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Le chemin de la dignité
Préface de Salah Hamzaoui
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Le chemin de la dignité
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Pour Hamma
1. L'essentiel de ce texte a fait l'objet d'une intervention dans le cadre d'une journée
de solidarité avec Hamma Hammami et ses camarades, organisée à Paris le 28 février
2001 par un collectif d'associations, dont le Comité pour le respect des libertés et des
droits de l'Homme en Tunisie, la FIDH, Reporters sans frontières, La Ligue des droits
de l'Homme, le Comité de soutien aux luttes civiques et politiques en Tunisie,
Hourriya/Liberté et le Groupe de travail sur la Tunisie.
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Le chemin de la dignité
2. Béchir Abid, arrêté entre temps a été relâché. Pendant la durée de sa détention à la
prison civile de Tunis, il a fait une grève de la faim de cinquante et un jours, puis une
deuxième qui dura vingt et un jours, suite à laquelle il a été libéré. Le Comité national
qui s'est constitué sous la présidence du professeur Jalloul Azzouna, pour le défendre,
entend continuer son action jusqu'à ce que Béchir Abid recouvre l'ensemble de ses
droits civiques et politiques.
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Pour Hamma
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Pour Hamma
pleur des luttes menées en Tunisie pour ces valeurs, et celles poursui-
vies en dehors d'elle par les associations humanitaires dirigées par des
Tunisiens. Il reste, cependant, que ces luttes doivent être d'avantage
unifiées sur une base rationnelle et articulées à une vision d'ensemble
qui s'attaque directement à l'institution étatique, en tant qu'institution
productrice de répression et aux luttes sociales.
Le combat que mène le Comité de soutien à Hamma Hammami n'est
pas facile. Les grèves de la faim, organisées par le Comité à Tunis et
dans les régions, auxquelles participèrent des militants des droits de
l'Homme ; celle, exemplaire, de sa fille, Nadia et de Najoua Rezgui,
épouse d'un des camarades de Hamma, Abdeljabbar Maddouri, ont
révélé le caractère fondamentalement insensible à l'humain d'un pou-
voir de caractère absolu. Notre combat, s'est révélé, cette année, plus
difficile. Vous savez peut-être tous, qu'ayant appris qu'une réunion des
membres de notre Comité allait avoir lieu, des forces de police sans
commune mesure avec le fait en soi de la réunion, sont venues occu-
per la rue où elle devait avoir lieu. Je puis, à ce propos, témoigner de
la brutalité de la police face aux militants qui sont venus, nombreux,
assister à cette réunion. Les jours suivants, la police est venue empê-
cher quiconque d'entrer dans la maison où le Comité a l'habitude de
se réunir. Mais ceci ne nous empêchera pas de continuer à militer pour
le rétablissement de Hamma Hammami et de ses amis dans leurs
droits. Le Comité international pour la défense de Hamma et de ses
camarades qui vient d'être constitué est en parfaite continuité avec une
tradition de solidarité qui vit, jadis, se constituer un comité du même
type qu'animaient des intellectuels, dont Sartre, pour la libération d'un
autre intellectuel, Nazim Hikmet, fondateur du Parti communiste turc.
Le 2 février 2002, une scène dont la mémoire collective conservera
le souvenir s'est déroulée devant le Tribunal de Tunis : Hamma
Hammami, Samir Taâmallah, Abdeljabbar Maddouri se sont présentés
pour faire opposition contre les jugements prononcés contre eux par
contumace. Ils étaient accompagnés de leur camarade, Ammar
Amroussia, condamné en 1997 à deux ans et quatre mois de prison, et
qui vivait, lui aussi, dans la clandestinité. Malgré le déploiement poli-
cier impressionnant, des centaines de militants et de citoyens sont
venus exprimer leur solidarité avec Hamma et ses camarades, recher-
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Le chemin de la dignité
chés par la police depuis des années. Un acte de défi inédit dans les
annales de la vie politique tunisienne3.
Salah Hamzaoui
Président du Comité national de soutien
à Hamma Hammami et ses camarades
3. Après que Hamma et ses camarades ont annoncé leur intention de quitter la vie
clandestine, les domiciles de personnes suspectées de complicité avec eux ont été visi-
tés par la police. La maison du Président du Comité était continuellement surveillée
par la police, qui a stationné devant la porte, du 22 janvier au 2 février, empêchant qui-
conque d'y accéder. Seuls son épouse, son fils et lui-même avaient le privilège d'ent-
rer et de sortir. Mais ceci n'a pas empêché des dizaines de militants de leur rendre visi-
te marquant ainsi leur solidarité avec le combat mené par le Comité. La police est allée
jusqu'à interdire l'accès à la rue dans laquelle se trouve cette maison qui sert en même
temps de local pour le Comité. Et pour prendre la mesure du ridicule dans lequel les
autorités n'ont pas hésité à tomber, on prétexta pour fermer la rue à la circulation à une
heure de pointe, le premier jour un accident de la circulation, et le deuxième des tra-
vaux, en laissant un engin des travaux publics sur le pont qui donne accès à la rue blo-
quée. La veille du procès, plusieurs dizaines de journalistes étrangers et des militants
tunisiens et étrangers sont venus exprimer leur solidarité avec le Président du Comité
maintenu dans une forme particulière de résidence surveillée. La police n'hésita pas à
les malmener, osant arracher des mains de certains journalistes leurs caméras. Le len-
demain, on se rendit compte que cette scène était, en réalité, une sorte de répétition
générale et un message. Mais rien n'allait empêcher ces militants de venir le lendemain
devant le Tribunal exprimer leur solidarité avec les militants du PCOT et dire non à la
dictature absolue. Le pouvoir hésita un moment à réprimer la foule qui avait envahi la
salle d'audience, mais il ne put contenir trop longtemps sa nature, comme l'a prouvé la
brutalité avec laquelle les forces de l'ordre ont enlevé les détenus au sein même de la
salle d'audience.
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Première partie
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mé dans une cellule où il n'y avait rien : ni lit, ni eau, ni toilettes. J'ai
passé la nuit assis sur le sol. Des agents venaient m'inspecter et par la
même occasion me couvrir d'injures, me donner des coups de poing,
des coups de pied et me promettre "un séjour mémorable". Le lende-
main matin, les interrogatoires ont débuté. Les policiers, Hassan Abid,
Moncef ben Gbila, Mohsen ben Abdelssalem, Mohamed Rezgui et
Mohamed Ben Henda, voulaient me faire avouer que j'avais participé
à un "complot communiste-baâthiste-sioniste". Et c'était à moi de leur
donner les "détails" de ce fameux complot. Ayant trouvé dans ma
chambre à la cité universitaire les écrits de Che Guevara et la compo-
sition du cocktail molotov écrite sur un papier, il n'y avait pas de doute
pour eux que je représentais "le chef de l'aile militaire des complo-
teurs".
Pendant cinq jours, du 9 au 14 février 1972, j'ai été quotidiennement
torturé pendant de longues heures. Alors que j'étais totalement désha-
billé, Mohamed Rezgui, Mohamed Ben Henda et un troisième agent
qui a participé à mon arrestation m'enchaînaient les deux mains au
niveau du poignet avec une corde, me passaient les deux genoux entre
les deux bras puis passaient un gros bâton sous le creux de mes genoux
et sur mes bras au niveau des coudes et me plaçaient entre deux tables.
C'est la position du "poulet rôti". L'un des trois tortionnaires se plaçait
derrière ma tête et prenait le bout de la corde qui enchaînait mes deux
mains et me faisait balancer entre les deux tables pendant quelques
minutes pour provoquer des vertiges. Puis Mohamed Rezgui me tabas-
sait sur les plantes des pieds, les fesses, le dos, bref, sur tout le corps
en utilisant un bâton, un tuyau ou un nerf de bœuf. Le tabassage était
généralement accompagné de crachats sur la figure, de coups sur la
tête, d'arrachements de cheveux, de versement d'eau dans la bouche et
dans les narines, d'insultes, de menaces de viol et de mort. Alors que
j'étais dans cet état, Moncef Ben Gbila, qui dirigeait l'interrogatoire,
me posait des questions ou plutôt voulait me forcer à reconnaître que
j'avais comploté contre la sécurité de l'Etat en connivence avec des
"forces étrangères" ! De temps en temps, on me détachait et on me for-
çait à marcher. On me tabassait sur le dos avec un tuyau ou une crava-
che pour me faire bouger. En même temps, l'un des tortionnaires ver-
sait de l'eau froide sur mes pieds. On disait que cela remettait les pieds
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d'eux s'est éclipsé pendant une minute puis est revenu avec un grand
sac. Il a vidé son contenu sur une table : des bâtons, des tuyaux, des
nerfs de bœuf, des matraques, des fils et des tas d'autres "trucs"
échouèrent sur la table. L'agent me dit : "Voilà, on te donne, monsieur
le démocrate, la liberté de choisir le truc avec lequel on va te baiser. Ici
aussi, nous sommes des démocrates". Ses collègues ont éclaté de rire.
Stupéfait, je n'ai pu répondre. Il me dit de nouveau : "Apparemment,
tu as l'embarras du choix, on va te les faire goûter tous, par esprit de
justice, comme ça tu ne nous en voudras pas". Deux ou trois agents se
jetèrent sur moi, me déshabillèrent et me mirent en position du "pou-
let rôti". J'ai tout de suite compris ou plutôt réalisé le seul domaine où
une dictature fasciste peut accorder à ses "sujets" la liberté de choisir.
"Choisis le truc avec lequel on va te baiser" : cette phrase résonne jus-
qu'à maintenant dans ma tête. Souvent en me la rappelant, j'éclate de
rire : je n'arrive pas à distinguer le côté "comédie" du côté "drame" de
cette scène. Moi-même, lorsque le tortionnaire m'avait adressé ces
paroles, j'étais déchiré entre éclater de rire ou en sanglots.`
Devant mon refus de reconnaître ce que mes tortionnaires voulaient
m'imposer, j'ai été transféré, le 14 février 1972 au soir, dans une ferme
secrète située dans la localité de Nâasan, à douze kilomètres de Tunis
(sur la route du centre d'eau thermale de Jebel Oust). Cette ferme ser-
vait de centre de torture et de détention au secret à la police politique
tunisienne. On m'a attaché les deux mains derrière le dos par une corde
et on m'a mis la tête dans un sac qui sert habituellement à mettre du blé
pour que je ne puisse rien voir. Avant de me pousser à l'intérieur du
fourgon cellulaire qui allait me transporter, Hédi Kacem, l'un des tor-
tionnaires les plus redoutés de l'époque, me dit : "Monte fils de putain
! Ta mère ne te reverra plus !". J'ai sérieusement pensé qu'ils allaient se
débarrasser de moi. Le cauchemar que je vivais depuis mon arrestation
ne pouvait que renforcer un tel sentiment. Pour moi, ils étaient capa-
bles de tout. La route a duré plus d'une demi-heure. C'était la nuit et en
plus ma tête était couverte, je ne distinguais rien. A un moment, le
fourgon cellulaire s'arrêta. La porte de derrière s'ouvrit et deux agents
me prirent par les bras, me descendirent et me transférèrent dans une
petite voiture. Après quelques minutes, nous arrivâmes à la ferme. Le
sac ne m'a été enlevé qu'une fois conduit dans un des sous-sols de cette
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4. Les familles ont à charge de nourrir les prisonniers en leur apportant un "couffin"
régulièrement, vu l'insuffisance et la très mauvaise qualité de la nourriture qui leur est
servie.
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j'ai été ramené aux locaux de la DST pour une confrontation avec un
militant de l'UGET qui a avoué que nous étions "tous les deux chargés
du contact avec le mouvement lycéen pour élargir la contestation".
Cette fois-ci, je n'ai pas été torturé. J'ai seulement passé deux ou trois
heures dans les locaux du ministère de l'Intérieur et reconduit à la pri-
son.
Le 18 mars 1972, des agents de la DST sont venus me chercher. Ils
m'ont emmené devant le juge d'instruction, Othman Oueslati. Il m'a
demandé mon identité, la date et le lieu de ma naissance, ma profes-
sion et mon adresse et il a dicté quelques phrases à son greffier signi-
fiant que le dossier était classé et que j'allais, par conséquent, être
remis en liberté. Il ne m'a pas interrogé. Il ne m'a même pas posé une
seule des questions pour lesquelles la police politique m'avait sauva-
gement torturé. Tout paraissait absurde. Je n'arrivais pas à réaliser ce
qui se passait, n'ayant aucune expérience politique. Personne dans le
mouvement étudiant ne m'avait parlé de son expérience avec la police
politique ou en prison. En ce moment absurde, il m'est apparu qu'il n'y
a pas plus facile que de jouer avec le destin d'un être humain.
Avant de me libérer, les agents de la DST m'ont emmené au minis-
tère de l'Intérieur. Là, j'ai trouvé certains de mes camarades. On se
croyait tous sortis de l'enfer. Chacun a raconté ce qui lui était arrivé, et
surtout les anecdotes. Dans cette ambiance chaleureuse, nous avons
très vite oublié nos douleurs et la torture dont les séquelles étaient
encore visibles sur nos corps. En fin d'après-midi, la porte de la geôle
s'est ouverte et nous étions libérés. En sortant, j'ai su que le pouvoir
avait été contraint, sous la pression à l'intérieur et à l'extérieur du pays,
de libérer tous les détenus et de classer l'affaire. Seuls des militants
appartenant à des organisations marxistes et nationalistes arabes clan-
destines ont été gardés. Leur libération a été ajournée de quelques
semaines.
Au mois d'avril 1972, l'université a ré-ouvert ses portes. Bourguiba
a cédé à la pression de l'opinion publique. Ainsi, la vie estudiantine a
repris son cours. Le mouvement de février 1972 est resté l'un des
moments les plus forts de l'histoire du mouvement de la jeunesse tuni-
sienne. Il a scellé la rupture entre cette jeunesse et le régime de
Bourguiba. Chaque année, les étudiants le fêtent. Ce mouvement a eu
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sur ma propre vie de très grandes répercussions. En effet, elle n'a pas
repris son cours normal après ma libération. De fait, j'ai commencé une
nouvelle vie. Mes "deux vies", celle d'avant mon arrestation, et celle
d'après, ont été séparées. Profondément séparées. C'est la police poli-
tique ou plutôt la dictature de Bourguiba qui a tissé volontairement, ou
involontairement, cette séparation.
Sur le plan physique, je n'étais plus le même. Désormais, je portais
des traces immuables sur mon corps. Juste avant mon arrestation, j'a-
vais commencé à m'entraîner avec l'équipe nationale d'athlétisme.
Quelques mois auparavant, j'avais pulvérisé avec mes trois coéquipiers
le record universitaire et scolaire des 4 x 100 mètres. Je pratiquais mon
sport préféré dans l'un des clubs les plus prestigieux de la capitale.
Après mon arrestation, je ne pouvais plus reprendre ma vie sportive.
Un coup reçu sur la nuque - asséné par le parapluie de Fredj Gsouma,
un commissaire de la DST - a provoqué une certaine faiblesse au
niveau de toute la partie gauche de mon corps avec des douleurs chro-
niques. Ma jambe gauche ne pouvait plus me servir d'appui comme
avant, ni en saut en longueur, ni en course de vitesse.
Sur le plan mental, les rêves du fils de paysan pauvre qui voulait
réussir dans sa vie professionnelle, sortir sa famille de la misère, la
rehausser dans le village et la rendre fière du fils pour lequel elle a tout
sacrifié, ces rêves ont été enterrés au ministère de l'Intérieur, à la ferme
secrète de Nâasan et à la cellule 14 du pavillon E.
En effet, ma vie a pris un autre sens, au sens concret et au sens figu-
ré. Celui du combat contre l'injustice et l'arbitraire qui n’étaient plus
pour moi des notions abstraites, mais des réalités concrètes dont mon
corps, mon psychisme et ma conscience portaient les stigmates.
Acquérir plus de savoir et de connaissances, n'était pas une fin en soi,
mais aussi, et surtout, me permettait de comprendre profondément la
société dans laquelle je vivais, les causes de l'injustice et de l'arbitrai-
re qui caractérisaient le système politique, les intérêts qu'ils servaient,
les moyens pour lui faire face. Je devais en outre chercher les gens,
hommes et femmes, qui portaient les mêmes aspirations que moi pour
joindre mes efforts aux leurs afin de changer la situation. Je n'avais
plus peur d'être de nouveau arrêté, torturé ou emprisonné. Lors de mon
séjour à la police politique, j'ai manifesté, surtout au début, certains
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2. Nouvelle arrestation en 1974
Après presque deux ans et huit mois de "liberté", je me suis retro-
uvé de nouveau entre les mains de la police politique. Je dois rappeler
qu'après ma libération en mars 1972, j'ai repris l'université et mes acti-
vités syndicales. Je me suis aussi engagé dans un mouvement de gau-
che, clandestin comme tous les autres mouvements politiques à l'é-
poque. Aucun parti, aucune association indépendante n'étaient recon-
nus. Ainsi j'étais l'objet d'incessantes tracasseries policières : sur-
veillance, filature, interrogatoires aux locaux de la DST, expulsion de
la cité universitaire etc. Au mois d'octobre 1973, la police tenta de
m'arrêter pour m'enrôler, avec beaucoup d'autres syndicalistes dans
l'armée. J'ai pu m'échapper mais j'étais obligé de vivre en semi-clan-
destinité. J'allais rarement à la Faculté et je n'apparaissais pas dans les
lieux publics. Cependant l'étau s'est resserré autour de moi à partir de
décembre1973. Une large campagne répressive s'est abattue sur l'orga-
nisation marxiste El-aâmel Et-tounsi, à laquelle j'appartenais. Des
dizaines d'hommes et de femmes ont été arrêtés. Mon nom a été cité.
La traque policière s'est activée. J'ai plongé dans une clandestinité tota-
le. Au cours de l'été 1974, la Cour de sûreté m'a condamné à deux ans
de prison ferme par contumace pour "appartenance à une association
non reconnue". D'autres camarades, qui vivaient avec moi dans la clan-
destinité, ont été condamnés également.
Le 28 septembre 1974, en fin de journée, alors que je traversais une
rue dans la région du Bardo (banlieue ouest de Tunis) accompagné
d'une militante qui avait été arrêtée en décembre 1973, relâchée après
quelques jours et enfin acquittée par la Cour de sûreté de l'Etat, Hassan
Abid, le haut fonctionnaire et le tortionnaire en chef de la DST, qui
passait en voiture nous aperçut et fit demi-tour pour se diriger vers
nous. J'ai alerté la fille qui m'accompagnait et pris la fuite. Hassan
Abid me poursuivit avec sa voiture et devant mon refus de me rendre
à lui, il fonça sur moi dans l'intention de m'écraser. Suite à une mau-
vaise manœuvre, il buta contre un arbre. Des policiers en tenue qui ren-
traient au poste de police non loin du coin, ont suivi la scène et, aidés
par un militaire de passage sur une motocyclette, m'ont attrapé et
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arrêté.
Une heure plus tard, je me suis retrouvé dans locaux de la DST, au
ministère de l'Intérieur. C'était le ramadan et les responsables de la bri-
gade étaient déjà rentrés chez eux. Hassan Abid me confia aux agents
qui effectuaient la permanence. Ils m'ont enchaîné dans une cellule.
Après la rupture du jeûne, tout le monde était là : Hédi Fessi, le nou-
veau patron de la DST, Hassan Abid, Mohamed Naceur qui faisait ses
débuts dans la police politique, Mongi Amara, tortionnaire de renom,
Romdhane "boukabbous" le vieux de la DST, Mohamed Rezgui qui
m'avait torturé en 1972 et d'autres agents que je ne connaissais pas.
Hassan Abid, après leur avoir raconté comment je lui avais causé un
accident qui aurait pu lui coûter la vie, commença l'interrogatoire. Ses
questions étaient claires et précises : l'adresse de ma planque, les noms
des membres de la Direction du "groupe", les noms de tous les mili-
tants que je connaissais, le lieu où on éditait le journal clandestin et les
tracts, l'origine des faux papiers (une carte d'étudiant et une carte de
travail) que la police avait trouvé sur moi au moment de mon arresta-
tion. Je lui ai répondu tout bonnement que je ne savais pas de quoi il
parlait car je n'étais qu'un "simple étudiant apolitique". Et pour expli-
quer le fait que je ne sois pas rentré chez mes parents pendant les
vacances d'été, je lui ai dit que "je vivais de grands problèmes psycho-
logiques, ce qui me poussait à la solitude". Très "touchés", Abid et ses
sbires m'ont promis un séjour chez eux qui me permettrait "avec l'aide
de dieu" de dépasser tous mes problèmes psychologiques. Hassan Abid
insista pour que je lui dise où j'avais pris congé des gens. J'ai inventé
une histoire dont l'essentiel se résume au fait que je n'avais aucune
adresse. Ecœuré, Hassan Abid m'a fait savoir que lui et ses collègues
s'étaient bien amusés en écoutant les "anecdotes" que je leur avais
racontées et qu'il était temps de passer aux choses sérieuses, me
demandant de répondre aux questions qu'il m'avait posées au début de
l'interrogatoire. Je lui ai expliqué que je n'avais rien à ajouter à ce que
j'avais déjà dit. Il se jeta sur moi, me roua de coups, me couvrit d'inju-
res et sous les regards de son chef, Hédi Fessi, il ordonna à ses sbires
de m'emmener à la "salle d'opérations".
La salle d'opérations était un simple bureau situé au troisième étage
où il y avait deux ou trois tables et une armoire contenant différents
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instruments de torture : des gourdins, des fils et des cordes, des tuyaux,
vêtements (utilisés comme baillons) etc. Mongi Amara et deux autres
agents dont j'ignorais les noms me déshabillèrent de force. En quelques
minutes, ils m'ont mis en position du "poulet rôti". J'étais tout nu. Cette
première séance de torture dura de 19h30 jusqu'à l'aube. Ils m'ont lais-
sé pour aller prendre le repas du souhour. Mongi Amara, un tortion-
naire, ou plutôt une véritable machine à torturer, s'est "occupé" de moi.
Tantôt avec un bâton, tantôt avec un tuyau, il me battait sur les plantes
des pieds avec une cruauté inouïe. Ses coups s'étalaient aussi sur tout
mon corps. De temps en temps, on me faisait descendre et on m'obli-
geait à marcher en versant de l'eau froide sur mes pieds. Puis la tortu-
re reprenait. A part les coups sur tout mon corps, Mongi Amara me brû-
lait avec des mégots de cigarettes sur les parties sensibles, il a même
éteint sa cigarette dans mon anus, le transformant en cendrier. Pour
m'empêcher de me concentrer, il m'arrachait les cheveux, me donnait
des coups sur la tête. A l'aide d'un nerf de bœuf, il me frappait sur le
pénis. Il essayait de faire entrer le bâton par l'anus etc. De temps en
temps, Hassan Abid passait en compagnie de Mohamed Ennacer ou
Romdhane pour voir où en étaient les choses. Mongi Amara leur signi-
fiait que je refusais encore de parler. Ils lui ordonnaient de continuer
en me couvrant d'injures. A plusieurs reprises j'ai failli perdre cons-
cience. Mais j'essayais par tous les moyens d'"être là" et de me maîtri-
ser autant que possible, convaincu qu'il est totalement dégradant, bien
qu'humain et compréhensible, de crier, de se lamenter ou de supplier
son tortionnaire pour qu'il soit "clément". J'ai gardé un silence absolu.
Je ne faisais aucun geste susceptible d'exprimer une certaine peur ou
une souffrance. J'avais présent dans la tête le conseil que m'avait donné
un de mes camarades qui symbolisait la résistance en ce temps-là,
Ahmed Othmani, actuellement président de Penal Reform
International (PRI). Il me disait : "le tortionnaire trouve sa jouissance
et son bonheur dans les cris, les lamentations et les supplications de sa
victime. Ce comportement valorise son métier, lui fait sentir qu'il est
utile. Pour le priver de ce 'bonheur', et lui faire sentir qu'il est méprisa-
ble, ne crie pas, ne te lamente pas, ne le supplie pas. Il se sentira
impuissant et méprisable devant toi". Ainsi j'ai gardé un silence et un
calme absolus.
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il valait mieux que tout soit réglé tout de suite. Ou bien ils me tuaient
ou bien ils désespéraient définitivement d'avoir des aveux, et comme
ça j'aurai la paix.
Après que la propriétaire de la maison de Oued Gueriana m'a recon-
nu, Hédi Fessi et Hassan Abid me "conseillèrent" de passer aux aveux
"si je voulais encore que ma mère continue à prononcer mon nom"
(une manière de dire : si je voulais rester en vie). J'ai gardé le silence.
Après quelques tentatives pour me persuader de parler, Hassan Abid
donna l'ordre à ses sbires de "m'écraser". Trois au quatre des agents
présents dont Mongi Amara se jetèrent sur moi, me renversèrent par
terre et se mirent à me rouer de coups sur tout le corps. Je recevais des
coups de tous les côtés, sur la tête, le visage, le ventre, les testicules, le
dos. Ils me cognèrent la tête sur le sol, marchèrent sur mon corps, m'é-
crasèrent les pieds. Ils utilisaient leurs mains, leurs pieds, des
matraques et des tuyaux. Lorsque Hassan Abid leur demanda de ces-
ser, j'étais presque inconscient. Ils me remirent sur la chaise face à
leurs chefs. Hassan Abid me posa les mêmes questions que Hédi Fessi
m'avait déjà posées. Je suis resté muet. Abid vint vers moi, me gifla et
m'ordonna de répondre en faisant un signe de la tête. Il me cita les
noms de militants "clandestins" espérant que j'allais faire un signe pour
dire oui ou non, tel et tel était ou n'était pas avec moi dans la même
planque. J'ai refusé d'obtempérer. Il me gifla encore et m'envoya des
coups de poings dans la figure. Puis il me tint par les cheveux et répé-
ta les mêmes noms en faisant bouger ma tête en avant ou à gauche et
à droite, pour savoir quelle réponse je voulais avancer. Je lui résistai
pour l'empêcher de faire bouger ma tête. Il me renversa par terre, m'é-
crasa avec les pieds et ordonna à ses sbires : "tuez-le… Il ne mérite pas
de rester en vie". De nouveau ils se jetèrent sur moi, me rouant de
coups sur tout le corps. Je perdis connaissance.
Lorsque j'ai repris connaissance, tard dans la nuit, je me suis retro-
uvé par terre dans ma cellule. Je me suis senti mouillé d'eau, j'avais du
sang partout. Des douleurs terribles me secouaient la tête, je n'arrivais
pas à la relever. J'étais incapable aussi de m'appuyer sur le coude. Je
suis resté allongé, m'efforçant de me rappeler ce qui s'était exactement
passé. Ma mémoire ne fonctionnait plus. Devant moi, j'ai vu deux tor-
tionnaires. Ils sont partis lorsqu'ils ont remarqué que j'étais "réveillé".
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Trente ans de lutte. 1972-2002 Nouvelle arrestation en 1974
Seul un policier en tenue est resté de garde. Il s'est avéré qu'il était de
ma région. Il était très ému. Il m'a confié qu'il ne croyait pas que j'al-
lais survivre. Il m'a appris que Mongi Amara m'avait traîné du premier
au deuxième étage par les cheveux et qu'il m'avait jeté dans ma cellu-
le alors que j'étais totalement inconscient. Puis un autre agent avait
versé de l'eau froide sur moi. De temps en temps deux agents de la
DST venaient voir si j'avais repris conscience ou non. Le policier en
tenue me racontait ça avec les larmes aux yeux. A la fin il a pris sa cas-
quette, l'a jeté par terre et l'a foulé aux pieds en signe de mécontente-
ment. Il a maudit celui qui lui avait conseillé de prendre ce sale boulot
! Je dois reconnaître que j'ai eu beaucoup de difficultés à suivre ce qu'il
disait. Ma tête était ailleurs. Je n'arrivais pas du tout à me concentrer
ni à me fixer sur quelque chose de précis. Parfois les paroles du poli-
cier me parvenaient comme dans un rêve ou plutôt comme si je les
avais déjà entendues auparavant. A un certain moment, je ne sais pas
comment, il m'est venu à l'esprit de mettre fin à mes jours par n'importe
quel moyen, entre autres en buvant mon urine à l'insu de mon gardien.
Sous l'effet des maux de tête terribles et de la perte de conscience, mon
esprit était totalement confus. J'ai eu peur de délirer et par conséquent
de prononcer des noms ou des lieux etc. En effet, je savais des noms,
je connaissais des adresses et des planques. Tant que j'étais conscient,
rien ne m'échapperait, mais si je délirais ? C'est comme ça que je réflé-
chissais. J'ai même pensé à mettre mon urine dans une brique de lait
vide etc. Cependant ces idées sombres se sont dissipées au fur et à
mesure que je reprenais conscience et force. J'ai commencé à me poser
des questions sur ma conduite, n'ai-je pas commencé à fléchir ? Bref,
je me suis ressaisi et j'ai chassé de mon esprit toute idée sombre. Ils me
tueraient peut-être mais moi je ne me tuerais jamais.
En réalité, mon état était lamentable. Je sentais que mon corps était
détruit. Il s'était transformé en une masse de douleur. Chaque mouve-
ment me faisait souffrir. Même allongé et immobile, chaque partie de
mon corps souffrait toute seule. Lorsque je voulais aller aux toilettes,
j'étais obligé de marcher à quatre pattes, comme une bête. Mais pas
comme n'importe quelle bête. J'avais la tête baissée car je ne pouvais
plus la porter. Elle était encore alourdie par les douleurs. Mes yeux
étaient presque fermés, car enflés par les coups reçus au visage. Je me
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Bref, j'ai répété la même tactique, j'ai refusé de répondre aux questions
de Messaoud Hadji et de Mohsen Ben Abdessalem. En fin de compte,
ils m'ont proposé de signer un PV où figurait juste mon identité et la
mention suivante : "garde le silence et refuse de faire des déclarations".
J'ai réfléchi, puis j'ai accepté. Pour la première fois depuis le 13 octo-
bre, j'ai ouvert la bouche pour dire "d'accord". Ils étaient contents. J'ai
signé le PV après l'avoir lu et relu et on m'a ramené à ma cellule.
Le 24 octobre 1974, les agents de la DST m'ont conduit au Palais de
Justice. J'ai été présenté au Juge d'instruction, Abdelaziz Hamzaoui. Ce
dernier a tenté de me convaincre que la présence d'un avocat n'était pas
nécessaire, car il s'agissait seulement de "répondre à deux ou trois peti-
tes questions". J'ai exigé la présence d'un avocat et je lui ai donné le
nom de deux avocats démocrates que je ne connaissais pas personnel-
lement, Sadok Marzouk et Mohamed Raf'i, mais j'étais sûr qu'au moins
l'un d'entre eux serait présent à la prochaine audience d'instruction dont
la date était fixée à la semaine suivante. En quittant le bureau du juge,
j'ai croisé Sadok Ben M'henna à l'entrée de la geôle du Palais de justi-
ce. Je lui ai fait un signe de tête, il m'a regardé sans émotion et sans
faire aucun geste. En prison, il m'a expliqué qu'il ne m'avait pas du tout
reconnu. Il faisait un peu sombre, mais surtout mon visage était défi-
guré, mes cheveux durcis par le sang coagulé et la crasse, mes habits
déchirés et tâchés de sang, mes souliers, je les traînais parce que j'y
mettais juste la partie avant de mes pieds enflés et ensanglantés. Je traî-
nais aussi ma jambe gauche très affaiblie, donnant l'impression d'être
un boiteux. Sadok m'a dit qu'il avait cru voir un malheureux criminel
de droit commun, il n'avait même pas essayé de me reconnaître.
Vers midi, un fourgon cellulaire m'a déposé à la prison civile de
Tunis. J'ai tout de suite été incarcéré dans la cellule 9 du pavillon E, le
pavillon disciplinaire réservé à quatre catégories de détenus : les
condamnés à mort qui occupent généralement les premières cellules
proches de la porte d'entrée (1,2,4,5,6) ; les punis ; les homosexuels ;
les détenus politiques. Les trois dernières catégories occupent le reste
des dix-huit cellules que compte le pavillon E. A l'exception de la 3 et
de la 17 (une grande cellule), le soleil n'entre dans aucune autre cellu-
le. A l'intérieur, elles sont sombres, les murs juste couverts de ciment,
pas peints. Chacune est équipée d'une toute petite fenêtre très haute
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tion, c'est le bâton, le tuyau ou la cravache qui s'abat sur votre corps,
et non un adversaire politique que vous pourriez défaire par la force de
l'argument. Par conséquent, il n'y a pas lieu de louvoyer, de placer un
"mais" ou d'user du conditionnel. C'est pour cela qu'à la DST, ma seule
arme était la haine, mon seul but, la défense de ma dignité. Ce soir du
24 octobre, dans la cellule 9, tous mes sens, tous mes sentiments ont
été libérés d'un seul coup. Cependant mon retour à l'état normal s'est
effectué par des pleurs à chaudes larmes. Les larmes coulaient de mes
yeux abondamment et sans discontinuer, j'étais incapable de les maî-
triser. En principe, j'aurais dû danser ce soir-là pour fêter la victoire de
Sadok et la mienne sur mes tortionnaires, être fier du défi que nous
avons réussi à relever face à leur barbarie. Nous avons sauvé notre
honneur de militants et d'êtres humains, et protégé nos camarades de la
répression pour qu'ils puissent continuer leurs activités. Néanmoins, je
sentais au fond de moi un sentiment d'affliction, je dirais même de
douleur qui me poussait aux larmes plus qu'à la joie. En fait, je me sou-
ciais peu de cette victoire, j'étais plutôt absorbé par la réflexion sur
mon destin d'être humain, sur le destin de tous ceux qui sont passés ou
qui passeront par le chemin que je venais de traverser.
Certes politiquement, j'étais conscient, convaincu que ce que nous
vivions représentait une étape historiquement nécessaire dans l'évolu-
tion de notre pays. La liberté, la démocratie, la justice sociale, le pro-
grès qu'incarne l'idéologie socialiste à laquelle j'avais librement adhé-
ré ne pourraient être que le fruit d'un combat. Or, dans tout combat, il
y a un prix à payer, des sacrifices à consentir. Partout dans le monde et
tout au long de l'Histoire, il n'y a pas eu de dignité qui n'ait été fondée
sur la douleur, selon l'expression de Malraux. Aucune force ténébreu-
se n'a cédé sa place à la lumière et au progrès sans avoir utilisé d'abord
toutes les armes qu'elle avait à sa disposition. C'est une loi de
l'Histoire. Aucune société n'a échappé et ne peut échapper aux effets de
cette loi. Ce n'est pas notre société qui va faire exception à cette loi.
Dans notre lutte contre la dictature de Bourguiba qui représentait les
intérêts d'une minorité d'anciens et de nouveaux riches totalement liés
au capital étranger, français et américain plus spécialement, nous
devions payer ce prix sans lequel tout changement resterait impossible.
Cependant, quand la souffrance atteint un certain degré, on s'évade
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Enfin, il a ajouté que je ne devais pas le prendre pour un con, parce que
si on m'avait torturé, j'aurais tout craché. Cette attitude m'a profondé-
ment provoqué et blessé. Je lui ai rétorqué qu'il devait chercher quel-
qu'un d'autre pour signer le PV qu'il avait entre les mains et je l'ai trai-
té de "misérable pion de la DST". Furieux, il a sauté de sa chaise en
criant : "Je vais te casser la gueule pour te montrer concrètement com-
ment je suis un pion de la police". Hamzaoui était grand, costaud et,
par-dessus le marché, Président de la Fédération tunisienne de boxe.
Maître Marzouk a été obligé de s'interposer en nous appelant à la rai-
son. Après que chacun de nous eut regagné sa chaise, il a énergique-
ment protesté contre l'attitude du juge lui rappelant qu'il était de son
devoir d'enregistrer mes déclarations sur les tortures que j'avais subies,
d'autant que les traces étaient encore apparentes, que mes habits étaient
déchirés et tachés de sang. Hamzaoui a tenté une dernière fois de me
convaincre de signer le procès verbal. J'ai refusé. Il m'a renvoyé en pri-
son. Quelques minutes plus tard, la même scène s'est répétée avec
Sadok Ben M'henna qui a rétorqué au juge qui refusait de signaler la
torture dans le PV que cette attitude ne le surprenait pas de la part d'un
auxiliaire de la police politique.
Quelques jours plus tard, les agents de la DST sont venus de nou-
veau me chercher. Ils m'ont emmené au bureau de Hamzaoui pour
m'interroger sur les faux papiers que la police prétendait avoir trouvé
sur moi. Dans cette affaire, il n'y avait aucun procès verbal, juste les
deux faux papiers, une carte d'étudiant et une carte de travail au nom
d'un topographe, avec ma photo. Maître Rafi est venu m'assister dans
cette affaire. Le juge d'instruction m'a informé que j'étais inculpé de
faux et d'usage de faux et m'a demandé l'origine de ces faux papiers.
Je lui ai répondu qu'il devait poser la question à ceux qui les lui avaient
apportés. Il m'a averti que j'étais en train d'accuser un corps assermen-
té de commettre un faux. Je lui ai répondu que rien n'empêche ce corps
de pratiquer la torture bien qu'il soit assermenté pour ne pas le faire et
qu'il ait fait serment de respecter l'intégrité physique des prévenus.
Furieux le juge demanda à maître Rafi de l'aider à convaincre cette
"catastrophe" (c'est-à-dire moi), qu'il était en train d'aggraver son cas.
Mon avocat que je voyais pour la première fois dans ma vie lui répli-
qua tout d'abord qu'il était surpris par l'absence de tout procès verbal
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bien que son client soit resté vingt-six jours à la DST. Le juge intervint
pour lui dire qu'il fallait poser cette question à ce client qui croit vivre
dans un pays où il n'y a ni loi ni justice. Maître Rafi ajouta que la loi
donnait à son client le droit de refuser de répondre au cours de l'inter-
rogatoire, comme elle lui donnait le droit d'accuser quiconque de lui
avoir fabriqué un dossier pour une raison ou une autre, surtout que son
client est un opposant politique et que le corps qui l'avait interrogé,
c'est-à-dire la police politique, n'était pas un corps régulier. Le fait de
prêter serment, ajouta maître Rafi, ne peut pas empêcher une adminis-
tration ou un agent de transgresser la loi et de commettre un délit ou
un crime. Stupéfait, le juge d'instruction rangea les deux faux papiers
avec une notice de la DST dans une chemise et appela les agents de la
DST pour qu'ils me ramènent en prison. Quelques jours plus tard, le
chef du pavillon cellulaire me demanda de m'habiller car je devais par-
tir pour un interrogatoire. Une demi-heure plus tard, je me suis retro-
uvé au ministère de l'Intérieur. Les responsables de la DST m'ont expli-
qué qu'ils en avaient "marre de voir ma gueule" et qu'ils n'étaient en
rien responsables de mon retour chez eux. C'était le juge d'instruction
qui leur avait donné une commission rogatoire pour "complément d'en-
quête". Ainsi ils m'ont proposé de signer en quelques minutes un PV
où il y aurait mon identité et la mention : "garde le silence et s'abstient
de toute déclaration", et comme ça j'irai "lui casser les pieds à lui" au
lieu de "leur gonfler les couilles à eux". C'est avec ce langage très clair
et très cru qu'ils m'ont expliqué la donne. J'ai accepté de signer le PV
qui ne comportait rien de compromettant. En fin de compte, l'instruc-
tion a eu lieu quelques jours plus tard en présence de maître Rafi. Dans
mes déclarations, j'ai accusé la police politique d'avoir commis un
faux. Finalement, je n'étais pas accusé de "faux et d'usage de faux", ce
qui constituait un crime, mais du délit de "falsification de document
administratif". Une Cour de première instance m'a condamné quelques
mois plus tard à six mois de prison ferme, jugement confirmé par la
Cour d'appel. Pour ces deux cours, "la police est un corps assermenté"
et la dénégation par l'accusé des faits qu'on lui reprochait, que ce soit
chez la police, chez le juge d'instruction ou devant le tribunal ne visait
qu'à "se dérober à ses responsabilités".
Au début du mois de novembre 1974, Sadok Ben M'henna et moi-
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3. De Bourguiba à Ben Ali. 1980-1991
Sur les huit années et demie de prison ferme, j'en ai passé six avant
d'être relâché en 1980 avec le dernier groupe de prisonniers politiques
dans le cadre d'une grâce présidentielle décidée par Bourguiba pour
décrisper la situation politique dans le pays secoué par deux événe-
ments majeurs : la crise syndicale de 1978, soldée par des centaines de
morts et des milliers de prisonniers, et par le démantèlement pur et
simple de toutes les structures syndicales légitimes. Le directeur de la
Sûreté nationale qui a dirigé l'attaque contre la centrale syndicale, à l'é-
poque, n'était autre que le général Ben Ali, l'actuel Président. Le
deuxième événement était l'attaque organisée par un commando de
Tunisiens, venus de Libye, contre une caserne militaire à Gafsa, avec
l'espoir de provoquer un soulèvement général dans tout le pays. Cette
rébellion a été étouffée dans le sang. Onze membres du commando qui
avaient survécu ont été condamnés à mort et exécutés le 17 avril 1980.
Bourguiba a compris que son régime était en crise et qu'il devait chan-
ger ou du moins faire semblant de changer de politique. Il nomma un
nouveau Premier ministre et évinça plusieurs symboles de la répres-
sion, dont Ben Ali nommé ambassadeur de Pologne, et annonça l'a-
morce d'une politique d'ouverture en libérant les prisonniers d'opinion,
concédant quelques espaces pour la presse indépendante et reconnais-
sant ou tolérant l'existence de certains partis et organisations poli-
tiques.
Le jour de notre libération (nous étions six détenus), Bourguiba qui
avait déjà reçu à la fin du mois de mai, un groupe de détenus poli-
tiques, a tenu à nous recevoir dans son Palais de Monastir où il avait
l'habitude de passer tout l'été. Il préparait, ou plutôt son entourage pré-
parait, un nouveau coup médiatique pour montrer "la clémence" du
"père de la Nation" envers ses "enfants égarés". Mais cette entrevue,
qui a eu lieu le 29 juillet 1980, a mal tourné. En effet, en présence des
journalistes, nous avons, tous, dénoncé la pratique de la torture, la
répression des libertés démocratiques et les conditions de détention
illégales dans lesquelles nous avions vécu pendant des années.
Personnellement, j'ai fait état devant l'assistance de tous les dégâts
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Entre 1980 et 1986, j'ai passé une période sans grands problèmes.
J'ai repris mes études à l'université en littérature et civilisation arabes.
Mais lorsque j'ai obtenu mon diplôme en juin 1981, le ministère de
l'Education nationale a refusé de m'embaucher à cause de mes antécé-
dents politiques. Seuls Sadok Ben M'Henna et moi-même étions inter-
dits de travail dans le secteur de l'enseignement public. Nos autres
camarades ont été facilement recrutés. J'ai dû alors chercher un boulot
dans le secteur de la formation professionnelle où j'ai enseigné un peu
de traduction, de correspondance commerciale et d'économie poli-
tique. En même temps, j'ai continué mes activités politiques. J'étais le
porte-parole de l'organisation El-aâmel Et-tounsi non reconnue mais
tolérée dans ces années d'"ouverture politique". Je publiais des articles,
je participais à des débats dans la presse indépendante et je prenais la
parole dans des réunions publiques. J'étais de temps en temps surveillé
par la police politique, mais je n'ai jamais été arrêté. Cependant j'étais
toujours privé de mes droits civiques et politiques. Radhia Nasraoui, à
laquelle je me suis lié en août 1981 "pour le meilleur et pour le pire"
avait ses propres activités militantes. Avocate, elle était membre du
Comité directeur de l'Association des jeunes avocats, réputée pour son
indépendance et son engagement pour la défense des libertés, de la
démocratie, et des causes justes dans le monde arabe et ailleurs. Radhia
militait aussi au sein de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme
(LTDH) et au sein du mouvement féministe. Elle défendait toutes les
victimes de la répression quelle que soit leur appartenance politique ou
idéologique. Aussi, elle était régulièrement harcelée par la police poli-
tique mais jamais directement empêchée de faire son travail.
C'est en 1986 que j'ai commencé à avoir de nouveau de sérieuses
démêlées avec le pouvoir et sa police politique. Ben Ali était déjà au
ministère de l'Intérieur. Rappelé de Varsovie en 1984 pour prendre la
tête de la Direction de la Sûreté nationale et rétablir l'ordre après les
"émeutes du pain" de janvier 1984, qui s'étaient soldées par un grand
nombre de victimes (95 selon un bilan officiel et 200 au moins selon
des estimations officieuses), Ben Ali a été très vite promu ministre de
l'Intérieur en 1985. Bourguiba affaibli par l'âge et la maladie, ayant
perdu son efficience politique et surtout sa capacité de grand manœu-
vrier politique, était fasciné par l'efficacité répressive du premier haut
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Le chemin de la dignité
gradé militaire qu'il ait osé nommer dans son gouvernement. La répres-
sion était l'option la plus facile car elle ne demandait aucune réflexion
au vieux du palais de Carthage et Ben Ali était, dans ce domaine, le
technicien qu'il recherchait. Il réorganisa son ministère et s'engagea,
sur ordre de Bourguiba, à réprimer, de manière systématique, l'opposi-
tion politique, le mouvement syndical, par un nouveau démantèlement
de l'UGTT en 1985, après le retour des "structures légitimes" en 1981,
le mouvement étudiant par l'enrôlement forcé de certains étudiants
dans l'armée et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme par la créa-
tion d'une ligue bis présidée par un ancien ministre de l'Intérieur,
connu par sa répression du mouvement syndical en 78, alors que Ben
Ali était à la direction de la Sûreté nationale. Le pays passait de nou-
veau par une crise politique aggravée au sommet par la lutte pour la
succession de Bourguiba, mais aussi par une crise économique d'en-
vergure.
Dès le début de l'année 1986 et juste après l'annonce de la fondation,
dans la clandestinité, du Parti communiste ouvrier de Tunisie (le 3 jan-
vier 1986, deuxième anniversaire des émeutes du pain), j'ai été soumis
à une surveillance policière quotidienne. En mai 1986, des agents de la
DST ont essayé de me kidnapper en pleine rue alors que j'allais au tra-
vail. J'ai pu échapper et je me suis trouvé contraint à disparaître de la
circulation pendant deux semaines, le temps de comprendre ce qui se
passait. Lorsque je me suis présenté à la DST qui avait laissé chez mon
épouse une convocation en bonne et due forme, le commissaire char-
gé de mon dossier, un certain Ridha Zaggia, m'a interrogé sur le PCOT.
Il voulait savoir si j'étais derrière la création de ce parti. Je lui ai répon-
du que j'entendais pour la première fois le nom de ce nouveau parti et
que, par conséquent, il était vain de m'interroger sur quelque chose
dont j'ignorais tout. Il essaya de savoir si j'avais encore des activités
clandestines en dehors de mes activités légales : publication de livres,
d'articles dans certains journaux, participation à des activités légales
etc. Je lui ai répondu que la DST était suffisamment forte pour répon-
dre à ces questions. Finalement il m'a laissé partir, en m'expliquant
qu'il m'avait convoqué simplement pour "me connaître directement".
et "me conseiller" de ne pas "enfreindre les lois du pays". C'était une
mise en garde voilée.
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5. Il sera jugé en 1991 avec deux de ses collègues pour "abus de pouvoir". La cour
d'assises les condamna respectivement à 5 ans de prison ferme pour le chef de poste et
à 3 ans de prison de prison ferme pour les deux agents. Le 8 mai, date de l'assassinat
de Nabil Barakati est devenu depuis une journée nationale pour la lutte contre la tor-
ture. Chaque année, tous les démocrates se réunissent au cimetière de Gaâfour.
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mations sur mes contacts pour les utiliser en cas de "nécessité", c'est-
à-dire au moindre changement de situation dans le pays. Entre 1988 et
1990, j'ai aussi été arrêté à plusieurs reprises pour quelques heures, une
journée ou une nuit. Il s'agissait d'interrogatoires sur les prises de posi-
tion du PCOT ou d'autres formations politiques non reconnues sur des
événements précis ou sur la situation générale dans le pays. C'était à
l'occasion de l'une de ces arrestations, en janvier 1989, que j'ai "fait la
connaissance" de Mohamed Ali Ganzaoui, actuel secrétaire d'Etat à la
Sécurité nationale. Il était, dans le temps, le responsable direct de la
police politique. Il était là pour m'avertir ou me menacer de châtiments
ou de prison. J'ai aussi connu Fredj Gdoura qui se relayait avec
Ganzaoui au poste de chef des services spéciaux. Chaque fois Hassan
Abid et Mohammed Ennaceur, alias Hamdi Hlaâs étaient présents pour
m'insulter ou me menacer de tortures. Je leur ai toujours répondu que
j'exerçais mes droits fondamentaux et que, donc, je refusais qu'on m'in-
terroge sur cela.
En mars 1989, Ben Ali m'a convoqué au palais de Carthage. Il m'a
reçu pendant 45 minutes. Les élections présidentielles et législatives
approchaient et il voulait me convaincre du bien fondé de la participa-
tion aux élections législatives en présentant des listes "indépendantes".
Il voulait aussi sonder mon opinion sur l'évolution de la situation dans
le pays depuis son arrivée au pouvoir. En bref, je lui ai répondu que le
changement démocratique qu'il avait promis aux Tunisiens ne s'était
pas encore concrétisé et que les fondements essentiels du régime auto-
cratique de Bourguiba n'avaient pas été remis en cause, que les mesu-
res qu'il avait prises jusqu'à présent n'étaient que des demi-mesures qui
n'étaient pas de nature à garantir les libertés fondamentales. Dans ce
contexte, j'ai rappelé que les violations de ces libertés, notamment la
liberté de presse et d'organisation, les arrestations arbitraires et la pri-
vation, pour les anciens détenus, de leurs droits civiques et politiques,
n'avaient pas cessé. J'ai réitéré, à ce propos, la revendication d'amnis-
tie générale portée par tout le mouvement démocratique. Quant à la
participation aux élections législatives, je lui ai exprimé le refus du
PCOT en lui démontrant que les conditions minimales pour des élec-
tions libres et démocratiques n'étaient pas réunies.
A vrai dire, Ben Ali voulait faire participer toutes les formations
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7. L'autorisation de publication d'un journal est octroyée, en Tunisie, au nom d'une per-
sonne physique et non au nom d'une personne morale. Par conséquent, il suffit que le
directeur soit condamné pour que le journal cesse de paraître.
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4. L'étau se resserre sur toute
l'opposition (1991 - 1992)
La suspension, ou plutôt la disparition, de Al-Badil, coïncidait en
effet avec la détérioration de la situation politique dans le pays. La
campagne répressive contre les islamistes venait de commencer. Un
climat de terreur s'installait dans le pays. Au nom de la lutte contre l'ex-
trémisme religieux, Ben Ali projetait en réalité de récupérer tous les
espaces arrachés par le mouvement démocratique, soumettre la socié-
té civile, détruire le mouvement syndical et toute l'opposition pour ne
laisser en fin de compte qu'une opposition de décor, qui donne à son
régime dictatorial une façade démocratique. Le PCOT, malgré son
opposition résolue au mouvement intégriste, aussi bien sur le plan
idéologique que sur le plan politique, s'opposa à la répression qui s'é-
tait abattue sur ce mouvement et y décela le signe d'une période som-
bre pour la Tunisie. Il alerta l'opinion publique et appela toutes les
composantes du mouvement démocratique à ne pas tomber dans le
piège de la dictature en soutenant la répression ou en gardant le silen-
ce sur les terribles violations des droits humains qui accompagnaient
cette répression : enlèvements, torture, assassinats, procès iniques etc.
Rares sont les démocrates qui comprirent à temps les desseins du pou-
voir. Beaucoup de gens ont préféré garder le silence en alléguant que
si les islamistes étaient au pouvoir, ils feraient pire que Ben Ali, donc
mieux valait le laisser les écraser. La majorité des partis d'opposition
légale s'est rangée clairement du côté de Ben Ali avec l'idée d'être
"récompensé". La direction du syndicat ouvrier (UGTT) avec à sa tête
Ismaïl Sahbani a même participé directement à la répression des isla-
mistes : dénonciation, exclusion des structures de l'UGTT etc. Parmi
les associations en place, seules la LTDH, l'UGET (syndicat étudiant),
le Conseil de l'ordre des avocats et l'Association des jeunes avocats, ne
se sont pas entendues avec le pouvoir. Elles sont devenues de plus en
plus, avec le PCOT et certaines personnalités indépendantes qui se
sont démarquées du pouvoir, une cible de la répression. Pour Ben Ali,
celui qui n'était pas avec lui était contre lui, était un "allié" du "terro-
risme intégriste". Ainsi, la pression sur la LTDH, l'UGET, les avocats
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une somme d'argent prêtée à son ami qui tardait à la lui rendre. Ils s'é-
taient vus la veille dans un café et le journaliste lui avait demandé de
passer au journal le lendemain matin, en lui promettant de lui rendre
son argent (83 dinars, soit 450francs). Mais il n'a pas tenu parole et ne
lui a apporté qu'une petite partie de la somme. Les deux amis se sont
disputés verbalement. Quatre militants du PUP qui étaient dans un
autre bureau sont intervenus pour faire sortir l'ancien collaborateur
d'Al-Badil de force. L'un d'eux lui a même assené un coup de poing sur
la figure et lui a blessé le bras à l'aide d'un balai. Le jeune N.O. s'est
directement dirigé vers le poste de police le plus proche (rue de
Cologne) pour déposer une plainte contre son agresseur. Le policier en
service l'a entendu et lui a demandé d'aller voir tout de suite un méde-
cin pour appuyer sa plainte par un certificat médical. Ce qu'il est allé
faire immédiatement. Cependant, l'affaire a pris une autre tournure
lorsque le chef du poste de police, un "civil", a pris connaissance de
l'affaire et a appelé au local du PUP pour savoir ce qui s'était passé,
d'autant plus que le collaborateur d'Al-Badil n'était pas un inconnu, la
vente du journal dans la rue l'avait exposé à plusieurs reprises aux tra-
casseries de la police. Pour se justifier, le responsable du PUP qui a
répondu au chef du poste, lui a dit qu'il s'agissait d'un gauchiste proche
du PCOT qui était venu embêter l'un des journalistes d'El-Wihda. Le
type n'était pas du tout conscient de ce que sa réponse allait provoquer.
Le chef de poste alerta la police politique qui informa Abdallah
Kallel, le ministre de l'Intérieur de l'incident et tout un scénario fut mis
en place pour m'arrêter et m'inculper. Kallel (et certainement Ben Ali,
car le premier ne pouvait rien faire sans obtenir de lui le feu vert)
auraient compté apparemment sur la collaboration du PUP, surtout
qu'ils savaient que le PCOT n'a jamais cessé de lancer des critiques
virulentes envers les partis "légaux" pour leurs positions honteuses en
matière de libertés et de droits humains. En plus, certains dissidents du
PUP, qui s'opposaient au rapprochement de son secrétaire général du
pouvoir, avaient de bons rapports avec le PCOT. Les deux partis se
concertaient régulièrement sur les positions à prendre, et cela avait
réellement irrité Amor Bel Hadj et les militants qui lui étaient restés
fidèles. Ainsi, le pouvoir a-t-il cru que le moment était venu pour me
jeter en prison en qualité de criminel de droit commun. Pour préparer
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le collaborateur d'Al-Badil était arrivé, nous avions pris tous les deux
la fuite, "très contents" de ce que "nous" venions de faire ! Pire enco-
re, la police politique a ajouté le deuxième témoignage d'une personne
sans carte d'identité, sans adresse fixe, qui prétendait avoir monté les
escaliers d'un immeuble situé rue de l'Autriche, dans laquelle se trou-
vait le siège du PUP, le matin du 13 janvier vers 10h30, à la recherche
d'un travail et qu'il avait croisé "un type grand de taille, moustachu,
portant des lunettes, âgé d'une quarantaine d'années (c'est-à-dire mon
portrait) en état de colère extrême, lançant des insultes (telles que "fils
de pute, espèce d'agents du pouvoir…) à des gens qui travaillaient au
deuxième étage, en ajoutant que "toutes les tentatives de le calmer
avaient échoué" !
Cette farce a beaucoup irrité les responsables du PUP qui se sont
sentis totalement abusés. En effet, le pouvoir voulait coûte que coûte
se servir d'eux pour me mettre en prison. Lorsqu'ils n'ont pas accepté
de "collaborer", il les a impliqués de force en falsifiant les PV. Le PUP
a décidé d'envoyer ses quatre militants le jour du procès (début février
1992) pour protester énergiquement contre cette mascarade. La police
politique a tenté de les empêcher d'accéder au tribunal. Mais trois d'en-
tre eux ont réussi à entrer dans la salle d'audience sous la pression des
avocats qui sont venus nombreux. Quant au quatrième, le journaliste,
la police a réussi à le tenir loin du Palais de justice jusqu'à la fin de l'au-
dience. Au cours de ce procès l'ancien collaborateur d'Al-Badil a
raconté tous les mauvais traitements qu'il avait subis, rue de Cologne
pour le persuader de faire de fausses déclarations, pour m'incriminer.
De ma part, j'ai dénoncé le nouveau traitement réservé par le pouvoir
à ses opposants, en l'occurrence la fabrication d'affaires de droit com-
mun pour les présenter comme des criminels. J'ai montré que de tels
procédés ne serviraient qu'à le démasquer davantage. Enfin, le prési-
dent du tribunal, Hamda Chaouachi, un juge corrompu, a refusé de
nous libérer provisoirement et a ajourné le procès, à la demande de la
défense, au 13 février.
Le 6 février 1992, j'ai entamé une grève de la faim pour protester
contre cette parodie de justice et demander ma libération immédiate et
sans conditions. Dès que le directeur de la prison, Ahmed Hadji, un
fasciste de renom qui prit quelques mois plus tard la direction généra-
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dre une décision. Après quinze jours, j'ai réapparu. J'ai trouvé une
seconde convocation avec tampon, mais sans précision du motif. Je l'ai
prise et me suis présenté pour être interrogé sur deux tracts du PCOT,
l'un diffusé à l'occasion du 1er mai et le deuxième à l'occasion d'une
décision du gouvernement d'augmenter certains prix. C'est Abdel
Bakri Boukhris, un jeune commissaire, ancien étudiant de la faculté de
Droit et de Sciences Economiques, qui a dirigé l'interrogatoire. Je lui
ai répondu que je ne suis pas venu répondre à des questions de ce
genre. Un citoyen ne doit pas être interrogé sur l'exercice de ses droits
les plus élémentaires. En plus, je lui ai dit que je ne connaissais pas le
PCOT. Il m'a répondu que j'étais son porte parole et que j'avais signé
des déclarations communes en son nom. Je lui ai répliqué que je n'é-
tais pas au courant. Il a rétorqué : alors on s'est trompé de personne.
Peut-être qu'il y a un autre Hamma Hammami qui va reconnaître qu'il
est le porte-parole du PCOT. Finalement il m'emmena au bureau de
Hassan Abid, le plus grand chef des tortionnaires dans l'histoire de la
Tunisie depuis son indépendance formelle. Ce dernier me lança un
avertissement et me menaça de châtiment si je continuais dans cette
voie.
A la fin du mois de septembre 1992, l'étau s'est de nouveau resserré
autour de moi. Cette fois, ce sont des agents de la DST9 qui sont venus
me chercher, sans me trouver. Ils avaient l'air menaçant. La conjonctu-
re était des plus mauvaises. Le pouvoir venait de terminer les grands
procès des dirigeants islamistes. Il était euphorique. Les islamistes
n'ont affiché aucune résistance. L'organisation a été découverte
presque totalement. La police régnait sur le pays. Ben Ali pouvait
déclarer que "le problème de l'intégrisme était résolu en Tunisie".
Encouragé par cette victoire, il voulait passer à une deuxième étape,
celle de la destruction de toute l'opposition "illégale". Le PCOT se ran-
geait juste après An-Nahdha dans l'agenda du pouvoir, d'autant plus
qu'il est resté pratiquement la seule force d'opposition organisée dans
le pays, suite au soutien apporté par les autres partis au régime de Ben
Ali. En effet, la répression exercée sur le PCOT n'a jamais cessé depuis
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le m'a vu pour la dernière fois ? est ce que je leur ai écrit ? etc. Elle a
répondu qu'elle n'était au courant de rien. Les protestations ultérieures
de Radhia n'ont rien donné, puisque Ezzedine Jenayah est revenu une
deuxième fois avec une équipe de la DST. Ils sont entrés de force et
encore une fois ils ont terrorisé les deux petites. La surveillance et les
tracasseries policières ont touché mes parents, mes frères et sœurs,
ainsi que mes beaux-parents à Tunis et plusieurs de nos amis et
connaissances. En été 1993, la police politique a franchi un nouveau
pas. Radhia avait emmené nos deux filles et sa sœur en voiture pour
aller se baigner dans la banlieue de Tunis. Elle avait laissé sa voiture
dans un parking d'hôtel gardé. Au retour, il n'y avait plus de voiture. Le
gardien a fait semblant de n'être au courant de rien, tout le monde est
rentré en maillot de bain.
Dans la clandestinité, j'étais isolé de toutes mes connaissances, je ne
pouvais pas les approcher. Je n'étais en contact qu'avec quelques cama-
rades. Je dois dire que plusieurs démocrates et progressistes se sont
déclarés prêts à m'accueillir chez eux à n'importe quel moment. J'avais
donc plusieurs planques et j'étais en sécurité. Mais la grande difficulté
était de circuler. Les changements de look ne suffisaient pas à me ren-
dre complètement méconnaissable, d'autant plus que mon visage était
connu non seulement de la police mais aussi des gens ordinaires
puisque ma photo avait été publiée à plusieurs reprises dans la presse.
C'est d'ailleurs cela qui a conduit à mon arrestation le 14 février 1994,
après 17 mois de clandestinité.
Mon arrestation a eu lieu dans un quartier de la ville de Sousse. Un
type sur une moto a alerté la police, une voiture qui transportait trois
agents en civil m'a poursuivi et m'aurait écrasé si je n'avais pas sauté
in-extremis. Deux agents ont braqué leur revolver sur moi et m'ont
demandé de lever haut les mains. Ils m'ont menotté puis embarqué. Ils
ont mis la sirène et deux agents ont immédiatement commencé à m'as-
séner des coups de poing sur la figure, me cracher dessus et m'insulter.
Dès notre arrivée au district de police de Sousse, ils m'ont fait entrer
dans un bureau, m'ont jeté par terre et écrasé avec leurs souliers. Ils
m'ont interrogé sur l'identité d'un type qui, d'après eux, aurait pris la
fuite au moment de mon arrestation. Ils m'ont demandé où j'allais et où
j'habitais. Furieux, l'un d'eux, un certain "Mokni", a chargé son revol-
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ver et l'a braqué sur ma tempe, le pied sur ma nuque, et m'a menacé de
tirer si je ne répondais pas. J'ai refusé d'obtempérer. Il a relevé son
arme mais a continué à me torturer avec deux autres agents pendant
près d'une heure. Ils voulaient m'arracher des aveux "avant que les fils
de putes ne soient alertés par le type qui a pris la fuite". N'ayant rien
obtenu, ils m'ont emmené, au deuxième ou troisième étage, chez le
responsable de la police politique de la région, un certain "Jomli" ori-
ginaire de la région de Kairouan. Ses sbires ont continué à me torturer
avec la même sauvagerie. Entre temps le ministère de l'Intérieur avait
été alerté et les responsables de la DST à Tunis avaient demandé mon
transfert. "Jomli" rédigea un P.V. mentionnant mon identité et le fait
qu'il m'avait informé de ma condamnation par contumace à 4 ans et 9
mois de prison ferme prononcée par le tribunal de Gabès.
J'ai alors été envoyé à Tunis où j'ai retrouvé les responsables de la
DST et, à leur tête, Ezzedine Jenayah, et des services spéciaux : Hassan
Abid, Mohamed Ennaceur et autres. L'interrogatoire a commencé. Les
questions étaient claires : où je me cachais ? Où j'allais ce matin du 14
février ? Où étaient les autres dirigeants du PCOT ? Où était imprimé
le journal ? J'ai refusé purement et simplement de répondre à leurs
questions. Jenayah a alors ordonné à ses sbires de m'emmener à la
"salle d'opérations". Ils étaient au moins treize. Je ne les connaissais
pas parce que c'était des jeunes que je n'avais jamais vus auparavant.
Ils m'ont enchaîné sur un siège, les deux mains derrière le dos, et ont
commencé à me tabasser de manière sauvage. Leur chef leur a ordon-
né de me frapper sur la tête "pour qu'elle cesse de produire de la pour-
riture". De temps en temps, ils se relayaient pour me cracher à la figu-
re. Après deux heures de torture, ou peut-être plus, ils m'ont ramené au
bureau de Ezzedine Jenayah. Il a voulu m'interroger de nouveau mais
j'ai continué à refuser de répondre. J'ai été ramené à la "salle d'opéra-
tions" où les mêmes violences ont repris. Mais cette fois, ils m'ont dés-
habillé et ont appelé un des tortionnaires pour me violer. Il a sorti son
pénis, s'est approché de moi, puis a reculé en disant : "j'ai peur d'attra-
per le sida". Les insultes et les grossièretés qui me visaient, moi, ma
femme ou mes filles, pleuvaient sur moi, accompagnées de coups sur
la tête, le visage et tout le corps. Ayant trouvé sur moi une clé qu'ils
soupçonnaient être celle de ma planque, ils ont concentré l'interroga-
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5. La prison de Nadhor. 1994
Dès la fin des deux procès j'ai été transféré à la prison de Nadhor
(ancien Borj Er-roumi) où j'avais passé les plus belles années de ma
jeunesse dans les années 70. J'ai été directement isolé dans une cellule
de trois mètres sur deux, sans robinet d'eau, avec des toilettes ouvertes
et deux lits fixés au sol. Pratiquement, je n'avais pas la place de circu-
ler. Je n'avais droit à rien, ni livres, ni télé. J'ai du me battre pour amé-
liorer les conditions de ma détention.
Déjà à Sousse, j'avais fait une grève de la faim de dix jours pour pro-
tester contre le caractère inique des procès dont j'étais l'objet. Dès le
premier jour, j'avais été transféré à la prison de Messâdine, dans la
région de Sousse, pendant trois jours, puis au pavillon cellulaire de
Tunis, déshabillé dès mon arrivée et contraint à porter le "bleu" de la
prison, sans sous-vêtements, et enchaîné par le pied au mur. Le cin-
quième jour, Ahmed Hajji, devenu depuis 1992 le directeur général des
prisons m'avait envoyé l'un de ses lieutenants, connu pour sa sauvage-
rie, Fawzi Atrous, qui me menaça de brimades si je ne cessais pas tout
de suite la grève de la faim. Devant mon refus, il appela une dizaine de
gardiens et un infirmier pour me placer une sonde dans l'anus, en m'in-
sultant, me traitant de "pédé" et en me donnant des coups sur la tête.
Cette scène s'est répétée quotidiennement. Entre temps, Kallel refusait
de divulguer la prison où je me trouvais et ma famille était interdite de
visite. Ce n'est que le huitième jour que Radhia a pu me visiter, suite à
une campagne de protestations. Le 10 mai, j'ai mis fin à la grève. A l'o-
rigine, j'avais décidé de ne faire qu'une grève de trois jours, en raison
de mes problèmes de reins, mais j'ai continué à cause des provocations
et des brimades et pour que Kallel et ses sbires ne crient pas que j'ai
cédé.
La deuxième grande grève, je l'ai entamée le 1er décembre 1994, à la
prison civile de Tunis où j'ai été transféré pour des soins médicaux.
Cette grève a duré treize jours. Au cours de ces treize jours, j'ai fait
trois prisons : Tunis, Mahdia et Sfax ; on m'a emmené d'un prison à une
autre pour empêcher ma famille et mes avocats de me visiter. En même
temps, j'ai subi des mauvais traitements atroces. A Tunis, j'ai passé les
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10. Lettre envoyée depuis la prison de Nadhor à maître Nathalie Boudjerada avocate
mandatée par la FIDH en mission d'observation pour les deux procès de Hamma
Hammami d'avril 1994.
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que j'ai passé la plus grande partie de mes six années d'emprisonne-
ment entre 1974 et 1980. Les conditions de détention ici sont dures au
point qu'on a toujours qualifié cette prison de "bagne". Mais je dois
reconnaître que mes conditions de détention dans les années 70 étaient
meilleures que celles de mon actuelle détention.
En effet, depuis mon transfert, le 2 juillet dernier, je suis totalement
isolé, bien que l'isolement ne soit permis par la loi que dans deux cas
seulement : en cas de punition dont la durée ne doit pas dépasser 10
jours au maximum ou sur ordre du juge d'instruction pour nécessité
d'enquête. Or, je ne suis ni puni ni en période d'instruction ! !
La cellule, plutôt le cachot que j'occupe fait partie des cinq cellules
ou cachots qui constituent le pavillon cellulaire de la prison du
Nadhor, réservé ordinairement pour les punis. Ma cellule mesure 3 m
de long sur 2 m de large. On y trouve des toilettes ouvertes, dégageant
de mauvaises odeurs faute de produits de nettoyage qui doivent être
fournis, en principe, par l'administration de la prison. Il n'y a pas
d'eau à l'intérieur de la cellule, je dois remplir chaque matin et chaque
après-midi un ou deux seaux (en plastic) pour m'en servir à tous mes
besoins. La cellule est équipée de deux petits lits fixés au sol. Ils sont
en très mauvais état (rouille etc.) et occupent pratiquement la plus
grande partie de l'espace cellulaire, je ne peux pas circuler aisément,
je passe mon temps allongé sur mon lit. Ma cellule est très humide
même pendant l'été parce que le soleil n'y entre que rarement et faute
aussi d'une bonne aération, il n'y a pas de fenêtre dans cette cellule. Il
n'y a qu'une petite " ouverture " au-dessus de la porte. Cette ouvertu-
re est doublement grillagée en plus des barreaux de fer. Entre les deux
grillages, on trouve une ampoule pour éclairer le soir la cellule (entre
19h00 et 7h00). La lumière s'allume de dehors d'un interrupteur qui se
trouve dans un bureau de garde. Cette lumière est gênante pour le
sommeil, mais aussi insuffisante pour me permettre le soir de lire (il
est à noter que la cellule est sombre même pendant la journée). En
vérité elle ne sert que les gardiens qui font des rondes pour jeter un
coup d'œil, d'un petit guichet situé au milieu de la porte, sur les occu-
pants des cellules pour voir ce qu'ils font ou pour vérifier s'ils sont
morts ou vivants (parfois le gardien frappe sur la porte pour que le
prisonnier endormi bouge ou fasse un mouvement pour s'assurer qu'il
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non déclarée. Ils veulent me faire payer le prix de toutes mes déclara-
tions devant les tribunaux de Sousse et de Gabès, sur la torture et les
violations des libertés et des droits de l'homme en Tunisie. Ils croient,
peut être, que par ce traitement : solitude, silence, ambiance de tortu-
re et de terreur, ils pourraient me démoraliser, me terroriser, etc. Or,
au contraire, ils m'inspirent par leurs pratiques fascistes, plus de force
et plus de détermination pour continuer le combat pour la liberté et la
démocratie en Tunisie. Ils peuvent avoir mon corps, le torturer, l'affai-
blir et même le déchiqueter s'ils veulent, mais ils n'auront jamais, ni
mon cœur, ni mon esprit, qui continueront à battre et à penser pour la
démocratie et la justice sociale, pour un avenir humain meilleur.
D'ailleurs, les premiers jours de mon arrivée, j'étais l'objet de provo-
cations de la part du directeur et d'un autre responsable, j'étais même
menacé de torture. C'est un procédé d'intimidation, souvent utilisé,
pour soumettre les nouveaux venus. J'ai déclaré au directeur qu'il doit
désenchanter dès maintenant, s'il croit que je serai intimidé par la tor-
ture ou la terreur.
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6. La clandestinité11
Je ne pourrai jamais oublier le geste de plusieurs amis, femmes et
hommes, qui dès que je suis entré en clandestinité ont exprimé leur
prédisposition à m'accueillir chez eux faisant fi des brimades qui les
attendent en cas de mon arrestation chez eux (torture, emprisonne-
ment, licenciement, etc.). Ces amis ne sont pas tous des militants ou
des opposants à la dictature policière de Ben Ali. Parfois, ils sont de
simples gens de milieux populaires, mais honnêtes et opposés à l'in-
justice et à l'oppression. Leur geste m'a fait découvrir, une fois de plus,
à quel point cette dictature est haïe par le peuple et à quel point elle est
faible et fragile.
Ma grande joie, c'est lorsque je débarque dans une maison et que je
trouve des enfants. Très vite nous devenons amis. Intuitivement, ils
comprennent qu'il y a un danger qui me guette. Du coup, ils devien-
nent mes complices et mes protecteurs. Ils sont contents de garder le
secret même pour leurs grands-mères ou grands-pères. Si les adultes se
trompent parfois et m'appellent par mon vrai nom, eux non. Ils ne pro-
noncent que le pseudonyme qu'on m'a attribué. Souvent, ils quittent la
chambre des parents pour venir s'installer à côté de moi. Je leur
apprends à compter jusqu'à 5, 10, 20, 100, … et à lire Alif, Alba, … Le
soir, c'est le moment de leur raconter des histoires jusqu'à ce qu'ils dor-
ment accrochés à mon coup ou tenant ma main sous la joue, etc. Tard
la nuit ils me réveillent pour faire pipi, boire ou manger. Parfois, juste
parce qu'ils ont fait un cauchemar, et c'est une nouvelle veillée.
Les enfants sont drôles, lorsque l'un d'eux se fâche contre moi, il sait
souvent quelle punition m'infliger : ''moi j'irai au manège, toi tu restes
enfermé dans ta pièce … je ne t'apporterai ni bonbon, ni kaki, … !''. Un
autre enfant a accompagné sa mère au marché, en rentrant, elle a refu-
sé de lui donner une banane. Il est resté collé à sa place et l'a menacé :
''si tu ne m'en donnes pas une, je crie à haute voix et en pleine rue le
nom de tonton foulen'', surprise du geste de son enfant, la mère lui
11. Libéré le 6 novembre 1995, après avoir purgé près d'un an et 9 mois de prison,
Hamma Hammami échappe à la police qui le poursuit et rentre en clandestinité, le 28
février 1998.
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que j'ai appris cette fois de spécifique ce sont des plats populaires,
généralement sans viande : des variétés de chakchouka, le couscous
aux fèves sèches ou aux légumes, le bourgoul, blé concassé, etc. le
matin, je prends de la bsissa, c'est moins coûteux qu'autre chose. Vous
savez, je ne vis pas isolé de la réalité tunisienne, la vie est devenue très
chère. Il n'est plus donné à n'importe qui, même ce qu'on appelle la
"classe moyenne", d'assurer une ration de viande chaque jour ou de
manger des fruits à chaque repas.
Le temps ne pèse pas beaucoup sur moi, parfois, je souhaite que la
journée s'allonge pour que je puisse terminer ce que j'ai à faire. Vivre
en clandestinité, ce n'est pas se cacher pour ne pas être arrêté, mais
c'est se donner une occasion et un moyen de continuer la lutte dans un
pays gouverné par une dictature policière. Dans ce cadre, mon temps
est organisé de la façon suivante : je consacre 9 à 10 heures par jour
pour mes occupations politiques et intellectuelles, je dors 6 à 7 heures
par jour et le reste du temps je le consacre à préparer la bouffe, arran-
ger et nettoyer la maison et m'occuper des enfants si je suis chez une
famille. Je ne regarde pas fréquemment la télé parce qu'il n'y a plus
rien à voir, même pas les matchs de football, car le foot et le sport en
général, sont malheureusement atteints par la gangrène mafieuse.
Certains dirigeants proches du palais ont tout faussé : racket d'argent
auprès des privés et des sociétés d'Etat, accaparement des meilleurs
joueurs des petits clubs, manipulation du calendrier, corruption des
arbitres, etc. bref, cela ne donne plus envie de suivre les activités spor-
tives. Pourtant, pendant des années, j'étais fan d'un club de la capitale
avec qui j'ai pratiqué l'athlétisme. A part le sport, qu'est ce qui reste à
voir : un feuilleton égyptien abrutissant et ennuyeux ou une émission
de "variétés" qui tourne au ridicule dès les premières minutes, l'anima-
teur demande à son invité, surtout s'il vient d'un autre pays arabe, un
aveu : dire que ''la Tunisie est un oasis de sécurité depuis qu'elle est
gouvernée par Ben Ali''.
Outre mes lectures d'ordre politique (journaux, revues, livres, etc.),
je suis un grand amateur de littérature et d'histoire, car il ne faut pas
oublier que j'étais professeur de littérature et de civilisation arabo-
musulmane. Mes amis me procurent tout, d'ailleurs je viens de termi-
ner la lecture de Al-khobz Al-hafi (Le pain nu), un roman autobiogra-
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que possible à lui frayer le chemin - certes vous devez vous rappeler
les vers du célèbre poète turc Nazim Hikmat qui disent :
Si je ne brûle pas
Si tu ne brûles pas
Si nous ne brûlons pas
Qui illuminera la voie…
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Deuxième partie
Textes politiques
Le minimum démocratique pour nos
alliances d'aujourd'hui et de demain
Ce texte, en réponse à la déclaration commune de Mohamed
Moâada et Rached Ghannouchi, a été rédigé en arabe au nom du
PCOT en avril-mai 2001. Nous en avons traduit en français un
large extrait publié ci-dessous.
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dans la pratique. C'est pour cela qu'il est inutile de travailler avec un
parti qui ne tient pas compte dans son action des positions de principe
claires. Il y a enfin, ceux qui hésitent encore à rallier le front Moaâda
- Ghannouchi pour des calculs politiciens ou par peur des réactions de
Ben Ali et non pas pour des différends idéologiques ou politiques.
Nous ne dévoilons pas de secret en disant que le PCOT a été solli-
cité de la part du MDS et du mouvement En-Nahdha pour débattre du
communiqué commun et le signer. Les deux partis ont d'ailleurs mon-
tré leur disponibilité à entendre les éventuelles modifications que pour-
rait proposer le PCOT. Cependant, la conjoncture sécuritaire difficile
dans laquelle vit le PCOT ne lui a pas permis de débattre de l'initiati-
ve et d'y répondre avant la date du 20 mars.
La question est encore d'actualité car elle ne relève pas d'une posi-
tion relative à un problème temporaire mais bien de la constitution d'un
front politique qui aura des objectifs à réaliser sur la période à venir ;
nous estimons donc qu'il est de notre devoir de donner notre avis, d'au-
tant plus que les initiatives qui visent à unir l'"opposition" ou le "mou-
vement démocratique" se sont multipliées ces derniers temps.
Au-delà des motivations de leurs promoteurs, ces initiatives expri-
ment le besoin urgent de faire progresser la lutte politique et sociale
dans notre pays.
Pour cela, le débat sur l'initiative Moâada - Ghannouchi est une
occasion pour débattre du sujet de l'union de l'opposition tunisienne et
de ses conditions.
Cette question nous préoccupe ainsi que tous ceux qui ont sérieuse-
ment envie de se débarrasser de la dictature du 7 novembre pour met-
tre fin au très long cauchemar qui s'abat de tout son poids sur la Tunisie
et sur son peuple.
Le débat public
Le PCOT a préféré répondre à l'initiative du MDS et du mouvement
En-Nahdha d'une façon publique et ouverte car nous considérons que
l'établissement d'un front national démocratique, en particulier, et l'u-
nion de l'opposition tunisienne, en général, n'est pas un problème pro-
pre à un seul parti mais que c'est celui de tous les partis d'opposition ;
bien entendu, nous ne considérons pas comme partis d'opposition les
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nués ces dix dernières années en raison de l'oppression qui frappe les
deux mouvements et toute l'opposition qui a refusé de s'allier avec la
dictature du 7 novembre. Par ailleurs, les deux partis n'ont jamais hési-
té, chacun de son côté, à condamner la répression subie par l'autre
camp.
A l'intérieur des prisons, les militants se sont retrouvés dans la
même galère, soumis aux sévices des gardiens de Ben Ali. D'autant
plus que nos deux partis sont, dans une large majorité, les principales
victimes de cette oppression, même si les détenus de En-Nahdha sont
les plus nombreux. D'ailleurs plusieurs pétitions portaient les signatu-
res des militants des deux mouvements ou de leurs sympathisants, à
côté de signatures de personnes appartenant à d'autres camps idéolo-
giques et politiques.
Mais les relations ne se sont pas transformées en coalition jusqu'à ce
que vienne cette dernière initiative entre le MDS et En-Nahdha à
laquelle a été convié le PCOT.
Comment alors posons-nous le problème aujourd'hui ? Est-ce que
les données ont changé par rapport à hier ? nous considérons que l'an-
gle sous lequel a été posé le problème hier reste le même aujourd'hui.
Car nous n'avons pas changé de critères, c'est-à-dire que nous conti-
nuons à avoir, face à la question du travail en commun et des coali-
tions, un comportement politique et nous ne mettons pas comme obs-
tacle les considérations idéologiques.
Par ailleurs, nous adoptons une attitude souple du fait de l'état actuel
des choses et du degré d'évolution du mouvement politique général au
sein de la société. Nous ne conditionnons pas notre participation à un
accord sur l'ensemble des sujets tactiques et stratégiques, car cela vou-
drait dire concrètement le refus du travail en commun et des coalitions,
mais nous conditionnons notre accord à une base minimale nécessaire,
et nous sommes prêts à limiter cette base au terrain politique sans l'é-
largir aux domaines économique, social, culturel et autre, pour ne pas
faire échouer le travail commun ; il faut par ailleurs noter que certains
sujets comme la corruption généralisée du plus haut au plus bas de
l'Etat n'est pas un sujet de discorde.
De toute évidence, la question qui se pose maintenant est : quel est
le contenu de ce minimum politique que nous venons d'évoquer ?
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lier contre Ben Ali n'exige pas d'être d'accord sur tous les points et
chaque parti sera libre de faire de son mieux pour conquérir le peuple
tunisien après avoir évincé la dictature du 7 novembre. Mais ce qu'ou-
blient les promoteurs de cet avis, c'est qu'aucun parti ne pourra demain
faire la conquête du peuple tunisien, s'il n'existe pas de terrain favora-
ble pour cela, et ce terrain c'est la liberté politique car, sans elle, il ne
pourra pas diffuser ses positions et ses programmes, ni les défendre.
Autrement dit, si ceux qui défendent cette position veulent que
chaque parti soit libre, après en avoir fini avec la dictature, de respec-
ter ou non les libertés politiques, cela signifie qu'il s'agit d'un rappro-
chement opportuniste qui n'est pas motivé par une conviction profon-
de des principes de liberté, de démocratie et d'égalité, mais par l'accès
au pouvoir à tout prix pour édifier un régime dont rien ne garantit qu'il
sera différent de celui de Ben Ali.
C'est pour cela que la coalition ne peut être sérieuse, responsable et
crédible, que si chaque parti adopte clairement cette base minimale,
qui garantit ses intérêts et ceux du peuple tunisien. C'est une garantie
pour pouvoir cohabiter ensemble mais aussi pour préserver le peuple
tunisien d'une nouvelle dictature, protéger ses droits et lutter contre la
misère dans laquelle il vit aujourd'hui.
Dans ce cadre nous pouvons nous référer aux pays qui garantissent
les libertés politiques. Dans ces pays, il existe un minimum de droits et
de règles que résume l'expression "valeurs républicaines" qui garantit
le respect des libertés individuelles, publiques, le respect du principe
de la souveraineté du peuple, de l'égalité devant la loi et de l'indépen-
dance de la justice. Le non respect de l'un de ces principes constitue
une atteinte à ces "valeurs républicaines". Il est évident que les partis
qui remettent en cause ces valeurs n'ont aucun intérêt pour la liberté et
la démocratie. Par contre, les peuples et les forces progressistes restent
très attachés à ces principes, veulent les élargir, les approfondir et
garantir les conditions matérielles de leur existence.
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Interview de Hamma Hammami
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avec la chaîne de télévision Al-Mustakillah
12. Cette interview a été réalisée clandestinement et transmise en août 2001 sur la
chaîne de télévision Al-Mustakillah qui émet depuis Londres. C'est sur cette même
chaîne qu'il a annoncé qu'il allait sortir de clandestinité.
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Le chemin de la dignité
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
L'Etat de droit exige que les lois soient votées par un Parlement élu
démocratiquement, il exige aussi que ces lois garantissent les libertés
individuelles et collectives, il nécessite enfin que tous les citoyens -
gouvernants et gouvernés - soient égaux devant la loi. Comme il exige
aussi l'existence d'un appareil judiciaire indépendant qui oblige tous
les citoyens - gouvernants et gouvernés - à respecter la loi.
C'est un vieux jeu connu depuis longtemps, un jeu des pouvoirs
autoritaires de promulguer des lois qui privent les citoyens de leurs
droits, de leurs libertés et de demander aux mêmes citoyens de se sou-
mettre à ces lois injustes sous peine d'être déclarés comme hors-la- loi.
C'est ça l'État de droit ? l'État démocratique ?
Nous en Tunisie, on n'a pas d'État de droit ; les lois chez nous sont
issues d'un Parlement illégitime, elles ne garantissent ni les droits ni les
libertés, mais interdisent et punissent les citoyens qui veulent jouir des
libertés.
Les citoyens en Tunisie ne sont pas égaux devant la loi, ces lois ne
s'appliquent pas à ceux qui sont proches du pouvoir, mais les oppo-
sants sont toujours victimes des foudres de ces mêmes lois injustes et
qui ont été votées d'une façon non démocratique.
Enfin en Tunisie, on n'a pas de système judiciaire indépendant qui
protège les gens, l'appareil judiciaire chez nous est une administration
qui dépend totalement du pouvoir exécutif, est surtout aux ordres de la
police, et sur cette base nous affirmons que notre position de ne pas se
soumettre aux lois injustes ne signifie pas que nous sommes contre la
loi d'une façon systématique ; nous acceptons les lois justes, mais nous
luttons avec toutes nos forces contre les lois injustes et non démocra-
tiques ; nous sommes pour un État de droit et contre l'État arbitraire et
de non droit et nous considérons que notre position est progressiste et
civilisée, nous pensons que la soumission aux lois injustes est une atti-
tude d'esclaves, que l'État autoritaire en Tunisie essaie de cultiver dans
les têtes de tous les citoyens. Il veut que le Tunisien en arrive à consi-
dérer que le bon citoyen est celui qui renonce à tous ses droits et liber-
tés en faveur de l'État autoritaire, et ça nous l'avons refusé et rejeté.
Al-Mustakillah : vous avez été torturé et emprisonné sous le régime
de Ben Ali, quel commentaire feriez-vous à propos des informations
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Le chemin de la dignité
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
Tunisie.
S'il arrive que la presse et le système judiciaire deviennent indépen-
dants et s'il arrive que les élections soient libres et démocratiques, cette
minorité sera menacée dans ses intérêts, car elle devra donner des
comptes sur les sources de ses richesses et sera éloignée du centre du
pouvoir. C'est pour ça que cette minorité fait pression tout le temps
pour aggraver la situation, car la répression seule garantit ses intérêts.
Le troisième élément : c'est le rendez-vous de 2002 (les élections
présidentielles), et Ben Ali connaît pertinemment la libération de la vie
politique en un tel moment, l'indépendance de la presse, du système
judiciaire, la reconnaissance des associations et des partis, la révision
des lois organisant les élections pour garantir qu'elles seront libres et
démocratiques ; tout cela amène à la constitution d'une large opposi-
tion à son régime et cela conformément avec l'article 69 de la
Constitution qui lui interdit de se représenter en 2004.
Al-Mustakillah : à votre avis, Hamma Hammami, où se situe le pro-
blème de la Tunisie en ce moment ?
Hamma Hammami : je crois que le grand problème de notre pays
maintenant est la dictature, cette dictature basée sur le pouvoir absolu.
Un seul homme au haut de la pyramide du pouvoir exécutif, qui a auto-
rité sur le pouvoir législatif et sur le système judiciaire.
Al-Mustakillah : donc, selon vous, il n'y a pas de république en
Tunisie
Hamma Hammami : non, non, je l'ai déjà dit, il n'y a pas de répu-
blique en Tunisie. Comment peut-on parler de république en présence
d'un pouvoir personnel absolu, avec des élections truquées, avec les
99,99%, en l'absence totale de libertés, en torturant les citoyens, avec
une justice soumise et annexée au pouvoir exécutif ?
La Tunisie, actuellement, est une monarchie avec une façade
"moderniste", ni plus ni moins. La république, au vrai sens du mot,
reste un projet à réaliser, un projet d'avenir.
Al-Mustakillah : comment vous, directeur du journal interdit Al-
Badil, jugez-vous la situation de la presse en Tunisie ?
Hamma Hammami : la situation de la presse est catastrophique. Je
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Le chemin de la dignité
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
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Le chemin de la dignité
per d'un an à l'autre depuis le 7 novembre 1987 ? Une bonne santé éco-
nomique doit en premier se traduire par une hausse de l'emploi, et donc
une réduction du chômage. Selon les chiffres officiels, le taux du chô-
mage est de l'ordre de 16-17%, en réalité il est entre 25% et 30%.
Si l'économie va bien, alors pourquoi le pouvoir d'achat, surtout des
salariés, n'a cessé de se dégrader ? Tout le monde se plaint du coût
élevé de la vie, les gens ne sont plus capables de subvenir à leurs
besoins avec un seul boulot. Le travailleur, au lieu de rentrer chez lui
après le travail pour se reposer, est obligé de chercher un deuxième
voire un troisième boulot pour pouvoir survivre. Il en est de même
pour les enseignants et les autres petits fonctionnaires.
L'Etat ne cesse de se désengager du secteur de la santé et petit à petit
nous nous retrouvons avec un système à deux vitesses, une médecine
pour les pauvres et une médecine pour les riches. La même chose se
produit au niveau de l'enseignement, un enseignement pour les riches
avec des perspectives garanties et un autre pour les pauvres sans garan-
tie de perspectives.
Si l'économie va bien, alors pourquoi la dette extérieure est en cons-
tante croissance ? En 1986 le poids de cette dette représentait 814 dol-
lars par personne14, en 2000 chaque Tunisien est redevable d'environ
1800 dollars à l'étranger. On peut continuer l'inventaire pour le budget
de l'Etat, la balance commerciale, etc.
Le gouvernement n'arrête pas de faire du tapage médiatique autour
des 5% de croissance. Il faut signaler, que ce taux est inférieur aux 7%
réclamés par le FMI et la Banque Mondiale, que, d'autre part, le taux
moyen de croissance entre 1962 et 1986, les 25 années précédant le 7
novembre 1987, date d'arrivée de Ben Ali au pouvoir, était de 5,5% ce
qui est supérieur au 5% présentés comme étant un miracle. De plus, sur
cette même période, à 11 reprises le taux de croissance a dépassé les
6% et 4 fois les 11%, ce qui est nettement supérieur au chiffre actuel.
Sur un autre plan, il faut souligner que par le passé ni les 5,5%, ni les
6% et ni les 11% de croissance n'ont épargné à la Tunisie les graves cri-
ses économiques qui l'ont secouée, notamment en 1969, 1980 et 1986.
14. Le poids de la dette par personne correspond au montant total de la dette extérieu-
re divisé par le nombre d'individus que compte la population tunisienne.
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
Alors que peut-on dire des 5% actuels, c'est très insuffisant, surtout si
on sait que cette croissance n'est pas le produit d'une politique écono-
mique saine. Ces 5% ne proviennent pas du développement des sec-
teurs économiques de base, mais de l'intensification de l'exploitation
des travailleurs, du pillage de la caisse 26-26, de la hausse des impôts,
de la privatisation etc. Cette privatisation est comparable à quelqu'un
qui est en train de brader ses meubles et raconte que tout va bien tant
qu'il y a des liquidités dans la caisse, sans se préoccuper de l'avenir,
surtout quand les principaux bénéficiaires de cette privatisation sont
les capitaux étrangers. A terme, l'économie tunisienne sera entre les
mains d'une minorité locale qui ne se préoccupe guère de notre avenir
et d'une majorité de capitalistes étrangers qui ne s'intéressent qu'à leurs
intérêts. Par conséquent, le peuple tunisien n'est plus maître de l'avenir
de son économie. Les secteurs qui contribuent en grande partie à cette
croissance, sont souvent peu stables. C'est le cas du tourisme qui
dépend des circonstances et de l'agriculture qui reste tributaire des fac-
teurs climatiques.
Sur un autre plan, celui de la répartition du fruit de la croissance,
elle ne profite pas aux couches populaires mais à une infime minorité
locale ou internationale. On peut le constater en observant les chiffres,
la part des salariés dans le PIB est passée d'environ 40% dans les
années soixante-dix à 29% dans les années quatre-vingt-dix, tandis que
la part des capitalistes et des propriétaires fonciers a augmenté de 46%
à 56% sur la même période. Les salariés dont le nombre et la produc-
tion ne cessent de croître bénéficient de richesses dont l'accroissement
est de plus en plus faible, alors qu'une minorité de moins en moins
nombreuse accroît de plus en plus sa richesse. En un mot, les riches
sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
Voyons ce qui se passe au niveau des impôts, la part des salariés est
d'environ 85% alors que celle des chefs d'entreprise n'est que de 11 à
12%. Pour la consommation, les 20% les plus riches consomment
60%.
Je veux dire que, derrière ce prétendu miracle économique, se
cachent beaucoup de mensonges et de tromperies qui visent à donner
une certaine légitimité à la politique de Ben Ali et à son gouvernement
et en particulier à justifier leur politique répressive qui se présente
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
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Textes politiques Interview Al-Mustakillah
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A propos du 11 septembre
Il est évident pour tout esprit raisonnable que le terrorisme, en tant
que moyen de lutte politique est absolument inacceptable, non seule-
ment parce qu'il met souvent en péril la vie de gens innocents et c'est
pour cela qu'il est "aveugle", "irrationnel" et "répugnant", mais aussi
parce qu'il nuit à la cause que les auteurs de ces actes terroristes pré-
tendent servir et c'est d'ailleurs pour cela que le terrorisme, au vrai sens
du terme et sans amalgame avec les luttes et les mouvements de libé-
ration nationale ou sociale, dénote d'une myopie politique flagrante.
Les événements du 11 septembre dernier qui ont secoué les Etats unis,
faisant des milliers de morts, en majorité des civils, sont la preuve écla-
tante de la justesse de ce point de vue. Suite à ces événements dont la
responsabilité a été attribuée à l'organisation intégriste al-Qaeda de
Ben Laden qui arbore le drapeau du djihad contre les chrétiens et cont-
re les juifs, jamais les musulmans et les Arabes n'ont été autant objets
de suspicion pour une grande partie de l'opinion publique occidentale.
L'une des théories les plus réactionnaires, les plus chauvines, et les
plus génératrices de haine et de racisme et par conséquent d'agression
et de guerre, parue au cours des dix dernières années, en l'occurrence
la théorie du "choc des civilisations" de l'Américain Samuel
Huntington, spécialiste d'études stratégiques au service de l'adminis-
tration américaine, a pu trouver dans les attaques contre New York et
Washington une justification et une preuve, lui permettant d'apparaître
comme une "prophétie" politico-stratégique. Le "courant vert", c'est-à-
dire l'islam ou plutôt le monde musulman serait l'ennemi numéro un
contre lequel doit se mobiliser la civilisation chrétienne occidentale.
Une nouvelle "croisade" est annoncée. Certaines déclarations du prési-
dent américain G.W.Bush, parlant de "croisades" ou du Premier minis-
tre italien parlant de "la suprématie de la civilisation chrétienne occi-
dentale sur la civilisation arabo-musulmane" n'ont fait que conforter
les esprits les plus belliqueux et adeptes de ce genre de théories réac-
tionnaires. Les Arabes et les musulmans, surtout ceux qui vivent en
Occident, ont été contraints à affirmer qu'ils ne sont pas des "barbares"
et que leur religion n'est pas synonyme de violence et de terrorisme.
135
Le chemin de la dignité
Par ailleurs, la guerre menée par les USA contre l'Afghanistan, pays
meurtri et dévasté par l'occupation soviétique puis par les luttes fratri-
cides entre les clans de moudjahidine et enfin par le régime moyenâ-
geux des Taliban, a été perçue par une large majorité de l'opinion
publique occidentale comme une "guerre de légitime défense". Les
bombardements massifs des avions américains, les massacres des
populations civiles, la destruction de la nature n'ont été condamnés que
par une minorité. Aujourd'hui il faut être dupes pour croire que les
Américains vont plier bagage et quitter la région après avoir chassé les
Taliban du pouvoir et démantelé l'organisation al-Qaeda. Selon toute
évidence ils sont venus pour rester et organiser la région en fonction de
leurs intérêts stratégiques, économiques et militaires. Pis encore, la
campagne contre l'Afghanistan risque de s'élargir, au nom de la lutte
contre le terrorisme, pour toucher d'autres pays musulmans, et en
premier l'Irak déjà soumis depuis dix ans à un blocus meurtrier et aux
bombardements réguliers de l'aviation américano-britannique, après
avoir mené une guerre au nom de "la libération du Koweït", qui a tout
détruit, ou presque, en Irak. Cela dit, les attaques contre New York et
Washington sont en train de servir d'alibi aux stratèges américains afin
de renforcer leur domination sur le monde arabo-musulman. "Avec
nous ou contre nous", voilà la ligne de conduite qui régit les rapports
sociaux et politiques et qui justifie les moyens par les fins visées. De
ce point de vue, la civilisation occidentale est perçue par les peuples
arabo-musulmans comme une source d'oppression et d'humiliation. Le
confort matériel de "l'occidental", ses libertés politiques et individuel-
les, ses loisirs culturels, renvoient, de l'autre côté, à la pauvreté, la
répression politique, l'analphabétisme et la misère morale. Les acquis
de la "civilisation" sont accaparés par une poignée de nations alors que
la majorité d'entre elles sont asservies. C'est cette situation qui exaspè-
re les peuples musulmans empêchés de jouir de leur richesse, de leur
liberté, et de construire leur avenir de la façon qui leur convient. C'est
sur ce terrain qu'agit l'extrémisme religieux. C'est ce que doit com-
prendre tout esprit censé et raisonnable dans les pays occidentaux.
En effet la guerre menée par les Etats unis en Afghanistan, outre le
fait qu'elle n'est ni "juste" ni "civilisée" ni "noble", ne pourra en aucun
cas extirper les racines du terrorisme. Elle peut chasser les Taliban,
136
Textes politiques A propos du 11 septembre
137
Le chemin de la dignité
res de ces pays et à l'Etat d'Israël. Un tel soutien ne fera que rapprocher
les peuples des "deux mondes" et les inciter à lutter ensemble pour un
monde meilleur.
Face à la politique étrangère des USA définie par G.W. Bush pour
qui ceux qui ne se soumettront pas payeront les frais de leur "insou-
mission" et seront perçus comme "alliés du terrorisme international",
les dictatures les plus corrompues et les plus répressives de la région
ont immédiatement fait allégeance à Washington, profitant de l'occa-
sion pour justifier par la lutte contre le terrorisme leurs propres guer-
res contre les libertés et les droits humains dans leur pays. Les opposi-
tions les plus pacifiques et les plus légitimes sont traitées comme
autant d'alliés de Ben Laden. Chez nous, en Tunisie, à titre d'exemple,
Ben Ali n'aurait pu espérer mieux que les événements du 11 septemb-
re pour sortir de son isolement et se vanter d'être le champion de la
lutte contre le terrorisme. Il a reçu au Palais de Carthage Jacques
Chirac, Hubert Védrine et le ministre de l'Intérieur français, ainsi que
Silvio Berlusconi, le Premier ministre italien. Des messages lui ont été
adressés par G.W. Bush et par le colonel Pauwels. Son régime policier
est décrit par le président américain comme "un modèle de tolérance et
de modération dans le monde". Ainsi Ben Ali peut tranquillement révi-
ser la constitution pour se débarrasser de l'article qui lui interdit de bri-
guer un quatrième mandat en 2004. Il peut espérer une présidence à vie
avec le soutien tacite des gouvernements occidentaux.
Par ailleurs, la cause palestinienne au nom de laquelle auraient agi
les auteurs des attaques, n'a jamais été en si mauvaise posture. Le
Premier ministre israélien, Ariel Sharon, extrémiste de droite et crimi-
nel de guerre notoire qui n'a rien à envier à Milosevic ou à Karadjic, a
sauté sur l'occasion pour se présenter lui aussi comme un rempart cont-
re le terrorisme palestinien.
Les événements du 11 septembre n'ont pas desservi seulement les
peuples arabo-musulmans. Les peuples des pays occidentaux et du
monde entier se trouvent confrontés à des situations difficiles. En effet
plusieurs gouvernements occidentaux dont celui des Etats Unis se sont
servis de ces événements pour promulguer des lois et prendre des
mesures violant les libertés individuelles et collectives au nom de la
lutte contre le terrorisme. Le même argument a été utilisé pour aug-
138
Textes politiques A propos du 11 septembre
menter les budgets militaires et faire passer des projets jusqu'ici criti-
qués par l'opinion publique (le bouclier anti-missiles américain) et
dont les contribuables paieront la facture aux dépens de leur niveau de
vie, leur éducation et leur santé, en plus de la relance de la course aux
armements que provoquent ces projets mettant en péril la paix mon-
diale. Enfin, ces événements ont servi aux Etats-Unis à faire oublier
pour le moment les problèmes sociaux et politiques internes en exa-
cerbant les sentiments nationalistes, chauvins et racistes au nom du
"patriotisme". De larges pouvoirs sont donnés au Président, à ses géné-
raux et aux services de renseignement. Le soutien aux dictatures les
plus corrompues et les plus sanguinaires, le mépris des cultures et des
sentiments nationaux des autres peuples, la destruction délibérée de
l'environnement, la domestication des institutions internationales et
leur instrumentalisation au service des intérêts des superpuissances ne
font que renforcer les sentiments de haine à leur égard aux quatre coins
du monde et favorise l'aggravation du phénomène du terrorisme à l'é-
chelle internationale, comme une expression primaire et violente de
cette haine. Cependant, les USA ne créent pas seulement les conditions
objectives qui favorisent la naissance et le développement du terroris-
me mais aussi ils pratiquent le terrorisme d'état à l'échelle planétaire
(assassinats politiques, coups d'Etat, invasions militaires, …). Plus
encore, les USA sont responsables de la création, du financement et de
l'armement de plusieurs organisations terroristes dans le monde qu'ils
ont utilisé pour combattre l'Union soviétique ou déstabiliser des régi-
mes "ennemis" ou "insoumis" ou se débarrasser de dirigeants poli-
tiques, syndicalistes, pacifistes.
On ne demande pas à des peuples opprimés d'aimer, de respecter ou
de se soumettre à leur oppresseur. Evidemment, le terrorisme est une
des formes d'opposition engendrée par cette oppression. L'extrémisme
religieux, sous sa forme terroriste, est l'expression la plus brutale et
parfois la plus sanguinaire de l'exaspération de certaines couches
sociales face à l'oppression économique, militaire et culturelle occi-
dentale, et en particulier américaine.
Ici on ne justifie pas le terrorisme mais on l'explique d'autant plus
que plusieurs mouvements extrémistes religieux dans le monde arabo-
musulman, en l'occurrence les Taliban et al-Qaeda de Ben Laden ne
139
Le chemin de la dignité
sont, à l'origine, qu'une pure création des USA et de leurs alliés les plus
fidèles et les plus soumis, à savoir l'Arabie Saoudite et le Pakistan. Si
ces mouvements se sont aujourd'hui retournés contre leur "créateur" ou
contre ceux qui les ont financés ou armés au début pour s'en servir
contre l'Union soviétique ou les régimes qui lui sont proches, ce n'est
ni illogique, ni déraisonnable. Dans la logique de ces mouvements, une
fois terminée la lutte contre l'ennemi "athée" (l'Union soviétique et ses
acolytes), on passe à l'ennemi "mécréant" (chrétien ou juif) qui n'est
pas moins oppresseur que le premier. Ils sont fidèles dans toutes les
étapes à leur but final : fonder un régime islamique "pur et dur", à l'ins-
tar du régime islamique des origines sans prendre en considération
quinze siècles de développement historique dans les domaines écono-
mique, social, politique, moral et culturel.
Cependant, condamner le terrorisme en tant que moyen de lutte
politique pour les raisons que nous venons d'évoquer ne résout en rien
le problème car cela revient à traiter les effets sans s'attaquer aux cau-
ses profondes. Ceux qui disent que "le terrorisme n'a aucune justifica-
tion" oublient souvent que le terrorisme a une explication. Néanmoins
chercher cette explication dans la religion ou la culture de tel ou tel
peuple ou communauté en prétendant que telle religion ou telle cultu-
re est spécialement génératrice de "violence" et de "terrorisme" alors
que d'autres sont porteuses de "progrès" ou de "civilisation" n'est qu'u-
ne manière d'éluder la question et plonge dans des "théories" ou des
attitudes qui ne peuvent qu'alimenter et exciter à la haine entre adeptes
de différentes religions et cultures. En effet, ce genre d'explications
simplistes et superficielles vise à escamoter les causes profondes du
terrorisme en avançant les explications idéologico-religieuses ou aut-
res présentées par les auteurs des actes terroristes, comme étant ces
causes mêmes. C'est aussi une manière de justifier les méthodes sécu-
ritaires destructrices et barbares, utilisées pour faire face au phénomè-
ne du terrorisme qui prend de plus en plus des proportions planétaires
et pour faire accepter par l'opinion publique en quête de sécurité : “ces
méchants terroristes qui symbolisent le "mal" ou la "barbarie" (suivant
les circonstances) nous haïssent, nous qui symbolisons le "bien" ou la
"civilisation"”. Voilà comment l'Administration américaine, par exem-
ple, explique les attaques de New York et de Washington. Ce discours,
140
Textes politiques A propos du 11 septembre
Hamma Hammami
11 janvier 2002
141
Table des matières
Avant propos 3
Préface de Salah Hamzaoui 5