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Cadre théorique
4.1. La communication
Notre intention est pratique plus que théorique : décrire une langue, en
l'occurrence le mokša, et, plus précisément encore, certains idiolectes du
dialecte centralna de cette langue. Cet objectif concret ne dispense pas
d'une réflexion théorique sur le bien-fondé épistémologique de notre façon
de procéder et sur les concepts auxquels nous recourons.
1
au sens de "qui se prend elle-même comme objet de réflexion".
2
CLG, 1967 (1ère éd 1916), p.20.
81
La principale fonction des langues est de permettre la communication
entre les différents locuteurs et l'échange de faits ou d'expériences
vécues. Ce n'est pas la seule fonction des langues et ce n'est pas la seule
façon de communiquer. On peut aussi siffler ou faire des gestes. Mais il
n'en reste pas moins que les langues, de par leur structure doublement
articulée, sont des instruments particulièrement efficaces. Il ne semble pas
exister d'autre exemple d'un instrument de communication aussi puissant
dans le reste du règne animal.
Contribue à l'interaction linguistique tout ce qui constitue une information
et un choix et qui est produit par les locuteurs : choix de tel ou tel
monème, choix de tel ou tel phonème.
Le corollaire de la communication est la pertinence, à savoir la capacité à
permettre cet échange d'informations et ce choix :
Il faut sans doute entendre par "intentionnellement" qu'un choix est opéré
entre plusieurs unités possibles. Ce mot est très fort. Il appelle sans doute
à être modulé.
3 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.31. Les passages en gras sont de Martinet.
82
entraîne un choix de la part du locuteur ; mais cela ne signifie nullement
qu'il s'agit d'un choix conscient." 4
4
"Le fonctionnalisme d'André Martinet", par Colette Feuillard in La Linguistique, vol. 37,
fasc. 1/2001, p.7.
5
Les signifiés sont écrits entre " ".
6
Les signifiants, lorsqu'ils sont graphiques au lieu d'être vocaux, sont écrits entre < >.
7 ère
Cf. ELG, 1997 (1 ed 1960), p.20.
8 ère
CLG, 1967 (1 ed 1916), p.23.
9 ère
CLG, 1967 (1 ed 1916), p.99.
83
Cette définition de Saussure est héritée d'une longue tradition comme le
rappelle Roman Jakobson (1896-1982) :
"La définition médiévale du signe - aliquid stat pro aliquo10 - que notre
époque a ressuscitée, s'est montrée toujours valable et féconde. C'est ainsi
que la marque constitutive de tout signe en général, du signe linguistique
en particulier, réside dans son caractère double : chaque unité linguistique
est bipartite et comporte deux aspects, l'un sensible et l'autre intelligible -
d'une part le signans (le signifiant de Saussure), d'autre part le signatum (le
signifié." 11
"Un énoncé comme j'ai mal à la tête ou une partie d'un tel énoncé qui fait
un sens, comme j'ai mal ou mal, s'appelle un signe linguistique. Tout signe
linguistique comporte un signifié, qui est son sens ou sa valeur, et qu'on
notera entre guillemets ("j'ai mal à la tête", "j'ai mal", "mal"), et un signifiant
grâce à quoi le signe se manifeste, et qu'on présentera entre barres
obliques (/ž e mal a la tet/, /ž e mal/, /mal/)."12
10
Quelque chose qui représente quelque chose (d'autre).
11
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.162.
12 ère
ELG, 1997 (1 éd 1960), p.15.
84
• Arbitraire du signe
ll n'y a pas de raison que le signifié "pain" soit associé au signifiant [pẽ]
plutôt qu'à [bred] (en anglais), ni que "boeuf" soit associé à [bœf] plutôt
qu'à [ɔks] (en allemand). Naturellement, l'association entre un signifié et
un signifiant donnés se réalise au sein d'un signe linguistique, ce qui
permet à toute langue de fonctionner. Mais ce lien est conventionnel.
Certains termes sont (perçus comme étant) plus expressifs ou
onomatopéiques que d'autres et trouvent une partie de leur origine dans la
réalité qu'ils décrivent, comme par exemple l'oiseau nommé <coucou>
d'après son cri. D'une certaine manière, on pourrait dire que l'arbitraire du
signe est un concept asymptotique : une situation vers laquelle tendent les
langues sans l'atteindre tout à fait.
• La notion de valeur
Le signe linguistique unit non pas une chose et un nom, mais un concept et
une image acoustique. Cette dernière n'est pas le son matériel, chose
purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son. [...]
13
Le texte original du CLG présente une coquille <uni-sss-ant>.
14
CLG, p.100.
85
Le caractère psychique de nos images acoustiques apparait bien quand
nous observons notre propre langue. Sans remuer les lèvres ni la langue,
nous pouvons nous parler à nous-mêmes et réciter mentalement une pièce
de vers." 15
"Phonème (grec φωνη, φωνηµα "voix") est un terme linguistique : une unité
phonétique psychique vivante. Tant que nous avons affaire à la parole ou à
l'audition, actions passagères, le terme "son" nous suffit. [...]
Mais si nous nous mettons au niveau de la langue réelle, niveau qui existe
de façon ininterrompue psychiquement, seulement comme un monde de
représentations, la notion de son ne nous suffit plus et nous cherchons un
autre terme pour l'équivalent psychique du son. Ce terme c'est celui de
phonème." 16
"La langue n'a en fait pas d'existence sauf dans les esprits et dans les
bouches de ceux qui les utilisent : elle est faite de signes de pensée
séparés et articulés, dont chacun est relié par une association mentale à
l'idée qu'il représente, est articulé par un effort volontaire et prend sa valeur
15
CLG, p.98.
16
Baudoin de Courtenay (1963, t.1.p.351). L'original en polonais date de 1899.
86
et son pouvoir d'échange par le seul accord des locuteurs et des
auditeurs." 17
Chez Whitney, la valeur est presque fiduciaire. Les signes sont comme
des pièces de monnaie, que les locuteurs s'échangent.
Saussure a développé cette idée mais sous un angle essentiellement
systémique et relatif.
17
Whitney, 1884, Language and the Study of Language, p.35.
18
CLG, p.155-7.
87
4.3. Phonétique et Phonologie
• La phonétique
19
Voir Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.9-10. pour une brève histoire des
relations entre ces deux termes.
20
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.10.
88
En outre :
• La pertinence phonologique
21
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.11.
22
Elle a néanmoins une valeur démarcative, puisque seules les consonnes à l'initiale
absolue sont aspirées. La démarcation concerne les informations sur le début ou la fin
des signifiants. Troubetzkoy parle de 'délimitation'. Voir Troubetzkoy, Principes de
phonologie, p.31.
89
cette langue est l'absence de voisement de /t/ qui s'oppose à /d/ : /ten/
[then] s'oppose à <den> [den] "tanière".
En anglais, le voisement est pertinent et distinctif, alors que l'aspiration
n'est ni l'un ni l'autre. On appelle variantes positionnelles les réalisations
phonétiques d'un phonème donné dans les différents contextes où il
apparaît. En anglais (britannique)23, le phonème /t/ se réalise :
- [th] à l'initiale absolue, comme dans <tit> /tit/ [thit] "sein",
- [t] ailleurs, comme dans <stutter> /stətə/ [stʌtə] "bégayer".
En anglais (britannique), le phonème /d/ se réalise toujours [d] et n'a donc
pas de variante positionnelle.
Une étude phonologique n'a de sens que dans le cadre d'une langue
donnée. Dans d'autres langues que le hindi comme le chinois mandarin,
l'aspiration des occlusives est pertinente : /th/ s'oppose à /t/, contrairement
à ce qui se passe en anglais.
23
La situation n'est pas tout à fait la même dans les autres variétés d'anglais. Nous nous
référons spécialement à la norme de la RP (Received Pronunciation).
90
Par exemple en mandarin, avec la notation des tons24, /tha213/ 's'écrouler'
s'oppose à /ta213/ 'frapper' par la seule aspiration de l'initiale. A l'inverse,
en mandarin, le voisement (éventuel) n'a aucune pertinence. Les locuteurs
de mandarin ont d'ailleurs des difficultés pour acquérir l'opposition voisée
~ non voisée de l'anglais ou du français qu'ils ne pratiquent pas dans leur
propre langue.
• Les phonèmes
24
Le parcours mélodique des tons est noté d'après la graduation standard de 1 (bas) à 5
(haut).
25
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.39-40.
26
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.37-38.
91
Troubetzkoy a eu deux continuateurs majeurs : André Martinet et Roman
Jakobson, qui ont conceptualisé les notions de phonème et de trait de
façon différente. Jakobson est historiquement le premier mais Martinet est
resté plus proche de l'approche initiale et nous commençons par lui.
Martinet postule que "les phonèmes sont des unités segmentables et
discrètes, se présentant dans chaque langue en nombre restreint et fini,
destinées à constituer, seules ou en se combinant en une succession, les
signifiants, et par là, à distinguer les monèmes"27. Cette définition appelle
quelques commentaires.
Le mot discret doit être pris dans son sens mathématique. Les phonèmes
sont distincts les uns des autres, comme les nombres entiers, en ce sens
qu'aucun phonème n'est un peu ou à moitié /p/ ou /m/. Il est /p/ ou /m/ ou il
est un autre phonème28. L'insistance sur le nombre restreint et fini est un
peu pléonastique, car si ce nombre est restreint, il est a fortiori fini, c'est-à-
dire en pure logique mathématique non-infini29.
Le mot segmentable est un peu étrange. Il ne renvoie pas à l'idée que les
phonèmes pourraient être segmentés en éléments plus petits, ce qui
serait absurde par construction, mais au fait que les phonèmes se
réalisent successivement et forment une chaîne qui est - quant à elle -
segmentable. Pour la clarté de la définition, il serait opportun de déplacer
ce mot pour dire succession segmentable. Ou alors le recours à un
adjectif décrivant un contour clair mais sans suggérer une division
possible des phonèmes en éléments plus petits serait meilleur. Dans le
vocabulaire technique, on pourrait par exemple suggérer "détourable",
"isolable"30 ou "bornable". Une autre idée serait de parler de "succession
linéairement ordonnée". Enfin, au lieu de segmentable, segmental est
possible.
27
Martinet (dir) (1969, p.280). La définition de Builles est proche de celle de Martinet :
"Un phonème est une unité distinctive segmentable minimale constituée d'un ensemble
de traits pertinents qui se réalisent simultanément. Il en résulte qu'identifier un phonème
c'est énumérer tous les traits pertinents qui le différencient des autres phonèmes de
l'idiolecte étudié." Builles (1996, p.191).
28
En mettant de côté le cas éventuel des neutralisations entre phonèmes.
29
sauf à utiliser 'fini' comme un synonyme abusif de 'petit' (nombre).
30
Ce terme semble avoir la préférence de Mme Feuillard.
92
D'une certaine façon, Martinet est plus proche de la lettre et de l'esprit de
Troubetzkoy que Jakobson et recourt à une approche du phonème défini
comme unité systémique qui se dégage par commutation31 en un point
donné de la chaîne parlée. Martinet a une vision segmentale du phonème
considéré comme un tout, qui est caractérisé ou défini dans un deuxième
temps par des traits distinctifs prenant leur valeur à l'intérieur du système
décrit.
31
ou permutation (dans la terminologie de Troubetzkoy).
32
Martinet, 1956, La description phonologique, avec application au parler franc-provençal
d'Hauteville (Savoie), p.80.
33
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.171.
34
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.69.
93
Notons au passage que Troubetzkoy utilise le terme contenu pour les
phonèmes, ce que Martinet n'a jamais fait, semble-t-il.
Chez Jakobson, la notion de phonème devient un concept dérivé de la
notion de trait. Le phonème est défini comme étant un assemblage35 de
traits. Le rapport entre trait et phonème est inversé entre Martinet et
Jakobson. Le premier a une vision segmentale alors que le second a une
conception moléculaire du phonème.
35
A bundle : un ensemble de choses attachées. Ce terme est aussi traduit par 'faisceau'.
36
Jakobson utilise également le terme 'désintégré'.
37
In Jakobson, 1932, Ottúv slovnik naučný, Suppl. Vol.2, Prague, p.608.
38
Cf. (CLG, p.83).
39
Ce mot est le plus important à notre avis : pour Jakobson, un phonème a un contenu et
non une description.
40
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.165.
41
Néanmoins, Jakobson n'explique pas comme mettre en oeuvre la commutation si on
prend comme unité de base le trait et non le phonème. Cette question existe aussi dans
les théories de type générativiste ou auto-segmental.
94
• Approche universelle ou particulière
Il existe encore une différence importante entre ces deux linguistes. Pour
Martinet, le phonème est décrit, caractérisé ou défini42 par des traits qui
prennent leur valeur à l'intérieur du système d'une langue considérée.
Dans ce cadre, un trait phonologique doit être compris en un sens
essentiellement oppositionnel en relation avec les autres phonèmes d'un
système particulier. C'est le point de vue développé par Troubetzkoy.
La nature diverse, changeante, évolutive et variable des phénomènes
linguistiques est d'ailleurs une idée qui revient souvent chez Martinet et il
précise juste après sa définition de la langue :
"Il est donc possible de désintégrer tous les phonèmes de n'importe quelle
langue en traits distinctifs eux-mêmes indivisibles. Le système des
phonèmes (ou, comme disait Sapir "le système des atomes symboliques")
42
Ces trois termes se rencontrent sous la plume de Martinet.
43 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.21.
44
Martinet, La description phonologique, avec application au parler franco-provençal
d'Hauteville (Savoie), p.11.
45
On ne sait pas si Jakobson, émigré russe, s'est senti l'émule de Mendeleïev.
95
est réductible à un réseau de quelques traits distinctifs (à un système,
pourrait-on dire, de particules élémentaires) : le parallélisme est complet
avec l'évolution récente des concepts en physique. En déterminant de la
sorte la composition intrinsèque d'un phonème, [...]."46
"La phonologie requiert des primitives plus petites que le segment ; ceci est
très clair. Mais quels sont ces composants "atomiques", et quel rôle jouent-
ils dans la description et la théorie ?
Le point de vue le plus fréquemment rencontré est qu'un système de traits
est une sorte "d'alphabet universel" pour la description phonologique - un
inventaire de composants disponibles pour que les langues puissent former
leurs systèmes phonologiques et pour que nous puissions les décrire." 47
46
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.165.
47
Lass, 1984, Phonology, p.75. "Phonology requires primitives smaller than the segment;
this much is clear. But what are these "atomic" components, and what part do they play in
theory and description ? The most generally held view is that a feature system is a kind of
96
• Phonèmes et réalisations de phonèmes
"Le courant sonore continu d'un acte de parole réalise ou symbolise une
suite déterminée de phonèmes. A des points déterminés de ce courant
sonore on reconnaît les particularités phoniques phonologiquement
pertinentes qui caractérisent les différents phonèmes dont la suite
correspond à cet acte de parole. Chacun de ces points peut être considéré
48
comme la réalisation d'un phonème particulier."
97
Cette opposition entre phonèmes et réalisation phonétique des phonèmes
que théorise Troubetzkoy remonte à celle que fait Saussure entre langue
et parole. Beaucoup de théories d'inspiration générativiste51 ou post-
générativiste52 ne font pas cette distinction. Pour notre part, nous
considérons extrêmement utile de faire cette distinction de façon explicite.
• La commutation
L'étude des phonèmes repose sur la notion de pertinence qui est lié à un
choix entre phonèmes en opposition les uns avec les autres.
Pour démontrer que deux phonèmes sont différents et qu'ils s'opposent, il
faut au moins un exemple de deux monèmes, appelé paire minimale, dans
lequel ils sont la seule et unique différence phonologiquement pertinente.
On appelle commutation53 le remplacement d'un phonème par un autre
dans le même contexte, de façon à mettre en évidence le fait qu'ils
s'opposent : le changement de forme implique un changement de sens.
Par exemple, en français, /per/ "père" s'oppose à /mer/ "mère". Les
phonèmes /p/ et /m/ s'opposent. Dans cet exemple, le remplacement de
/p/ par /m/ entraine un changement de sens. /per/ et /mer/ sont les
signifiants de deux unités lexicales différentes et /p/ et /m/ sont deux
phonèmes différents.
51
Directement héritées du livre SPE.
52
Depuis les idées développées par Clements et Hume que nous allons examiner ci-
dessous.
53
Ou permutation dans la terminologie de Troubetzkoy.
98
A défaut de paire minimale, on peut utiliser des quasi paires minimales.
Une quasi paire minimale entre /l/ et /n/ en français serait <peluche> ~
54
<grenuche> . En mokša, les consonnes voisées sont rares à l'initiale ou
en finale et cela impose de recourir à des quasi paires.
• Neutralisation et fluctuation
54 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.70.
55
Spécialement en français standard en région parisienne. Notre idiolecte (du nord de la
France) ne présente pas cette opposition.
99
4.4. Les traits distinctifs
56
Ce livre est un des rares, écrits en français, qui soient couramment cités dans les
bibliographies anglophones.
57
Le titre est souvent abrégé SPE.
58
Ce terme est utilisée par Goldsmith lui-même dans sa thèse, consultable dans les
archives du MIT. En général, on connaît plutôt le mot 'auto-segmental'.
100
question qui nous intéresse est aussi de déterminer quelle approche sera
la plus opportune pour le mokša. Les problématiques relatives aux traits
distinctifs sont de plusieurs types :
59
Gesture, en anglais.
60
Flat, en anglais.
61
Lass, 1984, Phonology, p.76.
101
par un même trait des gestes et des articulateurs aussi différents et aussi
peu homogènes.
D'après nous, la notion de geste ne doit pas être pris au sens le plus
littéral et concret de mouvement d'un organe. Le trait ou geste labial est
une caractéristique de /p/ ou /b/ en français. En ce qui nous concerne,
nous entendons le concept de geste comme ne comprenant que les
composantes phonologiquement pertinentes du mouvement des
articulateurs. Il importe peu que la langue soit recourbée vers le palais ou
touche la première prémolaire supérieure gauche, lorsqu'on réalise le
geste dit labial.
Dans l'approche de Martinet, la terminologie utilisée pour les traits est très
fortement inspirée par la phonétique articulatoire. C'est révélateur que le
paragraphe 2-11 La phonétique articulatoire suive immédiatement la
phrase "Ce sont donc les conditions et les méthodes de l'analyse
phonologique que nous examinerons tout d'abord."62 La théorie des traits
de Martinet est implicitement calquée sur la phonétique articulatoire.
Autrement dit, il n'y a pas réellement de théorie phonologique des traits
chez Martinet. C'est une autre différence avec Jakobson et ses
continuateurs, car ceux-ci créent et utilisent une terminologie spécifique
pour décrire les traits, qui est plus abstrait et générique que celui de la
phonétique. Cette question n'est pas du tout neutre. Par exemple, en
français, /p/ est défini comme étant une bilabiale sourde et /f/ comme étant
une labio-dentale sourde par Martinet63, qui écarte de la définition de /p/ et
/f/ les traits occlusif et fricatif.
Nous ne sommes pas d'accord de définir /f/ de cette façon. La première
raison est une question de principe : nous ne voyons pas de raison de
limiter la terminologie phonologique à celle de la phonétique. La deuxième
est une question d'économie : introduire le trait labio-dental crée deux
cases vides : occlusive labio-dentale, fricative bi-labiale. Une troisième
raison est typologique : les fricatives impliquant les lèvres sont labio-
62
Cf. ELG (1997, p.38).
63
Cf. ELG (1997, p.72).
102
dentales par défaut dans presque toutes les langues. Autrement dit, il est
fallacieux de caractériser /f/ en français par le trait labio-dental car ce trait
caractérise les fricatives labiales de façon quasi universelle. De même, les
occlusives labiales sont universellement bi-labiales. Un autre point est de
savoir s'il faut privilégier le mode ou le lieu. Dans ce cas, il nous semble
que le mode est beaucoup plus caractéristique que le lieu.
Nous sommes partisan d'une terminologie spécifique pour la phonologie,
spécialement lorsque cela entraîne une économie dans le nombre de
traits phonologiques nécessaires pour la description. Dans le cas du
français, notre approche des traits (ou des gestes) signifie que /f/ est du
point de vue phonologique un phonème fricatif sourd labial. Ce phonème
/f/, caractérisé par le trait ou geste labial, se réalise [f], c'est-à-dire une
fricative sourde labio-dentale. Trait du système ou geste sont pour nous
des propriétés abstraites. Le trait ou geste phonologique labial peut se
réaliser labio-dental sur le plan phonétique.
103
Représentation arborescente des traits en classes homogènes64
Consonne
Cavité Orale
Etat
Laryngal Nasal Articulateur Mode
[fricatif] [occlusif]
[aspiré] [glottal] [voisé]
[labial] [coronal] [dorsal]
[antérieur] [postérieur]
64
Les traits proprement dits sont entre [ ]. Les branches regroupent des traits
homogènes.
65
C'est-à-dire caractérisé par l'action de l'avant de la langue.
66
C'est-à-dire caractérisé par l'action du corps (arrière) de la langue.
104
Ce type de représentation est dû à Clements et Hume. Il utilise le principe
dit de géométrie de traits pour décrire le fait que les traits appartiennent à
des classes différentes. En définitive, cette notion de géométrie des traits
renvoie directement à l'anatomie et à la notion de geste articulatoire. Les
traits qui commutent entre eux et qui appartiennent à la même classe sont
réalisés par le même organe ou articulateur.
Par ailleurs, l'objectif de cette représentation arborescente est d'expliciter
par le biais du formalisme choisi plusieurs niveaux de connaissances. A
un premier niveau, la phonologie d'une langue peut être décrite de façon
classique. A un deuxième niveau, cette description elle-même présente un
format prédéterminé qui organise les traits retenus en classes
homogènes. Enfin les résultats et le processus de description sont
conformes à un patron universel, qui décrit non plus les langues mais des
universaux linguistiques en général.
105
Le système de l'arabe avec /a/, /i/, /u/ seulement est la strate presque
basale67. Le système de l'espagnol avec /a/, /e/, /i/, /o/, /u/ est légèrement
plus complexe. Enfin le système des voyelles orales du français
méridional avec les voyelles d'avant non arrondies /a/, /e/, /i/, les voyelles
d'arrière /o/, /u/ et les voyelles d'avant arrondies /œ/ /y/ représente un
degré de complexité supplémentaire. Aucun système n'est constitué de la
série des voyelles /a/, /e/, /i/ opposée à la série /œ/ /y/.
Ce type de constat est un argument supplémentaire pour soutenir que les
traits ont une structure intrinsèque. Rien d'acoustique ou d'anatomique ne
laisse préjuger ce type de résultat. La phonologie décrit donc une classe
de faits qui ont leur ordre et leur existence propres. En conséquence, il est
sans doute opportun de décrire les phénomènes phonologiques à l'aide
d'une terminologie propre à ce domaine.
Ceci étant, la représentation arborescente que nous avons indiquée plus
haut pourrait gagner en réalisme anatomique.
Cavité nasale
Lèvres
Apex
Corps
Cordes vocales
67
Si on met de côté le cas des systèmes caucasiques à deux voyelles.
106
Anatomie des articulateurs
d'après la théorie de la géométrie des traits
Consonne
Etat
Laryngal [nasal] Cavité Orale
[aspiré]
[glottal] Mode
[voisé] Articulateur
[fricatif] [occlusif]
[labial]
[coronal] [dorsal]
[antérieur] [postérieur]
107
Certaines théories recourent aux termes coronal68 et dorsal69, qui ne
renvoient pas de façon directe à un lieu précis d'articulation dans la cavité
buccale. Leur utilisation permet d'être plus abstrait et donc d'être le plus
polyvalent et universel possible. Nous pensons qu'il faut rajouter un terme
apical ou lingual pour décrire les vibrantes telles que /r/, qui ne font
intervenir que la langue.
Parmi les traits proposés par les théories post-générativistes, le trait
distribué70 nous semble très intéressant pour décrire de façon unifiée un
certain nombre de phonèmes, telles que les affriquées, les labio-vélaires
ou même les latérales.
En français, ne peut-on pas décrire le phonème /l/ comme se différenciant
de /d/ parce qu'il est distribué alors que /d/ ne l'est pas ? Cela amène à
supprimer le terme latéral de la description phonologique. De même, /kw/
dans certaines langues caucasiques n'est-il pas une occlusive vélaire se
distinguant de /k/ par un trait labial distribué que ne présente pas /k/. Enfin
/tʃ/, en anglais par exemple, n'est-elle pas une consonne sourde
présentant une articulation distribuée sur les lieux dental et post-alvéolaire
simultanément. Il nous semble que ce concept est puissant pour simplifier
les descriptions et présenter de façon efficace certains phonèmes
complexes qui sont caractérisés par plusieurs traits de lieux et de mode
simultanément. Certains phonèmes dits affriqués sont distribués au même
lieu d'articulation : par exemple, en allemand /pf/ et /ts/.
Nous verrons avec les idiolectes mokšas que ce trait distribué peut être
utile pour une description simple et optimisée, c'est-à-dire utilisant moins
de traits et intégrant tous les phonèmes dans le système.
68
C'est-à-dire impliquant la partie avant de la langue et une autre partie de la cavité
buccale antérieure.
69
C'est-à-dire impliquant le corps arrière de la langue et une autre partie de la cavité
buccale.
70
C'est-à-dire impliquant plus d'un lieu ou d'un mode d'articulation (comme les labio-
vélaires et les affriquées) ou une vaste zone plutôt qu'en un lieu précis (comme les
latérales).
108
4.5. Voyelles, consonnes et syllabes
71
Une voyelle peut constituer à elle seule une syllabe.
72 ère
ELG, 1997 (1 éd 1960), p.59.
109
4.6. Synthèse
73
C'est-à-dire impliquant la partie avant de la langue et une autre partie de la cavité
buccale antérieure.
74
C'est-à-dire impliquant le corps arrière de la langue et une autre partie de la cavité
buccale.
75
C'est-à-dire impliquant plus d'un lieu ou d'un mode d'articulation (comme les labio-
vélaires et les affriquées) ou une vaste zone plutôt qu'en un lieu précis (comme les
latérales).
76
Nous avons défini dans un glossaire situé en fin de thèse les différents termes
techniques auxquels nous donnons un sens précis dans la suite.
110
Description phonologique
de quelques idiolectes
mokšas
111
5.1. Présentation
77
ELG (1997, p.37).
112
Nous présentons dans la description phonologique :
113
5.2. Les locuteurs et locutrices mokšas
114
M. Yeriomkin est un locuteur mokša typique, qui parle russe avec un
certain nombre de particularismes mokšas 78.
78
Comme par exemple [iwan] pour ивaн.
79
CLAIRIS (2005, p.76). Voir §.1.6.
115
Viktor Lysov peut également être classé S. Son idiolecte comporte
quelques erzianismes.
- Groupe Est :
Viktor Lysov, Vasili Yelmejev, Mme TRZ2,
- Groupe Ouest :
Liudmila Zotova, Mme TRZ1 (Ekaterina Yemashkin), Anatoli
Yeriomkin.
Nous faisons une étude très détaillée de l'idiolecte de Viktor Lysov, sur
lequel nous avons le plus d'informations détaillées, et nous traitons les
autres idiolectes par écart à celui-ci.
116
5.3. M. Viktor LYSOV : Présentation
Pour ce qui est de l'accentuation, cet idiolecte se distingue par le fait que
les voyelles ont toutes sensiblement la même durée. Les premières
syllabes sont généralement intonées plus hautes que les autres mais cela
n'a pas d'effet, ni sur la durée ni sur le timbre des voyelles. Dans cet
idiolecte, les voyelles ne présentent quasiment aucune allophonie.
Ce locuteur distingue sept phonèmes vocaliques : /i/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Cette opposition se maintient en tout contexte : initial, final, interne. En
outre, on trouve la diphtongue /εa/. Il s'agit d'une diphtongue et non d'une
séquence de deux phonèmes vocaliques : sa durée est identique à celles
des autres phonèmes vocaliques et non pas égale au double.
Chez ce locuteur, /ə/ est un phonème.
Les phonèmes d'aperture moyenne /e/ /ε/ et /o/ sont souvent réalisés
légèrement diphtongués [je] [jε] [uo].
Plusieurs monèmes sont réalisés avec le phonème /i/, là où on attend /e/
d'après les autres idiolectes et le système graphique : par exemple, le mot
80
"cœur" ceди [sidi], au lieu de [sedi]. Il ne s'agit de fluctuation entre deux
phonèmes, ici /e/ et /i/. Dans cet idiolecte, ces mots sont réalisés avec /i/
au lieu de /e/, qu'on rencontre pour ces mots dans la langue littéraire et
dans les autres idiolectes.
80
Deux phonèmes fluctuent lorsque certains monèmes admettent deux signifiants avec
l'un ou l'autre phonèmes. Dans ce cas particulier, différence de forme n'entraîne pas
différence de sens pour ces monèmes.
117
5.3.1. M. Viktor LYSOV : Phonèmes consonantiques
Le rendement des oppositions est parfois faible. Il faut alors recourir soit à
des mots empruntés au russe, soit à des quasi paires minimales.
Nous avons ajouté, autant qu'il est possible, quelques commentaires qui
éclairent la synchronie actuelle.
● Le phonème /m/
/m/ ~ /p/
En position initiale :
Ces deux phonèmes sont fréquents à l'initiale.
/mεʃtε/ "poitrine" ~ /pεʃtε/ "noix"
En position intervocalique :
/p/ est relativement rare à l'intervocalique.
/ʃama/ "visage" ~ /ʃapama/ "acide"
/loman/ "homme" ~ /lopa/ "feuille"
En position préconsonantique :
/m/ s'oppose dans cette position à l'archiphonème issu de la
neutralisation de /b/ et /p/. Cette opposition est fréquente du fait des
affixes de pluriel et de génitif mais elle est très rare à l'intérieur des
signifiants.
/pizemt/ "de la pluie (Génitif) " ~ /pizePt/ "les pluies"
/kamtsav/ "bouton, eczéma" ~ /eʃaPts/ "il a trompé, déçu"
En position finale :
/p/ est rarissime en finale81.
81
La plupart des occlusives finales dans les mots empruntés sont suivies de la voyelle
/a/. Une paire minimale existe avec des emprunts : /ketʃup/ "ketchup" ~ /bitum/ "bitume".
118
/m/ ~ /b/
En position initiale :
Les voisées à l'initiale sont rares, ce qui oblige à recourir soit à un mot
emprunté82, soit à une quasi paire minimale.
/mazi/83 "beau" ~ /baba/ "grand-mère paternelle"
En position intervocalique :
/ʃama/ "visage" ~ /ʃaba/ "enfant"
En position préconsonantique :
/b/ est rare dans cette position. /m/ s'oppose à l'archiphonème /P/ dans
la plupart des exemples.
/ʃoPda/ "sombre" ~ /ʃamd/ "vider"
En position finale :
Cette opposition ne se rencontre que dans les mots empruntés84.
/m/ ~ /v/
En position initiale :
Les deux phonèmes sont fréquents à l'initiale.
/melε/ "après" ~ /velε/ "village"
En position intervocalique :
/ʃama/ "visage" ~ /ʃava/ "vide"
En position préconsonantique :
Cette opposition est très rare.
/kodamga/ "n'importe lequel" ~ /lavga/ "aboyer"
82
/mar/ "pomme" ~ /bar/ "bar"
83
Ce locuteur dit /mazi/ mais la prononciation standard est /mazɨ/.
84
/bitum/ "bitume" ~ /klub/ "club"
119
En position finale :
Il faut utiliser une quasi paire minimale.
/lem/ "nom" ~ /tev/ "chose, affaire"
/m/ ~ /f/
En position intervocalique :
/juma/ "perdre" ~ /ufa/ "souffler"
En position préconsonantique :
/purəmks/ "assemblée" ~ /verkuləfks/ "bleu, hématome"
En position finale :
/jam/ "céréale" ~ /af/ "ne pas"
/lem/ "soupe" ~ /lef/85 "lion"
/m/ ~ /n/
En position initiale :
Le rendement de cette opposition est élevé dans cette position.
/med/ "miel" ~ /ned/ "poignée, anse"
En position intervocalique :
/koma/ "plier" ~ /kona/ "qui"
85
Ce mot est un emprunt russe.
120
En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/jamks/ "céréale" ~ /jonks/ "arc"
En position finale :
Il n'y a pas de paire minimale simple.
/katʃam/ "fumée" ~ /tsjaraxman/ "degré (celsius)"
Le phonème /m/ est une labiale (/m/ ~ /n/) nasale (/m/ ~ /p/, /m/ ~ /b/,
/m/ ~ /v/, /m/ ~ /f/). Ce phonème est non-obstruent, c'est-à-dire sans
effet sur le voisement ou non voisement des autres consonnes.
Nous définissons /m/ et /n/ comme nasale (et non comme occlusive)
pour rendre compte de leurs propriétés :
- ils sont neutres vis-à-vis du voisement.
- suivi d'une occlusive ou fricative, ils ne s'assimilent jamais. Au
contraire, la séquence /m/+/b/ se réalise fréquemment [m] au lieu de
[mb]. Leur fonctionnement vis-à-vis de l'assimilation est inversé par
rapport à une occlusive telle que /b/.
Neutralisation
121
Système graphique
● Le phonème /p/
/p/ ~ /b/
En position initiale :
/papa/ "pénis" ~ /baba/ "grand-mère paternelle"
En position intervocalique :
/p/ est assez rare dans cette position86.
/ʃapama/ "acide" ~ /ʃaba/ "enfant"
En position préconsonantique :
L'opposition est neutralisée dans cette position.
[kapsta] 'chou' est la réalisation de /kaPSta/.
En position finale :
Cette opposition ne se rencontre que dans les mots empruntés87.
/p/ ~ /f/
Le rendement de cette opposition est très faible, car /f/ est rare.
En position initiale :
/f/ est très rare à l'initiale.
/pal/ "brûler" ~ /falu/ "toujours"
86
A noter dans les emprunts : /ʃampu/ "shampoing" ~ /bambuk/ "bambou".
87
/ketʃup/ "ketchup" ~ /klub/ "club".
122
En position intervocalique :
/pupaf/ "piqué" ~ /ufaf/ "gonflé"
En position préconsonantique :
/opapt/ "asphyxier" ~ /moraft/ "réciter"
En position finale :
Cette opposition est très rare88.
/p/ ~ /t/
En position initiale :
/pεʃtε/ "noix" ~ /tεʃtε/ "étoile"
En position intervocalique :
/kopa/ "furoncle" ~ /kota/ "six"
En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple.
En position finale :
Cette opposition est très rare89.
Le phonème /p/ est une labiale (/p/ ~ /t/) orale (/p/ ~ /m/) occlusive (/p/
~ /f/) sourde (/p/ ~ /b/).
Ce phonème est obstruent (voir Glossaire).
88
/ketʃup/ "ketchup" ~ /tuf/ "parti".
89
/ketȓup/ "ketchup" ~ /put/ "poser".
123
Réalisation du phonème /p/
Neutralisation
Système graphique
● Le phonème /b/
/b/ ~ /v/
En position intervocalique :
/ʃaba/ "enfant" ~ /ʃava/ "vide"
En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple.
124
En position finale :
Cette opposition est très rare, même en tenant compte des emprunts90.
/b/ ~ /d/
En position initiale :
Ces deux phonèmes voisés sont très rares à l'initiale.
/bok/ "côté" ~ /dok/ "dock"
En position intervocalique :
Cette opposition est rare.
/ʃaba/ "enfant" ~ /ʃadama/ "écoulement"
En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple dans le corpus recueilli.
En position finale :
Cette opposition est très rare91.
Le phonème /b/ est une labiale (/b/ ~ /d/) orale (/b/ ~ /m/) occlusive
(/b/ ~ /v/) sonore (/b/ ~ /p/).
Ce phonème est obstruent.
90
/klub/ "club" ~ /luv/ "nombre".
91
/klub/ "klub" ~ /kud/ "maison".
125
Réalisation du phonème /b/
Neutralisation
Système graphique
● Le phonème /v/
/v/ ~ /f/ :
En position initiale :
/f/ est très rare à l'initiale.
/vatka/ "peler" ~ /fatja/ "saisir"
En position intervocalique :
/uva/ "aboyer" ~ /ufa/ "souffler"
126
En position préconsonantique :
Cette opposition est rare, en dehors des cas de suffixation.
/snavt/ "du haricot (Genitif)" ~ /snaft/ "des haricots (pluriel)"
En position finale :
Cette opposition est assez rare.
/kiv/92 "pierre" ~ /rif/ "récif"
/snav/ "haricot" ~ /saf/ "arrivé"
/v/ ~ /z/ :
En position initiale :
/z/ est rarissime à l'initiale93.
En position intervocalique :
Cette opposition est assez rare.
/tavad/ "couvrir" ~ /taza/ "solide"
En position préconsonantique :
/kovnε/ "(pendant) ce mois" ~ /loznja/ "verser"
En position finale :
Cette opposition est assez rare, en dehors des emprunts.
/kiv/94 "pierre" ~ /riz/ "riz"
/kov/ "lune, mois" ~ /roz/ "seigle"
Le phonème /v/ est une labiale (/v/ ~ /z/) orale (/v/ ~ /m/) fricative (/v/ ~
/b/) sonore (/v/ ~ /f/). Ce phonème est non-obstruent.
92
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /kev/.
93
/ve/ "nuit" ~ /zebra/ "zèbre".
94
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /kev/.
127
Réalisation du phonème /v/
Neutralisation
Système graphique
● Le phonème /f/
/f/ ~ /s/
En position initiale :
/falu/ "toujours" ~ /sal/ "sel"
128
En position intervocalique :
/ufa/ "souffler" ~ /usa/ "moustache"
En position préconsonantique :
/f/ s'oppose généralement à l'archiphonème /S/ résultant de la
neutralisation de /s/ et /z/.
/ofta/ "ours" ~ /koSta/ "venant d'où"
En position finale :
/saf/ "parti ~ /sas/ "il, elle partit"
Le phonème /f/ est une labiale (/f/ ~ /s/) orale (/f/ ~ /m/) fricative (/f/ ~
/p/) sourde (/f/ ~ /v/).
Ce phonème est non-obstruent.
Système graphique
● Le phonème /n/
/n/ ~ /t/
En position initiale :
/norama/ "essai" ~ /torama/ "trompette"
129
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /kota/ "six"
En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /t/ et /d/.
/jonks/ "arc" ~ /joTksa/ "parmi"
En position finale :
Cette opposition est très fréquente, par le jeu des suffixes.
/ven/ "nocturne" ~ /vet/ "les nuits"
/vajmən/ "personnel" ~ /vajmət/ "des personnes"
/n/ ~ /d/
En position initiale :
/d/ est très rare à l'initiale95.
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /koda/ "comment"
En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /t/ et /d/.
/jonks/ "arc" ~ /joTksa/ "parmi"
En position finale :
/ven/ "nocturne" ~ /ved/ "eau"
/n/ ~ /s/
En position initiale :
/noka/ "prétendre" ~ /soka/ "labourer"
95
/noka/ "prétendre" ~ /dok/ "dock".
130
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /kosa/ "où"
En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /s/ et /z/
suivi d'une obstruente.
/kenkʃ/ "qui" ~ /keSka/ "reins"
En position finale :
/min/ "nous, P4" ~ /mis/ "il, elle a vendu"
/kin/ "de qui ?" ~ /kis/ "chez qui ?"
/n/ ~ /z/
Trait : nasal ~ oral
En position initiale :
/z/ est très rare à l'initiale96.
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /koza/ "(vers) où"
En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /s/ et /z/
suivi d'une obstruente.
/ingəlε/ "avant" ~ /iSgərd/ "se plaindre"
En position finale :
/jan/ "chemin" ~ /az/ "déclarer"
/n/ ~ /ts/
96
/nal/ "flèche" ~ /zaxar/ "sucre".
131
En position initiale :
/nula/ "couche (culotte)" ~ /tsulka/ "collants, bas"97
En position intervocalique :
/ʃuvanε/ "mince" ~ /patsε/ "aile"
En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/jonks/ "arc" ~ /motsKt/ "foie, boyau"
En position finale :
/slan/ "éléphant" ~ /lats/ "beaucoup"
Le phonème /n/ est une apico-alvéolaire98 (/n/ ~ /m/) nasale (/n/ ~ /t/,
/n/ ~ /d/, /n/ ~ /s/, /n/ ~ /z/, /n/ ~ /ts/). Ce phonème est non-obstruent,
c'est-à-dire sans effet sur le voisement ou non voisement des autres
consonnes.
Neutralisation
97 e
Emprunt russe plus ancien que le XIX siècle. Cf. Witsen (1692).
98
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
99
Contrairement à d'autres idiolectes, où l'allophonie est systématique.
132
Système graphique
● Le phonème /t/
/t/ ~ /k/
En position initiale :
/targa/ "fumer" ~ /karga/ "grue"
En position intervocalique :
/kata/ "chat" ~ /jaka/ "marcher"100
En position préconsonantique :
/kata/ "chat" ~ /jaka/ "marcher"
En position finale :
/kundat/ "tu attrapes" ~ /kundak/ "attrape !"
/t/ ~ /d/
En position initiale :
/d/ est rare à l'initiale101.
100
/kata/ "chat" ~ /kakawa/ "cacao".
101
/tokad/ "rencontrer" ~ /dok/ "dock".
133
En position intervocalique :
/kota/ "six" ~ /koda/ "comment"
En position préconsonantique :
L'opposition /t/ ~ /d/ est normalement neutralisée, sauf devant une non
obstruente (l, r, n, m, j) à la jointure entre deux signifiants.
/vetne/ "les nuits" ~ /vednetkaz/ "triton"102
En position finale :
/vet/ "les nuits" ~ /ved/ "eau"
/t/ ~ /s/
En position initiale :
/tin/ "vous, P5" ~ /sin/ "ils, elles, P6"
En position intervocalique :
/kota/ "six" ~ /kosa/ "où"
En position préconsonantique :
Dans cette position, il s'agit de deux archiphonèmes /T/ et /S/, sauf si la
consonne est une non obstruente /l/, /r/, /n/, /m/ ou /j/.
/joTka/ "loisir, temps libre" ~ /noSka/ "chaussette"
/setme/ "calme" ~ /kesmεrd/ "abattre"
En position finale :
/vet/ "nuits" ~ /ven/ "nocturne"
/kit/ "chemins" ~ " /kin/ "de qui ?"
/t/ ~ /ts/
102
/vetne/ = /ve/ "nuit"+/tne/ "Défini pluriel" et /vednetkaz/ = /ved/ "eau" +/netkaz/ "lézard".
134
En position initiale :
/sjat/ "ceux-là" ~ /tsjatka/ "étincelle"
En position intervocalique :
/lata/ "tente" ~ /latsa/ "identique"
En position préconsonantique :
L'opposition est très rare.
/mařtne/ "les pommes" ~ /kařtsne/ "les dépenses"
En position finale :
Le rendement de l'opposition est augmenté par le jeu des suffixes.
/pet/ "fins" ~ /pets/ "sa fin"
Le phonème /t/ est une apico-alvéolaire103 (/t/ ~ /p/, /t/ ~ /k/) orale (/t/ ~
/n/) occlusive (/t/ ~ /s/) sourde (/t/ ~ /d/).
Ce phonème est obstruent.
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /t/ ~ /d/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /T/ se réalise soit sourd [t] si la
consonne est sourde soit sonore [d] si elle est sonore.
Système graphique
103
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
135
La marque de mouillure <ь> n'a pas d'importance. Nous y reviendrons
plus loin.
● Le phonème /d/
/d/ ~ /g/
En position initiale :
Les voisées sont rares à l'initiale.
/davaj/104 "commençant à" ~ /gaj/ "son, bruit".
En position intervocalique :
/moda/ "terre, sol" ~ /pogan/ "épilepsie"
En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple dans le corpus recueilli.
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /g/.
/d/ ~ /z/
En position initiale :
Les voisées sont rares à l'initiale105.
104
En mokša, ce monème emprunté se comporte comme un adjectif. En russe, il s'agit
d'un verbe à l'impératif.
105
/debεn/ "baton" ~ /zebra/ "zèbre".
136
En position médiane :
/koda/ "comment" ~ /koza/ "(vers) où"
En position finale :
/kud/ "maison" ~ /kuz/ "sapin"
Le phonème /d/ est une apico-alvéolaire106 (/d/ ~ /b/, /d/ ~ /g/) orale
(/d/ ~ /n/) occlusive (/d/ ~ /z/) sonore (/d/ ~ /t/).
Ce phonème est obstruent.
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /t/ ~ /d/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /T/ se réalise soit sourd [t] si la
consonne est sourde soit sonore [d] si elle est sonore.
Fluctuation
Système graphique
106
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
137
● Le phonème /s/
/s/ ~ /ts/ :
En position initiale :
/sjora/ "céréale " ~ /tsjora / "garçon"
En position intervocalique :
/malasa/ "près de" ~ /latsa/ "identique"
En position préconsonantique :
Il y a très peu d'exemples.
/kasf/ "grandi" ~ /lεtsf/ "blessé"
En position finale :
/avas/ "la femme" ~ /avats/ "sa femme"
/s/ ~ /ʃ/ :
En position initiale :
/sama/ "arrivée " ~ /ʃama/ "visage"
En position intervocalique :
/kosa/ "où" ~ /koʃard/ "commander"
138
En position préconsonantique :
/lismaprεa/ "source (d'eau)" ~ /liʃme/ "cheval"
En position finale :
/mes/ "pourquoi" ~ /meʃ/ "abeille"
/s/ ~ /ç/ :
En position initiale :
/soks/ "ski " ~ /çokça/ "automne"
/sorga/ "boucle d'oreille" ~ /çora/107 "corne"
En position médiane :
Les exemples sont rarissimes.
/rasijε/ "Russie" ~ /açi/ "d'accord"
En position préconsonantique :
/vanist/ "ils, elles ont regardé" ~ /vaniçt/ "ils, elles regardent"
En position finale :
/ç/ n'existe pas en position finale.
/s/ ~ /x/ :
En position initiale :
/x/ n'apparait à l'initiale que dans les emprunts russes108.
En position intervocalique :
/kosa/ "où" ~ /boxarjam/ "cellier"
En position préconsonantique :
/kasma/ "nuque" ~ /tsjaraxman/ "grêle"
107
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /sjura/ qui est standard.
108
/sorga/ "boucle d'oreille" ~ /xor/ "choeur".
139
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.
Le phonème /s/ est une apico-alvéolaire109 (/s/ ~ /f/, /s/ ~ /ʃ/, /s/ ~ /ç/,
/s/ ~ /x/) orale (/s/ ~ /n/) fricative (/s/ ~ /t/, /s/ ~ /ts/) sourde (/s/ ~ /z/).
Ce phonème est obstruent.
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /s/ ~ /z/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /S/ se réalise soit sourd [s] si la
consonne est sourde soit sonore [z] si elle est sonore.
Système graphique
● Le phonème /z/
109
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
140
/z/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /z/
/z/ ~ /ʒ/ :
En position initiale :
Le phonème /ʒ/ est rare110 et semble récent dans cette position.
En position intervocalique :
Le phonème /ʒ/ est rare111 dans cette position.
En position préconsonantique :
Dans cette position, /ʒ/ est fréquent.
/rizna/ "pleurer (qn)" ~ /laʒna/ "pleurer, regretter (qn)"
/lazf/ "séparé" ~ /laʒf/ "bruit"
En position finale :
/kaz/ "offrir" ~ /kaʒ/ "terreur"
Le phonème /z/ est une apico-alvéolaire112 (/z/ ~ /v/, /z/ ~ /ʒ/) orale (/z/
~ /n/) fricative (/z/ ~ /d/) sonore (/z/ ~ /s/).
Ce phonème est obstruent.
110
/zurna/ "groin " ~ /ʒuri / "jury".
111
/rezin/ "caoutchouc" ~ /reʒim/ "régime". /piza/ "nid" ~ /piʒam/ "pyjamas".
112
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
141
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /z/ ~ /s/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /S/ se réalise soit sourd [s] si la
consonne est sourde soit sonore [z] si elle est sonore.
Fluctuation
Système graphique
● Le phonème /ts/
/ts/ ~ /tʃ/ :
La fréquence relative entre les deux phonèmes suivant les positions laisse
à penser qu'elle résulte peut-être d'une distribution complémentaire entre
deux allophones (du proto-mokša) devenus des phonèmes séparés dans
la langue contemporaine. Voir §.6.2.
En position initiale :
/tʃ/ est très rare à l'initiale.
/tsjora/ "garçon " ~ /tʃjofks / "rossignol"
142
En position intervocalique :
/tʃ/ est plus rare que /ts/ dans cette position.
/katsa/ "dans la maison" ~ /katʃa/ "cheville"
En position préconsonantique :
/ts/ est beaucoup plus rare que /tʃ/ dans cette position.
/kutskan/ "aigle" ~ /kutʃka/ "centre"
En position finale :
/tʃ/ est plus rare que /ts/ dans cette position.
/pants/ "poursuivre" ~ /pantʃ/ "ouvrir"
Le phonème /ts/ est une apico-alvéolaire113 (/ts/ ~ /tʃ/) orale (/ts/ ~ /n/)
affriquée114 (/s/ ~ /ts/).
Les affriquées sont toujours sourdes. Ce trait est donc redondant.
Il n'existe pas d'affriquées sonores.
Ce phonème est obstruent.
Système graphique
113
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
114
ou bien distribuée, puisque l'affricativité combine occlusion et fricativité.
143
● Le phonème /ʃ/
/ʃ/ ~ /ʒ/ :
En position intervocalique :
/ʒ/ n'existe que dans des emprunts récents au russe.
/veʃi/ "plaignant" ~ /reʒim/ "régime"
En position préconsonantique :
A contrario, /ʃ/ est très rare dans cette position et les exemples
semblent être des mots d'origine tatare, comme /liʃme/ "cheval", /laʃma/
"vallée", /duʃman/ "ennemi". [ʒ] était probablement en distribution
complémentaire avec [ʃ] avant qu'un certain nombre d'emprunts tatars
ne viennent mettre fin à cette situation. Voir §.6.2.
/maʃne/ "embêter" ~ /laʒna/ "pleurer, regretter (qn)"
En position finale :
/ʒ/ n'existe que dans des emprunts récents au russe115.
/ʃ/ ~ /ç/
En position initiale :
/ʃorja/ "mélanger" ~ /çora/116 "corne"
115
/meȓ/ "abeille" ~ /beʒ/ "beige".
116
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /sjura/.
144
En position intervocalique :
Les exemples sont rarissimes.
/aʃəl/ "il n'y avait pas" ~ /açi/ "d'accord"
En position préconsonantique :
Les exemples sont rares.
/piʃte/ "désirer" ~ /vaniçt/ "ils, elles regardent"
En position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /aç/ "se trouver, être"
/ʃ/ ~ /tʃ/ :
En position initiale :
/tʃ/ est très rare à l'initiale.
/ʃopəlks/ "crépuscule " ~ /tʃopaft/ "plonger"
En position intervocalique :
/uʃa/ "temps (qu'il fait)" ~ /utʃa/ "mouton"
En position préconsonantique :
/tʃ/ s'oppose dans cette position à l'archiphonème /Š/.
/muŠka/ "fibre, filament" ~ /kutʃka/ "centre"
Une quasi-paire minimale est :
/tʃjoʃna/ "zézayer" ~ /mutʃnarmən/ "bécasseau"
En position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /ʃatʃ/ "naître"
/ʃ/ ~ /x/ :
145
En position initiale :
/x/ n'apparaît à l'initiale que dans les emprunts russes117.
En position intervocalique :
/x/ est très rare.
/koʃard/ "commander" ~ /boxarjam/ "cellier"
En position préconsonantique :
/x/ est très rare.
/laʃma/ "vallée" ~ /tsjaraxman/ "grêle"
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.
Le phonème /ʃ/ est une palato-alvéolaire118 (/ʃ/ ~ /s/, /ʃ/ ~ /ç/, /ʃ/ ~ /x/)
fricative (/ʃ/ ~ /tʃ/) sourde (/ʃ/ ~ /ʒ/).
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /ʃ/ ~ /ʒ/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /Š/ se réalise soit sourd [ʃ] si la
consonne est sourde soit sonore [ʒ] si elle est sonore.
117
/ʃorja/ "bloquer" ~ /xor/ "choeur".
118
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
146
Système graphique
● Le phonème /ʒ/
Le phonème /ʒ/ est une palato-alvéolaire119 (/ʒ/ ~ /z/) sonore (/ʒ/ ~ /ʃ/).
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /ʒ/ ~ /ʃ/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /Š/ se réalise soit sourd [ʃ] si la
consonne est sourde soit sonore [ʒ] si elle est sonore.
119
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
147
Fluctuation
Système graphique
● Le phonème /tʃ/
Système graphique
120
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
148
● Le phonème /ç/
/ç/ ~ /x/ :
En position initiale :
/x/ n'apparait à l'initiale que dans les emprunts russes.
/çora/ "corne" ~ /xor/ "choeur"
En position intervocalique :
/proçama/ "salutations, au revoir" ~ /boxarjam/ "cellier"
En position préconsonantique :
Les exemples sont rarissimes.
/vaniçt/122 "ils, elles regardent" ~ /tsjaraxman/ "grêle"
En position finale :
Aucun mot ne se termine /x/.
121
ou bien distribuée, puisque l'affricativité combine occlusion et fricativité. En outre /tʃ/
est à la fois coronale antérieure par son attaque et coronale postérieure par son second
mouvement fricatif.
122
Dans cet exemple, /ç/ est un ancien /x/. Certains idiolectes ont encore l'ancienne
prononciation.
149
/ç/ ~ /j/ :
En position initiale :
/çora/ "corne" ~ /jora/ "caille"
En position intervocalique :
Il n'y a pas de vraie paire minimale.
/açi/ "d'accord" ~ /ajerd/ "partir"
/açi/ "d'accord" ~ /eji/ "glacé, gelé"
En position préconsonantique :
/peçt/ "les dents" ~ /pejt/ "de la dent"
En position finale :
/aç/ "se trouver, être" ~ /vaj/ "huile, graisse"
Le phonème /ç/ est une palatale (/ç/ ~ /s/, /ç/ ~ /ʃ/, /ç/ ~ /x/) fricative (/ç/
~ /j/).
Il n'existe pas de palatale sonore. Le trait sourde est donc inutile.
Les palatales sont toujours orales. Ce trait est donc inutile.
Il n'existe pas de nasale palatale.
Ce phonème est obstruent (mais sa distribution est très lacunaire).
Le phonème /ç/ se réalise [ç] fricatif oral palatal sourd, lorsqu'il est suivi
d'une consonne ou bien yodisé [çj] lorsqu'il est suivi d'une voyelle. A
l'intervocalique, ce phonème est long [ç:j].
150
Système graphique
● Le phonème /j/
La deuxième solution est très intéressante. Car le trait distribué est bien
implanté dans le système du mokša.
Ce phonème est non-obstruent.
Système graphique
151
● Le phonème /k/
/k/ ~ /g/
En position initiale :
/kaj/ "habitude" ~ /gaj/ "son, bruit"
En position intervocalique :
/jaka/ "marcher" ~ /vaga/ "treuil"
En position préconsonantique :
Les exemples d'opposition du type voyelle+vélaire+n/m sont rares et
presque tous empruntés.
En position finale :
Les exemples sont rares123.
/k/ ~ /x/
En position initiale :
/korəʒ/ "chouette" ~ /xor/ "choeur"
En position intervocalique :
/boka/ "chalet" ~ /boxarjam/ "cellier"
En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/leknja/ "avoir le hoquet" ~ /tsjaraxman/ "grêle"
123
/park/ "parc" ~ /karg/ "haleter, respirer bruyamment".
152
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.
124
Le phonème /k/ est une vélaire (/k/ ~ /t/) occlusive (/k/ ~ /x/)
sourde (/k/ ~ /g/).
Il n'existe pas de vélaire nasale. Le trait oral est redondant.
Ce phonème est obstruent.
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /k/ ~ /g/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /K/ se réalise soit sourd [k] si la
consonne est sourde soit sonore [g] si elle est sonore.
Système graphique
124
ou bien une dorsale.
153
● Le phonème /g/
Le phonème /g/ est une vélaire 125 (/k/ ~ /d/) sonore (/k/ ~ /g/).
Le trait oral est redondant car il n'existe pas de vélaire nasale.
Le trait occlusif est redondant, car il n'existe pas de vélaire fricative
sonore.
Ce phonème est obstruent.
Neutralisation
L'opposition des phonèmes /g/ ~ /k/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /K/ se réalise soit sourd [k] si la
consonne est sourde soit sonore [g] si elle est sonore.
Fluctuation
Système graphique
125
ou bien une dorsale.
154
● Le phonème /x/
126
Le phonème /x/ est une vélaire (/x/ ~ /ç/, /x/ ~ /ʃ/, /x/ ~ /s/) fricative
(/x/ ~ /k/). Ce phonème est obstruent.
Il n'existe pas de vélaire nasale. Le trait oral est redondant.
Il n'existe pas de vélaire fricative sonore. Le trait sourd est redondant.
Système graphique
● Le phonème /l/
/l/ ~ /r/ :
En position initiale :
/lama/ "beaucoup" ~ /rama/ "acheter"
126
ou bien une dorsale.
155
En position intervocalique :
/nola/ "paresseux" ~ /nora/ "essayer"
En position préconsonantique :
/valda/ "clair" ~ /varda/ "diable"
En position finale :
/səjəl/ "hérisson" ~ /ʃəjər/ "souris"
/jul/ "juillet" ~ /jur/ "racine"
/l/ ~ /ɬ/ :
En position préconsonantique :
/kalt/ "du poisson" ~ /kaɬt/ "des poissons"
/nalks/ "flèche" ~ /naɬkʃ/ "jouet"
/l/ ~ /d/ :
En position initiale :
/d/ est très rare à l'initiale127.
En position intervocalique :
/kεli/ "il marche dans l'eau" ~ /kεdi/ "vers la peau"
En position préconsonantique :
/kudnε/ "petite maison" ~ /nulnəft/ "se précipiter"
En position finale :
/kεl/ "langue" ~ /kεd/ "main"
127
/livəz/ "sueur " ~ /divan / "sofa, divan"
156
/l/ ~ /ʒ/ :
En position initiale :
/livəz/ "sueur " ~ /ʒivata / "bétail, vache"
En position intervocalique :
/kεli/ "il marche dans l'eau" ~ /kεʒi/ "cruel"
En position préconsonantique :
/l/ s'oppose à l'archiphonème /Š/ dans les exemples attestés.
/velde/ "grâce à" ~ /iŠd/ "allumer (feu)"
En position finale :
/kal/ "poisson" ~ /kaʒ/ "terreur"
157
Système graphique
● Le phonème /ɬ/
/ɬ/ ~ /ř/ :
/ɬ/ ~ /ʃ/ :
/ɬ/ ~ /tʃ/ :
158
Réalisation du phonème /ɬ/
Système graphique
● Le phonème /r/
/r/ ~ /ř/ :
En position préconsonantique :
Cette opposition n'existe que devant consonne sourde.
/mart/ "de la pomme" ~ /mařt/ "des pommes"
/r/ ~ /ʒ/ :
En position initiale :
Le phonème est rare dans cette position128.
En position intervocalique :
Cette opposition est rare.
/keri/ "il coupe" ~ /kεʒi/ "cruel"
128
/rutsja/ "mouchoir " ~ /ʒuri / "jury".
159
En position préconsonantique :
/kird/ "tenir (dans les mains)" ~ /iŠd/ "allumer (feu)"
En position finale :
/kar/ "croûte" ~ /kaʒ/ "terreur"
Système graphique
● Le phonème /ř/
160
/ř/ ~ /ʃ/ :
En position médiane :
Cette opposition avec l'archiphonème /Š/ n'existe que dans le contexte :
suivie d'une occlusive ou d'une affriquée sourde.
/kařt/ "des croûtes ~ /kaŠtaz/ "bouton de fièvre"
Fluctuation
Système graphique
161
5.3.2. M. Viktor LYSOV : Système consonantique
• Description articulatoire
Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire
Approximante /j/
162
Description abstraite des phonèmes consonantiques de l'idiolecte mokša de Viktor Lysov
Traits m p b f v n t d s z ts l ɬ r ř ç j ʃ Ʒ tʃ k g x
Traits Nasal X X
non-
linguals Labial X X X X X
Coronal Avant X X X X X X
Apical X X
Traits
Coronal Arrière X X X X X
linguals
Palatal X X
Dorsal X X X
Occlusif X X X X X X
Mode Fricatif X X X X X X X X
Distribué X X X X X
Etat Sourd X X X X X X X X X X X
glottal Voisé/Sonore X X X X X X X X
Obstruente X X X X X X X X X X X X X X
Type
Non-obstruente X X X X X X X X X
En ce qui concerne le trait nasal, l'absence de croix <X> dans la ligne signale toutes les consonnes orales.
163
• Intérêt de la description abstraite
164
5.3.3. M. Viktor LYSOV : Phonèmes vocaliques
● Le phonème /a/
/a/ ~ /ε/ :
Position initiale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /εʃε/ "froid"
Position médiane :
/ʃajtan/ "Diable" ~ /ʃεjer/ "cheveu"
Position finale :
/ala/ "en dessous" ~ /alε/ "homme, père"
/a/ ~ /εæ/ :
Position initiale :
/εæ/ n'existe pas dans cette position.
Position médiane :
/kad/ "partir" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/pra/ "tomber" ~ /prεæ/ "tête"
/a/ ~ /o/ :
Position initiale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /oʃ/ "ville"
Position médiane :
/kaj/ "son, bruit" ~ /koj/ "loi, coûtume"
Position finale :
/o/ n'existe pas en position finale.
165
/a/ ~ /ə/ :
Position initiale :
/ardama/ "le fait d'aller (en voiture, etc)" ~ /ərdas/ "saleté"
Position médiane :
/ʃajtan/ "Diable" ~ /ʃəjər/ "souris"
Position finale :
/ə/ n'existe pas en position finale.
Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/, (/a/ ~ /o/)
postérieure (/a/ ~ /εæ/, /a/ ~ /ε/).
Neutralisation
Dans cet idiolecte, l'opposition entre /ε/, /εæ/ et /a/ est neutralisée en
finale absolue précédée d'une chuintante /š/ ou /ž/, comme dans les
monèmes тише [tiša] ou [tišε] "foin" ou тёжа [tjožε] [tjoža] "jaune".
L'archiphonème se réalise [ε] [a] ou [æ].
Système graphique
166
● Le phonème /ε/
/ε/ ~ /εæ/ :
Position initiale :
/εæ/ n'existe pas dans cette position.
Position médiane :
/fkεfkεn/ "l'un l'autre" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/tε/ "celui-ci" ~ /prεæ/ "tête"
/ε/ ~ /e/ :
Position initiale :
A l'initiale, on ne rencontre pas #ε.
Position médiane :
/ʃεjer/ "cheveu" ~ /pej/ "dent"
Position finale :
/fkε/ "un" ~ /ve/ "nuit"
Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/,
/ε/ ~ /εæ/).
167
Neutralisation
Dans cet idiolecte, l'opposition entre /ε/, /εæ/ et /a/ est neutralisée en
finale absolue précédée d'une chuintante /š/ ou /ž/, comme dans les
monèmes тише [tiša] ou [tišε] "foin" ou тёжа [tjožε] [tjoža] "jaune".
L'archiphonème se réalise [ε] [a] ou [æ].
Système graphique
● Le phonème /e/
/e/ ~ /ə/ :
Position initiale :
/er/ "chaque" ~ /ərdas/ "saleté"
Position médiane :
/pej/ "dent" ~ /ʃəj/129 "jour"
Position finale :
/ə/ est rare en finale.
/e/ ~ /i/ :
Position initiale :
/er/ "chaque" ~ /irdεs/ "côte (os)"
Position médiane :
/sed/ "pont" ~ /sidi/130 "coeur"
129
Cette prononciation est idiolectale. D'autres locuteurs ont /ʃi/ ou /ʃɨ/.
168
Position finale :
/ve/ "nuit" ~ /vi/ "force"
/tne/ "les" ~ /pitni/ "précieux"
Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).
Système graphique
● Le phonème /i/
/i/ ~ /u/ :
130
Cette prononciation est dialectale, au lieu de /sedi/ "coeur".
131
Cette particularité ne se rencontre pas dans les autres idiolectes.
169
Position initiale :
/iz/ "ne pas (avoir pu)" ~ /uzεr/ "hache"
Position médiane :
/tsilgε/ "verrue" ~ /tsulka/ "bas, collant"
Position finale :
/vi/ "force" ~ /tu/ "partir"
/sjavari/ "il s'effondre" ~ /karu/ "mouche"
Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/).
Particularités idiolectales
170
Système graphique
● Le phonème /ə/
/ə/ ~ /εæ/ :
Position initiale :
/εæ/ n'existe pas à l'initiale.
Position médiane :
/kʃtəda/ (se nourrir) "de fraise" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/ə/ et /εæ/ sont rares en finale.
/kʃtə/ "fraise" ~ /prεæ/ "tête"
/ə/ ~ /o/ :
Position initiale :
/ərdas/ "saleté" ~ /orta/ "porte"
Position médiane :
/ʃəj/132 "jour" ~ /koj/ "loi"
Position finale :
En finale, on ne rencontre pas -o#.
132
Cette prononciation est idiolectale. D'autres locuteurs ont /ʃi/ ou /ʃɨ/.
171
Définition du phonème /ə/
Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /εæ/)
centrale (/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).
Commentaire
Particularités idiolectales
Par exemple :
- шeep [ʃəjər] "souris" (au lieu de [ʃejεr])
- ши [ʃəj] "jour" (au lieu de [ʃɨ])
- мазы [mazi] "beau" (au lieu de [mazɨ])
- cимы [simi] "il boit" (au lieu de [simɨ])
- колендыxть [kolendiçt] "ils jouent", (au lieu de [kolendɨçt])
- ванды [vandε] "demain" (au lieu de [vandɨ])
172
Système graphique
● Le phonème /εæ/
Le phonème /εæ/ est une voyelle ouverte (/εæ/ ~ /ə/) centrale (/εæ/ ~
/a/, /εæ/ ~ /ε/).
133
D'autres idiolectes ont /stεæ/.
173
● Le phonème /o/
/o/ ~ /u/ :
Position initiale :
/orta/ "porte" ~ /urta/ "troupeau"
Position médiane :
/koj/ "loi" ~ /kuj/ "serpent"
Position finale :
Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures (autres que /a/) sont également arrondies. Ce
trait est redondant.
Système graphique
174
● Le phonème /u/
Position initiale :
/urd/ "servir" ~ /irdεs/ "côte (os)"
Position médiane :
/sud/ "court de justice" ~ /sidi/134 "coeur"
Position finale :
/tu/ "partir" ~ /kʃti/ "danser"
Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /i/).
Les voyelles postérieures (autres que /a/) sont également arrondies. Ce
trait est redondant.
Le phonème /u/ se réalise [u], sauf en finale absolue des mots de plus
de deux syllabes où il se réalise [o]. Par exemple, [kelo] "bouleau" ou
[lafto] "épaule".
Système graphique
134
Cette prononciation est dialectale, au lieu de /sedi/ "coeur".
175
Système des phonèmes vocaliques :
L'orientation du tableau est celle qu'on rencontre dans les sources russes.
Nous la conservons par souci d'homogénéité des présentations entre les
différentes sources.
Bien que phonologiquement postérieur, le phonème /a/ n'est pas arrondi.
En revanche, il tend à vélariser /l/, comme les voyelles postérieures /o/ et
/u/. Le phonème central ouvert /εæ/ se réalise comme une diphtongue
[εæ].
176
5.4. M. Anatoli YERIOMKIN : Présentation
Dans cet idiolecte, les voyelles accentuées ont une durée plus longue et
une intensité plus forte que les autres voyelles. La place de l'accent peut
se situer sur une autre syllabe que la première : [awa:tnen] "les femmes".
Cette particularité, qui ne se trouve pas chez V. Lysov, se rencontre dans
d'autres idiolectes du corpus. Nous indiquons la place de l'accent par le
soulignement de la voyelle /avatnen/.
Ce locuteur oppose sept phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Le corpus ne permet pas de déterminer si /εa/ existe.
Le système de cet idiolecte est différent de celui de V. Lysov en deux
points particuliers :
- on rencontre un phonème supplémentaire /ɨ/,
- le phonème /ə/ fluctue de façon importante avec les phonèmes /a/ et
/e/ inaccentués.
177
5.4.1. M. Anatoli YERIOMKIN : Phonèmes consonantiques
Les cinq phonèmes labiaux /m/, /p/, /b/, /v/ et /f/, identifiés chez V.
Lysov existent aussi dans cet idiolecte.
Position initiale :
/min/ "nous"
/boxarjam/ "cellier"
/vanft/ "conserver"
/filip/ "Philippe"
Position médiane :
/jakamem/ "nous sommes allés"
Position finale :
/jakamem/ "nous sommes allés"
/filip/ "Philippe"
Dans le corpus, /p/ n'est attesté qu'en finale.
178
● Les phonèmes apico-alvéolaires (ou coronals antérieurs)
Les six phonèmes apico-alvéolaires /n/, /t/, /d/, /ts/, /s/ et /z/, identifiés
chez V. Lysov existent aussi dans cet idiolecte.
Position initiale :
/tenza/ "à lui"
/dimitri/ "Dimitri"
/sendroj/ "(Village de) Sendrov"
Position médiane :
/ivanəvitʃ/ "Ivanovitch"
/kotetsi/ "sixième"
/moda/ "terre"
/velεsa/ "dans le village"
/liçteze/ "ils (les) sortirent"
Position finale :
/son/ "il, P3"
/sjat/ "cent"
/od/ "nouveau"
/stirεts/ "sa fille"
/tus/ "il partit"
/mez/ "quoi ?"
179
● Les phonèmes palato-alvéolaires (ou coronals postérieurs)
Position initiale :
Le corpus ne comprend pas d'exemple.
Position médiane :
/maʃa/ "Masha"
/tjoʒən/ "mille"
Position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas"
/-əvitʃ/ "fils de ; -ovitch"
Les latérales et vibrantes sonores et sourdes /l/ /ɬ/ /r/ /ř/ existent dans
cet idiolecte.
Attestation de /ɬ/ :
/vanftɨvɨɬt/ "(qu') ils puissent conserver"
/vanft/ "conserverser"
/-ɨv-/ "pouvoir"
/-ɨɬ-/ "subjonctif"
/-t/ "pluriel"
Attestation de /ř/ :
/mařta/ "avec"
180
En ce qui concerne les réalisations, /ɬ/ a une réalisation chuintante et
non pas vélaire [lɬʃ], contrairement à V. Lysov [lɬx].
Les phonèmes palataux /ç/ et /j/ identifiés chez V. Lysov existent aussi
dans cet idiolecte.
Pour /ç/ :
/liçteze/ "ils emmenèrent"
/kudsta/ "hors de la maison"
/ʃta/ "nettoyer"
Pour /j/ :
/sa/ "venir"
/sjat/ "cent"
Les phonèmes vélaires /k/ et /x/ identifiés chez V. Lysov existent aussi
dans cet idiolecte.
/g/ n'est pas attesté. Mais il n'y a pas de raison qu'il n'existe pas dans
cet idiolecte. Il s'agit d'une lacune dans le corpus.
181
Position médiane :
/toka/ "souffrir" ~ /boxarjam/ "cellier"
Le système de cet idiolecte est le même que celui de M. Lysov, tel qu'il
est décrit au § 5.3.2.
182
5.4.2. M. Anatoli YERIOMKIN : Phonèmes vocaliques
Ce locuteur oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
/εa/ n'est pas attesté135.
135
L'hypothèse que /εa/ existe dans cet idiolecte est raisonnable, dans la mesure où il
existe dans tous les autres idiolectes.
136
En finale, /ə/ fluctue avec /a/. Par ailleurs, /velesa/ existe également.
183
● Le phonème /a/
Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/) postérieure (/a/ ~
/o/, /a/ ~ /ε/).
Fluctuation
Dans cet idiolecte, /a/ fluctue avec /ə/, spécialement en finale absolue
inaccentué.
"Dans le village" peut se dire /velesə/ ou /velesa/.
Il y a même un exemple de fluctuation avec /ɨ/ : /kizɨ/ pour /kiza/.
● Le phonème /ε/
Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/).
184
Réalisation du phonème /ε/
● Le phonème /e/
Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).
Fluctuation
Particularité idiolectale
Cet idiolecte présente la particularité que les mots d'origine russe, écrits
avec un <и>, se prononcent :
- avec un [ɪ] détendu, correspondant plutôt aux réalisations du
phonème /e/ (au lieu de /i/), lorsque <и> est inaccentué,
- avec le phonème /i/, lorsque <и> est accentué.
Par exemple, le prénom Дмитрий se réalise [dɪmɪtri:] /demetri/.
185
Il est possible qu'il s'agisse d'une particularité du russe parlé en
Mordovie. Cette hypothèse reste à confirmer137.
● Le phonème /i/
Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/, /i/
~ /ɨ/).
● Le phonème /ə/
Ce phonème est représenté dans un mot russe /ʃtobə/ "afin que". Mais il
est surtout présent dans des mots mokšas comme /sεmbən/ "tout" et
/vanftəms/ "conserver".
Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /ɨ/) centrale
(/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).
137
L'éloignement et la difficulté de joindre les locuteurs régulièrement rendent difficile
l'élucidation de certaines hypothèses.
186
Fluctuation
● Le phonème /ɨ/
Le phonème /ɨ/ est une voyelle fermée (/ə/ ~ /ɨ/) centrale (/ɨ/ ~ /i/, /ɨ/ ~
/u/).
Système graphique
Hormis le cas des mots russes où /ɨ/ est écrit <ы>, le système
graphique transcrit ce phonème <o> dans les mots mokšas et ne
distingue pas /ə/ et /ɨ/ de façon cohérente avec cet idiolecte.
/ɨvɨ/ est transcrit <oвo> et /kaksɨgemon/ <кафксогемонь>.
187
● Le phonème /o/
Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.
/o/ est très rare en syllabe inaccentuée mais maintient les oppositions
phonologiques avec /a/, /e/ et /ə/. La notion de neutralisation ou d'archi-
phonème n'a pas lieu d'être.
● Le phonème /u/
Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /ɨ/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.
188
● Tableau des phonèmes vocaliques :
centrales antérieures
postérieures
(non arrondies) (non arrondies)
138
Ce phonème n'est pas attesté mais probable.
189
5.5. Mme Liudmila ZOTOVA : Présentation
• Analyse du texte lu
Il s'agit d'un conte pour enfants écrit en mokša, dont le titre est Tyвoня
/tuvənε/ "Le petit cochon"139.
La locutrice le lit avec soin et emphase, ce qui permet une analyse précise
de presque tout l'enregistrement, qui dure en tout 240 secondes. Malgré
ce soin, on peut relever plusieurs phénomènes :
- dans les désinences verbales, il est fréquent que -t- final soit amuï,
- certaines consonnes s'assimilent. Dans <кapмacть шyтeндaмa>,
/karmajst ʃuntendama/ "ils commencèrent à plaisanter", la séquence
/st ʃ/ est réalisée [ʃʃ] du fait de l'amuïssement de /t/ et du contact /s/ /ʃ/.
139
Le texte est donné en annexe 5 avec la transcription phonétique relative à
l'enregistrement de L. Zotova.
190
Dans cet idiolecte, les voyelles accentuées ont une durée plus longue et
une intensité plus forte que les autres voyelles. La place de l'accent peut
se situer sur n'importe quelle syllabe :
- бaзap [ba:zar] "marché"
- кeмгaфтyвa [kemga:ftəv] "vingt"
- тyвoня [tovənε:] "petit cochon"
Cette locutrice oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Cette opposition se maintient en tout contexte : initial, final, interne,
accentuée ou non accentuée. En outre, on trouve la diphtongue /εæ/.
Les réalisations des voyelles sont en fort décalage avec la graphie pour
les phonèmes /e/ et /ε/ qui sont notés au moyen de <o>, <e>, <э>, <ы> et
<я>, suivant des clés de répartition qui ne sont pas cohérentes avec la
réalité de cet idiolecte. Ces écarts sont signalés dans les paragraphes
relatives aux "prononciations remarquables".
191
5.5.1. Mme Liudmila Zotova : Phonèmes consonantiques
Les cinq phonèmes labiaux /m/, /p/, /b/, /v/ et /f/, identifiés chez les autres
locuteurs existent dans cet idiolecte.
192
● Les phonèmes apico-alvéolaires
Les six phonèmes apico-alvéolaires /n/, /t/, /d/, /ts/, /s/ et /z/, identifiés
chez V. Lysov existent dans cet idiolecte.
Les phonèmes /n/, /t/, /d/, /s/ et /z/ n'appellent pas de remarque
particulière. /n/ suivi d'une vélaire se réalise [ŋ] de façon quasi
systématique contrairement à l'idiolecte de V. Lysov.
Le phonème /ts/ est plus complexe. En finale et parfois aussi en médiane,
il est fréquent qu'il se réalise [tθ] ou [θ] au lieu de [ts]. Cette réalisation
confirme que le phonème /ts/ existe et qu'il est différent de la séquence
/t/+/s/.
Les trois phonèmes palato-alvéolaires /tʃ/, /ʃ/ et /ʒ/, identifiés chez V. Lysov
existent dans cet idiolecte.
Le phonème /tʃ/ n'est ni palatalisé ni yodisé, même dans les mots d'origine
russe : <oтвeчa> "répondre", dont la translittération est <otvetcha>, se
réalise /atvitʃa/ et non pas /atvitʃja/, comme en russe.
Et les latérales et vibrantes sonores et sourdes /l/ /ɬ/ /r/ /ř/ existent aussi
dans l'idiolecte de Mme L. Zotova.
Comme dans l'idiolecte de M. Yeriomkin, les latérale sourde /ɬ/ et vibrante
sourde /ř/ ont une réalisation chuintante et non pas vélaire : [lɬʃ] et [rřʃ].
193
● Les phonèmes vélaires
Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire
Approximante /j/
194
5.5.2. Mme Liudmila Zotova : Phonèmes vocaliques
Cette locutrice oppose neuf phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/
et la diphtongue /εæ/.
195
En finale de mot, on rencontre les phonèmes suivants :
- /i/ ëфcи [jo:fsi] "certainement"
- /e/ aдe [ade] "allons-y"
- /ε/ пypxцe [p(u)rřtsε] "goret"
- /ɨ/ вaны [vanɨ] "il voit"
- /ə/ тeйнтькe [tejntkə] "à vous"
- /a/ тoнгa [toŋŋa] "là-bas]
- /u/ бaзapy [ba:zaro] "au marché"
● Le phonème /i/
Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/, /i/
~ /ɨ/).
Fluctuation
En contact avec /n/, il est fréquent que /i/ se réalise [e], plutôt que [i].
Par ailleurs, la conjonction <и> du russe se réalise [i] (contrairement à
l'idiolecte de M. Yeriomkin où elle se réalise [e] ou [ɪ].
● Le phonème /e/
Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).
196
Réalisation du phonème /e/
Fluctuation
Prononciations remarquables :
● Le phonème /ε/
Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/).
Prononciations remarquables :
- cявoзe [sjavezε] "il a saisi",
- cиннeзe [sin:εzε] "il but",
- чëпaфтoзe [tšopaftεzε] "il plongea",
197
L'opposition graphique entre <-oзe> et <-eзe> n'existe pas dans cet
idiolecte qui a toujours [-εzε] ou [-ezε].
● Le phonème /a/
Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/) postérieure (/a/ ~
/o/, /a/ ~ /ε/, /a/ ~ /εæ/).
Fluctuation
Dans le corpus, /a/ fluctue très peu avec /ə/, même en finale absolue
inaccentué. Il est possible que cela soit dû au grand soin pris à lire le
texte.
● Le phonème /εæ/ :
198
● Le phonème /ɨ/
Le phonème /ɨ/ est une voyelle fermée (/ə/ ~ /ɨ/) centrale (/ɨ/ ~ /i/, /ɨ/ ~
/u/).
Prononciations remarquables :
● Le phonème /ə/
Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /ɨ/) centrale
(/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).
199
● Le phonème /o/
Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.
Fluctuation
● Le phonème /u/
Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /ɨ/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.
200
Réalisation du phonème /u/
201
5.6. Mme TRZ1 (Ekaterina Yemashkin) : Présentation
Analyse du conte lu
Il s'agit du même conte écrit en mokša que celui lu par Liudmila Zotova.
La locutrice lit et décortique le texte, syllabe par syllabe.
Le corpus couvre environ la moitié du conte140.
Cette locutrice a un timbre de voix aigu, et dans cet idiolecte, le phonème
/o/ accentué qui se réalise [uo] [o:] voire [өə], en partie délabialisé. On
peut se demander si cela ne correspond pas à une sorte de "féminisme".
Certaines russophones ont aussi tendance à diphtonguer légèrement /o/
en russe, en disant [uo]. Sans tomber dans une forme de sexisme, on sait
que les femmes ont tendance à articuler de façon plus antériorisée que les
hommes. Cette locutrice, à la voix haut perchée, manifeste peut-être une
tendance à féminiser son élocution et c'est sur le phonème /o/ que se
porte le plus cette tendance.
En outre, /i/ présente une allophonie très nette entre /i/ accentué, réalisé
[i], et /i/ inaccentué, réalisé [e]. Le phonème /e/, quant à lui, est réalisé [ɘ]
avec une voyelle mi-fermée, mi-centralisée.
Une autre particularité est la suppression de yod dans un certain nombre
de formes : молян "je vais" prononcé [mo:lan], alors que les autres
locuteurs disent [mo:ljan] ou [mol(j)εn]. Ce point est étonnant et bat en
brèche l'idée que le radical de ce verbe serait *[molj] voire *[moλ].
140
Du début "Cpxкась" jusqu'à "кaк кoмoти". Voir en Annexe 5.
202
5.6.1. Mme TRZ1 : Phonèmes vocaliques
Cette locutrice oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Le corpus ne permet pas de déterminer si /εæ/ est un phonème, mais
c'est probable car cet idiolecte appartient au groupe ouest..
● Le phonème /i/
● Le phonème /e/
● Le phonème /ε/
203
● Le phonème /ɨ/ :
● Le phonème /a/
● Le phonème /εæ/
204
Lorsque /o/ accentué se réalise délabialisé [өə], il est sensiblement deux
fois plus long que /o/ inaccentué, réalisé [ə] : 150 ms pour 70 ms.
● Le phonème /u/
Dans cet idiolecte, l'opposition de /ə/ et /o/ est neutralisée en dehors des
syllabes accentuées.
205
5.7. Mme TRZ2 (Groupe Est)
Cette locutrice oppose sept phonèmes vocaliques : /i/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
En outre, on trouve la diphtongue /εæ/.
En ce qui concerne l'accentuation, cet idiolecte se rapproche de celui de
V. Lysov par le fait que les voyelles ont toutes sensiblement la même
durée. Les premières syllabes sont généralement intonées plus hautes
que les autres.
Une particularité de cet idiolecte est de sonoriser les consonnes initiales.
Par exemple, "cadeau" кaзнe réalisé avec [g]. Cette particularité est
censée être pan-mokša d'après la littérature. Dans notre corpus, c'est le
seul à le faire.
• Phonème /i/ :
• Phonème /e/ :
206
• Phonème /ε/ :
• Phonème /ə/ :
Prononciations remarquables :
- вoт [vət] "donc, voilà",
• Phonème /a/ :
• Phonème /εæ/ :
• Phonème /o/ :
207
• Phonème /u/ :
208
5.8.1. M. Vasili YELMEJEV (Est)
209
какава [kaka(:)va] "cacao"
Emprunt russe récent qui a gardé son accent.
Le deuxième /a/ a tendance à être réalisé long.
141
La composante fricative de [lɬ] est chuintante et non vélaire. Cf. l'idiolecte de V. Lysov.
210
эй(нь)пoра [ej(n)pəra] "glacier"
Dans ce dérivé, la marque du génitif est facultative.
211
Quasi-paires minimales :
Dans cet idiolecte, comme les autres du groupe Est, la lettre <ы> qui est
censée noter un "phonème" particulier correspond à /i/, tout comme <и>.
142
Nos données ne permettent pas de dire si le phonème /εæ/ existe dans cet idiolecte.
212
Tableau des Phonèmes consonantiques :
Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire
Approximante /j/
213
Dia-système
vocalique et consonantique
214
6.1. Le dia-système consonantique
Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire
Approximante /j/
215
En ce qui concerne les consonnes, tous les idiolectes présentent le même
inventaire phonologique, mais la répartition des phonèmes /s/ /ʃ/ et /ç/
n'est pas exactement la même dans tous les idiolectes. Le groupe Est a
parfois /s/ ou /ç/ là où le groupe Ouest a /ʃ/.
La distribution des phonèmes est très variable suivant les contextes et elle
présente à notre avis une valeur de diagnostic historique pour le proto-
mokša voire le proto-mordve.
Pour chaque phonème, nous avons déterminé sa fréquence dans les cent
mots du vocabulaire de base. Les données figurent en annexe 8.
Nous distinguons quatre positions :
- initiale : /k/ est initial dans /kuzmar/ "pomme de pin",
- prévocalique : /m/ est prévocalique dans /kuzmar/,
- préconsonantique : /z/ est préconsonantique dans /kuzmar/,
- finale : /r/ est final dans /kuzmar/.
• Nasales
/m/ 8 8 3 4
/n/ 2 1 3 5
216
Une hypothèse diachronique pour rendre compte de cette situation serait
que l'opposition des deux phonèmes *m et *n hérités était en partie
neutralisée dans ces deux positions où la consonne est implosive.
217
Il ne s'agit sans doute pas d'un changement *m > *n en erzia mais d'une
neutralisation entre *m et *n suivant des conditions différentes de celles
qui régnaient en mokša.
• Labiales orales
/p/ 17 2 0 0
/b/ 0 2 0 0
/f/ 1 0 2 1
/v/ 5 4 1 5
/v/ est le seul phonème labial qui est une distribution presque homogène.
/v/ est aujourd'hui voisée du fait de la présence de /f/. Mais il est probable
que ce phonème était autrefois neutre vis-à-vis du voisement, comme
peut l'être par exemple *w, dont /v/ est sans doute issu. /v/ est d'ailleurs
non-obstruent sur le plan synchronique.
Normalement, le proto-mokša comme la plupart des langues finno-
ougriennes n'admettait pas de consonnes sonores à l'initiale, ce qui
explique également la rareté de *b à l'initiale.
/f/ est bien implanté car /-f/ est le signifiant du suffixe de participe passé,
très utile143. Néanmoins, ce phonème ne paraît pas hérité.
143
L'équivalent en erzia est /-v/.
218
Dans le vocabulaire de base, /f/ apparaît en finale dans /af/ "ne pas", dont
l'équivalent erzia est /av/, qui est très certainement la forme héritée. C'est
la grande fréquence des sourdes à l'initiale des monèmes qui a dévoisé
*av + C en *af + C.
Il est fréquent en position préconsonantique et dans ce contexte /f/ semble
reposer sur *k-C. Par exemple, /kafta/ "deux" a pour correspondant en
ouralien *kikt et *kakt.
Le cas des occlusives /p/ et /b/ est intrigant car elles sont absentes des
contextes implosifs : préconsonantique et finale. Nous pensons qu'elles en
sont absentes car elles en ont disparu.
Par exemple, si on considère le cas du mot "lapin" /numəl/, les mots
ouraliens apparentés sont :
- en samoyède Yurak njawa, Yenets njaba,
- en same, njoammel.
Peut-être est-il opportun de postuler en proto-ouralien *njoP(-ma) plutôt
que *njoma ? Cela rend mieux compte des formes samoyèdes et élimine
des lacunes distributionnelles sans explication.
• Apico-alvéolaires orales
Le dia-système présente les phonèmes suivants /t/, /d/, /s/, /ts/ et /z/.
/t/ 6 6 0 1
/d/ 0 6 1 5
/s/ 12 2 2 0
/ts/ 0 1 1 0
/z/ 0 3 0 1
219
La distribution est plus répartie qu'avec les labiales.
On notera que les voisées sont inexistantes à l'initiale mais qu'elles
tendent à être plus fréquentes que les sourdes ailleurs.
Le trait sourd a en mokša une certaine valeur démarcative : très souvent
une sourde signale le début d'un nouveau signifiant.
• Palato-alvéolaires et palatales
Le dia-système présente les phonèmes suivants /ʃ/, /ʒ/, /tʃ/ /ç/ et /j/.
/ʃ/ 6 1 3 0
/ʒ/ 0 5 0 0
/tʃ/ 0 1 0 0
/ç/ 1 0 0 0
/j/ 2 1 0 5
• Latérales et vibrantes
220
Nombre d'occurences des latérales et vibrantes
dans le vocabulaire de base
/l/ 6 5 7 8
/ɬ/ 0 0 1 0
/r/ 1 3 2 6
/ř/ 0 0 0 0
Le phonème /l/ est sans doute l'un des mieux répartis d'entre tous.
C'est presque vrai de /r/ qui est plus rare, spécialement à l'initiale.
Le phonème /ɬ/ est suffisamment fréquent pour apparaître dans le
vocabulaire de base, ce qui n'est pas le cas de /ř/.
• Vélaires
/k/ 17 6 6 0
/g/ 0 3 0 0
/x/ 0 0 0 0
La répartition est très déséquilibrée. Le phonème /x/ est trop rare pour
apparaître dans le vocabulaire de base.
La rareté du phonème voisé /g/ par rapport à /k/ est beaucoup plus forte
que celle de /d/ par rapport à t/, ce qui ne se laisse pas expliquer.
221
6.3. Distribution des traits consonantiques
/m/ /n/ 10 9 6 9
/ts/ /tʃ/ 0 2 1 0
222
6.4. Le dia-système vocalique
centrales antérieures
postérieures
(non arrondies) (non arrondies)
Suivant les locuteurs, on rencontre /ə/ ou /ɨ/ ou les deux en même temps.
Les voyelles postérieures /o/ et /u/ sont également arrondies. Les voyelles
centrales et antérieures sont non arrondies.
223
Certains phonèmes sont équivalents : /u/ /o/ /a/ /εæ/ apparaissent de
façon prévisible dans tous les idiolectes dans les mêmes signifiants. Nous
n'avons pas la certitude que tous les idiolectes présentent /εæ/.
Le groupe Est présente des exemples de /i/ là où on attendrait /e/ d'après
l'autre groupe. A cette réserve près, la plupart des /e/ et des /ε/
correspondent d'un groupe à l'autre.
La divergence principale concerne les phonèmes centraux (non arrondis)
/ə/ et /ɨ/. Il est fréquent que /ɨ/ du groupe Ouest corresponde dans l'autre
groupe à /i/. Dans un monème particulier, ванды "demain", [vandɨ]
correspond à [vandε].
Bien que nos idiolectes soient censés appartenir à un dialecte unique dit
central, ils présentent des écarts non négligeables à plus d'un titre. La
partie la plus stable du dia-système est constituée par /a/, /o/, /u/ et /εæ/.
224
6.5. Comparaison avec d'autres langues finno-permiennes
centrales antérieures
postérieures
non arrondies non arrondies
ouverte /a/
centrales antérieures
antérieures
postérieures non non
arrondies
arrondies arrondies
144
D'après (Sinor, 1988, The Uralic Languages).
145
D'après (Sinor, 1988, The Uralic Languages).
146
Uniquement dans le dialecte ouest (dit Mari des plaines).
147
Uniquement dans le dialecte nord-ouest.
225
Le système du tcheremisse est plus éloigné car il présente une série de
plus : antérieure arrondie. Cette série se retrouve dans les dialectes
fenniques et en finnois en particulier.
antérieures antérieures
postérieures
non arrondies arrondies
centrales antérieures
antérieures
postérieures non non
arrondies
arrondies arrondies
148
Sans tenir compte de l'opposition brève ~ longue.
149
Sans tenir compte de l'opposition brève ~ longue ~ sur-longue.
150
Ce phonème est réalisé plus postérieur que /ə/.
226
6.6. La différence entre son et phonème
Dans l'idiolecte de V. Lysov, /ə/ est un phonème qui apparaît dans tous les
contextes, sauf peut-être en finale absolue (non attesté). Par exemple,
шeep [šəjər] "souris". [ɨ] est l'allophone de /e/ en finale absolue.
Dans celui de TRZ 1, [ə] est l'allophone non accentué de /o/. /ɨ/ est un
phonème.
Le statut phonologique des réalisations [ə] et [ɨ] peut servir à classer plus
finement les idiolectes. On peut distinguer d'après ce critère :
- Mokša
- centralna Est :
- /ə/ existe ; /ɨ/ n'existe pas : V. Lysov, V. Yelmejev, TRZ 2151,
- centralna Ouest :
- /ə/ et /ɨ/ existent : A. Yeriomkin, L. Zotova, TRZ 1,
151
Certaines caractéristiques de cet idiolecte, en particulier le voisement des initiales,
incitent d'ailleurs à le séparer des deux autres idiolectes de V. Lysov et V. Yelmejev.
227
6.7. La structure syllabique et les affriquées
Nous avons admis que les voyelles et les consonnes se combinent pour
former des syllabes.
Le mokša ne rechigne pas devant l'accumulation de consonnes, comme
dans панчф [pantʃf] "fleur, floraison". Les aggrégats incluent généralement
une fricative -s-, -š- ou -f- comme consonne médiane ou finale.
La plupart des lexèmes monosyllabiques sont du type #CvC# ou #CvCC#.
Une dizaine seulement de noms présentent le type #Cv# ou #CCv#. Cette
structure courte est beaucoup plus courante dans les verbes. Les lexèmes
de type #CCvCC# ne sont pas rares et on rencontre même -vCCCC#, du
fait de suffixes ajoutés à une base déjà longue comme dans панчф
[pantʃf] "fleur, floraison".
228
- #CCvCCC# : кранч [krantʃ] "corbeau",
- #CvCCCC# : панчф [pantʃf] "fleur",
- #CCCvCCC# : чофкс [tʃjofks] "rossignol",
229
La situation n'est pas la même pour [ts] [ks] [tʃ] [kʃ] qu'on peut interpréter
comme la réalisation de phonèmes affriqués.
Les arguments dans ce sens sont les suivants :
- leur distribution ne diffère pas de celle des phonèmes simples. Ils
apparaissent en toute position.
- leur fréquence est comparable à celle des phonèmes simples.
- postuler des affriquées régularise la structure syllabique.
- /ts/ peut se réaliser /tθ/ ou /θ/, différant ainsi de la séquence /t/ + /s/.
152
Prononciation d'après V. Lysov.
230
Le statut des phonèmes éventuels /ks/ et /kʃ/ est plus délicat mais en leur
accordant le statut de phonème, on simplifie la structure syllabique du
mokša. Les séquences [ts] [tʃ] [ks] [kʃ] sont fréquentes et elles comptent
pour une seule position dans le gabarit syllabique #CCv-.
En résumé, si on admet que des affriquées hétéro-organiques puissent
être des phonèmes, alors le mokša possède deux affriquées
supplémentaires /ks/ et /kʃ/.
Les phonèmes /ts/ /tʃ/ /ks/ /kʃ/ sont fréquents. Les séquences [ps] et [pʃ]
sont en revanche rares. Il n'existe que quelques mots où on les rencontre.
Elles sont rares à l'initiale et elles ne se rencontrent pas dans certaines
situations critiques comme les exemples ci-dessus. Elles semblent
résulter du contact entre une base radicale et un suffixe.
231
Par ailleurs, il ne faut pas se laisser abuser par l'habitude graphique de ne
pas noter par écrit [ə] en syllabe initiale :
- пчкамс [pətʃkams] "guérir"
- пцкай [pətskaj] "presque" (Cf. russe пoчти)
Notre conclusion est que les séquences [ps] et [pʃ] doivent être considérés
comme la réalisation de deux phonèmes successifs.
153
Information donnée par O. Kazanin.
232
6.9. Les consonnes centre de syllabe
Les consonnes non-obstruentes /r/ /l/ /ř/ /ł/ sont parfois amenés à jouer le
rôle d'une voyelle ou de l'élément le plus vocalisable quand elles se
trouvent entre deux consonnes.
Par exemple :
- кълдома /kldəma/ "gorge"
- нлнe /nlnε/ "même"
- пълхтамc /pɬtams/ "brûler"
- вpьгaз /vrgaz/ "loup"
- пypxцe /přtsε/ "cochon"
233
Le mokša manifeste donc une forme de contamination articulatoire des
consonnes par les voyelles. Ce phénomène qui ne semble pas choquer
les locuteurs n'est pas décrit dans la littérature sur le mokša.
Ce phénomène a son pendant en erzia mais pour les voyelles antérieures.
En erzia, les consonnes en contact avec /e/ ou /i/ sont palatalisées. Par
exemple, seul [k'ed'] est possible. **[ked'] ou **[k'ed] sont impossibles. En
erzia, la contamination est palatalisante et concerne les voyelles
antérieures. En mokša, on constate un phénomène inverse. Ce sont les
voyelles postérieures arrondies qui tendent à propager leur trait arrondi
sur leur environnement. L'autre différence est que ce phénomène est
sporadique en mokša alors qu'en erzia il est obligatoire.
234