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Universitatea “Dunarea de Jos” – Galati

Facultatea de Litere
Specializarea Engleza-Franceza

LUCRARE DE
LICENTA

Coordonator stiintific: Lector dr. Mirela Dragoi

Absolvent: Vlad Iuliana Valentina

Galati
2010

1
Universitatea “Dunarea de Jos” – Galati
Facultatea de Litere
Specializarea Engleza-Franceza

LUCRARE DE LICENTA

LA CRÉATION BAUDELAIRIENNE – ÉTAPES,


THÈMES ET
PRINCIPES ESTHÉTIQUES

Coordonator stiintific : Lector dr. Mirela Dragoi

Absolvent : Vlad Iuliana Valentina

Galati
2010

2
« Dans ce livre atroce,
j’ai mis tout ma pensée, tout
mon cœur,
toute ma religion, toute ma
haine. »

3
TABLE DE MATIÈRES

RÉSUMÉ
ARGUMENT
I. LA SOCIETÉ ET LA CULTURE DU XIXème SIÈCLE
1. Le contexte social et littéraire du XIXème siècle
2. Brève description du courent Symboliste
3. La modernité de Charles Baudelaire
II. CHARLES BAUDELAIRE – sa vie comme démarche pour l’œuvre
1. La douce enfance
2. Les premières pièces – 1838-1840 – développent le
futur poète
III. LES FLEURS DU MAL – naissance, essor, pièges
1. L’inclination vers les titres « pétards » ou
« mystérieux »
2. Des « fleurs » répandues dans le temps
1. Le cycle de Mme Sabatier
2. Les dix-huit poèmes de La Revue de Deux Mondes
3. La période 1855-1857
3. L’édition de 1857
1. L’ « architecture secrète » du recueil
2. Première section : Spleen et Idéal
3. Deuxième section : Fleurs du Mal
4. Troisième section : Révolte

4
5. Quatrième section : Le Vin
6. Dernière section : La Mort
4. La période 1857-1861, le procès des Fleurs du Mal
5. L’édition de 1861
1. Première section : Spleen et Idéal
2. Deuxième section : Tableaux parisiens
3. Troisième section : Le Vin
4. Quatrième section : Fleurs du Mal
5. Cinquième section : Révolte
6. Dernière section : La Mort
IV. L’UNIVERS THÉMATIQUE BAUDELAIRIEN EXPRIMÉ DANS
DES « FLEURS »
1. L’éternelle lutte entre le Mal et le Bien ; le destin du
poète dans une société stérile – L’Albatros
2. La femme baudelairienne, medium vers l’idéal –
Parfum exotique, A une passante
3. La Mort dans l’écriture baudelairienne
1. La Mort comme passage vers l’Idéal – La Mort des
Amants
2. La Mort infâme et destructrice – Une Charogne
4. Le Spleen – Spleen
5. Les paradis artificiels – Le Vin des Amants
V. EN GUISE DE CONCLUSION – C’EST L’ART
BAUDELAIRIEN DOUX OU AMER ?
VI. BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

5
Argument

« …J’ai un de ces heureux caractères qui extraient le plaisir


de la haine et se glorifient en mépris.
Mon goût diabolique et passionné après la sottise me fait trouver
des hauts plaisirs dans les personnifications de la calomnie.
Caste comme le papier, sobre comme l’eau, inclinait vers la dévotion
comme une communiante, inoffensif comme une victime,
je ne regretterai guère passer comme un libertin,
un ivrogne, un païen et un assassin. »

Le père du symbolisme et de la modernité, Charles Baudelaire est un idéal de


courage par sa lutte de devenir poète avec, d’abord la famille, ensuite avec la société. Il a
dû envisager les problèmes de son temps et mener une vie misérable, et toutefois il a
continué de représenter fièrement le statut de poète, sans tomber proie aux compromises.
Moi, j’ai « connu » ce poète au cours de littérature française et son esprit
nonchalant et l’inédite modalité d’exprimer si sincèrement, et toutefois très poétiquement
les sentiments, m’ont séduit tout d’un coup.
On doit admirer Baudelaire pour son insistance de publier un seconde recueil,
lorsque le premier a été rejeté et pour nous partager son génie, essence forte en petite
boîte : il a choisi d’associer la forme simple, courte des sonnets – en grande partie – à une
expression profonde de l’angoisse existentielle partagée entre le Spleen et l’Idéal.
Baudelaire aime la poésie et, bien qu’il ne soit un grand innovateur en matière de
forme, il a crée des nouveaux rapports entre l’émotion et le langage. L’usage du symbole
et de la synesthésie, du champ lexical du mal pour exprimer le beau font de ce poète
tourmenté et inadapté un des plus grands et même un inspirateur du surréalisme par son
goût du bizarre et du merveilleux enfouis au plus profond de nos rêves.
Combinant d’une manière maîtrisée ces aspects, il a réussi une « alchimie

6
poétique » qui nous a offert les « fleurs » du « mal ». Il a illustré dans son unique volume –
véritable « exposition » des morceaux de la vie – tous les thèmes littéraires connus et tous
les aspects de la vie humaine. Il a tenté de tisser les liens entre le mal et le bien, le bonheur
et l’idéal inaccessible, la violence et la volupté, il a exprimé la mélancolie, le désespoir,
l’extase et a extrait la beauté de l’horreur. Et il suffit d’ouvrir n’importe quelle page des
Fleurs du Mal pour reconnaître dans son écriture « le goût de l’infini » : richesse de
sensations, combinaisons des motifs des l’Antiquité jusqu’au nos jours, plusieurs niveaux
de compréhension.
C’est ça que nous devons à Baudelaire – il nous a enseigné chercher l’éclatement
dans la nuit et le diamante dans la boue et, surtout, rêver, s’imaginer, car cela est la plus
importante des facultés.

7
Résumé

Le thème de mon ouvrage est La création baudelairienne – étapes, thèmes et


principes esthétiques et je me suis proposée, comme objectif majeur, d’y souligner
l’importance de l’écriture baudelairienne pour son époque et pour le développement de la
littérature en général.
J’ai conçu mon ouvrage en plusieurs chapitres : pour avoir une idée sur le monde
dans lequel le poète a évolué, on fait une présentation de la société et de la culture du
XIXème siècle, en soulignant les aspects les plus importants qui ont influencé la littérature
en général et l’œuvre de Baudelaire en particulier. Le changement des systèmes politiques,
la colonisation, la forte industrialisation, l’enseignement publique ont élargit le point de
vue des masses qui s’informent de plus en plus et sortent de sous l’influence de l’Eglise.
La société s’exprime, et la littérature gagne le plus – romantisme, réalisme,
naturalisme ou symbolisme se suivent et s’entrecroisent. Ensuite, on a considéré comme
important de présenter brièvement les principes du courant Symboliste pour mieux mettre
en évidence la modernité esthétique et thématique de l’écriture baudelairienne
Le chapitre suivant présente la biographie de l’écrivain et les faits qui l’ont
influencé dans son œuvre, parce que, précisément pour Baudelaire, son enfance et surtout,
son adolescence ont empreint ses « fleurs ». La douce enfance au milieu de la famille, puis
la brusque rupture à l’apparition du beau-père ont laissées des marques profondes dans la
conscience du futur poète.
La troisième partie est une chronologie de l’activité poétique de Baudelaire. On
envisage l’itinéraire du recueil à partir du choix du titre, décrivant les sections, les
transformations dans le temps des deux éditions et les pièges de la parution, jusqu’à la
publication finale.
L’avant-dernier chapitre montre le développement des thèmes dans un « bouquet »
de pièces. On a choisi des poèmes qui illustrent les principaux thèmes abordés par
l’écrivain : le destin sombre du poète maudit, exilé dans une société spirituellement

8
paralysée, la femme – medium vers le paradis, le spleen comme opposé et toutefois racine
de l’idéal, la mort comme force qui éternise le couple, mais aussi comme procès infâme et
destructeur de la chair, les paradis artificiels – illusions d’un repos.
La dernière séquence souligne l’originalité de Baudelaire par l’usage des symboles,
de la synesthésie et, surtout, par sa manière originelle d’extraire la beauté, la sensibilité des
images ou sensations laides.

CHAPITRE I : LA SOCIETÉ ET LA CULTURE DU XIXème SIÈCLE


1. Contexte social et littéraire du XIXème siècle

Le XIXème siècle est varié, riche et contradictoire dans la surabondance des matières
qui le caractérisent, « où les gouts nouveaux croisent la culture traditionnelle et où l’avenir
se heurte souvent au passée »1.
Ce siècle voit se succéder des systèmes politiques différents : Premier Empire -
monarchie d’Ancien Régime restaurée, monarchie constitutionnelle – éphémère, IIème
République – Second Empire, IIIème République, qui cherchent à répondre aux aspirations
démocratiques nouvelles et aux transformations économiques qui s’accélèrent avec
l’industrialisation, la colonisation et les conflits entre les puissances européennes.
Les changements de société sont extrêmement importants tout au long du siècle :
l’instruction publique finit par devenir générale et, accompagnée par de remarquables
progrès scientifiques et techniques – l’inauguration de la ligne de chemin de fer, la création
des centres de l’industrie textile, de l’extraction du charbon, métallurgique, l’usage du
télégraphe, du téléphone, l’information organisée par la presse – participe à l’évolution des
mentalités. L’aristocratie et l’Église perdent peu à peu leurs positions de force et une
société laïque s’installe à la fin du siècle, marquée aussi par le poids croissant de la
bourgeoisie et de la classe ouvrière qui s’affrontent.
La modernité littéraire s’affirme dans ce siècle à l’Histoire mouvementée avec des
courants marquants qui touchent tous les arts, comme le romantisme, le réalisme, le

1
Ion, Angela et coll., Histoire de la littérature française XIXème siècle, Ed. Universitatea din Bucuresti,
Bucuresti, 1981

9
naturalisme ou le symbolisme. Les créateurs les plus importants échappent cependant à un
étiquetage étroit et offrent des œuvres multiples et encore proches de nous,
particulièrement dans le domaine de la poésie - avec Lamartine, Vigny, Musset, Hugo,
Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé - comme dans le domaine du roman - avec
Stendhal, Balzac, Dumas, Hugo, Flaubert, Zola, Maupassant, Verne - et dans une moindre
mesure au théâtre avec le drame romantique et ses épigones - avec Musset, Hugo, Edmond
Rostand.
Tout au long du XIXème siècle, les œuvres littéraires rencontrent un succès croissant
auprès du public, en raison des progrès de l’alphabétisation. La lecture rentre dans les
mœurs et le livre devient un objet de consommation de masse. Tandis que le nombre de
titres et de tirages augmente, le roman se taille la part de lion dans les ventes de livres, au
détriment du théâtre et de la poésie. Désormais, la production littéraire obéit à des
stratégies différenciées suivant le lectorat auquel elle s’adresse et les retombées
économiques attendues par l’éditeur : les romans-feuilletons et les vaudevilles, destinés à
un public populaire, côtoient ainsi sur les étalages des librairies les romans littéraires, la
poésie et les pièces de théâtre d’avant-garde recherchés par les intellectuels.
Le statut de l’artiste au XIXème siècle imposait des réglementations exactes,
demandées par des situations nouvellement créées. Soupçonnées d’être dangereux à la
société, ils étaient mal rémunérés, leur succès et leur relative prospérité économique
n’étant assurées que grâce à des compromis. L’artiste, un bohème, n’avait d’autres
ressources que son talent. Donc, pour survivre, ils se réunissent dans des cénacles qui, dans
la deuxième moitie du XIXème siècle se concentrent à Paris dans les ateliers d’artistes, les
salons littéraires ou les cafés.
Les auteurs rendent compte de ces transformation dans leurs œuvres et une part
d’entre eux s’engagent dans les camps politiques, progressistes, comme Lamartine, Hugo
ou Zola, ou parfois réactionnaires comme Maurice Barrès ou Léon Daudet. Ils se
rejoignent cependant souvent pour exalter la figure de l’artiste libre contre le bourgeois
vulgaire et matérialiste, en créant le mythe de l’artiste bohème et rejeté qu’illustre
notamment la figure du peintre ou du poète maudit.
Le romantisme nourrit toute la première moitié du XIXème siècle. Ce mouvement
esthétique européen fait une place toute particulière au lyrisme et à l’effusion du moi avec

10
un goût marqué pour la mélancolie : les poètes vont donc exprimer leur mal de vivre et
leurs souffrances affectives en méditant sur la mort, sur Dieu, sur l’amour et la fuite du
temps, sur la nature et sur la gloire, et au delà de ces thèmes lyriques traditionnels, sur la
fonction du poète et sur une perception plus originale du fantastique. Au delà des thèmes
pas toujours novateurs, les poètes romantiques revendiqueront un assouplissement de
l’expression versifiée à la recherche d’une plus grande musicalité et de quelques audaces
dans les mots et dans les images.
En réaction contre l’effusion égocentrique du romantisme, un mouvement nouveau
apparaît : le Parnasse, qui veut recentrer la poésie sur le travail formel du poète et
développe une théorie de « l’art pour l’art ». Cette école, héritière de Théophile Gautier,
est représentée surtout par Leconte de Lisle (1818 – 1894) et Théodore de Banville (1823 -
1891). L’influence de ce mouvement n’est pas à négliger : la densité et l’expressivité
seront retenues par les poètes suivants et c’est d’ailleurs à Théophile Gautier que
Baudelaire dédiera Les Fleurs du Mal et à Théodore de Banville que le jeune Rimbaud
écrira en 1870. Les figures de Verlaine (1844 – 1896) et de Rimbaud (1854 – 1891)
prolongent le type du poète maudit par leurs vies hors des normes sociales.
Les années 1880 voient s’affirmer des courants aux contours incertains comme le
décadentisme et le symbolisme qui ont en commun l’éclatement de la forme poétique avec
l’utilisation du vers libre et le refus du prosaïsme au bénéfice de la suggestion avec un goût
pour le raffinement et l’irrationnel.
Dans la littérature du XIXème siècle français, on retrouve donc des aspirations
inscrites dans le même mouvement continu comme celui de l’histoire, des visions du
monde, une communion spirituelle, exprimés chaque fois dans des œuvres uniques.
Romantisme, réalisme, naturalisme, Parnasse, symbolisme sont surtout des ensembles
signifiants qui repensent chaque fois l’Art, la Civilisation, l’Histoire, le Peuple, à travers
lesquels cette période se trouve aux sources mêmes de la littérature moderne.

2. Brève description du courant Symboliste

Le Symbolisme est né vers la fin du XIXème siècle, et son « certificat de naissance »


est le Manifeste publié par Jean Moréas en 1886, dans le Figaro.

11
Il s’inspire du préraphaélisme anglais mais des traits annonciateurs se trouvent déjà
au sein du romantisme allemand, britannique – avec Blake – et français – Chassériau.
Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé sont les trois poètes français qui ont
le plus influencé le symbolisme. Le mouvement symboliste français a, à son tour,
influencé le symbolisme autrichien, anglais et le mouvement symboliste un peu partout
dans le monde.
Le courant tient son originalité de son extension géographique – il se répand
partout dans le monde – de son contenu esthétique et de son déroulement chronologique. Il
met l’accent sur les états psychiques intermédiaires – le rêve, le fantastique et les préfère à
la banalité de la vie ; la musique à la chanson. Le mouvement symboliste tente de stimuler
l’imaginaire et la sensibilité des gens. Il permet le passage du monde réel au monde de
l’idée.
Les poètes symbolistes essaient d’atteindre une réalité transcendante et cherchent à
saisir l’idéal, ils espèrent trouver la clé d'un univers spirituel. Ils cherchent un langage
fluide, musical et pur et utilisent le symbole. Le vers libre est une de leurs innovations
pour s’affranchir de la rime et de la métrique régulière.
Le principe du symbole se réfère à deux choses lancées ensemble, il est donc une
association de deux réalités, le signe de cette association. Les mots du symbole littéraire
sont des analogies de puissances, de vérités ou de mystères cachés. Baudelaire, par le biais
de métaphores, rapproche des réalités séparées, des fragments pour leur donner du sens.
Le rôle du lecteur est dès lors essentiel et quasi interactive: il doit interpréter ou
déchiffrer les images qui lui sont proposées.
Baudelaire influence l’école symboliste pour le recherche de l’Idéal; Mallarmé, de
son côté, accorde beaucoup d’importance à la fonction poétique du langage comme un
médiateur entre réel et idéal. En effet, le symbolisme est essentiellement l’idéalisme
appliqué à la littérature.

3. La modernité de Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (1821 – 1867) est l’un des poètes majeurs du XIXème siècle.

12
Associant le souci formel des poèmes courts et le réalisme à l’expression d’une angoisse
existentielle partagée entre le Spleen et l’Idéal, il a réussit une « alchimie poétique »
exemplaire en extrayant « les Fleurs » du mal dans son recueil publié en 1857. Poète du
monde réel et de la beauté, du bonheur et de la souffrance, de la morbidité et du péché, il a
en grande partie fondé le type du poète tourmenté et inadapté au monde. Baudelaire a
également donné au poème en prose sa notoriété avec ses Petits poèmes en prose.
« Comme personne avant lui, Baudelaire a demande à la poésie de lui révéler sa
vérité, il a confié à la parole la tâche de lui apprendre qu’il était, lui, tout entier.»2
Entre le formalisme et le romantisme, Baudelaire invente une troisième voie, celle
de la modernité. Celle-ci se caractérise par de nouveaux rapports entre l’émotion et le
langage. A sa parution, le livre est jugé « scandaleux » et « révolutionnaire », mais le mot
« modernité » devient l’emblème de sa propre poétique. Le poète combine le romantisme
et les courants formalistes. Le mot clé de cette combinaison est celui de modernité, c’est-à-
dire une démarche de synthèse et non d’exclusion.
Les thèmes abordés sont nombreux : corruption de la nature, malédiction du génie,
force de la révolte, l’imaginaire. « Plutôt que de tout parier sur l’émotion - comme les
romantiques - au risque de la sensiblerie et de la facilité littéraire, ou sur la perfection
formelle, au risque de la froideur insignifiante, il préfère penser de nouveaux rapports entre
émotion et langage, entre histoire, existence et poésie. »3
C’est une forme de romantisme maîtrisé, ancré dans le présent de l’Histoire. Elle
est aussi une manière de mettre les pouvoirs de l’art au service de l’inspiration. Il s’agit
aussi d’une poétique de l’imagination : c’est l’imagination qui, au cœur du langage, permet
l’expression de la modernité. « La modernité, c’est le fugitif, le contingent, la moitié de
l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable », disait même Charles Baudelaire dans
un article de 1863, intitulé Le peintre de la vie moderne, consacré au peintre Constantin
Guys.
Précurseur du symbolisme des années 1870 par sa foi en l’imagination, il fut aussi
le premier inspirateur du surréalisme par son goût du bizarre et du merveilleux enfouis au

2
Jackson, John E., Baudelaire, Ed. Librairie Générale Française, Paris, 2001, p. 48
3
Lecherbonnier, Bernard et Rince, Dominique, Littérature, textes et documents – le XXeme siècle, Coll.
« Henri Mitterrand », Ed. Nathan, Paris, 1986, p. 46

13
plus profond de nos rêves.
Classique par conscience et formation, moderne par conviction et intuition,
Baudelaire lègue, ainsi à ses successeurs, le modèle d’une poésie exigeante mais décisive.
« La conscience aigue du nouveau dans l’art et dans la vie, le goût de la ville, des foules,
de l’ivresse et de la solitude de l’homme dans les villes de plus en plus immenses, la
tendance à faire du poème un univers autonome, un objet de délectation sans fin où
réalisme et mysticisme s’allient pour aboutir à une transfiguration des données de la
conscience et du rêve de même qu’à une véritable mutation du langage, font de Charles
Baudelaire le premier, et sans doute le plus grand des poètes modernes. » 4

CHAPITRE II : CHARLES BAUDELAIRE – sa vie comme


démarche pour l’œuvre

1. La douce enfance

Charles Baudelaire, « le dernier des romantiques, le premier des modernes »,


quasiment ignoré par ses contemporains, condamné, usé par la vie, l’alcool et la drogue, a
eu une fin de vie sinistre, mourant à quarante-six ans paralysé et en ayant quasiment perdu
l’usage de la parole. Il n’a publié de son vivant qu’un seul recueil, Les Fleurs du Mal . Il
est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands poètes français. Il fut aussi à
l’écoute de son temps, étant l’un des seuls à admirer, ce que tant d’autres n’apercevaient
même pas.
Baudelaire est né le 9 avril 1821, d’une mère de 28 ans, Caroline Archenbaut –
Defayis et d’un père de 62 ans, Joseph – François Baudelaire. Le poète désigne ses
ancêtres comme « idiots ou maniaques, tous victimes de terribles passions »5, ce que peut
expliquer sa procrastination qui est baisse de l’énergie, impuissance et spleen. En outre, on
4
Clancier, Georges Emmanuel, op. cit., p. 390
5
Mourot, Jean, Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Coll. « Phares », Presses Universitaires de Nancy, 1989, p.
17

14
croit que la connaissance de ce fait a causé en lui quelque malaise et a fait naître le
sentiment d’une faute qui l’entachait lui-même.
La figure du père offre un curieux mélange: un prêtre, des manières aristocratiques,
de la galanterie, quelque libertinage de 1’imagination, le goût de 1’art, la sensualité et le
raffinement, tous ces aspects se retrouvent aussi dans Baudelaire. II faut enfin noter son
attachement au souvenir de son père, exprimé dans Fusées : « Faire tous les matins ma
prière à Dieu [...], à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs ».
Quant à la côté maternelle, son ascendance anglaise peut expliquer les tendances
anglomanes du poète, mais on y peut lier plusieurs images: celle de la mère très élégante,
toujours parée, comme le poète même la décrit dans Le Parfum: « Et des habits,
mousseline ou velours, /Tout imprègnes de sa jeunesse pure, Se dégageait un parfum de
fourrure. »
Cette période de bonheur, qui prendra dans la mémoire de Baudelaire une telle
importance, ne dura qu’un an et neuf mois. Le 8 novembre 1828, Mme Baudelaire épouse,
en un mariage d’amour, le commandant Aupick, chevalier de Saint-Louis, officier de la
Légion d’honneur, aide de camp du prince de Hohenlohe ; la mère du poète avait alors
trente-six ans, Aupick quarante. Le jeune garçon, devant ce bel homme en uniforme,
encore jeune et portant beau, a dû éprouver une intuitive et immédiate jalousie. Sa mère
n’est plus « uniquement à lui ».
Baudelaire a été, dès 1832 à 1840, presque constamment séparé du milieu familial.
C’est de là que part la psychologie de 1’exclu : « souffrance d’abord, orgueilleux privilège
ensuite, souffrance et privilège, enfin privilège de la souffrance et de la malédiction ».6
Promu lieutenant-colonel, Aupick est envoyé à Lyon. Venu le rejoindre avec sa
mère au début de 1832, Baudelaire est mis tout de suite dans une pension.
On connaît, par Edgar Quinet, 1’atmosphère sinistre de ce collège ; bâtiments noirs,
voûtes ténébreuses ; ciel bas et brumeux de Lyon ; odeur de charbon qui le poursuivra
jusqu'aux dernières années de sa vie. L’image de la ville – paysage de toits, murs noirs –
propice aux « lourdes mélancolies », à 1’ennui, s’inscrit en lui dès cette époque.
Baudelaire même note que le collège de Lyon lui donne « le sentiment de destinée
éternellement solitaire ».

6
Ibidem, p.19

15
Baudelaire ait été en état de crise dans ses dernières années à Louis le Grand ; c'est
même une crise religieuse qu’il traverse. Mais en 1839, il est rasséréné. Son camarade
Hignard, très pieux, note : il est « devenu très beau garçon, mais ce qui me fait bien plus
de plaisir, il est devenu sérieux, studieux et religieux ».7
C’est une période lumineuse de sa vie; il est déjà le dandy, comme le confirme ce
témoignage de Prarond : « Je le vois encore descendre un escalier de la maison Bailly,
mince, le cou dégagé, un gilet très long, des manchettes intactes, une légère canne à petite
pomme d’or à la main, et d’un pas souple, lent, presque rythmique. »8
En ce qui concerne les influences littéraires, les écrits de jeunesse en trahissent.
Baudelaire se signale par 1’amour précoce des belles œuvres littéraires, le culte de Victor
Hugo et de Lamartine. Le condisciple anonyme de Louis le Grand parlait de son
enthousiasme pour Hugo et Gautier. « Aimer Gautier, à ce moment, c’est une manière de
révolte contre 1’orthodoxie littéraire. »9

2. Les premières pièces – 1838-1840 – développent le futur poète

« N’est-ce pas qu’il est doux...» développe le thème du souvenir et du « vert paradis
des amours enfantines », annonçant ainsi Moesta et errabunda. Ces vers révèlent une
manifestation précoce de 1’horreur de la vie et de la retraite vers le souvenir, malgré l’«
affectation byronienne de corruption prématurée », qui annonce 1’atmosphère de Don
Juan aux enfers, décrit Jean Mourot dans son œuvre sur Baudelaire. Ce qui caractérise
surtout cette pièce, c’est 1’usage du vers prose, hérité de Sainte-Beuve.
La pièce Incompatibilité fut rapportée du voyage aux Pyrénées fait avec Aupick en
1837 ou 1838. Le titre en est curieux, car on ne voit pas bien le rapport avec le thème et le
contenu du poème. Cette pièce néanmoins porte la marque du Baudelaire futur, possède
déjà un « accent ». Dans ces vers se décèle 1’influence de Sainte-Beuve, dans le thème du
lac, qui a une valeur symbolique, et dans la sorte d’impression que le calme mystérieux des
eaux procure. L’accent de Baudelaire apparaît encore dans des sensations caractéristiques :
7
Ruff, Marcel-A., L’esprit du Mal et l’esthétique baudelairienne, Paris, A. Colin, 1955, p. 25
8
Ibidem, p. 28
9
Mourot, Jean, op. cit., p. 27

16
la spatialité, les épithètes vagues, 1’image de 1’écho : « Dans ce morne désert, à 1’oreille
incertaine/ Arrivent par moments des bruits faibles et longs, /Et des échos plus morts que
la cloche lointaine/ D’une vache qui paît aux penchants des vallons. » 10Incompatibilité est
un texte riche en thèmes et en détails baudelairiens.
II s’agit là seulement de quelques textes d’une production de jeunesse. Ce sont
plutôt des « Fleurs du Bien », mais elles contiennent quelques détails caractéristiques du
poète.
C’est à la fin de 1’année universitaire 1839-1840 que Baudelaire fait part à sa
famille de sa vocation poétique. La mère de Baudelaire et le général Aupick n’étaient
certainement pas a priori hostiles à une carrière littéraire pour Baudelaire, qu’ils
entendaient à la façon bourgeoise; mais c’est poète qu’il voulait être, et ce mot sentait pour
sa famille la bohême, d’autant que la conduite de Baudelaire se relâchait. Poésie, bohême,
mauvaises fréquentations, tout cela allait ensemble dans l’esprit des parents. Baudelaire,
sentant la résistance, s’est braqué, et, par représailles, a dû s’enfoncer encore plus dans ses
mauvaises habitudes et il choisit déjà de vivre en marge, une vie maudite. C’est vers cette
période qu’il a connu une prostituée juive et a contracté le mal vénérien.
La pièce XXXII des Fleurs du Mal, qui oppose 1’image de cette prostituée à celle
de Jeanne Duval, « reine des cruelles », évoquée dans sa «majesté native», célébrée pour
sa stature et sa chevelure, se rapporte à cette liaison qui s’est prolongée jusqu’en 1842.
Les rapports entre Baudelaire et sa famille ont dû s’aigrir et devenir violents fin
1840, début 1841. La famille décide de l’éloigner. On le fait embarquer à Bordeaux, sur le
« Paquebot des Mers du Sud », qui met à la voile vers Calcutta, le 9 juin 1841. En
septembre, du 1er au 19ème, il est à l’île Maurice. La solitude intellectuelle, dans laquelle il
se trouvait durant ce voyage - le besoin de conversation étant impérieux chez lui, ce désir
le poussant sans cesse, plus tard, à demander l’hospitalité à des amis - le lui rendit
insupportable.
Le 20 octobre 1841, il écrit le sonnet À une Dame Créole, inspiré par la femme de
son hôte. C’est la première pièce des Fleurs du Mal (LXI) que nous rencontrons;
1’occasion nous est donc offerte de déceler la marque de Baudelaire dans cette pièce
ancienne qui peut être datée avec certitude : 1841.

10
Ibidem, p. 28

17
« L’accent » de Baudelaire se reconnaît encore dans le privilège conféré à la
sensation olfactive, le goût pour les parfums : « Au pays parfumé que le soleil caresse »,
mais il désigne déjà son idéal féminine: taille élevée, noblesse et nonchalance, calme. On
peut distinguer de même les thèmes de la paresse et des yeux, du regard direct. C’est vrai,
à vingt ans, le poète n’est de loin un maître dans la technique du vers, mais on reconnaît
aisément des thèmes et des motifs spécifiques.
Baudelaire est majeur le 9 avril 1842 et il décide de quitter le foyer et à vivre de ses
propres moyens. Le beau-père a dû cesser toute remontrance, résigné à laisser faire, et il
n’y a pas eu rupture violente. II peut entrer en possession de 1’héritage paternel — terrains
à Neuilly — qu’il ne réalisera pas tout de suite ; il espère vivre avec des leçons que lui
procureront ses anciens professeurs. Les terrains de Neuilly, vendus 1’année suivante, lui
rapportent 70 000 francs, ce qui lui faisait un pactole. Le jeune Baudelaire est donc en
possession de son héritage et il se croit riche ; 1’existence de poète qui a décidé de vivre en
rompant avec son passée bourgeois ne lui donne pas 1’impression, au point de vue
matériel, d’une chute de niveau. Les amis de l’Ecole Normande sont des fils de famille et
vivent à 1’aise, comme lui. À cette époque, sa toilette et ses allures de dandy sont la
manifestation extérieure de sa volonté d’originalité ; son dandysme est un constant
sacrifice de la nature à 1’art, une autre manière d’aller contre le mouvement de la vie ;
s’affirme déjà 1'idéal que dira La Beauté (F.M., XVII). Une autre forme de cette attitude,
c’est 1’exercice, sous des dehors impassibles, d’une politesse froide et ironique.
Le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences. « Le dandysme
est un soleil couchant ; comme 1’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de
mélancolie. »11 Comme un dandy authentique, Charles Baudelaire a essayé « le plaisir
d’émerveiller et la satisfaction orgueilleuse de n’être jamais émerveillé »12, par la récitation
de certains poèmes qui, sois irritaient, sois enchantaient. En tout cas, les auditoires ne
pouvaient pas rester indifférents.
Baudelaire rencontre Jeanne Duval vers la fin de 1842. Jeanne est « le seul être en
qui j'ai trouvé le repos [...] la seule personne que j’ai aimée »13, mais elle était tracassière
11
Dantec, Le, Y.-G., Oeuvres complètes, Ed. Révisée par Claude Pichois, Paris, Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade, 1961, p. 51
12
Cosma, Doru, op. cit., p. 128
13
Ibidem, p. 129

18
et le trompait ; lui-même, avide d’indépendance, n’était pas facile à vivre.
La fortune se termine vite et la famille est effrayée de ses dépenses. Désormais, le
gérant de ses biens sera Ancelle, notaire à Neuilly. Baudelaire est révolté de cette mesure,
mais il avait quitté sa famille pour rendre sa liberté féconde ; or, il n’a encore rien publié, il
ne gagne pas sa vie avec sa plume. II ne travaille pas, alors qu’il aime 1’ordre et la règle; il
se soumet à la tyrannie de sa sensualité. Pour gagner quelque argent, il collabore au
Corsaire-Satan. Baudelaire se lie alors plus intimement avec des jeunes gens qu’il avait
connus à 1’ancien Corsaire, mais dont il partage maintenant la bohème miteuse :
Champfleury, Murger, Barbara, Pierre Dupont, Courbet, Bonvin.
Le sentiment aigu de 1’échec est certainement à 1’origine de sa tentative de
suicide, le 30 juin 1845, d’un coup de couteau : « Je me tue parce que je ne puis plus vivre,
que la fatigue de m’endormir et la fatigue de me réveiller me sont insupportables. Je me
tue parce que je suis inutile aux autres et dangereux à moi-même. »14
Transporté chez sa mère, Baudelaire y reste cinq ou six mois, mais il renonce de
nouveau à ce confort pour vivre son existence de poète. II repart d’un bon pied, décide à
produire : et de fait, l’année 1846 sera féconde en publications.
La vie besogneuse des nouveaux amis de Baudelaire - comme Courbet ou Daumier
- l’expérience qu’ils ont et qu’il acquiert lui-même de la misère, lui donne de la réalité un
sentiment plus aigu, qui masque les préoccupations littéraires et formelles de 1’Ecole
Normande. Le groupe confirme Baudelaire dans son goût pour les arts plastiques –
Bonvin, Daumier, Courbet étaient des artistes et Champfleury amateur d’art. Avec eux, à
leur contact, il s’initia à la technique par la fréquentation des ateliers.
La tentative de suicide a eu un effet de choc: Baudelaire a pour un temps exorcisé
ses démons ; le fils écrit à sa mère : « Tout ce que je puis t’affirmer, c'est que tu en seras
contente dans quelque temps […] comme je crois que je puis maintenant vivre de ce
que je gagne» 15.
Ses publications vont se succéder à cadence rapprochée, de la fin de 1845 à 1847,
pour la plupart au Corsaire Satan et à L’Artiste. Les Contes normands et Historiettes
baguenaudières, Comment on paye ses dettes quand on a du génie, anonymes, et Le

14
Crepet, Jaques, Oeuvres complètes de Baudelaire, Conrad, 1947-1956, p. 58
15
Mourot, Jean, op. cit., p. 61

19
Musée classique du Bazar Bonne Nouvelle, Le Jeune Enchanteur, Choix de maximes
consolantes sur l’amour, Conseils aux jeunes littérateurs, Salon de 1846, L’Impénitent, A
une Indienne, La Fanfarlo, pièces signées de divers noms.16
S’ouvre ensuite une nouvelle période de dépression ; pendant un an, Baudelaire ne
publie plus, à l’exception du poème Les Chats (F.M., LXVI), qui parait dans un feuilleton
de Champfleury, au Corsaire. Baudelaire étudie longuement les chats ; il les arrête dans la
rue, entre dans les boutiques où le chat médite accroupi sur le comptoir, les caresse et les
magnétise de son regard.17
Son échec répété a comme causes les tarifs très bas et les difficultés à se faire
payer, ou les « paradis artificiels ». « Franchement, le laudanum et le vin sont de
mauvaises ressources contre le chagrin »18. II prenait du laudanum et de l’éther comme
médicaments et il avait expérimenté le hachisch par curiosité. En 1847, usant du laudanum
et de l’éther comme médicaments, il a pu trouver, comme dans le vin, un apaisement à ses
souffrances physiques et morales, mais connaître aussi la dépression qui suit l’absorption
de drogues. II est certain que l’abus, comme médicament, de l’opium et de l’éther, a dû
aggraver le déséquilibre nerveux qui était déjà, chez lui, un vice constitutionnel.
Pour se punir, il accepte un poste subalterne dans une famille de l’Île-de-France.
« Le péché capital dont il souffre de plus en plus, c’est son impuissance à se réaliser à
la hauteur de ce qu’il appelle son orgueil, c’est-à-dire à remplir sa destinée »19. L’idée
profonde de Baudelaire, c’est que le destin de 1’homme est une lutte contre le Mal, c’est-à-
dire ce qui l’empêche d’obéir à ses plus authentiques aspirations, lutte dans laquelle il ne
peut jamais se proclamer vainqueur.
Dans 1’année 1848, Baudelaire publiera peu : sa première traduction d’Edgar Poe,
Révélation magnétique, paraît dans la Liberté de penser en juillet ; à noter aussi Le Vin de
l’Assassin (F.M., CVI). Il ne produira ni ne publiera rien en 1849 ; c’est qu’il sera accaparé
par les événements. Le peu qu’il écrira sera pour collaborer à deux feuilles politiques
éphémères : Le Salut Public et La Tribune Nationale. Néanmoins, le poète semble avoir
vécu les événements avec sincérité, conviction et espérance. On le verra à la barricade le
16
Ibidem, p. 63
17
Adam, A., Les Fleurs du Mal, Classiques Garnier, 1961, p. 65
18
Crepet, Jaques, op. cit., p. 71
19
Ruff, Marcel, op.cit., p. 74

20
24 février ; aux journées de juin, il sera du parti des ouvriers insurgés ; et, plus tard, au
Coup d’Etat, il reprendra les armes. Comme raisons de cette attitude, on souligne sa
récente expérience de la misère, sa connaissance des humbles et de la souffrance des
hommes, ce mouvement qui le porte vers les opprimés, sa sympathie entretenue par ses
amis, Daumier, Coubert, Pierre Dupont, qui sont républicains et socialistes. Il y a aussi le
caractère idéaliste et presque religieux de l’état d’esprit de 1848, puis le goût romantique
de la Révolution et de la Révolte, une protestation contre « un monde où l’action n’est pas
la sœur du rêve » - comme il écrit dans Le Reniement de Saint-Pierre - et en outre un
cortège de sentiments moins avouables, que Baudelaire analyse dans Mon Cœur mis à nu :
« Mon ivresse en 1848. Goût de la vengeance. Plaisir naturel de la démolition. Ivresse
littéraire ; souvenir de lectures [...] Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la
bourgeoisie. Amour naturel du crime ».20 Baudelaire oppose le naturel et l’artificiel, qui
suscite l’idéal.
Les événements de 1848 l’ont convaincu que l’art ne pouvait pas rester indifférent
à la peine des hommes. Déjà, il l’avait chantée lui-même dans un poème antérieur, peut-
être avant 1843 : Le Crépuscule du matin (F.M., CIII), et il la chantera encore, plus
audacieusement, dans le poème Le Cygne (F.M., LXXXIX), dédiée à toutes les victimes de
la vie et de la société : « Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encore ! » 21, allusion,
bien sûr, aux victimes des révolutions. Il n’y a pas d’art sans idées, sans une «
communication permanente » de pensées et de sentiments entre le poète et les hommes de
son temps. Il dénonce donc l’Ecole de l’Art pour l’Art et l’Ecole Païenne, qui, dans
l’évasion vers les temps antiques, refusent l’engagement.
La Beauté inclut pour Baudelaire vérité et moralité, car le Beau est inséparable
d’une vie vécue : « Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres,
que dans ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion
(travestie), toute ma haine. II est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands
dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie ; et je mentirai comme un
arracheur de dents.»22 « La première condition nécessaire pour faire un art sain est la

20
Dantec, Le Y-G, op. cit., page 73
21
Mourot, Jean, op. cit., page 75
22
Crepet, Jaques, op. cit., page 78

21
croyance à l’unité intégrale »23, le Beau ne peut être immoral ni pernicieux, précisément à
cause de l’unité intégrale. Selon cette foi en l’Unité, Beauté rejoint Vertu ; et les choses
morales rejoignent les choses physiques. Baudelaire doit encore à l’esprit quarante-huitard
d’avoir aperçu une esthétique de la joie ; après 1848, il est sensible à l’optimisme, à
l’allégresse.
Mais l’optimisme de 1848, s’il rend Baudelaire à une esthétique de la joie, ne va
pas jusqu’à lui faire renier ses tendances et sa nature. Ce qu’il chante, c’est l’irréparable,
son lot à lui, c’est l’insatisfaction, le regret, les remords, la conscience de l’existence
comme Mal. Exister est un mal ; il s’agit du mal métaphysique, non du mal moral :
l’existence est le mal et la conscience le sait. Cette conscience est aussi « un phare ironique
»24, au sens où l’ironie romantique est dédoublement : comme dans
L'Heautontimoroumenos, l’être se regarde et constate son malheur ; mais cette activité est
soulagement, car par l’ironie, il est supérieur à son mal.
La biographie de Baudelaire est mal connue entre 1848 et 1850. II ne renonce pas
tout de suite au journalisme politique ; en septembre, à Châteauroux, il dirige la rédaction
du Représentant de l’Indre, mais se brouille rapidement avec les actionnaires
conservateurs du journal.
En revanche, il faut signaler l’importance toute particulière de l’année 1851 ; le
futur recueil se précise : Baudelaire annonce la publication de dix poèmes nouveaux, sous
le titre collectif Les Limbes, qui remplace Les Lesbiennes, annoncé en 1845 et 1848.
En 1852, on parle du début de sa liaison passionnée avec Apollonie Sabatier. Il lui
adresse de nombreux poèmes, dont Harmonie du Soir et L'Aube spirituelle.
En 1854, il publie Les Contes extraordinaires d'Edgar Poe et en 1855, son
compte-rendu de l’Exposition Universelle et de dix-huit poèmes des futures Fleurs du mal.
L’année 1857 est marquée par la mort de son beau-père, le Général Aupick. Mais
en juin, la publication des Fleurs du mal chez Poulet-Malassis lui fait plus fameux. En
août, un procès en moralité est instruit contre lui. Le procureur Pinard demande la
condamnation du recueil de poèmes. Malgré l’appui de Sainte-Beuve et de Barbey
d’Aurevilly, Charles Baudelaire et son éditeur sont condamnés. Six poèmes devront

23
Mourot, Jean, op. cit., page 74
24
Ibidem, page 77

22
également être retirés.
Trios années plus tard, il publie les Paradis artificiels, puis, en 1861, la seconde
édition des Fleurs du mal.
En 1864, Baudelaire fuit en Belgique et s’installe à Bruxelles où il donne une
tournée de conférences. Très vite ce pays, qui d’abord lui a plu, lui devient insupportable.
Il est atteint par la syphilis, et a de plus en plus recours à la drogue.
En 1866, le poète fait une chute dans l’église Saint Loup de Namur et perd connaissance. Il
est hospitalisé à Bruxelles, victime à la fois d’hémiplégie et d’aphasie.
Le 31 août 1867, il revient à Paris et meurt, à quarante-six ans dans la clinique du
docteur Duval. Il est inhumé le 2 septembre au cimetière Montparnasse.
Une année plus tard, on publie à titre posthume, du Spleen de Paris, ainsi que des
Curiosités esthétiques.

CHAPITRE III : L’ŒUVRE DE BAUDELAIRE

- NAISSANCE, ESSOR, PIÈGES -

1. L’inclination vers les titres « pétards » ou « mystérieux »

Si une évolution peut être discernée dans les idées esthétiques de Baudelaire, il n’y
a pas, en revanche, d’évolution apparente dans sa poétique, dans son art du poème
individuel.
Baudelaire a très tôt conscience de 1’art qu’il pratique ; la couleur, qu’il définit
dans Le Salon de 1846, c’est exactement la suggestion, telle qu’il la manifeste dans sa
poésie ; et dès 1846 encore, il formule le principe de la « sorcellerie évocatoire » 25 : elle
implique une opération surnaturelle sur les choses ; la poésie est une injonction à
l’existence, elle suggère. Mais cette définition de la poésie n’est pas sans danger, car les

25
Crepet, Jaques, op.cit., page 87

23
connotations des mots, ainsi combinés, évoluent.
Dès 1846, Baudelaire sait déjà qu’il ne faut pas confondre « les fantômes de la
raison avec les fantômes de 1’imagination ; ceux-là sont des équations, et ceux-ci des êtres
et des souvenirs »26. « La poésie est essentiellement philosophique ; mais comme elle est
avant tout fatale, elle doit être involontairement philosophique […] la grande poésie est
essentiellement bête, elle croit, et c’est ce qui fait sa gloire et sa force ».27
Ainsi, la poésie fait penser, ce qui ne signifie nullement que le poète le fasse
consciemment : « la poésie d’un tableau doit être faite par le spectateur, comme la
philosophie d’un poème par le lecteur ».28
L’affirmation de tous les amis de Baudelaire qui sont unanimes à déclarer qu’un
grand nombre de Fleurs du Mal étaient composées en 1845 n’est donc pas pour étonner.
Aussi bien, dès 1845, le poète pouvait annoncer un recueil, sous le titre Les Lesbiennes.
II y a, chez Baudelaire, une esthétique consciente de la surprise ; il avait
certainement lu très jeune ce que disaient Helvétius et Montesquieu de 1’effet de surprise :
« après le plaisir d’être étonné, il n’en est pas de plus grand que celui de causer une
surprise »29. Le choix des Lesbiennes ressortit à la même attitude : ce titre veut provoquer
le scandale. « J’aime les titres mystérieux ou les titres pétards » écrivait Baudelaire ; Les
Lesbiennes, c’était un « titre pétard ». Mais seulement trois ou quatre pièces sont vraiment
« pétardes »: Femmes damnées (F.M., CXI), Delphine et Hippolyte, Lesbos, Sed non
satiata (F.M., XXVI). Une autre raison plus profonde, sans parler de 1’attrait morbide
pour la corruption, c’est la haine de Baudelaire pour le naturel, son goût pour la contre-
nature, pour 1’artificiel, sa hantise de ce qui dépasse les limites de 1’humaine nature ; les
lesbiennes sont célébrées comme des chercheuses d’infini, des esprits contempteurs de la
réalité. Baudelaire voit dans le saphisme une manifestation de 1’Enfer humain, qui est
1’infini du désir avec toutes ses curiosités, mais aussi avec le repentir et les remords. Le
titre Femmes damnées a bien une signification morale.
Un titre nouveau apparaît à la fin de 1848. Après le « titre pétard », Baudelaire
passe au « titre mystérieux ». Le 9 avril 1851, paraissent, dans Le Messager de I’
26
Ibidem, page 88
27
Dantec, Le Y-G, op.cit., page 88
28
Ibidem, page 88
29
Mourot, Jean. op. cit., page 90

24
Assemblée, onze poèmes, sous le titre collectif : Les Limbes. Parmi elles, Spleen, L’idéal,
Le Mort joyeux, Les Chats, Les Hiboux. En 1852, Baudelaire annonce, pour paraître
prochainement, Les Limbes, Poésies, Michel – Lévy. A cette date, devaient figurer dans le
recueil, outre les onze poèmes, une série d’autres quinze.
Ce titre, tout d’abord, se ressent de 1’esprit de 1848. C’est un mot du vocabulaire
fouriériste. Jean Wallon, ami de Baudelaire, qui annonçait le recueil dans La Presse en
1849, disait : « Ce sont sans doute des vers socialistes ».30 Dans le discours des
fouriéristes, le mot limbes désignait les troubles, 1’état incertain d’une société grosse d’une
révolution. Certaines pièces disent une révolte de portée sociale.
Il y a aussi le sens théologique – les limbes, on le sait, sont ces lieux d’outre-tombe
réservés aux païens justes et aux enfants morts sans baptême. Le titre comporte une idée
d’exil, d’aspiration à une lumière qui sera éternellement refusé. C’est un thème
métaphysique et religieux présent dans certaines pièces – Bohémiens.
Une note accompagnant les onze poèmes publiés dans Le Messager de I’
Assemblée, affirme que ce livre « est destiné à retracer 1’histoire des agitations spirituelles
de la jeunesse moderne »31. Ainsi le sens psychologique rejoint le sens fouriériste, et les
limbes désignent un mal du demi-siècle.
Au total et en gros, avec le titre des Limbes, se manifeste une inspiration à la fois
sociale et spiritualiste, s’élabore un humanitarisme social assorti d’un pessimisme
métaphysique ; ces éléments semblent, à peu près, justifier le titre.

2. Des « fleurs » répandues dans le temps

Entre 1852 et 1855, Baudelaire publie très peu de poèmes : Les Deux Crépuscules
de la grande Ville (F.M., XCV et CIII), Le Reniement de saint Pierre (F.M.,
CXVIII), L’Homme et la mer (XIV), Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire (F.M.,
30
Ibidem, page 97
31
Ibidem, page 94

25
XLII). On connaît d’autre part, comme composés en cette période, quelques poèmes
adressés à Mme Sabatier, dans des lettres : Le Flambeau vivant (F.M.,
XLIII) ; Réversibilité (F.M., XLIV) ; Confession (F.M., XLV), L’Aube spirituelle (F.M.,
XLVI). Les années 1854-1855 sont marquées surtout par l’abondance des traductions
d’Edgar Poe. Entre 1853-1854, Baudelaire a voulu se tourner vers le théâtre, avec deux
projets : La Fin de Don Juan, qui se relie à Don Juan aux enfers, et L’ivrogne, qui se relie
au Vin de l’assassin, les deux pièces des Fleurs du Mal pouvant être considérés comme
la quintessence des deux drames projetés. C’est dans cette période 1852-1855 que
Baudelaire met définitivement au point son esthétique, dans deux textes importants :
L’Exposition universelle et De l’Essence du rire de 1855. Dans la seconde, Baudelaire lie
pour la première fois la notion de péché à une forme d’art.
En 1855, Baudelaire est totalement détaché du réalisme, qui fut sa tentation autour
de 1848, ou plutôt le réalisme change de sens et signifie pour lui surnaturalisme. « La
Poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre
monde ».32 Dans ces pages, il refuse de s’enfermer dans un système esthétique ; il s’agit
essentiellement de sentir en faisant courir ses doigts « sur l’immense clavier des
correspondances » et de rester fidèle à « l’impeccable naïveté ». Le poète doit toujours
être prêt à s’étonner devant ce qu’offrent les créations toujours variées et imprévisibles de
la vie et de l’art. Cette esthétique de la surprise appelle une définition du Beau qui est le
bizarre, un écart, la marque d’une individualité. Elle implique aussi la condamnation de
l’idée du progrès. On retiendra donc l’expression de la Beauté comme purement
individuelle, bizarre ; et la condamnation de l’idée du progrès.
Entre 1852-1855 s’accumulent les difficultés matérielles ; le manque d’argent ; les
changements de domicile « vivant dans le plâtre, dormant dans les puces »33. Il a quitté
Jeanne en 1852, mais il l’entretient et est torturé par les remords de ne pouvoir assez la
secourir. II connaît une détresse matérielle, mais surtout morale ; il éprouve toujours le
sentiment de ne pas être à la hauteur de lui-même, de l’impuissance physique et morale; il
est convaincu que sa carrière est un échec lamentable. Dans cette période, l’amour pour
Mme Sabatier a été une lueur, un moyen inventé par Baudelaire pour échapper à sa

32
Dantec, Le Y-G, op. cit., page 104
33
Mourot, Jean, op. cit., p. 105

26
damnation quotidienne.

a. Le cycle de Mme Sabatier

C’est le 9 décembre 1852 que Baudelaire adresse à Mme Sabatier le premier de ces
billets anonymes où il allait, pendant plusieurs années, lui vouer une adoration mystique.
Mme Sabatier, née en 1822, s’appelait Aglae-Josephine Savatier mais, en faisant une
carrière de théâtre, change son nom et son prénom. Les connus ont dû célébrer la beauté
de ses formes, sa santé riche, sa bonté, sa joie et son air triomphant qui mettait autour
d’elle comme de la lumière et du bonheur, thèmes qui assureront la cohérence du cycle
dans Les Fleurs du Mal. Nous connaissons cinq billets anonymes envoyés par Baudelaire;
le sixième, signé, date du 18 août 1857, deux jours avant le procès des Feurs du Mal, lui
demandant d’intervenir auprès d’amis influents. Baudelaire lui disait, se referant à son
recueil « tous les vers compris entre la page 84 et la page 105 vous appartiennent », c'est-à-
dire neuf poèmes. Le ton de ces billets, surtout dans la période 1853-1854, manifeste un
amour naïf, respectueux, idéaliste : Mme Sabatier est la Dame des pensées de Baudelaire,
sa conscience : « Vous faites le bien même sans le savoir, même en dormant, simplement
en vivant ».34 Les indications fournies par ces billets aident à comprendre les poèmes du
cycle, la véritable mythologie construite par Baudelaire.
Dans ces poèmes, on parle d’abord du thème de la santé, de la beauté, de
l’allégresse physique, parfois jugée insolente, qui enivre le poète, mais qu’il voudrait
parfois punir. Le mythe de Mme Sabatier dans le cycle signifie aussi la lumière spirituelle
qui console et qui sauve le poète, mais qui triomphe également dans le souvenir. Une lettre
du 31 août 1857 révèle que Mme Sabatier est devenue la maîtresse de Baudelaire, mais
qu’il a été incapable de surmonter la déception de la réalisation charnelle ; c’est toujours le
même péché, la même impuissance dès que l’amour devient charnel. La mythologie
spirituelle qu’élabore Baudelaire est en fait un lamentable fiasco. Mme Sabatier a souffert
de cette dérobade, mais est restée son amie : elle sera une des premières à son chevet, à son
retour de Bruxelles, malade.

34
Crepet, Jaques, op. cit., p. 107

27
b. Les dix-huit poèmes de La Revue des Deux Mondes

Le 1er juin 1855, paraissent dans La Revue des Deux Mondes, sous le titre Les
Fleurs du Mal, précédés d’une épigraphe empruntée à d’Aubigné, dix-huit poèmes. Le titre
avait été mentionné par Baudelaire - qui employait souvent fleurs pour poèmes - dans une
lettre du 7 avril 1855 à Victor de Mars, secrétaire de la Revue, mais, aux dires
d’Asselineau, « celui qui donna le titre définitif, Fleurs du Mal, c’est Hippolyte Babou, je
m’en souviens très bien, un soir au café Lemblin, après une longue enquête sur ce sujet » 35.
En tout cas, Baudelaire en a adopté, à cause du caractère pétard. Ce titre a surtout, en effet,
un sens esthétique, superficiel. Si on lui accorde un sens moral - évasion dans le Mal, où
l’homme force ses limites - il ne recouvre que partiellement le sens du drame décrit par le
recueil dans son ensemble et ne convient vraiment qu’à la section qui porte justement ce
titre et qui dit les raffinements du Mal — sadisme, perversions, débauche — par lesquels
l’homme cherche à échapper à l’ennui, mais non sans un sentiment de culpabilité.
Les dix-huit poèmes sont numérotés. Baudelaire désirait en effet, comme il le dit
dans sa lettre à Victor de Mars, « qu’ils se fassent pour ainsi dire suite ». Leur ordre est
donc signifiant :
N° 1. Au Lecteur; la pièce conservera cette place, avant le premier des titres
secondaires. Elle montre l’humanité entière livrée au Mal et au Démon.
N° 2. Réversibilité ; ce titre est emprunté à Joseph de Maistre : la seule possibilité de salut
ne peut venir que de l’intercession d’âmes saintes comme Mme Sabatier.
N° 3. Le Tonneau de la haine ; dit l’inassouvissement de la haine.
N° 4. Confession ; ce poème avoue la fragilité de l’entente des cœurs.
N° 5. L’Aube spirituelle ; en contraste avec le précédent, ce poème est consacré à la
spiritualité de l’amour ; il montre le réveil de l’ange dans la brute assoupie.
N° 6. La Volupté deviendra La Destruction dans Les Fleurs du Mal
N° 7. Un Voyage à Cythère ; comme la précédente, cette pièce est consacrée à l’Amour
corrupteur.
N° 8. A la Belle aux cheveux d’or deviendra L’Irréparable dans le volume, pièce
consacrée aux ténèbres et à la permanence du remords.

35
Ibidem, page 109

28
N° 9. L’invitation au voyage.
N° 10. Moesta et errabunda.
N° 11. La Cloche deviendra La Cloche fêlée dans le recueil
N° 12. L’Ennemi
N° 13. La Vie antérieure.
Cette série des pièces 9 à 13 manifeste une alternance des plaintes, des retours
douloureux sur soi-même, avec des appels nostalgiques vers des pays imaginaires, paradis
des amours enfantines ou mystère d’une vie antérieure.
N° 14. Le Spleen deviendra De Profundis clamavi dans Les Fleurs du Mal.
N° 15. Remords posthume.
N° 16. Le Guignon.
N° 17. La Béatrice, ensuite Le Vampire
N° 18. L’Amour et le crâne.
Cette série des pièces 14 à 18 dit le désespoir, se termine par une malédiction de
l’amour. L’Amour et le crâne sera la conclusion de la section Fleurs du Mal dans les deux
éditions de 1857 et 1861 ; il est déjà celle des dix-huit poèmes ; conclusion désespérée :
« Laissez-moi me reposer dans l’amour/ Mais non, l’amour ne me reposera pas./ La
candeur et la bonté sont dégoûtantes./ Si vous voulez me plaire et rajeunir les désirs,/ soyez
cruelle, menteuse, libertine, crapuleuse et voleuse ;/ et si vous ne voulez pas être cela,/ je
vous assommerai, sans colère./ Car je suis le vrai représentant de l’ironie,/ et ma maladie
est d’un genre absolument incurable. »36
Il faut surtout noter le caractère noir de cette publication, dont le pessimisme
est à peine atténué par l’intervention de quelques touches lumineuses : L'Aube spirituelle,
L’Invitation au voyage, La Vie antérieure. Cette publication noire coïncide avec le
moment où l’admiration de Baudelaire pour Joseph de Maistre est à son comble « le grand
génie de notre temps, un voyant » et où il loue Edgar Poe d’avoir « vu clairement, et
imperturbablement affirmé la méchanceté naturelle de l’homme ». 37

c. La période 1855-1857

36
Adam, A., op. cit., page 112
37
Mourot, Jean, op. cit, page 111

29
Après cette publication, Baudelaire continue de mener une vie besogneuse et
moralement tourmentée. Il pourrait gagner largement sa vie avec sa plume, s’il était plus
régulièrement laborieux et moins exigeant avec lui-même. II a renoué avec Jeanne Duval à
la fin de 1855, et de nouveau rompu en septembre 1856. Ce dont témoigne sa
correspondance, dans cette période, c'est son aspiration, sans y parvenir, à une vie régulière
: « Je ne veux pas voir venir la vieillesse sans une vie régulière, je ne m’y résignerai
jamais »38. En 1856, le 12 mars, Baudelaire publie les Histoires extraordinaires de Poe,
l’année suivante, en mars, les Nouvelles Histoires extraordinaires, puis, en avril 1857,
paraissent, dans La Revue Française, neuf poèmes et plus tard, en mai, autre trois. Le 25
juin de cette année 1857, a lieu la mise en vente des Fleurs du Mal.

3. L’édition de 1857

a. L’ « architecture secrète » du recueil

La publication du recueil fut longtemps en projet pour Michel Lévy, puis,


brusquement, Baudelaire accepte les propositions de Poulet-Malassis. Le poète était très
préoccupé par l’ordre à y introduire, fondé surtout sur la qualité des pièces, mais il
insistera sur l’ordre même de la matière, d’où ressort « une terrible moralité ». « Les
artistes qui voient les lignes sous le luxe et l’efflorescence de la couleur percevront très
bien qu’il y a ici une architecture secrète, un plan calculé par le poète méditatif et
volontaire. Les Fleurs du Mal ne sont pas à la suite les unes des autres comme tant de
morceaux lyriques, dispersés par l’inspiration et ramassés dans un recueil sans d’autre
raison que de les réunir. Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus
forte unité. Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc
beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait ce qu’il fait, les a rangées.
Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral ».39
L’architecture secrète des Fleurs du Mal est censée mettre en place l’unité
38
Ibidem, page 113
39
Ibidem, page 115

30
thématique et narrative d’une descente aux enfers, provoqué par la faillite de l’amour et de
l’idéal et par divers vices autodestructeurs. Baudelaire ne croit pas ni dans le progrès ni
dans la continuité historique. Les Fleurs du Mal sont tout sauf l’épopée de l’interpretabilité
de la vie.
Pourtant, malgré les suggestions de l’auteur, lire l’ouvrage comme un drame avec
dénouement serait leur imposer une téléologie morale contraire à ce qu’elles ont de plus
original : leur manière de rompre avec les grands schémas narratifs. Sur ce point,
l’ambivalence de Baudelaire lui-même est remarquable ; il oscille entre la recherche d’une
plénitude du sens et le doute sur sa possibilité. Cet ordre est à posteriori, comme chez
Balzac : les poèmes des Fleurs du Mal n’ont pas été composés en vue d’un ordre, mais on
remarque les tempéraments vigoureux qui impriment aux ouvrages de l’esprit, composés
au hasard des circonstances, une unité fatale et involontaire. Ce qu’il faut découvrir, c’est
une unité générale, plutôt qu’un ordre logique, continu, et ne pas vouloir le serrer de trop
près. Baudelaire insistera, en tout cas, sur cet ordre : « Le seul éloge que je sollicite pour ce
livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il a un commencement et une
fin ». 40
Chef d’œuvre de Baudelaire, ses Fleurs du Mal de 1857 sont à l’image des tensions
et de la dynamique qui animent l’esprit de la modernité.

b. Première section : Spleen et Idéal

Dans cette section, le poète décrit avec autant de patience que de cruauté « la
double nature de son être, déchiré entre sa soif d’une idéalité perdue et les tourments du
quotidien, qu’il nomme ennui et guignon, et surtout spleen, le mot anglais qui traduit la
diversité de ses souffrances morales et physiques »41.
Bénédiction parle sur le destin du poète, maudit et haï de son entourage, mais les
yeux fixés sur une lumière à laquelle il est promis, grâce à la souffrance rédemptrice. C’est
en effet sur le destin du poète qu’est centrée l’édition de 1857 ; aussi bien le recueil se clôt
sur La Mort des artistes.

40
Hollier, Denis, De la littérature française, Ed. Bordas, Paris, 1993, page 38
41
Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 68

31
Les pièces suivantes chantent le destin terrestre du poète ; ce destin garde une
signification mystique, car la mission et le privilège du poète et de l’artiste est de
transfigurer les choses. J’aime le souvenir de ces époques nues c’est l’évocation d’un
univers plus beau susceptible d’abolir les laideurs quotidiennes. Les Phares définit la
fonction de l’artiste. Le vocabulaire des trois dernières strophes — écho, cri, ordre, phare,
appel — dévoile dans l’art un témoignage de la dignité humaine ; la pièce proclame la
signification morale de l’art transfigurateur.
II existe un lien visible entre les cinq poèmes qui suivent Les Phares: La Muse
malade, La Muse vénale, Le Mauvais Maine, L’Ennemi, Le Guignon ; ils forment une série
sombre, consacrée aux insuffisances et aux échecs de l’artiste.
Les six poèmes suivants représentent le chant de l’évasion vers des vies
imaginaires – La Vie antérieure, Bohémiens en voyage - ou de l’évasion par l’orgueil et le
désir d'infini – Don Juan aux enfers, Châtiment de 1’orgueil - enfin de l’évasion vers des
types différents de Beauté – La Beauté, L’idéal, La Géante.
Une autre évasion est celle de l’amour charnel – dans le cycle dit de Jeanne Duval.
Il commence avec Les Bijoux et se termine avec Je te donne ces vers.... . II comprend seize
poèmes : ceux de 1861, plus deux pièces supprimées : Les Bijoux, Le Léthé, moins La
Chevelure, Duellum, Le Possédé, Un Fantôme. L’amour charnel est un Idéal qui arrache
le poète au Spleen et l’aide à franchir ses limites ; c'est un mal qui témoigne malgré tout
d’une grandeur : « O fangeuse grandeur ! Sublime ignominie ! ».
Les neuf poèmes suivants concernent expressément Mme Sabatier, au témoignage
de Baudelaire lui-même. Ce cycle va de Tout entière au Flacon, avec le poème A celle qui
est trop gaie, supprimé depuis; s’y ajoutera, en 1861, Semper eadem. Cette série oppose
l’amour angélique à l’amour charnel.
Vient ensuite le cycle de Marie Daubrun, qui comprend sept poèmes, du Poison
à Causerie; il participe de façon ambiguë de l’amour charnel et de l’amour angélique.
Ces trois cycles n’en forment en réalité, du point de vue de l’esprit du recueil,
qu’un seul : celui de l’Amour, considéré dans ses rapports avec le Bien et le Mal.
Mais l’amour a, chez Baudelaire, un caractère satanique, il est destruction et
autodestruction « quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de désirs
réciproques, l’un des deux sera toujours plus calme ou moins possédé que l’autre. Celui-là,

32
ou celle-là, c’est l’opérateur, ou le bourreau ; l’autre, c’est le sujet, la victime. […] Moi, je
dis : la volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal » 42.
Les trois pièces suivantes, Franciscae meae laudes, A une Dame Créole, Moesta et
errabunda, concernent des femmes diverses. Elles semblent s’opposer à la conclusion
désespérée de L’Heautontimoroumenos ; la première chante l’amour purificateur, la
seconde et la troisième la nostalgie des figures de femmes aperçues dans l’enfance et la
jeunesse.
Les Chats et Les Hiboux, qui viennent ensuite, semblent avoir été réunis à cause
de leur titre animalier. Le second, qui reprend le thème pascalien du repos, servait de
conclusion aux onze poèmes des Limbes publiées en 1851; en indiquant, peut-être, le
remède aux agitations suscitées par la passion.
Les sept poèmes suivants – La Cloche fêlée, les quatre Spleen, Brumes et
pluies, L’Irrémédiable - développent les thèmes de l’échec, de la culpabilité, du remords,
de l’ennui, et se terminent par l’affirmation que l’existence, c’est le Mal, et la conscience
dans le Mal ; c’est-à-dire que la condition humaine est une damnation, et la conscience
lucide qui constate cette damnation est une damnation. Ces sept poèmes sont comme la
conclusion de la partie la plus grave et la plus sombre de Spleen et Idéal.
Les pièces qui suivent n’ont pas l’unité des précédentes ; et on échouerait à y
découvrir quelque ordre. Quatre pièces sont, par anticipation, des Tableaux parisiens, et
seront, en effet, rangées sous ce titre dans la seconde édition ; ainsi que les deux suivantes,
bien qu’elles ne correspondent, par leur contenu et leur esprit, à aucun des deux litres, ni à
celui du recueil total.
Les quatre poèmes suivants – Le Tonneau de la haine, Le Revenant, Le Mort
joyeux, La Sépulture - ont le ton paroxystique et macabre de la poésie Jeune France, et
semblent avoir été placés là pour créer un contraste avec les rêveries apaisantes, diversions
et consolations du poète, que chantent les trois derniers poèmes de Spleen et Idéal:
Tristesses de la lune, La Musique et La Pipe.
L’ensemble de ces poèmes justifie le titre Spleen et Idéal. II existe bien un
équilibre, un contraste. Mais le Mal l’emporte toutefois, inspirant le plus grand nombre de
poèmes ; il est à l’origine du Spleen, se retrouve dans l’évasion même de l’Idéal, si bien

42
Dntec, Le Y-G, op. cit., p. 119

33
que son règne est total. Et c’est la conscience que le poète a du destin qui est la source de
son chant, défini dans l’épître à Sainte-Beuve : « L’art cruel qu’un Démon, en naissant,
m’a donné, / De la douleur pour faire une volupté vraie, / D’ensanglanter son mal et de
gratter sa plaie. »43
Ces vers fournissent peut-être le moyen de justifier le sens du titre Fleurs du Mal.
On observera que les trois poèmes terminaux donnent une note qui n’est pas désespérée :
malgré ses douleurs, et dans ses douleurs mêmes, l’art et la rêverie poétique procurent à
Baudelaire – car il s’agit surtout dans cette édition de 1857 du destin du poète –
consolation et apaisement, et justifient les promesses de Bénédiction : « Soyez béni mon
Dieu, qui donnez la souffrance. »

b. Deuxième section : Fleurs du Mal

Cette section s’ouvre par la pièce La Destruction, qui y joue le même rôle que
Bénédiction dans la première. Baudelaire y éclaire et justifie son propos ; dans ce poème
qui avait d’abord pour titre La Volupté, il dit sa complicité, par le « désir éternel et
coupable » avec ceux et celles qui se sont voués au Mal par la Volupté ; par la Volupté qui
est une tentative d’évasion désespérée et inefficace.
La section comprenait douze poèmes, dont trois ont été supprimés depuis –
Femmes damnées, Lesbos, Les Métamorphoses du vampire. Comme les pièces consacrées
au sadisme – Une Martyre - aux perversions sexuelles, Les Deux Bonnes Sœurs et La
Fontaine de sang confirment le caractère d’évasion désespérée. Allégorie, pièce de 1842,
qui célébrait la beauté du corps, prend dans ce contexte un sens autre que païen ; elle dit
l’abandon – envers et contre tout – à la volupté. Le Voyage à Cythère suggère, par le
patibulaire symbolique, que l’île expie par sa déchéance le culte de Venus. L’Amour et le
crâne, qui terminait la publication de la Revue des Deux Mondes, dégage la moralité de
l’ensemble : l’Amour est une illusion ; mais une illusion qui laisse l’être qui cède à la
volupté déchiré et pantelant.

c. Troisième section : Révolte

43
Mourot, Jean, op. cit., p. 120

34
C’est le chapitre le plus bref du recueil ; avec La Mort, il ne contient que trois
pièces : Le Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan.
Révolte représente dans le recueil la postulation satanique, autre forme
métaphysique de l’évasion. Une pièce comme Don Juan aux enfers aurait pu y figurer.

d. Quatrième section : Le Vin.

Cette section contient cinq poèmes : L’Âme du vin, Le Vin des chiffonniers, Le Vin
de l’assassin, Le Vin du solitaire, Le Vin des amants. A cette place la section signifie une
consolation et un remède : l’oubli du mal qu’on a commis ou dont on souffre.

e. Dernière section : La Mort

Trois pièces constituent cette section : La Mort des amants, La Mort des
pauvres, La Mort des artistes. Chacune se termine par une ouverture sur une résurrection
et une vie nouvelle. La Mort des artistes clôt le recueil sur le destin du poète et rejoint
ainsi le thème de Bénédiction.
L’ordonnance du recueil de 1857 est fondée sur les rapports de l’homme avec le
Mal. L’action du Mal n’y est pas montrée selon une progression continue. Spleen et Idéal
se termine sur des rêveries de diversion ; Fleurs du Mal et Révolte disent l’évasion par
l’obéissance à la postulation satanique ; Le Vin et La Mort l’évasion vers le paradis des
rêves et les cieux inconnus.
La conclusion du recueil de 1857 est donc relativement optimiste. Tout autre sera
la signification de l’édition de 1861.

4. Période 1861 – Le procès des Fleurs du Mal

Tirée à 1300 exemplaires, cette première édition obtient un succès mêlé de


scandale. Gustave Bourdin, dans un article de Figaro, écrit « L’odieux y coudoie
l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect. [...] Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les

35
démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais
elles sont incurables ».44
Le journaliste désigne en particulier quatre pièces : Le Reniement de saint Pierre,
Lesbos et les deux poèmes Femmes damnées. Selon Baudelaire, c’est cet article qui attira
sur le recueil les foudres de la justice.
Le 7 juillet, un rapport rédigé par le Ministère de l’Intérieur dénonce à la fois les
blasphèmes qui portent atteinte aux croyances religieuses incriminant les pièces: Le
Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan, Le Vin de I’ assassin, et
l’érotisme de certains tableaux.
L’auteur et ses éditeurs sont traduits en police correctionnelle, et le
procureur général demande la saisie de l’ouvrage. Tandis que Baudelaire cherche des
protections, et que ses amis - Edouard Thierry, Frederic Dulamon, Barbey et Charles
Asselineau - écrivent en faveur du recueil, le juge d’instruction signale les poèmes retenus
pour atteinte à la morale religieuse et atteinte à la morale publique ; ce sont les treize
pièces suivantes : Le Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan, Le
Vin de l’Assassin, Les Bijoux, Sed non satiata, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Le Beau
Navire, A une Mendiante rousse, Lesbos, Femmes damnées, Les Métamorphoses du
vampire.
Le 20 août, il se présente à l’audience de la sixième Chambre correctionnelle, «
devant laquelle étaient traduits escrocs, souteneurs et prostituées. »45 Le jugement est rendu
le jour même ; outre les amendes, le tribunal ordonne la suppression de 6 pièces : Les
Bijoux, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées, Les
Métamorphoses du vampire.
Baudelaire n’a cessé de protester contre cet arrêt, qui l’a meurtri, humilié. II écrit
dans Mon Cœur mis à nu : « Histoire des Fleurs du Mal, humiliation par le malentendu, et
mon procès ». Ce qu’il ne peut admettre, c’est la condamnation d’un artiste par des juges,
et surtout leur incompréhension de la véritable signification du recueil, ce « livre atroce »,
dont il a mis tout son cœur. Ce que l’irrite par-dessus tout, c’est de s’entendre reprocher
son réalisme, ce qui est alors synonyme de scandale. Champfleury le lui avait prédit avant

44
Crepet, Jaques, op. cit., p. 124
45
Adam, A., op. cit., p. 124

36
l’audience « Vous serez certainement accusé de réalisme. » 46
C’est pourquoi Baudelaire veut réagir, donner une nouvelle édition, pour laquelle il
écrit plusieurs projets de préface. Dans le plus ancien, attesté dès 1858, il se justifie en
dénonçant violemment l’hypocrisie et la bêtise de ses contemporains : « La France traverse
une phase de vulgarité. Paris, centre et rayonnement de bêtise universelle. [...]Le grand
homme est bête. Mon livre a pu faire du bien. Je ne m’en afflige pas. Il a pu faire du mal.
Je ne m’en réjouis pas. [...]On m’a attribué tous les crimes que je racontais »47
Si son sentiment de l’échec a pu être renforcé encore par sa situation
financière catastrophique, et par sa rupture avec Mme Sabatier, qu’il est incapable d’aimer
charnellement, il n’en reste pas moins vrai qu’il est loin d’être abattu, et que l’accueil
réservé aux Fleurs du Mal l’a stimulé. II a le sentiment d’être devenu un homme public, et
la période qui sépare la première de la deuxième édition est féconde en publications.
Quelques jours après le procès, le 24 août 1857, la revue Le Présent publie, sous le
titre Poèmes nocturnes, six poèmes en prose : Le Crépuscule du soir, La Solitude, Les
Projets, L’Horloge, La Chevelure et L’Invitation au voyage. On voit mal le lien de ces
pièces avec le titre choisi, que Baudelaire conservera jusqu’au moment où il s’arrêtera au
titre neutre de Poèmes en prose, en novembre 1861, dans Revue fantaisiste. Même si les
thèmes sont différents, quatre de ces poèmes ont des titres identiques à des pièces
des Fleurs du Mal.
Dans le dernier trimestre de l’année 1857, il donne plusieurs morceaux de critique:
Quelques caricaturistes français ; Quelques caricaturistes étrangers; une étude sur
Madame Bovary. Le 15 novembre, dans la revue Le Présent, paraissent deux pièces qui
trouveront place dans la seconde édition des Fleurs du Mal: Paysage parisien, Une
Gravure de Mortimer, à coté d’autres poèmes, comme Hymne et La Rançon.
L’année 1858 est un peu moins riche ; Baudelaire donne un nouveau volume de la
traduction d'Edgar Poe et poursuit la publication des Paradis artificiels, avec Le Poème du
Haschisch, dans lequel il confirme le lien qu’il établit entre le Mal et le goût de l’infini :
« Hélas ! les vices de l’homme, si pleins d’horreur qu’on les suppose, contiennent la

46
Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 126
47
Adam, A., op.cit., p. 126

37
preuve de son goût de l’infini ; seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. »48
II ne publie qu’un seul poème : Duellum, le 19 septembre, dans L’Artiste.
Baudelaire avait d’abord pensée remplacer les six pièces condamnées pour boucher les
trous de l’édition des Fleurs du Mal gâché par le procès. Un an plus tard il projette d’y
insérer vingt pièces nouvelles.
Aussi les publications de l’année 1859 sont abondantes. Baudelaire fait paraître
douze poèmes, dont Le Voyage, L'Albatros, La Chevelure, qui seront déterminants pour
l’architecture et le sens de la seconde édition des Fleurs du Mal.
Des traductions et des essais de cette année 1859, se détachent surtout le compte
rendu de La Double Vie de Charles Asselineau et l’étude sur Théophile Gautier, publié
d’abord dans L’Artiste du 13 mars, puis en plaquette, chez Poulet-Malassis, au mois de
novembre, précédé d’une lettre de Victor Hugo, qui remercie Baudelaire pour les vers
saisissants qu’il lui dédie – Les Sept Vieillards et Les Petites Vieilles – en ces termes
: « Vous dotez le ciel de l’Art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson
nouveau ».49
Toutes ces productions augmentent la réputation littéraire de Baudelaire et
améliorent sa situation financière : c’est une période sereine, une pause dans sa
détresse. Mais très vite, Baudelaire retombe : ses relations avec Jeanne Duval, malade –
elle souffre d’une forme de paralysie – sont difficiles ; les dettes l’assaillent de nouveau, et
surtout le mal vénérien, dont il se croyait débarrassé, progresse, ce qui le rend encore plus
dépendant du laudanum. Les mois qui précèdent la publication de la seconde
édition des Fleurs du Mal sont assez sombres ; en décembre 1860, l’idée du suicide le
hante encore ; il se sent « attaqué d’une espèce de maladie à la Gérard».50
Dans l’année 1860, Baudelaire publie, en édition pré originale, seize pièces qui
entreront dans Les Fleurs du Mal.
Baudelaire a assez de matière pour une deuxième édition des Fleurs du Mal. II
avait passé, le 1er janvier 1860, avec Poulet-Malassis, installé à Paris, un contrat pour un
tirage à 1500 exemplaires chacun, de cette nouvelle édition, des Paradis artificiels et de

48
Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 127
49
Ibidem, p. 128
50
Crepet, Jaques, op. cit., p. 129

38
deux volumes d’essais critiques, Opinions littéraires et Curiosités esthétiques. C’est
vers cette époque aussi – février 1860 – que Baudelaire assiste aux concerts dirigés par
Wagner à Paris ; il retrouve dans sa musique « la lutte des deux principes qui ont choisi le
cœur humain pour le principal champ de bataille, c’est-à-dire de la chair avec l’esprit, de
l’enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu »51
La revue L’Artiste publie, le 1er février 1861, Danse macabre, avec cette note : «
Une nouvelle édition des Fleurs du Mal va paraître, qui renfermera un grand nombre de
pièces inédites dans le caractère général de l’œuvre primitive, ainsi qu’on peut en juger par
cette Danse macabre »52. C’est le 9 février 1861 que la Bibliographie de la France
enregistre le volume de la seconde édition originale des Fleurs du Mal, augmentée de
trente-cinq poèmes nouveaux.

5. L’édition de 1861

Baudelaire souligne l’ordre du recueil plus énergiquement qu’en 1857. II ira même
jusqu’à dire et la répéter que ces poèmes nouveaux ont été écrits en fonction « du cadre
singulier » qu’il avait choisi. En fait, certains parmi ces poèmes nouveaux, par exemple
L’Albatros ou Paysage, étaient de composition ancienne. L’ordre général est le même
qu’en 1857 ; c’est le sens qui a changé, et le ton.

a. Première section : Spleen et Idéal

Face aux menaces du monde du spleen, la première partie des Fleurs du Mal ne
cesse d’opposer les images où « les mirages du monde rêvent de l’idéal. Pureté, liberté,
innocence, tels sont les mots qui peuvent décrire cet univers jamais vraiment présent, mais
vers lequel le poète adresse tous ses efforts et tous ses espérances ».53

51
Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 130
52
Mourot, Jean, op. cit., p. 123
53
Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 132

39
Au Lecteur et Bénédiction restent à leur place, cette seconde pièce ouvrant Spleen
et Idéal. Le Soleil passera dans les Tableaux parisiens et sera remplacé par L’Albatros, qui
correspond plus exactement au thème du privilège du poète associé à sa malédiction
terrestre.
Le Masque, qui remplace Les Bijoux, et Hymne à la Beauté complètent le cycle de
la Beauté, beauté souffrante et beauté satanique.
De la pièce XXII à la pièce LXIV, c’est, comme en 1857, le cycle de l’Amour,
enrichi de treize pièces. La Chevelure, après Parfum exotique, et Un Fantôme s’ajoutent
aux poèmes du temps retrouvé dans le cycle de Jeanne Duval, tandis que Duellum et Le
Possédé assurent le côté satanique de la passion charnelle dans ce même cycle. Semper
eadem ajouté en tête du cycle de Mme Sabatier en change le sens par son ton ironique et
pessimiste. Chant d’automne, A une Madone ajoutées à la fin du cycle de Marie Daubrun
accentuent le pessimisme des deux pièces précédentes – L’Irréparable et Causerie. Enfin,
Chanson d’après-midi et Sisina enrichissent le cycle des Femmes diverses, pour lequel Le
Revenant et Sonnet d’automne viennent d’autre part constituer une conclusion sombre et
violente.
Quant à la dernière partie de Spleen et Idéal, elle est profondément modifiée dans
le sens de la désespérance. Les poèmes qui disaient la diversion et qui terminaient Spleen
et Idéal, sont reportés avant les pièces « frénétiques » et « spleenétiques » ; Brumes et
pluies est enlevé à la série « spleenétique » qui se retrouve renforcée par des poèmes
nouveaux – Obsession, Le Goût du néant, Alchimie de la douleur, Horreur sympathique.
Les deux Crépuscules, les deux élégies – La servante au grand coeur, Je n’ai pas oublié –
passeront aux Tableaux parisiens. Enfin, après la série « spleenétique »,
L’Heautontimoroumenos et L’Irrémédiable viennent se placer avant L’Horloge pour
constituer, depuis La Cloche fêlée, une conclusion, en douze poèmes, absolument
désespérée : elle dit la damnation sous toutes ses formes qu’est le destin terrestre de
l’homme, pour finir, avec L’Horloge, sur la damnation par le Temps dévorateur qui se joue
de ceux qui veulent tricher avec lui.

b. Deuxième section : Tableaux parisiens

40
C’est une section nouvelle de dix-huit poèmes : huit sont extraits de Spleen et
Idéal, et dix sont nouveaux ; ils évoquent la poésie de la ville et de Paris sans doute, mais,
en dépit du titre, ne sont pas exclusivement voués à la description. La justification de cette
section dans le cadre général, c’est le drame humain, et le Mal, dont ces tableaux sont le
décor.
La ville impose à la fois au créateur « le miroir de sa laideur ou de son mal, ou le
mirage du lieu magique, fantasmatique, où se perdre est aussi se retrouver. »54
Les pièces se regroupent d’abord en une série diurne – de Paysage jusqu’au
Squelette laboureur – puis à partir de la pièce Le Crépuscule du soir commence une série
nocturne, terminée par Rêve parisien et Le Crépuscule du matin, qui disent le réveil dans la
réalité plate et quotidienne. La plupart de ces poèmes, en dépit de quelques disparates,
disent la douleur et le Mal. Le Cygne, Les Sept Vieillards, Les Petites Vieilles, Les
Aveugles disent les misères de la ville. Le Crépuscule du soir exprime l’épanouissement du
Mal, et les démons de la nuit ; Le Jeu, L’Amour du mensonge, Danse macabre dépeignent
l’humanité qui s’étourdit diversement pour échapper à la Mort et au néant. Les Tableaux
parisiens correspondent à l’esprit du recueil dans la mesure où la plupart « sont des
tableaux du Mal sous des formes spécifiquement parisiennes » 55

c. Troisième section : Le Vin

Dans l’édition de 1857, la section Le Vin était placée entre Révolte et La


Mort, et signifiait « une des formes de l’évasion, mais aussi la première des grandes
tentations de la chair ».56
Cette fois, elle figure entre Tableaux parisiens et Fleurs du Mal, sans aucune pièce
nouvelle ; le changement de disposition manifeste le changement d’esprit, de la première à
la seconde édition. Dans l’édition de 1857, c’était avec L’Ame du vin, Le Vin des
chiffonniers – pièces anciennes, antérieures à 1843, selon Prarond – ; à leur nouvelle place,
les cinq poèmes changent de sens et les deux premiers détonnent un peu. On devient

54
Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 126
55
Ruff, Marcel, op. cit., p. 133
56
Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 128

41
surtout attentif au Vin des amants, et au Vin de l’Assassin – les deux pièces disant une
forme désespérée de l’évasion. C’est la même leçon que dans les Paradis artificiels et le
petit poème en prose Enivrez-vous ; ces textes expriment la tentative désespérée, sans
cesse recommencée, pour échapper au Temps et à la condition humaine.

d. Quatrième section : Fleurs du Mal

Sauf les pièces supprimées, Lesbos, Femmes damnées, les Métamorphoses du


vampire, c’est la même liste qu’en 1857, et le même sens : celui d’une évasion désespérée
par les perversions et la volupté, où l’être est détruit et se détruit. La section est le
« florilège » des vices et péchés de la chair, où les femmes damnées voisinent avec les
créatures du rêve et de légende, désespérant un être qui n’a jamais trop de courage pour
contempler son cœur et son corps sans dégoût.

e. Cinquième section : Révolte

Même liste et même sens qu’en 1857 pour cette section, qui dit la soumission à la
postulation satanique et la revendication métaphysique de l’être soumis à Satan et dressé
contre Dieu. La note sarcastique, à la fois comédienne et sincère, qui ouvrait cette section
en 1857, y est supprimée. Note de précaution, certes, mais où Baudelaire affirmait que, par
fidélité à son douloureux programme, il avait dû « façonner son esprit aux sophismes du
Mal »57, et aux blasphèmes ; ce qui était avouer sa participation à l’esprit de Révolte.
On parle ici du moment de colère contre le Dieu menteur, moment de la
compromission avec Satan, lui aussi victime, marginal et aliéné. Après avoir épuisé, dans
les premières parties de son livre, les tentations, artifices et provocations capables de
s’opposer un moment à la déchirure du spleen et de l’idéal, Baudelaire s’abandonne,
en Révolte, aux « imprécations de l’esprit et aux reniements de l’âme : injures, blasphèmes,
suppliques et litanies dédiées à cette grande figure de la marginalité et de la déchéance :
Satan, prince de l’exil, et Dieu, trahi par le sort ».58

57
Mourot, Jean, op. cit., p. 134
58
Lecherbonnier, Bernard et Rince, Dominique, op. cit., p. 52

42
f. Sixième section : La Mort

Au terme de l’itinéraire des Fleurs du Mal, le poète semble avoir épuisé ses forces,
désirs et tentations pour échapper à sa condition d’homme et de poète maudit. Il invoque
donc la mort comme ultime délivrance ou réconfort : « c’est l’ultime tentation et suprême
artifice ou le pauvre, l’amant et l’artiste confient au miracle d’un dernier voyage, à l’espoir
d’une réconciliation et d’un salut ».59
Trois pièces nouvelles sont ajoutées à la fin de cette section : La Fin de la journée,
Le Rêve d’un curieux, Le Voyage. Elles changent la tonalité de cette conclusion : le recueil
désormais incline beaucoup plus vers le Mal et la corruption de la Nature humaine, et il ne
se termine plus comme avec La Mort des artistes, sur le destin du poète. Les trois derniers
poèmes accuseront la note sombre et donneront à la conclusion une valeur plus générale.
Les trois pièces primitives célébraient dans la Mort l’ouverture sur une vie
nouvelle. Dans La Fin de la journée, elle n’est plus qu’un sommeil apaisant ; dans Le Rêve
d’un curieux, elle apparaît comme un néant, qui rend vaines l’attente et la curiosité
anxieuse ; dans Le Voyage, qui dépeint le monde comme « le spectacle ennuyeux de
l’immortel péché », et comme « une oasis d’horreur dans un désert d'ennui », « le dégoût
de l’existence a tellement envahi le cœur du poète » 60, que la Mort, quel que soit le sort
réservé au-delà, « Enfer ou Ciel, qu’importe », n’apparaît plus que comme une délivrance.
Baudelaire, en 1860, avait imaginé et ébauchée un Epilogue « adressé à la ville de
Paris ». II en reste des fragments. Le poète y a renoncé peut-être parce que cet Epilogue
répétait les Tableaux parisiens et restreignait l’horizon du recueil.
C’est entre 1851, date de la publication, dans Le Messager de l’Assemblée, de dix
poèmes sous le titre collectif Les Limbes, et la publication des dix-huit poèmes,
sous le titre collectif Fleurs du Mal dans la Revue des Deux Mondes, que Baudelaire a
découvert l’esprit qui sera celui du recueil de 1857 et de celui de1861.
La condition humaine est un Mal : il naît du drame de l’homo duplex, du
déchirement entre deux postulations opposées, et crée un malaise moral, dont l’expression

59
Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 158
60
Mourot, Jean, op. cit, p. 136

43
est l’Ennui. Les moments où l’homme se sent transporté vers les « champs lumineux et
sereins » sont rares et précaires. II se sent soumis au Temps, qui le presse, et ne lui permet
pas de se réaliser. En cédant au Mal et au péché, il s’évade de l’ennui et du temps, mais
avec remords et avec le sentiment de se détruire.
L’Esprit du Mal qui inspire à l’homme le recours à la volupté, aux perversions, aux
paradis artificiels, est une manifestation de son goût pour l’infini, donc de sa grandeur;
mais aussi de sa misère, car il sait les limites de sa condition et se perd. L’Esprit du Mal
réveille donc son sens du divin en même temps qu’il assure sur lui la domination de Satan.
C’est en rédigeant, vers 1850-1851, les premiers textes des Paradis artificiels que
Baudelaire a aperçu cette idée, qu’il développe dans Le Goût de l’infini - Le Poème du
Haschisch.
L’existence humaine, lorsqu’on en prend ainsi conscience, apparaît comme une
damnation. Dans le frontispice conçu par Baudelaire et exécuté plus tard par Félicien
Rops, le Mal est devenu la tige, le tronc qui supporte son esthétique et en produit les fleurs.
Le Mal manifeste l’Infini, il éclaire en nous la conscience du divin, il cause la souffrance,
la souffrance qui peut être rédemptrice.
L’édition de 1857 laissait apercevoir quelques remèdes ; la fin de Spleen et Idéal
chantait le recours au rêve qui selon la leçon de Poe était un moyen d’échapper à
l’absurdité de l’existence ; et les trois poèmes de la dernière section chantaient le rêve et
les promesses d’un au-delà lumineux.
Mais entre 1857 et 1860, Baudelaire, sous l’emprise d’une maladie qui doit le
miner, par les effets répétés d’une vie irrégulière, par les déceptions matérielles ou
amoureuses, que ne compense pas une certaine réussite littéraire, s’enfonce dans le
pessimisme. Et, dans le recueil de 1861, les promesses lumineuses ont, incontestablement,
disparu.

CHAPITRE IV : L’UNIVERS THÉMATIQUE BAUDELAIRIEN


EXPRIMÉ DANS SES « FLEURS »

44
1. L’éternelle lutte entre le Mal et le Bien - le destin du poète
dans une société stérile

Le problème du Mal est au centre des préoccupations du poète au même titre que
celui du Beau. Comme le beau, le mal se fait d’abord contre ce qui existe. L’un et l’autre
sont des armes de libération ; ils expriment le proteste de l’esprit contre l’asservissement
aux principes et aux circonstances. Le choix du mal fonde « cette morale du refus » qui
éclaire toute son œuvre.
Le Mal baudelairien est ce qui s’oppose à la Beauté, tout en lui étant matière
constituante : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or »61. Il est représenté par cette
faune superbe et inquiétante qui grouille en le sein du poète, personnifiant ses vices mais
aussi sa propension à créer la Beauté.
Baudelaire tente de saisir un monde où le temps n’a plus aucune prise, et donc où
les essences seules sont un baume qui lui permet de côtoyer enfin l’Idéal de la Beauté. Dès
lors, l’esprit du poète se sépare de son corps. Son esprit est dans le monde des essences,
tandis que son corps restera, en tant que chevillé au temps, et donc à la décrépitude, la
source du vice qu’il dépasse seulement par certains actes de foi poétiques.
Le Mal baudelairien ne s’oppose donc qu’en apparence à l’Idéal de la Beauté, le
drame intime de cette œuvre résidant en le fait que le Mal est une étape nécessaire à
l’appréhension de la Beauté. Le titre de l’œuvre s’éclaire immédiatement dans cette
optique, lui-même étant de nature oxymorique : Les Fleurs du Mal sont le symbole troublé
et inquiétant de cette Beauté douloureuse, vénéneuse, mais essentielle, qui est le but le plus
profond de la quête baudelairienne. Il n’y a de Beauté qu’issue du scandale, et le Mal est le
fondement de ce scandale.

L’albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage


Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
61
Decaunes, Luc, Poètes d’aujourd’hui, Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris, 1952, p. 29

45
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,


Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !


Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées


Qui hante la tempête et se rit de l’archer :
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Dans Spleen et idéal, Baudelaire analyse deux états opposés que connaît le poète
sinon l’être humain en général : le spleen, souffrance physique et morale, et l’idéal, qui est
l’élan vers le beau. Avec L’albatros, Baudelaire a repris l’idée, chère aux romantiques, du
génie méprisé, du poète incompris et solitaire. Pour Chateaubriand, les poètes étaient des
«chantres de race divine». Pour Vigny, le poète était en butte à la société matérialiste pour
laquelle il est un égaré, un être inutile. Hugo pense que le poète a une mission civilisatrice,
il doit guider les peuples : il est l’annonciateur de l’avenir; un mage. Pour Musset, le poète
est un être souffrant qui offre sa poésie, issue de sa souffrance, au public avide. Baudelaire,
le poète, n’est pas fait pour vivre sur la terre, pour se mêler à une société vouée à l’utilité et
qui ne voit dans la poésie qu’enfantillages. Également, dans L’Albatros, deux sphères
s’affrontent : le monde ici-bas, habité par l’ennui et par Satan, dans lequel le corps reste
immergé, aux prises avec le temps, dans ses vices – incarné par les marins qui se moquent
du magnifique oiseau – et le monde d’en haut, ce monde de l’esprit, habité par l’Idéal de la

46
Beauté, d’où vient l’albatros.
A la première lecture, L’Albatros paraît comme la narration d’une scène de la vie
en mer, le champ lexical maritime précise cet univers : « hommes d’équipage », « oiseaux
des mers », « le navire », « avirons ». Mais le poème trouve sa source dans « le malaise de
l’écrivain, dans les difficultés propres à sa condition de poète, dans la nouveauté d’une
écriture qui comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes »62. On
découvre donc, au-delà de l’anecdote, la signification symbolique et philosophique du
poème.
L’Albatros illustre la dualité de l’être humain cloué au sol et aspirant à l’infini en
évoquant un oiseau qui tiens son nom de la réunion des racines «alba» - «blanc» et «atro»
- «noir», en suggérant la réunion de la pureté de l’idéal et l’obscurité intellectuelle et
morale des gens communs, parmi lesquels le poète vit. Les marins s’amusent à ses dépens
et le maltraitent, ainsi l’albatros fait l’image du Poète, cet incompris qui, lui aussi, est crée
pour un autre monde que celui dans lequel il évolue, et paraît ridicule et inadapté face aux
êtres humains.
Devant les quatre strophes d’alexandrins, on pourrait croire qu’on a affaire à un
sonnet. Mais elles sont toutes des quatrains. Cependant, la composition ressemble bien à
celle d’un sonnet : les trois premières strophes s’opposent en effet à la dernière, chacune,
dans cette démonstration en forme, contenant une idée centrale. Puis le poème aboutit à
une véritable chute.
Le premier vers suggère un fait habituel, ce qui arrive souvent aux albatros
capturés par « les hommes de l’équipage ». Ils nous apparaissent comme une communauté,
de façon indifférenciée et se définissent par leur situation – ils appartiennent au monde des
« planches ». L’auteur les caractérise par la pipe, volontairement désigné par un terme
vulgaire, « brûle-gueule ». La cruauté des marins et leur méchanceté sont soulignées par le
motif de la capture : « pour s’amuser ». Un monde trivial, grossier, fruste qui contraste
avec l’image de l’albatros.
D’autre coté, l’importance accordée aux albatros se lit dans la place que tiennent

62
Carlier, Marie, Dubosclard, Joel, Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris par Baudelaire, Coll. « Profil
Littérature », Série « 20 poèmes expliquées », Ed. Hatier, Paris, 1992, p. 5

47
les périphrases. L’épithète «vastes» permet de projeter l’ampleur et l’immensité de la mer
sur l’albatros : il en prend analogiquement les dimensions et les projette sur le poète qu’il
représente. La périphrase donne une impression d’ampleur, de majesté, de noblesse, de
force, de supériorité de l’oiseau qui, dans le ciel, domine les éléments de la mer,
impression confirmée par les syntagmes « ces rois de l’azur » et « ce voyageur ailé » et
prises par le symbole représenté. « L’Oiseau, Le Poète, la mer, le ciel où plane l’albatros
se correspondent dans leur infini grandeur ».63 Pourtant, ces oiseaux suivent des navires,
car c’est pour eux un moyen facile de trouver leur subsistance, ce qui est à mettre en
parallèle avec le recours que le poète doit faire à la société, recours qui lui rend d’autant
plus difficile la poursuite de l’idéal. L’adjectif «indolents » - du syntagme « d’indolents
compagnons de voyage» - convient donc au poète qui est comme absent de la réalité
commune, qui ne s’intéresse pas aux soucis habituels des êtres humains, qui domine avec
hauteur leur mêlée confuse ; la succession des diphtongues sourdes «in», «en», «om»,
«on» ralentit le rythme pour bien suggérer ce que la présence des albatros a d’involontaire.
Dans ce vers, la coupe irrégulière donne moins d’importance à l’action, à l’impulsion,
qu’au planement, qu’à la majestueuse indifférence. La liquidité, la souplesse, l’aisance,
l’effet d’allongement – par la prononciation des « e » muets : «qui suivent », « vastes
oiseaux des mers » et par la prédominance des consonnes liquides et sifflantes : « le navire
glissant sur les gouffres amers » - font bien sentir la facilité de la course douce et rapide
du voilier, la fluidité de l’air et de l’eau. La profonde masse d’eau salée représente les
souffrances, le mal dont le navire - la société - ne se soucie pas, se contentant de glisser à
la surface. On peut alors remarquer que cette strophe, où, de vers en vers, le rythme
s’amplifie, est constituée d’une longue phrase qui épouse à la fois le mouvement de
l’albatros et celui du navire.
La deuxième strophe surprend le renversement de la situation : le « vaste oiseau
des mers » tombe sur le bateau et lui, qui dominait par son envol le ciel, la mer et le navire,
se transforme en victime. Les marins deviennent les maîtres de la situation, ils
« prennent », ils « déposent », les oiseaux, tandis que ceux-là « laissent piteusement » leurs
ailes « traîner à côté d’eux ». « Les planches » du pont suggèrent plus de rudesse, de

63
Décote, Georges, Le commentaire du texte au baccalauréat, Coll. « Profil Formation », Hatier, Paris, 1978,
p. 89

48
grossièreté spécifique au monde de ces gens, mais peut-être aussi les planches de ce
grand théâtre où se joue l’amère comédie humaine, où tous les êtres humains sont acteurs,
les uns bourreaux, les autres victimes. La déchéance de l’albatros est soulignée par de
fortes antithèses : « rois de l’azur » s’oppose à « maladroits et honteux », comme « grandes
ailes blanches » s’oppose à « avirons ». Par le retour des «l» liquides, ce vers est imprégné
de mollesse, de faiblesse, d’abandon et de découragement. Enfin, ces «avirons», devenus
des freins et non plus des propulseurs, on les entend racler les planches par la sonorité
qu’impose la liaison dans «traîner-à», au point que ces ailes, elles aussi inutiles et même
gênantes, ne semblent plus leur appartenir. La phrase qui constitue cette strophe est
désarticulée pour rendre la désarticulation dont est victime maintenant l’albatros.
L’action est dramatisée et insiste sur la déchéance de l’albatros par d’oppositions :
entre ce perpétuel errant, «ce voyageur ailé» et «gauche», qui reprend l’idée de «
maladroits » et « veule », entre « beau » et « comique », qui ajoute une idée de faiblesse,
de lâcheté, d’indignité, d’une inadaptation tragique. Soudain, la capture se change en
torture physique – « l’un agace son bec avec un brûle-gueule » – et surtout morale – «
l’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait ». L’albatros suscite la caricature et le rire
cruel et stupide, en étant perçu comme « comique ». Il se sent humilié par sa gaucherie –
« maladroits et honteux » - avili et dégradé dans le rappel de sa grandeur passée opposée à
sa misère présente : « lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! ».
Mais l’agacement des marins est né du besoin de divertissement et
d’étourdissement, c’est-à-dire de l’ennui, le seul crime, le seul péché aux yeux de
Baudelaire. Ainsi, la troisième strophe a permis de montrer, à travers les marins, une
humanité triviale, méchante, bestiale, qui prend son plaisir à la souffrance des autres. Une
humanité inhumaine à laquelle échappe le poète.
Le dernier quartet est l’élucidation du symbole. Baudelaire semble se souvenir de
Lamartine qui, traitant le même thème, avait écrit : « Le poète est semblable aux oiseaux
de passage », mais ici, « le Poète » est identifié au « prince des nuées ». Les deux derniers
vers de L’Albatros - « Exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant
l’empêchent de marcher » - révèlent le revers douloureux du génie : l’incapacité de
s’adapter aux réalités de la vie ordinaire et un sentiment constant d’exclusion ; la chute du
géant étant suggérée stylistiquement par une rupture de construction et par l’antithèse entre

49
les deux parties du dernier vers qui existe aussi au niveau phonique, entre la légèreté du
premier hémistiche et la lourdeur du second.
La correspondance opère le passage de l’anecdote à l’allégorie, à la signification
morale et philosophique. La correspondance entre l’oiseau et le poète s’établit grâce à
l’ambiguïté des termes qui désignent l’albatros. Par les biais des périphrases – « indolents
compagnons de voyage », « ces rois de l’azur », « ce voyageur ailé » - on assiste à une
personnification de celui-ci. Le Poète s’identifie à son tour à l’oiseau par le motif de l’aile
– « ses ailes de géant l’empêchent de marcher » - récurrent dans le poème – « grands ailes
blanches », « voyageur ailé ». Cette image assure à la fois l’unité du poème et le passage
de l’anecdote au symbole. « La supériorité morale et spirituelle du poète vis-à-vis du reste
des hommes se trouve toujours liée, chez Baudelaire, à un univers aérien et céleste - le
poète « hante la tempête » - il connaît donc une exaltation d’ordre spirituel et intellectuel et
se moque des atteintes provenant de la terre : il « se rit de l’archer » qui lui lance des
flèches »64. D’« indolents » qu’ils sont quand ne se présente à eux que le morne spectacle
de la réalité quotidienne, l’un et l’autre s’animent, apparaissent vifs, hardis, fiers quand ils
ont à faire face à des dangers : « la tempête », les flèches de « l’archer », occasions de
déployer leur force, leur puissance, leur supériorité. Les deux derniers vers, véritable chute
du poème, reçoivent leur dynamisme d’une rupture de construction, d’une anacoluthe.
L’albatros et le Poète sont « exilés sur le sol », la terre n’étant pas leur patrie : ils
n’y sont pas chez eux, ils sont d’étrangers. Et, en tant qu’étrangers, ils ont à subir les «
huées » de la foule. Mais l’anacoluthe permet d’interrompre brutalement la phrase dans sa
tentative d’envol pour mettre en relief le paradoxe : « Ses ailes de géant l’empêchent de
marcher », l’impossibilité de « marcher » devient celle de « fonctionner », d’agir selon les
normes, avec la foule, la célébration de l’orgueil de celui qui ne se peut livrer à des actions
terre à terre, basses, vulgaires, utilitaires. Cette inadaptation à une existence où domine la
médiocrité suscite la moquerie et le rejet des hommes.
La correspondance est bien établie entre les deux termes de la comparaison. De
même que les albatros, ces grands oiseaux marins qui suivent nonchalamment le sillage
des navires, sont beaux et à l’aise dans l’air qui est leur élément naturel et deviennent
gauches et ridicules dès qu’ils touchent le pont, de même le poète, sublime dans le monde

64
Dantec, Le Y-G. op. cit., p. 11

50
supraterrestre où il se meut, apparaît maladroit et inadapté hors de sa sphère, dans la
société humaine où il ne suscite que moqueries, avanies et attaques. Les deux
comparaisons s’éclairent même mutuellement car, si les malheurs de l’albatros sont une
image de ceux du poète, l’explication qu’on donne de ceux du poète dans le dernier vers
expliquent ceux de l’oiseau.
Baudelaire traite le thème choisi d’une écriture particulière, superposant
constamment deux niveaux différents : l’un réaliste, l’autre symbolique. Le poème est
dynamisé par des oppositions : grandeur et chute, spiritualité et matérialité, ciel et terre,
poète et foule et suggère le thème chrétien de la faute originelle et de la chute qui hante
l’artiste. Mais le symbole apparaît tout au long du poème, ce qui lui donne profondeur : les
marins ne sont présentés que par une périphrase – « les hommes de l’équipage » - le bateau
est premièrement désigné par le terme « navire », puis de manière métonymique et
symbolique, nommant seulement le matériau dont est fait l’une de ses parties – « les
planches ».
Le symbole de l’albatros, en opposant la terre au ciel, l’exiguïté à la grandeur, la
platitude à la profondeur, l’idéal à terre, le quotidien à la poésie, donne une dimension fort
vaste au poème. Mais ce qui frappe surtout c’est l’égoïsme et la méchanceté des créatures
humaines, leur paralysie spirituelle et l’absence en elles du sens du beau comme du sens
du bien.
L’albatros a l’étrange destin de l’homme qui a le mieux compris son temps, la vie
des foules modernes, les aspirations secrètes des êtres les plus humbles, qui a su voir de
quelle substance sont faites les grandes villes et leur habitants misérables. Il est resté
toutefois le « prisonnier de la solitude la plus horrible, de l’Ennui qui est comme une chape
de plomb qui immobilise le poète, l’empêchant d’accéder à l’Idéal ».65 Et pourtant, si
l’ascension vers cet idéal était facile, nul n’aurait besoin de le rechercher. Le Mal
symbolisé par l’ennui n'est donc pas une force immobilisatrice, malgré les apparences,
bien au contraire : cette « immobilisation offre effectivement une dynamique très
puissante, qui va pousser le poète à créer le Beau en tentant d’échapper à tout prix à
l’immobilité âpre et amère de la quotidienneté ». 66

65
Decaunes, Luc, Poètes d’aujourd’hui, Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris, 1952, p. 45
66
Ibidem, p. 47

51
2. La femme baudelairienne, medium vers l’idéal

Les femmes traversent toute l’œuvre baudelairienne, cristallisant tour à tour


émotions, angoisses, fascinations et répulsions. Suzeraines du cœur et du corps du poète,
elles imposent leur aimable tyrannie et font souvent maudire le plaisir empoisonné qu’elles
distillent.
La femme est la tentation la plus parfaite, celle qui correspond à tous les
phantasmes du poète, celle qui semble lui promettre l’évasion à laquelle il aspire et qui se
confond avec sa propre destruction. Elle est celle à qui Baudelaire dit « Je te hais comme
je t’aime », puisqu’elle porte en elle-même le syncrétisme du Beau et du Vice. Cruelle,
stérile, superbe idole, telle doit être l’amante et c’est « en étant détruit par elle où en la
détruisant, c’est dans la mort seulement que l’amant la rejoindra. »67
Jeanne, Marie et Apollonie, les trois passantes privilégiées de la vie et de la poésie
de Baudelaire, jouent tour à tour les trois rôles imparfaits de la mère, de la sœur et de
l’amante, en l’absence de l’impossible épouse.
Jeanne Duval, la mulâtresse, aura inspiré les poèmes les plus érotiques, ceux aussi
où s’exacerbe la cruauté tantôt contre l’idole, incarnation fascinante du mal, tantôt contre
son esclave, le poète mal aimé et mal aimant. L’extrême artifice s’allie à 1’animalité pour
faire de la femme la tentation la plus parfaite, celle qui correspond à tous les phantasmes
du poète, celle qui semble lui promettre l’évasion à laquelle il aspire et qui se confond avec
sa propre destruction.
Les poèmes inspires par Apollonie Sabatier, dédies « à la très belle, à la très bonne,
à la très chère » font entendre un son plus mélancolique et plus apaisé.
Enfin, un troisième cycle de poèmes amoureux évoque des instants où le poète a pu
croire aux promesses du bonheur, lorsque les yeux gris-verts de Marie Daubrun évoquaient
pour lui les couleurs changeantes d’un ciel brouillé, et lorsque sa démarche dansante le
faisait songer à un beau navire qui prend le large, à ces vaisseaux mystérieux de
l’invitation au voyage.
67
Clancier, Georges Emmanuel, op. cit., p. 406

52
Mais Jeanne Duval, Apollonie Sabatier, Marie Daubrun sont seulement des noms ;
« la femme de l’œuvre de Baudelaire est multiple et possède tous les charmes : ceux des
ténèbres comme ceux du jour, ceux de 1’enfer comme ceux du ciel, tour à tour ange,
démon, statue, bête, bourreau, amante, bonne sœur ou mère, mais toujours radieuse des
sortilèges de la beauté. » 68
La femme aimée ressemble chez Baudelaire toutes les images contradictoires du
spleen et de l’idéal. Qu’il s’agisse de J. Duval, l’amoureuse sensuelle, ou d’A. Sabatier,
incarnation de la vertu, l’amante baudelairienne est toujours celle qui a donnée à la fois
bonheur ou plaisir, mais elle réveille aussi les angoisses et les souffrances naturelles. « Elle
est le suprême artifice dont le poète a besoin : en son corps et en son cœur il a rendez-vous
avec ses désirs les plus intenses et ses fantasmes les plus obsédants ».69

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,


Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
68
Ibidem, p. 407
69
Barberes, Dominique, Rince, Dominique, op. cit., p. 157

53
Les thèmes majeurs des Fleurs du Mal appartiennent à l’enjeu affectif : l’amour, la
culpabilité, la mort, la mélancolie, autant de lieux ou se joue un rapport passionnel à la
réalité. Parmi ces thèmes, le plus étendu est celui amoureux – de l’érotisme le plus sensuel
à l’idéalisme le plus sublime, l’éventail est considérable. Mais, comme tous les grands
poètes d’éros, Baudelaire célèbre: il magnifie la femme désirée pour la rendre présente.
Une présence d’autant plus sensuelle qu’elle s’indique par le plus concret des sens,
l’olfaction, comme dans Parfum exotique.
Ce sonnet ouvre, dans la section Spleen et Idéal, le cycle consacré à Jeanne Duval,
la mulâtresse, qui lui aura inspiré les poèmes les plus érotiques, ceux où s’exacerbe la
cruauté tantôt contre l’idole, incarnation fascinante du mal, tantôt contre son esclave, le
poète mal aimé et mal aimant. Mais ici, la femme s’efface très vite devant la puissance de
son parfum et le mouvement crescendo du sonnet se clôt sur un état d’extase provoqué par
le jeu des correspondances.
L’« attaque » du poème – « quand, les yeux fermés dans un soir chaud d’automne »
- indique les conditions qui concourent à rendre le climat de rêverie à l’origine de la vision.
Le poète a « les yeux fermés » au moment d’un soir d’automne, ce qui invite à la nostalgie.
Eu outre, la chaleur de l’automne évoque des contrées exotiques, donc le climat est crée, et
le rêve est à commencer.
Le motif du « sein chaleureux » présente une fort connotation érotique, mais révèle
aussi l’importance de l’image maternelle, car les femmes de Baudelaire participent à un
mythe fondamental - que les surréalistes reprendront à leur compte - celui de « la femme
initiatrice du Moi, inauguratrice du monde et matrice de la poésie elle-même ».70 Ainsi
l’intimité amoureuse régresse, car le bonheur pour Baudelaire est toujours lié à l’enfance
et, comme le décrivait Th. de Banville, le poète « avait la noblesse, la fierté, l’élégance, la
beauté toutefois d’un enfant et d’un homme »71, pour exprimer le mieux cette liaison et le
passage douce de la sensualité érotique à la protection maternelle.
La magie suggestive du parfum provoque le déploiement de la vision : « quand
[…] je respire […], je vois se dérouler des rivages heureux », évocation qui succède à
l’image de la féminité, donc un paysage exotique vient se substituer à la figure de

70
Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, op.cit., p. 31
71
Cosma, Doru, op. cit., p. 165

54
l’amante. Elle devient donc seulement une libératrice de l’esprit et de la vision, un prétexte
pour le rêve et ne réapparaîtra qu’une fois à travers son parfum. Le rêve du poète prend
alors un aspect visionnaire et se transforme en un tableau exotique très lumineux souligné
par les sensations également visuelles et tactiles – « rivages […] qu’éblouissent », « les
feux » - car il voit la lumière fécondée de ses multiples reflets sur l’eau et sent la chaleur
répandue par les feux. Le soleil et la mer inaugurent la vision d’un monde paradisiaque –
le soleil est symbole pour la vie et la mer, pour la liberté et l’infini.
L’île, évoquée dans le second quatrain, est l’image du paradis originel, c’est le lieu
utopique par excellence, elle incarne toutes les aspiration de l’imaginaire, en illustrant le
mythe de la terre-mère dont la générosité est inépuisable : « …la nature donne des arbres
singuliers et des fruits savoureux », Baudelaire conciliant ici les termes opposés « île
paresseuse » et « donne ».
La terre exotique – par les « arbres singuliers » – et sensuelle – par ses « fruits
savoureux » – fait allusion au paradis biblique, mais dans l’Eden le fruit est amer. Ici, la
chute originelle est impossible et la vision harmonieuse est rendue par la régularité du vers,
par la construction syntaxique identique des deux hémistiches et l’allitération en « s » -
« singuliers »/ « savoureux ».
La description de la végétation est suivie de celle de la population et l’accent est
mis sur la santé et la beauté physique des hommes dont « le corps est mince et
vigoureux », leur nudité témoignant de l’innocence et de la beauté de l’homme naturel. Au
plus, à la nudité des corps correspond une transparence des âmes : « des femmes dont l’œil
par sa franchise étonne ». L’étonnement montre que cette relation innocente entre les
hommes et les femmes n’a pas cours dans notre monde civilisé, perverti par la corruption
et la débauche.
Dans le premier tercet, la femme revient par la puissance de son parfum – « guidé
par ton odeur… » – et réaffirme l’attraction du paysage exotique fascinant, aux
« charmants climats ». Dans le champ visuel apparaît le port, symbole d’évasion et du
voyage, du retour au paradis originel évoqué antérieurement. La description du port est
aussi placée sur le signe de la profusion et les sensations y abondent : olfactives – « le
parfum des verts tamariniers », visuelles – « rempli les voiles et les mâts », « les verts
tamariniers », auditives – « le chant des mariniers ». Au niveau phonique, l’assonance des

55
voyelles éclatantes nous font imaginer l’atmosphère lumineuse et vie : « je vois »,
« voiles », « mâts », « charmants climats », « vague marine », « parfum », « tamariniers »,
« la narine », « âme », « mariniers ».
La rêverie s’épanouit à partir des sensations et des éléments concrets ; le réel est
appréhendé de façon synecdotique, puisque la signification abstraite est symbolisée par la
chose concrète. L’univers baudelairien est ainsi chargé de symboles qui incarnent la
rêverie. Le port concilie des désirs contradictoires – il est figure de la clôture, car les
bateaux s’y reposent, mais aussi image de la vie bercée et protégée, puisque le bercement
de la vague marine fait appel à la période enfantine. Egalement, le port est le lieu
d’expansion, de l’ouverture vers l’infini, par l’échange incessant des sensations – l’odorant
et la vue se confondent dans l’évocation du « parfum des verts tamariniers » et le « chant
des mariniers » se greffe sur la vision des tamariniers. A la série des voyelles éclatantes se
mêlent les allitérations des consonnes douces et continues, fricatives – « vois », « voile »,
« fatigué », « verts », « m’enfle » - et liquides ou nasales – « charmants climats »,
« marine », « tamariniers », « mariniers » - créant ainsi une unité sensible entre « les
parfums, les couleurs et les sons qui se répondent »72. Mais la fusion se produit dans son
âme, car le poète est le seul qui nous peut révéler ces « correspondances », faisant ainsi le
glissement du plan sensible au plan spirituel.
Chez Baudelaire, unicité entre le monde matériel et spirituel et la femme assure le
lien entre ces deux mondes et, elle est le reflet du monde divin. La femme sert aussi de
médium vers une sorte de paradis retrouvée, l’île paradisiaque.
Le poème Parfum exotique nous impressionne avec sa perfection formelle, étant un
sonnet absolument régulier, mais cette forme idéale est enrichie par ses multiples
significations et, surtout, par l’abondance des sensations, qui nous révèlent l’unité
symbolique de ces trois figures de la protection et du bonheur que sont, pour Baudelaire, le
sein maternelle, l’île et le port, et le bonheur ne peut exister que dans cette recherche
d’idéal et par l’intermédiaire d’une rêverie, mais, parce que ce rêve se fait des yeux, bien
que « fermés », le poète va revenir dans la réalité cruelle, le Spleen.

A une passante

72
Carlier, Marie, Dubosclard, Joel, op. cit., p. 51

56
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.


Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté


Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !


Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Ce sonnet qui fait partie des Tableaux parisiens se fonde sur le thème de la
rencontre. Les hasards de la ville font se croiser le poète et une belle inconnue qui incarne
la Beauté, à la fois fascinante et insaisissable – une forme de l’Idéal prend vie pour
disparaître aussitôt.
L’atmosphère est quasi sauvage, la « rue assourdissante » et qui « hurle » n’est pas
seulement personnifiée mais rendue comme un monde fou, où le retour des bruits est rendu
par celui de sonorités voisines – « rue », « hur », « sour », « tour ». Le Paris moderne,
affairé et bruyant est antipathique au poète, il n’est pas favorable à la rêverie, à la
rencontre amoureuse. Lui, qui déjà ne participait pas à la folie ambiante, en est soudain
complètement isolé – le son est coupé, lorsque vient s’interposer une forme d’abord
énigmatique, saisie par des perceptions rapides, marquées aussi par l’extension
progressive des mesures: d’abord la forme – « longue », « mince », puis la couleur – le «

57
grand deuil », l’allure – « douleur majestueuse » et enfin le phénomène vraiment
désigné : « une femme passa ».
Elle est élégante, véritablement érotisée, par le noir du deuil, rendue plus
impressionnante par le pathétique de sa situation qui la rend indifférente au monde d’ici-
bas et, de ce fait, d’autant plus séduisante. Elle est « agile et noble », et très féminine, le
poète met en valeur ce mouvement qui est non seulement dynamique « soulevant » mais
aussi léger « balançant le feston et l’ourlet ».
Le portrait de la femme qui donne le sentiment de la perfection dans l’esprit du
poète est bien poursuivi jusqu’à une idéalisation esthétique : « sa jambe de statue »,
enrichie par l’accompagnement de la notion de tristesse – exprimée par « grand deuil » –
avec celle de beauté. Ainsi, le charme de l’inconnue devient plus étrange et plus puissant.
La réaction du poète face a l’incarnation de cet idéal est fortement émotionnelle,
troublante, ingouvernable par la raison – « crispé : comme un extravagant ». Le verbe
« boire » dénote une pulsion avide, cependant que l’adjectif « crispé » indique la paralysie
de l’initiative : face à la femme, le poète a une attitude à la fois ardente et nouée, c’est la
stupéfaction de l’artiste devant la Beauté. Il regarde « son œil, ciel livide ou germe
l’ouragan » et l’agrandit à la dimension d’un ciel d’orage. Le bleu-gris contient à la fois la
menace de la violence – « ouragan », « plaisir qui tue » – et la promesse de la tendresse
charmeuse – « douceur qui fascine », des termes antithétiques spécifiques pour Baudelaire.
Il continue la série des oppositions au niveau phonique aussi – le lien consonantique « s /
z » dans « douceur », « fascine », « plaisir », assure une continuité facile et glissante, puis
est la surprise heurtée des deux monosyllabes « qui tue », où s’entrechoquent les deux
consonnes occlusives.
Après l’étalement de la vision dans les quatrains – encore rappelée par « un éclair
», mot qui signifie bien la fulgurance de la vision mais aussi sa luminosité et le danger de
l’orage – c’est, de façon très elliptique, le passage brusque à la nuit – « puis la nuit ! », nuit
physique et nuit mentale après l’éblouissement de l’apparition. Désormais, la rencontre
appartient au passée et la femme ne sera l’objet d’une contemplation que dans un futur
mystique, espéré par le poète : « ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? » – l’interrogation
inversée suggérant une réponse positive, un espoir.
Mais cette « fugitive beauté » est un aperçu de la beauté éternelle qui, au milieu de

58
la laideur ambiante de la ville, fait renaître le poète, ravive en lui la flamme de la création.
Toutefois, la rencontre ne peut aboutir dans la réalité – « ailleurs, bien loin d'ici ! trop
tard ! jamais, peut-être ! » – la triple exclamation scandale la dégradation de tout espoir ; la
lucidité et la conscience du réel ruinent l’exigence d’absolu et provoquent au poète du
regret, de l’angoisse.
L’avant-dernier vers – « j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais » – rend la
divergence tragique de leurs itinéraires ; les deux destins croisées – similitude suggérée
aussi par le chiasme j’ignore/tu fuis, tu ne sais/je vais – sont unis dans la fatalité de
l’éloignement.
La dernière ligne exprime la certitude de la perte de l’occasion d’une rencontre
amoureuse exceptionnelle, et scandalise par le crescendo du lyrisme dans une invocation à
la fois triste et tendre : « ô toi qui j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ». Ce vers final est
mystérieux – le second hémistiche pose le problème de l’authenticité du rencontre, car la
« passante » connaissait les sentiments du poète ; il a exprime le drame de
l’incompréhension entre l’homme et la femme.
A une passante est donc un croquis parisien ; dans les grandes villes se croisent
sans cesse des êtres anonymes, où, chaque jour, des âmes secrètement accordées frôlent
peut-être, en vain, le bonheur. Le poète est attiré par cette beauté évanescente, éphémère,
mais la rencontre n’a pas lieu, demeure du domaine du souhait. La femme n’est qu’une
silhouette, un regard, qui se dérobe au poète. Mais cela suffit à faire naître un amour qu'il
idéalise : «Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais !», un amour qui n’existe que dans les
possibles de l’imaginaire, mais dans lequel il se complaît. La séduction qu’exerce cette
élégante inconnue répond à la conception baudelairienne de la beauté féminine et insolite,
poétique, qui fait rêver à la fois, mais d’une manière confuse, de volupté et de tristesse ;
qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété.
Ce petit poème, dense dans son désespoir contenu, se rattache au thème romantique
de la femme messagère d’idéalité, mais Baudelaire l’introduit au milieu de la ville, idée
saluée de ses précurseurs.

3. La Mort dans l’écriture baudelairienne

59
a. La Mort comme passage vers l’Idéal

La mort, thème présent tout au long des Fleurs du Mal, apparaît comme une fatalité
qu’impose le spectacle même de la nature et le poète a deux visions opposées de la mort :
un aspect morbide - dans Une Charogne - et un aspect heureux, comme dans La mort des
amants.
Pourtant, si Baudelaire fait la porte de sortie de son recueil par la mort, c’est
qu’ « elle peut être aussi le seuil d’un ailleurs ou d’un au-delà où seraient renvoyées dos à
dos les contradictions du spleen et de l’idéal, du bien et du mal, de Dieu et de Satan. La
mort est un pur passage ». 73

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,


Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,


Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,


Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,


Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
73
Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, op. cit., p. 42

60
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Le sonnet qui ouvre la cinquième section des Fleurs du Mal est consacré à la Mort,
qui s’impose comme la seule issue possible au terme d’un parcours désespéré, car le poète
a épuisé le champ des consolations illusoires. La mort est donc l’unique espoir d’accéder à
l’infini et le symbole parfait de l’amour heureux.
Charles Baudelaire, qui a connu l'infidélité en lui et hors de lui, la séparation et
l'éloignement de la femme aimée dans le gouffre du temps, imagine un monde idéal qui
serait l'inverse du monde réel : la fidélité, la fusion, le luxe y règnent. Le poème présent
une vision idéale de l’amour ou, mieux dit, une vision idéalisée de la mort, mais elles
fusionnent indissociablement par la spiritualisation de la relation amoureuse. La mort
apparaît donc comme une condition indispensable de l’amour eternel, elle seule
supprimant tout ce qui peut le menacer – le temps, l’espace, même la réalité.
Le poème débute par l’image du couple absolu, parfait, défini par le
pronom « nous », répété tout au long du sonnet. Les adjectifs qualificatifs et substantifs –
« lits pleins d’odeurs légères », « nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux, / qui
réfléchiront leur double lumière » - insistent sur la profonde unité du couple et montrent
l’être aimé comme un autre soi-même, un reflet, un double, motifs repris par les thèmes du
miroir et de la gémellité : « nos deux esprits, deux miroirs jumeaux ». Également, le
syntagme « cieux plus beaux » montre la supériorité du couple primordial qui a comme
destination après la mort, un lieu distinctif, particulier.
L’unité du second quatrain repose sur le leitmotiv du couple, sur le thème
romantique du double par la répétition du chiffre « deux » et la présentation par paires des
objets – les « miroirs » et les « flambeaux ». Les amants rétablissent l’unité originelle, car
ils sont devenu un : « nous échangerons un éclair unique », mais dans la mort, elle
seulement consacre l’union absolue du couple. Cette fusion des thèmes – l’amour, la mort,
le double, la quête de l’idéal – est possible par l’utilisation d’un vocabulaire ambivalent :
les « lits » sont aussi ceux des amants et de la mort ; les « divans » sont comparés a des «
tombeaux » ; les « flambeaux » symbolisent les feux de l’amour, mais aussi les bougies qui
entourent les morts. Cette ambiguïté est accentuée par l’emploi des adjectifs ; la
profondeur des divans suggère la volupté, mais aussi un ensevelissement dans la mort ; les

61
« étranges fleurs » sont venues d’un autre monde ; et les « chaleurs dernières » suggèrent
la fin de la passion, mais aussi de la vie. Amour et mort se confondent donc pour peindre
l’amour absolu.
La perception idéalisée de la mort et de l’amour est sous-tendue par le mysticisme
fondée sur une double croyance ; pour Baudelaire, l’expérience sensuelle se prolonge
toujours en une extase spirituelle et la mort aboutit à une survie idéale, celle de l’esprit.
Tout au long du poème, on glisse progressivement du sensuel au spirituel.
L’allusion des « odeurs légères » témoigne un gauchissement de l’expérience
sensuelle – le poète rejette les parfums triomphants, corrompus au profit des parfums frais,
purs et spirituels. Également, les jeux de la chair consommés dans les « divans profonds »
s’effacent pour laisser place aux sentiments – « nos deux cœurs », puis à la contemplation
spirituelle - « nos deux esprits ».
Les images visuelles sont suggestives aussi – aux couleurs violentes, éclatantes,
spécifiques a un climat passionnel, le poète préfère les tons pastel « un soir fait de rose et
de bleu mystique », propres à évoquer des sentiments purs et spirituels. Également,
l’épithète « mystique », mais surtout l’« Ange » et le verbe « ranimer » soulignent la
survivance de l’âme dans l’au-delà. La mort n’est pas une fin, mais elle est positive, est un
passage à travers des « portes » du terrestre au céleste.
Dans le dernier tercet, on revoit l’idée de retour à la vie : l’Ange, d’habitude calme,
sera « fidèle et joyeux ». Le même effet a l’utilisation du temps futur, qui suggère une
action fictive, permettant à l’imaginaire de se déployer – « nous aurons », « nos cœurs
seront », « nous échangerons » - et de l’adverbe temporel « plus tard » ; une promesse sûre
qui ranimera « les flammes mortes ». Le poème se termine avec une chute paradoxale : le
passage à la mort est paradoxalement un retour à la vie, qui en plus est mieux et plus beau
que la vie.
Les amants s’unissent dans un hors-temps proche de l’éternité. Rien ne disturbe le
rythme bercée du texte, marquée seulement par la régularité du décasyllabe ; la sensation
d’un temps étalé est suscitée par l’allongement des vers grâce à la présence des « e » muets
qui suspendent les vers – « légères », « étagères », « dernières » - des sons prolongés des
voyelles nasales « an » et « on » - « profonds », « étranges ».
L’espace présente le même caractère imaginaire, par l’étrangeté des fleurs et des

62
couleurs, par la conciliation des contraires : le lieu intime, clos, est aussi illimitée, ouvert,
agrandissement provoqué par le jeu des miroirs et l’impression d’immensité produite par
l’adjectif « vastes ».
Les sensations sont aussi ambiguës ; la souffrance n’est pas violente et
douloureuse, mais presque voluptueuse. « Le long sanglot, tout chargé d’adieux » prend
une résonance suave grâce au voilement sensuel des voyelles nasales et à la fluidité des
consonnes liquides.
La mort n'est pas vraiment présente tout au long du poème : seuls le titre et le
dernier vers en parlent, car elle est vue comme un voyage qui délivre l’amour de la matière
et du péché, le plaisir charnel étant lié chez Baudelaire à la débauche.
On note que Baudelaire, en utilisant une forme et un thème traditionnels, parvenait
à donner une idée positive et donc différente de la mort. La réussite de ce poème repose
sur la fusion intime d’un parcours mental et poétique, fondé sur la métamorphose de
l’expérience charnelle en vie spirituelle. Échappant à l’amour passionnel, destructeur et
condamné, la mort réalise la fusion éternelle du couple. Le sonnet est paradoxal, car la
mort reste la seule capable de donner vie à l’imaginaire.

b. La Mort infâme et destructrice

Une Charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d’été si doux:
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,


Brûlante et suant les poisons,

63
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague


Ou s’élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,


Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,


Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

64
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un œil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


À cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!

Oui! Telle vous serez, ô la reine des grâces,


Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés!

La mort chez Baudelaire est une question de conscience – conscience de la


mortalité du corps, donc une fin irrémédiable et cruelle, mais aussi conscience d’un enjeu
métaphysique qui peut prêter les accents sinistres d’une condamnation sans appel.
Toutefois, la mort est dans Les Fleurs du Mal l’objet d’une hésitation. D’un côté, elle est le
terme désiré d’une existence douloureuse – « C’est la Mort qui console, hélas ! » - de
l’autre, la mort est redoutée comme un faux-semblant, comme le leurre d’une fin. « Le
poète connaît la mort par la douleur et cette connaissance est la force qui donne aux pièces
leur incomparable vérité. »74
Le poème est une sorte de lettre ou de discours du poète à celle qu’il aime, pour lui
74
Jackson, John E., op. cit., p. 110

65
dire que seul le poète ou l'amant peut garder l'éternité d'une forme dans sa beauté : le
temps en effet détruit tout et la beauté devient laideur. C’est l’idée de Carpe Diem,
l’invitation au « voyage » de la vie, parce que le temps immuable métamorphosa tout en
« charogne infâme ».
Une fusion du laid et du beau ouvre le poème et se remarque jusqu'à sa fin. Le
poète parle à son âme, ou peut-être à son amante, d’une « matin d’été si doux », dont ils
virent « une charogne infâme », « couchée » sur un lit de « cailloux », suggérant le
tombeau. Le choc est donné par les oppositions extrêmes : la beauté du matin d’été, donc
lumineuse, pleine de vie, est tachée par la carcasse décomposée. En outre, on parle d’un
oxymore au niveau phonétique, la « charogne infâme » rime avec « mon âme » qui
désigne la femme.
Le poète continue la comparaison de la charogne avec une femme « lubrique »,
« nonchalante », aux « jambes en l’air » ; de même sorte s’offre au regard le cadavre au
demi décomposé par les « poisons » qui sortent du ventre horriblement odoré. Baudelaire
personnifie la carcasse par des épithètes, en nous préparant pour le déchiffrement du
poème – tout vivant finira le « ventre suant les poisons ». Le vocabulaire utilisé emprunte à
la fois la thématique de l'érotisme et de la pourriture. En effet, le « ventre », les « jambes
en l’air », une « femme lubrique, brûlante » – ce qui fait penser aux chaleurs ou à la
passion –, l’adjectif « nonchalante » qui résonne ici avec sensualité, font penser à une
femme qui offre son corps. Les figures érotiques préfigurent ici l’accouplement nécessaire
à une naissance future : celle d’une Fleur du Mal.
Le troisième quartet suive la même structure ; on y trouve des antithèses qui créent
des chocs d’atmosphère et marquent l’ironie : « soleil rayonnait sur cette pourriture »,
opposition et association de la beauté et de la laideur, de la vie et de la mort ; il y a un
indissociable lien entre les « fleurs » et le « mal » ; également ironique est la mention du
terme culinaire « cuire », alors qu’on n’a pas faim devant un tel tableau. La Nature devient
ici l’accueillante de la chair, soutenant la croyance biblique du retour de la terre de nos
corps dans la terre – mère, mais centuplé, comme un payement ou une offrande.
L’espace s’élargit et, auprès du soleil, le ciel regarde aussi « l’épanouissement » de
la chair. L’oxymore à effet ironique « carcasse superbe » est complété de l’opposition de la
fleur et de la « puanteur », tout comme à l’aide des images visuelles viennent celles

66
olfactives, qui provoquent l’évanouissement de l’amante. Symboliquement, Baudelaire
annonce la naissance de la fleur qui commence à « s’épanouir », mais la vision de la
naissance d’une fleur du mal est un spectacle insoutenable.
Le tableau de l’horreur se déclenche : le lexique de la vermine est exagérément
développé : « mouches », « larves » et soutenu par l’image auditive du « bourdonnement ».
Le poète se concentre sur le corps – comme un photographe qui prend en objectif
seulement un détail du tableau – l’écoulement des larves suggère celui de l’eau, du sang ou
même de la vie, image soulignée aussi par l’allitération des consonnes liquides dans les
derniers deux vers de la strophe – « larves », « coulaient », « liquide », « le long »,
« baillons ».
L’idée de l’eau continue dans la strophe suivante – la marche de la vermine était
« comme une vague » qui donnait l’impression d’un corps qui se refait par ce mouvement.
La vie après la mort est exprimée ici ironiquement, ce n’est pas vers l’éternité que la
carcasse se dirige, mais vers la terre et à cause des larves.
Dans le septième quatrain, l’auteur se penche sur l’effet auditif de la transformation
du corps – la musique donnée par le mouvement s’allie a l’ « eau courante » eu au vent.
Sur plan phonétique, cette image se crée par l’allitération des consonnes fricatives :
« vent », « vanneur », « mouvement », « van », et l’écoulement de la « vague », par les
voyelles nasales : « monde », « étrange », « courante », « vent », « grain », « dans »,
« mouvement ». La présence du grain nous rappelle le thème romantique de la petitesse de
l’homme et son impuissance face au cours naturel de la vie ; nous sommes un grain et le
van nous mène, indépendant de notre volonté.
Les vers qui suivent posent le problème de la fonction de l’artiste, mais pas du
poète, du peintre – il recrée une réalité idéale à partir de l’ébauche que laisse le réel – « les
formes s’effaçaient », « l’artiste achève » – son travail est celui de la reconstruction de ce
que le réel détruit. Il montre, par l’exemple de cette description de la charogne, la
technique qui est la sienne pour recréer la beauté à partir de la décomposition. Il utilise des
procédés hyperboliques pour mieux expliquer son travail de recomposition ; par l’écriture,
l’artiste métamorphose la mort en vie, ce que donne un caractère didactique au poème.
Dans le tableau déjà plein d’horreur parait un autre vivant – un chien – qui, loin
d’enrichir l’image, la rend plus horrible – la bête veut dévorer la chair déchirée et attend

67
« fâchée » le départ des gens. Baudelaire souligne le cycle naturel de la vie où il y a des
chasseurs et de la chasse. On note aussi un changement des significations morales : le
chien n’est plus le meilleur ami de l’homme, mais son ennemi car il profite de la mort du
maître pour subsister.
A la fin, le poète revient au dialogue avec son aimée d’un ton romantique,
élogieux, célébrant sa beauté, la divinisant – « reine des grâces », « soleil de ma nature »,
« mon ange et ma passion », « étoile de mes yeux » – en opposition à la charogne, l’état
futur qui attend son corps – « vous serez semblable à cette ordure, à cette horrible infection
», les ordures étant des déchets répugnants dont personne ne veut. Les exclamations
suggèrent la certitude de ce procès qui va « embrasser » tout corps, c’est la suite naturelle
de la vie et de l’enterrement « sous l’herbe et les floraisons grasses ». Le rythme s’accélère
avec une ponctuation régulière et des phrases purement nominales. Au niveau symbolique,
l’artiste dit à son amante qu’elle deviendra poème, elle aussi, car il est le seul à garder « la
forme de l’essence divine », il la reconstitue de ce que le réel, donc le temps, détruit : « les
amours décomposées » sont recomposés dans le poème et l’univers qu’il réinvente – cela
est la fonction de l’art.
Les couples « vermine »-« divine » et « baiser »-« décomposés » montrent la
relation indestructible entre la vie et la mort, mais aussi l’assurance que la beauté vivra par
son art. Baudelaire expose enfin l’objet ultime de l’œuvre qui est de conserver par-delà la
mort, l’idée, la représentation de ce que fut la beauté de sa compagne, c’est-à-dire sous une
forme idéalisée.
Le poème est une combinaison sublime entre le monde de la beauté et celui de la
mort destructrice du corps, on oscille entre le Mal et la Beauté idéale, l’un et l’autre étant
intimement mêlés, mais l’auteur nous convie à comprendre que la beauté est, peut-être,
faite de laideur. Les champs lexicaux de la mort – « carcasse », « squelette »,
« ossements » – de la décomposition – « ordure », « charogne », « pourriture », « horrible
infection » – et des autres aspects répugnants – « vermine », « larves », « mouches »,
« exhalation », « puanteur », « épais liquide » – s’associent à l’érotisme et à la sensualité
de la femme – « jambes an l’air », « femme lubrique », « baisers ».
Sur le plan symbolique et didactique, le texte nous permet en effet d’assister à la
naissance d’une Fleur du Mal et de comprendre les étapes de l’activité poétique, leur sens

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et leur importance. La poésie nouvelle n’impose pas au réel des formes sublimes qui
n’existent pas. Elle fait au contraire du réel, de ses manifestations étranges et fantastiques,
le matériau privilégié de ses investigations. L’art est, pour Baudelaire, artificiel, au sens
positif du terme, c'est-à-dire métamorphose ou alchimie permanente de l'horrible, le réel,
en « fleur » ; la Beauté est immortelle, alors que le poète n’est qu’une écorce de chair.

4. Le Spleen

Rompant avec la tradition romantique de la belle et bonne nature, le poète décrit au


contraire : le naturel comme un espace de corruption et de dégénérescence. Il ne va pas
décrire la nature et la figer dans l’éternité en y plaquant ses sentiments, créant dès lors un
paysage personnifié, animé et réflexif. Au contraire, il va recréer un monde idéal
fondamentalement opposé à la nature. Nature et nature humaine rivalisent dans les Fleurs
du Mal par des spectacles répugnants ou morbides : des vieillards, rabougris, terres
enlaidies, citées sales et blafardes ; partout c’est le même encrassement d’un « noir tableau
qui rencontre le regard à la fois horrifié et fasciné du poète. Loin d’esquiver en effet cette
laideur originelle et quotidienne, il l’assume jusqu’au bout. »75
Le spleen est aussi une forme de réfraction subjective d’un mal aliénant l’homme
contemporain au point de le réduire à un statut de chose. A la différence de la mélancolie
des poètes romantiques, l’économie de ce spleen renvoie à une souffrance objective liée à
une dépossession ou à une misère bien réelles. Dans Les Fleurs du Mal, « Paris est le
symbole tragique de la condition de l’humanité contemporaine, mais Baudelaire est, soit
un observateur détachée jetant sur la capitale un regard qui tend a y répéter tel ou tel
élément révélateur de la vie moderne, soit un témoigne impliqué dans une réalité qui
l’aliène au même titre que les victimes qu’il y croise et dans lesquels il se reconnaît. »76

Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

75
Rince, Dominique, Lecherbonnier, Bernard, op. cit., p. 48
76
Jackson, John E., op. cit., p. 95

69
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,


Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées


D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie


Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,


Défilent lentement dans mon âme; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Dernier dans la série des quatre poèmes à porter le titre Spleen, le texte évoque une
phase aigue du mal-être baudelairien, caractérisée par la tristesse, l’abdication de
l’Esperance, la mort spirituelle. Le poème se déroule comme une pièce de théâtre en trois
actes, dramatisant la crise qui monte, éclate dans une tentative de révolte pour finir dans la
folie.
La montée du désespoir se déroule dans le premières trois strophes, introduites par
l’adverbe temporel « quand », la répétition ayant un effet d’accumulation – l’atmosphère

70
psychologique se charge des facteurs de plus en plus angoissants. Les éléments du paysage
– le ciel, la terre, la pluie – sont couverts – « cachot », « barreaux », « couvercle » – sans
une possible évasion. Le lexique – « lourd », « pèse », « murs », « prison », « barreaux » –
suggère les thèmes de l’oppression, de la claustration, car le poète se sent prisonnier dans
« un jour plus triste que les nuits ». L’espace se rétrécit en commençant par l’horizon – le
« cercle » limite la liberté – et continue par la terre qui ressemble à une chambre de
prisonnier. Les « barreaux » de la pluie rendent la prison plus vaste, ce n’est pas pour la
faire habitable, mais pour affirmer l’universalité d’une réclusion obsessionnelle. L’esprit
souffre, « gémit », il n’a pas de l’énergie pour en surmonter et subit à la fois l’oppression
extérieure et le malaise intérieur – « en proie aux longs ennuis », l’ennui étant le dégout de
la vie, la nausée existentielle.
L’optimisme, le positivisme épuisent leurs dernières forces – « battant les murs de
son aile timide » – et le monde extérieur – « peuple d’araignées » – prend possession de
l’univers mental – « tendre ses filets au fond de nos cerveaux » – créant une hallucination.
Le lexique de la quatrième strophe suggère la violence, la révolte, ou, peut-être,
une imploration : « des cloches sautent », « furie », « affreux hurlement », « geindre ». Le
poète a projeté sur les cloches tout son horreur et son cris et les diriges vers le ciel,
éclatement qui correspond à une tentative de révolte contre la souffrance et contre soi-
même. C’est l’ultime moment de sa lucidité, car Baudelaire ressent le spleen comme « une
interminable tyrannie du temps mauvais et destructeur qui écrase l’existence de tout son
poids maléfique et finit par « manger » la vie. » 77
Isolé par un tiret, le dernier quatrain égare l’esprit en le transformant en un
spectateur – « défilent lentement dans mon âme » – qui voit la défaite de « l’Espoir, /
Vaincu » et l’assaut de « l’Angoisse » ; mais il n’oppose pas de la résistance, il a « le crâne
incliné ». La volonté, le sentiment d’identité, la perception du monde extérieur ont cédés le
lieu à la folie, à la dépression hallucinatoire, à un dérèglement psychique incontrôlable.
L’accent de Baudelaire se manifeste ici par la puissance d’évocation des
images qui créent l’univers splénique ; de strophe en strophe, l’idée de claustration se
développe jusqu’au moment où le « cercle » devient une toile d’araignée, exprimée
métonymiquement par les « filets ». Le même effet sur l’esprit humain a l’humidité

77
Barberes, Dominique, Rince, Dominique, op. cit., p. 157

71
malsaine : le verbe « verser » l’annonce, « humide » et « pourris » le développent et la
« pluie » reprend le thème. La partie de l’Esperance comme un oiseau nocturne – « s’en va
battant » – évoque l’interminable et stérile tournoiement des pensées captives de
l’obsession, accentuée par la lugubre lenteur du défilé des corbillards et par l’absence des
sensations sonores – « sans tambours ni musique ».
L’image finale du « drapeau noir » symbolise le triomphe de l’anarchie mentale
définitive et le naufrage – avec référence aux bateaux des pirates – de l’être sous l’attaque
du désespoir. L’allégorie, qui personnifie une abstraction – Esperance, Espoir, Angoisse –
contribue à brouiller la frontière entre le monde moral et la vision concrète et fait lieu à
l’hallucination. Au niveau phonique, les voyelles nasales prolongent la plainte sourde et
permanente – « gémissant », « ennuis », « embrassant », « changée », « battant » – et la
voyelle « i » aiguise l’expression de la souffrance. D’autre part, le choc des consonnes
suggère l’image de la violence, l’agressivité : « des cloches tout à coup sautent avec
furie ». La sonorité du poème évoque l’accablement monotone, la force répétitive du
spleen qui s’abat sur l’esprit.
A travers les images, le poète établit une correspondance entre le paysage extérieur
et l’état moral, qui révèle la vérité subjective du monde et sa manière immédiate de
s’imprimer sur une sensibilité.
Ce poème de Baudelaire tire sa puissance suggestive de l’utilisation d’images
concrètes pour exprimer un drame spirituel et psychologique. Le poète explore ses abîmes
et extrait la beauté des souffrances, de son âme et de son cerveau malades – « fleurs »
extraites du « mal ».

5. Les paradis artificiels

La menace permanente du spleen sur l’idéal est si forte que Baudelaire cherche
constamment à échapper à la misère de sa condition humaine par le recours à des
tentations, qu’il appelle ailleurs paradis artificiels, et qui lui donnent l’illusion d’un repos
ou d’un moment de délivrance.
Ces tentations sont de toutes sortes : sensations rares ou fortes : vin, alcool, tabac et

72
même drogues, dont le poète lui-même faisait un usage essentiellement médical. A ces
poisons est confié la mission de dilater les sens et d’exalter l’âme. Ces paradis artificiels se
confondent dans l’image de la suprême tentatrice : la femme.

Le Vin des amants

Aujourd’hui l’espace est splendide!


Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin!

Comme deux anges que torture


Une implacable calenture
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain!

Mollement balancés sur l’aile


Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,

Ma sœur, côte à côte nageant,


Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves!

Le dernier sonnet de la section Le Vin célèbre la boisson miraculeuse qui libère et


mène l’esprit vers le paradis rêvé.
Après ses propres dites, dans le volume Paradis artificiels, Baudelaire préfère le
vin au hachisch, et c’est pour ca qu’il lui consacre une entière section dans Les Fleurs du
Mal. « Le vin exalte la volonté, le hachisch l’annihile. Le vin est un support psychique, le
hachisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable. Le hachisch est
insolent. L’un est laborieux pour ainsi dire, l’autre essentiellement paresseux. A quoi bon,

73
en effet, travailler, labourer, écrire, fabriquer quoi que ce soit, quand on peut emporter le
paradis d’un seul coup ? Enfin le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite d’en
boire. Le hachisch appartient à la classe des joies solitaires ; il est fait pour les misérables
oisifs. Le vin est utile, il produit des résultats fructifiant. Le hachisch est inutile et
dangereux. »78
Le poème débute avec une exclamation – « Aujourd’hui l’espace est splendide ! »
– qui fait preuve de l’état d’exaltation de l’écrivain. Mais, à une seconde vue, ce n’est pas
le poète qui exalte, mais un cheval – selon les termes de la famille lexicale de ce mot :
« mors », « éperons », « bride ». La répétition de l’adverbe « sans » souligne la liberté à
peine conquise et l’allitération en « s » montre le sifflement d’ardeur pour un voyage
fantastique vers un « ciel féerique ». Le consomme du vin donne ainsi des ailes a
l’imagination, crée un cadre propice pour le rêve.
Le poète et son aimée se métamorphosent en anges, mais ils sont torturés d’une
« implacable calenture », suggérant la chute de l’Eden du couple primordial.
L’opposition, très chère au Baudelaire, se manifeste dans cette inversion du sujet et
des compléments directs par l’antithèse entre la pureté de l’ange – symbole repris dans la
seconde part du quatrain par le « bleu cristal » – et le feu, symbole de la passion, mais
aussi de la chaleur du corps après le consomme du vin, rouge, lui aussi.
Les amants suivent « le mirage lointain » et se « balancent » comme dans un
planement ou dans un bercement d’un bateau, mais la mollesse du balance les provoque un
plaisant « délire parallèle ».
Le couple s’unit et l’amante devient « sœur » qui le suit « cote à cote » sans fin. La
fuite « sans repos » désigne le voyage très rapide de l’esprit et de l’imagination vers « les
paradis de ses rêves ».
Le poème décrit le pouvoir du vin d’inviter à l’imaginaire et la multitude d’images
mène à un mélange pareil au « délire » : cieux, cheveux, anges, eaux, ailes composent
l’éventail des visions du poète enivré mais, aux figures visuelles s’ajoutent celles auditives
– le piaffement du cheval – et tactiles – la chaleur qui torture.
Au niveau phonique, on note une répétition tout au long du poème de la consonne
liquide « l », suggestive pour le culement des amants vers le paradis désiré, mais aussi

78
Jackson, E. John, op. cit., p. 115

74
pour celui du vin dans les verres. Dans le premier tercet, cette allitération se réfère au
balancement du « tourbillon intelligent » : « mollement », « balancé », « l’aile »,
« intelligent », « parallèle » et dans le dernier, la répétition des « r », « f », « v », indique le
mouvement rapide, la vivacité des amoureux.
Le petit sonnet Le Vin des amants garde le même accent baudelairien – l’aimée et,
maintenant le vin, donnent cours au rêve qui sauve l’esprit de la réalité splénique

CHAPITRE V: EN GUISE DE CONCLUSION – C’EST L’ART


BAUDELAIRIEN DOUX OU AMER ?

Le développement d’un thème sur la création d’un poète tel que Charles Baudelaire
implique le parcours d’un long chemin à milles carrefours, puisque la complexité de sa
personnalité travestie dans l’œuvre se due aux multiples mémoires de sa vie et surtout aux
leur correspondance dans l’esprit du poète, esprit plein d’imagination, de désirs, de
secrètes.
En passant sur un des « sentiers », j’ai compris que les autres, c'est-à-dire la
société, par la vie qu’elle nous offre, nous détermine à adopter une telle ou telle attitude.
Ainsi, la vie politique, les événements révolutionnaires, la transformation du rural en
urbain influencent le monde artistique et en spécial, la littérature, cette porte-parole du
peuple.
La parution de plusieurs courants et les contradictions d’entre eux soulignent la
déroute des hommes, le chaos général.
Baudelaire même réagit durant les années révolutionnaires par des poèmes de
révolte, des limbes et réagit aussi contre l’urbanisation – il déteste la ville, les murs gris et
les toits noirs qui composent la vue, l’importance et l’influence de l’état social sur la
création est, donc, incontestable.
Passant de la société à son essence – l’homme, ici, le poète – on découvre les

75
étapes de l’épanouissement d’une création singulière, douée des profonds symboles et
toujours prise en discutions, donc vivante.
Après les paroles de Jules Vallès, retrouvées dans le recueil de Cosma Doru –
Scriitori in fata justitiei. De la Dante la Zola – « Baudelaire n’était guère un poète par la
volonté du ciel et il s’avait probablement beaucoup efforcé pour en devenir », ce qui invite
a une plus grande appréciation. La forme finale du controversé recueil des Fleurs de Mal
prend contour à travers plusieurs étapes, exposées dans le troisième chapitre de mon
papier. Le poète se confronte avec la pauvreté, la maladie, avec une solitude et une
insatisfaction de soi qui l’empêchent de créer régulièrement et, le plus important, il lutte
avec le malentendu des critiques, matérialisé en le procès de 1857-1861.
En étudiant l’arrangement des pièces dans le recueil, leur regroupement, on
découvre son « architecture secrète », fondée, particulièrement, sur la moralité des poèmes
et sur l’unité du volume. Celui-ci a été conçu comme une descente aux enfers, provoqué
par la faillite de l’amour et de l’idéal et par divers vices autodestructeurs et contient
plusieurs sections : cinq – dans la première édition – et six – dans la seconde : Spleen et
Idéal, Fleurs du Mal, Révolte, Le Vin, La Mort et Tableaux Parisiens – ajoutée en 1861.
Le niveau suivant dans l’approfondissement de l’œuvre baudelairienne est la
demande de « l’attaque » des « fleurs » et l’acceptation d’être témoin à la transformation
douloureuse de la laideur en beauté. On a choisi quelques pièces représentables pour
chaque thème et on a essayée d’identifier leur palette symbolique, la diversité des
sensations qui s’y combinent et les oppositions – si baudelairiennes ! – les représentantes
du thème général de la lutte entre Bien et Mal.
Dans L’Albatros on découvre l’immense différence qui existe entre les hommes
communs et ceux du génie, les premiers faisant partie d’une foule stérile spirituellement,
tel que le génie est supérieur, mais incompris. Néanmoins, le grand paradoxe de ce poème
est l’impuissance du poète d’atteindre l’idéal précisément à la cause de ses ailes, devenues,
sur le sol, des freines.
Puisque le poète ne peut pas créer sans une muse, la femme – reconnue par son
parfum, par son allure de statue ou par son pas balancé – est présente à travers toute œuvre
baudelairienne. Loin d’être une tentation érotique, elle est plutôt un passage vers les
paradis rêvés, un point de départ, comme dans le sonnet Parfum exotique. Cette poésie

76
impressionne par l’exceptionnelle synesthésie – on s’imagine l’ile paradisiaque seulement
en « goutant » et « odorant » le texte – et par l’énorme toile des symboles.
D’autre coté, A une passante inscrit la femme dans le cadre sauvage, fol de la ville
comme le ciel inscrit un soleil dans la nuit. Elle est l’évasion de l’artiste du monde
grossier, bruyant, insupportable.
Un autre sujet traitée est celui de la mort, cette force libératrice, qui revive et
renouvelle l’amour, en le projetant dans l’infini. La mort des amants en décrit utilisant
beaucoup de procédés phoniques, qui allongent les vers et bercent l’esprit.
Au contrepoint se situe le poème Une Charogne, morbide image du corps atteint
par l’aile de la mort. Cette pièce est la parfaite illustration de l’esthétique baudelairienne,
est sa « recette » pour la création d’une fleur du mal.
Sur la palette des thèmes on découvre ensuit la mélancolie, le mal de vivre, ce
Spleen qui provoque la mort spirituelle. Dans Spleen IV, la cause du désespoir est la nature
qui, par la pluie, enlaidie de plus la ville au murs et plafond appropriés à une prison. A
travers les images, le poète établi une correspondance entre l’extérieur et l’intérieur de
l’artiste, entre concret – la ville sous la pluie – et spirituel – les pensées du génie sensible.
En fin, Baudelaire nous introduit dans le monde des paradis artificiels, dont il aime
le plus le vin. Cette boisson rouge comme la passion des amants ou comme les feux de
l’enfer, nous mène « à cheval » dans le paradis rêvé.
L’œuvre de Charles Baudelaire est complexe, elle atteint toutes les sphères de la
vie et les décrit sincèrement, d’où le choc des ignorants qui ont réagit frénétiquement
contre la publication du recueil. Gustave Bourdin dénonce – dans un article en Figaro, en
1875 – que « l’odieux s’avoisine avec le bas, le répugnant joint l’infecté … jamais on n’a
assisté á une telle parade de démons. Ce livre est une épitaphe ouverte pour toutes les
folies de l’esprit, pour tous les pourris du cœur… ».79
Tout au contraire, Paul Valery – et plusieurs d’autres – éloge le petit volume des
Fleurs du Mal qui « balance dans l’estime des lettrés les œuvres les plus illustres et les plus
vastes. »80
Néanmoins, ce qui est à admirer est le vif intérêt des lecteurs face a Charles

79
Ibidem, p. 191
80
Ibidem, p. 192

77
Baudelaire et son œuvre, indifférent de leur opinion – admirative ou non – sur le sujet.
Et, pour répondre, moi aussi, à la question du titre, personnellement, après avoir
réalisée ce mémoire – baudelairien lui-même, car le travail frénétique, fatiguant, s’est
métamorphosée en une fleur qui présente la beauté et la sensibilité de sa création – les
poèmes de Charles Baudelaire me se dévoilent comme la pâte pour un gâteau : les
ingrédients mélangés ont une couleur sèche, une odeur pas séduisante et elle se colle des
doigts…mais le résultat ! Un petit bijou parfumé, doré, et parfaitement sucré.

BIBLIOGRAPHIE

• Œuvres littéraires de Charles Baudelaire


- Baudelaire, Charles, Les Fleurs du Mal, Florile Raului, editie bilingva
alcatuita de Geo Dumitrescu, Ed. Pentru Literatura Universala, Bucuresti,
1967

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

• Editions critiques de la vie et de l’œuvre de Charles Baudelaire


- Adam, A., Les Fleurs du Mal, Ed. Classiques Garnier, Paris 1961
- Carlier, Marie; Dubosclard, Joel, Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris par
Baudelaire, Coll. « Profil Littérature », Série « 20 poèmes expliquées », Ed.
Hatier, Paris, 1992
- Cosma, Doru, Scriitori in fata justitiei. De la Dante la Zola, cap. Charles
Baudelaire si Florile raului pe banca acuzatilor, Ed. Alfa, Bucuresti, 1996
- Crepet, Jaques, Oeuvres complètes de Baudelaire, Paris, Conrad, 1947-1956
- Dantec, Le, Y.-G., Œuvres complètes, Ed. Révisée par Claude Pichois, Paris,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961
- Decaunes, Luc, Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris, 1976
- Décote, Georges, Le commentaire du texte au baccalauréat, Coll. « Profil
Formation », Hatier, Paris, 1978

78
- Huyghe, René et coll., Baudelaire, Coll. « Génies et Réalités », Ed. Hachette,
Paris, 1961
- Jackson, John E., Baudelaire, Ed. Librairie Générale Française, Paris, 2001
- Landes, Agnès, Viegnes, Michel, Petits poèmes en prose par Charles
Baudelaire, Coll. « Profil d’une œuvre », Ed. Hatier, Paris, 2000
- Lévy, Bernard-Henri, Les derniers jours de Charles Baudelaire, Ed. Grasset
et Frasquelle, Paris, 1952
- Mourot, Jean, Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Coll. « Phares », Presses
Universitaires de Nancy, 1989
- Pia, Pascal, Baudelaire, par lui-même, Coll. « Ecrivains de toujours », Paris,
1952
- Raymond, Marcel, De la Baudelaire la suprarealism, colectia « Studii », Ed.
Univers, Bucuresti, 1998
- Ruff, Marcel-A., Baudelaire. L’homme et l’œuvre, Paris, Hatier Boivin, 1955
- Sartre, Jean-Paul, Baudelaire, Coll. « Folio/Essais », Ed. Gallimard, 1975
- Tomas, Cristina, Baudelaire si poezia romaneasca moderna. Studiu
comparativ, Ed. Ex Ponto, Constanta, 1999

• Anthologies littéraires
- Barberes, Dominique, Rince, Dominique, Anthologie de la littérature
française de 1795 à nos jours sous la direction d’Henri Mitterrand, Ed.
Nathan, Paris, 1992
- Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, Littérature, textes et documents
– le XXeme siècle, Coll. « Henri Mitterrand », Ed. Nathan, Paris, 1986
- Clancier, Georges Emmanuel, Panorama de la poésie française de Chénier à
Baudelaire, chap. Un vrai Dieu : Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris,
1970
- Hollier, Denis, De la littérature française, Ed. Bordas, Paris, 1993

79
• Revues
- Burbon Busset, Jaques de, Baudelaire et son rayonnement dans Revue de la
Table Ronde, no 232, Ed. S.E.P.A.L., Paris, mai 1967
- Rolland, Romain et coll., dans Europe, revue littéraire mensuelle, no 760-761,
Charles Baudelaire, Paris, 1992

ANNEXES

80
Charles Baudelaire parmi ses Fleurs du Mal, par Nadar

81
La couverture de la première édition des Fleurs du Mal, 1857

82
Portrait de Jeanne Duval, par Baudelaire (1865)

83
Marie Daubrun, la muse aux « traîtres yeux »

84
Apollonie Sabatier, peinture d’Ernest Meissonnier

Auguste Clésinger, 1846 :


buste de Madame Sabatier

85
La couverture des Fleurs du Mal, corrigée par Charles Baudelaire

86
Le Cénotaphe de Charles Baudelaire, Cimetière de Montparnasse

87
Baudelaire, autoportrait vers 1863

88

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