que nous appelons l'effet de signification en tant qu'il est quelque chose
d'essentiellement nouveau, qui va au-delà de ce qu'on appelle les emplois du signifiant, constitue une
phrase, constitue justement cette création de signification faite dans le langage.
Où cela s'arrête ? Cela s'arrête évidemment à la plus petite unité qui soit et qui est la phrase, justement
à cette unité qui dans l'occasion se présente là d'une façon tout à fait claire dans le rapport du rêve sous
la forme de ceci que le sujet assume ou n'assume pas, ou croit ou ne croit pas, ou rapporte quelque
chose, ou doute de ce qu'il nous raconte. Ce que je veux dire dans l'occasion, c'est que cette ligne, ou
boucle de l'énonciation, elle se fait sur des fragments de phrases qui peuvent être plus courts que
l'ensemble de ce qui est raconté. Le rêve, à propos de telle ou telle partie du rêve, vous apporte une
assomption par le sujet, une prise énonciative d'une portée plus courte que l'ensemble du rêve. En
d'autres termes, elle introduit une possibilité de fragmentation d'ampleur beaucoup plus courte au
niveau supérieur qu'au niveau inférieur.
Ceci nous met sur la voie de ce qu'implique Freud en disant que cet accent d'assomption par le sujet
fait partie des pensées latentes du rêve. C'est nous dire que c'est au niveau de l'énonciation et pour
autant qu'elle implique cette forme de mise en valeur du signifiant qui est impliqué par l'association
libre; c'est à savoir que si la chaîne signifiante a deux aspects :
-celui qui est l'unité de son sens, la signification phrastique, le monolithisme de la phrase,
l'holophrasisme ou plus exactement à savoir qu'une phrase peut être prise comme ayant un sens
unique, comme étant quelque chose qui forme un signifiant, mettons transitoire, mais qui, le temps
qu'il existe, tient à lui tout seul comme tel;
-et l'autre face du signifiant, qu'on appelle association libre, comporte que [pour] chacun des éléments
de cette phrase et aussi loin qu'on peut aller dans la décomposition, s'arrêtant strictement à l'élément
phonétique, quelque chose peut intervenir qui, faisant sauter un de ces signifiants, y implante à la
place un autre signifiant qui le supplante. Et c'est là-dedans que git la propriété du signifiant c'est
quelque chose qui se rapporte à ce côté-là du vouloir du sujet. Quelque chose, une incidente, à chaque
instant le recroise, qui implique - sans que le sujet le sache et d'une façon pour lui inconsciente - que
dans ce discours même, dirigé au-delà de son intention, quelque chose dans le choix de ces éléments -
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intervient dont nous voyons émerger à la surface les effets, sous la forme par exemple la plus
élémentaire du lapsus phonématique: qu'il s'agisse d'une syllabe changée dans un mot, qui montre là la
présence d'une autre chaîne signifiante qui peut venir se recouper avec la première et enter, implanter
un autre sens.
Ceci nous est indiqué par Freud: de qui, au niveau de l'énonciation, au niveau en apparence donc le
plus élaboré de l'assomption du sujet (au point où le je se pose comme conscient par rapport à, nous ne
dirons pas sa propre production puisque justement l'énigme reste entière) de qui est cet énoncé dont on
parle ? Le sujet ne tranche pas. S'il dit "j'ai rêvé", c'est avec une connotation et un accent propre qui
fait que celui qui a rêvé, est tout de même quelque chose qui, par rapport à lui, se présente comme
problématique. Le sujet de cette énonciation contenue dans l'énoncé dont -il s'agit et avec un point
d'interrogation, a longtemps été considéré comme étant « le Dieu », avant de devenir le « lui-même »
du sujet (c'est à peu près avec Aristote).
Pour revenir à cet au-delà du sujet qu'est l'inconscient freudien, toute une oscillation, toute une
vacillation se produit qui ne le laisse pas moins dans une permanente question de son altérité. Et ce
que, de cela, le sujet reprend ensuite est de la même nature morcelante, a la même valeur d'élément
signifiant que ce qui se produit dans le phénomène spontané de substitution, de dérangement du
signifiant, qui est ce que Freud nous montre d'autre part être la voie normale pour déchiffrer le sens du
rêve. En d'autres termes, le morcellement qui se produit au niveau de l'énonciation - en tant que
l'énonciation est assomption du rêve par le sujet - est quelque chose dont Freud nous dit qu'elle est sur
le même plan et de la même nature que ceci, dont le reste de la doctrine nous montre que c'est la voie
de l'interprétation du rêve, à savoir la décomposition signifiante maximale, l'épellement des éléments
signifiants pour autant que c'est dans cet épellement que va résider la mise en valeur des possibilités
du rêve; c'est-à-dire de ces entrecroisements, de ces intervalles qu'il laisse et qui n'apparaissent que
pour autant que la chaîne signifiante est mise en rapport, est recoupée, entrecroisée par toutes les
autres chaînes qui, à propos de chacun des éléments du rêve peuvent s'entrecroiser, s'entremêler avec
la première.
En d'autres termes, c'est pour autant, et d'une façon plus exemplaire à propos du rêve que par rapport à
n'importe quel autre discours, c'est pour autant que dans le discours du sujet, dans le discours actuel,
nous faisons vaciller, nous laissons se décrocher de la signification actuelle ce qui est intéressé de
signifiant dans cette énonciation; c'est dans cette voie que nous nous approchons de ce qui chez le
sujet est appelé, dans la doctrine freudienne, "inconscient".
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C'est dans la mesure où le signifiant est intéressé, c'est dans les possibilités de rupture, dans les points
de rupture de cet inconscient que gît ce sur la piste de quoi nous sommes, ce que nous sommes là pour
rechercher, c'est à savoir ce qui s'est passé d'essentiel dans le sujet qui maintient certains signifiants
dans le refoulement. Et ce quelque chose va nous permettre d'aller sur la voie précisément de son désir,
à savoir de ce quelque chose du sujet qui, dans cette prise par le réseau signifiant est maintenu, doit
pour ainsi dire, pour être révélé, passer à travers ces mailles, est soumis à ce filtrage, à ce criblage du
signifiant, et est, ce que nous avons pour but de restituer et de restaurer dans le discours du sujet.
Comment pouvons-nous le faire ? Que signifie que nous puissions le faire ? je vous l'ai dit, le désir est
essentiellement lié par la doctrine, par la pratique, par l'expérience freudienne, dans cette position: il
est exclu, énigmatique, ou il se pose par rapport au sujet être essentiellement lié à l'existence du signi-
fiant, refoulé comme tel, et sa restitution, sa restauration est liée au retour de ces signifiants.
Mais ce n'est pas dire que la restitution de ces signifiants énonce purement et simplement le désir.
Autre chose est ce qui s'articule dans ces signifiants refoulés et qui est toujours une demande, autre
chose est le désir, pour autant que le désir est quelque chose par quoi le sujet se situe, du fait de
l'existence du discours, par rapport à cette demande. Ce n'est pas de ce qu'il demande qu'il s'agit, c'est
de ce qu'il est en fonction de cette demande et ce qu'il est dans la mesure où la demande est refoulée,
est masquée, et c'est cela qui s'exprime d'une façon fermée dans le fantasme de son désir, c'est son
rapport à un être dont il ne serait pas question s'il n'y avait pas la demande, le discours qui est
fondamentalement le langage, mais dont il commence à être question à partir du moment où le langage
introduit cette dimension de l'être et en même temps la lui dérobe. La restitution du sens du fantasme,
c'est-à-dire de quelque chose d'imaginaire, vient entre les deux lignes, entre l'énoncé de l'intention du
sujet et ce quelque chose que d'une façon décomposée il lie, cette intention profondément morcelée,
fragmentée, réfractée par la langue. Entre les deux est ce fantasme où d'habitude il suspend son rapport
à l'être.
Mais ce fantasme est toujours énigmatique, plus que n'importe quoi d'autre. Et que veut-il ? Ceci, que
nous l'interprétions! Interpréter le désir, c'est restituer ceci auquel le sujet ne peut pas accéder à lui tout
seul, à savoir l'affect qui désigne, au niveau de ce désir qui est le sien - je parle du désir précis qui
intervient dans tel ou tel incident de la vie du sujet, du désir masochiste, du désir-sui cide, du désir
oblatif à l'occasion. Il s'agit que ceci, qui se produit sous cette - 148 -
forme fermée pour le sujet, en reprenant sa place, son sens par rapport au discours masqué qui est
intéressé dans ce désir, reprenne son sens par rapport à l'être, confronte le sujet par rapport à l'être,
reprenne son sens véritable, celui qui est par exemple défini par ce que j'appellerai les affects
positionnels par rapport à l'être. C'est cela que nous appelons amour, haine ou ignorance essentiel -
lement, et bien d'autres termes encore dont i aura que nous fassions le tour et le catalogue. Pour autant
que ce qu'on appelle l'affect n'est pas ce quelque chose de purement et simplement opaque et fermé qui
serait une sorte d'au-delà du discours, une espèce d'ensemble, de noyau vécu dont on ne saurait pas de
quel ciel il nous tombe, mais pour autant que l'affect est très précisément et toujours quelque chose qui
se connote dans une certaine position du sujet par rapport à l'être. je veux dire par rapport à l'être en
tant que ce qui se propose à lui dans sa dimension fondamentale est symbolique, ou bien qu'au
contraire, à l'intérieur de ce symbolique, il représente une irruption du réel, cette fois fort dérangeante.
Et il est fort difficile de ne pas s'apercevoir qu'un affect fondamental comme celui de la colère n'est pas
autre chose que cela: le réel qui arrive au moment où nous avons fait une fort belle trame symbolique,
ou ut va fort bien, l'ordre, la loi, notre mérite et notre bon vouloir... On s'aperçoit tout d'un coup que les
chevilles ne rentrent pas dans les petits trous! C'est cela, l'origine de l'affect de la colère: tout se
présente bien pour le pont de bateaux au Bosphore 52 mais il y a une tempête, qui fait battre la mer.
Toute colère, c'est faire battre la mer!
Et puis aussi bien, c'est quelque chose qui se rapporte à l'intrusion du désir lui-même et qui est aussi
quelque chose qui détermine une forme d'affect sur laquelle nous reviendrons. Mais l'affect est
essentiellement et comme tel, au moins pour toute une catégorie fondamentale d'affects, connotation
caractéristique d'une position du sujet, d'une position qui se situe (si nous voyons essentiellement les
positions possibles) dans cette mise en jeu, mise en travail, mise en oeuvre de lui-même par rapport
aux lignes nécessaires que lui impose comme tel son enveloppement dans le signifiant.
Voyons maintenant un exemple. Cet exemple, je l'ai pris dans la postérité de Freud. Il nous permet de
bien articuler ce qu'est le [désir dans] l'analyse. Et pour procéder d'une façon qui ne laisse pas place à
un choix plus spécialement arbitraire, j'ai pris le chapitre V de Dream Analysis53 de Ella Sharpe, où
l'auteur
52. HÉRODOTE, L'Enquête VII, 34-35 (trad. A. Barguet), Paris, 1964, La Pléiade, Gallimard. 53.
SHARPE FREEMAN E., Dream Analysis (1937), London, 1978, The Hogarth Press and the Institute
of Psycho-analysis.
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prend comme exemple l'analyse d'un rêve simple - je veux dire d'un rêve qu'elle prend comme tel en
poussant autant que possible jusqu'au bout son analyse. Vous entendez bien que dans les chapitres
précédents, elle a montré un certain nombre de perspectives, de lois, de mécanismes, par exemple
l'incidence du rêve dans la pratique analytique, ou même plus loin, les problèmes posés par l'analyse
du rêve ou de ce qui se passe dans les rêves des personnes analysées. Ce qui fait le point pivot de ce
livre, c'est justement le chapitre où elle nous donne un exemple singulier d'un rêve exemplaire dans
lequel elle met en jeu, en oeuvre, elle illustre tout ce qu'elle peut avoir d'autre part à nous produire
concernant la façon dont la pratique analytique nous montre que nous devons être effectivement
guidés dans l'analyse d'un rêve - et nommément ceci d'essentiel qui est ce que le praticien apporte de
nouveau après la Traumdeutung, qu'un rêve n'est pas simplement quelque chose qui s'est révélé avoir
une signifiance (c'est la Traumdeutung) mais quelque chose qui, dans la communication analytique,
dans le dialogue analytique, vient jouer son rôle actuel, non pas à tel moment de l'analyse comme à tel
autre, et que justement le rêve vient d'une façon active, déterminée, accompagner le discours
analytique pour l'éclairer, pour prolonger ses cheminements, que le rêve est un rêve en fin de compte
fait non seulement pour l'analyse mais souvent pour l'analyste.
Le rêve, à l'intérieur de l'analyse, se trouve en somme porteur d'un message. L'auteur en question ne
recule pas, pas plus que les auteurs qui ont depuis eu à parler de l'analyse des rêves. Il s'agit seulement
de savoir quelle pensée, quel accent nous lui donnerons. Et, vous le savez, j'ai attiré l'attention là-
dessus dans mon rapport de Royaumont, ce n'est pas la moindre question que pose la question de la
pensée à l'égard du rêve, que certains auteurs croient pouvoir s'en détourner pour autant qu'ils y voient
quelque chose comme une activité.
Du moins assurément, c'est quelque chose... je veux dire que le fait en effet que le rêve se présente
comme une matière à discours, comme matière à élaboration discursive est quelque chose que, si nous
ne nous apercevons pas que l'inconscient n'est point ailleurs que dans les latences, non pas de je ne sais
quelle besace psychique où il serait à l'état inconstitué, mais bel et bien, en tant qu'inconscient, en deçà
ou - c'est une autre question - immanent à la formulation du sujet, au discours de lui-même, à son
énonciation, nous verrons comment il est bel et bien légitime de prendre le rêve, comme il a toujours
été considéré, pour "la voie royale" de l'inconscient.
Voici donc comment les choses se présentent dans ce rêve que nous présente l'auteur. je vais
commencer par lire le rêve lui-même, je vais montrer la façon - 150 -
dont les problèmes se posent à son propos. Elle nous donne d'abord un bref avertissement sur le sujet,
dont nous aurons à faire grand cas. Tout le chapitre devra d'ailleurs être revu, critiqué, pour nous
permettre de saisir comment ce qu'elle nous énonce est à la fois, mieux que dans tout autre registre,
applicable sur les repères qui sont les nôtres - et en même temps, comment ces repères peut-être
pourraient nous permettre de mieux nous orienter.
Le patient arrive à sa séance ce jour-là dans certaines conditions que je rappellerai tout à l'heure. C'est
seulement après certaines associations dont vous verrez qu'elles sont extrêmement importantes, qu'il se
rappelle: « ceci me rappelle... » - je reviendrai sur ces associations naturelles.
« Je ne sais pourquoi, je viens justement de penser, dit-il, à mon rêve de la nuit dernière. C'était un
rêve terrible, tremendous 54. J'ai dû rêver pendant des éternités [...] ; je ne vais pas vous embêter avec
cela pour la bonne raison que je ne m'en souviens plus. Mais c'était un rêve très excitant, plein d'inci -
dents et plein d'intérêt. Je me suis réveillé chaud et transpirant... »
Il dit qu'il ne se souvient pas de cette infinité de rêve, de cette mer de rêve, mais ce qui surgit c'est
cela, [c'est] une scène assez courte qu'il va nous raconter.
« J'ai rêvé que je faisais un voyage avec ma femme... », il y a ici une très jolie nuance qui n'est peut-
être pas assez accentuée quant à l'ordre normal des compléments dans la langue anglaise. Je ne crois
pas me tromper pourtant en disant que «J'avais entrepris un voyage avec ma femme autour du
monde... » est quelque chose qui mérite d'être noté. Il y a une différence entre "un voyage autour du
monde avec ma femme", ce qui semblerait l'ordre français normal des compléments circonstanciels, et
«j'ai entrepris un voyage avec ma femme autour du monde». Je crois qu'ici, la sensibilité de l'oreille en
anglais doit être la même.
«[ . ..] nous sommes arrivés en Tchécoslovaquie, où toutes sortes de choses arrivaient. Je rencontrais
une femme sur une route, une route qui maintenant me fait remémorer la route que je vous ai décrite
dans deux autres rêves il y a quelque temps, et dans lesquels j'avais un jeu sexuel avec une femme
devant une autre femme. » Là-dessus, c'est à juste titre que l'auteur change la typographie, car c'est une
réflexion latérale: « C'est ainsi que cela se passait dans ce rêve. »
« Cette fois, (il reprend le récit du rêve) ma femme était là pendant que l'événement sexuel se
produisait. La femme que je rencontrais avait un aspect très
56. HOMÈRE, Odyssée (trad. V. Bérard), Paris, 1955, La Pléiade, Gallimard, Rhapsodie IX, p. 674-
676.
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