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Avocat à la Cour
Ancien secrétaire de la Conférence
Madame E. Fischer
Référendaire
CEDH - Conseil de l'Europe
F-67075 Strasbourg Cedex
Madame la Référendaire,
Concernant la requête en référence, je vous prie de trouver ci-joint copie d’un jugement
rendu le 19 décembre 2007 par le Tribunal correctionnel de Lausanne, ordonnant la
poursuite de « l’internement » de mon client, Monsieur Skander Vogt, avec la précision
que cette mesure d’internement se déroule dans les établissements pénitentiaires.
Je vous prie de trouver également copie d’un arrêt rendu le 30 janvier 2008 par le juge
d’application des peines de Lausanne.
Le Tribunal ordonnait que l’exécution restant à effectuer sur la peine prononcée soit
suspendue au profit de l’internement, sur le fondement de l’article 43 du Code pénal suisse
tel qu’il existait à la date du jugement.
Mais, à ce jour, Monsieur Vogt fait toujours l’objet de cette mesure dite « d’internement »,
dont la poursuite a encore dernièrement été décidée par un jugement du 19 décembre 2007
du même tribunal.
C’est à dire que Monsieur Vogt se trouve toujours en prison alors qu’il aurait dû être libéré
il y a plus de 6 ans et demi ! Et de plus fort, il est placé en régime de sécurité renforcée,
quasiment en permanence.
Par ce jugement, la Suisse persiste donc dans les violations dénoncées dans la requête et les
aggrave même :
- mais également parce que les motifs retenus dans le jugement du 19 décembre 2007
démontrent le caractère arbitraire de l’emprisonnement, sous la dénomination
« d’internement », violant ainsi l’article 6 de la Convention ainsi que sur cet aspect
également, l’article 4 du protocole n° 7.
D’autre part, il apparaît que ce texte n’est même pas applicable à Skander Vogt et qu’au
surplis il entraîne une aggravation puisqu’il exclue même les expertises et toute
possibilité de libération. Il ne saurait donc s’appliquer rétroactivement à la situation
résultant d’un jugement du 9 janvier 2001.
A. La violation de l’article 5
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté,
sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
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c- s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire
compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une
infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de
commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
d- s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation
surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;
L’article 64 du code pénal n’entre dans aucune des exceptions prévues par l’article 5 de la
convention européenne des droits de l’homme. En l’état actuel des choses, cet article 64
revient à priver le condamné du droit à la liberté à l’expiration de la peine prononcée, et ce,
pour une durée illimitée, au nom d‘une dangerosité supposée potentielle de ce dernier.
Cet article 64 du code pénal suisse est « la porte ouverte » à une certaine dérive du système
judiciaire dont est aujourd’hui victime Monsieur Skander Vogt. En effet, ayant été
condamné à une peine de 20 mois dont l’exécution devait s’achever au mois de juin 2001,
celui-ci s’est retrouvé incarcéré en milieu pénitentiaire pendant des années, et encore
maintenant, bien au-delà de la fin de sa peine par le truchement de la substitution de
l’internement à la peine initialement prononcée.
Cette disposition du Code pénal suisse aboutit à l’exécution d’une double peine infligée au
condamné, d’une durée illimitée, et viole le principe posé par l’article 4 du protocole n°7
de la convention européenne des droits de l’homme selon lequel « Nul ne peut être
poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction
pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à
la loi et à la procédure pénale de cet Etat. ».
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Or, le tribunal a fait une application totalement erronée de cet article dans la mesure où
Monsieur Skander Vogt ne remplit aucune des conditions posées par celui-ci.
En effet, il apparaît clairement à la lecture de l’article 64 du code pénal suisse, que deux
conditions cumulatives doivent être réunies pour décider de l’internement d’une
personne.
Il faut tout d’abord se trouver dans l’une des hypothèses d’infractions visées par cet
article :
Or, aucune des infractions commises par Monsieur Skander Vogt, ne figure dans l’une des
catégories prévues par l’article 64 du code pénal (ancien article 43 ch. 1 al. 2 CP).
En effet, Monsieur Vogt a été condamné le 9 janvier 2001 à une peine de 20 mois
d’emprisonnement pour voies de fait, dommages à la propriété, menaces, lésions
corporelles simples, violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires.
Ces condamnations sont en tous cas bien inférieures au seuil minimum de la peine de « dix
ans au moins », prévue par l’article 64 appliquée à ces condamnations, et même au seuil
modifié par la loi du 24 mars 2006, qui l’a réduit à « cinq ans au moins ».
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Donc cette première condition n’est pas applicable à Skander Vogt et est ainsi confirmé le
caractère arbitraire de son incarcération dans une prison depuis juin 2001, donc depuis
près de sept années.
Ensuite, la deuxième condition exigée est introduite à la fin de l’article 64 CP 1 ch, par « et
si », ce qui marque bien le caractère cumulatif que le législateur suisse entendait apporter
aux conditions. Deux hypothèses sont prévues :
Or, comme l’ont établi les expertises effectuées en 2000 et notamment celle du 23 février
2000, Monsieur Vogt ne souffre d’aucun trouble mental grave chronique ou récurrent qui
ferait craindre un risque de récidive.
En effet, le rapport d’expertise sur lequel se sont fondés les juges pour décider de procéder
à son internement sur le fondement de l’article 43 ch. 1 al. 2 CP, devenu l’article 64 CP.,
fait clairement état « d’un trouble psychotique induit par une substance psychoactive non
déterminée ». Ainsi, Monsieur VOGT a commis ces infractions sous l’emprise d’une
substance qui a profondément altéré son jugement. Cela ne signifie en rien qu’il est atteint
de trouble mental quelconque.
Ainsi, alors que Monsieur Skander VOGT a été condamné pour des faits dont la gravité
était loin de nécessiter la prise d’une telle mesure, Monsieur VOGT se retrouve privé
indéfiniment de sa liberté alors qu’il n’a commis ni assassinat, ni meurtre ou de lésion
corporelle grave ou toute infraction de même gravité.
Il est notamment écrit (page 12) : « L’internement de l’art. 64 CP est exclu des mesures
citées à l’article 90 al. 1 CP (qui traite du régime d’isolement ininterrompu). De surcroît,
l’art. 64 CP ne renvoie par à l’application de l’art. 78 CP (exécution d’une peine privative
de liberté). On ne saurait pourtant en déduire que le législateur aurait voulu soustraire
l’internement à l’une ou l’autre de ces dispositions ».
Une telle déduction, qui se trouve même contredite par la législation suisse, établit bien
que l’incarcération et le régime, qui s’apparente à des mauvais traitements, appliqués à
Monsieur Skander Vogt, sont totalement arbitraires.
Ce caractère arbitraire n’est pas non plus contredit par les motifs de fait invoqués :
- des incidents épisodiques, provoqués par le régime auquel Skander Vogt est soumis, et
qui ne surviendraient pas, s’il ne se trouvait ainsi séquestré de manière illégale dans une
prison et soumis à un régime dit de « haute sécurité ».
- Une affirmation fausse et tout aussi arbitraire (page 13): « Le recourant souffre d’un
grave trouble de la personnalité. (lequel ?) A dire d’experts (lesquels ?), l’expression de ce
trouble se traduit par une forme d’agressivité particulièrement dangereuse, à savoir
l’agression physique de personnes ».
Affirmation contredite par les expertises sur lesquelles avait été fondée la mesure
d’internement sanitaire – et non pas d’emprisonnement, ordonnée par le jugement rendu le
10 janvier 2001 par le Tribunal correctionnel de Lausanne qui condamnait M. VOGT à
une peine de 20 mois d’emprisonnement, sous déduction de 415 jours de détention
préventive pour des voies de fait et insultes contre des fonctionnaires, mais ordonnait son
internement dans le cadre de l’article 43 ch. 1 al. 2 CP., au lieu de l’exécution de la peine.
Mais, comme relevé plus haut, il était établi que seul l’usage de substances psychotropes
pouvait entraîner un comportement social agressif de Skander Vogt, ce qui signifiait
clairement une absence de maladie mentale structurelle, et un comportement normal, sauf
sous l’empire d’une prise de substance psychotrope.
Or, l’effet psychique de prise d’une substance psychotrope n’est pas particulier pour
Skander Vogt mais concerne tous les individus quels qu’ils soient, dès lors qu’il y a
ingestion de ce type de produits.
Il est urgent que la Cour statue sur la requête dont elle est saisie depuis le 20 novembre
2006 compte tenu le la persistance des atteintes particulièrement graves commises contre
Skander Vogt et de leur aggravation.
La présente lettre vous est adressée à titre de mémoire complémentaire, auquel sont joints
les nouvelles pièces visées.