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SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ N° 1, 2005
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1. Plus correctement, la table des entrées dans un premier emploi au fil du temps.
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sont pas perceptibles durant les trois pre- différente du travail selon le contexte du
mières années d’établissement. On est plutôt marché ou la non-reconnaissance de l’expé-
en présence du processus symétrique : le rience acquise à l’étranger ; problèmes crois-
fait de détenir un emploi, quel qu’il soit, sants à mesure que l’on gravit les échelons
accroît la probabilité d’aller suivre un cours du prestige social et de la qualification.
de français (Renaud, 1995). Le marché du
travail renforce le message de la nécessité Sur trois ans, il n’a pas été possible d’ana-
de la langue française (et non de l’anglais) lyser l’ampleur de l’impact de la présence
pour la vie au Québec. Il est alors vital de d’organisations professionnelles dans les
continuer de soutenir ces cours parce qu’ils champs de compétence des migrants enquê-
faciliteront à long terme l’insertion dans les tés et des barrières à l’accès à l’emploi qu’elles
réseaux normaux de la société, réseaux qui, représentent pour eux. L’information néces-
à terme, rendront les immigrants mobiles en saire manquait dans les questionnaires des
emploi. Les données issues de l’observation trois premières vagues. La quatrième vague
des dix années de séjour devraient permet- d’interviews a comblé ce manque. On y cons-
tre une meilleure compréhension de ce pro- tate que 14 % des répondants exerçaient,
cessus et un programme de recherche est avant la migration, une profession régie au
en cours à ce propos. Québec par un ordre professionnel et que
seulement 30 % de ceux-ci étaient membres
Enfin, à l’opposé de ce qu’on vient de
de l’un de ces ordres après dix ans de séjour
voir, la compétence en français a un impact
(Renaud, 2001).
direct, mais faible, sur l’accès à un premier
emploi (Godin, 2002) pour la population À défaut de pouvoir montrer l’impor-
des demandeurs d’asile. Dans cette popula- tance des barrières systémiques, Crespo a
tion particulière, près d’un demandeur sur pu montrer l’effet pervers de l’expérience
deux (46 %) n’aura toujours pas débuté un locale québécoise. Lorsqu’un immigrant est
premier emploi trente-six mois après le amené à accepter un emploi de statut infé-
dépôt de la demande de statut de réfugié. rieur à celui occupé avant la migration, il
L’extrême marginalité de leur position voit fondre ses chances subséquentes de
sociale explique peut-être que ce soit là l’un retrouver le statut qui était le sien avant la
des rares atouts dont ils disposent. migration, au moins pour les trois premières
années de séjour. Tout se passe comme si,
Retrouver un emploi équivalent en acceptant un emploi de moindre niveau
après la migration au Québec, l’immigrant effaçait de son CV
Dans les exemples précédents, nous nous son passé plus glorieux ou confirmait – au
étions fixés sur l’accès au marché du travail. yeux de la société d’accueil – la piètre qua-
On peut étudier d’autres dimensions. lité de son expérience professionnelle passée.
L’acquisition d’une « expérience québécoise »
Crespo (1993) a étudié, avec les données aurait, dans ce cas, des effets négatifs à long
des trois premières années de séjour, les terme. Dans le cas des anciens détenteurs
facteurs qui expliquent qu’un immigrant va d’emplois de haut niveau socioéconomique
réussir ou non à retrouver, au Québec, un ou de fort niveau de qualification, la pour-
emploi au moins équivalent à celui qu’il suite de la carrière d’origine doit réussir au
détenait avant sa migration. moment même où l’immigrant a accès pour
Les probabilités qu’un tel événement se la première fois au marché du travail. Sinon,
produise varient considérablement, avec un l’entrée dans un emploi, par nécessité éco-
net désavantage pour les immigrants ayant nomique ou pour se créer une crédibilité
occupé les meilleurs emplois. En effet, une locale, éloigne de l’emploi qui serait au
tâche de bas niveau socioéconomique, moins moins équivalent à celui exercé à l’étranger,
complexe et moins qualifiée, sera relative- cela pour les trois premières années après la
ment interchangeable d’un marché à un migration. Il reste, bien sûr, à vérifier si
autre. Par contre, les anciens détenteurs l’effet se prolonge au-delà de cette période
d’emplois de statut plus important buteront ou si, au contraire, il n’y aurait pas un effet
sur des barrières, comme l’organisation de rattrapage subséquent.
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Ici encore, on n’aurait pas pu cerner ce les seuls dont la scolarité joue en leur faveur,
processus en l’absence de données longitu- en accélérant l’accès à l’emploi mais cela ne
dinales. suffit pas pour contrebalancer le poids de
l’origine elle-même. Plus ils sont instruits,
L’origine nationale et l’emploi moins ils sont discriminés, mais la discrimi-
nation ne disparaît pas.
L’introduction dans l’analyse de l’origine
nationale du migrant permet d’examiner Après six mois de séjour :
des barrières liées au racisme et à la discri- lorsque les Africains ont un emploi,
mination. Globalement, on voudra voir si leur statut social apparaît
l’effet de cette variable persiste lorsqu’on conforme à leur capital humain
introduit les facteurs normaux de différen-
Examinons maintenant les emplois détenus
ciation sur le marché. Si tel était le cas, on
après six mois de séjour, c’est-à-dire suffi-
pourrait penser être en présence de telles
samment tôt dans le processus d’établisse-
barrières et non pas d’une simple différen-
ment pour avoir l’image de l’accueil que
ciation de la main-d’oeuvre venant de ce que
réserve la société québécoise à ses nouveaux
les immigrants originaires des différents
arrivants et avant que d’éventuels mécanis-
coins du monde n’ont pas la même distribu-
mes de compensations ne viennent jouer.
tion de capital humain.
L’analyse ne porte ici que sur les personnes
Nous avons examiné cela (Piché, 2002) détenant un emploi à ce moment-là.
auprès de l’échantillon d’immigrants réguliers
Le logarithme du revenu horaire varie,
(enquête ENI). Les variables dépendantes
toutes choses égales par ailleurs, selon l’ori-
considérées sont l’accès au premier emploi,
gine nationale : toutes les origines sont défa-
sa durée, le revenu et le statut de l’emploi
vorisées par rapport au groupe de référence
détenu après six mois de séjour et, enfin, le
composé des migrants originaires de l’Amé-
nombre total de semaines travaillées dans
rique du Nord et de l’Europe de l’Ouest.
les 78 premières semaines au Québec.
Les Africains subsahariens ne le sont ni plus
Les variables de contrôle sont le sexe, ni moins que les autres.
l’âge, l’éducation, le statut d’immigration,
La chose est presque semblable lorsqu’on
l’existence d’un emploi attesté lors de la déli-
étudie le statut socioéconomique de l’emploi
vrance du visa, l’expérience de travail anté-
mais, cette fois, les originaires de l’Afrique
rieure à la migration et les formations suivies
sub-Saharienne ne sont pas discriminés et
au Québec.
ne se différencient pas du groupe de réfé-
Selon le critère étudié, les résultats varient rence. Ils sont discriminés sur l’accès au
mais montrent dans tous les cas un pro- marché et sur le revenu qu’ils touchent
blème de barrière à l’emploi lié à l’origine mais, lorsqu’ils ont un emploi après six mois
nationale. Résumons donc à grands traits. de séjour, le statut social de celui-ci est le
reflet de leur capital humain.
L’accès au premier emploi :
les difficultés des Africains
Les trois premières années :
sont les plus marquées
les difficultés des Africains
En ce qui concerne l’accès au premier emploi, dans l’accès au premier emploi
est compensée par une présence
seuls les immigrants originaires de l’Afrique
plus stable sur le marché
sub-Saharienne éprouvent des difficultés
plus grandes à accéder au travail, cela toutes Une analyse plus récente (Piché, 2002), tou-
choses contrôlées par ailleurs. Cela est jours réalisée sur les trois premières années
d’autant plus frappant que ce groupe com- mais avec un détail plus fin des origines
porte la plus forte proportion parmi la nationales, montre que le phénomène qui
cohorte de personnes ayant 17 ans et plus affecte les originaires de l’Afrique du Sahel
de scolarité. Toutes les autres origines ne peut pas être réduit au racisme. En effet,
nationales ne présentent pas d’effet après les immigrants originaires d’Haïti ne pré-
contrôle : leur accès au premier travail sentent pas d’effets liés à leur origine natio-
rémunéré ne diffère pas. Les Africains sont nale. La communauté haïtienne étant établie
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depuis longtemps au Québec alors que l’arri- non significatifs. Pour une partie importante
vée des immigrants de l’Afrique y est plus des immigrants, il y aurait donc eu un ou
récente, on peut penser que ce dernier des processus d’ajustement, soit de la part des
groupe a des réseaux moins bien structurés personnes immigrantes, soit de la société
ou moins supportants. réceptrice, ayant pour résultat de faire dis-
paraître les traces d’un accès possiblement
Cette analyse montre que si on change
discriminatoire aux emplois de bon statut
de critère et qu’on regarde le nombre de
socioéconomique. Il n’y a plus d’effets inéga-
semaines travaillées à temps plein au cours
litaires de l’origine nationale dans l’accès
des 78 premières semaines de séjour, l’image
aux bons revenus une fois qu’on a accédé aux
se modifie encore une fois. Les régressions2
emplois de bon statut socioéconomique.
(Tobit) ne montrent plus d’effet lié à l’ori-
gine africaine ou haïtienne. Les difficultés Trois familles d’hypothèses, qui peuvent
des Africains dans leur premier accès au être testées par des analyses dynamiques,
marché seraient compensées par une pré- sont avancées pour expliquer cette évolution.
sence plus stable sur ce marché. Cela La première hypothèse est que les immi-
n’enlève ni la difficulté d’accès au marché grants, devant les difficultés à leur arrivée,
ni la discrimination salariale dont ils sont développeraient des stratégies de contour-
victimes. Mais cela oblige à repenser leur nement et, avec le temps, arriveraient à
situation en termes de processus d’établis- rejoindre les autres groupes d’immigrants
sement, de réseaux d’accueil et d’insertion plus favorisés à l’arrivée. La deuxième hypo-
et de difficultés à faire valoir son capital thèse veut qu’avec le temps, les groupes
humain. Si ce qu’ils vivent peut être le reflet d’immigrants se socialiseraient aux us et
d’un racisme de la société, cela peut aussi coutumes du marché du travail, formeraient
être le reflet de barrières rencontrées et leur réseau ethnique, et, le cas échéant,
franchies plus ou moins rapidement. construiraient leur « enclave ». Cela concerne
davantage les réseaux. La dernière hypo-
Les dix premières années : thèse veut que ce soit la société d’accueil
les effets négatifs sur le statut qui ait changé depuis dix ans, devenant en
socioéconomique et le revenu quelque sorte plus réceptive et donc moins
des immigrants s’estompent
exclusive ou discriminatoire sur le marché
au cours du temps
du travail. La société d’accueil s’habituerait
Avec les données portant sur les dix premières aux nouvelles sources d’immigration. Quelles
années, maintenant disponibles, nous avons hypothèses doit-on privilégier ? A priori,
voulu d’abord voir si l’origine nationale dif- aucune : elles sont toutes également possi-
férenciait toujours les répondants, en com- bles et doivent, en fait, compter chacune
parant son effet, toutes choses égales par pour une partie des changements observés.
ailleurs, sur le statut socioéconomique et le Il reste, à ce titre, à les étudier plus avant,
revenu de l’emploi 520 semaines après l’arri- afin de les départager.
vée comme immigrants (Renaud, 2003).
Seule la deuxième hypothèse a donné lieu
L’analyse montre l’évolution de l’effet net à une publication à ce jour (Fortin, 2003).
de l’origine nationale en tenant compte des Les natifs de l’Amérique du Sud et des
éléments de capital humain et des conditions Caraïbes, à l’exclusion d’Haïti et du Vietnam,
de la migration sur le statut socioéconomique tendent à vivre repliés sur leur endo-groupe
au fil du temps : très présent en début d’éta- dans des proportions respectives de 38 et
blissement, cet effet disparaît après dix ans 82 %. Ce repli, pour ceux qui le vivent,
pour certaines origines mais se maintient explique une partie importante de l’effet de
pour d’autres. Seuls survivent les effets l’origine nationale. À l’opposé, les natifs du
affectant les immigrants de l’Amérique du Moyen-Orient (à l’exclusion du Liban) et de
Sud et des Caraïbes, à l’exclusion d’Haïti et l’Afrique du Nord voient leur destin profes-
du Vietnam. Toutes les autres origines natio- sionnel s’améliorer lorsque leur réseau est
nales présentent des effets qui deviennent composé surtout de Canadiens.
2. En plus des variables usuelles, on contrôle aussi ici par le nombre de semaines de formation à plein temps suivie.
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