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Phonologie

Cadre théorique
4.1. La communication

Notre intention est pratique plus que théorique : décrire une langue, en
l'occurrence le mokša, et, plus précisément encore, certains idiolectes du
dialecte centralna de cette langue. Cet objectif concret ne dispense pas
d'une réflexion théorique sur le bien-fondé épistémologique de notre façon
de procéder et sur les concepts auxquels nous recourons.

Toute activité d'accumulation de connaissances scientifiques suppose une


démarche réflexive1 sur la légitimité des opérations et des concepts
utilisés et la mise au jour des principes explicites sur lesquels repose cette
activité. C'est ce que dit Ferdinand de Saussure (1857-1913) :

"La tâche de la linguistique sera :


a) de faire la description et l'histoire de toutes les langues qu'elle pourra
atteindre, [...]
c) de se délimiter et se définir elle-même."2

Notre travail s'incrit dans la tradition de la linguistique descriptive et le


cadre de référence, que nous avons retenu, est le structuralisme, c'est-à-
dire les différents mouvements linguistiques se réclamant en premier lieu
de Saussure et de Troubetzkoy, comme cela apparaîtra progressivement
au fil des pages et des exemples développés.

Plusieurs phénomènes fondamentaux sont liés entre eux : communication,


langue, locuteur. Les langues existent parce que les locuteurs les utilisent
afin de communiquer entre eux. A l'inverse, la communication entre
locuteurs passe par la production d'énoncés auxquels ils attribuent un
sens. L'existence des locuteurs, de leurs productions vocales et du sens
attribué par eux à ces productions est en amont de la description.

1
au sens de "qui se prend elle-même comme objet de réflexion".
2
CLG, 1967 (1ère éd 1916), p.20.

81
La principale fonction des langues est de permettre la communication
entre les différents locuteurs et l'échange de faits ou d'expériences
vécues. Ce n'est pas la seule fonction des langues et ce n'est pas la seule
façon de communiquer. On peut aussi siffler ou faire des gestes. Mais il
n'en reste pas moins que les langues, de par leur structure doublement
articulée, sont des instruments particulièrement efficaces. Il ne semble pas
exister d'autre exemple d'un instrument de communication aussi puissant
dans le reste du règne animal.
Contribue à l'interaction linguistique tout ce qui constitue une information
et un choix et qui est produit par les locuteurs : choix de tel ou tel
monème, choix de tel ou tel phonème.
Le corollaire de la communication est la pertinence, à savoir la capacité à
permettre cet échange d'informations et ce choix :

"§ 2-5 La pertinence


"[...] Toute description sera acceptable à condition qu'elle soit cohérente,
c'est-à-dire qu'elle soit faite d'un point de vue déterminé. Une fois ce point
de vue adopté, certains traits, dits pertinents, sont à retenir : les autres,
non pertinents, doivent être écartés résolument. [...]
Les éléments retenus sont ceux qui, dans le contexte où on les trouve,
auraient pu ne pas figurer, ceux donc que le locuteur a employés là inten-
tionnellement et auxquels l'auditeur réagit parce qu'il y reconnaît une
intention communicative de son partenaire. En d'autres termes, seuls les
éléments porteurs d'informations sont pertinents en linguistique [...]"3

Il faut sans doute entendre par "intentionnellement" qu'un choix est opéré
entre plusieurs unités possibles. Ce mot est très fort. Il appelle sans doute
à être modulé.

"Toute communication implique une transmission d'information, même si


l'on ne saurait la réduire à cette seule fonction. Or, pour qu'il y ait
information, il faut que les éléments s'opposent les uns aux autres, ce qui

3 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.31. Les passages en gras sont de Martinet.

82
entraîne un choix de la part du locuteur ; mais cela ne signifie nullement
qu'il s'agit d'un choix conscient." 4

4.2. Signe, Signifiant et Signifié

Les messages que s'échangent les locuteurs sont constitués de


monèmes, à savoir d'unités linguistiques à deux faces : un signifié5 de
nature sémantique et un signifiant6 de nature phonologique.
Nous adhérons à la conception de la langue comme étant avant tout un
outil de communication de nature vocale présentant deux articulations7, à
savoir : une première articulation en monèmes doués à la fois d'un sens
(ou signifié) et d'une expression phonique (ou signifiant), et une deuxième
articulation en phonèmes, qui sont des unités phonologiques dépourvus
de sens et constituant le signifiant des monèmes.

Le lien intime entre le sens et l'expression qui caractérisent les monèmes,


ou encore, de façon plus technique, entre signifié et signifiant remonte à
Saussure :

"Le phénomène linguistique présente perpétuellement deux faces qui se


correspondent et dont l'une ne vaut que par l'autre."8

"Nous appelons signe la combinaison du concept et de l'image acoustique


[...] nous proposons de conserver le mot signe pour le total, et de
remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et
signifiant."9

4
"Le fonctionnalisme d'André Martinet", par Colette Feuillard in La Linguistique, vol. 37,
fasc. 1/2001, p.7.
5
Les signifiés sont écrits entre " ".
6
Les signifiants, lorsqu'ils sont graphiques au lieu d'être vocaux, sont écrits entre < >.
7 ère
Cf. ELG, 1997 (1 ed 1960), p.20.
8 ère
CLG, 1967 (1 ed 1916), p.23.
9 ère
CLG, 1967 (1 ed 1916), p.99.

83
Cette définition de Saussure est héritée d'une longue tradition comme le
rappelle Roman Jakobson (1896-1982) :

"La définition médiévale du signe - aliquid stat pro aliquo10 - que notre
époque a ressuscitée, s'est montrée toujours valable et féconde. C'est ainsi
que la marque constitutive de tout signe en général, du signe linguistique
en particulier, réside dans son caractère double : chaque unité linguistique
est bipartite et comporte deux aspects, l'un sensible et l'autre intelligible -
d'une part le signans (le signifiant de Saussure), d'autre part le signatum (le
signifié." 11

André Martinet (1908-1999) décrit par l'exemple ces concepts de signe, de


signifié et de signifiant :

"Un énoncé comme j'ai mal à la tête ou une partie d'un tel énoncé qui fait
un sens, comme j'ai mal ou mal, s'appelle un signe linguistique. Tout signe
linguistique comporte un signifié, qui est son sens ou sa valeur, et qu'on
notera entre guillemets ("j'ai mal à la tête", "j'ai mal", "mal"), et un signifiant
grâce à quoi le signe se manifeste, et qu'on présentera entre barres
obliques (/ž e mal a la tet/, /ž e mal/, /mal/)."12

La description linguistique implique d'étudier l'articulation entre le sens et


les productions vocales, qui s'opère par le biais de signes linguistiques à
deux faces.

10
Quelque chose qui représente quelque chose (d'autre).
11
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.162.
12 ère
ELG, 1997 (1 éd 1960), p.15.

84
• Arbitraire du signe

Il convient de distinguer la double articulation d'un autre concept :


l'arbitraire du signe, c'est-à-dire l'absence de lien nécessaire entre le
signifiant et le signifié :

"Le lien unissant13 le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque


nous entendons par signe le total résultant de l'association d'un signifiant et
d'un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est
arbitraire." 14

ll n'y a pas de raison que le signifié "pain" soit associé au signifiant [pẽ]
plutôt qu'à [bred] (en anglais), ni que "boeuf" soit associé à [bœf] plutôt
qu'à [ɔks] (en allemand). Naturellement, l'association entre un signifié et
un signifiant donnés se réalise au sein d'un signe linguistique, ce qui
permet à toute langue de fonctionner. Mais ce lien est conventionnel.
Certains termes sont (perçus comme étant) plus expressifs ou
onomatopéiques que d'autres et trouvent une partie de leur origine dans la
réalité qu'ils décrivent, comme par exemple l'oiseau nommé <coucou>
d'après son cri. D'une certaine manière, on pourrait dire que l'arbitraire du
signe est un concept asymptotique : une situation vers laquelle tendent les
langues sans l'atteindre tout à fait.

• La notion de valeur

Dans l'approche des premiers structuralistes, le signifiant et le phonème


étaient définis de façon très psychologisante :

Le signe linguistique unit non pas une chose et un nom, mais un concept et
une image acoustique. Cette dernière n'est pas le son matériel, chose
purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son. [...]

13
Le texte original du CLG présente une coquille <uni-sss-ant>.
14
CLG, p.100.

85
Le caractère psychique de nos images acoustiques apparait bien quand
nous observons notre propre langue. Sans remuer les lèvres ni la langue,
nous pouvons nous parler à nous-mêmes et réciter mentalement une pièce
de vers." 15

Cette conception remonte directement à Baudoin de Courtenay :

"Phonème (grec φωνη, φωνηµα "voix") est un terme linguistique : une unité
phonétique psychique vivante. Tant que nous avons affaire à la parole ou à
l'audition, actions passagères, le terme "son" nous suffit. [...]
Mais si nous nous mettons au niveau de la langue réelle, niveau qui existe
de façon ininterrompue psychiquement, seulement comme un monde de
représentations, la notion de son ne nous suffit plus et nous cherchons un
autre terme pour l'équivalent psychique du son. Ce terme c'est celui de
phonème." 16

Les actes du Premier congrès international des linguistes en 1928 parlent


des phonèmes comme étant des images acoustico-motrices. C'est une
conception tripolaire du phonème qui est proposée. La phonologie se situe
au point de rencontre de l'intellect (images), de l'acoustique (acoustico-),
et de l'anatomie (-motrices).
Le pendant du trait distinctif est le geste, défini par rapport au mouvement
réalisé par un organe de la bouche. Traits et gestes ont en commun de
permettre la communication entre les locuteurs et ils ont donc une valeur.
La notion de valeur est un concept présent chez Whitney qui a été reprise
par Saussure.

"La langue n'a en fait pas d'existence sauf dans les esprits et dans les
bouches de ceux qui les utilisent : elle est faite de signes de pensée
séparés et articulés, dont chacun est relié par une association mentale à
l'idée qu'il représente, est articulé par un effort volontaire et prend sa valeur

15
CLG, p.98.
16
Baudoin de Courtenay (1963, t.1.p.351). L'original en polonais date de 1899.

86
et son pouvoir d'échange par le seul accord des locuteurs et des
auditeurs." 17

Chez Whitney, la valeur est presque fiduciaire. Les signes sont comme
des pièces de monnaie, que les locuteurs s'échangent.
Saussure a développé cette idée mais sous un angle essentiellement
systémique et relatif.

"Pour se rendre compte que la langue ne peut être qu'un système de


valeurs pures, il suffit de considérer les deux éléments qui entrent en jeu
dans son fonctionnement : les idées et les sons. [...]
Les valeurs restent entièrement relatives, et voilà pourquoi le lien entre
l'idée et le son est radicalement arbitraire.
A son tour, l'arbitraire du signe nous fait mieux comprendre pourquoi le fait
social peut seul créer un système linguistique. La collectivité est nécessaire
pour établir des valeurs dont l'unique raison d'être est dans l'usage et le
consentement général."18

Dans la suite de ce chapitre, nous examinerons les textes et les concepts


de plusieurs auteurs et nous étudierons sous quelles acceptions ces
linguistes recourent à certains termes fondamentaux comme phonologie,
phonème et trait (distinctif) afin de préciser quelle sera notre approche
pour décrire le mokša.

17
Whitney, 1884, Language and the Study of Language, p.35.
18
CLG, p.155-7.

87
4.3. Phonétique et Phonologie

Deux disciplines étudient les sons du langage :


- la phonétique,
- la phonologie.
Elles sont intimement liées et complémentaires mais elles portent sur les
phénomènes vocaux un regard et une analyse dont il est essentiel de
mesurer et de comprendre les différences.

La phonologie est une branche de la linguistique qui a pris son essor au


1er Congrès international des linguistes de La Haye en 1928. Elle se
donne pour objet d'étude les sons, comme la phonétique, mais par rapport
à leur capacité à assurer, dans une langue donnée, la communication
linguistique et à être le support formel des unités lexicales et donc de
significations différentes. Auparavant, les mots phonétique et phonologie
étaient synonymes19. Ce congrès a acté une différence de points de vue
entre les deux termes en fondant deux disciplines séparées.

• La phonétique

L'objet de la phonétique est avant tout acoustique et articulatoire et


répond à la question :

"Comment prononce-t-on ceci et cela ? Et l'on ne peut répondre à cette


question qu'en indiquant avec précision quel est le son de ce qui a été dit
(ou en termes physiques quels tons partiels, quelles ondes sonores, etc.
présente le complexe phonique en question) et comment, c'est-à-dire par
quel travail de l'appareil phonatoire, cet effet acoustique est atteint."20

19
Voir Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.9-10. pour une brève histoire des
relations entre ces deux termes.
20
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.10.

88
En outre :

"Les méthodes de la phonétique sont exactement celles des sciences


naturelles."
"Ce qui caractérise particulièrement la phonétique, c'est qu'en est exclu
tout rapport entre le complexe phonique étudié et sa signification
linguistique."21

Toute considération de pertinence linguistique dans la communication est


en dehors du périmètre de la phonétique. A l'inverse, la phonologie a pour
objet d'étude les faits phoniques mais par rapport à leur capacité à être
distinctif dans le cadre d'un signifiant de monème. En cela réside la
différence fonctionnelle essentielle.

• La pertinence phonologique

Les caractéristiques des sons qui possèdent la capacité fonctionnelle de


permettre la communication linguistique sont dites pertinentes. Les autres
caractéristiques, même si elles sont manifestes sur le plan phonétique et
acoustique, ne sont pas pertinentes.
L'anglais comme le hindi présentent des réalisations sourdes aspirées et
sourdes simples. En hindi, [phəl] "fruit" s'oppose à [pəl] "moment". Dans
cette langue, le hindi, l'aspiration est pertinente : on entend par là que le
changement de forme liée à l'aspiration entraîne un changement de sens.
L'aspiration est pertinente et c'est en hindi un trait distinctif. En anglais, la
situation est différente. Les occlusives sourdes comme /t/ sont réalisées
avec aspiration à l'initiale absolue [th] et sans aspiration dans les autres
contextes [t]. Par exemple /tit/ "sein" et /ten/ "dix" se réalisent [thit] et [then].
Cette aspiration n'est pas pertinente même si elle est audible22. Elle
n'entraîne pas de différence de sens en anglais. Ce qui est pertinent dans

21
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.11.
22
Elle a néanmoins une valeur démarcative, puisque seules les consonnes à l'initiale
absolue sont aspirées. La démarcation concerne les informations sur le début ou la fin
des signifiants. Troubetzkoy parle de 'délimitation'. Voir Troubetzkoy, Principes de
phonologie, p.31.

89
cette langue est l'absence de voisement de /t/ qui s'oppose à /d/ : /ten/
[then] s'oppose à <den> [den] "tanière".
En anglais, le voisement est pertinent et distinctif, alors que l'aspiration
n'est ni l'un ni l'autre. On appelle variantes positionnelles les réalisations
phonétiques d'un phonème donné dans les différents contextes où il
apparaît. En anglais (britannique)23, le phonème /t/ se réalise :
- [th] à l'initiale absolue, comme dans <tit> /tit/ [thit] "sein",
- [t] ailleurs, comme dans <stutter> /stətə/ [stʌtə] "bégayer".
En anglais (britannique), le phonème /d/ se réalise toujours [d] et n'a donc
pas de variante positionnelle.

Ce qui est pertinent dans la communication est différent d'une langue à


l'autre. Ce qui est variante positionnelle d'un phonème /t/ unique en
anglais est réalisation de phonèmes différents en hindi où /th/ et /t/
s'opposent.

En français, le phonème /r/ possède une grande variété de réalisations,


[ʁ] [ʀ], parfois [x] voire même apicale [r]. <rare> /rar/ "rare" peut être
réalisé [ʁaʁ] [ʀaʀ] [ʀaʁ] ou [xaʁ] ou [rar] sans que le sens ne change. Ces
réalisations diverses sont des variantes libres d'un phonème unique.
On parle de variantes libres lorsqu'un phonème peut se réaliser de
différentes manières que les locuteurs sont libres d'utiliser à leur guise. Le
changement de forme n'entraîne aucun changement de sens. C'est de
cette façon qu'on reconnaît des variantes libres. Elles sont substituables
entre elles.

Une étude phonologique n'a de sens que dans le cadre d'une langue
donnée. Dans d'autres langues que le hindi comme le chinois mandarin,
l'aspiration des occlusives est pertinente : /th/ s'oppose à /t/, contrairement
à ce qui se passe en anglais.

23
La situation n'est pas tout à fait la même dans les autres variétés d'anglais. Nous nous
référons spécialement à la norme de la RP (Received Pronunciation).

90
Par exemple en mandarin, avec la notation des tons24, /tha213/ 's'écrouler'
s'oppose à /ta213/ 'frapper' par la seule aspiration de l'initiale. A l'inverse,
en mandarin, le voisement (éventuel) n'a aucune pertinence. Les locuteurs
de mandarin ont d'ailleurs des difficultés pour acquérir l'opposition voisée
~ non voisée de l'anglais ou du français qu'ils ne pratiquent pas dans leur
propre langue.

• Les phonèmes

Chaque langue fait un usage spécifique des particularités phonétiques. La


valeur distinctive des faits phonétiques ne prend effet que par rapport à
leur pertinence dans la communication au moyen d'une langue donnée.
De la notion de pertinence découle la notion de phonème et de trait
distinctif, qui sont les deux concepts fondamentaux de la phonologie.
La façon la plus naturelle et la plus logique de décrire la phonologie est à
notre avis de faire une historiographie de cette discipline. Car les idées et
théories actuelles sont héritières de leurs devancières.
Dans l'approche initiale de Troubetzkoy25,
un phonème, dans une langue donnée, est une somme :
- de caractéristiques appelées traits :
- se réalisant phonétiquement et simultanément,
- pertinentes, sur le plan de la communication,
- ne pouvant pas être analysée en un ensemble encore plus petit,

"Ces unités phonologiques qui, au point de vue de la langue en question,


ne se laissent pas analyser en unités phonologiquement encore plus
petites et successives, nous les appellerons des phonèmes. Le phonème
est donc la plus petite unité phonologique de la langue étudiée. La face
signifiante de chaque mot existant dans la langue se laisse analyser en
phonèmes et peut être représentée comme une suite déterminée de
phonèmes".26

24
Le parcours mélodique des tons est noté d'après la graduation standard de 1 (bas) à 5
(haut).
25
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.39-40.
26
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.37-38.

91
Troubetzkoy a eu deux continuateurs majeurs : André Martinet et Roman
Jakobson, qui ont conceptualisé les notions de phonème et de trait de
façon différente. Jakobson est historiquement le premier mais Martinet est
resté plus proche de l'approche initiale et nous commençons par lui.
Martinet postule que "les phonèmes sont des unités segmentables et
discrètes, se présentant dans chaque langue en nombre restreint et fini,
destinées à constituer, seules ou en se combinant en une succession, les
signifiants, et par là, à distinguer les monèmes"27. Cette définition appelle
quelques commentaires.
Le mot discret doit être pris dans son sens mathématique. Les phonèmes
sont distincts les uns des autres, comme les nombres entiers, en ce sens
qu'aucun phonème n'est un peu ou à moitié /p/ ou /m/. Il est /p/ ou /m/ ou il
est un autre phonème28. L'insistance sur le nombre restreint et fini est un
peu pléonastique, car si ce nombre est restreint, il est a fortiori fini, c'est-à-
dire en pure logique mathématique non-infini29.
Le mot segmentable est un peu étrange. Il ne renvoie pas à l'idée que les
phonèmes pourraient être segmentés en éléments plus petits, ce qui
serait absurde par construction, mais au fait que les phonèmes se
réalisent successivement et forment une chaîne qui est - quant à elle -
segmentable. Pour la clarté de la définition, il serait opportun de déplacer
ce mot pour dire succession segmentable. Ou alors le recours à un
adjectif décrivant un contour clair mais sans suggérer une division
possible des phonèmes en éléments plus petits serait meilleur. Dans le
vocabulaire technique, on pourrait par exemple suggérer "détourable",
"isolable"30 ou "bornable". Une autre idée serait de parler de "succession
linéairement ordonnée". Enfin, au lieu de segmentable, segmental est
possible.

27
Martinet (dir) (1969, p.280). La définition de Builles est proche de celle de Martinet :
"Un phonème est une unité distinctive segmentable minimale constituée d'un ensemble
de traits pertinents qui se réalisent simultanément. Il en résulte qu'identifier un phonème
c'est énumérer tous les traits pertinents qui le différencient des autres phonèmes de
l'idiolecte étudié." Builles (1996, p.191).
28
En mettant de côté le cas éventuel des neutralisations entre phonèmes.
29
sauf à utiliser 'fini' comme un synonyme abusif de 'petit' (nombre).
30
Ce terme semble avoir la préférence de Mme Feuillard.

92
D'une certaine façon, Martinet est plus proche de la lettre et de l'esprit de
Troubetzkoy que Jakobson et recourt à une approche du phonème défini
comme unité systémique qui se dégage par commutation31 en un point
donné de la chaîne parlée. Martinet a une vision segmentale du phonème
considéré comme un tout, qui est caractérisé ou défini dans un deuxième
temps par des traits distinctifs prenant leur valeur à l'intérieur du système
décrit.

"Un phonème peut être considéré comme un ensemble de traits pertinents.


Pour définir chaque phonème il conviendra donc d'énumérer tous les traits
32
pertinents qui le caractérisent".

Dans l'approche de l'autre continuateur majeur de Troubetzkoy, Jakobson,


l'accent est mis sur le fait que les phonèmes sont analysables en éléments
plus petits que les phonèmes, à savoir en traits distinctifs. L'approche de
Jakobson aboutit à faire des traits les éléments premiers de la description
phonologique.

"Chaque langue possède un système de traits distinctifs, groupés selon


certaines règles en faisceaux et en séquences ; tous ces moyens servent à
distinguer des mots de significations différentes".33

L'approche de Jakobson constitue une rupture par rapport à Troubetzkoy,


car il est clair que seuls les phonèmes constituent un système chez le
fondateur de la phonologie :

"La définition du contenu d'un phonème dépend de la place qu'il occupe


dans le système des phonèmes dont il s'agit, c'est-à-dire en dernière
analyse des autres phonèmes auxquels il est opposé. Un phonème peut
donc recevoir parfois une définition purement négative".34

31
ou permutation (dans la terminologie de Troubetzkoy).
32
Martinet, 1956, La description phonologique, avec application au parler franc-provençal
d'Hauteville (Savoie), p.80.
33
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.171.
34
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.69.

93
Notons au passage que Troubetzkoy utilise le terme contenu pour les
phonèmes, ce que Martinet n'a jamais fait, semble-t-il.
Chez Jakobson, la notion de phonème devient un concept dérivé de la
notion de trait. Le phonème est défini comme étant un assemblage35 de
traits. Le rapport entre trait et phonème est inversé entre Martinet et
Jakobson. Le premier a une vision segmentale alors que le second a une
conception moléculaire du phonème.

"Le phonème, comme un accord en musique, peut être décomposé36 en


éléments plus petits et simultanés : c'est pourquoi j'ai proposé37 de définir
le phonème comme un ensemble (set) ou un faisceau (bundle dans la
terminologie de Bloomfield) de traits distinctifs (ou "éléments différentiels"
au sens de Saussure38). Par exemple, au phonème français /b/, on peut
substituer - dans une série de mots tels que bu, pu, vu, mu, etc. - les
phonèmes /p/, /v/, /m/, etc. /b/ est voisé par opposition à /p/, occlusif par
opposition à /v/, oral (non nasal) par opposition à /m/, etc. En analysant de
cette façon la valeur différentielle du phonème français /b/, nous
établissons son contenu39 linguistique : voisement, occlusion, oralité, etc."40

A première vue, Martinet et Jakobson s'inscrivent dans la même tradition


héritée de Saussure et de Troubetzkoy et utilisent la même méthode : la
commutation41 et les mêmes termes : phonème et trait. Mais la mise en
œuvre est différente. Pour Martinet, un phonème est une unité
segmentale qui est caractérisée par les traits qui la distinguent des autres
unités appartenant au même système. Pour Jakobson, un phonème est
un assemblage de traits qui forment le contenu de ce phonème. La
phonologie depuis une trentaine d'années a surtout développé le
deuxième point de vue.

35
A bundle : un ensemble de choses attachées. Ce terme est aussi traduit par 'faisceau'.
36
Jakobson utilise également le terme 'désintégré'.
37
In Jakobson, 1932, Ottúv slovnik naučný, Suppl. Vol.2, Prague, p.608.
38
Cf. (CLG, p.83).
39
Ce mot est le plus important à notre avis : pour Jakobson, un phonème a un contenu et
non une description.
40
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.165.
41
Néanmoins, Jakobson n'explique pas comme mettre en oeuvre la commutation si on
prend comme unité de base le trait et non le phonème. Cette question existe aussi dans
les théories de type générativiste ou auto-segmental.

94
• Approche universelle ou particulière

Il existe encore une différence importante entre ces deux linguistes. Pour
Martinet, le phonème est décrit, caractérisé ou défini42 par des traits qui
prennent leur valeur à l'intérieur du système d'une langue considérée.
Dans ce cadre, un trait phonologique doit être compris en un sens
essentiellement oppositionnel en relation avec les autres phonèmes d'un
système particulier. C'est le point de vue développé par Troubetzkoy.
La nature diverse, changeante, évolutive et variable des phénomènes
linguistiques est d'ailleurs une idée qui revient souvent chez Martinet et il
précise juste après sa définition de la langue :

"Rien n'est proprement linguistique qui ne puisse différer d'une langue à


une autre ; c'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'affirmation que les
faits de langue sont "arbitraires" ou "conventionnels".43

Un autre livre de Martinet, consacré au franco-provençal, commence


même par cette phrase :

Décrire une langue c'est proprement indiquer ce en quoi cette langue


diffère de toutes les autres connues, existantes ou possibles. Restera en
dehors de la description tout ce que cette langue a nécessairement en
commun avec toutes les autres langues".44

Pour Jakobson, l'analyse des phonèmes en traits a pour but explicite de


définir les phonèmes de façon intrinsèque à la manière du tableau
périodique des éléments chimiques de Mendeleïev45.

"Il est donc possible de désintégrer tous les phonèmes de n'importe quelle
langue en traits distinctifs eux-mêmes indivisibles. Le système des
phonèmes (ou, comme disait Sapir "le système des atomes symboliques")

42
Ces trois termes se rencontrent sous la plume de Martinet.
43 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.21.
44
Martinet, La description phonologique, avec application au parler franco-provençal
d'Hauteville (Savoie), p.11.
45
On ne sait pas si Jakobson, émigré russe, s'est senti l'émule de Mendeleïev.

95
est réductible à un réseau de quelques traits distinctifs (à un système,
pourrait-on dire, de particules élémentaires) : le parallélisme est complet
avec l'évolution récente des concepts en physique. En déterminant de la
sorte la composition intrinsèque d'un phonème, [...]."46

Dans cette déclaration faite à Paris en 1948 au VIe Congrès International


des Linguistes, Jakobson considère que tout phonème est décomposable
- il dit même dés intégrable - en traits distinctifs élémentaires intrinsèques.
Dans cette approche, le trait n'est pas seulement un concept premier, il
est postulé comme étant préexistant et indépendant de tout système
phonologique.
Tout le programme heuristique de la phonologie de ces cinquante
dernières années tourne autour de la problématique des traits distinctifs et
de leur organisation en tant que constituants ou descripteurs des
phonèmes.
A propos des traits distinctifs Jakobsoniens et des constituants ultimes,
voici ce que dit Roger Lass :

"La phonologie requiert des primitives plus petites que le segment ; ceci est
très clair. Mais quels sont ces composants "atomiques", et quel rôle jouent-
ils dans la description et la théorie ?
Le point de vue le plus fréquemment rencontré est qu'un système de traits
est une sorte "d'alphabet universel" pour la description phonologique - un
inventaire de composants disponibles pour que les langues puissent former
leurs systèmes phonologiques et pour que nous puissions les décrire." 47

Poussée au bout de sa logique atomiste et assembliste, cette démarche


fait des traits des entités ontologiquement et épistémologiquement
extrinsèques aux phonèmes. Les traits préexistent aux phonèmes, qui
n'en sont que des assemblages.

46
Jakobson, 1963, Essais de linguistique générale, p.165.
47
Lass, 1984, Phonology, p.75. "Phonology requires primitives smaller than the segment;
this much is clear. But what are these "atomic" components, and what part do they play in
theory and description ? The most generally held view is that a feature system is a kind of

96
• Phonèmes et réalisations de phonèmes

Les phonèmes sont des ensembles de traits qui se réalisent simultané-


ment, pour un même phonème, et successivement, quand deux
phonèmes se suivent dans un signifiant.

"Le courant sonore continu d'un acte de parole réalise ou symbolise une
suite déterminée de phonèmes. A des points déterminés de ce courant
sonore on reconnaît les particularités phoniques phonologiquement
pertinentes qui caractérisent les différents phonèmes dont la suite
correspond à cet acte de parole. Chacun de ces points peut être considéré
48
comme la réalisation d'un phonème particulier."

Un phonème n'est pas un son49 et nous verrons que la même réalité


sonore ne correspond pas aux mêmes phonèmes pour les différents
locuteurs mokšas.

"Chacun des sons concrets produits et perçus dans l'acte de parole


comporte, outre des particularités phonologiquement pertinentes,
beaucoup d'autres particularités non pertinentes au point de vue
phonologique. Par conséquent, aucun de ces sons ne peut être considéré
simplement comme un phonème. Mais dans la mesure où l'un de ces sons
contient les particularités phonologiquement pertinentes d'un phonème
déterminé, il peut être considéré comme une réalisation de ce phonème." 50

L'étude de la phonologie d'une langue comprend donc deux descriptions


distinctes : celle des phonèmes et celle de leurs réalisations phonétiques.
La description des idiolectes mokšas comportera deux parties : l'étude
phonologique des systèmes idiolectaux puis celle des réalisations
phonétiques des phonèmes.

"universal alphabet" for phonological description - an inventory of components available


to languages for building their phonologies, and to us for describing them."
48
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.40.
49
ou un <phone> comme on peut dire en anglais.
50
Troubetzkoy, Principes de phonologie, p.39.

97
Cette opposition entre phonèmes et réalisation phonétique des phonèmes
que théorise Troubetzkoy remonte à celle que fait Saussure entre langue
et parole. Beaucoup de théories d'inspiration générativiste51 ou post-
générativiste52 ne font pas cette distinction. Pour notre part, nous
considérons extrêmement utile de faire cette distinction de façon explicite.

• La commutation

L'étude des phonèmes repose sur la notion de pertinence qui est lié à un
choix entre phonèmes en opposition les uns avec les autres.
Pour démontrer que deux phonèmes sont différents et qu'ils s'opposent, il
faut au moins un exemple de deux monèmes, appelé paire minimale, dans
lequel ils sont la seule et unique différence phonologiquement pertinente.
On appelle commutation53 le remplacement d'un phonème par un autre
dans le même contexte, de façon à mettre en évidence le fait qu'ils
s'opposent : le changement de forme implique un changement de sens.
Par exemple, en français, /per/ "père" s'oppose à /mer/ "mère". Les
phonèmes /p/ et /m/ s'opposent. Dans cet exemple, le remplacement de
/p/ par /m/ entraine un changement de sens. /per/ et /mer/ sont les
signifiants de deux unités lexicales différentes et /p/ et /m/ sont deux
phonèmes différents.

La méthode de commutation décrite ci-dessus concerne les phonèmes. A


ce jour, nous n'avons jamais lu comment les phonologies prenant le trait
comme unité de base procèdent pour mettre au jour l'inventaire de traits
pertinents pour la description. C'est à nos yeux un point insatisfaisant
dans ce type d'approche, avec l'absence de distinction entre unité du
système phonologique et réalisation phonétique d'une unité.

51
Directement héritées du livre SPE.
52
Depuis les idées développées par Clements et Hume que nous allons examiner ci-
dessous.
53
Ou permutation dans la terminologie de Troubetzkoy.

98
A défaut de paire minimale, on peut utiliser des quasi paires minimales.
Une quasi paire minimale entre /l/ et /n/ en français serait <peluche> ~
54
<grenuche> . En mokša, les consonnes voisées sont rares à l'initiale ou
en finale et cela impose de recourir à des quasi paires.

• Neutralisation et fluctuation

Il est fréquent que les phonèmes dégagés par commutation ne s'opposent


pas dans tous les contextes. Par exemple, en français55, /e/ et /ε/
s'opposent en finale absolue dans [ete] 'été' et [etε] 'étai'. Mais, ils ne
s'opposent que dans ce contexte. Ailleurs, leur opposition est neutralisée
et on parle d'archiphonème. On note les archiphonèmes avec une
majuscule : [ete] 'été' est la réalisation de /Ete/ 'été' tandis que [etε] est
celle de /Etε/ 'étai'. Cet archiphonème /E/ se réalise [e] en syllabe ouverte,
comme dans /Ete/ 'été' et [ε] en syllabe fermée, comme dans /Este/ 'esté'.

La neutralisation doit être distinguée de la fluctuation : deux phonèmes


fluctuent lorsque certains monèmes admettent deux signifiants avec l'un
ou l'autre phonèmes. Dans ce cas particulier, différence de forme
n'entraîne pas différence de sens pour ces monèmes. Par exemple, gai
prononcé indifféremment /ge/ ou /gε/ dans un idiolecte qui pourtant
oppose /e/ et /ε/ dans d'autres signifiants, comme été et étai.

54 ère
ELG, 1997 (1 ed 1960), p.70.
55
Spécialement en français standard en région parisienne. Notre idiolecte (du nord de la
France) ne présente pas cette opposition.

99
4.4. Les traits distinctifs

Plusieurs textes majeurs jalonnent l'histoire de la phonologie depuis sa


création. En 1939, les principes fondamentaux, développés par la
phonologie dite Pragoise, sont publiés dans Grundzüge der Phonologie de
Troubetzkoy. En 1951, paraît Preliminaries to speech analysis, un livre
cosigné par trois auteurs : Jakobson, Fant et Halle, qui est la première
recherche d'un inventaire de traits distinctifs universels, ce projet
heuristique étant inspiré et mis en œuvre principalement par Jakobson. En
1955, les principes de la phonologie sont appliqués à la diachronie avec
Economie des changements phonétiques56 de Martinet, qui fait sortir la
linguistique historique d'une vision très atomisée des changements. Puis,
The sound pattern of English57, de Chomsky et Halle, sorti en 1968, est un
livre monumental qui va obliger la plupart des suivants à se situer par
rapport à lui. La principale lacune de ce livre porte sur la notion de syllabe
et sur les phénomènes prosodiques, qui seront développés par des
auteurs plus récents, comme par exemple, en 1976, John Goldsmith qui
expose dans sa thèse de doctorat au MIT une nouvelle approche de la
phonologie : Auto segmental Phonology, dont le but est une meilleure
description de la prosodie. Cette thèse propose un cadre multilinéaire58 et
non plus mono-linéaire comme dans la phonologie classique.

Pour la plupart des auteurs contemporains, les phonèmes sont des


ensembles de traits, ceux-ci étant les unités fondamentales. Même si nous
postulons le phonème comme unité première, il nous semble intéressant
et stimulant d'examiner les approches différentes qui développent la
notion de trait comme caractéristique phonologique élémentaire. Une
théorie des traits distinctifs, c'est-à-dire un modèle de représentation de
l'identité des phonèmes, est nécessaire dans tous les cas. En filigrane, la

56
Ce livre est un des rares, écrits en français, qui soient couramment cités dans les
bibliographies anglophones.
57
Le titre est souvent abrégé SPE.
58
Ce terme est utilisée par Goldsmith lui-même dans sa thèse, consultable dans les
archives du MIT. En général, on connaît plutôt le mot 'auto-segmental'.

100
question qui nous intéresse est aussi de déterminer quelle approche sera
la plus opportune pour le mokša. Les problématiques relatives aux traits
distinctifs sont de plusieurs types :

- la nature des traits : acoustique et/ou articulatoire,


- l'organisation interne des traits phonologiques,
- la notion de geste59,
- la question de la naturalité des traits,
- la recherche du meilleur inventaire éventuellement universel,

• La nature des traits

L'approche initiale de Martinet et de Jakobson recourait à la notion de trait


distinctif. En outre l'approche de ce dernier avait pour caractéristique de
définir les traits par des propriétés acoustiques. C'était une théorie de la
phonologie perçue, du point de vue de l'auditeur.
Par la suite, dans les phonologies post-jakobsoniennes, la tendance est
de définir la notion de trait plutôt d'un point de vue articulatoire, comme
étant un geste lié à un articulateur, parmi les organes de la phonation : à
savoir tout ou partie de la bouche, du nez ou de la gorge. Le passage
d'une approche très acoustique vers une autre plus articulatoire a été
accompagné par le remplacement du terme de trait distinctif par celui de
trait ou de geste, en supprimant la mention distinctif.

Par exemple, Jakobson avait proposé en 1951 le trait distinctif "plat"60.


Cette caractéristique décrit "un mouvement descendant des formants"61.
Trois gestes articulatoires permettent de réaliser cet effet : la labialisation
(grâce au mouvement des lèvres, la rétroflexion (grâce à la pointe de la
langue recourbée vers le haut), la pharyngalisation (grâce à une
contraction du pharynx). De nos jours, on n'admet plus guère de définir

59
Gesture, en anglais.
60
Flat, en anglais.
61
Lass, 1984, Phonology, p.76.

101
par un même trait des gestes et des articulateurs aussi différents et aussi
peu homogènes.

D'après nous, la notion de geste ne doit pas être pris au sens le plus
littéral et concret de mouvement d'un organe. Le trait ou geste labial est
une caractéristique de /p/ ou /b/ en français. En ce qui nous concerne,
nous entendons le concept de geste comme ne comprenant que les
composantes phonologiquement pertinentes du mouvement des
articulateurs. Il importe peu que la langue soit recourbée vers le palais ou
touche la première prémolaire supérieure gauche, lorsqu'on réalise le
geste dit labial.

Dans l'approche de Martinet, la terminologie utilisée pour les traits est très
fortement inspirée par la phonétique articulatoire. C'est révélateur que le
paragraphe 2-11 La phonétique articulatoire suive immédiatement la
phrase "Ce sont donc les conditions et les méthodes de l'analyse
phonologique que nous examinerons tout d'abord."62 La théorie des traits
de Martinet est implicitement calquée sur la phonétique articulatoire.
Autrement dit, il n'y a pas réellement de théorie phonologique des traits
chez Martinet. C'est une autre différence avec Jakobson et ses
continuateurs, car ceux-ci créent et utilisent une terminologie spécifique
pour décrire les traits, qui est plus abstrait et générique que celui de la
phonétique. Cette question n'est pas du tout neutre. Par exemple, en
français, /p/ est défini comme étant une bilabiale sourde et /f/ comme étant
une labio-dentale sourde par Martinet63, qui écarte de la définition de /p/ et
/f/ les traits occlusif et fricatif.
Nous ne sommes pas d'accord de définir /f/ de cette façon. La première
raison est une question de principe : nous ne voyons pas de raison de
limiter la terminologie phonologique à celle de la phonétique. La deuxième
est une question d'économie : introduire le trait labio-dental crée deux
cases vides : occlusive labio-dentale, fricative bi-labiale. Une troisième
raison est typologique : les fricatives impliquant les lèvres sont labio-

62
Cf. ELG (1997, p.38).
63
Cf. ELG (1997, p.72).

102
dentales par défaut dans presque toutes les langues. Autrement dit, il est
fallacieux de caractériser /f/ en français par le trait labio-dental car ce trait
caractérise les fricatives labiales de façon quasi universelle. De même, les
occlusives labiales sont universellement bi-labiales. Un autre point est de
savoir s'il faut privilégier le mode ou le lieu. Dans ce cas, il nous semble
que le mode est beaucoup plus caractéristique que le lieu.
Nous sommes partisan d'une terminologie spécifique pour la phonologie,
spécialement lorsque cela entraîne une économie dans le nombre de
traits phonologiques nécessaires pour la description. Dans le cas du
français, notre approche des traits (ou des gestes) signifie que /f/ est du
point de vue phonologique un phonème fricatif sourd labial. Ce phonème
/f/, caractérisé par le trait ou geste labial, se réalise [f], c'est-à-dire une
fricative sourde labio-dentale. Trait du système ou geste sont pour nous
des propriétés abstraites. Le trait ou geste phonologique labial peut se
réaliser labio-dental sur le plan phonétique.

• L'organisation des traits

Un autre aspect de la description qu'une théorie phonologique doit


prendre en compte est l'hétérogénéité des traits.
Si on prend le cas du français, le trait de voisement qui oppose /d/ et /b/ à
/t/ et /p/ fait intervenir les cordes vocales. Il est différent du trait dental et
labial, qui concerne le lieu d'articulation, qui oppose /d/ et /t/ à /b/ et /p/.
De même, le trait occlusif qui caractérise ces quatre phonèmes par
rapport à /f/, /v/, /s/ et /z/ est un trait qui décrit le mode d'articulation.
Voisement, lieu et mode ne sont pas des catégories de trait homogènes.
Le voisement commute avec l'aspiration ou la glottalisation. La labialité
commute avec la dentalité ou la vélarité. L'occlusivité commute avec la
fricativité. Ce principe de regroupement des traits en classes est
représenté par une arborescence. Ce formalisme a pour but de mettre
plus facilement en évidence la structure interne des traits.
Nous verrons un peu plus loin les critiques qu'on peut adresser au choix
d'une représentation arborescente.

103
Représentation arborescente des traits en classes homogènes64

Consonne

Cavité Orale

Etat
Laryngal Nasal Articulateur Mode

[fricatif] [occlusif]
[aspiré] [glottal] [voisé]
[labial] [coronal] [dorsal]

[antérieur] [postérieur]

Dans cet exemple hypothétique, on distingue quatre classes de traits,


soulignées dans l'arborescence :
- l'état laryngal : aspiré, glottalisé, voisé,
- la nasalité éventuelle,
- le mode d'articulation : fricatif, occlusif,
- le lieu d'articulation : labial, coronal65 (antérieur, postérieur), dorsal66.

L'alphabet phonétique international constitue implicitement un inventaire


des traits (phonétiques) possibles, réalisé d'après les systèmes déjà
rencontrés dans le monde. Pour le mode d'articulation, l'API distingue :
plosive, vibrante, battue, fricative, fricative latérale, approximante,
approximante latérale, et pour le point ou lieu d'articulation : bilabiale,
labiodentale, dentale, alvéolaire, post alvéolaire, rétroflexe, palatale,
vélaire, uvulaire, pharyngale, glottale.

64
Les traits proprement dits sont entre [ ]. Les branches regroupent des traits
homogènes.
65
C'est-à-dire caractérisé par l'action de l'avant de la langue.
66
C'est-à-dire caractérisé par l'action du corps (arrière) de la langue.

104
Ce type de représentation est dû à Clements et Hume. Il utilise le principe
dit de géométrie de traits pour décrire le fait que les traits appartiennent à
des classes différentes. En définitive, cette notion de géométrie des traits
renvoie directement à l'anatomie et à la notion de geste articulatoire. Les
traits qui commutent entre eux et qui appartiennent à la même classe sont
réalisés par le même organe ou articulateur.
Par ailleurs, l'objectif de cette représentation arborescente est d'expliciter
par le biais du formalisme choisi plusieurs niveaux de connaissances. A
un premier niveau, la phonologie d'une langue peut être décrite de façon
classique. A un deuxième niveau, cette description elle-même présente un
format prédéterminé qui organise les traits retenus en classes
homogènes. Enfin les résultats et le processus de description sont
conformes à un patron universel, qui décrit non plus les langues mais des
universaux linguistiques en général.

• La naturalité des traits

Implicitement, les théories les plus récentes, développées ce dernier quart


de siècle, visent à un plus grand enracinement anatomique de la notion de
phonème.
De façon générale, une question importante relative à la phonologie est de
savoir quels sont le statut et le positionnement épistémologique de cette
discipline. Est-elle une certaine façon d'envisager les phénomènes
phonétiques, une certaine façon de décrire l'anatomie des organes
phonatoires ? Peut-on envisager que certains traits phonologiques n'aient
pas une assise articulatoire précise ?
Par ailleurs, il existe une hiérarchie implicationnelle dans les traits. Aucun
système réel n'est constitué de /a/, /i/, /y/. Pour que /y/ soit présent, il faut
que /u/ le soit aussi. A l'image du tableau chimique de Mendeleïev, les
niveaux phonologiques les plus complexes ne sont atteints que si les
premières strates sont déjà exploitées.

105
Le système de l'arabe avec /a/, /i/, /u/ seulement est la strate presque
basale67. Le système de l'espagnol avec /a/, /e/, /i/, /o/, /u/ est légèrement
plus complexe. Enfin le système des voyelles orales du français
méridional avec les voyelles d'avant non arrondies /a/, /e/, /i/, les voyelles
d'arrière /o/, /u/ et les voyelles d'avant arrondies /œ/ /y/ représente un
degré de complexité supplémentaire. Aucun système n'est constitué de la
série des voyelles /a/, /e/, /i/ opposée à la série /œ/ /y/.
Ce type de constat est un argument supplémentaire pour soutenir que les
traits ont une structure intrinsèque. Rien d'acoustique ou d'anatomique ne
laisse préjuger ce type de résultat. La phonologie décrit donc une classe
de faits qui ont leur ordre et leur existence propres. En conséquence, il est
sans doute opportun de décrire les phénomènes phonologiques à l'aide
d'une terminologie propre à ce domaine.
Ceci étant, la représentation arborescente que nous avons indiquée plus
haut pourrait gagner en réalisme anatomique.

Anatomie en position réelle

Cavité nasale

Lèvres

Apex

Corps

Cordes vocales

67
Si on met de côté le cas des systèmes caucasiques à deux voyelles.

106
Anatomie des articulateurs
d'après la théorie de la géométrie des traits

Consonne

Etat
Laryngal [nasal] Cavité Orale

[aspiré]
[glottal] Mode
[voisé] Articulateur

[fricatif] [occlusif]
[labial]
[coronal] [dorsal]

[antérieur] [postérieur]

Bien qu'elle vise implicitement à un enracinement anatomique, ce type de


représentation arborescente présente un réalisme perfectible.

• Un inventaire de traits universels abstraits

Il est possible de garder le principe d'une géométrie des traits en se


rapprochant de l'anatomie réelle. Par exemple :

Articulateur Classe de trait Traits


Cavité nasale Nasalité Nasal
Lèvres Labialité Labial
Langue Lieu Uvulaire, vélaire, dental, etc.
Pharynx Pharyngalité Pharyngalisé, emphatique,
Larynx Etat glottal Voisé, sourd, glottalisé, aspiré

107
Certaines théories recourent aux termes coronal68 et dorsal69, qui ne
renvoient pas de façon directe à un lieu précis d'articulation dans la cavité
buccale. Leur utilisation permet d'être plus abstrait et donc d'être le plus
polyvalent et universel possible. Nous pensons qu'il faut rajouter un terme
apical ou lingual pour décrire les vibrantes telles que /r/, qui ne font
intervenir que la langue.
Parmi les traits proposés par les théories post-générativistes, le trait
distribué70 nous semble très intéressant pour décrire de façon unifiée un
certain nombre de phonèmes, telles que les affriquées, les labio-vélaires
ou même les latérales.
En français, ne peut-on pas décrire le phonème /l/ comme se différenciant
de /d/ parce qu'il est distribué alors que /d/ ne l'est pas ? Cela amène à
supprimer le terme latéral de la description phonologique. De même, /kw/
dans certaines langues caucasiques n'est-il pas une occlusive vélaire se
distinguant de /k/ par un trait labial distribué que ne présente pas /k/. Enfin
/tʃ/, en anglais par exemple, n'est-elle pas une consonne sourde
présentant une articulation distribuée sur les lieux dental et post-alvéolaire
simultanément. Il nous semble que ce concept est puissant pour simplifier
les descriptions et présenter de façon efficace certains phonèmes
complexes qui sont caractérisés par plusieurs traits de lieux et de mode
simultanément. Certains phonèmes dits affriqués sont distribués au même
lieu d'articulation : par exemple, en allemand /pf/ et /ts/.
Nous verrons avec les idiolectes mokšas que ce trait distribué peut être
utile pour une description simple et optimisée, c'est-à-dire utilisant moins
de traits et intégrant tous les phonèmes dans le système.

68
C'est-à-dire impliquant la partie avant de la langue et une autre partie de la cavité
buccale antérieure.
69
C'est-à-dire impliquant le corps arrière de la langue et une autre partie de la cavité
buccale.
70
C'est-à-dire impliquant plus d'un lieu ou d'un mode d'articulation (comme les labio-
vélaires et les affriquées) ou une vaste zone plutôt qu'en un lieu précis (comme les
latérales).

108
4.5. Voyelles, consonnes et syllabes

Nous considérons comme acquise la différence entre voyelle et consonne,


et nous admettrons que les voyelles et les consonnes se combinent pour
donner des syllabes71. A ce jour, la notion de syllabe reste un point délicat
sur le plan théorique et il n'y a pas de définition véritablement satisfaisante
de cette notion.

"§ 2-38 La syllabe


Dans les cas les plus simples, il y a autant de syllabes que de voyelles
séparées par des consonnes. Les voyelles étant plus perceptibles que les
consonnes, ceci semble indiquer que chaque syllabe correspond à un
sommet de la courbe de perceptibilité. [...] La syllabation dépend donc de
facteurs multiples dont tous sont loin d'être parfaitement identifiés." 72

On peut d'ailleurs souligner que Troubetzkoy ne définit pas cette notion


dans ses Principes de phonologie, alors qu'il y recourt. Les concepts de
voyelle, de consonne et de syllabe se situent en amont de notre
démarche.
Nous discuterons la question des affriquées (ou des consonnes
distribuées) en même temps que celle de la structure syllabique au
paragraphe § 6.6.

71
Une voyelle peut constituer à elle seule une syllabe.
72 ère
ELG, 1997 (1 éd 1960), p.59.

109
4.6. Synthèse

La phonologie est pour nous un domaine nettement séparé de la


phonétique, d'une part, et de la syntaxe et du lexique, d'autre part.
Les phonèmes sont des unités abstraites, déterminées par rapport à leur
pertinence dans la communication, s'opposant les unes avec les autres et
décrites par des traits.
Une enquête phonologique sur un idiome donné, ici la langue mokša,
implique donc de mettre en évidence les phonèmes que les locuteurs
produisent et reconnaissent dans leur inter-communication linguistique et
d'en déterminer les traits phonologiquement pertinents ainsi que leurs
réalisations phonétiques.
Il nous semble qu'il existe plusieurs façons de décrire le même ensemble
de phonèmes. Les traits peuvent être décrits à l'aide de termes proches
de la phonétique articulatoire ou bien à l'aide de termes plus abstraits.
L'intérêt d'une terminologie spécifiquement phonologique est multiple. Elle
sépare nettement phonétique et phonologie. Elle permet également de
viser une plus grande universalité.
Parmi les termes existants, il nous semble que coronal73, dorsal74, et
distribué75 sont les plus intéressants sur le plan descriptif76.
Dans la suite, nous examinerons l'intérêt de les utiliser, en comparaison à
une approche plus proche de la phonétique articulatoire. La synthèse de
cette comparaison se trouve en pages 162 et 164.

73
C'est-à-dire impliquant la partie avant de la langue et une autre partie de la cavité
buccale antérieure.
74
C'est-à-dire impliquant le corps arrière de la langue et une autre partie de la cavité
buccale.
75
C'est-à-dire impliquant plus d'un lieu ou d'un mode d'articulation (comme les labio-
vélaires et les affriquées) ou une vaste zone plutôt qu'en un lieu précis (comme les
latérales).
76
Nous avons défini dans un glossaire situé en fin de thèse les différents termes
techniques auxquels nous donnons un sens précis dans la suite.

110
Description phonologique

de quelques idiolectes

mokšas

111
5.1. Présentation

La description du mokša commence par l'exposé de sa phonologie.


La raison en est que la description des monèmes peut difficilement se
révéler fructueuse si celle des phonèmes n'a pas déjà été menée à bien.

"On commencera par la deuxième articulation


[...] il est normal que la description d'une langue commence par un exposé
de sa phonologie, c'est-à-dire qu'apparaisse en premier lieu ce que nous
avons appelé la deuxième articulation. Ce sont donc les conditions et les
méthodes de l'analyse phonologique que nous examinerons tout
d'abord."77

La phonologie du mokša est abordée au travers de cinq personnes, deux


hommes et trois femmes, et de leurs idiolectes : on entend par ce terme
l'appropriation et l'usage personnel que chaque locuteur fait de sa langue.
Comme toutes les langues vivantes, le mokša présente une variabilité
interne et les idiolectes présentent quelques différences.
C'est surtout par le nombre des phonèmes vocaliques que les locuteurs
diffèrent le plus entre eux et nous avons spécialement étudié ce point. Le
système des consonnes semble plus stable et partagé par tous les
informateurs, même si la répartition dans le lexique de /s/ et /ʃ/ est variable
suivant les idiolectes.

Nous avons distingué deux parties, exposé du système de la langue puis


étude des réalisations dans la parole :

- description phonologique des idiolectes, au nombre de cinq,


- analyse phonétique des réalisations des phonèmes.

77
ELG (1997, p.37).

112
Nous présentons dans la description phonologique :

- les locuteurs et locutrices,


- la description de chaque système phonologique,
- la comparaison des systèmes idiolectaux,

Nous avons ensuite analysé les réalisations phonétiques.


Cette partie comprend :

- la procédure de recueil des données,


- la procédure d'analyse des données,
- les données expérimentales analysées.

Nous préférons réserver le mot système pour les idiolectes et dia-système


pour le système trans-idiolecte. Cela répond à une logique d'abstraction
progressive des concepts manipulés :

- observation empirique : matériau phonétique brut,


- encodage : réalisation phonétique des unités distinctives,
- idiolecte : système de phonèmes,
- dialecte, langue : dia-système.

Le dia-système, décrivant l'ensemble des idiolectes, présente un degré


d'abstraction supérieur au système de chaque idiolecte et nous pensons
qu'il faut rendre compte de ce statut épistémologique différent en utilisant
un autre terme.

113
5.2. Les locuteurs et locutrices mokšas

Nous avons été personnellement en contact avec trois personnes :


- M. Vasili Yakovlević YELMEJEV,
- M. Oleg Anatolević KAZANIN,
- M. Viktor LYSOV.

M. Vasili Yakovlević Yelmejev, est un locuteur natif. Il est né le 19 janvier


1928 à Suzgarjge, qui se trouve à une douzaine de kilomètres à l'ouest de
la capitale provinciale Saransk. M. Yelmejev est professeur retraité du
département de Sociologie de l'université de Saint-Petersbourg. Il utilise la
langue russe dans sa vie quotidienne et connaît un peu d'anglais. Sa
pratique linguistique reflète une compétence spontanée en mokša.

M. Oleg Kazanin, né en 1972, est un locuteur russe, mais il a appris le


mokša à l'adolescence au contact de son père, qui est, quant à lui, un
locuteur natif résidant à Saransk, capitale de la Mordovie. Oleg Kazanin
consacre beaucoup de son temps libre à collecter le maximum
d'informations lexicales sur les dialectes mokšas. Il parle mokša avec un
certain accent russe. Il a entrepris de créer un site Wikipedia en mokša.
Sa vie personnelle reflète une bonne partie de l'histoire moderne des
Mokšas. Il est russifié et marié avec une femme russe, qui est monolingue
russe. Lors du dernier recensement, il s'est déclaré de nationalité mokša.
Quand il était plus jeune, il a fréquenté une jeune fille erzia. Mais cette
relation a tourné court, car cette personne a commencé à parler erzia
avec de plus en plus de mots mokšas, ce qui a déplu aux parents de la
jeune fille.
Son patronyme vient de sa grand-mère russe, car son père s'appelle
Anatoli Yeriomkin. Ce nom de famille remonte à l'époque de la
christianisation des Mokšas et signifie Hieronymus (Jarmanen en mokša).
Le pseudonyme mokša de Oleg Kazanin est Numolonpilge, ce qui signifie
pied de lièvre.

114
M. Yeriomkin est un locuteur mokša typique, qui parle russe avec un
certain nombre de particularismes mokšas 78.

M. Viktor Fiodorović Lysov, né le 17 avril 1963 à Lemdiai, né de parents


nés à Lemdiai. Celui-ci a déménagé à l'âge de 15 ans à Saint-
Pétersbourg. Il parle mokša à la maison avec son épouse, Nastia. Lemdiai
est un village situé à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Saransk.
Nous avons réalisé et analysé un enregistrement de Viktor Lysov,
répondant au questionnaire phonologique, que nous avons créé pour le
mokša.

M. Jean-Léo Léonard s'est rendu en Mordovie en 2003 et 2004 et nous a


donné accès à plusieurs données enregistrées par lui, qu'il n'avait pas pu
exploiter, faute de temps.
Il a enregistré plusieurs locutrices mokšas en 2003 :
- Mme Liudmila Zotova à Sire-Šaigovo,
- Plusieurs personnes à Trzmorga.

Sire-Šaigovo, en mokša cyrillique cиpe-шaйгoвo, se trouve à une


vingtaine de kilomètres de Saransk vers l'ouest. Trzmorga (тepизмopгa)
est légèrement au sud de Sire-Šaigovo. Liudmila Zotova était âgée de 35
ans en 2003. Une des personnes enregistrées à Trzmorga s'appelle sans
doute Ekaterina Yemashkin Petrovna (TRZ1). L'autre personne n'est pas
nommée et nous l'avons numérotée TRZ2, faute de mieux.

Dans la classification relative aux langues menacées79, Vasili Yelmejev et


Anatoli Yeriomkin sont des locuteurs classés S (strong).
M. Kazanin peut être classé I (Semi-locuteur avec une maîtrise incomplète
de la langue).
Mme Liudmila Zotova et Mmes TRZ1 (Ekaterina Yemashkin) et TRZ2
peuvent être classées S (strong).

78
Comme par exemple [iwan] pour ивaн.
79
CLAIRIS (2005, p.76). Voir §.1.6.

115
Viktor Lysov peut également être classé S. Son idiolecte comporte
quelques erzianismes.

Théoriquement les informateurs appartiennent tous et toutes à la même


zone dialectale, à savoir le dialecte central de Sire-Šaigovo, mais en
pratique ils doivent être répartis en deux groupes phonologiques :

- Groupe Est :
Viktor Lysov, Vasili Yelmejev, Mme TRZ2,

- Groupe Ouest :
Liudmila Zotova, Mme TRZ1 (Ekaterina Yemashkin), Anatoli
Yeriomkin.

Nous faisons une étude très détaillée de l'idiolecte de Viktor Lysov, sur
lequel nous avons le plus d'informations détaillées, et nous traitons les
autres idiolectes par écart à celui-ci.

116
5.3. M. Viktor LYSOV : Présentation

M. Viktor Lysov a bien voulu se livrer à l'exercice de répondre à notre


questionnaire phonologique. Le corpus, très riche, dure environ une demi-
heure. Il permet une analyse très fouillée de cet idiolecte. Par exemple, en
ce qui concerne le système vocalique, il comprend plus de 1 500 voyelles.
Ce locuteur appartient au groupe Est.

Pour ce qui est de l'accentuation, cet idiolecte se distingue par le fait que
les voyelles ont toutes sensiblement la même durée. Les premières
syllabes sont généralement intonées plus hautes que les autres mais cela
n'a pas d'effet, ni sur la durée ni sur le timbre des voyelles. Dans cet
idiolecte, les voyelles ne présentent quasiment aucune allophonie.

Ce locuteur distingue sept phonèmes vocaliques : /i/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Cette opposition se maintient en tout contexte : initial, final, interne. En
outre, on trouve la diphtongue /εa/. Il s'agit d'une diphtongue et non d'une
séquence de deux phonèmes vocaliques : sa durée est identique à celles
des autres phonèmes vocaliques et non pas égale au double.
Chez ce locuteur, /ə/ est un phonème.
Les phonèmes d'aperture moyenne /e/ /ε/ et /o/ sont souvent réalisés
légèrement diphtongués [je] [jε] [uo].
Plusieurs monèmes sont réalisés avec le phonème /i/, là où on attend /e/
d'après les autres idiolectes et le système graphique : par exemple, le mot
80
"cœur" ceди [sidi], au lieu de [sedi]. Il ne s'agit de fluctuation entre deux
phonèmes, ici /e/ et /i/. Dans cet idiolecte, ces mots sont réalisés avec /i/
au lieu de /e/, qu'on rencontre pour ces mots dans la langue littéraire et
dans les autres idiolectes.

80
Deux phonèmes fluctuent lorsque certains monèmes admettent deux signifiants avec
l'un ou l'autre phonèmes. Dans ce cas particulier, différence de forme n'entraîne pas
différence de sens pour ces monèmes.

117
5.3.1. M. Viktor LYSOV : Phonèmes consonantiques

Le rendement des oppositions est parfois faible. Il faut alors recourir soit à
des mots empruntés au russe, soit à des quasi paires minimales.
Nous avons ajouté, autant qu'il est possible, quelques commentaires qui
éclairent la synchronie actuelle.

● Le phonème /m/

/m/ ~ /p/

En position initiale :
Ces deux phonèmes sont fréquents à l'initiale.
/mεʃtε/ "poitrine" ~ /pεʃtε/ "noix"

En position intervocalique :
/p/ est relativement rare à l'intervocalique.
/ʃama/ "visage" ~ /ʃapama/ "acide"
/loman/ "homme" ~ /lopa/ "feuille"

En position préconsonantique :
/m/ s'oppose dans cette position à l'archiphonème issu de la
neutralisation de /b/ et /p/. Cette opposition est fréquente du fait des
affixes de pluriel et de génitif mais elle est très rare à l'intérieur des
signifiants.
/pizemt/ "de la pluie (Génitif) " ~ /pizePt/ "les pluies"
/kamtsav/ "bouton, eczéma" ~ /eʃaPts/ "il a trompé, déçu"

En position finale :
/p/ est rarissime en finale81.

81
La plupart des occlusives finales dans les mots empruntés sont suivies de la voyelle
/a/. Une paire minimale existe avec des emprunts : /ketʃup/ "ketchup" ~ /bitum/ "bitume".

118
/m/ ~ /b/

En position initiale :
Les voisées à l'initiale sont rares, ce qui oblige à recourir soit à un mot
emprunté82, soit à une quasi paire minimale.
/mazi/83 "beau" ~ /baba/ "grand-mère paternelle"

En position intervocalique :
/ʃama/ "visage" ~ /ʃaba/ "enfant"

En position préconsonantique :
/b/ est rare dans cette position. /m/ s'oppose à l'archiphonème /P/ dans
la plupart des exemples.
/ʃoPda/ "sombre" ~ /ʃamd/ "vider"

En position finale :
Cette opposition ne se rencontre que dans les mots empruntés84.

/m/ ~ /v/

En position initiale :
Les deux phonèmes sont fréquents à l'initiale.
/melε/ "après" ~ /velε/ "village"

En position intervocalique :
/ʃama/ "visage" ~ /ʃava/ "vide"

En position préconsonantique :
Cette opposition est très rare.
/kodamga/ "n'importe lequel" ~ /lavga/ "aboyer"

82
/mar/ "pomme" ~ /bar/ "bar"
83
Ce locuteur dit /mazi/ mais la prononciation standard est /mazɨ/.
84
/bitum/ "bitume" ~ /klub/ "club"

119
En position finale :
Il faut utiliser une quasi paire minimale.
/lem/ "nom" ~ /tev/ "chose, affaire"

/m/ ~ /f/

Il faut recourir à des quasi paires minimales.


En position initiale :
/f/ est rare à l'initiale.
/mala/ "près de" ~ /falu/ "toujours"

En position intervocalique :
/juma/ "perdre" ~ /ufa/ "souffler"

En position préconsonantique :
/purəmks/ "assemblée" ~ /verkuləfks/ "bleu, hématome"

En position finale :
/jam/ "céréale" ~ /af/ "ne pas"
/lem/ "soupe" ~ /lef/85 "lion"

/m/ ~ /n/

En position initiale :
Le rendement de cette opposition est élevé dans cette position.
/med/ "miel" ~ /ned/ "poignée, anse"

En position intervocalique :
/koma/ "plier" ~ /kona/ "qui"

85
Ce mot est un emprunt russe.

120
En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/jamks/ "céréale" ~ /jonks/ "arc"

En position finale :
Il n'y a pas de paire minimale simple.
/katʃam/ "fumée" ~ /tsjaraxman/ "degré (celsius)"

Définition du phonème /m/

Le phonème /m/ est une labiale (/m/ ~ /n/) nasale (/m/ ~ /p/, /m/ ~ /b/,
/m/ ~ /v/, /m/ ~ /f/). Ce phonème est non-obstruent, c'est-à-dire sans
effet sur le voisement ou non voisement des autres consonnes.

Nous définissons /m/ et /n/ comme nasale (et non comme occlusive)
pour rendre compte de leurs propriétés :
- ils sont neutres vis-à-vis du voisement.
- suivi d'une occlusive ou fricative, ils ne s'assimilent jamais. Au
contraire, la séquence /m/+/b/ se réalise fréquemment [m] au lieu de
[mb]. Leur fonctionnement vis-à-vis de l'assimilation est inversé par
rapport à une occlusive telle que /b/.

Réalisation du phonème /m/

Le phonème /m/ se réalise [m] occlusif bilabial nasal en toute position.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /m/ ~ /n/ n'est pas neutralisée en mokša


contemporain.
Il faut néanmoins noter que la rareté des paires minimales ailleurs qu'à
l'initiale incite à penser que l'opposition /m/ ~ /n/ a pu être neutralisée
dans l'histoire de la langue, au profit de /n/. Voir §.6.2.

121
Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <М, м>.

● Le phonème /p/

/p/ ~ /b/

En position initiale :
/papa/ "pénis" ~ /baba/ "grand-mère paternelle"

En position intervocalique :
/p/ est assez rare dans cette position86.
/ʃapama/ "acide" ~ /ʃaba/ "enfant"

En position préconsonantique :
L'opposition est neutralisée dans cette position.
[kapsta] 'chou' est la réalisation de /kaPSta/.

En position finale :
Cette opposition ne se rencontre que dans les mots empruntés87.

/p/ ~ /f/

Le rendement de cette opposition est très faible, car /f/ est rare.

En position initiale :
/f/ est très rare à l'initiale.
/pal/ "brûler" ~ /falu/ "toujours"

86
A noter dans les emprunts : /ʃampu/ "shampoing" ~ /bambuk/ "bambou".
87
/ketʃup/ "ketchup" ~ /klub/ "club".

122
En position intervocalique :
/pupaf/ "piqué" ~ /ufaf/ "gonflé"

En position préconsonantique :
/opapt/ "asphyxier" ~ /moraft/ "réciter"

En position finale :
Cette opposition est très rare88.

/p/ ~ /m/ : voir ci-dessus /m/ ~ /p/

/p/ ~ /t/

En position initiale :
/pεʃtε/ "noix" ~ /tεʃtε/ "étoile"

En position intervocalique :
/kopa/ "furoncle" ~ /kota/ "six"

En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple.

En position finale :
Cette opposition est très rare89.

Définition du phonème /p/

Le phonème /p/ est une labiale (/p/ ~ /t/) orale (/p/ ~ /m/) occlusive (/p/
~ /f/) sourde (/p/ ~ /b/).
Ce phonème est obstruent (voir Glossaire).

88
/ketʃup/ "ketchup" ~ /tuf/ "parti".
89
/ketȓup/ "ketchup" ~ /put/ "poser".

123
Réalisation du phonème /p/

Le phonème /p/ se réalise [p] occlusif bilabial oral sourd en toute


position.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /p/ ~ /b/ est neutralisée, lorsqu'ils sont


suivis d'une obstruente. L'archiphonème /P/ se réalise soit sourd si la
consonne est sourde soit sonore si elle est sonore.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <П, п>.

● Le phonème /b/

/b/ ~ /p/ : Voir ci-dessus /p/ ~ /b/

/b/ ~ /m/ : Voir ci-dessus /m/ ~ /b/

/b/ ~ /v/

Le rendement de cette opposition est faible.


En position initiale :
/barʒa/ "barge" ~ /varʒa/ "voir"
/bajdεk/ "baton" ~ /vaj/ "graisse, huile"

En position intervocalique :
/ʃaba/ "enfant" ~ /ʃava/ "vide"

En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple.

124
En position finale :
Cette opposition est très rare, même en tenant compte des emprunts90.

/b/ ~ /d/

En position initiale :
Ces deux phonèmes voisés sont très rares à l'initiale.
/bok/ "côté" ~ /dok/ "dock"

En position intervocalique :
Cette opposition est rare.
/ʃaba/ "enfant" ~ /ʃadama/ "écoulement"

En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple dans le corpus recueilli.

En position finale :
Cette opposition est très rare91.

Définition du phonème /b/

Le phonème /b/ est une labiale (/b/ ~ /d/) orale (/b/ ~ /m/) occlusive
(/b/ ~ /v/) sonore (/b/ ~ /p/).
Ce phonème est obstruent.

90
/klub/ "club" ~ /luv/ "nombre".
91
/klub/ "klub" ~ /kud/ "maison".

125
Réalisation du phonème /b/

Le phonème /b/ se réalise [b] occlusif bilabial oral sonore.


Lorsqu'il est précédé de /m/, /b/ est fréquemment amuï. Par exemple,
/sεmbε/ se réalise soit [sεmbε] soit [sεmε].

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /b/ ~ /p/ est neutralisée, lorsqu'ils sont


suivis d'une obstruente. L'archiphonème /P/ se réalise soit sourd si la
consonne est sourde soit sonore si elle est sonore.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Б, б>.

● Le phonème /v/

/v/ ~ /m/ : Voir ci-dessus /m/ ~ /v/

/v/ ~ /b/ : Voir ci-dessus /v/ ~ /b/

/v/ ~ /f/ :

En position initiale :
/f/ est très rare à l'initiale.
/vatka/ "peler" ~ /fatja/ "saisir"

En position intervocalique :
/uva/ "aboyer" ~ /ufa/ "souffler"

126
En position préconsonantique :
Cette opposition est rare, en dehors des cas de suffixation.
/snavt/ "du haricot (Genitif)" ~ /snaft/ "des haricots (pluriel)"

En position finale :
Cette opposition est assez rare.
/kiv/92 "pierre" ~ /rif/ "récif"
/snav/ "haricot" ~ /saf/ "arrivé"

/v/ ~ /z/ :

En position initiale :
/z/ est rarissime à l'initiale93.

En position intervocalique :
Cette opposition est assez rare.
/tavad/ "couvrir" ~ /taza/ "solide"

En position préconsonantique :
/kovnε/ "(pendant) ce mois" ~ /loznja/ "verser"

En position finale :
Cette opposition est assez rare, en dehors des emprunts.
/kiv/94 "pierre" ~ /riz/ "riz"
/kov/ "lune, mois" ~ /roz/ "seigle"

Définition du phonème /v/

Le phonème /v/ est une labiale (/v/ ~ /z/) orale (/v/ ~ /m/) fricative (/v/ ~
/b/) sonore (/v/ ~ /f/). Ce phonème est non-obstruent.

92
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /kev/.
93
/ve/ "nuit" ~ /zebra/ "zèbre".
94
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /kev/.

127
Réalisation du phonème /v/

Le phonème /v/ présente une allophonie complexe. A l'initiale, il est


réalisé [v] fricatif labiodental oral sonore. A l'intervocalique, il se réalise
souvent [w] fricatif bilabial et plus rarement [v].
En finale, précédé de /o/ et /u/, il se réalise [w] fricatif bilabial ou
fréquemment allonge la voyelle : /o/+/v/ se réalise alors [o:], et /u/+/v/ se
réalise [u:]. Précédé des autres voyelles que /o/ et /u/, /v/ se réalise [w]
et parfois même [u]. Par exemple, le monème "pierre" /kiv/ se réalise
[kiw] ou [kiu].

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /v/ ~ /f/ n'est jamais neutralisée.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <B, в>.

● Le phonème /f/

/f/ ~ /m/ : Voir ci-dessus /m/ ~ /f/

/f/ ~ /p/ : Voir ci-dessus /p/ ~ /f/

/f/ ~ /v/ : Voir ci-dessus /v/ ~ /f/

/f/ ~ /s/

En position initiale :
/falu/ "toujours" ~ /sal/ "sel"

128
En position intervocalique :
/ufa/ "souffler" ~ /usa/ "moustache"

En position préconsonantique :
/f/ s'oppose généralement à l'archiphonème /S/ résultant de la
neutralisation de /s/ et /z/.
/ofta/ "ours" ~ /koSta/ "venant d'où"

En position finale :
/saf/ "parti ~ /sas/ "il, elle partit"

Définition du phonème /f/

Le phonème /f/ est une labiale (/f/ ~ /s/) orale (/f/ ~ /m/) fricative (/f/ ~
/p/) sourde (/f/ ~ /v/).
Ce phonème est non-obstruent.

Réalisation du phonème /f/

Le phonème /f/ est réalisé [f] fricatif labiodental oral sourd.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Ф, ф>.

● Le phonème /n/

/n/ ~ /m/ : voir ci-dessus /m/ ~ /n/

/n/ ~ /t/

En position initiale :
/norama/ "essai" ~ /torama/ "trompette"

129
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /kota/ "six"

En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /t/ et /d/.
/jonks/ "arc" ~ /joTksa/ "parmi"

En position finale :
Cette opposition est très fréquente, par le jeu des suffixes.
/ven/ "nocturne" ~ /vet/ "les nuits"
/vajmən/ "personnel" ~ /vajmət/ "des personnes"

/n/ ~ /d/

En position initiale :
/d/ est très rare à l'initiale95.

En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /koda/ "comment"

En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /t/ et /d/.
/jonks/ "arc" ~ /joTksa/ "parmi"

En position finale :
/ven/ "nocturne" ~ /ved/ "eau"

/n/ ~ /s/

En position initiale :
/noka/ "prétendre" ~ /soka/ "labourer"

95
/noka/ "prétendre" ~ /dok/ "dock".

130
En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /kosa/ "où"

En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /s/ et /z/
suivi d'une obstruente.
/kenkʃ/ "qui" ~ /keSka/ "reins"

En position finale :
/min/ "nous, P4" ~ /mis/ "il, elle a vendu"
/kin/ "de qui ?" ~ /kis/ "chez qui ?"

/n/ ~ /z/
Trait : nasal ~ oral

En position initiale :
/z/ est très rare à l'initiale96.

En position intervocalique :
/kona/ "qui" ~ /koza/ "(vers) où"

En position préconsonantique :
/n/ s'oppose à l'archiphonème résultant de la neutralisation de /s/ et /z/
suivi d'une obstruente.
/ingəlε/ "avant" ~ /iSgərd/ "se plaindre"

En position finale :
/jan/ "chemin" ~ /az/ "déclarer"

/n/ ~ /ts/

96
/nal/ "flèche" ~ /zaxar/ "sucre".

131
En position initiale :
/nula/ "couche (culotte)" ~ /tsulka/ "collants, bas"97

En position intervocalique :
/ʃuvanε/ "mince" ~ /patsε/ "aile"

En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/jonks/ "arc" ~ /motsKt/ "foie, boyau"

En position finale :
/slan/ "éléphant" ~ /lats/ "beaucoup"

Définition du phonème /n/

Le phonème /n/ est une apico-alvéolaire98 (/n/ ~ /m/) nasale (/n/ ~ /t/,
/n/ ~ /d/, /n/ ~ /s/, /n/ ~ /z/, /n/ ~ /ts/). Ce phonème est non-obstruent,
c'est-à-dire sans effet sur le voisement ou non voisement des autres
consonnes.

Réalisation du phonème /n/

Le phonème /n/ se réalise [n] occlusif nasal apico-alvéolaire.


Dans cet idiolecte, /n/ suivi d'une occlusive vélaire /k/ ou /g/ se réalise
assez rarement [ŋ]99.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /n/ ~ /m/ n'est jamais neutralisée.

97 e
Emprunt russe plus ancien que le XIX siècle. Cf. Witsen (1692).
98
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
99
Contrairement à d'autres idiolectes, où l'allophonie est systématique.

132
Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Н(ь), н(ь)>.


La marque de mouillure <ь> n'a pas d'importance. Nous y reviendrons
plus loin.

● Le phonème /t/

/t/ ~ /p/ : voir ci-dessus /p/ ~ /t/

/t/ ~ /n/ : voir ci-dessus /n/ ~ /t/

/t/ ~ /k/

En position initiale :
/targa/ "fumer" ~ /karga/ "grue"

En position intervocalique :
/kata/ "chat" ~ /jaka/ "marcher"100

En position préconsonantique :
/kata/ "chat" ~ /jaka/ "marcher"

En position finale :
/kundat/ "tu attrapes" ~ /kundak/ "attrape !"

/t/ ~ /d/

En position initiale :
/d/ est rare à l'initiale101.

100
/kata/ "chat" ~ /kakawa/ "cacao".
101
/tokad/ "rencontrer" ~ /dok/ "dock".

133
En position intervocalique :
/kota/ "six" ~ /koda/ "comment"

En position préconsonantique :
L'opposition /t/ ~ /d/ est normalement neutralisée, sauf devant une non
obstruente (l, r, n, m, j) à la jointure entre deux signifiants.
/vetne/ "les nuits" ~ /vednetkaz/ "triton"102

En position finale :
/vet/ "les nuits" ~ /ved/ "eau"

/t/ ~ /s/

En position initiale :
/tin/ "vous, P5" ~ /sin/ "ils, elles, P6"

En position intervocalique :
/kota/ "six" ~ /kosa/ "où"

En position préconsonantique :
Dans cette position, il s'agit de deux archiphonèmes /T/ et /S/, sauf si la
consonne est une non obstruente /l/, /r/, /n/, /m/ ou /j/.
/joTka/ "loisir, temps libre" ~ /noSka/ "chaussette"
/setme/ "calme" ~ /kesmεrd/ "abattre"

En position finale :
/vet/ "nuits" ~ /ven/ "nocturne"
/kit/ "chemins" ~ " /kin/ "de qui ?"

/t/ ~ /ts/

102
/vetne/ = /ve/ "nuit"+/tne/ "Défini pluriel" et /vednetkaz/ = /ved/ "eau" +/netkaz/ "lézard".

134
En position initiale :
/sjat/ "ceux-là" ~ /tsjatka/ "étincelle"
En position intervocalique :
/lata/ "tente" ~ /latsa/ "identique"

En position préconsonantique :
L'opposition est très rare.
/mařtne/ "les pommes" ~ /kařtsne/ "les dépenses"

En position finale :
Le rendement de l'opposition est augmenté par le jeu des suffixes.
/pet/ "fins" ~ /pets/ "sa fin"

Définition du phonème /t/

Le phonème /t/ est une apico-alvéolaire103 (/t/ ~ /p/, /t/ ~ /k/) orale (/t/ ~
/n/) occlusive (/t/ ~ /s/) sourde (/t/ ~ /d/).
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /t/

Le phonème /t/ se réalise [t] occlusif sourd apico-alvéolaire oral.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /t/ ~ /d/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /T/ se réalise soit sourd [t] si la
consonne est sourde soit sonore [d] si elle est sonore.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <T(ь), т(ь)>.

103
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

135
La marque de mouillure <ь> n'a pas d'importance. Nous y reviendrons
plus loin.

● Le phonème /d/

/d/ ~ /b/ : voir ci-dessus /b/ ~ /d/

/d/ ~ /n/ : voir ci-dessus /n/ ~ /d/

/d/ ~ /t/ : voir ci-dessus /t/ ~ /d/

/d/ ~ /g/

En position initiale :
Les voisées sont rares à l'initiale.
/davaj/104 "commençant à" ~ /gaj/ "son, bruit".

En position intervocalique :
/moda/ "terre, sol" ~ /pogan/ "épilepsie"

En position préconsonantique :
Il n'y a pas d'exemple dans le corpus recueilli.

En position finale :
Aucun mot ne se termine par /g/.

/d/ ~ /z/

En position initiale :
Les voisées sont rares à l'initiale105.

104
En mokša, ce monème emprunté se comporte comme un adjectif. En russe, il s'agit
d'un verbe à l'impératif.
105
/debεn/ "baton" ~ /zebra/ "zèbre".

136
En position médiane :
/koda/ "comment" ~ /koza/ "(vers) où"

En position finale :
/kud/ "maison" ~ /kuz/ "sapin"

Définition du phonème /d/

Le phonème /d/ est une apico-alvéolaire106 (/d/ ~ /b/, /d/ ~ /g/) orale
(/d/ ~ /n/) occlusive (/d/ ~ /z/) sonore (/d/ ~ /t/).
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /d/

Le phonème /d/ se réalise [d] occlusif sonore apico-alvéolaire oral.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /t/ ~ /d/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /T/ se réalise soit sourd [t] si la
consonne est sourde soit sonore [d] si elle est sonore.

Fluctuation

En finale, le phonème /d/ se réalise parfois sourd [t].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Д(ь), д(ь)>.


La marque de mouillure <ь> n'a pas d'importance. Nous y reviendrons
plus loin.

106
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

137
● Le phonème /s/

Ce phonème est très important et se trouve à l'intersection de plusieurs


oppositions fondamentales parmi les fricatives.

/s/ ~ /n/ : voir ci-dessus /n/ ~ /s/

/s/ ~ /t/ : voir ci-dessus /t/ ~ /s/

/s/ ~ /f/ : voir ci-dessus /f/ ~ /s/

/s/ ~ /ts/ :

En position initiale :
/sjora/ "céréale " ~ /tsjora / "garçon"

En position intervocalique :
/malasa/ "près de" ~ /latsa/ "identique"

En position préconsonantique :
Il y a très peu d'exemples.
/kasf/ "grandi" ~ /lεtsf/ "blessé"

En position finale :
/avas/ "la femme" ~ /avats/ "sa femme"

/s/ ~ /ʃ/ :

En position initiale :
/sama/ "arrivée " ~ /ʃama/ "visage"

En position intervocalique :
/kosa/ "où" ~ /koʃard/ "commander"

138
En position préconsonantique :
/lismaprεa/ "source (d'eau)" ~ /liʃme/ "cheval"

En position finale :
/mes/ "pourquoi" ~ /meʃ/ "abeille"

/s/ ~ /ç/ :

En position initiale :
/soks/ "ski " ~ /çokça/ "automne"
/sorga/ "boucle d'oreille" ~ /çora/107 "corne"

En position médiane :
Les exemples sont rarissimes.
/rasijε/ "Russie" ~ /açi/ "d'accord"

En position préconsonantique :
/vanist/ "ils, elles ont regardé" ~ /vaniçt/ "ils, elles regardent"

En position finale :
/ç/ n'existe pas en position finale.

/s/ ~ /x/ :

En position initiale :
/x/ n'apparait à l'initiale que dans les emprunts russes108.

En position intervocalique :
/kosa/ "où" ~ /boxarjam/ "cellier"

En position préconsonantique :
/kasma/ "nuque" ~ /tsjaraxman/ "grêle"

107
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /sjura/ qui est standard.
108
/sorga/ "boucle d'oreille" ~ /xor/ "choeur".

139
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.

Définition du phonème /s/

Le phonème /s/ est une apico-alvéolaire109 (/s/ ~ /f/, /s/ ~ /ʃ/, /s/ ~ /ç/,
/s/ ~ /x/) orale (/s/ ~ /n/) fricative (/s/ ~ /t/, /s/ ~ /ts/) sourde (/s/ ~ /z/).
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /s/

Le phonème /s/ se réalise [s] fricatif oral apico-alvéolaire sourd.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /s/ ~ /z/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /S/ se réalise soit sourd [s] si la
consonne est sourde soit sonore [z] si elle est sonore.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <C(ь), c(ь)>.


Ce graphème <C(ь), c(ь)> sert parfois également à écrire /ç/. Seule la
connaissance de la langue permet de faire la différence. Cf. §.9.3.

● Le phonème /z/

/z/ ~ /n/ : voir ci-dessus /n/ ~ /z/

/z/ ~ /d/ : voir ci-dessus /d/ ~ /z/

109
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

140
/z/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /z/

/z/ ~ /v/ : voir ci-dessus /v/ ~ /z/

/z/ ~ /ʒ/ :

En position initiale :
Le phonème /ʒ/ est rare110 et semble récent dans cette position.

En position intervocalique :
Le phonème /ʒ/ est rare111 dans cette position.

En position préconsonantique :
Dans cette position, /ʒ/ est fréquent.
/rizna/ "pleurer (qn)" ~ /laʒna/ "pleurer, regretter (qn)"
/lazf/ "séparé" ~ /laʒf/ "bruit"

En position finale :
/kaz/ "offrir" ~ /kaʒ/ "terreur"

Définition du phonème /z/

Le phonème /z/ est une apico-alvéolaire112 (/z/ ~ /v/, /z/ ~ /ʒ/) orale (/z/
~ /n/) fricative (/z/ ~ /d/) sonore (/z/ ~ /s/).
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /z/

Le phonème /z/ se réalise [z] fricatif sonore apico-alvéolaire oral.

110
/zurna/ "groin " ~ /ʒuri / "jury".
111
/rezin/ "caoutchouc" ~ /reʒim/ "régime". /piza/ "nid" ~ /piʒam/ "pyjamas".
112
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

141
Neutralisation

L'opposition des phonèmes /z/ ~ /s/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /S/ se réalise soit sourd [s] si la
consonne est sourde soit sonore [z] si elle est sonore.

Fluctuation

En finale, le phonème /z/ se réalise parfois sourd [s].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <З(ь), з(ь)>.


La marque de mouillure <ь> n'a pas d'importance. Nous y reviendrons
plus loin.

● Le phonème /ts/

/ts/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /ts/

/ts/ ~ /t/ : voir ci-dessus /t/ ~ /ts/

/ts/ ~ /n/ : voir ci-dessus /n/ ~ /ts/

/ts/ ~ /tʃ/ :

La fréquence relative entre les deux phonèmes suivant les positions laisse
à penser qu'elle résulte peut-être d'une distribution complémentaire entre
deux allophones (du proto-mokša) devenus des phonèmes séparés dans
la langue contemporaine. Voir §.6.2.

En position initiale :
/tʃ/ est très rare à l'initiale.
/tsjora/ "garçon " ~ /tʃjofks / "rossignol"

142
En position intervocalique :
/tʃ/ est plus rare que /ts/ dans cette position.
/katsa/ "dans la maison" ~ /katʃa/ "cheville"

En position préconsonantique :
/ts/ est beaucoup plus rare que /tʃ/ dans cette position.
/kutskan/ "aigle" ~ /kutʃka/ "centre"

En position finale :
/tʃ/ est plus rare que /ts/ dans cette position.
/pants/ "poursuivre" ~ /pantʃ/ "ouvrir"

Définition du phonème /ts/

Le phonème /ts/ est une apico-alvéolaire113 (/ts/ ~ /tʃ/) orale (/ts/ ~ /n/)
affriquée114 (/s/ ~ /ts/).
Les affriquées sont toujours sourdes. Ce trait est donc redondant.
Il n'existe pas d'affriquées sonores.
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /ts/

Le phonème /ts/ se réalise [ts] affriqué oral apico-alvéolaire sourd.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Ц, ц>.

113
ou bien une coronale antérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.
114
ou bien distribuée, puisque l'affricativité combine occlusion et fricativité.

143
● Le phonème /ʃ/

/ʃ/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /ʃ/

/ʃ/ ~ /ʒ/ :

/ʒ/ est un phonème relativement rare.


En position initiale :
/ʒ/ n'existe que dans des emprunts récents au russe.
/ʃura/ "rare" ~ /ʒuri / "jury"

En position intervocalique :
/ʒ/ n'existe que dans des emprunts récents au russe.
/veʃi/ "plaignant" ~ /reʒim/ "régime"

En position préconsonantique :
A contrario, /ʃ/ est très rare dans cette position et les exemples
semblent être des mots d'origine tatare, comme /liʃme/ "cheval", /laʃma/
"vallée", /duʃman/ "ennemi". [ʒ] était probablement en distribution
complémentaire avec [ʃ] avant qu'un certain nombre d'emprunts tatars
ne viennent mettre fin à cette situation. Voir §.6.2.
/maʃne/ "embêter" ~ /laʒna/ "pleurer, regretter (qn)"

En position finale :
/ʒ/ n'existe que dans des emprunts récents au russe115.

/ʃ/ ~ /ç/

En position initiale :
/ʃorja/ "mélanger" ~ /çora/116 "corne"

115
/meȓ/ "abeille" ~ /beʒ/ "beige".
116
Cette prononciation est idiolectale, au lieu de /sjura/.

144
En position intervocalique :
Les exemples sont rarissimes.
/aʃəl/ "il n'y avait pas" ~ /açi/ "d'accord"

En position préconsonantique :
Les exemples sont rares.
/piʃte/ "désirer" ~ /vaniçt/ "ils, elles regardent"

En position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /aç/ "se trouver, être"

/ʃ/ ~ /tʃ/ :

En position initiale :
/tʃ/ est très rare à l'initiale.
/ʃopəlks/ "crépuscule " ~ /tʃopaft/ "plonger"

En position intervocalique :
/uʃa/ "temps (qu'il fait)" ~ /utʃa/ "mouton"

En position préconsonantique :
/tʃ/ s'oppose dans cette position à l'archiphonème /Š/.
/muŠka/ "fibre, filament" ~ /kutʃka/ "centre"
Une quasi-paire minimale est :
/tʃjoʃna/ "zézayer" ~ /mutʃnarmən/ "bécasseau"

En position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /ʃatʃ/ "naître"

/ʃ/ ~ /x/ :

145
En position initiale :
/x/ n'apparaît à l'initiale que dans les emprunts russes117.

En position intervocalique :
/x/ est très rare.
/koʃard/ "commander" ~ /boxarjam/ "cellier"

En position préconsonantique :
/x/ est très rare.
/laʃma/ "vallée" ~ /tsjaraxman/ "grêle"

En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.

Définition du phonème /ʃ/

Le phonème /ʃ/ est une palato-alvéolaire118 (/ʃ/ ~ /s/, /ʃ/ ~ /ç/, /ʃ/ ~ /x/)
fricative (/ʃ/ ~ /tʃ/) sourde (/ʃ/ ~ /ʒ/).

Les palato-alvéolaires sont toutes orales. Il n'y a pas de nasale palato-


alvéolaire. Le trait oral est donc redondant pour les palato-alvéolaires.
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /ʃ/

Le phonème /ʃ/ se réalise [ʃ] fricatif oral palato-alvéolaire sourd.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /ʃ/ ~ /ʒ/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /Š/ se réalise soit sourd [ʃ] si la
consonne est sourde soit sonore [ʒ] si elle est sonore.

117
/ʃorja/ "bloquer" ~ /xor/ "choeur".
118
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

146
Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Ш, ш>.

● Le phonème /ʒ/

/ʒ/ ~ /z/ : voir ci-dessus /z/ ~ /ʒ/

/ʒ/ ~ /ʃ/ : voir ci-dessus /ʃ/ ~ /ʒ/

Définition du phonème /ʒ/

Le phonème /ʒ/ est une palato-alvéolaire119 (/ʒ/ ~ /z/) sonore (/ʒ/ ~ /ʃ/).

Le trait fricatif est redondant. Il n'y a pas d'occlusive ni d'affriquée


palato-alvéolaire.
Le trait oral est redondant. Il n'y a pas de nasale palato-alvéolaire.
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /ʒ/

Le phonème /ʒ/ se réalise [ʒ] fricatif oral palato-alvéolaire sonore.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /ʒ/ ~ /ʃ/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /Š/ se réalise soit sourd [ʃ] si la
consonne est sourde soit sonore [ʒ] si elle est sonore.

119
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

147
Fluctuation

En finale, le phonème /ʒ/ se réalise parfois sourd [ʃ].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Ж, ж>.

● Le phonème /tʃ/

/tʃ/ ~ /ʃ/ : voir ci-dessus /ʃ/ ~ /tʃ/

/tʃ/ ~ /ts/ : voir ci-dessus /ts/ ~ /tʃ/

Définition du phonème /tʃ/

Le phonème /tʃ/ est une palato-alvéolaire120 (/tʃ/ ~ /ts/) affriquée121 (/tʃ/


~ /ʃ/). Ce phonème est obstruent.
Les affriquées sont toujours sourdes. Ce trait est donc redondant.
Il n'existe pas d'affriquées sonores.
Les palato-alvéolaires sont toujours orales. Ce trait est donc redondant.
Il n'existe pas de nasale palato-alvéolaire.

Réalisation du phonème /tʃ/

Le phonème /tʃ/ se réalise [tʃ] affriqué oral palato-alvéolaire sourd.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Ч, ч>.

120
ou bien une coronale postérieure, si on préfère ce type de terminologie plus abstraite.

148
● Le phonème /ç/

/ç/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /ç/

/ç/ ~ /ʃ/ : voir ci-dessus /ʃ/ ~ /ç/

/ç/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /ç/

/ç/ ~ /x/ :

Ces phonèmes sont rares et le rendement de l'opposition est faible. En


outre, certains /ç/ sont d'anciens */x/ palatalisés. Cf. p.291.

En position initiale :
/x/ n'apparait à l'initiale que dans les emprunts russes.
/çora/ "corne" ~ /xor/ "choeur"

En position intervocalique :
/proçama/ "salutations, au revoir" ~ /boxarjam/ "cellier"

En position préconsonantique :
Les exemples sont rarissimes.
/vaniçt/122 "ils, elles regardent" ~ /tsjaraxman/ "grêle"

En position finale :
Aucun mot ne se termine /x/.

121
ou bien distribuée, puisque l'affricativité combine occlusion et fricativité. En outre /tʃ/
est à la fois coronale antérieure par son attaque et coronale postérieure par son second
mouvement fricatif.
122
Dans cet exemple, /ç/ est un ancien /x/. Certains idiolectes ont encore l'ancienne
prononciation.

149
/ç/ ~ /j/ :

En position initiale :
/çora/ "corne" ~ /jora/ "caille"

En position intervocalique :
Il n'y a pas de vraie paire minimale.
/açi/ "d'accord" ~ /ajerd/ "partir"
/açi/ "d'accord" ~ /eji/ "glacé, gelé"

En position préconsonantique :
/peçt/ "les dents" ~ /pejt/ "de la dent"

En position finale :
/aç/ "se trouver, être" ~ /vaj/ "huile, graisse"

Définition du phonème /ç/

Le phonème /ç/ est une palatale (/ç/ ~ /s/, /ç/ ~ /ʃ/, /ç/ ~ /x/) fricative (/ç/
~ /j/).
Il n'existe pas de palatale sonore. Le trait sourde est donc inutile.
Les palatales sont toujours orales. Ce trait est donc inutile.
Il n'existe pas de nasale palatale.
Ce phonème est obstruent (mais sa distribution est très lacunaire).

Réalisation du phonème /ç/

Le phonème /ç/ se réalise [ç] fricatif oral palatal sourd, lorsqu'il est suivi
d'une consonne ou bien yodisé [çj] lorsqu'il est suivi d'une voyelle. A
l'intervocalique, ce phonème est long [ç:j].

150
Système graphique

Ce phonème s'écrit de façon assez diverse <Щ, щ>, <cь> ou <йx>.

● Le phonème /j/

/ç/ ~ /j/ : voir ci-dessus /j/ ~ /ç/


Historiquement, /ç/ est en partie issue de la séquence *j-x.

Définition du phonème /j/

On peut définir le phonème /j/ de deux façons :


- soit comme une approximante (/j/ ~ /ç/),
auquel cas le trait palatal est redondant, puisqu'il n'y a pas d'autre
approximante.
- soit comme une palatale distribuée (/j/ ~ /ç/).

La deuxième solution est très intéressante. Car le trait distribué est bien
implanté dans le système du mokša.
Ce phonème est non-obstruent.

Réalisation du phonème /j/

Le phonème /j/ se réalise [j] yod.


La séquence /ej/ se réalise parfois [e:].

Système graphique

En écriture cyrillique, ce phonème /j/ est généralement transcrit par la


série des graphèmes yodisés <я, e, и, ë, ю> ou par <й>.

151
● Le phonème /k/

/k/ ~ /t/ : voir ci-dessus /t/ ~ /k/

/k/ ~ /g/

En position initiale :
/kaj/ "habitude" ~ /gaj/ "son, bruit"

En position intervocalique :
/jaka/ "marcher" ~ /vaga/ "treuil"

En position préconsonantique :
Les exemples d'opposition du type voyelle+vélaire+n/m sont rares et
presque tous empruntés.

En position finale :
Les exemples sont rares123.

/k/ ~ /x/

En position initiale :
/korəʒ/ "chouette" ~ /xor/ "choeur"

En position intervocalique :
/boka/ "chalet" ~ /boxarjam/ "cellier"

En position préconsonantique :
Les exemples sont très rares.
/leknja/ "avoir le hoquet" ~ /tsjaraxman/ "grêle"

123
/park/ "parc" ~ /karg/ "haleter, respirer bruyamment".

152
En position finale :
Aucun mot ne se termine par /x/.

Définition du phonème /k/

124
Le phonème /k/ est une vélaire (/k/ ~ /t/) occlusive (/k/ ~ /x/)
sourde (/k/ ~ /g/).
Il n'existe pas de vélaire nasale. Le trait oral est redondant.
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /k/

Le phonème /k/ se réalise [k] occlusif sourd vélaire oral.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /k/ ~ /g/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /K/ se réalise soit sourd [k] si la
consonne est sourde soit sonore [g] si elle est sonore.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <К, к>.

124
ou bien une dorsale.

153
● Le phonème /g/

/g/ ~ /d/ : voir ci-dessus /d/ ~ /g/

/g/ ~ /k/ : voir ci-dessus /k/ ~ /g/

Définition du phonème /g/

Le phonème /g/ est une vélaire 125 (/k/ ~ /d/) sonore (/k/ ~ /g/).
Le trait oral est redondant car il n'existe pas de vélaire nasale.
Le trait occlusif est redondant, car il n'existe pas de vélaire fricative
sonore.
Ce phonème est obstruent.

Réalisation du phonème /g/

Le phonème /g/ se réalise [g] occlusif oral vélaire sonore.

Neutralisation

L'opposition des phonèmes /g/ ~ /k/ est neutralisée, lorsqu'ils sont suivis
d'une obstruente. L'archiphonème /K/ se réalise soit sourd [k] si la
consonne est sourde soit sonore [g] si elle est sonore.

Fluctuation

En finale, le phonème /g/ se réalise parfois sourd [k].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Г, г>.

125
ou bien une dorsale.

154
● Le phonème /x/

/x/ ~ /k/ : voir ci-dessus /k/ ~ /x/

/x/ ~ /ç/ : voir ci-dessus /ç/ ~ /x/

/x/ ~ /ʃ/ : voir ci-dessus /ʃ/ ~ /x/

/x/ ~ /s/ : voir ci-dessus /s/ ~ /x/

Définition du phonème /x/

126
Le phonème /x/ est une vélaire (/x/ ~ /ç/, /x/ ~ /ʃ/, /x/ ~ /s/) fricative
(/x/ ~ /k/). Ce phonème est obstruent.
Il n'existe pas de vélaire nasale. Le trait oral est redondant.
Il n'existe pas de vélaire fricative sonore. Le trait sourd est redondant.

Réalisation du phonème /x/

Le phonème /x/ se réalise [x] fricatif oral vélaire sourd.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <X, x>.

● Le phonème /l/

/l/ ~ /r/ :

En position initiale :
/lama/ "beaucoup" ~ /rama/ "acheter"

126
ou bien une dorsale.

155
En position intervocalique :
/nola/ "paresseux" ~ /nora/ "essayer"

En position préconsonantique :
/valda/ "clair" ~ /varda/ "diable"

En position finale :
/səjəl/ "hérisson" ~ /ʃəjər/ "souris"
/jul/ "juillet" ~ /jur/ "racine"

/l/ ~ /ɬ/ :

Cette opposition n'existe que devant consonne sourde.

En position préconsonantique :
/kalt/ "du poisson" ~ /kaɬt/ "des poissons"
/nalks/ "flèche" ~ /naɬkʃ/ "jouet"

/l/ ~ /d/ :

En position initiale :
/d/ est très rare à l'initiale127.

En position intervocalique :
/kεli/ "il marche dans l'eau" ~ /kεdi/ "vers la peau"

En position préconsonantique :
/kudnε/ "petite maison" ~ /nulnəft/ "se précipiter"

En position finale :
/kεl/ "langue" ~ /kεd/ "main"

127
/livəz/ "sueur " ~ /divan / "sofa, divan"

156
/l/ ~ /ʒ/ :

En position initiale :
/livəz/ "sueur " ~ /ʒivata / "bétail, vache"

En position intervocalique :
/kεli/ "il marche dans l'eau" ~ /kεʒi/ "cruel"

En position préconsonantique :
/l/ s'oppose à l'archiphonème /Š/ dans les exemples attestés.
/velde/ "grâce à" ~ /iŠd/ "allumer (feu)"

En position finale :
/kal/ "poisson" ~ /kaʒ/ "terreur"

Définition du phonème /l/

On peut définir le phonème /l/ de plusieurs façons.


- avec une conception de la phonologie proche de la phonétique, le
phonème /l/ est une latérale (/l/ ~ /r/) sonore (/l/ ~ /ɬ/).
- avec une phonologie plus abstraite, le phonème /l/ est une
coronale arrière (/l/ ~ /d/, /l/ ~ /r/) sonore (/l/ ~ /ɬ/) distribuée (/l/ ~
/ʒ/).

Réalisation du phonème /l/

Le phonème /l/ présente plusieurs allophones :


- [l] en règle générale,
- parfois [ł] vélarisé, proche de [w], s'il est précédé de /a/ /o/ ou /u/,
- [ɾ] [r à un seul battement] dans le contexte [voyelle-r-Consonne].
Ces différents allophones impliquant plusieurs lieux articulatoires :
apical ou vélaire sont également en faveur d'une description de /l/
comme étant distribué.

157
Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Л(ь), л(ь)>.

● Le phonème /ɬ/

Ce phonème et cette opposition n'existent que dans le contexte : suivie


d'une occlusive ou d'une affriquée sourde.

/ɬ/ ~ /l/ : voir ci-dessus /l/ ~ /ɬ/

/ɬ/ ~ /ř/ :

/koɬtjama/ "nous gâtons (un enfant)" ~ /kořtama/ "langage"

/ɬ/ ~ /ʃ/ :

/kaɬt/ "des poissons" ~ /kaʃtaz/ "bouton de fièvre"

/ɬ/ ~ /tʃ/ :

/naɬk/ "jouer" ~ /natʃka/ "unique"

Définition du phonème /ɬ/

On peut définir le phonème /ɬ/ de deux façons.


- avec une conception de la phonologie proche de la phonétique, le
phonème /ɬ/ est une latérale (/ɬ/ ~ /ř/) sourde (/ɬ/ ~ /l/).
- avec une phonologie plus abstraite, le phonème /ɬ/ est une
coronale arrière (/l/ ~ /d/, /l/ ~ /r/) sourde (/ɬ/ ~ /l/) distribuée (/l/ ~
/ʃ/) non- obstruente (/l/ ~ /tʃ/).

158
Réalisation du phonème /ɬ/

Ce phonème se réalise comme la succession d'une latérale sonore


brève suivie d'une fricative latérale longue qui évolue soit en chuintante
sourde soit en vélaire sourde : [lɬ:ʃ] ou [lɬ:x].
Cette réalisation de [ɬ] avec une partie chuintante palato-alvéolaire
explique le choix des paires minimales : /l/ ~ /ʒ/ et /ɬ/ ~ /ʃ/.
La nature même des réalisations de /ɬ/ est un facteur en faveur de la
description de ce phonème comme étant distribué.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Лx(ь), лx(ь)>.

● Le phonème /r/

/r/ ~ /l/ : voir ci-dessus /l/ ~ /r/

/r/ ~ /ř/ :

En position préconsonantique :
Cette opposition n'existe que devant consonne sourde.
/mart/ "de la pomme" ~ /mařt/ "des pommes"

/r/ ~ /ʒ/ :

En position initiale :
Le phonème est rare dans cette position128.

En position intervocalique :
Cette opposition est rare.
/keri/ "il coupe" ~ /kεʒi/ "cruel"

128
/rutsja/ "mouchoir " ~ /ʒuri / "jury".

159
En position préconsonantique :
/kird/ "tenir (dans les mains)" ~ /iŠd/ "allumer (feu)"

En position finale :
/kar/ "croûte" ~ /kaʒ/ "terreur"

Définition du phonème /r/

On peut définir le phonème /r/ de plusieurs façons.


- avec une conception de la phonologie, proche de la phonétique, le
phonème /r/ est une vibrante (/r/ ~ /l/) sonore (/r/ ~ /ř/).
- avec une phonologie plus abstraite, le phonème /r/ est une apicale
(ou linguale) (/r/ ~ /l/, /r/ ~ /d/, /r/ ~ /ʒ/) sonore (/r/ ~ /ř/).
Ce phonème est non obstruent.

Réalisation du phonème /r/

Ce phonème se réalise comme un [r] roulé à plusieurs battements (au


moins 4).

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <P(ь), p(ь)>.

● Le phonème /ř/

/ř/ ~ /r/ : voir ci-dessus /r/ ~ /ř/

/ř/ ~ /ɬ/ : voir ci-dessus /ɬ/ ~ /ř/

160
/ř/ ~ /ʃ/ :

En position médiane :
Cette opposition avec l'archiphonème /Š/ n'existe que dans le contexte :
suivie d'une occlusive ou d'une affriquée sourde.
/kařt/ "des croûtes ~ /kaŠtaz/ "bouton de fièvre"

Définition du phonème /ř/

On peut définir le phonème /ř/ de plusieurs façons.


- avec une conception de la phonologie, proche de la phonétique, le
phonème /ř/ est une vibrante (/ř/ ~ /ɬ/) sourde (/ř/ ~ /r/).
- avec une phonologie plus abstraite, le phonème /ř/ est une apicale
(ou linguale) (/ř/ ~ /ɬ/, /ř/ ~ /ʃ/) sourde (/r/ ~ /ř/).

Le phonème /ř/ est distribué, mais ce trait est redondant pour la


description.
Ce phonème est non-obstruent.

Réalisation du phonème /ř/

Ce phonème se réalise comme la succession d'une vibrante sonore


brève suivie d'une fricative longue qui évolue en chuintante sourde [rř:ʃ].

Fluctuation

/ř/ se réalise parfois [ʃ].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Px(ь), px(ь)>.

161
5.3.2. M. Viktor LYSOV : Système consonantique

Cet idiolecte possède 23 phonèmes consonantiques.


On peut le décrire de deux façons :
- avec une terminologie articulatoire,
- avec une terminologie abstraite.

• Description articulatoire

Dans cette approche, la description du système nécessite les traits :


- labial, apico-alvéolaire, palato-alvéolaire, palatal et vélaire,
- nasal/oral,
- occlusif, affriqué, fricatif, approximant, latéral et vibrant.

Description articulatoire des phonèmes consonantiques

Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire

Nasale /m/ /n/

Occlusive Sourde /p/ /t/ /k/

Occlusive Sonore /b/ /d/ /g/

Affriquée Sourde /ts/ /tʃ/

Fricative Sourde /f/ /s/ /ʃ/ /ç/ /x/

Fricative Sonore /v/ /z/ /ʒ/

Approximante /j/

Latérale Sonore /l/

Latérale Sourde /ɬ/

Vibrante Sonore /r/

Vibrante Sourde /ř/

162
Description abstraite des phonèmes consonantiques de l'idiolecte mokša de Viktor Lysov

Traits m p b f v n t d s z ts l ɬ r ř ç j ʃ Ʒ tʃ k g x

Traits Nasal X X
non-
linguals Labial X X X X X

Coronal Avant X X X X X X

Apical X X
Traits
Coronal Arrière X X X X X
linguals
Palatal X X

Dorsal X X X

Occlusif X X X X X X

Mode Fricatif X X X X X X X X

Distribué X X X X X

Etat Sourd X X X X X X X X X X X

glottal Voisé/Sonore X X X X X X X X

Obstruente X X X X X X X X X X X X X X
Type
Non-obstruente X X X X X X X X X
En ce qui concerne le trait nasal, l'absence de croix <X> dans la ligne signale toutes les consonnes orales.

163
• Intérêt de la description abstraite

Dans l'approche abstraite utilisant une terminologie spécifiquement


phonologique, la description du système nécessite les traits :
- labial, coronal avant, coronal arrière, apical, palatal et dorsal,
- nasal/oral,
- occlusif, fricatif et distribué,
- obstruent/non obstruent.

Le recours au terme distribué permet d'éliminer de rassembler sous un


seul entête les vocables hétéroclites latéral, approximant, affriqué hérités
de la phonétique articulatoire. La description abstraite est plus économe
en traits descriptifs.
La description traditionnelle de /ɬ/ comme étant une latérale sourde est
tout au plus approchée : elle ne rend pas compte des réalisations [lɬ:ʃ] ou
[lɬ:x] où coexistent latéralité, sourdité, vélarité ou palatalité. Au contraire, le
trait distribué souligne cette caractéristique de /ɬ/. Dans ce cas particulier,
le recours à un vocabulaire phonologique spécifique : distribué permet
même une meilleure description au plus près de la réalité phonétique et
articulatoire.
On perçoit ici l'avantage d'un niveau d'abstraction mesuré pour formaliser
le système de façon beaucoup plus intégrée et universelle.

164
5.3.3. M. Viktor LYSOV : Phonèmes vocaliques

● Le phonème /a/

/a/ ~ /ε/ :

Position initiale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /εʃε/ "froid"
Position médiane :
/ʃajtan/ "Diable" ~ /ʃεjer/ "cheveu"
Position finale :
/ala/ "en dessous" ~ /alε/ "homme, père"

/a/ ~ /εæ/ :

Position initiale :
/εæ/ n'existe pas dans cette position.
Position médiane :
/kad/ "partir" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/pra/ "tomber" ~ /prεæ/ "tête"

/a/ ~ /o/ :

Position initiale :
/aʃ/ "il n'y a pas" ~ /oʃ/ "ville"
Position médiane :
/kaj/ "son, bruit" ~ /koj/ "loi, coûtume"
Position finale :
/o/ n'existe pas en position finale.

165
/a/ ~ /ə/ :

Position initiale :
/ardama/ "le fait d'aller (en voiture, etc)" ~ /ərdas/ "saleté"
Position médiane :
/ʃajtan/ "Diable" ~ /ʃəjər/ "souris"
Position finale :
/ə/ n'existe pas en position finale.

Définition du phonème /a/

Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/, (/a/ ~ /o/)
postérieure (/a/ ~ /εæ/, /a/ ~ /ε/).

Réalisation du phonème /a/

Ce phonème se réalise phonétiquement [a] central ouvert non labialisé.


Ce phonème est stable. En finale, il arrive qu'il se centralise et se
réalise [ə], voire même [u] s'il est précédé de /m/, comme dans лама
"beaucoup" [lama] ou [lamu]. Suivi de yod [j], il se réalise parfois
légèrement antériorisé [æ].

Neutralisation

Dans cet idiolecte, l'opposition entre /ε/, /εæ/ et /a/ est neutralisée en
finale absolue précédée d'une chuintante /š/ ou /ž/, comme dans les
monèmes тише [tiša] ou [tišε] "foin" ou тёжа [tjožε] [tjoža] "jaune".
L'archiphonème se réalise [ε] [a] ou [æ].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <A, a> ou plus rarement <Я, я>.

166
● Le phonème /ε/

/ε/ ~ /a/ : voir ci-dessus /a/ ~ /ε/

/ε/ ~ /εæ/ :

Position initiale :
/εæ/ n'existe pas dans cette position.
Position médiane :
/fkεfkεn/ "l'un l'autre" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/tε/ "celui-ci" ~ /prεæ/ "tête"

/ε/ ~ /e/ :

Position initiale :
A l'initiale, on ne rencontre pas #ε.
Position médiane :
/ʃεjer/ "cheveu" ~ /pej/ "dent"
Position finale :
/fkε/ "un" ~ /ve/ "nuit"

Définition du phonème /ε/

Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/,
/ε/ ~ /εæ/).

Réalisation du phonème /ε/

Ce phonème se réalise [ε] ouvert antérieur non labialisé et aussi


souvent [jε].
Ce phonème ne se rencontre pas à l'initiale, dans cet idiolecte.

167
Neutralisation

Dans cet idiolecte, l'opposition entre /ε/, /εæ/ et /a/ est neutralisée en
finale absolue précédée d'une chuintante /š/ ou /ž/, comme dans les
monèmes тише [tiša] ou [tišε] "foin" ou тёжа [tjožε] [tjoža] "jaune".
L'archiphonème se réalise [ε] [a] ou [æ].

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <Э, э> ou <Я, я>.

● Le phonème /e/

/e/ ~ /ε/ : voir ci-dessus /ε/ ~ /e/

/e/ ~ /ə/ :

Position initiale :
/er/ "chaque" ~ /ərdas/ "saleté"
Position médiane :
/pej/ "dent" ~ /ʃəj/129 "jour"
Position finale :
/ə/ est rare en finale.

/ve/ "nuit" ~ /kȓtə/ "fraise"

/e/ ~ /i/ :

Position initiale :
/er/ "chaque" ~ /irdεs/ "côte (os)"
Position médiane :
/sed/ "pont" ~ /sidi/130 "coeur"

129
Cette prononciation est idiolectale. D'autres locuteurs ont /ʃi/ ou /ʃɨ/.

168
Position finale :
/ve/ "nuit" ~ /vi/ "force"
/tne/ "les" ~ /pitni/ "précieux"

Définition du phonème /e/

Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).

Réalisation du phonème /e/

Ce phonème présente plusieurs allophonies :


- il se réalise [e], en général, et aussi souvent [je].
- il se réalise [ɘ] parfois semi-centralisé, lorsqu'il est suivi de /p/, /b/
ou /m/, par exemple цебярь "bon" [tsebεr] ou [tsɘbεr].
- il se réalise [ɨ] semi-centralisé en finale absolue dans les mots de
plus d'une syllabe.131

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <E, e>.

● Le phonème /i/

/i/ ~ /e/ : voir ci-dessus /e/ ~ /i/

/i/ ~ /u/ :

130
Cette prononciation est dialectale, au lieu de /sedi/ "coeur".
131
Cette particularité ne se rencontre pas dans les autres idiolectes.

169
Position initiale :
/iz/ "ne pas (avoir pu)" ~ /uzεr/ "hache"
Position médiane :
/tsilgε/ "verrue" ~ /tsulka/ "bas, collant"
Position finale :
/vi/ "force" ~ /tu/ "partir"
/sjavari/ "il s'effondre" ~ /karu/ "mouche"

Définition du phonème /i/

Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/).

Réalisation du phonème /i/

Le phonème /i/ se réalise [i] fermé antérieur non labialisé.

Particularités idiolectales

Cet idiolecte, originaire de Lemdiai, présente /i/ dans certains signifiants


où les autres idiolectes et la langue standard ont /e/.
Par exemple :
- ceди [sidi] "coeur"
- пеке [pikε] "ventre"
- кев [kiu] "pierre"
- эждемc [iždεms] "chauffer"
- кенкш [kiŋkš] "porte"
- нешк [nišk] "ruche"

Il ne s'agit pas de fluctuation de phonèmes entre /i/ et /e/. Dans cet


idiolecte, le signifiant de ces monèmes se réalise avec /i/ et non pas /e/.
La répartition des phonèmes /i/ et /e/ dans le lexique est différente entre
cet idiolecte et les autres.

170
Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <И, и> ou plus rarement <E, e>.

● Le phonème /ə/

/ə/ ~ /a/ : voir ci-dessus /a/ ~ /ə/

/ə/ ~ /e/ : voir ci-dessus /e/ ~ /ə/

/ə/ ~ /εæ/ :

Position initiale :
/εæ/ n'existe pas à l'initiale.
Position médiane :
/kʃtəda/ (se nourrir) "de fraise" ~ /kεæd/ "main"
Position finale :
/ə/ et /εæ/ sont rares en finale.
/kʃtə/ "fraise" ~ /prεæ/ "tête"

/ə/ ~ /o/ :

Position initiale :
/ərdas/ "saleté" ~ /orta/ "porte"
Position médiane :
/ʃəj/132 "jour" ~ /koj/ "loi"
Position finale :
En finale, on ne rencontre pas -o#.

132
Cette prononciation est idiolectale. D'autres locuteurs ont /ʃi/ ou /ʃɨ/.

171
Définition du phonème /ə/

Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /εæ/)
centrale (/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).

Réalisation du phonème /ə/

Le phonème /ə/ se réalise [ə] centralisé non arrondi.

Commentaire

Ce phonème /ə/ est généralement décrit comme étant une "voyelle


réduite", ce qui sous-entend qu'il s'agit soit d'un archi-phonème
résultant de la neutralisation de certaines oppositions soit d'une
réalisation contextuelle d'un phonème particulier. Dans la suite, nous
reviendrons à plusieurs reprises sur l'inadéquation de cette approche.
/ə/ est un phonème.

Particularités idiolectales

La réalité de cet idiolecte s'écarte de la norme graphique et des autres


idiolectes sur plusieurs points.
Les autres idiolectes ont un phonème /ɨ/ qui n'existe pas dans celui-ci.
Le phonème /ɨ/ des autres idiolectes équivaut dans celui-ci tantôt à /i/,
tantôt à /ε/.

Par exemple :
- шeep [ʃəjər] "souris" (au lieu de [ʃejεr])
- ши [ʃəj] "jour" (au lieu de [ʃɨ])
- мазы [mazi] "beau" (au lieu de [mazɨ])
- cимы [simi] "il boit" (au lieu de [simɨ])
- колендыxть [kolendiçt] "ils jouent", (au lieu de [kolendɨçt])
- ванды [vandε] "demain" (au lieu de [vandɨ])

172
Système graphique

Ce phonème est transcrit de façon extrêmement aléatoire. Presque


tous les graphèmes voyelles du cyrillique sont possibles, hormis peut-
être <y> [u] et <ю> [ju]. Il arrive même qu'il ne soit pas transcrit du tout,
comme dans кдa /kəda/ "si".

● Le phonème /εæ/

Ce phonème est très rare.


On le trouve dans trois monèmes /prεæ/ "tête", /kεæd/ "main" et /kεæl/
"langue". Dans cet idiolecte, un autre exemple potentiel de /εæ/ se
réalise /ja/. A savoir Cтя /stja/133 "se lever".

/εæ/ ~ /a/ : voir /a/ ~ /εæ/

/εæ/ ~ /ε/ : voir /ε/ ~ /εæ/

/εæ/ ~ /ə/ : voir /ə/ ~ /εæ/

Définition du phonème /εæ/

Le phonème /εæ/ est une voyelle ouverte (/εæ/ ~ /ə/) centrale (/εæ/ ~
/a/, /εæ/ ~ /ε/).

Réalisation du phonème /εæ/

Le phonème /εæ/ se réalise comme une diphtongue [εa], [εæ] ou [eæ].

133
D'autres idiolectes ont /stεæ/.

173
● Le phonème /o/

/o/ ~ /ə/ : voir ci-dessus /ə/ ~ /o/

/o/ ~ /a/ : voir ci-dessus /a/ ~ /o/

/o/ ~ /u/ :

Position initiale :
/orta/ "porte" ~ /urta/ "troupeau"
Position médiane :
/koj/ "loi" ~ /kuj/ "serpent"

Position finale :

En finale, on ne rencontre pas -o#.

Définition du phonème /o/

Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures (autres que /a/) sont également arrondies. Ce
trait est redondant.

Réalisation du phonème /o/

Le phonème /o/ se réalise [o] mi-fermé postérieur labialisé.

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <O, o> ou plus rarement <Ë, ë>.

174
● Le phonème /u/

/u/ ~ /o/ : voir ci-dessus /o/ ~ /u/

/u/ ~ /i/ : voir ci-dessus /a/ ~ /o/

Position initiale :
/urd/ "servir" ~ /irdεs/ "côte (os)"
Position médiane :
/sud/ "court de justice" ~ /sidi/134 "coeur"

Position finale :
/tu/ "partir" ~ /kʃti/ "danser"

Définition du phonème /u/

Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /i/).
Les voyelles postérieures (autres que /a/) sont également arrondies. Ce
trait est redondant.

Réalisation du phonème /u/

Le phonème /u/ se réalise [u], sauf en finale absolue des mots de plus
de deux syllabes où il se réalise [o]. Par exemple, [kelo] "bouleau" ou
[lafto] "épaule".

Système graphique

Ce phonème s'écrit normalement <У, y>.

134
Cette prononciation est dialectale, au lieu de /sedi/ "coeur".

175
Système des phonèmes vocaliques :

Le système de cet idiolecte est le suivant :

Tableau des phonèmes vocaliques


(Suivant la présentation russe)

Postérieures Centrales Antérieures

ouverte /a/ /εæ/ /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /i/

L'orientation du tableau est celle qu'on rencontre dans les sources russes.
Nous la conservons par souci d'homogénéité des présentations entre les
différentes sources.
Bien que phonologiquement postérieur, le phonème /a/ n'est pas arrondi.
En revanche, il tend à vélariser /l/, comme les voyelles postérieures /o/ et
/u/. Le phonème central ouvert /εæ/ se réalise comme une diphtongue
[εæ].

Signalons pour mémoire que certaines variétés d'anglais américain du


nord-est présentent trois phonèmes /a/ /εa/ et /ε/ : <ken> "Ken" [khεn],
<can> "boite" [khεæn] et <can> "pouvoir" [khan] sont en opposition
distinctive dans certaines variétés dialectales. Le système du mokša n'est
donc pas exceptionnel.

176
5.4. M. Anatoli YERIOMKIN : Présentation

Dans cet idiolecte, les voyelles accentuées ont une durée plus longue et
une intensité plus forte que les autres voyelles. La place de l'accent peut
se situer sur une autre syllabe que la première : [awa:tnen] "les femmes".
Cette particularité, qui ne se trouve pas chez V. Lysov, se rencontre dans
d'autres idiolectes du corpus. Nous indiquons la place de l'accent par le
soulignement de la voyelle /avatnen/.

Ce locuteur oppose sept phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Le corpus ne permet pas de déterminer si /εa/ existe.
Le système de cet idiolecte est différent de celui de V. Lysov en deux
points particuliers :
- on rencontre un phonème supplémentaire /ɨ/,
- le phonème /ə/ fluctue de façon importante avec les phonèmes /a/ et
/e/ inaccentués.

M. Oleg Kazanin a enregistré son père, M. Anatoli Yeriomkin, lors d'une


visite en famille à Saransk en Octobre 2006.
Le corpus analysé comprend deux fichiers:
- une narration spontanée (40 s),
- un texte lu (50 s).
La nature spontanée du corpus oblige à employer de façon systématique
des quasi paires minimales.

177
5.4.1. M. Anatoli YERIOMKIN : Phonèmes consonantiques

● Les phonèmes labiaux

Les cinq phonèmes labiaux /m/, /p/, /b/, /v/ et /f/, identifiés chez V.
Lysov existent aussi dans cet idiolecte.

Position initiale :
/min/ "nous"
/boxarjam/ "cellier"
/vanft/ "conserver"
/filip/ "Philippe"

Position médiane :
/jakamem/ "nous sommes allés"

/ȓtobə/ "afin que"


/ivan/ "Ivan"
/timafej/ "Timothée"

Position finale :
/jakamem/ "nous sommes allés"
/filip/ "Philippe"
Dans le corpus, /p/ n'est attesté qu'en finale.

Les définitions et les réalisations des phonèmes labiaux dans l'idiolecte


de A. Yeriomkin sont les mêmes que pour l'idiolecte de V. Lysov.
Dans cet idiolecte, la réalisation de /v/ comme [w] à l'inter-vocalique est
encore plus fréquente que chez V. Lysov.

178
● Les phonèmes apico-alvéolaires (ou coronals antérieurs)

Les six phonèmes apico-alvéolaires /n/, /t/, /d/, /ts/, /s/ et /z/, identifiés
chez V. Lysov existent aussi dans cet idiolecte.

Position initiale :
/tenza/ "à lui"
/dimitri/ "Dimitri"
/sendroj/ "(Village de) Sendrov"

Position médiane :
/ivanəvitʃ/ "Ivanovitch"
/kotetsi/ "sixième"
/moda/ "terre"
/velεsa/ "dans le village"
/liçteze/ "ils (les) sortirent"

Position finale :
/son/ "il, P3"
/sjat/ "cent"
/od/ "nouveau"
/stirεts/ "sa fille"
/tus/ "il partit"
/mez/ "quoi ?"

Les définitions et les réalisations des phonèmes apico-alvéolaires dans


l'idiolecte de A. Yeriomkin sont les mêmes que pour l'idiolecte de V.
Lysov.

179
● Les phonèmes palato-alvéolaires (ou coronals postérieurs)

Les trois phonèmes palato-alvéolaires /tʃ/, /ʃ/ et /ʒ/, identifiés chez V.


Lysov existent aussi dans cet idiolecte.

Position initiale :
Le corpus ne comprend pas d'exemple.

Position médiane :
/maʃa/ "Masha"
/tjoʒən/ "mille"

Position finale :
/aʃ/ "il n'y a pas"
/-əvitʃ/ "fils de ; -ovitch"

Les définitions des phonèmes palato-alvéolaires dans l'idiolecte de A.


Yeriomkin sont les mêmes que pour l'idiolecte de V. Lysov.

● Les phonèmes latéraux et vibrants

Les latérales et vibrantes sonores et sourdes /l/ /ɬ/ /r/ /ř/ existent dans
cet idiolecte.

Attestation de /ɬ/ :
/vanftɨvɨɬt/ "(qu') ils puissent conserver"
/vanft/ "conserverser"
/-ɨv-/ "pouvoir"
/-ɨɬ-/ "subjonctif"
/-t/ "pluriel"

Attestation de /ř/ :
/mařta/ "avec"

180
En ce qui concerne les réalisations, /ɬ/ a une réalisation chuintante et
non pas vélaire [lɬʃ], contrairement à V. Lysov [lɬx].

● Les phonèmes palataux

Les phonèmes palataux /ç/ et /j/ identifiés chez V. Lysov existent aussi
dans cet idiolecte.

Pour /ç/ :
/liçteze/ "ils emmenèrent"
/kudsta/ "hors de la maison"
/ʃta/ "nettoyer"

Pour /j/ :
/sa/ "venir"
/sjat/ "cent"

Les définitions et les réalisations des phonèmes apico-alvéolaires dans


l'idiolecte de A. Yeriomkin sont les mêmes que pour l'idiolecte de V.
Lysov.

● Les phonèmes vélaires (ou dorsaux)

Les phonèmes vélaires /k/ et /x/ identifiés chez V. Lysov existent aussi
dans cet idiolecte.
/g/ n'est pas attesté. Mais il n'y a pas de raison qu'il n'existe pas dans
cet idiolecte. Il s'agit d'une lacune dans le corpus.

181
Position médiane :
/toka/ "souffrir" ~ /boxarjam/ "cellier"

/k/ est également attesté en position initiale et finale.


/kapsta/ "chou"
/isjak/ "hier"

La définition et la réalisation du phonème vélaire /k/ dans l'idiolecte de


A. Yeriomkin sont les mêmes que pour l'idiolecte de V. Lysov.
Le phonème /g/ n'est pas attesté.
En ce qui concerne /x/, bien qu'il se réalise [ḥ] pharyngal sourd, il est
préférable de décrire ce phonème comme étant phonologiquement
vélaire mais de réalisation phonétique pharyngale dans cet idiolecte.
Cette définition est plus en accord avec les systèmes rencontrés avec
les autres locuteurs et dans le dia-système.
Si on décrit le phonème /x/ comme étant dorsal fricatif sur le plan
phonologique, la question de son lieu de réalisation vélaire ou
pharyngal n'a alors plus d'importance. Ce point est aussi en faveur
d'une terminologie phonologique spécifique, indépendante de celle de
la phonétique articulatoire et plus abstraite.

● Le système consonantique de M. Yeriomkin

Le système de cet idiolecte est le même que celui de M. Lysov, tel qu'il
est décrit au § 5.3.2.

182
5.4.2. M. Anatoli YERIOMKIN : Phonèmes vocaliques

Ce locuteur oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
/εa/ n'est pas attesté135.

Exemples en position initiale :


/aʃ/ "il n'y a pas"
/i/ "et"
/od/ "nouveau"
/ujl/ "être"

Exemples en position médiane :


/a_a/ : /maʃa/ "Masha"
/a_e/ : /aʃez/ "il n'y eut pas"
/a_ə/ : /vanftəms/ "conserver"
/a_ɨ/ : /vanftɨvɨɬt/ "ils puissent conserver"
/a_u/ : /boxarjamu/ "dans le cellier"

/ə_o/ : /krivərotəf/ "Krivorotof"


/ə_ε/ : /kizənε/ "cette année-là"
/ə_i/ : /ivanəvitʃ/ "Ivanovitch"
/ə_a/ : /məzjardə/ "quand"

Exemples en position finale :


/kapsta/ "chou"
/kizənε/ "cette année-là"
/liçteze/ "ils emmenèrent"
/veli/ "au village"
/velεsə/136 "dans le village"
/ʃtobə/ "afin que"
/boxarjamu/ "dans le cellier"

135
L'hypothèse que /εa/ existe dans cet idiolecte est raisonnable, dans la mesure où il
existe dans tous les autres idiolectes.
136
En finale, /ə/ fluctue avec /a/. Par ailleurs, /velesa/ existe également.

183
● Le phonème /a/

Définition du phonème /a/

Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/) postérieure (/a/ ~
/o/, /a/ ~ /ε/).

Réalisation du phonème /a/

Ce phonème se réalise [a:] lorsqu'il est accentué, sinon [a].


Suivi ou précédé de yod [j], il se réalise parfois légèrement antériorisé
[æ].

Fluctuation

Dans cet idiolecte, /a/ fluctue avec /ə/, spécialement en finale absolue
inaccentué.
"Dans le village" peut se dire /velesə/ ou /velesa/.
Il y a même un exemple de fluctuation avec /ɨ/ : /kizɨ/ pour /kiza/.

● Le phonème /ε/

Définition du phonème /ε/

Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/).

184
Réalisation du phonème /ε/

Ce phonème se réalise [ε].


Il est peu attesté dans le corpus.

● Le phonème /e/

Définition du phonème /e/

Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).

Réalisation du phonème /e/

Ce phonème se réalise [e:] lorsqu'il est accentué, sinon [e].

Fluctuation

Dans cet idiolecte, /e/ fluctue avec /ə/, spécialement en syllabe


inaccentuée.
"les femmes" peut se dire /avatnen/ ou /avatnən/.
Il arrive aussi que /e/ fluctue avec /ε/ ou /ɨ/.

Particularité idiolectale

Cet idiolecte présente la particularité que les mots d'origine russe, écrits
avec un <и>, se prononcent :
- avec un [ɪ] détendu, correspondant plutôt aux réalisations du
phonème /e/ (au lieu de /i/), lorsque <и> est inaccentué,
- avec le phonème /i/, lorsque <и> est accentué.
Par exemple, le prénom Дмитрий se réalise [dɪmɪtri:] /demetri/.

185
Il est possible qu'il s'agisse d'une particularité du russe parlé en
Mordovie. Cette hypothèse reste à confirmer137.

● Le phonème /i/

Définition du phonème /i/

Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/, /i/
~ /ɨ/).

Réalisation du phonème /i/

Le phonème /i/ se réalise [i:] lorsqu'il est accentué, sinon [i].

● Le phonème /ə/

Ce phonème est représenté dans un mot russe /ʃtobə/ "afin que". Mais il
est surtout présent dans des mots mokšas comme /sεmbən/ "tout" et
/vanftəms/ "conserver".

Définition du phonème /ə/

Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /ɨ/) centrale
(/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).

Réalisation du phonème /ə/

Le phonème /ə/ se réalise centralisé non arrondi [ə].


Ce phonème n'est pas attesté dans le corpus, en syllabe accentuée.

137
L'éloignement et la difficulté de joindre les locuteurs régulièrement rendent difficile
l'élucidation de certaines hypothèses.

186
Fluctuation

Les phonèmes /a/ et /e/ inaccentués fluctuent fréquemment avec /ə/. Il


ne s'agit en aucun cas de neutralisation.

● Le phonème /ɨ/

Il se rencontre dans des mots mokšas comme /kaksɨgemon/ "quatre-


vingts".

Définition du phonème /ɨ/

Le phonème /ɨ/ est une voyelle fermée (/ə/ ~ /ɨ/) centrale (/ɨ/ ~ /i/, /ɨ/ ~
/u/).

Réalisation du phonème /ɨ/

Le phonème /ɨ/ se réalise centralisé fermé non arrondi [ɨ].


Ce phonème n'est pas attesté dans le corpus, en syllabe accentuée.

Système graphique

Hormis le cas des mots russes où /ɨ/ est écrit <ы>, le système
graphique transcrit ce phonème <o> dans les mots mokšas et ne
distingue pas /ə/ et /ɨ/ de façon cohérente avec cet idiolecte.
/ɨvɨ/ est transcrit <oвo> et /kaksɨgemon/ <кафксогемонь>.

187
● Le phonème /o/

Définition du phonème /o/

Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.

Réalisation du phonème /o/

Le phonème /o/ se réalise [o:] en syllabe accentuée, sinon [o].

/o/ est très rare en syllabe inaccentuée mais maintient les oppositions
phonologiques avec /a/, /e/ et /ə/. La notion de neutralisation ou d'archi-
phonème n'a pas lieu d'être.

● Le phonème /u/

Définition du phonème /u/

Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /ɨ/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.

Réalisation du phonème /u/

Le phonème /u/ se réalise [u].

188
● Tableau des phonèmes vocaliques :

Le système de cet idiolecte est le suivant :

Tableau des phonèmes vocaliques

centrales antérieures
postérieures
(non arrondies) (non arrondies)

ouverte /a/ /εæ/138 /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /ɨ/ /i/

138
Ce phonème n'est pas attesté mais probable.

189
5.5. Mme Liudmila ZOTOVA : Présentation

M. Jean-Léo Léonard a enregistré Mme Liudmila Zotova, lors de son


voyage en Mordovie, à Sire-Šaigovo, en août 2003. Elle avait alors 35
ans.

• Analyse du texte lu

Il s'agit d'un conte pour enfants écrit en mokša, dont le titre est Tyвoня
/tuvənε/ "Le petit cochon"139.
La locutrice le lit avec soin et emphase, ce qui permet une analyse précise
de presque tout l'enregistrement, qui dure en tout 240 secondes. Malgré
ce soin, on peut relever plusieurs phénomènes :
- dans les désinences verbales, il est fréquent que -t- final soit amuï,
- certaines consonnes s'assimilent. Dans <кapмacть шyтeндaмa>,
/karmajst ʃuntendama/ "ils commencèrent à plaisanter", la séquence
/st ʃ/ est réalisée [ʃʃ] du fait de l'amuïssement de /t/ et du contact /s/ /ʃ/.

Le texte comprend quelques coquilles typographiques que la locutrice a


corrigées à la lecture, par exemple <Мeшнe> /meʃne/ "les abeilles" au lieu
de <Мeшнeнь> /meʃne/. Cette forme à finale -нь est fautive dans la
phrase en question. Dans un autre cas, elle a introduit un <к> dans
<лaнгaкcoнц> relu <лaнгaкc-к-oнц> [laŋkaks-k-əmθ]. Elle a également
rajouté une coordination, <и> /i/ "et", à deux reprises.
Cette maîtrise de la lecture et la capacité à amender le texte permettent
de conclure que cette locutrice a une compétence forte dans la langue
mokša. A plusieurs reprises, sa prononciation s'écarte de la graphie et son
témoignage est donc très révélateur de sa parole spontanée.

139
Le texte est donné en annexe 5 avec la transcription phonétique relative à
l'enregistrement de L. Zotova.

190
Dans cet idiolecte, les voyelles accentuées ont une durée plus longue et
une intensité plus forte que les autres voyelles. La place de l'accent peut
se situer sur n'importe quelle syllabe :
- бaзap [ba:zar] "marché"
- кeмгaфтyвa [kemga:ftəv] "vingt"
- тyвoня [tovənε:] "petit cochon"

Cette locutrice oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Cette opposition se maintient en tout contexte : initial, final, interne,
accentuée ou non accentuée. En outre, on trouve la diphtongue /εæ/.

Les réalisations des voyelles sont en fort décalage avec la graphie pour
les phonèmes /e/ et /ε/ qui sont notés au moyen de <o>, <e>, <э>, <ы> et
<я>, suivant des clés de répartition qui ne sont pas cohérentes avec la
réalité de cet idiolecte. Ces écarts sont signalés dans les paragraphes
relatives aux "prononciations remarquables".

191
5.5.1. Mme Liudmila Zotova : Phonèmes consonantiques

Le système consonantique de cette locutrice est le même que celui des


autres locuteurs. La description suivante concerne essentiellement les
points par lesquels cet idiolecte diverge des autres ou présente des
caractéristiques spécifiques.

● Les phonèmes labiaux

Les cinq phonèmes labiaux /m/, /p/, /b/, /v/ et /f/, identifiés chez les autres
locuteurs existent dans cet idiolecte.

/p/, /f/ n'appellent pas de remarque particulière.


Le phonème /m/ se rencontre dans la finale <-нц> "sa, son" que la
locutrice réalise [-mθ] ou [-mts], avec [m] alors que la graphie suggère [n].
Il ne s'agit pas de fluctuation ni de neutralisation. Dans cet idiolecte, on
rencontre /-mts/ au lieu de /-nts/. V. Lysov a uniquement [nts] ou [ns]
conforme à la graphie.
Il est fréquent que /b/ soit amuï après /m/, en particulier dans <ceмбe>
souvent réalisé [semε] et plutôt que [sembε]. Ce phénomène existe aussi
chez V. Lysov.
Le phonème /v/ se réalise tantôt [v] tantôt [w] :
- toujours [v] à l'initiale,
- en finale plus fréquemment [w] que [v],
A noter que <кoв> /kov/ "où" se réalise [ko:].
- à l'intervocalique, /v/ se réalise [w] si la voyelle précédente est /o/ ou
bien /u/, sinon il se réalise [v].

192
● Les phonèmes apico-alvéolaires

Les six phonèmes apico-alvéolaires /n/, /t/, /d/, /ts/, /s/ et /z/, identifiés
chez V. Lysov existent dans cet idiolecte.

Les phonèmes /n/, /t/, /d/, /s/ et /z/ n'appellent pas de remarque
particulière. /n/ suivi d'une vélaire se réalise [ŋ] de façon quasi
systématique contrairement à l'idiolecte de V. Lysov.
Le phonème /ts/ est plus complexe. En finale et parfois aussi en médiane,
il est fréquent qu'il se réalise [tθ] ou [θ] au lieu de [ts]. Cette réalisation
confirme que le phonème /ts/ existe et qu'il est différent de la séquence
/t/+/s/.

● Les phonèmes palato-alvéolaires

Les trois phonèmes palato-alvéolaires /tʃ/, /ʃ/ et /ʒ/, identifiés chez V. Lysov
existent dans cet idiolecte.
Le phonème /tʃ/ n'est ni palatalisé ni yodisé, même dans les mots d'origine
russe : <oтвeчa> "répondre", dont la translittération est <otvetcha>, se
réalise /atvitʃa/ et non pas /atvitʃja/, comme en russe.

● Les phonèmes latéraux et vibrants

Et les latérales et vibrantes sonores et sourdes /l/ /ɬ/ /r/ /ř/ existent aussi
dans l'idiolecte de Mme L. Zotova.
Comme dans l'idiolecte de M. Yeriomkin, les latérale sourde /ɬ/ et vibrante
sourde /ř/ ont une réalisation chuintante et non pas vélaire : [lɬʃ] et [rřʃ].

● Les phonèmes palataux

Les phonèmes palataux /ç/ et /j/ identifiés chez V. Lysov et A. Yeriomkin


existent dans cet idiolecte.

193
● Les phonèmes vélaires

Les phonèmes vélaires /k/, /g/ et /x/ identifiés chez V. Lysov et A.


Yeriomkin existent dans cet idiolecte.
Ils sont réalisés de façon nettement vélaire voire presque uvulaire.
La séquence /n/ + /g/ se réalise [ŋ:] comme dans <тoнгa> /tonga/ "là-bas"
qui se réalise [toŋ:a].

● Le système consonantique de Mme L. Zotova

Le système de cet idiolecte est le même que celui de M. Yeriomkin et de


M. Lysov, tel qu'il est décrit au § 5.3.2. A savoir :

Tableau des phonèmes consonantiques

Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire

Nasale /m/ /n/

Occlusive Sourde /p/ /t/ /k/

Occlusive Sonore /b/ /d/ /g/

Affriquée Sourde /ts/ /tʃ/

Fricative Sourde /f/ /s/ /ʃ/ /ç/ /x/

Fricative Sonore /v/ /z/ /ʒ/

Approximante /j/

Latérale Sonore /l/

Latérale Sourde /ɬ/

Vibrante Sonore /r/

Vibrante Sourde /ř/

194
5.5.2. Mme Liudmila Zotova : Phonèmes vocaliques

Cette locutrice oppose neuf phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/
et la diphtongue /εæ/.

La diphtongue /εæ/ se rencontre dans le monème /prεæ/ "tête" <пpя>.


Les phonèmes /i/ et /a/ ne posent aucun problème. Les phonèmes /e/ et
/ε/ sont également clairs, mais en position inaccentuée, il arrive qu'ils
fluctuent l'un avec l'autre.
Les phonèmes /ɨ/ et /ə/ réclament un traitement plus circonstancié.
Le phonème /ɨ/ apparaît dans le monème <иz> /ɨz/ "ne pas avoir pu" et
dans plusieurs désinences verbales comme dans <вaн-ы> "il regarde"
/van-ɨ/.
A l'initiale, /ɨ/ s'oppose aux autres phonèmes :
- /i/ и [i] "et"
- /e/ эpяви [e:rjavi] "il fallait"
- /ɨ/ из [ɨz] "ne pas avoir pu"
- /a/ a [a] "mais"
- /o/ oфтa [ofta] "ours"
- /u/ yли [uli] "c'est"

/o/ n'est attesté que dans les syllabes accentuées.


A première vue, [ə] semble être l'allophone inaccentué de /o/ et c'est ainsi
que le système graphique transcrit /ə/ : <o>. Mais cette hypothèse est
contredite par la paire minimale : /kəda/ <кдa> "si" ~ /koda/ <кoдa>
"comment". /ə/ est un phonème qui s'oppose à /o/.
/o/ est un phonème relativement rare qui se rencontre surtout en syllabe
accentuée.
En finale, /u/ se réalise presque toujours [o] au lieu de [u].

195
En finale de mot, on rencontre les phonèmes suivants :
- /i/ ëфcи [jo:fsi] "certainement"
- /e/ aдe [ade] "allons-y"
- /ε/ пypxцe [p(u)rřtsε] "goret"
- /ɨ/ вaны [vanɨ] "il voit"
- /ə/ тeйнтькe [tejntkə] "à vous"
- /a/ тoнгa [toŋŋa] "là-bas]
- /u/ бaзapy [ba:zaro] "au marché"

● Le phonème /i/

Définition du phonème /i/

Le phonème /i/ est une voyelle fermée (/i/ ~ /e/) antérieure (/i/ ~ /u/, /i/
~ /ɨ/).

Réalisation du phonème /i/

Le phonème /i/ se réalise [i:] lorsqu'il est accentué, sinon [i].

Fluctuation

En contact avec /n/, il est fréquent que /i/ se réalise [e], plutôt que [i].
Par ailleurs, la conjonction <и> du russe se réalise [i] (contrairement à
l'idiolecte de M. Yeriomkin où elle se réalise [e] ou [ɪ].

● Le phonème /e/

Définition du phonème /e/

Le phonème /e/ est une voyelle mi-fermée (/e/ ~ /ε/, /e/ ~ /i/) antérieure
(/e/ ~ /ə/).

196
Réalisation du phonème /e/

Ce phonème se réalise [e:] lorsqu'il est accentué, sinon [e].

Fluctuation

Dans cet idiolecte, /e/ inaccentué fluctue fréquemment avec /ε/.

Prononciations remarquables :

- вaныxть [va:neçt] [va:nɨçt] "ils voient",


à comparer à вaны [va:nɨ] "il voit",
- ceмбoнди [se:mbendi] "à tous", <o> /e/,
- cявтядяь [sε:vtedez] "nous te prenons", <я> /e/,
- фкя [fke] "un", <я> /e/.

Normalement, le phonème /i/ est transcrit <и> dans cet idiolecte.

● Le phonème /ε/

Définition du phonème /ε/

Le phonème /ε/ est une voyelle ouverte (/ε/ ~ /e/) antérieure (/ε/ ~ /a/).

Réalisation du phonème /ε/

Ce phonème se réalise [ε:] lorsqu'il est accentué, sinon [ε].

Prononciations remarquables :
- cявoзe [sjavezε] "il a saisi",
- cиннeзe [sin:εzε] "il but",
- чëпaфтoзe [tšopaftεzε] "il plongea",

197
L'opposition graphique entre <-oзe> et <-eзe> n'existe pas dans cet
idiolecte qui a toujours [-εzε] ou [-ezε].

Normalement, le phonème /ε/ est transcrit <e> ou <я> dans cet


idiolecte, mais il arrive que /ε/ soit transcrit <o>. Nous reviendrons sur
cette question au chapitre sur l'harmonie vocalique.

● Le phonème /a/

Définition du phonème /a/

Le phonème /a/ est une voyelle ouverte (/a/ ~ /ə/) postérieure (/a/ ~
/o/, /a/ ~ /ε/, /a/ ~ /εæ/).

Réalisation du phonème /a/

Ce phonème se réalise [a:] lorsqu'il est accentué, sinon [a].


Suivi ou précédé de yod [j], il se réalise parfois légèrement antériorisé
[æ].

Fluctuation

Dans le corpus, /a/ fluctue très peu avec /ə/, même en finale absolue
inaccentué. Il est possible que cela soit dû au grand soin pris à lire le
texte.

● Le phonème /εæ/ :

Ce phonème est très rare.


Il se rencontre dans le monème пря [prεa] "tête", lorsque celui-ci n'est
pas suffixé. Une fois suffixé, comme dans прязe [prεzε] "ma tête", on a
le phonème /ε/ et non plus /εa/.

198
● Le phonème /ɨ/

Définition du phonème /ɨ/

Le phonème /ɨ/ est une voyelle fermée (/ə/ ~ /ɨ/) centrale (/ɨ/ ~ /i/, /ɨ/ ~
/u/).

Réalisation du phonème /ɨ/

Le phonème /ɨ/ se réalise centralisé fermé non arrondi [ɨ].

Prononciations remarquables :

- вaны [vanɨ] "il voit",


- из [ɨz] ou [iz] "ne pas avoir pu"
- кyлcecть [kulsɨst] "ils périrent"
- пyпcecть [pupsɨst] "ils piquèrent"

Normalement, le phonème /ɨ/ se transcrit <ы> et le suffixe <-ecть> se


prononce [-est].

● Le phonème /ə/

Ce phonème est très fréquent en syllabe non accentuée et n'est attesté


en syllabe accentuée que dans le mot /kəda/ "si" <кдa>.

Définition du phonème /ə/

Le phonème /ə/ est une voyelle mi-fermée (/ə/ ~ /a/, /ə/ ~ /ɨ/) centrale
(/ə/ ~ /e/, /ə/ ~ /o/).

Réalisation du phonème /ə/

Le phonème /ə/ se réalise centralisé non arrondi [ə].

199
● Le phonème /o/

Ce phonème ne se rencontre qu'en syllabe accentuée.

Définition du phonème /o/

Le phonème /o/ est une voyelle mi-fermée (/o/ ~ /a/, /o/ ~ /u/)
postérieure (/o/ ~ /ə/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.

Réalisation du phonème /o/

Le phonème /o/ se réalise [o:] en syllabe accentuée.

Fluctuation

Certains mots, spécialement мон(ь) "moi, P1", se réalisent tantôt avec


[o] tantôt avec [u], sans doute à cause de l'occlusive labiale.

● Le phonème /u/

Définition du phonème /u/

Le phonème /u/ est une voyelle fermée (/u/ ~ /o/) postérieure (/u/ ~ /ɨ/).
Les voyelles postérieures sont également arrondies. Ce trait est
redondant.

200
Réalisation du phonème /u/

Le phonème /u/ se réalise [u].


Ce phonème n'est jamais réalisé long, même quand il est accentué.
En finale absolue, /u/ se réalise fréquemment [o] plutôt que [u].

Tableau des phonèmes vocaliques de L. Zotova

Le système de cet idiolecte est le suivant :

postérieures centrales antérieures


(non arrondies) (non arrondies)

ouverte /a/ /εæ/ /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /ɨ/ /i/

201
5.6. Mme TRZ1 (Ekaterina Yemashkin) : Présentation

M. Jean-Léo Léonard a enregistré cette locutrice, lors de son voyage en


Mordovie, à Trzmorga, le 21 août 2003.
Cette personne s'appelle probablement Ekaterina Yemashkin Petrovna.
Comme nous n'en sommes pas certains, nous avons préféré la numéroter
TRZ1. Elle possède le timbre de voix le plus aigu parmi tous les idiolectes
analysés.

Analyse du conte lu

Il s'agit du même conte écrit en mokša que celui lu par Liudmila Zotova.
La locutrice lit et décortique le texte, syllabe par syllabe.
Le corpus couvre environ la moitié du conte140.
Cette locutrice a un timbre de voix aigu, et dans cet idiolecte, le phonème
/o/ accentué qui se réalise [uo] [o:] voire [өə], en partie délabialisé. On
peut se demander si cela ne correspond pas à une sorte de "féminisme".
Certaines russophones ont aussi tendance à diphtonguer légèrement /o/
en russe, en disant [uo]. Sans tomber dans une forme de sexisme, on sait
que les femmes ont tendance à articuler de façon plus antériorisée que les
hommes. Cette locutrice, à la voix haut perchée, manifeste peut-être une
tendance à féminiser son élocution et c'est sur le phonème /o/ que se
porte le plus cette tendance.
En outre, /i/ présente une allophonie très nette entre /i/ accentué, réalisé
[i], et /i/ inaccentué, réalisé [e]. Le phonème /e/, quant à lui, est réalisé [ɘ]
avec une voyelle mi-fermée, mi-centralisée.
Une autre particularité est la suppression de yod dans un certain nombre
de formes : молян "je vais" prononcé [mo:lan], alors que les autres
locuteurs disent [mo:ljan] ou [mol(j)εn]. Ce point est étonnant et bat en
brèche l'idée que le radical de ce verbe serait *[molj] voire *[moλ].

L'accent se manifeste par un allongement significatif de la voyelle.

140
Du début "Cpxкась" jusqu'à "кaк кoмoти". Voir en Annexe 5.

202
5.6.1. Mme TRZ1 : Phonèmes vocaliques

Le système consonantique est le même que celui de L. Zotova.

Cette locutrice oppose huit phonèmes vocaliques : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Le corpus ne permet pas de déterminer si /εæ/ est un phonème, mais
c'est probable car cet idiolecte appartient au groupe ouest..

● Le phonème /i/

Ce phonème présente une allophonie typique suivant qu'il soit accentué


ou non.
Le corpus et les conditions d'enregistrement permettent de reconnaître les
allophones de /i/, avec un maximum de clarté. Lorsque la finale <-ыхть>
est inaccentuée, on trouve l'allophone inaccentué [e]. Lorsque l'élocution
est suffisamment ralentie et que chaque syllabe est en quelque sorte
accentuée, /i/ se réalise [i].

● Le phonème /e/

Ce phonème est mi-fermé et légèrement centralisé.


/e/ inaccentué se rencontre principalement dans les mots suivants :
- aде [adë] "allons-y",
- кемгафтува [këmga:ftuva] "vingt".

● Le phonème /ε/

La plupart des voyelles écrites avec le graphème <e> en syllabe non


initiale correspondent au phonème /ε/ dans cet idiolecte.

203
● Le phonème /ɨ/ :

Ce phonème est peu attesté dans le corpus.


Prononciations remarquables :

- вaны [vane] "il voit",


- вaныхть [vaneçt] "ils voient",
- молиcть [molɨst] "ils viennent"

La répartition qu'on attendrait entre les suffixes <-ыхть> et <-ихть> n'est


pas cohérente avec la graphie et elle est inversée dans cet idiolecte où
<ы> se dit /e/ (au lieu de /ɨ/) et <и> se dit /ɨ/ (au lieu de /i/).

● Le phonème /a/

Ce phonème est relativement stable. Inaccentué, il se centralise un peu.


En finale absolue, /a/ inaccentué se réalise très rarement [ə].

● Le phonème /εæ/

Le corpus ne permet pas de déterminer si cette diphtongue existe dans


cet idiolecte.

● Les phonèmes /o/ et /ə/

Les phonèmes /o/ et /ə/ s'opposent :


- /kəda/ "quand, si"
- /koda/ "comment".

Hors accent, l'opposition est neutralisée.

Ce phonème se réalise de façon typique dans cet idiolecte :


- accentué, il se réalise [o:] [uo] ou [өə]
- inaccentué, il se réalise toujours [ə].

204
Lorsque /o/ accentué se réalise délabialisé [өə], il est sensiblement deux
fois plus long que /o/ inaccentué, réalisé [ə] : 150 ms pour 70 ms.

● Le phonème /u/

Ce phonème est relativement stable.


Il présente une légère allophonie.
/o/ se réalise parfois [uo] alors que /u/ se réalise toujours [u].

Tableau des phonèmes vocaliques :

Le système de cet idiolecte est le suivant :

postérieures centrales antérieures


(non arrondies) (non arrondies)

ouverte /a/ /εæ/ /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /ɨ/ /i/

Dans cet idiolecte, l'opposition de /ə/ et /o/ est neutralisée en dehors des
syllabes accentuées.

205
5.7. Mme TRZ2 (Groupe Est)

Il s'agit d'un enregistrement réalisé par M. Jean-Léo Léonard le 22 Août


2003 à Trzmorga. La locutrice s'exprime autour de deux thèmes proposés
par M. Léonard : le costume traditionnel et la vie autrefois.
La nature spontanée de l'énoncé rend parfois difficile une analyse certaine
de chaque monème que prononce la locutrice. Il convient de s'appuyer en
premier lieu sur les monèmes dont l'identification est la plus claire.

Cette locutrice oppose sept phonèmes vocaliques : /i/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
En outre, on trouve la diphtongue /εæ/.
En ce qui concerne l'accentuation, cet idiolecte se rapproche de celui de
V. Lysov par le fait que les voyelles ont toutes sensiblement la même
durée. Les premières syllabes sont généralement intonées plus hautes
que les autres.
Une particularité de cet idiolecte est de sonoriser les consonnes initiales.
Par exemple, "cadeau" кaзнe réalisé avec [g]. Cette particularité est
censée être pan-mokša d'après la littérature. Dans notre corpus, c'est le
seul à le faire.

• Phonème /i/ :

Ce phonème est stable.

• Phonème /e/ :

Ce phonème est relativement stable.


Il tend à se centraliser légèrement, lorsqu'il n'est pas en première syllabe.

206
• Phonème /ε/ :

Ce phonème est stable.


Dans cet idiolecte, on trouve uniquement des exemples de #[ε], à l'initiale,
aucun #[e].

• Phonème /ə/ :

Ce phonème est assez fréquent, comme dans l'idiolecte de V. Lysov.


Il n'y a qu'un seul exemple en 1ère syllabe dans le corpus.
Suivi d'une occlusive labiale /m/ ou /p/, ce phonème se réalise [ө], assez
proche de [o].

Prononciations remarquables :
- вoт [vət] "donc, voilà",

• Phonème /a/ :

Ce phonème est relativement stable.


Comme dans les autres idiolectes, il arrive que /a/ se réalisé centralisé [ə]
ou [ө].

• Phonème /εæ/ :

Ce phonème est très rare.


On le trouve dans le monème cтя [stεæ] "se lever".

• Phonème /o/ :

Ce phonème présente une allophonie marquée entre la réalisation en 1ère


syllabe et les réalisations post-1ère syllabe.

207
• Phonème /u/ :

Les réalisations de /u/ et /o/ sont nettement séparées.


Une particularité de cet idiolecte est que /u/ se réalise avec un F1 bas, ce
qui est normal, et avec un F2 relativement haut, ce qui est atypique.

Tableau des phonèmes vocaliques :

Le système de cet idiolecte est le suivant :

postérieures centrales antérieures


(non arrondies) (non arrondies)

ouverte /a/ /εæ/ /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /i/

208
5.8.1. M. Vasili YELMEJEV (Est)

Nous n'avons pas de corpus phonétique enregistré pour ce locuteur. Nous


avons des notes de terrain, prises lors de notre visite en Septembre 2005.
A l'époque, nous nous étions spécialement intéressé à l'accentuation.
M. Yelmejev a relu notre analyse, après traduction de son épouse qui
parle le français.

Dans cet idiolecte, la place de l'accent est pertinente. La syllabe


accentuée est prononcée plus haute que les autres. L'accent n'a pas de
composante énergétique et la voyelle n'est pas systématiquement plus
longue, bien qu'elle le soit parfois.

D'après l'accentuation, il est normalement possible de faire la différence


entre dérivation, sans déplacement de l'accent, et composition, avec
déplacement sur le deuxième terme du composé.

Quelques exemples, valables pour cet idiolecte :

афсатыкс [afsatəks] "insuffisance "


D'après : caты "suffisant" et aф "ne pas (être)".
Il s'agit d'un dérivé motivé en synchronie, formé de façon régulière.

алакша [alakša] "blanc d’œuf"


Ce synthème s'analyse : aл "œuf" + aкшa "blanc"
Dérivé motivé en synchronie, formé de façon régulière.

акша ал [akša al] "œuf blanc"


Syntagme normal avec deux syllabes hautes.

209
какава [kaka(:)va] "cacao"
Emprunt russe récent qui a gardé son accent.
Le deuxième /a/ a tendance à être réalisé long.

калалхт [kalalɬt]141 "œufs de poisson ; caviar"


Ce synthème s'analyse : кал "poisson"+ алхт "œufs".
Dérivé motivé en synchronie, formé de façon régulière.

калoнь алхт [kalən alɬt] "œufs de poisson"


Syntagme normal avec deux syllabes hautes.

келунал [kelunal] "bosquet de bouleaux"


Dans ce dérivé de келу "bouleau", -нал est traîté comme un suffixe.
-нал est un suffixe présent dans toutes les langues ouraliennes, qui sert à
former des noms de lieu où on trouve telle ou telle chose.

келупoра [kelupəra] "bosquet de bouleaux"


Dans ce dérivé de келу "bouleau", -пoра "bosquet" est traîté comme un
suffixe.

эйньнал [ejnnal] "glacier"


Dans ce dérivé de эй "glace", il faut ajouter -нь-, qui explique le génitif.
On ne peut pas dire **эйнал.

141
La composante fricative de [lɬ] est chuintante et non vélaire. Cf. l'idiolecte de V. Lysov.

210
эй(нь)пoра [ej(n)pəra] "glacier"
Dans ce dérivé, la marque du génitif est facultative.

айнема [ajnima] "secret"


Ce mot est analysé par ce locuteur comme un dérivé du verbe ня "voir" et
comme signifiant "ce qui ne se voit pas". Toutefois, la forme motivée en
synchronie est афняема [afnεjəma] avec accent sur la deuxième syllabe.
Ce mot est analysable mais ne peut pas être construit régulièrement à
partir du Mokša actuel.

кузмарь [kuzma(:)r] "pomme de pin"


Synthème motivé en synchronie d'après куз "pin" et марь "pomme, fruit".

Ce locuteur est tout à fait intéressant. Sur le plan de la prosodie, les


idiolectes analysés peuvent être répartis en 3 groupes :
- V. Lysov et TRZ2, qui tendent à prononcer haute la première syllabe
sans effet de longueur ou d'énergie",
- V. Yelmejev, chez qui la place de l'accent est pertinente et se réalise
par une plus grande hauteur de la voix, avec un usage sporadique de
la longueur vocalique,
- les autres locuteurs, chez qui la place de l'accent est pertinente et se
réalise par une longueur vocalique, sensiblement doublée pour les
voyelles accentuées.
L'idiolecte de M. Yelmejev est donc intermédiaire entre deux autres
groupes.
Ce locuteur oppose sept phonèmes vocaliques : /i/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/.
Nous ne savons pas si ce locuteur présente la diphtongue /εa/ dans les
lexèmes пря "tête" et cтя "se lever".

211
Quasi-paires minimales :

- /a/ кaл [kal] "poisson"


- /e/ келу [kelu] "bouleau"
- /ε/ кядь [kεd] "main"
- /o/ томбамс [tombams] "piler (des céréales)"
- /u/ кулоф [kuləf] "(personne) mort(e)"
- /ə/ мъкор [məkər] "cul, derrière"
- /ə/ бука [bəka] "taureau, boeuf"

- /ε/ панде [pandε] "parterre"


- /a/ пандa [panda] "montagne"

- /i/ мушенды [muȓəndi] "détective ; chercheur"

Dans cet idiolecte, comme les autres du groupe Est, la lettre <ы> qui est
censée noter un "phonème" particulier correspond à /i/, tout comme <и>.

Tableau des phonèmes vocaliques :

Le système de cet idiolecte est le suivant :

postérieures neutres antérieures


non arrondies non arrondies
142
ouverte /a/ /ε/
mi-fermée /o/ /ə/ /e/
fermée /u/ /i/

142
Nos données ne permettent pas de dire si le phonème /εæ/ existe dans cet idiolecte.

212
Tableau des Phonèmes consonantiques :

Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire

Nasale /m/ /n/

Occlusive Sourde /p/ /t/ /k/

Occlusive Sonore /b/ /d/ /g/

Affriquée Sourde /ts/ /tʃ/

Fricative Sourde /f/ /s/ /ʃ/ /ç/ /x/

Fricative Sonore /v/ /z/ /ʒ/

Approximante /j/

Latérale Sonore /l/

Latérale Sourde /ɬ/

Vibrante Sonore /r/

Vibrante Sourde /ř/

La partie fricative des phonèmes /ɬ/ et /ř/ est chuintante.


L'inventaire des phonèmes de cet idiolecte est standard mais la répartition
au sein des monèmes n'est pas conforme à ce qu'on attend d'après le
système graphique :
- панкс [paŋks] "bouchon"
- пакш [pakʃ] "fragment ; ingrédient"
- пякстафши [pεkstafçi] "captivité" : [ç] au lieu de [ʃ].
- люкша [ljukʃa] "gaucher"
- панчф [pantʃf] "fleur, floraison"
- пяця [pεtsε] "aile (d'oiseau) ; nageoire"
Dans l'idiolecte de Mme TRZ2, on trouve aussi des exemples de /s/ ou /ç/,
là où on attendrait /ʃ/ :
- мишенди [misəndi] "vendeur"

213
Dia-système
vocalique et consonantique

214
6.1. Le dia-système consonantique

En utilisant une description du système proche de la phonétique


articulatoire, nous avons vu que le dia-système est le suivant :

Tableau des phonèmes consonantiques

Apico- Palato-
Labiale Palatale Vélaire
Alvéolaire Alvéolaire

Nasale /m/ /n/

Occlusive Sourde /p/ /t/ /k/

Occlusive Sonore /b/ /d/ /g/

Affriquée Sourde /ts/ /tʃ/

Fricative Sourde /f/ /s/ /ʃ/ /ç/ /x/

Fricative Sonore /v/ /z/ /ʒ/

Approximante /j/

Latérale Sonore /l/

Latérale Sourde /ɬ/

Vibrante Sonore /r/

Vibrante Sourde /ř/

Le groupe Ouest a souvent [tθ] comme réalisation de /ts/.


La partie fricative des sourdes latérale et vibrante est chuintante, sauf
pour V. Lysov qui a une articulation vélaire pour /ɬ/ [lɬx].
Il est fréquent que /v/ intervocalique se réalise [w].
La spirante palatale sourde /ç/ est rare. Elle apparaît surtout dans la finale
verbale <-иxть> [-içt] "P6 + Présent".

215
En ce qui concerne les consonnes, tous les idiolectes présentent le même
inventaire phonologique, mais la répartition des phonèmes /s/ /ʃ/ et /ç/
n'est pas exactement la même dans tous les idiolectes. Le groupe Est a
parfois /s/ ou /ç/ là où le groupe Ouest a /ʃ/.

6.2. Distribution des phonèmes consonantiques

La distribution des phonèmes est très variable suivant les contextes et elle
présente à notre avis une valeur de diagnostic historique pour le proto-
mokša voire le proto-mordve.
Pour chaque phonème, nous avons déterminé sa fréquence dans les cent
mots du vocabulaire de base. Les données figurent en annexe 8.
Nous distinguons quatre positions :
- initiale : /k/ est initial dans /kuzmar/ "pomme de pin",
- prévocalique : /m/ est prévocalique dans /kuzmar/,
- préconsonantique : /z/ est préconsonantique dans /kuzmar/,
- finale : /r/ est final dans /kuzmar/.

• Nasales

Le dia-système présente deux phonèmes nasals /n/ et /m/ qui s'opposent


de nos jours en toute position.

Nombre d'occurences des nasales dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/m/ 8 8 3 4

/n/ 2 1 3 5

/n/ est surtout fréquent en finale et en position préconsonantique.

216
Une hypothèse diachronique pour rendre compte de cette situation serait
que l'opposition des deux phonèmes *m et *n hérités était en partie
neutralisée dans ces deux positions où la consonne est implosive.

On constate d'ailleurs une certaine fluctuation entre /m/ et /n/ dans la


synchronie actuelle du mokša. Par exemple, /n/ précédé d'une voyelle
d'arrière /o/ /u/ et aussi /a/ se réalise parfois [m]. Ce phénomène est
sporadique.
Ainsi :
coн lui, il [son] et aussi [som]
Aннa Anna [an:a] et aussi [am:a]
-oнц son, sa [ənθ] et aussi [əmθ]

Deux exemples sur trois de /m/ préconsonantique présentent la séquence


/mb/ qui se réalise d'ailleurs le plus souvent [m]. Le troisième exemple
/jomla/ "petit" ne paraît pas hérité du proto-ouralien.
Les exemples de /m/ en finale résultent sans doute de la chute d'une
voyelle :
- /kanʒam/ "griffe" < */kanʒama/
- /pizem/ "pluie" < */pizema/
- /katʃam/ "fumée" < */katʃama/
Le suffixe -ama ou -ema est fréquent.
Le quatrième exemple de /m/ final : /lem/ "nom" est un emprunt indo-
européen, généralement reconstruit *nimi.

Les arguments en faveur d'une neutralisation partielle de /m/ et /n/ en


proto-mokša sont donc puissants. Il en résulte que /mora-n/ "je chante"
pourrait reposer sur une proto-forme */mora-m/ où /m/ se laisse
rapprocher de /mon/ "je".
Il est probable que les conditions de cette neutralisation n'étaient pas les
mêmes entre les deux langues mordves. Il est intrigant de comparer par
exemple les formes suivantes du verbe /mora-/ "chanter" :
- en mokša /mora-tama/ "nous chantons"
- en erzia /mora-tano/ "nous chantons".

217
Il ne s'agit sans doute pas d'un changement *m > *n en erzia mais d'une
neutralisation entre *m et *n suivant des conditions différentes de celles
qui régnaient en mokša.

• Labiales orales

Le dia-système présente les phonèmes suivants /p/, /b/, /v/ et /f/.

Nombre d'occurences des labiales dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/p/ 17 2 0 0

/b/ 0 2 0 0

/f/ 1 0 2 1

/v/ 5 4 1 5

La distribution des labiales fait apparaître des déséquilibres importants.

/v/ est le seul phonème labial qui est une distribution presque homogène.
/v/ est aujourd'hui voisée du fait de la présence de /f/. Mais il est probable
que ce phonème était autrefois neutre vis-à-vis du voisement, comme
peut l'être par exemple *w, dont /v/ est sans doute issu. /v/ est d'ailleurs
non-obstruent sur le plan synchronique.
Normalement, le proto-mokša comme la plupart des langues finno-
ougriennes n'admettait pas de consonnes sonores à l'initiale, ce qui
explique également la rareté de *b à l'initiale.

/f/ est bien implanté car /-f/ est le signifiant du suffixe de participe passé,
très utile143. Néanmoins, ce phonème ne paraît pas hérité.

143
L'équivalent en erzia est /-v/.

218
Dans le vocabulaire de base, /f/ apparaît en finale dans /af/ "ne pas", dont
l'équivalent erzia est /av/, qui est très certainement la forme héritée. C'est
la grande fréquence des sourdes à l'initiale des monèmes qui a dévoisé
*av + C en *af + C.
Il est fréquent en position préconsonantique et dans ce contexte /f/ semble
reposer sur *k-C. Par exemple, /kafta/ "deux" a pour correspondant en
ouralien *kikt et *kakt.

Le cas des occlusives /p/ et /b/ est intrigant car elles sont absentes des
contextes implosifs : préconsonantique et finale. Nous pensons qu'elles en
sont absentes car elles en ont disparu.
Par exemple, si on considère le cas du mot "lapin" /numəl/, les mots
ouraliens apparentés sont :
- en samoyède Yurak njawa, Yenets njaba,
- en same, njoammel.
Peut-être est-il opportun de postuler en proto-ouralien *njoP(-ma) plutôt
que *njoma ? Cela rend mieux compte des formes samoyèdes et élimine
des lacunes distributionnelles sans explication.

• Apico-alvéolaires orales

Le dia-système présente les phonèmes suivants /t/, /d/, /s/, /ts/ et /z/.

Nombre d'occurences des apico-alvéolaires dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/t/ 6 6 0 1

/d/ 0 6 1 5

/s/ 12 2 2 0

/ts/ 0 1 1 0

/z/ 0 3 0 1

219
La distribution est plus répartie qu'avec les labiales.
On notera que les voisées sont inexistantes à l'initiale mais qu'elles
tendent à être plus fréquentes que les sourdes ailleurs.
Le trait sourd a en mokša une certaine valeur démarcative : très souvent
une sourde signale le début d'un nouveau signifiant.

• Palato-alvéolaires et palatales

Le dia-système présente les phonèmes suivants /ʃ/, /ʒ/, /tʃ/ /ç/ et /j/.

Nombre d'occurences des palatales dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/ʃ/ 6 1 3 0

/ʒ/ 0 5 0 0

/tʃ/ 0 1 0 0

/ç/ 1 0 0 0

/j/ 2 1 0 5

Le tableau met en évidence la quasi-allophonie de /ʃ/ et /ʒ/ et la rareté de


/tʃ/ et /ç/ que nous avons déjà constaté avec l'analyse de l'idiolecte de V.
Lysov.

• Latérales et vibrantes

Le dia-système présente les phonèmes suivants /l/, /ɬ/, /r/ et /ř/.

220
Nombre d'occurences des latérales et vibrantes
dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/l/ 6 5 7 8

/ɬ/ 0 0 1 0

/r/ 1 3 2 6

/ř/ 0 0 0 0

Le phonème /l/ est sans doute l'un des mieux répartis d'entre tous.
C'est presque vrai de /r/ qui est plus rare, spécialement à l'initiale.
Le phonème /ɬ/ est suffisamment fréquent pour apparaître dans le
vocabulaire de base, ce qui n'est pas le cas de /ř/.

• Vélaires

Le dia-système présente les phonèmes suivants /k/, /g/ et /x/.

Nombre d'occurences des vélaires dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/k/ 17 6 6 0

/g/ 0 3 0 0

/x/ 0 0 0 0

La répartition est très déséquilibrée. Le phonème /x/ est trop rare pour
apparaître dans le vocabulaire de base.
La rareté du phonème voisé /g/ par rapport à /k/ est beaucoup plus forte
que celle de /d/ par rapport à t/, ce qui ne se laisse pas expliquer.

221
6.3. Distribution des traits consonantiques

Un autre angle d'approche du dia-système est de regrouper les différents


phonèmes d'après certains traits qu'ils partagent : nasal, occlusif sourd,
occlusif voisé, fricatif sourd, fricatif voisé, affriqué.

Distribution des traits consonantiques dans le vocabulaire de base

Initiale Prévocalique Préconsonantique Finale

/m/ /n/ 10 9 6 9

/p/ /t/ /k/ 40 12 6 0

/b/ /d/ /g/ 0 11 1 5

/f/ /s/ /x/ /ʃ/ /ç/ 21 3 5 0

/v/ /z/ /ʒ/ 5 12 1 5

/ts/ /tʃ/ 0 2 1 0

Le tableau fait apparaître des universaux linguistiques :


- les sourdes sont beaucoup plus fréquentes que les voisées, soit 90
sourdes pour 40 sonores, les nasales étant exclues du décompte,
- les consonnes suivies d'une voyelle sont plus fréquentes, soit 125 en
position initiale et prévocalique pour 43 préconsonantiques ou finale.
Il fait également apparaître une spécificité du mokša :
- les deux-tiers des sourdes sont initiales : 61 pour 29 dans une autre
position,
- a contrario, seulement 12% des sonores sont initiales : 5 pour 35 dans
une autre position.
Le trait sourd joue en mokša presque un rôle démarcatif : si une consonne
est sourde, elle a deux chances sur trois d'être initiale et si elle est sonore,
elle a 9 chances sur 10 de ne pas être initiale.

222
6.4. Le dia-système vocalique

En terme de trait, les phonèmes vocaliques peuvent être décrits à l'aide de


deux groupes de 3 traits :

- degré d'aperture : ouverte, mi-ouverte, fermée,


- lieu : central, postérieur, antérieur.

Dia-système valant pour les idiolectes centralnas étudiés :

centrales antérieures
postérieures
(non arrondies) (non arrondies)

ouverte /a/ /εæ/ /ε/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /ɨ/ /i/

Suivant les locuteurs, on rencontre /ə/ ou /ɨ/ ou les deux en même temps.
Les voyelles postérieures /o/ et /u/ sont également arrondies. Les voyelles
centrales et antérieures sont non arrondies.

Nous avons réparti les idiolectes en deux groupes, en fonction de leur


système vocalique.
- Le groupe Ouest présente : /i/ /ɨ/ /ə/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/ /εæ/,
- Le groupe Est présente : /i/ /e/ /ε/ /u/ /o/ /a/ /εæ/ et soit /ɨ/ soit /ə/.

Le groupe Ouest présente un système plus riche. Il est logique d'avoir


choisi ce groupe comme base de la langue littéraire puisqu'il est d'une
certaine façon le plus emblématique de ce qui fait les spécificités du
mokša par rapport à l'erzia.

223
Certains phonèmes sont équivalents : /u/ /o/ /a/ /εæ/ apparaissent de
façon prévisible dans tous les idiolectes dans les mêmes signifiants. Nous
n'avons pas la certitude que tous les idiolectes présentent /εæ/.
Le groupe Est présente des exemples de /i/ là où on attendrait /e/ d'après
l'autre groupe. A cette réserve près, la plupart des /e/ et des /ε/
correspondent d'un groupe à l'autre.
La divergence principale concerne les phonèmes centraux (non arrondis)
/ə/ et /ɨ/. Il est fréquent que /ɨ/ du groupe Ouest corresponde dans l'autre
groupe à /i/. Dans un monème particulier, ванды "demain", [vandɨ]
correspond à [vandε].

En outre, le groupe Ouest possède un accent dont la place est pertinente


et se manifeste par un allongement significatif de la durée vocalique, alors
que dans les idiolectes du groupe Est, la place de l'accent n'est pas
pertinente en général.

Bien que nos idiolectes soient censés appartenir à un dialecte unique dit
central, ils présentent des écarts non négligeables à plus d'un titre. La
partie la plus stable du dia-système est constituée par /a/, /o/, /u/ et /εæ/.

224
6.5. Comparaison avec d'autres langues finno-permiennes

Maintenant que nous disposons du dia-système vocalique du mokša, il est


intéressant de le comparer avec d'autres langues proches du mokša.
Le système du mokša présente une ressemblance frappante avec celui
des langues permiennes, votiak-udmurt et komi-zyriène.

Système vocalique du votiak et du komi (1ère syllabe)144

centrales antérieures
postérieures
non arrondies non arrondies

ouverte /a/

mi-fermée /o/ /ə/ /e/

fermée /u/ /ɨ/ /i/

Ce système est quasiment le même que celui du mokša, à l'exception


près de la diphtongue /εæ/ et de la voyelle ouverte /ε/, qui n'existent pas
en permien.

Système vocalique du tcheremisse (1ère syllabe)145

centrales antérieures
antérieures
postérieures non non
arrondies
arrondies arrondies

ouverte /a/ /ε/146

mi-fermée /o/ /ə/ /e/ /ø/

fermée /u/ /ɨ/147 /i/ /y/

144
D'après (Sinor, 1988, The Uralic Languages).
145
D'après (Sinor, 1988, The Uralic Languages).
146
Uniquement dans le dialecte ouest (dit Mari des plaines).
147
Uniquement dans le dialecte nord-ouest.

225
Le système du tcheremisse est plus éloigné car il présente une série de
plus : antérieure arrondie. Cette série se retrouve dans les dialectes
fenniques et en finnois en particulier.

Système vocalique du finnois (1ère syllabe)148

antérieures antérieures
postérieures
non arrondies arrondies

ouverte /a/ /æ/

mi-fermée /o/ /e/ /ø/

fermée /u/ /i/ /y/

A contrario, l'estonien présente quatre séries, comme le tcheremisse.

Système vocalique de l'estonien (1ère syllabe)149

centrales antérieures
antérieures
postérieures non non
arrondies
arrondies arrondies

ouverte /a/ /ε/

mi-fermée /o/ /ɤ/150 /e/ /ø/

fermée /u/ /i/ /y/

Sur le plan diachronique, on est tenté de penser que la série "arrondie


antérieure" est une innovation des langues finno-permienne du nord-
ouest. A l'inverse, l'existence d'une série "centrale non arrondie" semble
très probable en proto-finno-permien puisque une série de ce type est
attestée, en permien, en mokša, en tcheremisse et en estonien.

148
Sans tenir compte de l'opposition brève ~ longue.
149
Sans tenir compte de l'opposition brève ~ longue ~ sur-longue.
150
Ce phonème est réalisé plus postérieur que /ə/.

226
6.6. La différence entre son et phonème

Le mokša est exemplaire pour illustrer la nécessité de distinguer entre son


et phonème. Chaque idiolecte présente des réalisations phonétiques [ə]
mais elles sous-tendent des réalités systémiques différentes.

Dans l'idiolecte de V. Lysov, /ə/ est un phonème qui apparaît dans tous les
contextes, sauf peut-être en finale absolue (non attesté). Par exemple,
шeep [šəjər] "souris". [ɨ] est l'allophone de /e/ en finale absolue.
Dans celui de TRZ 1, [ə] est l'allophone non accentué de /o/. /ɨ/ est un
phonème.

Le statut phonologique des réalisations [ə] et [ɨ] peut servir à classer plus
finement les idiolectes. On peut distinguer d'après ce critère :
- Mokša
- centralna Est :
- /ə/ existe ; /ɨ/ n'existe pas : V. Lysov, V. Yelmejev, TRZ 2151,
- centralna Ouest :
- /ə/ et /ɨ/ existent : A. Yeriomkin, L. Zotova, TRZ 1,

A supposer qu'on disposât de suffisamment de descriptions, on pourrait


établir un classement rationnel des idiolectes sur la base de critères
phonologiques objectifs. On pourrait ensuite faire une analyse
géographique et peut-être en déduire un scénario diachronique. Ce genre
d'études fouillées n'est pas possible dans l'état actuel des connaissances.

151
Certaines caractéristiques de cet idiolecte, en particulier le voisement des initiales,
incitent d'ailleurs à le séparer des deux autres idiolectes de V. Lysov et V. Yelmejev.

227
6.7. La structure syllabique et les affriquées

Nous avons admis que les voyelles et les consonnes se combinent pour
former des syllabes.
Le mokša ne rechigne pas devant l'accumulation de consonnes, comme
dans панчф [pantʃf] "fleur, floraison". Les aggrégats incluent généralement
une fricative -s-, -š- ou -f- comme consonne médiane ou finale.
La plupart des lexèmes monosyllabiques sont du type #CvC# ou #CvCC#.
Une dizaine seulement de noms présentent le type #Cv# ou #CCv#. Cette
structure courte est beaucoup plus courante dans les verbes. Les lexèmes
de type #CCvCC# ne sont pas rares et on rencontre même -vCCCC#, du
fait de suffixes ajoutés à une base déjà longue comme dans панчф
[pantʃf] "fleur, floraison".

• La notion de gabarit syllabique

Nous appellerons structure (ou gabarit) syllabique la combinaison de


consonnes qui entoure une voyelle.
Exemples de gabarit syllabique :
- #v# : и [i] "et",
- #Cv# : вe [ve] "nuit",
- #vC# : эй [εj] "glace",
- #CCv# : пси [psi] "chaleur",
- #CvC# : куз [kuz] "écorce",
- #vCC# : эйнь [εjn] "de glace",
- #CCCv# : кcты [kstə] "fraise",
- #CCvC# : Шкай [ʃkaj] "Dieu",
- #CvCC# : тумс [tums] "partir", кожф [koʒf] "air",
- #vCCC# : aлкс [alks] "base, fondation",
- #CvCCC# : кенкш [keŋkʃ] "porte",
- #CCvCC# : прамс [prams] "tomber",
- #CCCvC# : кшнинь [kʃnin] "en or",
- #vCCCC# : эйтькс [εjtks] "patin à glace",

228
- #CCvCCC# : кранч [krantʃ] "corbeau",
- #CvCCCC# : панчф [pantʃf] "fleur",
- #CCCvCCC# : чофкс [tʃjofks] "rossignol",

• La question des affriquées

Du fait que les consonnes peuvent s'accumuler au sein d'agrégats assez


longs, la question des phonèmes affriqués pose des problèmes
particuliers en mokša.
Il existe un certain nombre d'affriquées phonétiques et il se pose la
question de leur statut phonologique. On rencontre en particulier : [ts] [dz]
[ks] [tʃ] [dʒ] [kʃ], rarement [ps] et [pʃ]. Nous pensons qu'il est d'autant plus
intéressant d'attribuer à certaines affriquées phonétiques le statut de
phonèmes que cela permet de postuler que le gabarit syllabique maxi du
mokša est #CCvCCC#. En pratique, les combinaisons de consonnes qui
dépassent ce format impliquent toujours des affriquées du type [ts] [ks] [tʃ]
[kʃ].
Concernant [dz] et [dʒ], nous ne les considérons pas comme la réalisation
de deux phonèmes éventuels **/dz/ et **/dʒ/. Ils sont la réalisation
contextuelle et instable de /z/ et /ʒ/, lorsque ces deux phonèmes sont
précédés par [n].
Le système graphique n'en tient d'ailleurs pas compte :
инжи [in(d)ʒi] "invité, hôte"
инзaмa [in(d)zama] "herse"

Dans les noms composés, [dz] et [dʒ] peuvent aussi apparaître à la


jointure. Par exemple, [kudʒama] "façade" (= "visage de maison") est
composé de [kud] "maison" et [ʃama] "visage".
Les seuls exemples à l'initiale sont d'origine anglo-américaine :
джaз [dʒaz] "jazz"
джип [dʒip] "jeep"
C'est à nos yeux insuffisant pour admettre /dʒ/ au lieu de /d/+/ʒ/, d'autant
plus que le mokša admet les combinaisons #CCV-.
Il n'y a pas d'exemple d'initiale [#dz-].

229
La situation n'est pas la même pour [ts] [ks] [tʃ] [kʃ] qu'on peut interpréter
comme la réalisation de phonèmes affriqués.
Les arguments dans ce sens sont les suivants :
- leur distribution ne diffère pas de celle des phonèmes simples. Ils
apparaissent en toute position.
- leur fréquence est comparable à celle des phonèmes simples.
- postuler des affriquées régularise la structure syllabique.
- /ts/ peut se réaliser /tθ/ ou /θ/, différant ainsi de la séquence /t/ + /s/.

Par exemple, dans le contexte [#_-n- ], [kʃ] commute avec [k] :


кшни [kʃni] "or"
книга [kniga] "livre"

De même, [ts] commute avec [t], [s] et [ʃ] :


тнал [tnal] "famille"
Цна [tsna] "la (rivière) Tsna"
шнамс [ʃnams] "louer, vanter"
cняра [snεra] "autant, tant"

Dans ce contexte très particulier, à l'initiale, les affriquées commutent avec


les simples. De même, on a aussi :
кштимc [kʃtims] "danser"152
кcты [kstə] "fraise"

• La question des affriquées hétéro-organiques

Les séquences [ts] et [tʃ] sont homo-organiques et il n'y a pas de difficulté


à intégrer /ts/ et /tʃ/ dans le système des phonèmes et c'est ce que nous
avons fait dans la description des idiolectes.

152
Prononciation d'après V. Lysov.

230
Le statut des phonèmes éventuels /ks/ et /kʃ/ est plus délicat mais en leur
accordant le statut de phonème, on simplifie la structure syllabique du
mokša. Les séquences [ts] [tʃ] [ks] [kʃ] sont fréquentes et elles comptent
pour une seule position dans le gabarit syllabique #CCv-.
En résumé, si on admet que des affriquées hétéro-organiques puissent
être des phonèmes, alors le mokša possède deux affriquées
supplémentaires /ks/ et /kʃ/.

Sur le plan descriptif, ces affriquées hétéro-organiques peuvent être aussi


considérées comme distribuées. /ks/ est vélaire et apico-alvéolaire tandis
que /kʃ/ est vélaire et palato-alvéolaire.
Ces affriquées ont des particularités articulatoires qui les rapprochent des
phonèmes /ɬ/ et /ř/, qui sont également distribués.

On peut signaler que l'alphabet grec a introduit deux nouvelles lettres Ξ


(ksi) Ψ (psi) pour gérer les séquences -ks- et -ps-. Les affriquées hétéro-
organiques du mokša trouvent dans ces deux lettres nouvelles de
l'alphabet grec un précédent très intéressant.

Les phonèmes /ts/ /tʃ/ /ks/ /kʃ/ sont fréquents. Les séquences [ps] et [pʃ]
sont en revanche rares. Il n'existe que quelques mots où on les rencontre.
Elles sont rares à l'initiale et elles ne se rencontrent pas dans certaines
situations critiques comme les exemples ci-dessus. Elles semblent
résulter du contact entre une base radicale et un suffixe.

Les exemples les plus complexes sont les suivants :


- лaпштамс [lapʃtams] "regarder, examiner"
- люпштамс [ljupʃtams] "presser, comprimer"
- oпштадeмс [opʃtadems] "s'enflammer"
лaпштамс ne semble pas avoir de motivation synchronique.
люпштамс est peut-être lié à люмбамс "plier, pencher, décliner".
oпштадeмс est peut-être lié à пcи "feu".
Ces exemples sont compatibles avec le gabarit -vCCCv-.

231
Par ailleurs, il ne faut pas se laisser abuser par l'habitude graphique de ne
pas noter par écrit [ə] en syllabe initiale :
- пчкамс [pətʃkams] "guérir"
- пцкай [pətskaj] "presque" (Cf. russe пoчти)

Notre conclusion est que les séquences [ps] et [pʃ] doivent être considérés
comme la réalisation de deux phonèmes successifs.

6.8. Les consonnes longues

En ce qui concerne les consonnes longues, le mokša présente les deux


types suivants, toujours liés à des suffixations.
Le premier cas est le suffixe du pluriel -t#.
куд [kud] "maison"
кутт [kut:] "maisons"
лoмaнь [loman] "personne"
лoмaтть [lomat:] "(des) personnes, des gens"

Le deuxième cas est le suffixe verbal -ne-.


кандомс [kandəms] "porter, apporter, emporter"
каннeмс [kan:ems] "transporter"

Il est possible que le dialecte zubu admette des longues internes,


indépendantes de toute suffixation153. Ce point mériterait d'être vérifié.
Mais en ce qui concerne le centralna, les longues sont toujours liées à des
phénomènes de phonotaxie le long de l'axe syntagmatique.
Longueur consonantique implique suffixation.

153
Information donnée par O. Kazanin.

232
6.9. Les consonnes centre de syllabe

Les consonnes non-obstruentes /r/ /l/ /ř/ /ł/ sont parfois amenés à jouer le
rôle d'une voyelle ou de l'élément le plus vocalisable quand elles se
trouvent entre deux consonnes.
Par exemple :
- кълдома /kldəma/ "gorge"
- нлнe /nlnε/ "même"
- пълхтамc /pɬtams/ "brûler"
- вpьгaз /vrgaz/ "loup"
- пypxцe /přtsε/ "cochon"

6.10. Cas d'assimilations labiales

Dans notre corpus, nous avons rencontré un phénomène, non décrit à ce


jour en mokša, qui est la propagation de certains traits vocaliques sur les
consonnes.
Par exemple, /n/ précédé d'une voyelle d'arrière /o/ /u/ et aussi /a/ se
réalise parfois [m]. Ce phénomène de fluctuation est sporadique et ne
relève pas de la phonologie.
Ainsi :
coн lui, il [son] et aussi [som]
Aннa Anna [an:a] et aussi [am:a]
-oнц son, sa [ənθ] et aussi [əmθ]

Ce tropisme labial peut affecter les occlusives :


тoн tu, toi [ton] et aussi [pom]
шoнгapa liquide [šoŋgara] et aussi [šombara]

233
Le mokša manifeste donc une forme de contamination articulatoire des
consonnes par les voyelles. Ce phénomène qui ne semble pas choquer
les locuteurs n'est pas décrit dans la littérature sur le mokša.
Ce phénomène a son pendant en erzia mais pour les voyelles antérieures.
En erzia, les consonnes en contact avec /e/ ou /i/ sont palatalisées. Par
exemple, seul [k'ed'] est possible. **[ked'] ou **[k'ed] sont impossibles. En
erzia, la contamination est palatalisante et concerne les voyelles
antérieures. En mokša, on constate un phénomène inverse. Ce sont les
voyelles postérieures arrondies qui tendent à propager leur trait arrondi
sur leur environnement. L'autre différence est que ce phénomène est
sporadique en mokša alors qu'en erzia il est obligatoire.

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