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Doctorat
Annette SCHNABEL
INTERTEXTUALITÉS
ANTIMÉMOIRES
D’ANDRÉ MALRAUX
Résumé
Soutenue en 2004
Jury :
M. Jean-Yves Guérin
M. Jean-Claude Larrat
M. Pierre-Louis Rey
« Toute narration est plus proche des narrations antérieures que du
monde qui nous entoure, et les œuvres les plus divergentes lorsqu’elles se
trouvent dans le musée ou la bibliothèque ne s’y trouvent pas par leur
rapport avec la réalité mais par leur rapport entre elles. » (André
Malraux, L’Homme précaire et la littérature, Gallimard, 1977, p.159)
Si l’une des voies de l’intertexte est de « permuter » des textes comme le constate
Roland Barthes dans son article consacré à la notion du texte dans l’Encyclopaedia
Universalis en 1973, l’on se rend bien compte que dans notre cas, cette permutation a surtout
lieu à titre autotextuel. Le premier intertexte obligatoire est avant tout celui de l’autotexte
(correspondances, dialogues ou distorsions entre les différentes étapes des Antimémoires de
Malraux), plus ou moins remanié, d’abord de 1967 à 1972 quant à l’agencement du prologue
- qui connaît alors une nette extension - et l’intégration de deux nouveaux chapitres (Méry)
dans la IVème partie « La Voie royale » ainsi qu’à de nombreux ajouts (la conversation avec
le Bonze) et suppressions, ensuite de 1972 à 1976 en ce qui concerne le corpus de l’édition
(édition revue et augmentée à partir de l’édition de la Pléiade avec l’intégration de La Corde
et les souris, absence de titre de parties, absence de table des matières par parties).
S’y ajoutent ensuite à titre obligatoire certains romans réécrits (de prime abord les
Noyers de l’Altenburg 1943) ou réfléchis sous forme de titres de partie entre 1928 (Les
Conquérants) et 1937 (L’Espoir) dont La Voie Royale, La Tentation de l’Occident et La
Condition humaine, qui ont de 1967 à 1976 structuré la première partie du Miroir des limbes
avant de devenir désormais une intertextualité cachée. Si les Antimémoires regroupent, la
deuxième partie « Antimémoires », mise en abyme à part, des romans, qui recouvrent une
période assez large, ceci n’est pas le cas dans le deuxième volet « La Corde et les souris » où
Malraux fait suivre en quatre ans dans l’ordre Les Chênes qu’on abat (1971), Lazare, qui
évoque son hospitalisation à la Salpêtrière et La Tête d’Obsidienne qui retrace en grand
condensé une entrevue avec Picasso (1974) et Hôtes de passages (1975) qui évoque trois
dialogues avec Senghor, Georges de Salles et Max Torrès. La démarche entamée dès 1967
peut être qualifiée de dialogique au sens de Bakhtine. Dans une certaine mesure, l’alter ego
permet au narrateur d’assumer les interrogations du narrateur. Le recours au dialogue hérité
de la tradition antique du dialogue socratique et platonicien et de celle des grandes
correspondances du XVIIème siècle confirme dans les grandes lignes le projet d’une écriture
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mémorialiste atypique. Le dialogue permet très astucieusement à Malraux de « dire sans avoir
dit ». L’interlocuteur devient - il garde son identité, son nom - prétexte à discussion. Prétexte
politique quand il s’agit de De Gaulle, Nehru, Mao etc., prétexte artistique quand il s’agit de
Picasso, du Bonze et finalement prétexte « métaphysique » quand il s’agit de Méry, Max
Torrès. Prétexte hautement stratégique et habile quand Malraux, agnostique, dès la première
page de son préambule, justifie sa démarche singulière en faisant parler l’aumônier du
Vercors. Malraux le prend à témoin pour démontrer implacablement l’absurdité de vouloir
expliquer l’homme par ce qu’il confesse. Reste Clappique, le personnage le plus inclassable et
le plus individualiste, sorti tout droit d’une première fiction, La Condition humaine, et resurgi
deus ex machina dans la partie initialement appelée « La Voie royale » pour y improviser face
à Malraux, relégué du coup au rang de narrateur second, son scénario de film « Le Règne du
Malin ».
Et si l’autre devait d’une manière ou d’une autre devenir « prétexte » parce que le pacte
autobiographique que Malraux par sa position doit enfreindre, l’oblige à des tels stratagèmes
d’ordre autofictionnel ? Mais cet autre, s’il s’agit de Clappique, de Méry ou de De Gaulle etc.
ne fait que répéter et ressasser - d’après la formule de Blanchot - l’éternelle question toujours
actuelle pourtant à notre avis du sens de la vie. Beaucoup moins fantoches que Thomas Clerc
ne le dénonce dans son article « Malraux et ses mythes » (voir le Monde daté du 21 novembre
2001), les personnages de Malraux, même s’ils sont parfois interchangeables au niveau de
leur idiolecte avec celui de ce dernier, ne soulèvent pas que des sobriquets mais lui permettent
au contraire de soulever des questions d’ordre métaphysiques, artistiques (la discussion avec
Picasso qui lui permet de façon habile réintroduire l’idée du Musée imaginaire), ou politiques.
Par le biais du discours de ses personnages et interlocuteurs, Malraux fait effectivement à la
manière de Dostoïevski « dialoguer les lobes de son cerveau ». Et l’expression qui synthétise
et concrétise de façon extrêmement originale le dire de Gide [celui des Conférences du Vieux-
Colombier] est tout simplement une grande trouvaille (voir 3.2.), si elle n’est pas à mettre sur
le compte de la lecture des Dialogues philosophiques de Renan.
Pour les raisons que nous avons évoquées dans la première partie de notre recherche, le
pacte anti-mémorialiste qu’il conclut est avant tout un pacte devant sa vie, sa mort, dans ses
limbes dont Jacques le Goff dit dans La Naissance du purgatoire qu’ils sont le domaine « du
bord », ni tout à fait purgatoire ni enfer. En cela Malraux renoue au-delà de La Divine
Comédie de Dante et des Confessions de saint Augustin avec Baudelaire. Le titre éloquent
« Le Miroir des limbes » sous lequel il regroupera les Antimémoires et La Corde et les souris
est en rapport « tacite » avec « Les Fleurs du mal » (voir 3.2.). L’agencement prétendument
flottant « au hasard de la mémoire » doit peut-être être relié en premier lieu à une recherche
d’un récit d’ordre poétique - selon la définition de Jean-Yves Tadié du récit poétique - et
moins à une pensée associationniste (voir à ce propos Le récit poétique, tel Gallimard, 1994,
p.7-8) Paul Ricœur pour sa part souligne dans La critique et la conviction qu’ « aujourd’hui
la conflictualité du temps du monde et du temps de l’âme ne se dit que poétiquement ».
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« (…) tout texte est absorption et transformation d’un autre texte »
(Julia Kristeva, Recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p.85)
On peut alors vivement regretter les allégations de certains biographes qui voudraient
absolument trouver la part de vérité dans les récits de Malraux. Celui qui est à la recherche de
la vérité – à la manière de saint Augustin - et qui prime l’interrogation, ne peut pas être tenu
pour celui qui la détient ! En cela, il lui est permis en tant qu’anti-mémorialiste d’enfreindre
toute règle de ressemblance et de vérité. Il lui est permis aussi, nous semble-t-il, de dénier
haut et fort sa « vie biographique ». Le refus intrinsèque de répondre aux questions du genre
« qui suis-je ? », « qu’ai-je accompli ? » s’explique par le « programme » qu’il annonce
clairement dès le prologue des Antimémoires. De fait, dès la deuxième page, Malraux tient à
nous prévenir que son propos dévie des mémoires traditionnels et qu’il s’agit avant tout de
« réfléchir sur la vie – sur la vie en face de la mort ». Mais ceci n’exclue pas le droit
d’innover à la manière de cet autre « menteur » célèbre, Giono, en mettant au plus haut la
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création. Et parfois, comme nous avons pu le voir, la fiction est devenue réalité (Malraux
devient le colonel Berger dans la Résistance). Parfois l’énoncé du préambule : « Je reprends
donc ici telles scènes autrefois transformées en fiction » sonne paradoxalement plutôt juste,
si l’on prend en considération la « manière » Malraux, qui consiste à ratisser le réel ou à le
déformer pour en faire quelque chose de symbolique (l’histoire du char coincé dans le fossé,
le récit de la libération de la prison à Toulouse, la première rencontre avec De Gaulle etc.)
D’ailleurs, le préfixe « anti » a perdu d’une version à l’autre des Antimémoires de son premier
impact subversif, et Malraux a dû s’en rendre compté, quand il décida de le regrouper en tant
que simple première partie du Miroir des limbes. Il est vrai qu’il :
De fait, Malraux arrive à déjouer le système d’attente par rapport à son titre pour
instaurer une certaine ambiguïté. Malraux n’avait-il pas saisi à l’avance la consigne édictée
par Umberto Eco dans son Apostille au Nom de la rose (1982 en français) qui consiste à
prendre un titre pour un « embrouilleur d’idées », parce qu’un titre doit tout simplement
embrouiller les idées, non pas les embrigader. Le titre « Antimémoires » constitue alors a
posteriori une fausse annonce. Trop d’indices concourent à évacuer presque tout romanesque
des Antimémoires Et l’on peut se demander si le correctif final qu’il apporte à sa somme
« autobiographique » n’est pas aussi une revanche ou une réponse par rapport à la tentative
qui a été avortée dans Les Noyers de l’Altenburg par Vincent Berger : racheter a posteriori
l’impossibilité de laisser « une cicatrice sur la carte » [l’expression vient de Perken]. A la
manière du Zarathoustra de Nietzsche il prône l’enjeu vital de la création : «Empreindre sa
main en des siècles, comme de la cire molle, -écrire sur la volonté des millénaires comme sur
de l’airain, plus noble que l’airain, voilà la béatitude du créateur ». En ceci il aura tout fait
pour que la réalité prenne une nouvelle fois le dessus sur la fiction. La même chose,
l’éphémère tentation de la fiction romanesque, vaut aussi pour les titres de parties qui
faisaient lire les Antimémoires jusqu’en 1976 à la lumière de certains de ses romans
antérieurs. Les titres (Antimémoires et La Corde et les souris) comme les avant-titres de partie
perdent à partir de l’édition « Folio » Gallimard 1976 leur impact initial, et l’important réside,
croit-on, dans la correction que Malraux apporte à son dispositif narratif initial. Par ce biais, il
ne pourra plus être lu à la seule lumière de son passé de romancier.
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éditeur ?) reprend à partir de l’édition de la Pléiade du Miroir des limbes en 1976 le dispositif
discursif initial (1972) en démarquant plus nettement le discours de Méry du sien (voir 3.5.1.).
« Mais ce n’était pas devant la mort que j’avais rencontré Jean. C’était à Ephèse,
et surtout dans le monde byzantin. Et slave qui avait vénéré son tombeau à l’égal de
celui du Christ. »
Suivent un certain nombre de citations de la Bible qui ne sont effectivement pas toutes à
mettre sur le compte de Jean [« Père délivre-moi de cette heure »], mais qui sont loin pour
une fois d’être toutes approximatives ou arrangées! Remarquons qu’il n’a pas non plus
recours à ce moment-là à sa trilogie préférée des solitaires, ne fût-ce de façon implicite :
Cervantès, Dostoïevski, Defoe, les auteurs que l’on « pouvait lire en prison », ou bien les
auteurs dont, comme le disait Walter Berger « les œuvres résistent au vertige qui naît de la
contemplation des morts, du ciel étoilé, de l’histoire… ». Dans L’Espoir [IIe partie, I,I, VII],
Alvear se résigne aussi quant à la lecture de Don Quichotte :
« Pourtant, pourtant, vous voyez ce livre : c’est Don Quichotte. J’ai voulu le lire
tout à l’heure : ça n’allait pas… »
Dans ce même passage du récit sur la guerre civile en Espagne, Alvear jette l’anathème
sur une part de la littérature, celle qui prône l’aventure à l’encontre de celle qui prône
l‘engagement :
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« Ni les romanciers ni les moralistes n’ont de son, cette nuit, reprit le vieillard :
les gens de la vie ne valent rien pour la mort. La sagesse est plus vulnérable que la
beauté ; car la sagesse est un art impur. Mais la poésie et la musique valent pour la vie
et pour la mort…Il faudrait relire Numance. Vous souvenez-vous ? La guerre avance à
travers la ville assiégée, sans doute avec ce bruit étouffé de pas qui courent… »
L’autre existe bel et bien sous le revers de ce qu’il a lu ou entendu ; l’on ne fait des
livres que sur d’autres livres et autour d’autres livres comme dirait Umberto Eco. L’autre et le
texte de l’autre ne seraient-ils que le « substrat » [au sens philosophique et géologique du
terme] qui devient indifférencié lors de la lecture du texte malrucien parce qu’il se révèle
souvent a priori méconnaissable, ou bien la « strate », une couche première de peinture à la
Picabia, à partir de laquelle Malraux opère la transformation d’un texte premier en texte
malrucien ? De ce côté-là, Malraux serait alors plus cubiste qu’on ne le croyait !
L’intertextualité n’est évidemment, on s’en doutait, pas un phénomène des années 70.
Par ailleurs, déjà dans certains textes des lettrés égyptiens on trouverait, selon Umberto Eco,
des indices qui renvoient à la connaissance qu’avaient ces derniers du phénomène
d’intertextualité. Malraux concrétise davantage la pensée comme nous l’avons vu, au lieu de
la « théoriser » à la manière d’un Todorov etc. dans le sillage de Bakhtine. Pourtant, Malraux
se trouve bien alors à la charnière entre la « critique des sources » et « l’intertextualité » au
sens moderne. C’est-à-dire qu’il ne s’inscrit pas tout simplement dans une interprétation à
rebours, qui tendrait vers les sources du passé, même si beaucoup de ses énoncés prêtent à le
prouver, mais bien aussi dans le sens inverse, celui qui ne mène pas forcément vers le futur,
mais qui inaugure une vision de la bibliothèque en cours. L’œuvre n’y est plus séparée des
autres œuvres du fait qu’elle soit antérieure, mais semble tout naturellement s’inscrire dans le
cours du fleuve de la bibliothèque qui ne cesse de se constituer au fur et à mesure. Et ce n’est
pas par hasard que l’affirmation de Malraux, selon laquelle chaque œuvre d’art est créée à
partir d’autres œuvres, figure comme étant un phénomène d’intertextualité dans le
Dictionnaire raisonné de la théorie du langage d’A. J.Greimas et de J. Cortès
Les livres ou les auteurs que Malraux cite, illustrent ce qu’il entend par interrogation qui
est en fait une accusation de la condition humaine : une mise en scène de l’angoisse
existentielle à la manière du « Cri » de Munch. Une mise en scène qu’il prône et qui lui
permettra d’exorciser le tragique. Déchiré entre celui qui croyait dans la rédemption
(Dostoïevski) et qu’il se sent obliger de « nier » (la place qu’il confère finalement au passage
prévu sur l’auteur des Karamazov) et l’Evangile selon saint Jean (une bipolarité évidente et
paradoxale) dont la relecture fut infructueuse, ses propres écrits (« Je relis ici… ») et cette
grande part de « bibliothèque intérieure » hétérogène [voir le répertoire] qu’il portait en lui, il
semble vouloir faire primer le ton, le style, l’expression. D’où le recours fréquent à la citation,
qui par la liberté interprétative que Malraux s’accorde vis-à-vis du texte cité [voir les citations
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de la Bhagavad-Gîtâ] tend à rendre la citation parfois méconnaissable pour en faire une auto-
citation, [« L’homme n’est pas ce qu’il pense mais ce qu’il fait. »]
Il est évident que l’intertexte littéraire ainsi que l’intertexte hétérosémiotique relèvent
d’un intérêt très vif de la part de Malraux pour qui, tout ce qui relevait de la culture, le seul
impact qui était capable de réconcilier l’homme et sa condition.
Quel écrivain ne mettrait pas en avant son dire en taisant ses sources ? Mais le sujet
reste très ouvert, il est assez inépuisable, même si l’on peut être tenté de croire hasardeux de
vouloir trouver partout des traces de lectures chez Malraux, puisque ses lectures ont été
assimilées et converties par la mémoire que nous avons tous de ce que nous avons lu ou
entendu. L’intertexte devient un instrument de la mémoire. Nous irons plus loin : Malraux
pratique l’intertextualité et ce n’est plus la citation, ou comme on dirait en linguistique la
source qui l’influence, mais c’est Malraux qui influence la source. Par ce biais, il arrive à faire
lire le syntagme initial autrement que par une simple lecture d’ordre chronologique en
remettant en cause l’auteur d’origine comme étant le seul responsable de son dire.
L’intertextualité est instrumentalisée. Dans le cas du poème d’Apollinaire comme dans le cas
de la citation sur les papillons qui se posent sur les guerriers endormis et vaincus [La
Baghavad Gîtâ], Malraux transforme et raccourcit par les nouveaux paradigmes le dire du
visiteur de « La maison des morts ». La citation de la Bhagavad Gîtâ, celle à laquelle nous
nous sommes arrêtés plus longuement, puisqu’elle illustre à juste titre ce raccourci du texte
d’origine ne peut tenir à l’oubli (Malraux citant quatre traductions de la Bhagavad Gîtâ) mais
à une volonté délibérée de transformer le texte d’origine. De ce point de vue Malraux semble
vouloir engager une sorte de « polémique cachée » [Bakhtine] avec le texte ou l’énoncé
premier ; sa pratique intertextuelle consiste à confronter deux textes/énoncés et à en
transformer le modèle antérieur. Comme on a pu le voir, Malraux transforme, selon le
contexte qu’il souhaite conférer à la citation, le discours de l’autre à sa guise (voir par
exemple les citations de Nietzsche qu’il n’avait pas l’habitude de vérifier mais qu’il reprenait
probablement suite à des discussions avec Daniel Halévy, Drieu la Rochelle, Emmanuel Berl,
Groethuysen, Manès Sperber etc.) l’intertextualité perd du coup son caractère premier : être le
dire de l’autre. Ce n’est pas une exception en littérature. Mais que signifie cette prise en
compte délibérée de la parole d’autrui ? Saurait-on parler de plagiat de la part de quelqu’un
qui s’appropriait facilement le dire de l’autre ? Aucun écrivain n’est obligé de citer Guéhenno
citant Shakespeare ou Voltaire. Le citateur n’est pas propriétaire de sa citation.
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Pourtant, on est bien ici dans une certaine circularité de sens, puisque Malraux semble
vouloir mettre en avant son dire [« C’est dans l’accusation de la vie que se trouve la dignité
fondamentale de la pensée »] sans vouloir vraiment admettre qu‘il s'agit de sa prise de parole.
Dire et ne pas tout fait dire se côtoient puisqu’il s’agit de laisser parler les autres pour soi. On
ne saurait plus alors parler de stratégie primaire, de manœuvre stylistique, de mythomanie, ni
de plagiat, mais d’une « manière Malraux », peut-être plus que de « méthode » puisque celui
qui cite de mémoire ou d’oreille croit haut et fort que son : « passé, sa vie biographique,
n’avaient aucune importance ». Le dire de l’autre n’est pas aussi simplement et forcément
celui de l’autre puisque l’autre existe en delà, en deçà et parfois malgré nous dans notre tête.
Malraux fait bien alors partie de ces gens qui ont assimilé et le vécu et le dire, fût-ce celui de
l’autre…