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la Lettre
• Lette d'info n°7 31/08/05 17:47 Page 1
Édito
La nouvelle saison qui débute est marquée en 2006 par deux anniversaires : le 250e
de la naissance de Mozart et le 150e de la mort de Schumann. L’Orchestre des Champs-Élysées
fêtera le premier avec deux tournées, dirigées par Bruno Weil et par Philippe Herreweghe ;
et le second avec un programme d’œuvres chorales (rarement jouées en concert)
de Schumann et de Brahms.
En attendant 2006, vous pourrez entendre en octobre Des Knaben Wunderhorn (avec Dietrich
Henschel et Sarah Connolly) et la 4e symphonie de Bruckner. Le 8 juillet dernier, l’interprétation
de cette symphonie au festival de Zurich dans le cadre d’une intégrale Bruckner a marqué
très positivement le public et la presse (« die Bruckner-Sensation » pour le Tagesspiegel),
pourtant habituées aux versions « modernes ».
L’accueil a été le même avec les Lieder du Wunderhorn de Gustav Mahler, présentés cet été
à Saintes en habits d’époque. Cette tournée sera donc l’occasion de réécouter ces chefs
d’œuvre d’une autre oreille.
En décembre, Philippe Herreweghe dirigera un programme consacré à Brahms :
la 3e symphonie, l’une de ses œuvres les plus populaires, et le concerto pour violon
avec le prodigieux Thomas Zehetmair.
Bonne saison, bons concerts !
Rendez-vous
une place prépondérante dans ce cycle Trompeten blasen) se retrouve par mégarde
de lieder avec orchestre : les amours du soldat en triste compagnie. Les marches démontrent
et la vie militaire (un tiers des titres leur est l’autre face du libéralisme que présentait
consacré et ils représentent la moitié du temps le « joyeux compagnon » de Schumann, par
total d’exécution de l’œuvre). Cette thématique exemple. Ici règne l’implacabilité : impossible
était dans l’air du temps à la fin du xixe siècle, de revenir en arrière, une fois la direction
période de paix, certes, mais aussi de très grande prise. Il faut toujours aller plus loin, au-delà
tension. Les lieder de Mahler, comme Die Weise d’intermèdes lyriques, comme dans Revelge,
von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke ou trompeurs, comme dans Nachtlied
de Rilke, dépeignent l’autre face du romantisme der Schildwache.
fringant en bel uniforme et des couplets joyeux
et naïfs de la brave Guste et de son lieutenant.
Ils éclairent le côté mortifère de l’attrait
de l’uniforme, et en cela annoncent le Wozzeck
de Berg, qui avait également puisé dans
une source littéraire ancienne. Ils parlent,
comme le poème de Rilke, de la proximité
atavique et obscure de l’amour naissant,
des rites initiatiques masculins (les combats,
la guerre, l’héroïsme) et de la mort. C’est pour
cette raison que chez Mahler,
les nombreux mouvements de marche ne sont
pas des illustrations sonores de cette vie dans Les Lieder de « Des Knaben Wunderhorn »
laquelle, selon Schiller, « l’Homme a encore représentent un curieux mélange de chansons
une valeur ». Elles longent plutôt l’abîme, populaires et de musique savante,
semblables à des marches funèbres et, leur intonation est en partie populaire,
particulièrement dans Revelge, sonnent comme leur contenu est d’une simplicité typiquement
mahlérienne. L’effet ainsi obtenu est, en termes
un son primitif, sortes d’esprits élémentaires
d’émotion très captivant ; de manière calculée,
et d’archétypes musicaux. Mais elles se meuvent
Mahler atteint un raffinement, une sorte de
sans loi harmonique. Aucune règle, aucun ordre naturel artificiel qui touche aussi bien
de marche ne régit plus les accords de Revelge. l’auditeur que l’interprète de sa musique.
Comment pourrait-il en être autrement Bien sûr, cette musique est maniérée
dans ce grotesque macabre, où des cadavres de façon accomplie – ou plutôt devrait-on
gagnent la guerre et des squelettes se rangent dire : accomplie de façon maniérée ?
à la parade devant la maison de l’aimée, Mais la chose étonnante dans l’art de Mahler
pour lui donner la sérénade (et, nul doute, est que, malgré cela, je ne peux – ni ne veux –
transmettre le message de « l’amour [éternel], échapper à son emprise.
dont personne ne saura jamais rien ») ? Dietrich Henschel
Dans ces pièces à l’instrumentation précise
et pointue, pas d’enthousiasme pour la chose
militaire, et qui veut partir « là où sonnent
les belles trompettes » (Wo die schönen
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Rendez-vous
Les Wunderhorn-Lieder sont composés comme
des scènes, notamment les plus connus,
tels Rheinlegendchen ou Lied des Verfolgten im
En 1878...
Turm auquel les compilateurs du Wunderhorn
ajoutèrent le rôle de la jeune fille. Le lied
...Brahms commence l’écriture d’un concerto
devient ainsi un mini-Fidelio pour chœur,
pour violon destiné à son ami Joseph Joachim,
un « opéra héroïque de poche » dans
violoniste virtuose et compositeur de quelques
le Hohenasperg. Ce concentré d’opéra sous
œuvres admirées de Brahms (dont un concerto
forme de lied est à l’origine de la présence
pour violon). Le 22 août, Brahms envoie
de plusieurs pièces vocales de Mahler
le manuscrit de la partie pour violon à son ami
dans ses symphonies. Si ce rapport est souvent
Joseph Joachim avec cette remarque : « Bien sur,
souligné, on oublie en revanche que Mahler
j’aimerais que vous le corrigiez, sans ménager
utilisa des mélodies populaires originelles
la qualité de la composition. Si vous pensez qu’il
qui lui servirent assez souvent de matière
ne vaut pas la peine d’être orchestré, dites-le.
première, de « garant » et d’étincelle pour
Je ne serai pas satisfait tant que vous ne m’aurez
trouver l’intonation caractéristique voulue.
pas fait part de vos commentaires et peut être ajouté
L’introduction de l’air du « Bon camarade »
quelques remarques telles que passage difficile,
de Silcher à la mort (attendue) du jeune
bizarre ou impossible ». Brahms, pianiste sur
« Tamboursg’sellen », figure récurrente de
le bout des doigts, n’est en revanche pas très
la poésie naïve et sentimentale du xixe siècle,
au fait de la technique du violon. Son ami
est une référence idiomatique d’une rare
Joachim lui prodigue alors de nombreux conseils
précision. Trost im Unglück utilise les gestes
– sans lesquels, dit-on, la partition eût été
fondamentaux des mélodies populaires.
inexécutable. Et en effet, avant que Joachim
Une véritable métamorphose permet
ne donne la première le 1er janvier 1879,
au Lied des Verfolgten im Turm de « libérer
l’œuvre entière subit des changements
les pensées » : le motif en accord parfait
considérables: deux mouvements intermédiaires
de la célèbre chanson populaire, d’une bonne
sont remplacés par un Adagio fraîchement écrit,
humeur par trop naïve, se transforme en
donnant le concerto que nous connaissons
sombre détermination par des moyens simples
aujourd’hui. Le troisième mouvement, inspiré
(passage au mineur, modulation éloignée
du vertigineux Finale alla zingara du concerto
par rapport à la tonalité de départ) et la gaieté
de Joachim, résonne comme le symbole festif
devient un moment de résistance. Quand
de cette amitié féconde.
la tyrolienne de Wer hat dies Liedlein erdacht
Grand avocat de la musique contemporaine,
devient une colorature à la Bach, le caractère
Thomas Zehetmair s’intéresse également
musical est poussé vers l’anecdotique et
aux sonorités des instruments anciens, ce qui
le roman-feuilleton. Mahler fait resplendir
l’a amené à se produire avec Frans Brüggen
les profondeurs de la tradition populaire
et Roger Norrington. On attend avec impatience
non seulement dans le texte mais aussi dans
sa collaboration avec Philippe Herreweghe.
les archétypes musicaux, les mélodies.
du 3 au 6 décembre 2005
du 11 au 20 octobre
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Symphonie no 3
2005 / 2006 Concerto pour violon
JOHANNES BRAHMS
octobre 2005
THOMAS ZEHETMAIR violon
PHILIPPE HERREWEGHE direction
Todtenfeier
3___ Grenoble / MC2 ___
4 Besançon / Opéra-Théâtre
Des Knaben Wunderhorn 5___ Chambéry / Espace Malraux ___
6 Turin (IT) / Lingotto
GUSTAV MAHLER
janvier 2006
Symphonie no 4 Symphonie no 40
“Romantique” WOLFGANG AMADEUS MOZART
ANTON BRUCKNER
HEINZ HOLLIGER direction
SARAH CONNOLLY soprano
13
___ Paris - Cité de la Musique
DIETRICH HENSCHEL baryton
PHILIPPE HERREWEGHE direction
11
___ Utrecht (NL) / Muziekcentrum Vredenburg
Concerto pour piano no 27
12
___ Bruxelles (B) / Palais des Beaux-Arts
14
___ Le Havre (Octobre en Normandie) / Le Volcan Symphonie no 38
15
___ Caen / Théâtre
18
___ Dijon / Auditorium “Prague”
20
___ Poitiers / La Hune, St Benoit
WOLFGANG AMADEUS MOZART
24
___ Poitiers / La Hune, St Benoit 25___ Saintes / Abbaye
27 Amsterdam (NL) / Concertgebouw
aux Dames ___
Jour anniversaire de la naissance de Mozart 28
___ Utrecht (NL) /
Muziekcentrum Vredenburg 29 ___ Bruges (B) /
Concertgebouw
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mars 2006
Symphonie no 10
en si mineur
Concerto pour violon
et orcherstre à cordes no 1
FELIX MENDELSSOHN
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était une polka, dont l’introduction était ramené au milieu du tumulte et des rires
une marche funèbre. Sa mère lui avait promis à mes parents, qui étaient très angoissés de ma
de lui donner deux couronnes, à la condition disparition ».
expresse qu’il l’écrive sans tacher le papier
(notre Gustav était un as en matière de pâtés !). « Toutes les indications sont exagérées »
Avant de commencer son travail, il a prié Dieu
Lors d’une réunion un soir chez Mahler
de ne pas lui laisser faire de taches, et il a été
avec Bruno Walter et Lipiner, la conversation
convaincu que Dieu y veillerait. Il a donc trempé
a roulé sur la direction d’orchestre et sur
sa plume avec entrain et sans la moindre
l’interprétation des œuvres musicales.
précaution, – de toute façon, ô désastre,
« Je me rends de plus en plus compte que tout
une grosse tache est tombée dès les premières
ce que l’on met comme indications d’interprétation
notes, qui a abîmé le beau papier et annulé
est excessif : le forte est beaucoup trop fort, le piano
toute la préparation préalable ; le petit cochon
beaucoup trop doux, les crescendi, diminuendi
[Schmierfink] a dû tout recommencer. « Ce jour-
et accelerandi trop violents, le largo trop lent,
là, ma foi en Dieu a pris un coup considérable »,
le presto trop rapide ».
a conclu Mahler en riant. « La deuxième fois,
mon père m’a incité à faire une chanson. Là encore, « Comme ma direction est devenue simple et
deux couronnes étaient promises en récompense, modérée par rapport à mes années d’autrefois !
car c’était pour ce salaire minime que je devais Quand on voit comment on vous exagère
exécuter mes nombreuses prouesses artistiques ». et on vous déforme tout [ce que vous avez écrit],
on comprend ce que doivent souffrir les autres ».
« Je devais être encore un bébé, que je répétais déjà
chaque petite chanson. Puis, peut-être vers trois « On serait presque tenté de ne pas écrire de tempi
ans, j’ai reçu un accordéon, sur lequel j’essayais ni d’indications dynamiques et de laisser chacun,
de reconstituer, puis jouais aussitôt en entier, par sa fréquentation étroite de l’œuvre, en tirer
tout ce que j’entendais. Un jour, quand je n’avais et exprimer ce qu’il peut ».
pas encore quatre ans, il est arrivé quelque chose
d’amusant : la musique militaire – enchantement Changement d’opinion
de toute mon enfance – marchait un matin près
Mahler a joué avec Rosé le Quintette
de notre maison. L’entendre et m’échapper
avec clarinette de Brahms et les sonates pour
de ma petite chambre n’en faisaient qu’un
clarinette (arrangées pour piano et violon)
pour moi. À peine couvert de ma petite chemise –
qui antérieurement ne lui avaient pas plu.
on ne m’avait pas encore habillé – j’ai couru
Maintenant, il a trouvé ces œuvres superbes.
derrière les soldats avec mon accordéon, jusqu’à
« Pas étonnant, s’est écrié Mahler, que le public
ce que quelques voisines m’attrapent sur la place
dise des sottises et ne puisse juger, si cela
du marché un bon moment plus tard. Elles m’ont
nous arrive aussi à nous ! ».
promis de me ramener à la maison (je commençais
à m’inquiéter) à condition que je leur joue © L’Harmattan, 1998
sur mon accordéon ce que les soldats venaient
d’exécuter. Ce que j’ai fait aussitôt, installé sur
un éventaire de fruits, à la joie des marchandes,
cuisinières et autres publics de la rue. Puis j’ai été
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Interview
et concerts. Notre travail couvre les écoles Vous jouez dans l’Orchestre des Champs-
primaires, les collèges et lycées, les CNR et Élysées depuis longtemps, quel est pour vous
conservatoires, ainsi que le nombre toujours le côté le plus intéressant du travail
plus grand d’amis de l’orchestre, qui ont de cet orchestre ?
du plaisir à écouter le travail de répétitions
La chose remarquable est le répertoire qui a été
et le résultat final au concert. De plus en plus
exploré depuis la création de l’orchestre. Il s’agit
de gens viennent aussi à nos conférences
d’une combinaison de facteurs. D’abord
d’avant-concert, présentées par des musiciens
la force de Philippe dans le répertoire vocal et
de l’orchestre sur des sujets relatifs au répertoire
son désir d’explorer le monde de compositeurs
proposé. C’est le côté intéressant d’orchestres
spécifiques, d’y chercher de nouvelles couleurs
tels que le nôtre : les musiciens s’impliquent
avec les instruments historiques. L’orchestre
dans les différents domaines de manière
a pu travailler en profondeur des œuvres
complémentaire : musicologie, recherche,
de Beethoven, Brahms, Schumann… et
édition, conférence… Cela contribue
maintenant Bruckner ou Mahler.
à rassembler les artistes de tous talents et
Mais le fait qu’une tournée comporte
c’est un terrain fertile pour les idées et
généralement un bon nombre de concerts
les discussions. Dans la nouvelle saison, nous
nous permet aussi de baigner dans le son et
avons été invités à faire plus de conférences
la texture de tel compositeur. Cela signifie
et également – une nouveauté à Poitiers –
que lorsque nous enregistrons, il y a un niveau
à commencer des mini-concerts chez
de compréhension incomparable.
l’habitant : de petits ensembles iront chez
Travailler avec le Collegium Vocale Gent, dont
les gens afin de jouer pour eux et leurs amis
l’homogénéité et la beauté du son est unique,
présents. Ce sera l’occasion de jouer devant
nous a beaucoup inspiré. Interpréter toutes
un autre public, qui n’aura jamais entendu
ces œuvres romantiques avec eux a été très
de musique classique, de socialiser avec lui,
enthousiasmant, d’autant plus que ces mêmes
moment rare dans nos vies remplies !
œuvres sont très souvent jouées dans une tout
Quant aux auditeurs, ils pourront écouter,
autre optique. C’est l’une des grandes chances
discuter et passer du temps avec des
de l’orchestre.
musiciens de renommée.
Je me rappelle particulièrement nos concerts
Avec « une pièce, un instrument, un musicien »,
du Requiem Allemand de Brahms et de
il y a d’autres occasions de présenter une soirée
la Symphonie fantastique. Notre Berlioz a été
de manière décontractée dans un lieu public
très bien accueilli en Europe.
(une librairie par exemple). Nul doute que notre
Et puis un chef d’orchestre anglais m’a dit
public fidèle de la région Poitou-Charentes
récemment qu’il d’écoutait la musique
s’y pressera également.
de Bruckner pour la première fois de sa vie,
Nous construisons en outre des connexions avec
après avoir entendu notre enregistrement
des conservatoires, et nos projets pédagogiques
de la 7e symphonie. Si nous pouvons continuer
avec les collèges et lycées prennent de plus
à créer un tel enthousiasme dans nos prochains
en plus corps, principalement dans la région
enregistrements de Mahler et Bruckner,
de Poitiers. Cette année, l’accent sera mis sur
alors je crois que nous avons encore un bel
le romantisme allemand et beaucoup de projets
avenir devant nous.
seront liés à ce thème commun.