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Mots clés : gel des avoirs, blanchiment, révolution, ÉGYPTE, Hosni Moubarak, Ben Ali
Des officiels décrochent le portrait de Hosni Moubarak d'un bâtiment public au Caire. Crédits
photo : APTN/AP
Trente minutes. C'est le temps qu'il a fallu à la Suisse pour demander le gel des avoirs de
Moubarak et de 11 personnalités égyptiennes aussitôt après la chute du régime, vendredi 11
février. Avec «effet immédiat», a tenu à préciser le ministère des Affaires étrangères. À ce
jeu-là, la Confédération helvétique a été la plus rapide. Une façon pour elle de redorer son
blason, alors qu'elle traîne une réputation de paradis fiscal.
Mais une demi-heure, c'était déjà trop long. Hosni Moubarak aurait préparé la disparition de
ses fonds depuis près de trois semaines, d'après des sources issues des services secrets anglo-
saxons citées par le journal britannique The Telegraph. Une demi-heure, c'est aussi un délai
qui semblera ridicule au final si des poursuites judiciaires sont lancées: elles risquent de durer
des années. Le cas échéant, «ce sera en effet à l'État égyptien de prouver l'origine frauduleuse
des fonds, et non pas aux ex-dirigeants égyptiens de démontrer leur bonne foi», explique
Thomas Chappot, de l'ONG Déclaration de Berne.
La Suisse a pourtant voté en urgence l'année dernière une nouvelle loi sensée faciliter la
restitution des avoirs illicites aux États spoliés. Berne veut éviter que ne se reproduise le
scandale Moboutou: la justice helvétique avait restitué la fortune du sanglant dictateur zaïrois
à ses héritiers. Hélas, le nouveau texte, appliqué depuis le 2 février, ne devrait ni s'appliquer à
l'Égypte, ni à la Tunisie. Il ne cible que les seuls États jugés défaillants.
Les pays européens ont voulu pour leur part attendre la demande des nouvelles autorités
égyptiennes pour agir. Ces dernières ne leur ont fait parvenir que lundi une liste ciblant d'ex-
dignitaires du régime déchu. L'ex-Rais et sa famille n'y figurent pas. Les journaux
britanniques du dimanche rapportaient cependant que les limiers financiers avaient déjà
commencé à enquêter sur les fonds secrets de Moubarak.
Dans le cas de la France, ce n'est que mardi en fin de matinée que les avoirs égyptiens ont été
placés officiellement sous surveillance. Une décision qui n'engage à rien. Concrètement,
l'organe de renseignement financier Tracfin a demandé aux établissements financiers de
porter une attention particulière aux avoirs des «hauts fonctionnaires et responsables
politiques égyptiens, y compris Hosni Moubarak».
En théorie, les banques sont toujours sur le qui-vive. Si bien que, de source proche du dossier,
on affirmait dès lundi après-midi, donc bien avant l'annonce officielle, que les fonds égyptiens
étaient sous surveillance, au même titre que ceux des «personnalités politiques exposées» en
général. En clair, les ex-dirigeants égyptiens ne font pas l'objet d'un traitement particulier.
Le cas Gbagbo
Dans le cadre des procédures européennes, à charge des banques d'avertir les enquêteurs
financiers en cas de mouvement suspect. Les ONG comme Sherpa ou encore Convention de
Berne auraient préféré que les États s'entendent pour bloquer unilatéralement les avoirs de
Moubarak et ceux de Ben Ali. «Le Conseil de sécurité de l'ONU ou même l'Union européenne
auraient pu prendre une telle décision», rappelle Maud Perdriel-Vaissière, de l'association
Sherpa. «Ils l'ont bien fait dans le cas de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo.»
Il ne faut pas perdre de vue l'objectif final, selon elle: «La partie des fonds acquise de façon
illicite par les ex-dirigeants doit être rendue rendus aux États victimes». Les précédentes
procédures judiciaires menées en Europe n'incitent pas à l'optimisme. En Suisse, les biens de
l'ex-dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier, dit «Baby Doc», sont gelés depuis un quart de
siècle sans avoir pu être redonnés à l'État spolié. En France, l'affaire dite des «biens mal
acquis» visant les anciens dictateurs africains, est enlisée.
Toujours est-il que les avoirs de Moubarak et de Ben Ali ne sont probablement pas situés dans
les pays occidentaux. «Je suis sceptique quant au retour des fonds détournés vers la Tunisie
ou l'Égypte: la plupart des dirigeants arabes ont placé leur argent dans les pays du Golfe, où
ils comptent beaucoup d'amis», estime Christopher Davidson, spécialiste du monde arabe et
professeur à l'Université de Durham.
À titre d'exemple, les avoirs égyptiens situés en Suisse ne se chiffreraient, d'après la Banque
centrale helvétique, qu'à 3,6 milliards de francs suisses, soit 2,7 milliards d'euros. Impossible
pour l'instant de savoir à qui ils appartiennent, ni même s'ils sont d'origine illicites. Ce
montant semble très faible au regard de la fortune que les Moubarak sont accusés d'avoir
amassée. Les estimations s'étalent entre 3,5 et 47,8 milliards d'euros. D'après les économistes
de l'ONG Global Financial Integrity, la fuite de capitaux égyptiens illicites a représenté une
hémorragie de 57,2 milliards de dollars, soit 42 milliards d'euros, entre 2000 et 2009.