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Eric Vatin

GUERRE SUR TERRE

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EDITIONS DU FUTUR ©
ISBN : 978-2-36148-005-9

Illustration Eric Vatin

« Toute reproduction intégrale ou partielle fait de quelque procédé que ce soit sans le consentement de
l’auteur est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par la loi. »

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« Celui qui possède la couronne est un roi, un dieu.
L’homme dont la tête en est recouverte, agit pour lui, il est le
centre de l’univers. Son ego fait de lui un être qui n’agit que
pour l’intérêt du serpent de son esprit. Les autres ne sont
que des instruments. L’être couronné prend toutes les forces
dont il dispose pour sa gloire pour écraser les autres. Son
but est l’amour de lui-même et il prend tout, des autres pour
son ascension. Lorsqu’on croise un être dont le crane est
couvert de la couronne, il dit "Moi, je". Peut-être en avez-
vous déjà croisé, soyez vigilant. »
Sur ces pensées, Kim reprend les commandes de son vaisseau, accompa-
gnée de Timi et Jenifer. En passant sur Terre, Aqualuce et Weva ont aban-
donné leur nom pour passer inaperçu. Kim donne de la vigueur à Aqualuce,
tandis que Jenifer fait sourire Weva qui préfère les noms terriens plutôt que
ceux de Lunisse. Seule, Timi a gardé son nom, elle est de Las Wegas. Mais
toutes trois ne savent pas encore qu’elles n’en sont qu’au début de
l’aventure…

Elles et tous leurs amis embarqués dans cette immense fresque, n’ont au-
cune idée du chemin qu’ils ont à parcourir, et personne ne sait ce qu’il y a
derrière la Couronne de Serpent. Aucun d’eux n’en connaît le but final.

Plusieurs groupes sont partis dans différentes directions, mais où en sont-ils,


chacune de leur aventure apporte-elle un intérêt au groupe, sont-ils disper-
sés dans l’espace pour être au contraire plus faible et désunis ?

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L’AMOUR Á VENUSIA
Némeq n’était pas très confiant lorsqu’il a pris le vaisseau
en main il y a quinze jours, mais Amanine est une femme très douée, pour
la médecine et pour bien d’autres choses et elle a su lui redonner confiance.
Si Némeq n’était pas marié avec Doora, ils paraîtraient un joli couple en-
semble. Amanine est experte pour le faire parler et comprendre les senti-
ments de son équipier, ils sont vraiment complémentaires. Cette femme
n’est pas vilaine, elle est assez jeune ; elle a vingt-trois ans de vie et sept
ans de congélation supplémentaire sur Trinita, elle devrait en avoir trente.
Son corps est jeune, mais son esprit semble avoir suivi le temps réel. Elle a
comme tous les Lunisses les cheveux bruns, coupés au carré, mais elle a la
peau très blanche. Elle est de taille moyenne pour une femme et sa poitrine
est légère. Ce qui peut attirer les hommes vers elle, c’est le galbe excep-
tionnel de ses jambes, remarquables.
Vénusia n’est plus très loin, il ne leur reste que mille années lumières à par-
courir, autant dire qu’ils sont déjà arrivés. Les équipiers que Wendy a sug-
gérés de prendre sont tous de bons techniciens, Némeq aura besoin d’eux
sur la planète lorsqu’il recherchera d’éventuels survivants.
Le moteur éthérique est coupé maintenant, ils sont entrés dans le système
stellaire de la planète, ils voient l’étoile centrale, Vénusia est à un milliard
et demi de kilomètres et dans quinze heures ils seront satellisés. La planète
sur laquelle ils arrivent est un astre moins grand que les autres, sa masse et
d’un tiers moins importante que Lunisse, les hommes qui la peuplaient
étaient plus grands, ils faisaient dix centimètres de mieux que les autres.
Néanmoins, peser quarante kilos pour les femmes était un avantage, et pour
les hommes, cinquante ou soixante, était un plaisir. Les Vénusiens
n’aimaient pas voyager car la plupart des autres planètes étaient plus lour-
des. Leur morphologie n’était pas trop différente, leur taille et leur appétit
étaient seulement plus raisonnables.
Dans le vaisseau, aucun d’eux ne connaît cette planète. Ce qu’ils en savent,
c’est que c’était au temps de Lunisse, la Planète de l’Amour, c’est pour cela
qu’elle s’appelle Vénusia. Personne dans le vaisseau ne sait au juste pour-
quoi elle est assimilée à l’amour. Némeq n’a aucune idée et pense qu’il
trouvera une explication s’il découvre des survivants.
Le climat de la planète est tempéré, elle n’a pas de calotte glaciaire car elle
a une double rotation. D’une part, elle tourne sur son axe et les deux pôles
sont sur le plan de l’écliptique en vingt heures. D’autre part, les deux pôles
basculent en quarante heures sur un axe vertical, ce qui fait la double rota-
tion. Il n’y a ni zone froide, ni zone chaude. La planète était une zone de
liberté pour la nature car les constructions humaines étaient faites dans le
respect du rythme biologique de l’astre. Amour était le maître mot ici.

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L’équipage ayant profité de ces heures d’approche, ils sont tous prêts main-
tenant, et la planète est là, sous leurs pieds. Némeq, la regardant, a une
étrange sensation ; il se demande quels seront les effets de l’astre sur son
mental ?
« Cette planète est-elle une zone de libre amour ou est-elle une représenta-
tion idéale d’un rêve d’homme ? »
Pour savoir cela, il faut se poser. Il connaît le lieu exact de la ville qu’ils
pensent encore présente, même si elle n’est plus habitée ; c’est pour cela
que Némeq donne les instructions pour que le vaisseau se pose près de
l’ancien astroport.
Ils sont sur le sol de la planète et à leur descente, ils ont tous une sensation
étrange de bien-être dû à l’absence partielle de pesanteur. Leur esprit est en
paix, une sensation étrange monte en eux et leur donne une plénitude dans
leur corps. Rien ne laisse à présager qu’ils puissent courir des risques ici.
Némeq pense qu’il faut mettre l’appareillage de détection en fonction pour
savoir s’il y a des hommes cachés quelque part sous la planète. Amanine,
qui est scientifique, va elle-même mettre en marche tout l’appareillage, elle
sait mieux s’en servir que quiconque.
⎯ Némeq, dit aux membres de l’équipe que nous prendrons plusieurs
jours pour une recherche approfondie, je compte faire une analyse complète
de l’astre, bien que je prenne les détecteurs de vie. Tu sais, ceux-ci peuvent
parfois être inefficaces lorsqu’il y a des murs magnétiques et radioactifs.
Tout l’équipage s’installe tranquillement dans le vaisseau en attendant qu’il
y ait des résultats.

Amanine est très concentré sur ses recherches, ils sont sur la planète depuis
deux jours vénusiens, ce qui représente un jour et demi lunisse ; leur corps
s’est vite habitué à ce changement de rythme biologique. Le détecteur de
vie n’a rien donné pour le moment, mais les autres systèmes ont détecté une
activité électrique assez dense par endroits, ce qui l’intrigue. Sur une zone
de cent kilomètres elle a trouvé trois points où la charge électromagnétique
est concentrée comme des centrales d’énergie de haut rendement. Sur les
cartes de cette planète, aucune centrale n’est répertoriée sur ces lieux et les
centrales électriques de l’époque ne semblent plus fournir un seul kilowatt.
C’est ce qui l’intrigue. Elle en fait part à Némeq qui regarde la chose avec
intérêt. Il y a parmi eux un spécialiste de l’énergie, un peu comme Wendy,
et Némeq lui demande de les rejoindre, il s’appelle Fenvy.
⎯ Némeq m’a dit que tu es spécialiste de l’énergie !
⎯ Oui, j’étais étudiant à l’école d’astrophysique appliquée sur Trinita.
⎯ C’est bien, mais es-tu réellement expérimenté dans les champs de
forces électromagnétiques à hautes fréquences ?
⎯ J’ai déjà vu ça avec mon professeur lorsque nous faisions des expé-

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riences sur le déplacement des objets par ondes radios.
⎯ Si tu t’y connais, regarde alors ce que j’ai découvert avec les capteurs
du vaisseau et donne-moi ton avis.
Le jeune homme, qui ne semble pas avoir plus de vingt ans, commence à
regarder avec attention tout ce que donne comme information le CP au sujet
de l’observation remarquée par Amanine. Il prend un long moment et sem-
ble faire des calculs, des équations. Ils le laissent faire sans le déranger afin
qu’il soit plus à son aise. C’est au bout de deux heures qu’il revient vers
Amanine.
⎯ J’ai une solution, mais elle est presque invraisemblable.
⎯ Quoiqu’il en soit, expose-nous-la, c’est peut-être une piste, rien n’est
à négliger.
⎯ Lorsque j’étais avec Monsieur Enstimer, nous avons essayé de trans-
porter des objets d’un lieu à l’autre par onde radio et pour cela nous devions
déjà transformer les objets en flux électriques ; c’était notre première dé-
marche et la principale. Nous avons expérimenté différentes techniques
dont une qui semblait donner un excellent résultat. C’était la trinumérisation
atomique appliquée aux atomes de carbone. Cette méthode nous permettait
d’interpréter numériquement un objet et le retransformer à l’autre bout de
l’appareil. La numérisation fonctionnait bien, mais l’objet par lui-même
était détruit et il prenait feu, c’était là le problème, même s’il était restitué
de façon impeccable de l’autre côté. En fait, on ne savait pas si c’était réel-
lement le même, on a fait l’expérience que sur des chaussures et des brosses
à dents, jamais sur un être vivant. Lorsqu’on avait numérisé un objet, il se
transformait en un champ de force électromagnétique qui pouvait être
conservé dans une chambre vide et isolée. Vous savez, les atomes contien-
nent une bonne quantité d’énergie en eux ; une chaussure devait prendre un
mètre cube à elle seule, soit en énergie, vingt mille milliards de joules. On
avait avec nous des bombes thermonucléaires trop dangereuses et c’est pour
ça que nous avons arrêté l’expérience. Bien sûr, une fois rematérialisé,
l’objet redevenait inoffensif. Mon professeur est parti et moi j’ai arrêté ces
expériences. Je ne sais pas où il est allé par la suite mais je crois qu’il aurait
aimé continuer. Pour en revenir à ce que nous avons devant nos instru-
ments, c’est colossal. L’énergie cumulée pas les trois observations nous
donne neuf cents millions de milliards de joules, de quoi faire sauter la pla-
nète entière. Cette énergie doit être stockée dans des silos isolés, je ne vois
pas comment on pourrait la garder autrement. En attendant, on est ici sur
une bombe, c’est planète pourrait exploser si une météorite devait atteindre
un de ces silos.
⎯ Tu veux dire qu’il pourrait y avoir quelque chose de dématérialisé à
travers ces flux d’énergie ?
⎯ Peut-être si le résultat de ces flux a été réalisé avec la méthode de

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mon professeur.
⎯ Nous sommes venus ici pour trouver des survivants qui auraient pu
rester là, après le grand exode du peuple lunisse. Je ne peux rien laisser au
hasard, nous devons nous rendre jusqu’à ces trois zones. Qu’en penses-tu
Némeq ?
⎯ Je suis d’accord avec toi, nous devons présenter notre projet aux
hommes et nous organiser. J’ai remarqué dans notre vaisseau trois véhicules
planétaires qui peuvent nous permettre de nous rendre presque tous sur ses
lieux, je pense que nous pourrons partir en expédition dès demain matin.
⎯ Monsieur, j’ai remarqué que si ce sont des silos, ils ne se trouvent
pas nécessairement en surface, l’un d’entre eux est sous le sol, à presque
deux cents mètres de profondeur, un autre sur une montagne et le dernier
paraît se trouver sous l’eau. Je pense que nous devrons nous préparer à ces
obstacles.
⎯ Merci Fenvy, nous allons nous organiser en conséquence.

Il est décidé qu’Amanine disposera de quinze équipiers, avec Fenvy. Les


autres resteront sur le vaisseau avec Némeq qui devra peut-être se préparer
à accueillir d’éventuels survivants s’ils en trouvent autour des silos qu’ils
vont explorer. Ils préparent vivres et armes légères et pour rester en contact
de simples communicateurs suffiront, de toute façon les supra ondes spira-
les traversent tous les matériaux, même le plomb, ainsi qu’ils soient sous
l’eau ou sous le sol ils ne se perdront jamais. Pour visiter les profondeurs de
la mer qu’ils devront affronter, leurs engins peuvent s’enfoncer jusqu’à cinq
cents mètres normalement, mais vu la gravité ici, ils pourraient aller à plus
de sept cents. De toute façon, il est prévu de faire un silo par jour, ils de-
vraient mettre au minimum trois jours pour tout visiter. Le départ est prévu
demain matin, d’après un opérateur qui s’occupe de la navigation avec Né-
meq, les conditions météo ne sont pas mauvaises, la montagne vers laquelle
ils se dirigeront fait trois mille mètres et la température au sommet est de
moins quatre degrés, l’eau gèle à peine. Le ciel est couvert au-dessus d’eux,
mais aucune précipitation n’est prévue dans les heures à venir.
C’est la fin de la journée et tout l’équipage profite pour mettre de l’ordre
dans le vaisseau. Ce sont au total dix-huit hommes et quatorze femmes qui
animent cette expédition. Tous ont eu avant de se retrouver ici un parcours
différent, il y a des jeunes d’à peine plus de vingt ans comme Fenvy, alors
que d’autres en ont presque cinquante. Les femmes sont parmi les plus jeu-
nes, elles ont en moyenne vingt-cinq ans, ce qui pour un Lunisse est un âge
de grande maturité du fait de leurs grands pouvoirs mentaux. Tous sont
célibataires, c’est pour cette raison qu’ils n’ont pas hésité à partir dans cette
aventure et aucun d’entre eux ne connaît Vénusia, la planète symbolisant
l’Amour. Le soir après le repas, la plupart des hommes et des femmes qui

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ne se connaissaient pas avant de partir ont déjà fort sympathisé, et curieu-
sement ils se sont rapprochés en formant des couples. Amanine l’a remar-
qué lorsqu’elle se retrouve seule avec Némeq dans le poste de pilotage pour
faire une dernière mise au point avant de partir demain. C’est là qu’elle
trouve en son partenaire un comportement étrange.

Némeq l’écoute à moitié lorsqu’elle lui exprime ses inquiétudes et son pro-
jet pour demain. Elle le voit, et en même temps ressent son regard se poser
sur elle comme un homme cherchant plus qu’un contact objectif et profes-
sionnel. Curieusement elle aussi est dans une disposition toute particulière,
et abandonnant son projet, elle lui dit :
⎯ Comme je pars demain matin, j’aimerais pouvoir passer la nuit avec
toi, je n’ai pas envie d’être seule dans mon lit. Je ressens en mon être une
vibration qui me dit d’aimer et comme nous sommes seuls, pourquoi pas
avec toi ?
⎯ Amanine, mon être vibre aussi, j’ai en moi des désirs, tes paroles ne
m’étonnent pas. Nous sommes ensemble depuis de nombreux jours, pour-
quoi ne pas nous rapprocher plus que dans l’intérêt de notre mission ?
⎯ Je n’y pensais pas jusqu’en arrivant ici, mais quelque chose parle en
moi, je ne sais comment trouver les mots pour l’exprimer…
⎯ L’amour. C’est peut-être ça ?
⎯ C’est cela qui vibre dans tout mon corps. Une force qui m’attire
vers…
⎯ Vers moi ?
⎯ Peut-être, car mon corps sent qu’il pourrait enfanter un être nouveau,
quelque chose qui ne se fait pas seul.
⎯ J’ai le même sentiment en moi, j’ai envie de toi.
⎯ C’est une attirance irrésistible, je ne peux pas lutter et je ne le désire
pas. suis-moi dans ma chambre.
Les passions se libèrent pour chacun, Némeq en oublie Doora, la femme de
sa vie, quelque chose de nouveau crée avec Amanine une liaison inattendue
et ils se retrouvent tous deux à relier leur corps pour en trouver l’unité par-
faite que leur cœur exprime. Le sexe est ce qu’ils prennent pour exprimer
cette pensée nouvelle qui les traverse.

Au matin, Amanine se réveille dans les bras de Némeq, quelque chose


d’étrange la dérange. Bien sûr, elle se rappelle avoir provoqué comme lui
cette passion nocturne, à la recherche de la perfection qu’elle pensait attein-
dre, et elle ressent qu’en fait, elle n’a rien trouvé. Ses sentiments l’ont
conduite à agir, mais son cœur est resté vide. Elle regarde Némeq se réveil-
ler et comprend que ce n’était pas lui qu’elle désirait en vérité. Un vent
d’amour les avait envahis, ils s’étaient laissés entraîner par leur instinct

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mais pour elle, c’était dans le vide d’un besoin corporel et elle se demande
pour quelle raison l’amour s’était posé devant eux comme une évidence.
⎯ Némeq, je te demande de me pardonner pour cette nuit, je n’aurais
jamais dû te provoquer, c’est moi qui ai commencé et je le regrette. Tu es
marié à Doora et je t’ai poussé à la tromper.
⎯ Mais il n’y a rien à regretter, je continue à t’aimer, mon cœur me
conduit à ne pas t’abandonner, j’ai apprécié ta présence cette nuit et je suis
prêt à continuer.
⎯ Je vais partir tout à l’heure, et lorsque je reviendrai, je continuerai à
dormir seule, c’est mieux pour nous tous.
⎯ Moi, je reste là et je t’attendrai. Réfléchis, nous n’avons personne au-
tour de nous pour nous contraindre à rester seuls.
⎯ Si, ma conscience.
⎯ Ne sens-tu pas que l’air de cette planète nous donne l’envie d’aimer
et d’être aimé ?
⎯ Vénusia est la planète de l’Amour, mais avec un grand A, ce n’est
pas de sexe dont il s’agit, mais l’amour avec notre cœur, c’est ce que je
découvre ce matin en me réveillant. Il faut que tu comprennes, c’est impor-
tant pour nous tous et la réussite de notre mission en dépend.
⎯ Ton cœur fait l’amour à la perfection, Amanine, le sais-tu ?
⎯ Je vais rassembler mon équipe, reste ici et réfléchis en m’attendant, il
faut que tu reconsidères ta pensée, sinon nous ne pourrons plus voyager
ensemble.
Amanine quitte Némeq qui a bien du mal à reprendre l’énergie du chef et
elle tente de regrouper l’équipe. Elle ne trouve présents qu’une poignée de
femmes et d’hommes debout dans le réfectoire ; elle voit que certains se
tiennent la main alors qu’hier ils se connaissaient à peine. Elle leur de-
mande s’ils seraient prêts à partir avec elle pour explorer les silos qu’ils ont
découverts. Mais nuls ne répondent, alors elle comprend qu’ils sont tous
pris dans le tourbillon des sentiments. C’est alors que Fenvy arrive et elle se
retourne vers lui :
⎯ Et toi, tu es prêt à partir ?
⎯ Cette nuit, j’ai fait des choses qui me sont inhabituelles avec des per-
sonnes inattendues et je me suis demandé pourquoi j’en étais arrivé là.
⎯ Et qu’en as-tu conclu ?
⎯ Un air étrange circule dans mes poumons, je pense que cette planète
contient un mystère qui m’est étranger. Si c’est l’amour, je me demande s’il
faut s’en réjouir, j’ai en moi une idée qui ne concorde pas avec ce que j’ai
expérimenté cette nuit. Je ne me sens pas à mon aise ici, j’aimerais partir.
⎯ Némeq n’est pas en forme, peux-tu m’aider à rassembler tous les
hommes et les femmes qui se sentent prêts à venir avec nous ?

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⎯ Ils sont tous encore dans leur lit ; ce sera difficile.
Entendant cela, Amanine sent son corps se raidir de fureur, mais aussitôt
après, elle sent que ce n’est pas comme cela qu’elle pourra rassembler les
volontaires, alors elle décide qu’à l’aide de Fenvy elle irait les chercher
dans leur chambre.
Il leur faut deux heures pour rassembler dix personnes qui ne sont pas trop
agressives, mais ne mettent pas de bonne volonté. Elle commence à prépa-
rer les trois voitures prévues pour l’expédition, mais, au moment de partir
une partie de l’équipage se précipite vers eux leur interdisant le passage
vers l’extérieur. L’un d’eux leur dit :
⎯ Vous ne prendrez pas toutes les voitures, nous voulons en garder
pour nous, votre mission ne nous intéresse pas. L’amour ne se gagne pas en
se séparant, rendez nous les amis que vous voulez embarquer.
Amanine sent que ses équipiers sont pris par l’atmosphère de la planète, elle
n’est pas pour la violence, mais se demande si elle ne devrait pas prendre
ses armes pour les écarter. L’équipage qu’elle prend avec elle commence à
être nerveux. Alors, elle répond :
⎯ Si cette nuit, vous avez découvert l’amour, vous devez savoir qu’il
n’est pas violent et qu’il répand la paix autour de lui. Alors, laissez-nous
partir.
Ces hommes ne sont pas violents, mais ils sont travaillés par une force nou-
velle qui les touche depuis qu’ils se sont posés sur cet astre. Évitant un af-
frontement dommageable, pour tous, Amanine arrive à sortir et à partir vers
son premier objectif, la montagne de l’Abolisam.
Lorsque Némeq se lève enfin, il s’aperçoit que sa compagne du moment est
partie. Une pensée monte en lui :
« Trop tard… »

Taourel est à la poursuite des rebelles, elle pense comme Maldeï qu’ils sont
à la recherche de survivants sur les sept planètes de Lunisse. Son intuition le
guide directement vers Vénusia, elle se dit que même si elle ne trouve per-
sonne, elle les attendra pour les prendre pas surprise, il est certain que cette
planète sera visitée prochainement. Lorsqu’elle approche du système plané-
taire, elle met ses capteurs de vie en fonction pour voir si cette planète est
occupée. Elle ne tarde pas à découvrir un foyer de vie et elle envoie des
microsondes vers ce qu’elle a remarqué. Un peu plus tard, apparaît sur les
écrans un immense vaisseau plus important que le sien. Le CP lui indique
que c’est le Terrifiant, un des vaisseaux de l’ancienne flotte lunisse. Enfin,
elle sait qu’elle a fait mouche, il ne sera pas nécessaire de les attendre, pour
elle l’affaire sera très vite réglée. Les sondes lui indiquent que sur le vais-
seau se trouvent vingt occupants. Pour Taourel, il faut les prendre par sur-
prise lorsqu’ils seront tous à l’intérieur. Le CP est clair ; le Terrifiant est un

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grand vaisseau de transport, mais ne possède presque pas d’armement et en
plus il est totalement vulnérable au sol. Des hommes et des femmes sem-
blent sortir, c’est la nuit qu’elle attaquera. Son appareil est un attaquant, il a
de nombreux canons éthériques et des bombes guidées qui, à très basse vi-
tesse, ne se font pas remarqués. C’est par cette méthode qu’elle pense dé-
truire le vaisseau sans laisser un survivant à l’intérieur.

Némeq est désemparé d’avoir laissé partir Amanine, il n’a pas encore com-
pris que c’est la planète qui est responsable de son nouvel état. Tous les
hommes et les femmes restés dans le vaisseau sont comme lui et nul d’entre
eux ne semble se réveiller et prendre conscience de ce qui se passe. Depuis
que l’autre équipe est partie ce matin, les choses deviennent de plus en plus
dérivantes, au point de devenir obscènes. Némeq l’a remarqué, mais de ter-
ribles maux de têtes l’empêchent de contrôler la situation. C’est la nuit et
tous sont couchés. Si Amanine devait revenir à cet instant, elle risquerait
d’en faire les frais. Le pauvre arrive à se hisser jusqu’au poste de pilotage
pour voir si son amie revient, et c’est à ce moment qu’il comprend ce qui se
passe :
Le détecteur spatial a repéré un vaisseau, qui paraît faire des manœuvres
hostiles, et lorsque Némeq concentre son observateur, il comprend qu’il a
été repéré.
Il veut donner l’alarme, il voit trois objets qui se précipitent vers son vais-
seau. Alors, il s’entend dire ce matin :

« Trop tard… »
Et comprend cette parole…

Taourel est l’esprit de Maldeï. Sa pensée fait corps avec sa maîtresse qui
perçoit en elle ce soulagement :
« Sur Vénusia, les rebelles sont morts, leur vaisseau détruit. Nous conti-
nuons les recherches jusqu’à ce que le dernier rebelle ait disparu. »

Sur le sol, l’homme ouvre un œil et perçoit avec bien des difficultés les
lambeaux étalés d’un vaisseau. Avant de retomber dans l’inconscience il
voit une femme qui se tient droite devant lui, il la reconnaît ; c’est Amanine.
À cet instant, son esprit s’évade pour un autre rêve, un mot, "Amour". Un
trou noir emplit alors son esprit entier…

⎯ Tu peux m’entendre, ouvre les yeux.


Némeq s’imagine être dans la peau de sa nouvelle vie, il a le souvenir d’un
grand souffle qui a déchiré l’enveloppe dans laquelle il se trouvait, mais
depuis tout s’est envolé, y compris sa mémoire. La voix qu’il entend lui

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rappelle quelqu’un, mais aucun souvenir ne le touche. Il fait ce que lui de-
mande la voix et tournant les yeux voit une jeune et jolie femme devant lui,
son esprit frémit. Mais à cet instant il ressent en lui son cœur vibrer ; une
voix lui parle. Il se rappelle du dernier mot qui lui a traversé l’esprit avant
de s’enfoncer dans un grand sommeil ; "Amour". Enfin remonte d’une pro-
fondeur jusqu’alors inconnue, une parole, comme un rayon qui se déverse
en lui. L’amour dont il s’agit n’est pas l’attirance vers cette belle femme
devant lui, mais quelque chose le pousse à s’ouvrir à autre chose. Il perçoit
comme un rayon bienfaisant se déverser sur lui, une force de joie et de vie.
En même temps, de lui, il sent quelque chose de nouveau s’étendre dans
l’espace qui l’entour, un domaine qui le pousse à partager avec les êtres qui
l’accompagnent. L’Amour, c’est ce qu’il est venu chercher en naissant,
comme tous les Hommes de l’univers. Regardant la femme qui est à son
chevet, il n’éprouve rien de sentimental, mais une union avec elle se fait
parce qu’elle est proche de lui. Il a la certitude qu’elle collabore avec lui
dans l’idée qui le traverse. Némeq est en train de faire l’expérience de
l’Amour, bien autrement de la façon dont il l’avait toujours vécu. Il regarde
à nouveau cette femme, un échange se fait en eux en dehors de leur cons-
cience habituelle. De leur cœur vibre comme une nouvelle vie, un être nou-
veau est né en eux, leur donnant l’intuition qu’un nouveau monde est à dé-
couvrir en eux. Un monde d’Amour aux dimensions encore inexplorées.
Amanine est transformée comme Némeq l’est. Alors du pauvre homme
blessé, ressort une pensée, ainsi que le souvenir de ce qu’il était autrefois :
⎯ Amanine, j’ai été un homme, aujourd’hui je suis un serviteur, pour
l’Amour. Ce qu’hier je percevais n’était que l’enveloppe d’une force qui va
au-delà de notre vie. L’Amour ne m’appartient pas, je n’en suis que le dé-
positaire, j’ai vu en toi hier l’image rabaissée de mon désir, mais mon corps
n’a rien à voir avec le véritable Amour. Je te demande pardon de ne pas
l’avoir compris plus tôt, j’aurais protégé l’enveloppe dont j’avais la charge
et qui est détruite maintenant.
⎯ Némeq, tu n’y peux rien, j’ai aussi appris ici par l’expérience comme
toi. Si tous étaient partis dans un mauvais état d’âme, nous serions tous
morts et nous n’aurions pas découvert tous les êtres qui étaient emprisonnés
sur cette planète. Tu es resté trois jours dans le coma sans l’aide de per-
sonne et c’est pendant ces jours que j’ai appris. Ceux qui nous ont rejoints
apportent à ce qui reste de notre petit groupe une grande sagesse.
Némeq est étonné des paroles d’Amanine, il ne comprend pas, il pensait que
l’explosion de son vaisseau avait eu lieu il n’y a que quelques instants et,
regardant autour de lui, il comprend qu’il n’est plus sur le lieu du désastre.
Son amie lui donne toutes les explications :
⎯ Tu es dans un ancien hôpital de Vénusia, la ville d’Aphrodite est res-
tée telle quelle pendant plus de sept ans, et avec nos nouveaux amis nous

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t’avons emmené jusqu’ici, et nous avons pu te donner les soins dont tu avais
besoin. Tu as été amputé d’un pied et ton corps a de multiples fractures que
nous avons pu soigner.
Némeq regarde ses pieds, mais Amanine le rassure.
⎯ Tu ne verras pas la différence car j’ai moi-même opéré ton membre,
je l’ai amputé et cicatrisé. Nous avions des prothèses que j’ai pu te greffer,
pour toi, il n’y a que dans la force de ton nouveau pied que tu sentiras la
différence, il aurait presque fallu que je fasse la même chose sur l’autre
pour que tu puisses devenir un champion à la course à pied, lui dit-elle en
souriant.
Tu seras remis dans un ou deux jours tout au plus. Mais maintenant, il est
important que tu saches ce qui nous est arrivé durant ces derniers jours :

Nous sommes partis avec bien des difficultés, car tous les membres du vais-
seau étaient sous la domination de l’atmosphère de Vénusia. Je me suis
rendu compte que l’air que nous respirions était étrange, et comme toi, nous
nous sommes laissés aller à ce qui touchait en premier notre instinct hu-
main. Lorsqu’on ne sait pas, on ne peut que se laisser prendre. De force, j’ai
dû reconstituer une équipe pour partir ; je sentais qu’il le fallait. Dans les
véhicules qui nous conduisaient vers la montagne de l’Abolisam nous avons
eu bien du mal, certains souffraient d’étouffement. En mon être j’étais
comme eux, mais je tentais de comprendre d’où venait cette douleur. C’est
avant de nous poser que j’ai réalisé que ce que signifiait Vénusia et pour-
quoi le symbole de l’amour était son panache. Il ne s’agissait pas de
l’amour de nos sentiments et de nos sens, mais de toute autre chose.
Comme tu l’as découvert toi aussi. Lorsque ce fut compris en mon être,
j’avais un choix à faire très rapidement : soit laisser de côté cette chose qui
tentait de prendre le contrôle en mon être et de l’étouffer, ou alors devoir
m’y soumettre. Je n’avais que deux minutes pour choisir ce que des hom-
mes mettent des vies à réaliser s’ils y arrivent. Deux petites minutes à me
confronter avec l’éternité ; rien en comparaison, pour une vie d’homme.
Mon esprit s’est envolé, porté par la force d’une nouvelle conscience qui
me touchait, et elle m’a emmenée dans son royaume pour que je comprenne
ma nouvelle destinée. J’ai vu avec d’autres yeux la source de la vie, concen-
trée au-dessus de l’univers et en même temps dans mon être, j’ai compris
que temps et distance ne pouvaient être qu’une vision de l’homme, j’ai
compris que l’univers prenait sa force et sa source en nous. Comme les
hommes prennent l’amour pour eux et en arrachent toute sa puissance de
façon forcée pour créer leur monde, l’univers prend de nous la force
d’amour pour en construire ses galaxies, ses étoiles et ses planètes. Lors-
qu’aux yeux d’un homme cela devient évident, il est impossible de pouvoir
continuer à collaborer à la continuité du grand pillage organisé. Lorsque les

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deux minutes furent passées, Fenvy me toucha pour me réveiller. Je l’ai
observé, et son regard était comme un pont ; il était touché dans l’instant,
comme une force magique qui se répand, comme un virus terrible qui
contamine tous ceux qui sont à côté d’un malade. Les neuf autres membres
ont été guéris en quelques instants au pied de la montagne, nous avons dé-
cidé de la gravir pour délivrer ceux qui étaient enfermés dans le silo ; car
pour nous, il n’y avait plus de doute possible.
⎯ Je ressens comme toi cette vie nouvelle être qui rayonne en moi, je
suis son serviteur, car pour lui le chemin n’est pas encore fini, ce n’est
qu’une étape. Mais tu ne m’as pas parlé des membres restés avec moi dans
le vaisseau, vont-ils bien ?
⎯ Ils sont tous morts de ne pas avoir écouté à temps leur âme leur par-
ler. Tu es le seul qui ait survécu à la terrible destruction du vaisseau, c’est
une chance que nous ayons pu te retrouver vivant sous les décombres du
vaisseau, nous n’imaginions pas qu’il était arrivé une telle catastrophe. En
même temps, si ceux qui ont envoyé les bombes qui ont détruit notre appa-
reil avaient cherché plus en avant, ils nous auraient remarqués et nous se-
rions tous morts. Un vaisseau spatial se remarque de loin, pas un petit
groupe.
⎯ Mais dis-moi, comment avez-vous trouvé tous les survivants ?
⎯ Au total, c’est cent soixante-trois personnes que nous avons sorties
de tous les silos, soixante-deux femmes, cinquante-quatre hommes et qua-
rante-sept enfants, tous en bonne santé. Si Fenvy n’avait pas été avec nous,
ça n’aurait pas été possible, voici comment :
Devant la montagne, nous avons vite repéré le silo, c’était un immense ré-
servoir d’énergie sous pression, des milliards de watts enfermés dedans et
qui ne pouvaient s’échapper. Au pied de cette colonne, étaient restés les
équipements qui avaient transformé chaque être en flux d’énergie, une sorte
de cabine contenant trois hommes au maximum. À l’époque, il avait dû s’y
prendre en une quinzaine de fois pour dématérialiser tout le monde. Nous
n’avons pas eu trop de mal à remettre en route les équipements car Fenvy
en connaissait la manipulation. Nous avons pu tous les reconstituer parce
que la mémoire numérique avait été sauvegardée à travers la structure du
flux ; c’est difficile à comprendre, mais Fenvy le savait. Un à un nous les
avons sortis de leur prison, sans beaucoup de difficultés. Mais ce qui nous a
tous choqués, c’est le tas de débris humains qui entourait le silo, car comme
nous l’a expliqué Fenvy, la numérisation détruisait les objets en les trans-
formant en bouillie. Tous les êtres qui ont été transformés ont subi ce sort,
hélas, ils se sont transformés dans la souffrance. Les sept ans ont été comme
une seconde pour eux, c’est comme s’ils venaient de traverser une machine
à donner la douleur. Rien ne semble les avoir modifiés. Fenvy pense que
son maître connaissait parfaitement son sujet.

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⎯ A-t-on retrouvé le professeur parmi les survivants ?
⎯ Non, disparu, personne ne l’a jamais vu.
⎯ Pourquoi les avoir transformés en énergie, au lieu de les geler
comme nous, Maldeï semble avoir la passion de la conservation longue
durée.
⎯ D’après le dernier sage qui était sur Vénusia et qui lui aussi a été
numérisé, il a pu nous donner l’explication.
Amanine raconte alors que sur la planète Vénusia, tous les êtres qui la peu-
plent avaient en eux une force bien différente des autres lunisses. Comme
Némeq, Maldeï avait découvert que le don qu’ils avaient reçu n’était pas un
pouvoir sur la matière, mais une qualité de l’âme ; et cela n’est aucunement
visible. Néanmoins, ceux qui le possèdent le pouvoir du cœur, deviennent
insensibles aux forces de la matière. Lorsque Maldeï est arrivée ici, elle
n’avait aucun moyen de pression sur ces êtres et ne pouvait les emmener
avec elle de peur qu’ils contaminent tout le monde et qu’elle se retrouve
seule devant de puissantes âmes. Elle n’avait pas non plus la possibilité de
les tuer. Le seul moyen pour qu’ils ne puissent plus lui nuire était de les
transformer. Maldeï a dû rencontrer Monsieur Enstimer à un moment et elle
s’est emparée de son système.
Némeq lui demande :
⎯ Et ceux qui étaient dans les autres silos, ont-ils été faciles à ramener
à la vie ?
⎯ Sous terre, nous étions dans des galeries et ça n’a pas été plus com-
pliqué, mais dans la mer, il fallut faire de nombreuses navettes pour évacuer
les cinquante individus qui s’y trouvaient. Le pied de la montagne était no-
tre camp provisoire, c’est ensuite que Lovinlive nous a guidés pour rejoin-
dre Aphrodite, là où nous sommes.
⎯ Pourras-tu me présenter le chef qui t’a guidé ici ?
⎯ Il va venir te voir, pour le moment, il rassure l’ensemble de ceux qui
comme lui, avaient été transformés. C’est un grand choc pour chacun.
⎯ Comment penses-tu pouvoir retourner sur Unis, ont-ils un vaisseau
pour nous ramener ?
⎯ Je ne sais pas, demande-lui lorsque tu le verras.
Amanine lui fait un baiser pour le rassurer et se retourne car elle doit orga-
niser la vie autour d’elle, Lovinlive l’ayant prise pour la responsable de
cette nouvelle communauté.

Un vieil homme pénètre dans la chambre de Némeq et le regarde avec


curiosité, ce qui l’étonne. Il ne parle pas avant d’avoir fait trois fois le tour
du lit, ce qui l’intrigue encore plus. Enfin, il s’assoit à côté de son lit :
⎯ Où vivais-tu avant de venir ici ?
⎯ Je suis resté sept ans sur Trinita avec une dizaine de compagnons,
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nous avons été propulsés sur cette planète après avoir été envoûtés par
l’amiral Marsinus Andévy qui venait de se transformer en Maldeï. À cette
occasion nous avons aussi connu les affres de la douleur.
⎯ Alors, comme la charmante Amanine, tu es en mesure de t’approcher
de l’Amour de Vénusia.
⎯ Je vis quelque chose d’étonnant depuis que je suis sur cette planète,
pourriez-vous m’en dire plus ?
⎯ L’histoire de Vénusia est très curieuse et prend une place à part dans
l’histoire de Lunisse. Si tu n’es pas pressé, je peux te dévoiler une partie de
ce qui est resté dans ma mémoire.
L’homme ferme les yeux et Némeq le suit pour entrer en symbiose avec lui.
Il ne s’imagine pas qu’il va partir aussi vite car une fois les yeux fermés,
tout est changé autour de lui. Lovinlive, qui n’est plus que forme pensée,
n’a plus de réel appui autour de lui, plus un atome de matière, il est dans le
" ? ". Rien de son imagination ne peut décrire le lieu. Pas besoin de paroles
ni de pensées, l’échange entre eux se fait par un fluide de nature nouvelle.
Le vieil homme lui montre comment le monde est autrement que dans la
sphère de matière de l’univers. Némeq n’est pas préparé, il ne s’y attendait
pas. Il semble que Lovinlive lui montre tout ce qui le questionnait, et même
moi, qui ne suis que le narrateur, il m’est impossible de comprendre ce qui
est dit ou fait. Il me faudra peut-être attendre que Némeq redescende pour
savoir…

Enfin, Némeq ouvre les yeux, il est de retour sur son lit avec Lovinlive qui
lui dit :
⎯ Il ne fallait pas chercher plus loin, tu vois !
⎯ Mon cœur s’est ouvert et je comprends ; je n’ai qu’à me laisser gui-
der.
⎯ Je suis heureux pour toi que tu sois soulagé, ta route est tracée
comme un large sillon, tu n’as plus qu’à le suivre.
⎯ Je vais avertir Amanine, préparons tous nos équipiers.
Amanine revient dans la chambre et regarde avec sourire Némeq.
⎯ T’a-t-il dit ce que tu souhaitais ?
⎯ Autant de mystères, que ma bouche ne peut s’ouvrir, peut-être un
jour arriverais-je à l’exprimer. Ce n’est plus de la magie, c’est plus fort en-
core.
⎯ Aucun homme n’est prêt à entendre ce qu’il t’a dit, pas même moi.
Némeq vient de vivre un événement qui reste un mystère, mais vite, son
sens du commandement et de l’organisation reprend le dessus, car c’est
nécessaire.
⎯ Amanine, nous devons nous préparer à partir, le vaisseau nous at-
tend. Avertis les autres et viens avec moi.

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Même son amie est dépassée, mais elle lui fait confiance. Némeq prend un
véhicule dans lequel il s’installe et décolle, en suivant la ligne de l’horizon.
Ces engins sont fantastiques car à dix mètres d’altitude, ils traversent la
planète à une vitesse prodigieuse. Enfin, Némeq ralentit l’appareil et Ama-
nine reconnaît l’endroit où elle s’était posée avec le vaisseau spatial. Main-
tenant, ils sont devant les débris du vieux Terrifiant, elle voudrait ne pas
douter de son ami, elle ne sait plus que devoir penser.
⎯ Mais c’est une carcasse !
⎯ Non, juste ton imagination. Ferme les yeux et donne-moi la main en
me suivant.
Elle a un peu peur et Némeq le ressent, alors il lui dit :
⎯ L’Amour, c’est la liaison directe avec la vie et l’éternité. L’éternité
c’est ce qui est immuable, ce qui et immuable a été et sera toujours. Le
monde, l’univers est une expérience de l’Homme pour qu’il arrive à ressen-
tir qu’en lui, il n’y a jamais eu de début ni de fin mais un immense rêve
qu’il a un jour provoqué. Oui, Amanine, notre vie est un Rêve. Et ce que tu
voyais du vaisseau tout à l’heure en était un aussi. Alors maintenant, ouvre
les yeux, en voici un autre !

Amanine ouvre ses paupières, elle ne peut rien dire, le vaisseau avec lequel
elle était arrivée avec tout l’équipage est là, entier. Elle est dans la salle des
cocktails et devant elle les hommes restés avec Némeq sont debout et la
salue. Tout est comme avant et plus encore car tous les membres sont di-
gnes et droits pour l’accueillir.
⎯ Le miracle, c’est l’amour. Nous avons libéré des êtres qui sont des
fruits de la lumière et de l’Amour, c’est notre récompense.
Amanine respecte Némeq, mais elle est si touchée qu’elle fond en larmes
dans ses bras, pleine d’Amour et de reconnaissance.
Un peu plus tard, ceux qui étaient restés dans la ville d’Aphrodite arrivent et
embarquent. Le vaisseau décolle pour rejoindre Unis…
L’Amour c’est le destin de l’humanité…

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RETOUR SUR PERSEVY
Jamais Maora et Hennas n’ont voyagé sur un tel engin ; si
grand à la fois et si rapide. Traverser l’univers en moins de temps qu’il n’en
faut pour lacer ses chaussures est du domaine du rêve. Pourtant, a peine
viennent-ils de quitter Elvy qu’ils sont déjà dans les environs de Persevy.
Le vaisseau est dirigé par le CP qui fait toutes les manœuvres pour voyager,
mais la conscience de Dogami a pris l’avantage sur le système. C’est avec
lui que nos amis conversent. Ils sont arrivés, mais il leur reste un problème
car des hommes de Maldeï sont toujours coincés dans un sas bien protégé.
Maora pense qu’il serait inhumain de les laisser mourir dedans même s’il
faut les considérer comme des ennemis. Leur engin se dirige maintenant à
vitesse réduite dans le système planétaire de Persevy, il leur faudra presque
une demi-journée pour pouvoir pénétrer dans l’atmosphère.
⎯ Que nous suggères-tu Dogami, pour libérer les hommes enfermés
dans le sas où tu les as bloqués ?
⎯ Ils n’ont aucun moyen pour pouvoir ouvrir les portes, leurs armes ne
sont pas assez puissantes. Il n’y a pas de ventilation, ils vont s’asphyxier
dans moins d’une heure. Je préconise deux solutions :
Soit les laisser mourir, ou alors attendre une trentaine de minutes et les
cueillir lorsqu’ils commenceront à perdre connaissance.
⎯ Ton idée est peut-être juste, mais parmi eux, certains n’ont pas la
même résistance que d’autres. Nous pouvons trouver des morts avant une
heure alors que certains nous attendront avec leurs armes. Ta solution ne me
plaît pas, il faut voir pour autre chose.
C’est à ce moment que Stamag, qui était resté discret jusqu’à maintenant,
intervient.
⎯ Je suis venu avec vous pour pouvoir rendre service, je n’ai plus de
but depuis que j’ai perdu mes cultures, je suis venu dans cette expédition
pour espérer trouver une autre vocation. Pour le moment, je n’ai pas été
brillant et j’ai même échoué lorsque tu m’as demandé de protéger Dagmaly.
Je vous demande de me laisser pénétrer dans le sas pour aller négocier avec
eux, je crois que j’en ai la force. J’ai la main verte, j’ai un fluide avec les
plantes et la nature. Je crois que je saurais en faire autant avec eux.
Maora réfléchit, son idée peut être un peu farfelue, un homme, une fleur,
c’est bien différent à première vue, mais finalement, pourquoi pas ?
⎯ S’ils sont armés et qu’ils tirent sur toi, tu n’auras que pour vocation
future de servir d’engrais pour les plantes, j’imagine que tu en es cons-
cient ?
⎯ C’est juste, mais parfois j’ai cultivé des plantes carnivores et véné-
neuses, et j’aurais pu y passer.

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⎯ Qu’en pensez-vous les autres, avez-vous une idée pour venir à bout
de ces hommes ?
Ni Delfiliane ni Dgoger, pourtant policier, n’ont d’idée. Hennas et Dagmaly
se regardent aussi.
⎯ Je prends encore le risque de perdre un membre de mon équipe, mais
si c’est ton choix, c’est d’accord.
Dogami explique alors combien d’hommes sont à l’intérieur et qui ils sont,
quelles sont leurs armes et combien ils en ont. Le sas dans lequel ils sont
n’est pas surveillé et il est impossible de savoir dans quel état Stamag les
trouvera. Tout étant vu, Maora lui demande ce qu’il veut pour les affronter,
il lui répond :
⎯ Avec mes plantes, je n’ai besoin que de mes mains et mon cœur, ma
tête fait le reste.
Cette réponse surprenante est loin d’être stupide ; un jour, Jacques l’avait
expérimentée. Par sécurité, l’équipe l’accompagne jusqu’à la porte du sas
avec tout un arsenal d’armes variées et impressionnantes ; on ne sait jamais,
au cas où ceux qui sont à l’intérieur penseraient à passer à l’assaut.
Stamag s’avance et la porte s’entrebâille. L’atmosphère souillée se répand
dans le compartiment, le nouvel air pénètre en même temps dans le sas.
L’homme courageux en profite pour s’introduire. Pas un bruit, pas un rayon
provenant d’une arme ne se fait remarquer.

Devant lui, sept hommes, tous, arme à la main pointée vers lui, prêts à tirer.
Son avantage, c’est l’effet de surprise. C’est à cet instant que la différence
se fait. Pour tirer sur quelque chose, trois possibilités :
Un, être menacé. Deux, vouloir dominer et libérer le terrain de l’adversaire
et enfin trois, pour le plaisir. Or, ces hommes ne sont pas dans l’une des
trois possibilités. Ils n’ont aucune raison de le tuer. Dogami le sait et alors,
il libère en lui une arme plus redoutable que tout. Ne se sentant pas en état
d’infériorité, il sait que s’il laisse en lui parler son cœur, la force active qui
en émane sera supérieure aux sept hommes. Est-ce lorsque Maora les avait
préparés dans le vaisseau qu’il avait acquis ce pouvoir ? Il ne sait pas, mais
un fluide nouveau circule en son être. Alors, regardant les hommes, il leur
dit :
⎯ J’ai mon cœur qui parle et je me demande si vous ne l’entendez pas
aussi ? Si vous tirez sur moi, vous serez morts avant moi. Le temps que je
m’effondre, vôtre cœur se serait déjà arrêté. Vous devez choisir vos nou-
veaux maîtres car votre ancienne Maîtresse n’est plus là, elle vous a aban-
donnés. Elvy est loin maintenant, Maldeï aussi. Est-ce elle qui faisait de
vous des guerriers ou vous qui aimez faire le mal ?
Si le mal est en vous, tirez sur moi, sinon, écoutez-moi :
J’ai planté dans mon jardin des milliers de fleurs. Il y en a des roses roses,

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des rouges, des bleues, des vertes et des blanches. Lorsqu’elles ont poussé,
comme elles étaient regroupées par couleurs et que les champs se faisaient
faces les uns les autres, toutes s’observaient et rivalisaient à qui sera la plus
belle et la plus haute. Les rouges voulaient dépasser les blanches tandis que
les bleues voulaient êtres les plus grosses. Bien qu’elles ne puissent pas
marcher, et heureusement, elles étaient en guerre depuis que leurs premières
pousses étaient sorties du sol. Pour les fleurs blanches ou rouges, ou les
autres, c’était évident, leur race était unique et elles ne pouvaient imaginer
que les autres soient admirées à leur place. Jamais elles n’eurent d’autre
idée que d’appartenir à la race des élus ; du moins le croyaient-elles. Mais
un jour, un homme remit pour elles tout en ordre.
C’était un jardinier. Il savait que les fleurs blanches aimaient le sol calcaire
et il les avait mises à l’endroit où le sol était le meilleur pour elles. Les
fleurs rouges aimaient un sol argileux, c’est là qu’elles avaient poussé.
Chaque race avait son terrain et c’est pour cela qu’elles ne pouvaient se
mélanger. Chacun doit prendre sa nourriture suivant ses fonctions. Le jardi-
ner fit le tour de la plantation en disant pour chaque variété de fleur qu’elles
étaient les plus belles. Voyant enfin qu’elles étaient toutes prêtes, il prit son
cutter et commença à les cueillir, en prenant autant dans chaque variété. Les
fleurs dans la brouette furent vite acheminées dans le magasin et le fleuriste
fit aussitôt des bouquets composés. Dans la vitrine, les hommes voyaient les
jolies fleurs bien organisées et tous les bouquets disparurent bien vite.
Dans la maison la femme admire avec grande attention le superbe bouquet
de fleurs qu’elle a présenté avec beaucoup d’attention dans son vase. Ce
mélange de fleurs blanches, rouges, bleues et vertes est magnifique et em-
baume dans tout le séjour. Le mélange de celles-ci est vraiment ce qui est
de mieux. Un bouquet de fleurs donne dans la vie des hommes un parfum
d’amour immense. Si les fleurs l’avaient su plus tôt, jamais elles n’auraient
pensé à se battre. Pour les mettre toutes d’accord, il fallait un jardinier.
Baissez vos armes, car je ne suis pas guerrier mais juste jardinier. Je viens
pour vous cueillir afin que vous ayez votre place dans le vase. Chacun de
vous a des qualités que nous pouvons partager. Les hommes qui sont avec
moi ont comme intention de rendre la liberté à tous les hommes et leur don-
ner un nouveau rayon de lumière que leur cœur pourra trouver juste. Un
rayon de paix et d’amour, voici ce que nous pouvons vous donner.

Les hommes se regardent et un premier homme baisse son arme. Les autres
le suivent et baissent les yeux. Le plus âgé, celui qui semble être le chef,
dit :
⎯ Montre-nous le nouveau jardin dont tu parles. Si nous n’avons plus
dans le fond de notre âme celle qui nous obligeait à agir pour elle seule,
nous sommes libres maintenant, et surtout libres de notre choix. Je suis prêt

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à collaborer avec tes amis s’ils sont vraiment ce que tu dis. Mes hommes
pensent comme moi, conduis-nous à eux.
En partant loin d’Elvy et de Maldeï, Dogami a enlevé les mauvaises herbes
qui poussaient sur le terrain des fleurs. N’étant plus étouffées, elles peuvent
enfin se montrer plus facilement.
Tous posent leurs armes sur le sol, Dogami appelle ses amis et demande à
faire ouvrir complètement la porte du sas. C’est alors que Maora voit trois
femmes et quatre hommes sortir de leur prison mortelle. Hennas en recon-
naît certains, ils étaient autrefois parmi le personnel navigant dans les vais-
seaux spatiaux lunisses. Il faut peu de temps à Maora pour comprendre que
coupés de la femme à la Couronne de Serpent, ces êtres retrouvent leur
conscience et leur indépendance de pensée. Leur attachement à leur ancien
maître a disparu, c’est à elle et ses amis, de leur donner une nouvelle direc-
tion. Dogami leur a permis par son don, de leur ouvrir l’esprit. Au lieu de
sept cadavres qu’ils auraient pu avoir, ils ont avec eux sept nouveaux com-
pagnons. Le premier d’entre eux s’appelle Luxar, c’est le plus vieux des
pilotes lunisses, tous les plus jeunes l’ont connu, même Aqualuce. Ses col-
laborateurs l’écoutent tous comme un vieux sage. Il est très expérimenté et
connaît mieux que tous, le maniement du vaisseau Instant-Plus. Dans
l’équipe, ce sera un pilier sur qui il faudra compter. Encore une fois, des
collaborateurs de Maldeï la quittent définitivement pour rejoindre les rebel-
les. C’est à treize plus un bébé qu’ils descendent sur Persevy.

Maora connaît la position précise de la grande bulle sous laquelle vivent sa


mère et son frère avec les autres rescapés. C’est sous une couche impres-
sionnante de glace qu’il faudra les rejoindre. Son frère et près de deux mille
perseviens les attendent. Avant de partir à la recherche du vaisseau qu’elle a
réussi à dérober à Maldeï, elle a reçu de sa mère une force qui est l’attribut
de cette planète ; c’est certainement ce qui lui a donné la force et le courage
d’entreprendre cette mission impossible. Luxar s’approche d’elle et lui pro-
pose de l’aider à rejoindre l’île sous la mer.
⎯ Tu sais, Maora, ce vaisseau a de grandes possibilités. La couche de
glace recouvrant cette planète ne nous empêche pas de nous enfoncer sous
l’eau. Dogami peut te le confirmer.
⎯ C’est vrai, j’ai la capacité de faire fondre la couche de glace en me
posant dessus. Nous nous enfoncerons jusqu’à l’île.
⎯ Alors faisons-le maintenant, mes frères et sœurs nous attendent. Po-
sons-nous dans le fond à côté et préparons-nous à recevoir tous ceux qui
sont prisonniers sous ces fonds marins.
L’immense engin descend dans l’atmosphère glacée et tempétueuse. La
croûte de glace est faite de crevasses de stries et de neige, la température est
si basse que nul homme ne pourrait y survivre longtemps. Il se pose sur le

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sol avant d’entamer sa descente à travers la glace. Luxar active la com-
mande qui va leur permettre de passer à travers la croûte gelée mais au
moment où les rayons devraient commencer à agir, un message apparaît à
l’écran et, dans les hauts parleurs, Dogami s’exprime :
⎯ Nous ne pouvons mettre en route les canons infrarouges, ils sont tous
gelés. Il est impossible de pénétrer la glace sans eux.
⎯ Y a-t-il une solution pour casser cette glace, Dogami ?
⎯ La solution serait de dégager tous les canons à la main, mais avec un
tel froid, même avec des combinaisons, aucun d’entre nous ne pourra résis-
ter. Il faudrait y mettre les mains mais elles gèleraient sur place.
Une voix qui était restée discrète depuis le départ d’Elvy se fait alors enten-
dre :
⎯ Je peux y aller, il suffit de me dire où se trouvent ces fameux canons.
Aucun d’entre eux ne connaît véritablement Delfiliane qui est arrivée avec
Dgoger juste au moment de leur fuite. Ils savent juste d’elle qu’elle était
avec d’autres amis sur Elvy.
⎯ Mais tu ne pourras pas résister à un tel froid, en moins de deux minu-
tes tu ne seras plus qu’un glaçon tout cassant.
⎯ Maora ; avec Dgoger, nous sortirons sans aucun problème, je suis
une Glacialys, mon monde est le froid, j’y vis tout le temps.
Alors comme beaucoup ne connaissent pas cette région particulière, elle
leur raconte quelles sont ses qualités et les conditions dans lesquelles elle
vit normalement. Elle a initié son ami à vivre lui aussi dans ces conditions
extrêmes. Aucun engin sophistiqué ne pourra dégeler les canons qui sont
plus faits pour agir dans l’espace, ils emporteront avec eux de simples grat-
toirs. Il y a douze canons répartis autour du vaisseau. S’ils n’ont pas de pro-
blèmes, il leur faudra quatre heures pour tous nettoyer. Luxar leur propose
de prendre des randoners. C’est une bonne idée, ils resteront en contact avec
l’équipe par des communicateurs intégrés dans leurs oreilles. Il fait trop
froid pour qu’ils puissent porter des lentilles vidéo car elles pourraient geler
dans leurs yeux.
Les deux amis sont prêts et ils sortent pour effectuer les réparations néces-
saires.

Dgoger et Delfiliane sont maintenant dehors, leurs équipements donnent


froid aux autres car ils n’ont sur eux qu’un simple pantalon et un blouson de
toile, alors que la température est de moins soixante autour d’eux, c’est à ne
pas y croire. Ils mettent les randoners en fonction pour aller vers le premier
canon. Ils le trouvent sans problème, mais il est totalement recouvert de
glace. Dgoger commence à le dégager en raclant les contours de son outil.
Au bout d’un quart d’heure, il arrive à le rendre propre. Aussitôt, Delfiliane
le protège d’un sac synthétique qui évitera que le givre et la glace ne se

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replacent dessus. Le premier est fait, il faut passer au suivant. Mais ils ont
mis une demi-heure et quatre heures ne seront pas suffisantes…
Après avoir trouvé d’autres canons, ils en sont déjà à huit. C’est lorsqu’ils
arrivent au neuvième qu’un problème semble se produire :
Ce n’est pas dix ou quinze centimètres de glace qui entourent le canon qui
est dans une zone plus exposée au vent, mais faisant obstacle, c’est en mè-
tres cubes que se compte la glace qui l’obstrue. Dgoger est bien songeur et
cherche une solution. Il pense qu’avec son randoner il arrivera avec un câ-
ble à tirer sur les blocs pour les casser. Delfiliane n’est pas très confiante,
elle pense que les blocs résisteront. Il met tout de même son projet à exécu-
tion. Le câble fin est résistant, en faisant un lasso il pourra trancher le bloc
pour dégager le canon. Il s’accroche puis décolle. Dgoger est en suspension
au-dessus, le câble est tendu. D’un coup, la glace se retrouve tranchée, mais
le harnais auquel il était accroché avec son appareil s’arrache. Le vent souf-
fle si fort qu’il ne contrôle plus rien, d’autant plus que les parois du vais-
seau sont presque verticales. La tempête l’arrache et Delfiliane le voit partir
sans pouvoir le retenir. Si elle ne fait rien, elle va perdre son ami dans le
grand océan de glace. Elle avertit les autres et décide de tout laisser tomber
pour le rechercher. Remontant sur la coque du vaisseau, elle dépose son
appareil, puis, de son pouvoir de mobilité, elle s’enroule dans une tempête
et part à vive allure dans la direction de Dgoger.

Dans le vaisseau, on reste sur un mauvais pressentiment. Maora se demande


si elle a bien fait de les laisser sortir sans aucune protection. Hélas, dans
leur situation, ils ne peuvent rien faire. Déjà cinq heures se sont passées
depuis leur départ, mais maintenant ?...

Dans la tempête de glace et de neige, Delfiliane ne voit plus rien, elle


s’imagine la trajectoire qu’a dû prendre Dgoger, mais ce n’est que supposi-
tion. Même résistant au froid, son ami n’est pas en mesure de supporter des
chocs importants, il peut se faire écraser par un bloc de glace ou tomber
dans une crevasse. C’est au bout d’une heure que la tempête semble se cal-
mer et que la jeune femme se retrouve sur la croûte de glace. Elle ne voit
plus le vaisseau qui doit être à des kilomètres et nulle trace de Dgoger. Sur
le sol, elle voit une crevasse qui semble s’élargir devant elle, et de celle-ci
sort un vent vraiment glacial, comme si la tempête de tout à l’heure venait
de là. Et si cet air avait avalé Dgoger dans cette immense crevasse aussi
large qu’une montagne ?
Delfiliane ne se questionne pas longtemps et s’enfonce en marchant à tra-
vers les blocs de glace. Elle escalade les parois, et parfois se laisse glisser
pour continuer vers un fond qui ne semble avoir de bout. Quelquefois, elle
se retrouve devant des murs de glace si haut que même le vaisseau paraîtrait

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petit. Pour passer par-dessus, elle use de sa magie, mais elle ne souhaite pas
l’utiliser à autre chose de peur de ne pas retrouver son ami. Elle avance
encore et encore, et motivée par l’espoir de revoir Dgoger elle ne sent pas la
faim qui la tenaille. L’étoile s’étant maintenant couchée ; elle ne voit plus
rien. Elle aimerait avancer mais elle doit se résigner, alors elle s’allonge sur
la glace et s’endort. Dans la nuit elle entend des cliquetis qui lui font penser
que quelqu’un remue des morceaux de glace. Elle ouvre les yeux pour voir
et il lui semble apercevoir des enfants voler au-dessus d’elle. Se demandant
si elle rêve, elle se frotte le visage, mais elle voit toujours ces êtres très
étranges. Ils sont presque lumineux, avec des reflets transparents et verts.
Elle pense à ce qu’elle voyait dans les livres lorsqu’elle était enfants et croit
voir des elfes. Les petits êtres ont des visages souriants et des oreilles un
peu pointues. Enfin l’un d’eux la regarde plus précisément et descend vers
elle.
⎯ Tu cherches un homme, n’est-ce pas ?
⎯ Comment le sais-tu ?
⎯ Oh ! Comme ça, toutes les femmes recherchent toujours un homme
et cela, depuis la nuit des temps. Tu sais, ça s’appelle l’amour, tu connais ?
⎯ L’amour ? Oui, un peu.
⎯ Ah ! C’est bien, parce que moi, ce n’est pas mon problème. Nous les
elfes, on ne s’y intéresse pas, tu sais. Pour nous, vivre signifie juste aider
ceux qui le méritent et on n’a pas le temps pour autre chose. On passe notre
temps à donner, faire que tout s’arrange, on n’aime pas le malheur et on
s’occupe à ce que les hommes trouvent en eux l’amour. Alors, parler
d’amour entre nous, on n'a pas le temps. Mais vous les hommes, vous cou-
rez toujours après et le pire c’est que vous ne le trouvez jamais, ou du
moins, rarement.
⎯ Mais c’est pour les hommes que je cours tout le temps moi aussi, je
n’ai jamais pris de temps pour moi. Là encore, avec mon ami nous avons
été emportés par la tempête alors qu’on essayait de faire quelque chose. Je
n’ai pas encore eu le temps pour l’amour.
⎯ Alors, toi aussi tu es un elfe ?
⎯ Je ne crois pas, je n’ai pas d’ailes dans le dos.
⎯ Mais on n’a pas tous besoin d’avoir des ailes pour être un elfe. Pour
ça, il suffit d’avoir juste un petit cœur.
⎯ J’en ai un.
⎯ Alors tu es un elfe. Dis-moi, quel est ton nom ?
⎯ Je m’appelle Delfiliane.
⎯ Mais c’est un nom d’elfe, tu ne peux pas le nier ! Il y a "elfe" dans
ton nom, je sais que tu sais voler, je t’ai observée.
Elle n’avait jamais fait la relation jusqu’alors. Aurait-il raison ?
⎯ Allez, viens, je vais t’emmener où tu veux, prends-moi une main
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pour me suivre.
Delfiliane lui attrape une main et il décolle avec elle. Ils traversent
d’immenses cavernes de glace où l’on peut voir comme des glaciers géants
qui semblent sortir du fond de l’océan. Les rayons de l’étoile semblent tra-
verser la planète pour les éclairer. Enfin, l’elfe descend dans une zone plus
calme où un simple manteau de neige blanche recouvre une vaste plaine
intérieure sous une voûte glacée, d’où semblait sortir la tempête. Il dépose
délicatement la jeune femme et lui demande de s’allonger en fermant les
yeux. Delfiliane ne sait pourquoi il veut qu’elle le fasse, mais elle lui obéit.
Une fois allongée sur la neige, elle s’endort en sentant une main la caresser.
C’est l’elfe qui la berce…

Delfiliane se réveille d’un coup, se demandant ce qu’était ce rêve étrange.


Elle se souvient s’être arrêtée dans le noir faute de ne pouvoir avancer. Elle
regarde autour d’elle et voit Dgoger allongé sur le sol qui semble dormir
paisiblement. Elle se demande comment il a pu arriver jusqu’ici. Mais se
souvenant de cet étrange rêve, elle revoit encore un elfe la prendre par la
main et l’emmener dans l’immense glacier souterrain. Était-ce un rêve ?
Pour elle, il n’y a pas de réponse, dans le noir elle a pu aussi arriver jusqu’à
son ami sans s’en rendre compte. Elle se précipite vers lui pour voir s’il est
en bonne santé. Celui-ci ouvre les yeux et reconnaît sa compagne.
⎯ Je ne sais pas comment tu m’as retrouvé mais pour ma part, j’ai eu
une chance plus qu’étrange. J’ai cru en m’envolant perdre connaissance. À
peine avais-je fermé les yeux que j’ai eu l’impression que des êtres me por-
taient pour que je ne tombe pas. On aurait cru des anges, mais ils n’avaient
pas d’ailes. Je pense que j’ai rêvé. Mais c’est miracle que tu aies réussi à me
retrouver.
⎯ Tu n’as rien ?
⎯ Non, ici, je trouve qu’il fait un peu chaud.
⎯ Viens, je t’emmène au vaisseau, ils ont besoin de nous.
Delfiliane crée un tourbillon autour de son ami et l’emmène si vite qu’en
quelques minutes ils arrivent sur le vaisseau.
⎯ Viens, il faut dégeler les derniers canons, ils doivent s’impatienter.
Monte sur mon dos et prends tes outils pour terminer notre travail.
On peut alors voir un homme sur le dos d’une femme qui vole autour d’un
vaisseau spatial. L’homme frappe avec ses instruments pour faire tomber la
glace tandis que la femme enveloppe dans des sacs les canons dégagés. Ils
font penser à un centaure armé d’une épée, combattant les dieux de
l’Olympe. Ils font enfin tomber le dernier morceau de glace. Leur travail est
achevé et ils remontent sur le dos du vaisseau, s’effondrant, épuisés.

Dans le vaisseau, Dogami sent deux corps sur sa coque et donne l’alerte.

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Maora et Hennas se précipitent pour enfiler des combinaisons spatiales et
isolantes. Comme des gros ours imprécis et lourds, ils sortent sur l’engin et
trouvent deux corps inertes. Avec beaucoup de mal ils les emmènent dans le
sas puis referment les portes sur eux. Une petite équipe composée de Tari-
na, Dagmaly et d’autres encore viennent les récupérer et les conduire au
bloc médical. Delfiliane et Dgoger sont si fatigués qu’ils les laissent dormir
; leur travail est achevé…

Hennas et Luxar sont avec Maora dans le poste de pilotage, prêts à plonger :
⎯ Allez-y, on rejoint l’île, nos deux amis ont fait un travail éblouissant.
Mettons les canons en marche pour ne pas gâcher tout ce qu’ils ont fait.
Hennas donne l’ordre, Luxar contrôle alors que Dogami, le mécanicien le
plus immatériel, assure le fonctionnement de l’ensemble.
La glace se met à fondre autour du vaisseau, et bientôt, celui-ci s’enfonce
sous l’épais manteau de neige et de glace, puis enfin disparaît. L’eau chaude
de la mer fait rapidement fondre la glace qui s’était collée à la coque et
l’engin continue sa course sous l’eau. L’île est bientôt repérée et l’appareil
avance en décrivant une trajectoire presque parfaite. Maora sent son cœur
battre de plus en plus fort, bientôt, elle sera parmi les siens.

Ils sont posés, le vaisseau est si grand que l’île paraît presque un modèle
réduit. Sur les écrans apparaît un sous-marin qui se dirige vers eux. Maora
sait que son frère est à l’intérieur et il faut prendre contact avec lui. C’est
Dogami, expert dans tout l’appareillage, qui trouve la fréquence pour pou-
voir communiquer avec les perseviens. Maora s’annonce auprès de son
frère qui comprend enfin qu’elle a réussi son pari. Entre les techniciens, il
est convenu d’un moyen de transfert à mettre en place. C’est depuis le vais-
seau que sera édifié entre lui et l’île un tunnel magnétique, c’est-à-dire un
faisceau dirigé qui crée un champ magnétique tubulaire permettant de circu-
ler à l’intérieur. Une fois construit, il est vidé de l’eau qu’il contient et entre
la porte du vaisseau et une paroi de l’île dans laquelle on aura fait un per-
cement, la circulation entre les deux est totalement ouverte. C’est encore
une fois Dogami et Luxar qui s’en occupent, les choses avec eux ne traînent
pas. Moins de deux heures plus tard, Maora et Mogaran se rejoignent. Frère
et sœur, ils savent que maintenant ils ne seront plus séparés comme le triste
destin l’avait exigé jusqu’à maintenant. Il est convenu que tous quitteraient
l’île. Maora, devenue gouverneur, l’a demandé afin de rejoindre Unis la
planète, qui est maintenant le cœur de la rébellion. Cela crée pour chacun
une grande souffrance, c’est deux mille ans de passé qui s’en vont d’un
coup. Mais ils n’ont plus le choix, tôt ou tard, Maldeï reviendra les déloger,
les prendre ou les tuer. Il faut de nombreuses heures pour que le transfert se
fasse, chacun voulant prendre un maximum de souvenirs. Il n’y a plus de

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jeunes enfants, car depuis presque neuf ans, aucune femme n’a pu en avoir.
Dans les bras de Maora, le petit Neovy semble être l’exception. L’Instant-
Plus est aussi exceptionnel car il peut contenir à lui seul presque deux mille
cinq cents personnes. Les treize membres d’équipage ne sont pas assez
nombreux pour guider dans le vaisseau toute cette population, mais heureu-
sement ils ont eu l’idée de former des perseviens pour cela. Tous ont leur
chambre, les familles se sont regroupées. Tard dans la nuit, enfin, ils sont
prêts, mais Maora veut se recueillir sur l’île une dernière fois. Elle quitte
seule le vaisseau pour aller sur la tombe de sa mère. Habituellement, les
perseviens se font désintégrer à leur mort, mais Manavise n’a pas voulu,
elle a souhaité se dissoudre avec le reste du sol pour redonner à la planète sa
force et qu’elle continue à la nourrir jusqu’au bout.
Maora arrive sur le lieu où ses cendres reposent, un monticule de matière
végétale recouvert d’herbes sauvages. Une herbe sauvage, voici comment
sa mère se considérait et Maora se reconnaît comme elle. Peut-être sera-t-
elle comme cela lorsqu’elle sera vieille. Elle reconnaît les similitudes, elle
se revoit partir vers Elvy et n’hésitant pas à sacrifier son équipage pour at-
tendre son objectif. Sa mère avait voulu résister à Maldeï et avait perdu des
milliers d’hommes. Mais aujourd’hui, c’est différent, car elle vient sauver
ceux qui sont restés. Non, cette fois, elle va gagner devant Maldeï. C’est
pour cela qu’elle pense terminer le travail commencé. À genoux devant la
tombe, elle dit tout haut :
⎯ Maman, tu n’es pas morte pour rien, j’ai en mon être la force de Per-
sevy que tu m’as transmise. J’ai peut-être le cœur lourd de t’avoir perdue,
mais je l’ai joyeux d’avoir grâce à la force de notre planète arraché à Maldeï
le vaisseau avec lequel j’emporte tous tes concitoyens en lieu sûr. J’ai dé-
couvert dans mon voyage le but qui nous est donné, j’ai trouvé en mon être
un cœur qui prend une place plus importante que moi, j’ai idée que mon
père m’a laissé un avenir et une mission trop grande pour moi. J’ai compris
que c’est avec les autres que nous gagnerons, j’ai la certitude que chacun
d’entre nous est important. Même si je suis chef de la communauté, j’en
suis avant tout la servante. Repose en paix, une fois que je me serai retour-
née de ta tombe, je te laisserai pour toujours sur cette planète sans jamais
t’avoir devant moi, oui, je te laisse derrière moi pour que tu puisses me quit-
ter sans regret. Je pars vers l’avenir, maman. Un mot de la Terre me vient
en tête : "Adieu".
Maora se retourne, sans aucune idée nostalgique elle retourne vers son vais-
seau. On ferme la porte derrière elle. Puis elle rejoint le poste de pilotage,
s’assoit dans le siège central du commandant. Elle fait la check-list avec ses
hommes, contrôle que tous sont en place, que les nouveaux voyageurs sont
bien informés du départ prochain. Lorsqu’elle a tout contrôlé, elle fait un
signe à Hennas en lui disant :

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⎯ Libération des ballasts, activation de la propulsion, mise en marche
des canons à glace. Décollage, cap sur Unis !

L’engin s’arrache au sol sous-marin en coupant le tube magnétique qui le


reliait à l’île, et celle-ci par le trou fait dans sa coque se remplit d’eau à une
vitesse extraordinaire. Plus haut, le plafond de glace qui s’était reformé se
disperse sous forme de vapeur. Le vaisseau ressort et prend son envol, quit-
tant l’atmosphère.

Au-dessus la planète semble perdre une partie de son éclat habituel, peut-
être parce qu’elle a perdu toutes son humanité, le vaisseau fait un tour pour
l’honneur, à la demande de Maora. Enfin, il prend son envol pour rejoindre
Unis…

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DEUXIÈME ESPACE
Le vaisseau file depuis quatre jours bientôt et la nouvelle
équipière est vraiment surprenante, Timi semble avoir une grande compré-
hension des événements qui se passent depuis qu’elle a quitté son salon de
coiffure à Las Vegas, sur Terre. Kim et Jenifer sont étonnées de la voir si
peu surprise, et dans un sens, c’est bon signe. Timi leur avoue que ce type
d’engin, elle les rencontre généralement dans les films comme "Star Wars"
ou le "Star Trek", mais ça ne la choque pas. Elle ne s’était jamais imaginé
qu’en coiffant deux clientes, elle se serait retrouvée là. Au fond d’elle, c’est
comme la réalisation d’un rêve, non pas de voler dans l’espace, mais d’être
avec d’autres pour changer le monde. Sa révolte avait toujours grondé en
elle et c’est par l’excentricité qu’elle l’avait extériorisée, par exemple avec
des coiffures toutes aussi surprenantes que dérangeantes. Timi apprend très
vite et comprend de la même façon. Rien ne lui échappe, elle connaît déjà le
maniement du vaisseau et a déjà saisi ce qu’est un CP. Aqualuce l’a embar-
quée car elle sentait en Timi des possibilités et des affinités avec son cœur ;
elle se dit que cette femme ne s’est pas présentée devant elles par hasard et
que c’est une lumière qui l’a placée sur leur chemin. Mais il est trop tôt
pour en connaître les raisons, elles leur apparaîtront au moment voulu. C’est
Jenifer qui semble ne pas être très en forme depuis qu’elles ont quitté la
Terre, et c’est pour cela que Kim s’approche d’elle :
⎯ Cela fait deux ou trois jours que tu ne souris plus, Jenifer. Ne t’isoles
pas, rejoins-nous ; dis-moi ce qui ne va pas ?
⎯ Tu m’appelles encore Jenifer alors que nous avons quitté la Terre.
As-tu donc oublié que dans mon monde, je m’appelle Weva et que j’ai une
autre couleur de peau ? Je ne me sens pas très bien, je voudrais redevenir
moi-même, dans ce vaisseau je ne suis plus terrienne bien que j’adore cette
planète.
⎯ Oh ! Pardonne-moi Weva, prise dans notre élan, je n’ai pas pensé à
nous rendre notre visage. Ce n’est rien, je peux te redonner tes traits comme
lorsque nous nous sommes rencontrées. Viens dans ma cabine, je vais faire
pour toi le nécessaire.
Assise sur le lit, Weva regarde Aqualuce sortir la palette de peinture que la
petite Oda lui avait donnée. Elle attrape son pinceau et commence à prendre
les couleurs qu’elle imagine pour son visage. Elle recouvre sa couleur som-
bre et cuivrée par une belle teinte rose orangée. Elle attrape du bleu et avec
délicatesse en rajoute sur ses pupilles. Elle lui colore la peau comme à son
origine, à la façon d’une Asiatique, et lui tire des lèvres fines comme elle
les avait avant d’arriver sur Terre. Elle la regarde, mais elle comprend que
sans cheveux, Weva ne peut être elle-même. Alors, elle mélange des cou-
leurs et commence à dessiner puis peindre tous ses cheveux un à un ; c’est

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un travail de titan, car il y en a des dizaines de milliers. C’est avec beau-
coup de patience qu’elle arrive à parfaire son ouvrage. À la fin, elle pose
son pinceau pour regarder son amie.
⎯ Je pense avoir terminé, regarde-toi dans le miroir, dis-moi si c’est
juste ?
Weva se lève voit son image dans le miroir. Elle met les mains dans ses
longs cheveux châtains et les caresses, puis elle lisse sa peau. Voyant ses
yeux bleus, elle en est étonnée. C’est bien elle, mais quelque chose de diffé-
rent rayonne de ce visage, et elle comprend qu’après être passée sur la
Terre, elle restera toujours différente. Son esprit a changé ; avec Aqualuce,
la quête qui les pousse à agir a ouvert en elle une faille qui ne se refermera
jamais car elle y voit un nouvel être qui s’est éveillé et lui parle. Au-delà de
la couleur de la peau et des cheveux, son âme s’est changé, un nouvel être
est née. À cet instant, des larmes coulent de ses yeux, ce n’était pas la cou-
leur de sa peau ni ses cheveux rasés qui la troublaient, mais le fait qu’autre
chose s’est installée. Les mains d’Aqualuce qui ont transformé son visage
ont en fait montré d’elle un changement important, c’est cela qui la troublait
depuis leur départ de la Terre.
⎯ Cela ne te convient pas, Weva ?
⎯ Oh ! Si, bien au contraire, mais ce changement de tête en soulève un
beaucoup plus important en voyant le visage que tu m’as fait. Finalement,
ce n’est pas la tête qu’on a qui est importante, mais ce qu’on a en soi.
⎯ C’est juste, Timi est comme cela. Derrière sa crête jaune, tu peux
imaginer le trésor qu’elle referme, tout comme toi.
⎯ Oui, mais tu m’as rajeunie avec ta peinture et les yeux bleus, c’est
nouveau.
⎯ Tu veux changer ?
⎯ Non, c’est bien, cela est en harmonie avec mon âme et finalement,
continu à m’appeler Jenifer, ce sera mon nom de bataille pour notre Quête.
⎯ Et moi, Kim. Ce seront nos noms de codes, comme ça si nous de-
vions croiser des ennemis, ils ne sauraient pas qu’Aqualuce est avec eux, et
Maldeï aurait plus de mal à nous retrouver si elle nous recherche.
Rassurée, et retrouvant son tonus et son envie de vivre, Jenifer serre Kim
dans ses bras. Kim reste dans sa cabine tandis que son amie rejoint Timi,
qui est fort surprise de voir sa coéquipière avec un autre visage. Moins
d’une heure après, Kim les rejoint et toutes la voient aussi changer. Elle a
remplacé ses cheveux trop courts par une coupe au carré d’une couleur
rousse avec quelques mèches blondes. Cela lui va très bien et lui donne un
air coquin et ferme. Timi est un peu jalouse de ne pas avoir une tête nou-
velle, alors Kim lui propose de la changer si elle accepte. Juste après, à
l’aide de sa palette et ses pinceaux, elle lui fait de nouveaux contours et lui
redessine ses cheveux qu’elle lui allonge et teint comme à son origine. Timi

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est différente mais très jolie, ressemblant à Janet Jackson. Une fois terminé,
elle s’installe aux commandes du vaisseau et regarde les paramètres que lui
indique le CP, car depuis qu’elle a quitté la Terre, elle s’est laissée guider
par le CP. La surprise est totale car la date et l’heure indiquées sont toujours
les mêmes depuis leur départ : le 06 janvier 2009, neuf heures une minute.
« C’est impossible, pense-t-elle, le chronocristal doit avoir un problème, il
faut vérifier. »
Kim vérifie immédiatement les paramètres et contrôle le bon fonctionne-
ment de l’instrument. Au bout de quelques minutes, le CP est formel ; ils
n’ont pas bougé dans le temps, lorsque Kim a lancé son vaisseau dans
l’espace, elle a changé de dimension, elle n’est plus dans l’espace-temps…
« Comment ai-je fait ? »
Elle se retourne alors vers les autres :
⎯ Le vaisseau a changé d’espace, le temps n’existe plus, je ne contrôle
pas la situation et je ne sais pas où nous nous dirigeons car il semble que le
vaisseau avance encore avec une vitesse supérieure à tout ce que nous
connaissons.
C’est alors que Timi s’exprime :
⎯ Nous avons ouvert toutes les trois un nouvel espace en nous, une au-
tre dimension. C’est parce que nos cœurs ont fait un parcours peu commun.
Kim, du véritable nom, Aqualuce, tu as libéré en toi une force nouvelle, tu
as fait un parcours si juste et parfait que tu rayonnes en ton être un nouvel
univers. Tu sais qu’une conscience s’est développée en ton être depuis bien
longtemps. Tu es repartie dans l’espace il y a plusieurs mois avec ton
époux, Jacques Brillant, pour ramener sur la Terre toutes les âmes perdues
qui sont encore égarées dans l’univers. Pour cela, tu n’as pas hésité à tout
sacrifier, même à reprendre la voie de l’initiation depuis le début. Tu savais
qu’en vidant l’esprit de ton époux tu l’obligerais à tout reprendre à zéro,
comme s’il n’avait jamais découvert la Graine d’Etoile. En le livrant à
l’ennemie, tu savais que c’est à côté de Maldeï qu’il devrait tout recons-
truire. C’est un pari colossal que tu as fait, il n’est pas évident que Jacques
puisse y arriver avec cette femme pour partenaire. Néanmoins, si nous
sommes dans cet espace, c’est qu’il s’est passé quelque chose de l’autre
côté. Jacques ne doit pas être seul, il a certainement des amis qui l’aident. Si
nous dépassons les limites de l’espace, c’est que nous avons à découvrir
d’autres choses, encore plus profondes. Peut-être retournerons-nous dans un
passé ou dans un avenir en dehors de la matière et du temps. Il est néces-
saire pour toi, Kim, d’aller encore plus loin que l’espace de ta conscience.
C’est une dimension nouvelle, un deuxième espace qui s’ouvre. Tu as plon-
gé dans la matière de la Terre ces dernières semaines, remonte le fil conduc-
teur qui te guide jusqu’à la source. C’est en la comprenant que tu découvri-
ras le mystère de la Terre et de l’espace-temps. Maldeï te cherche, mais ce

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n’est que lorsque tu seras prête que tu la trouveras. Pour le moment, Kim, tu
dois apprendre.
À peine Timi s’arrête-t-elle de parler qu’elle tombe en syncope. Kim et
Jenifer se précipitent vers elle pour la ranimer, mais rien n’y fait. Elles la
reconduisent alors dans sa chambre et l’allonge sur son lit. Kim prend dans
la pharmacie de bord une potion qu’elle lui fait avaler de force. Elle prend
son pouls et constate qu’il est très faible. Rien n’y fait pour la sortir du co-
ma dans lequel elle s’est plongée, c’est pourquoi elles raccordent sur elle
des sondes pour la surveiller depuis le CP. Toutes deux sont désemparées et
Kim réfléchit :
⎯ Tu sais, Jenifer, Timi est plus particulière qu’il n’y paraissait lors-
qu’on l’a rencontrée. Elle m’a troublée lorsqu’elle a détaillé ma vie, com-
ment peut-elle connaître tout cela ? Je ne pense pas que ce soit dans une
poignée de cheveux qu’elle l’ait lu.
⎯ Quelle est ton idée ?
⎯ J’ai le sentiment que le même sang coule dans nos veines, une liaison
familiale existe entre nous deux. L’âme de cette jeune femme n’est pas celle
que l’on croit.
⎯ Mais elle est ici, avec nous, c’est bien elle qui m’a tondue, je m’en
souviendrais toute ma vie.
⎯ Je pense qu’elle va se réveiller prochainement, il est possible qu’elle
soit épuisée par l’effort qu’elle a dû faire lorsqu’elle m’a parlé et c’est cer-
tainement pour cela qu’elle est tombée dans ce coma. Comme nous som-
mes, d’après le CP, dans un second univers sans temps, tout cela a des in-
fluences.
⎯ Mais c’est quoi cet espace, comment peut-on voyager dans un uni-
vers dont les lois ne sont pas les mêmes ? Et pourquoi après avoir quitté la
Terre devons-nous nous retrouver dans cette situation ?
⎯ Nous marchons à la limite de l’irrationnel, parce que nous avons ou-
vert une brèche dans l’espace de la conscience humaine, pour un but si
grand que des forces inconnues dans ce monde se sont mélangées à notre
vie. Mon but est de parfaire la connaissance de la Vie, de retrouver Jacques
et de me confronter à Maldeï dans le but de trouver les racines de la Vie. Le
mélange du bien et du mal, c’est là la solution. Je pourrais retrouver tout de
suite notre ennemie, mais ce n’est pas avec des pouvoirs surnaturels que je
pourrai la vaincre.
À ce moment, le CP indique que Timi montre des signes de réveil et les
deux amies se rendent à son chevet. Timi bouge, et quelques instants plus
tard, elle ouvre les yeux. Son regard est changé, elle semble être différente :
⎯ Mon esprit se mélange avec la vie de la Terre et la vôtre, j’ai dû avoir
un léger malaise, excusez-moi. Je ne sais pourquoi, mais j’ai des idées qui
traversent mon esprit et des mondes qui se percutent.

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⎯ Te souviens-tu de ce que tu nous as dit tout à l’heure ?
⎯ Mais je n’ai aucun souvenir, de quoi voulez-vous parler ?
Kim dévoile alors à Timi ses paroles et cela lui laisse comme une idée au
fond d’elle. Alors, elle leur dévoile sa vie :
⎯ Lorsque j’étais encore un bébé, ma mère vivait seule dans une vieille
caravane plantée dans la banlieue de Las Vegas. C’était presque un bidon-
ville et la pauvre travaillait dans un casino pour rabattre les hommes et leur
faire dépenser tout leur argent. C’était en quelque sorte une allumeuse, hé-
las, cela lui a valu sa vie. Un jour, alors qu’elle était au volant de sa voiture,
dans le désert, des hommes l’ont arrêtée et tiré sur elle. J’étais sur la place
arrière, j’avais juste trois mois. Un homme qui passait par ici juste à cet
instant m’a récupérée et emmenée avec lui.
⎯ J’ai eu de nouveaux parents, mais ce n’était pas celui qui m’avait
trouvée, je crois qu’il m’a confiée à d’autres. Je crois que jusqu’à trois ans,
je n’ai pas poussé sur la Terre, mais sur une autre planète car dans le monde
où j’étais, il n’y avait pas de télé, les voitures n’avaient pas de roues et le
soleil n’était pas jaune, mais blanc. Celui qui m’avait sauvée de l’abandon
dans le désert est revenu, car mes nouveaux parents ne pouvaient plus me
garder, le père de ma deuxième mère était malade, et comme je suis noire,
j’étais unique sur la planète. Là, je me rappelle qu’il m’a prise dans son
vaisseau et il m’a dit qu’il me ramenait sur la Terre. À ce moment j’ai beau-
coup pleuré d’être séparée encore une fois de ma famille. J’étais très petite,
mais il m’a assuré que je la retrouverai plus tard et qu’il viendrait me voir
régulièrement là où je serai. Arrivée sur la Terre, dans la ville où ma mère
naturelle avait vécu, je me suis retrouvée dans un orphelinat très chic, c’est
là que j’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence. Je n’ai jamais man-
qué de rien car mon protecteur donnait de l’argent très régulièrement, et
même avec ma couleur de peau, je n’ai jamais eu de problèmes. J’étais si
bien que j’ai vite oublié mon autre famille. Là, je pouvais faire les quatre
cents coups et c’est ici que j’ai commencé à devenir rebelle. L’orphelinat
était religieux et je n’ai jamais accepté leurs histoires. Les bons dieux et leur
truc avec des vierges et des Jésus, ça m’a toujours bien fait rire. Combien de
fois j’ai pu maquiller les personnages dans la chapelle avec du rouge à lè-
vres ou de la gouache. Le christ avec un grand sourire sur la croix, je trou-
vais ça bien plus rigolo. Mais un jour, alors que j’avais juste dix-huit ans, je
me suis faite virer parce que j’avais teint les cheveux du Christ en vert et
dessiné des gros tétons à la Sainte-Vierge. Ils ont su que c’était moi et j’ai
remballé mes affaires.
⎯ Mais Timi, à quel moment avais-tu contact avec ton père adoptif ?
⎯ Le samedi, il passait me chercher avec une voiture, puis nous rejoi-
gnons un endroit isolé du désert et là il m’emmenait dans son vaisseau.
Souvent, nous allions sur une planète qu’il appelait Lunisse, d’autres fois, il

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me faisait visiter des planètes plus sauvages. En fait, c’était lui mon père,
même s’il ne m’élevait pas. Il m’apprenait beaucoup de choses sur la vie
lorsque j’étais avec lui. Je crois c’est lui qui a mis la révolte dans mon es-
prit.
⎯ Quel était son nom, Timi ?
⎯ Iahvé, comme dans la Bible.
Entendant ce nom, Kim en a les jambes coupées bien qu’elle s’y attendait.
Cet homme n'était autre que son père aussi. C’est lui qui avait préparé Timi,
dans l’attente qu’un jour elle retrouve son autre enfant.
⎯ Cet homme est mon père.
⎯ Je le sais, Kim, je l’ai lu en toi. Et puis, il m’a dit que j’avais des
sœurs un peu partout dans la galaxie et qu’un jour je les rencontrerais. Mais
je vais terminer mon histoire.
Lorsque j’ai été renvoyée de l’orphelinat, je suis entrée dans une école de
coiffure et mon père, Iahvé, m’a encore une fois aidée et payé ma chambre
en ville. J’ai été brillante durant mes études et mon père m’a tout payé. Une
fois le diplôme passé, il m’a aussi aidé à monter le petit salon où je vous ai
accueillies, ça fait maintenant sept ans et demi, et d’ailleurs, je ne l’ai pas
revu depuis. Et chaque jour, je fais des coupes imprévues, en attendant son
retour. Et c’est vous qui êtes arrivées à sa place. Comme je voulais le re-
trouver, un jour, je suis retournée à l’orphelinat pour savoir qui était mon
bienfaiteur, mais ils n’avaient que son nom, Iahvé Aka. J’ai fait des recher-
ches, mais cela n’a rien donné, et des Aka il y en a des milliers sur la Terre.
⎯ Iahvé est mon père et comme toi je l’ai peu connu, mais il m’a tou-
jours accompagnée depuis mon enfance. C’est pour cela qu’entre nous, le
cercle se referme. C’est aussi pour cette raison que tu connais une partie de
ma vie, car par mon père, nos fluides se mélangent.
Timi commence à comprendre les raisons qui l’ont poussée à les suivre.
Kim lui dévoile une grande partie de sa vie et lui montre le but qui la pousse
vers la quête qu’elle mène depuis des années, depuis sa rencontre avec Jac-
ques. Elle lui révèle son véritable nom car elle lui fait entièrement
confiance. Timi voit que ses deux amies sont bien plus avancées qu’elle
dans la grande révolte. La rébellion n’était que l’écho lointain d’un im-
mense souffle de changement auquel participe Aqualuce.
⎯ Vous semblez toutes deux avoir de grandes qualités, moi, je n’en ai
aucune, à part couper les cheveux. Je n’ai pas de dons particuliers et je ne
connais rien de l’univers et des galaxies. Je suis une simple femme avec le
goût de déranger ou de choquer. Je n’ai rien à vous apporter.
⎯ Mais Timi, les qualités des hommes ne viennent pas de leurs dons
s’ils en ont, mais de la qualité de leur esprit. Nous t’apprécions beaucoup
depuis que nous t’avons rencontrée. Si tu es avec nous, tu trouveras vite ta
place. Déjà, tu sais faire fonctionner notre vaisseau.

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⎯ Kim, tu es si douée, alors, apprends-moi la vie, celle que tu connais
et qui emplit ton cœur.
⎯ Je la cherche et nous la trouverons ensemble.
C’est alors que le CP fait retentir une alarme et que les trois femmes se pré-
cipitent au poste de contrôle. C’est avec stupeur que Kim et Jenifer fixe le
chronocristale. Timi ne comprend pas et les regarde :
⎯ Pourquoi faites-vous cette mine-là ?
⎯ Timi, nous ne sommes même pas nées, notre civilisation n’existe
même pas, et les hommes doivent à peine marcher sur leurs pieds.
⎯ Comment ?
⎯ Nous sommes revenues en arrière, soixante-cinq millions d’années
nous séparent de notre temps. Regarde devant toi sur l’écran. La planète que
tu vois, est la Terre comme elle l’était il y a bien longtemps. Je ne sais rien
de cette planète-là, je ne sais ce que nous y trouverons.
⎯ Mais tu n’es pas obligée de t’y poser.
⎯ Peut-être as-tu raison, mais en attendant, ce vaisseau n’est pas fait
pour voyager dans le temps et je ne contrôle pas ce phénomène. S’il est là,
c’est que nous avons peut-être quelque chose à y faire.
⎯ Kim, regarde, le vaisseau se place en approche vers la planète sans
qu’on ait fait quoi que ce soit !
En effet, leur engin traverse déjà l’atmosphère, mais vers le sol, les conti-
nents sont méconnaissables. Rien ne distingue l’Amérique de l’Europe ou
de l’Asie et l’Afrique, seules les calottes glaciaires sont encore à leur place.
Les trois femmes se questionnent pour savoir ce qu’elles ont sous leurs
pieds. Un territoire semble se dessiner et le vaisseau en fait le tour, comme
pour s’assurer qu’il est au bon endroit. Kim ne touche à aucun instrument,
comme si elles étaient prises par quelqu’un d’autre. Enfin l’engin se pose
sur une terre étrange sans trop de végétation.
⎯ Il faut reprendre la main, Kim, redécollons, je ne ressens pas cet en-
droit.
L’idée est juste, elles n’ont rien à faire ici. Alors, Kim se dirige vers la
commande, mais à ce moment, la porte du vaisseau s’ouvre et elles sont
aspirées par le souffle de la dépression. Leurs corps s’envolent dans les airs,
semblant se dématérialiser. C’est alors, qu’elles se ressentent toutes les
trois, flottant dans l’air, comme des oiseaux, ou plutôt comme des esprits.
C’est là qu’elles comprennent qu’elles ont quitté leur corps matériel et c’est
Timi qui, sentant très bien son nouvel état, leur dit :
⎯ Ne paniquez pas, nous sommes dans l’éther de la planète. C’est l’état
normal des hommes de cette époque. La terre qui est en dessous de nous
n’est pas le monde des hommes, ce n’est que le règne de la vie animale et
végétale. Les hommes ne vivent pas encore dessus, ils ne se sont pas encore
incarnés. Suivez-moi, je vais vous emmener là ou nous trouverons d’autres

39
hommes.
Jenifer et Kim n’ont pas encore saisi ce qui leur arrive, ce milieu est si sur-
prenant. Elles se ressentent par l’idée, non par la vue. Leurs sens semblent
différents, elles n’ont plus de membres, plus de têtes, plus de corps. Elles ne
sont que des feux, des sortes de lumières qui se déplacent par la pensée.
Dépouillées de leur corps, elles se rendent vite compte qu’elles ne ressem-
blent plus à des êtres humains, et se regardant, elles ne voient que leur
champ de force éthérique entourant une couche étoilée, et leur conscience
fait parti d’un groupe, elles n’ont plus de personnalité. Timi les invite à ne
pas se montrer et rester totalement invisibles, elle leur explique qu’elles le
peuvent par la pensée. Une sphère immatérielle semble flotter au-dessus et
elles voient des milliers de feux comme elles les rejoindre. Sans se faire
remarquer, elles s’en approchent pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Elles
arrivent à passer dedans et comprennent que les milliers de feux apportent
la force pour nourrir le centre de la sphère. Kim saisit que tous ces feux
viennent servir un maître, il est possible qu’ils soient tous le membre d’un
seul corps se nourrissant des éléments de la Terre. Voulant comprendre
d’où vient cette nourriture, Kim demande à ses amies de suivre ceux qui
repartent sur la terre. Elles suivent alors les âmes qui viennent de déverser
leur feu et repartent sur la planète. Lorsqu’elles sortent, leur feu est éteint.
Leur descente se fait jusqu’à la surface de la planète, et là se trouvent des
dizaines de grands sauriens qui se battent. Les esprits pénètrent dans les
bêtes et semblent insuffler en eux un désir de combat. Les âmes semblent
prendre plaisir à s’incarner dans ces animaux pour laisser leurs instincts se
défouler. Ces pauvres bêtes sont les victimes de ces âmes supérieures, et
après un temps de combat, les pauvres dinosaures sont pour une partie bles-
sés ou tués. Lorsque les âmes se dégagent du corps de ces animaux meur-
tris, elles sont toutes redevenues lumineuses. Les trois femmes comprennent
qu’elles ont assisté à un pillage de force et de vitalité de ces bêtes qui sem-
blent là seulement pour nourrir ces êtres supérieurs. Les animaux se nour-
rissent de la terre, les âmes se nourrissent de la force vitale des animaux et
les grandes sphères se nourrissent des âmes et chacun y trouve son intérêt.
Kim se dit que si ces âmes étaient comme ça à l’ère du Jurassique, et quel-
les en sont leurs descendants, elle comprend maintenant que les humains
soient devenus les grands sauriens de l’époque. Le temps autour d’elle sem-
ble se dérouler bien plus vite que dans leur époque. Se retournant vers de
grandes sphères dominant ces âmes, elle voit que le regard de celles-ci se
dirige vers un lieu qu’elles connaissent ; c’est l’endroit où est posé leur
vaisseau. Surprises, elles aperçoivent leurs trois corps étalés sur le sol au
pied de leur engin. Le foyer de la sphère croise les corps, s’y intéresse et
sonde celles qui semblent inconscientes. Kim voit et sent son corps particu-
lièrement observé, les deux enfants qu’elle porte directement analysés par la

40
force qui émane de la sphère, comme si elle les prenait pour modèle. Elle ne
comprend pas vraiment ce qui est en train de se passer. Ses deux amies sont
aussi examinées par cette conscience insondable. Enfin, les rayonnements
de cet inquisiteur se retirent et dans un grand silence, la sphère rappelle
toutes ses âmes à elle. Kim, Jenifer et Timi restent à l’extérieur, le temps
passe en accéléré. Elles voient sur le sol de la planète tous ces monstres,
tous ces sauriens, et d’un coup une ombre passe au-dessus d’elles. Dans un
sinistre silence, elles comprennent qu’une météorite géante s’abat sur la
planète. De loin, elles voient un éclair foudroyant avec une lumière si terri-
ble que l’énergie qu’elle donne semble irradier toute la Terre. Un souffle
d’air circule, mais ce n’est que le commencement d’un grand bouleverse-
ment, car c’est la fin d’une ère. Puis la sphère semble plonger vers la terre,
comme si elle tombait. Au moment où elle percute le sol, un autre rayon en
émane et creuse un trou profond ; à l’intérieur, une sphère bleue où grouille
une vie qui semble sans forme. S’en approchant, de haut, elles voient des
éclairs jaillirent et un magma bleu ciel brasser le sol, comme une mer. Des
formes roulent et sortent de ce flot étrange. Ces choses se redressent enfin et
de chaque bord se lèvent des milliers d’humains, marchant la tête basse et
traînant les pieds, car c’est la première fois qu’ils marchent. En s’en appro-
chant, on peut voir des hommes et des femmes nus, noirs, jaunes et blancs.
Kim comprend alors que lorsque la sphère les avait sondées, elle en avait
pensé trois races, comme on pourra les trouver dans un million d’années.
Les deux enfants qu’elle porte ont servi de modèle pour donner le sexe. Ce
qui devient incroyable est que l’humanité paraît venir du futur. C’est avec
ces trois femmes que le modèle d’homme se trouve créé à cet instant, cha-
cune étant la représentante de ces trois ethnies. Les hommes semblent aussi-
tôt se rassembler par couleur et race, et partir chacun de leur côté. Bien sûr,
ils ne ressemblent encore qu’à des animaux, mais en eux est visible un cœur
brillant, comme si une âme surgissait au-delà de leur sang.
La création de l’humanité devient à cet instant une réalité et son commen-
cement sort d’une grande force créatrice poussée par un changement
d’atmosphère. Dans le ciel, la forme d’un serpent apparaît avec des yeux
envoûtant, fixant de son regard toute l’humanité. Celle-ci lève les yeux
comme pour signifier son asservissement. Pour Kim, cela apparaît comme
la signature maléfique et elle comprend ce que contient la force de la Cou-
ronne de Serpent ; celle qui est en dessous n’est que l’esclave, comme tous
ces hommes qui le sont devenus aussi. Il n’y a plus de doute, l’humanité du
vingt et unième siècle vit sous le joug de la couronne. L’ennemi n’est pas
Maldeï, mais la sphère entière qui dirige l’humanité tel un serpent et la tient
en son pouvoir par les forces de la haine, de la jalousie, la peur, la critique,
le mépris et les guerres. Le pillage des forces de la Terre est toujours le
même qu’à l’époque des dinosaures, mais se sont directement les hommes

41
qui sont pris par des conflits plus subtils et plus destructeurs qu’il y a
soixante-cinq millions d’années. Voyant cela, Kim comprend quel est
l’ennemi qu’elle devra affronter si elle revient dans son monde. À cet ins-
tant, les trois âmes sont aspirées par une force immense, elles ne contrôlent
plus rien jusqu’à ce qu’elles se trouvent devant un champ de force colossal
mais sans aucune forme. Elles ne peuvent voir ce qu’elles ont devant elles
mais le rayonnement indique que ce n’est pas amical. Le rayon imprime
alors en elles comme des paroles qu’elles entendent comme en rêve :
« Votre corps supportera la souffrance de vos enfants, vous enfanterez à
chaque instant pour les autres car j’ai pris de vous l’image de l’homme,
tous seront désormais vos descendants, mais ils obéiront au serpent de la
vie que je suis car ils me donneront leur nourriture en l’échange de la
conscience que je leur donnerais. Joignez-vous à moi pour ne pas supporter
la douleur, dans mon esprit, je peux vous faire oublier et profiter de la
vie. »
À peine ces paroles ont-elles traversé leur esprit qu’elles sont projetées vio-
lement vers le sol et semblent s’y écraser. Mais sans leur corps, la douleur
est différente. Lorsque chacune se relève, c’est avec beaucoup d’efforts, car
elles sentent et voient instantanément qu’elles sont rentrées dans leur corps
matériel. Le vaisseau est à côté mais, debout, elles voient autour d’elles des
centaines d’hommes et de femmes marcher, les yeux dans le vide. Avec
stupeur, les visages de chacune ressemblent aux leurs. Les hommes sont
comme Jacques, et Kim croit le voir partout autour d’elle.
Kim, Jacques, Jenifer et Timi sont devenus les modèles de l’humanité.
Il faut rejoindre le vaisseau et c’est ce qu’elles font. Une fois à l’intérieur,
Kim se précipite pour décoller et partir le plus loin possible. Cette fois,
l’engin répond à ses ordres et quitte le sol de la planète. Mais, à peine quit-
tent-elles l’atmosphère qu’elles sont prises dans un effroyable tourbillon qui
les remue dans tous les sens, et une fois de plus, aucun contrôle n’est possi-
ble. Le vaisseau traverse des strates trop étranges pour qu’on puisse le diri-
ger. C’est alors que les trois femmes tombent sur le sol, prises de contrac-
tions et de douleurs avant de perdre connaissance.

Timi réconforte Kim, allongée sur son lit.


⎯ Remets-toi, je t’ai donné un remède contre les contractions. Tes en-
fants ne risquent rien, ça c’est calmé, mais il te faut du repos car tu es en-
ceinte. Avec Jenifer nous t’avons fait des examens, c’est bon.
⎯ Mais, comment ça, où sommes-nous, pourquoi n’êtes-vous pas ma-
lades ?
⎯ Nous sommes dans le vaisseau, ne te rappelles-tu pas avoir mis en
fonction la propulsion ?
⎯ C’est exact, je m’en souviens maintenant.

42
⎯ Pour la douleur, l’esprit qui nous a donné le mauvais sort était un es-
prit préhistorique et il ignorait que les médicaments contre les contractions
existent depuis longtemps sur Terre et dans l’espace. Lorsqu’on s’est réveil-
lées, Jenifer et moi, nous sommes allées prendre ce qu’il fallait dans la
pharmacie. Te sens-tu bien maintenant ?
⎯ Je crois que ça va, mais je sens que ça bouge dans mon ventre et je te
garantis que ce n’est pas mon estomac.
⎯ Alors, c’est une très bonne chose. C’est pour quand le grand jour ?
⎯ Le vingt-trois mai, si tout va bien.
⎯ Tu en es à mi-chemin, il ne faudrait pas que tu vives toujours aussi
ardemment, tu dois mener ta grossesse à terme.
⎯ Je vais essayer. En attendant, j’aimerais me lever pour voir où en
sont les instruments et contrôler le cap.
Kim est heureuse de retrouver dans le poste de pilotage Jenifer en train de
contrôler tous les instruments. C’est une mathématicienne et rien ne lui
échappe. Le CP est analysé avec tous ses composants et d’après elle, tout
est juste. Kim regarde le chronocristal et, surprise, elle voit que le temps a
repris des valeurs plus raisonnables. À l’heure de la Terre, ils sont le douze
janvier 2009 et ils foncent droit vers Unis.
⎯ Jenifer, il faut changer de cap, nous devons retourner vers la Terre,
j’ai besoin de contrôler que tout est en ordre là-bas.
⎯ Mais pourquoi Kim, nous sommes revenues dans un espace et un
temps plus raisonnables, à quoi pourrait servir de revenir sur la planète ?
⎯ Et si notre venue dans le passé avait changé le monde ? Si nous
n’avons pas rêvé, nous avons agi dans le destin du monde plus que
n’importe qui. S’il est exact que nos corps ont servi de modèle pour la nou-
velle humanité, nous avons créé une désharmonie majeure dans le consor-
tium espace-temps, au risque d’avoir perdu l’humanité entière avec tous nos
amis et peut-être n’avons-nous jamais existé !...
Kim se rappelle avoir déjà fait un voyage dans le temps lorsqu’elle avait
voulu rejoindre Lunisse, il y a quelque temps, et que sa venue avait été pro-
grammée comme faisant partie de l’histoire de sa planète. Jenifer lui
confirme que le retour dans le temps n’est pas un leurre car le CP a enregis-
tré leur voyage, elles sont bien passées sur la Terre il y a soixante-cinq mil-
lions d’années. Si leur passage dans cette période du Crétacé est réel, elle
aurait des conséquences inestimables sur l’idée de la création de l’humanité.
Si la Terre est toujours pareille, alors c’est que leur existence est totalement
liée à une très grande magie ou alors un rêve sans mesure ? Il faut vérifier.
Les trois femmes se regardent et commencent à avoir la tête qui tourne, si
c’est exact, à elles seules, elles portent l’humanité entière, elles en sont le
berceau. Soudain, pour la ramener à de justes pensées, Kim sent dans son
ventre des coups qui lui sont donnés par ses deux enfants. Elle sursaute et

43
reprend en main les commandes du vaisseau. Cap sur la Terre !

La question folle se pose dans leur tête : comment la descendance peut de-
venir le modèle de la source ?
Pour Kim, cette question devient pour elle d’une importance capitale. Pour
connaître ce mystère, elle a en vue de pouvoir rejoindre la source de la créa-
tion de l’univers, non plus soixante-cinq millions d’années, mais au moins
vingt-cinq milliards d’années. Elle ne pourra se trouver devant Maldeï
qu’après avoir eu la réponse.
Elle pense :
« Autant dire, une quête impossible, où l’échelle humaine n’est plus que
l’électron d’un atome par rapport au désir intérieur qui m’y pousse. »
Le temps de cette pensée, la Terre est déjà sous ses pieds.
Kim ne s’y pose pas, car déjà dans le récepteur radio elle entend les hom-
mes parler et elle capte même leurs stupides émissions de télévision. Elle
trouve une connexion au Web et voit que tout est comme d’habitude et elle
trouve même le site de l’école de Keuramdor.

Rien n’est changé, alors les trois femmes décident de prendre le large et de
repartir vers Unis.
Avec la question la plus répandue :
Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ?

Un jour, il faudra donner la réponse…

Le vaisseau prend son cap et Kim regagne sa cabine pour prendre un peu
de repos comme ses deux amies. Mais à peine allongée, elle ressent dans sa
tête des vibrations qu’elle reconnaît bien, c’est l’appel de ses enfants. Elle
reste collée au fond de son lit, mais ne semble pas bouger. Les cloisons se
distordent, tous semblent prendre une autre forme autour d’elle. Un siffle-
ment se fait entendre jusqu’à ce que dans un éclair déchirant, Aqualuce et
Cléonisse se retrouvent toutes les deux face à face. Sa fille la regarde alors
en pleurant.
⎯ Maman, je suis perdue, j’ai besoin de toi, il m’arrive une chose folle
avec deux amis.
⎯ Mais Cléonisse, n’es-tu pas à l’école, pourquoi ces larmes ?
⎯ Nous étions au ski avec les autres, pour ce week-end, et avec mes
amis, Benjamin et Alice, nous avions décidé de communiquer avec les
étoiles. Ça a marché, mais nous nous sommes retrouvés sur le sommet
d’une montagne. Doora venait nous chercher lorsqu’un homme dans un
vaisseau comme le tien s’est intercalé pour nous prendre. Il dit s’appeler
Paolis ; il est grand avec un visage un peu maigre, ses cheveux ne sont pas

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très longs et il a une curieuse mèche blanche sur ses cheveux bruns. Il a
une cicatrice sur la joue droite et sans cela, il ressemblerait à papa. Il pré-
tend être envoyé par une dame nommée Maldeï pour préparer la guerre sur
la Terre en y trouvant des hommes qui l’aideront. J’ai l’impression en le
regardant qu’il est comme un zombi, il n’a pas un mauvais visage mais il
semble prêt à tout pour accomplir sa mission. Nous avons réussi à fuir,
mais il a rattrapé mes deux amis. Moi, je me suis cachée dans une grotte.
C’est là que j’ai retrouvé le sifflet pour t’appeler. Cet homme me cherche,
il m’a dit qu’il utiliserait mes pouvoirs pour faire son travail. Il menace
Alice et Benjamin de mutilations et d’autres choses horribles si je ne fais
pas ce qu’il me demandera. Je ne sais plus ce que je dois faire. Retourner
vers lui pour sauver mes amis ou fuir et rester dans cette grotte ?
⎯ Calme-toi ma chérie, nous allons réfléchir à comment te sortir de là.
Ce que tu me dis est important, maintenant je sais que Maldeï a envoyé
d’autres hommes sur la Terre, en dehors de ceux venus attaquer Keuram-
dor.
⎯ Tu sais, maman, ceux que nous avions vaincus se sont transformés
en elfes et ils sont là pour nous protéger.
⎯ Des elfes ! Je comprends mieux maintenant pourquoi Maldeï avait
fait d’eux des guerriers ; elle savait ces enfants dangereux pour elle et avait
fait ça pour qu’ils ne découvrent pas leurs vertus.
⎯ Ils ont construit autour de l’école une protection infranchissable
avant de partir autour de la Terre, seuls deux sont restés avec nous pour
nous protéger.
⎯ Si les elfes réapparaissent, c’est que de grands changements vont
avoir lieu sur la Terre, ces êtres sont toujours présents dans ces moments-
là.
⎯ Et pour moi, maman, qu’est-ce que ça veut dire ?
⎯ Ça veut dire que tu dois retourner vers tes amis et prendre ce que je
vais te donner. Écoute-moi bien. Ouvre ton cœur à l’espérance, c’est-à-
dire, fais confiance en ton étoile, ton cœur te donne toute la nourriture dont
tu as besoin et il prend soin de toi. Dans les moments les plus difficiles, il
te fait franchir les obstacles les plus grands car si tu ignores la peur, tu lui
ouvres la porte. Tu n’es pas responsable de ce qui t’arrive, alors les choses
vont se redresser. Je suis certaine qu’il ne vous arrivera rien. Donne aussi à
tes amis la force de l’espérance comme je le fais pour toi, c’est avec ça que
j’ai toujours gagné. Tu es ma fille, il ne peut rien t’arriver.
⎯ Mais maman, ce monsieur paraît très méchant.
⎯ As-tu confiance en moi ?
⎯ Oh ! Oui, maman, tout ce que tu dis est toujours vrai.
⎯ Alors qu’est-ce qui est important ?
⎯ C’est l’espérance, maman, c’est la force qu’il y a dans mon cœur et
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je la ressens maintenant que tu me l’as montrée !
⎯ Viens dans mes bras pour que je te fasse un câlin.
La petite fille se blottit dans les bras de sa mère pour verser ses dernières
larmes, elle ferme les yeux et se sent déjà mieux. Lorsque Kim détend ses
bras, sa fille a disparu, elle est dans le vaisseau qui fonce toujours vers
Unis. Elle regarde autour d’elle et se voit bien seule. Malgré tout, voyant
au détour d’un regard son visage, elle voit les traces encore rouges du câlin
de son enfant. Les minutes qu’elle vient de vivre étaient bien réelles et elle
pense à l’homme arrivé sur la Terre et la mission qu’il compte accomplir.
Les hostilités sont bien lancées, Maldeï compte bien envahir la planète. Si
comme le dit Cléonisse, il est ici pour trouver des alliés parmi les bandits et
les délinquants, il risque d’avoir un certain succès.
Elle sait que cet homme se nomme Paolis, cela l’intrigue et il faut qu’elle
vérifie. Pour cela, elle se rhabille et retourne au poste de pilotage. Assise
devant le pupitre, elle inscrit le nom de l’homme pour voir s’il est référen-
cé dans la mémoire du CP. Si c’est un Elvien, c’est peu probable, mais s’il
est Lunisse, elle a une chance. Kim lance la recherche et presque instanta-
nément, le CP donne la réponse qu’elle n’espérait pas. PAOLIS, ce nom est
affiché à l’écran et une photo apparaît. Pas de doutes, c’est lui, elle recon-
naît l’homme décrit par sa fille. La même mèche blanche et la cicatrice sur
la joue droite. Regardant sa fiche, elle voit qu’il est de Natavi. Pédiatre, il
est réputé, les articles qui accompagnent sa fiche sont très élogieux, rien à
voir avec l’homme qui a enlevé sa fille. Kim pense que Maldeï a dû
l’envoûter à sa façon. Si Cléonisse arrive à se libérer de cet homme, les
autres sur Terre seront vite informés de sa présence. Alors, elle repense aux
elfes qui sont sortis de leur école et elle se dit que s’ils le sont vraiment, ils
viendront les délivrer. Quelque chose lui indique que c’est même déjà fait,
elle n’a pas de doute, son cœur lui en donne la certitude.
Kim reprend son voyage, enfin, elle peut prendre un peu de repos. Elle met
son lecteur MP3 sur ses oreilles pour écouter une chanson interprétée par
Natacha Saint Pier et Pascal Obispo :

"Mourir Demain"…

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L’ENVOL DES ELFES
Sachant que les elfes construisaient sur la montagne leur
campement, Araméis avait été tenté de voir comment ils s’étaient installés.
Il y était allé avec Steve dont la fille fait partie de ces êtres. Enfants de la
mine, ils s’étaient tous transformés, devenant des êtres presque magiques en
passant à travers le Puits de l’Oubli…
Arrivant jusqu’à l’entrée de leur domaine, ils furent tous deux surpris, cela
ne ressemblait à rien de connu. En passant la porte, ils furent arrêtés par un
des petits êtres qui les avertit :
⎯ Je vous préviens qu’en passant cette porte, vous risquez de ne plus
jamais voir le monde comme avant, le domaine des elfes est bien différent
de celui des humains.
Sur le coup, les deux hommes ne comprirent pas pourquoi il disait ça, et
sans crainte, ils n’hésitèrent pas à passer. Mais à peine la porte franchie, se
retournant, le gardien avait totalement changé. En un tour de passe-passe il
était devenu bien plus grand et il les dépassait. Au lieu de cheveux bouclés,
il avait une longue barbe et était devenu chauve. Impressionnés par sa taille
de géant, ils prirent peur et s’enfoncèrent dans le village. Tout autour d’eux,
ils ne virent aucun enfant, mais des êtres mi-femmes mi-hommes qui sem-
blaient être afférés à des tâches importantes. Tous semblaient être de vieux
sages, aucun enfant n’était présent. Araméis et Steve se regardèrent avec
étonnement lorsqu’une femme, paraissant avoir facilement quarante ans,
s’approcha d’eux avec un grand sourire :
⎯ Papa, enfin, tu t’es décidé à venir. Je suis très heureuse que tu aies
osé entrer malgré l’avertissement du gardien.
⎯ Mais, qui es-tu pour m’appeler papa ?
⎯ Tu ne me reconnais pas ? C’est moi, Axelle.
⎯ Ce n’est pas possible, Axelle a juste sept ans !
La femme devant lui avait les cheveux bouclés et déjà grisonnants. Elle
avait la même taille que sa femme, mais en aucun cas il fut possible qu’à
quinze jours d’intervalle l’enfant ait pris presque quarante ans.
⎯ Ah ! Oui, sept dans le monde des hommes, mais plus que des milliers
d’années dans le monde des elfes. Ici, nous sommes tous sans âge. Regar-
dez-vous, tous les deux, vous êtes des enfants comparés à nous.
Steve se retourne vers son ami Araméis et voit un petit garçon qui ne doit
pas avoir plus de six ans. C’est alors que l’autre se met à rire en le regardant
aussi.
⎯ Vous, les hommes, êtes encore des enfants en croissance, vous
n’avez pas encore atteint votre maturité, c’est pour cela qu’on a dû vous
enfermer dans cet univers. Vous ne savez même pas ce qu’il y a en vous,

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vous n’avez pas encore ouvert votre cœur pour regarder à l’intérieur. Nous,
les elfes, devons tous les jours vous border pour que vous vous endormiez à
vos instincts et à la fois vous réveiller à l’écoute des autres. Vous faites des
caprices tous les jours et nous devons réparer les dégâts à chaque fois.
⎯ Mais on ne nous a jamais appris autre chose, nous les hommes, nous
réagissons à nos sentiments, nous devons nous lever chaque jour pour tra-
vailler, si on n’est pas le meilleur, un autre prendra notre place.
⎯ C’est justement ça ! Vous devriez donner chaque jour votre place aux
autres.
⎯ Mais es-tu vraiment Axelle, l’enfant que j’ai élevé ?
⎯ Devant toi, sur Terre, tu as un enfant, mais lorsque tu regardes plus
loin, l’enfant enferme en lui un être d’un grand savoir. L’enveloppe n’est
que l’apparence, l’être ne se voit pas, il se sent. Petite, mon corps est une
prison que je dois porter, la jeunesse de mon corps m’empêche d’exprimer
l’être que je suis. Ici, ma conscience est déjà en expansion, je peux dépasser
de loin les limites de vie de la matière. Là où nous sommes, il n’y a que
l’idée qui vive. Notre corps prend la forme qu’il souhaite. Je veux être une
femme mûre et je le suis. C’est pour cela que je t’apparais ainsi.
⎯ Et nous, pourquoi sommes-nous des enfants ?
⎯ Je te l’ai déjà dit, l’homme n’est qu’un enfant. Venez tous les deux,
je vais vous faire visiter le village.
Axelle, étant comme une grande femme, vêtue d’une grande cape grise et
des sandales en bois prend les deux enfants par la main. Ici, tout semble
inversé. Elle entre dans une des maisons et là, ils voient à l’intérieur
d’innombrables portes. Parfois l’une d’elles s’ouvre et à ce moment, un elfe
y entre.
⎯ Mais où va-t-il Axelle ?
⎯ Toutes ces portes sont reliées aux cœurs des hommes. Lorsqu’une
s’ouvre, c’est qu’un homme vient de s’éveiller. Nous, les elfes, avons pour
tâche d’accompagner celui qui l’a ouverte pour qu’il ne la referme jamais.
C’est-à-dire qu’il laisse en lui parler la vie. Quand un homme fait un pas,
nous l’aidons à en faire un autre avec lui.
⎯ Mais pourquoi y a-t-il si peu de portes ouvertes, ou pourquoi en ai-je
vu qui se referment ?
⎯ Hélas, les hommes ont tous de bonnes intentions, mais "Chassez le
naturel, il revient au galop" et c’est pour ça que tout est toujours à refaire.
Heureusement il arrive que des portes ne se referment plus ; à ce moment,
les elfes établissent avec celui qui a ouvert cette porte une liaison particu-
lière en injectant sur l’homme de la poudre de lumière.
⎯ Mais c’est quoi de la poudre de lumière ?
⎯ Araméis, sais-tu ce qu’est une âme ? Je ne te parle pas de la cons-
cience animale d’un homme ou d’une vache.
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⎯ Autrefois je t’aurais dit que c’est ce qui donne la vie à mon corps en-
tier, mais maintenant, avec Wendy qui s’est transformée et a commencé à
m’entraîner avec elle, je commence à pressentir bien autre chose.
L’âme est le moteur de toute la vie, c’est en nous un feu d’une force infinie.
En même temps, c’est une conscience infiniment supérieure à la nôtre et
lorsque je veux bien l’écouter, elle me donne la direction que je dois suivre.
J’ai le sentiment que c’est un élément différent de moi. Mais pour moi, c’est
un grand mystère.
⎯ Tu as raison, c’est un feu et tous les hommes se sont construits de ça.
L’homme est arrivé bien après que l’âme ait vu le jour. Ce feu qui est en
nous est le centre de notre vie, alors que l’homme pense que c’est son cer-
veau. Il estime son cerveau comme un dieu et le laisse agir. Hélas, le cer-
veau n’est qu’une grande antenne qui reçoit les influences du monde de la
nature et de l’univers. Il y a une grande tromperie qui a été organisée et qui
donne l’impression aux hommes que ce sont de libres penseurs. Aucun
homme n’est libre et l’âme ne peut vivre sans lui. Les hommes qui arrivent
faire vivre leur âme sont capables de tout transformer autour d’eux, en tout
cas de transformer les hommes et de leur donner la possibilité de s’éveiller
à leur tour.
⎯ Maldeï est-elle responsable de cette tromperie ?
⎯ Elle n’est qu’un élément sans doute, mais nous pensons qu’il y a plus
qu’elle pour emprisonner toute l’humanité.
Notre rôle n’est pas de lutter contre elle. Les elfes sont des feux conscients
qui secourent tous les hommes une fois qu’ils ont commencé à s’éveiller.
Nous aidons tous les enfants lorsqu’ils ont encore en eux une lumière appa-
rente. C’est pour cela que sur Terre, à Noël, nous fabriquons des cadeaux
pour eux, nous mettons dedans de la poudre de lumière comme dans le cœur
des hommes qui se sont ouverts la vie, comme les enfants.
Si vous ouvrez vos cœurs comme des enfants, c’est que votre cœur parle en
vous, laissez-le agir dès cet instant. Donner la bonne nourriture, voilà le
véritable travail des elfes, rien d’autre.
⎯ Alors, vous n’êtes pas humains ?
⎯ Non, des particules de lumière pures venant de la source, nous som-
mes un, agissant dans l’unité et pouvant nous multiplier pour aider tous
ceux qui désirent s’ouvrir à la vie. Les maisons de notre village ont toutes
des portes qui débouchent vers le cœur de chaque homme. Nous avons
construit ce lieu pour qu’en visitant cet endroit, vous ayez une vision plus
facile de notre travail. En fait, les elfes sont immatériels, nous ne sommes
qu’une idée.
⎯ Mais tous ces enfants que j’ai vus dans les mines et que nous avons
fait traverser le Puits de l’Oubli, que deviendront-ils ? Après que nous
ayons quitté votre village, vont-ils se dématérialiser ?

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⎯ Non, les elfes peuvent avoir besoin d’un vrai corps. D’ailleurs la si-
tuation dans la galaxie est si tendue que dans quelques jours, nous quitte-
rons tous Unis pour rejoindre les différentes planètes afin d’aider tous ceux
qui dans leur cœur sont aptes. Nous mélangeant aux autres, nous serons plus
efficaces.
⎯ Tu vas me quitter, Axelle ?
⎯ Non, papa, je vais te rejoindre, lorsque tous s’envoleront.
Après avoir visité le curieux village, les deux petits hommes, sont re-
conduits comme des enfants par Axelle à l’entrée. Le garde les attend, tou-
jours aussi grand, mais ils comprennent pourquoi. Ils franchissent la porte et
se retournent encore une fois, et là c’est l’inverse ; un enfant leur apparaît
aussitôt comme s’ils avaient changé d’espace. Ils regardent autour d’eux et
se demandent dans quelle mesure le monde dans lequel ils sont retournés est
vraiment réel, ils rentrent dans leur camp avec un doute immense. L’enfant
à l’entrée avait raison, ils ne pourront jamais voir le monde comme avant.

Cela fait plusieurs jours que Steve et Araméis sont allés visiter le village
des elfes, ils ont raconté à Wendy ce qu’ils ont vu et celle-ci a parfaitement
compris leur rôle. Ces enfants qu’ils pensaient prendre comme une charge,
sont loin d’être ce qu’on pouvait imaginer, et c’est d’eux que l’on devra
apprendre.
La construction de leur base avance bien, tous ont leur logement, les nour-
rissons que Némeq leur a amenés ont tous été intégrés à la vie et leurs nou-
velles mamans les ont pris comme leurs enfants. Maintenant tout se passe
bien et Araméis refait surface, tous prennent leur place progressivement, la
vie s’installe à Unis, la nouvelle ville.
Steve est maintenant seul, sa fille n’est pas revenue du village des elfes et il
se demande ce qu’il fera lorsqu’elle reviendra. Sera-t-elle encore une
femme mûre ou une enfant ? Pourront-ils rentrer sur Terre par la suite ?
Wendy est heureuse que les enfants arrivés ici soient devenus des êtres à
part, mais en elle, sur cette planète, elle a le sentiment de faire maintenant
du surplace. A attendre sur cette planète trop parfaite, elle ne se sent pas à
sa place, elle préférerait être avec Doora, Weva ou Yéniz, et pourquoi pas
avec Aqualuce. Ces quatre femmes lui manquent et Araméis, même s’il est
son mari, ne les remplace pas. Elle espère un événement pour tout changer.
Lorsqu’elle se couche ce soir, il est déjà très tard, son époux a eu une jour-
née épuisante et il est déjà au lit. Elle se déshabille pour prendre une dou-
che, mais dans le ciel quelque chose d’étrange l’intrigue. Elle voit un point
lumineux qui n’était pas là hier, elle est certaine que ce n’est pas une étoile,
car elle a une grande connaissance des astres, même si elle n’est pas sur sa
planète natale. Elle passe sous sa douche pour se rafraîchir. Pour ne pas
perdre de temps, elle sort nue sur sa terrasse et regarde encore une fois le

50
ciel. Plus de doute, c’est un vaisseau dont les flancs reflètent les rayons de
l’étoile d’Unis ; elle a baptisé cette étoile le Limax, personne avant elle n’en
avait eu l’idée. Ayant une vue remarquable, elle juge l’altitude de l’engin à
plus de dix mille kilomètres, et d’une taille de deux mille mètres au mini-
mum. Les yeux en l’air, elle ne s’aperçoit pas immédiatement que ses voi-
sins la voient dans son état et peu après, elle rentre en vitesse et enfile juste
un pantalon, il n’est plus le temps pour elle de se coucher. Ce sont peut-être
des ennemis qui arrivent et si c’est le cas, ils n’auront aucun moyen pour se
défendre. Pas le temps de prendre des pincettes avec Araméis, elle doit le
réveiller.
⎯ Réveille-toi, viens vite avec moi, il se passe quelque chose d’étrange,
lève-toi vite !
⎯ Quoi, quelle heure est-il ?
⎯ Une heure au chronocristale de Lunisse, c’est urgent, viens avec
moi !
⎯ J’étais en plein rêve, j’espère que c’est important.
⎯ Avons-nous des armes pour nous défendre ?
⎯ Pourquoi veux-tu des armes ?
Il s’habille et pendant ce temps, Wendy lui dit :
⎯ Un vaisseau spatial qui n’est pas des nôtres vole au-dessus de notre
planète, viens voir avec moi, nous devons nous préparer.
⎯ Que dis-tu ? Un vaisseau !
⎯ Suis-moi, tu vas me dire ce que tu en penses.
Il la suit sur la terrasse, elle lui montre le point brillant qu’elle a observé,
mais il a disparu.
⎯ Je ne vois rien, tu as dû rêver.
⎯ Certainement pas, j’étais parfaitement lucide lorsque je l’ai remar-
qué, c’est un vaisseau immense, bien plus grand que le Terrifiant, sinon je
n’aurais pas pu l’observer ! Un vaisseau d’une telle taille, je n’en connais
qu’un, c’est l’Instant-Plus. C’est peut-être Maora.
⎯ Si c’est elle et qu’elle a réussi à retrouver les survivants de Persevy,
ils seront trop nombreux. Némeq m’a prévenu qu’ils sont presque deux mil-
les.
⎯ Et alors, ça te pose des problèmes, n’as-tu pas prévu une grande base
ici pour recevoir tous les égarés qui nous viendront ?
⎯ Oui, c’est vrai.
⎯ Alors assurons-nous que c’est bien elle qui nous revient, et si c’est le
cas, préparons-lui le meilleur accueil avec les nouveaux qu’elle nous
amène.
⎯ Viens avec moi, allons au poste de contrôle de la ville, nous pren-
drons contact avec eux.

51
Arrivés au commandement, ils allument le récepteur pour écouter s’il y a
une voix à l’autre bout. Araméis ne souhaite pas émettre de là où il se
trouve car si c’est un ennemi, ils seront aussitôt repérés. Avec Wendy, ils
sont d’accord, il faut attendre, inutile de mettre des milliers d’êtres en dan-
ger.
⎯ Tu peux douter de moi, mais je t’assure que j’ai bien repéré un vais-
seau.
⎯ Je ne doute pas de toi, préparons-nous à accueillir ceux qui vien-
dront. Soit pour se mettre à l’abri ici, ou nous attaquer. Je reste ici pour sur-
veiller le ciel, va te coucher, demain nous rassemblerons toute la commu-
nauté pour nous préparer.
Dans la moiteur de la nuit, Wendy rentre se coucher, mais avant de se met-
tre lit, elle regarde encore une fois dans la direction où elle avait cru voir le
vaisseau. C’est là qu’au loin, vers la cité des elfes, elle voit une nuée in-
nombrable d’êtres lumineux s’envoler à travers le ciel dans la direction où
elle avait repéré l’appareil. En quelques secondes ils disparaissent tous dans
l’obscurité du ciel. Elle se frotte les yeux, pensant être trop fatiguée. Que
doit-elle en penser ? Cette fois, elle n’en peut plus, épuisée, elle s’allonge
sur son lit et s’endort dans un rêve étrange qui la conduit directement sur
Elvy…

***

Seule, dans une pièce bien protégée de son palais qu’elle appelle son "Tem-
ple", Maldeï ne veut pas que ceux qui lui ont échappé s’en sortent comme
ça. Cela fait quelques jours qu’elle y pense et ce soir, retirée de ceux qui
l’entourent, elle se laisse diriger par la Couronne de Serpent qui lui insuffle
un commandement et lui dicte de la laisser conduire les représailles direc-
tement contre les voleurs de vaisseau. Maldeï s’est rarement laissée diriger
totalement par l’esprit de la couronne, sauf au début avec Jacques Brillant
lorsqu’elle avait sondé son esprit. La couronne commence à se sentir en
danger. Comme une condamnée, elle pénètre dans l’étrange sanctuaire.
Son temple est fait de miroirs noirs qui reflètent sur tous les côtés l’image
de celui qui se trouve dans son centre. Il n’y a que la lumière des yeux du
serpent qui se reflètent. Une fois la porte fermée, les yeux du serpent se
multiplient à l’infini sur les quatre facettes. Le regard de l’animal devient de
plus en plus brillant et ceux de Maldeï se ternissent. Dans sa pensée, le flot
d’une force se déverse comme un envoûtement et il lui dit :
« Au-delà de l’espace, sort du temps pour retrouver ceux qui t’ont humi-
liée. Retrouve leur esprit et que toute la force de l’univers du ciel les ré-
duise à l’état d’esclaves de la couronne. Que ceux que tu trouveras de-

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viennent dépendants du mal, qu’ils en soient les serviteurs. Le serpent
est le maître, le serpent est le Dieu et que tous se prosternent devant sa
force. Que ton esprit, Maldeï, les retrouve dans l’instant, je t’en donne le
pouvoir afin qu’ils oublient leur cœur pour se donner à moi. »
Dans la seconde, la conscience de serpent quitte son corps et trouve aussitôt
le vaisseau dérobé. Elle pénètre à l’intérieur et trouve en son ventre des
milliers d’êtres. Attendant que chacun plonge dans le sommeil, l’esprit de
Maldeï plonge en leur être pour détruire en eux la liaison que leur cœur
avait déjà commencée à tisser. Elle a le temps de la nuit artificielle pour
opérer son action diabolique. C’est avec toute la puissance de la couronne
qu’elle opère. Les hommes et les femmes qui s’étaient endormis d’un som-
meil paisible avec les rêves qui les avaient emmenés loin de leur corps se
trouvent dans l’impossibilité de reprendre leur place au moment du réveil.
Ce n’est que l’esprit animal et du mal qui se trouve dans la conscience.
Maldeï n’a pas le temps de visiter tous les esprits et dans le poste de pilo-
tage, elle trouve celle qui l’avait affrontée, Maora. Cet esprit est fort et
éveillé, elle ne peut la pénétrer. Mais sentant l’image de ceux qu’elle aime,
pour se venger, elle les trouve, leur faisant subir la mort de l’âme, ouvrant
en eux les portes du mal. C’est ainsi que la jeune Dagmaly est touchée dans
son sommeil. À l’instant où le mal se produit, son corps entier se raidit et
elle est prise de convulsions, tant le déchaînement de l’esprit de la couronne
est puissant. Hennas, Tarina et Stamag subissent le même sort ; le frère de
Maora qui vient juste de se réveiller échappe à ce sort. Mais il est temps
pour Maldeï de rejoindre son corps, le matin est aussi pour elle sur Elvy.
Lorsqu’elle se réveille dans son temple, elle n’a plus le souvenir de cette
étrange nuit, même maître de l’univers, une partie de sa vie lui échappe ;
mais un bien-être l’inonde, comme l’idée d’un acte de justice accompli…

***

Maora était impatiente d’arriver jusqu’à Unis, elle a volontairement réduit


sa vitesse à l’entrée du système stellaire pour arriver avec le plus grand
calme et que tous puissent se faire aux nouvelles conditions. Maintenant, la
planète est là et elle pense s’y poser dans moins de dix heures. Elle sait où
est située la base de ses amis, mais comme c’est le début de la nuit, elle
pense qu’il est préférable d’arriver au matin, lorsque tous seront réveillés.
Dans son vaisseau, c’est pour eux déjà le matin et bientôt ils seront tous
levés. Admirant la curieuse planète, elle entend derrière elle quelqu’un en-
trer dans le cockpit. Elle se retourne et voit Dagmaly arriver, les cheveux
totalement en pétard et surtout le regard étrange. Elle pense que la nuit a été
agitée, mais lorsque la jeune femme ouvre la bouche, elle comprend qu’il

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s’est produit quelque chose, mais c’est trop tard lorsqu’elle la voit sortir une
arme qu’elle braque.
⎯ Là où tu nous as emmenés, ça n’est pas pour moi, tu es devenue dan-
gereuse pour les autres, il faut te tuer.
La pauvre n’a pas le temps de réagir. Elle a juste le temps de dire :
⎯ Si vous m’entendez, venez à notre secours, nous avons été possédés.
Sa parole semble s’éteindre sur les murs de son poste de commande que
déjà un rayon éthérique part et lui brûle profondément une partie de
l’abdomen. Elle s’affaisse, inconsciente. Dogami, devenu conscience du
vaisseau, voyant la scène depuis les capteurs et les caméras, comprend qu’il
se passe quelque chose d’étrange dans le vaisseau. Les capteurs des diffé-
rentes chambres détectent des mouvements curieux pour une partie des
voyageurs. Il pressent un danger encore plus grand et comprend qu’il n’est
plus temps de se poser sur la planète, il vaut mieux s’éloigner pour ne pas
contaminer ceux qui les attendent peut-être sur Unis. Il fait faire demi-tour
au vaisseau et met en marche le moteur principal pour s’éloigner suffisam-
ment. Maora perd beaucoup de sang, la jeune Dagmaly est comme folle et
s’enfuit en se cognant la tête partout sur les cloisons, elle ne se contrôle
plus. Dogami décide de réveiller ceux qui pourraient l’aider, il fait sonner
l’alarme dans les chambres d’Hennas, Tarina et Stamag, mais ses capteurs
indiquent qu’eux aussi ont un comportement étrange. Par chance, le frère de
Maora semble réveillé et il l’appelle à travers les hauts parleurs. Celui-ci
accourt jusqu’au poste et trouve sa sœur étalée et recouverte de sang. Bien-
tôt, presque tous les membres du vaisseau sont debout et une partie des
hommes et des femmes commence à se battre. À travers tout cela, le pauvre
Mogaran arrive à isoler sa sœur au bloc médical, Delfiliane le rejoint et
s’occupe de Maora. Une partie des voyageurs semble être atteinte d’un mal
étrange tandis que l’autre partie essaie de se protéger de leurs mouvements
agressifs. La situation est devenue incontrôlable, comme si les êtres dans le
vaisseau étaient devenus des bêtes féroces, sans conscience. Delfiliane a des
dons de guérison et soigne Maora sans les instruments pourtant disponi-
bles ; bien qu’ils soient parmi les plus modernes. Elle arrive à arrêter rapi-
dement l’hémorragie, mais la plaie n’est pas belle. Avec beaucoup de soin,
elle lui applique un baume permettant la régénération totale des cellules
détruites. Au bout d’un moment, Maora reprend connaissance et arrive à
dire quelques mots :
⎯ C’est une attaque, l’esprit de chacun a été violé. Il faut trouver de
l’aide, appeler les el…
Puis, elle perd connaissance. Son frère regarde Delfiliane en se question-
nant :
⎯ Appeler qui, quoi, as-tu compris ce qu’elle voulait dire ?
⎯ Je sens autour de nous une présence qui ne m’est pas inconnue, at-

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tend un peu.
À cet instant, ils entendent une petite voix qui leur dit :
⎯ Elle voulait juste dire, appeler les elfes ! Tout à l’heure c’est ce
qu’elle a fait, c’est pour ça que nous sommes là !
Ils se retournent vers eux et voit un jeune enfant qui ne semble pas avoir
plus de sept ans avec les cheveux châtains et bouclés, vêtu d’une robe blan-
che presque lumineuse. Delfiliane la reconnaît immédiatement, c’est
Axelle, la petite fille exceptionnelle, rencontrée sur Elvy.
⎯ Comment as-tu fait pour arriver jusqu’ici, ne devrais-tu pas être avec
les autres enfants sur Unis ?
⎯ Nous nous sommes tous transformés en elfes, nous sommes des brins
de Lumière et nous pouvons nous déplacer là où notre présence est indis-
pensable. Cette dame que tu soignes nous a appelés, nous sommes ici à sa
demande pour chasser le malin qui s’est emparé de vos corps. Un viol inac-
ceptable a été commis ici et le responsable en est Maldeï, déjà, mes frères
sont en train de s’occuper des vôtres.
En effet, dans tout le vaisseau, les elfes par centaines poursuivent tous ceux
dont le comportement est étrange, ceux dont l’agressivité est avérée sont
accrochés par les petits êtres qui se battent avec eux. Lorsqu’un elfe tient un
homme ou une femme, il ne s’en décroche pas avant qu’il soit totalement
épuisé. Lorsqu’il tombe, l’elfe se transforme en un tourbillon de lumière et
rend lumineux l’être tombé dans l’inconscience. Sous l’influence de ce
rayonnement, pour chaque être piégé par les elfes, un nuage noir semble
sortir par la bouche, comme s’il recrachait de puissantes toxines. À la fin
c’est plus de mille personnes qui se retrouvent totalement sonnées, inertes
sur le sol. Juste une fille ne s’est pas encore laissée toucher par un elfe, cette
jeune femme est très agressive et menaçante avec son arme, personne n’ose
l’affronter. C’est Gybouss, le garçon elfe qui vient frapper à la porte du bloc
médical :
⎯ Axelle, il faut que tu viennes, il reste une fille récalcitrante ! elle
paraît dangereuse, personne n’ose s’en approcher. Peux-tu venir nous ai-
der ?
⎯ Excusez-moi, je dois y allez, j’ai du travail. Dis, Gybouss, Maora est
fort blessée, peux-tu t’occuper d’elle pendant que je vais régler le pro-
blème ?
⎯ D’accord, mais rejoins-moi lorsque tu auras fini.
La petite Axelle remonte le vaisseau pour trouver la fille dont parle son ami.
Après l’avoir trouvée, elle s’aperçoit que cette fille est bien plus touchée
que les autres ; connaissant Maldeï, elle comprend qu’elle a mis en elle un
germe de serpent qui est en train de pousser dans son esprit, contrairement
aux autres victimes pour qui un mur noir avait été mis entre leur âme est
leur conscience. En cette pauvre fille, c’est un embryon de serpent qu’elle a

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implanté. Si elle ne lui retire pas immédiatement, cette adolescente devien-
dra comme la femme à la couronne, un être représentant l’empire du mal
absolu. Axelle a eu sur sa tête la couronne et elle sait comment lui arracher
ce mal. Elle lui saute dessus, mais le combat ne peut être qu’inégal, une
petite fille de sept ans contre une autre de dix-sept, elle ne peut faire le
poids. Dagmaly est en furie, elle lâche son arme et ses yeux commencent à
lancer autour d’elle des rayons détruisant tout sur son passage. Mais la pe-
tite Axelle ne se laisse pas toucher, elle est encore plus rapide et reste ac-
crochée sur elle comme un rapace tenant sa proie de ses serres puissantes.
Toutes deux roulent au sol, se cognent, mais rien n’y fait, Axelle est tou-
jours là, mais une transformation a lieu, et comme un serpent, sa tête
s’allonge et arrive à se placer devant la bouche de Dagmaly. En quelques
instants, elle s’introduit dans son corps comme si elle se faisait avaler. La
jeune femme s’effondre subissant une déformation incroyable, l’enfant a été
avalé tout entier. Le ventre de Dagmaly est difforme, comme s’il allait écla-
ter. Elle se roule de douleur sur le sol, cela dure quelques minutes. Mais à
un moment, elle est prise de convulsions et semble vouloir vomir. C’est à ce
moment que, se tenant fortement sur ses jambes, elle vomit un serpent de
presque un mètre de long. Juste après, c’est Axelle qui est recrachée à son
tour. La petite fille se redresse, regarde le serpent et le foudroie de ses yeux
devenus des feux. Le serpent qui commençait à se redresser pour s’agripper
à Dagmaly se consume en quelques secondes et, bien qu’un animal pareil
n’ait pas de cordes vocales, il pousse alors un cri si puissant que tout ce qui
est en verre éclate autour d’eux.
C’est terminé, la bête est morte, et comme c’est par le serpent qui était en
Dagmaly que tous les autres membres étaient possédés, le calme se pose
dans tout le vaisseau. Tous les elfes et tous les hommes se retrouvent les
uns les autres, se questionnant sur la funeste révolte qui vient de se passer
dans la grande nef.
Dagmaly est toujours étendue sur le sol, la petite Axelle et contre elle et
pleure, comme si elle avait oublié ce qu’elle venait de faire. Delfiliane se
rapproche d’elle pour la consoler. La petite la regarde et lui dit :
⎯ Je veux rentrer à la maison avec papa, je veux revoir maman…
⎯ Ne t’en fais pas, nous allons t’y ramener.
Maora, malgré ses blessures, est déjà debout, les soins de Delfiliane sont
très efficaces. Elle demande que la pauvre Dagmaly soit conduite au bloc
médical afin de lui donner les soins nécessaires, c’est apparemment sur elle
que Maldeï s’est acharnée en premier ; c’est la plus touchée. Puis Hennas
réapparaît, et elle lui demande alors de bien vouloir remettre le cap sur
Unis.

***

56
Wendy se réveille, fort troublée par son rêve étrange, comme un cauchemar.
Elle a rêvé de Maldeï et d’une attaque diabolique, d’un vaisseau ; mais déjà,
le jour efface les souvenirs de la nuit. Elle se rhabille afin de rejoindre
Araméis, resté la nuit entière à veiller. Sur sa terrasse, elle regarde encore
une fois le ciel, là où elle pensait avoir repéré le vaisseau.
⎯ Ce n’était aussi qu’un rêve, se dit-elle.
Elle lève encore une fois les yeux, mais non, ce n’est plus un rêve ! Le vais-
seau est bien là et elle se précipite afin de rejoindre son époux.

Le vaisseau, bien visible dans le ciel, va se poser, ses occupants ont pris
contact avec la base au sol, et comme Wendy arrive auprès de son époux, il
lui dit que Maora arrive maintenant. Rapidement, les autres membres de la
communauté se préparent à les recevoir. Steve, qui est resté isolé, suit les
autres, non sans un peu d’amertume d’être encore seul. Un immense terrain
est à la disposition de l’engin qui est en approche finale, il est situé à plus
d’un kilomètre de la base. Lorsqu’il se pose, le cœur de chacun reste tendu.
Enfin, au bout de quelques minutes, la passerelle principale s’ouvre. Tous
se rapprochent et Maora apparaît avec son bébé dans un bras, tenant Axelle
par l’autre main. Steve en est étonné de la voir sortir alors qu’il la pensait
dans le village des elfes. Wendy se rapproche d’eux et embrasse Maora à
qui elle avait confié avec Némeq la mission de ramener les survivants des
autres planètes.
⎯ Lorsque Némeq m’a parlé de ton projet, j’ai su que tu réussirais.
C’est une grande victoire pour nous tous !
⎯ Ce n’est pas moi qui ai réussi, mais tous ceux qui ont été avec moi
durant toute cette mission.
À cet instant, au grand étonnement de toute la population d’Unis, tous les
elfes se rassemblent sur l’immense carlingue du vaisseau, regardant les
hommes qui sortent par tous les côtés. C’est l’effervescence autour de Mao-
ra, Wendy, Steve, Araméis, c’est dans un nombre considérable que tous se
mélangent, les nouveaux et les anciens échangent tous des mots de bienve-
nue et de réconfort. C’est à cet instant que Gybouss, le chef des elfes, se
pose à côté d’eux d’un tour d’aile. Il regarde Araméis, Wendy, Steve, et
leur dit :
⎯ Nous vous devons notre salut ; vos amis sont venus nous délivrer de
la prison de chair dans laquelle nous étions dans les mines de Carbokan,
vous nous avez guidés au Puits de l’Oubli afin que nous soyons rendus à
notre véritable vocation. Un corps d’elfe s’est levé en nous, tel que l’avait
envisagé l’esprit de la vie, et nous avons pu déployer notre force pour nous
unir et créer la communauté libre de l’esprit de la vie. De la part de tous,
notre remerciement est immense. Hélas, le Mal est toujours présent et il

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frappe partout où il le peut et encore cette nuit. C’est pour cela que vous
nous voyez tous sortir de ce vaisseau. Mais nous avions déjà pris la décision
de vous quitter en partie pour aller partout où on nous appelle ; sur Elvy où
d’autres enfants souffrent et sont en danger, mais aussi sur la Terre car là-
bas, l’humanité est aussi dans la détresse alors que tout est réalisable pour
elle. Cette planète est au seuil de son choix et nous devons, avec tous ceux
qui ont déjà commencé cet immense travail, les rejoindre pour les aider.
⎯ Gybouss, je t’aime bien, mais je reste avec mon papa.
⎯ Axelle, nous te devons un très grand merci, c’est en grande partie
grâce à toi que nous avons pu devenir ce que nous sommes. Nous serons
toujours présents dans ton cœur et toi aussi dans le nôtre. Reste avec ton
papa et rejoins ta maman, ta place est sur Terre, lorsque tu seras grande, tu
seras un elfe merveilleux. Pour toi, il est encore temps de jouer, ton heure
n’est pas encore venue. Oublie vite que tu es un elfe et rêve encore à eux.
Gybouss lui fait un baiser sur la joue et d’un coup, s’envole pour rejoindre
les autres sur le toit du vaisseau. Ils sont près de deux milles regardant de
haut toute la foule des Lunisses rassemblés, prête à construire un nouvel
avenir.
Au signe de leur chef, tous les elfes s’élèvent dans les airs, au point de mas-
quer la lumière de l’étoile. Tous lèvent les yeux et dans un premier temps
les elfes font un passage en groupe au-dessus de la foule. Puis, refaisant un
dernier tour au-dessus d’eux, ils se transforment en lumière et comme des
milliers d’étoiles, ils montent dans l’espace pour disparaître à jamais.

Axelle regarde son papa et lui dit :


⎯ Je veux rentrer à la maison, je m’ennuie de maman, de Cléonisse,
Céleste et les autres.
Elle sert très fort son papa dans ses bras et celui-ci la réconforte. Maora les
regarde et leur dit :
⎯ Je vais te ramener chez toi demain. Rassure-toi, tu reverras très bien-
tôt ta maman.
Juste après, Wendy, Araméis et bien d’autres personnes s’occupent à rece-
voir toute cette population nouvelle. De nombreux logements ont été réali-
sés en un temps-record et chacun pourra y prendre sa place. Curieusement,
personne n’a traversé le Puits de l’Oubli, comme si les radiations de l’astre
étaient déjà en conformité avec leur mental. Maora raconte comment juste
avant d’arriver ils avaient été piégés par Maldeï, et comment les elfes les
avaient guéris de leur mal. Discrètement, sans qu’Axelle ne soit présente,
elle révèle comment la petite fille a extrait de la pauvre Dagmaly le serpent
maléfique que lui avait introduit Maldeï. Tout semble prendre place ici.
Mais Maora exprime son envie de repartir dès demain :
⎯ Ma place n’est pas ici, même avec mon enfant, je ne me sens pas

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l’envie de m’établir sur une planète. J’ai promis à la petite Axelle de la ra-
mener sur la Terre et Delfiliane, qui nous a aidés à nous échapper d’Elvy,
souhaite aussi retourner sur sa planète afin d’aider ses frères et sœurs. Je
vous demande, Wendy et Araméis, de bien vouloir me laisser repartir.
Elle les regarde tous les deux, mais elle voit Wendy faire une grimace. Elle
pense que son avis est plus important que celui de son homme et elle pense
que ce ne sera pas facile.
⎯ Je ne sais que te répondre, Maora. Tu as été très courageuse de pren-
dre des risques impossibles et tu as réussi. Mais je dois me retourner vers
mon épouse qui a toujours une vision juste.
⎯ C’est trop risqué de repartir et de retourner avec ce vaisseau sur Elvy.
C’est trop risqué de rejoindre la Terre, peut-être que Maldeï nous y attend
déjà. C’est trop risqué de prendre ton enfant avec toi. Ici, sur Unis, nous
sommes en sécurité, nous pouvons bâtir une nouvelle société. Avec nos
enfants, nous avons peut-être un nouvel avenir. Ici tout est fait pour notre
bien. C’est la réponse que je dois te faire ma chère Maora.
La pauvre a toujours respecté ses supérieurs, elle est déçue de ne pouvoir
aller là où son cœur lui demande d’aller. Déçue de ne pas tenir une pro-
messe faite à une petite fille. Des larmes lui coulent presque de ses yeux en
pensant aux amis qui l’ont accompagnée durant sa quête qui allait la
conduire à libérer des glaces toute la population de Persevy. Pourquoi sa
mère, avant de mourir, lui avait donné tous les pouvoirs de sa planète ?
Sa déception est grande jusqu’à ce que Wendy ouvre encore une fois la
bouche :
⎯ Toutes les raisons que vient d’invoquer Araméis sont justes, Maora.
Mais je suis d’accord pour que tu repartes, à une condition. C’est que tu
m’emmènes avec toi.
C’est au tour d’Araméis de se sentir mal à l’aise, il ne s’imaginait pas que
son épouse souhaiterait le quitter pour reprendre l’aventure. Il la regarde,
étonné.
⎯ Oui, mon tendre chéri, je veux partir, j’ai la soif de l’espace et aussi
celle du risque. Maora a risqué sa vie plusieurs fois en peu de temps malgré
son petit bébé. Moi, je ne me sens pas à ma place ici. Mes amies, Weva,
Yéniz, Doora et Aqualuce sont parties en laissant leur époux et je veux faire
comme elles. Pense au plaisir décuplé que nous aurons à nous retrouver.
⎯ Quand veux-tu partir Maora ?
⎯ Après-demain, lorsque mon équipe sera reposée.
⎯ Alors préparons-nous, je fais dès ce soir mes bagages.
Maora n’en revient pas de ce retournement. Elle est heureuse de savoir que
bientôt elle reprendra l’immense vaisseau en main. Juste après cette déci-
sion, elle demande à faire entrer avec eux Dagmaly, la jeune rebelle qu’elle
avait prise avec elle au départ, avec Némeq.

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⎯ Vous ne connaissez pas vraiment mon équipière, c’est une très jeune
femme, mais elle déborde de qualité. Dagmaly a un fluide avec les enfants
mais aussi des pouvoirs qui lui permettent d’être une graine de chef lors-
qu’elle sera encore plus expérimentée.
⎯ Maora est super, elle me présente comme un chef, mais c’est à elle
que je dois tout. Lorsque je l’ai rencontrée, j’étais rebelle et je n’aimais
personne. En général, les gens qui me voyaient me regardaient avec leurs
yeux, leurs filtres. J’étais pour tous la rebelle, l’adolescente qui se croyait le
centre du monde. Cela me donnait encore plus envie de ne pas rentrer dans
le rang car je me sentais vraiment différente. J’ai toujours senti en moi une
force capable de soulever le monde ; voire l’univers entier. Mais jamais je
n’ai su à quoi cela pouvait correspondre et comment m’en servir. La seule
chose que j’ai su faire durant ma jeunesse, c’est des bêtises, faire mal, don-
ner des coups, hurler, lutter à rien. Mais cela me rendait malade en mon
être, je ne savais pas où je devais aller. Cela a duré jusqu’à ce que je trouve
Maora sur ma route, un soir, dans un vaisseau spatial dans lequel j’avais
embarqué pour fuir une fois de plus la réalité. Ce soir-là, Maora a voulu
semer la révolte sur tous. Lorsqu’elle a réussi à allumer le feu en chacun,
elle m’a regardée autrement. Elle savait que j’étais déjà révoltée. Au lieu de
me considérer comme tous ceux qui me fréquentaient, elle m’a considérée
avec les yeux d’une personne me faisant confiance. À travers son regard j’ai
compris qu’elle voyait derrière moi une force vive, un être que je ne
connaissais pas. Elle m’a fait découvrir que quelque chose de pur et de fort
vivait en moi depuis mon enfance. J’ai regardé dans la même direction
qu’elle et j’ai découvert la vérité sur mon être, la vraie nature de ma révolte.
En un regard, Maora m’avait guérie. Son bébé, par son regard, lui aussi m’a
fait comprendre que la révolte qui bouillait en moi était celle de mon être
caché. Alors que les autres membres de l’équipage étaient prêts à
s’entretuer, j’ai trouvé la sagesse à travers la révolte. Maora est rebelle pour
le monde de l’ignorance, celui dans lequel nous avons toujours vécu. Mais
c’est une guérisseuse pour nous guider vers le monde de la vie. Je veux
encore parcourir l’univers avec elle pour qu’elle m’apprenne encore plus.
Ces mots clouent tout le monde, même Maora qui ne s’attendait pas à un tel
discours. Mais c’est Araméis qui semble le plus touché, se rappelant sa vi-
site chez les elfes. Et lui-même dit :
⎯ Si je n’avais pas la charge de cette communauté, je vous suivrais
aussi. Je comprends ta motivation, Maora. Je suis heureux que mon épouse
veuille te suivre, elle saura aussi donner, je la connais, elle a ton tempéra-
ment, elle peut parfois donner jusqu’à sa vie si je ne la retenais pas.
Ma chère Dagmaly, je ne doute pas que tu aies en toi beaucoup à donner, tu
es encore jeune, tu penses que la vie t’ouvrira encore d’autres portes plus
inattendues. Mais regarde derrière toi pour avancer, tu devras apprendre

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souvent par le passé pour construire l’avenir. Ce que tu feras prochainement
sera la base de ta vie.
Wendy, je t’attendrai, pour être certain que tu reviennes.
Maora, que cet enfant que tu tiens dans tes bras soit celui qui te protège des
dangers que tu rencontreras.

Le signal du départ est tracé, tous se regardent et chacun doit prendre sa


place.
Le lendemain sert à faire les préparatifs au départ. Steve ne quitte plus sa
fille qui est redevenue un enfant depuis l’envol des elfes. Le surlendemain,
tout est prêt. Le frère de Maora vient la remercier de la part de la commu-
nauté de Persevy pour le grand sauvetage réalisé. La vie sur Unis s’organise
progressivement et tous viennent pour assister au départ de l’engin. Le
même équipage embarque. Les sept hommes d’Elvy ralliés à leur cause,
Delfiliane et Dgoger qui rentreront sur Elvy et l’équipe de Maora. Il ne faut
pas oublier Axelle et son papa, Steve.
Tous pénètrent dans le vaisseau et chacun y prend sa place.
Hennas demande au CP, commandé lui-même par l’âme du vaisseau, de
mettre en marche l’appareil, ce qu’il fait immédiatement.
Maora se retourne vers Axelle en lui faisant un signe. La petite fille dit alors
avec une voix légère :
⎯ CP, cap vers la Terre !

Le décollage se fait en douceur, mais une fois au-dessus de la stratosphère,


l’engin disparaît comme s’il n’était jamais venu, emportant avec lui un petit
elfe endormi…

61
ÉCHOUES
Lorsqu’ils avaient quitté Unis par la porte du Puits de
l’Oubli, Clara et Christopher n’étaient pas certains de revenir jusque dans la
grotte qu’ils avaient découverte il y a quelques jours. La grande rampe les y
guida, mais lorsqu’ils furent arrivés, le passage sembla se refermer définiti-
vement ; plus un seul brin de brume, et plus de voie pour un autre retour. Ils
étaient seuls dans la grotte. Ils retournèrent dans ce qui était la maison ca-
chée de Néni et prirent un peu de temps avant de repartir. Clara avait de-
mandé à Christopher de lui couper les cheveux pour qu’elle passe pour un
homme, car d’après ce qu’on lui avait dit, les femmes d’Elvy étaient les
premières proies de Maldeï. Vêtue d’un pantalon et d’un blouson kaki,
comprimant sa poitrine avec un bandage, elle ne ressemblait plus à une
femme. De plus elle s’était salie le visage et les mains avec de la poussière,
ce qui achevait de la transformer en homme. Christopher lui avoua que lui-
même s’y méprenait, ce qui les fit rire. Mais peut-être cela serait vraiment
nécessaire. Leur objectif était de quitter Carbokan qui est une immense île
pour retourner à Glacialys, afin de reprendre leur vaisseau. C’était leur
premier objectif après être repartis de la grotte pour retrouver le cœur de
Carbokan. Arrivant à l’endroit où Néni avait déclenché l’incendie, ils ne
trouvèrent que des ruines, tous les hommes qui peuplaient le site étaient
partis. Ils ne savaient pas que Maldeï avait abandonné ce camp en même
temps que l’idée de former une armée d’enfants. Néni n’était plus là, ni
Dgoger et Delfiliane, qui avaient émis l’idée d’aider leurs frères Elviens ; se
posait alors pour eux la question de pouvoir quitter cette île stérile et aban-
donnée. Ils décidèrent de chercher un engin qui leur permettrait de sortir
enfin de là.

Cela fait presque douze jours qu’ils sont là et maintenant, ils connaissent
une grande partie de l’île, ils en on d’ailleurs fait le tour, et même sans au-
cun plan ils savent qu’elle fait peut-être trente ou cinquante kilomètres de
diamètre. C’est une île volcanique très ancienne du fait des grottes qu’ils
connaissent ; le volcan central doit être éteint depuis des milliers d’années.
Leur questionnement est de savoir comment ils pourraient partir. Au-
jourd’hui, ils sont retournés au centre de la mine pour tenter de trouver un
moyen de se faire remarquer ici.
⎯ Mon esprit de policier est incapable de trouver une solution car je
suis expert en enquêtes que lorsqu’il y a des hommes ou des femmes que je
peux interroger. Le vide est mon pire ennemi.
⎯ Je le sais mon chéri, tu as besoin de matière pour réfléchir. Je pense
que pour quitter l’île, nous devrons nous faire repérer par d’autres, quitte à
ce que Maldeï en soit informée. Si nous pouvons trouver un communicateur

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et s’il est écouté par l’armée, ce sera peut-être une solution pour nous. De
toute façon si nous prenons contact avec d’autres Elviens, nous devrons
jouer leur jeu. C’est peut-être notre seule chance…
Dans les décombres de l’incendie, ils arrivent enfin à mettre la main sur un
appareil devant être une radio militaire, et par chance les batteries sont en-
core en état. Clara l’active et aussitôt elle entend la voix d’un pilote passant
dans le secteur. L’homme comprend qu’ils sont échoués sur une île devenue
maintenant déserte, et sans réfléchir plonge sur Carbokan pour les secourir.
Regardant autour d’eux, ils voient arriver de loin un petit engin qui descend
dans le ciel. Enfin, ils vont pouvoir quitter cet endroit. L’appareil n’est pas
plus gros qu’un avion de tourisme et il semble avoir quelques difficultés à
s’approcher correctement, pense Clara. Presque à leur hauteur, au lieu de se
placer en stationnaire, il commence à osciller dangereusement. Clara fait
signe à Christopher de se protéger car l’engin pourrait se poser difficilement
et faire des dégâts autour de lui. Ils ont juste le temps de se replier dans un
fossé au moment où l’engin passe au-dessus d’eux et percute violemment le
sol dans un bruit effroyable de tôles cassées. Ils se redressent et voient le
petit appareil prendre feu. Spontanément, les deux courent pour sortir le
pilote de la carcasse. Ils ont à peine le temps de le faire que juste après il
explose, réduisant les espoirs de Clara et Christopher à néant. Le pilote ne
semble pas trop blessé, mais il est inconscient. Ils n’ont d’autre choix que
de se mettre à l’abri pour le soigner. Mais Clara est fort surprise car elle
reconnaît l’homme qui n’est autre qu’un de ses collègues de l’académie de
pilotage avec qui elle avait beaucoup d’affinité à l’époque ; cela remonte à
bientôt dix ans et il s’appelle Starram.
⎯ Tu le connais bien ?
⎯ Bien sûr, avec Aqualuce on a fait tous les trois l’académie de pilo-
tage, lui et moi avons choisi ensemble de devenir instructeurs car à cette
époque on en manquait ; il y avait un besoin important de pilotes. Nous
avons passé de bons moments ensemble, c’était un bon ami. Il travaillait
encore à l’académie lorsque j’ai disparu.
⎯ Mais que fait-il là ?
⎯ S’il reprend conscience, il pourra nous l’expliquer.
Clara commence à faire un diagnostic de son état et voit rapidement une
sorte de cristal incrusté sur son front. Elle trouve ça étrange et a une intui-
tion. Elle demande à son compagnon son couteau qu’elle prend fermement
entre ses doigts et, surprenant Christopher, elle extrait l’objet suspect. Au
bout du cristal, un fil d’acier semble être incrusté sous le cuir chevelu ; elle
le tire délicatement et en sort une longueur de presque vingt centimètres.
Maintenant elle est certaine que ce n’est pas un bijou qu’il possédait mais
peut-être une sorte d’entrave qu’on lui aurait incrustée. Mis à part cette
chose étrange, Starram ne semble pas avoir de fractures ni de blessures, et

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moins d’une heure plus tard, il s’éveille. Clara l’observe et se demande
comment il réagira au fait qu’elle lui ait enlevé la chose curieuse. Ouvrant
les yeux, il commence à parler :
⎯ Quel monde sommes-nous ?
La question est trop curieuse pour ne pas soulever l’étonnement. Clara ré-
fléchit à la réponse qu’elle doit donner :
⎯ Et toi quel est ton monde ?
⎯ Je suis instructeur pilote, mon monde c’est d’apprendre à piloter.
⎯ Qui est ton chef ?
La question le déstabilise, car il cherche en lui quelque chose qui semble
avoir disparu, il se met à trembler à en effrayer ceux qui sont avec lui. Clara
possède des pouvoirs et le calme autant qu’elle peut. L’homme a les yeux
exorbités, et il se rendort.
⎯ C’est bien le cristal qui le tenait en sa possession, l’ayant enlevé, il
n’a plus de repères, je dois entrer en relation avec son esprit avant de le
réveiller. Je vais avoir besoin de toi, Christopher.
⎯ Que comptes-tu faire Clara ?
⎯ À nous deux, nous devons lui donner un peu de nous-même afin
qu’il ait en lui un support de conscience pour refaire surface. Posséder en
lui des souvenirs qui nous appartiennent, l’aidera dans la première heure ;
ses propres souvenirs et pensées reviendront un peu plus tard. Tu vas me
laisser prendre de toi un peu de ta mémoire, j’en ferais de même pour moi.
Ça va te faire bizarre, comme si tu t’endormais, et une petite partie de vieux
souvenirs risque de disparaître, mais ça devrait marcher. Je vais poser une
main sur ton front pour faire le transfert, ne bouge pas.
À cet instant, un fluide semble circuler d’une main de Clara pour se poser
sur le front de l’homme. Cela ne dure que quelques secondes, comme on
transfère des données informatiques d’un disque dur à l’autre. Puis Clara
relâche Christopher qui s’écroule presque, mais se reprend à la dernière
seconde. Elle pose ses deux mains sur le front de Starram lui injecte des
pensées qui doivent être les siennes ; cette fois cela dure plus longtemps
qu’avec Christopher, jusqu’à ce qu’elle s’effondre sur lui. Son compagnon
la voit insister et l’arrache de force du contact avec l’homme, et elle perd
totalement connaissance.

Le pilote se redresse, comme s’il sortait d’un coma profond, alors que Clara
est encore inerte sur le sol. Il regarde l’homme qu’il a devant lui et dit :
⎯ Bonjour, Christopher, c’est terrible de dormir tant que ça, je me sou-
viens lorsque tu es sorti la première fois avec July, dommage qu’elle t’ait
lâché pour Jack.
Christopher se gratte la tête et se revoit avec une fille qui devait avoir ce
prénom, mais c’est si loin…

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Clara se réveille enfin mais elle semble vraiment ailleurs. Starram la re-
garde à son tour, mais il ne la reconnaît pas, c’est peut-être à cause de son
nouveau look militaire. Mais il lui dit :
⎯ Je ne sais pas, mais quelque chose me dit que je te connais. Je me
rappelle que c’est lorsque j’étais avec ma sœur Aqualuce que je t’ai croisée.
Clara, sentant que c’est le moment pour le ramener à sa conscience origi-
nale, lui répond :
⎯ Oui, j’étais avec Starram ce jour-là. C’est lui qui m’a présenté à toi.
Tu connais Starram, n’est-ce pas ?
L’homme n’est pas à son aise, sa tête semble bouillir aussitôt. Alors Clara,
reprenant des forces, se relève, lui prend la tête entre les mains et lui dit :
⎯ Dis-moi qui je suis, tu me diras qui tu es ?
⎯ Je, je suis…

⎯ Je suis Starram, instructeur lunisse, je vis à Lunisse comme toi, Cla-


ra.
Alors l’homme se met à hurler et à pleurer, tout son passé revient en lui
comme un torrent sous lequel il serait inondé. Il lui faut un moment pour
refaire surface, et enfin, ses paroles deviennent totalement différentes :
⎯ Lorsque j’ai vu arriver devant moi Marsinus Andévy, j’étais étonné
de la couronne qu’elle portait sur sa tête. Elle avait perdu tous ses cheveux.
Je lui ai demandé pourquoi elle s’était changée, elle m’a immédiatement
fait emmener par ses hommes. Depuis je n’ai de souvenirs que les mo-
ments où j’apprends le pilotage aux autres, ensuite c’est toujours le vide.
⎯ Je t’ai retiré un cristal qui était une entrave à ta conscience, c’est de
cela que tu souffrais. Maldeï est le nouveau nom d’Andévy, elle-même est
entravée par la couronne qu’elle porte sur sa tête.
Clara explique à son ami la situation où ils se trouvent, et aussi toute leur
aventure depuis qu’ils sont sur Elvy. Starram refait surface progressive-
ment et en fin de journée, après avoir compris, il leur assure son soutien et
souhaite les suivre dans leur quête. Ils retournent dans la fabuleuse maison
de Néni. Le soir, après avoir réfléchi, ils décident de quitter Carbokan par
la mer. Dès demain, ils construiront un radeau.

La première nuit passée dans leur refuge suffit à Starram pour se remettre
d’aplomb. Au matin, ses nouveaux amis le trouvent en forme. Le seul pro-
blème pour lui est un trou de mémoire de presque sept ans. Son corps a
vieilli, mais son esprit n’a pas suivi. Ils retournent tous les trois au centre
de Carbokan pour rassembler les matériaux qui leur seront nécessaires pour
construire leur radeau. Ils arrivent à rassembler des tonneaux en matière
synthétique et de nombreuses planches de bois. Starram vient même de

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trouver un moteur en état qui pourrait être capable de les amener jusqu’à
l’île de Racben, l’archipel le plus proche. Ils ne s’arrêtent pas, du soir au
matin, pourtant sur cette planète les journées sont bien plus longues que sur
Lunisse, car les jours ont trente heures. Christopher coupe des planches, les
assemble sans s’arrêter, tandis que Starram s’occupe de créer la structure
avec les tonneaux en leur donnant une forme hydrodynamique. Clara l’aide
énormément en chauffant et déformant avec la force de son mental tous les
objets métalliques nécessaires, mais c’est très épuisant pour elle. Tous
s’usent les mains et les doigts par leur travail, même Clara qui a pourtant
des pouvoirs moins naturels. Le dernier jour, ils fixent le moteur au centre
de leur bateau qui ressemble à un hydroglisseur. Fait seulement avec des
matériaux de récupération, il a néanmoins bonne allure et ne ressemble pas
au pauvre radeau d’un Robinson Crusoé, du reste, ils ne le connaissent pas.
L’engin sur le sable est face à la mer, il ne lui manque plus qu’une hélice
car le moteur servait à une machine d’ascenseur pour descendre dans une
mine. Starram se questionne à ce sujet car sans cela, il leur faudrait ramer.
C’est Christopher qui trouve la solution en prenant un bloc de roche qu’il
commence à tailler. Ses mains semblent très adroites, c’est comme un don
pour lui. En moins d’une journée il arrive à un résultat exceptionnel. Cette
pierre est particulière, ce n’est pas comme du granite : lorsqu’elle est
chauffée, elle devient aussi robuste et souple que de l’acier. Clara demande
qu'elle soit posée dans un endroit couvert afin de la tremper comme une
lame. L’hélice est lourde et tant qu’elle n’a pas été traitée, elle demeure
fragile. Enfin, ils la déplacent sous un abri avant que Clara ne la trans-
forme. Entourée de ses amis, elle se concentre en faisant sortir d’elle toute
sa force. Ce n’est pas en émettant des rayons de ses yeux que l’objet
chauffe, mais juste par la force de la pensée. La pierre s’échauffe jusqu’à
devenir orange. Puis les deux hommes versent dessus du sable pour le
trempage. L’opération est réussie. Un peu plus tard, lorsqu’elle est refroi-
die, ils la transportent jusqu’à leur engin et la fixe sur l’arbre. C’est la pre-
mière fois qu’ils voient un bateau fait de bois et de plastique. Le plus
étrange pour eux est d’avoir dû inventer une hélice, jamais un bateau Lu-
nisse ou Elvien n’avait navigué avec un tel propulseur ; d’habitude, c’est
avec des moteurs magnétiques que ces engins avancent. Ils sont enfin prêts.
Avec sa force mentale, Clara pousse leur navire jusqu’à la mer. Ils embar-
quent tous pour rejoindre Racben ; Starram estime le temps de leur traver-
sée à trois jours si tout se passe bien. La rive s’éloigne derrière eux, la mer
devant s’étend sur des centaines de kilomètres ; s’ils se trompent sur leur
cap, ils peuvent ne jamais croiser l’île espérée et continuer des milliers de
kilomètres avant de peut-être d’en croiser une autre. Elvy est un immense
océan parsemé d’îles. Le seul compas que Starram possède est un petit gy-
roscope qu’il a réglé grâce à la lumière de l’étoile avant de partir, et qui ne

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donne pas droit à l’erreur. Clara a prévu des vivres qu’elle a ramenés de
l’abri de Néni et ils ont de l’eau pour dix jours, espérant arriver avant.

Cela fait bientôt une heure qu’ils sont partis mais ils n’avancent pas vite.
Ils sont à peut-être quinze kilomètres de la côte et Clara voit encore le
sommet du volcan lorsque d’un coup elle aperçoit une fumée étrange en
rejaillir. Elle le fait remarquer aux autres qui avouent que ce pourrait être
une éruption alors que jusqu’au moment de partir, il n’y avait aucun signe,
et surtout aucun tremblement de sol. Le bateau de fortune continue à
s’éloigner ; mais de loin, la fumée devient plus noire avec des éclairs en
altitude. Nos amis se pensent protégés, mais l’éruption est si violente que
le ciel est obscurci par les gaz et la pollution du volcan. Le temps change et
le vent se met à monter. Il y a bien un abri sur leur petit navire, mais le
vent pénètre partout. Le bateau est secoué, il est difficile à contrôler. Star-
ram fait tout ce qu’il peut pour garder le cap, mais la mer se déchaîne. Cla-
ra se protège comme elle peut mais les vagues qui tombent sur le pont sont
très rudes, elle n’est pas habituée à la mer. Christopher ne sait pas trop
manœuvrer un bateau et laisse Starram s’en occuper. D’un coup, une vague
plus forte que les autres balaye le bateau et tous les vivres passent par-
dessus bord. Il ne reste plus qu’un bidon de dix litres d’eau. Tous sont sai-
sis de ce qui arrive. Le vent est encore plus fort et les vagues autour d’eux
encore plus hautes ; alors, tous craignent le pire. Si l’un d’entre eux tombe
à l’eau, il sera impossible de le rechercher. La tempête est très soutenue et
ne diminue pas, ce doit être à cause du volcan qui se déchaîne. Soudain le
moteur qui aidait à stabiliser le bateau s’arrête, comme noyé, et les accus
semblent être en court-circuit. Les vagues prennent alors la place du gou-
vernail et Starram perd totalement le contrôle. Clara est froide, Christopher
tente de la réchauffer. C’est alors qu’une déferlante frappe le navire et que
le compas est balayé. Ils n’ont plus de repères pour naviguer et atteindre
leur but. Le vent n’est plus une tempête mais un ouragan, chacun
s’accroche sans avoir le moindre contrôle sur les éléments et leur bateau.
La lumière ne traverse plus le ciel noirci par la cendre et la pluie, lorsque
d’un coup le fragile esquif se retourne et tous sont projetés à l’eau. Leurs
corps disparaissent sous l’océan alors que leur construction flotte toujours.
Une vague immense semble passer par-dessus la tempête et tout empor-
ter…

Le ciel est gris au-dessus de la plage de sable fin et l’air sent la cendre. La
mer est grise, tout est de la même couleur. Sur le sol, trois corps recouverts
de cendre restent figés. Un peu plus haut sur la dune, une carcasse de ba-
teau semble être là depuis des siècles, tellement la noirceur est présente.

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Un doigt bouge légèrement, une tête se retourne, une toux se fait entendre.
Les trois corps se redressent. De leurs visages, on ne voit que leurs yeux
blancs et rouges. Lorsqu’on les regarde on aperçoit le gabarit de trois
hommes à l’air totalement assommés, comme si le ciel leur était tombé sur
la tête. Une voix, plutôt celle d’une femme, se fait entendre :
⎯ Par quel miracle le sol est-il encore sous nos pieds ?
⎯ Un raz-de-marée nous a transportés ici, dit Starram.
Clara, pour se sentir mieux, enlève ses vêtements sans complexe. Toute
nue, elle se jette dans l’eau pour se laver et comme pour oublier la tempête.
Les deux autres hommes la suivent, cette femme est si proche d’eux. Mal-
gré le ciel sombre, l’eau est douce, et après leur folle traversée, ils prennent
du plaisir au bain. Clara a été la première à l’eau et elle est aussi la première
à sortir. Elle presse ses vêtements trempés afin de les remettre, tout en pre-
nant soin de rester habillée comme un homme, car elle sait que s’ils sont sur
l’île de Racben, elle pourrait se faire remarquer. Ses deux compagnons la
rejoignent juste après, tandis que Clara regarde la haute dune. La tempête
semble loin, c’est étrange, le vent a déjà emporté le nuage de cendre,
comme si ce volcan n’avait été fait que pour eux ?
Regardant la dune, ils s’interrogent :
⎯ On n’a pas regardé ce qu’il y a derrière la dune, il faut aller voir !
Christopher et Starram se rhabillent et grimpent l’impressionnante colline
de sable. Arrivés au sommet, ils se taisent un moment en découvrant un
paysage inattendu. Ils voient de loin un spectacle étrange, une île perdue au
milieu d’un océan qui n’a rien d’un lieu paradisiaque. Tout l’horizon n’est
qu’une grande usine, des dizaines de cheminés crachent des fumées noires
qui obscurcissent le sol de l’archipel. À une centaine de mètres, des femmes
transportent des caisses, elles ont le crâne rasé. L’une d’entre elles se re-
tourne et les regarde. C’est trop tard pour eux, ils ont été remarqués, et déjà
d’autres en font autant.
⎯ Il n’y a pas de doutes c’est l’île de Racben, dit Starram.
⎯ Elles nous ont vus, je crois que nous devrions aller vers elles. Si nous
fuyons, cela leur donnera de plus grands soupçons.
⎯ Es-tu sûr de toi ? Clara, c’est de la folie, on ne sait même pas ce
qu’elles ont dans la tête, peut-être vont-elles nous sauter dessus et nous
tuer ? Toi, tu es invulnérable, que risques-tu ? Mais moi, je ne le suis pas,
ces femmes ne me disent rien qui vaille et il y a peut-être des gardiens qui
vont nous faire eux aussi des problèmes.
⎯ C’est trop tard, on n’a pas le choix. De toute façon, cette île est si pe-
tite que nous ne pourrions pas nous cacher. Regarde, il y en a qui se dirigent
déjà vers nous.
⎯ Je ne suis pas suicidaire, je ne tiens pas à être pris, je retourne à la
plage, il faut que je trouve un engin pour partir d’ici. Rendez-vous ici dans

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quelques, je resterai attentif jours.
⎯ C’est d’accord, fais ce que tu ressens Starram, moi je rejoins ces
femmes, elles ont peut-être des révélations à nous faire, je ne les crains pas.
⎯ Je te suis Clara, je n’ai pas peur, mais je comprends notre ami et il a
raison de vouloir trouver de quoi partir d’ici.
Starram redescend la dune et plonge dans l’eau pour ne pas se faire remar-
quer, tandis que Clara et Christopher descendent de l’autre côté pour rejoin-
dre le groupe de femmes qui s’avancent vers eux. Arrivées à leur hauteur,
les femmes leur disent :
⎯ C’est dangereux de rester ici, vous allez vous faire remarquer par les
gardes. Vous n’êtes pas d’ici, ça se voit tout de suite.
⎯ Comment ça, qu’est-ce qui vous le fait dire ?
⎯ Vos vêtements, votre coiffure. Tous les gardes sont vêtus de jaune,
ils ont le crâne rasé, mais on ne les confond pas avec nous, ils ne sont pas
tatoués. Venez vite, même des hommes comme vous sont en danger ici.
Suivez-nous jusqu’à notre logement.
Clara ne s’attendait pas à être reçue aussi bien par ces femmes étranges,
faisant penser aux prisonniers d’un bagne. Cela lui fait penser à celui de
Cayenne comme elle l’avait lu sur Terre. Ces pauvres femmes sont très
sales, elles sentent mauvais et leurs vêtements en partie déchirés sont re-
couverts de tâches. Mais elles ont dans leur regard quelque chose de fort et
qui donne confiance. Clara prend la main de son amant et les suit.
⎯ Dépêchez-vous, il ne faudrait pas que les surveillantes nous voient
avec vous, sinon elles donneront l’alerte.
Ils passent dans des tunnels qui les conduisent jusqu’à un bâtiment en tôle
rouillée sur trois niveaux, avec des fenêtres si réduites que personne ne
pourrait y passer la tête. Ils pénètrent à l’intérieur, la chaleur est infâme et
l’hygiène inexistante. Une des femmes remarque leur dégoût et leur dit :
⎯ D’ici demain, vous serez habitués et vous ne prendrez plus garde.
Nous on vit ici depuis plus de sept ans et on s’est habitués. On ne se lave
plus, notre peau s’est durcie et la couche de saleté forme pour nous une
protection, et je peux vous dire que nous ne sommes jamais malades, les
virus, bactéries et microbes n’osent pas pénétrer en nous. Il n’y a que lors-
qu’il pleut que nous nous laissons arroser ; c’est le seul moment. On a fait
notre travail aujourd’hui, personne ne viendra nous chercher de problèmes
ce soir, vous pouvez rester avec nous.
⎯ Qui es-tu, pourquoi êtes-vous là qu’est-ce qu’on fait sur cette île ?
⎯ Tu me demandes mon nom, mais toi, dis-moi d’abord le tien et ne
me raconte pas de salades, je sais que tu n’es pas un mec, tes yeux ne me
trompent pas.
Clara se sent gênée et elle lui dit la vérité :
⎯ Je m’appelle Clara, je suis terrienne, et toi ?

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⎯ Moi, c’est Gadny, je viens de Natavi, Maldeï m’a déportée avec cent
cinquante de mes sœurs sur cette île maudite. Il y a sept ans, elle avait déci-
dé de faire des expériences sur nous et les bébés qu’on nous avait obligées à
porter et à laisser pousser dans notre ventre. Elle nous a arrachés nos en-
fants à leur naissance, déportés ici, sur cette île où nous fabriquons des ar-
mes pour une guerre dont on ne sait rien.
⎯ Nous sommes au courant et c’est pour ça que nous sommes ici.
Aqualuce, ma sœur, chemine dans l’espace afin de pouvoir affronter Maldeï
lorsque sera venu le moment. Il y a des hommes sur d’autres planètes qui
organisent la rébellion. Nous savons ce qui s’est passé pour vous, l’un
d’entre nous est allé sur Natavi et il a ramené tous vos enfants sur une pla-
nète bien protégée. Des familles s’occupent d’eux car lorsqu’ils ont été
trouvés, ce n’étaient que des nouveau-nés.
⎯ Ils doivent être très grands maintenant, c’est incroyable.
⎯ Ils n’ont que quelques semaines, car ils avaient été conservés sous
vide ; mais ils sont tous biens vivants.
⎯ Ce que tu dis est formidable et me motive à me révolter ! Je veux re-
trouver mon bébé !
⎯ Je ne pensais pas trouver cette île avec tous ces esclaves, mais si tu
veux te révolter, il faut te préparer avec les autres. Je suis prête à t’aider
avec mes amis, mais il faut organiser la révolte, pour cela, il faut nous ca-
cher parmi vous.
⎯ Clara, on peut te déguiser en bagnard, c’est facile. Mais pour ton
ami, ce sera plus dur, il faut qu’il se cache, à moins de trouver des vête-
ments de gardien et qu’il se mélange à eux ; c’est possible car les hommes
qui arrivent ici semblent ne pas se connaître. Un de plus ou de moins, je
suis certaine que personne ne le remarquera.
⎯ Ton idée peut être bonne, mais on ne ressemble pas à des prisonniers.
⎯ S’il n’y a que ça, je peux arranger le coup tout de suite ; bouge pas.
Gadny se retourne et attrape sous son matelas une lame bien affûtée. Clara
la regarde, et sans s’y attendre, sa nouvelle amie prend sa tête et commence
à lui raser les cheveux. La pauvre est saisie, Christopher en est étourdi. Il lui
faut peu de temps pour lui enlever tous ses cheveux, et à la fin, Clara a le
crâne en sang, la lame lui a tranché par endroits la peau. Juste après, elle
prend un stick noir, et inscrit sur sa tête des signes, sortes de gros numéros
lunisses.
⎯ T’es comme nous, enlève tes vêtements, il faut que tu en mettes
d’autres, les tiens sont trop propres.
Gadny fouille sous son lit et sort des habits gris et marron, avec des trous un
peu partout. Clara les enfile, le pantalon est percé aux fesses, la veste est
déchirée dans le dos.
⎯ Enlève ta culotte, on n’en a pas ici, tu risquerais de te faire repérer.

70
Encore une fois, Clara est saisie car elle a toujours été une femme propre
sur elle. Elle aime les vêtements doux qui sentent bon, elle a toujours pris
soin de son corps, même si elle aime l’aventure. Sans sa culotte, on voit ses
fesses à travers les déchirures de ses vêtements.
⎯ Et je suppose qu’on n’a pas de soutient gorge ici !
⎯ C’est exact, tu as tout compris.
⎯ Et pourquoi tout ça ?
⎯ Parce qu’il y a les hommes, les gardes ; c’est plus pratique pour eux.
⎯ Mais que font-ils ?
⎯ Toutes les nuits, il y en a qui descendent dans nos dortoirs et pren-
nent deux ou trois femmes pour la nuit, c’est une tradition depuis des an-
nées. Ils font avec nos corps ce qu’ils ne feraient pas avec leur femme. Nous
sommes des chiennes pour eux, des jouets, des poupées.
⎯ Tu veux dire qu’ils vous violent ?
⎯ Les surveillantes ne disent rien, elles en profitent, elles s’amusent de
nous voir torturées et outragées et elles se masturbent ensemble lorsque les
gardiens jouent avec nos corps. Ces hommes et ces femmes sont des El-
viens et ils ont en eux la Maladie, c’est une sorte de virus qui se transmet
par relation sexuelle uniquement. On ne s’y attend pas et l’on meurt d’un
seul coup. Nous sommes toutes contaminées, mais aucune d’entre nous
n’est morte, alors que nous avons vu d’autres hommes et des femmes dispa-
raître comme ça, d’un coup. Nous nous faisons prendre par les gardiens
environ huit à dix fois par an.
⎯ Mais c’est intolérable, c’est plus qu’un bagne, c’est un enfer ici. Que
faites-vous ici de ça, pourquoi êtes-vous présentes alors que toutes ces usi-
nes sont normalement automatisées ?
⎯ Il faut rester auprès des machines lorsqu’elles s’enrayent, nous de-
vons intervenir à chaud sur les lignes pour que la production ne pas soit
arrêtée. Parfois, il y a des matériels que nous devons transférer ou emballer.
Ce sont des matières dangereuses et seules les femmes numérotées sont
utilisées pour ces tâches. Nous faisons ce que les machines refusent de faire.
Il serait dommageable de perdre une machine plutôt qu’une femme. Dans la
mentalité Elvienne, que Maldeï a réussi à mettre au pas, il y a trois niveaux
de compétences :
-1 Les hommes sont faits pour la guerre.
-2 Les machines sont faites pour fabriquer des armes.
-3 Les femmes sont faites pour avoir des enfants.
Les femmes étant stériles, elles ne servent plus à rien, le trois est caduc,
alors notre seule fonction reste pour les tâches les plus dégradantes. Plus de
beauté, plus de sentiments, plus de plaisir, nous sommes comme des bêtes
ici. Sur l’île, il y a deux catégories de femmes. Nous, la main-d'œuvre, les
autres, les surveillantes qui veillent à ce que le travail soit fait. Les gardiens

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sont au-dessus de nous pour collecter les armes et contrôler que nous ne
nous révoltons pas, ils ont tous les droits, même de nous tuer. Ce soir, s’ils
venaient nous prendre, je ferais passer le mot que l’une d’entre nous prenne
une de leurs vestes pour ton homme.
⎯ Tout ce qu’on vous fait subir doit être pour vous une grande souf-
france, n’en n’êtes-vous pas troublées dans votre vie ?
⎯ Clara, nous avons heureusement trouvé une parade depuis long-
temps, sinon nous serions devenues malades ou folles. Quand ils nous pren-
nent, nos esprits ont trouvé le remède en quittant notre corps. Ils ont des
corps endormis et sans saveur qu’ils manipulent comme des poupées de
chiffons. Je n’ai que le souvenir de mon premier viol, les autres, je ne m’en
souviens jamais, je le sais juste par les détails qu’ils laissent sur mon corps.
Si cela devait t’arriver, quitte ton corps avant que les hommes se mélangent
en toi.
Christopher écoute tout ce que dit Gadny et craint le pire pour Clara.
Un groupe de surveillantes dépose au milieu de la cour une grande marmite
contenant le repas du soir ; une grosse bouillie d’avoine, de maïs, avec des
morceaux de poissons et de gras, le tout bien salé et pimenté. Lorsque Clara
avale la mixture, sa bouche prend feu instantanément. Une petite conversa-
tion s’étend un peu après le repas, mais le couvre feu donné par une sirène
les oblige à se taire et se coucher. Clara a l’avantage d’avoir une paillasse
comme les autres, mais Christopher doit se coucher sous un lit, directement
sur le sol poussiéreux. Un peu plus tard, la porte claque et les voix de trois
hommes retentissent. Ils emmènent trois femmes sans qu’aucune ne pousse
de cris.
Clara est parmi elles…

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LA FEMME DE PLOMB
Depuis la dizaine de jours où les rebelles se sont enfuis
avec son meilleur vaisseau, Maldeï reste enfermée de longues heures dans
son palais sans voir personne. Voici pour elle un autre échec après la perte
de la mine de Carbokan. Pour le moment, étrangement, elle laisse en paix
Bildtrager et Néni qui semblent de plus en plus s’entendre. Elle aurait aimé
les faire disparaître, mais sa vie est totalement liée à eux car en vérité, c’est
elle qui les a mis en place. Ce matin, alors qu’elle partage son déjeuner avec
eux, un de ses serviteurs vient lui apprendre une nouvelle qui termine de la
rendre encore plus furieuse :
⎯ Je n’ai autour de moi que des hommes incompétents, lorsque je re-
verrai ce maudit Daribard, je lui trancherai la tête personnellement et je la
ferai manger à sa femme et ses enfants ! Il n’est même pas capable de se
battre contre des enfants, et en plus mes guerriers sont restés sur Terre. Je
ne peux laisser ça impuni, je vais m’en occuper personnellement. Ces mau-
dits enfants de la Terre le regretteront.
⎯ Mais Maldeï, pourquoi serait-ce les enfants de la Terre qui devraient
payer pour la faute d’un de vos hommes, et en plus, si c’est vous qui avez
attaqué, c’est normal que les Terriens se défendent ?
⎯ Si je pouvais me passer de toi, je le ferais immédiatement. Tu es tou-
jours à me contredire maintenant que cette fille est avec nous et tourne au-
tour de toi.
⎯ Excusez-moi, Maldeï, mais c’est vous qui m’aviez prise sur la pla-
nète ICI pour servir votre époux. Je ne fais que mon devoir auprès de lui.
⎯ Tu es souvent avec lui et de plus en plus, tu te substitues à moi, je
crois que tu veux prendre ma place !
⎯ Si je suis une gêne pour vous, alors tuez-moi !
⎯ Je vais vous séparer. Bildtrager va venir avec moi pour surveiller
l’avancement de la fabrication de mes vaisseaux tandis que tu resteras au
palais. Tu resteras dans ta chambre tout le temps que durera mon inspection,
comme ça, tu ne pourras pas l’influencer. Tu es intouchable mais, seule et
séparée de Bildtrager tu perdras toute ta force. Lorsque tu as fait échouer
mon plan dans les mines de Carbokan, je t’ai laissée libre, mais, maintenant,
il faut en finir.
Maldeï regarde son époux, Néni, puis appelle les trois hommes dans la
pièce :
⎯ Gardes, je veux que vous emmeniez cette femme, sans que vous la
fassiez souffrir ; de toute façon, vous n’y arriveriez pas. Vous la mettrez
nue et la raserez entièrement. Ensuite, faites venir un chaudronnier pour
qu’il lui confectionne une combinaison de plomb qui la couvrira des pieds à

73
la tête. Inutile qu’elle voit et qu’elle entende, vous laisserez juste une ouver-
ture pour qu’elle respire, mange, et aussi qu’elle puisse épandre ses selles.
Laissez-lui des articulations afin qu’elle puisse se déplacer comme bon lui
semble ; cette femme est libre.
Agissez vite, je ne veux plus la voir devant moi comme ça. Vous
l’amènerez à moi lorsque vous aurez fini.

Néni la regarde, son esprit n’a pas à réfléchir car elle ressent tous les senti-
ments de la femme qu’elle a devant elle. Ni la peur, ni la haine ne la traver-
sent car ce que Maldeï veut faire d’elle ne la touche pas. Toutes les
contraintes physiques de ce monde n’existent pas pour elle, car son monde
n’est pas celui des humains liés à la vie et la mort. Alors elle dit :
⎯ Faites, vous ne détruirez qu’une image. Même avec dix mètres de bé-
ton sur mon corps, je suis toujours présente et ce que je donne à Jacques,
vous ne lui retirerez jamais.
Juste à ce moment, les trois hommes l’attrapent et l’emmènent vers les ate-
liers du palais. Sans aucun sentiment, ils lui enlèvent ses vêtements puis les
brûlent dans le four. Ensuite, avec un rasolazer, ils lui épilent le crâne et le
corps entier de façon définitive. Hélas, cet appareil enlève aussi toute la
mélamine de la peau et elle se retrouve blanchie, comme un mort. Juste
après, ils la jettent comme un quartier de viande sur une table en métal tout
glacé avant que le chaudronnier n’arrive avec ses instruments.
L’homme à la mine de bourreau avec son tablier de cuir gras avance vers
elle et commence à prendre sur elle des mesures. Dans le four, il met dans
un creuset des lingots de plomb qu’il laisse fondre. Quelques instants plus
tard, il fait couler sur un marbre le métal liquide qu’il commence à mettre
en œuvre en le formant en plaques. Cet artisan robuste semble fort doué car
en quelques minutes, tous les membres d’un nouveau corps apparaissent.
Avec patience, il accroche les morceaux ensemble avec des rivets pour for-
mer des articulations. Enfin, bien que le plomb soit encore chaud, il com-
mence à enfiler sur le corps de Néni son nouvel habit. Maintenant, il re-
commence avec le plomb, pour faire cette fois un body. Il fait ça avec
grande précision, il prend soin de dessiner les seins à la juste mesure et le
tour des hanches sont très précis. À la fin, il obtient un vêtement si propre
qu’on ne penserait pas qu’il soit en plomb, et on comprend que le corps qui
s’installera dedans sera dans une proportion de beauté audacieuse.
L’homme écarte l’ouverture, passe le body par la tête et enfin, il peut rac-
corder les articulations. Néni est maintenant enveloppée d’une combinaison,
mais sa tête, ses mains et ses pieds dépassent encore. Avec beaucoup de
patience, il sculpte dans la matière brute les mains et les doigts pour en faire
des gants, et il en fait autant pour les pieds. Avec une dernière plaque de
plomb qu’il martèle, il forme la tête en dessinant la bouche et les lèvres. La

74
forme des yeux apparaît, ils sont même ciselés au point qu’on a
l’impression qu’ils voient vraiment. Enfin, ayant terminé son ouvrage, il
place sur Néni le masque et les extrémités pour enfin transformer la femme
en un véritable soldat de plomb. Tout est soudé, raccordé, on ne voit que les
lèvres apparaître ; derrière, il est impossible de savoir qu’une femme peut se
cacher à l’intérieur. Le chaudronnier commence à brosser son ouvrage pour
le rendre plus lisse, puis il le polit pour qu’il soit brillant. Une fois
l’opération terminée, comme un artiste, il prend un petit ciseau pour sculp-
ter le corps et le rendre plus vivant. Sur la tête, il dessine des cheveux, puis
des cils. Il grave des yeux et des oreilles ; sur les mains, il dessine des on-
gles et enfin accentue sur son corps tout ce qui fait les attraits d’une femme.
Son travail est terminé et les trois gardes l’aident à la redresser pour la met-
tre sur ses pieds. L’œuvre du chaudronnier est si bien faite qu’elle tient en
équilibre toute seule. Les traits de la femme, sont si bien respectés qu’elle
est d’une grande beauté. Hélas, ce n’est pas qu’une œuvre d’art, mais une
femme vivante, enfermée dedans, prisonnière d’une carapace de près de
cent cinquante kilos. Les trois soldats grognent de contentement comme des
gros porcs tandis que l’artisan, impassible, se demande à quoi pourra servir
cette femme de plomb. Les hommes de Maldeï lui demandent de l’installer
maintenant sur un chariot magnétique afin de l’emmener à leur maîtresse…

Maldeï trouve l’ouvrage réussi et invite Bildtrager à venir le voir.


⎯ Admire ta servante dans son nouveau vêtement. Je l’ai habillée
comme ça afin que tu comprennes qu’elle n’était pour toi que gesticulations
et apparence. Tu ne peux suivre une telle femme, sa force s’arrête à ses pa-
roles, elle ne peut que t’entraîner vers la destruction de ton être ; elle veut la
mort de Bildtrager, elle n’est là que pour ça. Dans sa carapace de plomb,
elle ne peut plus te faire de mal. Fie-toi à moi, je te promets la puissance et
la gloire.
Bildtrager reste figé devant ce qu’il reste de son amie, il n’a pas la force de
répondre, comme si lui aussi était dans une armure similaire, et il s’effondre
au pied de la femme statue, ne pouvant communiquer avec elle.
Maldeï montre un air de jouissance devant la femme de plomb et cela sem-
ble lui fait oublier l’affront de son échec sur la Terre. Satisfaite, elle or-
donne à ses hommes de la placer dans sa chambre et de l’allonger sur son
lit. Mais avant qu’elle ne disparaisse, elle dit à la statue :
⎯ Je t’avais promis de ne pas te faire mal et de te laisser libre. Tu restes
libre d’aller où tu souhaites, je ne t’enfermerai pas dans le palais, hélas,
peut-être trouveras-tu un peu lourd ton vêtement ? Je vais partir avec mon
époux et pour que tu ne meures pas de faim, je vais ordonner à mes hommes
de t’apporter dans ta chambre ton repas, libre à toi de te servir.
⎯ Mais ma chère épouse, sous son armure de plomb, elle ne peut se dé-

75
placer sans l’aide d’un homme, comment voulez-vous qu’elle puisse attra-
per une cuillère ? Elle dépérira, c’est certain.
⎯ Mon cher époux, si mes paroles te choquent, j’en suis désolée. Cette
femme devra faire avec ce que je lui donne et si elle n’en est pas capable,
c’est son problème. Elle est libre, juste je lui ai donné un vêtement à sa me-
sure ; il n’est pour elle que le poids du monde.
Gardes, déposez-la dans sa chambre. Donnez-lui de la nourriture fraîche, je
ne veux pas qu’elle dépérisse.
Les trois hommes la traînent dans sa chambre et l’étalent sur son lit. Depuis
qu’elle a été prise par les hommes pour lui faire subir toutes ces transforma-
tions, elle n’a jamais ouvert la bouche, pas dit un mot, ni un gémissement
de douleur, à croire qu’ils l’ont tuée.

La lumière du jour est masquée à ses yeux, le bruit n’est plus que les acou-
phènes qu’elle peut percevoir, le froid du plomb pétrifie tous ses membres
et la raideur de son corps prisonnier la compresse dans sa carapace. Néni est
entre deux mondes qu’elle connaît parfaitement. Elle se sent allongée et
commence à ressentir son nouveau corps avec qui elle doit maintenant
composer afin de retrouver son équilibre. Même une coque de cinq millimè-
tres de plomb n’est pas pour elle un obstacle. Néni a besoin d’un peu de
temps pour endosser son nouveau vêtement et son corps commence à subir
des transformations étranges qu’elle doit suporter. Pour cela, elle ferme les
yeux et s’endort…

Maldeï prépare son départ pour l’île d’Afronikq. Bildtrager devra la suivre
mais quelque chose lui manque, son être intérieur appelle quelque chose qui
semble avoir disparu dans son cœur. Il est devant un grand vide qu’il cher-
che à combler et maintenant, il se rappelle les mots que lui a toujours dit
Néni à son sujet, et surtout cette phrase qui revient à sa mémoire, comme au
rythme d’un battement de cœur :
« Tu es Jacques, tu es terrien ; réveille-toi. »
Néni n’est plus là, mais ces quelques mots l’ont remplacée et en lui, un
grand doute envers Maldeï flotte dans sa tête. Son épouse vient le chercher
au moment où toutes ces questions s’installent en lui ; elle le voit hésitant et
aussitôt le secoue pour qu’il la suive sans trop réfléchir. Afin que son esprit
ne doute d’elle, elle lui demande de prendre les commandes du vaisseau qui
les emmènera jusqu’à Afronikq. Bildtrager connaît le maniement de l’engin
et c’est en mettant en marche le moteur gravitique que de curieuses images
arrivent dans sa tête. Tout en pilotant l’engin, il voit des visages autour qui
ne lui sont pas inconnus ; une femme aux cheveux blonds et très courts, un
homme avec les vêtements de la Confédération Lunisse maintenant dispa-
rue. Il se voit alors apprendre avec eux le pilotage de l’engin, des souvenirs

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antérieurs à sa mémoire actuelle lui reviennent. Il a des flashs et croit même
se souvenir de Lunisse. Tout cela lui revient en quelques instants et semble
lui faire du bien au cœur. Quelque chose se transforme en lui et encore, les
paroles de Néni courent dans sa tête. Maldeï s’en aperçoit et le rappelle
encore à elle :
⎯ Où est encore ta tête, regarde ce que tu fais, à quoi penses-tu ?
⎯ Je pense que je ne suis pas né lorsque je t’ai rencontré, mon histoire
est plus ancienne, des images me reviennent. Un homme de quarante ans
doit avoir un passé, il faut que je le retrouve.
Maldeï sent que Bildtrager commence à douter d’elle, et si son passé refait
surface, il risque de la mettre en difficulté dans son plan et de se retourner
contre elle et faire tout basculer. Cet homme doit rester attaché à elle, il est
urgent qu’elle s’en occupe. Alors, elle demande à un de ses collaborateurs
de bien vouloir prendre les commandes du vaisseau et, prenant son époux
par la main, elle le conduit tout droit vers sa chambre.
⎯ Chéri, j’ai envie de toi, prends-moi, viens t’étendre sur mes reins !
⎯ Mais tu es enceinte, je ne sais pas si c’est très bien.
⎯ Tu es un homme, tu as aussi besoin de te soulager, et moi aussi.
Maldeï ne laisse pas trop le choix à Bildtrager, elle le déshabille avant de le
faire pour elle. Elle l’allonge sur le lit et se place sur lui. Durant le rapport,
c’est la femme qui mène le rythme afin de lui vider toutes ses pensées. Elle
fait durer son plaisir jusqu’à ce qu’elle ait la certitude qu’il ait oublié les
images du passé qui le traversaient. Au bout d’une heure exceptionnelle,
Bildtrager est si vidé qu’il s’endort complètement ; Maldeï se sent rassurée.
Allongée avec lui, elle lui caresse sa tête pour lui enlever le reste de ses
pensées ; son fluide est tel qu’elle en a le pouvoir.
Arrivé sur l’île d’Afronikq, Bildtrager sort du vaisseau les yeux dans le
vague, il ne s’est pas encore remis du désir de son épouse. Un officier vient
les chercher pour les emmener jusqu’aux chantiers de construction. Là,
Maldeï retrouve Adiban, la femme ministre qu’elle a mise en place pour la
seconder afin de construire son armée. Celle-ci l’accueille avec de bonnes
nouvelles :
⎯ Maldeï, avec mes adjoints, nous sommes heureux de votre venue. En
peu de temps, nous avons déjà de très bons résultats car un vaisseau à vol
instantané est prêt depuis peu. Nous espérons en sortir quatre autres dans
moins de soixante jours, et dans cent jours, il y en aura dix autres.
Lorsque Maldeï entend cela, elle retrouve le sourire, c’est la première bonne
nouvelle depuis qu’elle est revenue de Carbokan, et pour fêter cela, elle
demande à essayer personnellement le nouveau vaisseau. Demain ce sera
possible alors elle continue la visite du site avec Bildtrager pour voir les
immenses vaisseaux en construction. Cela penser à un chantier naval mais
encore plus grand. Bildtrager constate en suivant son épouse que bon nom-

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bre de personnes travaillant sur les chantiers sont des femmes et des vieil-
lards ; aucun sourire ne ressort de leur visage mais plutôt une grande fati-
gue. Les conditions de travail ne semblent pas très bonnes, certains sem-
blent être blessés, d’autres malades. Les chefs ressemblent plus à des gar-
diens qu’à des techniciens et cela choque Bildtrager. Parfois quelques en-
fants circulent entre les chaînes de montage pour apporter de l’eau aux ou-
vriers, et il y a des rats dans les caniveaux, ainsi que des sortes de crabes.
Le site reste humide, même si le soleil chauffe toutes les carlingues. Bild-
trager fait remarquer à Maldeï que les hommes et les femmes semblent tra-
vailler avec difficulté, mais elle lui répond qu’ils sont tous habitués. Il n’a
plus rein à dire et la visite se termine.
Lorsque le soir vient, après un repas passé avec la ministre et ses adjoints,
Maldeï recommence sur son époux ce qu’elle lui avait donné plus tôt dans
la journée. L’homme est en pièces et se laisse faire, laissant son plaisir et sa
volonté ailleurs. Mais lorsqu’il s’endort, il monte dans le monde des rêves
que Maldeï ne peut contrôler, et c’est là qu’il fait une merveilleuse ren-
contre :
Il est aux commandes du vaisseau qu’il voyait en pensées et qu’il pilotait.
C’est alors que l’homme et la femme lui apparaissent bien vivants mainte-
nant. L’un s’appelle Starker et la femme, Aqualuce, et il se sent attiré par
elle, à en être presque amoureux. Starker est commandant de vaisseau et lui
apprend le pilotage de l’engin. Il découvre les deux modes de propulsion et
apprend aussi comment fonctionne un CP. Il connaît même le nom du vais-
seau dans lequel il se trouve, c’est l’Espérance. Ils vont vers une planète qui
s’appelle Khephren. Durant ce voyage, ses sentiments s’affirment envers
cette étrange femme, son cœur s’emballe pour elle. Ce qui est curieux, c’est
que comme Néni, elle l’appelle Jacques. Durant toute la nuit, son sommeil
est un mélange de voyages spatiaux avec Starker et de rencontres avec
Aqualuce. Au petit matin, lorsqu’il se réveille auprès de Maldeï, sa pre-
mière pensée est pour la femme de ses rêves. Cette Aqualuce semble pren-
dre le pas sur son épouse officielle, une sensation de malaise le prend en
regardant celle qui l’entoure de ses bras. De plus, passant une main sur son
ventre, il sent un enfant à venir qui bouge à l’intérieur. Ouvrant les yeux
Maldeï lui dit :
⎯ Sens-tu le fruit de notre amour bouger dans mon corps ?
Il ne sait pourquoi, mais ces paroles lui glacent le sang, il lui répond :
⎯ Peut-être l’enfant de Bildtrager, pas celui de Jacques.
⎯ Mais tu es Bildtrager, Jacques n’existe pas. Il n’est pas temps de dis-
cuter de choses inutiles, nous devons nous préparer pour essayer mon nou-
veau vaisseau, j’ai hâte de voir ce qu’il peut faire.
Il ne dit plus rien, mais une pensée lui reste, contrairement à toute la période
passée, il se dit que son but sera de rechercher ce qu’il est en réalité. Il pos-

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sède déjà certains éléments, comme son véritable nom, et il sait aussi qu’il
est terrien. Starker, peut-être un ami, et une femme, Aqualuce, avec qui il
pourrait avoir eu des relations. Il commence à comprendre que même s’il
est attaché à Maldeï par un mariage, celui-ci n’est peut-être qu’une grande
tromperie. Il ne peut se détacher d’elle parce qu’elle est en même temps une
protection pour lui, mais il y a Néni avec qui il avait trouvé une relation
assez intime, et qui était la première à avoir commencé à lui ouvrir les yeux
sur Elvy. Son passage à Carbokan était pour lui une épreuve, Maldeï voulait
le faire plier à son pouvoir, mais Néni était encore là. Pour retrouver son
passé, il doit retrouver Néni si elle est encore en vie, malgré son vêtement
de plomb. Pour la première fois depuis qu’il est avec Maldeï, Bildtrager se
dit :
« Jacques doit se réveiller en mon être et Bildtrager doit mourir, s’il n’est
que la création de cette femme. »
Il regarde avec un grand sourire Maldeï et il lui dit :
⎯ Ma chère épouse, préparons-nous au grand voyage que tu me propo-
ses. Ensemble, je veux que nous allions au bout de l’univers et de la créa-
tion, il est indispensable que nous trouvions tous les deux nos origines,
n’est-ce pas ?
⎯ Et où voudras-tu aller ?
⎯ Je veux retrouver Khephren, une planète dont j’ai entendu parler au
cours d’un de mes voyages.
⎯ Khephren, quelle drôle d’idée. Si cela te fait plaisir, je t’y emmènerai
pour tester mon appareil.
Un peu plus tard, ils arrivent devant le vaisseau qu’Adiban est fière de leur
présenter. Malgré tout, Bildtrager constate qu’il est moins gros que le pre-
mier vaisseau Instant-Plus. Sa coque est toute noire ; dessus est dessiné un
serpent d’or géant.
⎯ Il te plaît mon chéri ?
⎯ Tu l’as fait comme tu l’aimes, c’est l’essentiel ; comment s’appelle-t-
il ?
⎯ C’est le Serpent de l’Infini. Bien sûr, il te paraît plus petit que le
premier, mais il est armé bien et plus puissamment. Il possède un rayon
étheronucléaire à chaque extrémité et en une seule salve, il peut anéantir
une planète. Il possède aussi des canons extrêmement précis qui peuvent
toucher un insecte à plus de trois cents mille kilomètres, ainsi, un ennemi
repéré de très loin peut être anéanti. Il est plus petit, mais je peux faire em-
barquer près de vingt-cinq mille hommes, nous avons réduit au plus strict
les places de nos soldats, et sur la plate-forme des spationefs, je peux y met-
tre dix engins. Mais le plus beau est qu’il est capable de devenir invisible et
indétectable, même s’il est à un kilomètre d’un autre appareil. C’est le meil-
leur vaisseau jamais construit, même à l’époque, les Golocks n’en ont ja-

79
mais fait un semblable.
Vois-tu, Jacques n’est pas de poids à nous affronter, tu peux l’oublier.
⎯ Peut-être est-il bien armé, mais le serpent a un prédateur ; c’est
l’aigle.
⎯ Connais-tu un aigle capable de l’affronter ?
⎯ Oui, l’ennemie dont vous parlez parfois ; Aqualuce.
Aussitôt, le serpent sur Maldeï se met à frémir et à allonger sa tête en regar-
dant Bildtrager, comme s’il était prêt à lui sauter dessus. Il se recule, de
peur d’être mordu par le bijou de son épouse.
⎯ Tu es toute puissante, Maldeï, personne n’osera vous affronter, j’en
suis certain.
⎯ Il vaut mieux pour toi.
Ils grimpent dans le vaisseau, accompagnés d’Adiban et toute l’équipe du
vaisseau, soit deux cents militaires bien préparés. À son poste, Maldeï de-
mande au commandant du vaisseau de faire cap sur Khephren…

Dans le palais de Maldeï, il se passe des choses étranges. Hier, une servante
est venue apporter un repas dans la chambre de la femme de plomb. Lors-
que le soir, elle est venue reprendre les plats, ils étaient tous vides. Regar-
dant la statue de plomb sur le lit, elle se doute que ce n’est pas elle qui serait
capable de se lever pour aller dîner. Si une femme est enfermée dedans, il
lui serait impossible de se déplacer ; alors elle se dit qu’un petit malin est
venu manger à sa place et elle ne fait pas plus attention que ça.
Ce matin, la même servante est venue apporter le déjeuner de la femme de
plomb. Lorsqu’elle revient chercher le plateau, il n’est plus à sa place, la
tasse est vide et les gâteaux ont été mangés. Tout étonnée, elle regarde la
statue et ne la voit pas sur son lit, mais assise dans un fauteuil, immobile et
glacée. Elle s’approche de la femme de plomb et voit juste deux lèvres pâles
derrière un masque massif. Elle tente de lever un de ses bras, mais les arti-
culations sont si lourdes qu’elle ne peut le bouger. Les yeux de cette femme
métallique sont gravés dans la matière, mais lorsque qu’elle les regarde, elle
se sent observée. Effrayée, elle laisse tomber ses tasses et se sauve. De
l’autre côté de la chambre, dès qu’elle voit les premiers gardes, elle leur
raconte son histoire et ceux-là sont tout étonnés. L’un des hommes qui a
participé la veille à la transformation de la femme de plomb, sourit car il
sait qu’il est impossible de se déplacer dans une telle carapace et il lui ré-
pond :
⎯ Tu as trop bu, tu dois aller te reposer.
La servante ne sait plus si elle a rêvé et retourne dans la cuisine. L’un des
hommes s’interroge et propose à l’autre d’aller voir la femme de plomb. Ils
se lèvent tous les deux et se dirigent vers les appartements de Maldeï, c’est
là qu’ils voient, dans la grande salle de réception, la statue plantée au cen-

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tre, comme une œuvre d’art immobile.
⎯ Mais comment a-t-on pu déplacer cette chose, qui a fait cela, il doit y
avoir un petit malin qui s’amuse à ça ? Regarde, ses articulations sont sou-
dées, même si elle est vivante, elle ne pourrait pas faire un pas !
⎯ Je vais faire le tour pour voir s’il y a quelqu’un ici, mais ça
m’étonnerait, car notre rôle et de ne laisser personne entrer ici et nous avons
l’œil tout le temps.
⎯ Faisons-le par sécurité.
Les deux hommes inspectent tout l’appartement, et lorsqu’ils reviennent, la
statue s’est déplacée devant l’entrée de sa chambre. Ils ne comprennent plus
et commencent à paniquer. L’un d'eux bouscule la femme de plomb qui
s’effondre lourdement sur le sol.
⎯ Comme ça, elle ne pourra plus bouger, ne restons pas là.
Un peu plus tard, vers le soir, une autre servante apporte à la statue son re-
pas, suivant les directives de Maldeï, mais cette fois ne la trouve pas. Les
hommes de garde sont immédiatement informés, mais au bout d’une heure,
il leur faut constater que la femme de plomb a disparu. Cela commence à
inquiéter tous les hommes qui imaginent alors ce que seront les représail-
les…

Pour un vaisseau ordinaire, le voyage entre Elvy et Khephren devrait durer


trois jours, mais avec le Serpent de l’Infini, il n’a fallu que le temps
d’appuyer sur un bouton et ils sont déjà arrivés. Mais à l’endroit où aurait
dû être l’astre, ils ne rencontrent que des blocs de pierre et des sortes
d’astéroïdes ; la planète semble avoir disparu. Bildtrager se questionne, et
d’un coup voit dans sa tête une planète verte entourée de vaisseaux disparai-
tre aussitôt, comme foudroyée. Quelque chose passe dans sa mémoire et
devant Maldeï, il dit :
⎯ Gaélide, je reviens te voir pour finir mon travail.
⎯ Mais que racontes-tu ? Il n’y a que des rochers ici, ne vois-tu pas que
cette planète a disparu, et qui est Gaélide ?
⎯ Femme, il y avait une planète ici, je l’ai déjà vue. Un homme aussi,
je l’ai déjà connu.
Sans le savoir, Bildtrager fait le chemin inverse qu’il avait dû vivre il y a
plusieurs années. Son désir de retrouver son origine et sa mémoire le pousse
vers des voies étranges. La vision de cette nuée d’astéroïdes que fut Khe-
phren le conforte dans l’idée que Bildtrager n’est qu’un imposteur.
⎯ Nous n’avons rien à faire ici, ton idée n’était pas bonne, mon vais-
seau est capable d’aller bien plus loin. Je ne suis pas venue ici pour faire un
retour dans un passé qui n’est même pas le tien.
⎯ Si ce passé n’est pas le mien, à qui est-il ?
⎯ Je ne relèverai pas tes paroles, il n’y a que moi en dehors de toi.

81
Maldeï rougit et se retourne vers son chef-pilote :
⎯ Mettez le cap sur Andromède, nous allons contrôler l’efficacité du
moteur.
Son officier obtempère et pointe le vaisseau vers la galaxie. Au bout de
quelques minutes, il se retourne vers Maldeï pour lui annoncer :
⎯ Notre objectif sera atteint dans trois jours, c’est le maximum que
nous puissions faire.
Entendant cela, Maldeï s’énerve car cela veut dire que ce vaisseau est bien
moins rapide que le premier. Elle se retourne vers Adiban :
⎯ Vous m’aviez promis que ce vaisseau sera identique au premier.
Vous n’avez pas tenu votre parole, vous allez me le payer !
Aussitôt, Maldeï concentre son regard sur la pauvre femme et commence à
lui infliger la force de sa haine. La pauvre s’effondre en se tordant de dou-
leur. Voyant cela, Bildtrager ne peut le supporter et s’interpose pour proté-
ger cette femme.
⎯ Arrêtez, elle n’y est pour rien ! Elle est votre ministre, elle agit sui-
vant vos ordres.
Maldeï n’apprécie pas son intervention et déchaîne alors sa foudre sur lui. À
son tour il est envahi par les crépitements électriques qui le font rouler de
douleur. Mais l’instant d’après, cela cesse, car curieusement toutes les for-
ces du mal semblent se retourner vers Maldeï qui à son tour se sent mal et
est prise de contractions. Bildtrager se relève juste et fait appeler son méde-
cin qui la suit toujours. Celui-ci comprend que comme lui et Adiban, ils
sont reliés à elle, la douleur s’est automatiquement retournée sur Maldeï.
C’est la première fois qu’elle semble présenter une faille. Elle se relève peu
après et, regardant Bildtrager et l’autre femme, elle leur dit :
⎯ Si vous agissez contre moi, vous déclencherez une guerre qui vous
anéantira. Vous vivez parce que je le veux, vous êtes mes créations.
Juste après, le médecin la fait emmener vers sa chambre pour qu’elle se
repose. Discrètement, Bildtrager se retourne vers Adiban et lui demande :
⎯ L’avez-vous fait exprès ?
⎯ Oui, Jacques !
Ce simple mot lui fait totalement tourner la tête, plus rien désormais ne
pourra le faire revenir en arrière. Il relève les yeux, la regarde encore et elle
rajoute :
⎯ Réveille la Graine d’Etoile qui est en toi, tu demeures notre espoir.
Pour n’éveiller aucun soupçon, Adiban se retourne immédiatement et
s’occupe des contrôles de l’engin qui file vers Andromède. Pour sa part,
Bildtrager rejoint sa chambre pour assimiler ce qu’il vient de vivre.

Quelqu’un frappe à sa porte, qu’il ouvre spontanément. Surpris, il découvre


Adiban qui entre précipitamment.

82
⎯ Jacques, vite, protège-moi si tu peux ! l’équipage me recherche,
Maldeï vient de donner ordre de me liquider, elle pense que ma mort réglera
le problème de la vitesse du vaisseau. Elle n’a pas du tout apprécié que je ne
fasse pas ce qu’elle veut, je pense qu’elle a des soupçons sur moi !
⎯ Ici tu ne risques rien, aucun homme n’osera pénétrer dans ma cham-
bre sans mon accord. Viens dans le salon derrière et dis-moi qui tu es et
pourquoi elle t’a désignée comme ministre, que s’est-il passé ?
Adiban lui raconte comment tous ses amis ont perdu leur mental dans
l’émetteur à onde bêta. Par chance, elle a pu résister en se protégeant sous
une couchette qui avait absorbé les ondes à sa place. Puis elle raconte à
Bildtrager comment lors d’une cérémonie particulière elle baptisa ses nou-
velles recrus en implantant en eux son mental, afin de les diriger. Rescapée,
elle avait joué le jeu jusqu’au bout. Mais elle se doutait qu’un jour, Maldeï
comprendrait que le conditionnement avait échoué, elle avait réussit à enle-
vé l’implant sous sa peau.
⎯ Cela fera bientôt trente jours que je dirige la construction des vais-
seaux. J’étais pilote et faisais partie de la même promotion qu’Aqualuce.
J’ai des connaissances dans le domaine et j’avais aussi participé à la cons-
truction du vaisseau Instant-Plus. C’est pour cela qu’elle m’a désignée
comme ministre de l’armement. Tu penses bien, Jacques, que je n’allais pas
donner entièrement le secret de fabrication du moteur instantané. J’ai falsi-
fié les données techniques et c’est pourquoi ce vaisseau n’est pas capable de
naviguer instantanément. Tout à l’heure lorsqu’elle m’a châtiée, elle s’est
aperçue que je n’étais pas liée à elle car elle n’avait aucun retour sur elle de
ma souffrance.
⎯ D’où viens-tu ?
⎯ Maldeï m’a trouvée sur Natavi, comme beaucoup d’autres femmes à
qui elle a fait subir des grossesses forcées. J’ai été déportée sur l’île de Rac-
ben pour construire des armes et là, encore une fois, elle m’a prise avec les
huit autres amis. Je connais beaucoup trop de choses pour qu’elle me laisse
vivre. Dans ce vaisseau, je suis condamnée ; elle me trouvera.
⎯ Sauf si j’arrive à te faire quitter ce vaisseau discrètement.
⎯ Sauf qu’à neuf années-lumière à la seconde, je ne vois pas qui sera
capable de venir me chercher…
⎯ Dans le monde de Maldeï, je ne connais qu’une seule personne qui
pourrait nous aider, malheureusement Maldeï l’a fait transformer en femme
de plomb, et de là où elle se trouve, elle ne peut pas grand-chose pour nous.
⎯ C’est ce que tu penses, mais je ne vis pas dans le même espace que
toi.
Les deux sont surpris d’entendre une voix étouffée leur parler dans le dos.
Ils osent à peine se retourner. C’est alors qu’ils découvrent la femme de
plomb assise sur le lit. Adiban, qui ne sait pas qui cela peut-être, est ef-

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frayée, mais Bildtrager la réconforte.
⎯ N’aie crainte, c’est mon amie.
⎯ Jacques, l’armure de plomb que je porte n’est rien, je ne la sens
même pas. Tu sais qu’il n’y a pour moi aucun obstacle infranchissable, les
hommes m’habillent tous comme ils le souhaitent, selon l’apparence qu’ils
veulent de moi. Maldeï me voit avec une carapace de plomb, alors
j’apparais avec une carapace de plomb.
⎯ Néni, il m’est insupportable de te voir ainsi, surtout lorsque je sais
que Maldeï t’as fait subir des outrages avant de t’enfermer dedans.
⎯ Il y a dans le monde une alchimie qui permet de transformer la vile
matière en une substance plus noble ; le plomb que je porte peut devenir Or
si j’écoute mon cœur et que je laisse agir sur moi ma véritable nature. Nous
devons changer nos vies. C’est notre but, le tien Jacques, plus particulière-
ment. Change Bildtrager en Jacques. Mais, je sais que tu es déjà sur la
bonne voie.
⎯ Avant, il n’y avait que toi pour m’appeler Jacques, mais maintenant
il y a Adiban et je suis convaincu que vous dites vrai, j’en ai rêvé la nuit
dernière.
⎯ C’est grâce à cela que j’ai pu arriver jusqu’ici.
⎯ Néni, mon amie Adiban est en danger ici. Maldeï veut la tuer, les au-
tres membres la recherchent. Le seul moyen de la sauver serait de lui faire
quitter le vaisseau. Je sais que tu as toujours des solutions.
⎯ Tu dois maintenant nous montrer qui tu es, c’est à toi de trouver la
solution, reprend la peau de Jacques et sauve Adiban, ce sera ton épreuve
aujourd’hui.
⎯ Mais…
⎯ Au revoir, Jacques, à bientôt sur Elvy !
Dans le même moment, la femme de plomb disparaît. Adiban et Bildtrager
se regardent, pensant avoir rêvé ; ils ne comprennent pas trop et se deman-
dent s’ils se sont fait avoir par leur imagination. Aucune trace n’indique que
Néni soit venue. Mais il dit :
⎯ Bildtrager est mort. Adiban, continue de m’appeler, Jacques.
⎯ C’est ce que tu as toujours été.
À ce moment, quelqu’un frappe à la porte :
⎯ Monsieur Bildtrager, ouvrez, nous cherchons un traître parmi nous ;
il est peut-être caché dans votre chambre, laissez-nous fouiller !

⎯ Cache-toi sous le lit magnétique, je te protégerai.


Adiban se roule en-dessous et Jacques tire une couverture pour la cacher. Il
ouvre la porte pour laisser les hommes fouiller et s’assoit sur son lit en les
regardant chercher. En quelques minutes, ils ont tout inspecté et s’excusent
de l’avoir dérangé. Les deux hommes un peu confus, tirent la porte pour
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continuer leurs recherches. Adiban ressort et Jacques la rassure en la serrant
dans ses bras. Se rappelant qu’elle l’avait appelé par son nom, il lui de-
mande :
⎯ Que connais-tu de moi ?
⎯ Tu es Jacques Brillant, terrien. Il y a plusieurs années, tu es arrivé sur
Lunisse, accompagné par le général Aqualuce, et aussi avec le commandant
Starker. À l’époque, notre peuple recherchait la Graine d’Etoile qu’un mes-
sager nous avait obligés à trouver. Quittant notre planète, tu es allé sur
Khephren pensant trouver la vérité. Tu y as trouvé un vieil homme et une
jeune femme ; l’un s’appelant Gaélide, l’autre Cléonisse. Ensuite, tu as sé-
journé sur Elvy. Lorsque tu en es revenu, tu as été sacré Grand Dictateur de
notre monde et c’est l’amiral Marsinus Andévy qui vous a proposé la plus
haute fonction. En ce temps, c’était la femme la plus aimée du monde lu-
nisse, elle était exceptionnelle et d’une grande fidélité. Tu as fait d’elle no-
tre chef avant que tu nous quittes à jamais et hélas, c’est cette femme qui se
fait appeler aujourd’hui Maldeï. Tu es reparti à la conquête de la Graine
d’Etoile, et surtout d’Aqualuce que tu aimais plus que tout. Depuis, nous ne
t’avons jamais revu. Tu es réapparu dans ma vie hier, lorsque tu es arrivé
avec Maldeï. Lorsque je t’ai vu, je t’ai immédiatement reconnu. Avant toi,
j’ai connu Aqualuce à l’école de pilotage. Voici pour ma part ce que je sais
de toi.
⎯ Si je suis ce Jacques, je vais te sortir de là. Je sens en mon être une
force qui m’y pousse. Lorsque que je suis arrivé auprès de Maldeï, mon
esprit lui était dévoué, mais maintenant, je sens qu’il y a autre chose. Néni
me l’a montré, et toi maintenant.
⎯ Jacques, tu es plus important que moi, je veux te préserver des fou-
dres de Maldeï, il n’est pas question qu’elle te soupçonne de m’avoir aidée.
Je préfère me rendre plutôt que de te faire prendre un risque.
⎯ Chaque être est important, tu l’es autant que moi. Il est de mon de-
voir de t’aider et de te sauver, et je suis prêt à prendre des risques pour moi-
même. Nous avons un peu de temps avant que Maldeï ne réapparaisse, et
comme tu as de très près participé à la construction de ce vaisseau, tu en
connais des détails qui peuvent nous aider.
⎯ Biens sûr, Jacques, et j’ai même une révélation à te faire au sujet du
moteur. En fait, il est capable d’atteindre la vitesse absolue, mais je l’ai
bridé, c’est pour cela qu’il ne peut atteindre sa vitesse.
⎯ Y a-t-il un moyen de le débrider ?
⎯ Bien sûr, ce que je vais te dire ne doit être connu par personne
d’autre que toi, en tout cas, tant que les vaisseaux de ce type seront dans les
mains de l’ennemi. J’ai introduit dans le CP un code de verrouillage basé
sur chiffre Zéro. J’ai donné trois dimensions à ce chiffre ; une positive, une
négative et une neutre.

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⎯ Mais je ne comprends pas ; zéro, c’est toujours la même chose.
⎯ Non, Jacques. Ce que les hommes ignorent en général, c’est que le
nombre le plus grand n’est pas infini, mais il existe. Si tu arrives à l’écrire,
tu t’apercevras qu’il retourne vers zéro ; ça, c’est le zéro positif. Mainte-
nant, il est aussi possible de trouver le nombre négatif le plus grand qui soit
et là aussi, il retourne à zéro. Le zéro neutre est le chiffre que tu connais le
mieux. Si tu vas au pupitre de commande du vaisseau, fais-lui faire
l’addition des trois nombres, et là le CP te donnera un chiffre qui ne res-
semble à rien. C’est à ce moment que le moteur instantané délivre toute sa
magie. Tu te dis, pourquoi ça ?
La réponse est simple, lorsque tu voyages à la vitesse absolue, tu n’es plus
dans le monde du rationnel, mais dans celui du virtuel et de l’imaginaire.
⎯ Tu veux dire que le vaisseau Instant-Plus a toujours fonctionné grâce
à notre imagination ?
⎯ Tout à fait. C’est la programmation du CP qui, comme il est accordé
à notre psyché, nous donne la possibilité de voyager n’importe où.
⎯ Le moteur du vaisseau n’est plus utile alors ?
⎯ C’est exact, les concepteurs de ce mode de propulsion ont voulu pro-
téger leur découverte en y introduisant des éléments techniques.
⎯ Et comment connais-tu tout cela ?
⎯ J’en suis l’inventeur.
Jacques avale sa salive, il est devant l’un des êtres les plus intuitifs de
l’univers, et il comprend pourquoi les transformations que Maldeï avait
voulu lui faire subir avaient échoué.
⎯ Tu ne possèdes pas le don d’ubiquité, avec tout ce que tu connais ?
⎯ Non, j’ai toujours besoin d’un support pour me déplacer.
⎯ OK ! Je crois avoir la solution pour toi ; j’ai un plan.
Adiban retourne un sourire à Jacques. Cette jolie femme retrouve ses cou-
leurs. Alors, Jacques commence à fouiller dans la penderie de sa cabine et
sort une combinaison de travail aux couleurs neutres, un peu bleue marine.
⎯ Tiens, enfile cette tenue, ta robe blanche est trop voyante. Il faut aus-
si que tu te fasses un chignon et que tu te tires les cheveux, tu dois changer
d’allure, on ne doit pas te reconnaître ; quitte à ce que tu te salisses un peu
le visage. Enlève tes chaussures, je préfère que tu sois pieds nus plutôt
qu’avec ses talons hauts et dorés.
Adiban fait ce que lui demande Jacques, la transformation est bien surpre-
nante, elle a l’air d’un agent de pont et elle dit à Jacques :
⎯ Qu’en penses-tu ? Je ressemble à une femme de ménage prête à pas-
ser l’aspirateur !
Aspirateur ! Ce mot, d’un coup tourne dans la tête de Jacques ; il ne l’avait
pas entendu depuis des années lui semble-t-il. Mais c’est un choc pour lui, il
semble vivre une percée de mémoire extraordinaire.
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⎯ Aspirateur, j’ai été vendeur d’aspirateurs il y a longtemps, ça me re-
vient. Je crois que c’était sur Terre avant que…
⎯ Avant que quoi ?
⎯ Je ne sais plus vraiment, mais je me revois encore dans les magasins
et chez mes clients. J’étais Jacques, vendeur d’aspirateurs.
⎯ Et ensuite, tu as trouvé Aqualuce.
⎯ Certainement, elle m’a acheté un aspirateur.
⎯ Non, Jacques, tu l’as rencontrée dans un vaisseau spatial qui t’a enle-
vé. Aqualuce était avec toi.
⎯ Lorsque ma mémoire reverra son visage, tout réapparaîtra.
⎯ Lorsqu’un amnésique commence à retrouver des moments de sa vie,
la totalité de sa vie n’est pas loin de se manifester.
⎯ Tu as peut-être raison, mais il faut que je m’occupe de te faire quitter
ce vaisseau. Adiban, y a-t-il des cellules de secours dans notre appareil ?
⎯ Notre vaisseau est bien armé, mais la sécurité des passagers n’a rien
de bon car il n’y a que quatre sphères de sauvetage qui contiennent chacune
quatre places.
⎯ Possèdent-elles un CP ?
⎯ Oui, elles en ont un, je m’en suis occupée lors de leur installation.
⎯ Bien, tu vas t’échapper avec une de ces sphères. Tu vas introduire
dans le CP le programme du Zéro dont tu m’as parlé. Si ce que tu dis est
juste, tu devrais pouvoir te retrouver là où tu le souhaites. Lorsque Maldeï
s’apercevra de ton départ, tu seras déjà très loin.
⎯ Mais pour aller où ?
⎯ Il paraît que la rébellion s’organise, rejoins-la.
⎯ Mais, je ne sais pas où elle peut être !
⎯ Alors, regagne la Terre, il paraît que j’ai une famille là-bas.
⎯ Où pourrais-je les trouver ?
⎯ Je crois y être allé il y a peu de temps, mais à cette époque, j’étais
sous état d’hypnose et je n’ai encore que quelques souvenirs. Je peux te dire
que j’étais dans un pays qui s’appelait la France ; dans les montagnes.
⎯ J’y arriverai, je pense que des gens comme toi, je les repérerai.
⎯ Bon, maintenant, il faut que je t’accompagne vers les sphères de se-
cours. Tu t’installeras dedans et attendras que j’aie rejoint le poste de com-
mandement pour t’éjecter. Ne bouge pas, je vérifie qu’il n’y ait personne
dans le couloir.
Aussitôt fait, ils sortent pour rejoindre la coursive inférieure. Adiban paraît
être une personne bien ordinaire, et même son visage n’est plus le même.
Ensemble ils avancent naturellement et ne croisent que deux hommes sem-
blant être des cuisiniers, à cause de leur tenue. Hélas, lorsqu’ils arrivent
dans le parc où se trouvent les vaisseaux d’interceptions et les sphères de

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secours, ils sont gardés par quatre hommes, et là, Jacques ne peut se faire
remarquer. Jacques pense qu’il faut faire une diversion pour les éloigner de
là. Adiban lui dit tout autre chose :
⎯ Il faut les neutraliser en les tuant ou les paralysant.
⎯ Adiban, comme tu vas partir, tu seras l’appât. Tu vas aller devant eux
et les attirer. Je vais prendre la barre métallique qui se trouve au sol ;
j’arrive derrière eux et les assomme, ensuite, la voie sera libre.
⎯ C’est d’accord !
Aussitôt, Adiban arrive jusqu’à la hauteur des hommes avec son aspirateur
et elle leur dit :
⎯ Eh ! Les mecs, vous voulez passer l’aspi avec moi ? Ici, il y en a trop
à faire !
Les gars rigolent et à cet instant, une barre frappe celui qui est resté plus en
arrière. L’autre juste derrière n’a pas le temps de se retourner qu’un coup
violant lui tombe dessus. C’est alors qu’Adiban lance sur la tête de
l’homme d’en face son aspirateur et l’assomme. Le dernier est achevé par
Jacques qui frappe encore de sa masse improvisée. Les quatre gardes sont
au sol, ils sont déjà dans les étoiles. Alors, les deux courent jusqu’à la
sphère la plus proche ; Adiban l’ouvre et enfin, peut imaginer la liberté au
bout du tunnel de lancement.
⎯ On n’est pas repérés, tu vas pouvoir partir sans problème.
⎯ Peut-être, mais Jacques, il va falloir que tu désactives au poste de
commandes le rayon protecteur du vaisseau, sinon, je m’écraserai sur un
mur magnétique lors de l’éjection.
⎯ Alors ne perdons pas de temps. Introduis les codes d’activation de la
propulsion instantanée, il est important de savoir si ça marche.
Adiban le fait avec doigté et le CP semble retourner les chiffres dans tous
les sens. Au final, à l’écran s’affichent des chiffres bizarres. Adiban dit :
⎯ Tu avais raison, ça marche, les paramètres de propulsion sont chan-
gés.
⎯ Alors monte vite dedans, je vais lever l’écran magnétique !
Au moment de se séparer, en cadeau, Adiban attrape le visage de Jacques et
lui colle ses lèvres sur les siennes. Ce baiser est tendre mais le fluide qui lui
est transmis possède un effet tout autre que de l’amour, lui faisant voir son
image du passé et surtout celle d’une femme nommée Aqualuce. Cette dé-
couverte est magnifique et son cœur bat encore plus fort. Petit à petit, Bild-
trager semble mourir pour laisser place à un nouvel homme ; Jacques Bril-
lant.
⎯ File vite au poste pour désactiver l’écran !
Jacques n’a que peu de temps pour se ressaisir ; il la salue en lui faisant une
caresse et la quitte immédiatement. Peu après, les quatre gardes se réveillent
et voient une sphère occupée. Ils se doutent que c’est leur agresseur qui est

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à l’intérieur et donnent l’alarme. Aussitôt, les officiers dans le poste blo-
quent les tubes de lancements et envoient une équipe pour faire ressortir
l’intrus qui doit être Adiban. Jacques est présent à ce moment et les voit
agir. Mais discrètement, alors que les autres pensent à sortir la femme de
l’engin, il se rapproche du pupitre, et essayant de le comprendre, pense dé-
sactiver l’écran de protection.
Adiban voit autour d’elle les quatre hommes essayant de forcer la sphère,
mais pour le moment, ils n’y arrivent pas. Le tube de lancement est obstrué,
elle ne peut partir ; les signaux sont toujours au rouge. Bientôt d’autres
hommes arrivent, et l’un d’eux s’installe dans un élévateur pour enlever le
petit engin de ses rails ; s’il y arrive, c’en est fini. Adiban est prisonnière et
l’engin s’approche d’elle.
Jacques est pratiquement seul, tous les autres sont partis vers les sphères de
secours, chacun espérant attraper le premier la rebelle pour se faire congra-
tuler par Maldeï. Cela lui laisse un peu de temps pour analyser le dia-
gramme des sécurités du vaisseau, et enfin il comprend comment ouvrir les
tubes. Il ne lui faut qu’une seconde pour tout libérer.
Au moment où l’élévateur s’apprête à accrocher la sphère, le tube s’ouvre ;
voyant ça, Adiban, actionne son appareil. Un homme est devant sur les
rails ; la boule se propulse et, hélas, l’écrase sur son passage. Le propulseur
magnétique fait son effet et libère la sphère dans l’espace. L’écran est dé-
sactivé, Adiban oriente son engin vers la Terre et disparaît dans l’infini…

Les habitants de Sandépra sont terrorisés, car cette nuit, une statue plomb
marche dans la ville en détruisant les effigies en l’honneur de Maldeï. De-
vant le palais, un serpent géant semblable à la couronne a fondu, s’étalant
sur la chaussée. Un peu plus loin, une statue représentant Maldeï a explosé.
Les militaires ont voulu détruire la femme de plomb avec leurs engins, mais
les rayons sont repartis sur eux, les blessant parfois mortellement. Tous les
habitants qui l’ont vu sont certains que cette chose est vivante, ceux qui se
sont approchés d’elles ont vu ses lèvres. Ses yeux de plomb sont comme des
diamants d’où sort son feu. Un véhicule lourd, semblable à un bulldozer,
s’est interposé devant elle, mais elle l’a traversé comme on passe à travers
un nuage de fumée ; rien n’arrête la femme de plomb. C’est le désordre
partout en ville, les habitants n’avaient jamais eu l’occasion de voir un tel
phénomène et certains prient pour que Maldeï reviennent ; avec sa puis-
sance, elle serait capable de remettre tout en ordre et de se débarrasser de
cette statue trop gênante.
Durant toute la nuit, la femme de plomb a marché dans la ville pour trouver
tout ce qui rappelait Maldeï. Au matin tous peuvent la voir rentrer au palais.
Les gardes la suivent jusque dans l’appartement privé de Maldeï et la regar-
dent se coucher dans son lit, comme si elle était humaine. Beaucoup se

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questionnent, mais certains se disent que Maldeï n’est peut-être pas si puis-
sante que ça. De cette nuit mouvementée, le doute s’installe dans la ville.

Mais il n’y a pas qu’en ville que le doute s’installe ; dans le vaisseau de
Maldeï, un homme commence à s’éveiller et douter de ce qu’il croyait être.
Le virus de la révolte commence à s’installer dans les rangs de l’impératrice
de l’univers et un pas est franchi. Lorsque Jacques a reçu d’Adiban un bai-
ser, c’était celui de l’éveil…

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VISITE SUR TERRE
Il ne faut pas longtemps au vaisseau de Maora pour arriver
en périphérie du système solaire. Le grand vaisseau ne s’approchera pas de
la Terre, afin de ne pas se faire remarquer. Wendy et Maora amèneront
Axelle et son père jusqu’à l’école de Keuramdor, et pour rester discret, ils
viendront la nuit.
Le vaisseau contient des petits appareils comme celui que Jacques avait pris
pour venir sur la planète. Ils sont un peu serrés à quatre, mais la petite fille
ne prend pas de place. Ils ont la position exacte que Steve leur a confiée.
Tous prêts, ils décollent de derrière Jupiter, et il ne leur faut qu’une heure
pour arriver au-dessus de l’atmosphère. Repérant la France, ils entament
une descente en douceur, et c’est au bout d’une demi-heure qu’ils arrivent
au-dessus de l’école. Il doit être deux heures du matin et il est certain que
tous dorment. Steve indique la zone où ils pourront se poser sur la propriété.
Wendy s’apprête à se poser lorsqu’une alarme lui indique qu’un champ de
force protège toute l’école. Steve est étonné, il n’y avait rien de tel lorsqu’il
est parti. D’après Wendy, ils devront se poser devant l’entrée de l’école, le
champ de force s’arrête là. C’est ce qu’ils font. Steve connaît bien les lieux,
alors il sort pour sonner, il se doute qu’il réveillera Noèse.

Noèse dort quand elle entend la sonnette retentir dans toute la maison ; elle
se demande bien ce qu’il se passe et qui peut bien sonner aussi tard. Elle se
dit que ceux qui sont à la porte devront avoir une bonne raison, sinon elle
leur fera entendre sa voix. Elle se lève en espérant que ses enfants ne seront
pas réveillés. Elle s’habille rapidement et prend ses clefs. Mais comme le
champ de force interdit de rentrer ou de sortir, elle doit réveiller un des el-
fes. Elle frappe à la porte de Cadmall.
⎯ Excuse-moi de te réveiller, il y a quelqu’un qui n’arrête pas de son-
ner à la porte. J’aimerais que tu m’accompagnes si je dois le faire rentrer.
Elle entend du bruit dans la chambre, puis la porte s’ouvre et l’elfe com-
mence à râler :
⎯ Y en a qui pourraient trouver un autre moment pour venir ; la nuit,
c’est fait pour dormir. Bon, c’est d’accord, j’arrive, attend que je me pré-
pare.
Il sort, les cheveux complètement en pétard et un pull-over mis à l’envers.
⎯ On n’en a peut-être pas pour longtemps, si ce sont des mendiants ou
des skieurs égarés, on leur donnera un bol de soupe avant de les laisser re-
partir.
Tous les deux marchent jusqu’au grand portail ; dans le noir, on ne voit pas
grand-chose. Le champ de force que les elfes ont créé autour de l’école ne
laisse pas passer les pensées, sinon Noèse aurait déjà deviné qui est derrière.

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Il n’y a que quelques mètres mais elle entend des voix qui ne lui sont pas
étrangères. Lorsqu’elle ouvre une première porte pour voir qui est derrière,
sa tête se met à tourner, son cœur se met à battre fort et des larmes lui mon-
tent aux yeux.
Elle a devant elle Axelle, sa fille avec Steve son époux, accompagnés de
deux femmes semblant sympathique. Aussitôt, elle demande à Cadmall de
désactiver le champ de force et elle ouvre la seconde porte. Axelle se préci-
pite dans les bras de sa mère, Steve arrive derrière. Moment d’affection
inévitable, mais Noèse pense aux deux femmes restées en arrière :
⎯ Rapprochez-vous, venez vous réchauffer.
Wendy demande à ranger son appareil dans la cour, ce que lui accorde
Noèse et quelques minutes plus tard, ils sont tous dans le grand salon. Doo-
ra se lève et se précipite vers son amie Wendy qu’elle a quittée depuis plu-
sieurs mois. Pour tous, les retrouvailles sont intenses. Maora donne des
nouvelles de Némeq, le mari de Doora, parti à la recherche des survivants
des autres mondes. Wendy demande aussi des nouvelles de son amie Yéniz.
Doora lui raconte leur rencontre avec la future présidente des Etats-Unis, le
plus puissant pays du monde, et la chance malgré ses malheurs, pour Yéniz
d’être devenue son amie, voire sa confidente. Cela l’intéresse car avec ce
que prépare Maldeï, il faudra des alliés sérieux sur la Terre. Doora lui pro-
pose :
⎯ Veux-tu que nous lui téléphonions, elle sera heureuse de t’entendre ?
⎯ J’aimerais bien, mais nous sommes pressés.
⎯ Si tu veux, tu peux lui téléphoner à l’hôpital, c’est au 305-212-2500,
demande Mia Ericsson. Wendy ne comprend pas ce qu’elle veut dire sur le
coup, mais quelle importance, l’essentiel est que son amie aille bien.
Autour d’une tasse, ils se racontent leurs aventures, cette fois, Axelle n’est
pas mise de côte, bien au contraire et elle leur raconte comment au début
elle s’est retrouvée devant la terrible Maldeï. Elle leur dit avoir été prise en
charge par Néni, une femme très exceptionnelle. Steve a aussi vécu quantité
d’aventures et vu d’innombrables choses qui n’existent pas sur la Terre.
Maora qui vient de l’espace ne connaît pas Noèse et aurait, elle aussi, beau-
coup à raconter mais, elle est seulement venue raccompagner Axelle et son
père sur leur planète et ne souhaite pas rester car de l’autre côté de Jupiter,
son grand vaisseau l’attend ainsi qu’une autre mission, toujours pour lutter
contre l’infâme Maldeï qui semble vouloir préparer l’invasion de la Terre
dans peu de temps.
⎯ Hélas, je ne peux rester avec vous, les membres de mon vaisseau
m’attendent et, surtout, j’ai un très jeune enfant aussi, que je n’ai pas pu
emmener jusqu’ici. Nous devons repartir vers Elvy, la planète où se trouve
notre ennemie ; il y a parmi nous des membres qui souhaitent retourner là-
bas pour aider leurs frères prisonniers. Mais, je sais que nous nous retrouve-

92
rons.
Cela écourte la conversation, mais tous comprennent Maora. Ils raccompa-
gnent Wendy et Maora jusqu’à leur engin et les regardent repartir.

Dans leur petit vaisseau, les deux femmes regardent la planète s’éloigner
sous leurs pieds, avec un pincement au cœur de ne pas avoir pu rester plus
longtemps. Hélas, il leur faut toujours se battre contre un ennemi qui semble
mettre en place un plan de conquête tout autour d’elle. Les sept planètes du
monde de Lunisse semblent avoir été visitées et préparées à la façon de
Maldeï. Sur Elvy, les hommes et les femmes qui y vivent semblent être
devenus des serviteurs sans raison ; c’est pour cela que certains membres de
l’équipage souhaitent retourner là-bas pour réveiller leurs frères et sœurs.
Leur voyage de retour ne prend que quelques minutes, et une fois arrivées
au grand vaisseau, elles retournent au poste de pilotage pour décider de la
suite de leur voyage. Hennas les attend avec impatience :
⎯ Je commençais à m’inquiéter pour vous, j’ai trouvé votre voyage un
peu long !
⎯ Tu exagères Hennas, ça ne fait que quelques heures que nous som-
mes parties. Pourquoi dis-tu cela ?
⎯ En fait, nous avons un problème et c’est un peu pour cela que je vous
attendais.
Wendy et Maora se regardent, et Wendy demande :
⎯ Nous ne sommes pas nombreux, qui peut nous faire problème ?
⎯ Les autres membres souhaiteraient voir de plus près la Terre. Telle-
ment près, ce serait dommage ne pas y aller !
⎯ Mais, nous devons retourner jusqu’à Elvy comme prévu. Qu’en pen-
ses-tu, Hennas ?
⎯ Eh bien, moi je suis un peu de leur avis.
Maora se retourne vers Wendy et la regarde. Elle-même fait un léger plis-
sement de bouche qui semble dire la même chose que les autres membres.
⎯ Tu sais, Maora, je pense qu’il serait bon d’aller retrouver Yéniz, ça
lui ferait plaisir de me voir, et en même temps, nous pourrions lui donner un
peu d’aide.
⎯ Je ne sais pas si les terriens verront d’un bon œil que l’on arrive avec
nos vaisseaux. Il faudrait rester discret, nous sommes quatorze plus Neovy,
il nous faut au moins quatre vaisseaux comme celui que nous avons pris
pour ramener Axelle et son père. Là-bas, les hommes sont très organisés, il
faut des papiers d’identité pour être en règle, l’armée est assez puissante
dans le pays où se trouve notre amie ; il faudrait prendre nos précautions.
Pour ma part, je resterai ici avec mon bébé, ce n’est pas prudent de le pren-
dre avec nous. Wendy, veux-tu être la responsable de cette expédition ?
⎯ Je te comprends, l’enfant est bien mieux ici, là-bas, je ne sais même

93
pas dans quelles conditions nous serons reçus ?
⎯ Pour ma part, je pourrais tous vous aider si vous le souhaitiez.
⎯ Comment ça, Delfiliane ?
⎯ J’ai le pouvoir de vous transporter où vous le souhaitez sur la Terre,
cela fait partie de mes attributs.
Dgoger leur raconte comment sur Elvy, dans un espace libre, elle peut se
déplacer comme les tornades le font en soulevant des arbres et des maisons.
Chacun reste étonné, sans comprendre.
⎯ Tu pourrais tous les transporter sur des kilomètres ?
⎯ Bien sûr Maora, je l’ai fait avec Clara et son ami, Christopher, lors-
qu’ils m’ont retrouvée sur Glacialys !
⎯ Nous pourrions déposer nos engins dans un endroit inaccessible et al-
ler jusqu’à l’hôpital où se trouve ton amie Yéniz ?
⎯ Sans aucun problème, Wendy.
⎯ Nous ne resterons pas très longtemps, ensuite nous partirons jusqu’à
Elvy, c’est promis Maora !
Tous font un sourire à Maora, sachant que Wendy prend en main les opéra-
tions. Elle a une grande expérience, tout le monde le sait.
⎯ Je vais préparer notre départ. J’ai entendu dire qu’autour de la Terre,
il y a un satellite qu’on appelle la Lune. Je pense que nous devrions poser
notre vaisseau sur la face cachée et partir de là. Nous ne serions qu’à dix
minutes de la planète, comme ça, s’il y a un problème, nous pourrions ren-
trer très vite. Te sachant ici, je serai plus tranquille ; s’il y a un problème, tu
ne seras pas loin.
⎯ Tu sais que vous pouvez compter sur moi !
Wendy, accompagnée d’Hennas, prend les commandes du vaisseau. Pour ne
pas se faire remarquer si un observateur regardait dans son télescope, ils
dessinent dans le ciel un grand arc pour arriver sur le satellite par l’arrière.
Dans les dernières centaines de milliers de kilomètres, ils ont la Terre der-
rière la Lune ; sage précaution pense Wendy. Enfin, dans l’obscurité de
l’astre, ils se posent sur le désert poussiéreux du satellite. Tous se préparent
maintenant. Dagmaly est très heureuse de pouvoir aller sur la Terre, et Tari-
na, dans le cadre de ses études d’astrophysique, est heureuse de pouvoir
observer cette planète de près. Dgoger se propose de veiller sur l’ensemble
des membres. Sur Terre, il saura toujours se défendre contre d’éventuels
agresseurs, s’ils leur cherchent des problèmes.
Enfin, tous se placent dans les quatre petits vaisseaux et prennent le départ
vers la Terre. Comme leur amie Yéniz est à New York, ils pensent se poser
dans les environs de la ville. Wendy ne doute de rien, elle n’a pas l’habitude
de venir sur cette planète qu’elle pense néanmoins un peu sous évoluée.
Rapidement, les quatre engins arrivent au niveau de la stratosphère, après
avoir croisé quelques satellites artificiels. Loin de se douter que leur petite

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escadrille pourrait être repérée, les appareils descendent directement vers la
ville. Les petits vaisseaux sont à la taille de grosses limousines américaines,
sur les radars de l’armée, ils sont vite remarqués. Lorsque qu’ils arrivent en
périphérie de la ville, un escadron d’avion de chasse arrive sur eux. Hennas,
le plus expérimenté des pilotes, les voit arriver, car ils naviguent à une vi-
tesse réduite. Wendy pensait se poser tranquillement sur un terrain vague,
pas loin d’une décharge qu’elle avait repérée de l’autre côté de la ville, dans
le New Jersey, mais ça semble raté. Il faut faire vite et s’échapper. Aucun
des pilotes des quatre engins n’est paniqué, mais juste un peu surpris ; ils ne
s’attendaient pas à voir des engins volant sur cette planète, de surcroît, assez
agressifs. Il n’est pas le temps de chercher à se battre avec eux, mais l’heure
est à fuir, pour ne pas trop attirer l’attention. Dans le seul appareil radio
encore branché, Dagmaly entend des mots étranges, dans une langue qui lui
semble inconnue. Ils disent d’une voix autoritaire :
⎯ IDENTIFIEZ-VOUS, SUIVEZ NOS APPAREILS ! VOUS ÊTES
DANS UNE ZONE SÉCURISÉ, VOUS NE POUVEZ PAS SURVOLER
LA VILLE. PREMIÈRE SOMMATION AVANT QUE NOUS FASSIONS
FEU SUR VOUS !
Ces mots étranges tournent vite dans sa tête ; elle ne les comprend pas au
début, mais instinctivement, elle arrive à les traduire. Aussitôt alarmée, elle
dit à tous :
⎯ Vite, il faut fuir ; ils vont nous tirer dessus !
À travers le communicateur, tous entendent ; alors Hennas dit :
⎯ Suivez-moi, nous dégageons !
Les cinq pilotes dans leurs chasseurs F16 ont juste le temps d’armer leurs
missiles, que les quatre engins étranges disparaissent aussitôt.
Ayant pris de l’altitude, Delfiliane conseille finalement de se poser dans une
région vers le Nord du globe ; dans les zones polaires, ils risquent moins
d’être repérés. Dans sa tête, Wendy se demande si c’est vraiment une bonne
idée de rendre une petite visite à une des leurs, mais c’est maintenant trop
tard pour faire marche arrière.
Remontant vers la nuit, ils aperçoivent une terre presque entièrement blan-
che que l’on appelle le Groenland. C’est la nuit polaire là-bas, mais Delfi-
liane les rassure et leur dit que c’est le seul endroit où ils pourront laisser
leurs vaisseaux en sécurité. Certains imaginent déjà le froid qu’il peut y
régner, mais Wendy leur répond avec un petit sourire :
⎯ C’est une visite touristique, nous l’avons choisi.
Enfin, les engins se posent sur un bord de terre sans glace, ce qui leur assure
de pouvoir retrouver leurs appareils au retour. Tous stabilisés sur le sol, les
hommes se demandent comment si loin de leur but, ils pourront arriver jus-
qu’à destination.
Delfiliane demande à tous de se retrouver dehors, après avoir veillé à pren-

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dre quelques affaires et bien verrouiller leurs petits vaisseaux. Lorsqu’ils
sortent, il fait froid, de plus ils n’ont pas prévu de vêtements polaires. Delfi-
liane est immunisée contre le froid et elle s’amuse un peu ; le seul problème
c’est qu’elle est seule à rire. Mais elle ne perd pas de temps. Elle demande à
Wendy où elle veut aller. Elle lui répond : New York. Alors, Delfiliane leur
demande de se regrouper rapidement à plusieurs mètres de leurs vaisseaux.
Lorsqu’ils sont tous prêts, elle se met à tourner autour d’eux de plus en plus
vite, si bien qu’elle finit par s’envoler et se transforme en tornade. Ce n’est
plus qu’un vent violent qui les entoure, et comme une de ces trombes mor-
telles, telles qu’ils les connaissent en Alabama, ils décollent tous d’un coup.
Comme un tourbillon invisible ils traversent le ciel si vite que moins d’une
heure plus tard, le vent formidable et magique les pose dans un parc. Au
loin, ils voient des immeubles très hauts comme ils n’en ont jamais connu
chez eux. Ils sont tous sonnés, ils ne comprennent pas vraiment ce qui leur
est arrivé et Delfiliane rit encore. Pour la discrétion, c’est un peu raté, car ils
ne sont pas seuls, mais aucun des badauds autour d’eux ne les remarque.
Wendy reprend ses esprits et, bien rétablie sur ses jambes, elle regarde au-
tour d’elle pour savoir où elle se trouve. Plus loin, elle voit un panneau lui
indiquant qu’elle est à Central Park, dans la ville de New York. C’est
l’après-midi, et il fait froid ; Wendy pense alors à ce que lui avait dit Doora
la veille, et elle se souvient du numéro de téléphone :
⎯ Ne paniquez pas les amis, je vais téléphoner à Yéniz !
Elle se rappelle le numéro de téléphone que lui a donné Doora. Elle se ques-
tionne ;
« Un téléphone, qu’est-ce que c’est ? »
Elle regarde autour d’elle, comprend que c’est un appareil pour communi-
quer. Effectivement, elle voit des hommes, des femmes avec un curieux
petit boitier dans lequel ils parlent. Oh bien sûr, sur Lunisse il y avait des
communicateurs portables pour pouvoir appeler ceux qui sont restés dans
les vaisseaux spatiaux, mais en général, on communiquait par télépathie
dirigée, c’est-à-dire qu’on pouvait se mettre en liaison avec ceux à qui l’on
voulait parler sans aucun appareil. C’était tout à fait normal avant ; avant le
grand changement. Wendy n’a pas eu l’occasion de communiquer par télé-
pathie depuis bien longtemps. Voyant ces appareils dans les mains de ces
individus, elle comprend qu’il lui en faudrait un.
Elle fixe attentivement un de ces téléphones, si fort, que lorsque la personne
se retourne, son appareil lui glisse des mains et en un vol express, arrive
jusqu’à Wendy. Sur le coup, elle ne comprend pas, mais elle s’aperçoit vite
que c’est elle qui l’a attiré jusque-là. Elle se questionne et se demande si sur
la Terre, elle n’aurait pas des pouvoirs inattendus. La personne à qui appar-
tient le téléphone s’étonne de sa disparition, car il n’y a personne autour
d’elle ; elle serre les poings de rage et en criant au scandale, elle repart

96
vraiment sans rien comprendre.
Wendy prend avec attention le téléphone. C’est pour elle tout nouveau et
elle se questionne.
« Comment ça marche cet engin ? »
Elle voit à l’intérieur des touches avec des signes qu’elle ne comprend pas
sur le coup. Dagmaly, qui est bien plus jeune qu’elle, regarde et lui dit :
⎯ Ce n’est pas compliqué, ces signes doivent être des chiffres, c’est
évident. Moi, je crois que le premier en haut à gauche doit être le un ; tu
suis les autres et tu comptes jusqu’à dix, ou plutôt, zéro !
Wendy la regarde, étonnée, mais elle se dit que les jeunes sont bien plus
doués que les vieux. Bien qu’elle ait quarante-cinq ans, pour cette adoles-
cente, c’est une vielle. Si sur Terre chacun d’entre eux a de nouveaux pou-
voirs, il est clair que Dagmaly attire à elle l’influx de la planète et les pen-
sées des jeunes ; c’est certainement pour cela qu’elle comprend le manie-
ment de cet appareil.
⎯ Tiens, prends-le et fait le numéro pour moi ; c’est le 305-212-2500.
lorsque tu auras une personne au bout, demande à parler à Mia Ericsson,
c’est le nom Yéniz sur Terre.
⎯ OK !
Encore une fois, ces deux lettres assemblées font une drôle d’impression
aux oreilles de Wendy, mais elle comprend que cela veut dire "D’accord".
Elle compose avec aisance le numéro et entend une femme au bout. Parlant
l’américain à la perfection, au grand étonnement de tous, elle demande :
⎯ Hello, I would like to speak to Miss Mia Ericsson!
L’instant d’après, elle parle avec une personne en se présentant. Elle re-
garde Wendy et lui tend le téléphone.
⎯ Allo, Mia ! C’est moi, Wendy.
À l’autre bout du téléphone la personne semble fort surprise. Mais, la
conversation s’installe vite. À la fin, après avoir raccroché Wendy dit aux
autres :
⎯ Il faut que je la retrouve à l’hôpital, demain, elle le quitte pour aller
dans une autre ville. Elle aura un appartement dans une ville appelée Was-
hington. Son amie, la présidente, doit être investie dans les jours prochains,
elle déménage avec elle.
Dagmaly a déjà vu sur la carte qu’ils ne sont pas très loin à pied ; juste une
heure. Tous sont d’accord et partent vers l’hôpital. Effectivement, l’heure
d’après, ils sont arrivés devant le grand bâtiment, avec sa large façade et ses
passerelles qui traversent la route. Wendy demande à ses amis de l’attendre
dans le hall, treize personnes pour une visite, c’est bien trop. Elle se pré-
sente à l’accueil et on lui indique l’accès pour son amie…

Devant la chambre, elle hésite un instant, se demandant ce qu’elle aura à lui

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dire. Elle frappe légèrement et entend une voix lui dire d’entrer. Ouvrant la
porte, elle trouve une amie totalement changée, elle ne la reconnaît que par
son regard et son sourire.
⎯ Entre Wendy, comme ça me fait plaisir de te revoir ! Comment vas-
tu, comment as-tu fait pour arriver jusqu’ici ?
⎯ Yéniz, je suis si heureuse de te retrouver, Doora m’a appris ce qui
t’est arrivé ! On est venus sur la Terre avec le vaisseau Instant-Plus qu’une
des nôtres, Maora, a réussi à dérober à Maldeï.
Elle lui raconte avoir raccompagné sur Terre Axelle, un enfant kidnappé par
Maldeï, et être repartie. Enfin son désir de la revoir et l’envie des membres
de voir la Terre de plus près.
⎯ Ici, je m’appelle Mia, c’est le seul nom avec lequel tu dois
m’appeler.
⎯ D’accord. Je suis encore surprise de ton changement, lorsque je suis
entrée dans la chambre, je ne t’ai pas vraiment reconnue. Sur ton visage il y
a des choses qui ont changé et ta coiffure est si différente ; je ne t’imaginais
pas blonde !
⎯ Pour la coiffure, c’est Aqualuce, pour le visage, c’est le maquillage
que j’emploie. Tu veux essayer ?
⎯ Euh, non merci.
⎯ Oh ! Si tu restes là, tu verras, c’est assez agréable de se farder le vi-
sage, j’y prends plaisir chaque jour !
⎯ Certainement, mais dans l’espace, on n’a pas vraiment le temps.
J’aimerais que tu me racontes comment tu as eu la chance de pouvoir deve-
nir amie de la présidente du pays ?
⎯ Doora a dû te dire que c’est grâce à la balle qui a traversé mes pou-
mons. En fait, je suis convaincue que le hasard n’était pas là lorsque ça c’est
produit, d’ailleurs, la balle s’est étrangement arrêtée avant le cœur.
Avec Hillary, nous avons immédiatement sympathisé, et quelque chose
s’est produit entre nous deux. Je ressens en elle son passé et elle a découvert
en moi un nouveau destin, elle ressent les mêmes sentiments que moi, nos
âmes se sont mises à l’unisson, comme si nos cœurs étaient liés. Je ressens
ce qu’elle pense, et c’est la même chose pour elle. Comme c’est bientôt
l’être le plus puissant de la planète, il ne faudrait pas que ça se sache.
⎯ Tu la vois régulièrement ?
⎯ Au moins une fois par semaine, mais ça va changer car demain, je
quitte l’hôpital pour rejoindre Washington. Là-bas, elle m’a trouvé un lo-
gement pas très loin de la Maison Blanche, sa future demeure, elle prendra
ses fonctions dans deux jours. Elle m’a trouvé du travail auprès d’elle ; je
serais une de ses secrétaires. C’est un tout petit poste, mais cela me permet-
tra de discrètement la conseiller. Elle sait déjà qu’une invasion se prépare et
lorsqu’elle aura tous les pouvoirs, elle commencera à prendre des disposi-

98
tions. Mais je pense qu’elle ne se rend pas encore compte de ce que pourrait
être une invasion si Maldeï venait sur Terre.
Sait-elle ce qu’est l’espace avec toutes les forces qu’on y rencontre ? A-t-
elle une idée de ce que les Lunisses ont accumulé comme connaissances
depuis qu’ils ont quitté Atlantide ?
⎯ Je ne pense pas ; nous parlons de beaucoup de choses ensembles
mais ça reste très théorique.
⎯ J’ai une idée. Elle est un peu folle, mais pourquoi pas ; peut-être que
ça pourrait aider notre cause !
⎯ Dis-moi !
⎯ Si nous l’emmenions quelques heures dans l’espace, nous pourrions
lui présenter des mondes étranges et merveilleux ; lui montrer notre puis-
sance et les limites de l’univers. Il est certain que lorsqu’elle reviendra, elle
ne verra plus jamais le monde comme on peut l’imaginer.
⎯ Ton idée peut être bonne ; il faut trouver l’occasion de le faire.
C’est juste à cet instant que le téléphone sonne dans la chambre de Mia.
⎯ Hello… Yes…
I prepare. By…
C’est fou, il suffit que tu arrives pour qu’elle vienne à ce moment.
⎯ Comment ça ?
⎯ Hillary est dans l’ascenseur, elle arrive dans moins de cinq minutes
et comme d’habitude, deux de ses gardes du corps vont entrer dans la
chambre pour voir si je n’ai pas caché une bombe sous mon lit.
⎯ Mais ils vont me voir !
⎯ Ce n’est pas un problème, ils contrôleront juste que tu n’as pas
d’armes avec toi.
En effet, quelques instants plus tard, deux hommes très costauds frappent et
entrent dans la chambre.
⎯ Bonjours Mia, tu vas bien ?
⎯ Je partirai demain. Tu viens voir si j’ai caché une bombe comme
d’habitude?
⎯ Ouais !
⎯ Ce n’est pas moi qui l’ai mise, cette fois, c’est mon amie Wendy !
⎯ C’est une amie à toi ?
⎯ On ne s’était pas vues depuis longtemps.
⎯ Excusez-moi, Madame, mais je vais être obligé de faire une fouille
qui peut vous déplaire, mais il est de notre devoir de prendre le maximum
de précautions.
⎯ Si c’est obligatoire, faites-le.
Alors que le deuxième garde fait la fouille de la chambre, le premier passe
d’abord le détecteur sur tout le corps de Wendy, puis fait une fouille au

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touché qui peut être moins agréable. Il sort d’une des poches le téléphone
portable, l’examine puis le rend. Après s’être faite palper de la tête aux
pieds, Wendy se détend et l’homme leur dit :
⎯ Bien sûr, qu’il n’y a rien ici. Je vais dire aux autres de laisser entrer
Madame la présidente.
⎯ Excusez-moi encore, Madame.
⎯ Vous faites votre travail, c’est normal.
Les deux hommes ressortent et Hillary Rodham entre dans la chambre.
⎯ Alors, comment va Mia ?
⎯ Je vais bien, Hillary, et comme je sors demain, c’est encore mieux !
⎯ Excusez-moi, je ne savais pas tu recevais une amie !
⎯ Non, ne t’excuses pas, c’est encore mieux que tu sois là, nous par-
lions justement de toi. Je te présente une très vieille amie ; Wendy. Elle
arrive de très très loin pour me voir.
⎯ Serait-elle aussi de ta planète ?
⎯ C’est juste ; il faut que l'on discute toutes les trois. Si tu as le temps ?
⎯ J’ai le temps, je l’ai pris pour te rendre visite car demain, moi aussi,
je pars pour Washington. Je voulais te proposer de monter dans l’avion qui
est mis à ma disposition, il y a de la place.
⎯ Et moi, je te propose de monter dans le vaisseau spatial que Wendy a
à sa disposition, il y a de la place !
⎯ Comment ça ?
⎯ Mon amie est venue me voir alors qu’elle était à des centaines des
milliers de kilomètres. Elle a sous la main le vaisseau spatial le plus rapide
de l’univers et elle peut nous emmener au bout de l’espace. Son vaisseau est
si rapide qu’il ne lui faut que le temps d’un clignement d’œil pour traverser
la galaxie !
Hillary la regarde avec des yeux incrédules, elle ne sait pas si elle dit la
vérité, elle sait bien que les meilleurs scientifiques du monde sont très très
loin de s’imaginer de telles technologies ; elle a déjà assisté à des séminai-
res de grands savants qui se posent la question de savoir si mathématique-
ment, il est possible d’aller plus vite que la lumière. Les vaisseaux spatiaux
terrestres peuvent aller peut-être à cinquante kilomètres seconde, alors tra-
verser une galaxie en une seconde, soit cent cinquante mille années-lumière,
autant dire que les terriens ne sont même pas à l’état embryonnaire, à ce
stade !
Elle réfléchit un peu et dit :
⎯ Je pars demain à Washington, mes gardes du corps sont derrière la
porte, comment voulez-vous que je puisse faire un tour dans l’univers ?
Wendy réfléchit, puis regarde Hillary :
⎯ Est-ce que vous pouvez disposer de trois heures dès maintenant ?

100
La présidente réfléchit, puis regarde sa montre. Elle s’excuse et prend son
téléphone pour appeler un de ses conseillers. Elle discute un petit instant
puis raccroche.
⎯ J’ai trois heures devant moi, mais je ne peux sortir de cette chambre,
il faudra vous contenter de me raconter ce que vous avez vu là-haut.
⎯ Trois heures, c’est ce qu’il nous faut. Nous ne resterons pas dans
cette chambre, je peux vous assurer que ce sera suffisant pour vous faire
faire un voyage impossible !
Même Mia regarde son amie Wendy avec des yeux tout ronds.
⎯ Comment vas-tu faire pour sortir de la chambre sans te faire remar-
quer ?
⎯ Mon amie Delfiliane va venir nous chercher, je la contacte immédia-
tement.
Wendy ne se souvenait plus qu’elle pouvait communiquer par télépathie, et
elle prend contact avec son amie restée à l’accueil. Ça marche et se sur-
prend elle-même. Elle lui demande de la rejoindre en passant par la fenêtre,
mais de laisser ceux qui le souhaitent visiter la ville durant les trois heures
que durera son voyage.
Tous les hommes sont satisfaits de pouvoir librement visiter la ville et Del-
filiane informe de son arrivée.
Wendy ouvre la fenêtre de la chambre et demande qu'on s’écarte d’elle.
L’instant d’après, un souffle d’air s’engouffre dans la chambre et sur le sol,
trois femmes apparaissent ; c’est Delfiliane, Dagmaly et Tarina. Elles se
relèvent.
⎯ Il n’y a que les hommes qui ont voulu visiter la ville, j’ai amené avec
moi nos deux amies.
Hillary a déjà le souffle coupé de voir trois femmes débarquer comme ça
d’un coup, par la fenêtre. Dagmaly ressent sa pensée et lui dit :
⎯ T’inquiètes pas madame, Delfiliane est capable de beaucoup plus,
c’est super de voyager avec elle. Il faut pas avoir peur, c’est juste un peu
surprenant.
⎯ Excusez-moi, jeune fille, j’en suis convaincue, mais je dois informer
mes gardes du corps qui sont sur le palier que j’en ai pour un long moment
et que je ne veux pas être dérangée.
Elle franchit la porte un instant vers ses agents, et rentre immédiatement.
⎯ Hillary, il faut y aller, mais je te conseille tout de même d’enfiler
quelques-uns de mes vêtements, car ton tailleur risque d’être froissé au re-
tour !
La première dame du monde n’hésite pas, elle fait une immense confiance à
Mia et elle se change en moins de deux minutes. Elle ressort du cabinet de
toilette avec un jean, un pull en laine rose et des converses aux pieds ; elle
ressemble à une jeune femme de soixante ans !

101
⎯ T’es super, Madame, tu me ressembles !
Elle fait un large sourire à Dagmaly, et à cet instant, Wendy l’invite à se
préparer à partir.
Delfiliane, se met alors à tourner autour d’eux et se transforme en un nuage
de glace et de fumée. Elle est une mini tornade, et lorsque le vent et la glace
recouvrent les quatre femmes, le nuage se soulève et s’engouffre par la fe-
nêtre. L’air est si rapide que personne ne remarque le nuage qui s’éloigne
dans le ciel. En quelques instants, elles ont traversé le nord des USA, le
Canada et le Groenland ; enfin, le nuage étrange se pose au pied d’un des
vaisseaux qui est déjà recouvert de neige. Delfiliane apparaît devant les
quatre femmes décoiffées. Hillary titube un peu, pas du tout habituée à ce
type de transport.
⎯ Tu vas bien, Hillary ?
⎯ Ça va, mais j’ai le tournis, c’est si étrange de faire un tel voyage,
emportée par le vent !
⎯ Si tu vivais avec nous, il faudrait t’habituer à des tas de changements.
Nous sommes très en avance d’un certain point de vue, les choses naturelles
ont toujours primé dans notre vie. Je devrais dire que les Lunisses sont éco-
logistes par rapport à leur technologie.
⎯ Ne restez pas ici, vous allez attraper la mort. Entrez dans le vais-
seau !
Hillary découvre un petit vaisseau spatial, pas plus gros qu’une voiture,
bien qu’il n’ait rien à voir avec ce véhicule. L’intérieur est prévu pour qua-
tre, mais leur voyage ne va durer que quelques minutes ; Dagmaly s’assiéra
sur les genoux de Tarina.
En effet, Wendy prend les commandes du vaisseau et décolle ; si vite que
trois minutes plus tard, elle est déjà derrière la Lune et descend vers
l’immense vaisseau. Hillary découvre avec un émerveillement si considéra-
ble que personne ne peut lui enlever les yeux qui regardent à travers le hu-
blot.
Maora est déjà informée de leur arrivée et a ouvert le sas de réception.
L’engin s’engouffre à l’intérieur et se pose. Les grandes portes se refer-
ment, c’est alors que Tarina déverrouille l’engin pour débarquer. Ils sont
arrivés dans le grand vaisseau. Hillary en est bouleversée. Dans sa tête, elle
se demande ce qui se passe. Sur Terre, elle est arrivée à la plus haute mar-
che qui soit ; être présidente des États-Unis. Dans quelques jours elle
contrôlera l’armée la mieux équipée, détiendra le pouvoir atomique entre
ses mains ; elle sera alors considérée comme l’être incontournable et le plus
puissant de la planète. Et pourtant…

Pourtant, elle découvre vraiment qu’elle n’est pas seule dans l’univers avec
les citoyens de la Terre. Si ces cinq femmes autour d’elle sont en mesure,

102
avec leur engin, de détruire le monde en moins de quelques secondes, ou de
l’emmener à l’autre bout de l’univers, à quoi sert d’être l’homme ou la
femme la plus puissante ?
Toutes ces questions se bousculent dans sa tête et peut-être la déstabilisent-
elles ?
Maora, qui vient l’accueillir comprend son tourment :
⎯ Hillary, vous devez savoir que le plus puissant des hommes de
l’univers, celui qui est capable des plus grands pouvoirs sur la matière et les
hommes, n’est pas en mesure d’aider le plus petit des enfants. Pour cela, il
faut avoir une connaissance bien différente du monde, de l’univers, de la
vie. Mia et Wendy m’ont expliquée leur but en vous emmenant ici. Je vais
tacher avec elles de vous montrer le véritable état de l’univers et de la cons-
cience de l’homme à travers le macrocosme. Ce vaisseau va vous faire cir-
culer dans des endroits absolument pas conventionnels. Nous avons exac-
tement deux heures quarante-cinq pour vous faire faire une visite de cin-
quante milliards d’années. Êtes-vous prêtes et d’accord pour le faire ?
Dans sa tête, il y a une demi-heure, elle était loin d’imaginer un tel voyage,
mais, pour sa fonction prochaine et pour mieux aider l’humanité, comme les
circonstances sont vraiment plus qu’exceptionnelles, elle se dit :
« Pour guider le monde un président aussi puissant doit, connaître les plus
grands secrets ; cette expérience pourrait changer l’humanité ! »
⎯ Pour tous les hommes de la Terre, oui, je suis prête !
⎯ Alors, Hillary, accrochez-vous, nous allons vous montrer la position
de la Terre dans la galaxie. Nous partons.
Avec ses amies, Maora, guide la présidente vers le poste de commande du
vaisseau. Dès qu’elle arrive, la voix de Dogami l’accueille :
⎯ Bienvenue, madame la présidente, je suis la conscience de ce vais-
seau et en même temps son mécanicien. Je ferais en sorte que tout le voyage
se passe pour vous dans le plus grand confort. Mon amie, Maora, veut vous
montrer la galaxie, je vous y emmène immédiatement. Madame, je vous
invite à valider le voyage en appuyant sur le bouton vert clignotant, devant
vous.
Un peu impressionnée, elle s’avance, hésitante et appuie…

Elle voit la surface de la Lune, comme à l’époque de la conquête spatiale


d’Apollo, puis rapidement, se dégageant de l’astre, elle voit la Terre à peine
éclairée par le Soleil, puis l’engin accélère et le soleil rétrécit ; d’une balle
de tennis, il devient un point brillant qui disparaît bien vite dans un amas
d’étoiles, et bientôt, la galaxie entière apparaît sur l’écran de contrôle. En-
fin, l’engin se stabilise pour sembler ne plus bouger.
L’homme invisible qui se dit être la conscience du vaisseau dit alors :
⎯ Vous êtes arrivée, Madame.

103
⎯ Mais, je ne comprends pas, j’ai l’impression de ne pas avoir bougé ?
⎯ C’est que dans ce vaisseau, rien ne bouge, c’est l’univers qui se dé-
place autour de nous.
Maora lui explique rapidement comment ils se déplacent dans l’espace.
Mais Hillary a un doute car sur un écran vidéo, on peut monter n’importe
quoi.
⎯ Venez avec moi, je vous emmène dans la sphère d’observation, vous
vous rendrez compte par vous-même.
Alors elles montent un escalier qui donne sur une sphère faite d’une matière
transparente comme du vers, d’où l’on peut voir en direct le grand spectacle
de l’espace. De là, elle peut regarder la galaxie, un peu comme on la voit
sur des représentations sur Terre, à la différence que la galaxie est bien
moins lumineuse que sur les photos. Elle en fait la remarque à Maora qui lui
confirme que de la hauteur où ils sont, ils ne peuvent recevoir la lumière de
toutes les étoiles. Le soleil nous renvoie des rayons qui sont ceux de l’âge
où l’homme commençait à peine à domestiquer le feu.
⎯ De là où nous sommes, tu n’existes pas encore et aucun de nous !
⎯ Comment ça ?
⎯ J’entends bien pour la lumière qui nous parvient.
⎯ La galaxie n’a pas tout à fait la même forme que ce que j’ai
l’habitude de voir !
⎯ Il faut te dire que depuis la Terre, même avec vos meilleurs télesco-
pes, vous ne pourrez jamais voir l’univers tel qu’il est.
⎯ Tout à l’heure, vous me parliez de cinquante milliards d’années,
alors que les astrophysiciens nous parlent de vingt-quatre ou vingt-cinq
milliards d’années d’existence de l’univers.
⎯ Nous on te parle de l’existence de l’univers, pas de distance. Nous
sommes d’accord pour dire qu’il y a eu une catastrophe universelle qui a
créé notre monde, mais jamais les astres n’ont voyagé à la vitesse de la lu-
mière. Au tout début, la matière n’existait pas, il n’y avait qu’un champ
d’énergie fait d’un mouvement conscient, équivalent à la conscience que
nous possédons. Je ne sais pas pourquoi, mais celui-ci s’est déchiré et ex-
plosé en s’échappant dans une sorte de sphère. Les premiers instants, ce
n’était que lumière qui s’en échappait. Mais en dehors de sa sphère de vie,
cette lumière s’est densifiée et les premiers atomes se sont créés. En se den-
sifiant, leur vitesse s’est réduite et c’est pour ça que la dimension de
l’univers est moins grande que celle de son âge.
⎯ Mais on pourrait voir le début du monde, comme on voit le soleil d’il
y a deux cent mille années ?
⎯ Pourquoi pas, mais pour cela, il faudrait se placer au centre de
l’univers.
⎯ L’univers a un centre ?
104
⎯ Oui, le centre du temps, là où toutes les lumières se rejoignent depuis
que le monde existe.
⎯ Et c’est loin ?
⎯ Qu’en penses-tu, Wendy ?
⎯ Je crois que la Voie Lactée est située à dix-neuf milliards d’années
lumière du centre.
⎯ Peut-on y aller ?
⎯ Hillary, je crois qu’il nous reste deux heures et demie avant de reve-
nir à l’hôpital.
Dogami, le penseur du vaisseau intervient :
⎯ Pour cette distance, compte tenu des calculs, il faudra quatre minu-
tes ; j’espère que cela vous conviendra ?
⎯ Qu’en penses-tu, Hillary ?
⎯ On a encore le temps, Mia.
⎯ Alors, on y va !
⎯ Madame, vous pouvez appuyer sur le bouton, comme tout à l’heure !
Une fois de plus Hillary Rodham met en route l’engin, mais cette fois, tout
se met à bouger autour d’elle, les murs et les appareils semblent fondre,
comme s’ils étaient dans un four. Durant ces quatre minutes, il est impossi-
ble de communiquer avec qui que ce soit, comme si l’espace et le temps se
mélangeaient et qu’ils étaient en train de se confondre avec la matière de
l’espace. Les corps de chacun ont presque disparu et plus rien ne laisse en-
visager qu’ils puissent redevenir ce qu’ils étaient. Mais quand le temps du
voyage est passé, tout reprend instantanément sa place. L’engin est arrêté,
chacun est encore là, et tout semble normal.
⎯ Vous êtes arrivés, nous sommes au centre temporel de l’univers.
Les écrans s’ouvrent et laissent voir l’extérieur ; un grand néant, pas une
lumière, pas une étoile.
⎯ Je ne comprends pas, que s’est-il passé, pourquoi rien n’apparaît au-
tour de nous, pourquoi le vaisseau a-t-il paru fondre ?
Maora questionne le CP et Dogami ; la réponse est très rapide :
⎯ Nous avons passé la barre dynamique du temps en franchissant le
centre. Nous avons quitté l’espace de l’univers classique, nous sommes
dans un autre univers. Si nous sortions de notre vaisseau, nous nous dématé-
rialiserions, c’est une certitude.
⎯ Mais quel est cet univers ?
⎯ Je crois que nous avons dépassé toutes les limites, nous sommes
peut-être dans le tout ; ce que je nommerais l’éternité, le monde de
l’origine.
⎯ Mais pourquoi serait-il vide ?
⎯ Peut-être parce que nous l’avons quitté et que nous naviguions dans

105
l’espace-temps à la recherche de notre vraie nature. Regarde, le chronocris-
tal est figé, le temps semble fixe ici.
⎯ Qu’est-ce qu’on peut faire dans ce monde ?
⎯ Trouver notre vraie nature, libérer notre âme et notre conscience qui
sont les feux créateurs de l’univers.
⎯ Je suis la présidente des Etats-Unis, que dois-je faire ?
⎯ Oublier qui tu es, comprendre ce qui vit en toi. Tu as voulu venir ici
et le "ici" t’accueille à sa façon.
⎯ Mais Dieu, dans tout ça ?
⎯ Mais Dieu, c’est toi ! Dieu est moins puissant que le Président des
Etats-Unis, alors, fait quelque chose pour lui.
⎯ Pourrais-je rentrer chez moi ?
⎯ Pas avant d’avoir changé le monde.
⎯ Mais, il n’y a aucun monde autour de moi !
⎯ Si, à toi seule, tu es un monde.
C’est à cet instant qu’Hillary perd connaissance. Elle est alors emmenée
dans une chambre et allongée sur un lit ; c’est là qu’elle subit une transfor-
mation vraiment impressionnante…
Durant ce moment intemporel, son corps se transforme comme s’il faisait
marche arrière. Elle redevient un enfant si petit qu’à la fin, alors que Maora
revient dans sa chambre pour voir comment elle va, elle trouve un bébé qui
a encore son cordon ombilical autour de lui. Les bijoux, la montre, son al-
liance ont glissé, faisant partie d’une autre vie. Quelle surprise pour elle,
c’est un nouveau-né qui réclame déjà son repas ! Vite, Maora découvre sa
poitrine et lui présente son sein que l’enfant trouve immédiatement. Le re-
gard de cet enfant est curieux, il paraît avoir déjà un long et lourd vécu et
une force s’en dégage. Ses traits réveillent bien ceux d’Hillary avant qu’elle
ne perde connaissance. Maora n’est même plus étonnée de voir cette femme
redevenir enfant. Elle sait que l’enjeu est grand pour l’humanité, et que le
parcours de cette femme en fait partie. Il faut vite lui donner les soins né-
cessaires et elle avertit les autres. Vite, on lui coupe le cordon venu de nulle
part et on lui fait prendre un bain pour la laver. La mère de l’enfant serait-
elle la mère de l’humanité ? Personne ne peut véritablement comprendre
dans l’instant mais Maora, proche de son premier enfant, en a une idée.
Comme elle a des vêtements pour Neovy, elle les lui met et maintenant,
comme elle est la seule à avoir du lait, la voilà mère intérimaire d’un nouvel
enfant. Plus tard, Mia vient la voir et lui demande :
⎯ Que doit-on faire avec elle ? Il n’est plus temps de retourner sur
Terre, les trois heures sont peut-être passées, peut-être as-tu raison, nous ne
sommes plus dans le même espace. Le chronocristal est resté sur la même
heure et si tu venais voir, l’espace vide a changé. Le vaisseau est posé sur
une planète d’où ressort un décor étrange. J’ai l’impression que c’est la vie

106
d’Hillary qui l’a dessiné ; tu verras. Maora finit de porter les soins à ce nou-
vel enfant. Comme il s’est endormi, elle le couche dans un berceau proche
de sa chambre, puis elle rejoint Mia à l’entrée du vaisseau.
La planète sur laquelle elles se trouvent n’est pas un astre de l’univers
connu, c’est comme un monde à part. Dans le ciel, il n’y a pas de soleil,
bien qu’il fasse jour et que le ciel soit bleu. Autour du vaisseau, il y du ga-
zon, comme fraîchement tondu, et un large ruisseau fait couler une eau lim-
pide, un lit de sable est dans son fond. Plus loin, une mer ondulée de légères
vagues laisse se reposer l’esprit et une odeur d’iode touche les narines. Des
arbres au feuillage abondant font de l’ombre sur le sable et dans le ciel des
oiseaux volent, semblant porter le bonheur. Des fruits extraordinaires pous-
sent partout sur le sol ; cet endroit est si merveilleux qu’il semble impossi-
ble de vouloir aller ailleurs. Mais plus loin, à des kilomètres, on aperçoit des
immeubles si hauts qu’on dirait New York au loin. Du reste, Mia paraît
reconnaître la ville, mais elle semble posée comme un décor.
⎯ Que penses-tu faire, Maora ?
⎯ Rester là tant qu’il le faudra.
⎯ Mais dans quarante-huit heures, elle doit être investie présidente !
⎯ Mia, il n’y a pas de temps ici. Ce monde est celui de son âme et c’est
là qu’elle doit se découvrir ; nous passerons avec elle le temps nécessaire.
⎯ Une vie entière !
⎯ Pourquoi pas !

La vie s’organise dans le vaisseau reposant sur le sol de cette planète pres-
que irréelle. Hillary, le nouveau bébé se porte très bien, Maora peut allaiter
les deux enfants sans aucun problème et les autres femmes l’aident bien. De
jour en jour, la petite s’épanouit et cela rend heureuses les cinq femmes. La
petite n’a pas encore la parole, mais elle paraît communiquer avec chacune
par son regard et sa présence. Lorsque Maora la prend dans ses bras, elle en
ressent toute la maturité de son âme…

Les jours passent et bientôt, la petite Hillary se redresse et cherche à se met-


tre debout. Sur Terre, elle aurait presque dix mois. La communauté s’est
installée pour veiller à son éducation, chacune lui apporte ses connaissan-
ces. Maora reste la maman privilégiée, Wendy lui apprend par la pensée à
connaître les fluides de la vie, ce que l’on appelle les éthers. Delfiliane lui
explique que l’espace n’est pas une dimension mais un état, et c’est pour
cela qu’elle peut se déplacer n’importe où dans l’espace de la planète ; c’est
ce qu’on appelle le don d’ubiquité. Tarina lui montre les étoiles et lui ap-
prend l’espace autour d’elle, comme ça, lorsqu’elle saura marcher, elle ne
se perdra pas. Dagmaly lui apprend la révolte, afin de ne jamais se satisfaire
de son existence et toujours désirer aller plus loin, et enfin, Mia lui apprend

107
l’amour et le partage, l’indispensable pour devenir un être humble et servia-
ble…

Hillary marche depuis des mois, elle court de plus en plus vite et démontre
déjà qu’elle sera plus tard une battante. Elle a bientôt un an et demi et il faut
toujours être près d’elle car elle aurait vite fait de partir à l’aventure.
Contrairement aux femmes qui l’entourent, elle ne semble pas avoir de
pouvoir quelconque, mais si elle en avait un, ce serait celui de discerner le
vrai du faut et de toujours chercher la justice, car dans ses jeux, elle met les
couleurs sombres ensemble tandis qu’elle partage toujours avec ceux avec
qui elle joue. Son âme grandit chaque jour et le sourire l’habite en perma-
nence…

Bientôt trois ans et elle commence à parler, tandis que Neovy reste toujours
un bébé de quelques semaines qui ne grandit pas. La petite Hillary dit main-
tenant des choses de plus en plus intéressantes, comme :
⎯ Dis, Maman Maora, pourquoi la vie s’est-elle installée en moi, alors
que le sable de la plage semble mort, et pourquoi mon esprit sent-il un feu
en lui alors que mon cœur me rend une paix infinie ?
Cette enfant ressent la vie plus qu’un adulte et la part de son esprit et de son
cœur sont si intenses que déjà, elle rayonne une force de guérison autour
d’elle. Avec Hillary, les cinq femmes trouvent chaque jour des réponses
nouvelles à leurs questions…

Les années passent, Hillary a dix ans, elle est maintenant mûre pour com-
prendre plus encore les grands secrets de la vie, et c’est Dagmaly qui de-
vient sa confidente. Maora est toujours sa mère, mais un espace se fait entre
elles. De plus, comme le petit Neovy est toujours un bébé et demande beau-
coup d’attention, le contact est de moins en moins régulier. Elle apprend les
différences entre les hommes et les femmes, elle sait que d’elle peut naître
un enfant car elle est pourvue d’un pouvoir créateur. Comprendre les diffé-
rences est important, pouvoir donner aux pauvres comme aux riches est une
qualité à acquérir. À dix ans, elle doit maintenant savoir se sacrifier pour
donner aux autres la force de vivre. Une âme doit vivre pour les autres, ja-
mais pour soi, c’est la loi du monde dans lequel elle devra vivre un jour.
Dagmaly aime lorsqu’elle dit :
⎯ Lorsque j’étais grande, je ne savais pas partager ; nous, les enfants,
heureusement on n’est pas comme ça. Donner est un jeu que l’on aime,
c’est naturel, c’est pour ça que je veux rester enfant…

À vingt ans, on n’est pas comme à dix ans. On est devenu femme, même
lorsqu’on voudrait encore être enfant, on ne le peut plus. Le corps le précise

108
tous les vingt-huit jours et les jeux ne sont plus les mêmes. Hillary a quitté
Dagmaly pour rejoindre Tarina qui lui semble plus proche. Cette jeune
femme à vingt-deux ans et semble plus expérimentée. Comme elle est as-
trophysicienne, elle peut discuter des heures sur l’univers et les astres qui
semblent faire partie d’un monde qu’elle ne connaît pas. Tarina lui apprend
le cosmos de la vie, celui que personne ne peut voir, c’est-à-dire les astres
qui circulent en chacun de nous.
⎯ Tu vois, en toi, il y a un soleil comme sur la Terre ; il y a des étoiles
comme dans le ciel, et ton rôle est de les remettre à leur place, comme à
l’origine. Avant, il n’y avait qu’une étoile indivisée et qui, comme toi et
moi, avait une conscience. Regroupe les étoiles de ton être en une seule et
tu auras réalisé la reconstruction du monde. Chaque étoile est un morceau
de puzzle qu’il faut rassembler.
⎯ Que sont les étoiles de mon corps, je ne les vois pas ?
⎯ Elles sont toutes tes pensées, toutes tes qualités et tes tendances. Tout
ce qui chemine dans ta tête sont tes étoiles.
⎯ Il n’y a qu’elle ?
⎯ Non, il faut connaître l’indispensable, celle qui est dans ton cœur et
que tu dois déplacer dans ta tête pour qu’elle efface les autres.
⎯ Et lorsque je l’aurai fait, que devrai-je faire avec ?
⎯ Donner ton étoile aux autres. Si tu es vraie, tu peux réparer la vie au-
tour de toi. Il faut aimer l’homme, la nature et la vie.
⎯ J’aime tout cela, c’est le but de ma vie. Je suis née pour donner, je
me fiche du reste ; c’est mon devoir, ma mission…

À trente ans, on a déjà moins la fougue des plus jeunes, on est mûr pour
vivre des expériences plus profondes. Hillary retrouve sa mère, Maora qui
materne toujours son bébé qui n’a pas grandi depuis qu’elle est née. Elle
aussi aurait aimé materner et elle veut partager avec Maora le travail
d’élever et de nourrir un enfant.
⎯ Tu sais, Hillary, il y au fond de chacun un enfant qui sommeille et
que nous devons éveiller et nourrir. Le tien, tu l’as déjà réveillé avec Dag-
maly et Tarina, et tu l’as même mis à te diriger car il est plus sage que nous
tous. Je t’ai nourrie et tu as grandi et tu es devenue plus éveillée que qui-
conque. Bientôt, tu n’auras plus besoin de personne et tu réaliseras ton pro-
pre destin. Tu as mon âge et tu es devenue sage, c’est pour cela que tu dois
comprendre que lorsque tu auras à prendre des décisions importantes, il faut
que ce soit ton cœur qui les prenne avant ta tête. Ta tête doit devenir
l’instrument qui réalise, non celui qui décide. Ton cœur pense et ta tête agit,
c’est la règle de base des sages ; ne l’oublie jamais. Et si un jour tu as des
responsabilités importantes devant beaucoup d’hommes, répète-toi toujours
cette règle, sinon tout sera perdu.

109
⎯ Pourquoi le cœur ?
⎯ Tu le sais au fond toi car il agit déjà sur toi. C’est parce qu’il est le
contact entre toi et la réalité de l’homme universel.
⎯ C’est quoi ?
⎯ C’est un monde que les Hommes cherchent tous, inaccessible pour la
plupart car ils espèrent toujours le prendre pour eux, alors que ce monde se
découvre lorsqu’on n’a plus rien à désirer.
⎯ Si j’ai une origine, je veux la trouver pour pouvoir avancer…

Quinze ans plus tard, Hillary a abandonné Maora qui materne toujours son
bébé ; elle pense que ce n’est plus de son âge. Elle a pris en affection Wen-
dy qui a le même âge qu’elle.
⎯ Tu sais, Wendy, depuis que je vis, je ne t’ai jamais vue vieillir, ni
une de mes tantes. Même le bébé de Maora n’a jamais grandi. Moi, je
change chaque jour et dans quelques années, je serais ménopausée. Tu m’as
appris les éthers et à les contrôler aussi. Tu m’as montré comment les forces
magnétiques constituent les atomes et tous les éléments de la vie. Tu m’as
appris d’où vient la vie, grâce à toi je sais que la conscience de chaque être
est issue d’une force unique qui s’appelle Logos, je sais que nous existons
parce que les énergies sont des consciences. Mais j’ai le sentiment que tu ne
m’as pas tout dit.
⎯ Que ne t’ai-je pas appris, Hillary ?
⎯ Comment sommes-nous arrivés dans ce monde, et qu’y-a-t-il au-delà
?
⎯ Ce monde, c’est le tien, c’est ce que tu ressens de la vie et c’est ton
idéal. Ce monde est né avec toi. Il n’y a que lorsque tu seras prête à le quit-
ter qu’il changera.
⎯ J’aime notre communauté, je vous aime toutes, chacune de vous est
comme une image de moi-même. Mais je vieillis et ma vie est comme une
perfection sans but. Peux-tu m’aider à relier en moi ce que chacune de vous
a voulu m’apprendre durant toute ma vie ?
⎯ Bien sûr, mais pour cela, il te faudra encore beaucoup de patience car
ce n’est que lorsque tu seras mûre que tu pourras relier ensemble les fils de
ta vie. Peut-être te faut-il encore patienter. Mais je vais continuer à
t’enseigner.
Wendy passe près de quinze ans à lui apprendre comment passer de la ré-
volte à la raison, comment comprendre son univers intérieur, comme porter
la vie et l’amour, comment laisser son cœur penser et enfin comprendre que
la vie n’est qu’un influx magnétique dont le champ de conscience s’appelle
l’Homme et n’a rien à voir avec tout ce qui est matière. Le corps est une
prison nécessaire pour comprendre qu’entre l’univers et l’âme, l’écart n’est
que l’individualité.

110
Mais à la fin de cette initiation, Hillary, qui a plus de soixante ans demande
à Wendy :
⎯ Tu m’as tant appris, mais j’ignore toujours le but de tout ça, car dans
ce paradis il n’y a rien à changer, le monde qui m’entoure est parfait et plus
je vieillis, moins je m’y sens à ma place. N’y a-t-il pas un autre monde à
visiter ? J’ai envie de donner le reste de ma vie pour faire quelque chose qui
soit utile !
⎯ Hillary, j’ai fini de t’enseigner ; il est temps pour nous de nous sépa-
rer.
C’est à ce moment que Mia apparaît.
⎯ Mia, tu es ma famille, mon amie aussi. Je commence à vieillir,
connaîtrais-tu un monde où je puisse aller pour donner et me rendre utile ?
⎯ Ici, je ne connais que notre espace et c’est toi qui l’as dessiné. Nous
connaissons la rivière, la plage et la mer qui est face à nous. Si tu souhaites
en changer, tu devras en créer un autre.
⎯ J’aimerais que tu m’emmènes voir le fond de l’horizon, les grandes
constructions que l’on voit au loin et auxquelles je n’ai jamais prêté atten-
tion, j’aimerais les visiter. Partons tout de suite.
⎯ C’est à des kilomètres, ce sera long.
⎯ Qu’importe, allons-y si tu acceptes !
⎯ Partons. Peut-être trouveras-tu ce que tu recherches ?
Les deux femmes partent en marchant vers le fond de l’horizon. Pendant
des heures, elles traversent un désert de sable qu’elles ignoraient. Puis elles
franchissent une zone si sale qu’elles se demandent comment autant de dé-
tritus ont pu arriver sur un monde aussi pur. Enfin, avant d’arriver aux pieds
des grandes constructions, elles doivent traverser à la nage une large baie au
milieu de laquelle est plantée une statue verte tenant un flambeau dans sa
main droite. Épuisée, Hillary remonte sur la berge. Elle voit pour la pre-
mière fois de sa vie une ville, mais elle est vide. On penserait qu’elle peut
contenir des centaines de milliers d’habitants mais les trottoirs sont tous
déserts. Dans les rues, pas une voiture, pas un bus, aucun vélo. Personne.
Elles marchent longtemps, et elles arrivent à une limite où elles voient des
barrières qu’elles franchissent. Devant elles, plus d’immeubles, mais un
gigantesque tas de béton et de métal. Hillary est étonnée et souhaite
l’escalader. Mia la suit avec difficulté jusqu’au moment où Hillary s’arrête
net devant un panneau géant où est inscrit "Ground Zero".
Elle reste pétrifiée, elle titube et des larmes lui coulent de ses yeux. Son
corps se raidit, elle en perd presque l’équilibre. Mia, restée en arrière, se
précipite vers elle et la retient juste avant qu’elle ne bascule plus bas sur des
poutres métalliques et tranchantes.
⎯ Que t’arrive-t-il, ça va ?

111
⎯ C’est mon monde, il faut que j’y aille. Je dois rejoindre cette ville,
elle existe quelque part dans l’univers, cela me revient, j’ai l’impression
qu’une autre mémoire s’installe en mon être. Là-dessous, il y a des milliers
de cadavres, la plus grande misère du vingt-et-unième siècle. C’est ma ville,
c’est mon peuple, c’est mon pays, c’est ma planète, c’est mon univers !
⎯ Tu te rappelles ?
⎯ Oui, de tout ; du 11 septembre 2001, c’est toujours aujourd’hui une
plaie ouverte. Deux vies se croisent dans ma tête ; celle avec toi et mes tan-
tes et celle avec Bill après que nous ayons quitté la Maison Blanche. Je
pleure d’autant plus qu’à cette époque, lorsque les tours se sont effondrées,
j’étais incapable de comprendre pourquoi et de savoir agir avec efficacité.
Avec ce que vous m’avez appris, j’aurais fait autrement ; les forces que
vous m’avez montrées m’y auraient aidée.
⎯ Tu aurais fait différemment, mais tu n’as pas fait moins bien.
Les deux femmes font le tour des ruines pour se recueillirent et s’arrêtent
une dernière fois en regardant l’ignoble catastrophe. Hillary revoit en elle
tout son passé et son origine.
⎯ Il faut que je retourne sur Terre, mon peuple m’attend ! J’ai compris
tout ce que vous m’avez appris ; il est temps.
Alors, Mia serre fort Hillary dans ses bras pour la réconforter. Le travail
dans ce monde est peut-être terminé.
Autour d’elles, tout semble se désagréger, le monde d’Hillary devient
comme incertain, Mia l’avertit :
⎯ Il faut vite rentrer au vaisseau, je pressens des changements. Ne per-
dons pas de temps !
C’est à cet instant que le petit vaisseau qu’ils avaient pris pour retourner sur
la Lune arrive à leur vertical ; Maora est aux commandes. Il descend et se
pose.
⎯ Comme je suis heureuse de vous retrouver, il y a du changement,
montez vite !
Les deux femmes grimpent rapidement, puis le vaisseau repart pour rejoin-
dre le transporteur spatial. Maora leur explique :
⎯ J’étais près du poste de pilotage du vaisseau lorsque j’ai vu que le
chronocristal s’était remis en marche. Il indiquait l’heure de la Terre lorsque
nous nous étions posées il y a plus de soixante ans. Regardez, celui de ce
vaisseau est à la même heure.
En effet, depuis qu’il s’est remis en marche, il indique 21h 30, 18 janvier
2009, soit deux heures et demie depuis leur départ de la chambre d’hôpital.
⎯ Comment ? Il ne nous reste que trente minutes pour revenir ! C’est
trop juste, Maora, il ne faut plus perdre de temps !
⎯ Je crois qu’on a le temps, si Dogami se prépare.
Pendant leur retour vers le vaisseau, l’espace autour d’elles se transforme.

112
Derrière elles la ville disparaît et le ciel s’assombrit. Lorsqu’elles arrivent
au vaisseau, le sable et la mer ont totalement disparu. Elles n’ont que le
temps de s’engouffrer dans le vaisseau qui referme ses portes juste derrière
elles. À peine arrivées, le cosmos change autour du vaisseau et d’un coup se
retrouve à sa position d’arrivée, c’est-à-dire au centre du temps. C’est là que
toutes peuvent voir ce qu’était l’univers de l’origine ; suite à une explosion
formidable, des nuées blanches entourent le vaisseau.
Maora ne se laisse pas impressionner par la vision de ce feu d’artifice. Elle
demande à Wendy :
⎯ Il ne faut plus perdre de temps, il nous reste quinze minutes, il faut
prendre le risque d’aller sur la Terre directement avec notre vaisseau !
Puis se retournant vers Delfiliane, elle lui demande :
⎯ Si notre vaisseau est dans la stratosphère, sauras-tu nous emmener
jusqu’à la chambre de Mia ?
⎯ Pour pouvoir vous transporter jusque-là, il me faut de l’eau et de
l’air, sinon je ne peux pas.
⎯ Bien, nous descendrons en basse altitude si c’est nécessaire ; en-
tends-tu Wendy ?
⎯ Ne t’inquiètes pas, je nous ferais discrètes, le vaisseau ne se verra pas
plus qu’une mouche sur un radar.
⎯ Bon, ça va. Mets la propulsion en marche, il ne faut plus perdre de
temps, nous avons vingt milliards d’années lumières à parcourir !
Mia propose à Hillary :
⎯ Viens avec moi, on va s’installer dans la sphère d’observation pen-
dant le voyage. Nous regarderons la route de l’univers.
Toutes deux montent dans la bulle et s’y installent, lorsque l’engin se met
en route. Durant les cinq minutes que dure le voyage, elles observent toute
la création de l’univers matériel comme un film devant leurs yeux.
La nuée blanche consécutive à l’explosion majeure se disperse et
d’innombrables concrétions de lumière se forment en se dispersant les unes
et les autres. Puis, l’effet de gravité se fait valoir et les paquets se rassem-
blent et bientôt les galaxies apparaissent. Le vaisseau va si vite que la lu-
mière n’arrive que par saccades. Enfin, les galaxies sont si nombreuses
qu’on ne peut plus les compter. Mais le vaisseau ralentit déjà, si bien que
les galaxies semblent loin et à la surprise d’Hillary, elle reconnaît mainte-
nant la Terre du départ ; elles sont toutes arrivées.
⎯ Vien vite, Hillary, nous ne devons plus perdre de temps, remontons
au poste de commande, il faut rentrer !
Dans le poste, Maora leur demande de descendre jusqu’à la porte du vais-
seau la plus proche. Sur le chronocristal, il est vingt heures cinquante-six.
⎯ Dépêchez-vous nous n’avons plus beaucoup de temps !
Delfiliane, Mia et Hillary, qui doivent repartir, se dépêchent de rejoindre la

113
sortie tandis que Wendy fait traverser au vaisseau géant, l’atmosphère.
Tout devient calme d’un coup autour d’elles et la porte s’ouvre. En dessous,
c’est l’océan dans la nuit. Le froid pénètre dans le sas où elles se trouvent et
Mia regarde Hillary. D’un coup, elle s’exclame :
⎯ Mais tu n’as plus les bijoux, l’alliance et la montre que tu avais au-
trefois ! Il faut les retrouver, sinon tes gardes du corps vont le voir.
Hillary n’a plus la mémoire de sa tenue de départ, et encore moins ce
qu’elle portait. Ça fait trois heures sur le chronocristal, soixante ans dans la
vie qu’elle a passée avec celles qu’elle appelle ses tantes.
⎯ Viens avec moi, il faut les retrouver !
Toutes deux courent vite jusque dans la chambre de Mia, qui avait gardé
précieusement les petits accessoires de la future présidente. Hillary les re-
met en vitesse puis redescend vers la sortie. Maora les attend.
⎯ Le temps est passé ; je viens avec vous. Delfiliane, emporte-nous !
En se penchant au bord de la porte, Hillary voit sous ses pieds le vide, mais
elle n’a pas le temps de réfléchir qu’un souffle l’emporte avec les autres.
Un tourbillon invisible et rapide traverse le ciel de la planète et fonce au-
dessus de New York vers une fenêtre d’hôpital. Les rideaux volent, les
draps du lit tournent autour de la pièce. D’un coup, les quatre femmes se
retrouvent étalées sur le sol. Elles se relèvent, Mia redresse Hillary et
s’assure qu’elle va bien.
⎯ Attends un peu, il faut que je te recoiffe, et n’oublie pas de remettre
ton tailleur.
Elle se change et Mia lui passe les mains dans ses cheveux, tout va bien,
pense-t-elle.
⎯ Mia, je ne peux pas refranchir cette porte, j’ai dans ma tête deux vies
qui se mélangent ; c’est la confusion totale ! Maintenant que je suis là, je
me rappelle ma deuxième vie, plus que de la première, celle d’un cœur ac-
compli et d’une âme libérée. Je ne peux devenir présidente, il faut tout arrê-
ter !
Maora se doutait déjà du problème, c’est pour cela qu’elle les a accompa-
gnées, elle sait ce qu’elle a à faire :
⎯ Hillary, regarde-moi dans les yeux, je vais t’aider.
Elle se rapproche et la regarde. C’est alors que Maora lui prend délicate-
ment le visage et lui dit en la fixant de son regard :
⎯ La mémoire du jour s’efface et pénètre les profondeurs de ta cons-
cience. Tu ne te rappelles plus de la vie du dehors de l’espace alors que ton
cœur s’en souvient. Tu es Hillary Rodham, future présidente.
Les yeux d’Hillary sont dans le brouillard, l’esprit s’est échappé un instant,
elle est figée au milieu de la pièce et ne bouge pas. Maora se détache d’elle
et se retourne vers Mia :
⎯ Je lui ai effacé sa mémoire, elle ne se souvient de rien depuis qu’elle

114
est partie. Nous devons vous quittons, il ne faut pas qu’elle nous trouve
avec toi ici, seule Wendy reste. Réveillez-la lorsque nous serons parties,
avec un peu d’eau sur son front, elle ouvrira les yeux à ce moment.
⎯ À quoi a servi la vie vécue avec nous, si elle ne s’en souvient plus ?
⎯ Trois heures qui peuvent changer l’humanité. Lorsque tu l’as amenée
jusqu’à moi dans le vaisseau et que nous avons bondi au-delà du temps, elle
a vécu intégralement une vie d’âme. Elle a goûté à la vérité. Son cœur s’est
transformé pour la vie, il est maître en elle, sa tête n’est plus que serviteur
d’une vie qui ne connaît la vérité. Face à ses ministres, ses généraux, elle
saura quoi faire parce que c’est son étoile intérieure qui la dirige ; c’est ce
qu’elle désirait. Devant Maldeï, elle sera bien plus forte. Mia, reste avec
elle, parfois, elle aura besoin de ton aide, tu lui es indispensable.
Delfiliane, peux-tu nous ramener auprès des hommes, nous devons partir !
Mia lui fait un signe.
⎯ Mon cœur est avec vous deux, gardez courage !
Dans l’instant, les trois femmes disparaissent. Mia reste avec Hillary et
Wendy, elle la regarde un instant, fixe comme une statue. Puis elle va dans
son cabinet de toilette et ramène une serviette mouillée et lui pose sur le
visage. Aussitôt, Hillary réagit et ouvre les yeux.
⎯ Mais qu’est-ce que tu fais avec cette serviette sur mon visage ?
⎯ Oh ! Je t’avais tachée avec mon maquillage, sur le front, j’ai trop ap-
proché mon visage du tien.
⎯ Je ne me souviens plus, ni même ce que j’ai pu te dire avant ; c’est
bizarre, j’ai comme un immense trou de mémoire dans mon crâne. Je ne
sais pas, quelque chose en moi a changé. Je ne peux pas te dire quoi, mais
c’est changé.
⎯ Quoi donc ?
⎯ Je ne sais pas, mais j’ai l’impression de sentir une voix dans mon
cœur, c’est étrange, je ne l’avais jamais remarquée avant.
⎯ Dans la vie, chaque jour on découvre en soi de nouvelles possibilités,
c’est pour cela que nous sommes des êtres humains. Tu as un cœur qui ne
fait pas que battre dans ta poitrine, mais il te parle lorsque tu dois l’écouter.
⎯ Et il me dit que je ne dois pas devenir présidente pour moi, mais pour
les autres.
⎯ Alors, cours vite prendre ta place, tu dois y réaliser ta mission !
⎯ Depuis combien de temps suis-je avec toi et ton amie ce soir ?
⎯ Trois heures à peu près.
⎯ C’est fou, j’ai l’impression que ça fait une vie entière.
⎯ Tu ne peux t’imaginer ce qu’on peut faire en trois heures.
⎯ Des fois, on peut refaire le monde !
⎯ Je te jure, c’est ce qu’on a fait !

115
⎯ Tu rigoles !
⎯ Tu verras.
⎯ Tu prends l’avion avec moi, demain ?
⎯ D’accord, si tu m’emmènes à l’autre bout de l’univers avec !
⎯ Lorsque je serais présidente, ce sera un autre univers.
⎯ Je viens.
⎯ Demain, mon chauffeur vient te chercher, je vous quitte…

Dans le bas de l’hôpital, un groupe de femmes et d’hommes presque ordi-


naires voient un cordon d’hommes faire barrière devant l’ascenseur. Les
portes s’ouvrent, une femme semblant être très importante en sort. Elle est
raccompagnée jusqu’à sa voiture blindée et disparaît dedans. La voiture
s’en va et tout semble redevenir normal ; sauf qu’elle a à ses pieds une paire
de converses jaunes…

⎯ On a bien travaillé, on peut rentrer chez nous. Vous venez ?


Tous hochent la tête et ils repartent vers Central Park.
Un peu plus tard, ils sont tous dans le grand vaisseau et les hommes ra-
content ce qu’ils ont vu dans la grande ville. Comme Mia, Wendy, ils sont
devenus amoureux de cette planète et aimeraient tous y rester.
Un peu plus tard, Dagmaly vient voir Maora qui s’occupe de son enfant
dans sa cabine :
⎯ S’il te plaît, Maora, explique-moi ce que j’ai vécu pendant toute la
période où Hillary a vécu avec nous, je l’ai élevée, je l’ai vu grandir, vieil-
lir. J’ai vécu soixante ans avec elle. Le temps s’est passé comme une vie
entière, pourtant je reviens au point de départ et moi, je n’ai pas vieilli
comme elle. Que dois-je faire de tout ce passé ?
⎯ Range-le dans un tiroir pour le raconter à tes petits-enfants plus tard.
Viens me voir, je vais te soulager.
Elle dépose son enfant dans le berceau et prend Dagmaly dans ses bras et la
serre très fort. Celle-ci verse une larme, et lorsqu’elle la relâche, elle ne se
souvient plus des années passées avec Hillary. Seul reste le souvenir d’une
femme qui partage avec elle un cœur commun qui s’appelle Amour…

Un peu plus tard, toute l’équipe prend la direction d’Elvy…

116
RENCONTRE SPATIALE
Direction Unis, mais le voyage sera long car la planète est
à près de quarante jours de voyage et cela représente un temps inestimable
pour ces trois femmes. Aqualuce se demande si elle n’a pas surestimé la
quête dans laquelle elle s’est engagée. Elle en est à la moitié de sa gros-
sesse, cela commence à se voir, et pour elle, à se sentir. Lorsqu’elle était sur
Terre il y a quelques jours, elle n’y pensait plus car là-bas, les distances se
comptent en heures, pas plus. Mais voyager dans l’espace, même si elle y
était habituée autrefois, dans ces circonstances, c’est bien différent. Jenifer
et Timi y pensent moins parce qu’elles n’ont pas de véritable famille ail-
leurs, et surtout elles n’ont pas une échéance obligatoire dans quatre mois et
demi. Elle sait qu’au jour où ses enfants naîtront, elle ne pourra plus être un
soldat de la lumière comme elle le disait à Jacques le premier jour de son
départ. Aqualuce monte au poste de pilotage pour observer les étoiles filer à
travers la verrière virtuelle. Chacune s’occupe à sa façon ; Jenifer, qui est
une grande mathématicienne, fait des équations afin de trouver la relation
entre tous les espaces visités depuis leur départ et pense trouver ce qu’elle
cherche si elles accrochent encore d’autres systèmes insolites. Pour sa part,
Timi a emprunté à Aqualuce son iPod pour écouter de la musique.
Fixant le ciel, elle ne ferme pas les yeux ; à la vitesse où elle circule dans
l’espace, elle voit les étoiles bouger comme de la pluie. Tout se passe dans
une routine si linéaire que ses yeux sont comme hypnotisés, mais lorsque
que le CP l’informe de la présence d’un vaisseau spatial dans sa trajectoire
dans moins de deux heures, elle se redresse pour savoir ce qui va lui arriver
dessus. Retrouvant tous ses réflexes de pilote et de chef, elle manipule avec
une grande agilité tous les instruments pour comprendre. C’est au bout de
quelques instants que le CP dévoile les caractéristiques de l’engin qui fonce
vers eux :
- Appareil de secours, de petite taille. Vitesse de chute décrois-
sante, vitesse de croisement dix mille AL jour.
Aqualuce se dit que c’est impossible, aucun vaisseau ne peut atteindre une
telle vitesse et encore moins une cellule de secours. Vu la taille indiquée,
ce doit être autre chose. Quatre minutes plus tard, une autre info lui par-
vient :
- Personne unique dans l’habitacle.
⎯ Jenifer, viens vite, il y a du nouveau dans l’espace. J’ai besoin de tes
compétences mathématiques, car un engin nous fonce dessus avec une vi-
tesse impressionnante !
⎯ Montre-moi ta découverte.
Aqualuce lui montre la trajectoire virtuelle dessinée par le CP et la courbe
de vitesse de l’engin. Jenifer se met à réfléchir et se concentre sur toute la

117
trajectoire. Elle ne dit aucun mot durant des minutes, mais semble bouillir.
Elle reste debout et ce n’est qu’au bout d’une dizaine de minutes qu’elle
pense enfin à s’asseoir. Redressant la tête, elle dit enfin à Aqualuce :
⎯ Si tu veux, on peut l’attraper, nous en avons les moyens.
⎯ Tu es certaine de ce que tu dis, vraiment, c’est possible ?
⎯ Je n’ai pas eu mon doctorat de mathématique dans une pochette ca-
deau pour enfants ; ce n’est pas pour rien que j’ai toujours accompagné les
plus grandes expéditions au temps de Lunisse !
⎯ Comment comptes-tu arrêter un engin qui se balade à près de neuf
mille années-lumière jour ?
⎯ Je n’ai pas dit que j’allais le ralentir, mais c’est peut-être nous qui
devrons le rejoindre et le rattraper.
⎯ Comment ça ?
⎯ Kim, tu vas me laisser faire pour une fois et tu vas t’asseoir, je
prends la main et je te garantis que dans moins de deux heures nous pour-
rons visiter cette cellule de secours. Tu dois me faire confiance, je sais ce
que je fais.
⎯ Mais notre vaisseau ne peut dépasser les huit cents AL jour, autant
dire qu’il fait du surplace.
⎯ C’est ce que tu crois, mais en fait, je vais te montrer ce que ce vieux
coucou est capable de faire. Allons chercher Timi, il faut qu’elle voie aussi
ce que nous allons faire. Dégageons la table, je vais avoir besoin de place
pour faire mes calculs. Kim, peux-tu me sortir le diagramme de la trajec-
toire de cet engin ?
⎯ C’est pas compliqué, je vais l’imprimer sur l’écran tactile de la table,
comme ça, tu pourras même travailler dessus.
En effet, le diagramme apparaît sur la table à la façon d’un écran LCD et les
deux femmes voient que la destination finale de l’engin est la Terre. Cet
appareil est en phase de décélération d’après Jenifer, d’après elle il est pos-
sible que sa vitesse était auparavant quasiment infinie et qu’elle est en phase
finale d’approche de son objectif. Jenifer a une idée complètement incroya-
ble pour attraper un engin voyageant dix fois plus vite qu’elles et lorsqu’il
s’agit d’années lumières à la minute, on peut se demander s’il est encore
possible d’imaginer ou d’agir. Mais pour un esprit lunisse, ça n’est pas un
problème car des êtres comme Jenifer ou Aqualuce, les notions de temps et
d’espace ne sont pas à la même mesure que pour les hommes de la Terre
qui se demandent encore s’ils pourront un jour voyager au dixième de la
vitesse de la lumière et qui pensent encore que la lumière ne peut pas être
dépassée.
⎯ Je m’inquiète de savoir que cet engin se dirige vers la Terre. Jenifer,
il nous faut l’arrêter, je te laisse faire si tu as une idée !
⎯ Kim, c’est simple en fait ; nous allons immédiatement nous caller sur
118
sa trajectoire et faire comme si nous retournions vers la Terre. Au centimè-
tre près, nous allons circuler comme l’appareil qui avance vers nous et la
Terre. Le but est simple ; comme il sera sur nous dans une heure trente, son
CP va nous détecter et à la vitesse où il avance, il ne pourra corriger sa tra-
jectoire. La seule solution pour lui est de ralentir encore afin de corriger
ensuite. Mais lorsque ce sera possible pour lui, il aura notre vitesse et nous
ne serons plus qu’à deux années-lumière l’un de l’autre. Autant dire que
nous pourrons le rattraper s’il n’accélère plus.
⎯ Tu es certaine de tes calculs ?
⎯ Je n’ai pas besoin de les étaler au clair sur une plaque de cristal, mais
si je les fais comparer par le CP, je suis certaine qu’il sera d’accord avec
moi.
⎯ Vite, place notre engin sur la trajectoire, ne perdons pas de temps !
Jenifer fait les manœuvres nécessaires et donne au CP toutes les instructions
de son plan. Les résultats s’affichent et confirment les calculs faits par Jeni-
fer. Timi ne comprend pas trop ce qu’elles veulent faire mais sait qu’un
engin étrange fonce vers la Terre et qu’elles veulent l’arrêter dans sa course.
⎯ Kim, imagine que c’est un ami dans le vaisseau, il faudrait peut-être
lui envoyer un message afin de l’avertir ?
⎯ Et si c’est un ennemi ?
⎯ Mais Jenifer, Kim et Timi n’ont pas d’ennemis !
⎯ Tu as raison, nous devons essayer ?
⎯ Jenifer, tu peux mettre en marche l’émetteur pour donner le signale-
ment du vaisseau, comme ça se fait lorsqu’on voyage ordinairement dans
l’espace, restons neutres.
Tous les éléments sont placés afin de s’apprêter à prendre contact avec
l’appareil qui fonce vers eux et les trois femmes se demandent bien ce que
peut cacher le petit engin qui arrive. Les calculs de Jenifer semblent justes
car le CP indique que le petit vaisseau repéré diminue sa vitesse et qu’à ce
rythme, il arrivera sur eux avec la même vitesse.
⎯ Jenifer, si nous savons précisément ce qui arrive vers nous, il est fort
possible que dans l’autre engin, nous soyons aussi repérées avec précision.
⎯ C’est vrai, à condition que le CP soit aussi puissant que le nôtre,
mais j’en doute car l’appareil est de petite taille.
⎯ Comment feras-tu s’il accélère lorsqu’il sera près de nous ?
⎯ On peut le bloquer avec notre rayon attractif s’il est à moins de cent
mille kilomètres, et je vous propose que chacun se place pour pouvoir rece-
voir notre ami. Timi, tu peux te placer à la commande du canon éthérique,
et toi Kim, tu prendras les commandes du rayon attractif. Moi, je reste aux
commandes et avec notre communicateur. Êtes-vous d’accord ?
Comme Jenifer a pris l’initiative de cette opération, toutes approuvent. Les
minutes passent et sur la table, le diagramme de la trajectoire des deux en-
119
gins semble se confondre de plus en plus, au point que maintenant, il n’y en
a plus qu’une.
⎯ Dans cinq minutes, l’engin sera en vue dans nos mires. Aqualuce et
Timi, tenez-vous prêtes.
Enfin, le visuel apparaît et les capteurs commencent à montrer la forme de
l’appareil qui arrive vers elles. Au communicateur, toujours pas de signal et
encore moins de voix pour les rassurer. Ce qui étonne Jenifer, c’est que
l’engin qui arrive ne dévie pas d’un mètre et semble maintenant les prendre
pour cible. Si un pilote est à l’intérieur, il devrait au moins commencer à
manœuvrer pour éviter une collision. Inquiète, elle met en garde chacune :
⎯ Kim, apprête-toi à la prendre dans le rayon, Timi pointe ton arme sur
l’engin tandis que moi, je vais effectuer quelques corrections afin de sortir
de sa trajectoire !
C’est ce qu’elle fait avec précision. L’écart entre les deux appareils ne se
compte plus en années lumières mais en centaines de kilomètres mainte-
nant. Voyant l’engin étranger ne pas faire une seule manœuvre et avoir pris
la même vitesse, Jenifer demande vite à Aqualuce de mettre le rayon en
fonction ; c’est ce qu’elle fait.
⎯ Je sens qu’il n’y a aucune résistance en nous deux, je peux le rame-
ner vers nous. Dans moins de deux minutes, il sera devant la porte de notre
vaisseau.
Aqualuce dirige les opérations pour le ramener et tout se passe bien. À la
fin, les deux engins ne sont plus qu’à cinq mètres l’un de l’autre, et curieu-
sement, aucun signe de vie ne sort du minuscule vaisseau ; ce qui inquiète
Kim.
⎯ L’appareil est sous notre contrôle, je me demande pourquoi rien ne
bouge dedans ? Je pense qu’il faudrait aller voir à l’intérieur.
⎯ Mais c’est impossible, à la vitesse où nous allons, nous ne pouvons
faire aucune sortie en scaphandre ! Les moteurs éthériques nous détrui-
raient, et nous serions instantanément désintégrés.
⎯ As-tu une solution, Jenifer ? Peut-être qu’à l’intérieur se trouve un
être en difficulté ?
⎯ Il y en aurait une, mais elle est trop risquée.
⎯ Et quelle est-elle ?
⎯ Vu la distance, faire un transfert ionique entre nos deux vaisseaux en
ramenant toutes les cellules carbonées vivantes dans notre engin. C’est-à-
dire que s’il y a un être humain à l’intérieur, il sera ramené ici.
⎯ Avec quel appareil vas-tu faire ça ?
⎯ Le rayon attractif peut le faire, il suffit de le modifier en le couplant à
un pistolet éthérique. Je vais modifier les paramètres et les séquences de
champs magnétiques afin de dématérialiser celle ou ceux qui sont dedans et
les ramener à nous. Nos armes seront pour un fois créatrices, non plus des-

120
tructrices.
⎯ C’est bien ton idée, mais imagine qu’il y ait à l’intérieur un monstre,
qu’est-ce qu’on fait ?
⎯ C’est juste, il faut vérifier ce que contient cette sphère de secours.
Jenifer lance une analyse plus poussée de l’engin et bien vite, le CP montre
les images détectées. C’est un être humain de nature féminine ; de plus il
semble inconscient.
⎯ Cette personne est peut-être en danger, peut-être blessée ou malade,
c’est d’accord, fais-le transfert. Si au contraire, cet être est dangereux, je
serais obligée de le détruire.
⎯ On verra bien, écartez-vous, j’active l’appareil !
Jenifer met en marche son système élaboré de façon empirique ; presque un
bricolage avec des fils partout. Le rayon attractif focalise son activité sur
l’engin qu’ils ont capturé et à cet instant, des éclairs électromagnétiques
crépitent en tous sens. L’ensemble du vaisseau paraît ébranlé et tout com-
mence à se déformer. Plus rien ne paraît stable, le pistolet éthérique que
tient dans ses mains Jenifer s’échauffe de plus en plus, si bien qu’elle le
laisse tomber et qu’il explose dans l’instant. Un arc électrique jaillit de lui et
d’un coup, tout s’arrête. Le petit engin pris en remorque se détache net et
sur l’écran de contrôle, elles ont juste le temps de voir qu’il vient
d’exploser, mais leur vaisseau est déjà loin. Les trois femmes sont presque
choquées de ce qui vient de se passer et titubent. Elles ne peuvent plus rien
faire, il est trop tard pour pouvoir sauver celle qui devait être dans l’engin.
Mais soudain, elles entendent tousser et elles se retournent.
Sur le sol, une femme pratiquement nue est étalée, toute tremblante.
Aqualuce se précipite vers elle pour lui poser une couverture attrapée dans
un coin. Le visage de la femme est écarlate, mais elle est vivante. C’est à
cet instant qu’elles comprennent que la théorie de Jenifer a fonctionné ; le
transfert a réussi.
La femme qui vient de subir le transfert semble avoir du mal à respirer,
Aqualuce se penche sur elle pour comprendre. Voyant qu’elle suffoque, elle
demande à Jenifer de chercher la valise d’urgence. Aussitôt, elle en sort un
masque avec une bouteille de gaz pour lui faire inhaler. Quelques instants
après, la femme semble reprendre son souffle et ouvre enfin les yeux.
⎯ Ne bouge pas, on va te conduire dans une cabine.
Aqualuce attrape la femme avec ses deux amies et la conduit jusqu’à son lit.
La regardant avec attention, elle la reconnaît.
⎯ Mais tu es Adiban, l’amie avec qui j’ai fait mes études de pilotage
sur Lunisse !
⎯ Oui, Aqualuce, c’est moi.
⎯ Comment te sens-tu, que t’est-il arrivé ?
⎯ J’étais dans une sphère de secours pour rejoindre la Terre, mais je

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n’avais pas pensé que je manquerais d’oxygène immédiatement après mon
départ. J’ai dû perdre connaissance rapidement, je ne comprends même pas
comment je peux maintenant me retrouver avec toi.
⎯ L’espace n’est peut-être pas si grand que ça ! Tu sais, le hasard est
une science qui a ses règles. Tu as subi un transfert ionique afin de
t’embarquer dans notre vaisseau et ton engin a été détruit. Tu es avec deux
de mes amies. Jenifer que tu connais peut-être et Timi qui vient de la Terre.
Adiban, tu es un peu fatiguée, prends ce sédatif et repose-toi un peu, je te
prépare des vêtements pour te mettre à l’aise lorsque tu te lèveras.
Adiban prend la pilule et s’endort presque aussitôt, tandis qu’Aqualuce re-
joint ses deux amies et leur raconte pourquoi elle avait perdu connaissance.
Enfin, vu les mouvements qu’elles ont dû faire dans l’espace, elles décident
de stopper la propulsion sidérale pour faire le point avec Adiban lorsqu’elle
sera debout. Elles remettent de l’ordre dans leur vaisseau car l’explosion et
la téléportation ont fait quelques dégâts. Épuisées, elles s’arrêtent enfin pour
aller prendre une boisson réconfortante. Aqualuce a ramené de la Terre du
café qu’elles se préparent, c’est à ce moment qu’elles entendent, arrivant
dans la cuisine :
⎯ Quelle est cette odeur étrange et agréable ?
Elles se retournent et voient Adiban bien réveillée, avec une meilleure
mine. Son visage a repris une teinte plus sereine, elle s’est recoiffée ses
longs cheveux rouges en se faisant une multitude de nattes, ses yeux roses
restent insolites ; elle est toujours aussi grande, et surtout visiblement mai-
gre malgré les vêtements amples qu’Aqualuce lui a donnés. Mais Aqualuce
est néanmoins rassurée de la voir ainsi :
⎯ J’ai ramené ça de la Terre, c’est du café. Tu veux goûter ?
⎯ Cette odeur m’attire fortement, je suis tentée.
Elles se partagent le café et Adiban, qui en boit pour la première fois est
émerveillée du goût étrange. Une légère amertume, une saveur qui semble
réveiller et faire battre son cœur plus vite.
⎯ Ce breuvage est à la fois fort et doux, j’ai le sentiment qu’il me
donne du tonus !
⎯ Sur Terre, Adiban, c’est une des boissons les plus populaires chez les
adultes. C’est un excitant et en même temps un moment de partage pour les
hommes. On le boit au petit déjeuner et avec les autres en fin de repas.
⎯ Vous avez d’autres choses comme ça sur Terre ?
⎯ Il n’y a que des choses comme ça, la Terre est une planète trop ex-
ceptionnelle.
⎯ Jenifer est tombée amoureuse de cette planète depuis qu’elle y a sé-
journé, depuis elle a décidé de changer de nom définitivement.
⎯ Ah, je vois ! Ne m’y emmenez jamais, j’y resterais toujours pour y
boire du café !

122
⎯ Il n’y a pas que moi, Aqualuce, toi tu adores la musique de la Terre,
j’en ai pour preuve l’iPod que tu as pris là-bas et toutes les musiques que tu
as dedans.
⎯ C’est quoi, montre-moi.
⎯ Oh ! ça va.
⎯ Allez, fais-lui écouter Chicago.
⎯ Bon, OK.
Alors, Aqualuce met en marche son appareil et toutes écoutent :

"If you leave me now"…

Adiban, médusée, n’a jamais entendu une telle chanson, cela lui fait tourner
le cœur, elle en a presque des larmes.
⎯ La Terre. Le café et la musique. Mais qu’est-ce qu’on a été faire si
loin de notre monde depuis autant de siècles et de millénaires ? Pourquoi
Jacques n’est-il pas avec toi là-bas ? Pour quelle raison Maldeï veut-elle
détruire cette planète ? Notre planète est un univers à elle seule ; si riche
que si un jour je la rejoins, je n’aurai jamais envie de la quitter. Aqualuce, il
faut sauver la Terre ; il faut que nous parlions, j’ai des choses à te dire.

Toutes les trois se rassemblent alors autour de la table et commencent à


écouter Adiban qui leur raconte :
⎯ J’étais encore avec Jacques il y a quelques heures. Il va très bien
Aqualuce, je ne sais pas depuis combien de temps tu n’as plus de ses nou-
velles, mais je peux te dire qu’il est auprès de Maldeï et qu’il va devenir
pour elle un danger d’ici peu.
⎯ Ça fait longtemps que je n’avais plus de ses nouvelles ; la dernière
fois qu’il a été aperçu, c’était sur Terre lorsqu’il est venu prendre un enfant
pour Maldeï. Depuis, je ne sais pas ce qu’il devient.
⎯ Tu dois savoir qu’il a perdu la mémoire et qu’il ne se souvient plus
de son passé. Mais depuis ces dernières heures, tout est en train de changer.
Son passé avec toi refait surface. Maldeï l’a baptisé Bildtrager lorsqu’il est
arrivé auprès d’elle, mais maintenant, il refuse que l’on continue à l’appeler
comme ça. Il veut reprendre son véritable nom. Sur Elvy, depuis qu’il y est,
il a une amie qui s’appelle Néni. C’est une femme exceptionnelle sur tous
points de vue. Là-bas, c’est son étoile et elle est toujours avec lui dans les
moments les plus difficiles. Maldeï aurait voulu la faire disparaître, mais ça
lui est impossible, tout comme elle ne peut pas faire disparaître Jacques car
elle a mis en lui son fluide, comme si c’était son propre enfant. Elle le garde
auprès d’elle pour te tendre un piège et t’attirer vers elle. Seulement, depuis
que je l’ai rencontré, Jacques a la ressouvenance. Maldeï attend un enfant
pour dans deux cents jours environ et Jacques en est le père. Il est tout à

123
croire qu’elle l’a fait sans qu’il en ait été conscient.
⎯ On m’a informée de cela. Je ne peux lui en vouloir, la guerre que
veut mener Maldeï passe par des choses complètements incroyables.
⎯ Elle veut faire de cet enfant son successeur, il paraît que c’est un gar-
çon qu’elle attend.
⎯ Et moi, comme tu me vois, j’attends deux enfants de Jacques qui ar-
riveront à la même période.
⎯ Comment se fait-il qu’autant d’enfants soient mêlés à cette guerre,
c’est incroyable !
⎯ Nous comptons sur la nouvelle génération pour pousser les hommes
à découvrir leur véritable destin ; Maldeï y compte aussi pour étouffer les
hommes et les dominer par une nouvelle génération d’enfants qui seront à
son service. Si elle peut accomplir son plan, c’est la perte des hommes et
l’avènement des forces du mal sur l’ensemble de l’univers. Sur Terre, c’est
aussi une grande guerre qui s’est ouverte il y a bien des siècles et qui se
propage pour étouffer les grandes possibilités qui s’offrent maintenant. Une
première étape a été franchie lorsque nous sommes revenus la première fois
sur la planète, avec Jacques. Ce jour-là, un rayon de lumière a frappé la
planète sans que les hommes le voient directement, mais ce même jour,
alors que la lumière déversait son influx, les forces du mal faisaient leur
action de façon bien plus spectaculaire en créant la panique dans le monde
entier ; c’était un 11 septembre 2001, et ce jour-là une page se tournait pour
l’humanité.
Nos enfants sont sollicités par de grandes forces qui veulent les attirer vers
la partie obscure du monde en leur offrant tout ce que la matérialité peut
donner. Étouffer leur cœur est devenu le grand but d’une partie cachée de
l’humanité. C’est pour que notre monde prenne une juste direction qu’avec
mes sœurs et mes amis nous avons créé une école particulière sur Terre.
Voilà pourquoi tous les enfants sont mêlés à ce conflit.
⎯ Je comprends, je sais que Maldeï voulait créer une armée d’enfants,
mais elle a échoué ; je crois que Jacques et son amie Néni y sont pour quel-
que chose. Néanmoins, je suis inquiète pour ton époux, car si je suis ici,
c’est grâce à lui. Il a pris des risques pour me sauver car Maldeï voulait ma
mort.
⎯ Adiban, tu dois savoir que s’il est avec elle, c’est par moi. Je l’ai vo-
lontairement mis face à elle pour qu’il s’introduise dans ses sentiments et
qu’il commence à la changer. Je lui ai enlevé sa mémoire pour qu’il ne nous
mette pas en danger, et lui non plus par la même occasion. Jacques ne ris-
que rien en fait car Maldeï a en elle des traces de ce qu’elle était ; Marsinus
Andévy, une femme qui l’aimait autrefois. Et c’est cet amour qui le protège.
C’est aussi pour cela qu’elle s’est fait faire un enfant de lui.
⎯ Tu penses que Marsinus Andévy n’est pas morte ?

124
⎯ La couronne a pris possession de son âme, mais elle est encore pré-
sente en elle.
⎯ Comment faire pour la faire revenir à elle ?
⎯ Il faut lui enlever sa couronne.
⎯ C’est facile, je peux le faire.
⎯ La couronne est si chargée et si magique que dès que nos doigts
l’effleurent, elle nous prend en son pouvoir. Personne à ma connaissance ne
peut l’enlever. Il y a des années, ma sœur Cléonisse l’a fait sur Belzius, elle
en avait le pouvoir ; mais elle ne l’a pas détruite. Il faudra lui enlever et
surtout la détruire. Si c’est réellement possible.
⎯ Tu pourrais le faire Aqualuce !
⎯ Si ça m’était possible, je lui aurais déjà retirée.
⎯ Que va devenir Jacques auprès d’elle, faut-il aller le chercher ?
⎯ Jacques reste à sa place, comme je te le dis, il n’est pas en danger
pour le moment.
⎯ Mais s’il retrouve la mémoire, sera-t-il en danger ?
⎯ Non, en faisant remonter en lui ses souvenirs, il force Maldeï à faire
remonter en elle le passé d’Andévy et il ouvre en elle le doute et le conflit
en son être, et c’est son but.
⎯ En attendant, Maldeï fait de nombreuses actions immondes. Elle a
créé une île avec des femmes esclaves pour fabriquer des armes ; j’en suis
issue avec d’autres personnes qu’elle est venue chercher. Elle a pris avec
moi huit de mes amis pour nous transformer en zombis, ministres à sa fa-
çon. Elle a envoyé sur Terre un de mes amis pour regrouper des mercenai-
res pour préparer l’invasion.
⎯ S’appelle-t-il Paolis ?
⎯ Comment le sais-tu ?
⎯ Ma fille l’a rencontré dernièrement.
⎯ Il n’y a pas que lui ; elle a missionné une espionne pour retrouver les
rebelles et les détruire. Elle a mis en place un médecin qui devra préparer
des drogues pour tous les Elviens, afin qu’ils soient prêts à se battre sans
pitié ; un de mes amis est devenu chef des armées, les autres sont médecins
auprès d’elle pour que sa grossesse se passe bien. Regarde, sur mon front
est restée sa marque, le signe du serpent est toujours marqué comme un
tatouage ; je ne peux pas l’enlever, j’étais son ministre de l’armement.
Comme j’ai saboté ses vaisseaux, elle veut ma mort.
Adiban raconte alors toute son histoire depuis qu’elle a été prise sur Nata-
vi : son long séjour sur l’île de Racben, sa capture avec ses amis et les
rayons transformateurs auxquelles elle avait échappé, la visite de Maldeï sur
le site des vaisseaux, son départ avec eux pour les tests du vaisseau et sa
rencontre avec Jacques ainsi que sa fuite. Tout ce qu’elle dit apprend beau-

125
coup à Aqualuce, à qui elle permet de connaître en détail les plans de son
ennemie. Au cours de cette conversation, de nouveaux plans apparaissent
dans la tête d’Aqualuce ; de nombreux détails qu’elle ignorait aussi. Pour
elle, il paraît important de rejoindre Unis afin de préparer tous ceux qui y
sont à la guerre sur Terre contre Maldeï. Il est trop tôt pour retrouver Jac-
ques et Maldeï ; elle n’est pas prête. Il faut aller plus loin et trouver ailleurs
les réponses. Aqualuce doit connaître la source de la vie afin de savoir ce
que cache la Couronne de Serpent de Maldeï. Timi et Jenifer ont écouté
sans rien dire toute cette conversation et sentent bien qu’une page impor-
tante se tourne aujourd’hui. La liaison entre Aqualuce et Jacques se rétablit
à travers Adiban, comme si l’éclair de mémoire que Jacques a commencé à
avoir sur le vaisseau avait ouvert la voie qui a guidé Adiban jusqu’à Aqua-
luce. Les premiers éléments du puzzle de cette grande fresque commencent
à se rassembler. Alors, Aqualuce demande à Jenifer :
⎯ À combien de jours sommes-nous d’Unis ?
⎯ Attends, je contrôle les paramètres, je n’en ai pas pour longtemps, je
rejoins le poste.
Juste après, elle revient :
⎯ On a dévié lorsqu’on a intercepté le vaisseau d’Adiban ; c’est
curieux, on est à quarante-cinq jours !
⎯ Mais on fait moins bien que du surplace ; j’aurais accouché avant
d’arriver, bientôt !
Voyant Aqualuce commencer à paniquer, Adiban a une idée :
⎯ L’idée que j’ai à te proposer ne vient pas moi, mais de Jacques ; c’est
comme ça que j’ai réussi à m’enfuir. Tu sais que j’ai mis au point le vais-
seau Instant-Plus. Jacques a eu l’idée que j’applique la technique à la sphère
de secours dans laquelle vous m’avez trouvée. Je peux faire de même pour
le vaisseau dans lequel nous sommes, comme ça, tu pourras te déplacer
partout où tu le souhaites.
⎯ Avant que je perde mes pouvoirs, je pouvais me déplacer ainsi. Si tu
peux appliquer ta technique à ce vaisseau, ce serait fabuleux, nous pour-
rions gagner un temps fou.
⎯ Je vais paramétrer le CP pour mettre en fonction cette formule. Tout
est dans le programme. Je n’en ai pas pour très longtemps.
Jenifer suit de près les explications d’Adiban ; étant mathématicienne, elle
comprend vite de quoi il s’agit, et devant ses yeux intéressés, elle la regarde
écrire ses équations dans le CP et les mettre en application. Au bout de
quelques instants, le CP ayant avalé la formule, valide les nouveaux para-
mètres.
⎯ C’est bon, l’engin est prêt à t’emmener là où tu voudras, Aqualuce !
⎯ Tu es certaine, je peux diriger notre vaisseau vers Unis ?
⎯ Sans problème, tu peux le faire.

126
Alors, Aqualuce, aux commandes du CP, donne les instructions pour navi-
guer vers Unis en mode instantané et valide les instructions. Aussitôt, c’est
un écran noir qui s’affiche sur le cockpit artificiel de l’appareil ; personne
ne sent une accélération quelconque. L’instant d’après, l’image d’une étoile
et d’une planète proches d’eux s’affiche. Ils sont arrivés. La planète rouge
est verte est devant eux.
⎯ Oh ! mon Dieu ! fait Timi, impressionnée.
Les trois autres femmes se regardent en se demandant ce qu’elle veut dire.

Alors, Aqualuce se demande :


« Dieu, c’est quoi ? »…

Elle pose sur ses oreilles les écouteurs de son lecteur MP3 et écoute alors :

"Aller plus haut", interprété par Tina Arena.

Et elle reprend les commandes de l’engin en amorçant sa descente vers la


planète, sur la zone qui paraît habitée.

127
VISITE SUR UNIS
Du haut de l’atmosphère, les quatre femmes voient une
sorte de ville installée autour d’un lac étrange. Aqualuce se doute que c’est
le Puits de l’Oubli. Jacques ne lui avait jamais parlé d’une ville, elle se
doute que ce sont certainement ses amis qui ont commencé à s’organiser.
Le vaisseau entame sa descente vers la cité. C’est le jour et Aqualuce ne
tient pas à se cacher.

Araméis est vite averti qu’un engin descend sur leur communauté. Alors
qu’il est occupé à mettre au point une unité de production d’énergie, il lâche
tout pour voir qui arrive. Il n’a pas le temps d’aller contrôler dans son QG le
type d’appareil qui fonce vers eux car il le voit de ses yeux, mais aussitôt, il
est rassuré car il reconnaît l’un des vaisseaux qu’avait pris Némeq et Aqua-
luce. Comme l’un est revenu, l’autre ne peut être que celui d’Aqualuce.
Mais ce serait une nouvelle formidable si c’était elle qui revenait. Il n’a pas
trop le temps de se poser de questions car le vaisseau se pose au centre du
grand village et la porte s’ouvre. Quatre femmes ne tardent pas à sortir,
Aqualuce en tête. Trop heureux, il se précipite vers elle avec grande joie :
⎯ Je n’espérais pas te voir déjà ! La communauté va être surprise et ra-
vie de ton arrivée !
⎯ Araméis, je viens ici pour vous informer des dangers qui vous guet-
tent. Je ne vois pas Wendy, est-elle partie ?
⎯ Wendy est partie avec Maora, une de nos jeunes femmes très douée.
Elles sont parties vers la Terre pour ramener un enfant et son père que Mal-
deï avait enlevé.
⎯ Tu veux dire qu’Axelle et Steve sont rentrés sur Terre ?
⎯ À l’heure qu’il est, ils doivent être arrivés, car cette jeune Maora a
réussi à dérober le vaisseau Instant-Plus de Maldeï.
⎯ J’ai été informée du vol car nous avons avec nous une femme qui
était avec Maldeï il y a peu, mais je n’avais pas de détail sur ceux qui
l’avaient dérobé. C’est une grande victoire pour nous. Hélas, Adiban a de
sombres nouvelles et il est important que nous nous réunissions pour vous
en informer, cela vous permettra de vous préparer.
⎯ Quoiqu’il en soit, même si nous ne fêtons pas ton arrivée ici. Nous
allons te présenter la communauté qui a considérablement grandi grâce à
Némeq et Maora.
Aqualuce présente ses amies à Araméis, et lui, présente sa communauté,
issue de Persevy.
Il leur raconte toute leur aventure avant d’arriver jusqu’ici, et ensuite, tout
ce qui s’est passé avec l’arrivée de Clara et son ami, Christopher. La venue

128
et le sauvetage de centaines d’enfants de l’île de Carbokan, leur mutation en
elfes et leur départ vers les autres mondes pour aider ceux qui se trouvent en
perdition. D’un groupe de dix il y a bien des jours, ils sont maintenant plus
de deux mille cinq cents. Enfin, il raconte qu’ils ont accueilli cent cinquante
nouveau-nés venant de Natavi, ramenés par Némeq. C’est là qu’Adiban est
prise d’un malaise en entendant que tous les enfants expérimentaux de Na-
tavi sont ici. Aqualuce et Araméis la relève. Lorsqu’elle se ressaisit, ils la
questionnent :
⎯ Que t’arrive-t-il, pourquoi t’es-tu effondrée en apprenant que nous
avions sauvé tous ces bébés ?
⎯ Il y a le mien parmi eux certainement, je faisais partie de ces femmes
pondeuses à qui Maldeï avait fait subir son traitement particulier.
⎯ Il y a parmi nous Passade, une de ces femmes à qui il est arrivé cette
chose. Elle est avec son enfant, et ça se passe très bien pour elle.
⎯ Qui s’occupe des autres enfants, ici ?
⎯ Wendy les a répartis dans des familles qui s’en occupent comme les
leurs ; ils ne manquent de rien.
⎯ Une de ces familles a adopté mon enfant !
⎯ Souhaites-tu le retrouver ?
⎯ Connais-tu beaucoup de mères qui ne souffriraient pas de la sépara-
tion forcée d’avec un enfant ?
Araméis se retourne vers Aqualuce, regarde son ventre déjà bien arrondi et
lui répond :
⎯ Dès demain, je ferais faire des analyses sur tous les enfants. Il faudra
que je fasse sur toi un prélèvement pour comparer ton ADN ; un de tes che-
veux suffit.
⎯ Je serais heureuse de retrouver mon enfant, mais il serait malheureux
de le retirer de la famille qui s’en occupe aujourd’hui. Trouve l’enfant et
présente moi la famille, je verrais ensuite ce que je ferais.
Suite à cela, Aqualuce reprend la discussion pour revoir les priorités.
⎯ Si nous sommes venues ici, c’est pour nous assurer que vous soyez
bien arrivés sur Unis, puis parce qu’Adiban veut vous avertir des dangers
qui nous guettent.
⎯ Maldeï pensait avoir pris mon esprit afin de préparer la grande inva-
sion de la Terre qu’elle prévoit juste avant d’accoucher. Elle monte une
armée et elle fabrique une quantité incroyable d’armes et de vaisseaux.
⎯ Nous avons été informés de cela lorsque nous avons pu sauver les
centaines d’enfants qu’elle avait emprisonnés dans les Mines de Carbokan.
Nous nous doutons qu’elle fabrique des armes aussi.
⎯ Le plus important est qu’elle a lancé à votre recherche un commando
qui a pour instruction de vous détruire. Il faut que vous vous prépariez à sa
venue. Même si Unis a son autoprotection lorsqu’on est dessus, il est possi-
129
ble que les armes qui sont construites puissent détruire votre planète. J’étais
son ministre pour l’armement et les vaisseaux que j’équipais possèdent ces
armes.
⎯ Ça ne fait pas longtemps que nous sommes arrivés, nous avons
consacré nos efforts à construire les habitations pour notre communauté.
C’est un travail énorme, d’ailleurs j’y consacre tout mon temps, car nous
espérons que Némeq nous ramènera encore des survivants des autres planè-
tes. Il faut être prêt à accueillir le reste de notre communauté.
⎯ Tu as fait du très bon travail, Araméis, mais si je t’ai demandé de ve-
nir jusque-là, ce n’est pas pour fonder une nouvelle civilisation. Le but n’est
pas de rester ici des années, mais de nous préparer à affronter Maldeï. Dans
quelque temps, il vous faudra quitter Unis pour rejoindre la Terre. Je ne sais
pas encore si nous affronterons Maldeï là-bas, mais il faut s’y préparer.
Commencez à trouver le moyen de déplacer l’ensemble de la communauté
et armez-vous pour pouvoir résister à une attaque éventuelle.
⎯ Mais, Aqualuce, cette planète semble vraiment idéale pour nous, elle
nous donne la nourriture et les matériaux nécessaires. Nous avons la possi-
bilité de prospérer ici. Des familles se sont constituées, nous aménageons
chaque jour de nouveaux bâtiments et Némeq peut encore revenir avec
d’autres rescapés. Nous serons bientôt trois milles ici et nous avons retrouvé
nos pouvoirs lunisses. Même Fil, qui n’avait guère d’espoir au tout début,
en a retrouvé la confiance à la sortie du Puits de l’Oubli. Il a examiné de
nombreuses jeunes femmes qui semblent être fécondes. Cela nous laisse
l’espoir de peupler cette planète et d’y faire une nouvelle vie pour tous.
⎯ Est-ce ton idée ou celle des autres ?
⎯ Quelques-uns autour de moi pensent comme ça.
⎯ Je ne t’ai pas envoyé ici pour refaire Lunisse, mais pour vous préser-
ver et vous préparer. Penses-y, Wendy l’a senti et c’est pour ça qu’elle est
partie. Elle ne voulait pas se sentir prisonnière ici, elle a besoin de se don-
ner. Ne l’as-tu pas compris ?
⎯ Tu as raison, le jour de son départ, j’avais envie de la suivre, mais
depuis, la communauté a repris le dessus. Cette planète nous a donné un
don de lucidité nouveau, nos pensées ne sont plus comme autrefois, nous
vivons en harmonie avec elles.
⎯ Oui, mais regarde, les enfants qui sont arrivés par le Puits de l’Oubli,
se sont transformés et ils ne sont pas restés ; la preuve que la communauté
aussi doit se préparer à partir dans quelque temps. Je suis d’accord que tu
prépares ici de quoi recevoir les autres, mais ce n’est pas le but.
⎯ Mais où est notre place, si ce n’est pas ici, Aqualuce ?
⎯ Sur Terre.
⎯ Resteras-tu avec nous jusqu’à notre départ ?
⎯ Maldeï prépare une guerre contre le peuple de la Terre, elle le fait
130
dans le but de m’attirer à elle pour m’affronter. Je ne suis pas prête à la
trouver devant moi pour le moment. De plus, comme tu peux voir que ma
grossesse est de plus en plus évidente, il me sera de moins en moins facile
de faire des cabrioles devant quelqu’un. J’ai juste la chance qu’elle attend
aussi un enfant, je pense qu’elle ne prendra pas le risque de le perdre. Mais,
elle s’est entourée de médecins Nataviens compétents alors que je n’ai que
moi et mes trois amies pour m’aider. Tu sais que j’ai perdu pratiquement
l’ensemble de mes anciens pouvoirs. Même si j’en ai trouvé d’autres, ce ne
sont pas ceux d’une combattante. J’ai des questions en moi que je dois ré-
soudre avant de croiser notre ennemie et je ne sais pas si je pourrai trouver
des réponses ici.
⎯ Tu respires l’air d’Unis comme nous avec tes amies, comme si tu
étais déjà passée dans le Puits de l’Oubli. Si tu descendais dans le puits,
peut-être aurais-tu des réponses ?
⎯ Peut-être as-tu raison, je vais le faire, Jacques et ses amis avaient été
transformés lorsqu’ils ont fait.
⎯ Tous ont changé, Wendy et Fil l’ont vécu intensément, moi-même,
cela m’a apaisé.
⎯ J’irai lorsqu’Adiban aura pu retrouver son enfant, peut-être voudra-t-
elle me suivre avec Timi et Jenifer.
Les trois amies d’Aqualuce lui font un signe pour approuver.

Un peu plus tard, Araméis leur présente les lieux pouvant les accueillir du-
rant leur séjour, et il fait faire un prélèvement à Adiban, afin de retrouver
son enfant. Fil, qui est le médecin de la communauté, s’occupe de faire les
analyses sur les enfants pour pouvoir donner des résultats rapidement ; il lui
faudra deux jours.
Aqualuce profite de ce moment de calme sur cette planète pour faire le tour
de la communauté et rencontrer les hommes et les femmes qui la consti-
tuent. Il est vrai qu’Araméis et ses collaborateurs ont fait un excellent tra-
vail, et il faut reconnaître qu’il est méritant. Ils ont, en peu de jours, monté
une cité formidable avec les matériaux bruts de la planète et elle comprend
pourquoi Araméis s’imagine bien vivre définitivement ici. Le Puits de
l’Oubli reste devant elle un mystère, les récits de ceux qui y sont passés
l’intéressent car chacun semble y avoir trouvé ce qu’il recherchait. Des êtres
de tous âges ont vécu des moments inoubliables et leur vision de la vie en a
été changée. Dans un ou deux jours, ce sera son tour, et elle se demande ce
que pourrait lui apporter cette étape. Ses amies, Timi, Jenifer et Adiban ne
s’imaginent rien, mais elles semblent toutes attirées par le Puits de l’Oubli.
Pour Aqualuce, l’envie de rester quelque temps sur cette planète commence
à se faire jour, elle n’est plus si réticente qu’au début. Finalement, Araméis
a peut-être raison, ce monde est peut-être une solution. Elle profite de Fil

131
pour faire quelques examens concernant sa grossesse ; celui-ci le fait et la
rassure ; tout va bien. Elle attend comme à sa première grossesse une fille et
un garçon, et ils ont bientôt cent quarante-huit jours, ce qui correspond à
bientôt cinq mois sur la Terre. Fil lui recommande néanmoins de faire très
attention car les voyages successifs pourraient lui provoquer des contrac-
tions qui peuvent parfois être dramatiques pour ses enfants. De plus, si elle
est loin de tous hôpitaux où d’autres lieux spécialisés, des enfants prématu-
rés ne pourraient survivre. Aqualuce en est consciente et se dit que si elle
est enceinte, ce n’est pas par hasard. Alors, Fil lui donne une potion qui
peut l’aider parfois si elle se sentait fatiguée ou que des douleurs se fai-
saient sentir.
Le lendemain, Fil retrouve ses amies car il croit avoir retrouvé l’enfant.
⎯ Salut Aqualuce, bonjour Adiban, j’ai une bonne nouvelle ! Il semble
qu’un des enfants soit le tien.
⎯ Il te semble seulement ?
⎯ Non, en fait les résultats des tests sont certains, tu as un garçon de
juste un mois, ses parents adoptifs l’ont appelé Dorker. Lorsque je te re-
garde, c’est vrai qu’il te ressemble.
⎯ Les as-tu informés, sur le fait que je puisse être sa mère ?
⎯ Dès que je leur ai parlé de test, ils m’ont demandé pourquoi et je leur
ai dit. Adiban, je tiens à te rassurer, ils comprennent bien la situation. Je
leur ai déjà dit que tu es leur mère et ils sont prêts à te le rendre.
⎯ Je regrette que tu les aies informés, j’aurais préféré le leur dire moi-
même ou, peut-être ne leur aurais-je rien dit. Je ne sais pas encore si je suis
capable d’être une maman.
⎯ Peut-on voir l’enfant, Fil ?
⎯ Bien sûr Aqualuce, si vous le souhaitez, je peux vous conduire à
eux ! Ils sont sur les constructions du haut de la colline, nous en avons pour
moins de dix minutes.
Ils partent tous les trois jusqu’à la maison multiple où habitent plusieurs
familles. Araméis a préféré les mettre au même endroit pour faciliter leur
vie. Il est vrai qu’en groupe, les échanges entre parents sont plus faciles.
Lorsqu’on pénètre dans "La maison", on a une l’impression étrange d’être
dans un grand fromage plein de trous. Sur Terre on appellerait ça un
gruyère, car une fois l’entrée passée, on trouve plusieurs couloirs sphériques
jaunes où sont percés de grands trous qui donnent accès à des appartements.
Aucune porte ne ferme les entrées, tous paraissent libres et l’on peut venir
comme si on était chez soi. Fil pénètre dans un de ces passages et fait entrer
Adiban et Aqualuce qui trouvent, assise sur un fauteuil, une femme d’une
trentaine d’années qui tient un enfant dans ses bras. Comme Fil leur a donné
des hormones lactiques, elle donne le sein au petit. Adiban à une réaction de
recul car elle ne s’imagine pas nourrir l’enfant ainsi, mais Aqualuce la

132
pousse vers elle. Levant les yeux, la femme la regarde et l’interpelle.
⎯ Salut ! Rapproche-toi, n’aie pas peur, il ne mord pas !
Adiban s’avance, pas très rassurée. Puis elle se penche vers l’enfant, c’est à
ce moment que, doucement la femme retire le petit Dorker de son téton et le
met dans les bras d’Adiban. Surprise, elle ne peut refuser. Celle-ci sent aus-
sitôt la chaleur du petit, et comme elle n’est pas à son aise, elle le tient fort
dans ses bras, de peur de le laisser tomber.
⎯ Détends-toi, il n’est pas si fragile que tu le penses, tiens-lui la tête
avec un bras et mets une main en dessous. De l’autre tu peux lui faire des
caresses.
⎯ C’est vrai ?
⎯ Regarde-le et vois ses yeux ; il te fera comprendre s’il apprécie ou
pas.
⎯ Il ne dit rien ; il ne pleure pas.
⎯ C’est bon signe pour toi, c’est qu’il t’apprécie.
Aqualuce regarde faire son amie et comprend que la prise de contact entre
eux est en train de se faire. Adiban fixe les yeux du bébé et ne les quitte pas.
Cela dure quelques minutes où tous se taisent. À la fin, la vraie maman
commence à parler à son enfant et à le bercer, si bien qu’il s’endort dans ses
bras. Elle est maintenant plus détendue et sourit enfin, le portant plus natu-
rellement.
⎯ Dorker est endormi, je vais le mettre dans son berceau. Peux-tu me
dire où il se trouve ?
⎯ Dans ma chambre, mets-le dans mon lit, je dors avec lui car il ne
s’endort jamais seul, c’est impossible pour moi de le faire dormir ailleurs ;
c’est la première fois que je le vois s’endormir comme ça, aussi vite dans
des bras. Je ne doute plus que tu sois sa maman.
Adiban trouve la chambre et délicatement, pose l’enfant au centre du lit en
le recouvrant d’une couverture douce ; puis elle rejoint les autres.
⎯ Il est sympa ! Il m’a fait l’impression d’une pile électrique. Son re-
gard est comme un parfum qui circule dans mon cœur ; c’est étrange, mais
il me connaît bien plus que moi.
⎯ C’est ton enfant ma chérie, pas le mien. Il t’a reconnu dès que tu l’as
pris dans tes bras et c’est pour ça qu’il s’est endormi, rassuré d’être enfin
avec toi. Tu dois savoir que parmi les cent cinquante enfants, plus de la
moitié ne dort pas bien, comme s’ils réclamaient tous leur mère. Comprends
bien que lorsque Fil m’a expliqué la situation, j’ai espéré que tu sois sa
mère. C’est pour moi une bonne nouvelle.
Ces paroles rassurent Adiban et elle se détend aussitôt.
⎯ Installe-toi parmi-nous et viens reprendre ton enfant, ça me rassurera
de le savoir avec sa mère.
Mais Adiban ne l’entend pas comme cela et lui dit :

133
⎯ Pourquoi te le reprendrais-je ainsi, alors que tu te donnes du mal
pour lui ? De plus, il a un père en restant avec toi. Tu l’aimes et il semble
heureux de prendre à ton sein. Je voulais juste savoir s’il est bien avec ceux
qui il vit. Je serais seule pour l’élever, ça n’est pas à ma portée.
⎯ Peut-être rencontreras-tu l’époux qu’il te faut et tu seras heureuse
d’avoir une famille ? C’est ton enfant, il est sorti de ton corps. Wendy nous
a proposé de le prendre avec nous, mais nous ne sommes pas ses parents,
même si nous l’aimons. Tant que tu seras seule, viens habiter chez nous, je
t’aiderai. Fil pourra te faire avoir des montées de lait, tu pourras le nourrir à
ton tour.
Adiban regarde Aqualuce et Fil qui écoutent. Il n’y a qu’elle pour prendre
une décision. Puis, regardant encore la femme, elle lui demande :
⎯ Comment t’appelles-tu ?
⎯ Darmir, c’est mon nom.
⎯ Darmir, je ne veux pas te déranger, et il y a ton époux.
⎯ Wenther pense comme moi, ce n’est pas un problème. Ici, il y a tou-
jours de la place pour une maman.
Maman, ce mot tourne dans sa tête, c’est la première fois qu’elle se voit
mère ; maman.
⎯ Je veux bien rester chez vous, avec Dorker, Darmir.
⎯ Reste le temps nécessaire, une heure, un jour, dix ans ; c’est ton en-
fant.
Adiban se guérit d’un traumatisme de plusieurs années, elle promet à Dar-
mir de la rejoindre lorsqu’elle sera passée dans le Puits de l’Oubli avec ses
amies.
Comme Aqualuce ne pense pas à repartir prochainement, elle pourra rester
ici le temps nécessaire, et d’ailleurs, Araméis a besoin d’elle pour parfaire
ses défenses. Comme le bébé dort, ils quittent Darmir afin de retrouver
Araméis, pour commencer à réfléchir sur les projets de protection pour la
planète.
En retournant au poste de commandement, Aqualuce constate qu’Adiban
est déjà changée. D’avoir retrouvé un enfant né il y a sept ans et de le re-
prendre à l’état de nouveau-né est aussi une chance immense. Sur le retour,
ils rencontrent Passade, la première femme à avoir retrouvé son enfant dans
un tube. Comme elle reconnaît Adiban, c’est pour elles un grand réconfort
de se revoir ; elles ont tant de choses à se raconter. Alors, avec son bébé
dans les bras, elle les suit jusque chez Araméis. Une discussion s’engage sur
les projets à mener et Adiban oublie qu’elle est mère à ce moment ; elle est
vite appréciée pour son professionnalisme. Lorsque la soirée approche, ils
ont déjà conclu qu’ils devront commencer à construire une arche pour quit-
ter la planète le moment venu.
Une arche pour la Terre…

134
Au matin, Aqualuce se lève de bonne heure, elle se demande ce qui pourra
se dégager de sa visite dans le Puits de l’Oubli. Comme l’étoile se lève juste
et qu’il est très tôt, elle en profite pour sortir seule et faire le tour de "la
Communauté" ; c’est le nom qu’ils ont donné à leur ville. Il fait frais et la
ville est encore endormie. La rosée perle sur le sol rouge et les plantes, la
végétation semblent faire bon ménage avec les constructions. Comme la
planète n’a pas de satellite, elle reste bien sombre tant que l’étoile n’est pas
levée. Elle voit une lumière qui vient de la maison d’Araméis, qui est aussi
le poste de commandement ; elle s’y dirige et frappe à la porte :
⎯ Entre Aqualuce. Tu es très matinale, la vie va reprendre dans au
moins deux heures ! Tu es nerveuse ?
⎯ Non, pas du tout, mais je profite de ces moments de calme pour me
retrouver un peu. Tu sais, je me demande ce que tout ce que nous faisons va
donner. Maldeï va-t-elle réellement se lancer dans une conquête de la Terre,
est-ce que nos amis partis dans l’univers ne vont pas avoir de problème ?
Aurai-je la force de porter mes deux futurs enfants jusqu’au bout ?
De tout ça, je ne sais rien, alors qu’avant de quitter la Terre, la première
fois, je ne me posais aucune question ; j’agissais simplement.
Il faut dire que j’avais autre fois des dons qui me donnaient beaucoup de
pouvoirs et ça me semblait normal.
⎯ Ça t’angoisse ?
⎯ Non, en fait, car j’ai toujours autour de moi des personnes qui les
remplacent. Depuis que je suis partie, je m’en sors bien.
⎯ Peut-être les retrouveras-tu tout à l’heure en passant dans le Puits de
l’Oubli, comme beaucoup d’entre nous.
⎯ Ce n’est pas ce que j’attends.
⎯ Tu n’es pas nerveuse, tu rayonnes toujours une grande sagesse, que
peux-tu attendre ?
⎯ Des réponses à mes questions.
⎯ Tu as encore des questions, toi que nous jugeons comme un être par-
fait !
⎯ Justement, autrefois sur Lunisse, j’étais très considérée à cause de
mes forts pouvoirs. Vous aviez oublié que l’on ne vit pas de ses dons, mais
qu’il y a une chose bien plus importante que tous les pouvoirs réunis. Jac-
ques l’a découvert et cela s’appelle la Graine d’Etoile. Et à côté de cette
découverte, on trouve le contraire de cette graine. La Couronne de Serpent
en est un grand exemple. Je connais le grand pouvoir de la Graine d’Etoile,
mais je ne connais pas les grands pouvoirs de la Couronne. Maldeï fait le
chemin inverse de Jacques et c’est ce qui nous touche aujourd’hui. Depuis
des jours et des jours, nous découvrons tous les dégâts que cette couronne a
réalisés. Un homme comme Jacques, touché par la Graine d’Etoile, c’est

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bien, mais comment cette Graine peut-elle agir sur les couronnes de ser-
pents ?
⎯ Ce sont toutes tes questions ?
⎯ Non, il y en a d’autres, comme qui fait quoi, pourquoi tout ce raffut
autour de nous, alors que les animaux ont la paix, eux ? Même s’ils se man-
gent les uns les autres, ils ne risquent pas de faire sauter une planète. Sur
Terre, j’ai découvert que les hommes ont des dieux ; ce sont des forces su-
périeures qui règnent au-delà de la matière et seraient les créateurs de la vie
là-bas. Il y en a même un qui prétend être créateur de l’univers ; celui-ci,
s’appelle Dieu ; tu imagines !
⎯ Et toi, tu y crois ?
⎯ Des fois oui, des fois non. Mais il y a quelque chose. J’ai une ques-
tion qui me revient souvent depuis que je vis sur la Terre :
EST-CE DIEU QUI A FAIT L’HOMME OU L’HOMME QUI A FAIT
DIEU ?
⎯ C’est étrange ta question ; cela voudrait dire que nous pourrions être
créateurs, ou alors créés.
⎯ Depuis longtemps les hommes se questionnent. Un jour il faut arrê-
ter. Nous avons tous besoin de réponses. Sur la Terre, des hommes se déchi-
rent pour ça, alors que d’autres en profitent. De tout temps, là-bas, il y a eu
des guerres de religions et d’idées.
⎯ À toi seule, tu ne peux apporter de réponse.
⎯ Si j’entraîne les autres avec moi, je ne serai pas seule à vouloir la ré-
ponse, je le ferais pour tous ; c’est là que le groupe en profitera.
⎯ Mais Aqualuce, tu sais aussi que tu peux profiter du groupe pour ré-
ussir, on est plus fort ensemble et peut-être qu’à nous tous, nous pourrons
répondre aux questions posées. Tu sais que les milliers d’êtres qui sont là
ont vécu de lourdes expériences et que depuis qu’ils sont ici, ils ont acquis
une sagesse formidable.
⎯ Tu as raison, peut-être suis-je trop solitaire.
⎯ De toute façon, c’est important que tu puisses descendre dans le Puits
de l’Oubli, il y a pour tous un changement obligatoire. Regarde, même les
enfants qui y sont passés ont été transformés. Allez ; viens déjeuner avec
moi, c’est mieux de parler l’estomac plein.
La table d’Araméis est copieuse. Aqualuce lui demande pourquoi elle l’a
trouvé déjà réveillé dans son bureau. Il lui explique qu’il n’a plus besoin de
sommeil depuis qu’il est passé par le Puits de l’Oubli. Alors, il préfère veil-
ler dans son bureau. La nuit il reste à l’écoute du ciel pour voir si un vais-
seau passe dans le secteur. Pour l’instant il n’y a que des amis qui soient
venus, mais peut-être qu’un jour ce sera un ennemi. La vie de deux mille
cinq cents personnes est une grande organisation et il travaille toujours pour
eux. Aqualuce comprend mieux pourquoi il préfère rester ici ; dans un sens,

136
elle approuve son attitude. Araméis trouve l’idée d’une arche très intéres-
sante, et dès aujourd’hui il en fera part à toute la communauté.
Lorsque l’étoile se lève dans le ciel d’Unis, Aqualuce est détendue et quitte
Araméis pour rejoindre ses trois amies. Jenifer est avec son époux, resté
depuis le début avec Araméis, c’est pour cela qu’Aqualuce ne l’a pas vue
depuis qu’elles sont arrivées. Lorsqu’elle frappe à sa porte, Jenifer ne
l’entend pas immédiatement, prise dans la joie des retrouvailles avec un
mari trop oublié. D’ailleurs celui-ci ne l’a pas reconnue sur le coup, car
depuis qu’elle est allée sur Terre, elle s’est transformée et elle est encore
plus jolie ; l’instinct du corps ne les sépare plus depuis ces dernières heures.
Weva, pour l’amour de la Terre, ne désire plus que Wegas l’appelle de son
nom lunisse, elle préfère celui qu’elle a pris là-bas : Jenifer. Sur le coup son
époux n’a pas compris, mais depuis qu’ils sont réunis, il le saisit mieux ;
son corps et ses nouveaux sentiments sont plus à l’image de son nouveau
nom. C’est pour cela qu’entendant Aqualuce l’appeler Weva, elle ne réagit
pas tout de suite, et c’est lorsque Wegas lui fait remarquer qu’on l’appelle
derrière la porte qu’elle saute du lit et se précipite pour ouvrir :
⎯ Excuse-moi Aqualuce, je pensais à tout autre chose. Avec Wegas,
j’ai décidé de m’appeler définitivement Jenifer, comme on le faisait sur la
Terre. Il est d’accord, ça ne le dérange pas.
⎯ Bon, comme tu veux Jenifer. Je viens te chercher pour qu’on aille vi-
siter le Puits de l’Oubli.
⎯ Laisse-moi un quart d’heure, le temps que je me prépare, je vous re-
joins.
Pendant ce temps, Aqualuce va chercher Timi et Adiban, restées ensemble
dans le même logement. Elles sont prêtes, et partent ensemble au Puits de
l’Oubli. Lorsqu’elles y arrivent, Araméis, Jenifer et son époux sont déjà là.
⎯ Voyez ce grand lac plein de lumière et de forces. Tous les membres
de la communauté y sont descendus en passant le Puits de l’Oubli, et lors-
qu’ils sont remontés, ils étaient changés. Ce ne fut pas facile pour tous d’y
descendre car ils avaient des tensions et des pensées pesantes ou répétitives.
Parfois ce fut un véritable supplice et certains se sont presque battus à mort
; Wendy, mon épouse et Fil, notre médecin, en ont fait les frais. Mes amies,
vous trouverez plus bas ce qui vous manque afin de continuer votre chemin.
Quoiqu’il en soit, vous reviendrez changées.
⎯ Nous avons décidé de descendre ensemble.
⎯ Ce n’est pas un problème, nombreux sont allés de cette sorte. Aqua-
luce, Jenifer, Timi et Adiban, je vous souhaite de revenir avec une richesse
qui pourra être profitable à tous.
Ils se font tous une grande accolade, comme si elles descendaient dans le
puits de l’enfer. Puis les quatre femmes prennent le petit chemin qui longe
le puits et descend sur le côté. Jenifer est confiante, elle pense qu’à son re-

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tour, son époux la réconfortera avec encore plus de chaleur ; pour elle, c’est
une formalité. Timi ne pense pas à grand-chose, sauf qu’elle ne s’imaginait
pas que la coiffure la mènerait jusque dans un puits magique. Elle pense à
tous les hommes de la Terre qui ne s’imaginent pas qu’un tel endroit puisse
exister. Adiban n’a qu’une seule pensée, elle est simple, c’est tout l’amour
qu’elle donne, justement, en pensée à son enfant. Dorker est l’image qu’elle
garde avec elle en descendant dans le puits. Enfin, Aqualuce n’a qu’une
idée : trouver la vérité ; connaître l’univers et les dieux ; comme lorsqu’au
premier jour, elle rencontra Jacques. Mais les circonstances sont différentes,
car elle n’est pas dans un vaisseau Golock et elle n’est pas obligée de des-
cendre dans ce puits étrange.
Elles avancent dans un petit goulot qui descend le long du puits, et au bout
un passage, elles pénètrent dans une cavité sans visibilité, remplie d’un
brouillard étrange. Jenifer arrive la première et disparaît. Timi la suit aussi-
tôt, Aqualuce se lance juste avant qu’Adiban ne rentre aussi dans le brouil-
lard. Comme c’est la dernière, elle prend un peu de temps pour vraiment se
lancer dans cette nuée blanche. Adiban sent le sol se dérober sous ses pieds
et elle tombe dans le vide. Une seule pensée la tient dans un état de calme
qu’elle ne dirige pas, mais comme si une conscience la guidait, elle se laisse
glisser, ne projetant dans son esprit que le regard de son fils. Cela la guide
tout le temps que paraît durer cette chute dans le vide qu’elle détermine
comme celui de son esprit. Cela lui fait l’effet d’une grande purification et
enfin, les images encore restantes de Maldeï disparaissent à jamais, et elle
comprend ce que veut dire le Puits de l’Oubli…

Adiban se relève, un peu secouée. Elle regarde derrière elle et voit l’entrée
du puits et le brouillard blanc et compact. Elle comprend que sa chute n’a
duré que quelques centièmes de secondes et elle sourit. Néanmoins, elle se
sent changée dans ses fibres ; les peurs qu’elle avait hier en découvrant son
enfant ont disparu, et elle comprend mieux le sens de sa vie et l’action
qu’elle doit avoir sur les hommes et les événements autour d’elle, sentant
dans son cœur une flamme nouvelle qui lui donne une voie à suivre. Elle est
heureuse de se sentir nouvelle, comme un jeune enfant qui découvre le
monde. Enfin, elle relève les yeux pour retrouver ses compagnes. Mais elle
ne voit personne, elle semble seule. Ne comprenant pas vraiment, elle se
retourne encore mais ni Aqualuce, ni Jenifer ne semblent là. Elle les ap-
pelle, mais aucun écho ne se fait entendre. Se disant qu’elles ont peut-être
décidé de visiter la grotte qui s’ouvre devant, car elle voit un des couloirs
caverneux, elle le suit. Les murs sont phosphorescents et procurent un éclai-
rage naturel. Enfin, elle arrive dans une large cavité aménagée où semblait
vivre quelqu’un autrefois. Elle en fait le tour, mais ne trouve personne, en-
core moins ses trois amies. Elle décide de ressortir car peut-être est-elle

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restée trop longtemps, et les autres sont déjà reparties, c’est certain. Pani-
quée, elle commence à courir dans la caverne, oubliant de prendre quelques
précautions car les pierres instables sont nombreuses. Elle n’est pas loin de
rejoindre la porte magique du puits lorsqu’une roche se dérobe sous ses
pieds et la fait basculer vers le vide. Elle plonge vers une terrasse en-
dessous, une jambe s’écrase sur un bloc à l’entresol et sa tête percute une
pierre lorsqu’elle finit sa course. Adiban perd du sang par sa jambe et par le
nez, elle a perdu connaissance…

Lorsqu’on meurt, notre esprit quitte le corps pour voler autour au début, car
on ne le sait pas encore. Mais à force de voir son corps raide et les autres
pleurer autour de soi, on finit par le savoir, et c’est là qu’on décide de ne
pas rester à côté du cadavre. Adiban est dans ce cas, elle voit son corps de-
venir progressivement froid bien que du sang coule encore de sa bouche.
Elle n’a jamais été morte et elle ne peut pour le moment faire la différence.
Mais lorsqu’elle verra son corps commencer à pourrir, elle en aura la
confirmation. Elle sait qu’un esprit ne peut définitivement rester à côté de
son enveloppe, mais pour le moment, elle ne sait quoi faire pour retourner
dans le magma de la vie et refaire un tour de roue dans la vie ; rien ne
l’attire à l’extérieur. Elle aimerait pleurer mais ses larmes sont restées dans
le corps qui est immobile sur le sol. La porte du puits semble aussi pour elle
infranchissable. Au bout de quelques instants, elle finit par se poser auprès
de son enveloppe de chair, et comme si elle s’endormait, elle sombre défini-
tivement dans l’inconscience totale.

Les yeux voient des lumières violentes autour d’elle, les oreilles entendent
des sons étranges, elle sent qu’on lui manipule l’esprit, comme si elle avait
une tête. Des décharges électriques puissantes courent partout sur le bas de
sa conscience. Rien ne va plus, elle ne sait plus où elle se trouve.
Elle veut arracher son esprit du cadavre qu’elle est devenue, mais rien ne lui
semble possible. C’est à cet instant qu’elle commence à comprendre qu’elle
est emprisonnée dans son corps, alors elle en recherche les organes pour
pouvoir sentir ce qui se passe autour d’elle. C’est à cet instant qu’elle en-
tend une voix qui dit :
⎯ Fil, attention, elle se réveille ! Attendez un peu pour lui recoudre la
peau du crâne, je vais lui redonner une dose supplémentaire.
C’est à cet instant qu’elle sent qu’on lui plante quelque chose et elle
s’évanouit totalement.

Ouvrir ses yeux, c’est très dur lorsqu’on a perdu tous ses repères, mais Adi-
ban sent que c’est le moment de se réveiller. Elle entend qu’on parle autour
d’elle, et cette voix la motive à sortir de son grand rêve.

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⎯ Je suis où, qu’est-ce qui m’arrive ?
⎯ Doucement, prends ton temps pour refaire surface. C’est moi, Fil, le
médecin de la communauté. Tu as eu la chance que l’on te trouve dans le
puits. Tu as failli y passer, mais Wegas a eu le courage de descendre, car il
était inquiet de ne pas te voir remonter. Il t’a trouvée et ramenée. Malgré tes
blessures. Tu n’es plus en danger, mais nous avons eu très peur car tu es
restée dans le coma près de deux jours. J’ai soigné tes blessures, tout va
s’arranger.
⎯ Aqualuce, Timi et Jenifer ne sont pas revenues ?
⎯ Non, elles ont disparu. Nous n’avons plus aucune trace d’elles depuis
qu’elles sont descendues dans le Puits de l’Oubli.
⎯ Je ne suis pas partie avec elles, comment se fait-il ?
⎯ Chacun trouve ce qu’il a à y prendre là-bas.
Adiban, regarde avec attention Fil. Elle ne peut réfléchir car en elle une
voix a déjà parlé. Alors elle lui dit :
⎯ J’ai trouvé l’amour en sortant du puits, il ressemble à toi.
Sur le moment Fil ne comprend pas vraiment, mais Adiban lui dit encore :
⎯ Ton cœur est libre, je crois que nous pouvons nous entendre car le
mien demande de l’amour et veut en donner. Comprends-tu ?
⎯ Adiban, l’amour est pour moi comme la pierre qui t’a frappé le
crâne, c’est un choc et en même temps un éclat de joie immense.
Je t’aime.
⎯ Alors, commence à réchauffer mon cœur, je te donnerai mon esprit.

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MORT ET NAISSANCE
La disparition d’Adiban, sa ministre de l’armement, passe
très mal dans la tête de Maldeï. Dans le vaisseau qui la ramène vers Elvy,
personne n’a compris comment la rebelle avait pu s’introduire dans l’aire de
lancement des sphères de secours, même Bildtrager paraît irréprochable. Le
fait que le vaisseau n’ait pas la vitesse absolue est encore plus terrible. Elle
ne comprend pas pourquoi cette femme qu’elle avait choisie a échappé à
son formatage et son esprit. Durant les jours où cette femme était restée sur
l’île d’Afronikq, elle arrivait à communiquer avec son esprit et la faire agir
comme elle le désirait. Elle doit hélas admettre que cet être avait plus de
force qu’elle ne pouvait l’imaginer. Il est urgent pour Maldeï de rentrer
pour faire le tour de tous ses sites afin de contrôler que le reste de sa pro-
duction avance, afin que tout soit prêt pour envahir la Terre, le jour de la
naissance de son enfant ; ce sera son plus beau cadeau. Enfin, Elvy est sous
ses pieds, après un voyage plus long que prévu. Elle n’est pas allée à l’autre
bout de l’univers, même Andromède était finalement trop loin, elle a dû
faire demi-tour. Son vaisseau amorce sa descente vers l’astroport de Sandé-
pra. Bildtrager, au poste de pilotage, observe la manœuvre, et bientôt il voit
clairement les installations du site. C’est à ce moment, voyant un vieux
hangar à moitié détruit au fond de la piste qu’il est pris de nouveau par un
relent de mémoire. Ce vieux bâtiment lui rappelle une aventure qu’il revoit
maintenant au fond de lui.
Ce jour-là, il fuyait Sandépra car il venait de découvrir le terrible secret de
la planète et de sa maladie. Il était à la recherche d’Aqualuce, partie avec un
homme d’Actavi, à l’époque le chef de la grande cité. La mémoire lui re-
vient et il voit l’homme avec qui il était ; son ami, Starker. Dans ce hangar,
ils avaient trouvé un vieil appareil avec lequel il avait pu fuir et cette vieille
ruine ne semble pas avoir changé depuis sa venue. Mais il y a combien de
temps, déjà ? Une certitude, c’est que son véritable nom, c’est Jacques, pas
Bildtrager.
Maldeï demande à ses hommes de faire vite car on vient de l’informer
qu’un problème se passe en ville, depuis qu’elle est partie. À peine posée,
elle entraîne Bildtrager pour rejoindre le palais. C’est là que les gardes pa-
niqués l’informent en détail des mouvements nocturnes de la femme de
plomb. Jacques, les écoute discrètement et sait déjà qui est derrière tout ça.
Dans le vaisseau, il avait déjà été rejoint par Néni qui est emprisonnée à
l’intérieur de la statue. Il suit Maldeï qui se précipite vers la chambre où se
trouve Néni pour comprendre, voir la neutraliser. Elle s’arrête net lorsque
qu’elle tombe nez à nez devant la statue de plomb qui se tient droite à
l’entrée, comme pour les accueillir. Maldeï se met à rire à cet instant ; peut-
être plus nerveusement que de joie. La femme de plomb paraît impossible à

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déplacer, tellement le plomb pèse sur elle. Maldeï, de toute sa force, la
pousse en arrière pour la faire chuter. Mais la statue réagit et c’est Maldeï
qui est déstabilisée et se roule sur le sol. Mécontente, elle se relève et, se
reculant, elle concentre son regard de feu sur la femme de plomb, pensant la
faire fondre. Mais les yeux de plomb de Néni lui renvoient les rayons vers
elle, ce qui la brûle aussitôt. Arrêtant son regard de feu, elle recule devant
elle. Alors, Bildtrager intervient :
⎯ C’est vous qui l’avez transformée en statue de plomb, et comme elle
ne peut se défendre, vous voulez la tuer ! Vous êtes dans votre tort, Néni
use de son droit, c’est normal. De toute façon, elle et moi sommes liés à
vous par le sang. La détruire vous détruira.
⎯ Tais-toi ou je te change aussi en statue de plomb, comme elle ! Cette
chose a détruit dans la ville des édifices importants, elle a causé la peur
autour d’elle, les hommes et les femmes ne sortent plus la nuit ; elle est
devenue dangereuse.
⎯ Mais c’est votre œuvre, c’est votre reflet qui était dans la rue, pas
Néni. Maldeï, libérez-la, et si ce que je vous dis vous déplaît, tuez-moi ;
vivre avec vous devient un vrai cauchemar. Je préfère la mort plutôt que de
rester avec vous. Je ne veux plus vivre de vous, l’âme qui est enfermée dans
cette carapace est plus légère que votre esprit, même le plomb n’est qu’une
plume par rapport à vous.
⎯ Tais-toi, tu es ma chaire, tu es ma création et je t’interdis de te rebel-
ler contre moi !
⎯ L’être que vous avez trouvé dans ce monde est votre création, mais
Jacques n’est pas la vôtre, il a un passé qui lui revient de plus en plus cha-
que jour ! J’étais à Sandépra avant vous, j’avais d’autres amis. Je retrouve
mes traces à chaque instant. La mémoire de Jacques devient plus forte que
celle de Bildtrager, vous ne pouvez plus me dominer comme autre fois, je
me libère de votre emprise quotidiennement parce que Néni parle chaque
jour plus fort dans mon cœur ; même à travers sa coque de plomb.
⎯ Il n’est pas question que tu continues à parler comme ça, je vais dans
l’instant te transformer pour que tout souvenir t’ait quitté pour toujours !
À cet instant, elle paralyse Bildtrager sur place et il s’effondre. Maldeï ap-
pelle ses hommes pour qu’ils s’occupent de lui et de la femme de plomb.
⎯ Je veux que vous emmeniez cette statue de plomb pour lui enlever sa
carapace. Prenez mon époux avec elle car lorsque vous aurez terminé, je
souhaite qu’en ma présence ils soient conduits dans la chambre à onde bêta.
Je veillerais moi-même qu’ils soient bien vidés de toute leur mémoire et de
leur âme.
C’est étrange que Néni, enfermée sous le plomb, ne réagisse pas alors
qu’elle semait la terreur partout dans la ville, car elle se laisse emporter par
les hommes qui la portent sur leurs épaules. Plus loin, dans l’atelier, allongé

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sur un établi, un homme semble dépecer comme à la boucherie la femme de
plomb en lui enlevant tous les morceaux qui faisaient sa nouvelle peau.
Parfois, il est maladroit et entaille la chaire dessous. Mais à la fin, tous les
bouts de plomb sont retirés. Pour les hommes qui l’avaient préparée à se
faire recouvrir de plomb, c’est une surprise car sa peau est teintée, ses che-
veux sont longs et soyeux. Néni, leur apparaît comme une jolie femme qui
leur donne envie. Étrangement, son corps reste inerte, elle paraît morte.
L’un des hommes ne tient plus et la désire, pensant qu’une femme inanimée
est toujours plus facile à prendre qu’éveillée. Les collègues rigolent en le
voyant baisser son pantalon et brandir son sexe bandé. Mais dès qu’il pose
une de ses mains sur le corps de la femme, elle réagit si vite que personne
n’a le temps de voir. La tête de l’homme débraillé tombe au sol, décapitée.
Néni se redresse, ses yeux mauves brillent encore d’une lumière qui
rayonne la mort et tous les hommes reculent, de peur de voir leur tête tom-
ber aussi. Mais à ce moment, Maldeï arrive jusqu’à l’atelier pour s’assurer
que tout se passe comme elle le souhaite. Voyant le cadavre en morceaux,
elle est saisie, comprenant qui a fait cela. Néni, pourrait la tuer si elle le
souhaitait, mais elle sait qui est derrière cette monstrueuse femme, ce n’est
pas son rôle de la détruire. Maldeï sent qu’elle est face à un être aussi puis-
sant qu’elle, mais ne se démonte pas et pour ne pas perdre la face, elle dit à
ses hommes :
⎯ Attrapez-la, prenez Bildtrager avec elle et enfermez-les dans la
chambre à onde bêta. Je vous suis, je veux m’assurer qu’ils soient bien neu-
tralisés.
Alors qu’il y a un instant Néni avait tous les pouvoirs, elle se laisse prendre
par les trois hommes disponibles, et Jacques, toujours inanimé, est traîné
jusqu’à la terrible chambre. Tous les deux sont enfermés dans la pièce her-
métique et Néni qui a pris dans ses bras Jacques pour le réveiller, voit un
appareil étrange accroché au plafond. C’est à cet instant que Maldeï, qui les
observe de l’autre côté de la vitre blindée, met en marche le système.
Dans la chambre à onde bêta, une vibration étrange commence à se faire
ressentir par Néni et son corps commence à devenir douloureux. Puis le
rythme des vibrations s’accélère et dans sa tête, tout commence à bouillir.
Même Jacques, qui est encore inconscient, commence à réagir en pliant son
corps dans tous les sens. Le rythme devient encore plus puissant et toute la
conscience de Néni semble s’effacer du centre de son cerveau. Tout se fait
dans la douleur, pour eux, l’effacement de la conscience et de la raison est
la plus terrible des tortures. Dans la chambre, Jacques et Néni se tordent de
douleur, leur visage est terriblement déformé et ne ressemble plus à une
figure humaine. Maldeï prend plaisir à laisser continuer ce supplice qui n’a
aucune conséquence pour elle, car il n’a que d’effet sur les consciences
humaines. Elle pousse son appareil à fond pour faire sur eux un lavage de

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cerveau tel qu’ils ne soient plus que des animaux avec une intelligence de
larve, lorsque cela s’arrêtera. Alors que la chambre à ondes bêta avait fait
ses effets en moins de dix minutes sur les hommes et les femmes qu’elle
avait consacrés comme ministres, elle arrête le supplice qu’au bout de deux
heures. Les deux individus à l’intérieur semblent encore vivants, et elle dit à
ses hommes :
⎯ Conduisez ces deux choses dans une cage que je veux voir au centre
de la cour de mon palais, afin que tous ceux qui passeront devant compren-
nent que jamais on ne se met devant Moi. Qu’ils servent d’exemple pour
tous.
Maldeï n’a pas supporté que sa ministre, Adiban, l’ait trahie et que Néni ait
détruit ses statues en ville et semé la terreur. Encore moins que Bildtrager
s’oppose à elle lorsqu’elle s’en était prise à Néni. La neutralisation défini-
tive de ces deux personnes la satisfait et elle se sent plus forte. Une cage est
très vite dressée dans la cour impériale et les deux corps encore inertes sont
jetés dedans, à même le sol, dans la poussière. Fière, Maldeï fait annoncer
par tous les membres de son entourage que la femme de plomb a été neutra-
lisée avec son complice, et que tous peuvent venir dans la cour du palais
pour les voir réduits à l’état de laves rampantes.
Le bruit de cette nouvelle fait vite le tour de la ville et bientôt, dans la jour-
née, des hommes et des femmes arrivent pour voir l’être qui les avait terro-
risés il y a quelque temps. Durant la première journée, ils voient tous à tra-
vers la cage un homme et une femme semblant morts, dans la poussière.
Maldeï a fait attention de jeter à l’intérieur les restes de la carapace de
plomb retirée à Néni.
Pendant ce temps, Maldeï décide de faire le tour de ses installations avec
son ministre de l’armée et ensuite, commencer à rassembler ses troupes,
pour les apprêter au combat. Elle se rend avec son représentant jusqu’à l’île
d’Afronikq pour s’assurer de la bonne préparation de ses vaisseaux. Elle
emmène avec elle Daribard, l’homme qui a échoué sur Terre avec son
commando. Elle pensait le tuer, mais finalement, mieux vaut le garder, il
reste plus fiable que son époux. Devant le chantier des grands vaisseaux,
elle lui propose :
⎯ Si tu finis dans moins de cent jours la construction de tous ces vais-
seaux, je te promets d’oublier ton échec sur la Terre.
⎯ Oh ! ma maîtresse, je remplirai ma tâche comme tu le souhaites, je te
remercie pour ta grâce ! Venez dans moins de cent jours et tout sera achevé.
Les vaisseaux seront prêts à prendre l’air et je les aurai testés.
⎯ Fais cela et je te donnerai un vaisseau que tu commanderas devant
l’ennemi.
Daribard se met à genoux devant sa maîtresse, qui lui fait signe de se rele-
ver.

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Ensuite, elle part vers l’île de Racben pour voir où en est la fabrication des
armes. Là-bas, le chef du grand complexe est un dénommé Banu, qui avait
connu autrefois un certain Jacques Brillant. Son ami Ji avait disparu et il
avait tout mis sur les épaules de ce Jacques qu’il n’apprécie pas du tout.
Pour lui, participer à la fabrication des armes qui saigneront la Terre lui
donne beaucoup de joie, pensant à la vengeance de son ami. Banu assure à
Maldeï que ses armes seront prêtes au plus tard dans soixante jours ; ce qui
la satisfait. Elle ne prend pas le temps de faire le tour de l’île, elle fait
confiance à son homme de main, et repart sans s’imaginer qu’une révolte se
prépare sous ses pieds. Enfin satisfaite de ses deux sites de production, elle
repart vers Sandépra, non pour regagner son palais, mais pour voir où en est
le recrutement volontaire de ses troupes. Rasban la dirige vers les bureaux
installés à chaque grand carrefour, où sont enregistrés les volontaires qui
sont regroupés dans les casernes. Les hommes, les femmes de tous âges
peuvent être recrutés ; le seul critère est d’avoir au minimum douze ans.
Lorsqu’on est enrôlé, on se fait raser le crâne et y inscrire le signe du ser-
pent. On reçoit immédiatement une plaquette de médicament pour deux ans
de traitement et dix tubes d’ecstasy, mis au point dernièrement pas le doc-
teur Raimaz, le chimiste de Maldeï. Ceux qui prennent ces pilules ne savent
pas qu’en dehors de donner le plaisir, elles rendent surtout dépendant et
soumis à Maldeï. Comme beaucoup craignent la maladie, depuis de nom-
breux jours, les effectifs s’accroissent régulièrement. D’après le ministre,
plus de quatre cent mille soldats ont déjà été recensés. Maldeï est rassurée,
l’essentiel de ses effectifs se mobilise maintenant. Les quelques milliers
d’enfants de Carbokan n’en représentaient qu’une petite partie et Maldeï les
avait placés là parce qu’elle savait que ces enfants étaient dangereux à cause
de leurs pouvoirs latents.
Rasban, son ministre, lui propose de visiter une de ses casernes pour qu’elle
puisse contrôler dans quelles conditions ils sont préparés. Elle accepte et
Rasban la conduit jusqu’à l’île de Basdal.

Contrairement aux difficultés qu’ont en général tous les Elviens, pour vivre
dans les villes, les soldats sont bien nourris et bien logés. Maldeï pense
qu’une armée forte est faite d’hommes et de femmes se sentant bien dans
leur peau. Il semble évident qu’être militaire est pour eux la meilleure chose
qui soit, c’est pourquoi ils sont très nombreux à s’enrôler depuis quelque
temps. Comme Rasban ne connaît pas vraiment les objectifs de Maldeï, il
lui pose la question :
⎯ Oh ! Maîtresse, nous qui sommes un peuple très avancé, pourquoi
favorisez-vous les troupes plutôt que les armes de destruction ? Vous savez
comme moi qu’un homme est bien moins fiable qu’une machine ; alors,
pourquoi préparer autant de soldats ?

145
⎯ Je souhaite envahir la Terre, et faire un nombre sans limites de pri-
sonniers. Pour cela j’aurais besoin de toutes les forces de la planète pour y
arriver. Les terriens sont presque sept milliards. Nous, comparés à eux, nous
ne sommes que des microbes. Je compte bien changer ces êtres pour les
amener à moi. J’ai entendu dire que les Lunisses qui viennent sur Terre ont
des pouvoirs surprenants. Je tiens ça de mon époux. Une fois sur cette pla-
nète, nous pourrons les dominer et bâtir sur leur dos un nouvel empire. Ma
place est là-bas pour tous les diriger, et la Couronne de Serpent brillera
comme autrefois. Ce monde m’appartient, j’en suis la descendante directe.
⎯ Quand pensez-vous envahir cette planète ?
⎯ Je vous l’ai dit ; pour la naissance de mon fils. En attendant, je veux
que nous ayons détruit la rébellion en la délogeant de sa cachette. Nous
devons aussi trouver ceux qui vivent sur Glacialys et les ramener à la rai-
son. Ils ont fondé depuis plusieurs années un territoire indépendant que je
veux reconquérir. Ils sont toute une communauté que je souhaite ramener
sous mon pouvoir. Il est temps pour nous de commencer à enfiler nos bottes
et accrocher nos armes pour montrer à l’humanité que nous sommes invin-
cibles. Ce n’est pas la quantité qui est importante, mais la puissance de cha-
cun. Je peux vous assurer que bientôt, nous dominerons le monde !
⎯ Je suis votre serviteur le plus proche, Maldeï, je resterai auprès de
vous jusqu’au bout.
Maldeï est satisfaite de ce que lui dit l’homme, mais de toute façon, Rasban
est totalement à son service, il n’en est même pas conscient.

Autour de la cage, nombreux sont les visiteurs qui viennent voir les curiosi-
tés. Le supplice que leur a fait subir Maldeï est tel qu’au bout de deux jours,
ils ne se sont pas encore rétablis et restent dans le coma sans que personne
ne s’inquiète d’eux. C’est la nuit et leurs corps semblent remuer. C’est Néni
qui ouvre les yeux la première. Dans sa tête, il n’y a plus rien, son esprit est
vide, elle a dans les premières minutes l’âme d’un végétal. Cette femme
pourrait rester comme ça toute sa vie, mais pour Maldeï qui a voulu détruire
ces consciences, c’est sans compter sur un élément inimaginable pour
elle…
Son cerveau a été totalement vidé de sa substance humaine, elle n’a plus de
conscience, il ne lui reste plus que les instincts basique de survie animale.
Si Maldeï avait voulu leur insuffler sa personnalité comme pour ses "minis-
tres", elle aurait pu le faire, mais elle préférait ne pas leur donner cette
chance. Sauf que dans le cas de Néni et de Jacques, elle ne s’imagine pas
qu’en eux, la conscience du cœur se soit développée au point d’en faire une
nouvelle personnalité. Dans l’organisme de Néni comme celui de Jacques,
un phénomène très rare se produit ; car le cœur de chacun contient tout ce
qu’il est de leur nouvelle personnalité construite sur les ruines de la pre-

146
mière. Néni vit depuis longtemps avec une nouvelle conscience, son cer-
veau reçoit du cœur toute sa richesse et ses expériences, c’est pourquoi sa
tête se reconstruit pratiquement à l’identique. Jacques se reconstruit de la
même sorte, mais de nombreux souvenirs enfouis dans la mémoire de son
cœur ne sont pas prêts de resurgir. Néanmoins il reçoit suffisamment
d’influx pour reprendre pied. Le miracle pour lui est qu’en détruisant la
mémoire de Bildtrager, Maldeï a définitivement détruit son esclave et Jac-
ques, ouvrant les yeux, ne ressent plus aucun sentiment, voire de souvenir
de Bildtrager. De son nom emprunté à un mauvais allemand, "Le porteur
d’Image" restitue à son propriétaire son corps et son mental.
C’est le soir, comme il n’y a plus aucun visiteur, Néni, ouvre la bouche, la
première :
⎯ Nous sommes comme deux phœnix qui renaissent de leurs cendres.
Sous les appareils de Maldeï, je suis morte dans l’esprit de ma tête, alors
que je revis. Mon cœur dirige ma vie et il est le centre de ma conscience,
j’ai le sentiment que c’est lui qui s’est définitivement installé dans ma tête.
⎯ Oh ! Néni, j’ai perdu tout mon passé, je n’ai de mémoire que les ins-
tants que je vis avec toi depuis autant de jours. J’ai le souvenir d’un être
étrange qui voulait m’étouffer dès l’instant où j’étais avec lui. Quelque
chose de faux est mort en mon être. Mais hélas, il me reste de nombreux
vides. Une femme nommée Aqualuce n’est pas entièrement réapparue et je
la cherche encore. Mon âme sait qu’elle doit se donner pour une cause dont
je pressens les effets sur l’avenir si nous réussissons tous ensemble. Mal-
deï ; je crois qu’il s’agit d’elle, nous a fait souffrir, mais je sens qu’elle m’a
guéri en même temps. Nous voici enfermés dans cette cage, mais je ne m’en
sens pas prisonnier. Néni, j’ai soif de vérité et de justice, il faut que nous
partions pour aider les autres !
⎯ Jacques, tu n’es pas encore remis ; peut-être est-il dangereux que tu
quittes Maldeï avant d’avoir entièrement retrouvé les souvenirs qui te lient à
Aqualuce ?
⎯ Mais où puis-je les retrouver ?
⎯ Il n’y a que Maldeï qui puisse t’aider à cela ; je sens qu’il est encore
trop tôt pour la quitter.
⎯ Mais, Néni, si cette femme nous a faits souffrir à ce point, il vaut
mieux la fuir ; proche d’elle nous sommes en grand danger.
⎯ Malheureusement, nous sommes liés à elle. Si nous la quittons pour
nous réfugier loin d’elle, tu ne pourras pas retrouver tout ton passé. Il faut
que tu fasses comme elle a fait avec toi au tout début ; retrouver par la Cou-
ronne de Serpent la mémoire qu’elle t’a volée.
⎯ Mais comment devrais-je m’y prendre ?
⎯ Te rapprocher d’elle, te faire prendre par la couronne et sonder le
subconscient de Maldeï pour te retrouver. La Couronne est très puissante,

147
mais elle a un défaut.
⎯ Ah oui, lequel ?
⎯ Lorsque Maldeï est endormie, la couronne l’est aussi. Ce n’est qu’à
ce moment que tu peux entrer dans les profondeurs de son esprit. Tu peux le
faire, car elle t’a épousé et mis sur toi son pouvoir et sa force en même
temps.
⎯ Tu veux dire que je dois la rejoindre lorsqu’elle reviendra au palais ?
⎯ Elle est trop fière pour nous délaisser. Elle voudra se montrer auprès
de nous. Lorsque tu la verras, demande-lui de la rejoindre, elle aimera cela
et acceptera ; elle oublie vite le mal qu’elle fait. C’est pour cela que tu as tes
chances.
⎯ Je n’ai pas peur d’elle, je ne suis plus l’homme qu’elle a construit
lorsque je me suis présenté devant elle. Je sais que je suis Jacques Brillant,
l’homme qui a trouvé la Graine d’Etoile !
⎯ Si tu t’en rappelles, tu es sauvé. Je t’ai connu lorsque tu la cherchais
et je sais que tu es capable de faire encore mieux. Lorsque la première fois
tu es arrivé à Sandépra, tu étais avec ton ami Starker et vous vous laissiez
porter par les plaisirs de l’île. Lorsque tu es reparti, tu étais devenu un com-
battant et tu t’étais changé en observant la vérité. Je crois que tu es capable
de te secourir comme tu l’as déjà fait.
⎯ Néni, je crois en toi ; tu es avec moi depuis le premier jour où je suis
arrivé ici. Tu es ma lumière sur Elvy.
⎯ Tu as un rôle à jouer auprès de Maldeï car elle a de l’affection pour
toi et tu dois découvrir pourquoi. Tu sauras la vérité après l’avoir sondée.
Ensuite tu pourras la quitter.
⎯ D’où vient Maldeï ?
⎯ C’était l’amiral Marsinus Andévy, chef de toute la Nation Lunisse ;
c’est toi, Jacques qui lui a fait don de ses pouvoirs.
⎯ De quels pouvoirs ?
⎯ Tu as été le tout puissant des mondes lunisses et lorsque tu es parti,
tu lui as confié la direction de la communauté lunisse.
⎯ Tu veux dire que si elle en est là aujourd’hui, c’est à cause de moi ?
⎯ Non, tu n’es pas responsable de ce qu’elle est devenue. C’est la Cou-
ronne de Serpent qui l’a transformée.
⎯ Alors, cette femme n’a pas toujours été un monstre ? Si je lui ai
confié la responsabilité de ton peuple, c’est que je l’estimais. Si en elle il y
a un autre être, il faut le sauver.
⎯ C’est pourquoi ta tâche n’est pas si simple. La tuer ne serait pas une
bonne chose, mais au contraire une victoire du mal sur nous. Je pense qu’il
faut la découronner pour la sauver.
⎯ Alors, pourquoi ne pas le faire immédiatement ?

148
⎯ Autour d’elle il y a un champ protecteur difficile à franchir. De plus
si tu lui retirais sa couronne sans être préparé, tu deviendrais le nouveau
serviteur du serpent.
⎯ Que me conseilles-tu ?
⎯ Tu dois encore te mettre à son service pour rester proche d’elle. Par-
tage avec elle sa vie autant que tu n’auras pas récupéré la mémoire qu’elle
t’a volée.
Juste à ce moment, de la cage où ils se trouvent, ils voient la grande porte
du palais s’ouvrir. C’est Maldeï qui revient de sa visite. Satisfaite de voir la
cage installée, elle se dirige comme pour admirer les nouvelles bêtes de son
zoo personnel. Juste devant Jacques et Néni qui sont bien éveillés, elle les
regarde avec un large sourire et leur dit :
⎯ Dommage pour toi, Bildtrager, je t’aurais bien gardé avec moi si tu
étais encore un homme. Mais avec le cerveau qui te reste, tu peux juste
manger et faire tes besoins ! Dommage, tu es mignon, j’ai toujours eu un
penchant pour toi.
⎯ Mais, Maldeï, si tu me désires encore, je serai attentif. Tu n’as tué en
moi que Bildtrager ; il reste bien autre chose en mon être.
Elle est toute surprise, elle ne s’imaginait pas qu’après le supplice qu’elle
lui a fait subir, il puisse encore parler.
⎯ Ton appareil n’a tué que Bildtrager. Mais il reste un autre homme. Je
suis prêt à te rejoindre si tu le désires.
Néni lui fait un sourire qui l’agace encore plus. Elle est totalement déstabi-
lisée de savoir que les deux êtres qu’elle a fait enfermer ont toujours une
conscience et celle-ci est peut-être encore plus forte qu’avant. Elle se re-
tourne et rentre dans son palais.

Dans son lit, Maldeï pose une main sur son ventre. Elle sait que l’enfant
qu’elle attend vient de l’homme qu’elle a fait enfermer. Elle se questionne à
savoir comment il a pu, avec la femme, échapper au pire. Elle regrette qu’il
soit un jour arrivé jusqu’à elle, mais en pensant cela, elle sent que l’enfant
porte des coups féroces dans son abdomen, comme pour manifester son
mécontentement. Cet homme lui donne plus de problème que d’avantages.
Mais, elle ne sait pourquoi, elle doit le faire revenir à elle. En pensant ainsi,
les coups se calment, comme si le fœtus la dirigeait déjà avant même d’être
né. Cela ne changera rien à ses plans ; elle envahira la Terre pour la nais-
sance de son fils. C’est décidé, demain, elle fera sortir Bildtrager de sa cage
et elle le prendra avec elle pour que sa grossesse se passe bien. Mais la
femme restera dans la cage, celle-ci est beaucoup trop influente sur son
homme.

⎯ Jacques, demain, nous nous quitterons.

149
⎯ Comment ça, Néni ?
⎯ Tu vas rejoindre Maldeï, mais tu n’as plus besoin de moi. Je suis res-
té avec toi ces longs jours où tu n’étais pas encore éveillé. J’ai fait
l’intermédiaire entre toi et Aqualuce afin que tu ne sombres pas sous
l’influence de Maldeï, mais pour cette dernière étape, tu la feras seul ; je t’ai
dit ce que tu avais à faire.
⎯ Mais si je sors d’ici, tu viens avec moi.
⎯ Non, pas cette fois. Je resterai dans cette cage jusqu’à ma mort. Et il
faut que tu te défasses de mon visage et des souvenirs que je te donne.
⎯ Mais tu ne peux pas mourir, tu as des pouvoirs immenses que même
Maldeï ne peut obtenir !
⎯ Pour que nous réussissions, j’ai le devoir de disparaître, j’ai le pou-
voir mourir. Jacques, je te le redis, tu n’as plus besoin de moi. Demain, je
choisirai le moment pour mourir, l’être aux multiples pouvoirs, que tu
connais doit disparaitre.
⎯ Mais Néni, tu ne peux pas m’abandonner !
⎯ Bien sûr, je ne serai plus devant toi comme maintenant. Il n’y a
qu’une femme que tu puisses aimer ; c’est Aqualuce.
⎯ Trop d’ombre autour d’elle ; je n’ai pas son visage en tête pour le
moment, elle n’est encore qu’un nom, une idée.
⎯ Dans quelques jours, elle remplira tes pensées et tu m’auras oubliée.
⎯ Impossible, tu es l’étoile de mon cœur.
⎯ Tu devras accrocher une autre étoile lorsque tu auras appris de Mal-
deï ton passé. Demain, lorsqu’elle viendra te chercher, pars avec elle dans la
joie.
Jacques, pensant au départ de Néni, la prend dans ses bras et la serre très
fort. Elle lui fait un baiser d’amour sur ses lèvres pour le rassurer. Ils
s’allongent dans la paille pour se coucher l’un contre l’autre, mais la nature
de Néni donne à Jacques un grand calme et sans aucune idée de fantaisie, ils
s’endorment ensemble, enlacés.

Lorsqu’au matin, la porte de leur cage s’ouvre, ils sont encore endormis. Il
est encore tôt et Maldeï est présente avec un de ses gardes. Elle est écœurée
de le voir dans les bras de l’autre femme. Elle est jalouse et voudrait tuer
cette femme qui lui fait toujours de l’ombre. Le garde secoue les deux
amoureux à ses yeux et Jacques se réveille le premier, surpris de voir devant
lui Maldeï.
⎯ Je viens te reprendre, Bildtrager ; tu rentres au palais avec moi.
⎯ Je te suivrai avec mon amie.
⎯ Ton amie ne viendra pas, elle restera dans sa cage ; c’est sa place dé-
sormais.

150
⎯ Elle n’est pas un animal, c’est une femme ; un être humain.
⎯ Je veux bien que tu prennes ton animal de compagnie avec toi, mais
si c’est une femme, je n’en veux pas.
Néni se redresse alors, entendant les propos de Maldeï, et lui dit :
⎯ Jacques n’accrochera qu’une seule étoile devant ses yeux. Il n’a de
place que pour une seule femme, une seule doit survivre. Une d’entre nous
doit disparaître.
Jacques sourit, mais Maldeï ne le prend pas bien. Néni est devenue trop
importante. Néni se relève et ses yeux violets commencent à devenir dange-
reux. Maldeï le sent et s’y prépare. Le serpent se redresse sur sa tête comme
pour se mettre en position de défense. Elle regarde Néni et lui dit :
⎯ Tu veux combattre, tu me provoques ?
⎯ Je le peux. Mais aujourd’hui je sais déjà qui sera le vainqueur de ce
combat.
⎯ Ah ! oui, tu dois bien admettre que je suis invulnérable et que je vais
te réduire en rôti dans les minutes qui viennent.
⎯ Même cuite des feux de vos yeux, vous ne serez pas vainqueur. Au-
jourd’hui, celui qui gagnera ne se battra pas.
C’est alors que Maldeï commence à lancer des rayons de feu sur la jeune
femme. La pauvre Néni ne réplique pas à son regard tranchant comme des
lasers. Ses cheveux se mettent à brûler aussitôt et ses yeux s’enflamment
aussi. Les rayons de Maldeï sont terribles car elle continue de brûler comme
un lance-flamme la pauvre femme qui devient une torche vivante. La paille
au sol commence à s’enflammer et tous ceux qui sont dans la cage sortent
vite pour ne pas être brûlés. Jacques, dehors, se retourne et voit le corps de
Néni allongé sur le sol, continuant à brûler comme du bois sec. Il est saisi,
la mémoire lui fait apparaître tout ce qu’il a vécu avec elle jusqu’à ce
qu’une fumée étrange s’échappe du corps de ce qui n’est déjà plus qu’un
cadavre. Une fumée qui devient si intense qu’à la fin, le corps disparaît
comme recouvert d’un halot de lumière blanche. La fumée se lève et se
dirige en dehors de la cage jusqu’à entourer Jacques qui la respire totale-
ment. Il s’en emplit les poumons à tel point que sa tête lui tourne un long
moment. Lorsqu’un souffle de vent chasse cette fumée, le feu de la cage
s’arrête, et à la place du cadavre, il n’y a que le sol sans aucune trace. Jac-
ques redresse la tête et se retourne vers Maldeï :
⎯ Que faisons-nous ici ? Rentrons au palais.

Ayant oublié Néni, il esquisse un sourire à Maldeï et la suit. Lorsque Jac-


ques franchit la porte de l’appartement impérial, il regarde autour de lui et
trouve les lieux bien étranges. Il voit devant lui des choses qu’il ne
s’imaginait pas il y a encore une heure ou deux ; tout est changé à ses yeux
qui voient le monde sous une autre dimension. La couronne de Maldeï n’est

151
plus simplement un reptile entourant sa tête, mais elle a des ramifications
qui partent dans tous les sens et vont bien plus loin que le ciel qu’elle a au-
dessus de sa tête. Les yeux de Jacques ont changé, il ressent le monde au-
trement. Des corps invisibles apparaissent devant lui. Il voit autour de sa
conjointe un rayonnement de forces qui semble accroché à elle. Les cou-
leurs qui s’en dégagent vont du mauve au blanc. Par l’intermédiaire de la
couronne arrive sur sa tête des formes étranges et nombreuses qui semblent
nourrir les éthers qui l’entourent. Jacques se demande si Maldeï ne serait
pas un relais absorbant les forces de l’extérieur, car il voit sortir de sa poi-
trine un fleuve d’énergie qui s’enfuit vers un au-delà imperceptible à ses
yeux.
Sortant de sa cage, ce matin, il est dans un monde où tout lui paraît nou-
veau. Le crime que vient de commettre Maldeï semble ne pas perturber son
mental, comme si Néni n’était pas morte ; il n’y pense même pas…

Maldeï lui propose de venir avec elle jusque dans sa chambre. Mais lors-
qu’il voit les tentacules malsaines qui sortent de sa bouche, il se recule
d’instinct ; ce qu’elle ne comprend pas. Jacques entend pour la première
fois en lui une voix dire :
« Ne recule jamais devant la difficulté ; accepte l’épreuve, elle est là pour te
montrer la voie de la vérité. Je suis en toi, tu as ma force et mes pouvoirs. »
Voyant Maldeï se questionner, Jacques la regarde avec un sourire et lui dit :
⎯ Ma rébellion et mon désaccord ont dû être une souffrance pour toi,
ma chérie. Allons dans ta chambre pour rattraper le temps perdu.
Maldeï se détend et le prend par une main pour qu’il la déshabille et qu’il
lui montre ses pouvoirs masculins. Curieusement, les rôles sont changés car
Maldeï n’a plus rien à prendre de son époux, sauf du plaisir, alors que Jac-
ques a tout à apprendre.
Il se glisse entre ses jambes et l’âme parle…

« Néni, où es-tu ? »
« Je ne suis pas loin ! »
« Je ne te vois pas, mais je te sens. »
« Écoute ton Cœur… »

152
SOLITUDE SUR FRATANIA
Le vaisseau de Némeq et Amanine a quitté Vénusia pour
rejoindre Unis avec en plus les cent soixante-trois survivants de la planète.
Il est clair que Maldeï est déjà passée sur toutes les planètes de l’ancienne
civilisation Lunisse. Les deux responsables de cette expédition savent que
les autres planètes qu’ils ont encore à visiter leur procureront encore des
surprises. Ils espèrent que Maora, qu’ils ont quitté depuis quelque temps, a
réussi dans son entreprise et qu’elle a pu sauver les milliers d’êtres qui
étaient emprisonnés sous les glaces de Persevy. Le voyage devrait se passer
sans problème car tous les rescapés se sont vite adaptés à la vie spatiale, qui
est incomparablement mieux que celle d’électrons dans un caisson confiné.
Le voyage sera plus court qu’à l’aller car Némeq veut profiter des courants
éthériques favorables pour retourner vers Unis. Ils ont devant eux douze
jours de voyage. Némeq est particulièrement heureux de bientôt revoir ses
amis.
Alors qu’il est dans le poste de pilotage avec Amanine, Lovinlive, le chef
de la communauté vénusienne, les rejoint.
⎯ Némeq, je sais que tu souhaites rentrer sur Unis, pour que nous nous
rassemblions tous afin de nous préparer à lutter contre Maldeï, mais peut-
être serait-il plus juste de ne pas perdre de temps à cause de nous et d’aller
vers les autres planètes lunisses afin de sauver ceux qui peuvent être encore
prisonniers ?
Amanine l’écoute avec intérêt, elle pense qu’il dit peut-être juste ; si Maldeï
apprenait qu’une expédition fait le tour des planètes pour sauver les survi-
vants, il se peut qu’elle réagisse et revienne tuer tous ceux qui sont restés
sur les trois dernières planètes.
⎯ Lovinlive a raison, nous rentrons sur Unis uniquement pour les res-
capés de Vénusia. Nous pouvons gagner des dizaines de jours si nous fai-
sions un circuit et les ramenions tous d’un coup. Je vais demander au CP de
calculer le temps que nous pourrions gagner.
Elle fait les manipulations nécessaires et le résultat est immédiat :
D’où ils sont, ils mettront dix jours pour rejoindre Fratania. De Fratania à
Bravia ils en auront pour vingt jours, et de cette planète à Sagis, trente
jours. Enfin quinze pour rentrer sur Unis.
Amanine suggère ce plan à Némeq qui ne le désapprouve pas.
⎯ C’est juste, nous gagnerons facilement une centaine de jours en fai-
sant cela. C’est très important, il n’y a plus à réfléchir. Mettons le cap vers
Fratania !
Amanine, fort habituée à manœuvrer l’appareil, fait les corrections néces-
saires. Le CP informe aussitôt qu’ils arriveront dans dix jours. Ce voyage ne
sera pas long, juste le temps pour les nouveaux de s’habituer au vaisseau…

153
Durant ce voyage, ils ne rencontrent aucune difficulté et la planète est bien-
tôt sous leurs pieds. Pour des raisons de sécurité, le vaisseau restera dans
l’espace et Némeq partira explorer la planète avec une équipe constituée des
douze membres avec Lovinlive qui désire les suivre. Amanine restera dans
le vaisseau et surveillera la planète et l’espace afin de s’assurer qu’aucun
engin ennemi ne vienne pour les détruire. Le Terrifiant est suffisamment
armé pour lutter contre un autre croiseur de l’espace. Si l’équipe de Némeq
était en difficulté, Amanine devrait descendre pour les secourir. Les cent
soixante-trois personnes de Vénusia resteront là pour leur sécurité, sauf
Lovinlive évidemment.
Tous prêts, dans le petit vaisseau que Némeq avait au début, ils descendent
vers la planète.
Fratania n’est pas une planète comme les autres car elle n’est pas le satellite
d’une étoile comme toutes les autres planètes. Elle est dans un vide spatial
où la première étoile, se trouve à dix années-lumière. On pourrait croire
qu’elle est un véritable bloc de glace sans vie car sans lumière venant de
l’extérieur, mais c’est entièrement faux car Fratania produit elle-même sa
propre énergie et sa lumière. Elle a un cycle de jour et de nuit, mais au lieu
de tourner sur son axe et d’être éclairée par la lumière d’une étoile, elle est
dans la nuit ou le jour partout sur la planète au même moment. C’est du
cœur de la planète qu’est émise l’énergie par cycles de vingt-deux heures,
un flux de photons monte du sol, traversant les couches telluriques. Arrivée
dans la couche supérieure de l’ionosphère, la lumière s’étale alors sur tout
le globe. L’activité lumineuse dure à peu près dix heures, ce qui laisse à la
vie le temps de s’activer. Le cœur de l’astre en fusion chauffe toute la sur-
face. Il est très curieux de trouver dans l’univers une planète qui n’en n’est
pas une ; un astre complètement autonome. Il n’y a pas de saison, mais cela
n’empêche pas l’astre d’avoir un climat varié. Les Lunisses ont découvert il
y a des milliers d’années cette planète étrange, et avant eux, elle était déjà
peuplé d’animaux variés. Elle a des océans et de grands continents et elle
pourrait accueillir des millions d’êtres, voir des milliards, mais elle a un
défaut important, ce qui fait que les Frataniens n’ont jamais été plus de cinq
cent mille à y vivre. C’est une catégorie bien particulière de Lunisses qui
s’est installée dessus.
L’énergie qui sort de Fratania est chargée d’un flux magnétique particulier
que peu d’hommes supportent généralement. Ceux qui l’acceptent sont des
êtres qui savent vivre en communauté et partager tout ; c’est-à-dire la vie,
l’habitat, les loisirs, mais surtout les pensées et l’esprit. Un être ordinaire ne
peut supporter de rester longtemps ici. La solitude sur Fratania n’existe pas,
les êtres vivent en couple au moins, voir en groupe. Le respect est total, les
hommes et les femmes, partagent la vie des uns et des autres et aucun n’est

154
marié comme souvent sur les autres planètes, mais ils vivent unis comme un
seul corps. Les enfants qui naissaient ici n’avaient ni père ni mère car les
adultes l’étaient tous. La communauté était la famille, la communauté était
le lieu de partage. Mais jamais il n’y avait des dérives sexuelles, chacun
laissant l’autre partager ce qu’il ressentait avec la communauté. Un homme
ou une femme pouvait avoir un partenaire le matin et un autre le soir, cha-
cun le savait, cela faisait partie de la vie, et il n’y avait pas de notion
d’adultère. C’est le flux magnétique de l’astre qui voulait ça car les forces
qui sortaient du sol étaient comme des aimants qui attiraient tout autour
d’eux. Les Lunisses qui vivaient ici semblaient avoir compris que l’influx
magnétique qui sortait de l’astre était tout comme l’amour, un phénomène
d’attirance, et c’est pour cela qu’ils avaient compris qu’ici, ils formaient
ensemble une fraternité sans distinction de personnalité. Leur cerveau ne
pensait pas Moi, mais Nous. Némeq sait tout cela, mais il n’est jamais venu
jusqu’ici. Son vaisseau est constitué des membres de son équipage qui ont
bien voulu se porter volontaires et ils savent tous comment est constitué
l’astre car il leur a fait un exposé avant d’arriver. Tous se rappellent
l’expérience de Vénusia et ne souhaitent pas se faire surprendre comme la
dernière fois. La zone de posage qui a été définie est la ville de Bengam, la
capitale de la planète, et de là, ils commenceront leur recherche. Cette pla-
nète étant aussi grande que Lunisse, leurs investigations risquent de prendre
du temps ; heureusement ils ont des appareils qui peuvent les aider avec la
plus grande précision. Du poste de pilotage, Némeq a ouvert les écrans
protecteurs et ils voient tous la planète. Lorsque le jour est là, on la distin-
gue sous un nuage blanc et laiteux qui retient les rayons infrarouges et lui
confère sa stabilité thermique, et contrairement à Lunisse ou la Terre, on ne
peut distinguer le sol depuis l’espace. Le vaisseau pénètre l’atmosphère en
traversant la couche de vapeur d’eau et de gaz et bientôt, tous peuvent voir
le sol verdoyant et les océans bleus. La ville est encore loin et il n’y a que le
CP qui la distingue. Ils se posent enfin sur l’astroport qui est en bordure de
la ville. De toute évidence, ils sont seuls, ils ne voient aucun mouvement
autour d’eux. Cette ville abritait presque cent mille habitants, c’était la plus
grande et la capitale en même temps. Un des membres de l’équipe qui paraît
encore très jeune demande à Némeq :
⎯ Pourquoi les Lunisses se sont-ils installés sur cette planète si elle
produit en chacun de nous des problèmes ?
⎯ Mais mon cher Noam, ici, comme sur les autres planètes du monde
lunisse, les colons qui se sont installés l’ont fait car ils ont été touchés par
les forces magnétiques de l’astre qu’ils découvraient. Lunisse s’est cons-
truite grâce à toutes ces planètes car en associant leur qualité à la planète
mère, elles ont fait évoluer tout le peuple. C’était déjà l’effet de groupe.
Nous, les Lunisses, formions une collectivité, une fraternité. L’esprit frater-

155
nel et le sens du commun, nous l’avons acquis avec Fratania, tout comme
pour Natavi ou Vénusia que nous avons déjà visités.
⎯ Nous avons pour mission de ramener tous les survivants que nous
pourrons trouver. Penses-tu que nous pourrons reconstruire Lunisse comme
avant ?
⎯ Noam, Lunisse n’existe plus, nous ne la reconstruirons pas. Mais
peut-être qu’en prenant avec nous tous les représentants des différentes pla-
nètes, nous pourrons entraîner avec nous des forces qui nous aiderons à
lutter contre Maldeï.
Le jeune homme hoche la tête, il comprend mieux pourquoi les colonies ont
toujours existé. Némeq prévient chaque membre :
⎯ N’oublions pas que Fratania est une planète qui est basée sur le phé-
nomène de l’attirance. Les rayons qui s’échappent de son sol sont très puis-
sants et peuvent nous donner des idées curieuses. Je vous demande de rester
prudent. Lorsque vous sentez que vous dérivez à des actes étranges et sen-
tez une attirance entre vous, c’est le fluide de la planète qui s’exprime. Nos
pensées peuvent devenir collectives. Si vous réagissez négativement, vous
risquez de ne pas vouloir rester. Durant notre séjour, nous devrons penser
comme des Frataniens.
⎯ Ne risquons-nous pas d’aller vers des abus si nous laissons la planète
nous envahir ?
C’est là que Lovinlive intervient :
⎯ Sur Vénusia, vous avez senti le côté sexuel de la planète parce que
vous n’étiez pas averti du but de l’astre. Mais là, Némeq vous a fait la gen-
tillesse de vous expliquer et je pense que vous ne ferez pas la même erreur.
De toute façon, nous sommes déjà dans ce vaisseau une fraternité.

Némeq veut faire quelques analyses avant de sortir de leur engin, et dans
les instants qui suivent, il met en marche le détecteur de vie pour savoir s’il
y a des Lunisses à retrouver sur cet astre. Contrairement à Vénusia, très
rapidement le CP indique que cent soixante-treize êtres humains sont détec-
tés, mais ce qui est étrange, c’est que c’est à cent soixante-treize lieux diffé-
rents sur la planète, qui plus est, sur toute la surface. Le jeune Noam dit :
⎯ Pour des êtres fraternels, ils ont une étrange conception de la fraterni-
té. Chacun de leur côté, ils n’en donnent pas l’exemple.
⎯ Nous ne savons pas ce qui s’est passé ici. Il est probable que Maldeï
soit passée et qu’elle ait fait encore quelque chose contre ces hommes et ces
femmes. Nous devrons aller les chercher un par un s’ils ne sont pas cachés,
nous pourrons les trouver rapidement. J’ai l’intention de demander à Ama-
nine de venir avec un vaisseau supplémentaire, comme cela nous ne per-
drons pas de temps.
⎯ Némeq, nous pourrions sortir pour un peu visiter la ville dans la-

156
quelle nous nous sommes posés ?
⎯ Si d’autres le désirent c’est possible, faites-le pendant que je contacte
Amanine et avant que l’autre vaisseau ne soit arrivé.
Sur les seize membres, il n’y a que Lovinlive qui souhaite rester avec Né-
meq. Alors les hommes et les femmes du vaisseau, après s’être préparés,
quittent le vaisseau pour s’avancer en ville. Les hommes restés dans l’engin
les regardent s’éloigner en pensant qu’ils ne perdront pas trop de temps car
dans moins de deux heures, ils repartiront. Juste après, Némeq appelle
Amanine pour lui expliquer la situation et l’espoir de retrouver cent
soixante-treize survivants. Elle comprend bien et propose d’envoyer Fenvy
avec un vaisseau et une équipe pour les aider à la récupération. Satisfait,
Némeq annonce à son amie qu’il se tiendra prêt pour les accueillir. Comme
il est bon de respirer l’air de l’extérieur, il propose à Lovinlive de sortir
pour se détendre. Némeq ouvre la porte, s’avance avec Lovinlive vers la
passerelle qui les conduit à l’extérieur de la piste. C’est à cet instant qu’il
commence à avoir un terrible mal de tête, tout comme son compagnon. Une
curieuse tension nerveuse monte en lui, il ne la contrôle pas. Némeq relève
les yeux et regarde Lovinlive, et lui dit :
⎯ Inutile de rester avec toi, tu ne m’es d’aucune utilité. Un vieil homme
comme toi est sans intérêt, je préfère rester seul. Dégage de mon champ de
vision.
Le vieil homme aurait pu être contrarié de cette remarque étrange, qui
contraste avec le tempérament de Némeq. Mais, bien au contraire, il lui
sourit et lui répond :
⎯ Tu n’as que peu de valeur. Moi, j’ai été chef de toute une planète du-
rant des années, pas comme toi, qui n’est que pilote d’engin de l’espace. Tu
n’as qu’à appuyer sur des boutons pour que ça marche. Vraiment, tu n’as
pas grand-chose dans la tête alors que moi, je suis vieux, mais je pense, je
réfléchis.
Sur le champ, tous les deux s’éloignent, pensant ne plus avoir besoin l’un
de l’autre, alors que Némeq avait annoncé exactement le contraire et pensait
même qu’une fois à l’extérieur ils auraient tous le désir de se réunir. Si ceux
qui sont sortis ont eu la même réaction, le groupe entier doit être déjà tota-
lement éclaté. Comme personne n’est resté dans le vaisseau ; plus personne
n’est là pour les raisonner…

Némeq marche seul et entre dans la ville. Il a déjà aperçu des membres de
l’équipage, mais il s’en est éloigné immédiatement de crainte d’être déran-
gé. Dans sa tête, il n’a pas d’idées agressives, mais il pense que seul il sera
mieux et qu’il n’est plus indispensable de rester en collectivité. Dans son
esprit, il sent que l’individualisme est ce qu’il y a de mieux pour se sentir
puissant et libre. Les idées tournent et il comprend qu’il avait jusqu’à pré-

157
sent fait l’erreur de croire qu’avec les autres, on est mieux. Un être humain
n’est pas un animal, il n’a pas une conscience collective. L’homme est au-
tonome, son cerveau lui permet de faire ce qu’il désire, il peut réfléchir,
penser, lorsqu’il le souhaite, il peut apprendre et connaître ce qui l’intéresse.
Son avis est ce qu’il y a de meilleur car il va toujours dans son intérêt.
L’ego est une protection contre les autres, de toute façon, on est tous égaux
devant la mort, alors avant qu’il soit trop tard, c’est mieux d’agir pour soi. Il
se dit :
« Personne n’est dans notre peau. Les gens qui nous critiquent ne nous
connaissent pas. Pourquoi se sacrifier pour le bien des autres, pourquoi vou-
loir perdre jusqu’à sa vie pour les autres alors que ceux qui prennent, ne
nous le rendront pas ? »
Pour Némeq, tout lui paraît clair, il regrette même de ne pas s’en être aperçu
avant. Il est là, sur Fratania, la planète qui a toujours eu la réputation d’être
une planète-modèle pour tous les Lunisses. C’est évident, ce qu’il ressent en
lui est la vérité de cette planète. Si les lunisses ne voulaient pas s’y installer,
c’est parce qu’ils avaient peur de se voir tel qu’ils devraient tous être ; des
hommes individualistes ayant en fait un mental égocentrique qui est la réali-
té. L’égocentrisme est la nature profonde de l’humain, c’est sa vérité et s’en
défaire, c’est renoncer à toute l’humanité, l’univers. Ce monde dans lequel
l’homme vit et fait pour son égo, pas une autre forme de vie. Il n’y a pas de
place pour des êtres pourvus d’un esprit fraternel, ceux-là n’ont rien à faire
dans cet univers, ils sont même des anomalies de la nature et il est normal
qu’ils disparaissent un jour.
Némeq chemine dans la ville à la recherche d’un endroit pour dormir car la
lumière commence à disparaître. Les bâtiments sont tous abandonnés, il va
jusque dans une zone résidentielle où il aperçoit des pavillons construits,
comme à Lunisse, sur un seul niveau. En général, les logements sont acco-
lés par groupes de trois et les terrains ne sont pas séparés par des clôtures.
Avant de pénétrer dans l’un d’eux, il aperçoit un vaisseau qui traverse le
ciel. Il sait que c’est un des siens, mais il a une pensée antipathique à son
égare :
« Tu perds ton temps, tu ne trouveras personne qui veuille te rejoindre. Et si
tu insistes à nous trouver, va au diable… »
L’engin s’éloigne et disparaît vers l’astroport. Il entre dans la maison en
forçant la porte coincée par la poussière et la crasse. Lorsqu’il pénètre à
l’intérieur, une monstrueuse odeur de moisi envahit ses narines. La ventila-
tion ne fonctionne plus, les fenêtres sont restées fermées depuis des années,
il n’y a plus de vie ici. Bien sûr, comme la centrale éthérique ne fournit plus
d’électricité depuis tout ce temps, aucun équipement n’a pu continuer à
fonctionner. S’avançant jusqu’à la cuisine, il voit le compartiment à nourri-
ture, véritable source de vivres à l’époque. Il suffisait de penser au plat dési-

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ré pour qu’il soit directement cuit et sorti du four à ultrasons, pour arriver
jusque sur la table magnétique. Némeq ouvre une porte et, hélas, ne trouve
qu’un tas de poussières ; la moisissure s’étant transformée, faute de matière.
Rien à se mettre sous la dent, Némeq s’en agace. Alors, il ressort dans le
jardin de la résidence et là, il trouve des fruits assez mûrs sur un arbre à lait.
Il les décroche délicatement car ce fruit est fragile. C’est une chance pour
lui d’en trouver car ils ne poussent que dans les régions au climat doux et
ensoleillé. C’est un fruit exceptionnel car à l’intérieur, il contient un lait
aussi riche que celui d’une vache. Lorsqu’il est très avancé, le lait se trans-
forme en une sorte de crème fraîche ; il est très riche et nourrissant. Il en
récolte suffisamment pour son repas et en met aussi de côté pour les autres
jours, car il ne sait pas encore ce qu’il fera par la suite. Ce qui est certain
pour lui, c’est qu’il restera là autant qu’il faut et il ne lui vient même pas
l’idée de reprendre le vaisseau pour quitter la planète, comme s’il y était lié.
La nuit est tombée, la température baisse. Dans le pavillon, Némeq a trouvé
un lit encore propre. Il a secoué la poussière et comme il n’a rien à faire, il
s’allonge dessus. Fatigué du changement qu’il a subi, il s’apprête à
s’endormir. Mais sa tête, un mot de trop résonne :
"SOLITUDE"…

Après avoir quitté Némeq, Lovinlive ne s’est pas embarrassé de scrupules,


car il a fait demi-tour pour retourner au vaisseau qui avait les portes grandes
ouvertes. Il a pris toute la nourriture qu’il pouvait emporter dans un grand
sac. Ensuite, il s’est installé dans la tour de contrôle.
Le voici maintenant face à la piste et il peut observer tous les mouvements
autour de lui. Il se dit que s’il peut s’installer ici, il pourrait devenir un jour
maître de l’astroport si des vaisseaux revenaient à nouveau. Le poste com-
porte plusieurs logements pour les responsables du site et par chance, un
des groupes de canons éthériques fonctionne encore. L’astroport a toujours
été sécurisé, c’est pour cela qu’il n’est pas hors circuit. Grâce à ça, il peut
devenir le maître, même si chacun reste indépendant, ils seront bien obligés
de passer par lui pour une raison ou pour une autre ; être maître de soi et des
autres le fait jouir par avance. Lovinlive avait été le gouverneur de Vénusia
et il avait fait briller haut l’Amour qui était le symbole de cette planète. Il y
a bientôt dix ans, il avait participé au sacre de dernier Grand Dictateur, Jac-
ques Brillant, et cela lui échappe aujourd’hui. Pour lui, ici, son nouveau
but : devenir un Maître, plus un simple gouverneur comme autrefois.
Contrairement à Némeq, s’il devait rencontrer un opposant, il n’hésiterait
pas à le faire disparaître. Cela ne fait que quelques heures qu’il est ici, mais
dans sa tête les plans se font très vite. Après la nuit, il commencera à mettre
en place un contrôle autour de l’astroport afin que plus personne ne puisse
pénétrer ici. Ceux qui voudront le faire devront payer une taxe. Depuis la

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tour de contrôle qu’il dirige, il a à sa disposition un ensemble de ressources
techniques le lui permettant. S’il y a un moment, il se permettait de critiquer
Némeq parce qu’il est technicien, maintenant il joue aussi ce rôle. Tout doit
se passer comme il le souhaite, il y aura bien des hommes ou des femmes
qui passeront sur le site ou un vaisseau qui s’y posera. Son idée de domina-
tion lui convient, il se sent devenir un être incontournable. Il se dit :
« Moi, je serai le maître de la planète, Moi, je serai celui que l’on respecte
car je n’aurai de compte à rendre à personne. Mon esprit est indépendant,
je n’ai besoin de personne pour être le centre obligatoire de cette planète. »
Depuis sa tour, Lovinlive se sent puissant. Bien sûr, il a pu voir un vaisseau
tourner autour de celui qui est posé sur la piste et il n’a pu demander une
taxe à celui-ci, mais il pense que demain il aura déjà plus de prise sur les
éventuels visiteurs. Enfin, il monte dans son appartement pour se coucher.
Hélas, au moment de s’endormir, aucun doute ne vient s’installer en lui,
comme s’il était maintenant soumis à un principe de pensées qui paraît faire
ses effets en lui.
Et, dans la plus grande solitude, il s’endort…

Noam est bien perturbé, il se retrouve seul car ses amis sont tous partis de
leur côté. Dès qu’ils sont sortis, chacun a voulu suivre une voie différente.
Ils étaient à la limite de la discorde et ont préféré se séparer, plutôt que de
se battre. Noam, lui, n’avait pas de préférences, mais souhaitait visiter la
grande ville, et il s’est retrouvé seul, ne comprenant pas ce qui se passait
pour chacun, les voyant tous partir de leur côté. Maintenant affolé, il court
vers le vaisseau, mais Némeq et Lovinlive sont déjà partis. Ne sachant plus
où aller, il se réfugie dans la soute pressurisée du vaisseau, et à l’instant où
il referme la porte, une impression de bien être l’emplit aussitôt. Alors qu’il
avait des maux de têtes depuis sa sortie, tout se calme. C’est à cet instant
qu’il comprend que l’atmosphère extérieure contribue à polluer les esprits.
À un moment, il entend des bruits de pas au-dessus de lui. Il espère que les
membres reviennent, mais il entend la voix de Lovinlive débiter des mots
incohérents. Il reste alors sans bouger à l’intérieur, de peur de se faire re-
marquer.
Cela fait des heures qu’il est plié dans un réduit et, ne tenant plus, il décide
de sortir. Il se faufile sous la coque et arrive enfin jusqu’au niveau des cabi-
nes et de la cuisine. Il contrôle la porte du vaisseau pour s’assurer qu’elle
est bien fermée, puis il monte jusqu’au poste de pilotage et de là, il voit un
vaisseau qui, après être passé au-dessus de lui, s’éloigne dans l’espace.
Aussitôt, il se dit que même ceux qui sont restés là-haut les abandonnent.
Le pauvre Noam n’est pas pilote de vaisseau, il n’est pas mécanicien ni
navigateur. Non, vraiment, il ne connaît pas ces métiers-là. Il a juste dix-
huit ans et c’est un littéraire, il compose avec les mots et ne sait pas encore

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quel métier il souhaitera faire plus tard. Il avait toujours vécu sur Persevy
sous la protection des glaces et de la mer, dans la bulle où il vivait, on ne
formait pas de pilotes de vaisseaux. Alors, devant tous les instruments qu’il
a devant lui, il est bien ignorant. Pourtant, il voudrait tant prendre contact
avec Amanine restée là-haut. Le comble, c’est qu’il ne sait même pas faire
fonctionner le Cristal Pensant. Mais Noam ne veut pas rester là sans rien
faire, alors il commence à prendre des livres ressemblant à des encyclopé-
dies. Bien sûr, les livres lunisses sont des plaques de cristal tactile qui
s’activent au touché. En ouvrant le premier, il trouve des informations très
détaillées sur le CP, et c’est ainsi qu’il commence à comprendre son fonc-
tionnement. L’ouvrage fait plus de dix mille pages, et il lui faut un peu de
temps pour pouvoir s’en acquitter. Mais à la fin, il se sent moins idiot et
regrette de n’avoir pas eu l’idée de les consulter plus tôt. Il prend le
deuxième ouvrage, c’est celui du maniement des vaisseaux ; un vrai mode
d’emploi avec des exemples presque réels où son esprit est entraîné dans
des situations de vol quasiment vraies. Vingt mille pages qu’il se précipite
de dévorer. Et tout comme pour le CP, maintenant, il se sent parfaitement
prêt pour piloter un de ces engins. Mais il n’a pas l’intention de partir sans
ses amis, alors il se place aux commandes du vaisseau et interroge le CP :
⎯ Peux-tu me dire ce qui se passe à l’extérieur, pourquoi tous nos amis
sont-ils partis ?
L’engin réfléchit un peu avant de donner son opinion, mais au bout de quel-
ques minutes, il lui répond :
⎯ Il apparaît une perturbation électromagnétique anormale sur la pla-
nète. Celle-là est en mesure d’agir sur les cerveaux humains. La source de
cela n’est pas naturelle, c’est une machine qui la produit.
⎯ CP, es-tu capable de me dire où se trouve cette machine ?
⎯ Mon système d’investigation l’a déjà repérée ; elle est située à vingt
kilomètre au-dessus de la ville, c’est dans la carrière des trois Elohims.
D’ici, au cap trente-deux exactement.
⎯ Ça fait loin d’ici ?
⎯ Avec le vaisseau, pas plus de deux minutes, mais à pied, vingt-trois
heures.
⎯ Et-bien, allons-y avec le vaisseau !
⎯ C’est impossible, Némeq est le seul habilité à pouvoir s’en servir ici.
⎯ Mais pourquoi ?
⎯ Parce qu’il est le chef de cette expédition et qu’il a verrouillé l’accès
aux commandes par son code personnel.
⎯ Tu veux dire que si je veux aller jusqu’à la machine qui perturbe
l’esprit de mes camarades, il faut que j’y aille à pied ?
⎯ Tout à fait !
⎯ Mais pour faire vingt kilomètres, il me faut moins de vingt-trois heu-
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res, je ne marche pas comme un bébé.
⎯ La distance que je te donne est en ligne droite ; mais il y a de nom-
breux pièges sur la route et tu devras faire des détours bien plus importants.
⎯ CP, que me conseilles-tu de prendre avec moi pour y aller ?
⎯ Très bonne question ; attends un peu que je réfléchisse.
La réponse ne se fait pas attendre :
⎯ Du courage en premier, ensuite de la force et surtout de la bravoure.
Enfin, n’oublie pas d’agir contre les instincts qui te traverseront. Lutte
contre toi-même et regarde-toi comme un ennemi ; ne te fait pas confiance,
et si tu entends encore ton cœur, écoute-le, il pourrait t’être de grand
conseil…
Lorsque Noam entend cela, il s’étonne qu’un CP puisse lui dire ce type de
conseil ; en général les machines sont des prolongations de la technologie,
pas des philosophes.
⎯ Mais à part ça ?
⎯ Prends un peu de nourriture et d’eau. Un compas et une torche.
⎯ Pas d’armes ?
⎯ Pourquoi une arme ?
⎯ Pour me défendre et détruire la machine.
⎯ Il n’y a que toi comme ennemi et je pense que la machine reste bien
protégée.
⎯ Alors, à quoi sert que j’y aille ?
⎯ On ne sait jamais !
Juste après cette phrase étrange, le CP se brouille et s’éteint d’un coup.
Noam en est surpris et sur le moment ne sait qu’en penser. Mais comme il
est seul et que sans les autres, il pense ne pas avoir d’avenir, il se dit qu’il
faut y aller, ne risquant pas de perdre beaucoup plus que maintenant. Il pré-
pare alors les affaires que le CP lui a conseillées. Il trouve d’abord la nour-
riture et l’eau qu’il met dans un sac en toile et fouille un peu partout pour
trouver une boussole. Dans la cabine de Némeq, il trouve un compas élec-
tronique qu’il met dans sa poche. Tout préparé, il se dit qu’il faut y aller
maintenant. Voyant la nuit totale, il se dit que c’est le moment. Il ouvre
alors la porte du vaisseau et s’engage dans la direction à suivre, à l’aide du
compas.
Aussitôt, l’atmosphère le percute et un profond mal de tête le prend. Il sait
que c’est la machine qui agit sur lui, mais il ne veut pas en tenir compte.
Son cœur cogne, tant il connaît le risque d’être dehors. La boussole lui indi-
que la direction, il ne faut pas perdre le cap, mais comme il fait nuit, c’est
difficile de prendre des repères à l’horizon. Heureusement, la tour de
contrôle est dans sa ligne de mire, et par chance elle est éclairée. Il s’avance
vers elle. Sur le coup, il ne fait pas attention à l’éclairage de la tour, mais
après avoir bien avancé, il commence à se demander s’il elle ne serait pas
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habité. Hélas, trop tard pour se questionner, car lorsqu’il arrive dans le pé-
rimètre de la tour délimité par des repères phosphorescents, une sirène se
met à hurler, et aussitôt, des rayons éthériques commencent à le prendre
pour cible.
Lovinlive est aussitôt alerté qu’un intrus tente de s’introduire sur son terri-
toire. Heureusement, l’alarme a bien fonctionné et les rayons protecteurs
sont en action. Du haut de sa tour il voit de loin un jeune homme courir
pour tenter d’échapper aux feux croisés des armes. Le reconnaissant, il se
dit :
« Je le connais, c’est le jeune qui voyageait avec nous ! Il est sans complexe
de venir sur mon territoire. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à être plus pru-
dent, si je le laisse faire, bientôt, il prendra ma place. »
Lovinlive le regarde courir sans bouger. Le pauvre Noam vient de sauter
dans un trou salutaire et les rayons passent au-dessus de lui. Il est à quel-
ques dizaines de mètres de la tour et arrive à percevoir une ombre qui bouge
derrière les vitres. Il attrape sa boussole pour faire un nouveau point. Dans
la pénombre, il arrive à distinguer un monticule qui semble être exactement
dans son viseur. S’il peut, il doit parcourir deux cents mètres, ce qui
l’éloignera des feux de cette tour maudite. Au bout de quelques minutes, les
armes se taisent, ce qui lui laisse croire que l’alerte est levée. Alors, il se
penche hors du trou et décide d’y aller. Il saute et court, mais à ce moment,
les armes redonnent de la voix encore plus fort. Certains tirs passent de jus-
tesse au-dessus de sa tête et entre ses jambes. Il se dépêche et pense être
enfin sorti d’affaire, mais à ce moment, il est touché à l’épaule. Il sent la
blessure, mais ne s’arrête pas. Les tirs continuent jusqu’à ce qu’il sorte du
périmètre protégé, et enfin tous les rayons se taisent. Juste à cet instant, il
s’étale sur le sol dur comme de l’acier. Il est totalement épuisé et mainte-
nant blessé.
Noam ne se décourage pas, c’est une question de vie pour lui. Malgré son
jeune âge, il doit faire face à la difficulté. Il est blessé, mais il est de son
devoir d’arrêter l’hémorragie. Il prend alors dans une de ses poches la tor-
che que le CP lui avait conseillé de prendre. Il connaît le fonctionnement de
l’engin et il enlève le cristal d’où sort la lumière. Il sait que la pile à éther
crée un arc électrique puissant mais moins fort que les rayons mortels des
armes. Si ça marche, il va peut-être pouvoir soigner temporairement sa
plaie. Rapprochant les bouts du cristal sur sa blessure, il met en marche la
lampe, qui au lieu de faire de la lumière, lui envoie une grande décharge
électrique. La douleur est terrible pour lui, mais il ne bronche pas, il conti-
nue un moment jusqu’à ce que ça commence à sentir la peau rôtie. Il arrête
à ce moment. Regardant son épaule, il voit qu’il vient de réussir à cautériser
sa blessure et que le sang ne coule plus, mais son épaule n’est pas belle à
voir. Il se retourne et voit la tour de contrôle toujours éclairée. Il se de-

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mande :
« Mais qui pouvait bien être à l’intérieur ? Si c’était l’un des nôtres, il au-
rait arrêté aussitôt les canons. »
Hélas, Noam ne connaît pas encore le pouvoir de la machine qu’il recher-
che. Sa tête lui fait encore plus mal car il sent en lui le conflit monter. Il
commence à penser à l’envers de son mental quotidien. Des idées étranges
le traversent de plus en plus régulièrement. Il entend en lui ces mots qui ne
s’arrêtent pas :
« Mais laisse tomber cette machine ; pense à toi avant tout. Trouve un en-
droit où tu seras seul et en sécurité face aux autres. Il n’y a que toi qui
comptes, le reste n’est que chimères. On reste seul dans la vie, même lors-
qu’on est entouré d’amis. Ceux qui viennent vers toi sont des profiteurs. Tu
es le centre de ta vie et tu n’en as qu’une. »
Il est prêt à lancer le plus loin possible le compas qu’il a dans ses mains,
mais d’un coup, quelque chose le retient. Une force au-dessus de lui, lutte
contre ses propres instincts et il rattrape l’appareil qu’il s’apprêtait à lancer,
et une autre parole se fait entendre :
⎯ Garde le cap, suis le cap…
Il se relève, regarde devant lui le monticule qu’il avait repéré et fonce. À
force de courir, il arrive jusqu’à son but et cette fois, s’effondre dans l’herbe
et s’endort aussitôt…

Le jour se lève en même temps que Noam ouvre les yeux. La nuit a été
chaude pour lui et il a une énorme douleur à l’épaule gauche. Il se retourne
et voit la tour et le vaisseau. Depuis hier soir, il n’a parcouru qu’un kilomè-
tre. Autant dire qu’il a fait du surplace. Il comprend pourquoi le CP lui an-
nonçait vingt-trois heures pour faire les vingt kilomètres qui le séparent de
la machine, et il se rappelle que son but est de la détruire. Il n’est pas à cet
instant pris de la frénésie d’égocentrisme qui rayonne sur toute la planète et
il garde en lui ce but. Hélas, de résister, il est pris d’un mal de tête et son
sang bout. Il sait que la partie n’est pas gagnée alors qu’il est à des kilomè-
tres de l’installation responsable de la défaillance de ses amis. Il reprend
son compas et fait une nouvelle visée. Comme il fait jour, cette fois, il peut
prendre un repère bien plus éloigné, c’est pour cela qu’il détermine son but,
un grand bâtiment avec un pic dessus, dressé comme une grande antenne.
Pour y arriver, il devra traverser une partie de la ville. Prêt à partir, il prend
d’abord un peu de pain de Mailleul pour se donner de la force. Mais à
l’instant du départ, une voix en son être lui commande de renoncer, comme
si c’était sa conscience qui lui dictait :
« Soigne-toi, prend du temps pour toi, tu as le temps de retrouver cette ma-
chine ; et même, que fait-elle de mal ? Si tu la détruis, ça ne changera
rien. »

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Il regarde sa blessure qui suinte et se dit que ce serait mieux pour elle ;
alors, il fait demi-tour. Mais à peine a-t-il fait dix mètres qu’il se dit :
« Mais je n’ai pas eu cette blessure pour rien, c’est pour une juste cause
que je me suis fait toucher en traversant la zone de la tour. NON, n’écoute
pas cette voix, continue ! »
Noam refait demi-tour et reprend le chemin que lui indique la boussole…

Il a dû faire quatre ou cinq kilomètres et le pic de la tour est tout proche. Il


se dit que pour faire une autre visée, il serait peut-être mieux de monter au
sommet de l’édifice. Alors qu’il s’apprête à entrer dans le bâtiment, il voit
un des membres de l’équipage et il l’appelle.
⎯ Eh ! Je te connais, on était dans le vaisseau hier ! On pourrait se met-
tre ensemble, il faut que j’aille dans la carrière des trois Elohims. Veux-tu
me suivre ?
L’homme se retourne, surpris, le regarde d’un air étrange et lui répond :
⎯ Va ton chemin, disparais de ma vue et ne prends pas mon air. Ici, je
suis le maître, tu n’es pas chez toi. Tu es chez moi, chez moi ; pars !
Noam n’est qu’à moitié surpris, ayant vu hier le comportement des autres
membres. Mais il veut tout de même monter au sommet de l’antenne pour
repérer la direction à suivre. Alors, il se dirige vers l’édifice et pénètre de-
dans. Il trouve vite l’accès au pic, qui est en fait l’œuvre d’un artiste. De son
socle où l’on peut entrer, au-dessus est indiqué son nom, "La tour de la fra-
ternité". Il est indiqué qu’en y grimpant, on peut apercevoir le réseau éthéri-
que reliant toutes les villes de la planète ; le fluide créé par tous les hommes
qui vivent sur l’astre. Intéressé, Noam s’apprête à grimper l’escalier éolien
qui va jusqu’au sommet. Il se dit que c’est merveilleux de voir que les Fra-
taniens respectaient la nature en utilisant l’énergie du vent pour faire fonc-
tionner un escalier mécanique, hélas, il reçoit aussitôt un violant coup sur le
crâne. Heureusement, il ne perd pas connaissance et lorsqu’il se retourne, il
retrouve l’homme qu’il vient de laisser. Son égo se sent blessé d’avoir été
pris par surprise et il ne souhaite pas en rester là. Alors, il se défend contre
l’autre et lui rend son coup en le frappant du poing. Il s’ensuit une bagarre
entre les deux ; mais, même avec son épaule blessée, il arrive à prendre le
dessus. Attrapant sa lampe, il frappe au visage l’homme qui tombe sur le sol
et ne se relève pas. La voie est libre pour lui et il montre vers le sommet.
Arrivé en haut, il domine toute la ville et voit même jusqu’à trente kilomè-
tres. C’est alors qu’il s’écrit :
⎯ Je suis le plus puissant, je suis le plus fort ! Moi, je suis vraiment le
maître de toute cette planète ; je suis le plus élevé de tous ! Celui qui vien-
dra se battre contre moi, me trouvera plus fort encore. Je suis invincible !
Il oublie qu’il est venu faire une visée pour pouvoir continuer son chemin ;
il est pris par son égocentrisme qui lui dicte d’oublier ses bonnes intentions.

165
Tout irait bien pour lui s’il ne se remettait pas à avoir une terrible migraine.
Dans sa tête, tout devient sombre et ses idées se mélangent entre bien et
mal. Mais une force terrible semble monter de son cœur et lui dicte un mes-
sage précis :
« Trouve la carrière, il y va de ta vie. Trouve-la et détruit le Diamant aux
facettes intérieures. »
Le Diamant aux facettes intérieures. Rien que ces mots lui font un effet
étrange, et il réalise qu’il est en mission. Alors, il ressort son compas et fait
une visée précise. C’est là qu’il voit au loin, à travers des bois, des rayons
mauves en sortir. Il comprend que c’est le but qu’il doit atteindre. Ce qu’il
aperçoit est étrange, il voit comme des halots de couleur sombre se disper-
ser dans l’atmosphère et partir de tous les côtés.
⎯ Je ne dois plus perdre de temps, j’y vais.
De là où il est, il peut voir le chemin, une partie de la ville à traverser puis
un lac à contourner et enfin une forêt dans laquelle il devra s’enfoncer. La
grande difficulté est que cette clairière se trouve sur le sommet d’une mon-
tagne qu’il devra peut-être escalader. La clairière doit s’appeler "Le Pla-
teau", mais au moins, il lui sera plus facile de la trouver. Prenant son cou-
rage à deux mains, il décide de repartir. Lorsqu’il arrive en bas, il s’aperçoit
que l’homme qu’il avait assommé a disparu. Il ne perd pas de temps et
continue sa route en marchant le plus vite possible. Son chronocristal lui
indique qu’il est parti depuis quinze heures et la distance lui paraît im-
mense. Enfin, il arrive à la lisière de la forêt et il est fort surpris, car il ne
s’attendait pas à trouver des arbres aussi grands. Chacun d’eux ne doit pas
être en dessous de cent mètres et les troncs peut-être dix mètres à la base.
La forêt est dense car il croise un de ces monstres très régulièrement et la
lumière du jour n’arrive pas à traverser les feuillages. Peut-être lui reste-t-il
moins de dix kilomètres pour arriver, mais il est obligé de pointer à chaque
fois qu’il croise un arbre. Sa torche lui est bien utile, mais il n’est pas cer-
tain de pouvoir arriver jusqu’à son but. Depuis qu’il est dans la forêt, de
terribles maux de tête continuent à le lancer et une idée de plus en plus forte
l’entraîne. Être le meilleur, marcher pour gagner et être le premier à arriver
jusqu’à la machine et pouvoir dire :
« Moi, je suis là et pas les autres. Je suis le meilleur… »
Cela le stimule pour avancer et il ne perd plus de temps. Enfin, il arrive au
pied d’une butte sans fin. Redressant les yeux, il ne voit pas le bout du
sommet car les branches des arbres le lui cachent. Il pensait arriver au
sommet d’une colline ordinaire, mais en fait c’est presque un mur de pierres
qui se dresse et il lui faudra l’escalader. Il n’a que ses mains et ses pieds
comme instruments, il faudra faire avec.
« Qu’à cela ne tienne, Moi, je vais y arriver ! »
Alors, Noam commence l’escalade sans savoir où en sera le bout, il

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s’accroche avec ses mains et pousse avec ses pieds. Ça a l’air de fonction-
ner bien qu’il ne soit pas varappeur ; la volonté d’être le meilleur lui donne
du courage…
Noam ne regarde plus en bas, il ne sait plus depuis combien de temps il
monte, mais dans sa tête, le but qui l’anime n’est plus celui de l’origine. Il
ne veut pas sentir ses mains blessées, il a abandonné ses chaussures épaisses
qui le gênaient et malgré ses pieds ensanglantés, il ne se repose pas.
L’énergie de son égo le pousse à se battre pour obtenir la meilleure place et
il continue à se blesser tout au long de l’ascension. Enfin, juste avant que la
lumière du jour ne s’affaiblisse, il aperçoit le sommet. Qui n’est plus qu’à
une vingtaine de mètres. Mais il voit qu’il lui faudra trouver encore plus de
force pour y arriver car les bords de la paroi s’inversent et pour monter au
sommet, il devra se suspendre par les mains en s’accrochant à des morceaux
de pierres dépassant de la paroi. Il ne devra faire confiance qu’à la puis-
sance de ses doigts qui devront le porter. Il ne se décourage pas et, voyant la
première pierre à sa portée, il l’attrape. Son corps est suspendu et d’une
autre main, il en accroche une autre. Lorsqu’il voit sous ses pieds sur la
cime des arbres, il réalise que s’il lâche, ce sera pour se fracasser sur les
branches puis sur le sol qui est à plus de cent mètres en dessous. Il ne faut
plus perdre de temps se dit-il, et il avance. Par chance, il arrive enfin au
rebord et commence à se hisser. Enfin arrivé, se redressant, il tombe nez à
nez avec une personne qu’il aurait préférée oublier…

⎯ Tu es sur mon territoire, je te demande de partir.


⎯ S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.
Noam se prend un coup sur la tête et cela le rend encore plus furieux. Il
renvoie un geste si violent que son agresseur tombe sur le sol. Commence
alors une bataille si violente que celui qui ne se relèvera pas au final devrait
y laisser sa vie.
Deux hommes se battent sur le sommet plat d’une petite montagne. Pas un
arbre n’y a poussé, mais dessus, mis à part un sol de marbre blanc, une ma-
chine étrange y est posée. Au-dessus, une nuée mauve s’échappe et les deux
hommes sont les premiers à respirer les rayons étranges qui les traversent.
Noam frappe son adversaire et l’envoie contre la machine. Celui-ci, en la
percutant, fait bouger une de ses ailettes et reçoit en échange une décharge
électrique qui lui redonne le courage de se retourner contre son adversaire,
qui est malmené et qui vole à son tour contre l’engin. Au passage, il arrache
une des antennes plantées dessus. L’appareil crépite, mais les rayons violets
continuent à s’épandre autour des deux. Noam est plus touché, cela le rend
encore plus agressif et il crie :
⎯ Moi, je suis bien plus jeune que toi et ça ne m’empêche pas d’être
plus fort !

167
Il arrache alors un câble de la machine et s’en sert pour frapper son ennemi.
Le coup est rude pour celui qui le reçoit mais cela lui donne l’idée de ré-
pondre encore plus fort. C’est ainsi que, voyant un gros boîtier sur la ma-
chine, il commence à vouloir le détacher. Il tire de toutes ses forces dessus,
mais c’est trop difficile. Noam, son adversaire, ne veut pas le laisser agir et
pense pouvoir reprendre le contrôle, alors il attrape à son tour le gros boîtier
et veut l’arracher. Ils tirent si fort tous les deux, que d’un coup, les vis sau-
tent et dans leur élan, ils arrachent les câbles de la machine. Tous deux sont
projetés en arrière avec la boîte dans leurs bras. C’est à cet instant qu’ils
arrachent le reste des câbles accrochés et que toutes les lumières de la ma-
chine s’arrêtent. Une explosion s’ensuit et les deux ennemis s’effondrent
net sur le sol en perdant connaissance. Les rayonnements mauves disparais-
sent et un calme inattendu se pose sur les deux hommes. Quelques instants
plus tard, Noam se relève et voit Némeq étendu sur le sol. Il saigne du nez,
mais ce n’est peut-être pas très grave. Il s’approche et celui-ci ouvre à son
tour les yeux.
⎯ Je ne t’avais pas reconnu, c’est fou ce qui nous est arrivé ! Comment
as-tu fait pour découvrir l’emplacement de cette machine ?
⎯ L’atmosphère de cette planète était empoisonnée, dès que nous
sommes sortis de notre vaisseau, nous n’étions plus protégés et nous nous
sommes tous transformés en des êtres totalement égoïstes, tout l’inverse de
ce qu’est cette planète normalement. Je pense que c’est Maldeï qui a dû
poser cet appareil ici. J’ai été très perturbé par le rayonnement étrange de
cet engin et je me suis enfermé dans une maison. J’ai eu la chance qu’à
l’intérieur, il y ait une pièce isolée et j’ai pu retrouver ma conscience.
Comme j’avais sur moi un des communicateurs du vaisseau, j’ai pu trouver
les mêmes informations que toi et je suis parti à la recherche de cette ma-
chine. Mais une fois à l’extérieur, les pensées changeaient et plus je
m’approchais du but, plus les rayonnements étaient forts. C’est une chance
que nous nous soyons retrouvés ici, car notre affrontement a permis de dé-
truire ce maudit appareil.
⎯ Penses-tu qu’il soit responsable de la dispersion de tous les habitants
de la planète ?
⎯ C’est fort probable.
⎯ Alors, si cet engin est cassé, tous ceux qui étaient sous son emprise
sont libres maintenant !
⎯ C’est fort possible.
⎯ Alors, il faut retourner au plus vite vers notre vaisseau pour retrouver
tous les survivants ainsi que nos amis ! Hélas, nous en avons pour des heu-
res à nous y rendre.
⎯ Peut-être puis-je faire venir notre appareil jusqu’à nous.
⎯ Tu peux vraiment ?

168
⎯ J’en suis le capitaine et c’est dans mon pouvoir.
⎯ C’est pour cela que le CP me disait que seul le commandant avait les
codes du vaisseau.
⎯ Je vais lui demander de me rejoindre.
Némeq appuie sur sa commande et semble se concentrer. Puis, se détendant,
il annonce que le vaisseau arrivera dans deux minutes. Comme l’air de Fra-
tania reprend sa vraie valeur, Némeq et Noam se sentent plus unis qu’avant
le début de cette aventure. Leur esprit semble s’accorder à un ensemble plus
grand qu’avant d’arriver. Quelques instants plus tard, le vaisseau se pose
sur le sommet de la carrière des trois Elohims. Ils montent dans leur engin
et juste installés et après avoir décollé, le couvercle de la clairière explose.
De là jaillit un tourbillon de forces multicolores au nombre de trois. Les
deux hommes ne connaissent pas beaucoup cet astre, mais ils pensent que
ce sont les rayons de la planète qui rejaillissent de là où ils étaient enfouis ;
sous la machine. Sans tarder, ils regagnent la piste où ils étaient arrivés. Là,
ils aperçoivent les membres se regrouper et revenir. Après s’être posés, ils
se retrouvent tous. Ce qui est curieux, c’est que la nuit n’est pas venue,
comme si elle restait là pour les accueillir. Heureux d’êtres ensemble ils se
racontent leurs aventures mutuelles et ils se sentent tous proches et plus unis
qu’autrefois. Seul, Lovinlive n’est pas avec eux, ce qui les inquiète. Noam a
une intuition, il repense à la tour de contrôle :
⎯ Il faut aller voir à la tour !
À plusieurs Ils y vont vite, mais les protections sont encore actives et au
moment de vouloir entrer, un canon éthérique leur tire dessus. Heureuse-
ment, personne n’est blessé. Et enfin ils passent le barrage. C’est là qu’ils
trouvent le vieil homme allongé dans son sang. Son cœur bat encore et ils
lui donnent vite les premiers soins.
Revenant avant les autres au vaisseau, Noam donne l’alerte, et Némeq ap-
pelle Amanine dans la grande nef et lui raconte tout ce qu’il s’est passé.
Elle décide de descendre jusqu’à eux pour les aider. Tous soulagés, ils
voient enfin le Terrifiant arriver et se poser. Un peu plus tard, Lovinlive est
amené à l’antenne médicale ; il est vite sorti d’affaire. On apprend que les
armes qu’il avait mises en place se sont retournées contre lui lorsqu’il a
voulu rejoindre les autres. Némeq retrouve Amanine et fait le point sur la
situation des survivants de la planète :
⎯ Il y a cent soixante-treize personnes réparties sur cette planète, il faut
les récupérer. Le détecteur de vie les a repérées précisément. Si nous
n’avions pas été pris par les rayons nocifs de cette étrange machine, nous
serions déjà partis les rechercher.
⎯ Oui, et si cette machine n’avait pas été là, ils ne se seraient jamais
séparés. Regardons où ils se trouvent, sur le CP.
Amanine voit tous les points représentés sur l’écran et constate qu’ils se

169
déplacent.
⎯ J’ai l’impression qu’ils partent tous pour revenir ici. Vu la distance,
s’ils sont à pied, ils en ont pour des années. Mais, comme ils bougent, ils
doivent être à découvert et si nous partons, nous pourrons tous les retrouver
immédiatement.
Les trois vaisseaux disponibles se séparent pour rechercher les survivants.
Malgré la taille de la planète, ils mettent à peine deux jours pour retrouver
tous ceux qui étaient restés dispersés. Des hommes, des femmes de tous
âges et quelques enfants. Tous séparés à l’époque où la machine fatale avait
été installée. Unitaz un des responsables de Fratania explique en détail à
Amanine ce qu’il s’était produit lorsque Maldeï était venue sur leur planète
:
⎯ Jacques Brillant avait demandé à tous les Lunisses de se regrouper
sur la planète mère. La plupart d’entre nous sont partis, mais le cœur de
notre planète doit tout de même être vivifié par un noyau d’hommes et de
femmes, car le rayonnement fraternel est pour tous dans l’univers. C’est
pour cela qu’un groupe est resté. Nous n’avons pas choisi de rester, mais
cela a été décidé par un tirage au sort. Comme nous vivons en communauté
et que nous avons un esprit collectif, cela ne posa de problème pour per-
sonne. Nous nous sommes tous regroupés dans la ville de Bengam. Entre
nous, tout se passait pour le mieux. Nous n’avons jamais eu d’attaque go-
lock et nous pensions que cela continuerait longtemps. Cela a duré presque
deux ans, mais un jour nous avons eu la visite du grand vaisseau de la
confédération. Comme il était des nôtres, nous n’avons pas pris garde, mais
lorsque nous avons vu sortir une femme étrange qui portait la couronne de
Belzius, nous avons compris qu’il s’était passé quelque chose de mauvais.
L’une d’entre nous reconnut sous la Couronne de Serpent l’amiral Marsinus
Andévy et le lui fit remarquer. Cela fut si mal pris que notre amie fut tuée
sous mes yeux. Elle me demanda si j’étais le responsable de la communauté
et j’acquiesçais. Je pensais qu’elle allait me tuer aussi, mais elle n’en fit
rien. Par contre elle voulait que je l’emmène à la carrière des trois Elohims.
Je lui indiquais sur la carte, de peur qu’elle s’en prenne à l’un des nôtres.
Elle sourit et me dit que j’aurais bientôt la chance de devenir un autre
homme. Je ne savais pas ce qu’elle voulait dire et je la vis disparaître dans
un plus petit vaisseau en direction de la carrière. Je ne la revis pas mais le
lendemain, la discorde s’installa rapidement. En quelques heures notre es-
prit fraternel vola en éclats et nous nous trouvâmes tous comme des enne-
mis. Il y eut des drames car certains n’hésitèrent pas à tuer leurs partenaires.
Il fut vite décidé de se séparer et chacun parti dans une direction différente.
Nos voyages durèrent sept ans et chacun se sentit investi d’une mission
importante, nous étions tous devenus les êtres les plus importants de la ga-
laxie. Nous disions tous Moi, Je, et l’intérêt des autres n’était pas notre pro-

170
blème. Nous nous sommes tous retranchés dans des coins isolés et nous
avons vécu comme des ermites. Jamais nous n’avons su que c’était Maldeï
qui avait piégé notre planète en y plaçant un appareil qui inversait le flux
magnétique de la planète et qui nous rendait à l’inverse de fraternels. J’ai eu
un choc lorsque d’un coup mon esprit a retrouvé sa lucidité. J’ai senti en
mon cœur une flamme qui se ranimait et la liaison perdue avec tous mes
amis se rétablir de la même sorte. J’ai alors compris que quelque chose
d’important venait de se produire. J’ai vécu comme les autres des années
dans une autre peau, et lorsque ça c’est arrêté, j’ai compris que nous étions
manipulés par une force qui nous avait fait oublier notre vocation. Nous
devons rattraper le temps perdu, nous avons vécu dans la solitude la plus
totale et nous avons tous soif de nous retrouver dans l’union et la fraternité.
⎯ Unitaz, nous sommes sur cette planète pour ramener avec nous les
derniers survivants. Les choses ont bien changé depuis que Maldeï est ve-
nue sur votre planète. Elle a fait le tour de toutes les planètes lunisses et
comme chez vous elle y a semé sa terreur. Nous nous regroupons sur une
autre planète qu’Aqualuce nous a indiquée, et sur les autres, les derniers
survivants nous ont suivis. Maldeï prépare une grande invasion sur la Terre
et nous devons tous nous y préparer. Nous souhaiterions que vous nous
suiviez.
⎯ Quitter Fratania est pour nous un grand sacrifice. Nous avons par elle
des qualités que nous ne trouverons pas ailleurs.
⎯ Excusez-moi, Unitaz, je vous entends parler avec Amanine et vous
dites que vous ne pouvez pas quitter cette planète à cause des qualités
qu’elle vous apporte. Je crois qu’il est temps pour vous de nous rejoindre
car les qualités fraternelles que vous possédez ne sont plus sur cette planète,
mais elles sont installées dans vos cœurs. Venir avec nous vous permettra
de donner aux autres ce que vous avez appris ici. C’est au contraire le seul
bien que vous puissiez faire aujourd’hui. Rester serait une erreur.
Némeq parle peu mais ce qu’il dit est juste. Amanine l’approuve et le fait
savoir à Unitaz. Celui-ci se questionne un moment car il ne voyait pas cela
de cette façon. C’est alors qu’entre dans le quartier des officiers Lovinlive.
Il a un bras en écharpe, mais il semble avoir repris des forces. Il voit Unitaz
et ses amis en pleine discussion et veut repartir pour ne pas les déranger.
⎯ Reste avec nous, tu as une grande sagesse, tu peux aider Unitaz qui
se questionne.
Ils lui expliquent la situation et celui-ci ne prend pas le temps de réfléchir,
la solution est évidente.
⎯ C’est Maldeï qui nous a mis dans cette situation et je pense que ne
pas vouloir l’affronter, c’est lui donner les moyens de continuer. Elle fera la
même chose sur la Terre si nous ne pouvons l’arrêter.
⎯ Mes amis, je suis le coordinateur de Fratania, et comme nous agis-

171
sons tous avec un cœur fraternel, je peux déjà vous dire que nous vous sui-
vrons. Némeq a raison, c’est en nous que la fraternité vit et nous
l’exporterons vers les autres.
Tous sont heureux de cette décision, et peu après, il est décidé d’installer les
nouveaux dans le vaisseau. Le départ sera donné dans les prochaines heu-
res. Les cent soixante-seize survivants prennent leur place, le vaisseau est
grand. Cependant, avant de partir, Amanine tient à faire venir auprès d’elle
les responsables du vaisseau et des communautés car une personne mérite
particulièrement une très grande attention. Il s’agit de Noam, ce jeune
homme qui, par sa bravoure est arrivé à faire tomber la machine mise en
place par Maldeï, et qui depuis sept ans avait détruit toute l’âme de cette
planète. C’est Némeq qui fait devant lui son éloge :
⎯ Noam. Dans ton nom il y a deux mots. Le premier, c’est No, qui peut
signifier Nouveau ou alors Non. Nouveau pour dire que tu es de la nouvelle
génération d’homme qui va faire bouger le monde en lui apportant le sang
des jeunes qui veulent tous renouveler et refaire un monde différent et meil-
leur. Non, pour dire qu’il ne faut pas accepter la fatalité et qu’il faut se ré-
volter. Enfin, il y a le mot âme qui veut dire que tu as une conscience pro-
fonde qui t’éveille chaque jour et te donne la force d’agir. Tu as tout cela en
toi, Noam, et c’est grâce à cela que tu as pu résister aux forces funestes de
la machine qui rayonnait sur cette planète. Tu as fait preuve de courage
pour arriver jusqu’à la carrière des trois Elohims, et c’est encore grâce à toi
qui la machine a été détruite. Sans toi, nous serions encore tous perdus.
Le jeune Noam est un peu confus et se retourne vers Némeq :
⎯ Mais toi aussi tu es comme moi, sinon comment aurais-tu fait pour
me rejoindre ? Tu as un grand cœur et beaucoup de courage. Si tu ne
m’avais pas rejoint, je serais resté sur le sommet avec la machine sans la
détruire. Cet éloge est aussi pour toi.
Unitaz prend Noam dans ses bras pour le remercier et tous comprennent que
l’esprit fraternel les touche tous maintenant. En venant jusqu’ici, ils ont
sauvé des êtres, mais aussi trouvé l’esprit de l’unité pour tous. Ils repartiront
bien différents.

Amanine aime s’occuper du vaisseau, bien que Némeq en soit le comman-


dant. Alors, elle met en marche le moteur gravitique pour quitter la planète.
Un peu plus haut dans l’espace, elle pousse la commande du moteur stel-
laire, pour aller droit vers Bravia…

172
LE DESERT DE LA VIE
En passant la porte du Puits de l’Oubli, Aqualuce s’est
sentie tomber dans un espace étrange. Sa chute sembla durer des heures,
lorsque d’un coup elle vit arriver à vive allure le sol d’une planète sous ses
pieds. Elle crut un court instant devoir s’écraser avec violence et mourir,
mais au moment de l’impact, elle eut l’impression de se cogner avec beau-
coup de vigueur. En se relevant, elle saignait simplement du nez. Et autour
d’elle, deux de ses amies l’attendaient.

Maintenant, se remettant toutes les trois de cette chute effrayante, elles ob-
servent leur nouvel environnement avec surprise. Elles ne sont plus dans un
puits, encore moins sur la planète Unis leur semble-t-il. Mais où alors ?
Et leur amie Adiban n’est pas avec elle. Timi, qui est terrienne, semble
moins paniquée que les deux autres. Jenifer est prise de convulsions alors
qu’Aqualuce ne réalise pas encore qu’elle est arrivée. Voyant son amie ris-
quer de s’étouffer, Timi la prend en main et lui parle pour la rassurer ; en
même temps, elle la frictionne pour la réchauffer et lui faire reprendre ses
esprits. Cela semble fonctionner et quelques minutes plus tard, Jenifer
commence à se calmer et même à parler. Se confiant à Timi, elle lui fait
part de sa tristesse de ne pas être avec Wegas, son époux. Mais elle lui dit
aussi qu’elle n’a pas encore trouvé en elle sa véritable vocation et que c’est
peut-être pour cela qu’elle est ici maintenant. Tandis qu’elles parlent, Aqua-
luce s’est assise à son tour sur le sol et en l’écoutant, on l’entend pleurer.
Timi est attentive, et comme Jenifer se remet, elle se dirige alors vers Aqua-
luce.
⎯ Mais ma grande, que t’arrive-t-il, pourquoi verses-tu autant de lar-
mes ?
⎯ C’est moi qui vous ai emmenée jusque-là. Lorsque je suis entrée
dans le puits, je n’avais pas de justes pensées, je croyais que ce ne serait
qu’une formalité, tout comme les autres.
⎯ Mais ma chérie, tu n’es pas comme les autres. Cette épreuve s’est
mise à ton niveau. Si tu souhaites te préparer, il faut devoir exécuter les
tâches qui te sont imposées. Ressaisis-toi et lève la tête pour regarder ce qui
t’es demandé.
Aqualuce a beaucoup de mal et replonge dans ses larmes alors que Jenifer
s’est redressée et semble aller mieux.
⎯ Nous ne pouvons pas la laisser comme ça, il faut peut-être que nous
nous en occupions.
⎯ Non, laisse-la, ce qu’elle vit est pour elle, je pense qu’il ne serait pas
bon d’intervenir à sa place. C’est son épreuve, son chemin. Laissons la ici,
elle doit se relever d’elle-même, elle n’en sera que plus forte.
173
⎯ Mais pourquoi penses-tu cela ?
⎯ La chrysalide doit se transformer seule avant de devenir papillon.
C’est ce qu’elle doit faire et nous devons la laisser tout le temps de sa mé-
tamorphose.
Les deux amies disparaissent aux yeux d’Aqualuce…

Elle est seule maintenant, elle reste dans ses larmes sans voir que ses amies
sont parties. Dans sa tête c’est déjà un champ de bataille, elle a encore en
mémoire ce qu’elle disait ce matin à Araméis. Elle se demande quel est son
véritable rôle face à Maldeï et la Couronne de Serpent, quel rapport avec la
Graine d’Etoile ? Face à cela, elle est dans l’instant incapable d’agir et elle
ne pourra reprendre sa quête que lorsqu’elle aura la certitude et aussi la
compréhension de son action. Elle sent son corps raidi, dans l’impossibilité
de bouger. Son regard n’est même pas dans le lieu où elle se tient. Face à
cette nouvelle épreuve, elle se dit qu’en elle des transformations doivent se
faire si elle souhaite sortir de son cocon de pensées. C’est à cet instant que
son esprit est pris dans un tourbillon qui parait la prendre pour la conduire
ailleurs. Prise dans une tempête noire, elle traverse des espaces si rapide-
ment que le vent astral des étoiles lui balaie les yeux et les cheveux. Jusqu’à
ce qu’elle se réveille dans une masure de bois, allongée sur un matelas de
paille sur le sol. Elle ouvre les yeux et comprend qu’elle est cette fois dans
un lieu qui semble trop réel. Elle se redresse et comprend qu’elle n’est plus
dans un espace entre deux mondes. Ici, ça lui rappelle quelque chose et l’air
qu’elle respire est comme ce qu’elle a déjà senti dans d’autres souvenirs.
Sans hésiter, elle pousse la porte devant elle et comprend qu’elle est dans un
bidonville comme il peut en exister sur la Terre. Dehors, c’est la pauvreté,
les hommes et les femmes qu’elle voit n’ont pas de quoi manger, leur corps
le fait savoir par leurs stigmates et leur maigreur. Est-ce ici son nouveau
domaine, pourquoi est-elle là ?
Une femme la voit et, comprenant qu’elle n’est pas d’ici parce qu’elle est
blanche et en bonne santé, elle s’approche d’elle et lui demande de quoi
manger. Elle se recule de peur, mais elle voit que la mendiante n’a pas
l’intention de la maltraiter. Alors elle lui sourit et lui fait comprendre
qu’elle ne possède rien aussi. Alors, la femme la prend par la main et
l’emmène avec elle.
Peu après, elle arrive auprès d’un groupe constitué d’êtres de tous âges ; des
enfants qui n’ont pas plus de dix ans, ainsi que des vieillards paraissant cen-
tenaires. Ils partent tous au travail et la femme qui l’a amené ici lui dit que
comme elle n’a rien, elle peut venir avec eux pour travailler afin de gagner
de quoi manger.
⎯ Mais qui sont ces personnes et qu’allez-vous faire ?
⎯ Nous, on va à la mine, à Arlit. Les Français nous payent bien lors-

174
qu’on travaille pour eux ; ils nous donnent deux mille francs CFA par jour.
Pour Aqualuce, plus de doute, elle est bien sur Terre et il lui semble
qu’Arlit est au Niger. Prise par le groupe, elle se sent obligée de les suivre.
Un peu plus tard, ils arrivent à l’entrée du site. On les fait entrer juste en
prenant leur nom. Aqualuce ne connaît pas ces installations et ne sait pas ce
qui est extrait d’ici. Les mines dans lesquelles ils pénétreront sont en sous-
sol et tous vont y aller. Un des gardiens les accueille mais ne fait pas de
différence entre Aqualuce et autre, bien qu’elle soit blanche et enceinte. Le
fait est que c’est un gars du pays, de voir une Européenne parmi les autres
doit plutôt le faire sourire.
Elle se rapproche et voit le sigle du groupe français qui exploite cette mine.
Elle comprend alors que toutes ces femmes et tous ces hommes qui vien-
nent ici pour travailler sont des mineurs qui extraient l’uranium si précieux.
Aqualuce ne dit rien et accompagne ce groupe d’hommes et de femmes
jusqu’au fond de la mine.
Dans un vacarme incroyable, tous travaillent à percer la roche avec les ex-
cavatrices. Mais pour sa part, elle fait comme la femme qui l’a emmenée
jusqu’ici, elle charge dans les wagons miniers des morceaux de roches
éparpillés sur le sol, tandis que les enfants passent dans les coins inaccessi-
bles pour prendre ce qui reste. Jamais elle ne s’était imaginée que telle
chose fut encore possible à notre époque. L’esclavage en France a été aboli
il y a cent soixante ans, mais les lobbyings industriels continuent à faire ce
qu’ils veulent dans les autres pays. Ces pauvres gens sont tous en train de
respirer à travers leurs masques inefficaces une poussière tellement nocive
que même les plus jeunes, s’ils arrivent à l’âge adulte ne pourront même pas
espérer avoir un enfant normal. C’est dramatique. Comme le temps de tra-
vail est réglementé, au bout de huit heures passées dans la mine, ils sortent
tous. Aqualuce est si sale qu’on ne voit plus de différences entre elle et la
femme qui l’a amené ici ; elle est noire de la tête aux pieds. En sortant de la
mine, ils reçoivent tous leur salaire ; deux mille francs CFA, soit trois Euros
environ…

Un des membres du groupe collecte l’argent pour aller à la ville et acheter


de la nourriture et quelques cadeaux. Tous les membres de la collectivité
retournent au bidonville, mais avant, ils passent dans une ancienne mine à
ciel ouvert qui est remplie d’eau pour se laver. Aqualuce les voyant, en fait
autant et se déshabille comme tous les autres. À travers ce qui se passe ici,
elle s’aperçoit que sur Terre, l’humanité est bien loin d’être traitée à part
égale. Beaucoup de différences entre les peuples et surtout, énormément
d’inégalités. Ces hommes et ces femmes ne peuvent même pas penser à
autre chose que de travailler pour survivre et nourrir leurs enfants. Pas
d’avenir et de projets pour eux, encore moins d’espace en eux pour imagi-

175
ner un monde idéal et courir après une quête de la perfection. Du reste, Per-
fection n’est même pas dans leur vocabulaire. Si les hommes qui dirigent
tous les pays du monde avaient un peu d’humanité en eux, ils
n’accepteraient pas que le sol de l’Afrique se désertifie et qu’on exploite les
hommes. Enfin, ils rejoignent leur bidonville à Somaïr. La femme qui
s’appelle Divine lui montre sa place et lui dit qu’elle peut rester avec elle
car sans mari, elle est seule et n’a pas d’enfants. Demain, c’est jour de repos
et personne ne travaille.
⎯ Reste là, tu m’as l’air bien seule. Tu sais, ici, on n’est pas riches,
mais on a réussi à bien s’organiser avec la communauté. Tu as vu tout à
l’heure, on met tout en commun, c’est plus profitable pour tous. Le groupe
est plus important que chacun. Entre nous, on fait un seul corps.
Aqualuce se rappelle des paroles d’Araméis, peu de temps avant d’entrer
dans le Puits de l’Oublie :
« Mais Aqualuce, tu sais aussi que tu peux profiter du groupe pour réussir,
on est plus forts ensemble et peut-être que nous pouvons répondre aux ques-
tions posées, tu sais que les milliers d’êtres qui sont là ont vécu de lourdes
expériences et que depuis qu’ils sont ici, on acquit une sagesse formida-
ble. »
« Peut-être a-t-il raison, je ne fais pas assez attention au rôle de la collecti-
vité. Si je travaillais en groupe je réussirais peut-être mieux. Même Divine
est supérieure à moi dans ce sens. »
Mais à peine pense-t-elle cela que sa nouvelle compagne la rejoint :
⎯ À quoi tu penses encore ?
⎯ J’ai été très réjouie de te voir agir avec ta communauté. Je trouve que
vous êtes dans un sens plein de vérité, alors que moi je ne sais pas penser
comme vous. Mais je m’inquiète de vous voir tous travailler dans la mine
car je connais bien les dangers auxquels vous vous exposez.
⎯ Que veux-tu dire ?
⎯ Le gouvernement français vous fait extraire du minerai d’uranium
très nocif pour votre santé, et presque aucune protection ne vous est donnée.
Vous risquez d’être très malades plus tard.
⎯ Mais on le sait, ça !
⎯ Comment ! et vous y allez quand même ?
⎯ Ma grande, il faut bien que certains soient là où est la misère, sinon,
qui s’occuperait de tous ces malheureux ?
Aqualuce est complètement étonnée de cette réponse inattendue. Elle
s’imaginait être encore supérieure à eux quant à ses connaissances, mais là,
c’est fort.
⎯ Divine, qui es-tu pour me dire ça ?
⎯ Et toi, qui es-tu pour encore te sentir investie d’une mission auprès
de nous ?

176
⎯ J’arrive ici alors que j’étais dans un monde lointain il y n’y a pas si
longtemps. Je cherche une vérité qui peut me permettre d’aller vers un
combat qui m’attend d’ici peu.
⎯ Avec un bébé en préparation en plus.
⎯ Ce n’est pas un problème pour le moment, il se porte très bien. Je ne
suis pas arrivée ici pour t’imposer mes pensées, mais lorsque je vois autour
de moi tant de souffrance et d’injustice, je ne peux que m’insurger.
⎯ C’est tout en ton honneur ma grande. Mais si tu es avec nous c’est
que tu as à y apprendre quelque chose.
⎯ Oui, je voudrais que tu m’enseignes la communauté.
⎯ Peut-être, mais je souhaite que tu m’apprennes l’étoile du cœur.
⎯ Comment ça ?
⎯ Tu ne connais pas le rôle de la communauté chez les hommes car ton
étoile du cœur est si développée qu’elle n’en a pas trop besoin. Mais ceux
qui sont dans la communauté vivent regroupés pour développer leur étoile
de cœur. C’est pour ça que nous sommes ensemble. C’est le meilleur moyen
que nous avons trouvé pour cheminer. Ce soir, après le repas nous nous
réunirons pour amener aux hommes de la mine notre lumière. C’est pour ça
que nous sommes ici.
Aqualuce réfléchit un peu et accepte la proposition. Divine reprend la pa-
role :
⎯ Sani vient juste de revenir de cours, suis-moi, nous allons préparer le
Kopto et le Kossey.
Elle la suit dans un petit appentis qui est la cuisine commune. Là, elles re-
trouvent toutes les femmes qui commencent à préparer le repas. L’outil
principal est la main et Aqualuce fait comme tout le monde. Rien dans cette
communauté n’est différent des rites africains. Les femmes font le repas
tandis que les hommes discutent ou remettent en état les quelques construc-
tions. Ce qu’elles font sera leur repas pour deux jours au moins. Aqualuce
se trouve transportée dans une civilisation totalement différente de ce
qu’elle a toujours fréquenté. Ce qui se rapporte un peu à la civilisation lu-
nisse qu’elle connaît très bien, c’est le lien avec la nature et les forces invi-
sibles que la communauté semble fréquenter.
Le repas terminé, Divine guide Aqualuce dans sa case pour lui proposer des
vêtements plus régionaux.
⎯ Regarde, ce boubou t’ira très bien, et il est plein de couleurs.
Aqualuce est étonnée de voir dans un petit coin de sa case faite de tonneaux
empilés et de planches à moitié vermoulues, une garde-robe aussi fleurie.
⎯ Mais comment se fait-il que tu aies autant de vêtements si jolis et si
bien entretenus ici ?
⎯ Il y a ce que je suis dans les mines et ce que je dois être chez moi
avec les autres. Prends un de ses boubous, cela me fera plaisir.
177
Aqualuce prend celui que lui propose Divine, il est très joli avec le rouge et
l’orange qui se mélange. Les bordures sont marquées au fil jaune. Elle
laisse ses vêtements style militaire pour passer le boubou. Une fois sur elle,
on ne voit plus qu’elle attend un bébé car ses seins laissent tomber la toile
de coton à la verticale. Divine lui noue un foulard qui la rend encore plus
africaine. C’est maintenant le moment d’aller dîner, alors elles rejoignent le
groupe qui comme elles, s’est changé dans des vêtements beaucoup plus
beaux que ceux pris pour descendre dans la mine.
Le repas est bon, mais très pimenté au goût d’Aqualuce. Ensuite, après
avoir débarrassé, ils se réunissent sur le même tapis qui avait servi au repas.
Comme dans la communauté il n’y a pas de chef, ce soir, il a été décidé de
laisser parler en premier Aqualuce. Elle est fort surprise, mais Divine la
pousse à prendre la parole :
⎯ Euh… Chers amis, je suis heureuse de l’accueil que vous me faites,
ainsi que pour votre gentillesse. Je suis arrivée ici de façon un peu étrange
et j’ai pu constater le courage dont vous faites preuve en allant travailler
dans les mines. Divine m’a expliqué que vous le faites pour être avec les
mineurs qui souffrent et se rendent malades. Je ne m’attendais pas à trouver
ici un groupe d’hommes et de femmes dévoués à la cause humaine, et me il
semble que ce qui vous motive est la même source que ce qui me pousse à
agir dans la vie. J’admire votre sens de la communauté et aimerais
l’apprendre pour revenir chez les miens changée. Comme vous, je souhaite
me rendre utile pour les hommes qui sont dans la misère. Merci à vous tous.
Un homme plus âgé prend la parole :
⎯ Aqualuce, c’est nous qui t’avons appelée dans nos prières. Hier tu
nous es apparue dans une grotte lumineuse et nous avons su que tu étais
celle que nous attendions. Nous avons découvert il y a longtemps le sens de
la communauté et nous avons décidé de fonder le groupe des guérisseurs de
cœurs. Nous avons trouvé qu’en unissant nos connaissances et en partagent
notre ignorance, nous pourrions créer une communauté capable d’aider
l’humanité. Ce qui nous manque, c’est la lumière du cœur, et nous souhaite-
rions que tu l’allumes. C’est le sens de ta mission ici.
⎯ Ma mission ?
⎯ L’Afrique est le continent le plus magique de la Terre, c’est pour cela
que nous avions la possibilité de te faire venir jusqu’ici. Mais il nous est
impossible d’allumer notre cœur car il faut pour cela un cœur déjà accom-
pli. Ta mission est d’aller seule dans la mine et d’inverser le pouvoir nu-
cléaire des atomes d’uranium afin qu’il ne s’enflamme plus à l’air mais aux
pensées humaines. La radioactivité de ce métal devra agir sur l’atome du
cœur afin que ce soit lui qui s’enflamme au lieu de se disloquer dans les
centrales nucléaires. Tu dois partir immédiatement, car dimanche la mine
est vide et tu pourras travailler tranquillement.

178
⎯ Mais…
⎯ Tu en es capable, tu t’appelles bien Aqualuce ?
⎯ Oui.
⎯ Aqualuce, fais-le pour nous tous, pour la communauté et pour
l’humanité.
⎯ Cher Radicœur, je pars avec elle.
⎯ Mais Divine, tu risques de gêner Aqualuce.
⎯ Non, ne vous en faites pas, je crois qu’elle peut m’aider si vous
l’autorisez.
⎯ Alors partez toutes les deux.
Aqualuce a l’impression d’être tombée dans un piège depuis qu’elle est ici.
Elle ne s’attendait pas à devoir partir en mission. Elle pensait juste être
tombée dans un bidonville comme ça, par hasard, et là ce n’est pas le cas.
Ce groupe l’observe depuis qu’elle a pénétré dans le Puits de l’Oubli. Di-
vine lui fait signe de partir immédiatement. Elle lui propose de la suivre
pour se préparer à rejoindre la mine.
⎯ Laisse tomber le boubou, il faut qu’on se change pour aller là-bas.
Viens avec moi ,on va mettre des tenues d’agents de sécurité.
Dans la case d’un des hommes du groupe, elles trouvent les vêtements qui
semblent les attendre. Aqualuce enfile un pantalon et une veste aux insignes
de la société de gardiennage. Divine en fait autant, ses nouveaux vêtements
lui vont bien. Une fois ses cheveux cachés sous sa casquette, elle ressemble
à un homme, bien que son visage ne soit pas dur, au contraire.
⎯ T’es bien comme ça, ma grande. Tu ressembles à un gardien avec ton
ventre bien rempli, car ces gars-là sont bien nourris.
⎯ Comment va-t-on sur le site la nuit ?
⎯ J’ai mes entrées, ne t’inquiètes pas.
⎯ Je veux bien aller là-bas, mais il faut que tu saches que je n’ai aucun
pouvoir et que dans les mines, je risque d’être moins à l’aise que toi. Je ne
sais pas ce que je vais y faire ; inverser la polarité de l’uranium est pour le
moment un mystère.
⎯ Mais si Radicœur t’a demandé de le faire c’est qu’il pense que tu en
es capable.
⎯ Et si j’étais capable de retourner chez moi pour rejoindre mes en-
fants ?
⎯ Je sais que tu ne le feras pas. Allez, viens, il y a bien une heure de
marche pour arriver.
En tenue de gardien, la casquette sur la tête, les rangers aux pieds, les deux
femmes marchent vers la mine…

⎯ Tu savais depuis le début que Radicœur allait me demander de repar-

179
tir à la mine pour faire ce qu’il souhaite, n’est-ce pas ?
⎯ Tu as raison, c’était préparé. Je savais que tu allais arriver ce matin
de bonne heure. Nous t’attendions.
⎯ Pourquoi ne pas m’avoir dit plus tôt ce que vous vouliez de moi,
pourquoi m’avoir emmenée dans la mine ?
⎯ Je peux te le dire maintenant que nous sommes sur la route. Radic-
œur voulait s’assurer que tu étais bien celle que nous attendions. Il y a peu
de blancs qui auraient accepté de descendre dans la mine. C’était ton
épreuve. Nous te suivions dans la grotte dans laquelle tu étais, mais nous ne
connaissions pas ton visage. Notre magie nous donne des impressions, pas
des vidéos.
⎯ Vous n’êtes pas des Nigériens ordinaires, je me demande même ce
que vous avez comme rapport avec les autres habitants, mise à part la cou-
leur de votre peau ? Depuis combien de temps êtes-vous ici ?
⎯ Ça n’est pas ton problème. Tu as une mission à accomplir, il faut que
tu la fasses. C’est à ta portée.
⎯ Même sans mes pouvoirs ?
⎯ Certainement. Les pouvoirs surnaturels ne sont pas les instruments
que tu devras prendre. Taisons-nous, la mine est proche, ne nous faisons pas
remarquer. Au poste de contrôle, à l’entrée, un de nos amis nous attend. Dès
que nous franchirons la porte, nous serons seules et il ne faudra compter sur
personne. Nous pénétrerons par un des tunnels d’accès sans nous faire voir.
Elles s’approchent de la grande porte d’entrée de la mine, mais Divine re-
cule vite, car son ami n’est pas là. Elle sent qu’il s’est peut-être passé quel-
que chose, ou alors il a été décidé de le remplacer à la dernière minute.
⎯ Mon ami n’est pas là, on ne peut pas entrer !
⎯ Comment ça ? Nous n’allons quand même pas faire demi-tour ! Il
faut entrer maintenant que tu m’as emmenée ici. Je n’ai pas l’intention de
rester là, il y a des milliers d’hommes et de femmes qui m’attendent quel-
que part dans l’univers. Nous devons trouver un moyen de passer la clôture.
⎯ T’es folle, c’est pas possible, il y a des caméras qui surveillent les
palissades !
⎯ Alors, passons par-dessus ou par-dessous.
⎯ Tu veux sauter ou te transformer en taupe ?
⎯ Tout juste, transformons-nous en puces, ce sera mieux.
⎯ Mais le record du monde féminin est de 2,09 mètres ; comment
veux-tu que nous passions un mur de quatre mètres ?
⎯ Yelena Isinbayeva a déjà franchi 5 mètres 01 à la perche. Je propose
que nous fassions mieux ce soir. Il nous faut juste trouver des perches.
⎯ Mais je ne sais pas sauter à la perche, comment veux-tu que je fasse
mieux qu’une championne ?

180
⎯ Cherchons une perche, je vais t’apprendre.
Trouver une perche en fibre de verre n’est pas une chose facile, mais par
hasard, un camion garé à l’entrée de la mine laisse dépasser des barres de
fibres de verre nécessaires pour les équipements de forage. Aqualuce a l’œil
expert, elle l’avait déjà repéré en arrivant.
⎯ Viens, suis-moi, je crois qu’on pourra trouver ce qu’on veut dans
cette benne si le chauffeur continue à dormir tranquillement.
Divine la suit en marchant discrètement et sans se faire remarquer par les
caméras. Arrivée au cul du camion, Aqualuce s’agrippe sur la plate-forme
et se glisse sur le côté pour ne pas écraser son ventre arrondi. Elle choisit
alors une perche qui semble lui convenir et la pousse à l’extérieur. Divine
l’attrape, et aussitôt après, elles se reculent un peu plus loin afin de ne pas
se faire remarquer.
⎯ Comment veux-tu que je fasse marcher ce machin ?
⎯ Ce machin, c’est une barre de fibre de verre qui peut nous propulser
bien au-delà du mur qui nous fait obstacle. Cet instrument doit peser cinq
kilos. Tu la prends dans tes mains en la levant légèrement et ensuite tu
cours jusque devant l’obstacle. Tu la plantes devant, tu t’élances en la fai-
sant fléchir au maximum et tu bondis en l’air en poussant tes pieds en avant.
Tu franchis l’obstacle et tu retombes. Facile, non ?
⎯ Dans ta tête, oui, mais c’est tout. Moi, je ne suis pas championne.
⎯ Je vais t’apprendre comme tout devrait s’apprendre si nous étions
toujours à l’écoute des éléments de la nature et ceux de la pensée et des
forces qui nous entourent. Cela passe par une écoute particulaire de ton
cœur. Lui seul peut t’enseigner toutes les choses utiles de ce monde lorsque
tu en as besoin. Les informations que tu vas prendre font partie du réseau
que toute la connaissance humaine a formé autour de la Terre. Toutes les
pensées humaines sont à notre disposition, il suffit d’aller les chercher. Ce
soir, nous allons prendre ce qu’il y a de meilleur de Yelena Isinbayeva en
nous branchant sur ce qu’elle a laissé dans le champ astral de notre planète.
Tu sais, chaque être vivant crée dans l’air une sorte de bulle où tout ce qu’il
y a de lui est enfermé dedans. Toutes ses bulles se croisent et notre bulle
peut entrer en contact avec une autre. Il suffit pour nous de l’attirer vers
nous. Pense avec moi à Yelena Isinbayeva et nos bulles vont se confondre
avec la sienne. Ce n’est pas de la magie, mais une qualité que nous possé-
dons tous et dont nous ne faisons pas nécessairement bon usage. Donne-moi
ta main et laisse ta pensée se faire guider par ton désir de franchir
l’obstacle.
Divine se laisse guider par les paroles d’Aqualuce qui lui disent :
⎯ Ton cœur est un trésor qui, en s’éveillant en toi, attire en ton être tous
les éléments dont il a besoin. Ne force rien et surtout ne désire rien. C’est
l’âme de ton cœur qui doit parler. Laisse-la agir écoute en toi la voix de la

181
raison ; c’est un autre discours que celui qui te pousse à agir pour toi. Tes
pensées se taisent alors qu’une voix parle d’ailleurs. Entends-tu ?

Il y a un silence et Divine ne peut résister à la voix de son intérieur…

⎯ Je sens cette parole en mon être. Je comprends ce qui se passe. Tout


s’installe comme tu me le dis.
⎯ Ferme les yeux un instant, et pense que tu franchis la muraille devant
toi.
Divine se laisse attraper par une nouvelle pensée, elle ne bouge plus. Alors,
Aqualuce lui secoue l’épaule et lui dit :
⎯ Allez, c’est le moment, prend la perche et vas-y !
Elle agrippe la barre par les deux mains et regarde le grand mur devant elle,
il doit faire cinq mètres. Alors, elle se met à courir très fermement et au
bout, devant l’obstacle, elle plante la perche et fait un bon d’au moins deux
mètres au-dessus du mur. Elle le passe et renvoie la perche vers l’extérieur.
Divine disparaît derrière le mur, Aqualuce se retrouve seule, c’est à son
tour.
Elle pense d’un coup que ce saut est de toute évidence le coup fatal pour
perdre ses deux enfants. Il ne lui est pas permis de faire un tel saut. Prise de
panique, elle se met à pleurer. C’est à ce moment qu’en elle, son cœur se
lève et commence à lui laisser entrevoir une tout autre solution. Elle pense
au groupe de lunisses qui sont au-delà des étoiles, et aussi à la force qui
ressort d’eux. Les paroles d’Araméis se répètent en elle et lui redisent :
« Mais Aqualuce, tu sais aussi que tu peux profiter du groupe pour réussir,
on est plus forts ensemble ».
« On est plus forts ensemble. C’est le sens de la communauté, la force de
chacun mise au profit du groupe et la force du groupe agissant en chacun.
C’est la solution. »
Elle commence à comprendre qu’elle doit accepter de prendre des autres
leur force et leur amour. Comprenant que dans sa vie, elle a toujours agi de
façon autonome, et que même avec Jacques, elle n’a jamais su l’écouter et
prendre conseil, elle voit que seule, on ne peut pas tout faire. Alors elle se
laisse porter par l’idée d’écouter les autres et d’apprendre par les autres.
Dans le monde où elle aimerait vivre, l’individualisme n’existe pas, elle le
sait très bien et elle sait que ce n’est pas le cas dans l’univers connu où elle
se trouve. Elle pense :
« Le groupe est notre soutien. »
Fermant les yeux Aqualuce, se laisse porter par cette idée merveilleuse et
sans s’en rendre compte, rapidement, comme des ailes la portent au-dessus
du mur et auprès de son amie, la dépose délicatement. Voyant cela Divine
lui dit :

182
⎯ Tu m’obliges à faire des exploits sportifs tandis que tu te laisses por-
ter par les ailes de la vie !
Aqualuce ne comprend pas, elle ne s’est pas rendue compte du déplacement
qu’elle vient de subir. En ouvrant les yeux, elle en est encore plus étonnée
que son amie.
⎯ Mais je n’ai rien fait, je m’inquiétais de devoir sauter à la perche
dans mon état. J’ai pensé au groupe et à ses qualités ; c’est tout ce que j’ai
fait.
⎯ Tu attires déjà vers toi les bienfaits de la communauté, Aqualuce.
C’est formidable.
Elle regarde derrière elle et voit la très haute clôture.
⎯ Je n’ai pourtant plus aucun pouvoir.
⎯ Le pouvoir de la communauté est toujours présent lorsqu’on est en
harmonie avec les autres. Nous sommes du bon côté, suis-moi, je vais te
guider jusqu’à la mine.
Divine emmène son amie sur un chemin de terre, tout juste éclairé par les
lueurs des projecteurs qui n’éclairent que l’entrée du site, la lune étant ab-
sente du ciel. Enfin elles arrivent au tunnel.
⎯ Ce conduit est profond, nous serons tranquilles.
Elles s’enfoncent toutes les deux à la lueur de la lampe de poche que Divine
tient. Aqualuce se demande pour quelles raisons elle doit se rendre dans
cette mine. Que devra-t-elle faire là-dedans ; juste une promenade ?
C’est Divine qui semble savoir où elle veut aller. Mais Aqualuce ne com-
prend pas vraiment :
⎯ Mais où m’emmènes-tu, tu sembles savoir quelque chose ?
⎯ Je t’emmène là où tu pourras transformer le rayonnement des atomes
d’uranium afin qu’ils changent le monde comme ils auraient dus le faire
normalement.
En déterrant la matière fissile, les hommes ont commis un véritable sacri-
lège, car cette matière avait une fonction bienfaisante à l’origine. La ra-
dioactivité devait aider l’humanité à découvrir sa véritable vocation, sa
vraie nature. Le premier rayon, l’Alpha, en touchant la pensée humaine,
devait donner aux hommes un premier pouvoir. En émettant deux photons,
il donne normalement un éclairage nouveau à la conscience. Le rayon Bêta
est lui, plus fort, il donne l’énergie de vaincre les vielles pensées et de com-
battre la contre nature qui trouble l’homme depuis sa création. C’est la
force, l’énergie. Enfin, le rayon Gamma est la force électromagnétique
d’amour ; la force qui assemble tout et qui unit l’humanité. En quatrième,
ce ne sont plus les rayonnements mais la fission. Ce n’est pas la destruction
de l’atome mais au contraire la reconstruction du noyau du cœur avec la
force de la pensée ; l’union du corps, du cœur et de la tête. Tout cela devait
avoir lieu si les hommes imprudents n’avaient pas commis la faute d’aller

183
déterrer les métaux précieux que la Terre détient comme des cadeaux. En le
faisant, ils ont bousculé la planète, et c’est pour cela que la radioactivité
s’est retournée contre nous.
Nous, les Africains, nous sommes proches de la nature et nous comprenons
tout cela. La Terre nous parle, les forces de la nature nous côtoient. La ma-
gie est liée à la Terre chez nous. Lorsque nous voyons les Occidentaux ve-
nir ici sans rien savoir de tout cela, nous savons qu’ils font un mal profond
au monde. C’est pour ça que nous n’hésitons pas à venir travailler dans
leurs mines afin d’y poser nos pensées, ainsi nous pourrons défaire la malé-
diction qu’ils soulèvent à chaque pelletée de roche qu’ils sortent de là.
Nous t’avons attirée à nous, Aqualuce, afin que tu redonnes à l’uranium les
fonctions qu’il a perdues depuis le début du vingtième siècle. Change cette
matière brisante en une matière unifiante. Je connais un filon inexploité
d’uranium dans cette mine que les techniciens n’ont pas encore trouvé. Tu
vas pouvoir y transmettre ton rayonnement.
C’est alors que Divine met en marche un compresseur et attrape un gros
perforateur et commence à percer un pan de roche inexploité. En quelques
instants, elle fait tomber des morceaux de pierres énormes et découvre der-
rière une vaste caverne encore vierge.
⎯ C’est là ! Viens avec moi, nous sommes arrivées.
À l’intérieur, la radioactivité est telle que toutes les roches sont phosphores-
centes et la lampe de poche n’a plus de fonction. Un gouffre au centre sem-
ble plonger dans les entrailles de la Terre.
⎯ Il faut que tu descendes au fond. Tu trouveras la source d’où remonte
depuis des années le métal précieux. Lorsque tu seras en contact avec lui,
transforme-le.
⎯ Mais…
⎯ Pas de mais ; tu as en toi le pouvoir. De là où tu viens, tu sais ce que
tu as à faire. Nous t’avons vue sur la planète où nous t’avons prise.
⎯ Descends-tu avec moi ?
⎯ Non, nos chemins se séparent ici.
C’est à cet instant que Divine pousse Aqualuce dans le gouffre, et encore
une fois, des ailes semblent la porter jusqu’au fond. Retombant en douceur
sur ses pieds, elle est en contact avec un flux de métal presque liquide re-
montant par des veines vers la surface de la Terre. Aqualuce sent que toute
cette matière est immensément rayonnante et la brûle déjà. La peau de ses
mains semble rôtir juste par les rayons qui en sortent. Ses cheveux com-
mencent à tomber et elle ressent que la lave brûle le reste de son corps. Les
bébés du fond de son ventre doivent être déjà morts. Ici le mal est presque à
l’état pur. C’est comme le Puits de l’Enfer que les hommes ont toujours
imaginé depuis qu’ils croient au diable, et elle tombe, inanimée…

184
Seule, dans le désert de la vie, prise au cœur du rayonnement électromagné-
tique de la matière radioactive, elle pense à ses amis restés sur Unis et qui
comptent sur elle, ainsi qu’à la grande quête menée par tous ceux qui
comme elle, ont décidé de lutter contre un ennemi ; la Couronne de Serpent.
Couronne de Serpent, que signifies-tu ?
Elle revoit Marsinus Andévy alors qu’elle était chef des armées lunisse ;
c’était un être bien différent de ce que peut être Maldeï. Marsinus agissait
pour le groupe et elle prenait la force par lui. La couronne est le contraire du
groupe, c’est la force de l’individualisme. L’homme est un élément de
l’univers, il est un maillon. Si le maillon se détache de la chaîne, il n’a plus
sa fonction et il est obligé d’aller prendre aux autres sa force pour vivre.
Aqualuce est un maillon, elle a besoin de la chaîne et la chaîne a besoin
d’elle. Chaque élément donne aux autres sa propre connaissance.
Elle reprend conscience et sent en elle qu’elle n’a jamais été seule depuis
qu’elle a quitté la Terre avec Jacques. Tous ceux qu’elle a trouvés sur Trini-
ta sont partis à la conquête de la couronne et chacune de leurs expériences
lui profitera au moment où elle se saura rattachée à eux. Aqualuce com-
prend que sa personne doit disparaître au profit du groupe dont elle fait par-
tie. Un changement très important se fait à ce moment, alors qu’elle se
trouve au centre du rayonnement électronucléaire de la Terre. Ce qui appa-
raissait comme des forces destructrices semble produire sur elle l’effet in-
verse. Elle reçoit d’un coup le fruit de tous ceux qui sont partis dans
l’univers, tels Doora, Weva, Maora, Némeq, Clara et Wendy et d’autres
encore qu’elle ne connaît pas. À ce moment, elle ressent que même Jacques
a réussi à s’éveiller face à Maldeï. Tous ceux qui sont partis avec elle ont
fait un travail immense. Sa pensée est changée, elle a laissé derrière elle le
reste d’individualisme qui lui restait depuis sa naissance. Elle ne pense pas
avec le Nous, plus avec le Je. Aqualuce ouvre les yeux devant une réalité
différente et pense à son départ dans le Puits de l’Oubli. Elle voit le métal
couler dans les veines de la Terre et comprend que sa nature est la même
que l’Unissium, la matière radioactive d’Unis.
« Nous devons changer l’uranium en Unissium, c’est pour cela que je suis
ici ! »
Dans le Puits de l’Oubli, Aqualuce a été en contact avec cette matière ; elle
est la seule sur Terre à connaître cet élément, il n’y a qu’elle qui puisse ef-
fectuer cette transformation. Sa connaissance de l’Unissium est basique car
elle n’avait jamais approfondi le sujet. Elle sait juste que cette matière est à
l’inverse de ce qui est concevable. Le noyau où sont concentrés les protons
est de charge négative alors que les électrons sont positifs. Si elle opère
cette transformation, ce sera toute la structure moléculaire qui sera opérée et
il est possible qu’elle ne retrouve jamais le monde qu’elle a quitté. Toute la
radioactivité est sur le même principe, et même si ce n’est pas sur un atome

185
d’uranium, dans la vie courante les échanges nucléaires et électroniques
sont basés sur le noyau positif et les électrons négatifs. Aqualuce se de-
mande si le changement se fera aussi sur les hommes. Compte tenu que la
nature contient une quantité infinie d’atomes instables, la planète existera-t-
elle encore après cela ?
Elle réfléchit avec la vision de la communauté et elle se laisse pénétrer par
la force de la chaîne universelle à laquelle elle se rattache. C’est alors
qu’une évidence pénètre son corps qui n’est plus le siège d’une âme et
d’une raison, mais le bras d’un ensemble. La chaîne se met à parler :
« Attire dans ton cœur les radiations des trois rayons Alpha, Bêta et Gam-
ma. Mélange-les au fluide qui sort de ta source, ton cœur étant le centre et
l’origine du rayonnement. Ainsi, les forces de radiations de la Terre se mé-
langeront avec celles de ton cœur et elles reprendront leur forme initiale
comme l’a gardé l’Unissium. Le métal lourd de la Terre rayonnera alors
comme ton cœur l’a toujours fait et les rayons nocifs deviendront guéris-
seurs. Inversé, le métal deviendra plus léger que le gaz car son pôle magné-
tique agira à l’envers. Tous les hommes touchés par le nouveau métal ver-
ront guérir leur cœur enflammé, et leurs maux disparaîtront. »
Aqualuce comprend que le chef de la communauté voulait qu’elle voit le
rapport entre tous ces événements. Elle sent en elle le triple rayonnement de
son cœur monter et se relier à la source du métal en fusion qui circule dans
les veines de la Terre. Elle arrache sa chemise pour laisser sa poitrine nue et
montrer son cœur devant le fluide nucléaire de l’uranium. Trois rayons sor-
tant de son torse touchent le flux terrestre qui coule devant elle et une liai-
son s’établit. Les ondes Alpha, Bêta et Gamma se mélangent et se lient aux
rayons de son cœur. Aqualuce est comme radiographiée et l’on voit son
corps devenir transparent. Ses os, ses organes apparaissent pour ceux qui
pourraient regarder, et l’on voit même ses deux enfants en gestation. Un
combat semble se faire entre les rayons. Ceux de la Terre sont plus violents
tandis que ceux d’Aqualuce se laissent submerger mais ils créent des rami-
fications qui s’étendent progressivement le long des autres flux. Aqualuce
n’est plus elle-même et elle ne le sera peut-être plus jamais, elle est un
groupe, une communauté, un peuple entier. Un maillon, une chaîne ; une
Fraternité. Et cette fraternité transmet son rayonnement à l’influx de la
Terre. Les ondes Alpha, Bêta et Gamma se transposent en un flux plus pur,
et bien qu’ayant toujours un rôle particulier, la première touche la cons-
cience, la deuxième donne la force et la troisième, l’amour. Le changement
s’est fait, mais la liaison entre Aqualuce et le flux de la Terre ne cesse pas
encore. Elle reste encore attachée et son corps semble se vider de sa force.
Elle est brûlée au trois quarts, sa peau n’est plus qu’une croûte carbonisée ;
elle paraît mourante. C’est à cet instant que des êtres inattendus, descendus
dans le gouffre, viennent pour la prendre et l’emmener. Ils s’envolent avec

186
elle et ressortent de la grotte percée précédemment par Divine. L’un d’eux
rebouche le trou pour que personne ne remarque le filon, et juste après, ils
partent avec Aqualuce jusque sous une tente. Une jeune femme recouvre
totalement le corps de la pauvre blessée d’une épaisse couche de pommade
et chante pour elle une mélodie très agréable :

Mes yeux nouveaux voient la lumière


Je suis une fille qu’arrive sur Terre.
Mes parents heureux voyant l’enfant,
Font tournoyer l’espace du temps.
Mais je suis combattante du temps.
Je vis pour le présent.

La profondeur de mon regard


Fait briller un nouvel espoir.
Mon père dit, ce que tu verras,
Ma fille, tu le transformeras.
Mais je suis combattante du temps.
Je vis pour le présent.

Ta vie est un très grand voyage,


Elle te guide vers d’autres rivages.
Tu trouveras l’amour, les pleurs
Mais tu découvriras ton cœur.
Mais je suis combattante du temps.
Je vis pour le présent.

J’ouvre les yeux, je vois la vie,


Mais loin d’moi tu es asservi.
J’ai la force de te retrouver,
Unis soyons de nouveau-nés.
Mais je suis combattante du temps.
Je vis pour le présent.

Je te veux pour changer le monde.


Mon cœur, la distance nous inonde.
Souviens-toi de moi, je suis là,
J’te sauv’rai dans un grand combat.
Mais je suis combattante du temps.
Je vis pour le présent.

Je donnerai ma vie pour toi…

187
Le temps de cette chanson, Aqualuce ouvre les yeux et se met à parler :
⎯ Je reconnais cet air, je l’ai chanté autrefois. Qui es-tu ?
⎯ Je suis Belinn, l’elfe des elfes. J’ai chanté la chanson que j’ai trouvée
dans ton cœur car je voulais te réveiller en douceur. La transmutation que tu
as réalisée a attiré notre attention et nous sommes venus immédiatement
vers toi car nous ressentions que tu étais en danger. Tu as sans réticence
voulu donner ta vie pour un travail qui t’était demandé, sacrifiant ton
l’intérêt personnel au profit du groupe. Un être capable de tels actes est un
individu d’exception. Il était normal que nous intervenions afin que tu ne
périsses pas. Aqualuce, celui qui peut inverser la polarité de l’atome peut
gagner contre les forces du monde. C’est toi qui affronteras Maldeï lors-
qu’elle arrivera sur cette planète. C’est toi qui allumeras le deuxième rayon
qui touchera les hommes lorsque l’univers les appellera à donner la lumière
de leur cœur afin de les éprouver. Tu n’es plus un être ordinaire mais un
représentant du feu de la vie. Le baume dont je t’ai oins a guéri toutes tes
blessures, même celles de ton cœur.
⎯ Qu’est ce baume ?
⎯ Je t’ai enduite du baume de Vigmalian, que nous seuls les elfes sa-
vons faire.
⎯ J’ai le sentiment de te connaître, Belinn ?
⎯ Tu nous connais, car tu t’es battue contre nous lorsque l’école de
Keuramdor a été attaquée par des mercenaires sans conscience. Nous étions
ces êtres avant que vous nous libériez de notre mauvais sort. Le groupe des
elfes a trouvé sur la Terre sa vocation en aidant tous les hommes méritants.
Nous veillerons à ce qu’aucun être méritante ne soit perdue. En transmutant
l’uranium, tu as préparé la Terre à recevoir les nouveaux rayons qui doivent
la toucher dans peu de temps. Ton travail était indispensable. Car si les
hommes avaient encore à leur disposition l’arme nucléaire au moment où
Maldeï arrivera, cela serait fort dommageable. De plus, tous les êtres qui
ont été atteints par les radiations nocives du métal vont voir le mal se re-
tourner en bien. Tu as guéri ta pensée et tu t’es libérée de ce qui
t’emprisonnait encore. Aqualuce ; tu vas pouvoir continuer ton chemin et
aller maintenant beaucoup plus loin.
⎯ Mon être pense Nous. Il est au service de ceux qui me donnent de
leurs connaissances et de leur ignorance. La mutation du métal a fini de
retirer du corps que je suis, la parcelle d’individualisme qui restait.
⎯ Ta guérison est bientôt achevée, le baume a bientôt fini son effet.
Nous allons te ramener ainsi jusqu’au Puits de l’Oubli, là où tu étais avant
d’arriver ici. Aqualuce, ferme les yeux. Endors-toi un instant pour te soula-
ger de la grande souffrance que tu as dû subir.
Aqualuce accepte ce que demande Belinn, mais avant elle lui demande :

188
⎯ Sais-tu où est Divine que j’ai quittée il y a peu ?
Sans s’attarder, elle lui répond :
⎯ Devant toi…

Dans le Puits de l’Oubli, Aqualuce a le sentiment de tomber dans un espace


étrange. Sa chute semble durer des heures, lorsque d’un coup elle arrive à
vive allure, trouvant le sol d’une planète sous ses pieds. Elle croit un court
instant devoir s’écraser avec violence et mourir mais au moment de
l’impact, elle a l’impression de se cogner avec beaucoup de vigueur. En se
relevant, elle saigne simplement du nez. Et autour d’elle, deux de ses amis
l’attendent. Elle se relève et leur dit :
⎯ Depuis combien de temps êtes-vous là ?
⎯ Nous ne t’avons pas quittée depuis que tu as franchi le Puits de
l’Oubli.
⎯ En y pénétrant, nous nous sommes retrouvées dans un espace inat-
tendu. La porte du puits a disparu et comme tu étais inanimée, nous avons
voulu trouver une autre sortie. Nous sommes revenues et tu t’es réveillée.
Aqualuce a certainement rêvé, et Jenifer rajoute :
⎯ Juste quelques minutes d’absence et tu arrives à salir tes vêtements,
attraper un coup de soleil. Comment as-tu fait ?
⎯ J’ai simplement rêvé que je pouvais changer la Terre avec mes mains
et mon cœur.
⎯ Et penses-tu y être arrivée ?
⎯ Oui ! dit-elle en constatant qu’elle est encore recouverte d’une
graisse étrange…
⎯ En attendant, Il faut continuer. Ne restons pas ici.

Mais à peine ces paroles dites que le sol se met à trembler et que de la pous-
sière se soulève. Aqualuce ressent immédiatement les effets du sifflet et se
ressaisit. Elle n’a pas l’impression de se déplacer, mais elle voit plus loin,
dans la zone obscure trois silhouettes ressemblant à des enfants. Sentant
proche d’elle une présence qu’elle connaît bien, elle s’en rapproche et les
rassure :
⎯ N’ayez pas peur, c’est moi, maman. Cléonisse, rassure-toi.
Les petites filles entendent une voix qu’elles connaissent bien et elles sont
bien plus confiantes qu’au début. Elles se rapprochent des ombres et retrou-
vent Aqualuce. Cléonisse saute dans les bras de sa mère.
⎯ Je suis heureuse de te retrouver ! La dernière fois, tu étais en prise
avec un homme qui t’avait pris avec deux autres enfants. Je savais que tu ne
resterais pas avec lui, comment t’en es-tu sortie ?
⎯ J’ai fait ce que tu m’as demandé, j’ai ouvert une fenêtre sur
l’espérance et les elfes sont arrivés pour nous ramener.
189
⎯ Nous avons besoin de toi, maman, deux enfants ont disparu à Keu-
ramdor et Axelle a le sentiment qu’ils sont partis sur Elvy.
⎯ Comment ça, Maldeï est venue les prendre ?
⎯ Non, maman, ils ont dû partir d’eux-mêmes. Depuis qu’Axelle est
revenue, les autres rêvaient d’aller sur la planète de cette Maldeï, et Scott et
Kim l’ont certainement fait. On pense qu’ils ont pu se transporter instanta-
nément vers Elvy, la planète de la méchante. Mais s’ils ont pu partir, c’est
certainement grâce à nous tous lorsqu’on était en classe. Là-bas, seuls, ils
ne pourront pas revenir. On veut aller les chercher, mais on ne sait pas
comment tu fais pour voyager dans l’espace instantanément. Est-ce que tu
pourrais nous expliquer ?
⎯ Vous expliquer comment se déplacer dans l’espace avec juste la pen-
sée ? Mais, c’est impossible, je ne n’y arrive même plus, comment vou-
drais-tu que je te montre ?
⎯ Mais si, maman, tu nous disais lorsque tu étais avec nous que tu
avais fait des voyages dans l’espace juste avec la force de ta pensée. On
veut faire comme toi. C’est important, dis-nous-le !
Jenifer, qui est à côté d’Aqualuce et écoute les enfants, répond à son amie :
⎯ Je crois que la petite a raison, tu devrais lui expliquer comment on se
déplace dans l’espace. Ne dis pas que c’est impossible, nous le faisons tout
le temps avec notre amie Adiban ; rappelle-toi !
Aqualuce réfléchit et se rappelle comment elle avait transformé leur vais-
seau en un appareil capable de voyager instantanément dans l’espace. Se
disant que ces petites devront être rassurées et repartir avec un espoir, elle
réfléchit un instant à comment leur présenter une solution qui les satisfasse,
alors, elle leur dit :
⎯ D’abord, pour voyager dans l’espace, il vous faut un vaisseau spatial
que vous devrez construire. Donnez-lui un nom afin qu’il puisse vivre. Pour
lui donner un moteur, vous devrez rassembler toutes les piles électriques
que vous trouverez afin de donner à votre engin la puissance nécessaire.
Mais ce n’est pas tout, pour que le moteur agisse, il faut que vous soyez
tous prêts à donner chacun un bout de vous-même, comme pour toi, Axelle,
qui sait lire dans les pensées comme ta mère, donne aux autres un peu de
ton don lorsque ça peut être utile. Cléonisse, je sais que tu me ressembles
beaucoup, n’hésite pas à faire don de beaucoup de tes pouvoirs à tous ceux
qui sont autour de toi. Shanley, rien ne te résiste, tu es pratiquement invin-
cible. Par ce don, protège tous ceux qui sont avec toi. Les enfants ; ce n’est
pas avec vos pouvoirs que vous vaincrez le monde, mais en les restituant à
l’humanité. Faites cela et vous verrez, les difficultés s’effaceront autour de
vous. Il n’est nul besoin de vouloir traverser l’univers pour sauver vos amis,
votre comportement, le don de tout ce que vous possédez et le service que
vous donnerez sera votre meilleur atout. Lorsque vous me quitterez tout à

190
l’heure, je suis certaine que vous trouverez une solution pour sauver vos
amis. Hélas, je ne peux pas les aider directement car je suis aussi prise dans
une tourmente. Mais je suis certaine que tout s’arrangera pour vous.
⎯ Mais si on construit un vaisseau, tu penses qu’on y arrivera ?
⎯ Ma petite Cléonisse, les meilleurs vaisseaux que l’on peut construire
sont dans notre imagination. Fais-en un si tu veux, ensuite, mets y beaucoup
d’amour. Peut-être devrais-tu parler à Noèse de ton projet et lui demander
comment retrouver les amis disparus.
⎯ Maman, j’aimerais que toute cette histoire se termine un jour. Je
voudrais que tu rentres à la maison. J’aimerais que papa revienne, il faut
que tout redevienne comme avant. Au fond de moi, même si je ne suis pas
seule, je ne suis pas bien de te savoir aussi loin et en danger. On va avoir un
frère ou une sœur, tu ne peux pas toujours être partie.
À ce moment, la petite fille commence à pleurer. Sa maman la prend dans
ses bras et la réconforte autant qu’elle le peut. Mais Aqualuce se dit qu’elle
a raison et que malgré la lourde tâche qu’elle porte, il faudra retourner à la
maison. Hélas, ce n’est pas encore le moment et en elle des larmes coulent
aussi. Pour rassurer sa fille elle lui dit :
⎯ Avant l’été, tout sera comme avant. Je te promets les plus belles va-
cances qui soient. Tu peux déjà penser à ce que nous ferons tous ensemble.
La petite fille se détend et lui esquisse un sourire.
⎯ Je vais commencer à préparer la chambre pour les bébés. Il faut que
tout soit prêt lorsque tu rentreras avec papa.
⎯ C’est une très bonne idée.
⎯ Dis, maman, pourquoi tu ne rentres pas maintenant ?
La question n’est pas surprenante et Aqualuce trouve la réponse :
⎯ Je prépare pour le frère et la sœur qui vont te rejoindre un monde en-
core meilleur qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est pour vous, les enfants, que je
travaille, fais-moi confiance, ce que tu vis ne sera bientôt qu’un souvenir
que tu oublieras vite.
Aqualuce fait encore un câlin à sa fille et rassure aussi les deux autres en-
fants qu’elle prend dans ses bras. Mais autour d’elles, le sol se met à vibrer
et la lumière se met à scintiller. Les enfants s’arrachent à Aqualuce malgré
eux, et comme si le temps faisait marche arrière, les grands s’éloignent des
petits. Si bien que d’un coup, Aqualuce se retrouve à la place où elle était
avant que le sifflet ne l’appelle. Jenifer et Timi la regardent et se demandent
ce qu’il s’est passé. Elles ont bien assisté à l’apparition des trois enfants,
mais ne comprennent pas vraiment.
C’est alors que toute la grotte où elles se trouvent se met à tourner, et elles
sont emportées comme dans une tornade…

191
LA RÉVOLTE
Lorsque, le matin, Clara revint en titubant avec les autres
femmes, Christopher ne dit pas un mot. Il ne demanda pas à Clara ce qui
s’était passé. Il le savait trop bien, Gadny l’avait hélas prévenu. Il vit son
épouse essayer de faire une toilette avec le peu de moyen dont elle dispo-
sait, puis juste rhabillée, elle est partie au travail avec les autres. Christo-
pher pensait qu’en rentrant, il pourrait la consoler et la rassurer, mais lors-
qu’elle revint, elle l’ignora totalement. Durant quinze jours elle repartit tra-
vailler avec les autres comme si elle semblait s’être faite à sa nouvelle
condition, laissant son pauvre époux totalement abandonné. Hélas pour
Christopher, il lui était totalement interdit de sortir, par crainte qu’il soit
remarqué et qu’il déclenche une visite des gardes et que les femmes soient
accusées de trahison et soient tuées sans condition.
Pourtant, il n’est pas homme à baisser les bras et se considérer comme vain-
cu. Alors avec grande sagesse, il se met à patienter et à élaborer des plans
pour fuir cette île funeste.
Ce soir, les femmes sont revenues du travail, mais il ne voit pas Clara, alors
il demande à Gadny :
⎯ Pourquoi n’est-elle pas avec vous ? Sais-tu où elle est ?
⎯ Les gardes l'ont prise avec eux, ils ont apparemment l’intention de
faire une fête ensemble. Ils ont aussi pris Madelian, Virliny et Xerria.
⎯ Mais bon sang, on ne peut pas laisser faire ça ! Il y a quinze jours, je
l’ai laissée partir, mais ce soir, non ! Ca ne se passera pas comme ça ! J’y
vais. Dis-moi où je peux la trouver. Je vais la chercher.
⎯ Tu ne peux pas, ils vont te tuer !
⎯ Ils ne me tueront pas et je vais leur reprendre Clara. Je me fous de
sortir d’ici et d’être repéré. Tant pis s’il y a une descente ici, vous n’avez
qu’à vous bouger et vous révolter. En plus tu sais que vos enfants vous at-
tendent ailleurs et qu’ils sont en vie. Pourquoi ne faites-vous rien ?
Christopher est en colère et Gadny se questionne. Elle commence à com-
prendre qu’il a certainement raison. Elle et les autres se laissent aller à la
peur chaque jour. Elle pense alors que fabriquer des armes n’est plus un
avenir pour elles. Elle se dit que si la mort les attend à la fin, il est peut-être
mieux de se révolter comme Christopher le propose. Qu’ont-elles à perdre
en fait ? Alors, regardant l’homme elle lui répond :
⎯ Je t’emmène chez les gardes ce soir. À partir de maintenant, je ne
suis plus prisonnière de ce camp de travail. Je veux revoir mon enfant. Je ne
reste pas. Tu as raison. Allons chercher Clara et les autres ; partons !
Christopher n’en revient pas. Mais de toute façon, il était décidé avant
qu’elle ne veuille le suivre. Néanmoins, il se réjouit de sa décision. Le coup
de sang de Christopher n’est pas passé inaperçu et les autres femmes les ont
192
entendus. Alors, déjà, pour certaines, elles se disent que comme Gadny, il
ne faut plus rester là. C’est déjà la révolte dans le grand dortoir. Alors la
nouvelle amie de Christopher calme ses consœurs :
⎯ S’il vous plaît ; pour aller chez les gardes, nous ne pourrons pas être
plus de quatre, sans quoi nous risquons de donner l’alerte avant d’arriver.
Préparez-vous le temps que nous soyons partis. À notre retour nous passe-
rons à l’action. Je vous promets que nous reverrons nos enfants.
⎯ Je vous ai observées depuis que je suis avec vous, et comme je suis
resté là à vous attendre, j’ai eu l’occasion de réfléchir à l’action à mener. Je
pense pouvoir sortir Clara des mains des gardiens, ainsi que le reste de vos
amies. Rassemblez tout ce qui peut nous servir d’armes. Prenez de l’eau et
des vivres. Mettez des vêtements robustes sur vous. Demain matin, nous
serons en guerre. Essayez de convaincre tous ceux qui peuvent nous suivre.
Allez dans l’autre dortoir pour entraîner ceux qui ne sont pas encore infor-
més. À cent cinquante, nous allons détruire toutes les usines d’armes de
l’île. Maldeï regrettera de vous avoir prises comme ouvrières.
Toutes les femmes se sentent fortes avec cet homme. On ne leur avait ja-
mais parlé comme ça. Deux femmes sortent vite du rang pour se porter vo-
lontaires pour venir avec lui. Il leur demande leur nom et les prend avec
Gadny. Elles sont seulement armées de lames de couteaux, mais Christo-
pher leur dit que ce sera suffisant. Mais Gadny lui dit qu’il se fera immédia-
tement remarquer lorsqu’il sortira dans son état. Elle lui propose de le trans-
former comme les autres, en prisonnière femme. Il hésite un moment, mais
une idée lui vient d’un coup, ce qui pourrait lui permettre de libérer Clara,
car jusqu’à présent il n’avait pas de plan.
⎯ Bon, c’est d’accord, mais ne me ridiculisez pas ; je n’aime pas me
sentir dans la peau d’une femme.
⎯ Ne t’inquiètes pas mon chéri, pour la coiffure, ce n’est pas ce qu’il y
a de plus féminin.
Alors, elle attrape le rasoir et lui rase les quelques cheveux qu’il a sur la tête
ainsi que la barbe de quelques jours. Ensuite elle lui donne des vêtements et
lui marque au charbon le signe des prisonnières. Elle lui place au niveau de
la poitrine des bouts de mousse pour faire plus réel.
⎯ Tu as beaucoup de ressemblance avec nous, maintenant, on peut y al-
ler.
Comme la nuit est tombée, ils sortent pour rejoindre la fête donnée par les
gardes. Les deux autres femmes, Rasbarian et Limexine sont encore jeunes,
bien qu’elles aient déjà passé sept ans ici. Elles semblent n’avoir que vingt-
deux ans. Christopher s’interroge sur leur âge et l’une d’elles répond :
⎯ Je n’ai que vingt ans, tout comme Limexine. Lorsque Maldeï est ve-
nue faire ses expériences, elle nous a trouvées et nous n’étions pas stériles,
alors elle nous a pris comme les autres du camp. Nous étions déjà toutes en

193
âge d’avoir des enfants, c’est tout ce qui l’intéressait.
En entendant ça, il en est écœuré, les enfants n’ont aucune chance devant
elle. Il se rappelle des enfants de l’île de Carbokan. Tout cela est bien loin
du pays où il vivait avant de commencer une enquête qui l’a emmené bien
au-delà de toutes les limites de son monde.
⎯ Je vous jure que vous partirez toutes d’ici…

Le bâtiment qui abrite les gardes est en hauteur sur une butte, c’est la tour
des gardes. De là, ils peuvent observer ceux qui s’approchent. Lorsque
Gadny montre de loin où se trouve Clara, Christopher fait part de son idée :
⎯ Nous allons vers eux à découvert. Lorsqu’ils nous repéreront, nous
leur dirons que comme ils donnent une fête, nous venons nous offrir pour
leur plaisir et le nôtre.
⎯ T’es fou, on va y passer tout de suite ; tu ne les connais pas !
⎯ Tu leur diras que s’ils nous laissent faire, nous pourrons leur amener
d’autres femmes. Ça les excitera et cela nous laissera du temps.
⎯ T’es vraiment complètement fou. Mais je ferais ce que tu me deman-
des, parfois, la folie ça a du bon.
⎯ Je suis policier normalement. J’ai toujours agi pour la justice et ce
n’est pas aujourd’hui que je renierai mes convictions. De plus, avec Clara,
nous avons décidé d’agir pour que tous les hommes s’éveillent à la réalité
du monde et trouvent la vérité. Nous étions tranquilles sur Terre. Mais nous
avons préféré venir avec vous sur Elvy pour vous aider. C’est un peu le
hasard que nous soyons arrivés sur l’île de Racben, mais maintenant, je sais
que ça ne l’était pas et je ne le regrette pas.
⎯ Si tu réussis comme tu le dis, alors je croirai en une autre vie et un
autre univers. Cela fait des années que nous sommes emprisonnées ici et
jamais rien n’est venu éclairer notre vie, alors j’ai fini de rêver.
⎯ Pourquoi Clara est-elle restée à travailler avec vous au lendemain de
notre arrivée, et pourquoi ne m’a-t-elle plus adressé la parole ? Que s’est-il
passé dans la maison des gardes ce soir-là ?
⎯ Pas grand-chose de joli. Vraiment pas joli.
⎯ Mais quoi donc ?
⎯ Il vaut mieux ne pas savoir.
⎯ Il faut que je sache ; c’est ma femme.
Un silence se fait, Gadny ne voudrait rien dire afin de pouvoir oublier
l’inoubliable. Mais au bout d’un petit instant elle lui dit :
⎯ Ces salauds. Ils l’ont excisée, ensuite violée.
Christopher vomit instantanément son maigre repas. Il est totalement écœu-
ré par ce qu’il vient d’apprendre. Gadny s’en veut de lui avoir dit, car elle
avait fait à Clara la promesse de garder le secret. Mais tant pis, c’est fait.
⎯ Ça ne change rien. On y va. Ce que tu viens de me dire me motive
194
encore plus. Nous les ramènerons. Tu en as ma promesse. Vous allez suivre
mon plan et tout se passera bien.
⎯ Comment opère-t-on une fois à l’intérieur ? Tu sais qu’il y a en
moyenne une quinzaine de gardes.
⎯ Le nombre n’est pas un problème. Je me ferais passer pour une
femme et nous allons les aguicher. Gardez vos lames bien cachées, elles
pourraient servir. Je m’occuperai des hommes au moment venu. Lorsque
vous m’entendrez agir, alors sortez vos armes et on verra.
Gadny trouve un peu court ce plan mais après tout, que risquent-ils de
plus ?
Tous les quatre avancent à découvert et se font remarquer par un vigile.
⎯ Stop ! Où allez-vous ?
⎯ Bonsoir. Moi et mes amies ont s’ennui et nous pensions que ce serait
bien de pouvoir venir vous divertir un peu. On peut tous se donner du plai-
sir.
⎯ Attends un peu. Bougez pas, je vais demander au chef.
Le garde disparaît un moment, puis lorsqu’il revient, c’est avec un autre
homme qui leur demande :
⎯ Qu’avez-vous à nous proposer qui vaille la peine de venir avec
nous ?
Christopher n’a pas de réponse à leur donner. Il est un peu dépassé car il
croyait qu’à la simple vue de quatre femmes, les portes s’ouvriraient pres-
que automatiquement. Mais ce n’est pas le cas et la non-réponse risque de
leur être fatale. Mais Gadny répond :
⎯ Nous avons toutes les quatre nos règles et je sais que tu aimes le sang
lorsque tu baises. Avec nous, tu seras servi.
⎯ Oh ! Toi tu me prends par les sentiments. Allez, entrez, on vous ou-
vre la porte.
On est à la limite de l’horreur pense Christopher. Il comprend pourquoi
Clara avait subi cette mutilation encore trop fréquente sur Terre. Cet
homme est peut-être celui qui avait fait subir ça à Clara.
⎯ Tu connais cet homme ?
⎯ Bien sûr ! C’est Darkor, leur chef. Il est sanguinaire et obsédé en
même temps. C’est pour ça que Maldeï l’a mis ici avec un autre. Il s’occupe
de la moitié de l’île ; l’autre partie est sous la garde de Benkazy. Tous deux
nous tiennent en leur pouvoir depuis longtemps.
⎯ J’ai comme le sentiment que c’est lui qui a fait souffrir Clara.
⎯ Ce qu’il lui a fait, il l’a fait à nous aussi. Clara n’est pas la première,
c’est un rituel pour toutes les femmes qui viennent ici la première fois.
⎯ Toi aussi tu as…
⎯ Moi aussi, j’ai été mutilée. Il n’y a que Rasbarian et Limexine qui
sont encore entières.
195
⎯ Pourquoi êtes-vous venue avec moi ce soir, vous deux ?
⎯ Nous, on est une famille. On n'a plus rien à perdre, on veut être
comme les autres.
⎯ C’est bon. Taisez-vous, on nous ouvre la porte.
⎯ Au pied de la maison des gardes, on a l’impression d’être à l’entrée
d’une forteresse. C’est en sous-sol que l’entrée se fait, et là, un garde les
accueille à sa façon.
⎯ Déshabillez-vous ici. Le maître l’exige avant que vous ne pénétriez
dans sa chambre.
Si cela se fait, ils sont perdus. Mais Gadny lui répond :
⎯ Tu nous dis ça pour profiter de nos corps. Je ne suis pas d’accord,
seul ton maître pourra nous contempler. Fais attention, je pourrais le lui
répéter.
Ça marche, car lorsqu’il entend ces mots, il rougit et se tait avant de les
laisser passer pour le conduire à la chambre. Deux étages plus haut, le garde
leur ouvre la porte et les fait entrer, avant de la verrouiller derrière eux.
L’endroit n’a rien de comparable avec les dortoirs que les femmes oc-
cupent. Cette chambre est propre. Les draps sont blancs et il y a de quoi se
laver. C’est pour Christopher à la mesure d’un hôtel très grand standing.
Les trois femmes se mettent nues tandis que pour leur compagnon c’est bien
plus difficile ; alors, après avoir enlevé sa chemise, il se glisse sous les
draps. C’est à ce moment que le responsable vu tout à l’heure entre dans la
chambre.
⎯ C’est si rare d’avoir des volontaires. Cela me fait grand plaisir, je
saurais m’en souvenir. Donnez-moi vos noms, vous aurez un traitement
spécial lorsque vous retournerez au travail demain.
Darkor se glisse entre les trois femmes en tâtant leur sexe. Il dit aux deux
jeunes :
⎯ Je ferai l’amour avec vous un peu plus tard ce soir car il faut que je
vous prépare.
Entendant cela, Christopher ne donne pas cher de lui lorsque l’autre péné-
trera dans le lit.
⎯ Ma chère Gadny, viens avec moi dans le lit, nous allons partager no-
tre plaisir avec ton amie qui est déjà installée.
Le maître détache son arme et la pose sur une table. Il se déshabille devant
les yeux des deux gamines qui restent debout, alors que Gadny se prépare et
pénètre dans le grand lit. L’homme tire le drap pour se coucher, lorsqu’il
voit que Christopher est encore habillé. Il commence à se reculer mais
Christopher l’attrape et le sert contre lui sur le lit. Il crie :
⎯ Rasbarian et Limexine, lancez-moi son arme, vite !
L’une des deux jeunes femmes attrape l’engin et lui lance. Il l’attrape aussi-
tôt et plaque le canon dans le bas de la nuque.

196
⎯ Ne bouge plus ou tu es mort !
Darkor ne se débat plus et Christopher se relève en le tenant à portée. Il se
rhabille, et d’un air menaçant, exige du chef qu’il le conduise à Clara et les
autres femmes qu’ils ont gardées pour la nuit. Ce dernier n’a pas le choix et
fait savoir qu’elles se trouvent dans la salle prévue pour la fête avec tous ses
hommes, et il dit :
⎯ Quand bien même tu seras avec elles, mes hommes ne se laisseront
pas faire, ils te tueront. Tu ferais mieux de me libérer, je te laisserai fuir
avec une minute d’avance. Ce sera mieux que rien.
⎯ Ta vie ne vaut pas mieux que la mienne. Pour l’instant, c’est moi qui
ai le joker en main. On y va. Venez avec moi les filles. Vous prendrez les
armes que les gardes ont sur eux.
Ils avancent vers la salle en tenant le maître sous la menace de l’arme.
Lorsqu’ils ouvrent la porte, ils découvrent tous les gardes préparant l’orgie
de la nuit ainsi que les quatre femmes attachées sur des planches dans des
positions humiliantes, avec leurs corps recouverts de graisse pour faciliter le
plaisir de chacun. Ils restent tous surpris de voir arriver le chef pris en
otage, avec trois femmes derrière un homme qui semble sortir de nulle part.
Christopher dit alors à tous :
⎯ Levez les mains en l’air ou je désintègre votre maître ! Laissez-vous
désarmer. Le premier qui bouge est mort.
Il y a peu d’hommes encore armés car la moitié est déjà déshabillée. Rasba-
rian, Limexine et Gadny enlèvent les pistolets encore accrochés à leur cein-
ture et en gardent un dans leurs mains afin de tenir en joue tous les hommes.
Christopher, désignant quatre hommes, leur demande :
⎯ Détachez ces femmes, et vite !
Les hommes exécutent l’ordre et Madelian, Virliny, Xerria et Clara se libè-
rent de leur plateau supplicié. Comme elles sont apparemment droguées,
elles ne réagissent pratiquement pas, comme si elles étaient des poupées
gonflables prêtent à s’effondrer. Cela perturbe Christopher qui pensait trou-
ver des femmes aussi dynamiques que les trois qu’il a avec lui. Clara s’étale
sur le sol d’un coup, et à ce moment, sentant l’homme relâcher son atten-
tion, le chef se retourne et arrache l’arme. Christopher, qui s’inquiétait pour
Clara pendant juste trois secondes, est pris de court, ce qui lui est fatal. Le
maître ne fait pas de sentiment et tire sur lui dans la poitrine à bout portant.
L’impact du rayon est tel qu’il est propulsé contre la cloison et que son
épaule est arrachée avec le bras entier. Ce type de tir est à coup sûr mortel
pour celui qui en est la cible. Darkor attrape alors Gadny, met son arme sur
sa tempe et menace Limexine et Rasbarian.
⎯ Jetez vos armes toutes le deux ou je la tue comme l’autre !
Affolées, elles se regardent, voyant Christopher mort au fond de la salle et
leur amie en grande difficulté, elles jettent aussitôt les deux pistolets. Le

197
Maître est satisfait et il leur dit :
⎯ Maintenant, voyez pourquoi je suis le Maître ici…

Le rayon est si puissant qu’il ne reste qu’un cou sans tête. Le corps
s’effondre et le sang gicle sur tous ceux qui sont autour, alors que la tête
roule encore sur le sol…

Clara se redresse en brandissant l’arme qu’elle vient de ramasser et dit :


⎯ Y en a-t-il d’autres qui veulent goûter au canon de ce pistolet,
comme vient de le faire votre chef ?
Les hommes se reculent, et Limexine et Rasbarian reprennent des armes
qu’elles pointent sur les gardes. Gadny est recouverte du sang de l’homme
qui s’apprêtait à la tuer. Une chance pour elle que l’arme de Limexine soit
tombée juste dans les mains de Clara qui aussitôt, reprenant conscience,
exécuta le Maître. Nul ne s’y attendait et en un fragment de seconde la si-
tuation se retourne, les gardes paniqués ne savent plus quoi faire. Clara de-
bout et paraissant se remettre, se précipite vers Christopher étalé sur le sol.
Elle pose sur sa blessure la chemise qu’elle a sur elle et lui redresse la tête
en lui donnant des tapes sur les joues.
⎯ Réveille-toi, mon chéri. C’est terminé. On est sortis d’affaire.
Ceux qui l’entendent se disent qu’elle est folle de parler à un mort, mais
leur surprise est encore plus grande lorsque l’homme blessé ouvre les yeux.
⎯ Punaise ! J’ai mal au bras.
⎯ T’en fais pas, ça repousse.
Étonné, Christopher regarde sur le côté, sous le tissu, et voit qu’un embryon
de main ressort de son épaule disparue.
⎯ Tu es invulnérable, personne ne peut te causer de dommages. De-
main, il n’y paraîtra plus. Allez, relève-toi. Prends ma main pour te relever.
Ceux qui voient Christopher sur ses jambes sont effrayés et plus un garde
ne cherche à se rebeller. Clara se retourne vers tous les hommes et leur dit :
⎯ Si vous désirez la vie sauve, il faudra collaborer avec nous, car nous
ne ferons pas de prisonniers.
Tous les gardes sont des Elviens recrutés par la police de Maldeï. Ils
n’avaient pas vocation à le devenir, mais la peur et la propagande est telle
que personne ne peut refuser. Les treize hommes acceptent. Clara demande
alors à tous de quitter la tour des gardes. Lorsqu’ils sortent, c’est avec sur-
prise qu’ils trouvent à l’entrée toutes les femmes prisonnières de l’île. Elles
sont préparées et armées comme Christopher leur avait demandé. En voyant
les gardes sortir avec leurs amis, elles commencent à les bousculer. Mais
Gadny intervient :
⎯ Laissez-les tranquilles. Leur chef est mort, ils se sont ralliés à nous.
⎯ Mais ils ont tous participé aux orgies, ils doivent payer !

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⎯ Ils paieront en luttant contre Maldeï et en faisant chuter la dictature
sur cette île.
L’un des hommes dit alors :
⎯ Darkor nous obligeait à faire comme lui, il nous prenait comme pré-
texte pour vous violer, c’est lui qui vous a toutes mutilées. On n’avait rien à
dire car il détenait tous les pouvoirs que lui avait confiés Maldeï.
Les femmes sont bien obligées d’accepter. Toute cette communauté ne peut
rester ici. Comme le groupe de la révolte est formé, il faut maintenant
continuer à renverser les autorités de l’île. Les autres ouvrières ne sont pas
prisonnières mais des volontaires désignées d’office. Ce sera plus difficile
de les convaincre. Les anciens gardes proposent d’aller prendre les armes
qui sont enfermées dans la tour. Ils partent avec un groupe de femmes, et
reviennent avec un stock très impressionnant de ce que toutes les ouvrières
produisent. Tous sont parés pour partir. Le camp le plus proche est à deux
kilomètres alors le groupe mené par Gadny se met en marche. Christopher
les suit, accompagné de Clara. Durant leur cheminement, Christopher sent
ses membres repousser, ce qui lui fait une impression très étrange et dou-
loureuse en même temps. Clara lui adresse la parole et le rassure :
⎯ T’en a mis du temps pour venir me chercher ! Ça fait quinze jours
que je t’attendais. Je commençais à m’impatienter !
Il la regarde, totalement étonné.
⎯ Mais, depuis que tu as été prise par les gardes, tu ne m’adresses plus
la parole ! Comment aurais-je pu savoir que tu m’attendais. Tu m’ignorais
et tu allais travailler chaque jour avec les autres. Moi, je suis resté tapi sous
un lit tout le temps.
⎯ Pourquoi n’as-tu pas bougé avant que je sois enfermée dans la Tour
des Gardes ?
⎯ Parce que tu rentrais chaque jour.
⎯ Alors pourquoi n’es-tu pas venu me chercher ?
⎯ Tu m’ignorais.
⎯ Non ! C’est toi qui m’ignorais. Lorsque je suis rentrée la première
fois, tu m’as regardée et tu n’as rien dit. J’ai voulu attirer ton attention lors-
que j’ai essayé de faire une toilette et tu n’as fait que me regarder. Je ne
demandais qu’une chose ; c’était que tu m’embrasses, et tu n’as rien fait.
Alors je suis allée travailler parce que tu n’avais pas le courage d’affronter
le viol qu’on m’avait fait subir.
⎯ Je pensais qu’il était préférable d’oublier.
⎯ Il faut avoir le courage de regarder le mal comme on regarde le bien.
⎯ Tu as été mutilée. Je le sais et je ne pourrai jamais l’oublier chaque
fois que je te verrai nue. Pour ça, je ne t’en parlerai plus.
⎯ Tu oublieras ce qu’il m’a fait ; même lorsque je serai nue devant toi.
Mais il faut savoir regarder l’autre lorsqu’il souffre. Je suis comme avant.
199
Ça repousse comme ton bras.
Il la regarde, complètement étourdi.
⎯ Alors pourquoi m’avoir fait subir tout ça ?
⎯ Parce que si tu n’avais fait que m’attendre, tu n’aurais pas eu l’idée
de bousculer toutes ces femmes. Elles seraient toutes restées des prisonniè-
res soumises. Et jamais personne n’aurait eu l’idée de se soulever pour se
révolter. Je t’ai poussé à les mettre en route et maintenant, elles n’ont plus
besoin de nous. Elles vont pouvoir casser cette île. Ici, Maldeï a déjà perdu.
Tu as été parfait à partir du moment où tu t’es révolté. Eh Christopher !
⎯ Quoi ?
⎯ Je t’aime ; embrasse-moi…

Le groupe arrive à proximité du camp des femmes elviennes. Un simple


garde surveille l’entrée. Il est décidé qu’un des anciens gardes va
s’approcher de lui et parlementer. Hélas, la discussion tourne mal ; le garde
n’admet pas que des prisonnières pénètrent dans cette zone, car elles puent
et sont pleines de maladies, dit-il. Le garde du camp sort une arme, mais
l’autre est plus rapide, et il s’étale, mort, sur le sol. Le pauvre homme res-
sort totalement étourdi par son geste et Gadny le prend à part :
⎯ Que t’a-t-il dit ?
⎯ Il dit que vous allez contaminer ces femmes et il voulait avertir Ben-
kazy. Il a sorti son arme et il voulait prendre son communicateur. Je l’ai tué.
⎯ Que faut-il faire à ton avis ?
⎯ Nous avons de quoi détruire les usines du secteur. Toutes celles qui y
travaillent se retrouveront au chômage ; on arrivera peut-être à les amener à
nous.
Cette proposition doit être approuvée par le groupe, et Gadny rejoint
d’autres femmes.
Clara et Christopher se mettent en retrait car ils ont mis le feu à la mèche de
la révolte. Tous deux pensent à leur ami Starram, parti à la recherche d’un
vaisseau lorsqu’ils sont arrivés sur l’île et dont ils n’ont plus de nouvelles.
Gadny se rapproche d’eux quelques instants après avoir réuni le groupe :
⎯ Mes amis, nous allons détruire l’usine cette nuit. Ne vous trouvez pas
à côté car ça risque de faire beaucoup de dégâts. Pour nous, il n’est pas
question de nous battre contre les autres ouvrières, on espère les rallier à
notre cause, après la destruction.
⎯ Mais que ferez-vous ensuite ?
⎯ Avec les autres, on partira de l’autre côté de l’île pour en finir.
⎯ Je te souhaite de réussir, Gadny. Christopher et moi allons à la re-
cherche de notre ami. Nous devons trouver le moyen de quitter cette île.
Pourvu que Maldeï ne soit pas informée trop tôt de cette révolte et qu’elle
envoie des troupes. Si c’était le cas, ce serait la fin pour nous tous.
200
⎯ Faites cela, nous, on est décidés. De toute façon, nous n’avons rien à
perdre. Nous aurions dû nous révolter depuis bien longtemps. C’est grâce à
vous que nous nous sommes réveillées. Faites ce que vous avez à faire,
nous, on ne s’arrête plus.

Clara et Christopher partent vers la plage sur laquelle ils étaient arrivés,
espérant retrouver les traces de Starram, alors que le groupe s’organise et
part vers la première usine qu’ils pensent détruire. Un peu plus tard dans la
nuit, alors qu’ils sont arrivés sur la plage, devant l’épave du radeau qui les
avait emmenés jusqu’ici, ils entendent une déflagration terrible en même
temps qu’un éclair couvre un instant le ciel entier. Ils comprennent alors
que la guerre de l’île a commencé. Mais ils ne voient aucune trace de leur
ami. Ils s’allongent sur le sable et s’endorment, enlacés l’un dans l’autre
pour se tenir chaud. Au matin, une pluie terrible les réveille. Clara se re-
dresse et pense tout haut :
⎯ Avec ce temps, ce sont de bien mauvais jours qui s’annoncent pour
nous.
Christopher la regarde étonné.
⎯ Mais pourquoi dis-tu cela ?
⎯ La révolution entraîne toujours plus de morts qu’il ne faut. Ces jours-
ci, nous perdrons des amis. D’autres que nous ne connaissons pas mourront
aussi dans l’oubli total. Certaines femmes ne connaîtront jamais leur enfant
et d’autres ne reverront jamais les leurs. Hier, j’ai peut-être tué un père de
famille. Peut-être que cet homme avait une vie ailleurs bien différente que
celle qu’il nous présentait. Tu sais, j’ai appuyé sur la gâchette, mais si
j’avais réfléchi, je n’aurais jamais pu le faire.
⎯ Et tous seraient morts.
⎯ Peut-être, mais je n’ai jamais tué d’hommes ou d’animaux de ma vie,
jusqu’à hier.
⎯ Tu as sauvé des vies hier, c’est bien plus important. Cet homme était
malade. Il a fait souffrir de nombreuses femmes. Tu n’as rien à te reprocher.
Allez, viens avec moi, cherchons un abri…

Clara et Christopher se retrouvent dans les dortoirs abandonnés par les


femmes. Durant quatre jours, sous la pluie, ils longent la côte pour retrouver
leur ami. Régulièrement, ils entendent des détonations qui indiquent que
l’on se bat sur l’île. Parfois une explosion plus importante crée des nuées de
lumière qui indiquent que les combats doivent être d’une grande violence.
Pour eux, l’inquiétude monte, car ils craignent de voir arriver prochaine-
ment les troupes de Maldeï qui feront vite taire cette révolution. L’espoir de
quitter l’île avec les autres femmes se tarit peu à peu malgré le désir de sau-
ver toutes ces malheureuses. Ce n’est qu’au cinquième jour que la pluie

201
s’arrête. Christopher sort du dortoir en pensant admirer le soleil se lever sur
un ciel redevenu bleu. Il s’étire, son bras arraché ayant entièrement repous-
sé. Il est heureux d’annoncer à Clara que le beau temps revient, lorsqu’il
entend des pas dans la cour d’à côté. Il se penche et reconnaît Gadny se
tenant le ventre et avançant avec difficulté. Il se précipite vers elle pour la
secourir. Lorsque qu’il arrive, Gadny lève les yeux sur lui et s’effondre sur
le sol boueux. Il la prend dans ses bras et l’emmène jusque sur un lit. Le
bruit réveille Clara qui voit son compagnon parler à quelqu’un d’autre. Elle
se redresse et, surprise, elle retrouve son amie de chambre ; Gadny.
⎯ Que fait-elle là ?
⎯ Je ne sais pas, elle vient d’arriver. Elle me semble mal en point.
⎯ Pousse-toi, je vais l’examiner.
Clara soulève sa chemise et voit une blessure qui lui ouvre la poitrine jus-
que sous la gorge. Un des poumons est totalement brûlé, et bien que le cœur
ne soit pas touché, elle demeure malgré tout très sérieusement blessée.
⎯ Avec une telle blessure, je me demande comment elle a pu arriver
jusqu’ici ? Je pense qu’elle a dû mettre ses dernières forces dans le parcours
qu’elle a fait pour nous retrouver.
⎯ Tu penses qu’elle nous cherchait ?
⎯ Peut-être. Si c’est le cas, nous devrons l’aider à reprendre connais-
sance, elle a certainement des informations importantes pour nous. Mais si
elle est dans le coma, je ne peux la réveiller.
⎯ Ne peux-tu pas sonder son esprit ? Comme tu l’avais fait avec Star-
ram ?
⎯ Non, mais je peux lui donner de mon énergie vitale. Ça l’aidera
quelques minutes.
Clara s’allonge contre elle et lui prend ses deux mains. En quelques minu-
tes, elle semble s’amaigrir, son visage se tire comme si elle n’avait pas
mangé depuis plusieurs jours, alors que Gadny semble reprendre de la vie et
que ses joues se regonflent. La pauvre fille ouvre les yeux, et Christopher la
regarde.
⎯ Bonjours mon grand, t’es toujours aussi beau. Comment vas-tu ?
⎯ Oh ! Moi, je vais bien. Regarde, mon bras a déjà repoussé.
⎯ T’en a de la chance, car il me manque la moitié d’un poumon et ce
n’est pas terrible. Où est Clara ?
⎯ Allongée contre toi, elle vient de te donner de son fluide vital.
⎯ Si elle a fait ça, c’est que je ne vais vraiment pas bien.
⎯ Gadny, pourquoi es-tu revenue ?
⎯ Il faillait que je vous trouve. C’est très grave. Nous avons remporté
de grandes victoires et nous sommes arrivées à nous faire de nouveaux al-
liés avec les ouvrières. Mais, certaines n’ont pas voulu se rallier et elles ont

202
rejoint Benkazy. Nous avons détruit tous les systèmes de communication,
mais hélas, au moment pénétrer dans la tour, le repaire des gardes, je me
suis retrouvée face à Benkazy. Il se rendait vers son vaisseau, certainement
pour rejoindre Sandépra. Je voulais l’arrêter, mais il a été le plus rapide et il
a tiré sur moi, m’arrachant un poumon. Je l’ai vu décoller, un autre vaisseau
le suivait. C’est fini pour nous bien que les usines soient presque toutes
détruites. On ne peut pas toujours avoir de la chance. Je n’avais pas de Cla-
ra avec moi, cette fois. Avant la fin de la journée, Maldeï sera ici avec ses
gardes et notre belle révolte fera partie des souvenirs.
Clara se redresse à ce moment, elle reprend conscience :
⎯ Dis-moi, quel était ce vaisseau qui le suivait ?
⎯ Je ne sais pas, peut-être un de ses lieutenants ? Clara, je suis heureuse
que tu sois encore vivante, nous avons perdu quelques-unes de nos amies en
combattant ceux qui ne se sont pas ralliées à nous. Je vais mourir, ce n’est
pas avec la force que tu me donnes que je pourrais guérir, sinon, c’est toi
qui mourrais et je ne le souhaite pas. Tu m’as sauvée l’autre jour et cela m’a
permis de combattre ; c’est l’essentiel. Ma blessure est trop profonde. J’ai
voulu te rejoindre dans l’espoir que tu puisses sauver le reste de nos amis, je
sais que tu as toujours de bonnes idées. C’est trop tard pour moi, mais
j’aimerais, si vous vous en sortez, que tu retrouves mon enfant et que tu
l’élèves pour moi car tu as un très grand cœur. Tu ferais une bonne-maman.
⎯ Mais tu vas t’en sortir !
⎯ C’est trop tard pour moi, la blessure est trop profonde, je sens que je
me détache de mon corps. Mais je suis certaine que tu réussiras. On n’a pas
fait ça pour rien, de toute façon, l’île est détruite.
⎯ Gadny, t’es mon amie, reste là !
⎯ Je vous ai aimés tous les deux. Prends un bout de moi pour retrouver
l’enfant, ce sera le tien…
⎯ Gadny ! crie Clara.
Mais celle-ci se fige. Les yeux grands ouverts et la bouche s’arrêtant de
chercher son souffle, son corps se raidit d’un coup, la vie l’a quittée. Les
yeux rouges de Clara laissent couler des larmes pour une amie courageuse
qu’elle a trop peu connue. Elle se redresse vers Christopher :
⎯ Va chercher toute la communauté. Cours vite, tu es sportif, tu n’en as
pas pour très longtemps à traverser l’île. Lorsque tu les retrouveras, dis-leur
de venir jusqu’à la plage d’où nous sommes arrivés. Nous n’avons que
quelques heures avant que Maldeï n’arrive.
⎯ Mais que ferons-nous de plus ici ?
⎯ T’en fais pas, fais ce que je te demande.
Christopher lui fait confiance, Clara a toujours su agir ; elle ne semble ja-
mais faire d’erreurs. Alors, il se met à courir, pour retrouver le groupe de la
révolte…

203
Clara attrape un couteau et, sans gaîté de cœur, coupe la phalange d’une
main de Gadny, l’emballe dans un linge et le place dans une poche. Plus
tard, elle traîne son corps jusqu’à la plage et, à l’aide d’une pelle, fait un
trou suffisamment profond pour la faire reposer dedans. Elle la recouvre de
sable. Épuisée, elle s’effondre sur la tombe, pleine de chagrin. Dans sa pen-
sée, un regret :
« Elle serait encore en vie si je n’étais jamais venue… »

Sur le sable chaud, la pluie est partie. Dans le ciel, la lumière de l’étoile
rayonne comme le soleil un beau jour de printemps ; loin de la révolte, loin
de la mort…

204
PASSÉ, PRESENT ET AVENIR
Le roulement rythmé de Maldeï sur son corps ne lui fait
aucun effet. Ce qui lui donne du plaisir ne se passe pas sur lui, mais dans
son esprit et dans son cœur. Il ne sent même pas le plaisir que ses organes
peuvent donner à cette femme ; il est ailleurs. Lorsque tout est fini, Maldeï,
épuisée et réjouie, s’arrête dans ses bras. Jacques la regarde pour la pre-
mière fois endormie sur lui alors que jusqu’à présent, c’était toujours lui
qui, épuisé, tombait dans la nuit de son inconscience. Il pose son regard sur
elle et la voit comme une enfant sage. Son visage est changé, les traits de la
méchanceté ont disparu, sa peau et son teint sont ceux d’un être paisible et
bon, et il prend plaisir à la voir dormir ainsi. Hélas, la Couronne de Serpent
reste vissée sur son crâne chauve. Mais son visage lui rappelle une personne
qu’il dut rencontrer et apprécier un jour. Des paroles entendues dernière-
ment lui reviennent maintenant en tête :
« Lorsque Maldeï sera endormie, pénètre son esprit et retrouve par la Cou-
ronne de Serpent, ta mémoire. »
Jacques en a la possibilité ce soir, mais il est séduit par la beauté de ce vi-
sage paisible, alors, il ne se sent pas capable et, restant sous l’influence de
cet être paisible, il se dit :
« Comment une telle personne pourrait être mauvaise ? Je ne puis me ré-
soudre à la violer dans son esprit. »
Il reste allongé à côté d’elle sans vouloir agir. Prêt à s’endormir, car il a
aussi les paupières lourdes, il est soudain remué par une décharge électrique
qui remonte dans sa colonne vertébrale. Il pense que c’est un faux mouve-
ment qu’il a peut-être fait avec Maldeï qui lui donne cette impression, mais
une nouvelle fois la décharge recommence. Il se demande alors ce que cela
signifie ; agit-il bien ? Quelque chose en lui semble se rebeller, et soudain,
il voit apparaître dans sa tête le visage d’une femme qu’il ne connaît pas. Il
peut la décrire dans son esprit :
Elle est blonde et ses yeux sont bleus. Des taches de rousseurs apparaissent
sur elle et ses cheveux sont courts. Elle a de légères oreilles et une jolie
nuque. Ses traits sont fins, mais elle paraît solide. Son regard est ferme et
confirme une grande assurance.
Il se dit que ce visage semblant éveillé est encore plus joli que la femme
dormant à côté de lui. D’un coup, elle disparaît, alors qu’il se surprend à
lever sa main et la poser sur la Couronne de Serpent endormie. Il comprend
alors que c’est au contact du serpent qu’il pouvait percevoir ce visage.
Alors, il se dit qu’il pourra la retrouver s’il recommence. Les paroles qui lui
venaient en mémoire sont peut-être justes. Les décharges sont peut-être
dues au contact d’une main avec la couronne. Intrigué, il ne peut résister à
l’envie de retenter l’expérience ; mais cette fois, il se dit qu’il devra aller

205
plus loin.
Voyant dormir profondément Maldeï, il s’allonge le long de son corps et
attrape la tête du serpent. Une décharge électrique encore plus violente le
prend, mais il ne relâche pas l’animal en or. À ce moment, il sent un fluide
se répandre en lui et son esprit se faire aspirer par le serpent ; mais il reste
conscient. C’est alors qu’il se voit pénétrer des espaces étranges et il a le
sentiment de se promener dans les fibres nerveuses d’un cerveau. Sa cons-
cience est entre les neurones, et il peut les toucher avec son esprit. Sur le
premier il exerce un contact et il ressent une autre âme que celle de Maldeï,
mais celle-ci semble très profondément endormie et toute une zone du cer-
veau paraît être dans le même état végétatif. Son âme s’éloigne et il trouve
une autre zone assez sombre. Les neurones sont par contre plus étincelants,
et il touche le premier qui se présente à lui. C’est à ce moment qu’il subit un
autre flash dans sa tête. C’est sa propre image qui lui apparaît et il com-
prend que les millions de neurones devant lui sont peut-être sa vie. La
connexion avec le premier crée une réaction en chaîne qui active l’ensemble
de toutes les cellules nerveuses. C’est alors que JACQUES reçoit d’eux tout
ce qu’ils contiennent :

11 août 1999 ; le jour de la grande éclipse solaire sur Terre. Jacques Brillant
quitte son domicile et se rend à Lyon pour son travail. Il est représentant en
aspirateur pour la marque Tunder Wash.
Il est maintenant dans un vaisseau spatial avec les Golocks qui lui deman-
dent : « Qu’est la Graine d’Etoile, où la trouver ? »
⎯ Du calme, terrien ; reposez-vous, réconfortez-vous, vous n’êtes pas
seul.
Jacques lève les yeux, et apparaît devant lui un visage plus familier déjà,
une jeune femme de 30 ans peut-être, les cheveux blonds et très courts, au
visage fin et aux yeux bleus ; elle semble très grande et ne doit pas être loin
des un mètre quatre-vingt. Ses doigts sont longs et fins, et quelques tâches
de rousseur lui donnent un air scandinave.
⎯ Qui êtes-vous ?
⎯ Je m’appelle Aqualuce et je viens du système stellaire de Garak.
Ces mots qu’il redécouvre sont ceux d’Aqualuce aux premiers moments de
sa rencontre avec elle. Son visage lui apparaît identique à celui qu’il avait
perçu tout à l’heure. C’est à partir de cet instant qu’il reçoit comme un film
qui se déroule devant lui à grande vitesse ; sa vie passée. Il revoit tous les
grands moments de sa vie et toute l’aventure avec Aqualuce, et surtout ses
amis, comme Starker, Novam et Noèse. Enfin il retrouve la Graine d’Etoile
et surtout, à la fin, ses enfants. Son fils Céleste, et sa fille Cléonisse. Tout
cela jusqu’à son départ de la Terre pour revenir ici. Son cœur s’est empli
d’un nouveau passé et d’un visage qu’il reconnaît maintenant comme sa

206
femme ; Aqualuce.
Jacques n’a plus rien à faire ici. Il a tout retrouvé, il faut partir. Alors, il
relâche le neurone par qui tout avait commencé et, faisant demi-tour, il se
retrouve en dehors du serpent qu’il lâche aussitôt.
Il regarde encore une fois la femme devant lui et dit :
⎯ Andévy, je promets de te sauver. Nous te retirerons la Couronne de
Serpent que tu as sur ta tête. Tu retrouveras ton esprit et Maldeï disparaîtra.
Si ton corps est l’instrument du mal, ton esprit n’en est pas responsable. Je
comprends ton attirance pour moi, tu m’aime depuis que tu m’as rencontré
sur Lunisse, alors que tu étais le grand amiral. Je t’ai embrassée à l’époque
pour te montrer que j’avais de l’affection pour toi. Je m’en souviens. S’il
n’y avait jamais eu Aqualuce, je crois que nos destins auraient pu avoir un
autre avenir et nos vies se rejoindre.
Jacques se lève et la regarde encore :
⎯ Andévy, je t’aime comme une sœur ; ne m’as-tu pas dit "Nous som-
mes frère et sœur, il n’y a que la mort qui puisse nous séparer." ?
Aucun de nous n’est mort et nous sommes toujours frère et sœur. C’est pour
cela que nous sommes ensemble, malgré nous. Mais pour que nous puis-
sions rester ensemble, je dois te fuir, car demain, Maldeï réveillée, tu seras
comme morte pour moi. Adieu.
Jacques laisse dormir profondément son ancienne amie qui, par chance, est
totalement inconsciente. Il regagne sa chambre un instant et, ouvrant sa
garde-robe, il retrouve son jean, ses Adidas et son sweat Hugo Boss qu’il
remet sur lui.

Jacques Brillant, vendeur d’aspirateurs, est de retour, les dieux peuvent


trembler…

Jacques prend toutes ses précautions pour quitter le palais sans se faire re-
marquer ; il n’est plus un homme maladroit. Il a retrouvé sa véritable cons-
cience, ainsi qu’un cœur qu’il n’aurait jamais dû oublier. Il se rappelle par-
faitement l’île et la ville de Sandépra alors qu’il était avec son ami Starker.
Il y avait passé deux mois après avoir fui la planète Khephren, avant de
s’enfuir à la recherche d’Aqualuce. Mais c’était il y a bientôt dix ans, et il
est seul, sans réel but ce soir. L’idée qui lui vient aussitôt est de retourner
vers le bungalow qu’il occupait à l’époque. Peut-être retrouvera-t-il quel-
ques souvenirs ou une de ses anciennes amies. Mais la maladie les a certai-
nement emportées depuis longtemps ?
⎯ Quelle importance se dit-il, allons-y.

Les constructions sont toujours là, les maisons sur pilotis n’ont pas changé,
elles paraissent avoir traversé le temps sans vieillir. Il s’approche de celle

207
qui avait abrité Aqualuce une nuit et regarde à l’intérieur. Elle paraît vide,
cela lui donne l’envie d’y pénétrer pour retrouver d’autres souvenirs qui
auraient pu s’effacer de sa mémoire. La porte est ouverte, alors il y entre.
Aussitôt, c’est une odeur de moisi qui lui prend les narines, mais cela pour-
rait vouloir dire qu’elle n’a jamais été occupée depuis le départ d’Aqualuce.
Il reconnaît la table autour de laquelle ils s’étaient tous réunis lors de leur
arrivée, il croit encore voir ses amis avec lui. Ce qui semble incroyable,
c’est la vaisselle laissée dans l’évier, qui paraît attendre d’être lavé depuis
une éternité. Rien n’a bougé depuis qu’ils se sont retrouvés ici. Tout est
comme si c’était hier. Il se retourne et voit subitement un foulard aux multi-
ples couleurs vives qu’il reconnaît aussitôt. C’est celui qu’Aqualuce portait
sur sa tête en quittant Khephren et qu’elle avait gardé jusqu’ici. Se rappe-
lant du moment où elle l’avait mis autour de sa tête pour cacher son crâne
rasé. Il la revoit encore dans sa combinaison bleue qui était assortie à la
couleur de ses yeux. Alors, il s’assoit, mu par un profond sentiment de nos-
talgie. C’est à ce moment qu’il se laisse déborder par une grande angoisse
prenant un air de déprime. D’avoir retrouvé son passé le plonge dans un
retour sur lui-même qu’il ne peut contrôler. Il se demande alors ce qu’il
vient faire ici, et il se questionne sur les fondements de sa vie et commence
à remettre en cause tout son passé, se demandant même si la vie a un sens
aujourd’hui. S’allongeant sur le canapé en tenant dans ses mains le foulard
d’Aqualuce, la gorge serrée, il ne peut plus retenir ses larmes. Les visages
du passé sont là, mais l’espoir d’avenir disparaît devant lui, comprenant que
seul, il ne pourra jamais rien faire. Ni arrêter Maldeï, ni retrouver Aqualuce.
Dans une profonde solitude, il s’endort…

Maldeï se réveille sur son lit et ne retrouve pas son époux. Elle comprend
avoir dormi trop longtemps, elle a presque fait le tour du cadran. Vite, elle a
le sentiment de s’être faite tromper par Bildtrager. Elle comprend assez vite
qu’il l’a abusée, car des traces de son passage se font remarquer à travers
elle et la couronne. Aussitôt, elle se redresse et actionne une commande au-
dessus de son lit, qui lui permet de revoir ce qui s’est passé dans sa cham-
bre. Elle voit Bildtrager se réveiller bien avant elle et se comporter de façon
étrange à son goût. Lorsqu’elle le voit prendre la tête du serpent dans ses
mains, elle n’a plus de doutes ; il a réussi à pénétrer dans son esprit et cer-
tainement reprendre la mémoire de Jacques Brillant. En effet, celle-ci a
disparu pour elle, ce qui confirme qu’il a totalement abandonné le Bildtra-
ger qu’elle avait bâti autour de lui. Pour elle, c’est devenu un être très dan-
gereux et elle doit s’en débarrasser au plus vite, car il risque de lui poser de
grands problèmes. Elle fait appeler un de ses gardes et lui demande aussitôt
de retrouver une photo de son époux. Lorsque cela est fait, elle lui impose
de mettre sa tête à prix sur toute la planète. Elle le veut plus mort que vi-

208
vant. La récompense pour sa capture ou sa mort sera pour celui ou celle qui
lui ramènera, la liberté totale et un petit vaisseau spatial.
Très vite, la nouvelle fait le tour de l’île, et les hommes et les femmes
commencent à regarder autour d’eux pour essayer de le trouver. Tous les
Elviens sont prêts à tout pour la liberté…

Pendant ce temps, Jacques qui dort ne s’imagine pas que sa tête a déjà pris
beaucoup de valeur et il est peut-être déjà trop tard. Un homme qui l’a vu
entrer dans le bungalow et reconnu a déjà un plan pour le capturer…

Lorsqu’il ouvre les yeux, il est surpris car un individu au visage étrange est
assis devant lui et il n’a plus le temps de se laisser aller à la déprime. Bien
que l’homme paraisse rongé par le temps et la maladie, il le reconnaît tout
de même :
⎯ Que fais-tu ici, Imé ?
⎯ Je viens me payer la liberté.
⎯ Pardon ?
⎯ Ta tête est mise à prix depuis ce matin et c’est pour moi une bonne
occasion de fuir cette île et la guerre que Maldeï nous prépare. Ça fait un
bon moment que je t’ai reconnu, mais je ne m’imaginais pas te trouver ici,
sans aucune protection et en plus, recherché. Nous avons un compte à régler
ensemble et c’est pour moi mon jour de chance.
⎯ Mais lorsque j’étais avec toi il y a dix ans, tu faisais partie de mes
amis ; je ne comprends pas ?
⎯ À cause de toi, mon ami, Ji, n’est jamais revenu d’expédition avec
ton amie Aqualuce, et lorsque tu as quitté Sandépra, tu as tué notre chef,
Actavi. J’ai la haine contre toi et enfin, tu vas payer !
Jacques réfléchit devant cet homme qu’il avait quitté jeune et qu’il retrouve
encore plus flétri qu’un vieillard. Hier soir, il se sentait seul, sans but, mais,
Imé, malgré les menaces qu’il lui profère, lui fait comprendre qu’il est bien
plus important qu’il ne le pensait. Il ne se sent pas faible devant lui, bien
qu’il se doute qu’une arme soit cachée dans une de ses poches. Il le regarde
et ses yeux voient autour de lui des spectres, des pensées malsaines qui le
dominent. Enfin, il décide de jouer le jeu de ce pauvre homme qui semble
n’avoir que lui comme espoir de liberté.
⎯ Si tu penses pouvoir recouvrer ta liberté en me livrant, fais-le. Je ne
te crains pas, malgré l’arme que tu caches dans ta poche.
Aussitôt, Imé sort son pistolet éthérique et le pointe vers lui.
⎯ Ne bouge pas, je vais t’attacher les mains et les pieds, comme ça, tu
ne pourras pas t’échapper !
Voyant le foulard dans les mains de Jacques, l’homme le lui prend et noue
ses poignets. Dans la salle de bain, il trouve aussi des ceintures qui feront

209
bien l’affaire, et lorsqu’il revient, il attache ses pieds. Fier de lui, il dit à
Jacques :
⎯ Je vais chercher une voiture. Mon vieux, t’es fini !
Il sort et le laisse seul. Jacques regarde ses mains attachées, et voyant le joli
foulard d’Aqualuce, il pense à elle. Ses pensées sont si puissantes qu’elles
sortent peut-être du périmètre de la planète. À tel point que devant ses yeux,
il voit le foulard devenir presque vivant. Comme un serpent, il se met à
bouger et se dénouer seul, comme par magie. L’esprit d’Aqualuce semble
l’habiter. Jacques est étourdi, et vite, il délace les autres liens qui le tiennent
prisonnier. Il ne perd pas de temps, il saute par la fenêtre arrière et s’enfuit
immédiatement. Derrière, il voit de loin Imé revenir avec un véhicule et une
autre personne. Fuyant, il pense au moment où avec son ami Starker ils
avaient quitté cette planète en dérobant un petit chasseur spatial. Pensant à
cela, il prend la direction de l’astroport avec une idée ; retrouver Aqualuce.
Mais l’urgence est de ne plus croiser Maldeï, car s’il apparaissait devant
elle, il est certain qu’elle le tuera immédiatement. Il ne regrette pas de s’être
rendu dans l’ancien bungalow d’Aqualuce, il y a retrouvé des moments du
passé et le foulard est pour lui plus qu’un symbole. Comme son image de
fuyard doit être diffusée partout, il devra rester discret tout au long de la
route, mais il espère avoir la chance de ne pas se faire prendre. Comme d’où
il vient, il peut éviter de traverser la ville, il tente d’avancer discrètement
entre les maisons et les bois qui sont assez nombreux. Le soir, se pensant en
sécurité et il s’arrête au pied d’une ancienne ferme abandonnée. Se cachant
sous un tas de branches, il s’immobilise. Tout lui semble paisible, mais il
entend bientôt des bruits de pas qui font craquer les brindilles sur le sol. Son
cœur bat, il est pétrifié, et d’un coup une ombre soulève les branchages et se
glisse à côté de lui. Il reconnaît cette fille, même si dix ans les séparent du
dernier jour où ils s’étaient quittés.
⎯ Bon sang, Mali, pourquoi es-tu là ?
⎯ Chut, ne fais pas de bruit, sinon on va nous repérer !
⎯ Tu m’as suivi pour me retrouver ici ?
⎯ Je ne t’ai pas perdu de vue depuis qu’hier tu t’es rapproché du bunga-
low, et j’ai vu lorsqu’Imé est venue te trahir encore une fois. Je te suis de-
puis que tu as quitté le cottage de ton amie ; je veux te protéger, tout le
monde sait que tu es recherché. Ta tête est mise à prix.
⎯ Je suis au courant. As-tu une idée me permettant d’arriver jusqu’à
l’astroport ?
⎯ J’ai une idée, et en plus, je peux t’aider à prendre un vaisseau là-bas.
⎯ Tu pourrais faire ça ?
⎯ J’ai un ami qui y travaille, il serait prêt à t’aider.
⎯ Et comment comptes-tu me faire arriver jusqu’à l’astroport ?
⎯ J’ai pris de quoi te déguiser. J’ai une perruque et une robe pour toi.

210
Avec des cheveux longs, personne ne te remarquera.
Mali sort de son sac une perruque brune et une longue robe au ton sombre.
Jacques enfile d’abord la robe, puis essaie d’ajuster sa perruque, mais il
n’est pas très doué ; alors Mali la lui place et le coiffe.
⎯ T’es parfait comme ça, tu ressembles presque à ma mère.
⎯ C’est gentil pour moi, j’ai l’air si vieux ?
⎯ Non, juste sérieux ; comme ma mère.
⎯ Ici sur Elvy qui n’a plus l’air d’un paradis, ça ne me met pas en joie.
De voir autour de moi des êtres qui sont comme des esclaves en semi-
liberté, c’est assez effrayant. Un démon prépare une guerre contre mon
peuple, c’est terrible. Comment veux-tu que j’aie le cœur à rire ?
⎯ Tu es quelqu’un d’exception, ça s’arrangera pour toi, c’est certain.
Rappelle-toi lorsque tu es venu la première fois. J’ai de nombreux souvenirs
de ce moment. Mais le jour où Niva est morte, c’est là que j’ai tout compris.
⎯ La maladie l’a emportée trop tôt, c’était ma meilleure amie avec Né-
ni.
⎯ Néni ! Je ne me rappelle plus.
⎯ C’est la seule fille qui ne t’ait jamais touché. Elle était toujours à
vouloir nous faire la morale, tu ne l’écoutais pas, elle t’ennuyait.
Jacques semble avoir un trou de mémoire, mais par contre, des pensées de
l’être idéal qu’elle pouvait être lui apparaissent comme s’il la connaissait, et
il répond :
⎯ Je crois que cette femme, si je l’avais connue, m’aurait donné le désir
de devenir comme elle. Je suis devenu un être raisonnable, je n’ai plus ici,
les mêmes désirs qu’autrefois. Maintenant que tu m’as parlé d’elle, cela me
donne l’envie de la rencontrer, j’aimerais faire sa connaissance.
Mais une voix commence à lui parler à ce moment et il entend au fond de
son cœur l’écho de ces mots :
« Si Néni existe, elle est en toi. Néni n’est pas un être vivant de chair et de
sang ; c’est une force, une pensée vivante. Tu as cette force et cette pensée
en toi. Néni ; tu l’as respirée depuis qu’elle s’est transformée en lumière.
Niva est un passage pour toi, prends-la et laisse-toi guider par elle, même
si tu ne lui as pas toujours fait confiance. »
⎯ En parlant de Néni, tu prouves que tu es bien intentionnée, je te fais
confiance, nous partirons vers l’astroport comme tu me le proposes.
⎯ Jacques, il est tard, je n’aime pas marcher la nuit. Entrons dans cette
maison pour y dormir.
Jacques n’est pas rassuré, car il se rappelle le bungalow d’Imé et il ne sou-
haite plus se retrouver face à des hommes qui voudraient le livrer ou le tuer.
Mais Niva le rassure en lui disant que cette maison était habitée par des
amis, partis sur l’île de Racben il y a quelques semaines. Ils s’y installent,
mais à la différence d’il y a dix ans, Mali prend une chambre seule et Jac-

211
ques dort à part. Le lendemain, après avoir déjeuné, ils repartent, espérant
arriver à l’astroport en milieu d’après-midi. Sur le chemin, ils croisent des
hommes des femmes qui ne remarquent pas la tromperie, et Jacques s’en
amuse, se faisant remarquer par Mali.
⎯ Tu souris maintenant, c’est bon signe, cela veut dire que Jacques va
changer le destin des hommes ; j’en suis persuadée.
⎯ Comment en aurais-je le pouvoir ? Je ne suis qu’un simple homme.
⎯ Lorsqu’on parle comme Néni, on n’est pas si faible ; on a la force de
soulever des montagnes.
⎯ Mon seul désir aujourd’hui, Mali, c’est d’échapper à la tyrannie de
Maldeï et d’aller vers la voix que j’entends en mon être. Et tous les Elviens
devraient faire la même chose.
⎯ Même si j’ai toujours le virus de la Maladie, c’est ce que je souhaite
aussi. Je sens que tu peux m’aider dans ce sens. J’aimerais être changée
avant de mourir. Je voudrais découvrir ce qui vit en moi et me dérange du
matin au soir. Je veux comprendre pourquoi un être au fond de moi se sent
prisonnier.
⎯ Pour le trouver, il faut te libérer de Maldeï, comme je souhaite le
faire totalement. C’est elle qui étouffe en nous la lumière que nous possé-
dons.
⎯ Maldeï nous donne une pilule permettant de prolonger notre vie et
elle nous tient avec cela. Moi-même, je la prends régulièrement depuis sept
ans, et tu vois, grâce à elle, je ne suis pas encore morte. Mais j’ai le senti-
ment qu’un jour elle ne fera plus d’effet, et hop ! Je partirai comme je suis
venue et l'on me mettra dans un trou avec les autres.
⎯ Pour éveiller en toi la vérité, il te faudra tout détruire et reconstruire
sans Maldeï. Tu dois appendre à vivre sans pilule, du reste, je crois savoir
qu’elle n’est qu’un placebo, la vérité, c’est qu’elle te trompe avec ton peu-
ple. Si tu vis aujourd’hui, tu ne le dois qu’à la robustesse de ton corps et la
force de croire en ta pilule. Crois en toi plutôt qu’à cette pilule.
⎯ Tu le penses ?
⎯ J’en suis certain, et la première chose que tu puisses faire pour chan-
ger et de comprendre qui tu es, c’est de jeter les médicaments que Maldeï te
donne. Fais confiance à ce qu’il y a en ton être.
⎯ Es-tu certain qu’elles ne servent à rien ?
⎯ C’est à toi de décider.
Mali hésite un court instant, puis prend la plaquette qu’elle a dans sa poche
et la laisse tomber. Tout en parlant, ils marchent si bien qu’ils arrivent en
vue de l’astroport. Mali sait où se trouve son ami et par quelques détours,
elle passe les quelques contrôles de la zone et arrive dans un bureau où se
trouve un homme plus âgé qu’elle.
⎯ Gandalvy, je l’ai trouvé.
212
⎯ C’est bien que tu l’aies amené jusqu’ici.
⎯ Il sait piloter, et lui aussi veut quitter Sandépra rapidement.
⎯ Bonjour, Jacques, c’est heureux que vous ayez pu arriver ici. Mali est
du genre rusée, votre tête étant mise à prix, mieux vaut ne plus rester ici. Je
suis le responsable du parcage des petits vaisseaux sur la base. Lorsque les
pilotes arrivent, ils me confient leurs engins avec leurs codes d’accès pour
que je les gare. Je ne suis pas pilote, mais avec mon tracteur je les range. On
m’a confié ce job parce qu’on a remarqué que je conduisais avec adresse
mon tracteur dans les champs. Un gars m’a dit :
« Eh ! Toi, tu serais mieux sur les pistes qu’à labourer ton champ. Viens
avec moi. »
Je l’ai suivi, ça fait six ans que je fais ça. Bon, ça va, je parle, mais ce n’est
pas pour raconter mes histoires que tu es là. Mali t’a tout dit, j’imagine.
⎯ Elle m’a expliqué que vous pourriez me fournir un vaisseau spatial.
⎯ Bien sûr, et nous partons avec toi.
⎯ Non, ça, elle ne me l’a pas dit.
⎯ On a besoin de toi pour quitter cette planète, je crois que tu sais pilo-
ter ce genre d’engin.
⎯ Je veux m’éloigner de Maldeï et retrouver Aqualuce, mais je souhaite
partir seul. Je pensais que vous étiez prêts à me fournir un vaisseau.
⎯ Mais Jacques, je t’ai dit que j’avais besoin de toi. Prends-nous avec
toi, on ne prend pas de place.
Il réfléchit un instant et finalement, accepte. Seulement, il a un doute sur
Gandalvy, il ne le connaît pas.
⎯ Dites-moi où nous pourrons trouver votre engin ?
⎯ Vous n’avez que le choix, Jacques. Regardez la liste à l’écran.
Se penchant sur l’écran, il visualise les images d’une cinquantaine
d’appareils de toutes tailles. Il reconnaît l’un d'eux, c’est celui avec lequel il
avait visité Lunisse avec son ami Starker, justement celui de Marsinus An-
dévy, devenue Maldeï.
⎯ C’est celui-là qu’il nous faut !
⎯ Bien, dans un quart d’heure, nous serons dedans.
Juste avant de monter sur le tracteur, ils voient deux personnes leur faire de
grands signes. Jacques, se sentant découvert, demande à l’ami de Mali
d’aller plus vite.
Vite à l’intérieur, il faut peu de temps à Gandalvy pour les conduire avec
son engin jusqu’à l’appareil. Il le manipule si bien que Jacques comprend
pourquoi on lui avait proposé ce poste, car les vaisseaux sont garés au mil-
limètre, les uns contre les autres dans un grand hangar, et pour les y mettre,
il faut être un as. Une fois dans son petit cockpit, Jacques programme les
codes de façon vocale et le CP lui répond avec grande surprise :
⎯ Heureux de vous retrouver monsieur Brillant, après tant d’années.
213
Avez-vous des nouvelles du comandant Starker ?
⎯ Il est mort, hélas.
⎯ Dommage, je l’appréciais beaucoup.
Jacques comprend que c’est bien l’engin qu’ils avaient pris et il lui de-
mande :
⎯ Vous transportez toujours votre maîtresse ?
⎯ Hélas, elle m’a abandonné il y a bien longtemps et je m’ennuie
énormément depuis que j’ai quitté Lunisse.
⎯ Vous allez vous divertir, car nous partons immédiatement.
⎯ Pour quelle destination ?
Une voix intérieure semble dire à Jacques quelque chose d’important, alors
qu’il n’avait aucune idée de sa destination :
⎯ Je me sens d’un coup attiré vers l’île de Racben, car j’ai entendu dire
que Maldeï a fait là-bas des prisonniers, je veux aller voir ce qui s’y passe.
Mali et Gandalvy ne disent rien, même s’ils auraient souhaité se retirer dans
des lieux plus sûrs.
Entendant l’ordre, le CP exécute la manœuvre et part aussitôt pour l’île …

***

Cinq jours qu’il a disparu et personne ne l’a repéré. Un vaisseau est signalé
manquant et Maldeï se doute qu’il était dedans. Comme c’est un petit vais-
seau très discret, équipé de systèmes de brouillage, elle ne peut le repérer.
Rien ne va pour elle, bien que puissante, elle trouve toujours des ennemis
plus fins encore, arrivant à déjouer ses plans. Ce Jacques est devenu son
second ennemi et elle espère le retrouver pour offrir sa peau tannée à Aqua-
luce.

***

Peu de temps après avoir récupéré sur le sable l’homme qui y était allongé,
Mali, qui possède encore des pouvoirs de guérisons intactes, arrive à le soi-
gner. Celui-ci reprend des couleurs et retrouve la voix. Qui es-tu, lui de-
mande-t-elle ?
⎯ Mon nom ne vous dira rien, je suis Starram, un pilote Lunisse.
⎯ Que faisais-tu là, allongé sur le sable ?
⎯ Je suis à la recherche d’un vaisseau comme le vôtre pour secourir
mes amis.
C’est alors qu’il raconte son histoire jusqu’à cette île. Entendant le nom de
Clara, Jacques réagit aussitôt, pensant à la sœur d’Aqualuce. Mais alors
qu’il pense à la rejoindre, tous entendent des explosions extraordinairement
puissantes. Ils sont proches de grands bâtiments et voient des hommes en

214
uniformes s’enfuir vers un vaisseau, poursuivis un grand nombre de fem-
mes. Starram dit alors :
⎯ Elles ont réussi, c’est la révolte ! Regardez, les gardes fuient. Vite, il
faut les rattraper afin qu’ils n’informent pas Maldeï, sinon, elles vont toutes
se faire tuer !
Ils remontent dans le vaisseau et partent à la poursuite de l’appareil qui dé-
colle. Starram, bon pilote, prend en main le vaisseau et s’accroche au
fuyard. Il ne lui faut que quelques secondes pour le faire chuter dans l’océan
en lui brisant sa queue avec un de ses ailerons, car c’est là qu’était le cœur
du moteur. Jacques ne comprend pas la manœuvre et lui demande :
⎯ Pourquoi n’as-tu pas abattu cet engin en lui tirant dessus ?
⎯ Notre vaisseau est pacifique, il n’est pas armé. Hélas, c’est trop tard,
nous ne pourrons pas changer le destin de toutes ces pauvres femmes
condamnées sur cette île…

***

Maldeï est informée de la révolte sur l’île de Racben par un message capté
par un de ses opérateurs :
« L’île a été soulevée par les prisonnières, une majorité de femmes d’Elvy
les ont suivies. Nous ne contrôlons plus la situation, elles prennent posses-
sion des armes, nous devons fuir. Avertissez notre imperatr… »
Le message se termine là, mais cela suffit pour que Maldeï comprenne que
la situation de l’île est grave. Si toutes les armes stockées là-bas se retrou-
vent dans les mains des révolutionnaires, elle ne pourra plus les contrôler.
La seule solution est de détruire le site immédiatement, elle n’a plus le
choix. Le moyen le plus rapide qu’elle possède est de préparer un des vais-
seaux d’attaque qui se trouve sur l’île d’Afronikq, mais pour cela, il lui fau-
dra quatre ou cinq heures. Elle se dit que ce temps est trop court pour que
des milliers de femmes aient le temps de s’enfuir avec tout l’arsenal. Elle
rage qu’un tel événement puisse se produire à la porte de Sandépra, mais en
même temps, elle jouit de savoir que tous ces parasites périront sous son
feu. De toute façon, elle a déjà suffisamment d’armes dans ses autres
camps, la guerre contre les terriens se fera rapidement car ils n’ont pas sa
technologie. Comme pour Racben, elle détruira les plus grandes villes de la
Terre pour imposer son autorité dès son arrivée. En un quart d’heure, il en
sera fait du destin des terriens, et cela la rassure.
Mais tout ne sera possible qu’après avoir écrasé Aqualuce, qui ne donne
aucun signe de vie, malgré l’espionne qu’elle a envoyée à sa recherche, et
elle se dit :
« En tuant quelques milliers de femmes, cela pourrait attirer son attention.
Finalement, c’est peut-être aussi bien et de toute façon, après avoir fabri-

215
qué toutes ces armes qu’aurais-je fait de toutes ces ouvrières ? »
Alors, elle jouit de savoir que son plan est parfait…

216
DESTRUCTION TOTALE
Depuis quelques jours, Maora et son équipe observent
discrètement comment se passe la vie à Sandépra. Parmi eux, certains sont
déjà sur le terrain, Delfiliane et Dgoger ont eu l’occasion de pénétrer dans la
cour du palais de Maldeï qui est ouverte pour tous, et de contempler Jacques
Brillant et une autre femme, enfermés comme des animaux. Écœurés, ils
sont repartis rapidement, se demandant ce que cela signifiait. Mais plusieurs
jours après, ils apprenaient par d’autres que Jacques était en fuite et qu’il y
avait une récompense pour le retrouver. Informée de tout cela, Maora réunit
son équipe :
⎯ Il se passe des choses étranges sur cette planète. Si Jacques Brillant
est en fuite, il faut l’aider pour qu’il ne retombe plus dans les mains de
Maldeï. Nous devons le retrouver avant les autres. Il faut faire vite, le temps
est compté.
Les hommes prisonniers dans le vaisseau et qui ont rejoint la cause défen-
due par Maora, proposent de retourner sur la planète et de se mélanger avec
la population afin de commencer les recherches. Lorsqu’ils l’auront repéré,
ils en informeront le vaisseau. Hennas et Tarina proposent d’aller avec eux.
Pour communiquer, ils utiliseront des téléphones cellulaires trouvés sur
Terre lors de leur visite. Ils trouvaient remarquablement archaïques ces en-
gins et pensaient qu’ils feraient bien en pendentif autour du cou, comme ces
hommes et ces femmes vus à New York. Dogami pense qu’en les adaptant,
ils pourraient s’en servir sans risque de se faire remarquer car les ondes
hertziennes ne sont plus utilisées depuis longtemps ici. De plus leur fré-
quence, de l’ordre du Gigahertz, est si basse qu’ils ne risquent pas d’être
repérés. Maora trouve que l’idée est bonne. Pour retourner sur Elvy discrè-
tement, ils seront déposés sur l’astre par magnéto-portation. Système rare-
ment utilisé car plutôt inconfortable à cause des brûlures qu’il peut occa-
sionner. Pour eux, il n’est plus question de prendre le risque de descendre
avec un vaisseau, le ciel autour d’eux reste surveillé.
Tous d’accords, ils se préparent avec des vêtements appropriés, dans le ton
de la planète. Les téléphones sont modifiés par le robot technologique et
enfin, ils se retrouvent devant les canons magnétiques ; le système est un
rayon propulseur contrôlé qui transporte les objets ou les êtres qui se trou-
vent face à lui. Comme à travers l’atmosphère sa vitesse est grande, l’air
brûle la peau et il est mieux de se protéger. L’avantage est que personne ne
le remarque. Chaque personne transportée doit posséder une ceinture avec
une masse-cible que l’aimant prend pour repère. Sur la planète, en cas de
danger, il faut moins de quelques secondes pour rapatrier la personne accro-
chée à cette masse. Pour que la magnéto-portation fonctionne, il faut que le
départ se fasse dans l’atmosphère. Delfiliane est un peu vexée qu’on ne lui

217
demande pas d’assurer le voyage, elle aurait pu faire comme cet aimant, et
même mieux. Maora la rassure et lui dit qu’elle préfère la voir rester dans le
vaisseau, car elle pourrait avoir besoin d’elle si les choses tournent mal ; ce
qui la rasure.
L’équipe est prête, et un à un ils sont propulsés vers le sol. En moins d’une
dizaine de secondes, chacun est déposé exactement à l’endroit prévu. Pour
tous, c’est la première fois qu’ils utilisent type de transport. Ceux qui
avaient installé ce système dans ce vaisseau exceptionnel avaient pensé que
cela pourrait être une sécurité supplémentaire. Tous se regardent un peu
étourdis, les yeux rougis par la friction de l’air sur leur visage. Leurs vête-
ments sentent le chaud, comme s’ils étaient passés à travers un four. Ils
décident de se séparer en quatre groupes de deux. Trois iront en ville pour
enquêter discrètement, alors que Tarina et Hennas se dirigeront vers
l’astroport. Tous ont une photo de Jacques dans une bague qu’ils portent.
Lorsqu’ils pointent le diamant vers leurs yeux, son image leur apparaît. Le
téléphone portable est doté d’un détecteur de présence accordé sur l’aura de
Jacques (une invention de Dogami, mécanicien devenu vaisseau spatial,
mais qui n’en reste pas moins un technicien d’exception). Hennas avait en-
tendu parler du premier séjour de Jacques sur Elvy, il y a dix ans, sachant
qu’il était resté dans une zone équipée de bungalows en bord de plage. Peut-
être est-il retourné là-bas, alors il en prend le chemin. Plus tard, arrivé sur
place, il voit des hommes discutant avec violence. L’un d’eux dit qu’il a dû
retourner en ville alors que l’autre pense qu’il se cache toujours dans le
secteur.
⎯ Combien de temps l’as-tu laissé seul ?
⎯ Une heure, le temps de trouver une voiture.
⎯ S’il a fui depuis une heure, il peut être loin. Imé, tu n’aurais jamais
dû la jouer perso. C’est de ta faute.
⎯ Ce Jacques est maudit, si je le retrouve, je le tue ! De toute façon,
Maldeï le souhaite mort ou vif. Ne dites à personne qu’il est venu là, sinon,
ils vont tous rappliquer.
⎯ On veut bien t’aider, mais on partagera la récompense.
L’homme fait la grimace, mais accepte. Hennas, qui vient d’entendre cette
conversation, se retourne discrètement vers Tarina :
⎯ S’il est passé là, c’est bon signe. Si j’étais lui, j’irais directement à
l’astroport pour tenter de trouver un vaisseau afin de fuir. Prenons-en la
direction, si cela fait un peu plus d’une heure qu’il s’est enfui, il doit être à
quatre ou cinq kilomètres d’ici. On peut le retrouver.
Alors, ils passent discrètement devant le groupe d’hommes, mais l’un d’eux
les remarque.
⎯ Eh ! Vous, qu’est-ce que vous faites ici ? vous savez que c’est une
zone résidentielle privée ?

218
⎯ Non, excusez-moi, je ne savais pas.
⎯ Vous ne pouvez pas traverser les résidences comme ça, il faut ressor-
tir !
Sachant que cet homme voulait dénoncer Jacques et le vendre à Maldeï,
Hennas aimerait lui mettre une correction, mais Tarina le calme et dit aux
autres :
⎯ On s’est perdus, excusez-nous, on va contourner la zone.
Mais un des hommes ne semble pas satisfait et se dirige vers eux :
⎯ Vous avez entendu notre conversation, vous pensez qu’on va vous
croire ? Tu t’appelles comment la fille ? Je ne te connais pas, tu n’as pas
l’air du coin et t’es drôlement habillée.
Alors, il sort de sa poche un pistolet qu’il pointe vers eux.
⎯ On ne pourra pas partager la prime, vous êtes de trop.
Tarina sent qu’il ne bluffe pas, ils sont tous deux en danger. Elle fait un
signe à Hennas qui comprend aussitôt. Alors, d’un coup, de leur simple
pensée, les trois hommes se trouvant devant eux se retrouvent propulsés à
plusieurs mètres de hauteur et retombent lourdement sur le sol. Blessés, ils
ne se relèvent pas, le sang coule sur eux. Nos deux amis se regardent, pres-
que étonnés d’avoir pu faire voler si haut ces hommes. Sans s’en rendre
compte, ils comprennent que d’anciens pouvoirs lunisses resurgissent en
eux. Alors, ils s’enfuient, laissant ces hommes sans conscience derrière eux.

En ville, l’un des groupes apprend que Maldeï prépare l’invasion prochaine
de Glacialys, la région avec qui elle vivait en paix jusqu’à présent. Ils
voient qu’autour d’eux, les hommes et les femmes paraissent soumis, don-
nant l’impression d’être tous drogués. Comme ils connaissent bien l’île, ils
pensent que c’est depuis l’arrivée de Jacques que tous ont changés ici. Du-
rant sept ans, même si elle imposait sa dictature, elle laissait encore vivre
les hommes et les femmes dans une petite liberté, hélas celle-ci semble
avoir complètement disparu. Nos amis ont eu la chance de se trouver face à
des êtres éveillés et libres, leur faisant prendre conscience de la profondeur
de leur existence ; mais pour tous ces pauvres êtres, que deviendront-ils ?
Ils partent dans la ville, à la recherche de Jacques, comme ceux qui aime-
raient le trouver afin d’avoir la récompense, mais pour le moment, aucune
trace de lui.

Hennas et Tarina se sont enfuis vers l’astroport, espérant ne pas avoir été
vus par d’autres au moment de leur rencontre avec les quatre hommes. Ils
pensent que Jacques a peut-être une ou deux heures d’avance, ils arriveront
peut-être à le rattraper avant que d’autres s’en chargent. Personne ne semble
s’occuper d’eux, certainement, les hommes qu’ils ont croisés sont morts ou
simplement blessés. En pensant encore à la violence de leur action, ils ont

219
des regrets, mais ces hommes n’avaient qu’une intention ; les tuer. Ce soir
ils trouvent un coin tranquille pour dormir, demain matin, ils reprendront la
route de bonne heure afin de prendre de l’avance et de guetter leur arrivée.

Enfin, l’astroport est devant eux et il est encore tôt. Hennas pense avoir une
chance de le croiser. Hélas, il ne voit qu’un couple de femmes passer devant
eux, pas de Jacques à l’horizon. Mais Tarina a une intuition :
⎯ Et s’il était déguisé, peut-être était-ce une de ces deux femmes ?
⎯ Mais tu as raison, c’est ça, je trouvais la façon de marcher de l’une
d’elles étrange ! Vite, il faut les retrouver.
Comme il les a vues pénétrer dans un des immeubles au coin des grands
hangars, il court avec Tarina afin de les rattraper. Des agents s’étonnent de
les voir courir, mais n’ont pas le temps de les arrêter. Lorsque Hennas croit
repérer Jacques avec son appareil, c’est trop tard, car celui-ci semble les fuir
et monter dans un tracteur. Par chance, il peut tout de même les suivre et les
voit grimper dans un petit vaisseau. Alors, il prend son téléphone et appelle
Maora…

Tous les hommes sont remontés par le système de magnéto-portation en


quelques secondes. La trajectoire de l’appareil dans lequel se trouve Jac-
ques est repérée, il ne reste plus qu’à le rejoindre et le récupérer. Surprise,
Maora constate qu’il se dirige tout droit vers l’île de Racben.

***

À peine viennent-ils d’abattre le vaisseau ennemi qu’aussitôt le leur est


happé par le rayon tracteur d’un gigantesque appareil. Jacques et Starram le
reconnaissent, c’est le vaisseau Instant-Plus. Sachant qu’il avait été pris par
la rébellion, il se sent rassuré. C’est au bout de quelques minutes qu’il peut
retrouver sur le pont le commandant de la nef.

Une femme assez jeune se présente à lui :


⎯ Bonjour, Jacques, je suis Maora, la responsable de cette expédition.
Nous nous sommes croisés il y a quelque temps, lorsque Maldeï nous a
condamnés à mort. Te rappelles-tu ?
⎯ J’y suis ; l’homme qui me faisait signe à l’astroport est celui à qui
j’ai donné la clef pour vous libérer.
⎯ Et c’est grâce à toi que nous sommes vivants ; tu nous as sauvés la
vie. Nous sommes venus te récupérer. Apparemment, Maldeï a mis ta tête à
prix. J’ai envoyé une équipe te récupérer à Sandépra.
Tout en la remerciant, Jacques lui présente ses amis et l’homme récupéré
sur Racben qui, affolé, les avertit de la catastrophe qui se prépare sur l’île

220
qu’ils ont sous leurs pieds.
⎯ Sur l’île, c’est la révolution. J’ai deux amis en dessous et il est im-
portant d’aller les retrouver. Seulement, Maldeï a été informée par transmis-
sion éthérique que l’île a été prise par la rébellion, juste avant que nous dé-
truisions le vaisseau. Il est certain qu’elle ne laissera pas les rebelles
s’enfuir avec ses armes.
⎯ Si c’est le cas, nous n’avons que peu de temps pour faire quelque
chose. Dis-moi, Starram, où penses-tu que je puisse retrouver tes amis ?
⎯ S’il y a un endroit où nous pourrions nous retrouver, c’est sur la
plage où nous nous sommes échoués lorsque nous sommes arrivés. Je peux
vous l’indiquer précisément sur une carte ou vous la montrer en visuel.
⎯ D’accord, rejoignons le poste de commande, nous ferons un pointage
sur le site que tu nous indiqueras.
Dans le poste, vite, la plage est repérée. En pointant le télescope, la surprise
est grande car des centaines d’hommes ou de femmes y sont rassemblés.
Maora comprend qu’ils attendent à coup sûr quelque chose. Alors elle se
demande :
« Et si c’était nous qu’ils attendaient ? »
Elle se demande quel hasard les a attiré ici, mais elle comprend vite lorsque
Jacques lui dit que Clara, la sœur d’Aqualuce, est présente sur cette île. Se
redressant, elle se retourne vers les autres et dit :
⎯ La sœur d’Aqualuce est là, c’est elle qui nous a fait venir jusqu’ici.
Nous devons descendre les chercher.
Sans qu’aucune communication télépathique n’ait été établie, Maora, cer-
taine de trouver Clara avec tous ceux qui sont rassemblés sur la plage, dé-
cide de descendre avec son vaisseau jusqu’à eux, au risque de devoir affron-
ter Maldeï.

***

Clara savait que Christopher arriverait à rassembler ici toutes les femmes de
la révolte. Sur la plage, ils sont presque deux milles. Mais personne ne sait
encore pourquoi elles sont arrivées jusque-là. Alors que rien ne leur apparaît
pour fuir cette île maudite, Christopher se rapproche de sa compagne :
⎯ Qu’espères-tu en nous rassemblant ici ? Il n’y a rien pour se nourrir,
rien pour fuir et plus rien pour nous défendre contre Maldeï lorsqu’elle arri-
vera avec ses troupes. Il ne nous reste que les armes prises dans les entre-
pôts pour nous défendre.
⎯ Sur cette île, les armes ne nous serviront à rien. Vous pouvez toutes
les laisser. Ce n’est pas la guerre que je souhaite et ce n’est pas la guerre
qu’il faut chercher contre Maldeï. Si nous le faisons, nous serons perdants.
Maldeï détruira l’île sans que tu la voies, la seule apparition d’elle ne sera

221
qu’un éclair !
⎯ Alors, pourquoi sommes-nous là ?
⎯ Parce que nous partons loin d’ici.
C’est alors qu’instantanément, la plage devient plus sombre qu’un jour
d’orage. L’étoile du jour disparaît, laissant place à un ciel plus noir que la
nuit. Tous lèvent les yeux et voient un immense vaisseau descendre sur
eux…

***

Le vaisseau d’attaque maintenant opérationnel sera dans moins d’une demi


heure au-dessus de l’île de Racben ; Maldeï en est avertie. Elle le rejoint
dans la joie de voir la fin de cette stupide rébellion. Tous ces morts marque-
ront un exemple pour le reste de la population. Ce n’était pas ce qu’elle
avait imaginé au début, mais toutes ces femmes auront choisi leur destin.
Ses lieutenants sont fiers de conduire l’un des premiers vaisseaux d’attaque,
la destruction de l’île de Racben sera pour eux le meilleur exercice qui soit.
Prenant place à côté du commandant, elle observe l’île et s’étonne de voir
une forme étrange sur l’un des côtés de l’archipel :
⎯ Commandant, quelle est cette chose qui semble flotter sur le côté ?
Pouvez-vous agrandir l’image ?
Celui-ci le fait aussitôt, et avec une grande stupeur, elle voit l’immense
vaisseau qu’elle s’était fait dérober il y a quelque temps.
⎯ Il ne faut pas le laisser partir, détruisez-le immédiatement !
En effet, tous sont surpris de voir un tel engin posé sur le bord de l’île, ils
s’attendaient juste à trouver une population éparpillée, facile à éliminer.
⎯ Maîtresse, il nous faut juste trois minutes pour préparer le tir, nous
allons exécuter l’opération, il ne restera rien de tout ça.
Alors, le CP reçoit les ordres de destruction les canons sont tous pointés
vers leur cible, les condensateurs se rechargent un court moment, le com-
mandant montre à Maldeï le bouton sur lequel elle peut maintenant appuyer.
Levant un doigt, elle exulte un sourire si large qu’elle en est prise d’une
crampe.

***

Une large rampe s’ouvre du vaisseau et s’étale sur la plage, elle ressemble à
une autoroute. Une femme en sort et sa voix est amplifiée :
⎯ Pénétrez tous dans le vaisseau, nous n’avons que quelques minutes !
Clara reste sur un rocher, regarde toute la population commencer à pénétrer
à l’intérieur. Il ne faut que quelques minutes pour que, sans se bousculer,
toute la population entre à l’intérieur. Lorsque les derniers sont à bord,

222
Maora rejoint Clara qui est avec son compagnon et lui demande s’il reste
des personnes sur l’île. Christopher lui répond :
⎯ Plus d’une centaine de femmes sont restées près de la tour des gar-
des, croyant que Maldeï arrivera pour les sauver, car elles croient en elle.
⎯ Je ne peux rien pour elles car Maldeï est déjà au-dessus de nous.
Rentrez dans le vaisseau, il faut partir immédiatement.

***

Voyant sa main figée, en furie, elle frappe la commande de son poing gau-
che. Aussitôt, le rayon ultra puissant foudroie l’île et un éclair violet
rayonne dessus. Une onde terrible se propage tout autour, et de l’altitude où
ils se trouvent, ils voient la mer ondoyer jusqu’à Carbokan comme un raz-
de-marée. Plus un homme d’équipage ne bouge, regardant avec stupeur ce
qu’il vient de se passer. Deux ou trois minutes plus tard, sous les remous de
l’océan, le sol n’apparaît plus, l’île a été engloutie sans aucun survivant.
Alors, Maldeï sent son corps jouir d’un grand soulagement. Elle est la maî-
tresse de la vie et de la mort ; rien ne peut exister sans elle…

223
LA BATAILLE DE GLACIALYS
Les vidéos sont, hélas, bien réelles ; le vaisseau Instant-
Plus est parti trois secondes avant l’impact. Lorsque Maldeï voit cela, elle
tremble de tous ses membres, mais elle ne peut se défouler sur personne car
c’est sa crampe subite qui en est responsable. Inutile de chercher le vais-
seau, il est certainement parti se cacher à l’autre bout de l’univers. Chaque
officier autour d’elle est pétrifié, craignant qu’elle ne se défoule sur l’un
d’eux. Mais, elle n’en fait rien et part dans l’appartement qui lui est dédié.
Aussitôt, le vaisseau rentre à Sandépra.

***

Cachés derrière l’étoile d’Elvy, Maora et tous les autres reprennent peu à
peu leurs esprits, car tout s’est fait très vite. Jacques est surpris et en même
temps heureux de retrouver Clara, comme au jour où il l’avait découverte
sur Lunisse. Christopher découvre Jacques dont il avait tant entendu parler.
C’est pour tous déjà une grande avancée de pouvoir rassembler tant d’êtres
ayant eu une action importante dans la grande révolte initiée par Aqualuce.
Maora, qui dirige avec Wendy le grand vaisseau, pose la question à tous :
⎯ Nous sommes plus de deux mille dans le vaisseau, je pense qu’il se-
rait bien de retourner sur Unis pour y déposer tous les rescapés de Racben.
Entendant cela, Delfiliane se manifeste aussitôt :
⎯ Les hommes qui étaient à Sandépra hier nous ont confirmé que Mal-
deï avait l’intention de s’attaquer à Glacialys. Mon enfant est là-bas et il
faut que j’y retourne immédiatement ! Avant d’aller sur une autre planète,
laissez-moi y aller.
⎯ Je suivrais ma compagne.
⎯ Nous ne pouvons laisser Delfiliane seule avec Dgoger résister contre
Maldeï. Nous connaissons Glacialys, avec Christopher nous les suivrons, il
n’y a plus de temps à perdre, il suffit de regarder ce qu’est devenu Racben.
⎯ Vous avez certainement raison et je comprends que tu veuilles repar-
tir chez toi, Delfiliane, si tu as ton enfant là-bas. Moi-même je le prends
avec moi sur le vaisseau pour que nous ne soyons jamais séparés.
⎯ Maora, je pense qu’il est possible de nous rapprocher d’Elvy pour les
déposer sur l’île, dit Wendy.
Delfiliane leur explique qu’elle descendra sur son île en créant la tempête
comme elle sait le faire. Tous sont d’accord, c’est alors que Jacques inter-
vient :
⎯ Je descendrai avec eux sur Elvy. J’ai un devoir là-bas. Je ne pourrai
jamais être entièrement libre tant que je n’aurai pas dévoilé à Maldeï le se-

224
cret qui nous lie tous les deux. Je dois retourner au palais, non pour
l’affronter, mais pour lui dire la vérité, je crois que c’est indispensable.
⎯ Qu’est-ce que ça changera ? Elle est si mauvaise qu’elle ne
t’écoutera pas.
⎯ Entre elle et moi, il y a des choses plus anciennes que cette vie. Je
n’en suis pas encore libre et je pense que c’est elle qui m’a appelé lorsque
j’étais encore sur Terre avec Aqualuce. Au contraire si j’arrive à lui parler,
les choses pourront peut-être changer. Il faut qu’elle prenne conscience de
son passé, il est important qu’elle sache qu’il y a une autre âme sous cette
maudite couronne.
⎯ Je te comprends, Jacques, il est juste que si Aqualuce est partie avec
toi, c’est peut-être pour cette raison. Il est bon que tu la retrouves, mais
gare au danger de l’avoir face à toi, car ce n’est pas Marsinus Andévy,
mais une créature terrible et sans conscience. Je pense qu’elle pourrait te
faire disparaître si tu la retrouves.
⎯ Je ne pense pas, Clara, car elle est enceinte de moi et je pense
qu’elle n’aura pas la force de tuer le père de son futur enfant. une force
nouvelle me dit qu’en me donnant à elle, rien ne peut m’atteindre.
⎯ À condition, Jacques, de ne jamais lutter et combattre avec cette
force.
⎯ Un jour j’ai découvert la Graine d’Etoile. Depuis que j’ai retrouvé
ma vie ces derniers jours, j’ai pris conscience de ce que je devais en faire.
Elle doit savoir que la lumière brille au fond de mon être et qu’elle sera
aussi touchée, le moment venu. Je propose de prendre le vaisseau avec le-
quel je suis venu sur l’île de Racben, puis déposer mes amis sur Glacialys.
Ensuite, je me rapprocherai de Maldeï.
⎯ Est-ce que je peux t’accompagner ?
⎯ Comme tu voudras, Mali.
Maora décide de retourner sur Unis pour accompagner les nouveaux resca-
pés. Jacques et ceux qui veulent rejoindre Glacialys se préparent. Clara
confie un petit paquet étrange à Maora pour lorsqu’elle sera sur Unis. En-
fin, Clara, Christopher, Delfiliane et Dgoger pénètrent dans le petit vais-
seau. Jacques et Mali grimpent en dernier pour saluer ceux qui les ont ac-
compagnés.
C’est le départ pour l’île polaire d’Elvy, tandis que Wendy donne l’ordre
de faire un tour d’univers afin de brouiller les pistes pour ensuite rentrer
sur Unis…

Glacialys est sous leurs pieds. Delfiliane ne souhaite pas que Jacques se
pose sur l’île, car elle craint que Maldeï en soit informée. Comme convenu,
elle fera descendre les autres à l’aide de la tempête.
À cinq mille mètres d’altitude, ils ouvrent la porte. Aussitôt, le froid pénè-

225
tre dans le petit vaisseau et Jacques se sent pétrifié. C’est à ce moment que
Delfiliane demande à tous de se mettre sur le bord afin de plonger dans le
vide, sans qu’elle ait encore commencé à tournoyer autour d’eux. Pas très
rassurés, regardant dans la nuit, sans même voir le sol sous leurs pieds, se
tenant tous trois par la main, ils se jettent à travers l’atmosphère. Alors,
Delfiliane se met à osciller autour d’eux si vite qu’elle les emporte dans
une tempête de vent et de glace. Jacques ferme la porte et voit devant lui
une sorte de boule blanche passer et foncer vers Glacialys. Se retrouvant
seul dans l’engin, il commence à se réchauffer, puis il décide de descendre
discrètement vers Sandépra…

L’arrivée sur Glacialys se fait sans problème, de plus, Delfiliane est chez
elle. Ces trois amis sont déjà préparés à supporter le grand froid qui règne
ici. Franchissant la porte de la ville, elle retrouve rapidement son amie, Fli-
vialyse qui est heureuse de retrouver sa partenaire, mais, Delfiliane lui pré-
sente immédiatement son nouvel ami :
⎯ Depuis que je t’ai quittée, il s’est passé beaucoup de choses ma ten-
dre Flivialyse. J’ai rencontré Dgoger qui est devant toi et nous avons beau-
coup d’affection l’un pour l’autre. Hélas, il faut que tu saches que c’est plus
que mon ami ; mon partenaire maintenant. Notre relation affective est deve-
nue du passé, hélas.
Entendant cela, la pauvre change de visage, mais elle savait qu’en quittant
Glacialys, cela deviendrait inévitable. Sage de nature et lui répond :
⎯ Ton enfant va très bien, mais tu lui as manqué. Pourquoi reviens-tu
aujourd’hui, je te croyais partie en croisade contre Maldeï ?
Le ton est un peu dur, autant d’affection qui s’envole en fumée. Delfiliane
le ressent et lui répond :
⎯ Il n’est pas temps de penser à nous, un grand danger guette Glacia-
lys. La trêve que nous avions avec Maldeï semble rompue, elle prépare
l’invasion de notre île dans les jours prochains. Nous l’avons vue détruire
l’île de Racben en un clin d’œil. Si nous n’étions pas intervenus avec nos
amis, il y aurait eu plus de deux mille morts. Elle risque de faire la même
chose ici et nous ne pourrons résister, il faut préparer notre retraite. Je suis
venu te chercher avec le reste de la communauté. Nous devons quitter l’île
très rapidement, nos amis peuvent nous aider.
⎯ Tu as raison, tu me l’avais dit lors de ton départ, mais je n’ai rien
fait, je croyais que Maldeï nous oublierait et avec ton fils, j’ai passé de bons
moments. Mon père a créé cette communauté et j’espérais qu’elle puisse
survivre à tous ces événements. Nous allons nous préparer à partir, mais
sais-tu où nous irons ?
⎯ Le plus important est de quitter cette île, Maldeï risque de ne vouloir
faire aucun prisonnier. Flivialyse, tu dois rassembler toute la communauté

226
pour leur expliquer la situation.
Elle acquiesce le conseil et retourne vers une pièce en retrait du bureau.
Lorsqu’elle réapparaît, elle porte dans ses bras un petit enfant et enfin le
tend à Delfiliane :
⎯ Il se porte bien et il dessine déjà des sourires à l’idée de te retrouver.
Prends ton enfant, ma chérie.
Elle le prend, et aussitôt le bébé se met à gazouiller comme s’il parlait déjà.
Presque honteuse, elle revient près de ses amis. Dgoger regarde l’enfant
avec beaucoup de tendresse ; peut-être devra-t-il devenir son père ?

Quelques jours se sont passés et Clara, qui a retrouvé son amie, Faguella,
que la maladie semble avoir quitté, s’entretient avec elle :
⎯ Tu as bonne mine, je suis si heureuse de te retrouver !
⎯ Depuis que je vis ici, j’ai une forme extra, mais je sais que ça ne du-
rera pas. Si nous quittons Glacialys, le virus reprendra son action là où il l’a
arrêtée. Je suis condamnée, c’est une certitude.
⎯ Nous trouverons une solution pour toi, c’est certain.
⎯ Non, rien à faire, mais les cinquante jours que je viens de passer ici
sont si forts qu’ils valent bien une vie. Je n’ai plus peur de la mort car
l’essentiel est que je sache que mes enfants sont heureux où ils se trouvent.
En plus, ici, j’ai découvert que toute la vie n’est qu’une histoire inventée
par les hommes, tout n’est qu’un immense rêve ; je n’existe même pas.
J’espère juste que mes enfants puissent connaître la fin de ce rêve et qu’ils
trouvent la Vie.
⎯ Faguella, si on ne peut donner un véritable sens à la vie, donnons au
moins un sens à nos rêves. Pour ma part, je rêve que tous les hommes com-
prennent qu’ils ont un cœur. De plus, je n’espère rien de cette vie, mais mon
espoir repose dans l’éveil de tous les hommes. Dans ce monde, il n’y a rien
de bon ; même le bien ne l’est pas. La communauté de Glacialys trouvera
son salut que si elle désire vivre d’un autre air que celui du monde d’Elvy.
Elle doit imaginer un nouvel univers.
⎯ Tu veux dire qu’il est inutile de combattre Maldeï et qu’il faut fuir ?
⎯ Non seulement il ne faut pas combattre, mais la fuite n’est pas la so-
lution. Ce que nous devons faire, c’est rendre le combat impossible et nous
rendre intouchables par notre indifférence. Désarmer l’ennemi en nous
montrant invisibles à ses yeux.
⎯ La communauté Glacialys est sage, elle n’est pas agressive, au
contraire pacifique. Pourtant, elle semble encore attirer l’ennemi. Clara, que
doit-on faire pour éviter le massacre qui se profile vers nous ?
⎯ Pour Racben et ses ouvrières, qui étaient soumises à l’hégémonie de
Maldeï, nous les avons recueillies dans l’urgence. Mais ici, vous avez eu le
temps de vous préparer.

227
⎯ Il faut que tous agissent maintenant.
Delfiliane a écouté cette conversation et comprend Clara. Faisant partie de
la communauté, elle pense avoir une idée :
⎯ Il est vrai que si nous devions fuir l’île, ce serait pour rester sur Elvy
et nous ne ferions que déplacer le problème. Nous devons déplacer l’île ou
changer d’espace. Mais cela nécessite un effort incroyable de tous. Je n’ai
encore jamais entendu parler de pays ou de population qui aurait disparu
comme ça, d’un trait ; dématérialisés.
⎯ En effectuant la bipolarisation de vos corps, vous avez déjà fait un
pas vers cette dématérialisation. De plus, le pouvoir de cette planète est bien
plus grand que vous ne pouvez l’imaginer. Avec Christopher, nous l’avons
découvert et c’est pourquoi nous sommes aujourd’hui invulnérables, car la
matière n’a plus d’effet sur nous.
⎯ Nous devons trouver Flivialyse immédiatement et lui faire part de
l’idée de Clara !

Rassemblés avec ses amis, Delfiliane explique à Flivialyse ce à quoi elle a


pensé avec Clara. Mais celle-ci lui demande comment pouvoir transformer
rapidement la communauté, alors que le chemin qu’elle propose ressemble
à une initiation de longue durée. C’est Clara qui explique :
⎯ Avec Christopher, il ne nous a fallu qu’une nuit pour changer.
⎯ J’ai toujours pressenti qu’Elvy possédait un grand secret, et je ne l’ai
jamais percé.
⎯ Je l’ai découvert avec Christopher et il s’est appliqué sur nous deux.
Je ne pensais pas qu’il puisse être appliqué sur un groupe entier, mais cette
communauté semble prête. Il faut le proposer à tous, si ça marche, la pla-
nète en sera changée. D’ailleurs, vous avez commencé ce travail lorsque
vous avez effectué sur vous la bipolarisation du corps éthérique.
⎯ Comment devons-nous faire ?
Clara explique le phénomène en lui montrant que c’est par l’Amour le plus
profond que cela est possible. La fusion atomique va lier tous les êtres et le
changement sera tel que leurs atomes n’appartiendront plus à la même ma-
tière. Il faut pour cela regrouper toute la communauté et tous devront faire
une chaîne. Ce n’est qu’à cette condition que la transformation pourra être
entreprise.
Flivialyse comprend bien et décide de rassembler toute la population dans
le grand amphithéâtre. Elle devra expliquer la nouvelle situation à tous et
leur proposer le grand changement dont Clara lui a parlé.
Le message passe dans la communauté par télépathie et pour ceux qui ne
sont pas exercés, des messagers partent afin de rassembler tout le monde.
Chacun abandonne sa tâche, les pécheurs regagnent le grand dôme et toutes
les femmes prennent leurs enfants avec elle. En moins de trois heures,

228
l’amphithéâtre est rempli par tous les habitants de Glacialys. Sur le podium,
Clara, Delfiliane, Dgoger et Christopher sont rassemblés autour de Flivia-
lyse, et celle-ci prend la parole :
⎯ Sœurs et Frères, une information importante vient de m’être donnée
par mon amie, Delfiliane, de retour parmi nous. Glacialys n’a que quelques
heures à vivre, car Maldeï projette d’anéantir notre île. Elle risque d’arriver
et de nous surprendre très prochainement. Quoi qu’elle fasse, nous n’aurons
pas les moyens de nous défendre ; pacifistes, nous ne sommes pas armés
pour lutter contre ses guerriers. Mais la sœur d’Aqualuce, Clara, qui est
avec nous depuis quelque temps, a eu la chance de percer le mystère de la
planète et pense que nous sommes dignes d’en profiter.
Flivialyse leur fait part alors du secret et leur explique comment le groupe
pourra en profiter. Chacun écoute avec grand intérêt, même les enfants
semblent silencieux en entendant ces sages paroles. Prenant conscience que
leur fin dans cette nature est arrivée, tous comprennent la nécessité de
changer irrémédiablement de vie. Alors, Flivialyse leur indique que dans
l’amphithéâtre, tous devront se tenir la main avant que Clara et Christopher
ne déclenchent le feu qui transformera la communauté. Clara prend alors la
parole pour leur donner d’importantes recommandations et les prévenir de
la gravité de cet acte :
⎯ Elvy a dans son noyau des forces magnétiques spécifiques qui sont
reliées à la radiation d’Amour, la force qui rassemble les deux pôles de la
matière primaire. Le négatif et le positif doivent s’associer pour donner une
matière nouvelle supprimant le Bien et le Mal. Normalement sur cette pla-
nète, les hommes et les femmes en ont toujours eu la possibilité, mais la
nature physique a toujours prévalu à cette union. Comme ce courant est très
fort ici, les êtres d’Elvy ont toujours imaginé qu’il fallait s’unir par le corps
physique, c’est pourquoi le peuple a dégénéré, et est tombé malade. Au-
jourd’hui, ce n’est pas entre couples que nous nous unirons, mais c’est une
communauté complète qui le fera. Sur la planète, notre rayonnement aura
des influences incalculables et peut-être de grandes modifications géologi-
ques se feront sentir. Ceux qui ont des enfants devront les prendre avec eux,
car ils suivront la voie tracée par leurs parents. La transformation est im-
pressionnante mais pas douloureuse. Lorsqu’elle sera effectuée, vous senti-
rez tous une terrible mutation et à partir de cet instant, vous aurez changé de
côté, votre nature ne sera plus liée aux forces de ce monde. Il sera impossi-
ble de faire demi-tour, mais vous connaîtrez le véritable sens de la vie, ainsi
qu’une paix profonde. Votre personnalité sera toujours vivante, elle ne sera
plus dominante, mais au service de la force qui vous aura changé ; la lu-
mière de votre cœur. Ce que vous allez vivre, se réalise la plupart du temps
en plusieurs vies pour les hommes, et si vous ne souhaitez pas franchir ce
pas, rein ne vous y oblige. Maintenant, que chacun prenne sa décision, nous

229
allons nous préparer à célébrer ces formidables noces…

***

Daribard pénètre dans le grand bureau de Maldeï, qui est assise sur un large
fauteuil. Il se met à genoux devant elle en la saluant :
⎯ Maîtresse, vous m’avez fait appeler, me voici.
⎯ Redresse-toi, je n’ai pas de temps à perdre. Je t’ai fait venir pour que
tu prépares la plus sanglante des invasions. Ce sera un exercice pour lorsque
nous envahirons la Terre.
⎯ Bien, maîtresse.
⎯ Ne m’énerve pas en me répondant ainsi. Mon temps est trop pré-
cieux. Dans les heures prochaines, tu vas envahir Glacialys, et je veux que
tu massacres tous ceux qui s’y trouveront. Les échecs de Carbokan et de
Racben ont jeté un grand doute parmi les habitants et les troupes. Il nous
faut une victoire sans concession, et c’est pour cela que je souhaite que tu
prennes les choses en main. Prends tous les hommes dont tu auras besoin,
prends les armes et les vaisseaux nécessaires. Je crois que l’île compte
moins de mille personnes, ramène-moi leurs têtes lorsque tu les auras tous
tués et ensuite, détruis toute l’île. Rase-la, je ne veux plus que Glacialys
existe, même dans les mémoires. Lorsque tu reviendras, accroche les têtes à
des pics tout autour de la ville et transforme-les en torches afin qu’en
voyant cela, tous puissent comprendre que je suis toute puissante.
⎯ Combien de temps me laissez-vous ?
⎯ Demain lorsque je me lèverai, Glacialys aura été rayée de la carte.
Me suis-je bien fait comprendre ?
⎯ Parfaitement, tout aura été fait comme vous me l’avez demandé. Je
prendrai avec moi deux mille hommes, trois vaisseaux d’attaque pour sur-
veiller le ciel, et nous serons armés de lasers pour trancher les têtes et de
pistolets pour calmer les fuyards. Vous aurez toutes vos têtes.
⎯ La tienne sera la première à tomber si tu ne tiens pas ta promesse. Ne
perds plus de temps.
Daribard se retourne et part d’un pas assuré, mais il sait qu’une lourde res-
ponsabilité repose sur lui…

À peine le chef des armées franchit-il la porte qu’un homme inattendu fait
irruption dans son bureau.
⎯ On ne se sépare pas de moi comme ça, dois-je comprendre que je te
manquais déjà ? Mon cher… Comment dois-je t’appeler, au fait ; Bildtrager
ou Jacques ?
⎯ Mon nom est Jacques Brillant, je n’en connais aucun autre.
⎯ Alors, mon cher Jacques, viens t’asseoir auprès de moi, j’aurai un

230
spectacle délicieux à te faire voir ce soir. En attendant, veux-tu prendre du
bon temps avec moi ?
⎯ Si nous avons eu des rapports particuliers, ils font partie du passé. Je
respecte l’enfant que tu portes, mais pour le reste, je ne suis pas avec toi.
⎯ Dis-moi, pourquoi es-tu revenu dans ce cas ?
⎯ Pour te rappeler aux bons souvenirs d’un être que j’appréciais
comme une sœur autre fois, Marsinus Andévy.
⎯ Je ne connais pas cette chose !
⎯ Ce n’est pas une chose, mais l’être qui forme ton corps. C’est la per-
sonne qui est sous cette couronne. C’est à cette femme que je veux
m’adresser, et même si tes oreilles sont sourdes à ce que j’ai à dire, elles
entendront néanmoins ce message :
Andévy, tu es une femme pure et toujours prête à te sacrifier pour les autres.
Tu m’avais remarqué autrefois lorsque je suis arrivé sur Lunisse et tu m’as
aimé. Je ne t’ai pas donné mon cœur, car c’est à Aqualuce que je l’ai voué.
Je t’aime toujours comme une sœur, j’ai beaucoup d’affection pour toi. Tu
dois comprendre que nous ne pourrons jamais partager notre vie dans cette
matière, car cette nature est un monde de dualité, partagé entre le bien et le
mal. Ton corps porte mon enfant ; je le reconnaîtrai. Tout le peuple Lunisse
t’aime aussi et nous ferons qu’un jour tu puisses t’éveiller de ce sommeil de
mort que la Couronne de Serpent t’a imposé. Maldeï n’est qu’une pensée ;
pas un être. Toi, tu es une âme, un être. Réveille-toi !
Maldeï devient rouge en entendant cela, mais une force lui interdit de fou-
droyer cet homme car ses paroles viennent de toucher une sensibilité pro-
fonde en elle. Cela crée aussitôt une réaction :
⎯ En moi, la nature du monde agit. Je suis la pensée de l’univers, tous
les hommes me donnent leur vie et leur force. Je grandis à chaque fois
qu’un être a peur ou fait le mal. Tous ceux qui croient en cette vie sont mes
serviteurs. Cette femme dont tu parles n’existe plus. Depuis longtemps, je
l’ai tuée et son corps a disparu. Je suis la descendante du maître de la vie et
de la mort. Les hommes de cette planète sont tous mes serviteurs, ainsi que
ceux de la Terre. C’est pour cela que je reviendrai sur ma planète, afin
qu’ils connaissent enfin leur véritable Maître. Tu devras te soumettre à moi,
sinon disparaître. L’enfant qui sortira bientôt de mon corps n’aura que tes
gènes, pas ta conscience. Mon fils deviendra le maître de l’univers de façon
plus puissante que moi et je pourrai lui donner ma couronne. Tous les
hommes de la Terre rayonneront dans l’univers afin de dicter ma loi, celle
d’un monde n’acceptant que le règne du Bien et du Mal. C’est dans la force
dynamique de l’action, du mouvement et du temps que le plaisir de la vie
existe. Le bien personnel est la meilleure action qui soit car il donne un
plaisir infini. Marsinus Andévy n’avait rien compris de tout cela, c’est
pourquoi elle a disparu.

231
⎯ Au fond de toi, tu reconnais son existence et un jour, elle reviendra.
Je ne suis pas venu pour me battre contre toi car je n’en ai pas les moyens,
ce n’est pas mon rôle. Mais un jour, ta couronne tombera de ta tête, j’en suis
certain.
Jacques se lève et regagne la porte. Maldeï voudrait le retenir, mais elle est
comme paralysée, elle est sans aucun pouvoir sur lui et ne comprend pas ce
qui lui arrive. Alors, elle s’empresse d’avertir ses gardes afin de l’arrêter.
Hélas, personne ne l’a vu sortir, elle ne comprend plus. Furieuse, elle rejoint
son pupitre de commandes afin de contrôler les opérations concernant
l’attaque de Glacialys. Son homme de main est déjà en train de rassembler
les hommes et préparer les vaisseaux d’attaque. Si tout se passe comme elle
le souhaite, demain soir, toutes les têtes de ces insoumis flamberont et illu-
mineront la ville.
Pensive, elle regarde un long moment les images de l’univers en attendant
des nouvelles de l’expédition, espérant que cette fois, Daribard ne trahisse
pas sa confiance déjà faible…

***

Au moment où toute la communauté s’apprête à se prendre la main et où les


mères tiennent leurs enfants serrés contre elles, une alarme retentit et Flivia-
lyse quitte aussitôt la réunion. Faguella, devenue son amie, la rejoint car
elle la sent trop inquiète. Dans la petite salle où des cristaux géants sont
alignés avec soin, Flivialyse les frotte les uns après les autres, et à ce mo-
ment apparaît, devant ses yeux une flotte de vaisseaux qui semble se
concentrer autour de l’île. Elle comprend alors que l’attaque se prépare.
Regardant plus en détails elle voit une multitude de petits vaisseaux des-
cendre vers le dôme de glace. Comprenant que l’invasion est imminente,
elle regarde Faguella, affolée. Celle-ci lui dit alors :
⎯ Ne t’en fais pas, ils seront tous sauvés, mais dis-moi quels sont les
moyens que nous possédons pour les ralentir, à nous deux ?
⎯ Allons chercher les autres, ils pourront nous aider !
⎯ Non, c’est trop tard, il faut les laisser, la transmutation est déjà com-
mencée, mais il faut leur laisser le temps, c’est pour cela que nous devons
agir toutes les deux. Tant pis pour nous, si nous ne sommes pas changées, il
faut que nous agissions immédiatement. Tu connais bien Glacialys, tu sais
comment les ralentir ?

Pendant ce temps, dans le grand amphithéâtre, Clara et Christopher ont


commencé à irradier l’ensemble des participants de la grande chaîne. Clara
porte d’un bras l’enfant de Flivialyse, et d’une autre main, celle de Delfi-
liane. Les cellules de chacun commencent à s’échauffer, et progressivement

232
elles s’embrasent, mais la transformation ne s’achèvera que lorsque les cel-
lules auront été mutées et que les corps seront refroidis ; il leur faudra quel-
ques heures.

Daribard voit le grand dôme sous son vaisseau, il ne lui reste plus qu’à
pénétrer avec ses hommes pour trouver tous les habitants et les faire dispa-
raître. Pour passer, il ne fera pas de détail, la glace explosera et il se posera
à l’intérieur avec tous ses hommes. Les quarante vaisseaux se suivent à la
queue, le premier est armé d’un puissant rayon éthérique qui ne laissera rien
de la grande carapace. Daribard n’attend que l’instant où il sera à la verti-
cale pour faire feu.
Maintenant, le canon est pointé, prêt à tirer, lorsque d’un coup un vent ex-
trêmement violent se met à souffler. Les vaisseaux se bousculent et sont
emportés par la subite tempête. Le coup part, mais bien plus loin dans la
mer, qui se soulève subitement comme un raz-de-marée. La fureur du vent
est telle que les vaisseaux sont obligés de reprendre de l’altitude. Le chef de
l’expédition est furieux, cela ralenti son plan, et pour ne plus perdre de
temps, il décide de faire descendre un grand vaisseau, plus robuste, et qui ne
sera pas gêné par le vent. Celui-là tirera une salve sur le dôme et le détruira.
Il faut très peu de temps pour que le toit de Glacialys explose et disparaisse.
Glacialys est mis à nu mais aucun humain n’est visible, ils doivent se ca-
cher. Profitant de la très large ouverture, des vaisseaux s’engouffrent vite
dans la structure de la ville. Une fois posés, les portes s’ouvrent, mais pour
les premiers engins c’est une grande surprise, et les premiers soldats qui
sortent voient se déverser sur eux une immense vague d’eau qui les recou-
vre instantanément. Le vent glacé souffle encore si fort qu’aussitôt, l’eau se
met à geler et les soldats pris par cette vague sont pétrifiés dans la glace.
Deux cents hommes sont ainsi pris irrémédiablement dans ce qui devient
instantanément leur tombeau.
Daribard observe cela, et son vaisseau lui-même est pris dans la glace, mais
il lui reste encore mille huit cents hommes. Pour faire fondre la glace qui
l’entoure, il fait appel au grand vaisseau qui utilise un rayon plus faible.
Une heure est encore perdue à se dépêtrer du froid qui les tenait prisonniers.
Enfin, le passage semble libre et ordre est donné à une première troupe de
sortir afin d’envahir la ville. Aucun survivant ne sera fait, les instructions
sont précises. Deux cents autres hommes sortent, vêtus de combinaisons
polaires extrêmement résistantes. Ils hommes avancent. Heureusement, ils
n’ont pas encore trouvé l’amphithéâtreavancent vers les infrastructures qui
donnent sur l’intérieur de la ville où doivent se cacher tous les habitants,
certainement déjà en train de trouver un lieu où se protéger. Les premières
rues intérieures sont désertes, et les. C’est alors que le froid devient encore
plus vif. De moins cinquante, il descend subitement à moins cent dix. Alors,

233
malgré les combinaisons polaires, les hommes qui explorent la ville se cou-
vrent de givre et tombent au sol en se brisant comme du verre. Cent cin-
quante hommes périssent ainsi. Alors, informé de cela, Daribard décide de
sortir avec des lances flammes pour ne plus se faire surprendre par le froid.
Flivialyse est au bout de ses possibilités pour ralentir les hommes et elle
prend la fuite avec Faguella pour rejoindre tous les autres. Elles ont réussi à
leur faire gagner de nombreuses heures et elles espèrent qu’ils auront tous
pu être transformés comme le proposait Clara. Lorsqu’elles poussent la
porte de l’amphithéâtre, elles trouvent toute la communauté semblable à
elle-même, et devant Delfiliane, elle demande :
⎯ Vous n’avez encore rien commencé ?
⎯ Tu avais disparu et j’ai compris que tu n’avais pas participé à la
grande transmutation. Après de longues heures, nous nous sommes tous
relevés, et en nous, tout avait changé. La communauté est devenue comme
un bras de vie à travers cette matière, et nos corps sont devenus invisibles
pour la matière dure dans laquelle nous vivions. Pourquoi n’es-tu pas restée
avec nous ?
Flivialyse lui explique alors qu’une alarme l’avait attirée et que les hommes
de Maldeï sont à la porte de l’amphithéâtre. À cet instant, les soldats pénè-
trent dans l’immense salle, armés de lance-flammes et de rayons portatifs.
Voyant toute la communauté rassemblée, ils se jettent sur elle pour les tuer
et leur trancher la tête. Mais à chaque coup porté, aucun ne semble atteint,
personne n’est blessé. Un des soldats enfonce son rayon à travers la gorge
de Delfiliane et tente de la décapiter, mais le faisceau semble traverser une
image tridimensionnelle et lorsqu’il retire son arme, la jeune femme n’a pas
une seule marque sur elle. L’homme affolé lâche son engin et s’enfuit.
Beaucoup d’autres sont comme cela, pas une blessure, pas une goutte de
sang ne coule et toute la communauté paraît parfaitement résister ; elle est
indestructible. Malgré les centaines de combattants et la férocité du combat
que les soldats mènent depuis des heures, aucun des membres de la com-
munauté n’est touché, pas même un enfant. Ne sachant plus que faire, ils
commencent à tirer sur tous avec des rayons désintégrateurs, sans effet.
Tous épuisés et paniqués par ces êtres insensibles à leurs armes, ils finissent
par s’enfuir…

Delfiliane est heureuse de ce dénouement si inattendu, et elle cherche Clara


pour la remercier. Mais au moment de la retrouver, elle voit Flivialyse éta-
lée sur le sol, tenant de son bras Faguella, déjà mort ; la tête à moitié tran-
chée. Elle a encore un peu de force pour lui dire ces derniers mots :
⎯ J’avais le doute sur ce que vous vouliez faire, aussi lorsque j’ai été
avertie qu’il se passait des choses à l’extérieur, ça a été pour moi le pré-
texte. Faguella m’a suivie car je dois t’avouer que je ne t’ai pas attendu

234
pour m’associer à une nouvelle amie. Nous nous aimions toutes les deux, et
malgré cela j’étais jalouse que tu aies rencontré un homme ; je le regrette.
Dans le poste central, voyant les envahisseurs arriver, c’est Faguella qui
m’a poussée à les ralentir, c’est elle qui s’est donnée pour que vous puissiez
parfaire votre mutation. Elle vous aimait tous et pensait à ses enfants sur la
Terre. Je voudrais que ma fille ait un autre destin que le mien, j’aimerais
qu’elle ne pleure pas sa mère. Prends-en soin avec ton ami, si vous le pou-
vez.
Delfiliane prend conscience que c’est grâce à son sacrifice que la commu-
nauté a pu être sauvée, elle verse déjà des larmes aux souvenirs de sa vie
passée avec elle, et lui répond :
⎯ Je n’aurais jamais dû te quitter, je t’aimais aussi, tu t’es sacrifiée
parce que je t’ai abandonnée. En même temps c’est grâce à toi que nous
sommes tous vivants. Je prendrais soin de ton enfant, c’était déjà un peu le
mien. Je t’aime Flivialyse, mon cœur est si triste de te voir partir dans la
souffrance.
⎯ Ne t’en fait pas pour moi, ce n’est qu’une étape, va avec les autres
sauver le monde.
À cet instant, elle ferme les yeux et expire brutalement. C’est fini pour elle.
Comprenant que leur chef vient de disparaître avec Faguella, La commu-
nauté se recueille en silence quelques instants afin de les remercier de les
avoir sauvés ; le silence porte plus que bien des mots.

Daribard voit que c’est la débandade parmi les troupes en les regardant re-
venir dans la panique. Il n’attend pas que tous aient regagné leurs engins.
Dès qu’il est retranché dans un des grands vaisseaux d’attaque, il exige que
l’île soit désintégrée. Sans état d’âme, il met en marche les canons éthérique
surpuissants, et toute la calotte glaciaire du pôle se désintègre instantané-
ment. La glace se transforme en eau et crée une vague immense qui se pro-
page comme une onde sur l’ensemble l’hémisphère de la planète. Les
conséquences en sont terribles, car toutes les îles se trouvant à deux ou trois
milles kilomètres sont balayées comme de vulgaires poussières. Des trem-
blements de sol se font sentir partout et l’axe de rotation de la planète en est
ébranlé. Réveillée en sursaut Maldeï voit l’eau de la mer envahir la cour de
son palais sur ses écrans de contrôle, elle comprend qu’une catastrophe ma-
jeure vient de se produire. Autour d’elle, plus rien n’est comme avant. Vite,
visualisant la bataille de Glacialys, elle comprend que son projet de
conquête est un échec total. Daribard s’est enfui avec le vaisseau qu’il
commandait. L’île n’existe plus et elle ne sait même pas si les habitants ont
pu mourir ou survivre. Sandépra s’enfonce dans l’eau et les habitants ne
savent plus où aller. Son empire est à la dérive. C’est alors que Jacques ap-
paraît :

235
⎯ Mais où étais-tu passé ?
⎯ J’étais dans ma chambre, je suis ton époux, me semble-t-il !
⎯ Tu es certainement responsable de ce cataclysme, tu complotes avec
la rébellion, toute la planète prend l’eau !
⎯ Qui a décidé d’envahir la Terre, qui a voulu détruire l’île de Racben,
qui souhaitait désintégrer Glacialys ? Pour ma part, j’étais tranquille sur la
Terre avec ma famille et nous n’avions pas l’intention de repartir dans
l’espace. C’est toi qui nous as appelés, c’est toi qui as voulu te marier avec
moi. Tout ce qui se passe autour de toi, tu en es la responsable. Tu as réveil-
lé le dormeur qu’il y avait en toi, tu dois en assumer les conséquences.
⎯ Si je suis si terrible, pourquoi restes-tu avec moi ?
⎯ Pour m’assurer que l’enfant que tu portes ira à son terme, j’en détiens
la paternité.
⎯ Si enfant il y a, il aura tout de moi, j’en ferai mon successeur.
⎯ Il est du corps des cellules de Marsinus Andévy et il sera bon et juste
comme elle l’était. Si du fond de l’espace tu m’as appelé, c’est parce qu’une
parcelle d’Andévy m’aime encore.
⎯ Jacques, viens avec moi, ensemble nous serons puissants. Si tu le
souhaites, je te donnerais ma couronne. Tu auras la Terre et l’univers à tes
pieds. Viens avec moi, je serai Andévy et toi l’empereur du monde.
En disant ces mots, Maldeï use d’une ruse pour hypnotiser Jacques, et cela
semble fonctionner car il lui sourit et se détend devant elle. Le prenant par
la main, elle l’entraîne comme elle l’a souvent fait avec lui, dans sa cham-
bre. Celui-ci semble se laisser faire et Maldeï s’en réjouit, pour elle, au dia-
ble la planète d’Elvy, si elle peut à sa guise prendre le pouvoir en Jacques et
faire de lui l’antenne qui lui permettra d’agir dans le monde de la matière.
Si éveillé, il s’associe à elle, tout l’univers lui appartiendra et elle n’aura
plus de barrières devant elle et elle aura réellement pouvoir sur tout. La
conscience de Jacques est endormie, c’est le moment pour elle de
l’emmener dans l’univers de la couronne afin qu’il en voit l’ensemble de
ses avantages. Pour ceux qui franchissent ce seuil, c’est encore plus fort
qu’une chute aux enfers…

***

Les corps de Faguella et de Flivialyse sont soutenus par quatre elfes qui les
emportent vers Unis. Lorsque toute la communauté fut enlevée par les in-
nombrables elfes, elle emporta avec elle les pourvoir d’Elvy. Les consé-
quences en furent terribles et créèrent un bouleversement géologique im-
médiat. Les îles de la planète eurent les pieds dans l’eau et la trajectoire de
l’astre en fut bouleversée. De haut, dans les bras des elfes, tous le virent et
comprirent qu’un changement important s’était effectué par la transmuta-

236
tion de leurs cellules. Leurs âmes furent aussi changées et la matière de leur
existence prit une autre forme. Se sachant devenus des êtres d’une matière
nouvelle, ils comprirent tous leur nouvelle mission :
Montrer à l’humanité l’existence d’une nouvelle matière. Se donnant tous à
une nouvelle force, ils n’ont plus aucune crainte venant de leur première
vie, car la matière n’a plus aucun effet sur eux.

C’est ainsi qu’ils arrivent sur Unis…

237
PERDRE LA TÊTE
Il y a quelques jours, lorsqu’Aqualuce retrouva sa fille
dans ce qu’elle pensait être les grottes d’Unis, elle se retrouva peu après
prise avec ses trois amies dans un tourbillon très étrange. Elles furent em-
menées dans un lieu si différent qu’elles ne comprirent pas immédiatement
ce qu’il leur était arrivé.
Perdues sur une planète sauvage, elles se demandent aujourd’hui ce qu’elles
font ici. Car rien ne leur permet d’espérer ou croire que quelque chose pour-
rait changer.
Elles savaient qu’Unis était un passage vers Elvy, mais elles étaient loin
d’imaginer que d’autres passages auraient pu s’ouvrir de la même sorte.
Lorsque le tourbillon s’arrêta, elles se retrouvèrent dans une forêt à la végé-
tation si dense qu’elles ne pouvaient se voir à moins de trois mètres.
L’humidité et la chaleur étaient telles qu’elles étaient recouvertes d’eau,
comme si elles se trouvaient sous une douche presque bouillante. Rien ne
ressemblait à ce qu’elles auraient pu connaître d’une forêt tropicale, telle-
ment tout avait poussé à l’extrême. Au moment de se rejoindre, elles arrivè-
rent jusqu’à une petite grotte où elles purent s’abriter.

Hélas, le temps semble s’être arrêté pour elles car cela fait bientôt dix jours
qu’elles n’ont pas bougé. Se nourrissant de racines et de fèves, elles com-
mencent à se demander si elles n’ont pas été oubliées par la vie.
⎯ Aqualuce, j’en ai assez de rester là, depuis des jours et des jours,
nous sommes bloquées par la végétation. Oh bien sûr, on ne manque pas de
nourriture, mais en quoi cela nous avance-t-il de rester là ?
⎯ Je suis un peu comme toi, Timi, je pensais qu’Unis nous réservait
juste une de ses surprises et que nous nous serions ressorties rapidement du
le Puits de l’Oubli. On s’en parle chaque jour depuis que nous sommes dans
ce trou et je commence à m’inquiéter.
⎯ Moi, au contraire, je ne vous l’avais pas encore dit, mais je pense que
cette planète doit nous révéler quelque chose. Le fait que nous soyons ici est
le signe qu’en nous, quelque chose doit se transformer.
⎯ Jenifer, comment de l’herbe et des arbres pourraient avoir l’ambition
de nous changer ?
⎯ Aqualuce, as-tu encore tes pouvoirs et peuvent-ils te servir devant la
puissance de cette nature ?
⎯ À chaque étape, je perds un peu de ce qui avait fait ma puissance et
ma renommée sur Lunisse. Mes bras sont justes assez forts pour porter une
bûche, et mon esprit est juste capable de voir le présent et il ne peut imagi-
ner l’avenir ni revoir le passé. Je suis devenue une femme ordinaire et si je
dois un jour affronter Maldeï, ce sera avec mes mains et ma conscience
238
humaine, pas plus. J’en suis à me demander ce que toutes ces feuilles autour
de nous peuvent nous apporter.
⎯ Je pense que nos esprits ne se sont pas encore vidés de leurs idées et
que nous sommes ici pour cette raison.
⎯ Moi, en tout cas, je ne bougerai pas d’ici ; j’attendrai qu’on vienne
me chercher avec un de vos vaisseaux spatiaux. J’ai pas du tout envie
d’affronter cette savane. J’étais quand même mieux à Las Vegas. Votre truc
bizarre, ça ne me plaît pas. Votre philosophie, c’est pas mon truc, manger
tous les jours les mêmes feuilles, j’en ai ras-le-bol.
⎯ Timi, on est comme toi, que tu paniques ou pas, on est là.
C’est en disant ces paroles qu’Aqualuce voit le vent se lever et la végétation
bouger de plus en plus violement, comme si toutes les plantes semblaient
être vivantes, elles se déplacent vers la grotte comme pour s’abriter. Cela lui
fait penser aux plantes carnivores, et comprenant qu’elles ne doivent pas
rester là, elle hurle aux autres de dégager au plus vite. Timi et Jenifer plon-
gent vers la sortie, Aqualuce les rejoint. Se retournant, elle voit toutes les
plantes environnantes pénétrer dans la grotte et la boucher complètement. Si
elles n’étaient pas sorties, elles seraient mortes étouffées. En s’arrachant au
sol, toutes les plantes ont laissé un espace où les trois femmes se retrouvent
maintenant. Mais elles ne sont pas sorties d’affaire car le vent souffle si fort
que tout se trouve emporté par la tornade qui se lève. Aqualuce comprend
vite que la végétation s’est mise à l’abri et que ce qui est sur le sol sera em-
porté à coup sûr. Les trois amies ne peuvent à leur tour résister, et le vent
les aspire et les emporte avec les branchages et tout ce qui traîne au sol.
Emportées durant des kilomètres, lorsque la tempête se tait, c’est dans le
désert qu’elles se posent.
Recouvertes de feuilles, de branches, elles refont surface bien après. Jenifer
apparaît, ainsi qu’Aqualuce, mais Timi semble avoir disparu. Les deux
femmes se regardent et comprennent qu’elle peut être ensevelie sous l’amas
de végétation, alors elles commencent à fouiller dessous, jusqu’à ce qu’elles
aperçoivent une main puis un bras. Elles dégagent le reste du corps et la
trouvent inerte, et un de ses bras semble avoir une mauvaise fracture. Éloi-
gnant le corps de leur amie du tas de feuilles et de branches, elles
l’allongent sur le sol sec. Aqualuce, qui avait autrefois des dons de guéri-
son, l’examine et la trouve très faible. Elle pense qu’elle a dû faire une
mauvaise chute. Son bras droit est fracturé si violement qu’il est plié en
trois parties, et sur son crâne il y a un hématome si gros qu’on a
l’impression que sa tête a doublée de volume. Jenifer la regarde et com-
mence à avoir des larmes, triste de voir disparaître une amie.
⎯ C’est quoi tous ces trucs, pourquoi on est là, et pour quelle raison
Timi se trouve dans cet état ? En plus, on n’a rien pour la soigner.
⎯ J’ai peut-être perdu tous mes pouvoirs, mais ça ne m’empêche pas de

239
tenter de la soigner de façon plus classique.
⎯ Aqualuce, tu n’as que tes mains et ta tête ; sans instruments et sans
médicaments, tu n’arriveras pas à grand-chose !
⎯ Timi est vivante et je vais tout faire pour la sortir de son mauvais
pas. Je ne sais pas pourquoi elle se trouve dans le coma, mais il faut qu’elle
rouvre les yeux. Je n’ai pas d’instruments ni de médicaments, mais avec ma
tête, peut-être trouverai-je une solution. J’ai toujours appris à m’en sortir
quelles que soient les circonstances.
⎯ Mais regarde, autour de nous c’est un désert aride. Même pas de sa-
ble, juste de la glaise desséchée et craquelée. Il n’y a pas d’eau et nous al-
lons mourir de soif dans quelques heures ! Regarde, l’étoile de cette planète
rayonne si fort que nous allons brûler de ses rayons nocifs. Nous n’avons
rien pour nous abriter et encore moins pour manger. Depuis dix jours nous
tournions en rond dans la grotte, mais là, nous ne pouvons même plus le
faire. Je vais devenir folle !
⎯ Et c’est toi qui me disais tout à l’heure que tu pensais que cette pla-
nète avait des choses à nous révéler, et que nous devions nous transformer !
Si tu disais vrai, il n’y a pas de raison de paniquer. Je crois en ta parole et il
est important que tu y croies aussi.
⎯ Je ne peux supporter de voir Timi dans cet état. Je panique de ne pas
pouvoir la soigner. Ses blessures me font peur, je ne le supporte pas.
⎯ Peut-être paniquerai-je plus tard, mais je n’ai pas encore la sensation
de la soif. La chaleur ne me pèse pas et je sens en mon être la force de soi-
gner notre amie. Regarde ; autour de nous il y a des plantes déracinées qui
peuvent nous servir à nous abriter. Prépare-nous un abri avec les grandes
feuilles que tu trouveras. Monte un toit avec les branches restées sur le sol ;
tu verras, on a les moyens de se protéger de la lumière. Fais-le pendant que
j’essaie de la soigner. Regarde aussi si tu ne trouves pas des plantes particu-
lières, tu sais, dans les forêts tropicales, il y a souvent des plantes médicina-
les. Je suis certaine que nous pouvons en trouver. Fais-le, il est possible que
nous puissions la sauver grâce à cela. C’est avec les moyens du bord que
nous y arriverons, il faut encore y croire.
⎯ Lorsque je t’entends, j’ai l’impression que ma tête se vide de toutes
mes convictions. Peut-être as-tu raison. Je vais faire ce que tu me proposes.
Alors, Jenifer rassemble les branches et les feuilles. Méthodiquement elle
les classe par catégorie et prend soin de les comparer à celles qu’elle
connaissait sur sa planète. Rapidement, elle apporte à Aqualuce des plantes
qu’elle estime particulières, pensant qu’elles pourraient avoir quelques ver-
tus. Son amie les regarde avec attention, et avec juste son odora essaie de
les classifier. Stupéfaite, elle pense reconnaître l’Herbe de Vie qu’elle avait
un jour découverte sur Digger. Celle-ci lui avait sauvé la vie dans des cir-
constances dramatiques. Elle en fait avaler de force à Timi, peut-être cela

240
lui sera profitable. Une des racines apportées par Jenifer attire son attention
car elle contient une substance comparable à de la graisse. Avec ses doigts
elle arrive à en extraire une bonne quantité et la met de côté. Ce qui
l’inquiète, c’est le bras plié de Timi. Il n’est pas déboîté mais fracturé, et
elle ne se sent pas la force de l’étirer et le replacer, de peur de
l’endommager encore plus. Cependant, elle se demande s’il ne serait pas
bon d’en oindre la partie touchée, peut-être cela la soulagera. Aqualuce
étale une partie de cet étrange baume sans s’imaginer qu’il puisse avoir une
quelconque vertu. Mais c’est au contact de cette graisse qu’elle s’aperçoit
qu’une action commence à se produire, car peu après, la peau change de
couleur en passant du rouge au blanc. Mais ce qui devient inimaginable
c’est de voir le membre brisé et plié se redresser en quelques minutes. C’est
un incroyable hasard que cette substance puisse avoir autant de vertus thé-
rapeutiques. Aqualuce observe la transformation et comprend que la bles-
sure disparaît de façon rapide. C’est l’Herbe de Vie, se dit-elle. Pour le reste
elle n’y est pour rien, elle n’a utilisé aucune magie, aucun don quelconque.
C’est juste un miracle de la nature. Comme Timi semble toujours dans le
coma, Aqualuce pense que c’est certainement à cause de son énorme héma-
tome. C’est pour cela que lui vient l’idée de lui passer sur son crâne la
même substance. Le résultat est aussi stupéfiant que pour le bras cassé car
l’énorme hématome se résorbe à vue d’œil, et en quelques minutes le visage
de son amie reprend une forme bien plus humaine et agréable. Aqualuce
masse avec légèreté ses pommettes pour tenter de la ranimer progressive-
ment. Hélas, bien que vraisemblablement soignée, elle reste dans un état
comateux sans donner de signe de réveil ou d’amélioration. Aqualuce ne
sait plus que faire et appelle Jenifer pour qu’elle vienne à son aide. Celle-ci
la rejoint et lui dit en voyant les résultats surprenants :
⎯ Même sans tes pouvoirs tu arrives encore à guérir ceux qui
t’entourent. C’est incroyable ce que tu as fait. J’ai le sentiment qu’elle va
bientôt se réveiller.
⎯ Son cœur bat, mais elle ne bouge toujours pas. Je ne sais plus que
faire de Timi, j’ai besoin de ton aide.
⎯ Portons-la sous le petit abri que j’ai construit, mettons-nous à
l’ombre en attendant que l’étoile se couche ; comme ça, on ne cramera pas.
⎯ Peut-être as-tu raison, je suis arrivée au bout de mes forces et de mes
possibilités.
Les deux amies portent Timi jusqu’à l’abri fabriqué de rien et s’allongent en
dessous avec elle. La journée ne semble pas trouver de fin, mais à un mo-
ment l’étoile se met à décroître très rapidement et disparaît à l’horizon.
Après avoir veillé sur leur amie, les deux femmes sortent de leur abri de
feuilles et regardent le ciel nocturne qui s’étend devant elles.

241
Depuis le Puits de l’Oubli, Aqualuce aurait pu croire avoir été transportée
dans une partie cachée de l’astre, mais ce n’est pas le cas ; c’est réellement
à l’autre bout de l’univers qu’elles ont toutes été transportées. Faisant avec
Jenifer un relevé substantiel des étoiles, elle comprend très vite qu’elle se
trouve dans le Bras du Centaure. Étudiant avec attention les astres qu’elles
peuvent connaître, elle voit qu’elles se trouvent autour de l’étoile que les
Lunisses appellent plus communément Vidélia. Elles se regardent toutes les
deux en constatant les faits :
⎯ Mais Aqualuce, c’est à des milliers d’années-lumière d’Unis, il nous
faudra un puissant vaisseau pour y retourner !
⎯ C’est indiscutable, mais si nous avons été placées là, c’est que nous
avons quelque chose à y faire.
⎯ Mais ça veut dire quoi ?
⎯ Imagine que dans l’univers, chaque galaxie et chaque astre aient sa
spécificité et que pour que nous pussions progresser, nous ayons pour tâche
d’aller sur ces lieux. Imagine que nous ne puissions pas trouver ailleurs ce
que nous cherchons. Nous sommes guidées vers nos épreuves sans tenir
compte des distances. En nous, tu sais que vit un monde sans distance ni
temps. Nous déplacer vers notre devoir ou notre épreuve n’est peut-être pas
un problème pour cette force. Il est évident qu’Unis semble avoir des pou-
voirs très surprenants.
⎯ Comment imagines-tu que nous puissions rentrer chez nous ?
⎯ Je n’imagine rien, vivons l’instant et prenons ce qui viendra. Pour le
moment, allons nous coucher, peut-être que demain matin Timi ira mieux.
⎯ Tu as raison, allons nous recoucher.
Pendant le sommeil d’Aqualuce et de Jenifer, Timi se réveille. Elle aimerait
réveiller ses amies, mais elles paraissent profondément endormies, et mal-
gré ses efforts, rien n’y fait. Comme elle n’a aucun souvenir de ce qui lui
est arrivé, elle s’étonne de les voir ainsi et commence à s’inquiéter pour
elles. Se levant, elle voit vite qu’elle est dans le désert, la lune de cette pla-
nète vient de se lever et éclaire avec force le sol. Le satellite de cette planète
paraît bien plus gros que la Lune de la Terre et sa lumière est plus forte.
Timi n’a pas envie de rester là, elle se sent attirée par la voie que la lumière
semble tracer devant elle. Un chemin que ses amies n’avaient pas vu dans la
journée suit un sillon d’argile. C’est plus fort qu’elle, il faut y aller. C’est
alors qu’elle laisse l’abri et ses amies, commençant une marche qui peut-
être sera longue. Elle ne sait pas combien de temps il lui faudra pour arriver
au bout de ce chemin, mais elle sent que quelque chose l’attend. Durant sa
grande marche, elle ressent en elle une paix intérieure qu’elle n’avait jamais
imaginée jusqu’à présent :
« Que s’est-il passé durant mon sommeil ? J’ai l’impression de ne plus être
moi-même, la Terre semble bien loin de mon esprit. Je ne ressens ni la peur,

242
ni l’angoisse de la vie. Il s’est passé quelque chose d’étrange. »
Passant la main sur son crâne, elle se dit :
« Étrange, j’ai l’impression d’avoir reçu un coup, je sens comme une cica-
trice sur ma tête. Pas grave, lorsque je retrouverai Aqualuce, je lui deman-
derai. »
Marchant, elle voit le terrain changer derrière elle, ses amies sont bien
loin, le chemin n’est plus fait d’argile mais de cailloux pointus. Timi sent
ses pieds se transpercer, elle a perdu ses chaussures en entrant dans le Puits
de l’Oubli et les silex au sol lui lacèrent ses membres, pourtant elle veut
poursuivre sa route. Bientôt, devant elle, de la lumière semble sortir au mi-
lieu d’une colline qu’elle aperçoit au loin :
« Plus de doute, se dit-elle, je suis bientôt arrivée ».
En effet, après une demi-heure de marche, elle arrive au pied de la colline,
apercevant plus haut la grotte illuminée. Elle est rassurée, pensant y trouver
les amis qu’elle avait laissés en pénétrant dans le Puits de l’Oubli. Pressée
de savoir ce qu’il y a là-bas, elle accélère le pas et enfin, proche de l’entrée,
elle se félicite d’être arrivée. Devant elle, une large porte noyée dans un
flux de lumière ; rien ne la retient d’entrer. Dès lors, elle se sent heureuse
d’être là, étant arrivée sans l’aide de ses amies qu’elle n’avait fait que suivre
depuis qu’elle avait quitté la Terre. Mais la surprise est grande lorsqu’elle
voit devant elle un être habillé d’une cape et d’une cagoule noire. Elle se
met à avoir des craintes, prête à faire demi-tour. Hélas, derrière elle, la porte
se referme et elle se retrouve prise au piège. Très vite, plusieurs hommes se
jettent sur elle et l’être à la cagoule leur dit :
⎯ Attachez-la bien et placez-la devant l’entrée de la grotte, je veux
qu’elle puisse attirer les autres.
C’est à ce moment que Timi comprend qu’elle est tombée dans un piège.
Bien ligotée, elle se retrouve collée à une poutre de métal gelé. C’est le
moment que choisit l’homme en noir pour se rapprocher d’elle et ôter son
masque. Timi est surprise de découvrir derrière le voile le visage d’une
jeune femme aux traits fins et aux yeux magnifiques. Elle ne peut croire
qu’elle puisse être aussi mauvaise avec un tel visage. Cette jolie femme lui
dit alors :
⎯ Je sens que tu n’es pas Lunisse, la peau de ton corps me le confirme,
il n’y a pas d’être à la peau sombre chez nous. D’où viens-tu ?
Timi ne la craint pas et lui répond :
⎯ Je suis terrienne, je ne fais pas partie de ton histoire.
⎯ Terrienne, comme c’est intéressant. Je crois que je ne suis pas loin ce
que je recherche. Ne connaîtrais-tu pas une femme du nom d’Aqualuce ?
Timi comprend vite qu’elles sont toutes tombées dans un piège. Jenifer et
Aqualuce ne l’ont pas encore rejointe, mais dès qu’elles seront ici, s’en se-
rait fini.

243
⎯ Ne m’en dis pas plus, je lis dans tes pensées, tu en as presque trop
fait déjà. J’ai juste encore besoin de toi. Dis-moi, comment t’appelles-tu ?
⎯ Mon nom t’importe peu, tu m’as déjà en otage, cela te suffit.
⎯ Tu n’es pas mon otage, mais juste un appât. C’est dans ce sens que tu
me seras utile.
Entendant cela, Timi frémit, elle sait que cette femme a monté ce piège
depuis un long moment et elle lui demande :
⎯ Tu nous suis depuis longtemps pour avoir prévu tout cela ! Qui es-tu,
qui t’envoie ?
⎯ Ah ! Tu t’intéresses à moi, je suis flattée. Je m’appelle Mexian, je
suis un des bras de Maldeï et je suis à la recherche d’Aqualuce pour la dé-
truire et ramener sa tête à ma maîtresse. Il y a bien longtemps que je la re-
cherche et je l’avais repérée depuis un bon moment. J’ai de grands pouvoirs
lunisses qui me sont très utiles dans mon travail et c’est pour cela que Mal-
deï ma choisie. Je suivais le vaisseau depuis la Terre avec lequel vous reve-
niez et j’attendais l’occasion pour coincer Aqualuce. Sur Unis, vous étiez
trop nombreux, et là-bas, je ne pouvais m’approcher de cet astre, une force
étrange me l’interdisait. Heureusement, vous avez quitté cette planète
étrange et mon don de divination m’a aidé à vous repérer autour de Vidélia.
Il ne m’a fallu que quelques jours pour vous y retrouver, cachées dans votre
grotte. J’ai organisé la tempête qui vous en a délogées. Je connais Aqua-
luce, elle est pourvue de tous les dons du monde et je devais trouver un
moyen de l’attirer vers ce piège, c’est pour cela que je t’ai attirée jusqu’ici.
J’ai la chance que tu ne sois pas Lunisse, tu ne possèdes aucun pouvoir. Si
tu m’aides bien, je te laisserai la vie sauve. Aide-moi à faire venir Aqualuce
et sa compagne jusqu’ici et je te promets que tu ne mourras pas, collabore
avec moi, tu en trouveras beaucoup d’avantages.
⎯ Foi de Timi, je ne ferai rien pour toi, je préfère mourir.
⎯ De toute façon, Timi, je ne te demande qu’une chose, c’est de souf-
frir pour elles.
C’est alors qu’elle sort une lame de feu lumineuse et l’approche de Timi.
Elle lui arrache sa tunique rouge et lui lacère le ventre et la poitrine de fa-
çon profonde. La pauvre Timi, même sans la peur, ne peut s’empêcher de
hurler. La douleur est si forte qu’à des kilomètres, tous peuvent l’entendre.
Mexian semble prendre du plaisir à la faire souffrir.

En pleine nuit, Jenifer est subitement réveillée par des cris lointains. Sur le
coup, elle ne s’en préoccupe pas, mais ceux-là sont si insistants qu’elle finit
par se redresser et s’aperçoit que Timi a disparu. Elle veut réveiller Aqua-
luce qui semble prise dans un sommeil léthargique, mais rien n’y fait pour
la réanimer. Persuadée qu’il s’agit de Timi, sans perdre de temps, laissant
son amie et elle part à sa recherche. Il lui faut un moment pour arriver au

244
pied d’une colline d’où elle entend une plainte régulière, qu’elle reconnaît
être Timi. Pas de doute, elle est coincée là-haut. Elle se précipite et arrive
vite à l’entrée de la grotte où elle voit son amie ensanglantée, attachée à un
grand pilier. À cet instant elle comprend qu’elles ne sont pas seules. Mais
c’est trop tard, car la porte de la caverne se referme et quatre hommes se
jettent sur elle pour la capturer. Restée en retrait, Mexian apparaît et fait
signe aux hommes de l’attacher sur un autre pilier. S’approchant d’elle et la
regardant, elle lui dit :
⎯ Toi aussi, tu aimes souffrir ? De toute façon c’est sans importance, tu
es lunisse, tu ne survivras pas !
Jenifer la regarde avec des yeux qui lui disent :
« La souffrance, ce n’est pas la douleur que mon corps doit supporter, ni le
fait que je perde mon sang ou que mes amis souffrent aussi, c’est de te voir
sous l’emprise du mal alors que tu n’en es même pas consciente. C’est de
savoir que tu ignores la Vie et la Vérité. C’est cela ma souffrance. »
⎯ Tu ne me réponds même pas, tu as perdu ta langue. Ce n’est pas
grave, tu vas la retrouver dans quelques instants.
Au moment où Timi perd connaissance d’avoir été blessée et mutilée,
Mexian fait signe à ses hommes de commencer les mutilations et les tortu-
res sur Jenifer. L’un d’eux lui tranche les oreilles tandis qu’un autre lui
coupe les orteils avec une pince. La pauvre se met à hurler si fort qu’elle en
fait vibrer tous les murs…

Ces cris de souffrance arrivent jusqu’aux oreilles d’Aqualuce et la sortent


instantanément de sa léthargie. Ne trouvant personne autour dans l’abri, elle
comprend qu’il se passe quelque chose de terrible. Ses amies disparues, elle
se doute vite que quelqu’un est venu leur tendre un piège. Elle n’est pas
bête et comprend aussi qu’il lui est impossible de faire demi-tour. S’il y a
une chance de sauver Jenifer et Timi, c’est en rejoignant ceux qui les ont
certainement enlevées. Elle suit les mêmes traces qui ont attiré ses deux
amies sans se faire d’illusions. Tout au long de sa route, elle ressent en elle
le poids de toute sa conscience et du chemin parcouru depuis qu’elle est
partie avec Jacques. Sa tête est lourde de toutes les aventures, et en même
temps son ventre rempli de ses deux enfants la pèse encore plus. Les kilos
pris ces derniers jours sont de plus en plus encombrants, elle aurait aimé
avoir déjà accouché. Elle a un mauvais pressentiment de l’endroit où elle se
rend. Les cris qu’elle entend sont ceux de Jenifer et cela la désole au plus
profond de son être, mais elle n’a plus le choix, elle n’a plus aucun pouvoir,
elle est devenue ordinaire. Elle ne possède même pas un pistolet éthérique,
ni même un simple couteau pour se défendre. Enfin, elle arrive au pied de la
colline, c’est maintenant le matin et elle voit une puissante lumière ressortir
d’une cavité qui pourrait bien être une grotte. Y montant, elle arrive jus-

245
qu’aux deux colonnes où sont attachées ses amies. Jenifer a perdu connais-
sance, alors que Timi s’est redressée et que ses blessures se sont déjà refer-
mées ; certainement grâce à l’Herbe de Vie. Regardant ses deux amies, elle
leur dit :
⎯ On les aura tous, ne vous en faites pas !
⎯ T’as raison Aqualuce !
Mais l’immonde Mexian saute devant elle et lui dit, en brandissant une
arme :
⎯ C’est fini pour toi, dans quelques jours Maldeï se réjouira devant ton
cadavre. Regarde ce que je vais faire de la Lunisse qui t’a accompagnée et
attirée jusqu’ici.
Aqualuce n’a pas le temps de comprendre ce qu’elle veut dire car l’action
est trop rapide :
Mexian attrape une machette laser et tranche la tête de Jenifer qui roule
aussitôt sur le sol. Son sang gicle si fort qu’il retombe sur son visage. Timi
est totalement saisie, Aqualuce ne sent plus son cœur et ses jambes. Mais
elle a l’instinct de mettre une de ses mains dans une poche. Trouvant une
sphère métallique qu’elle avait oubliée, elle la glisse dans une des mains de
Timi et lui fait un signe discret. Mexian n’a rien vu, mais demande à ses
hommes d’attraper Aqualuce rapidement. Aqualuce se laisse faire, son des-
tin ne lui appartient désormais plus, d’autres forces se sont octroyées ce
droit. Elle ferme les yeux un instant, sentant les soldats l’attraper et la ma-
nipuler. Ils la jettent sur un plateau qui pourrait être une table chirurgicale,
mais dans quel but ? Le coup est dur, elle retombe sur le ventre et cela lui
provoque immédiatement des contractions. Mexian la fait attacher, les bras
le long du corps, la tête pendant dans le vide. L’attrapant par les cheveux,
elle l’oblige à redresser son cou pour la regarder dans les yeux :
⎯ Je ne sais pas à quoi tu penses Aqualuce, mais moi, je sais que je vais
être glorifiée par ma maîtresse. Je t’ai suivie depuis un long moment, enfin,
tu es tombée dans le piège que je t’ai tendu. Tu n’es pas si invulnérable que
ça. Aurais-tu perdu tous tes pouvoirs ?
Tu n’es plus la grande Aqualuce, même Jacques est dans les mains de Mal-
deï. Tu vois, tout peut changer et on se retrouve tout en bas alors que l’on
était au sommet !
Avant que je te tranche la tête, as-tu un dernier mot à dire ?
⎯ Tu ne tiens pas mon destin dans tes mains, même si tu as l’arme qui
me coupera la tête.
Aqualuce se tait et ferme aussitôt les yeux pour ne pas voir l’arme et la
main qui va la décapiter. Elle pense une dernière fois à ses enfants et son
époux. Elle comprend que dans son état, elle n’était pas prête à se retrouver
face à Maldeï. Sa tête est toujours prise par d’innombrables pensées dont
elle n’a jamais pu se défaire depuis qu’elle a commencé ce combat contre

246
les forces du mal. Aqualuce se sent indigne de porter le flambeau de
l’espérance. Un autre devra prendre sa place. Des larmes lui coulent, mais
elle n’a pas le temps de sentir le faisceau lui trancher net le cou.

Sa tête roule sur le sol, le sang jaillit sur Mexian et ses hommes. Le corps
d’Aqualuce semble vivre encore car il se met à trembler de partout, comme
si la souffrance continuait à faire effet. Les hommes de Mexian sont terri-
fiés, mais les spasmes s’arrêtent en moins d’une minute, puis le cadavre se
détend totalement. Réjouie, Mexian attrape la tête d’Aqualuce et la brandit
devant tous :
⎯ Je l’ai tuée, elle est bien morte, plus personne ne pourra la refaire vi-
vre !
Timi regarde cette femme sans broncher, sans même faire couler une larme
sur ses joues. Une force étrange l’envahit. Dans sa tête, elle ressent qu’elle
n’est pas seule, les pensées d’Aqualuce et de Jenifer semblent avoir trouvé
une place en elle. Comme si en mourant, elles lui avaient fait don de leur
passé. Cela dit, ce n’est pas leur conscience qui s’est installée en elle, mais
seulement des souvenirs, comme si elles voulaient que Timi puisse profiter
de leurs connaissances. Mais elle se demande ce qu’elle pourrait en faire
maintenant. Elle serre encore fort dans sa main la boule qu’Aqualuce lui a
confiée avant de mourir et se dit qu’elle a peut-être une importance. Peut-
être devra-t-elle la donner à sa famille si un jour elle en réchappe. C’est
alors qu’elle entend Mexian dire à ses hommes :
⎯ Brûlez son corps immédiatement, avant que sa tête ne le rejoigne et
qu’elle ne se remette à vivre.
Elle comprend que cette femme continue à craindre Aqualuce, même morte.
Aussitôt, elle voit les soldats prendre un gros tube noir et désintégrer d’un
coup le corps d’Aqualuce, qui portait en elle deux futurs enfants. Il ne reste
même pas de cendres, elle s’est volatilisée instantanément. Mexian prend
alors sa tête et la met dans un bocal qui semble contenir de l’alcool, ou
peut-être du formol. Sa peau qui était toujours pleine de couleur devient
instantanément blanche, et ses cheveux virent au gris. Juste après, elle en
fait autant avec la tête de Jenifer. Enfin, elle se retourne vers Timi et lui dit :
⎯ Tu as de la chance, je ne t’ai pas tuée afin que tu sois témoin de ce
qui vient de se passer. Je te remettrai en liberté afin que tous les hommes de
la Terre, tous les rebelles sachent comment a fini Aqualuce. Tu ne me fais
pas peur, tu n’as aucun pouvoir, en liberté, tu me seras bien plus utile, tu
colporteras ma réputation.
Se retournant vers ses hommes elle leur dit :
⎯ Enfermez cette femme dans une cabine de mon vaisseau, nous la ra-
mèneront jusqu’à Elvy, nous décollerons dans peu de temps.
Deux gardes la prennent et l’emmènent jusqu’à l’endroit où est caché leur

247
appareil. Pour ne pas être découvert, Mexian l’a posé sur la colline entre
trois énormes rochers qui le masquent totalement à la vue. Il faut
s’introduire sous les roches pour le découvrir, ou alors voler par-dessus.
Timi observe tout en détail, quelque chose en elle lui dit que cela pourrait
lui être utile. Lorsqu’elle arrive dans l’engin, elle voit qu’il n’était pas gar-
dé, personne à l’intérieur. Par contre, cet appareil lui apparaît très bien ar-
mé, il y a une quantité d’armes incroyable. Il est certain que Mexian ne dé-
sirait pas se laisser surpasser par Aqualuce ; elle avait tout prévu. Des camé-
ras sont encore installées tout autour de la colline et de son vaisseau, et de-
puis les moniteurs, Mexian pouvait tout observer. Timi comprend mieux le
macabre plan qu’elle avait mis en place.
Sans perdre de temps, un des hommes la pousse dans une pièce et
l’enferme. Secouée, Timi se retrouve face à elle-même, loin de sa planète et
séparée jamais de ses amies. Il ne lui reste que des souvenirs ; sa vie, un
passé encore plus étrange. Enfermée dans sa cabine, elle revoit alors tous
les événements et se met à réagir avec la plus grande douleur. Les têtes
n’arrêtent pas de tomber autour d’elle, ces images tournent en continu dans
son esprit. Vivre avec cela est le plus grand fardeau du monde. Et ces mots
qui sonnent comme la fin d’une très grande aventure :

Aqualuce est Morte…

248
PAGE DE DEUIL

En tant que narrateur, j'ai le regret de vous dire que cette histoire vraie ne
peut continuer sans le héros central. Cette mort n’était pas prévue, la terrible
Mexian, élément dévoué de Maldeï, a utilisé de macabres ruses afin de faire
tomber notre héroïne.

Je vous demande, ce jour du 13 février 2009, de bien vouloir porter le deuil


avec moi. Une page de recueillement est indispensable…

249
AQUALUCE EST MORTE

Le serpent tente de pénétrer l’esprit de Jacques comme il


l’avait fait la première fois que celui-ci avait été pris dans les bras de Mal-
deï.
Non pas pour voir à travers lui, mais pour prendre sa conscience et
l’emmener dans des sphères plus secrètes lui montrant les avantages d’être
sous la domination de la Couronne. Hélas, le magique animal trouve devant
lui une barrière infranchissable car dans l’esprit de Jacques se dresse un être
nouveau et son nom pourrait être celui de Néni. Après plusieurs tentatives,
la Couronne de Serpent se retire de l’esprit de sa victime. Maldeï se re-
dresse et le serpent finit de se replacer sur son crâne. Elle rage de ne pas
avoir eu l’occasion d’entraîner définitivement Jacques vers elle. S’il avait
eu une idée de ce qu’elle peut voir avec la couronne, il est possible que lui-
même l’ait dérobée et gardée. Elle l’aurait fait afin d’être certaine de le
conserver auprès d’elle toute la vie, quitte à en devenir l’esclave. Quelque
chose au fond d’elle le réclame comme l’être indispensable, peut-être même
en est-elle amoureuse. De tels sentiments sont étranges pour qui porte la
couronne, en elle une autre vie serait-elle présente ?
Tout cela trouble Maldeï qui se veut un être imperturbable, insensible aux
sentiments des autres et surtout, imperméable à l’amour. Elle repense aux
paroles que Jacques lui disait juste avant de plonger dans le sommeil. Elle
pense à ce nom "Marsinus Andévy". Et en elle un grand trouble naît, qu’elle
ne peut supporter plus longtemps. Il n’est pas bon de rester sur ces pensées,
elle doit être active et retrouver sa place parmi son peuple, de toute façon,
elle se trouve devant une situation dramatique. L’île est sous les eaux, la
fonte des glaces polaires a irrémédiablement changé toute la géographie de
sa planète. Des hommes et des femmes sont morts noyés aujourd’hui à
cause de son obstination et les hommes qui l’ont jusqu’à présent accompa-
gné dans son œuvre sont encore plus stupides qu’elle.
Elle regarde Jacques, inconscient, allongé sur le lit, et sent son enfant bou-
ger dans son ventre en lui donnant des coups de mécontentements. Elle
pense alors à toute la population perdue dans la ville et sur l’île entière et
comprend qu’il faut vite agir ; si son peuple disparaissait, que dominerait-
elle ? Il est indispensable de préserver ceux qui restent. Quittant sa chambre
elle laisse son homme dans le lit et elle rejoint son commandement afin
d’organiser les secours. Dans son palais se trouve le quartier général où elle
réunit parfois les généraux de son armée, aussi, rapidement, elle fait ras-
sembler son équipe pour donner les instructions nécessaires.

Maldeï, en dehors de gouverner de façon autoritaire et abusive, peut parfois

250
montrer des qualités surprenantes et c’est ce qu’elle fait maintenant :
⎯ Général Lavisnas, faites décoller la flotte se trouvant à Afronikq. Le
plus grand vaisseau possède des rayons répulsifs et je veux que vous le pla-
ciez au-dessus de Sandépra. À l’aide du rayon, vous repousserez l’eau qui a
envahi l’île. Faites vite, la population souffre.
L’homme ne perd pas de temps et se précipite afin de mettre ses ordres à
exécution ; un autre, un ingénieur qu’elle regarde avec insistance, lui de-
mande en tremblant :
⎯ Maîtresse, vous m’avez fait venir, que voulez-vous que je fasse ?
⎯ Toi qui as bâti mon palais, je veux que tu construises une digue ca-
pable de résister aux raz-de-marée les plus forts. Bâtis en une plus haute que
mon palais, au large des plages afin que nous ayons encore la mer à nos
pieds. Je te donne dix jours pour la réaliser.
⎯ Maîtresse, dans neuf jours, elle sera opérationnelle.
Le brave court immédiatement à sa tâche. Maldeï regardant une femme
vêtue comme un homme, les cheveux courts et s’adresse à elle :
⎯ Gadwin, prends avec toi trois ou quatre waterspeeds pour sillonner
les mers afin de trouver des survivants. Les îles de Gadmin et Sadepem sont
les plus basses, il est encore temps d’en trouver. Fais au plus vite.
La fille téméraire ne répond même pas afin de ne pas perdre une seconde.
Elle saute aussitôt par la fenêtre et retombe sur ses rangers. Retrouvant ses
quatre équipiers, elle leur fait signe de la suivre. Il est facile de comprendre
qu’ils sont déjà dans les vaisseaux marins, à la recherche des survivants.
Maldeï allume tous les écrans de contrôle afin de voir l’avancement des
opérations. Seule dans son QG, elle réfléchit à l’action qu’elle vient de me-
ner et ne comprend pas ce qu’elle vient de réaliser. Sans s’en apercevoir,
elle vient de se faire manipuler par une force ne venant pas de la Couronne.

Pendant que Maldeï agit, Jacques, allongé sur le lit, dort profondément. Le
mystère de la couronne que Jacques a pénétrée l’a emmené vers un rêve
vraiment incroyable :
Il n’est plus avec cette usurpatrice, mais avec la vraie Marsinus Andévy.
Elle porte encore la couronne, mais elle s’est transformée et a tué le mal en
elle. Elle s’occupe à remettre tout en ordre et faire uniquement le bien au-
tour d’elle sous les conseils de Jacques. Dans son rêve, Jacques est très in-
fluent, Andévy l’écoute avec attention, Maldeï semble définitivement
morte. Tous les habitants sont libérés, l’armée est dissoute et les armes dé-
truites. Heureux d’arrêter les préparatifs d’invasion vers la Terre, tous les
hommes se réunissent pour aller vers la planète promise, en bienfaiteurs et
en êtres de paix, avec Andévy est à leur tête. Jacques la prend par la main
pour la conduire jusqu’au vaisseau qui guidera toute l’armada vers la Terre.
Ce rêve se prolonge jusqu’à ce qu’il pense à Aqualuce, et c’est à cet instant

251
que tout s’arrête.

Maldeï s’arrête aussi net dans son QG et se précipite vers Jacques afin de
voir ce qu’il fait. Lorsqu’elle arrive, il se réveille. Chacun est saisi ; l’un
devant l’autre ils comprennent qu’une liaison s’était installée entre eux
deux. Jacques imaginait Maldeï redevenue Andévy et celle-ci agissait
comme dans le rêve. C’est pour cela qu’elle était instantanément devenue
compréhensive et bonne pour son peuple. Jacques n’aurait pas rêvé, les
vaisseaux et les ingénieurs seraient-ils en train d’agir pour le peuple d’Elvy
?
Hélas, dans l’instant où ils se retrouvent tous deux, Maldeï entend en elle la
voix de Mexian, sa femme esclave, partie à la recherche d’Aqualuce. Ces
mots sont pour elle l’aboutissement d’une recherche lancée dans l’espace et
elle dit à Jacques :
⎯ Aqualuce est morte. Sa tête repose dans un bocal et son corps a été
détruit avec les deux enfants qu’elle portait. Le vaisseau va revenir avec ce
qu’il reste d’elle.
Entendant cela, Jacques pense d’abord qu’elle délire. Mais bientôt des ima-
ges retransmises par le projecteur tridimensionnel de la chambre montrent
la décapitation de son épouse et la destruction de son corps. La tête pâle et
sans vie d’Aqualuce flotte dans un liquide et il la reconnaît bien. Il se met à
pleurer, sachant que Maldeï est la responsable de cette mort cruelle et terri-
ble. Tous ses espoirs s’effondrent instantanément ; il n’a même pas la force
de lui en vouloir.
Voyant sa terrible erreur, Maldeï comprend qu’elle ne pourra plus jamais le
faire venir à elle. Alors, elle rejoint son poste de commandement et regarde
ce qui se passe. Autour de Sandépra, la mer a reculé sur des kilomètres, les
eaux ont quitté l’île. Les ingénieurs commencent à monter l’immense digue
de sable et de galets fondus. Plus loin, Gadwin a commencé à sauver de la
noyade des hommes et des femmes. Tout son plan de sauvetage se déroule
comme prévu. Ou du moins, comme Jacques l’avait rêvé…

252
LES PORTES DE LA VIE
Sa tête tombe à peine sur le sol qu’Aqualuce se voit s’en
détacher instantanément. Elle flotte dans l’air, sa conscience n’est plus rat-
tachée à son corps. Lorsqu’elle avait des pouvoirs lunisses, cela lui était
déjà arrivé, mais les circonstances n’étaient pas les mêmes et elle voit horri-
fiée son corps rendre ses derniers spasmes. Elle comprend qu’elle est morte.
Plus rien ne pourra la refaire vivre, sa grande histoire est bien terminée et
elle pense immédiatement aux enfants qu’elle laisse derrière elle. Enceinte,
il y a encore quelques secondes, elle souffre pour les deux êtres qui ne ver-
ront jamais le jour. Totalement désincarnée, elle tourne autour de tous ceux
qui sont dans la caverne et les traverse comme un fantôme. Elle aurait aimé
avoir le don et la force de rattacher sa tête à son corps, un peu comme par
magie, mais lorsqu’elle voit Mexian faire désintégrer son corps, cela lui
confirme qu’elle restera à jamais dans les domaines de la mort. Au bout de
quelques instants, elle retrouve son calme car dans la mort, les sentiments et
les impressions changent et l’esprit se transforme. Le monde matériel
n’existe plus, le temps et l’espace non plus. Elle finit par s’apaiser et com-
prendre l’inutilité de vouloir se rattacher au monde qu’elle vient de quitter.
Si elle s’y accrochait, elle devrait utiliser des ruses et prendre la force des
vivants pour survivre dans cet espace intermédiaire. Elle sait que les hom-
mes les plus matérialistes et égocentriques le font et qu’ils ont créé une
sphère infernale qui pollue et emprisonne les hommes. Voyant son amie
Timi partir vers un autre endroit, elle décide de ne pas la suivre et dès ce
moment, Aqualuce ressent son esprit se vider de toute sa mémoire, comme
si quelque chose était en train de l’aspirer. Après un temps sans début ni fin,
elle ne sent en elle que l’impression d’exister, sans passé ni avenir. Son âme
est vide, mais son esprit éprouve toutes les sensations de la vie. À côté
d’elle, une autre âme est dans la même situation, comme si cette personne
venait aussi de mourir. Aqualuce n’est plus en mesure de comprendre que
c’est son amie, Jenifer, qui vient d’être tuée avec elle. Elle voudrait entrer
en contact avec elle, mais un mur invisible l’en empêche et c’est là qu’elle
se sent attirée par une lumière très puissante paraissant descendre du ciel.
Son esprit traverse des strates colorées comme des arcs-en-ciel, comme si
on la guidait vers un nouveau monde.
Plus haut, elle entend des chants qui semblent vouloir l’attirer, mais elle
n’en a pas envie. Des formes se dessinent devant, représentant des hommes
en capes d’or. Un homme aux cheveux châtains et à la barbe blonde se pré-
sente à elle. Regardant ses mains, elle constate qu’il a les mêmes stigmates
que le Jésus Christ de la Terre. Celui-ci se rapproche, pour la prendre dans
ses bras. Aqualuce, sait que cet homme, n’est pas réel, c’est un leurre, le
Christ n’a jamais été un homme, c’est une force, pas un être humain et elle

253
s’enfuit aussi vite qu’elle le peut. Son âme s’envole pour arriver dans un
autre lieu. Cette fois, il n’y a plus de Jésus mais des hommes comme Jac-
ques et des femmes comme elle. Un être ressemblant fortement à un de ses
anciens amis, Starker, décédé depuis des années, vient vers elle et lui dit :
⎯ Aqualuce, enfin, tu nous rejoins. Vois-tu, la mort n’est qu’un pas-
sage, là où nous sommes, nous avons plus de pouvoir qu’autrefois. Rejoins-
nous, tu verras que d’ici, nous pouvons contrôler les hommes et les influen-
cer dans leur vie et leurs décisions. Viens avec nous, tu n’auras plus jamais
de problèmes et tu ne te poseras plus jamais de questions.
Surprise, Aqualuce recule et s’enfuit. D’autres hommes et d’autres femmes
semblant avoir conservé leur corps d’autrefois la poursuivent, mais elle ne
veut pas être rattrapée. Au bout d’un moment, tous ses poursuivants ne
semblent plus la suivre et enfin elle se retrouve seule. Si seule qu’elle est
maintenant dans le noir, le vide et l’absence de vie totale, si seule, que bien-
tôt elle subit le froid absolu et la mort qui lui donnent une sensation de dé-
périssement total. Elle se replie dans sa conscience jusqu’à ne ressentir en
elle que les fourmillements électriques des dernières pensées qu’il lui reste.
C’est alors que son âme descend de plus en plus bas, vers le vide de la mort
et le calme de la vie. Comme si elle s’endormait pour toujours, elle perd
conscience totalement. L’étoile de son âme, guidée par la profondeur sa
conscience, se déplace vers un noyau ressemblant au cœur de la Terre.

Un instant de vide s’installe, quelques moments d’éternité…

Une porte dans le feu de son esprit s’ouvre, mais il n’y a plus d’image. Là
où son esprit se trouve, il y a ni formes, ni paroles, ni êtres, ni temps et ni
distance. Noyer dans une conscience totale, Aqualuce n’est plus qu’un des
éléments d’un tout. Elle cherche des repères, mais elle n’en trouve pas.
Alors elle se dit qu’elle aurait peut-être dû accepter les offres des groupes
des autres mondes qu’elle vient de traverser. Si elle avait encore un cœur, il
battrait rapidement. Hélas pour elle, cet organe n’existe plus. Cette âme
vide de toute personnalité se pose alors une question :
« Et si mon cœur n’était pas celui qui battait dans ma poitrine, mais
l’organe qui brillait en moi lorsque j’étais vivante ? »

254
C’est alors qu’elle ressent en son âme des battements qui sont comme le
rythme d’un organe vibrant à la lumière, comme un cœur faisant circuler le
sang dans un autre corps. C’est à cela qu’elle entend donner sa confiance,
pas à tous les êtres fantomatiques qu’elle a rencontrés, et là, en elle une
porte s’ouvre vers une dimension jamais imaginée chez les hommes. Bascu-
lant vers un autre domaine de vie, elle quitte le monde des morts…

⎯ Fille d’Iahvé, sois la bienvenue dans ce monde. Pour toi, franchir


cette porte est une grâce infinie, et pour nous, un honneur sans pareil. Nous
t’attendions depuis quelques éternités, ton père nous avait informés que tu
pénétrerais le domaine immuable de la Vie. Cela est fait, hélas, cela veut
dire que tu es morte pour l’espace-temps.
Aqualuce ne voit personne et elle n’entend aucune voix, mais ce qui arrive à
sa conscience sont des impressions se transformant en des paroles intérieu-
res. N’étant plus dans l’ancien domaine matériel, ni dans les sphères inter-
médiaires de l’au-delà, plus rien ne peut être comme ce qu’elle connaissait.
Heureusement, le seul jour où elle croisa son père, il l’emmena un petit
moment dans le monde de l’éternité, avec Jacques et Noèse. Seulement,
cette fois, ce n’est pas pour une visite, mais pour s’y installer. Sa voix inté-
rieure continue à lui parler :
⎯ Contrairement au monde que tu viens de quitter, celui-ci n’est pas
basé sur l’individualisme. Ici, tout est tous, ta place sera dans celle des au-
tres et en même temps, les autres seront en toi. En toi, il ne reste plus de
trace de ton ancienne vie. Tu es là parce que tu as tué en ton âme la graine
du mal, l’être qui s’était dévoué à sa cause unique et individuelle. Ton être
nous a prouvé que tu n’agissais que pour l’intérêt du groupe, celui de
l’humanité, afin de la ramener dans notre lumière. En ton être resteront gra-
vés à jamais ton sacrifice et la lumière qu’il t’apporte. C’est d’elle que tu
vis uniquement et celle-ci forme en toi la finalité de la vie de tous les hu-
mains. Sois rassurée, ici, il n’y a plus de souffrance, la mort est vaincue, tu
ne connaîtras jamais le chagrin parce que tout ce que tu feras pour les autres
sera toujours juste.
Ton corps n’est plus limité à celui d’un être de quelques dizaines de kilos,
mais en dehors de l’espace et du temps, tu deviens omniprésente. Tu existes
à tout moment par les actions que tu donnes à tous ceux de la communauté.
L’inverse est aussi valable pour les autres vers toi. L’unité est le véritable
acte de vie, sans cela, il n’y a que la mort. Aqualuce, soit rassurée, tous
ceux que tu laisses dans le monde d’ici-bas ne souffriront pas, ils appren-
dront grâce à toi comment faire pour te rejoindre. Cela les aidera encore
mieux que lorsque tu étais parmi eux. Tes enfants et tes proches ne te pleu-
reront pas parce que tu n’es pas restée dans les sphères intermédiaires. Le
chagrin ne s’installe chez les vivants que lorsque leurs proches les quittent

255
pour rester dans les zones de l’au-delà. C’est pour cela qu’il y a beaucoup
de chagrin sur la Terre. Mais pour toi, la victoire a déjà pénétré le cœur de
tes enfants, ils n’auront aucune larme, mais beaucoup de joie au contraire.

Si Aqualuce avait des yeux, elle pleurerait, si elle avait le souvenir de ses
enfants, elle aurait peut-être des regrets. Mais comme tous les esprits de
cette nature, elle a laissé derrière elle son passé, ses ennemis, comme ses
amis. Ils restent cependant au fond de son cœur, sous une autre forme et elle
demeurera avec eux de la façon la plus impersonnelle qui soit. Lorsque la
voix intérieure se tait, il reste en Aqualuce un bon nombre de questions :
« Suis-je auprès de mon créateur ? »
⎯ Tu as toujours été auprès de lui depuis que tu es née, mais en même
temps tu en es encore loin. L’homme est un dieu et en même temps il
l’ignore. Ce qui fait de lui un dieu a été corrompu depuis des éons. Comme
il demeure un dieu, il en a encore les pouvoirs au fond de lui. Mais
l’homme Dieu n’est plus, et même ici, il ne l’est pas dans sa totalité. Pour
retrouver l’homme Dieu, tous devront avoir parcouru ton chemin. Ici, nous
sommes le corps de guérison des hommes, le futur Homme lorsqu’il sera
complet. C’est pour cela que nous demeurons toujours fragiles. L’homme
matériel veut notre perte, il ne connaît que l’égocentrisme, il ignore son
unité avec le reste de l’humanité. Tous ceux qui sont restés dans la matière
trouvent celle-ci si séduisante qu’ils n’imaginent pas qu’autre chose puisse
exister.
« Pourquoi ici je n’ai aucun pouvoir supérieur, comment pourrais-je aider
les autres hommes sans ceux-là ? » se demande Aqualuce.
⎯ Le véritable pouvoir de l’homme n’est pas dans des actes spectacu-
laires et des prouesses surhumaines. Sur Terre, savoir faire de la lévitation
ou ouvrir la mer avec sa pensée pour la traverser à sec n’est pas un don
utile, c’est de la magie noire.
« Mon père était-il un magicien noir, il me semble qu’il avait des pouvoirs,
bien que je n’aie aucune image de lui ? »
⎯ Ton père n’a jamais eu besoin de magie pour agir dans l’univers des
hommes, tout ce qu’il faisait n’était que suivre le flot de la vie et de rebon-
dir sur les événements. Il ne prononçait que de sages paroles, il influençait
les hommes avec la vérité et la paix qu’il rayonnait.
« Pourquoi parlez-vous de lui au passé, je pensais que nous étions dans
l’éternité ? »
⎯ Je parle de lui ainsi car il a choisi de quitter notre monde pour
s’incarner dans un être qui participera à la refondation de l’humanité après
les grands changements qui sont attendus. Iahvé est l’image de la Vie qui
sera lorsque tout l’univers aura rejoint sa source.
« Il est le Dieu ? »

256
⎯ L’image de Dieu, l’image de tous les hommes.
« Et j’ai été son enfant direct ? »
⎯ Et tu l’es toujours, même morte. Tu l’es encore.
« J’aimerais aider cet enfant, savez-vous où il naîtra ? »
⎯ Iahvé le sait.
« Si les pouvoirs surnaturels sont inutiles, quels pouvoirs ai-je ici ? »
⎯ Toutes les âmes qui composent la fraternité se trouvant au-dessus du
monde des hommes, ont l’Amour en elles et c’est avec elles que tout se
fait. L’Amour a le pouvoir de guérison, seul l’Amour peut changer le
monde et les événements. Le destin des hommes est lié à l’Amour.
L’Amour désarme les ennemis et leur fait baisser leur garde. L’Amour est
comme une arme fatale, rien n’est au-dessus de lui.
« Si j’ai l’Amour, je n’ai plus rien à craindre des autres. »
⎯ Bien sûr !
« Alors, si je suis morte, c’est que je n’avais pas l’Amour ? »
⎯ C’est peut-être l’amour qui t’a fait mourir. Comme je te le dis,
l’Amour peut changer bien des destins de façon incroyable parfois, que ce
soit en bien ou, parfois en pire.
« Si je suis ici et que j’ai réussi à passer à travers les sphères de l’au-delà,
c’est que j’ai l’Amour maintenant ? »
⎯ Avec nous, tu l’auras très rapidement.
« Et je pourrais retourner sur Terre comme Iahvé ? »
⎯ Pour cela, il te faudra attendre ton heure, l’instant dure chez nous un
long moment. Si un jour tu es choisie pour retourner sur la Terre, ce ne sera
pas pour la même période. Tu dois d’abord te parfaire avec nous tous et
d’une certaine manière, t’initier. Tu es un bébé pour nous. Ton passé ex-
ceptionnel a peu de valeur dans le monde éternel, même si sur Terre ou sur
les autres astres tu paraissais parfaite.
« Mon cœur est attiré vers le monde des hommes, je me sens attirée vers
eux, c’est plus fort que moi. »
⎯ On croirait entendre ton père, on croirait entendre Dieu.
« Alors, laissez-moi repartir, je dois m’incarner dans un être pour continuer
mon travail. »
⎯ L’attirance de la matière est souvent lourde au début chez les nou-
velles âmes. Tu t’y feras, ne t’inquiètes pas, plonge-toi dans la communau-
té, tu oublieras vite l’ancienne matière. En donnant l’Amour aux hommes,
tu comprendras qu’il est aussi important d’être ici plutôt que sur Terre. Si
nous étions tous dans la matière, il n’y aurait aucune possibilité de libérer
l’humanité. Nous sommes comme un phare pour tous les navires égarés
dans la mer de la désolation. Les gardiens du phare ont un rôle très impor-
tant, tu as ton rôle parmi nous.
À ces paroles qui émanent de l’ensemble de la communauté, Aqualuce

257
s’apaise. Il n’y a pas d’image dans l’éternité, les images viennent du
monde matériel. Les morts n’ont pas d’yeux, mais leur âme reçoit des sen-
sations. Bien sûr, elle n’est plus dans les domaines subtils de la mort, mais
ses yeux intérieurs n’ont pas encore trouvé leur acuité. Avec la communau-
té des âmes libres, la vision se fait à travers les yeux de tous et comme
l’espace n’existe pas, tous les instants sont absolus. S’intégrant à toute la
fraternité, Aqualuce est déplacée vers un autre groupe de pensées. Il lui est
annoncé qu’ici, des cercles peuvent se faire par affinités. Placée dans celui
par lequel elle est attirée magnétiquement, elle perçoit une âme qu’elle re-
connaît avoir eue pour amie.
⎯ Nous nous sommes déjà croisées, j’ai le sentiment d’avoir partagé
avec toi des moments importants ?
⎯ Je m’appelle Jenifer et j’ai la même impression de toi.
⎯ Ton cœur s’accorde au mien, je pense que nous sommes mortes en-
semble.
⎯ Je crois, mais laissons la mort où elle est et occupons-nous de la vie,
nous sommes là pour donner l’Amour à toute l’humanité.
C’est ainsi que son amie accorde son esprit vers une âme du monde de la
matière qu’elle sent méritante et en difficulté. Celle-ci s’appelle Timi et elle
souffre d’être la prisonnière d’individus injustes. Jenifer se concentre vers
elle et la soutient en lui insufflant la force d’Amour dont elle dispose sans
limites.
Aqualuce trouve cela très bien, mais quelque chose l’empêche d’agir pour
le moment.
La communauté n’a pas de chef, mais l’ensemble est comme un seul chef.
Sentant Aqualuce avoir des difficultés à s’intégrer, elle la prend dans son
cercle afin de mieux comprendre son malaise. C’est là qu’une âme particu-
lière s’extrait du groupe afin d’entrer en contact avec elle. Celle-ci s’appelle
Sofia, elle devait être une femme autrefois.
⎯ Aqualuce, c’est la première fois que nous accueillons un enfant
d’Iahvé. Nous prendrons soin de toi, car tu conserves comme ton père une
force d’Amour incroyable. Dans notre fraternité tu auras toute la place qui
se doit. D’ici, tu pourras aider les hommes à lutter contre les forces adver-
ses. Viens avec moi, je vais avec mes yeux te montrer l’étendue du
royaume. Tu comprendras qu’il est bien plus vaste que l’univers que tu
connaissais. Je serai ton guide ici, prends ma main, nous allons partir pour
survoler comme dans tes vaisseaux spatiaux l’univers de la première Terre.
Tu verras que tu n’es pas seule et je te ferai rencontrer des êtres que tu
connais bien. Lorsque tu les verras, ils te donneront des souvenirs d’un
moment de ton passé. Je te montrerai des morceaux de vie du passé et aussi
de l’avenir. Cela t’aidera lorsque tu travailleras avec nous à la reconquête
de l’humanité.

258
L’imaginaire est une dimension que les hommes de la Terre pensent être un
don artistique, un monde de poètes et de rêveurs. Nul ne s’imaginerait qu’il
est le support du monde pur et parfait. Chaque être rené dans la dimension
originelle voit le monde comme il le ressent. Chacun apporte à la commu-
nauté son monde, son idéal, et tous en profitent. Rien n’est figé à une image
dans l’éternité, mais, il y a autant de monde qu’il y a d’êtres libérés. Pour-
tant, l’idée de la communauté reste unique, c’est cela qui est extraordinaire :
UN MONDE POUR CHACUN DANS UN ESPRIT UNIQUE.
C’est pour cela que sur Terre l’individualiste existe, c’est un souvenir erro-
né de la glorieuse vie.
Sofia prend Aqualuce par la main. Celle-ci perçoit à côté d’elle une forme
blanche et douce comme un corps de femme nue qui l’emmène dans un ciel
bleu et pur. Ici, elle croise des univers bien plus grands que le macrocosme
humain. Les galaxies et les étoiles se rejoignent dans une dimension unique.
Leur taille est infinie bien qu’on en fasse le tour dans l’instant. Aqualuce
voit d’innombrables choses indescriptibles pour les humains et cela la ras-
sure. Elle se sent mieux et comprend que sa présence ici aura un grand inté-
rêt pour la fraternité et pour elle-même aussi. Hélas, tout ce qu’elle voit
avec les yeux de son âme est sa propre représentation et elle le sait. Sofia lui
montre sa vision qui est bien différente, mais aussi merveilleuse. Après
cette visite, Aqualuce revient dans son enveloppe intérieure.
⎯ Pour nous tous, lui dit Sofia, aucun don n’est nécessaire, l’Amour est
toujours présent entre nous et nous le donnons à tous. Comprends que
même sur la Terre ou ailleurs dans l’univers, un être ayant l’Amour est bien
plus fort et demeure inviolable. C’est tout ce que tu as à faire autour de toi.
Aqualuce l’accepte, mais une question la tourmente :
⎯ Et la Couronne de Serpent, qu’est-elle, qui pourra lutter contre elle ?
Cette question interpelle Sofia qui sent qu’Aqualuce n’a pas totalement
oublié son ancienne vie. Une chose dans la matière la retient et si cela se
prolonge elle ne pourra se maintenir ici et devra descendre dans une des
sphères inférieures de la mort. C’est un fait très rare et elle se retourne vers
le conseil. Revenant vers Aqualuce elle lui répond :
⎯ Il y a des exceptions et tu sembles en faire partie. Iahvé a besoin de
toi, il a placé sur ton chemin un fragment de matière éternelle qui t’appelle.
Tu ne peux pas rester avec nous, la matière entière te rappelle. Tu vas repar-
tir vers les lieux qui ont dérobé ton corps.
⎯ Je ne reste pas avec vous, je ne le mérite pas ?
⎯ Une grâce infinie et rare t’est faite. Tu vas retrouver ton corps hu-
main, une nouvelle chance t’est offerte.
⎯ Garderai-je avec moi tout ce que j’ai vu et acquis ici ?
⎯ Si ta mémoire l’oublie, tout ce que tu as vécu ici restera gravé dans

259
ton âme, car elle fait partie de l’éternité. N’oublie jamais l’Amour, c’est le
plus important. La communauté l’a gravé dans ton cœur.
C’est alors qu’Aqualuce sent qu’elle glisse de ce monde merveilleux sans
pouvoir se retenir. Son âme demeure vide d’une mémoire humaine, mais
elle perçoit déjà des bourdonnements dans une tête qu’elle n’a pas encore.
Elle sent des jambes lui pousser et des bras et des mains apparaître. Elle
entend son cœur commencer à battre, comme si elle était vivante. Le monde
des âmes disparaît doucement à ses yeux, Sofia n’est déjà plus qu’un sou-
venir. Quittant le monde de l’éternité, elle redescend vers l’au-delà et voit
les pauvres figures qui le peuplent et elles lui font penser à des fantômes.
Bientôt eux aussi disparaissent avec la mémoire du monde alors que des
souvenirs lui apparaissent maintenant. L’air de la Terre l’aspirant vers le
sol, elle en ressent le froid. Son corps est glacé comme la mort. La planète
est de plus en plus proche et elle se voit attirée vers un lieu qu’elle croit
reconnaître. Au loin, une âme comme la sienne paraît en faire autant. La
tête est séparée de son corps et ses souvenirs sont presque tous là. Revivant
sa décapitation à l’envers, elle n’a plus le temps de réagir. La mémoire des
actes futurs disparaît, Aqualuce s’allonge et s’endort dans un sommeil plus
profond que sa mort.

Une autre dimension s’ouvre et l’espace-temps en est bouleversé…

260
RETOUR SUR IMAGE
Timi ne peut supporter de vivre avec les images terribles
qu’elle a dans sa tête. Voir coup sur coup deux amies se faire décapiter est
le plus ignoble cauchemar qui soit. Elle serre dans sa main l’objet curieux
que son amie lui a confié et le regarde avec plus de nostalgies que de curio-
sité, pesant à Aqualuce. Très vite sa mémoire croise les souvenirs de son
amie qui débordent de son esprit et au bout de quelques instants elle com-
mence à faire défiler dans sa tête les souvenirs d’Aqualuce. Des impressions
de jeunesse passent en elle, ses souvenirs d’élève-pilote de grands astronefs,
puis la rencontre avec Jacques dans le vaisseau golock. Ce film passe rapi-
dement. Ses aventures avec son ami Starker et sa rencontre avec Cléonisse.
Elle retrouve les souvenirs de la planète Digger et le terrible Ji qui tente de
la violer. Une souffrance terrible remonte jusqu’à elle lorsqu’en voulant
éviter le viol, elle se fait brûler par l’homme monstrueux. Plus tard elle voit
son bras tranché et l’herbe de vie ; sa longue attente et le retour de Jacques
ainsi que son départ vers la Terre et sa nouvelle vie sur la planète bleue. Les
enfants d’Aqualuce, l’école qu’elle monte avec Noèse, jusqu’au jour du
retour obligatoire vers les astres ; le nouveau départ, l’abandon de Jacques
et sa rencontre avec les amis de Trinita. Là, Timi retrouve Jenifer qui
s’appelait alors Weva. Le départ depuis le nouveau grand vaisseau et depuis
ce jour, toute sa quête pour se préparer à affronter Maldeï. Timi voit alors
Aqualuce revenir sur Lunisse. Elle se revoit dans la Pyramide Algébrique
jusqu’à ce qu’elle retrouve le Maître de la Clef. Cet homme lui confie un
objet étrange et il lui dit que celui-ci pourrait la faire revenir une journée en
arrière si c’était nécessaire, l’informant que seul celui qui le tiendra dans sa
main au moment de son fonctionnement garderait tous ses souvenirs alors
que pour les autres, le temps remonterait sans qu’ils le sachent. C’est à cet
instant que Timi comprend l’importance de cette petite sphère et pourquoi
Aqualuce la lui a confiée en lui disant ces mots :
⎯ On les aura tous, t’en fais pas !
C’est ça ! Aqualuce s’est dit que si je pouvais remonter le temps,
j’arriverais peut-être à changer le cours des événements. Ce n’est pas pour
rien qu’elle m’a confié ce truc-là. Si je le mets en marche, c’est sûr, on sera
hier et il ne sera pas trop tard pour agir. Elle regarde la bille de fer toute
rouillée. Et voit qu’elle doit être coupée en deux, il y a un cercle qui se des-
sine autour. Hélas, elle est si rouillée qu’il semble impossible de la tourner
pour qu’elle fonctionne. Elle se dit que si c’est comme ça qu’elle devait
marcher, ça devait être au temps de la préhistoire car avec plusieurs milli-
mètres de rouille, elle n’est pas neuve. La coinçant entre ses pouces, elle
essaie de la tourner, mais c’est impossible. L’instant d’après, la porte
s’ouvre et Mexian apparaît. Elle a juste le temps de camoufler la bille afin

261
de ne pas être remarquée.
⎯ Oh ! ma chère, j’avais peur que tu t’ennuies, seule dans cette cabine.
Je t’amène de la compagnie. Regarde avec qui tu vas voyager !
La femme est si vicieuse qu’elle fait apporter ici les deux bocaux contenants
les têtes de ses amies. Deux hommes les posent sur la table et repartent.
⎯ Passe de bons moments en leur compagnie, le voyage sera très long.
Mexian pense achever Timi en agissant ainsi. Mexian, à peine repartie, Ti-
mi examine la bille. Elle paraît toute grippée et Timi se demande comment
la lubrifier afin de la faire tourner comme elle le devrait. Elle n’a jamais été
bricoleuse. Elle sait faire des permanentes et des colorations, mais pour
faire tourner ce truc-là, il lui faudrait de l’huile, un lubrifiant. Là où elle se
trouve, il y a un point d’eau, rien d’autre. Ça ne servira à rien de se casser
les dents dessus, il faut trouver rapidement une solution, demain, il sera trop
tard, les vingt-quatre heures passées, Aqualuce et Jenifer resteront mortes
pour toujours. Elle réfléchit durant une heure et c’est alors qu’elle entend le
léger vrombissement du moteur de l’appareil, le décollage paraît imminent.
Elle regarde les deux têtes dans les bocaux en pensant à l’horreur de les
maintenir dedans. Mais à cet instant elle pense au liquide qui les conserve :
⎯ Et si ce liquide était aussi puissant que du dégrippant ? C’est ça, il
faut essayer !
Elle ouvre l’un des bocaux et plonge la sphère dedans. Elle a les mains hui-
leuses, mais heureusement, elle voit que le liquide pénètre la jointure,
comme s’il la décollait légèrement. Juste à cet instant, elle voit que le vais-
seau est déjà au-dessus de la planète et elle se dit que ça n’a aucune impor-
tance. La rouille disparaît, c’est peut-être suffisant. Cette fois, le mécanisme
de la bille va peut-être se mettre en marche. Elle la sort du bocal en le ren-
versant d’un geste maladroit sur le sol dans un grand bruit de verre brisé.
Cela s’entend de l’autre côté, Timi est affolée, pensant que Mexian ou un
autre homme l’aura entendu. C’était sûr, la porte s’ouvre et Mexian la voit
avec la tête d’Aqualuce étallée sur le sol et Timi tenant dans sa main une
petite sphère très étrange. Elle se précipite vers elle pour la lui arracher,
mais heureusement la jeune femme arrive de toutes ses forces à faire faire
un quart de tour à cet étrange objet. Avant que Mexian ne puisse l’attraper,
d’un coup, tout s’arrête. Comme si le film était arrêté sur la même image.
La femme a les mains tendues vers la bille, mais il lui manque dix centimè-
tres, alors que Timi la serre de toutes ses forces entre ses doigts. Pendant
quelques secondes, le mouvement de la vie reste figé, mais l’instant d’après,
tout le film remonte en arrière. Timi voit tout faire demi-tour, consciente de
tout le mouvement. Les vingt-quatre dernières heures vont à reculons de
façon lente au début, puis s’accélèrent si vite que Timi ne voit autour d’elle
qu’un tourbillon. Tout tourne si vite que l’instant d’après, elle est allongée
et dort profondément…

262
Timi se réveille et sent auprès d’elle ses amies dormir. Elle aimerait les
réveiller, mais elles paraissent profondément endormies et malgré ses ef-
forts, rien n’y fait. Elle dit alors à voix haute :
⎯ Mais, non ! Tu as déjà vécu ça, rappelle-toi !
Elle se pose un instant devant ses amies et ouvre sa main droite y trouvant
la bille de fer toute rouillée. Mais au bout de quelques secondes, celle-ci
devient brillante et s’évapore instantanément dans sa main. Elle se rappelle
tout, certaine d’avoir été dans le vaisseau de Mexian et surtout d’avoir as-
sisté à la décapitation de ses deux amies. Tous les souvenirs sont là alors
qu’Aqualuce et Jenifer dorment profondément.
⎯ C’était donc vrai, la bille nous a faits remonter le temps de vingt-
quatre heures. Maintenant, c’est hier et mes souvenirs sont ceux de demain.
Elle fait le tour de ses souvenirs et s’aperçoit qu’elle n’a plus en elle la mé-
moire d’Aqualuce et de Jenifer. Elle est redevenue elle-même, mais garde
l’avantage de connaître l’avenir. La dernière fois, elle n’avait pas tout fait
pour réveiller ses amies. Là, au contraire, elle prendra tout le temps qu’il
faut mais elle les attendra. Cela prend presque une heure pour que Jenifer
ouvre les yeux et enfin, elles arrivent à faire ouvrir ceux d’Aqualuce. Im-
médiatement Timi raconte à Aqualuce son histoire et le futur qui les attend
si elles ne décident pas de changer le cours des choses. Lorsqu’Aqualuce
entend parler de la sphère de fer, elle s’étonne de ne pas la retrouver, elle
comprend alors que Timi ne raconte pas d’histoire. Elle ne s’était jamais
imaginée qu’elle aurait à confier sa bille à une autre personne.
⎯ Comment as-tu récupéré cette bille de fer ?
⎯ Juste avant de mourir, tu me l’as confiée. Je ne savais pas à quoi elle
pouvait servir, mais aussitôt après tu m’as transféré ta mémoire et c’est ain-
si que j’ai tout compris.
⎯ Quelque je pense que tout est vrai et j’ai le sentiment que quelque
chose s’est passé en mon être durant les terribles heures que tu as vécues. Si
Mexian nous attend, il faut la contrer en passant là où elle ne nous attend
pas. J’ai un plan, écoutez-moi.
Aqualuce imagine vite une stratégie pour prendre Mexian par surprise et
pour cela, Timi sera de plus grande importance car elle va devoir les guider
jusqu’au vaisseau de Mexian. Elles partent immédiatement en suivant le
chemin que la Lune de cette planète met en évidence. La route est la même
que la première fois mais avant d’arriver à la colline, Timi leur fait changer
de voie et les fait contourner la colline.
⎯ Leur vaisseau est au milieu du monticule, nous pourrons y parvenir
en faisant un détour. Sinon, nous serons repérées.
⎯ Est-ce un grand vaisseau ?
⎯ Il est presque aussi grand que celui que vous aviez lorsque vous êtes

263
venues me chercher sur Terre. Je crois qu’il peut contenir une vingtaine
d’hommes.
⎯ S’il n’y a personne à l’intérieur, nous n’aurons aucun mal à préparer
notre riposte et si les armes sont restées à l’intérieur, j’ai une idée.
⎯ Tu sais, Aqualuce, Mexian a préparé son appât pour nous. Elle sem-
ble avoir des pouvoirs qui lui permettent d’agir sur nous. Son esprit nous a
attirées vers la caverne, elle nous manipule à distance, il faut se méfier.
⎯ Justement, Timi, c’est avec son piège que nous allons nous présenter
à elle. Nous avons l’avantage de connaître le premier aspect de notre futur,
elle non. Timi, si tu es d’accord, j’aimerais que tu arrives à elle comme tu
l’as déjà vécu dans ton "hier". Elle saura qu’elle t’a attirée comme dans son
plan, pour elle rien ne sera changé. Mais, là, Jenifer et moi serons derrière
toi. Va jusqu’à elle lorsque nous serons prêtes, tu ne risques rien, je te
l’assure ; je pense avoir la situation en main. Même sans pouvoir surnatu-
rels, je serais efficace, j’ai le sentiment profond que pour être invulnérable,
il n’est pas nécessaire d’avoir des pouvoirs, mais seulement connaître
l’Amour et le mettre devant soi. J’ai le sentiment que mon dernier sommeil
a eu des influences considérables en mon être. Je ne me sens plus la même
depuis que tu m’as réveillée.
Timi fait le tour de la colline afin de trouver les énormes rochers derrière
lesquels est caché le vaisseau de Mexian. Doucement elles s’en approchent
et comme prévu, il est vide. Aqualuce ouvre le sas facilement car c’est un
vaisseau lunisse de l’époque où elle était Générale et par chance, les codes
n’ont pas été changés. Elle peut entrer et pense qu’elle pourra certainement
décoller, laissant Mexian et ses hommes sur place, évitant ainsi un affron-
tement qui pourrait être terrible pour les deux partis.
Devant le CP, Aqualuce tente de lancer la procédure d’activation de la pro-
pulsion. Hélas, ce qu’elle craignait s’affiche à l’écran indiquant qu’elle doit
introduire la clef éthérique pour déverrouiller le système. Elle sait trop bien
que se type de clef est infalsifiable et le CP doit obligatoirement l’avoir en
contact afin d’activer le vaisseau. Cela veut dire que l’affrontement sera
inévitable et il ne leur reste plus qu’à s’y préparer.
À l’intérieur, elles trouvent la réserve des armes et Jenifer et Aqualuce
s’habillent et s’équipent à la façon d’un commando d’élite. Elles ont pris
des canons éthérique portatifs, des lunettes de visée dynamiques capables
de voir derrière dix mètres de roche, les rayons paralysants et des flèches
gyroscopiques pouvant atteindre leur cible, même cachée dans le fond d’un
trou. Enfin des bombes cryogéniques, foudroyant ceux qui se trouvent de-
vant en les gelant instantanément ; aucun n’y résiste, on reste prisonnier de
la glace. Toutes deux dans des vêtements réverbérant, capables de détourner
la lumière et de les rendre invisibles, elles impressionnent Timi qui ne les a
jamais vues en tenue de guerrier.

264
⎯ Et vous faites ça souvent ?
⎯ Jenifer et moi avons la même formation militaire. Même si pendant
une grande période il nous était inutile de nous battre, cela fait partie de nos
habitudes. De plus, l’idée que nos enfants sont en danger avec Maldeï et ses
sbires, me donne encore plus de courage. Si je suis morte une fois, demain
je n’ai plus l’intention de le redevenir. Lorsqu’on m’offre une autre chance,
je ne la laisse pas passer. En route, Timi, il y a un peu de chemin jusqu’à la
grotte. Nous allons repasser par l’endroit où tu es passée, afin que Mexian
n’ait aucun soupçon. Fais exactement comme tu l’avais fait, nous nous oc-
cuperons du reste.
Jenifer laisse Aqualuce organiser, elle la sait toujours si douée pour toutes
ses choses. Ce n’était pas pour rien que le Grand dictateur de l’époque
l’avait nommé général. Elle a le souvenir pas si lointain où elle avait traver-
sé la Pyramide Algébrique. Sa concurrente était Marsinus Andévy, devenue
maintenant Maldeï. Jenifer dit à Timi :
⎯ Quand tu vois Aqualuce comme ça, tu peux être certaine qu’elle sera
vainqueur. Lorsque sa machine à gagner se met en route, rien ne l’arrête.
Toutes trois prennent la route qui les conduit vers la grotte…
De loin, Timi voit la colline telle qu’elle s’était présentée la première fois.
Aqualuce décide de s’arrêter un instant afin qu’elle prenne de l’avance.
Continuant sa route, Timi entend en elle les mêmes pensées que la première
fois. Le film se déroule conformément à sa première impression, si bien
qu’elle en oublie qu’Aqualuce et Jenifer sont derrière elle…
Timi sent ses pieds se transpercer, elle a perdu ses chaussures en entrant
dans le Puits de l’Oubli et les silex au sol lui lacèrent les pieds, pourtant,
elle veut poursuivre sa route. Bientôt, devant elle, de la lumière semble sor-
tir au milieu d’une colline qu’elle aperçoit au loin :
« Plus de doute, se dit-elle je suis bientôt arrivée ».
En effet, après une demi-heure de marche, elle arrive au pied de la colline
apercevant plus haut la grotte illuminée. Elle est rassurée, pensant y trouver
les amis qu’elle avait laissés en pénétrant dans le Puits de l’Oubli. Pressée
de savoir ce qu’il y a là-bas, elle accélère le pas et enfin, proche de l’entrée,
se félicite d’être arrivée. Devant elle, une large porte noyée dans un flux de
lumière ; rien ne la retient d’entrer. Dès lors, elle se sent heureuse d’être là,
étant arrivée sans l’aide de ses amies qu’elle n’avait fait que suivre depuis
qu’elle avait quitté la Terre. Mais la surprise est grande lorsqu’elle voit de-
vant elle un être habillé d’une cape et d’une cagoule noires et elle se met à
avoir des craintes, prête à faire demi-tour. Hélas, elle se retrouve prise au
piège. Très vite plusieurs hommes se jettent sur elle et l’être à la cagoule
leur dit :
⎯ Attachez-la bien et placez là devant l’entrée de la grotte, je veux
qu’elle puisse attirer les autres.

265
C’est à ce moment que Timi comprend qu’elle est tombée dans un piège.
Bien ligotée, elle se retrouve collée sur une poutre de métal gelé. C’est le
moment que choisit l’homme en noir pour se rapprocher d’elle et ôter son
masque. Timi est surprise de découvrir derrière le voile le visage d’une
jeune femme aux traits fins et aux yeux magnifiques. Elle ne peut croire
qu’elle puisse être aussi mauvaise avec un tel visage. Cette jolie femme lui
dit alors :
⎯ Je sens que tu n’es pas lunisse, la peau de ton corps me le confirme,
il n’y a pas d’être à la peau sombre chez nous. D’où viens-tu ?
Timi ne la craint pas et lui répond :
⎯ Je suis terrienne, je ne fais pas partie de ton histoire.
⎯ Terrienne, comme c’est intéressant. Je crois que je ne suis pas loin de
ce que je recherche. Ne connaîtrais-tu pas une femme du nom d’Aqualuce ?
Entendant cela, tout lui revient en tête et elle comprend que Mexian est
tombée à son tour dans le piège qu’Aqualuce lui a tendu et elle lui répond
alors :
⎯ Mexian, dis-moi pourquoi tu la recherches ?
L’entendant se faire appeler de son nom, elle se questionne, mais il est trop
tard. La porte de la caverne explose et aussitôt, des tirs touchent les hom-
mes et certains s’effondrent au sol. Mexian organise vite la riposte et elle
déploie sur les côtés de la grotte quatre hommes et place en retrait les au-
tres. Elle prend son arme et cherche d’où peuvent venir les tireurs. Elle
comprend vite que l’on vient chercher Timi et elle la détache afin de la
prendre comme bouclier. Aqualuce et Jenifer voyant leur amie prise en
otage comprennent qu’il sera mieux de tirer sur les hommes se cachant sur
les côtés. Elles se séparent, Aqualuce vise et touche deux hommes tandis
que Jenifer en fait chuter un perché en haut d’une stalagmite. Le quatrième
se cache, restant une menace. L’apercevant derrière un lourd rocher, Aqua-
luce prend une fléchette coordonnée à sa lunette et la lance. Elle part si vite
que le soldat la prend dans le dos et meurt déchiqueté par l’explosion. La
voie est libre pour rejoindre leur amie, mais Mexian l’entraîne vers le fond
de la grotte afin de retrouver les autres hommes. Aqualuce repère le reste de
la troupe et lance vers eux une bombe cryogénique qui les congèle tous.
Mexian se trouve alors isolée et seule. Toujours pas décidée à libérer son
otage, elle pense pouvoir rejoindre la sortie avec Timi qu’elle oblige à cou-
rir avec elle sous la pression de son arme. Jenifer les aperçoit prêtes à sortir
de la caverne et vite, ajuste son pistolet éthérique sur Mexian. Avec préci-
sion, elle tire et la frappe à la tête. Elle tombe net sur le sol, foudroyée, le
visage ensanglanté, le sommet du crâne brûlé, avec une autre blessure au
thorax. Timi s’est libérée restant à côté de la guerrière courageuse. Aqua-
luce la rejoint et s’approche de son ennemie. La voyant perdre son sang elle
pense aussitôt à l’aider et la soigner mais elle est prise de cours car Mexian

266
lui parle aussitôt avec la force qui lui reste.
⎯ Aqualuce, viens me voir. J’ai tant de chose à te dire.
⎯ Mexian. Qui es-tu pour faire tout cela et me poursuivre jusqu’ici ?
⎯ Le coup mortel donné par ton amie m’a fait retrouver ma conscience.
J’étais jusqu’à maintenant sous l’emprise de Maldeï qui m’avait fait subir
de terribles transformations. Je ne suis pas ton ennemie, mais au contraire
ton amie. Je suis de la planète de Natavi et j’ai été enrôlée de force par ce
monstre. Je travaillais sur l’île de Racben lorsque Maldeï est venu nous
chercher avec les autres. Elle m’a confié la tâche de te trouver et de te dé-
truire. Elle avait mis son esprit dans ma conscience et bien que consciente,
je n’avais qu’un désir, te tuer. Au fond de moi, je n’ai jamais voulu ta mort.
C’est Maldeï qui dirigeait tout. Je le regrette, je ne voulais pas vous faire de
mal, j’aime les hommes et la vie. La cruauté de cette femme était en mon
être. Heureusement vous m’avez arrêtée, sinon ta mort aurait été une terri-
ble perte pour l’univers entier. Je préfère mourir plutôt que de t’avoir exé-
cutée, c’est mieux ainsi.
Aqualuce réfléchit un instant :
⎯ Le mal est capable de s’infiltrer partout où il trouve une faille. Tu es
un être sensible et c’est par là que Maldeï s’est infiltrée en toi. Je regrette de
ne pas avoir pu te délivrer de ce mauvais esprit sans me battre avec toi,
j’aurais pu te sauver, ainsi que tous ses hommes tombés autour de nous au-
jourd’hui. Au lieu de te piéger, chercher à te parler. Mexian, si tu meurs,
j’en serai fautive. Il faut que nous puissions te secourir. Je sais comment
Maldeï t’a soumise ; elle avait inséré sous la peau de ton crâne une sonde
magnétique. Tu l’as perdue lorsque tu as été blessée. Nous allons te ramener
à ton vaisseau et te soigner.
⎯ Non, tu m’as déjà guérie en me rendant ma vraie conscience. C’est le
principal et je peux mourir en paix. Tu n’aurais jamais pu me convaincre de
quoi que ce soit lorsque j’étais dans la peau de Maldeï, l’une d’entre nous
devait disparaître. Tu n’avais pas d’autre choix que de t’attaquer à moi. Si
tu ne l’avais pas fait, c’est moi qui l’aurais fait et tu serais morte à cette
heure-là. Regarde, j’avais déjà tout prévu pour ton exécution. Je devais te
décapiter et ramener ta tête à Maldeï, j’étais programmée pour cela. Tu n’as
rien à te reprocher. La seule chose que je te demande, c’est de la retrouver
afin de l’arrêter, je t’en sais capable. Tu es la seule femme qu’elle craigne et
ce n’est pas pour rien. Tu es unique, Aqualuce. Regarde, même sans aucun
pouvoir, tu m’as vaincue alors que j’ai encore les miens. C’est pour cela
qu’il faut te craindre, ta force est en ton âme. Tu es invulnérable car tu as en
toi l’Amour et je le sens. Prends soin des enfants que tu portes. Prépare-toi,
ce sont eux qui t’enseignent la sagesse afin d’affronter Maldeï. Fais leur
confiance et écoute-les. Je suis de Natavi, la planète de la vie et de la nais-
sance, j’en sais quelque chose. Je sais qu’il est de ton devoir de vivre le

267
reste de ta grossesse pour eux, aie confiance, tu vaincras.
Hélas, Mexian continue à perdre beaucoup de sang et elle s’affaiblit très
rapidement. Pourtant elle trouve la force de donner à Aqualuce ses recom-
mandations et lui rendre la clef éthérique. Sur la fin elle est prise de convul-
sions et ne peut plus parler. Aqualuce comprend à quel point elle est deve-
nue importante aux yeux de beaucoup d’humains. Les hommes n’attendent
plus un superman ou une Superwoman, mais un être vrai et simple, connais-
sant la vérité et capable de la dévoiler uniquement par l’Amour. Elle se
penche sur Mexian et lui dit :
⎯ Je te promets, j’écouterai ce qui vit en mon être. Je vais prendre du
repos afin d’entendre mes enfants pour les laisser grandir en moi. Je vais
arrêter de poursuivre les étoiles ; je vais être moi-même, pour les autres, je
te le promets. Je ferai cela pour toi aussi.
Malgré sa souffrance, Mexian arrive encore à lui sourire avant d’expirer son
souffle en fermant les yeux. Aqualuce est très triste, elle a le sentiment de
perdre une jeune amie, même si elle ne la connaît pas. Encore une fois, elle
se dit qu’il est terrible de tuer, même pour se défendre. Aussi, elle se fait
une promesse :
« Plus jamais je ne donnerai la mort, plus jamais je ne prendrai une arme
dans mes mains. »
⎯ Nous devons la brûler afin qu’elle regagne le cosmos. Faisons-lui les
honneurs d’une grande guerrière. Je sais que Maldeï l’avait choisi pour ses
grandes qualités. Elle s’est défendue avec tous les honneurs, je lui dois le
plus grand respect.
Après ces paroles, ses amies l’aident à porter le corps à l’extérieur. Elles
amassent des branchages et lorsque l’étoile se couche, elles allument le feu.
Toute la nuit, le foyer crépite devant les trois femmes qui le regardent en
méditant. Les dernières braises s’éteignent au petit matin et laissent les trois
amies endormies sur le sol. Il ne reste que des cendres que le vent com-
mence à balayer, le corps de Mexian n’est plus, son esprit et sa force sont
repartis vers la source de la vie.
Un peu plus tard, Aqualuce se réveille et regarde l’immense paysage ver-
doyant qui entoure la colline. Cette planète entièrement verte paraît être là
pour les inviter à réfléchir à leur condition et leur état d’humain. Se laissant
envoûter par l’air parfumé de la verdure, Aqualuce ne sent plus en elle le
désir de repartir immédiatement, au contraire, il est temps d’écouter son
cœur et son âme. Quelque chose en elle semble avoir fait un voyage dans un
autre univers, dans une dimension sans distance ni temps. Revoyant la mort
de Mexian, elle pense à celle qui aurait pu être la sienne. Était-ce dans
l’ordre des choses et du temps, ou alors, cela aurait-il été changé et pour-
quoi ?
Elle ne le sait pas mais elle pressent le cours d’un destin incertain. Les élé-

268
ments se placeront dans la ligne de la lumière, celle qui donne aux hommes
la direction du juste et du réel.
Où se place mon destin aujourd’hui et dans quelle direction va-t-il ?
Elle dit tout haut :
⎯ Il est sage de rester ici. Cette planète est riche d’un enseignement né-
cessaire à notre réussite.
Jenifer et Timi ouvrent les yeux et lui répondent :
⎯ Avec nos mains, nos bras et nos têtes, nous construirons une vérita-
ble cuirasse pour nous défendre. Avec nos cœurs nous bâtirons la paix et
l’amour ; l’important c’est d’aimer.
À ce moment, à Aqualuce vient une chanson de Daniel Balavoine qu’elle se
met à fredonner :
"Aimer est plus fort que d’être aimé…"

Un grand silence s’installe puis elles prennent le chemin du vaisseau. Elles


découvrent à cet instant une nature apaisée et la jungle semble loin, le désert
a disparu. Arrivées au vaisseau, Aqualuce et Jenifer pensent qu’il sera bien
de le placer sur un lieu plus tempéré où elles pourront rester quelque temps
afin de réfléchir sur elles-mêmes. Sans difficulté, le vaisseau obéit aux
doigts d’Aqualuce toujours aussi adroite. Le CP leur indique les zones cli-
matiques les plus tranquilles. Après un vol tranquille elles se posent au bord
d’une mer calme et douce.
L’endroit domine la côte, derrière elles, une forêt sympathique leur donne
une fraîcheur agréable. Les trois femmes pensent qu’elles auront la possibi-
lité de se ressourcer ici, car l’affrontement avec Mexian et ses hommes et le
dénouement tragique qui s’en est suivi, les a bouleversées.
Timi et Jenifer commencent à prendre leurs marques alors qu’Aqualuce se
repose de façon presque forcée. Elle est fatiguée, ses deux enfants lui pè-
sent, impossible d’oublier qu’elle est enceinte car elle a pris du poids ces
derniers jours. Elle abandonne les vêtements en fibres élastiques qu’elle
portait, devenus véritablement inconfortables. Une robe de grossesse serait
pour elle plus pratique. Dans l’autre vaisseau avec lequel elle était arrivée
sur Unis, elle avait embarqué tout ce qu’il fallait, mais là, elle n’a que le
minimum. Heureusement, les vêtements de combat des hommes sont assez
larges et sont pour elle très confortables, mais trop peu féminins. Elle pense
à Mexian qui lui conseillait de s’occuper de ses enfants et se dit qu’elle de-
vait avoir raison. Tranquille, elle fait signe à ses amies qui veulent explorer
les environs, qu’elle restera autour du vaisseau.
Aqualuce regarde partir Timi et Jenifer, qui n’emportent qu’une gourde et
un guide magnétique, l’équivalent du GPS terrestre, adapté à tous les lieux,
l’appareil scannant et numérisant les lieux qu’il trouve autour de lui. Avec
ça, impossible de se perdre, même sur les planètes les plus inconnues au

269
monde.
Elle leur fait un sourire, pensant les retrouver avant le coucher de l’étoile.

Aqualuce sent ses enfants bouger dans son ventre et sourit un instant. Elle
imagine les prénoms qu’elle pourrait leur donner. Le premier qui lui vient
en tête pour le garçon, c’est Paris, comme la ville ; elle adore cette capitale
et l’imagine comme dans le film "Un américain à Paris" ; son fils serait le
danseur, comme Gene Kelly, sa fille s’appellerait Debbie, tout comme
Debbie Reynolds, dans Singin’in the Rain. Son esprit s’envole vers des
rêves de danses, de musiques et d’idéaux. Elle aimerait tant que la réalité de
ce monde soit comme dans les meilleures comédies musicales
d’Hollywood. Si le rêve humain était plus réel que la vie diurne, ce serait
fantastique. Enfin, Aqualuce s’assoupit dans une cabine prise comme domi-
cile et sent son esprit emporté vers des souvenirs qu’elle n’a jamais vécus…

D’Hollywood, son rêve s’est déplacé vers une autre partie de son esprit. Car
elle pense voir les souvenirs de sa confrontation avec Mexian. Cette fois,
elle voit une lame lui trancher la tête et son esprit s’envoler dans un monde
étrange ; heureusement ce ne sont que des impressions. Dans la continuité
de sa pensée vaporeuse, elle finit par s’endormir sous le poids de sa gros-
sesse et des mois passés à poursuivre une quête étrange semblant ne jamais
avoir de fin.
Sans le savoir, elle plonge vers les lieux l’ayant accueillie durant sa mort
temporaire, pour y parfaire sa formation…

Lorsqu’elle se redresse, elle comprend qu’elle a dormi de longues heures.


La nuit est là, aussi elle se lève afin de rejoindre ses amies. Arrivée dans le
poste de pilotage, elle ne trouve personne. Elle aimerait savoir pourquoi,
elles ne devaient faire qu’une excursion. Réfléchissant, Aqualuce se de-
mande si cette planète n’a pas d’autres mystères à dévoiler. Elle ne les sent
pas en danger, mais elle se demande si elles ne seraient pas sur le point de
découvrir d’autres mystères. Dans ce monde de matière, plus rien ne lui
paraît stable. Aqualuce réfléchit à tout ce qu’elle a pu vivre depuis son dé-
part de la Terre. Une très longue réflexion la pénètre, elle sait en son for
intérieur que ses deux amies ne rentreront pas cette nuit. Par contre, une
chose est acquise ; son esprit est immunisé à l’angoisse et la peur.
L’inquiétude n’a plus d’effet, quelque chose en elle s’est transformé,
comme si elle avait changé de monde et faisait déjà partie d’un autre uni-
vers.
Elle se rappelle l’objet tout rouillé que le Maître de la Clef lui avait donné
et que Timi a utilisé pour la sauver se dit-elle :
⎯ J’ai fait un retour sur Image, mais mon âme ne l’a pas fait. J’ai dû

270
être morte, je le sais au fond de moi, une porte s’est ouverte dans mon esprit
et me montre la vie bien autrement.
⎯ Il n’y a qu’un feu qui m’anime, c’est celui de L’AMOUR.

Aqualuce pense à son passé, sa famille, sa vie. C’est à ce moment qu’elle


chante à pleine voix, comme un appel du cœur cette chanson, nostalgique ;
" Ville de Lumière…"

Plus loin,
Timi et Jenifer pénètrent un endroit bien étrange, à dix mille lieux de ce que
l’on peut imaginer…

271
BRAVIA, LA MAISON DE FOUS
Amanine est maintenant devenue pilote experte pour les
grands vaisseaux spatiaux. Némeq lui a appris toutes les subtilités de son
métier et il avoue que sans elle, ce très long voyage n’aurait jamais été pos-
sible. Il lui reconnaît de très grandes qualités et c’est pourquoi, maintenant
arrivé au-dessus de la planète, il lui propose de débarquer avec une équipe
afin de rechercher des survivants éventuels. Amanine est heureuse de voir
combien Némeq lui fait confiance, la laissant organiser la mission de sauve-
tage. Le vaisseau a déjà récupéré près de deux cent cinquante rescapés et
cette fois, Némeq restera en orbite autour de l’astre et Amanine sera en
contact permanent grâce au petit communicateur posé comme une boucle
sur une de ses oreilles. Ce petit engin contient une caméra, des micros et des
senseurs de tous types. Némeq, s’il le souhaite, pourra tout observer comme
s’il était à la place de son amie. Amanine sait que cette planète est particu-
lière et que des précautions sont à prendre avant de s’y poser.

Les caractéristiques de Bravia sont toutes particulières et n’ont aucun rap-


port avec la bravoure bien que les Lunisses soient braves. Sur cette planète,
il a toujours été question de résister aux curieux phénomènes magnétiques
qui ont tendance à rendre les hommes fous. Si cette planète n’avait eu aucun
intérêt, les Lunisses l’auraient vite rayée des cartes et s’en seraient détour-
nés. Mais son sol et son climat très exceptionnel produisaient en quantité et
qualité extraordinaires des fruits et des légumes dont étaient friands tous les
Lunisses. À l’époque de cette découverte, les explorateurs s’étaient ques-
tionnés afin de pouvoir la maîtriser. La première équipe à s’être posée, avait
rencontré les plus grandes difficultés et pour cause :
Lorsque le vaisseau d’exploration s’arrêta sur la planète, nul ne se méfia. Le
CP leur indiquait que tout était bon : atmosphère riche en oxygène et en
azote, eau à profusion, température idéale sous les tropiques. Tout paraissait
parfait pour installer une colonie. Les images parvenant aux explorateurs
montraient une nature riche et agréable. Sans hésiter, leur chef, Alixem,
proposa de s’y installer afin d’explorer en profondeur cette nouvelle pla-
nète. Les deux vaisseaux de l’expédition se posèrent sans aucune difficulté
dans une grande prairie verdoyante qui aurait fait le bonheur des vaches et
des moutons.
Une fois sur l’astre, les membres descendirent et découvrirent un air doux et
agréable. L’odeur de la nature vierge était telle que l’on sentait que
l’homme était presque de trop ici, capable d’y amener ses pollutions habi-
tuelles. Alixem demanda à son équipe de respecter la nature et de faire at-
tention à ne pas détériorer l’environnement. Ce fut une sage précaution,
mais c’était sans compter sur le magnétisme particulier de l’astre qui avait

272
des effets totalement indésirables sur le psychisme humain. Les premiers
jours, personne ne sembla souffrir de ce phénomène et tous purent observer
la grande richesse de cette planète. Tous les membres se partagèrent des
zones d’exploration. Comme ils étaient une trentaine, six groupes de cinq
furent constitués, tous partant dans une direction différente. Afin de ne pas
troubler cette nature, il fut décidé de partir à pied et de ne pas prendre de
véhicule d’exploration. Ils trouvèrent l’équivalent terrien de champs entiers
de blé et de maïs, des arbres portant des fruits juteux et sucrés comme des
oranges et des pamplemousses, des forêts de pommiers et de poiriers, jus-
qu’à des vallées entières d’ananas et de mangues, sans que l’homme n’ait à
y établir de cultures. Se retrouvant pour faire part de leurs découvertes, ils
ne s’aperçurent pas que leur mental était en pleine mutation. Ils étaient tous
excités et avaient des paroles parfois délirantes, racontant des histoires in-
croyables et des anecdotes étranges. La moitié du groupe décida de repartir
afin d’approfondir les recherches. Les autres pensaient qu’il était important
d’avertir le commandement de la planète, mais pour cela, il fallait aller au-
dessus de l’atmosphère afin de prendre contact par télépathie ou par la radio
supralumique. Ceux qui repartaient ne savaient pas que l’équipe restante
courait un grand danger. Ils se séparèrent, se donnant rendez-vous le sur-
lendemain. Après le décollage, ceux du vaisseau retrouvèrent leur calme et
ils se rendirent compte qu’ils avaient été bien nerveux sur la planète, sans
faire le rapprochement entre leur état neveux et l’atmosphère de l’astre.
Lunisse fut averti de la grande découverte et les membres du vaisseau déci-
dèrent de rejoindre les autres. Lorsqu’ils arrivèrent, ils ne trouvèrent pas
l’autre vaisseau mais une carcasse à la place. Tout autour une construction
vraiment étrange s’élevait. C’était comme une maison et les membres qui
s’y trouvaient avaient un comportement étrange. Certains essayaient de
marcher sur les mains tandis que d’autres tournaient en rond de façon dé-
sordonnée. Un autre groupe était assis en cercle commençant à dévorer l’un
des leurs, donné comme mort. Dans le vaisseau, grossissant l’image, ils
virent que c’était Alixem, leur commandant. Horrifiés, ils comprirent que le
groupe resté au sol était sous l’emprise d’une force étrange. Dans le vais-
seau, ils étaient protégés, mais ils ne pouvaient laisser le reste du groupe
pris de folie se détruire. Rapidement, ils questionnèrent le CP et firent une
analyse plus profonde de l’astre. Il apparaissait que la fréquence magnéti-
que de l’astre était dix fois plus élevée que sur les autres planètes, ce qui
pouvait atteindre le cerveau et les rendre tous fous. Pour sauver ceux qui
étaient restés sans protection en dessous, il fallait aller les chercher et les
ramener. Cela ne présentait pas de problème, des hommes sous leurs com-
binaisons spatiales seraient protégés et avec des rayons paralysants, ils
pourraient neutraliser la quinzaine d’hommes et de femmes restés. Ce fut
fait et lorsque tous furent remontés, le médecin resté à bord, constata que

273
leur psychisme s’était gravement détérioré, ne s’améliorant pas bien
qu’isolé du rayonnement de la planète. Pour pouvoir rentrer sur Lunisse,
tous ceux présentant des symptômes schizophréniques furent endormis pour
le reste du voyage. Mais Dixar, le médecin ne voulut pas partir sans avoir
cherché une solution à ce mystère, pour deux raisons :
La première était qu’afin de soigner les hommes atteints par ce mal, il fail-
lait en trouver les raisons.
La seconde était que cette planète si fertile devait être domptée afin de pro-
fiter de ce grenier intarissable.
Il demanda au nouveau commandant son accord pour aller seul sur la pla-
nète afin d’y faire les analyses nécessaires. Comme il était très réputé, tous
furent d’accord. Il repartit alors avec une navette de secours, équipé d’un
matériel spécifique qu’il avait l’habitude de prendre avec lui. Après six
jours d’absence tous les membres étaient inquiets. Ils s’imaginaient ne ja-
mais le revoir et le vaisseau s’apprêtait à repartir lorsqu'un faible signal fut
détecté depuis la surface de la planète. De toute évidence, c’était bien lui et
peu après des images furent captées où il disait :
⎯ Vous pouvez tous redescendre, la planète a dévoilé son mystère et
nous pourrons nous y installer.
Amexis, le nouveau commandant hésita, pensant qu’il était, lui aussi deve-
nu fou. Mais d’autres messages suivirent, Dixar indiquait que le magné-
tisme n’était pas dû au sol de la planète, mais à la végétation. Des extraits
de ses travaux furent transmis et tous comprirent qu’il n’était pas fou. Au
risque de devenir tous fous, le vaisseau entier repartit vers la planète. Ils
trouvèrent Dixar qui leur indiquait de ne pas sortir du vaisseau sans avoir
été initiés à la planète. Il voulait dire que pour pouvoir être admis par
l’astre, il fallait d’abord passer l’épreuve de la nature. En fait, toute la na-
ture se protégeait de ses agresseurs par le magnétisme qu’elle rayonnait. Les
hommes débarquant sur la planète n’étaient pas préparés et les plantes se
retournaient contre eux. Connaître la vie de la nature était de première im-
portance et s’associer à celle-ci l’était encore plus. Par cet acte conscient, le
rayonnement des plantes se tarissait et les hommes pouvaient vivre sans
risque sur l’astre. C’est ce que firent tous les membres de l’équipage et cha-
cun put constater que les effets négatifs ne se faisaient plus sentir. L’accord
parfait avec la nature était la condition indispensable pour pouvoir vivre ici.
Tous les membres de l’équipage s’accordèrent avec cette nature et ils vou-
lurent s’installer sur la planète. Ils s’accordèrent à l’appeler Bravia, en rap-
port avec l’acte de bravoure du médecin. Dixar devint le gouverneur de la
sixième planète lunisse et les autres membres de l’équipage les premiers
colons. Ceux qui étaient devenus fous furent soignés en trouvant l’harmonie
avec la planète, mais ça, c’est encore une autre histoire…
Tout cela remonte à déjà mille ans et cela restera toujours dans la mémoire

274
des Lunisses. Amanine se remémore tous ces événements avant de monter
dans le vaisseau qui la déposera sur Bravia. Elle sait qu’à son arrivée, elle
devra trouver l’harmonie avec la planète, avant de commencer à l’explorer.
Elle ne sait pas si elle trouvera des survivants. Elle sait seulement
qu’autrefois, ceux qui venaient sur Bravia étaient obligatoirement accueillis
avec le rite d’initiation. Elle se dit que personne ne pourra l’aider, elle sera
seule, pas de maître ni de guide pour la recevoir.

Le vaisseau descend avec dix membres ; mission : retrouver les possibles


survivants. Le site choisi, la zone habitée de Fuctipolis, le lieu où vivait le
gouverneur de la planète. C’était l’endroit le plus peuplé, mais hors de ques-
tion de parler de ville, car la nature se serait rebellée rapidement contre ses
habitants. Survolant la zone, Amanine aperçoit la capitale, mais ne voit per-
sonne sur les chemins dessinés à travers les arbres et les habitations discrè-
tes. Avant de se poser, elle rappelle aux membres de l’équipe l’importance
de leur mission et les avertit que chacun devra prendre en considération la
nature dans laquelle il devra s’intégrer. La psyché lunisse est forte et capa-
ble de se laisser pénétrer par les forces de cette nature. Les hommes ne doi-
vent avoir aucune mauvaise intention et se montrer coopératifs avec les
esprits de la nature, un peu ce que sur Terre on appelle le chamanisme. Du
reste, les braviens étaient certainement des chamanes. Ce qui explique leur
très grand dévouement à la nature et aux arbres avec lesquels ils semblaient
avoir des rapports particuliers. Tous orientés sur cette nouvelle philosophie,
ils se sentent prêts et Amanine peut ouvrir les portes du vaisseau afin que
l’odeur de la nature emplisse leurs poumons. C’est la première initiation
pour établir un contact avec les esprits de la nature, pour qu’ils soient satis-
faits de leurs visiteurs.
Au début tout se passe correctement, mais très vite les hommes et les fem-
mes commencent à délirer devant Amanine qui paraît protégée. Ils ont tous
des paroles incohérentes, quelque chose semble ne pas fonctionner et pour-
tant ils étaient tous préparés.
Dans le vaisseau, Némeq voit avec les yeux d’Amanine la situation, mais il
reste impuissant. Son amie ne semble pas atteinte pour le moment, mais les
quatre femmes et les cinq hommes paraissent devenir fous. Némeq de-
mande à Amanine de faire immédiatement demi-tour et d’annuler la mis-
sion, mais c’est trop tard car tous ont déjà quitté le vaisseau. Amanine in-
forme qu’elle reste afin de ramener tous ses équipiers à la raison, hélas, peu
après elle se retrouve seule, le vaisseau vide, tous les membres se sont épar-
pillés dans la nature. Plus de choix : à son tour, pour les retrouver elle doit
sortir, mais rapidement la force magnétique de l’esprit de la nature tente de
la pénétrer pour la détruire aussi. En réaction, une force inattendue en elle la
supplie de ne pas flancher et résister, afin de trouver l’accord en elle et la

275
nature de cette planète. Le magnétisme de la nature commence alors à glis-
ser sur elle. Amanine ne se laisse pas submerger par la folie, mais un autre
phénomène se produit. L’esprit de la nature prend place en son corps sans
avoir de prise sur elle. Et c’est là qu’une transformation imprévue et vrai-
ment spectaculaire s’opère sur l’ensemble de son être :
Entourée d’arbres, Amanine sent son corps se métamorphoser très progres-
sivement. D’abord, ses orteils s’allongent, s’enracinant dans le sol et il lui
devient totalement impossible de bouger, elle s’est ancrée comme toute la
végétation. Maintenant ses bras s’étendent se redressant vers le ciel, ses
doigts poussent comme des branches. Son torse s’allonge comme un tronc
et écorce brune commence à la recouvrir. Des rameaux ont poussé partout
sur elle, il est impossible de penser qu’elle fut humaine. Des feuilles ont
remplacé ses cheveux en sortant comme des bourgeons sur toutes les bran-
ches. Seuls ses yeux sont restés au sommet du tronc. Durant toute cette
transformation, Amanine est totalement consciente, elle n’a rien perdu de sa
lucidité, elle n’a pas sombré dans la folie tandis que l’esprit de la planète a
su métamorphoser son corps, comme pour se venger. La pauvre se sent ar-
bre et des petits fruits verts pendent de ses lourds membres. Elle se de-
mande comment se sortir de là, devra-t-elle toujours rester arbre ?
Si elle pouvait pleurer, toutes ses larmes inonderaient le verger dans lequel
elle se trouve. Figée sur place, à quelques dizaines de mètres de son vais-
seau, elle voit l’étoile se coucher, c’est ainsi qu’elle pense être condamnée à
rester ici pour le reste de sa vie. Maintenant, la nuit paraît s’étendre pour
l’éternité.
Amanine a gardé la faculté de dormir et au matin, se réveillant, elle constate
que rien n’a bougé. Ses deux pieds restent solidement attachés au sol. Elle
se dit alors :
« À, si je pouvais marcher, déjà, je pourrais trouver mon équipe et peut-être
les autres survivants. »
Amanine s’aperçoit vite qu’en tant qu’arbre, elle fait partie d’un système et
comprend qu’elle est devenue une pièce de l’esprit de la nature.
Sur cette planète l’esprit de la nature est la conscience collective de toute la
végétation. Cet écosystème a réussi à créer son intelligence et trouver les
parades aux agressions extérieures. Amanine mélange sa conscience à
l’esprit des autres végétaux et l’histoire de la planète lui apparaît. Elle peut
voir une civilisation végétale s’étant développée comme les hommes. Cette
nature a une histoire et une préhistoire ; une évolution longue de millénaires
et parfois des révolutions. L’esprit de la nature n’a pas toujours existé, il est
venu plus tard lorsque les plantes, les arbres, toutes les espèces végétales
ont commencé à dialoguer ensemble. Dès lors il s’est installé une cons-
cience collective pour gérer la planète. Toute cette végétation comprit
qu’elle avait un pouvoir sur le climat et se mit à le diriger comme elle

276
l’entendait. Ici, c’est le monde végétal qui est le maître et c’est pourquoi
elle n’admit les hommes que dans certaines conditions. Amanine comprend
maintenant pourquoi les premiers hommes avaient été pris de démence. La
végétation exerçait son pouvoir sur les envahisseurs ; c’était autrefois. Mais
là, pourquoi tous ses membres se sont-ils fait surprendre par la folie alors
qu’un pacte avait été conclu avec le règne végétal depuis plus de mille ans ?
Amanine sent que quelque chose lui échappe, un mystère empoisonne le
monde végétal depuis peu. Mais elle n’a pas encore accès à tous, peut-être
que les autres membres de la collectivité végétale ne l’ont pas encore ad-
mise, elle est trop nouvelle ici. Il lui faut trouver le moyen d’acquérir cette
confiance, et peut-être arrivera-t-elle à trouver d’où vient le problème ayant
entraîné son équipe vers la démence. Elle pense aussitôt à partir afin de
comprendre cette révolte contre les hommes et elle se dit :
« Et si l’esprit de la nature m’avait transformé en arbre afin que je les
aide ? c’est peut-être pour ça, il faut trouver ce qui cloche ici. »

Comme Amanine est devenue un arbre, il est évidant que ses réflexes ne
sont plus les mêmes et que le temps n’a plus la même valeur. Sa réflexion
dure une journée complète, mais elle a l’espoir de pouvoir de trouver une
solution. Avant de retrouver le sommeil, elle sent l’esprit de la nature qui
tente de pénétrer son âme, c’est alors qu’il lui demande :
⎯ Oh ! humain, pourquoi n’as-tu pas sombré dans la folie, pourquoi no-
tre protection a-t-elle échoué ?
Surprise que l’esprit la pénètre ainsi, elle se questionne un instant réfléchis-
sant sur son passé et son avenir, et laissant parler ses sentiments profonds,
elle répond :
⎯ J’ai en moi l’Amour, la force la plus puissante de l’univers, c’est
avec elle que j’agis. L’Amour est pour tous notre destin, y compris celui de
la nature. Si je ne l’avais pas, je n’aurais pas pu m’entendre avec vous.
L’amour fait disparaître toute haine, il rayonne la justice et il comprend la
souffrance. Sans l’Amour, aucun être vivant ne peut trouver le repos, même
vous. Tous les règnes doivent se conformer à l’Amour car tout provient de
lui. Le monde minéral, gazeux, spatial, humain, animal et végétal sont tous
issus de ce même Amour et il est notre véritable but, maître, compagnon,
amant, enfant. Dans ce monde de vie et de mort, il est notre seul espoir.
C’est de cela que je vis et c’est pour cela que je vis. Sans l’amour, je n’ai
aucune raison d’être. C’est par Amour pour vous et les humains que j’ai
trouvé la force de ne pas sombrer dans votre piège ô ! esprit de la nature.
Toute la nature végétale perçoit les paroles d’Amanine et se sent touchée
par cette grande vérité. Voyant qu’elle n’est pas leur ennemie, mais leur
alliée, l’esprit change immédiatement d’attitude envers elle, c’est ainsi qu’il
déverse en elle son propre espoir, attendu depuis mille ans comme une déli-

277
vrance pour tous.
Pensant à tous ses amis éparpillés dans l’univers et qui comme elle ou ses
végétaux souffrent du grand déséquilibre cosmique, elle se dit que sa situa-
tion d’arbre n’est pas plus insoutenable que celle des autres, puis elle
s’endort.

Au matin, alors que l’étoile se lève et que les premiers rayons éclairent ses
rameaux et ses bourgeons, Amanine sent ses jambes lourdes et douloureu-
ses et elle se dit que la nature pourrait tout de même être plus conciliante.
S’imaginant devoir rester ainsi figée des centaines d’années, elle commence
à se lamenter jusqu’à ce qu’elle sente son corps entier pivoter un coup à
droite un coup à gauche. C’est là que baissant les yeux, elle voit ses pieds
déliés, les racines ont disparu, elle est maintenant libre de marcher. Serait-
elle le premier arbre capable de se déplacer ? Si c’est le cas, c’est une nou-
velle étonnante.

Amanine regarde ses nouveaux pieds et se dit qu’il faut y aller. Lorsqu’elle
était humaine, elle savait faire fonctionner ses jambes, cela lui donne un
avantage contrairement aux arbres qui n’ont jamais marché.
Elle est un arbre, elle le sent dans toutes ses fibres. Son corps est un tronc
robuste mais très raide. Plus bas, il se sépare en deux comme deux pieds
ayant pris racine, ce sont ses anciennes jambes, mais elles sont toutes raides
et elle se demande si elle pourra les plier pour marcher. Ses deux longues
branches principales, ses anciens bras ne peuvent se courber, elle craint de
les casser. Mais Amanine se dit que si la nature vient de lui faire ce don
exceptionnel, c’est qu’elle peut y arriver.
Alors, elle lève un premier pied et le pose en avant. Avec le second, elle le
lance afin de faire son premier pas et voici qu’elle commence à marcher
pour la première fois, en tant qu’arbre. Voyant son pouvoir exceptionnel,
elle remercie l’esprit de la nature pour ce don et compte bien le mettre en
pratique afin de soulager cette nature ainsi que tous les hommes prisonniers
sur cette planète.
Très vite la nature voyant qu’elle peut marcher, lui propose de lui faire visi-
ter les communautés de la planète et c’est ainsi que pourvue de ses grandes
jambes, elle se laisse guider par tous les arbres qui l’entourent. Bien sûr,
elle ne fera pas le tour de la planète, mais elle pourra néanmoins parcourir
des kilomètres dans une journée, et elle commence à visiter les arbres frui-
tiers avant de rencontrer les colosses les plus redoutables comme les chênes
ou les baobabs. Il y a bien sûr les ronces, mais aussi les arbres d’agrément
aux multiples fleurs et aux parfums enivrants. Toute la nature voudrait la
rencontrer afin de se présenter, mais la journée ne suffit pas. Le soir, dans
une montagne, entourée de sapins et d’autres conifères, Amanine raconte à

278
toute l’assemblée son aventure. Elle parle des hommes, de leurs conquêtes
et de leur fâcheuse habitude de vouloir dominer et civiliser tout leur envi-
ronnement. Elle parle aussi de la guerre qui se prépare dans l’espace entre
Maldeï, le représentant du mal dans l’univers, et tous les hommes qui veu-
lent continuer à vivre libre. Tous les arbres prennent confiance en elle et
commencent à lui parler des hommes qui vivaient sur la planète il y a en-
core peu et hélas devenus malvenus parce qu’ils avaient changé les règles
de vie en un jour. C’est pour cette raison que l’esprit de la nature n’a plus
accepté les hommes sur le sol de la planète. Amanine leur demande ce qui
s’est passé pour que les règles changent si subitement, mais personne ne
sait, la seule chose qui lui est dite, c’est que seul l’arbre royal doit détenir la
réponse car l’esprit de la nature vient de lui et son âge inestimable lui per-
met d’avoir la plus grande sagesse qui soit.
⎯ Pourrais-je le rencontrer ?
⎯ Si l’esprit est d’accord, tu en auras l’occasion. Mais il n’est pas à cô-
té.
⎯ J’aimerais que l’esprit m’y autorise, si je savais de quel mal vous
souffrez, je pourrais vous aider.
Alors, tous les conifères se questionnent et après avoir réfléchi, ils acceptent
d’en parler à l’esprit.
Un peu plus tard, le plus grand des sapins dit :
⎯ Amanine, nous te guiderons tous jusqu’à l’Arbre Royal, il est à deux
jours de marche. Tu partiras demain, lorsque l’étoile se lèvera.
Elle sent que toute la nature lui fait maintenant confiance, elle se dit qu’une
lourde charge pèse sur ses épaules. Après avoir baigné ses racines dans un
torrent afin de se désaltérer, elle s’allonge sur une prairie pour se reposer et
se préparer à son voyage. Demain, elle partira à la recherche de l’Arbre
Royal…

Les sapins arrivent à se pencher pour la réveiller, les caresses des aiguilles
de pin chatouillent ses racines et elle ouvre les yeux. Un séquoia géant lui
dit que le chemin sera long et l’avertit d’un étrange danger qui pourrait la
guetter si elle ne prend pas garde. Amanine l’interroge et demande des pré-
cisions, mais le géant de la forêt est ignorant, lui disant simplement de ne
pas se diriger vers les grands bruits. Elle ne comprend pas trop sa réponse,
mais le remercie et prend la route, guidée par les arbres qui se relaient sur le
chemin. Elle est seule à marcher, mais à chaque pas, un arbre différent lui
parle comme si de l’un à l’autre elle n’entendait qu’une seule voix
l’accompagnant. Durant la journée, elle croise différents paysages, parfois
la montagne puis la plaine, traversant des collines sans oublier les marais. Il
y a des zones un peu moins boisées le long des côtes bordant la mer et cer-
taines fois des savanes très denses où elle peut juste se faufiler bien que les

279
arbres se penchent afin de lui laisser le passage. Au premier soir de son
parcours, elle arrive devant un lac recouvert de nénuphars qui lui chantent
une louange pour son courage et sa témérité. Charmée, elle les félicite leur
promettant de faire tout ce qu’elle pourra afin qu’ils puissent continuer à
chanter encore très longtemps. La nuit est courte, le lendemain toutes les
fleurs du lac la réveillent afin qu’elle puisse arriver au bout de son chemin.
Reprenant sa route, Amanine comprend que son mental a changé depuis son
arrivée sur la planète, et qu’elle pense presque comme un végétal, elle ne
ressent ni la faim ni la peur, ses impressions humaines ont disparu, elle est
plus végétale qu’humaine. Elle n’a plus de désir d’homme, sauf celui de
voir le monde végétal prospérer à l’infini. Aucun doute, elle sait que sa mis-
sion est importante pour ses amis de la nature et que les hommes pourraient
aussi en profiter. Seulement, sa réflexion est arrêtée net par des bruits ef-
frayants qu’elle entend au loin. Le séquoia l’avait avertie, mais c’est trop
tard. De ses oreilles exercées, elle reconnaît le bruit de faucheuses motori-
sées et elle comprend que des machines sont en train de couper la végéta-
tion. Elle doit voir ce qui se passe vraiment, il faut s’en rapprocher. Du haut
d’une colline, elle aperçoit des dizaines d’engins qui, avec des cisailles
géantes coupent tout ce qu’ils trouvent sur leur passage. Des arbres sont
abattus en série par des machines, détruisant tout avec leurs chenilles métal-
liques. Ce massacre la fait souffrir comme si c’était sa chair que l’on meur-
trissait. Elle recule et demande aux arbres de la guider le plus rapidement
possible vers l’Arbre Royal. Laissant les machines derrière, elle marche
d’un pas pressé vers la demeure Royale. Elle se dépêche, le sol tremble sous
ses pas, ses branches entraînent un vent presque violent et au bout de quel-
ques heures elle arrive enfin à son but.

Dans une large clairière entourée de colosses de bois, se trouve en son cen-
tre un arbre frêle et au tronc tout ridé. Il est bien plus petit qu’Amanine et
tous les autres arbres qu’elle avait croisés au long de son parcours. Elle se
demande où elle pourra trouver ce roi. L’un des colosses lui fait signe en lui
faisant remarquer :
Regarde l’olivier, celui dont le rameau indique toujours la Terre promise.
Amanine ne connaît pas la signification du rameau d’olivier dans la genèse,
mais elle connaît le mot "Terre" et elle est étonnée de l’entendre dire par un
arbre à une distance infinie de la planète originelle. S’approchant de l’arbre,
elle se met à genoux devant lui :
Redressez-vous ma chère, vous êtes digne de rester debout devant moi.
⎯ Ô, maître, on m’a conseillé de venir vous voir afin de pouvoir résou-
dre le grand problème qui meurtrit votre planète. Il y a aussi mes hommes
égarés dans la folie peu après que nous nous soyons posé et d’autres, peut-
être aussi perdus à la surface de l’astre alors qu’ils vivaient paisiblement.

280
Nous sommes venus les chercher et c’est pour cette raison que je suis là.
⎯ Ma brave fille, je dois te dire qu’hormis les derniers hommes qui
sont arrivés il y a quelques jours, il y en a d’autres, heureusement isolé dans
la maison des fous ; c’est le seul lieu qui leur soit destiné.
⎯ Mais depuis mille ans, tout un peuple vivait à vos côtés en pleine
harmonie, je ne comprends pas pourquoi vous les retenez ainsi alors que le
peuple lunisse avait fait un pacte avec l’esprit de la nature ?
⎯ Le pacte a été rompu par les hommes, c’est pourquoi nous ne les ac-
ceptons plus. Ce sont les hommes qui en sont responsables.
⎯ Qu’ont-ils fait ?
⎯ Tu as vu les machines, celles qui coupent les arbres. Tu peux com-
prendre que ce sont eux qui ont fait venir ces engins sur la planète. Il y a de
très nombreux jours, un être du nom de Maldeï, se disant chef des hommes
et de Lunisse, a déposé ces terribles machines sur notre planète. Elles dé-
truisent notre nature, elles envahissent nos territoires et détruisent nos forêts
et nos vergers. Si ces engins continuent, un jour nous disparaîtrons, non pas
parce qu’elles nous auront tous coupés, mais par le climat que nous ne pour-
rons plus contrôler parce que nos esprits auront été réduits à néant.
⎯ Ces hommes ne sont pas responsables de votre malheur, Maldeï est
le représentant du mal et nous sommes en guerre contre elle. Même si elle
se prétend chef des hommes et des Lunisses, c’est faux. Les hommes qui
sont restés sur Bravia sont ceux qui considéraient le mieux votre planète.
C’est injuste, ils ne doivent pas payer pour la méchanceté de Maldeï. Dis-
moi où je peux retrouver tous les hommes, indique-moi la maison des fous,
il faut les délivrer.
⎯ S’ils ne sont pas responsables, pourquoi les machines agissent-elles
toujours, peux-tu les arrêter ?
⎯ Ô ! Grand Arbre royal, si tu me rends mon corps humain, j’arriverai
à détruire toutes ses machines, j’en ai le pouvoir. Je peux rendre à ta planète
sa liberté, je te le promets.
⎯ Si tu fais cela, je délivrerai tous les hommes de leur folie, tu en as ma
parole. Mais ton corps humain je ne pourrais te le rendre que du lever au
coucher de l’étoile, ensuite tu redeviendras arbre parce que tes cellules ont
changé ; sans lumière, elles redeviennent arbre. Tu as en toi l’esprit de la
nature et il ne peut plus te quitter.
⎯ Que m’importe la forme que j’ai, il est plus important que je puisse
sauver tous les hommes retenus ici. J’aime cette planète et votre nature, je
suis prête à rester arbre s’il le faut, mais je dois savoir où sont tous les
hommes emprisonnés dans leur prison de folie. M’est-il permis de les voir
avant de vous débarrasser des machines ?
⎯ Les arbres te guideront jusqu’à la maison des fous, mais fait vite, car
tu n’auras ton corps humain que peu de temps après cette nuit.

281
Saluant le vieil arbre, Amanine se met à courir, bien qu’elle ait des pieds et
des jambes de bois. Elle traverse collines, montagnes et rivières si vite
qu’elle semble voler, perdant ses fruits et la moitié de son feuillage. Enfin
elle arrive dans une forêt plus dense que les autres. La pénétrant, elle arrive
jusqu’à un immense dôme de bois et de racines recouvert de feuilles et de
lierre.
⎯ Tu es devant la maison des fous, lui dit le grand arbre qui l’accueille.
Amanine s’imaginait que les hommes avaient construit une grande bâtisse
pour s’abriter, mais il n’en est rien, les arbres lui expliquent qu’ils ont eux-
mêmes construit la maison parce qu’aucun homme n’en était capable. Leur
folie les a rendus inaptes à beaucoup de tâches. Il n’est pas dans le principe
des arbres de tuer ou de laisser mourir des êtres et ils ont bâti une grande
maison pour les abriter et celle-ci leur donne aussi la nourriture. Pénétrant à
l’intérieur, elle voit immédiatement les murs faits de branches toutes char-
gées de fruits. Amanine sait que les arbres ne sont pas mauvais, mais ils se
préservent afin de pouvoir subsister.
Au-delà de cette première impression, son regard s’arrête sur tous les hom-
mes qui se trouvent enfermés sous cette coupole d’arbres et de branches. Le
spectacle est terrible et elle comprend le machiavélique but de Maldeï en
amenant ses machines ici. Elle connaissait Bravia et toute son histoire.
Lorsqu’elle est arrivée sur la planète afin de les ramener avec elle, tous les
habitants avaient dû se rebeller et se défendre. Ne pouvant les vaincre, elle
avait décidé de rompre pour tous le pacte que les habitants avaient avec
l’esprit de la nature. C’est ainsi qu’elle avait déposé sur la planète ces dizai-
nes de cisailles sur chenilles afin de blesser la nature. Les arbres voyant cela
ne pouvaient que se retourner contre tous les habitants, responsables à leurs
yeux, c’est pourquoi le pacte fut rompu et que les hommes ont tous sombré
dans la folie.
Sous la grande coupole, elle voit des dizaines d’hommes et de femmes pour
la plupart nus. Leurs cheveux sont démesurément longs et tous les mâles
ont des barbes effrayantes. Seuls les membres d’équipage qu’elle reconnaît
se distinguent par leur tenue encore honorable. Mais aucun d’eux ne res-
semble à un humain, ils font tous penser à des singes enfermés dans des
cages. Certains se pendent à des lianes, d’autres se secouent la tête comme
s’ils voulaient la décrocher, alors que d’autres se roulent sur le sol. Parmi
eux, certains s’accouplent comme des bêtes en tirant sur leurs sexes afin de
se faire bander. Des enfants aussi fous que les autres commencent à grimper
sur Amanine et elle est obligée de se secouer pour les faire redescendre.
C’est une maison de fous, mais pour elle, c’est plus un zoo qu’une maison,
ce ne sont plus des humains. Prenant un peu de temps, elle en dénombre
près de deux cents. Écœurée de voir la déchéance de ces pauvres êtres, elle
se demande si ce voyage valait réellement la peine, à quoi bon ramener avec

282
elle deux cents primates. Se transformer en arbre pour des singes se pendant
à ses branches, est-ce une juste finalité ?
Tant de question sans réponses. Elle se demande s’il faut continuer sa
quête ! Mais se penchant, elle trouve une de ses anciennes compagnes de
voyage en larmes à ses pieds et elle se dit que peut-être en eux est restée
une parcelle d’humanité. Près de sept ans de souffrances pour tous ces êtres
qui ne sont pas responsables de tout cela, alors que Maldeï continue à ré-
pandre le malheur autour d’elle ; il y a trop d’injustice.
« Non, je ne dois pas les abandonner, il y a encore une chance pour eux. Je
dois détruire les machines, peut-être qu’ils se remettront tous et pourront
revivre normalement. Il y a une possibilité. »
Ne pouvant plus tenir devant tous ces pauvres êtres, elle se retire et de-
mande aux arbres de la conduire jusqu’au vaisseau avec lequel elle est arri-
vée. C’est le soir ; et demain elle retrouvera son corps de femme. La route
est longue et elle ne peut pas s’arrêter. Pas de sommeil pour elle, pas le
temps de se rafraîchir. Amanine court de toutes ses forces, en suivant les
indications des arbres. Parfois, elle casse quelques-unes de ses branches,
arrache son feuillage et plie quelques racines. Enfin, juste avant le lever de
l’étoile, elle s’effondre au pied de son vaisseau.

L’étoile se lève et éclaire le ciel. Bientôt, entre les quelques nuages qui
s’étendent à l’horizon, la couronne lumineuse apparaît. Sur le sol, un corps
nu de femme est étendu, couvert de quelques blessures. Elle est pleine de
poussière et ses pieds sont en sang. Pourtant, son cœur bat et elle commence
à s’étirer.
Amanine se redresse lentement, fatiguée et blessée, et lorsqu’elle regarde
ses membres, elle voit qu’elle a des mains et ses cheveux tous décoiffés lui
recouvrent les yeux. Elle a l’odeur du sol et de la transpiration, mais elle a
retrouvé son corps humain. Pensant à sa mission urgente, vite sur ses jam-
bes, elle fonce jusqu’au vaisseau, se prend une douche et enfile de nou-
veaux vêtements. Elle ne doit pas traîner, ce soir, il sera trop tard. Vite, elle
se met aux commandes de l’engin et questionne le CP :
⎯ Combien de faucheuses peux-tu dénombrer sur cette planète ?
Le calculateur réfléchit un peu avant de lui répondre :
⎯ À porté de mes détecteurs, j’en dénombre vingt-quatre, mais en alti-
tude je pourrais être plus précis. Cependant, j’estime à près de quatre-vingt
leur nombre au total.
⎯ Alors, décolle tout de suite, nous devons les détruire.
Aussitôt, le CP met en route la propulsion et à peine le vaisseau s’est-il éle-
vé qu’il repère une des premières faucheuses. C’est très facile pour Ama-
nine de les détruire car une fois dans la mire du CP, l’engin considéré
comme ennemi est pris pour cible. Il n’est pas besoin pour elle de viser, le

283
tir éthérique est automatique. Le premier engin est détruit, hélas le vaisseau
prenant de l’altitude, le CP arrive à compter plus de cent trois faucheuses de
même type. Amanine ne perd pas courage pour autant et elle programme
son appareil pour les détruire toutes. La vitesse du vaisseau reste sous son
contrôle, mais à proximité du sol, elle devra faire attention aux accéléra-
tions, cela devient risqué. Le vaisseau programmé pour détruire, tourne
autour de la planète sans s’arrêter. En moins d’une heure, déjà quinze en-
gins sont abattus, mais, Amanine fait ses comptes. Si elle doit les faire tous
disparaître, il lui faudra huit heures. Or, l’étoile se couchera dans neuf heu-
res et ensuite, il faudra aller chercher les survivants. « C’est trop juste, se
dit-elle. Je dois accélérer pour gagner du temps », et elle pousse la propul-
sion gravitique à son maximum. Seulement dans son appareil, c’est l’enfer,
elle est tiraillée de tous les côtés, son visage se déforme à chaque accéléra-
tion ou changement de direction, supportant plus de dix G d’accélération,
ses organes se déforment et tirent sur les artères, à la limite de les faire ex-
ploser. Avec courage, Amanine tient bon, elle se donne la force de résister
pour sauver les hommes dans la coupole, mais surtout les arbres qui souf-
frent du massacre que leur infligent les faucheuses.
Au bout de six heures, la dernière faucheuse est détruite et explose dans un
fracas extraordinaire. Le CP et le vaisseau ont rempli leur mission, le Cristal
Pensant demande à Amanine :
⎯ Que voulez-vous que je fasse maintenant que toutes les faucheuses
sont détruites.
⎯ S’il te plaît, pose toi dans la clairière de l’olivier qui se trouve là, dit-
elle en pointant du doigt un lieu précis sur la carte, et appelle pour moi le
grand vaisseau. Demande-leur de me rejoindre.
Le CP exécute l’ordre sans discussion et se dirige en douceur vers l’Arbre
Royal.
Némeq est informé aussitôt qu’Amanine la réclame sur la planète. Il n’avait
pas eu de ses nouvelles depuis quatre jours. Comprenant qu’un événement
important s’est passé, il met en marche son vaisseau jusqu’au point de ren-
contre. Les deux engins se dirigent vers la clairière de l’olivier, mais c’est
Amanine qui arrive la première. Elle sort de son appareil, se dirige vers
l’Arbre Royal et lui dit avant de s’effondrer :
⎯ Ô ! Esprit de la nature, j’ai détruit toutes les faucheuses, j’ai accom-
pli ma mission.
Elle perd connaissance et tombe au pied de l’arbre. Du sang coule de sa
bouche. Le grand vaisseau se place à la verticale, laissant descendre une
rampe. Némeq est au bout et saute, avant que la passerelle soit stabilisée.
Voyant Amanine étendue sur le sol il court vers elle afin de la secourir. Elle
est blessée, il fait appeler un médecin. Celui-ci constate que la plèvre s’est
décollée en même temps qu’une hémorragie pulmonaire est survenue.

284
⎯ Ce sont les fortes accélérations de son vaisseau lui ont été fatales.
⎯ Faites quelque chose, docteur.
⎯ Je peux tenter d’arrêter l’hémorragie, mais il faudrait l’emmener au
vaisseau.
Sur ce, Amanine reprend connaissance et ouvrant les yeux, lui dit avec dif-
ficulté :
⎯ On a gagné, tu pourras repartir avec tous les survivants. Tu les trou-
veras sous la grande coupole avec mon équipage. La planète est sauvée, j’ai
détruit tout ce que Maldeï avait amené ici. Némeq…
⎯ Oui, Amanine.
⎯ On a sauvé cette planète. Lorsque vous partirez, rayez-la de vos car-
tes, ne revenez plus ici, laissez-la vivre sans les hommes. La nature est mer-
veilleuse.
⎯ Tu repars avec nous de toute façon, tu pourras nous raconter tout ce
que tu as vu ici.
⎯ Je ne partirai pas avec vous, je vais mourir, j’ai trop forcé sur les
commandes de mon vaisseau. De toute façon je ne peux pas repartir avec
vous, car j’ai fait un pacte avec l’esprit de la nature. J’ai trouvé mon élé-
ment ici, je suis bien avec les arbres et avec cette nature. Je n’ai jamais été
aussi heureuse depuis que je suis arrivé sur Bravia. Laissez-moi ici, de toute
façon je perdrai mon corps lorsque l’étoile se couchera.
⎯ Mais nous pouvons te soigner, nous allons t’emmener au vaisseau
pour faire ce qu’il faut pour toi.
⎯ Non, non, c’est trop tard, regarde tout ce sang que je perds, c’est la
fin. Va chercher les hommes au dôme de bois, soigne-les, ils ont tous be-
soins de vous. Je n’aurai pas le temps de tout te raconter, lis en mon être
mes pensées, tu comprendras. Prends ma main pour m’entendre.
C’est ainsi qu’Amanine montre par sa pensée tout ce qu’elle a vécu depuis
qu’elle est ici. Némeq comprend et reçoit même en lui les sentiments de
l’esprit de la nature.
⎯ Retrouve les hommes du dôme, quitte notre planète et ramène-les sur
Terre.
Sans attendre, Némeq laisse Amanine avec le médecin afin qu’il la soulage.
Il décolle avec son vaisseau et très vite il trouve le dôme et les pauvres
hommes pris de folie. Au-dessus de la construction naturelle, il prend à
peine le temps de descendre et arrivé au pied de l’entrée, accompagné de
plusieurs hommes, il pénètre dans l’immense bâtisse. Là, il découvre tous
les êtres qui y vivent et qui par miracle se réveillent d’un éternel sommeil.
S’approchant d’eux, il demande si quelqu’un le comprend et aussitôt, l’un
d’eux s’approche. C’est une femme aux très longs cheveux gris, elle est nue
et se sent gênée de se présenter ainsi. Sa peau est terne, sale. Elle sent mau-
vais, mais qu’importe.

285
⎯ Qui es-tu, dis-nous pourquoi nous sommes ici dans cet état ?
⎯ Je m’appelle Némeq, j’appartiens à la mission de secours, c’est
Aqualuce qui nous envoie. Vous étiez tous privés de conscience depuis que
Maldeï a rompu le pacte avec l’esprit de la nature, mais mon amie, Ama-
nine, a réussi à renouer l’amitié entre les hommes et la nature de Bravia.
Les arbres vous ont libérés de leur malédiction, vos esprits ont recouvré la
liberté.
⎯ Je suis Altaris, le gouverneur de la planète. Les derniers souvenirs
que j’ai sont ceux de la guerre que j’ai commencée à mener contre cette
infâme Maldeï venue ici pour nous ramener sur sa planète. Je me souviens
lorsque la nature s’est retournée contre nous tous afin de se préserver.
⎯ Vous êtes nombreux ici, nous devons nous organiser afin de vous
embarquer sur notre vaisseau.
⎯ Lorsque Maldeï est venu, nous étions quatre cents environ, je ne sais
pas combien sont encore en vie.
⎯ Vous êtes deux cent trois, avec les enfants. Il y a encore quelques
heures, vous étiez tous baignés dans la folie et vous viviez comme des ani-
maux. Il va falloir s’occuper en priorité des enfants, ils n’ont aucun autre
repère, après sept ans passés dans ces conditions. Nous devons tout leur
apprendre.
Altaris comprend qu’elle a été privée de vie pendant de nombreuses années
et qu’un grand travail de reconstruction est à faire. Elle se tait un instant et
laisse glisser une larme.
⎯ Où est le jour lorsque j’ai consacré Jacques Brillant maître des mon-
des lunisse ?
⎯ Jacques est prisonnier de Maldeï et nous faisons le tour des planètes
de la confédération afin de rassembler tous les hommes et préparer la ri-
poste contre Maldeï. Nous sommes déjà plus de deux mille. Avec nous vous
participerez au retour de la justice.
Réfléchissant à cela, Altaris comprend qu’une nouvelle chance se présente
face à eux et cela lui redonne du courage.
⎯ Avec tous les survivants de Bravia, nous allons guérir de nos plaies
et nous ferons en sorte que tous nos enfants retrouvent une vie normale. Je
vais immédiatement me changer. Donnez-moi des vêtements et de quoi me
laver, je vais rassembler le reste de mon peuple.
Très vite, Altaris fait ce qu’il faut pour se rendre présentable tandis que
Némeq regroupe hommes, femmes et enfants afin de leur donner les pre-
miers soins. Altaris rejoint Némeq et lui demande :
⎯ J’aimerais retrouver Amanine, peux-tu me guider vers elle.
⎯ La pauvre est mourante et a voulu rester à côté de l’Arbre Royal,
mais si tu le souhaites, je peux t’y emmener.
C’est le soir et l’étoile vient juste de se coucher lorsqu’ils grimpent dans un

286
petit engin qui les mène jusqu’à l’olivier. Némeq en sort accompagné
d’Altaris. Le médecin se précipite vers eux :
⎯ Venez vite voir, c’est incroyable !
Ils le suivent et s’arrêtent net là où se trouvait Amanine il y a encore quel-
ques secondes, ils voient le corps de la jeune femme se transformer de façon
spectaculaire. Ses pieds s’enfoncent dans le sol et ses ongles se transfor-
ment en racine. Ses jambes poussent comme des troncs et son corps conti-
nue dans leur prolongement. Elle se redresse droite vers le ciel et ses bras se
lancent de chaque coté, ses doigts forment de longs branchages. Sa tête
s’enfouit dans le creux du tronc et disparaît avec ses yeux. Ses oreilles et
ses cheveux se transforment en feuilles et Amanine n’est plus qu’un arbre,
un olivier comme l’Arbre Royal. Il est magnifique et resplendit de ses feuil-
les argentées. Son tronc est jeune mais déjà très solide, son feuillage rejoint
celui de l’Arbre Royal, formant un couple magnifique. C’est fantastique,
mais Némeq ne peut s’empêcher d’éprouver une grande tristesse car, bien
que marié à Doora, depuis un long moment entre lui et Amanine des senti-
ments bien plus profonds avaient pris place. Son amie métamorphosée en
arbre le rend malheureux. Altaris comprenant ses sentiments, lui prend la
main :
⎯ Pourquoi pleurer lorsqu’un être trouve le bonheur. Tu ne peux
qu’être heureux pour elle. Fais lui savoir afin qu’elle puisse vivre sans ton
ombre.
Il lui lâche la main à ce moment afin d’entourer le tronc de ses bras. Il lui
baise les racines et attrape un rameau d’une de ses branches qu’elle semble
lui tendre. Il le prend et le serre contre son cœur, caresse une dernière fois le
tronc, fait demi-tour et grimpe dans son engin.

Un peu plus tard, de la clairière de l’Arbre Royal, on peut voir le sillage


lumineux que fait un grand vaisseau spatial quittant l’atmosphère. C’est là
qu’Amanine, levant son esprit vers le ciel, sent en elle son corps vibrer de
joie.
Comme pour fêter le retour de la paix, un vent léger se lève et entraîne vers
Amanine le pollen de l’Arbre Royal vers ses fleurs. Se sentant ensemencé
par son nouvel amant, elle laisse en elle la jouissance de la vie s’installer,
fécondée par la nature. Elle pense à ce mot qui lui ouvrit l’esprit de ce
monde :
« L’Amour », le maître mot de la vie entière. Le mot avec lequel elle
s’accouple à l’Arbre de la Vie, afin de donner des fruits pour toute
l’humanité.

Le lendemain, lorsque l’étoile se lève sur Bravia, au centre de la clairière un


curieux arbre a trouvé racine ; il ressemble à un grand olivier avec deux

287
troncs qui s’enroulent l’un dans l’autre, son corps est transparent comme un
diamant éternel, toutes ses feuilles resplendissent comme des miroirs et ses
rameaux sont chargés de fruits. La lumière l’éclaire dans un ciel pur et bleu
afin que tous les rejetons puissent mûrir et être mangés par le Bonheur…

Arbre de vie, tu resplendis par les fruits


Que tu donnes pour la vie…

Amanine.

Avant de quitter l’atmosphère de Bravia, Némeq voit la planète devenir


transparente comme du cristal. Il comprend alors toute l’importance de la
mission d’Amanine. Réconforté, il peut maintenant partir rassuré. Le ra-
meau d’olivier dans une main, il s’aperçoit qu’il est toujours aussi vert et
empli de vie et il le met dans un vase rempli d’eau, pour le garder comme
l’image de sa coéquipière. Altaris, emplie de l’esprit de Bravia, lui dit :
⎯ Dans un sol prêt à recevoir l’esprit de la nature, il refleurira. Tu sais,
Némeq, il n’y a pas que les hommes qui ont l’esprit ; la nature l’avait avant
eux…

288
LA NOUVELLE COMMUNAUTE
Voilà trente jours au moins qu’Aqualuce et ses deux amis
ont disparu dans le Puits de l’Oubli. Depuis son départ, la communauté a
changé, surtout maintenant qu’Adiban a retrouvé son enfant. Elle s’est
mise avec Fil et ils forment un couple magnifique, on croirait qu’ils ont
toujours vécu ensemble bien qu’elle ne soit arrivée que depuis quelques
dizaines de jours. Comme Fil était déjà un des principaux leaders de la
communauté, Adiban s’est vite retrouvée un des piliers. Proche
d’Aqualuce et ayant affronté Maldeï, cette notoriété lui revient comme un
droit, cela ne fait aucun doute. Cette femme étant pilote et ayant de très
grandes connaissances sur la fabrication des engins spatiaux, il lui a été
confié la grande mission de construire une arche pour la Terre. Le temps
est venu de construire l’engin qui les emportera, mais avant d’entreprendre
le chantier, elle réfléchit au sujet et surtout, prend un peu de temps avec
Dorker, son fils, qui n’a pas trois mois. Il est si petit qu’il a besoin de sa
maman toute la journée ; elle en fut séparée et traumatisée si longtemps,
qu’elle rattrape aujourd’hui le temps perdu. Le plus fou est qu’elle est déjà
enceinte d’un autre enfant. Son mariage avec Fil est prévu dans cinq jours.
Araméis est lui très heureux d’avoir des collaborateurs comme elle, il peut
se libérer de quelques tâches afin de mieux gérer toute la communauté.
Chacun dans la nouvelle ville a trouvé sa place ainsi que de petites habitu-
des et Araméis peut être satisfait d’avoir reconstruit une petite société res-
semblant à ce qu’était Lunisse autrefois…

Adiban regarde chaque jour les étoiles et reste à l’écoute du moindre


mouvement suspect dans le ciel. Elle est la première à détecter l’arrivée
d’un grand vaisseau. Aussitôt, elle pense à un des engins de la flotte de
Maldeï et informe immédiatement Araméis qui la rejoint dans
l’observatoire. Comme à leur habitude, ils s’abstiennent de communiquer
par onde radio ou éthérique, ils n’agiront au moment du contact visuel.
L’inquiétude s’estompe lorsqu’ils aperçoivent sur les écrans la forme du
Vaisseau Instant-Plus que Maora commande. Ils s’en réjouissent et pour
Araméis cela veut dire que Wendy, son épouse, est de retour. Deux heures
plus tard, le grand vaisseau descend tranquillement pour se poser sur le pe-
tit astrodrome. Adiban s’y rend avec Fil.
Araméis, impatient, observe le vaisseau.
La grande porte s’ouvre, il pense voir arriver Maora et son épouse de re-
tour de la Terre où elles étaient parties reconduire la petite Axelle et son
père. Mais au lieu de cela, une grande foule commence à en sortir. Bien
sûr, les deux femmes qu’il attendait sortent enfin, mais ce n’est pas ce
qu’il imaginait. Tandis qu’Adiban reconnaît une grande partie d’amies

289
perdues sur l’île de Racben et se précipite vers eux, Wendy se dirige tran-
quillement vers son époux :
⎯ Salut ! tu vas bien ?
⎯ Oui, si on peut dire, et toi ?
⎯ Trop bien ! je ne veux plus rester sur place, il faut que ça bouge, je
suis tellement mieux dans un vaisseau. Mais, ne t’en fais pas, ça ne
m’empêche pas de t’aimer quand même.
⎯ Quand même, c’est mieux que rien !
Elle lui dit cela pour le rendre jaloux, car elle se précipite dans ses bras et
l’embrasse avec beaucoup de tendresse. Peu après, Maora se rapproche
d’eux et Araméis la saluant, lui demande :
⎯ Combien êtes-vous dans le vaisseau ?
⎯ Plus de deux mille. Les femmes de Natavi et les travailleuses d’Elvy.
Mais il est possible que dans quelques jours d’autres arrivent si les habitants
de Glacialys ont réussi à se libérer.
Ces mots font pâlir Araméis qui se demande comment recevoir autant de
survivants. Tout cela va ébranler encore une fois la communauté qu’il avait
commencée à édifier et mettre en ordre malgré tout.
Wendy voit sa réaction et pense à la toute première communauté de Trinita
et à sa destruction à l’arrivée d’Aqualuce, elle imagine que son époux re-
prend ses anciennes habitudes. S’il pense avoir autour de lui quelque chose
de statique, il se trompe et va aller directement dans le mur.
⎯ Tout est en mouvement, mon chéri, rien n’est acquis ici. Vous étiez
un peu plus de deux milles avant notre arrivée et la population va doubler
dans les minutes qui viennent. N’est-ce pas ce que nous espérions lorsque
nous sommes partis reconquérir les anciennes planètes de lunisse. En notre
absence ne devais-tu pas continuer à bâtir de quoi héberger d’autres mem-
bres arrivant ici ?
⎯ Tu as raison, mais je pensais que nous avions en grande partie récu-
péré presque tous les survivants. Némeq n’est pas encore revenu, mais je ne
pense pas qu’il nous ramènera des centaines de survivants. Deux mille per-
sonnes de plus, c’est vraiment en dehors de ce que nous pouvons recevoir
sur cette planète. Nous avons construit des bâtiments pour environ trois
mille personnes. Comment allons-nous faire pour le reste et ceux qui ris-
quent encore d’arriver ?
⎯ Mais c’est plus qu’il ne faut ! Mille personnes prendront ces places et
mille autres iront dans le grand vaisseau, celui-ci peut en recevoir jusqu’à
deux mille. Demande à Maora, elle te le confirmera.
Araméis voit devant lui des centaines et des centaines de femmes débarquer
et rester sur la grande place. Il ne sait que faire, entre celles qui seront
conduites vers les résidences disponibles et les autres qui devront s’installer
dans le vaisseau. Wendy a raison, il pensait avoir enfin réalisé le noyau

290
d’une communauté presque semblable à celui de Lunisse et aujourd’hui,
tout son monde s’effondre pour la deuxième fois. Il pense à sa communauté
de Trinita qui dura près de sept ans et dont il était le chef, il se souvient
néanmoins qu’Aqualuce l’avait averti qu’il n’était pas là pour refonder Lu-
nisse mais pour se préparer à partir vers la Terre. Décidément, rien ne se fait
jamais comme il le désire, alors qu’il est de bonne volonté pour donner de
lui-même aux autres. Il est si dévoué qu’il n’a jamais voulu prendre le
temps d’avoir un enfant avec sa femme. Malheureusement Araméis est si
encombré par toutes ses pensées qu’il devient incapable de faire face à
l’afflux d’êtres qui débarquent en tous sens de ce vaisseau. C’est à ce mo-
ment qu’Adiban le rejoint et le bouscule.
⎯ C’est fantastique, Maora est revenue avec tous les survivants de Na-
tavi, tu sais, les femmes qui avaient été privées de leur bébé. Presque tous
les enfants que vous avez confiés aux familles pourront retrouver leur mère
dans quelques jours, comme je l’ai fait grâce à Fil.
Et cette découverte remet encore plus en question l’organisation trouvée
depuis quelque temps, ce qui n’arrange pas le pauvre Araméis. Sur Unis,
ses pensées ne peuvent pas être négatives. Cependant cet homme étant un
organisateur, rien ne va dans son sens, et cela le rend malade. Il a
l’impression de ne jamais aboutir et devoir toujours recommencer. Ce sen-
timent d’imperfection est pour lui terrible, dans sa vie, il aurait tant aimé
pouvoir se reposer avec le sentiment d’avoir exécuté la tâche pour laquelle
il pensait être fait.
⎯ Depuis bien des jours, tu as vu comment toutes ces familles se sont
fait à la joie d’accueillir un enfant. Je ne sais pas si tout se passera comme
tu l’entends. Et puis, es-tu certaine que toutes les femmes sont revenues ?
⎯ Je ne le sais pas encore, mais depuis que je suis parmi vous, j’ai eu
l’occasion de parler avec d’autres mères adoptives. Je n’ai pas entendu de
paroles qui pourraient aller à l’inverse de ce que je pense. Même Maora qui
a adopté un enfant vient de dire qu’elle est prête à laisser le sien pour la
mère qui le réclamerait.
Le pauvre Araméis est vraiment désemparé, tout lui échappe, la population
doublant autour de lui, il se pense totalement dépassé et au moment où Adi-
ban lui débite ses paroles, il s’effondre, pris d’un malaise. Bien vite Wendy,
son épouse, est auprès de lui et Fil arrive rapidement.

Fil pense qu’il est indispensable qu’Araméis prenne du repos, il se surmène


depuis trop longtemps, il n’a jamais arrêté depuis plus de sept ans. Il arrive
qu’un jour le cœur flanche de trop faire et c’est ce qui lui est arrivé au-
jourd’hui. Ce coup dur a choqué son épouse, et Wendy qui ne le ménageait
pas depuis qu’ils sont arrivés sur cette planète, sent au fond d’elle que son
rôle est auprès de lui.

291
Sans qu’il lui en parle tous ses désirs le rendaient anxieux. Elle aurait dû
comprendre que tout ce qu’il faisait était pour le bien de tous et qu’il
n’agissait jamais dans son intérêt propre. Comprenant cela Wendy se pro-
met qu’à partir de maintenant, elle restera avec lui pour le soutenir autant
qu’il le faudra. Fil lui assure qu’il va se remettre très vite ; un problème
cardiaque pris à temps est sans conséquence, la piqûre qu’il lui a faite le
guérira en moins de quarante-huit heures. Après dix jours de repos, il n’aura
même pas le souvenir du récent infarctus car tout son système cardiovascu-
laire sera régénéré et neuf comme celui d’un enfant. Pour les Lunisses, cette
maladie est devenue aussi simple à guérir qu’une indigestion. Dans le petit
hôpital, tous les amis d’Araméis se sont réunis et lorsqu’il ouvre les yeux
dans son lit, il trouve autour de lui, Wendy, Maora, Wegas, Fil, Adiban,
Clara et Christopher, Delfiliane et Dgoger.
⎯ Vous êtes tous venus me voir, mes amis alors que je suis le pro-
blème. C’est trop. Parfois, je me demande si je mérite de vivre car vous
faites bien plus que moi qui ne bouge pas et qui me contente de rester sur
cette planète. Vous êtes des héros et moi, je me contente de vous regarder
aller et venir.
C’est Adiban qui l’arrête :
⎯ Tu es bien plus grand que nous tous. Qui a construit la ville qui peut
nous accueillir ? Qui a fait que les milliers d’hommes et de femme vivant
ici, ont repris confiance en eux ? Qui a fait que tous puissent avoir des soins
et de la nourriture et qui a fait que tous puissent avoir un toit ?
Il n’y a qu’une réponse, c’est toi, Araméis. Nous te devons d’être bien ac-
cueillis sur Unis. Tu n’es pas l’homme inutile que tu penses être, mais au
contraire, celui sur lequel nous pouvons nous reposer. Tout ce que tu as fait
est parfait, tu n’as rien à te reprocher, bien au contraire, nous avons tous
besoins de toi. Tes conseils seront les bienvenus afin que je puisse cons-
truire l’Arche.
⎯ Tu as été un grand voyageur autrefois, lui dit Wendy, et je crois que
tu m’as compris lorsque j’ai voulu repartir. J’ai pensé que je trouverais la
vérité à travers les étoiles et que de te quitter me libérerait. J’ai vu des cho-
ses surprenantes, mais j’ai aussi vu la souffrance autour de moi. J’ai com-
pris que c’est en soi que l’on peut trouver la Vérité et qu’elle est certaine-
ment plus proche que mes pieds et mes mains. C’est pour cela que je reste-
rai auprès de toi pour t’aider dans ta tâche. Nos deux cœurs pourront mieux
porter les efforts trop lourds pour un seul homme. Tu peux compter sur moi,
je ne faillirai pas. Je t’aime.
Wegas continue :
⎯ Quand on a un chef juste, on ne l’abandonne pas. Tu es parfois un
peu trop exigeant, mais j’ai toujours compris qu’en fin de compte, tu avais
raison. Il faut toujours se donner des objectifs élevés dans la vie si on veut

292
réussir. Aller au-delà de soi n’est pas une option, mais une exigence. Je n’ai
pas l’intention de suivre un autre commandant, même si cela fait plus de dix
ans que je suis avec toi. Tu auras aussi mes mains pour t’aider.
⎯ Comme médecin, je n’ai pas l’intention de laisser les autres
s’occuper de toi sans en avoir ma part. Lorsque je t’ai rencontré pour la
première fois, nous étions avec Aqualuce, c’est elle qui t’a présenté. Quand
on vient de la part d’une telle personne on peut être certain que c’est quel-
qu’un de bien. Je t’ai suivi depuis qu’elle nous a donnés pour mission de
nous installer sur Unis et j’ai constaté que tu as fait au mieux pour exécuter
la tâche qu’elle t’avait confiée. Mais peut-être aurais-je dû voir que tu te
surmenais, j’aurais pu t’éviter ce qui t’est arrivé aujourd’hui. Je pense être
responsable et je me donne comme mission de veiller sur toi à partir de ce
jour.
Derrière, Delfiliane reprend :
⎯ Araméis, je suis la représentante de la communauté Glacialys. Durant
ton grave malaise, nous sommes arrivés sur ta planète, portés par les elfes
que tu connais bien, car ils sont nés sur cet astre. Venant des lieux les plus
reculés d’Elvy, nous vivions avec les éléments de la nature et avec le plus
grand respect des hommes. Nous avons fui la cruauté de Maldeï et nous
avons été accueillis à bras ouverts par ta communauté et nous avons immé-
diatement su que c’était parmi vous qu’était notre place. Mais par dessus
tout, il faut savoir que le groupe qui vit ici sera toujours le reflet de ses diri-
geants. L’amour et la bonté de ton peuple montrent que tu es un être avec de
grandes qualités, nous pensons avoir le plus grand respect pour toi en
voyant tout ce que tu as fait ici. Par ailleurs, nous savons que tu veux nous
préparer à partir vers la Terre et nous t’aiderons autant que nous le pour-
rons.
⎯ Je suis le compagnon de Delfiliane, je me nomme Dgoger et j’ai été
sur Elvy un des chefs de la police. J’ai pris conscience en la voyant pour la
première fois que la nuit recouvrait ma raison. J’ai vu en Delfiliane et ses
amis des êtres de grand cœur. C’est pour cela que j’ai fui mon ancien maî-
tre, mais surtout je suis tombé amoureux. Connaissant les méthodes de
Maldeï, je pourrai vous être utile, je suis prêt à me dévouer à votre grande
cause, autant que j’en aurai la force.
Quant à Christopher il ajoute :
⎯ Je ne suis qu’un simple terrien, tu me connais Araméis. Je n’ai pas de
qualités particulières, mais pris par hasard dans cette aventure, alors que je
pourrais être tranquille chez moi dans le New Jersey, j’ai rencontré une
femme s’appelant Clara, ainsi que ses amis. Sa sœur s’appelle Aqualuce et
il paraît qu’elle est bien plus qu’un symbole pour vous tous. Je resterai au-
près de toi afin de vous préparer à votre venue sur la Terre. Je connais de
nombreuses choses qui pourront vous aider à connaître l’astre et les hom-

293
mes qui la peuplent, cela vous donnera quelques avantages contrairement à
Maldeï qui arrivera sur une planète totalement inconnue pour elle et tous ses
hommes.
Clara ne peut que prendre la suite derrière son ami :
⎯ Tu es pilote comme moi, Araméis. Tu connais les risques de notre
métier et tu en prends sur toi toutes les responsabilités. Nous avons reçu la
même formation et je connais bien ton travail. Si j’avais été à ta place,
j’aurais agi de la même façon, c’est certain. J’aurais fait la même chose ici
et sûrement en moins bien. Je pense qu’Aqualuce a dû te demander de ne
pas fonder une deuxième Lunisse et de te préparer à partir. C’est fort désa-
gréable à admettre lorsqu’on a vécu si longtemps en dehors de chez soi et
que l’on souhaite un jour se reposer. Je pense que ta raison n’était pas in-
fondée de vouloir refaire une nouvelle société ici et je pense que tu serais
capable de réussir, j’en aurais fait tout autant. Mais, tu connais Aqualuce,
c’est une force de mouvement. C’est pour cela qu’elle ne t’a pas fait d’autre
proposition. Elle souhaite que tous les hommes s’unissent dans un seul
mouvement, celui de la vie et de l’amour, dans un espace au-delà des fron-
tières de l’espace et du temps. Mais qui d'autre peut comprendre cela ?
Je saisis ton désarroi de voir tout bouger, les habitudes êtres détruites. Je
comprends que deux mille cinq cents êtres de plus arrivant ici soient pour
toi un choc violent.
Mais maintenant qu’aujourd’hui, tous tes rêves se sont effondrés, regarde ce
qui reste en toi et vois ce que tu peux construire avec nous tous, un état, ou
un mouvement ?
À la différence de ma sœur, je n’exige rien mais te laisse réfléchir sur ton
choix. En tous les cas, je suis là, toujours prête à me donner pour les autres.
Je te souhaite de tout mon cœur un bon rétablissement.
Clara est la seule qui ne met pas Araméis sur un piédestal, mais elle le place
devant le choix de sa réalité. Enfin, Maora qui a écouté tous ses amis, prend
la parole :
⎯ Tu as entendu tous nos amis, je pense que chacun d’entre nous a pris
devant toi une décision. Clara, au contraire, t’a placé devant la tienne. Je
dois admettre que moi aussi je t’ai déjà placé devant des difficultés lorsque
j’ai décidé de partir à contre sens de ton avis. Wendy a préféré me suivre
plutôt que de rester à tes côtés et cela t’a encore plus déchiré. J’ai contribué
à lancer le mal qui te rongeait et qui est ressorti aujourd’hui. Mais au-delà
de ça, je ne me sens pas responsable. Tu sais que les mots qui nous tuent
sont ceux que nous avons décidé de mettre en nous. Lorsque j’ai croisé
Aqualuce, je me considérais comme une enfant, mais j’ai vite compris
l’intérêt de la mission qui nous était confiée. Némeq au début m’a vite fait
confiance ainsi qu’à Amanine qui avait une sagesse inestimable devant lui.
C’est un peu elle qui m’a donné l’envie de réussir dans notre entreprise. J’ai

294
trouvé un enfant que je suis aujourd’hui prête à le rendre à sa mère si elle
est parmi nous. J’ai retrouvé ma communauté et en ai hérité la responsabili-
té. Avec nos amis, nous avons libéré des milliers d’âmes et je les ai rame-
nées et, je t’ai bouleversé. Ce sont tous ces événements qui t’ont rendu ma-
lade, je le reconnais. Mais tout cela était indispensable, sinon combien de
morts aurions-nous sur la conscience. Je te rassure, Unis est prêt pour nous
recevoir tous, même si nous doublons le nombre d’habitants. De toute fa-
çon, tout cela est fort momentané, car nous quitterons Unis pour rejoindre la
Terre.
Araméis, maintenant que nous sommes revenus, nous ne partirons plus dans
les étoiles vers l’inconnu. Notre vaisseau restera posé ici jusqu’au départ de
tous et Wendy ne montera plus dans cet engin qui te séparait d’elle. Je n’ai
qu’un désir maintenant : c’est de rester avec vous pour préparer notre retour
sur la Terre. Pardonne-moi de t’avoir fait souffrir en prenant Wendy avec
moi, c’est moi qui ai fait mal à ton cœur, pardonne-moi…

Allongé sur son lit, Araméis se tait comme tous les autres, les regarde un
long moment et enfin dit :
⎯ Quel pardon de ta part, Maora, je n’en ai aucun pour toi…
Tous se le dévisagent en silence et se questionnent.
⎯ Maora, tu n’as rien à te faire pardonner, c’est pour cela que je n’aurai
pas de pardon. Tout ce que tu as fait en voulant repartir pour sauver d’autres
hommes, il fallait le faire. Moi, je n’en ai pas eu le courage et c’est Wendy
qui est partie à ma place. Elle a eu le courage des baroudeurs de l’espace,
alors que moi, je l’ai perdu. Si vous n’aviez pas tout cela, combien seraient
morts aujourd’hui ? Maora, tu es une femme très courageuse, tu as durant
tous ces jours gagné le respect que je t’accorde. En tant qu’héritière de Per-
sevy, tu possèdes même le droit de diriger la communauté formée de la
moitié de notre population et je suis prêt à en devenir simple citoyen. Mes
amis, je vous remercie de votre soutien, mais je ne le mérite pas. Comme
responsable, j’ai commis des erreurs. Même sur Trinita lorsqu’Aqualuce
était avec nous, je n’ai pas toujours été favorable à ses projets. Mais il y
avait Wendy, Doora, et les autres femmes dont la fougue était en fait plus
sagesse que ma propre hostilité. Si elles n’avaient pas insisté et forcé les
événements, nous ne serions encore qu’une dizaine à attendre la mort sur
cette planète. Non, vraiment, je n’ai rien d’un héros et encore moins la
trempe d’un chef.
Je te remercie, Fil, de m’avoir donné les soins qui m’ont sauvé d’une mort
certaine, mais dans quelques jours, lorsque tu m’auras enlevé les sondes que
tu m’as placées, je vous quitterai tous pour retourner dans le Puits de
l’Oubli. Je pense que j’y aurais plus ma place car là, encore, je n’aurais
jamais dû laisser descendre Aqualuce, Weva et leur amie, Timi ; j’ai le de-

295
voir de les retrouver. Je pense que même sans moi, vous aurez toutes les
qualités pour préparer le départ de la communauté vers la Terre. De plus,
vous venez tous de m’exposer vos qualités et je ne les contredirai pas. Lais-
sez-moi partir seul. Je ne mérite pas vos encouragements.
Fondez dès à présent la nouvelle communauté, celle qui par son dynamisme
et sa jeunesse donnera à la Terre la lumière qui lui manque pour se libérer
des erreurs de ses ancêtres.
Je vous dis à tous, un mot terrien qu’Aqualuce m’a appris :
Adieu…

Ce matin, Araméis quitte de bonne heure sa chambre d’hôpital pour rejoin-


dre le Puits de l’Oubli. Wendy qui de sa fenêtre n’a pas quitté des yeux
l’hôpital voit son époux partir, s’enfonçant vers le Puits magique et dispa-
raître dans la brume.
La communauté se réveille et s’organise avec tous les nouveaux venus.
Lorsque Fil se lève, il sait qu’Araméis est parti. Cet homme ne fait jamais
les choses à moitié, depuis qu’ils sont ensemble il le voit agir, il sait que
tout ce qu’il entreprend, il le réussit. Hier soir lorsqu’il lui a débranché les
dernières sondes, il lui a dit que tout était bien et qu’il était rétabli. Lorsqu’il
lui demanda s’il allait reprendre sa place, il ne dit mot et Fil entendit bien ce
que lui dit son cœur. Ce qui le chagrine tout de même c’est que depuis
l’autre jour, il refuse de voir Wendy et ça, il ne le comprend pas. Mais ce
matin annonce une journée particulière, c’est son mariage avec Adiban et
malgré le départ de leur chef, celui-ci aura lieu car toute la communauté s’y
est préparée. Pour parfaire une tradition, sa future femme n’a pas passé la
nuit avec lui et il ne la verra que quand le maître de cérémonies la lui pré-
sentera. Chacun doit se préparer de son côté et le mariage à la façon lunisse
se fera au zénith de l’étoile, à midi, le moment où la lumière est la plus
forte, afin que les âmes puissent s’emplir de toute sa force pour prospérer et
avoir une progéniture abondante. Adiban est enceinte et n’a pas nécessai-
rement besoin de cela, mais la tradition est restée pour tous.
Clara vient préparer Fil ; ils sont amis depuis si longtemps, qu’elle aurait pu
devenir sa femme. Cela lui fait plaisir de le voir se marier enfin, en plus,
elle connaît sa future femme, à qui elle a enseigné l’art du pilotage spatial.
Elle sait qu’ils formeront un très beau couple et encore plus une jolie fa-
mille. Fil doit s’enduire le corps d’une teinture argentée, alors que Clara
l’aide à mettre ses vêtements blancs.
Delfiliane vient très tôt chercher Adiban afin de la rendre présentable à son
futur époux. Elle l’enduit d’un gel doré qui la rend brillante comme le soleil
de la Terre et elle lui tresse les cheveux en lui faisant de très fines nattes sur
toute la tête. Tirant ses cheveux en arrière, elle lui dégage le front et les
oreilles, elle en fait une queue qu’elle entoure d’un fil d’or très serré en

296
laissant les mèches terminées par des perles retombant sur son dos. Les
lunisses ne connaissent pas le maquillage, mais Delfiliane lui enduit les
lèvres d’une graisse noire épaisse, du même ton que ses cheveux. La tradi-
tion veut que les mariées ne mettent pas de sous vêtements sous leur robe
mais lorsque Adiban pose sur elle la sienne qui est de couleurs pastel vertes
et jaunes, sa poitrine se tient à merveille. Ainsi vêtue, elle rayonne d’une
beauté et d’une dignité encore plus grandes. C’est ainsi qu’elles partent
avec précision à midi moins dix pour l’hôtel dressé devant le grand vais-
seau. Maora les attend, parée du vêtement de cérémonie du maître de ma-
riage, une couronne de fleurs sur la tête. Pour cette occasion, elle a fait cou-
per ses cheveux très courts afin de ne pas paraître aussi féminine et jolie que
la mariée, car jusqu’à présent, c’était toujours des hommes qui célébraient
cette cérémonie.
Le mariage se fait dans la tradition et rien ne manque. Les deux époux se
jurent une honnêteté réciproque et un amour juste. C’est la fête jusqu’à la
nuit pour les mariés et peut-être aussi, celle de la nouvelle communauté.

Adiban, dans le lit nuptial, se laisse prendre par Fil en se faisant caresser.
Mais au-delà de la joie que représente ce jour merveilleux, elle pense déjà
au travail qu’elle s’est proposée de réaliser auprès d’Araméis : construire
l’arche…

De toute la journée, personne ne s’est aperçu qu’un d’entre eux manquait.


Un être incontournable les ayant sauvés d’une terrible fin ; c’est Wendy. Ce
matin aucun ne l’a vue suivre son époux vers le Puits de l’Oubli. Aucun n’a
pensé à sa souffrance et son chagrin lorsque Araméis a refusé ses visites à
l’hôpital.

Elle le voit passer la première porte brumeuse dans laquelle tous sont ins-
tantanément changés. Le voyant tituber à la sortie, elle s’arrête et passe à
son tour la porte sans rien ressentir. Elle le suit un long moment à travers les
larges galeries inexploitées, jusqu’à ce qu’elle le voie devant un passage
étrange et recouvert d’une brume jaunâtre à travers laquelle il pénètre et
disparaît. Vite, elle le suit et à son tour, traverse le nuage vaporeux et dispa-
raît derrière laissant une grotte absolument vide…

297
MARSINUS ANDEVY
Il y a quelques jours Jacques a fait un cauchemar ; il a
rêvé de la mort d’Aqualuce mais en se levant ce matin-là, il trouva Maldeï
effondrée sur son lit, elle pleurait une femme qu’elle semblait connaître et
qu’elle appelait Mexian. Il la questionna à son sujet découvrit que c’était
une espionne partie à la recherche d’Aqualuce. Elle ne lui en dit pas plus
mais cela la rendit morose toute la journée. Depuis, Maldeï a un comporte-
ment étrange, il voit qu’elle n’arrive plus à être mauvaise comme avant.
Cette mort semble avoir changé quelque chose en elle. La veille de cette
triste nouvelle, Jacques avait fait un rêve qui semblait faire revivre Marsi-
nus Andévy à travers Maldeï et son rêve paraît maintenant se réaliser. De
nombreux hommes ont pu être sauvés de la noyade et Sandépra est mainte-
nant à l’abri de la montée des eaux. Ce n’est pas dans les habitudes de Mal-
deï d’être humanitaire, mais quelque chose en elle s’est transformé. Hélas,
le serpent entoure encore son crâne chauve et ses yeux ont toujours une
lueur étrange, comme ceux d’un serpent. Jacques la suit partout, ils sont
pratiquement inséparables. Pourtant, c’est une autre femme qu’il affec-
tionne. Ce matin, lorsqu’il ouvre les yeux, il voit que le serpent a glissé de
son crâne et lui libère presque toute la tête. Il ne sait pas comment cela c’est
produit, mais c’est peut-être un signe. La longue queue de l’animal en or
fait le tour de son cou. La femme dort encore et ne s’en est pas aperçue.
Jacques l’observe et la voit bien différente des autres jours. Son visage est
beaucoup plus détendu, sa bouche dessine un sourire qui lui fait penser à
celui d’un enfant. Elle est couchée sur le côté et son ventre présente la
forme magnifique de la maternité. Si elle n’était pas cet être terrible et ma-
léfique, il en tomberait vite amoureux et il s’attendrit devant son visage
qu’il découvre nu sans l’atroce serpent qui lui encercle le crâne. C’est ainsi
qu’il se met à penser qu’elle pourrait être une autre personne et il désire la
caresser. Posant délicatement ses doigts sur son ventre, il sent l’enfant bou-
ger en elle. Cela le réjouit, mais vite, elle ouvre les yeux. Elle semble sur-
prise de voir un homme près d’elle. Il a compris et pour la rassurer dit que
c’est lui, Jacques. C’est ainsi qu’elle lui sourit :
⎯ Salut, Jacques, tu te souviens de moi ?
⎯ Pardon ?
⎯ La derrière fois que l’on s’est vu, tu partais avec Starker pour trouver
la Graine d’Etoile. Tu m’as abandonnée sur Lunisse.
⎯ Oui, c’était il y a… euh ! dix ans.
⎯ Ça passe le temps, je ne me souviens plus de rien, j’ai comme perdu
la mémoire depuis des années.
⎯ Andévy, tu as été envoûtée par la couronne, il faut t’en débarrasser,
elle est encore enroulée autour de ton cou.
298
⎯ Que dis-tu ? je l’ai pris dans mes mains un instant ?
⎯ Le serpent qui est autour de toi, tu le portes sur ta tête depuis des an-
nées et il empoisonne ta vie. Il a pris possession de ton corps et de ton âme.
Depuis ce jour tu n’es plus toi et c’est un miracle qu’il se soit détaché ce
matin.
⎯ Oh ! Tes paroles me font tourner la tête, je ne sais pas pourquoi, mais
j’ai des images terribles qui traversent mon esprit. Je ne sais pas ce qui se
passe, mais un être noir remonte et se présente à moi.
⎯ C’est Maldeï, l’être qui t’a remplacée. Il est comme un démon qui
prend plaisir à faire le mal.
⎯ C’est impossible, mais je le vois dans ma tête, comme s’il voulait re-
prendre mon âme.
⎯ Résiste, il faut enlever le serpent qui est sur toi.
⎯ Je n’en ai pas la force, je suis comme paralysée.
Andévy se débat, mais le serpent reste enroulé autour de son cou. Elle vou-
drait l’arracher, mais, c’est impossible.
⎯ Je vais te l’enlever, laisse toi faire.
⎯ Non, Jacques, si tu le touches, c’est toi qu’il prendra. Ne l’enlève
pas !
Aussitôt Andévy s’apaise et regarde encore une fois Jacques.
⎯ Sais-tu pourquoi j’ai un ventre énorme ?
⎯ Tu es enceinte, tu attends un garçon.
⎯ Cette femme a fait un enfant, mais qui est le père ?
⎯ C’est moi !
⎯ J’attends un enfant de toi, Jacques ?
⎯ Il a été fait de façon forcée, je n’en suis pas vraiment responsable.
⎯ Je n’aurais jamais voulu trahir l’amour que tu portes à Aqualuce,
mais si cet enfant est de toi, je suis certaine qu’il sera bon comme toi. Ces
secondes que je vis avec toi sont les meilleurs moments de ma vie. Je suis
heureuse de te savoir en vie, cela veut dire que tu as trouvé la Graine
d’Etoile et je suis certaine que tu seras vainqueur de l’épreuve que tu vis
encore. Oh ! Jacques, je n’ai que quelques instants de vie devant moi, je
sens que le serpent va encore me dévorer.
En effet, celui-ci glisse sur son cou et commence à remonter lentement au-
tour de sa tête.
⎯ Jacques, il faut détruire Maldeï, ne la laisse pas devenir plus puis-
sante. Tue-la si tu en as la possibilité. Dès que mon esprit disparaîtra, fait
couler mon sang, afin que celui des autres ne se répande. Je te l’ordonne,
pour le bien de tous.
⎯ Et ton enfant ?
⎯ Si nous devons être deux pour sauver l’humanité, ce n’est pas un trop

299
grand sacrifice. Je t’en supplie, fais-le.
⎯ Je t’aime et jamais je ne pourrais répandre ton sang.
Hélas, le serpent continue sa course et s’enroule progressivement autour de
son crâne. Elle lui lance un dernier regard implorant et pendant que ses
yeux lucides semblent s’éteindre elle lui dit ces derniers mots :
⎯ Notre amour, ce n’est pas celui d’un homme et d’une femme. Non !
c’est celui de la vie et de l’espoir. Notre enfant sera tout cela. Adieu, Jac-
ques.
À peine a-t-elle prononcé ces paroles que le serpent se redresse sur sa tête et
que Maldeï regarde Jacques d’un air mauvais :
⎯ Pourquoi me réveilles-tu avec ces yeux débiles, tu penses que je sors
d’un zoo, tu me prends pour une folle ?
Il ne dit rien, mais il a tout compris, sachant que le serpent dirige tout. Le
corps et l’âme d’Andévy sont absorbés par cette chose sur sa tête. Il le sa-
vait déjà de l’époque où il avait participé à la libération du demi-frère
d’Aqualuce sur la planète golock. Mais là, il en a la preuve évidente. Jus-
qu’à présent, il est resté avec Maldeï pour en avoir la confirmation. C’est
une chance pour lui que le serpent se soit détaché. Revoir et entendre Mar-
sinus Andévy quelques minutes lui donne espoir que tout peut s’arranger.
S’il pouvait trouver le moyen de lui arracher cette couronne, tout repren-
drait sa place et l’invasion de la Terre n’aurait jamais lieu. Il se dit que c’est
peut-être son rôle, ce n’est pas pour rien s’il est avec elle. Cependant, il ne
répond pas aux mots de Maldeï et préfère baisser les yeux, espérant qu’elle
ne lise pas dans ses pensées.
⎯ Tu ne me réponds pas, mais tu regardes mon ventre. Sache que
l’enfant qui en sortira sera le plus grand cauchemar des hommes. Pour sa
naissance, je lui offrirai la Terre, ce sera son royaume et tous les hommes se
mettront à genoux devant lui. Il sera un dieu pour l’humanité ; je sens sa
force, je ne suis que sa servante. Même nourrisson, il aura plus de pouvoirs
que moi.
⎯ Tu as raison, il sera l’enfant de la vie et de l’espoir.
⎯ Non, il sera celui de la mort et de la soumission. Sinon, je ne le por-
terais pas.
⎯ Ce n’est pas le serpent qui le porte, c’est Andévy dont l’esprit renaî-
tra lorsqu’il viendra au monde.
⎯ Je ne sais pas ce que tu me chantes et je ne sais pas ce qui me retient
de ne pas te tuer lorsque tu m’insultes. De toute façon, aujourd’hui, il y aura
des morts pour venger Mexian. Je sais que c’est Aqualuce qui l’a tuée, ça ne
peut être autrement, je sens qu’elle l’a retrouvée avant de mourir, son âme
était la mienne, je le sais.
Jacques a tant mis Maldeï en colère qu’elle claque la porte derrière elle et
rejoint son quartier général. Durant deux jours, il ne la revoit pas, mais

300
celle-ci fait amener à elle des jeunes filles pour choisir celle qu’elle sacrifie-
ra pour atténuer sa colère qui ne s’est pas tari depuis qu’elle l’a quitté vio-
lement.
Ce matin, un garde vient chercher Jacques dans l’appartement impérial et
l’emmène dans une vaste salle où Maldeï l’attend, entourée de ses géné-
raux. Au centre, il voit une femme recouverte d’un voile et dont on ne dis-
tingue que les jambes et les fesses. Le reste du corps doit être nu.
⎯ Mon cher époux, je t’ai préparé un spectacle pour que tu saches qu’il
n’y a que moi et personne d’autre qui décide et gouverne. Je suis dans mon
âme et dans mon corps, le maître. Si j’avais quelqu’un d’autre en moi, je ne
pourrais tuer cette femme.
Et Maldeï prend une lame de feu luisante et tranchante que le militaire lui
tend et dit à Jacques :
⎯ Dévoile cette fille que j’ai choisie pour toi, ma main va te prouver ce
qu’est mon pouvoir. Il n’y a jamais eu d’Andévy et tout ce que tu penses
n’est que rêve.
Jacques est étonné que cette fille reste stoïque en entendant cela. Peut-être
lui a-t-on crevé les yeux et les tympans, ou pire. Se sentant peu de chose
devant cette femme puissamment armée, il tire alors le voile.
C’est la stupeur en même temps que la surprise. Car apparaît le visage de
celle qu’il connaît comme sa confidente, son amie, Néni…
En quelques secondes, il découvre en lui le passé de Bildtrager et cette
femme exceptionnelle qui l’avait soutenu durant toute cette période. Durant
le silence que dure sa méditation, un échange se fait entre lui et Néni. Sa
conscience se soumet à elle.
Maldeï rompt le silence :
⎯ J’ai découvert cette fille traînant dans les rues, soignant les victimes
des inondations. J’ai senti le bien en elle. Regarde ce que je vais en faire.
Après cela, tu comprendras qu’il n’y a jamais eu de Marsinus Andévy.
Mexian sera vengée, c’est à cause d’Aqualuce que je la tue.
Au moment où elle s’approche de la pauvre Néni avec sa lame de feu capa-
ble de désintégrer un bœuf, Jacques s’aperçoit que Néni a les pieds liés au
sol sans aucune chance de s’échapper et c’est à ce moment que Maldeï lève
sa lame crépitante, prête à le lui enfoncer dans le ventre. Elle s’élance vers
la pauvre femme et alors que la lame au contact de son corps devrait
l’embraser, celle-ci pénètre en elle sans pouvoir la tuer. Elle la retire et re-
commence. Nulle blessure, pas une goutte de sang ne coule de son ventre.
Maldeï prend son arme et lui tranche la tête. Jacques voit bien la lame péné-
trer le cou qui se ressoude instantanément. L’arme paraît totalement ineffi-
cace, comme si le corps de Néni n’était qu’une image de lumière.
Maldeï est furieuse, elle se retourne vers l’homme qui lui avait donné
l’arme. Elle le regarde. L’homme ne sait plus que faire. D’un coup, elle

301
plante la lame dans sa poitrine et le pauvre s’enflamme instantanément dans
une terrible de douleur. Son corps se consume et bientôt, on ne l’entend
plus. Et aux pieds des autres ne se trouve qu’un tas de cendres fumantes.
Jacques voit toute l’action mais n’a pas le temps de réfléchir car il sent une
main le prendre et le tirer en arrière. Il comprend aussitôt que Néni veut
l’entraîner en dehors de la salle. Comme Maldeï est toujours admirative du
crime qu’elle vient de commettre, elle ne voit pas les deux fuyards. À peine
sorti, Jacques attrape une nappe et l’enroule autour de Néni qui le pousse
vers la sortie du palais. Il est bien gardé mais tous deux passent à travers les
portes de protections qui éclatent. Les gardes tirent sur eux, mais leurs ar-
mes sont inefficaces. Quelques minutes sont nécessaires pour s’éloigner du
palais et distancer leurs poursuivants. Enfin, ils se retrouvent dans une mai-
son abandonnée où ils peuvent reprendre leur souffle. Jacques n’a pas eu le
temps de comprendre ce qui s’est passé. Épuisé, il regarde Néni en se ques-
tionnant. Elle laisse vite tomber le tissu qui la couvrait et trouve des vête-
ments lui convenant. C’est à ce moment qu’elle dit :
⎯ Ne te pose plus de questions, il est temps pour toi de quitter Maldeï.
Tu as fait tout ce que tu devais, tu es allé au bout de ton expérience avec
elle. Tu as souligné en elle son passé, maintenant, elle est sur son déclin.
⎯ Oui, mais j’aurais pu la sauver en lui retirant sa couronne si j’étais
resté auprès d’elle.
⎯ Tu n’en as pas la capacité, ce n’est pas à toi de le faire, tu sombrerais
avec elle et tout serait à recommencer. Il faut que tu rejoignes les autres et
que tu te prépares à retourner sur la Terre.
⎯ Et, Aqualuce ?
⎯ Elle sera là lorsqu’il le faudra. Fuyons cette planète, nous n’avons
plus rien à faire ici.
⎯ Mais, Maldeï porte un enfant qui est aussi le mien.
⎯ Tu le retrouveras lorsque le moment sera venu ; il faut partir Jacques.
⎯ Et, tu viens avec moi, cette fois ?
⎯ Nous avons fait tout ce que nous devions faire ici. Et moi, j’ai termi-
né mon travail commencé le jour où je t’ai vu pour la première fois, il y a
bientôt dix ans.
⎯ Comment comptes-tu partir d’ici ?
⎯ Je ne sais pas, c’est toi qui vas me montrer.
⎯ Mais, je n’ai pas tes pouvoirs, je ne suis qu’un simple humain.
⎯ Moi, aussi.
⎯ Comment ça ?
⎯ Il n’y a que toi qui puisses nous sortir de là, Jacques !
C’est à ce moment qu’elle s’effondre. Jacques la prend dans ses bras et
l’allonge sur le lit qui se trouve derrière lui. Il la tâte et sent qu’elle a beau-

302
coup de fièvre. Elle est inconsciente, Jacques se questionne et la couvre
d’une couverture pour qu’elle ne prenne pas froid. Dans l’instant il pense
qu’elle n’a qu’un simple malaise, parfois une très grande fatigue peut pro-
duire ce genre de phénomène. Il constate vite que son pouls s’accélère et la
fièvre monte encore. Elle est très chaude, il se demande si ça s’arrêtera et il
lâche sa main subitement en s’y brûlant. Il voit que son corps devient de
plus en plus translucide. Cela est incompréhensible, la température aug-
mente encore et les couvertures qu’il a déposées sur elle, brunissent. De
peur qu’elles ne prennent feu, il les retire. C’est ainsi qu’au-dessus d’elle se
forme de tourbillon de poussière qui pénètre son corps. Le tourbillon conti-
nue à absorber tout ce qui l’environne. Des objets sont entraînés dans la
spirale, Jacques voit de l’eau sous forme de vapeur, des poussières, de la
terre, même des cailloux et du bois se diluer dans la vapeur de la mini tor-
nade. Tout ce qu’il voit rentre en Néni par son nombril, à la façon du sang
que reçoit un fœtus. Cela dure très longtemps et il ne sait pas si elle est en-
core vivante. Mais progressivement, son corps reprend une couleur plus
humaine, la tornade commence à s’essouffler et enfin, elle disparaît, laissant
Néni inerte sur le lit. Jacques se rapproche d’elle et la trouve maintenant
glacée. Il la couvre vite, pensant qu’elle doit se réchauffer. Il lui semble
que son corps s’est transformé sous de nombreux détails. Sa peau s’est un
peu ridée, lui donnant son véritable âge, alors qu’elle paraissait encore ado-
lescente quelques heures plus tôt. Dans ses mains qui ne semblaient pas
posséder de ligne, un tracé s’est dessiné, comme si elle héritait d’un destin.
Ses yeux mauves sont devenus bleutés. Il est évident que quelque chose
s’est produit en elle et Jacques ne peut expliquer. Avec elle jusqu’à la fin de
la journée, il ne sait que faire, il est bien impuissant devant tout ce qu’il
vient d’observer. Mais lorsque que l’étoile se couche à l’horizon, de nou-
veaux changements se manifestent : ses ongles et ses cheveux ont poussé,
sa peau blanche s’est patinée, ses traits d’enfants ont disparu. C’est une
femme qu’il a devant lui et son corps commence à remuer. Elle retrouve
une température plus raisonnable et ses yeux bougent. Jacques les voit
s’ouvrir, ce qui le réconforte. Enfin Néni ouvre la bouche, comme si elle ne
s’était aperçue de rien depuis les dernières paroles qu’elle avait eues avec
Jacques :
⎯ Alors, mon grand, comment penses-tu nous sortir de là ?
⎯ Mais que t’est-il arrivé ? Depuis ce matin, tu étais dans une sorte de
coma, tu avais beaucoup de fièvre, j’ai cru te perdre. Comment te sens-tu
maintenant ?
⎯ J’ai un peu mal à la tête, je me revois tomber, je n’ai aucun souvenir.
Mais je sens mon corps et mon esprit très lourds, j’ai l’impression de m’être
transformée. Je n’ai plus les mêmes sensations qu’hier, comme si…
Comme si…

303
⎯ Comme si quoi, Néni ?
⎯ Comme si je n’étais plus qu’une femme ordinaire, sans aucun pou-
voir ; c’est cela, je suis vivante, comme toi, j’ai un corps, je suis comme
toi.
⎯ Mais, tu n’as jamais été autrement !
⎯ Non, maintenant, je suis mortelle, comme toi, c’est là, toute la diffé-
rence.
⎯ Comment ça ?
⎯ Ce matin, lorsque Maldeï est venue me trouver avec sa lame de feu,
elle ne m’a rien fait, alors que si elle revenait maintenant, je mourrais
comme l’homme qu’elle a tué. Lorsque j’ai été transformée en statue de
plomb, un être normal serait mort très rapidement, alors que tu m’as vu
agir avec cette carapace. La première fois, devant des milliers d’Elviens,
Maldeï m’a tranché de long en large, le lendemain, tu me trouvais près de
toi.
⎯ Mais alors, que s’est-il passé, que vas-tu devenir ?
⎯ Il se passe que perdant mes pouvoirs, je deviens un être comme toi,
ce qui me donne l’avantage de trouver la vérité par la simplicité de mon
nouvel esprit. Face à Maldeï, opposons notre amour contre ses pouvoirs. Je
pense que depuis toujours, les simples d’esprit possèdent un royaume bien
plus vaste que les autres et c’est là que nous devons nous diriger. J’ai mal
partout, j’ai même peur. Regarde, je ne suis plus invulnérable à la brûlure
et à la coupure.
Elle allume un feu et y passe son bras. Et aussitôt la peau se roussit et une
cloque s’y forme. Après, elle prend une lame, se tranche le bout d’un doigt
et le sang se met à couler.
⎯ Je suis humaine, j’ai besoin de toi pour que tu me protèges. Jacques,
j’ai vraiment peur, ne restons pas là, fuyons cette planète.
Immédiatement, il la prend dans ses bras et la serre très fort contre lui. Né-
ni, devenue humaine, se met à pleurer et Jacques la réconforte :
⎯ Je te ramènerais sur la Terre, tu resteras avec nous, tu auras ta place
là-bas.
⎯ La douleur d’être humaine me remplit de joie, je comprends pour-
quoi un jour, le messie qui est venu sur Lunisse a dit que la Terre est la clef
de tout. Être un homme de la terre est une chance fabuleuse, tout vous est
donné pour retrouver le royaume perdu. Je comprends maintenant que nous
n’aurions jamais dû quitter cette planète.
⎯ Mais qu’avons-nous, les terriens que vous ne possédez pas ?
⎯ Vous avez un dieu, alors que nous, nous n’en avons pas.
⎯ Mais Dieu n’existe pas !
⎯ Peut-être, mais vous avez hérité de son royaume.

304
Jacques reste circonspect à l’écoute de ces paroles et ne dit mot. Enfin il se
redresse et lui demande :
⎯ Pourquoi as-tu perdu tes pouvoirs ?
⎯ Je ne suis peut-être pas la seule dans cette situation, il est possible
que cela soit arrivé à d’autres comme moi.
⎯ Penses-tu à Aqualuce ?
⎯ J’ai l’image d’elle comme une simple femme, mais avec une très
grande âme. Si je peux lui ressembler, je serais comblée.
⎯ Tu es son image, Néni.
Alors, Jacques lui fait un baiser sur ses lèvres, ce qui la pétrifie.
⎯ J’ai la solution.
⎯ Comment ?
⎯ Lorsqu’il fera nuit, nous remonterons jusqu’à la forêt où j’ai caché le
vaisseau avec lequel je suis arrivé. Nous pourrons nous enfuir. Le tout est
de passer les barrages que nous pourrions croiser.
⎯ Je savais que tu aurais une idée. Tu ne t’appelles pas Jacques Brillant
pour rien…

Jacques remarque que la forêt n’est pas si loin que ça et qu’ils ont une
chance d’y arriver. Dehors, aucun militaire ne semble circuler, aussi ils sor-
tent sans se faire remarquer. Néni, vêtue de vêtements masculins, reste dis-
crète alors qu’ils croisent plus tard une patrouille occupée à rentrer à sa
base. La chance est avec eux car un barrage sur la route les oblige à prendre
un raccourci qui les mène dans un fossé sans surveillance. Plus loin, la forêt
s’étend sur plusieurs centaines d’hectares.
⎯ Sais-tu où est ton engin ?
⎯ Si personne ne l’a trouvé, il est caché entre deux gros rochers plus
hauts que le palais de Maldeï. Mais il faut traverser un marécage pour y
accéder. Nous devrons nager et si nous nous en sortons, nous ne serons pas
très présentables.
⎯ Crois-tu que l’eau me fasse peur ?
Jacques lui sourit. Les énormes rochers sont faciles à repérer et le marécage
vraiment infect. Son odeur est insupportable et Néni se rappelle que c’est là
que se déversent les efflux des égouts de la ville.
⎯ Il ne fait aucun doute que ton vaisseau est bien protégé, Jacques.
Cette baignade ne sera pas vraiment un plaisir, mais pour fuir, aucun pro-
blème, je te suis.
Ils traversent très rapidement le large étang sur plus de deux cents mètres et
enfin arrivent sur le bord des rochers. Ils laissent leurs vêtements sur place
et continuent. Dans un creux, Néni voit le vaisseau que Jacques a dissimulé.
Personne n’est venu, c’est une chance.
Tout paraît intact et Jacques ouvre la porte de l’engin. Il ne prend pas le
305
temps de se rhabiller et vite, met en marche le CP qui l’a reconnu. Ils décol-
lent et rapidement au-dessus d’eux, aperçoivent la planète grosse comme un
ballon de football. C’est alors que Jacques actionne la propulsion sidérale.

Cap vers UNIS…

306
LES SURPRISES DE LA VIE
Plus de quinze jours depuis que ses amies sont parties.
Aqualuce se demande pourquoi une telle absence. Mais au fond d’elle au-
cune angoisse, elle sent qu’elles sont en bonne santé. Tous ces jours ne lui
ont pas pesé car elle a pu se reposer. Depuis six mois qu’elle est enceinte,
c’est la première fois qu’elle trouve le repos. Même si cela paraît forcé,
c’est pour elle nécessaire. Porter des jumeaux est plus dur qu’un seul enfant.
Ce qui est certain, c’est qu’elle a pris du poids, en quelques semaines, son
ventre a doublé de volume et elle pense qu’il ne serait pas étonnant qu’elle
ait pris vingt kilos depuis le début de sa grossesse. Ses enfants bougent dans
son ventre et les nuits deviennent difficiles. Mais le plus important est ce
qu’elle a compris depuis qu’elle est seule.
Après s’être battue avec Mexian et être retournée au vaisseau, elle a dû se
confronter à tout son passé et se débattre avec l’espace-temps, le mystère de
la vie et de la mort. Elle a compris de nombreuses choses, mais il reste tout
de même un mystère qui lui échappe. Ce qu’elle a vécu ces jours-ci n’est
pas banal et elle le rapporte dans un carnet qu’elle a ouvert et qui reprend
l’aventure qu’elle avait commencé au tout début de son grand voyage. Ce
matin, elle le retrouve pour le relire. Le posant sur la pierre qui lui sert de
table face au vaisseau, elle regarde sur la couverture de son cahier le titre
qu’elle a inscrit : "Le testament du Temps Futur"…
Elle l’ouvre à la première page où l’on peut lire :

Le jour où je suis née, j’étais loin d’imaginer que le Monde était ainsi
fait. Je pense que tous les hommes naissant sur Terre ne croient pas vivre
dans le monde des rêves. Ils n’imaginent pas que le temps n’est qu’une
idée humaine fabriquée par leur mental. Ils ne pensent pas que le monde
le plus incertain est celui dans lequel ils croient vivre. Ils ne savent pas
que leurs pensées, leurs consciences (parce qu’ils en ont plusieurs) sont
toutes dirigées par un seul flux, celui de l’esprit du cosmos. Personne ne
pense à cela, car le cosmos leur interdit à tous, cette vision. La seule chose
qui leur soit donnée, c’est de croire en un dieu tout puissant qui règle le
rythme universel de la vie humaine. Personne ne sait que le grand secret
ne réside pas dans les astres. Personne ne peut se douter que l’infiniment
petit est à l’origine de l’infiniment grand. Car un seul partyak (la plus
petite partie constituant l’atome, bien au-delà de l’électron ou des photons ;
particule fondamentale, pas encore détectée par les terriens, car loin de
pouvoir être piégé dans les accélérateurs de particules) possède en elle
l’image entière de l’univers. Oui, l’humanité vit dans un de ces partyaks,
qui à l’œil nu ne se voient même pas et que l’homme mesure en milliards

307
d’années. C’est toute la notion de l’espace et du temps qui enferme
l’homme dans sa bulle constituée d’étoiles, de galaxies et d’autres élé-
ments encore plus inaccessibles.
Il m’a fallu attendre l’âge de trente ans pour découvrir la nature de cette
vie et me rendre compte que je n’étais qu’un rêve pensé par les étoiles et les
galaxies du partyak. Chaque astre crée son être et le pose sur une planète
pour qu’il puisse accomplir la grande mission ; celle de se soustraire au
partyak afin de quitter le monde du rêve et de l’espace-temps. C’est ainsi
que dans ma vie, l’espace-temps s’est ouvert deux fois pour m’y faire cir-
culer de façon étrange. Le partyak s’est fissuré devant mon être, à cela,
mon esprit s’est ouvert, comprenant que je pouvais à mon tour modifier la
loi de l’espace et du temps. Après le voyage en arrière que j’ai effectué sur
Lunisse en y rencontrant des amis disparus et des actions manquant à
mon passé, le voyage vers la mort que j’ai fait dernièrement est bien plus
mystérieux que tout le reste.
De Lunisse, lors de mon dernier passage, j’ai ramené du passé un petit
objet qui, m’avait-on dit, pouvait me faire revenir un jour en arrière. Je ne
l’ai pas utilisé, mais on l’a fait pour moi et je n’en ai de souvenir que ce
que mon amie Timi m’a raconté, et je sais que tout est vrai. Lorsque Timi
me l’a dit, je n’avais plus l’objet, preuve qu’il avait trouvé l’espace pour se
plonger dans un autre bout du temps. L’espace-temps a introduit le fait
que durant le retour en arrière, j’ai eu l’occasion de donner la sphère à
Timi, sans en annuler l’action ; dur à admettre et à comprendre…
Il me semble ne jamais avoir donné la sphère magique, mais en me plon-
geant dans mes souvenirs, je me revois faire cette action et aussitôt dis-
paraître. Tout cela n’est qu’un détail de ce que j’ai vécu ces derniers
temps. Car, j’ai en mémoire tout le parcours que mon esprit a fait durant
ce que j’appelle « la traversée du monde des morts ».
Lorsque ma tête fut tranchée, c’est à cet instant que mon esprit s’est sou-
levé de mon corps. Ma tête roulait sur le sol tandis que mon esprit la
voyait encore avec mes yeux, cependant la douleur avait déjà disparu. Je
vois comme un fantôme les hommes et les femmes autour de moi et j’ai
encore l’image de ma tête prise par les cheveux et mise dans un bocal
contenant une sorte de formol. Ensuite, mon âme attachée à l’image de
mon corps s’est envolée et je me rappelle avoir traversé des zones peuplées
d’hommes et de femmes ressemblant à des fantômes. Je n’y suis pas res-
tée car je crois avoir traversé une autre porte me conduisant dans un es-
pace nouveau que je ne connais pas. La seule image est le lieu où mon
père m’a emmenée un jour dans une fraction d’éternité qu’il avait ouverte

308
devant moi. J’ai dû retomber sur la planète où je me trouve, mais une
chose s’est passée tout de même ; un mot, une idée, une force qui reste
gravée en mon cœur :
« L’Amour »
Il me semble que je dois tout construire avec cela maintenant et j’y pense
à chaque seconde de ma vie ; l’Amour ne me laisse plus tranquille. Depuis
quelque temps, j’ai perdu tous les dons qui faisaient ma force et ma per-
sonnalité. Je dois reconstruire une nouvelle vie autour de cela, mais, je
n’ai pas peur et même, je ne crains pas de me retrouver face à des situa-
tions exceptionnelles pouvant nécessiter des pouvoirs surnaturels. Je n’ai
plus que mes mains pour travailler, mais j’ai aussi un cœur et je pense
que c’est le plus important.
Depuis que j’ai quitté la Terre, j’ai pris conscience que mes enfants sont
importants et que mon époux l’est aussi. Je suis partie pour faire une
guerre et maintenant je me découvre mère. Ces jumeaux sont des lumières
pour moi et avant tout, je leur consacrerai toute mon attention. Leur
donner de l’amour est avant tout mon rôle. C’est avec mes mains et mon
cœur que je les accueillerai. Si je dois retrouver Maldeï, elle n’aura qu’une
simple femme devant elle, je n’appellerai plus jamais d’autres forces que
celles de l’Amour et si j’en meurs, tant pis, que faire d’autre devant la
haine et le mal ?
Cela dit, depuis que j’ai éprouvé la mort, en mon être circule un fluide qui
est comme si une partie avait un pied dans un monde hors du temps et de
l’espace. Lorsque la tristesse, l’angoisse souhaitent me toucher, j’ai la
certitude de vivre dans cette partie sublime et cela me donne un réconfort
indescriptible. Je suis dans cette nature de vie et de mort, mais je n’en fais
plus partie. Pourtant, mon corps est mortel, mais je n’ai pas peur de mou-
rir. Cela dit, j’aime cette nature de matière et de souffrance, j’aime tous
les hommes et si je vis ici, c’est pour les réconforter et les aider. J’aimerais
qu’ils aient comme moi le sentiment d’appartenir à ce nouveau monde. Je
comprends mieux pourquoi la Terre entière devra subir des transforma-
tions importantes. Je comprends pourquoi tous les hommes doivent se
rassembler. Je comprends pourquoi l’arrivée de Maldeï sur la Terre sera en
soi un bouleversement. Même sans conflit, des transformations devront
se faire.
Je ne me suis jamais sentie plus humaine que maintenant. Je suis comme
Jacques, un être vraiment ordinaire et je le clame avec joie.

Aqualuce reprend alors son stylet pour reprendre son mémoire :

309
Ce matin, je ne peux m’empêcher d’écrire la question essentielle qui vient
chaque jour dans ma tête. La seule question qui ne trouve pas de réponse :
"Pourquoi la vie existe-t-elle alors que dans la joie de ma simplicité re-
trouvée, je peux mourir pour l’éternité ?"

Les réponses arrivent parfois plus vite qu’on l’imagine…

À l’instant où elle repose son instrument, devant elle se produit un phéno-


mène inattendu :

⎯ Maman, nous ne t’espérions plus, nos cœurs t’entendent et te pleu-


rent. Nous avons besoin que tu nous aides.
Cléonisse et Céleste apparaissent devant elle. Elle est fort surprise mais
aussitôt, elle se ressaisit de sa méditation. Elle se souvient bien que le sifflet
qu’elle leur avait donné avait certains pouvoirs, mais c’est elle qui l’avait
rendu ainsi avec sa magie intérieure. Cet instrument semble obéir à son
propre système. Mais le plus curieux est qu’habituellement, c’est elle qui
semble se déplacer. Là, ses deux enfants apparaissent devant son vaisseau,
face à sa table de pierre. Tous les trois se précipitent pour se lier l’un à
l’autre. Des larmes leur en coulent, ce sont des retrouvailles formidables.
Cléonisse et Céleste n’en finissent pas de faire des câlins, mais leur mère
finit par leur demander :
⎯ Pour quelle raison êtes-vous ici, y a-t-il un problème qui vous fasse
traverser l’univers ?
⎯ Mais, maman, tu nous as donnés ce sifflet pour que nous t’appelions
si nous avons un problème et là, c’est important. Nous avons encore été
enlevés par le même homme. Cette fois il s’est associé à d’autres qui res-
semblent plus à des malfrats qu’à des extra-terrestres. Ils sont venus nous
chercher alors que nous disputions un match sur le terrain de l’école. Ils ont
réussi à passer la porte par surprise et ont obligé Axelle à l’ouvrir pour res-
sortir. Nous sommes montés dans leur vaisseau, mais nous n’avons pas tra-
versé l’univers. Je pense que nous sommes en Provence, l’odeur de la la-
vande y est trop forte. Ils nous ont enfermés dans le noir dans une pièce
totalement isolée du monde. Nous ne pouvons pas communiquer par télépa-
thie. Heureusement que Céleste a insisté avec le sifflet, il s’est mis à jouer si
bien qu’il a réagi malgré la protection dans laquelle nous sommes enfermés.
Mais, on a peur, le type n’a pas l’air de plaisanter.
Aqualuce semble troublée par leur enlèvement. Elle connaît l’agresseur ;
Paolis était dans son temps un bon médecin sur Natavia, l’ombre de Maldeï
rode au-dessus de lui. Mais elle n’a aucun pouvoir sur ce qui se passe sur
Terre, elle se demande comment les aider. Cette nouvelle est très grave,

310
mais isolée sur une planète à des dizaines de milliers d’années lumières, elle
ne voit pas de solution pour l’instant. Mais, Céleste toujours discret fait un
signe à sa mère :
⎯ Dis, maman, pourquoi tu parais soucieuse ? je ne vois pas en quoi il
y a un problème. Cléonisse a l’air affolé. Nous sommes avec toi maintenant,
c’est le principal. Ce type ne peut plus nous atteindre !
Aqualuce se questionne et réfléchit. Elle les regarde. Ses enfants paraissent
bien présents devant elle, mais comme toujours, ce n’est que son image qui
se déplaçait dans l’espace. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui.
Alors, elle répond à son fils :
⎯ J’aimerais que ce soit possible, mais ce n’est que votre image qui est
devant moi. Votre corps est resté sur Terre dans la prison où l’on vous a
enfermés.
Céleste la regarde avec étonnement et se dit que c’est faux et lui fait remar-
quer :
⎯ Mais, maman, si je n’étais qu’une image devant toi, je n’aurais aucun
pouvoir sur ce qui m’entoure. Regarde un peu :
Le petit garçon attrape un caillou qu’il lance sur sa mère. Aqualuce le prend
dans le visage et du sang coule aussitôt sur son front. Elle regarde son fils
un instant sans rien dire, et aussitôt elle l’attrape fermement dans ses bras et
le serre très fort. Le pauvre s’en étouffe presque. Pour Aqualuce, c’est le
plus grand moment de bonheur car elle retrouve vraiment ses enfants laissés
sur la Terre depuis au moins six mois. Cléonisse voit son frère sombrer dans
la joie des retrouvailles et elle se précipite vers eux.
⎯ Maman, tu ne pars plus sans nous, c’est fini, on reste avec toi ?
⎯ Mon garçon, plus jamais je ne vous quitterai, c’est terminé pour de
bon.
Aqualuce ne s’imaginait pas qu’en rêvant à ses enfants et comprenant
l’amour qu’elle leur devait, cela la rapprocherait aussi vite d’eux. Cléonisse
attrape le sifflet que son frère tient encore dans une main et le casse en
deux. Céleste la regarde stupéfait et lui dit :
⎯ Pourquoi as-tu fait ça, nous pourrions en avoir besoin ?
⎯ Non, si maman est là c’est pour rester avec nous. Si j’avais gardé le
sifflet, elle pourrait repartir.
Aqualuce voit ses enfants se chamailler et cela la rassure. Leurs cris sont
des musiques que ses oreilles avaient presque oubliées et cela la rend heu-
reuse. Cléonisse se retourne vers elle et la regarde :
⎯ Maman ! tu ne peux plus cacher ton ventre, il est trop gros, qu’est-ce
qu’il y a dedans ?
⎯ Votre futur frère et votre nouvelle sœur !
Ils se regardent tous les deux et viennent la câliner encore plus fort. Toute
cette journée ne semble pas finir et les enfants voudraient ne jamais se sou-

311
cier de l’avenir. Le soir, Aqualuce les couche dans une des cabines du vais-
seau. Ce sera leur nouvelle chambre. Les deux enfants sourient, mais une
idée les oblige à penser très fort à leurs amis restés sur Terre et qui de façon
certaine s’inquiètent pour eux.
⎯ Pourvu qu’ils ne nous imaginent pas morts, il faut les avertir, il faut
qu’ils sachent que nous sommes en sécurité avec maman.
C’est alors qu’une nouvelle angoisse les prend avant de s’endormir. Ils se
disent que de là où ils sont, il faut les aider, le mauvais Paolis pourrait reve-
nir pour prendre d’autres enfants qui n’auront pas la chance de se sauver
grâce à un sifflet. Alors, d’une idée commune, ils se mettent à penser aux
autres et ils chantent leur amour pour tous leurs amis, pensant que leur
chanson arrivera jusqu’à eux. Leur mélodie est ainsi :

Notre mère est revenue, nous l’avons reconnue.


Le sifflet a joué et nous nous en sommes allés.
Les étoiles nous ont accueillis et tout était fini.
Maman est dans nos bras et ne nous quittera pas.
Le sifflet a joué et nous nous en sommes allés
Le sifflet a joué et nous sommes sauvés.

À chanter cette petite complainte, ils se sont endormis, laissant derrière eux
des voleurs d’enfants vaincus par la musique de la vie…

Aqualuce au pied du vaisseau regarde le ciel et le trouve changeant. Les


beaux rayons de l’étoile ont disparu au-delà de l’horizon et d’épais nuages
arrivent en masse. Elle se retrouve seule dans sa cabine, les enfants dor-
ment. Elle ne s’imaginait pas en se réveillant aujourd’hui, qu’elle se retrou-
verait ce soir, pleinement maman avec ses deux enfants ayant fait un terri-
ble bond dans l’espace. Elle sait qu’autour d’elle, l’espace et le temps n’ont
plus la même forme qu’autrefois. Tous ses principes ont été balayés depuis
son passage dans l’espace de la mort et la réponse à la question qu’elle se
posait a été résolue devant ses deux enfants ; elle l’écrit sur son ouvrage :

Certains hommes passent leur vie entière à la recherche d’une réponse.


Bien souvent, ils ne la trouvent pas. L’arrivée inattendue et inespérée de
mes enfants a eu cet avantage de répondre instantanément à la mienne :
La mort n’est pas pour tout de suite. La Mort ne sera possible que lorsque
le dernier homme du monde sera sauvé. Mes enfants font partie de ceux
qu’il faut soutenir et il y en a bien d’autres. Le jour où l’humanité che-
minera vers la Mort, ce sera dans la joie, comme un grand réconfort. La
mort n’est pas une fin, mais juste une transformation. Mon corps et mon
âme ne sont qu’un avec toute la création, c’est ce que nous devons tous

312
découvrir.

Aqualuce pose son stylet, elle est fatiguée. Elle se couche et s’endort aussi-
tôt…

Soudain l’orage se met à gronder autour du vaisseau et la pluie commence à


tomber de façon titanesque. Au début, les éclairs et la foudre n’interrompent
pas le sommeil de ses occupants et lorsqu’Aqualuce ouvre l’œil, il est déjà
trop tard pour agir car un torrent de boue coule entre les rochers et emporte
le vaisseau avec lui. À l’intérieur ils sont tous renversés et Aqualuce n’a ni
la force ni la possibilité de pouvoir atteindre le poste de pilotage, mais seu-
lement le temps de pénétrer dans la cabine de ses enfants. L’engin se re-
tourne et glisse sur le fleuve d’eau et de boue, d’un coup, tombe dans une
cavité géante qui aspire toute l’eau sur la surface. L’appareil fait un prodi-
gieux plongeon avec toute la vase que l’ouragan a brassé dans sa démence.
L’engin disparaît et tous les efflux semblent continuer à couler jusqu’à bou-
cher le vaste cratère dans lequel ils sont tombés.
Lorsque la pluie cesse, c’est le matin et les nuages ont se sont évaporés,
comme s’ils s’étaient tous transformés en eau avant de s’enfoncer dans
l’immense trou creusé dans la planète. À la surface, aucune ne trace de vie ;
si elle a existé, elle a disparu cette nuit…

313
ENTERRES VIVANTS
Après des milliers de mètres parcourus dans la boue, le
vaisseau finit sa course, bloqué entre deux parois de granit. Des milliers de
tonnes de magma boueux l’écrasent totalement, il a le nez à la verticale.
C’est un miracle qu’il n’ait pas fini broyé et déchiqueté. Le silence à
l’intérieur est total, les passagers n’ont pu résister à un tel cataclysme. Déjà,
l’eau commence à suinter par tous les joints. Petit à petit, la coquille de
l’appareil va se fissurer et ce sera la mort pour ceux qu’il abrite.
Soudain, un des enfants se redresse, il semble être un peu étourdi, alors que
le garçon paraît avoir un membre fracturé. Hélas, la femme à côté semble
plus gravement blessée. Elle perd son sang par tous les orifices de sa tête
qui a certainement heurté avec violence un des blocs de la cabine. La petite
fille se relève et se dirige d’abord vers son frère :
⎯ Comment te sens-tu, Céleste, peux-tu te relever ?
⎯ Je ne comprends pas, je dormais lorsque j’ai senti qu’on tombait. J’ai
affreusement mal à mon bras, j’ai l’impression qu’il est cassé.
Les deux enfants se retournent et aperçoivent leur mère effondrée contre la
cloison faisant face aux lits. Elle semble ne plus respirer, elle est recouverte
de sang. Les enfants sentent la panique monter et Céleste se met à crier.
Heureusement sa sœur garde son sang-froid. Elle lui fait signe d’arrêter de
façon tellement autoritaire qu’il se retient aussitôt.
⎯ Ça va, il faut s’occuper d’elle.
⎯ Mais, qu’est-ce qu’on peut faire, j’ai mal au bras !
⎯ La soigner, c’est tout. Je m’occuperai de ton bras plus tard, il faut
s’occuper d’elle en urgence.
Cléonisse rejoint sa mère pour l’examiner avec le peu de connaissance
qu’elle possède. Lorsqu’elle pose une main sur sa tête et ferme ses yeux,
elle entre instantanément en contact avec la conscience de sa mère.
⎯ Que fais-tu avec maman ? Lui demande Céleste.
⎯ Je prends d’elle ses connaissances, je sais qu’elle savait soigner par
ses dons. Tais-toi un peu, je crois que ça marche.
En effet, la petite fille se concentre un long moment, jusqu’à ce qu’elle re-
lâche la tête de sa mère, puis se redresse :
⎯ Ça devrait aller, j’ai réussi à trouver en elle ses qualités pour soigner
les gens. Je crois pouvoir faire comme elle. Je viens d’apprendre à faire un
diagnostic et je vais faire comme elle l’aurait fait. Ça va prendre un peu de
temps, mais c’est nécessaire.
Le visage de l’enfant parait se transformer et prendre des traits d’adultes.
Elle ressemble plus à sa mère maintenant. Se concentrant au-dessus d’elle,
elle passe sa main au-dessus du corps, comme si elle le radiographiait.

314
Lorsque l’examen est terminé, elle regarde son frère, le visage blême :
⎯ Maman a une fracture du crâne avec une hémorragie interne. Si elle
ne reçoit aucun soin dans les minutes qui viennent, elle risque de mourir
rapidement, ou du moins, son cerveau risque d’être perdu.
⎯ Mais on est seuls, il n’y a pas d’hôpital ici.
⎯ Je vais faire ce que j’ai appris par elle, je vais essayer.
⎯ Non, tu n’essaies pas, tu fais !
⎯ Je n’aurai pas la force, je suis trop petite, je n’ai pas la moitié de
l’énergie de maman.
⎯ Ça, c’est pas un problème, je vais te donner ma force, prends ma
main, je te donnerai tout ce que je possède et je vais aussi chercher celle de
nos amis sur la Terre, entre eux et moi, il n’y a pas de frontières.
⎯ J’ai confiance en toi, je suis d’accord.
Vite, les deux enfants se préparent. Malgré son bras cassé, Céleste, motivé
pas le désir de sauver sa maman, oublie sa fracture et Cléonisse fixe son
regard avec attention sur sa maman. C’est alors que ses yeux commencent à
rayonner un flux rouge, fin, qui délicatement suit un tracé précis sur le
crâne de sa mère. L’opération semble dificile, on a l’impression qu’elle
ressoude chaque millimètre de la boîte crânienne. Cela dure de longues mi-
nutes et le garçon commence à montrer des signes de souffrance sur son
visage. Lorsque les rayons s’arrêtent, le crâne d’Aqualuce fume légèrement.
Mais la petite fille reprend son travail. Cette fois, ce ne sont plus des rayons
rouges mais bleus qui émanent de son regard. Au lieu d’être fins, ils sont
larges et couvrent toute la boîte crânienne, comme s'ils agissaient pour dé-
congestionner le cerveau. Il est certain que ses rayons sont en train de dé-
truire les éventuels caillots de sang pouvant être responsable d’une embolie.
Le soin appliqué dure presque une heure, le garçon, totalement épuisé relâ-
che la main, le rayon s’arrête instantanément.
La petite fille s’effondre à son tour sur le corps de sa mère, ayant donné
toute sa force et son amour pour sa mère risquant de mourir d’un moment à
l’autre…

L’eau continue à s’infiltrer à travers les innombrables joints de l’appareil.


La carcasse se fissure progressivement et la pression de la boue continue
son action destructrice.

L’eau qui s’écoule sur son visage réveille la petite fille. Elle se redresse et
entend des craquements étranges autour d’elle. Vite, elle se doute que c’est
le vaisseau qui a un problème, mais rien ne peut lui faire penser qu’elle est
enterrée à des centaines de mètres de profondeur sous une montagne de
boue. Sa mère est toujours inconsciente et elle se demande si ses soins ont
été efficaces. Son frère épuisé par l’effort qu’il a fourni, dort toujours. Il

315
faut vite le réveiller, il peut l’aider. Elle s’approche de lui et voit son bras
cassé, tout violet. C’est à ce moment qu’elle pense qu’il est peut-être impor-
tant de le soigner. Maintenant qu’elle sait comment faire, elle se dit qu’il
faut tenter. Ses yeux puissants analysent son bras et se mettent à rayonner
un flux rouge comme pour sa mère. Cela dure moins longtemps, la blessure
paraît moins importante. Voyant que la fracture se résorbe, elle arrête, en-
core épuisée par l’effort.
« Peut-être que cette fois, ça a marché » pense-t-elle. Le membre a repris
une couleur plus sympathique. Son frère bouge et ne tarde pas à se réveiller
et ouvrir les yeux. Inquiet, il regarde sa sœur :
⎯ Comment va maman ?
⎯ Elle ne s’est pas réveillée, il faut la laisser dormir, mais elle ne saigne
plus, son sang a coagulé et son cœur bat.
⎯ C’est bizarre, j’ai plus mal au bras, je peux le plier.
⎯ Je l’ai soigné avant que tu te réveilles.
⎯ Mais, si tu as réussi pour moi, maman doit être guérie aussi.
⎯ Je ne sais pas, mais on n’a peut-être pas trop de temps, n’entends-tu
pas les craquements du vaisseau, ne remarques-tu pas l’eau qui coule autour
de nous ? j’ai besoin de toi, tu es plus technicien que moi, dis-moi ce que
nous devons faire ?
⎯ Je ne suis pas pilote de vaisseau, les seuls engins spatiaux que j’ai
manipulés étaient fabriqués en Lego. Comment veux-tu que je fasse ?
⎯ Moi, je ne sais même pas jouer avec des Lego et je ne suis pas méde-
cin. Pourtant, j’ai soigné ton bras. Tu nous as emmenés jusqu’à maman, tu
peux bien voir ce qu’il se passe ici et me dire pourquoi le vaisseau est com-
plètement retourné !
Il regarde sa mère toujours inerte sur le sol, réfléchit et se dit qu’il pourrait
comme sa sœur trouver la solution en l’esprit de sa mère. Il s’approche
d’elle et pose une main sur son front. Pendant quelques minutes, il ne bouge
plus, comme pétrifié, puis sa main se relâche et il se retourne vers sa sœur :
⎯ Ce n’est pas si difficile que ça, d’être pilote d’engin spatial. Je sais
comment m’y prendre.
Sa sœur le regarde, ébahie.
⎯ Alors, quoi ! ne me regarde pas avec cet air idiot, aide moi à grimper
pour arriver à la porte.
Avec beaucoup d’efforts, ils se hissent jusqu’au poste de pilotage et le gar-
çon parvient à s’accrocher au siège qui est bien trop grand pour lui et met
en route certains appareils totalement inconnus pour sa sœur. Découvrant le
CP, il l’actionne et lui pose mentalement des questions. Le cerveau du vais-
seau lui répond rapidement :
⎯ Jeune homme, nous sommes dans une fosse à plus de trois mille mè-
tres de profondeur, la pression est si importante que dans moins d’une

316
heure, nous serons totalement écrasés.
⎯ Avons-nous une solution ?
⎯ L’activation du champ de protection peut nous protéger un peu
mieux. Il nous est impossible de remonter à la surface seulement juste nous
déplacer sur quelques centaines de mètres avant que toute l’énergie n’ait été
utilisée car hors de l’atmosphère ou du vide, l’éther spatial, source de notre
énergie nous est indisponible.
Le garçon réfléchit encore tout en regardant sa sœur et pensant à sa mère.
Curieusement, il entend dans sa tête une voix…

Wendy s’arrête net ! elle a perçu une pensée qui n’est pas celle de son
époux et qui lui semble toute proche. Cela semble parvenir du pic blanc qui
se dresse vers le ciel. Le monde inconnu dans lequel elle a échoué à la re-
cherche de son époux n’a rien à voir avec toutes les planètes qu’elle a visi-
tée durant sa vie lorsqu’elle sillonnait l’espace. Elle a suivi son mari reparti
dans le Puits de l’Oubli mais elle ne s’imaginait pas arriver dans un monde
aussi étrange. Voilà dix jours qu’elle s’enfonce sur la surface aride et fade
de cette planète sans avoir retrouvé Araméis. C’est à s’imaginer que tous
ceux qui pénètrent dans ce puits mystérieux n’ouvrent jamais la même
porte. Là où elle est, elle pourrait appeler ce monde "La chambre blanche
du monde", car la seule couleur qui soit est le blanc, avec quelques varian-
tes bleutées. Le sol est semblable à du sable humide et blanc. Le ciel est de
la même teinte, avec une pointe de bleu et à l’horizon, de multiples colon-
nes de silex blanc surgissent comme des pointes qui s’enfoncent dans le
ciel. Il semble difficile de les escalader, tant elles sont abruptes. On croirait
que ces pics tiennent le firmament comme un toit posé sur les sommets. Où
elle se trouve, il n’y a pas un souffle de vent et aucune étoile n’apparaît
dans ce ciel éternellement laiteux. Et depuis les nombreux jours où elle est
arrivée ici, jamais la nuit n’est tombée, à croire que ce monde ne fait pas
partie de l’univers classique. Cependant l’endroit n’est pas hostile aux
hommes. Depuis dix jours qu’elle est là, Wendy trouve tout ce qui lui est
nécessaire pour boire et se nourrir. Des mares d’eau sont dispersées un peu
partout et souvent, des racines blanches sont à sa disposition, leur goût rap-
pelle celui du soja. Hélas, il ne faut pas être très difficile car c’est la seule
nourriture que l’on trouve ici. Lorsqu’elle est fatiguée, Wendy s’allonge sur
le sol et prend des racines pour en faire un oreiller. Malgré la lumière, elle
trouve toujours le sommeil assez facilement, seulement elle ne rêve plus.
Sur cette planète, il n’y a ni animaux ni insecte, c’est un monde totalement
stérile. Il lui est difficile de savoir ce qu’elle est venue y faire, sauf courir
après Araméis. Par moments, elle voudrait pleurer, mais, il n’y a personne
pour la consoler. Seulement, ces voix, qu’elle entend maintenant ressem-
blent trop à celles d’enfants, et elle se demande d’où elles peuvent bien ve-

317
nir. Elle s’arrête de marcher un instant et écoute avec plus d’attention. Re-
gardant un des gros pics qui doit faire trois ou quatre mille mètres, elle per-
çoit que les pensées viennent de là et se dit qu’il doit y avoir quelqu’un là-
haut. Persuadée que ces voix lui sont destinées, elle décide d’y aller.
L’ascension est dure, mais ses jambes sont comme des ressors et elle trouve
une force presque surhumaine pour gravir ce mont colossal. Le pic infran-
chissable est finalement plus accessible que prévu, le sol est rugueux, ce qui
lui permet d’y accrocher ses pieds nus. Et comme par magie, en un peu plus
d’une heure, elle arrive près de l’endroit d’où sortent les pensées de ces
enfants étranges. Certaine que les petits ne sont pas loin, elle commence à
les appeler avec toute sa voix.

⎯ Ce n’est pas possible, j’entends quelqu’un. Devant nous, comme si


on nous appelait.
⎯ T’es pas bien, Céleste, on est tout seuls avec maman. Où entends-tu
des voix ?
⎯ Juste devant le vaisseau, derrière la boue qui est autour de nous. Je
suis sûr que ce n’est pas loin. Je vais demander au CP de se diriger là où
j’entends la dame qui nous appelle.
Le jeune garçon donne au CP l’ordre d’aller tout droit et il impose d’aller
vite. L’engin qui s’est redressé prend de la vitesse et fonce devant lui sans
aucune visibilité.

Wendy continue d’appeler les enfants et perçoit leurs pensées de plus en


plus proches.

Céleste augmente la vitesse du vaisseau et entend de façon plus précise la


voix qui l’appelle. L’engin traverse des efflux de boue dans l’obscurité la
plus grande.

Wendy marche sur le blanc sommet dans l’air le plus lumineux et le plus
pur. Lorsque d’un coup, devant elle, la montagne éclate, faisant voler milles
pierres.

Dans un fracas énorme la course du vaisseau s’arrête net. Les enfants ne s’y
attendaient pas et sont propulsés vers l’avant de l’engin. Wendy voit sortir
de la montagne le nez d’un vaisseau dans un jet de boue puissant.
L’appareil s’arrête à la moitié de sa carlingue et la femme à juste le temps
de se protéger pour ne pas être écrasée. Elle comprend que les pensées ve-
naient de ce vaisseau et une fois sur ses jambes, se dit qu’il faut aller à
l’intérieur. Par chance, la porte du vaisseau est dégagée et elle arrive à
l’ouvrir bien qu’elle soit un peu coincée après avoir été pliée. À l’intérieur,

318
elle voit deux enfants allongés sur le sol et elle les sort vite de l’appareil.
Alors qu’elle pense avoir fini avec eux, la petite fille qui ouvre les yeux lui
demande si elle a trouvé sa maman. Wendy ne réfléchit pas et replonge dans
le vaisseau. Quelques minutes plus tard des craquements venant de
l’appareil se font entendre, les enfants se redressent et voient que des pier-
res s’effondrent dessus ; dans quelques secondes le vaisseau aura disparu
sous la montagne qui n’a pas apprécié d’avoir été blessée par un tel engin.
Par miracle, la femme ressort avec leur mère sur son épaule. Sortie de
l’infernale carcasse, sans plus de force, elle s’effondre devant eux laissant
leur mère sur le sol. Presque aussitôt un éboulis de pierres tombe sur
l’épave et le vaisseau disparaît à jamais. Ce monde stérile qui semblait ne
jamais avoir connu les hommes, s’emplit alors de nouveaux bruits qui
commencent à raisonner dans les oreilles de Wendy reprenant conscience.
Elle se relève et distingue mieux les enfants, mais lorsqu’elle regarde avec
attention le visage de la femme qu’elle vient de sauver, elle crie :
⎯ AQUALUCE !
La force de sa voix est si forte que la femme blessée se met à bouger. Les
enfants regardent ce qui se passe et ne comprennent pas vraiment. Mais
quand leur mère commence à ouvrir un œil, ils se doutent qu’elle va bientôt
guérir. Sur le sol, les doigts d’Aqualuce commencent à bouger, ses mains et
ses bras se replient. Ses jambes s’allongent comme pour se détendre et enfin
elle redresse la tête. De ses bras, elle pousse son dos pour se redresser.
Tournant la tête elle regarde ses enfants puis la femme, debout devant elle.
Enfin, elle semble ouvrir la bouche.
⎯ Pourquoi me regardez-vous comme ça, qui êtes-vous ?
Cléonisse et Céleste se regardent, ne comprenant pas vraiment sa question.
⎯ Mais, c’est nous, maman, tes deux enfants.
Aqualuce se met à rire si fort que toute la montagne résonne. La grande
femme la regarde à son tour et lui dit :
⎯ Je suis Wendy, tu me reconnais au moins ?
Aqualuce rit de plus belle et tous sont déconcertés.
⎯ Maman, c’est moi, Céleste, ton garçon.
Alors, la pauvre Aqualuce se tait et réfléchit. Wendy demande aux enfants :
⎯ Vous êtes certains que c’est votre mère ?
⎯ Mais, on était hier avec elle dans le vaisseau. On s’est couché et il y a
eu une tempête. On est tombé dans un grand trou avec le vaisseau. Maman
s’est blessée à la tête et j’ai dû la soigner ; je crois que c’était une fracture
du crâne.
La petite Cléonisse raconte à Wendy son histoire et comme Wendy a déjà
visité Keuramdor, l’école des enfants, elle comprend mieux ce qui s’est
passé. Mais la façon dont elle a soigné sa mère l’interpelle, elle n’avait ja-
mais imaginé qu’un enfant puisse copier toute l’intelligence d’un autre

319
comme ça et apprendre en un geste le savoir d’une vie. Elle comprend
qu’Aqualuce a reçu un choc très violent, qui l’a peut-être rendue amnési-
que. Pour Wendy tout cela devient très compliqué, elle ne sait comment
aider son amie. Les enfants restent assez calmes. Dans ce monde sans issue,
Wendy se demande comment retourner vers Unis et si elle arrivera à garder
avec elle une femme sans mémoire qui ne semble pas prête à les suivre.
Wendy n’a jamais eu d’enfants et elle se questionne sur l’attitude qu’elle
devra prendre avec eux. Toutes ces questions tournent dans sa tête sans
trouver de réponses. Cependant, pensant à ce qu’une mère éprouve pour ses
enfants, elle les prend dans ses bras pour les réconforter.
⎯ Tant qu’Aqualuce n’aura pas retrouvé sa mémoire, je serais votre
maman si vous le voulez bien. Je vous promets que je ferais tout ce qu’il
faut pour qu’elle s’en sorte.
Wendy décide de descendre avec les enfants et Aqualuce jusqu’à un point
d’eau où ils pourront s’installer pour dormir. Aqualuce ne pose aucune dif-
ficulté pour les suivre et plus tard, ils arrivent devant une large mare riche
en racines. Après le repas, elle installe les enfants afin qu’ils passent ici leur
première nuit "blanche".
Allongée, elle réfléchit à cette étrange journée. Savoir que le creux des
montagnes cache un autre monde est à la limite du réel. D’où sont arrivés
les enfants et Aqualuce ?

⎯ Vraiment, rien ne semble logique depuis que je suis arrivée ici. Où


peut bien être le reste de l’humanité ?
Sur ces paroles, elle voit Aqualuce s’endormir comme un enfant et elle en
fait autant.

320
TOUS RASSEMBLÉS
Lorsque Wendy se réveille, elle a une idée. Seule durant
plus de dix jours, elle avait toujours recherché Araméis en marchant à vue
et n’avait jamais pensé qu’il puisse être comme Aqualuce et ses enfants,
dans une autre dimension. Elle comprend que cet endroit est aussi mysté-
rieux que le Puits de l’Oubli. Elle se demande s’il n’y aurait pas une porte
leur permettant de passer dans d’autres mondes et cela lui aurait échappé
depuis le début ? Pour le savoir, elle devra chercher avec Aqualuce et ses
enfants.
Aqualuce se redresse peu après et Wendy prend de ses nouvelles :
⎯ C’est curieux, j’ai un énorme mal de crâne, j’ai une bosse, mais je ne
me rappelle plus comment je me la suis faite.
⎯ As-tu la mémoire qui te revient ?
⎯ Si je savais ce qu’est la mémoire, je pourrais peut-être te répondre,
mais ma tête ressemble à l’air que je respire.
⎯ C’est ton passé qui a disparu, pour le reste, tu possèdes encore la pa-
role, tu sembles connaître la vie malgré tout. Sais-tu que tu t’appelles Aqua-
luce ?
⎯ Ce nom ne me dit rien.
⎯ Et Jacques ne te rappelle rien ?
⎯ Qui est-ce ?
⎯ Le père de tes deux enfants et de ceux que tu attends.
⎯ Ça, je sais que j’attends des bébés, mais, ma vie a commencé hier
lorsque je me suis réveillée avec toi.
⎯ Hier, tes enfants t’ont raconté ce qui t’est arrivé ; le vaisseau, ta chute
à l’intérieur. Ne te rappelles-tu pas ?
⎯ Non, vraiment, je n’ai aucun souvenir. Mais, c’est curieux, je ressens
beaucoup d’affinités avec eux.
⎯ Que comptes-tu faire parmi nous ?
⎯ Je ne connais personne, cette planète est vide, je n’ai aucune raison
de partir dans mon coin, je resterai avec vous, vous m’êtes tous sympathi-
ques. Et toi, où comptes-tu nous emmener ?
⎯ Nous avons des amis à retrouver, j’ai l’intention de chercher un pas-
sage qui nous conduira vers eux. Peut-être pourras-tu m’aider ?
⎯ Wendy, mon amie, j’ai la tête vide, je ne connais rien à ton monde et
je suis comme un être limité, un simple d’esprit. Je pense ne jamais pouvoir
t’apporter de secours, hélas. Mais je te promets d’être volontaire avec tous.
Émue, elle prend Aqualuce dans ses bras et la serre très fort. Celle-ci com-
prend que cette femme inconnue a des sentiments pour elle et cela la ras-
sure. Wendy rajoute :

321
⎯ Même si tu ne reconnais pas tes enfants, prends-les en affection. Moi
je peux le faire, mais ce ne sont pas les miens.
Cléonisse et son frère s’éveillent. La petite se retourne vers son frère, ob-
serve sa mère puis demande :
⎯ Maman, tu vas mieux aujourd’hui ?
⎯ J’ai fort mal à la tête, mais je te promets que ça passera. C’est déjà
très bien que tu aies pu me soigner.
⎯ Peut-être mais maintenant, tu ne te souviens pas de moi.
⎯ Nous allons nous en sortir ; raconte-moi comment j’étais avant, je te
promets que ça m’aidera à devenir ta maman.
Céleste lui dit alors :
⎯ En tout cas, je sais que tu étais un très bon pilote de vaisseau spatial.
⎯ Tu m’en diras plus, j’ai hâte de connaître mon histoire.
Mais Wendy pense à la route qu’ils doivent faire et ne souhaite plus perdre
de temps.
⎯ Il faut partir, les enfants, nous ne restons pas ici.
⎯ Mais tu veux aller où, dans quelle ville ?
Wendy ne sait quoi répondre à Cléonisse, dans sa tête c’est la confusion,
elle-même n’en a aucune idée. Curieusement, c’est Aqualuce qui trouve la
réponse :
⎯ Mais ma chérie, il ne faut pas parler comme ça à Wendy. Elle a be-
soin de toi pour que tu la guides. Elle ne peut pas te répondre aussi facile-
ment. D’ailleurs, elle allait te demander comment trouver les autres gens.
Tu veux bien, n’est-ce pas !
⎯ Euh ! oui, maman, mais laissez-moi un peu réfléchir, c’est pas facile,
surtout ici, je ne connais pas très bien ces lieux. Il faut que je me concentre.
Cléonisse a des dons insoupçonnés et elle en a découvert une partie lors-
qu’elle a soigné sa mère. Se concentrant sur son esprit, elle en avait pris
toute la quintessence. Elle se dit que ce ne doit pas être plus difficile avec
cette planète, alors elle s’allonge sur le sol et y colle sa tête. Fermant les
yeux, elle semble s’endormir avec le regard étonné de tous. Elle reste figée
plus de dix minutes et enfin se redresse.
⎯ C’est bon, je sais où nous devons aller.
Surprise Wendy, la regarde, vraiment étonnée.
⎯ Ça va être un peu dur, mais nous devons aller au sommet du pic, là-
bas.
Pointant du doigt une sorte de montagne ressemblant plus à une stalagmite
géante de presque deux mille mètres, elle leur dit :
⎯ Le passage est au sommet. Là, nous pourrons retrouver les autres.
Wendy n’avait jamais pensé à escalader les pics pour y retrouver Araméis.
Elle se dit que peut-être elle a raison. Aqualuce serait-elle intuitive pour
avoir placé sa fille dans cette situation ? Elle se dit qu’il faut de toute façon
322
aller voir, aucune piste n’est à négliger, cela fait déjà de nombreux jours
qu’elle tourne en rond.
Ils se préparent, leurs bagages sont très légers. Wendy n’a qu’un sac conte-
nant une gourde et un chronocristal lui indiquant le temps universel lunisse.
Le pic que Cléonisse leur a indiqué est à au moins une journée de marche.
Emplis de courage, ils prennent le chemin. Dans ce désert blanc, impossible
de se perdre, pour aller au but, il suffit de lever les yeux et suivre la monta-
gne.
La marche n’est tout de même pas facile. Les enfants n’ont pas les jambes
des deux grandes femmes et au bout de quatre ou cinq kilomètres, ils sont
déjà fatigués ; il faut le comprendre. Ce qui parait à une journée de marche
devient vite deux jours et enfin, au troisième ils arrivent au pied de la mon-
tagne. Il leur faut lever les yeux à la verticale pour pouvoir regarder le
sommet et cela leur donne vite le vertige.
⎯ Tu crois qu’on pourra arriver là-haut ?
⎯ Céleste, je ne sais pas, mais la solution s’y trouve, j’en suis certaine.
Évidemment, Wendy se questionne aussi, mais à l’évidence, il faudra com-
mencer l’ascension. De toute façon, avant d’en prendre le chemin, il faut se
reposer.

Pendant son sommeil, Céleste fait un rêve. Il se voit voler au-dessus de tou-
tes les montagnes comme un oiseau. Ça lui est facile de monter là-haut.
Hélas, sa sœur, sa mère et Wendy qui avaient commencé l’escalade retom-
bent toutes au pied de la montagne. Il voudrait les rattraper, mais un vent
incroyable l’emmène et il se retrouve perdu, loin des siens. Ce rêve tourne
au cauchemar, il se réveille vite entre Aqualuce et Wendy, ce qui le ré-
confortent. Hélas, en plein jour, il ne retrouve pas le sommeil.

Tous debout, ils se préparent à gravir l’immense montagne en prenant cou-


rage, mais Céleste, fatigué, pleure, pensant au chemin à parcourir. Wendy le
rassure, mais la nuit trop courte l’a empêché de reprendre des forces.
⎯ Maman, je suis trop petit pour arriver là-haut. On ne peut pas monter,
c’est trop raide, on va tous tomber.
Cléonisse lui répète que c’est au sommet que se trouve le passage, elle en
est certaine.
⎯ Mais tu sais qu’on n’est pas dans les Alpes, ces montagnes ne res-
semblent en rien à celles que l’on connaît. Tout en haut, il fait froid et l’on
peut manquer d’air. Ce n’est pas avec nos tennis que nous y arriverons. J’ai
peur, tu es petite comme moi, ma sœur, tu le sais.
Aqualuce veut être rassurante pour les deux enfants :
⎯ Je suis forte ; lorsque tu ne pourras plus monter, je te porterai. Wen-
dy pourra prendre Cléonisse sur son dos.

323
La femme regarde Aqualuce qui même sans mémoire a des paroles justes.
Les deux enfants se regardent et finalement, Céleste accepte. Ils commen-
cent l’ascension de la montagne.
À la base, la pente commence en douceur. Ce n’est qu’à partir de trois ou
quatre cents mètres que l’inclinaison devient très raide. Où ils se trouvent,
ils ne peuvent voir les détails du sol qui leur semble blanc et lisse comme de
la glace. Pour que la marche ne soit pas trop dure, ils avancent en faisant le
tour de la montagne et compte tenu de la distance, il leur faudra plusieurs
jours pour espérer arriver au sommet. Ils progressent doucement en faisant
des haltes régulières afin que tous puissent reprendre des forces. Sur le
chronocristale de Wendy, c’est la fin de l’après-midi et il est temps
d’installer le camp car ils sont sur un plat qui leur permettra de dormir. Ils
estiment qu’ils sont peut-être à cinq cents mètres d’altitude, ce qui leur fait
encore trois fois plus à parcourir. Au-dessus d’eux, la pente s’accentue et
s’ils avancent en spirale, ce n’est pas tois jours qu’il leur faudra, mais qua-
tre fois plus.
Seule Wendy se questionne et se demande si c’est une bonne idée d’avoir
écouté les conseils de cette toute jeune fille. Mais les deux enfants ne
s’étant pas plaints durant la journée, elle se tait. Aqualuce se rapproche
d’elle alors que les enfants s’endorment :
⎯ Tu es perdue, Wendy, tu ne sais pas où tu dois aller ? En plus, tu te
retrouves avec deux enfants et une femme sans passé. Pourquoi es-tu arri-
vée ici ?
Wendy, très soucieuse, garde en elle toutes ses tensions pour ne pas affoler
les autres. Mais elle décide de se confier à Aqualuce et lui raconte pourquoi
elle a suivi son époux parti à sa recherche et celle de ses amies. C’est pour
Aqualuce et Araméis qu’elle est là. Mais ici, maintenant, elle se demande
s’il était vraiment nécessaire de faire tout cela. Aqualuce ne réfléchit qu’un
instant et lui répond :
⎯ Aucun doute, ta place est ici ! Qui aurait pu nous sortir du vaisseau
lorsqu’il a percuté la montagne. Si tu n’avais pas été là, nous serions tous
morts, perdu dans la boue, ou écrasés sous des tonnes de pierres. Tu nous as
sauvés tous les trois, voilà pour toi une véritable raison d’être ici.
Wendy commence à comprendre que leur rencontre n’est pas forcément dû
au hasard. Si c’est vrai, aller au sommet n’est peut-être pas une simple pro-
menade.
Le lendemain, Wendy propose de monter directement vers le sommet. Les
enfants sont un peu affolés, mais Aqualuce les rassure. Leur mère, même
amnésique, a toujours toute leur confiance. Se tenant par la main, tous
commencent la véritable ascension du pic qui semble dresser sa pointe vers
l’infini.
Le chemin devient vite rude, la pente qui se sentait à peine sous les pieds

324
s’accentue. Les enfants ont du mal à suivre, leurs tennis ne sont pas vrai-
ment faites pour escalader. Alors que Wendy peut encore pousser sur ses
jambes, Aqualuce se fatigue très vite, elle porte deux enfants plus les deux
autres qu’elle tire avec elle. À la fin de la journée elles sont montées de
peut-être cinq ou six cents mètres, mais le reste leur paraît de plus en plus
inabordable. Tous sont fatigués et même s’ils arrivent à se caller dans un
creux pour ne pas glisser, dormir devient difficile. Se penchant vers le bas,
ils constatent que revenir sur leurs pas sera bientôt impossible, à moins de
tomber et de ne plus jamais se relever. Wendy se demande à quoi rime ce
voyage devenu une épreuve ; elle n’en voit pas l’intérêt. Mais la plus à
plaindre est Aqualuce qui aurait tout avantage à se reposer. Même si elle ne
manque ni d’eau ni de nourriture, il devient impensable qu’une femme en-
ceinte de plus de six mois fasse de l’alpinisme. Les deux enfants
s’accrochent et gardent courage mais ils voient leur mère se fatiguer bien
plus qu’elle ne le devrait. Il est impossible de savoir ce que ressent Aqua-
luce, elle semble serrer les dents et ne dit mot. Souffre-t-elle. Ils ne savent
pas, mais peuvent se l’imaginer.
Les enfants ont dormi dans les bras des deux femmes, tous entament leur
troisième jour d’escalade. Au début, malgré la très forte pente, grâce aux
nombreux rochers cassés il est possible de gravir les premiers mètres. La
pente est presque de un pour deux et le sommet se dresse à plus de deux
mille mètres. Wendy ouvre le chemin pour trouver les aspérités servant à
s’accrocher, les enfants la suivent, mais la difficulté devient de plus en plus
grande. Soudain, ils voient Aqualuce immobile, ne pouvant repartir ; elle
tient d’une main son ventre, on a l’impression qu’elle a très mal. Wendy
s’inquiète et l’appelle, mais elle ne répond pas. Comprenant ce qui lui ar-
rive, elle décide de la rejoindre. Mais doit passer sur le côté et ne peut faire
reculer les enfants. Wendy se met sur le côté en s’accrochant sur une pointe
de silex, Céleste l’observe faire de grandes prouesses pour pouvoir rejoin-
dre sa mère. Tout à coup, la pierre sur laquelle elle s’accrochait se déboîte
et Wendy plonge dans le vide. C’est comme dans son rêve et Céleste com-
prend immédiatement le drame. Sans avoir le temps de réfléchir, ses yeux
dégagent un faisceau vert qui s’accroche sur Wendy et forme une bulle au-
tour d’elle. À cet instant, la femme reste en suspension dans le vide, reliée
au regard de l’enfant. Celui-ci ressent la force de son pouvoir et comprend
ce qu’il peut faire.
Alors, il dirige son regard vers le sommet de la montagne et entraîne Wendy
de plus en plus haut. À l’aide de son imagination, il la pousse vers le but et
l’on peut voir Wendy monter. À la fin, on distingue une si petite silhouette
qu’il est impossible de savoir si c’est elle. Mais on peut voir un petit point
se poser sur le sommet. Céleste relâche alors son effort et le rayon vert dis-
paraît. Il se cramponne un court instant aux rochers sur lesquels il se repose.

325
Aqualuce et Cléonisse le regardent, stupéfaites, comprenant à peine ce qui
vient de se passer. Le jeune garçon se retourne alors vers sa mère :
⎯ T’en fais pas, maman, c’est à ton tour. Je vais t’emmener là-haut plus
vite que tes jambes. Ne crains plus, tu vas pouvoir te reposer maintenant.
Laisse toi aller, je m’occupe de tout.
Alors les rayons verts ressurgissent de ses yeux et entourent le corps
d’Aqualuce qui décolle à son tour. Suspendue dans le vide un court mo-
ment, elle est ensuite emmenée vers le sommet, avec délicatesse, tout en
haut. Maintenant, ils ne sont plus que deux contre les parois lisses et abrup-
tes de la montagne de silex blanc. Céleste semble vidé, tellement il a fait
d’efforts pour monter Wendy et sa mère. À la limite de s’effondrer dans le
vide, il se retient. Cléonisse dit alors à son frère :
⎯ Ça va, tu vas pouvoir continuer, tu m’envoies là-haut comme ma-
man ?
⎯ Non, je n’en peux plus, nous irons tous les deux, tu vas te rapprocher
de moi et nous nous serrerons dans nos bras. J’ai besoin de ta force pour
nous hisser jusqu’en haut. J’ai tout donné à maman, je suis épuisé.
Cléonisse comprend son frère, elle avait eu la même sensation lorsqu’elle
avait voulu soigner sa mère. Aussi elle se laisse glisser contre son frère et
s’accroche à lui. Très vite, elle sent son fluide se répandre en son frère et
c’est alors que le feu vert des yeux de Céleste se remet à rayonner. Les deux
corps s’entourent d’une bulle verte et décollent vers le sommet de la monta-
gne. Ils progressent moins vite que les fois précédentes et pendant leur as-
cension, ils ont le temps de voir en détail la montagne. Juste au-dessus
d’eux, ils voient que la pierre devient aussi lisse que du verre et ne présente
plus aucune aspérité. Les flancs de la montagne sont quasiment verticaux et
nul homme ne pourrait s’y accrocher. Cette montagne est inaccessible à un
homme sans machine ou sans pouvoirs. Même si Wendy n’était pas tombée,
ils n’auraient jamais pu aller plus loin. Cléonisse donne à son frère toute sa
force, mais par peur, elle ferme les yeux pendant toute l’ascension. Céleste,
lui, n’a pas peur et est émerveillé de voir qu’il peut voler comme dans son
rêve. Mais cette fois, les autres ne tombent pas, ils ne sont pas perdus et
enfin il arrive. Il voit sa mère et Wendy ; la chose la plus extraordinaire
c’est qu’ils soient tous arrivés au sommet. Les deux enfants se posent déli-
catement. Aussitôt la bulle et les rayons verts disparaissent et les deux petits
s’effondrent d’avoir donné trop de leur force. Wendy retient les enfants
pour qu’ils ne roulent pas, alors qu’Aqualuce commence à reprendre son
souffle. Plus tard, debout, Céleste demande à Wendy pourquoi le sommet
semble ne pas se terminer. Elle lui explique que tous les pics qu’ils voyaient
d’en bas semblent être les piliers qui tiennent le ciel et que ce ciel n’est
peut-être qu’une immense pierre. Cela semble improbable, et fait penser à
la mythologie Grecque. Cela laisse rêveur le jeune garçon qui regarde à

326
perte de vue le sol duquel ils sont venus et qui lui semble s’être changé en
ciel. Tout lui laisse croire qu’ils ont maintenant la tête à l’envers. Cléonisse
demande à Wendy si elle a trouvé le passage. Elle lui répond sans trop
d’enthousiasme :
⎯ Tu m’as sauvé la vie, c’est l’essentiel. Le reste est moins important.
Hélas, je n’ai vu ici que des parois lisses et solides. Pas de porte, ni de pas-
sage quelconque. Hélas, nous n’avons rien à faire ici.
Aqualuce qui a repris un peu de force et qui semble moins souffrir, s’étonne
de la remarque de Wendy. Elle pensait comme sa fille qu’un passage pou-
vait exister. Elle s’interroge et répond à sa fille :
⎯ Les passages secrets ne s’ouvrent qu’avec une clef magique. Ceux
qui l’ont peuvent les ouvrir. Trouve la clef et tu pourras nous emmener.
Cléonisse ne comprend pas trop, mais se met à fouiller dans ses poches pour
trouver une clef. Hélas, elle ne trouve rien qui puisse servir de clef et se sent
bien démunie. Elle se dit qu’Aqualuce devrait savoir que les objets magi-
ques ne se trouvent que dans les livres. C’est en pensant aux livres qu’une
idée lui vient d’un coup :
⎯ Je sais, j’ai trouvé !
⎯ Wendy et Céleste la regardent en se demandant ce qu’elle va sortir
de ses poches. Et c’est alors qu’elle leur dit :
⎯ Les livres ont des couvertures qu’il faut soulever afin de pouvoir dé-
couvrir les textes dedans. Soulevons la couverture pour en trouver le conte-
nu !
Ils se regardent tous, mais Cléonisse sait exactement ce qu’il faut faire ;
allant au bord du sommet, elle découvre un bout de ce qui pourrait être une
couverture. Ce n’est qu’un bout de pierre qui dépasse, mais Cléonisse sent
qu’il bouge. Alors elle commence à tirer dessus de toutes ses forces. Rien
ne paraît bouger mais Wendy, intriguée par ce qu’elle fait, se rapproche
d’elle et attrape aussi le bout qui résiste.
C’est à ce moment que la plaque de silex bouge et se laisse décoller. Un
morceau ! puis le reste suit très vite et avec Céleste, ils arrivent à décoller la
surface qui semblait être de pierre. Vite, un large passage leur apparaît,
s’enfonçant dans l’obscurité. La petite fille avait raison, le sommet de ce pic
peut les emmener ailleurs. Wendy ne se doutait pas que ces deux enfants
avaient autant de qualités et de pouvoirs, mais elle ne doute plus qu’ils
soient ceux d’Aqualuce :
⎯ J’ai le sentiment que nous devrons leur faire confiance tant que nous
serons perdus, dit Aqualuce. Quelque chose en moi me dit qu’ils sont indis-
pensables, il y a un lien qui nous unit. Je pense que nous ne devons pas hé-
siter à pénétrer dans ce passage. Je vais mieux, je n’ai plus de contractions,
je crois que je pourrai encore un peu marcher.
Quittant le domaine blanc des pics et du toit blanc, ils s’enfoncent dans le

327
passage obscur.

Le boyau étroit qu’ils empruntent n’est pas très long et ils se retrouvent
dans un lieu beaucoup plus familier. Des arbres y poussent, un ciel nuageux
se trouve au-dessus d’eux. Très bas à l’horizon, une étoile les éclaire. Il fait
juste chaud et l’humidité est très forte. Fatigués d’avoir marché des jours
sans trop dormir, ils s’allongent sur un large tapis d’herbes pour sombrer
dans le sommeil, laissant derrière eux une grande épreuve. Tous blottis les
uns contre les autres, ils n’ont pas vu la petite construction de bois à côté,
ils n’ont pas remarqué les trois lits aménagés et l’eau en train de bouillir sur
le foyer de bois au centre de la cabane.

Lorsqu’on la secoue légèrement, Wendy râle un peu, elle rêve encore et se


retourne pour reprendre une position plus confortable. Quelle surprise lors-
qu’elle entend une voix au-dessus d’elle. Elle n’en revient pas ; elle a bien
reconnu la voix de Jenifer, son amie de toujours. Celle-ci était partie au tout
début leur aventure avec Aqualuce. Elle a changé son visage, sa coiffure ;
mais ses yeux sont restés les mêmes. Avec elle apparaît une femme à la
peau sombre et aux cheveux rasés. Mais, le plus extraordinaire est
qu’Araméis, son époux est derrière et elle saute vite sur ses jambes pour se
précipiter dans ses bras.
Derrière, les enfants se réveillent et Aqualuce s’étire sur le sol. Il n’y a que
la curiosité qui l’attire vers le petit groupe, mais Jenifer et Timi se précipi-
tent vers elle, pleines de joie de la retrouver. Son amnésie lui fait prendre du
recul et les deux femmes sont surprises :
⎯ Ça ne va pas, Aqualuce, te ne te sens pas bien ?
⎯ Excusez-moi, mais je ne vous connais pas, il paraît que j’aurais per-
du la mémoire. Je ne me sens pas très bien, ne m’en veillez pas.
Les deux femmes prennent alors un peu de recul en se regardant et elles
voient les deux enfants :
⎯ Mais tes enfants sont avec toi ! tu es allé les chercher sur la Terre ?
⎯ Ils sont venus, mais je ne sais pas vraiment comment. Ils m’ont parlé
d’un sifflet magique.
Voyant qu’Aqualuce est en difficulté, Wendy lâche son mari et se rappro-
che de ses amis pour leur expliquer la situation.
Le petit groupe regagne la cabane, Timi et Jenifer installent leurs amis afin
de leur donner de quoi se rassasier. Ils se restaurent et Jenifer commence à
leur raconter comment elles se sont retrouvées ici.
⎯ Lorsque nous avons quitté Aqualuce, pour explorer les lieux, nous
sommes tombées dans une fosse. Sur le coup, nous n’étions qu’à quelques
mètres de profondeur, nous avions eu plus de peur que de mal, juste quel-
ques bleus. Mais il nous était impossible de remonter, ni même d’appeler.

328
La seule chose possible était de descendre, mais ce n’était pas notre but.
Hélas, en nous avançant toutes les deux près du bord, nous avons glissé et
nous sommes tombées dans une sorte d’énorme glissière de pierre. Nous
avons alors été prises dans une descente vertigineuse sans pouvoir nous
arrêter. La chute a duré plusieurs minutes et heureusement, nos vêtements
en toile militaire nous ont protégées et nous ont épargné des brûlures impor-
tantes. Néanmoins, toute la peau du dos et de nos bras a été touchée.
Jenifer découvre son dos et tous peuvent voir une croûte en recouvrant la
moitié.
⎯ Lorsque nous nous sommes arrêtées, en regardant en haut, nous
n’avons vu qu’un tout petit trou de lumière et nous avons compris que nous
étions tombées sur des centaines de mètres, voir des kilomètres. Mais nous
étions encore vivantes et heureuses d’avoir échappé au pire. L’endroit était
étroit, et il y avait un passage devant nous qui semblait descendre. Nous
n’avons rien compris de ce qui nous est arrivé en rentrant dedans car, nous
avons roulé, comme si on tombait, mais à la fin, lorsque nous sommes sor-
ties en poussant sur nos bras, nous nous sommes retrouvées sur de l’herbe.
Le trou était toujours là, mais, c’est comme si en tombant, on s’était retrou-
vé dehors, sur un sol à l’envers. Nous nous sommes demandé si nous avions
traversé la planète entière, mais, on aurait fait des milliers de kilomètres,
pas deux ou trois. Depuis, nous ne savons plus vraiment où nous sommes.
La nuit tombée, on y voit des étoiles, mais d’une nuit à l’autre, le ciel
change, comme si les étoiles parcouraient des années lumières chaque nuit.
Même Araméis n’y comprend rien. Nous sommes restés quelques jours sans
rien faire d'autre que chercher une sortie. Le trou était toujours là, mais nous
ne sommes pas retournées à l’intérieur. Alors, nous avons commencé à
construire une cabane pour nous abriter et dormir. Je crois que c’est huit
jours plus tard que nous avons vu arriver Araméis.
Celui-ci reprend alors :
⎯ Je te dois une explication, Wendy. Mais avant tout sachez que sans
Jenifer et Timi, je me serais donné la mort car lorsqu’elles m’ont trouvé, je
ne m’estimais plus bon à rien.
Je t’ai vue lorsque tu m’as suivi dans le Puits de l’Oubli et je ne voulais pas
que tu me rejoignes. Je pensais que tu avais mieux à faire avec un autre
homme. Oh ! bien sûr, les compliments de Maora et des autres étaient sin-
cères, mais d’avoir laissé partir Jenifer, Timi et Aqualuce dans le puits, je
m’en sentais totalement responsable. Je me suis dit que je devais y aller
seul, si j’avais une chance de les retrouver. Mais au fond de moi, je n’avais
qu’une idée, mourir, et aussi le souhait de n’avoir jamais existé. Je me suis
vu dans l’image la plus sombre qui soit : un être qui rate tout et qui place les
autres dans des situations dramatiques. N’avez-vous jamais connu cette
sensation-là ?

329
Toutes lui font un signe et il continue :
⎯ Wendy, dans le puits, j’ai tout fait pour te semer. Et le pire, c’est que
je t’ai vue disparaître dans un goulot étroit. Lorsque j’ai voulu te rejoindre,
il n’y avait qu’un creux et toi, tu n’étais plus là. Encore une fois, je me suis
culpabilisé, j’étais vraiment décidé à disparaître. J’ai cherché un passage
que j’ai fini par trouver. C’était un boyau de la taille d’un homme où en me
faufilant, je pouvais juste passer. Je me suis glissé dedans et d’un coup, je
suis tombé dans le vide, comme si le cœur de la planète m’aspirait. Je fis
une chute qui me parut durer des heures, j’ai même vu autour de moi des
étoiles, comme si je traversais l’univers. Lorsque j’ai vu une lumière gran-
dir devant moi, c’était comme un trou dans le ciel et mon corps s’est jeté
dedans. J’ai dû perdre conscience car lorsque je me suis réveillé, Jenifer et
Timi étaient devant moi et le trou n’était qu’une mare de boue dont j’étais
recouvert. Elles m’ont demandé ce que je faisais ici mais vu mon état, il me
fut difficile de leur répondre, elles ont vite vu que je n’étais pas bien. Je leur
ai dit que je voulais mourir et que la vie était trop stupide et que je n’aurais
jamais dû naître. Alors, elles m’ont relevé et m’ont conduit jusqu’à leur
cabane. Timi a son franc parlé, alors, elle ne s’est pas démontée et m’a dit «
si ta vie n’a plus d’intérêt et que tu souhaites mourir, construis-nous d’abord
notre cabane afin qu’on puisse y vivre. Ensuite, tu nous creuseras un puits
pour que nous puissions avoir de l’eau pour nous laver. Trouve de la nourri-
ture et fait nous un foyer au centre de la cabane afin que nous n’ayons pas
froid. Lorsque tu auras fait tout ça, tu pourras te pendre à un arbre. Rends-
toi utile avant de crever ! »
Timi était sincère et je l’ai écoutée. Alors, je me suis mis au travail et c’est à
partir de tous ces gestes simples que j’ai compris qu’avant de mourir, il
fallait donner tout ce que l’on avait et ce que l’on pouvait. De jour en jour,
j’ai compris tout cela. Ce n’est que lorsque plus personne n’a besoin de
nous que l’on peut mourir. Wendy, j’ai compris que si tu m’avais suivi,
c’est que tu avais encore besoin de moi et j’aurais eu tort de vouloir mourir.
Timi m’a redonné le goût de vivre et sans elle et Jenifer, je ne serais plus
avec vous. J’étais parti pour vous chercher et ce sont elles qui m’ont trouvé.
Timi prend alors la parole :
⎯ Araméis vous dit la vérité, je l’ai bousculé à ma façon, et il a vite re-
monté la pente. D’autant plus que nous avons besoin de lui. Depuis des
jours, nous cherchons à retourner sur Unis pour rejoindre nos amis, mais
nous restons bloqués ici. Le fait que nous vous retrouvions demeure néan-
moins un bon signe. Nous avons trouvé ces jours-ci ce qui nous apparaît un
passage, mais nous n’arrivons même pas à en franchir la première marche.
Il y a une sorte de porte incrustée dans le sol, mais, aucun d’entre nous n’a
réussi à l’ouvrir. Nous pensons qu’il nous manque des éléments et peut-être
qu’avec vous, nous y arriverons. Voici trois jours que nous examinons tout

330
ce qui se trouve autour, et nous n’avons encore rien trouvé. Pourtant, à tra-
vers le passage nous pouvons voir qu’il y a une voie. Jenifer fait des équa-
tions pour trouver la solution, mais il lui manque des éléments. Araméis
essaie de trouver un autre passage, mais rien ne ressemble à cette marche
étrange autour de laquelle nous tournons. On aurait bien voulu chercher
ailleurs, mais quelque chose nous dit que c’est là. Pourtant, si on vous y
emmène, vous ne trouverez pas l’endroit extraordinaire. Nous faisons des
plans, mais rien ne marche.
Aqualuce les a écoutés et réfléchit. Lorsqu’elle prend la parole, tous se tai-
sent, pourtant chacun sait que son amnésie lui a fait oublier son glorieux
passé et qu’elle n’a plus les capacités d’autrefois.
⎯ Je ne connais rien de vos mondes, rien de votre passé, rien de vos
pouvoirs et encore moins les mathématiques et l’astrophysique. Vos portes
magiques sont mystérieuses et votre histoire, absolument improbable. Mais
je me questionne sur votre état d’âme et je me demande si ce n’est pas en
votre être que les portes se ferment et que les marches ne se montent pas. Si
j’étais à votre place, je commencerais à regarder en moi et je chercherais
une porte dans ma vie pour aller plus loin. Tu sais, Jenifer, ce n’est pas avec
ton guide magnétique que tu trouveras le passage vers la sortie. Prends ta
vie et ouvre la sur ton désir le plus profond. Regarde ce qui te fait vivre
réellement. Questionne-toi !
Quelle porte veux-tu ouvrir et où veux-tu que le passage t’emmène ?
Ton âme doit te guider, non ton désir.
Cléonisse, qui n’a pas encore sept ans ose parler :
⎯ Maman a raison, ne cherchez pas la solution avec votre tête. Laissez
en vous parler votre cœur. Je sais pour ma part que tous mes amis sont res-
tés avec moi, même si je suis à des milliards de kilomètres de la maison.
Et Céleste rajoute :
⎯ Et puis, ce sont nos rêves qui nous ouvrent des portes. Nous, les en-
fants, on a plus de rêves que vous les grands, et on y croit, comme on sait
que le père Noël existe et que vous, vous l’avez oublié.
Tous les grands se questionnent, et donnent raison aux enfants. Araméis
comprend la nécessité d’installer des couchettes supplémentaires dans la
cabane et les prépare aussitôt.
Aqualuce s’installe afin de prendre du repos et ses enfants restent auprès
d’elle. Timi emmène Wendy jusqu’à la fameuse marche alors que Jenifer
reste avec son amie. Aqualuce pose un regard neutre sur chacun et c’est ce
qui demeure le plus déconcertant. Être amnésique parait presque être un
grand avantage, car elle n’a ni remords, ni regrets ni antipathie. Son esprit
semble très ouvert à une compréhension du monde telle que les adultes
n'osent la voir de peur de découvrir la vérité.
Le seul désir d’Aqualuce est de laisser passer en elle le fluide de la vie

331
qu’elle sent en elle. N’ayant aucune attache, elle désire juste la vérité et
l’Amour. L’Amour, le seul mot qui lui reste de son passé, comme si, rien
qu’avec cela, elle allait pouvoir ouvrir toutes les portes.

Dans sa tête sans passé, traîne une chanson de la Terre qu’elle ne peut enle-
ver :

"Je t'aime encore…"

Ses enfants reconnaissent Natasha saint Ppier, et tous l’écoutent, sentant


que cet Amour-là, un jour, leur ouvrira les portes de la vie…

332
MAGYLIN
Plus de vingt jours de navigation ont été nécessaires pour
arriver en orbite autour de Sagis. Depuis que Némeq a quitté Bravia, il se
sent bien seul. Sur cette planète, il a perdu une grande amie et, marié à Doo-
ra, il commence à ressentir son absence comme une grande douleur. Bien
qu’il ait toujours voulu rester fidèle, Amanine était un peu sa maîtresse, ils
avaient ensemble partagé des moments aussi durs que tendre. Durant ce
dernier voyage, il a porté en lui le deuil de son amie et regardant Sagis sous
ses pieds, il se demande s’il aura la force de mener à bien cette dernière
mission.
Sa responsabilité est lourde car dans son vaisseau il accueille maintenant
presque cinq cent cinquante survivants plus les membres d’équipage. Il ne
sait pas ce qu’il trouvera sur cette planète et comme sur les autres, il
s’attend au pire. De plus, son vaisseau est déjà bien chargé et s’il trouve
encore d’autres survivants, il se demande comment il pourra les faire entrer
dedans.
La planète Sagis a une réputation exceptionnelle parmi les sept planètes
externes de Lunisse ; c’est la seule qui soit un jardin recouvert de milliers
de plantes extraordinaires. C’était au temps de Lunisse la pharmacie ou
plutôt l’herboristerie de la confédération. Sur cette planète exceptionnelle
poussaient les meilleures plantes pour soigner tous les maux de l’humanité,
de la simple piqûre de moustique jusqu’aux tumeurs les plus malignes.
Avec toutes ses plantes, les Lunisses pouvaient tout guérir, en dehors de
leurs dons providentiels. D’ici partaient des plantes et des essences vers
tous les mondes lunisses. Même les Golocks venaient depuis Andromède
pour les troquer contre des machines ou d’autres accessoires. Cette planète
était dirigée par des sages qui connaissaient tout des plantes et ils étaient
considérés comme des magiciens, tellement leurs connaissances en herbo-
risterie étaient grandes. Sur ce monde, il n’y avait pratiquement pas de ma-
chines, les récoltes étaient faites à la main par les femmes avec leurs doigts
délicats. Aucun des habitants ne tombait malade et personne ne mourait
avant l’âge de cent ans et lorsque c’était le cas, ce n’était pas de maladie,
mais parce qu’ils considéraient avoir terminé leur vie et avoir rendu à
l’humanité tout le service qu’ils pouvaient. Ce sont les plantes qui les rap-
pelaient aux rêves des étoiles, c’est avec sagesse qu’ils disparaissaient. Sur
toute la planète il émanait un parfum constant de romarin et de lavande.
Lorsque des visiteurs se posaient, très vite les arômes qu’ils respiraient leur
apportaient le calme. Cette planète avait acquis la réputation de rendre ses
habitants sages et c’est pour cela qu’elle avait été baptisée Sagis. Néan-
moins, les habitations n’étaient pas rustres et le confort prévalait sur la sim-
plicité avec laquelle tous les habitants se donnaient à soigner leur immense

333
jardin. La plupart des hommes étaient des chimistes et des biologistes, cha-
cun était capable de connaître la réelle application de n’importe quelle
herbe et c’est pour cette raison qu’ils savaient parfaitement appliquer les
traitements phytothérapiques. Il y avait d’immenses champs et aussi
d’importants laboratoires. Cette planète était un merveilleux terrain
d’expériences et de connaissance pour Lunisse et les étudiants en chimie,
pharmacopée et biologie venaient travailler au moins une année durant leurs
études.
Némeq sait tout cela et il se questionne sur ses chances de retrouver des
survivants sur cette planète que Maldeï a certainement visitée depuis des
années et il se demande quel sort elle a pu réserver ses habitants ?
Ils sont si nombreux dans le vaisseau qu’il estime très risqué d’y faire des-
cendre l’ensemble des rescapés. Amanine lui aurait suggéré de n’envoyer
qu’une mission comme bien souvent. Cette fois, il pense qu’en envoyant
trois vaisseaux d’approche conduits par lui-même et ses coéquipiers, ils
pourraient en survolant la planète, faire un contrôle avec les détecteurs de
vie. Cela lui donnera déjà une idée sur la présence de survivants. Ils ne
prendront qu’un faible risque, ne mettant en péril que six vies tout au plus.
Il informe de sa décision ses collaborateurs et les responsables des autres
planètes, tous l’approuvent.
Dans son ventre, le grand vaisseau dispose d’une flottille de petits vaisseaux
comparable à des chasseurs sur Terre. Ces engins sont utilisés pour faire des
transports rapides entre le sol et les vaisseaux en orbite. Némeq se prépare
avec Fenvy et Sanga, ses deux amis pilotes comme lui. Au début de leur
aventure, Sanga s’était fait couper un bras par un monstre sur Natavi, mais
maintenant, il s’est remis et un bras artificiel lui donne les mêmes impres-
sions qu’autre fois. Durant sa convalescence, il était toujours avec Némeq
mais restait discret. Depuis la disparition d’Amanine, il revient régulière-
ment aux commandes du vaisseau et aujourd’hui, il est heureux de pouvoir
reprendre vraiment une action qu’il pense à sa portée. Chacun d’eux sera
accompagné d’un assistant qui opérera sur le détecteur. Némeq pense à
Amanine et refuse que des femmes participent à l’expédition. Il ne veut pas
leur faire prendre de risque. Il choisit deux hommes dans son équipage et
Lovinlive leur propose un de ses assistants :
⎯ Je pense que Magylin sera un bon élément pour toi, il était mon as-
sistant, je m’engage sur sa compétence. C’est un bon technicien et en même
temps, il a des dons pour soigner les hommes. Je pense qu’il pourrait te
rendre des services. Je te conseille de le prendre avec toi.
Némeq regarde le jeune homme, il ne l’avait encore jamais remarqué depuis
qu’il a embarqué ; ils sont si nombreux. C’est un garçon aux cheveux roux
et très courts. Ses yeux sont entièrement noirs et sa peau est très blanche. Il
doit mesurer moins d’un mètre soixante-dix et pèse peut-être, cinquante

334
kilos. Mais il paraît robuste. À la vue de son visage, Némeq ne le trouve pas
très âgé :
⎯ Quel âge as-tu, mon garçon ?
⎯ J’ai vingt et un ans, Monsieur.
À l’entendre, Némeq se dit qu’il doit être resté longtemps enfant, sa voix
n’a pas encore fini de muer.
⎯ Je te signale que nous ne nous amuserons pas, je ne connais pas l’état
de la planète ni si des pièges y sont posés. Il est possible que nos vies ne
pèsent rien là-bas.
⎯ Je n’ai pas peur, Monsieur, mes parents ont disparu en combattant
Maldeï ; j’ai vu la mort bon nombre de fois. Des hommes et des femmes se
sont éteints dans mes bras.
Némeq regarde ce jeune homme à peine sorti de l’adolescence, cependant il
accepte sa venue dans son groupe :
⎯ Je te prendrai comme assistant dans mon vaisseau. Je vais te confier
un détecteur de vie afin que tu t’y familiarises immédiatement. Nous par-
tons dans deux heures ; mets les vêtements réglementaires que Fenvy va te
donner lorsque tu te présenteras sur la plate-forme d’embarquement.
Le jeune homme ne se fait pas prier et après avoir récupéré un appareil, file
aussitôt au rendez-vous.
⎯ Tu ne le regretteras pas, Némeq, mais ne sois pas dur avec lui, il est
encore jeune, c’est mon poulain, je l’ai pris sous ma coupe depuis qu’il a
perdu ses parents ; il n’avait que treize ans.
⎯ Nous avons une mission à accomplir, il devra me suivre.
⎯ Il le fera, tu peux lui faire confiance.
Némeq descend rejoindre ses coéquipiers. Magylin est en train de s’exercer
avec son appareil. Sanga le regarde et semble satisfait de son jeune élève.
Ne voulant pas lui donner l’impression de l’admirer comme les autres, Né-
meq lui dit :
⎯ Dans un vaisseau où se trouvent plus de cinq cent cinquante person-
nes, ce n’est pas très difficile, par contre en bas, ce sera autre chose. Bon, si
tu es près, suis-moi dans notre appareil. Nous décollons dans une demi-
heure.
Chacun s’installe, les trois vaisseaux sont parés. Némeq refait sa check-list,
rien ne manque. Au cas où ils auraient à se poser en urgence, ils ont pris des
vivres pour dix jours. Les portes du vaisseau s’ouvrent devant eux et lais-
sent voir la magnifique planète sur laquelle s’étend un océan sur la moitié
de sa surface. Comme sur beaucoup de planètes à atmosphère d’oxygène,
d’eau et de carbone, les deux pôles sont recouverts de glace. Némeq se rap-
pelle alors ce qu’on lui avait enseigné de cette planète et cela lui revient
comme une leçon de géographie.
Toutes les villes et les cultures étaient implantées sur les fronts ouest des

335
continents. Comme l’intérieur des territoires était moins tempéré, les cultu-
res s’étendaient sur seulement deux ou trois cents kilomètres. Des machines
aidaient à faire les récoltes sur l’ensemble des zones de culture et c’étaient
surtout les femmes qui s’en occupaient car la mécanique ne remplaçait pas
le doigté féminin pour ces tâches difficiles. Les chercheurs et les herboristes
composaient ensemble pour la production d’huiles essentielles et de médi-
caments. Tout cela tournait très bien jusqu’à ce que ce type, venu d’ailleurs
dise de quitter leur planète.
Pensant à Jacques, Némeq voit apparaître Aqualuce et d’elle il pense à Doo-
ra, ce qui le plonge dans le souvenir d’Amanine et lui donne aussitôt du
chagrin. Il donne l’ordre de descendre vers la planète. Chaque vaisseau a
une mission particulière afin de pouvoir contrôler toute la surface du globe,
la planète est coupée en trois quartiers, ils partent dans une direction qui
leur est propre. Sans aucune friction en pénétrant l’atmosphère, l’engin de
Némeq descend doucement vers la bande séparant l’océan du continent. Ils
commenceront leurs investigations par les zones qui étaient les plus peu-
plées.
Magylin n’a jamais mis les pieds dans un petit vaisseau comme celui-ci et
c’est pour lui une découverte. La différence est importante par rapport au
grand vaisseau dans lequel il voyageait car les grandes nefs comme le Terri-
fiant sont des engins où la sensation de déplacement ne se sent pas, tandis
que dans leurs vaisseaux actuels, chaque secousse se fait sentir comme dans
un bateau sur les vagues. Le mal de l’air peut être comparable au mal de
mer. Magylin a vite oublié son mal afin de ne décevoir personne et en parti-
culier Némeq qu’il admire en secret. Leur engin traverse la stratosphère
ainsi qu’une couche de nuages, enfin ils voient nettement le sol. Némeq va
commencer ses recherches depuis le pôle sud, en longeant la cote. La pre-
mière ville se trouve à mille kilomètre au dessus, mais rien n’est à négliger.
Magylin met le détecteur en route après l’avoir raccordé au CP du vaisseau.
Pour plus d’efficacité, Némeq vole à moins de mille kilomètre-heure et afin
d’arriver à l’autre pôle, il lui faudra dix heures. Au retour, il s’enfoncera sur
trois cents kilomètres à l’intérieur du continent, chaque équipe fera la même
chose, la planète en possédant trois. D’après le CP, il faudra cinquante heu-
res pour tout couvrir. Si les recherches ne donnent rien, il faudra se poser
dans chaque ville pour approfondir les investigations…

Dans une heure, le pôle nord sera en vue et Magylin n’a toujours rien re-
marqué sur son détecteur. Les deux autres équipes sont comme eux, ils
n’ont rien trouvé. L’essentiel de l’activité de la planète était autrefois situé
tout le long des côtes et Némeq se demande s’il trouvera des hommes sur
cette planète. Mais les autres fois les mêmes détecteurs n’avaient rien signa-
lé alors qu’ils avaient néanmoins réussi à trouver plus de cinq cents survi-

336
vants. Il sait qu’Amanine ne baisserait pas les bras si elle était avec lui dans
le cockpit, mais ce jeune homme inexpérimenté n’en n’a certainement pas
ses qualités. S’adressant à Magylin, il lui demande :
⎯ Es-tu certain que l’appareil était bien en fonction, l’as-tu bien pro-
grammé pour qu’il fasse la bonne recherche.
⎯ Monsieur Némeq, j’en suis certain, je n’ai pas fait d’erreur, je peux
vous le certifier.
Il va de soi que Némeq doute de son équipier, il est si jeune. De plus, un
garçon aussi léger que lui et qui ne présente pas vraiment de signes de virili-
té, cela l’énerve un peu. Cela fait dix heures bientôt qu’ils volent et arrivant
au pôle, il faut trouver un bout de sol assez tempéré pour faire une halte.
Magylin n’en demande pas moins et ayant poussé son appareil, Némeq dé-
couvre une île verdoyante sur laquelle il se pose. Le jeune homme est heu-
reux de se détendre les jambes et Némeq lui propose de prendre un repas.
Après avoir déjeuné, ils se reposent un peu, c’est là que Némeq remarque
que l’attitude de Magylin est vraiment trop efféminée et il se pose des ques-
tions. Cela étant, sa mission est plus importante, il ne faut pas perdre de
temps. L’étoile est encore haute dans le ciel, et n’étant pas fatigués, ils dé-
cident de continuer leurs recherches. Les deux autres équipes sont comme
eux et sont prêtes à repartir.
Ils décollent et cette fois, ils vont pénétrer à l’intérieur du territoire. Magy-
lin est prêt ; installé dans son siège, il a l’œil rivé à son appareil. Il a aussi
mis un casque sur ses oreilles pour être certain de ne rien perdre. Némeq
vole cette fois en rase-mottes afin d’avoir le plus de chance de détecter des
traces de vie. Le CP prendra les commandes, c’est beaucoup plus sûr et
Némeq aura un œil lui aussi sur le détecteur ; au fond de lui, il doute des
qualités du jeune qu’il emmène avec lui…

Cela fait trois heures qu’ils naviguent et Némeq sent un peu la fatigue mais
il ne veut pas le montrer à Magylin car celui-ci est toujours en pleine forme
malgré les quinze heures de navigation. Ils approchent un très grand lac
lorsque d’un coup, le coéquipier crie :
⎯ J’ai quelque chose !
Némeq ne l’écoute pas, il somnole. Le voyant s’endormir, il le secoue, mais
à la vitesse où ils volent, le signal n’est déjà plus visible. Le pauvre com-
mandant ouvre un œil et regarde Magylin :
⎯ Qu’est-ce que tu veux ?
⎯ J’ai un signal, du moins, je l’ai eu pendant deux ou trois secondes.
Némeq ralentit son appareil et le regardant lui dit :
⎯ Qu’est-ce que tu me dis, quel genre de signal ?
⎯ Dans les écouteurs, l’alarme de détection s’est signalée, il y avait
quelque chose sous le vaisseau, j’en suis certain.

337
⎯ Mais l’alarme du détecteur n’a rien donné, je me demande si tu n’as
pas été victime de parasites ou d’hallucinations, tu dois être fatigué.
⎯ Non, je vous assure, j’ai bien entendu.
⎯ On ne peut pas perdre de temps à des craquements dans un casque.
Cette planète est trop grande pour que l’on s’arrête à ce genre de détails.
⎯ Oui, mais…
⎯ De toute façon tu es fatigué, nous descendons sur encore deux mille
kilomètres avant de nous arrêter. Je vais prendre moi-même le détecteur, tu
peux te reposer.
Magylin ne dit plus rien, il comprend que Némeq est totalement fermé à ses
idées et qu’il ne pourra rien obtenir de lui ; c’est une faveur qu’il ait accepté
un étranger dans son équipe, il est là pour faire plaisir à Lovinlive. Pourtant,
il est certain que sous leur vaisseau il y avait la vie, qui plus est des hom-
mes. Même sans l’appareil, il l’aurait senti de la même manière, son cœur
lui a parlé comme lui donnant une directive. De plus, ce n’est pas lui qui est
fatigué, mais Némeq, c’est lui qui était endormi lorsqu’il a entendu le si-
gnal.

Deux heures passées, rien sur l’écran du détecteur, les autres équipes n’ont
rien observé. Pour coordonner les recherches, il est décidé que tous
s’arrêtent ensemble pour prendre une nuit de repos. La nuit tombant pour
Némeq, c’est le moment de se poser et de monter une tente pour la nuit.
Sur le sol, un petit anneau noir détend autour de lui une tente magnétique.
Les cloisons de l’abri se colorent d’une teinte opaque grise. C’est la tente la
plus immatérielle qui soit, cinq parois se dressent mais elles sont faites uni-
quement de champs magnétiques plats, donnant l’aspect de feuilles de mé-
tal. Ce genre d’abri est plus solide qu’un mur de béton de dix centimètres.
Némeq a sorti des couvertures de la soute et commence à se déshabiller.
Magylin le regarde d’un air inquiet :
⎯ Mais pourquoi me regardes-tu comme ça, tu n’as jamais vu de pilotes
se préparer à dormir ?
⎯ Mais, tu te mets nu devant moi !
⎯ Depuis que je navigue et que je vis, il n’y a que devant les femmes
que l’on ne se déshabille pas, tu sais bien qu’entre hommes, nous n’avons
aucun complexe.
⎯ Moi, j’en ai.
⎯ Alors, reste habillé et passe la nuit dans tes vêtements, moi, je prends
mes aises et c’est plus hygiénique.
⎯ Je resterai vêtu comme ça, je n’ai jamais été habitué à ça.

Le lendemain matin, Némeq ne retrouve pas Magylin dans la tente, pourtant


il est encore tôt. Se levant, il le voit assis sur une pierre en train d’allumer le

338
feu pour faire bouillir de l’eau. Le petit-déjeuner est déjà prêt, alors, il enfile
vite son pantalon ne laissant pas beaucoup de temps à son équipier pour
l’admirer nu. Le jeune lui tend une boisson chaude et lui demande :
⎯ Je pense que nous en avons encore pour un jour et demi
d’investigation sur cette planète. Si nous ne trouvons rien, comptes-tu re-
joindre le grand vaisseau et repartir ?
⎯ Comment veux-tu que sans aucun indice, nous continuions nos re-
cherches.
⎯ Chez moi, il y a un proverbe :
« Lorsqu’une poussière apparaît à nos yeux, c’est qu’un océan se cache
derrière. »
Rien n’est à négliger, pas le moindre détail. S’il y a des vies qui se cachent
ici, nous devons les retrouver. Cette planète s’appelle Sagis, ses habitants
étaient comme des sages, nous devrions y penser.
⎯ Je ne suis jamais venu ici, je ne connais cette planète que par les li-
vres et les histoires que l’on en raconte. Je ne connais aucun Sagis, ils res-
taient tous sur leur planète. Je ne sais même pas à quoi ils ressemblaient.
⎯ À moi !
Némeq regarde Magylin :
⎯ Pourquoi dis-tu ça ?
⎯ Mes parents étaient Sagis et je suis né ici. Pourquoi crois-tu que Lo-
vinlive ait insisté pour que tu me prennes avec toi ?
⎯ Il pensait que tu pourrais m’être utile par la connaissance que tu pos-
sèdes de cette planète.
⎯ Peut-être un peu, mais surtout parce que s’il reste une vie ici, je le
saurais. Dans mon sang coule le fluide de ma planète et si un seul être survit
encore, je peux le sentir.
⎯ Et c’est pour cela que tu es avec moi. Et tu as senti la vie sur cette
planète ?
⎯ Oui. Je ne savais pas où elle se trouvait, mais maintenant, je l’ai dé-
couverte et il faut que nous y retournions.
⎯ Nous allons faire le reste de notre travail, nous verrons par la suite.
⎯ Si Amanine te l’avait demandé, tu n’aurais pas hésité. Je le sais, tu
lui faisais une confiance absolue.
⎯ Amanine était une femme de grande sensibilité. Elle avait des dons
immenses, elle me l’avait prouvée durant nos précédents voyages.
⎯ Alors, tu fais plus confiance aux femmes qu’aux hommes. Si je sens
certaines choses, tu n’y crois pas !
⎯ Je n’ai pas dit ça. C’est bon, il faut partir, ne perdons plus de temps.
Tous deux regrimpent dans le petit vaisseau et décollent. Ils ont quinze heu-
res d’observations devant eux…

339
Épuisés de ne pas s’être arrêtés, ils terminent leurs investigations et se re-
joignent tous au point de rendez-vous fixé par Némeq. La surface des trois
continents a été balayée par les détecteurs qui n’ont rien signalé. C’est la fin
de l’après-midi et tous se rassemblent pour faire le point sur leurs observa-
tions. Némeq fait part d’un petit bruit dans le casque de Magylin et passe
vite à autre chose. Le jeune, désolé qu’on passe vite sur ce détail se lève et
quitte le groupe. Némeq lui demande où il va et il répond qu’il part se dé-
tendre les jambes, car coincé dans le vaisseau plus de quinze heures, c’en
est trop ; aussi il le laisse partir…

Leur campement se trouve sur un terrain très escarpé, ils sont sur un pla-
teau, le reste est montagneux. Magylin passe entre les rochers afin
d’observer la vallée sous ses pieds. Il prend beaucoup de plaisir à faire ce
genre de randonnée, chez lui, il aimait faire de l’escalade à la main. Comme
il n’est pas lourd, c’est pour lui un avantage. Depuis des jours qu’il est en-
fermé dans un vaisseau, c’est une occasion inespérée de prendre une vraie
bouffée d’air. Déçu que Némeq ne le prenne pas au sérieux, il se demande
ce qui pourrait le faire changer d’avis. Quel genre de choc lui faut-il donc
pour qu’il prenne intérêt à sa découverte. Il sait que sous le signal se trou-
vent des hommes, il sent que tous sont regroupés là, mais gêné par cette
pensée qui l’obsède, il ne prend pas garde lorsqu’il attrape une pierre pour
s’y accrocher. Celle-ci se détache et il tombe entre les rochers. Rebondis-
sant sur plusieurs blocs, il termine sa chute dans un creux, son blouson dé-
chiré, sa poitrine saigne abondamment…

Némeq ayant décidé de faire un dernier tour au-dessus de la capitale de la


planète pour tenter d’y trouver quelques traces de vie, s’étonne que Magylin
ne soit pas revenu. Les autres s’inquiètent aussi et ils décident de partir dans
la direction où ils l’avaient vu disparaître. Au bout d’une heure, ils décou-
vrent en bas des rochers son corps étendu sur le sol. Sanga plus agile avec
son bras artificiel arrive avant les autres et constate qu’il a perdu connais-
sance. Les autres arrivent derrière. Sanga dit :
⎯ Allez chercher la trousse de soin dans le vaisseau, il est blessé à la
poitrine. Je ne vois pas de trace sur le visage, le choc l’a peut-être juste as-
sommé.
Némeq revient avec son vaisseau quelques instants plus tard et Sanga
s’apprête à lui donner les premiers soins. Prenant une paire de ciseaux, il
découpe la toile du blouson. Un autre vêtement déchiré le gène et il le
coupe aussi ; les autres l’observent. C’est à ce moment qu’ils sont tous pris
de stupeur, car, en écartant la toile, ils découvrent une poitrine bien ronde
qui leur fait trop vite penser que Magylin n’est pas un homme, mais une

340
femme. Ce jeune homme cachait sa poitrine en la compressant sous une
toile. Sanga ne se laisse pas arrêter par sa découverte et lui donne les pre-
miers soins. Il lui soigne sa blessure qui n’est pas trop profonde, un de ses
seins est blessé, mais ce n’est pas si grave. Peu après, il lui fait respirer un
gaz afin de lui faire reprendre conscience. Celui-ci est efficace, et Magylin
reprend connaissance.
⎯ Comment te sens-tu ?
⎯ Je suis sonnée, j’ai un peu mal à la poitrine.
⎯ C’est bon, je l’ai soigné, je pense que ça cicatrisera sans trop de pro-
blème. Lorsque nous serons dans le grand vaisseau, le médecin pourra
t’examiner et terminer les soins afin que tu n’aies pas de séquelles.
Un peu plus tard, Magylin est ramené au campement. Sanga l’installe
confortablement sur un siège et Némeq se rapproche d’elle.
⎯ Pourquoi t’es-tu fait passer pour un homme ?
⎯ Tu avais décidé de partir sans aucune femme, Lovinlive m’avait fait
part de ta décision. C’est vrai qu’il m’a élevé depuis que j’ai treize ans,
c’est vrai que mes parents sont morts. Sachant que vous alliez rejoindre
Sagis, il était évident que je devais vous accompagner, je suis la seule per-
sonne qui connaisse cette planète. Aurais-tu accepté que je vous accompa-
gne si je m’étais présenté à vous avec des nattes. Je ne pense pas, c’est
pourquoi j’ai dû me faire tondre pour me faire passer pour un homme. Le
fait est que je sais maintenant où se trouvent les survivants de Sagis, ils sont
peut-être deux ou trois cents.
⎯ Qu’est-ce qui te fait penser qu’ils sont si nombreux ?
⎯ Je suis la seule rescapée du jour où Maldeï est venue sur Sagis. J’ai
tout vu, rien ne m’a échappé.
À ce moment, tous prêtent attention à ses paroles et ils se rapprochent d’elle
pour l’écouter :
⎯ Je crois que Sagis a été visitée par Maldeï bien avant Vénusia, sinon
mes parents n’auraient jamais eu le temps de m’y emmener. Tout a com-
mencé lorsque Jacques Brillant décida de nous concentrer sur Lunisse afin
que nous puissions résister aux Golocks. Je m’en souviens, j’avais onze ans.
Le grand vaisseau de la fédération, celui qui navigue à la vitesse absolue,
était venu nous récupérer. La grande majorité des Sagis était d’accord, mais
certain ne voulaient pas abandonner les recherches qu’ils faisaient. D’autres
aimaient notre planète et ne pouvaient se résoudre à laisser toute cette ri-
chesse derrière eux. Mes parents étaient les deux à la fois ; chercheurs ils
aimaient la planète. Nous restâmes donc ici pour continuer à vivre norma-
lement. Après le départ des autres, nous avons vécu deux ans assez tranquil-
les. La planète se suffisait à elle-même pour nous nourrir et nous fournir
l’énergie nécessaire, tout allait bien. Nous n’avions plus beaucoup de
contacts avec Lunisse et cela ne nous manquait pas trop. Nous étions un

341
groupe de presque cinq cents personnes sur les trente mille d’autrefois. Sur
Sagis, nous prenions beaucoup de temps à nous occuper des plantes,
j’arrivais même à leur parler et je crois qu’elles me comprenaient aussi. Je
n’allais plus à l’école, mais mes parents s’occupaient de moi et avec eux,
j’en apprenais plus encore. Tout allait bien jusqu’au jour où le même vais-
seau qui était venu chercher les Sagis deux ans plus tôt se posa sur la pla-
nète. Nous vînmes accueillir nos frères à la place ce sont des militaires qui
sortirent de la grande nef. Une femme très étrange en sortit avec une Cou-
ronne de Serpent sur le crâne. Elle était habillée à la façon d’un empereur
sorti de je ne sais quelle histoire, et à chaque pas qu’elle faisait, un de ses
soldats se mettait à genoux devant elle. Le chef de notre communauté
s’avança vers elle et c’est à ce moment qu’elle lui demanda de s’incliner
face à elle. Notre gouverneur ne s’était jamais trouvé face à une telle situa-
tion et trouvait ça trop grotesque ; hélas ! car, en quelques secondes, d’un
simple regard, elle le foudroya et il périt sur place en s’enflammant. J’ai
tout vu, j’étais contre ma mère et mon père. C’est alors qu’elle demanda à
parler au responsable de notre communauté. Comme celui-ci venait de
mourir sous nos yeux, il n’y avait plus personne, mais il y avait Madican le
secrétaire de notre chef. C’est lui qui s’avança vers elle en s’inclinant. Satis-
faite, elle lui demanda de l’accompagner dans son vaisseau. Il disparut avec
elle pendant un long moment. Durant ce temps, chacun repris ses activités
se demandant ce que cela voulait dire, sans prendre garde que les soldats
commençaient à occuper les lieux stratégiques de la ville. Deux heures plus
tard, nous fûmes tous informés par une sirène qu’il se passait quelque
chose. Nous sortîmes et à ce moment, les soldats nous poussèrent vers le
vaisseau. Là, sur une estrade, Maldeï et Madican le secrétaire nous atten-
daient. C’est ce dernier qui prit la parole nous demandant de fournir à Mal-
deï deux cents hommes pour compléter son armée. Elle voulait aussi que les
autres se mettent à la recherche d’un remède donnant une vie éternelle.
C’était à cette condition qu’elle nous laisserait vivre en paix. Tous se regar-
dèrent, sachant que deux cents hommes représentaient presque la totalité du
genre masculin pour notre communauté. Alors la foule ne pouvant obéir à
cette grande farce, se rua dans les rues pour retrouver ses positions. Les
soldats furent pris de surprise et se trouvèrent vite submergés. Ils ne purent
retenir la population. Mes parents en firent autant et à la maison ils prirent
des armes, comme les autres. C’est là qu’une dure bataille commença entre
l’armée de Maldeï et les habitants de Sagis. Les soldats de Maldeï ne de-
vaient être que deux cents, mais ils étaient très bien armés. La bataille dura
des jours et tenant tête à Maldeï, certains prirent discrètement la fuite afin
de se cacher loin de la ville. Mes parents étaient avec eux et nous partîmes à
l’intérieur du continent. Nous trouvâmes des grottes assez isolées pour nous
protéger et nous nous y installâmes durant plusieurs jours. En nous ration-

342
nant, nous pûmes tenir sans sortir. Afin de ne pas nous faire repérer, les
savants avaient pris avec eux des brouilleurs d’ondes humaines et il était
interdit de nous éclairer ou de parler. Ce fut très dur, surtout pour les en-
fants, mais c’était le seul moyen de ne pas être retrouvés par les soldats. Un
d’entre nous fut enfin autorisé à sortir lorsque les savants pensèrent que le
danger était éloigné. Sa mission était de retourner en ville pour voir si Mal-
deï était encore là et si ceux qui étaient restés nous recherchaient. Nous
étions à deux jours de marche du centre et cela faisait encore quatre jours au
moins à attendre. Ce temps-là dura encore plus que les dix premiers jours.
Enfin, il revint avec des nouvelles qui peinèrent tous ceux qui étaient restés
ici. Dans la ville il y avait des cadavres de soldats par dizaines mais une
grande partie de nos concitoyens était morts. Pratiquement toute la popula-
tion qui était restée avait péri. Le vaisseau de Maldeï était reparti sans ar-
mée Sagis et avec beaucoup moins de soldats que le jour de son débarque-
ment. Ce devait être un échec pour cette ignoble femme, car avant de partir
avec son terrible engin, elle avait détruit toutes les constructions de la ville
ainsi que les laboratoires qui s’y trouvaient. Nous étions cinq cents ; après
le passage de Maldeï, nous n’étions plus que deux cent cinquante environ,
car je n’ai pas compté les derniers survivants. Néanmoins, ceux qui étaient
là décidèrent de quitter la ville définitivement pour s’installer dans un en-
droit plus sûr que Maldeï ne pourrait jamais trouver. C’est là que mes pa-
rents ont décidé de partir de Sagis pour m’emmener sur une planète qu’ils
pensaient plus sûre pour moi. Ils avaient un vaisseau spatial capable de tra-
verser la galaxie et ils choisirent de m’emmener sur Vénusia. Là-bas, ils
avaient un ami s’appelant Lovinlive qui pourrait nous abriter et nous proté-
ger. Nous sommes partis, le voyage ne dura que quelques dizaines de jours.
Hélas, notre arrivée correspondait aussi à celle de Maldeï, c’était un signe
du destin, pour eux surtout. Car comme son arrivée sur la planète avait sou-
levé une rébellion, mes parents furent malgré eux entraînés dans cette nou-
velle guerre et y trouvèrent la mort. C’est là que Lovinlive me prit avec lui
jusqu’à maintenant. C’est toute mon histoire et celle de mon peuple. Peut-
être me comprenez-vous mieux maintenant ?
Némeq ne s’était jamais imaginé que ce jeune homme puisse être une jeune
femme, il ne s’était jamais figuré que dans sa jeune tête il puisse avoir à
porter un si lourd passé. Prenant un peu de recul face aux épreuves qu’il
vient de vivre, il comprend que d’autres que lui portent sur eux des souf-
frances encore plus lourdes. Il comprend pourquoi la nuit d’avant, elle
n’avait pas voulu se déshabiller devant lui. La regardant avec ses cheveux
courts en pétard, ses taches de rousseurs sur son nez et ses joues, il voit une
jolie jeune fille. Comment a-t-il pu imaginer que ce pouvait être un homme
? Non, vraiment, Magylin a quelque chose de ces êtres qui portent en eux
une partie de la souffrance du monde et en même temps une lumière, un

343
espoir. Il ne peut s’empêcher de lui demander :
⎯ Tu connaissais Amanine ?
⎯ C’était mon amie.
Pour Némeq, la boucle est bouclée. Il sait trop que le genre féminin l’a tou-
jours aidé sur les voies qu’il suit. Magylin est avec lui tout comme Doora et
Amanine l’ont été. Il se revoit être jaloux du jeune homme l’accompagnant
dans ses recherches. Alors, il lui répond :
⎯ Pardonne-moi, Magylin, de t’avoir sous-estimée. Pardonne-moi de
ne pas t’avoir prise au sérieux. Je suis toujours aussi rempli de principes, si
je t’avais écouté, tu ne te serais jamais blessée. Si j’avais accepté qu’une
femme vienne avec nous, tu n’aurais jamais eu à te déguiser et te couper
les cheveux. Demain, nous retournerons là où tu as repéré le signal et nous
trouverons le reste de ton peuple ; je te le promets.
Un premier sourire se dégage de ses jeunes lèvres et rassure Némeq qui se
sent coupable de ne pas avoir été plus attentif à elle. Mais c’était un jeune
homme au début, comment aurait-il pu s’attendrir devant lui ? Le soir est
là, blessée, Magylin doit se coucher avec précaution et Némeq l’aide géné-
reusement :
⎯ Ne me considère pas comme de la porcelaine, ce n’est parce que je
suis une femme que je suis fragile. N’en fait pas trop, tu n’as rien à te faire
pardonner. Je sais ce que tu vaux, Amanine m’a souvent parlé de toi.
Étonné de savoir qu’elle avait des rapports avec son amie, il est confus et
rougit.
Chacun se couche sous sa couverture…

Dans le cockpit, Némeq et Magylin font un dernier point avant de décoller.


Le CP ayant enregistré toutes les étapes du vol précédent, donne à Némeq la
position exacte de l’endroit où Magylin a entendu le signal. Tous les vais-
seaux décollent en suivant Némeq. Il leur faut moins d’une demi-heure pour
arriver à la verticale de la zone détectée et c’est là que Magylin entend en-
core le détecteur se manifester avant que le signal soit porté à l’écran. Fai-
sant signe à Némeq, celui-ci descend doucement à la verticale et enfin
l’appareil affiche plus clairement le signal, indiquant précisément la direc-
tion des êtres localisés. Un lac sous leur pied semble être le point précis où
les rescapés se trouvent. Ils se posent près de la zone et sortent de leurs ap-
pareils, tout au bord du lac. À l’extérieur, ils ne voient rien qui laisse penser
que des hommes et des femmes puissent se trouver ici et Magylin qui re-
garde avec attention, observe chaque détail autour d’elle. Son détecteur est
éteint, elle ne semble plus en avoir besoin, comme si son instinct pouvait
mieux la guider. Soudain, elle voit des petites bulles remonter à la surface
de l’eau. Elle s’avance sur un rocher qui surplombe le lac. Némeq la voit
encore basculer sur le gros bloc et lui dit de faire attention, mais d’un coup

344
elle se laisse tomber dans l’eau. Tous sont surpris et ne comprennent pas.
Pour quelle raison a-t-elle fait cela ? Pas de doute qu’elle l’ait fait volontai-
rement. Au bout d’une minute, elle ne reparaît pas. Elle s’est noyée. Némeq
se demande un instant si c’est parce qu’elle n’a rien trouvé ici, alors qu’elle
s’attendait au contraire à retrouver ses frères et sœurs. Soudain il a une idée
et sa raison semble reprendre le dessus sur ses sentiments. Il refait le même
chemin qu’elle et se place sur le rocher. Il se penche et se laisse tomber
comme elle.
Némeq se sent tomber dans l’eau, mais vite, il est aspiré par un courant qui
l’entraîne dans un siphon qui le fait ressortir dans un couloir éclairé. Il le
suit et arrive aussitôt devant des hommes et des femmes autour de Magylin.
Celle-ci se retourne vers lui et fait un signe pour qu’il se rapproche.
⎯ Viens avec moi, Némeq, ce sont nos amis. Je suis si heureuse de les
avoir retrouvés.
Il rejoint le groupe et Magylin le présente :
⎯ C’est le commandant de l’expédition. Il est venu vous chercher pour
rejoindre Unis, le camp rebelle où tous les rescapés des autres planètes se
sont regroupés. Sagis est la dernière planète que nous visitons avant de ren-
trer. Nous avons une place pour vous tous dans le vaisseau. C’est alors que
Némeq commence à expliquer toutes les raisons de son arrivée. Pendant ce
temps, un à un les autres membres de son équipage arrivent, tentés comme
lui de plonger dans l’eau. Peu après, Némeq et ses hommes sont ramenés au
centre de leur base, où ils sont accueillis avec beaucoup de distinction. En-
suite, les responsables écoutent leurs arguments avec attention. Némeq leur
demande d’abandonner leur planète avec tout ce qu’ils ont pu y accumuler
comme connaissances et souvenirs. C’est un lourd choix qu’ils ont à faire et
ils ne peuvent donner de réponse immédiatement sans avoir consulté tous
les membres de la communauté. Mais avant qu’ils fassent part de leur déci-
sion, ils invitent les six membres à visiter l’ensemble de leurs installations.
Un jeune homme nommé Nilygam, semblant avoir l’âge de Magylin, les
invite à le suivre.
⎯ Venez, je vais vous montrer l’ensemble de la base que nous avons
construite.
Il les conduit alors vers les bâtiments abritant l’ensemble de la population.
Ils vivent dans des bungalows légers construits à partir de bois, et entre cha-
cun coule de l’eau comme des ruisseaux.
⎯ Ici, il y a soixante logements, cela suffit à abriter tout le monde, nous
sommes deux cent dix-neuf au total. On y reste seulement pour dormir et
faire notre toilette. La plupart du temps, nous sommes ensemble pour pren-
dre nos repas dans le réfectoire ou travailler dans les laboratoires.
Cet endroit reste très simple, il n’y a rien qui semble inutile ici ; au-dessus
d’eux le plafond de la grotte où est construite la base n’est pas très haut et

345
des éclairages sont accrochés en dessous.
⎯ Je vais vous conduire dans nos serres afin que vous puissiez admirer
nos plantations.
Après les bungalows, se trouve un passage qui les conduit vers le lac. Ils
arrivent dans une sorte de serre recouverte d’eau. Celle-ci fait plus de deux
cent mètres au carré et, en forme de pyramide, elle abrite un jardin de plan-
tes impressionnantes qu’ils traversent pour arriver à un autre passage les
conduisant à une autre serre, tout aussi pourvu de variétés extraordinaires de
plantes. Continuant leur visite, ils découvrent que sous le lac s’abritent des
dizaines de serres identiques qu’ils ne peuvent toutes visiter. Enfin, le jeune
Nilygam les fait ressortir du lac. Némeq est surpris de voir ce jeune homme
tenir la main de Magylin. Il ne comprend pas vraiment alors qu’ils ne sont
là que depuis quelques heures. Par la suite, ils arrivent par un circuit de cou-
loirs complexes dans une autre zone : les laboratoires. Se tenant discrets
devant les scientifiques, toujours en pleine expérimentation, Nilygam expli-
que doucement :
⎯ Dans ce laboratoire, nous expérimentons des remèdes que nous fa-
briquons avec nos plantes. En même temps, comme nous vivons en sous-
sol, nous fabriquons tous les compléments qui nous manquent en l’absence
de la lumière naturelle. Une partie de la nourriture n’est pas d’origine natu-
relle et elle évolue pour que nous ne nous lassions pas de ne manger que des
végétaux. Aujourd’hui, nous sommes capables de soigner tous les cancers et
toutes les maladies infectieuses. Je crois même que la maladie qui décimait
les habitants d’Elvy a été vaincue par nos chercheurs et nous avons préparé
une grande quantité de ce remède au cas où nous aurions dû émigrer sur
Elvy. Nous recherchons encore d’autres associations de plantes pour vain-
cre d’autres maladies, mais le médicament de vie illimité n’existe pas et
nous n’avons pas l’intention de faire des recherches dessus. La mort fait
partie du cycle de l’existence, la seule chose que nous pouvons faire, c’est
un remède pour mieux vieillir et passer une fin de vie agréable. C’est trop
souvent triste de voir les personnes âgées souffrir de devoir porter leur
vieux corps. En tout cas, je crois que nous sommes aujourd’hui sur la bonne
voie.
Les laboratoires sont très complexes et ont des machines toutes plus extra-
ordinaires les unes que les autres. Bien que cette planète ait la réputation
d’être un lieu où la nature fût très respectée, cela n’empêche pas ses habi-
tants de pousser la technologie vers une avancée prodigieuse. Ayant vu de
nombreuses choses et parlé avec les différents chercheurs, nos amis rejoi-
gnent maintenant les responsables qu’ils avaient rencontrés au début.

Le chef de la communauté s’appelle Gandam et c’est lui qui les accueille à


leur retour :

346
⎯ Mes amis, j’espère que vous avez apprécié cette visite, elle vous
montre la richesse de nos expérimentations. Depuis que cette planète a été
conquise par les Lunisses, grâce à toutes ces plantes, bien des maux ont pu
êtres soulagés et nous continuons à faire de grandes découvertes. Hélas,
depuis que Maldeï est venue pour prendre les hommes avec elle, nous avons
dû fuir et nous isoler, afin de nous protéger. Depuis cela limite notre rayon
de vie et nous nous sommes astreints à travailler avec les souches que nous
avions à notre disposition. Mais nous avons du matériel et encore de nom-
breuses variétés de plantes avec nous.
Un silence se fait et il regarde Némeq et son équipe avec profondeur, puis il
se retourne vers ses collaborateurs :
⎯ Nous avons réfléchi à ce que vous nous avez annoncés lorsque vous
êtes arrivés. Nous ne vous attendions vraiment pas et nous nous sommes
habitués à notre nouvelle vie, vous avez pu le constater. Pourquoi devrions-
nous vous suivre, c’est bien là la question. Mais de vous avoir écouté et
après avoir consulté tous nos concitoyens, nous avons pris notre décision.
Encore un silence angoissant pour Némeq et enfin :
⎯ Nous allons nous préparer, cela demandera deux jours avant que
nous puissions embarquer avec vous dans le vaisseau. Pourquoi devrions-
nous rester alors que notre vocation a toujours été de trouver les remèdes
dont l’humanité peut avoir besoin. Nous devons partir avec vous afin de
pouvoir aider le reste de l’humanité dans l’univers. Si nous devons retour-
ner sur la Terre, nous pourrons contribuer à la guérison des hommes là-bas.
Sagis a toujours été considéré comme la planète la plus avancée pour sa
sagesse et son amour pour les hommes, mais, c’est la fin d’une ère pour
nous tous et nous n’avons plus rien à faire ici. Nous la laisserons continuer
à vivre et à évoluer afin qu’un jour d’autres êtres puissent sortir de son sol
tout comme nous sommes sortis du sol de la terre à une époque bien loin-
taine. Nous allons démonter une partie de nos installations que nous aime-
rions prendre avec nous et nous rassemblerons toutes les variétés de végé-
taux qui nous seront utiles et que nous pourrons replanter lorsque nous se-
rons un jour installés ailleurs. Il est temps pour nous de partir.
C’est vraiment une surprise pour Némeq qui pensait déjà que leur voyage
était devenu inutile. Tous se mettent à sourire et aussitôt, ils commencent
les préparatifs du départ.
Sanga doit repartir avec ses coéquipiers sur le grand vaisseau pour le prépa-
rer à recevoir plus de deux cents rescapés et le ramener, tandis que Némeq
et Magylin restent pour organiser le départ. C’est une grande nouvelle pour
tous les habitants et rapidement, ils doivent abandonner leurs travaux pour
regrouper tout le matériel qui sera embarqué. Parmi la population, il n’y a
plus de jeunes enfants, aucun n’étant né après le grand bouleversement Lu-
nisse qui avait fait arriver Jacques Brillant dans leur vie. Les plus jeunes ont

347
au moins dix ans. De toutes les planètes visitées, celle-ci est la seule qui ne
pose aucune difficulté mais, hélas, la bataille avec Maldeï entraîna bien plus
de morts que de rescapés. Tous se donnent du mal pour que leurs baga-
ges soient prêts à temps ; les installations et les laboratoires sont mis dans
des caisses pour les stocker dans le vaisseau. La plupart des plantes sont
embarquées sous forme de graines tandis que certaines sont congelées.
C’est au bout de deux jours qu’ils arrivent enfin à terminer les préparatifs
alors que le vaisseau est posé devant l’entrée cachée de la basse.
Tous aident à ranger dans le grand appareil le matériel et cela ne dure
qu’une journée. Enfin, les nouveaux venus trouvent leur place. Les cham-
bres sont partagées, avec de la bonne volonté tout se passe pour le mieux…

C’est terminé, le dernier survivant est monté dans le vaisseau. Némeq


monte dans le grand poste de pilotage, accompagné de Magylin rétablie et
du garçon qui ne la quitte jamais.
La jeune femme se rapproche de lui et lui dit :
⎯ On est si contents que tout le monde soit venu. C’est formidable
d’avoir pu revenir sur Sagis. Tu es formidable, Némeq.
⎯ Moi, formidable ! mais, si je ne t’avais pas écoutée, rien n’aurait été
possible. C’est grâce à toi seule que tous les survivants de Sagis ont pu être
retrouvés. Aucun de nous n’aurait pu le faire à ta place. C’est toi qui es
formidable. Tu es l’héroïne de notre passage sur Sagis, toi seule. Je com-
prends bien mieux pourquoi Lovinlive m’a poussé à te prendre. Tout ça
c’est bien, mais tu ne m’as pas présenté au jeune homme qui
t’accompagne ?
⎯ Oh ! c’est vrai ; c’est Nilygam, mon ami. On se connaît depuis que
nous sommes enfants. Nous nous sommes promis l’un à l’autre et c’est pour
cela qu’il a changé son nom. Nilygam est le parfait anagramme de mon
nom, ne l’as-tu pas remarqué ?
C’est juste, comment a-t-il fait pour l’ignorer ? Némeq était bien trop oc-
cupé à mettre tout au point pour le départ prochain. Il leur sourit et les re-
garde en pensant que cette jeune femme est vraiment exceptionnelle. Elle
est remplie de courage et de patience. En elle la sagesse est présente, tout
comme la légende l’a toujours dit de cette planète. Attendre huit ans un
amour de jeunesse perdu est vraiment un signe d’attachement et de pa-
tience. Magylin est à elle seule la planète sur laquelle ils sont. Némeq a
changé en la prenant quelques jours comme équipier et grâce à elle, il a pu
laisser Amanine sur Bravia et son cœur se tourne maintenant vers l’avenir
en rêvant, comme Magylin l’avait fait pour Nilygam, de retrouver Doora…

Ainsi se terminent les recherches des survivants des mondes extérieurs lu-
nisses, commencés cent jours plus tôt, avec Maora, Amanine et tous les

348
autres. C’est presque huit cents personnes qui sont dans le grand vaisseau.
Némeq a pu sauver toutes ces personnes, mais avec Maora qui a pu ramener
plus de deux mille habitants de Persevy, c’est en fait des milliers de person-
nes de toutes les planètes qu’ils ont pu sauver.

Tout étant prêt, Némeq est fier de montrer à Magylin le maniement du vais-
seau :
⎯ Veux-tu actionner la commande pour que nous décollions ?
⎯ Depuis que je te vois faire, j’aimerais apprendre le pilotage d’un tel
engin.
⎯ C’est le moment pour toi de commencer. Viens, mets en marche la
propulsion gravitique.
Toute fière, la jeune femme ne se fait pas prier et regardant avec attention
l’écran de contrôle, elle s’assure que tous sont prêts ; les portes fermées,
elle actionne la commande et l’engin s’élève avec légèreté dans le ciel Sa-
gis…
Au-dessus de l’atmosphère, l’appareil se stabilise afin que tous les habitants
de Sagis puissent regarder une dernière fois la planète qui avait été toute
leur vie.
La propulsion sidérale doit se préparer avec attention et Némeq fait signe à
son élève :
⎯ Conduits nous vers Unis.
Alors qu’elle exécute la manœuvre, un feu de bonheur emplit les yeux de
celle par qui tout fut possible ici ; MAGYLIN.
Taourel n’a jamais quitté des yeux ce grand vaisseau. Alors, elle se met
instantanément à sa poursuite…

349
QUITTER ELVY
Être allongée sur le lit en sentant l’enfant que l’on porte,
bouger au fond de soi, est une merveille pour une femme. Savoir que
l’enfant qui viendra au monde sera encore plus fort que soi, est le désir de
chacune ; c’est la beauté de la vie, le plus beau moment qu’il soit donné de
vivre.

Les deux mains posées sur son abdomen, elle entend presque les coups por-
tés dans son utérus. Tout pourrait être au mieux, mais en son être, une souf-
france de plus en plus vive se fait sentir. Comment a-t-elle pu laisser partir
son homme ? Elle n’a rien fait pour le retenir, bien au contraire. Enceinte,
elle aurait dû prévoir que le meilleur moment de la vie est celui que l’on
peut partager avec les autres. Maintenant, la voici seule pour affronter
l’avenir, ne sachant véritablement pas où se trouve Jacques aujourd’hui. Si
elle n’était pas si forte, elle laisserait des larmes couler sur ses joues, mais
même ça, elle ne le peut pas. Dans son esprit le vide se fait sentir de plus en
plus. Pourtant, elle se doit d’aller jusqu’au bout de son objectif. Pour elle,
tout est déjà tracé, rien ne la fera fléchir et la vie qu’elle porte en elle est son
aboutissement, elle le sait depuis le jour où elle s’est sue enceinte. Elle sait
qu’elle suit un destin tracé avec le sang de la vie et de la mort. Malgré sa
force intérieure, elle sent de plus en plus émerger une double nature. Elle ne
sait si le conflit l’entraînera vers la mort ou la victoire. Tout ce qu’elle a mis
en œuvre pour réussir depuis ces années, aurait-il servi à quelque chose à la
fin ? Fermant les yeux, elle imagine cette nouvelle vie sortir d’elle pour la
prendre dans ses bras et la monter au sommet de l’univers. Chaque femme
pense cela et l’espère de tout son être ; hélas, la vie n’est pas faite comme
on le désire, le destin demeure toujours incertain pour tous les êtres qui
naissent dans l’univers. Quel enfant sortira d’elle ? Sera-t-il son image ou
celle du contraire ? C’est ce qu’elle se demande maintenant. Encore de
nombreux jours à attendre avant de voir ses yeux, mais à l’échelle de sa vie,
c’est tellement peu car, déjà, ses seins sont tendus comme s’ils étaient gavés
de lait. Son ventre est au comme début un tambour qui résonne. La vie y a
trouvé sa place et semble déjà en appétit de vivre. Mais dans quel monde
arrivera-t-il, sur quelle planète ? Sa tête lui semble vide, alors qu’elle sait
avoir une richesse en elle. Lorsqu’elle y pense, elle voit qu’elle n’a pas de
passé, aucun souvenir d’avoir un jour été enfant. Son intelligence est là,
mais les actes qu’elle réalise sont-ils à la mesure de la force universelle qui
la fait vivre. De plus en plus, elle se questionne et commence à avoir des
doutes sur sa destinée. Ici elle se sent seule malgré ce qu’elle porte en elle.
Sa pensée se dirige vers celui à qui elle a pris la graine de vie qui l’a ense-
mencée. Elle se rend compte alors qu’elle ne connaît pas cet homme et qu’il

350
demeure pour elle un mystère complet. Sa gorge se noue de l’avoir perdu,
comme elle a la certitude maintenant d’avoir perdu sa vie entière, sa mé-
moire entière. Sa souffrance est terrible, alors que dans son for intérieur,
elle ne devrait pas s’y attacher. Elle répète en elle son nom pour se persua-
der d’être ce qu’elle croit être :
« MALDEI »
Mais apparaît un nom que Jacques lui avait crié plusieurs fois :
« ANDEVY »
Et le trouble s’installe en elle encore plus fort. Soudain, une force en elle
réagit avec violence. Car Maldeï n’est pas elle-même lorsque, allongée sur
son lit, elle est en contact avec son enfant ; comme si l’âme de celui-ci arri-
vait à la couper de la puissance de la Couronne de Serpent qu’elle porte.
D’un bond, elle se relève et comme déconnectée de son statut de future
mère, elle paraît avoir oublié son enfant et une puissante pensée surgit alors
:
« Ne te couche plus, je te donnerai la force pour que tu accomplisses ta
mission. Tu as l’esprit du monde en toi et tu ne dois jamais oublier que le
reste est sans importance. Si l’enfant que tu portes dans ton corps
t’encombre, enlève-le. Laisse les autres femmes en avoir pour toi ; avant
tout tu es l’impératrice du monde. Prépare-toi à conquérir le reste de
l’humanité, ton rôle est plus important que celui d’une simple mère. »
Maldeï oublie instantanément les idées qu’elle avait sur son lit. Mettant une
main sur son ventre, elle le regarde dans un miroir. Elle le trouve bien ridi-
cule et se dit qu’elle devrait se faire enlever cette chose étrange et dégoû-
tante qui pousse en elle. Elle se rhabille et met des vêtements plus moulants
pour faire rentrer son ventre et pour que devant ses généraux, elle
n’apparaisse pas comme une femme. Un pantalon de cuir noir et des chaus-
sures à talons avec un blouson boutonné sous la poitrine mettant en valeur
ses larges seins, lui convient parfaitement. Elle s’en veut d’avoir laissé
échapper Jacques l’autre jour, tout ça à cause d’une femme qu’elle voulait
tuer. Cette fille lui était insupportable, elle paraissait être le bien absolu.
Maintenant, il a pris la fuite avec elle en se laissant dominer par cette
chienne. Maldeï, maître du monde, ne peut être manipulé, hélas, l’homme
qu’elle pensait dominer toute sa vie a réussi à la quitter. Malgré ses pou-
voirs et sa force, elle n’a pu le maîtriser, comme s’il s’était attaché à une
autre conscience que celle du serpent. Elle se rappelle la première fois
qu’elle l’avait vu arriver, il n’était qu’un être sans conscience et il lui avait
été facile de le prendre sous sa coupe. Hélas, les forces du bien arrivent
toujours à pénétrer ses défenses et des trous étranges marquent maintenant
sa conscience ; les images d’une femme aux longs cheveux bruns et ayant

351
ses traits hantent son esprit. Mais l’idée d’affronter son ennemie intime la
motive à vite oublier cette pensée. La planète Elvy se meurt depuis que la
grande inondation a submergé toutes les îles et elle pense que pour préparer
l’invasion de la Terre, il faudrait investir une autre planète en regroupant
tous les Elviens. Jacques n’est plus là, mais elle a encore tous ses soldats et
tous les habitants. Les vaisseaux spatiaux sont tous terminés et opération-
nels. Elle fait venir ses généraux pour les informer de sa décision :
⎯ Nous allons regrouper tous les habitants, tous les soldats afin de quit-
ter la planète. Nous partirons tous vers Domagis la planète habitable la plus
proche, afin de nous préparer à envahir la Terre.
⎯ Mais, mon impératrice, cette planète est recouverte de volcans, elle
est très chaude, c’est difficile d’y vivre.
⎯ Rien de mieux pour tous les soldats. Si vous les laissez dans leurs ca-
sernes, ils se ramolliront et ce n’est pas bon. L’entraînement sera plus réel.
Sur Terre, les hommes ont des bombes thermonucléaires et des armes à feu.
Quelle meilleure façon de s’exercer !
L’homme est un peu rouge, il a peur de se faire démonter par Maldeï, il
pense qu’il n’aurait jamais dû la contredire. Mais elle ne réagit pas à sa re-
marque, heureusement. Elle est si impatiente qu’elle exige de l’homme de
tout mette en œuvre afin de quitter Elvy.
Sortant de cette réunion, les hommes du commandement se retrouvent et
prennent les décisions s’imposant pour organiser le grand départ. Sur
l’astre, ce sont cinq cent mille personnes qu’ils devront regrouper et faire
embarquer dans les vingt vaisseaux ; chacun devra prendre vingt-cinq mille
personnes comme prévu.
Au bout de deux jours, les généraux rejoignent Maldeï pour lui annoncer :
⎯ Mon impératrice, nous avons chargé toutes les armes, les habitants
de la planète ont été regroupés à Sandépra, nous avons affrété les vingt
vaisseaux pour les soldats et le reste de la population. Nous sommes prêts, il
ne manque que votre accord pour quitter Elvy.
⎯ Comment se fait-il que la troupe ne représente pas la totalité de la
population ?
⎯ Ce sont des femmes avec encore quelques enfants et il y a aussi des
vieillards.
⎯ Je ne partirai pas avec une population inutile. Chassez-les des vais-
seaux sinon qu’ils soient équipés comme des soldats. Ceux qui refuseront
seront abandonnés sur Elvy avec les chiens.
Elle se retire et les militaires font vite passer le message au reste de la popu-
lation. De peur de rester là, tous acceptent et sont aussitôt incorporés au
corps d’armée. On les habille, on les rase comme tous les hommes de
troupe et on leur confit une arme. Même les petits enfants subissent le
même sort à la demande de leurs mères. C’est alors que les cent cinquante

352
mille habitants d’Elvy, équipés montent dans les vaisseaux. En quelques
minutes, tous les engins s’élèvent au-dessus d’Elvy, la planète mourante.
Tous disparaissent laissant derrière eux une planète ayant donné autant de
mal que de bien.

Deux jours plus tard ils sont en approche de Domagis. Du haut de l’espace,
on peut voir tous les volcans et leurs nuages nocifs. Pourvue d’air, elle
pourra accueillir les troupes de Maldeï. La température extérieure est de
cinquante degrés pour une humidité de vingt pour cent, ce qui la rend viva-
ble à court terme. Les vaisseaux se regroupent dans une vallée préservée
des coulées de lave. Maldeï a un vaisseau spécialement affrété pour elle,
avec tout le confort de son palais. Tout se passe comme elle le souhaite, la
prochaine étape sera la Terre.
Les soldats s’installent sur le terrain et les généraux organisent des entraî-
nements intensifs pour les troupes. Cinq cent mille soldats, cela semble très
peu en comparaison au six milliard et demi d’hommes sur Terre, mais il
faut savoir que la technologie des Lunisses y est sans aucune mesure com-
parable. Si elle le souhaitait, d’un trait, Maldeï anéantirait toute vie sur la
Terre ; d’ailleurs, déjà dans son laboratoire, Raimaz, un des hommes à qui
elle a enlevé sa conscience pour y placer la sienne, travaille à préparer de
terribles virus pour détruire les terriens qui voudraient résister et se rebeller
; un germe capable d’atteindre ceux qui s’opposent à elle en particulier. Elle
prévoit de diffuser dans l’atmosphère le virus lorsqu’elle se posera sur la
planète, car cet organisme sera composé avec son ADN et réagira depuis
son mental.
D’autre part, dans un des vaisseaux, plusieurs milliers de femmes fabriquent
des milliers de robots de la taille d’une mouche qui serviront à atteindre les
soldats du camp adverse. Ces insectes mécaniques et électriques se posent
sur un ennemi et peuvent l’espionner ou directement le détruire en faisant
exploser le cœur ou la tête suivant sa position sur sa victime.
Sinon, son armée possède des armes plus classiques comme des pistolets
éthériques puissants et précis, des désintégrateurs longue portée capables de
détruire un petit vaisseau ou un char, des bombes étheronucléaires qui,
grosse comme une pomme, peuvent détruire une ville entière. Il ne faut pas
oublier que les vaisseaux sont tous équipés de canons éthériques pouvant
désintégrer une mégapole en ne laissant qu’un trou de plusieurs milliers de
mètres à la place.
Cent jours ne seront pas de trop pour finir ses équipements et en connaître
la manipulation. Aucune armée terrestre ne sera à la hauteur devant un tel
arsenal, de plus l’armée de Maldeï possède la parade aux armes nucléaires,
aux missiles de croisière et aux fusées à tête chercheuse.
Devant son armée, l’humanité devra faire son choix : se soumettre ou périr.

353
Néanmoins, Maldeï, tout en regardant ses troupes s’organiser, commence à
avoir un doute que le serpent ne peut lui retirer ; elle ne peut s’imaginer son
avenir sur la Terre, c’est pourquoi l’esprit de la couronne se met à insuffler
d’étranges pensées à Maldeï. Celle-ci lui commande que son enfant devient
dangereux et que ses plans pourraient être compromis à cause de lui. Un
tiraillement de plus en plus intense se fait sentir en elle et de sombres idées
lui traversent l’esprit. La pensée d’avorter tourne en elle de plus en plus,
elle se regarde dans son miroir et se trouve laide d’avoir un ventre aussi
rond. Elle ne tient plus, elle doit vite faire venir son gynécologue afin
d’avorter. Mais aussitôt le fœtus se manifeste avec violence et lui donne de
tels coups qu’elle se retrouve déséquilibrée. Sa tête tourne, elle ne maîtrise
plus ses pensées. Une lutte s’installe en elle, comme si la Couronne de Ser-
pent s’opposait à l’esprit de l’enfant en gestation. C’est ainsi qu’elle se
trouve face à un conflit qui semble la dépasser, tout comme au jour où elle
s’était opposée à un jeune enfant d’à peine sept ans sur l’île de Carbokan et
qu’elle n’avait pu vaincre malgré sa puissance. L’enfant qu’elle porte
s’interpose devant sa conscience pour que la couronne ne la pousse pas à
l’irréparable qui serait d’avorter. Une lutte intérieure se déclenche. Un
fluide de feu attaque l’esprit de l’enfant pour passer sur lui et atteindre les
neurones de Maldeï. Mais le petit être déploie devant cette force un écran
impénétrable. La couronne ne peut atteindre son but et s’attaque alors au
système sanguin afin d’asphyxier les artères alimentant l’utérus, provoquant
des contractions et arrêt de la circulation sanguine. Le bébé se débat alors,
et son esprit influence le cœur de Maldeï qui se met à battre si fort que
l’artère sclérosée cède à la pression. La femme s’effondre sur le sol. Quel-
ques instants après, un calme relatif revient, mais il est de courte durée. La
couronne tente une autre attaque et influence l’utérus pour qu’il se
contracte. Maldeï se met à ressentir une contraction, au point qu’elle ne peut
se redresser. Le fœtus se sent poussé vers la sortie du vagin et pour résister,
il inverse la contraction afin de lui interdire le passage. Maldeï se trouve
maintenant victime de deux combattants. C’est le bien contre le mal qui
s’exprime en elle, aucun d’eux ne voulant lâcher. La douleur devient bien
plus insupportable qu’un simple accouchement. Sa conscience comprend
que le dénouement ne se fera que si elle décide de s’associer à un des deux.
Très vite, la question de garder ou de perdre l’enfant passe dans sa tête. Le
perdre, c’est se libérer d’un poids immense et contenter la couronne. Le
garder, c’est pour elle l’assurance de voir sa descendance prendre sa place
plus tard et lui donner le monde qu’elle veut conquérir. La douleur s’accroît
à la limite d’y perdre la vie. Mais elle finit par lâcher prise en pensant de
tout son être au plaisir de voir son enfant prendre sa place plus tard et être
destiné à avoir le contrôle de l’humanité encore mieux qu’elle. Alors, elle
décide de se joindre à l’esprit de son futur enfant pour le faire naître. Aussi-

354
tôt, les contractions s’arrêtent et la douleur s’amenuise, si bien qu’elle peut
se redresser. Mais, perdant du sang, elle appelle son médecin qui arrive très
vite. La voyant dans cet état, il la fait acheminer dans le bloc médical du
vaisseau pour l’examiner. Fort heureusement, l’enfant est intact. Maldeï se
trouve alors hospitalisé malgré elle afin que tout se remette en ordre. Des
jours de repos et de soins lui sont imposés et elle doit les accepter.
Pour la première fois de sa vie, Maldeï vient de se retrouver dans la situa-
tion de devoir faire un choix entre le bien et le mal. Le mal avait toujours
été son allié, mais, pour la première fois, son choix passe au-dessus la force
infranchissable de la couronne et lui démontre ses faiblesses, comme si un
autre esprit pouvait être plus puissant que celle-ci. Le doute commence à
s’installer en elle alors qu’elle prépare la plus puissante attaque que la Terre
n’ait jamais connue.
Pour Maldeï quelques jours se passent, paisibles ; mais l’esprit du serpent
est toujours sur elle et c’est ainsi qu’elle reçoit de Taourel, son espion en-
voyé pour trouver et détruire la rébellion, les informations suivantes :
« Nous suivons un vaisseau rebelle depuis un long moment. Nous pensons
qu’il va nous conduire jusqu’au siège de la rébellion. Il a dans son ventre
des centaines de survivants que nous détruirons au juste moment. »
À la réception de ce message inattendu, elle retrouve son esprit guerrier et
elle se félicite de cette bonne nouvelle. Son esprit donne à Taourel l’ordre
de détruire toute la rébellion.

Les hommes d’Unis se rassemblent sur leur planète protectrice, mais ils ne
se doutent pas encore que Maldeï pourrait bientôt les découvrir et leur faire
payer de préparer une révolte.

355
LE PASSAGE
Depuis quinze jours la vie s’est organisée sur la planète où
se sont regroupés Aqualuce, ses enfants avec Timi, Jenifer, Wendy et Ara-
méis ; hélas, ils n’ont trouvé aucun passage capable de les ramener jusqu’à
Unis. Leur camp est bien installé maintenant et si le reste de l’humanité
n’était pas au seuil d’une grande guerre, la vie pourrait paraître paisible ; et
pourquoi pas s’installer pour le reste de ses jours ici ? Wendy qui a déjà
vécu cette situation sur une planète où elle est restée sept ans avec Araméis,
n’a pas envie de revivre cela, alors que les enfants d’Aqualuce semblent
prendre plaisir à jouer ici ; pour eux ce sont de grandes vacances. Timi
passe la plus grande partie de son temps à récolter sur le terrain ce qui lui
servira à faire les repas et elle prépare la cuisine avec amour pour tous. Jeni-
fer, pour sa part, passe la plus grande partie de la journée à partir seule en
exploration pour tenter de trouver une issue à ce qu’elle appelle son exil.
Wendy reste convaincue que la sortie se fera par la porte qu’ils avaient
trouvée au début et comme mathématicienne, elle passe son temps à faire
des équations qui, pense-t-elle, devraient finir par lui donner la clef de ce
grand mystère. Son époux reste neutre dans tout cela, il se contente de veil-
ler à ce qu’aucun ne se mette en danger et il assure la bonne tenue du camp
en s’assurant qu’aucun ne manque de quoi que ce soit. Seule, Aqualuce
prend du recul par rapport à cette situation. Amnésique, elle n’a aucun re-
père ancien et passe une bonne partie de la journée à se reposer ou à médi-
ter. Elle ne paraît pas paniquée de se savoir isolée dans un monde inconnu,
pour elle, cela ne signifie rien. Mais devant elle, se placent des idées qui lui
paraissent importantes. Elle se remémore ce qu’elle leur avait dit au tout
début :
⎯ « Je ne connais rien de vos mondes, rien de votre passé, rien de vos
pouvoirs et encore moins les mathématiques et l’astrophysique. Vos portes
magiques sont mystérieuses et votre histoire, absolument improbable. Mais
je me questionne sur votre état d’âme et je me demande si ce n’est pas en
votre être que les portes se ferment et que les marches ne se montent pas. Si
j’étais à votre place, je commencerais à regarder en moi et je chercherais
une porte dans ma vie pour aller plus loin. Tu sais, Jenifer, ce n’est pas
avec ton guide magnétique que tu trouveras le passage vers la sortie.
Prends ta vie et ouvre là sur autre chose, ton désir le plus profond. Regarde
ce qui te fait vivre réellement. Questionne-toi !
Quelle porte veux-tu ouvrir et où veux-tu que le passage t’emmène ?
Ton cœur doit te guider, non ton désir. »
C’est à cela qu’Aqualuce réfléchit journellement en écoutant pousser en elle
ses futurs enfants. Son amie, Jenifer lui a dit qu’elle devrait accoucher nor-
malement dans moins de soixante jours et cela ne la panique pas non plus.

356
Sa mémoire n’est plus là, mais son cœur semble connaître un passé qui la
pousse à la réflexion. Le mot Amour se place devant sa conscience. En re-
gardant les autres agir autour d’elle, elle sent une force provenant d’un lieu
magique et immatériel, comme un foyer primordial ne lui appartenant pas.
Un foyer de vie ; la Vie elle-même. Il lui suffit de se retourner sur elle avec
un esprit neutre pour la voir agir à certains moments. Cette force rayonne
vers les autres pour leur transmettre l’Amour qu’elle ressent en elle, comme
un aide pour eux. Aqualuce voit bien que ses enfants et ses amis sont pour-
vus de dons, mais elle a le sentiment que ce n’est pas cela qui les ferait sor-
tir de ce qu’ils appellent leur prison. On lui a dit qu’une femme du nom de
Maldeï avait l’intention de la retrouver pour l’affronter, mais elle se dit que
devant cette femme, elle n’aurait qu’à lui opposer de l’amour, rien de plus.
Tout cela fait qu’Aqualuce médite sur elle-même, ne sentant que son corps
et son âme en toute simplicité, rien de plus…

Ce matin, sa fille Cléonisse la rejoint :


⎯ Maman, j’ai une question à te poser, pourrais-tu y répondre ?
⎯ Dans la mesure où mon esprit peut le faire, bien sûr, ma chérie. Mais,
sache que si c’est pour des choses nécessitant des connaissances intellec-
tuelles particulières, ce me sera difficile.
La petite fille hoche la tête en la regardant dans les yeux :
⎯ Maman, depuis des jours, tout le monde cherche comment partir
d’ici. Rien ne nous apparaît. Je suis retournée avec Céleste jusqu’à la porte
que Timi nous a montrée sans trouver d’explication ni aucun indice nous
permettant de la franchir. J’ai repensé à tes paroles et je me demande com-
ment notre cœur pourrait ouvrir des portes si mes yeux ne les voient pas ?
⎯ Cléonisse, je suis heureuse que tu viennes me demander cela. Je sens
qu’en toi, non seulement il y a de la curiosité, mais aussi de grandes possi-
bilités. Il est certain qu’un cœur ne pourra jamais remplacer un trousseau de
clefs si devant la porte de ta maison, tu ne peux entrer. Ce jour-là, casse un
carreau ou appelle un serrurier. Mais si tu te trouves face à un problème qui
n’est pas d’ordre matériel, alors le cœur a des chances de pouvoir faire
quelque chose pour toi. Si tu le laisses agir dans le bon sens, il est certain
que tu pourras ouvrir de nombreuses portes. Et si la conséquence en est que
tu retrouves les clefs perdues, c’est que la matière s’est courbée devant ton
attitude. Mais pour cela, Cléonisse, il faut que tu sois très à l’écoute de ton
cœur. Je vais te l’expliquer si tu peux me comprendre malgré ton jeune âge,
voici l’histoire que j’ai à te dire :
Il y a bon nombre de choses qui nous font agir par instinct dans la vie. Des
choses justes et d’autres injustes. Nous agissons bien souvent de mauvaise
façon devant bons nombres d’événements sans nous en rendre compte et
l’on obtient des résultats ; hélas, ça ne dure jamais et parfois tout s’inverse.

357
Pourquoi ? Me diras-tu. C’est parce que nous faisons les choses en rapport à
ce que nous voyons en surface, pas sur ce qu’elles sont à l’intérieur. Chaque
événement de la vie est une expérience pour nous, une possibilité. Agir par
l’ordinaire entraîne toujours le retour de la même expérience sous d’autres
formes. Il n’y a pas une seconde qui ne soit calculée pour te réveiller et te
changer. Car le but de la vie est de nous sortir du rêve que nous faisons de-
puis que nous sommes nés. C’est pourquoi nous devons nous rapprocher de
notre cœur qui garde en lui un espace de vérité et de pureté. Lorsque tu
éveilles la force qui sort de ton cœur, les choses se changent autour de toi.
Je n’ai pas le souvenir de mon passé, mais ceux qui m’ont dit comment ils
se sont retrouvés ici, m’ont fait comprendre que rien de ce qui leur est arri-
vé n’est le fruit du hasard. Ce fameux hasard nous a tous réunis alors que
nous sommes partis d’un lieu et d’un temps différent. Vous-même, les en-
fants, vous vous êtes retrouvés avec moi dans des circonstances étranges.
J’ai pu méditer sur tout cela depuis plusieurs jours et écoutant mon inté-
rieur, il m’a donné en écho la réponse.
Je sais maintenant que le fait que je sois amnésique n’est pas un hasard. Je
l’ai compris en présentant devant mon cœur cette difficulté. Bien sûr lors-
que vous m’avez appris que ma mémoire avait disparu, je me suis deman-
dée ce qu’il y avait en mon être. Mais l’absence de passé a ouvert en moi un
autre espace. Je n’ai plus le poids d’un lourd passé, je ne me connais aucune
tension, aucun ennemi, mon cœur s’est ouvert. J’ai été attirée par sa force
magique et intemporelle, c’est là que j’ai saisi toute son importance. Je puis
vous assurer qu’un monde nous attend dans une autre dimension et que dé-
jà, au contact du cœur, celui-ci vous y fait participer. Au tout début, lorsque
qu’avec Wendy nous grimpions la montagne, j’ai été en grande difficulté, il
m’est arrivé de penser que j’allais perdre mes enfants. Mais lorsque toi,
Céleste, tu m’as porté jusqu’en haut de la montagne, ton attitude m’a ouvert
les yeux. J’ai compris qu’un enfant avait l’esprit plus pur que les adultes et
de ce fait se trouve capable de faire des choses impossibles pour nous. Cela
a été pour moi la première révélation. Je vis en retrait de l’action des autres
depuis que nous sommes ici, cela ne veut pas dire que je me suis retirée de
l’action du groupe. Je fais ce que me dicte mon cœur et celui-ci me de-
mande de ne pas chercher de sortie ou de porte, mais de l’attirer vers nous
par une confiance et une ouverture totale. Je suis certaine que vous deux
aurez un rôle auprès de nos amis. Trouvez en vous l’ouverture qui vous
guidera jusqu’à la porte de votre cœur, c’est-à-dire le passage vers l’espace
d’un monde sans limites ni douleur. Car il est en vous. Alors, de là une
force saura vous guider afin de vous faire surmonter les épreuves. La sortie
sera au bout de vos efforts. Je ne puis dire autre chose car il faut vivre tout
cela. Vous êtes très jeunes pour que je puisse vous enseigner ces choses,
mais votre question demandait une réponse. Nous n’ouvrirons les portes de

358
cette planète qu’avec des cœurs préparés. C’est tout ce que je peux vous
dire.
Les deux enfants la regardent avec beaucoup d’attention et enfin Cléonisse
dit à sa mère :
⎯ Peut-être n’as-tu plus ta mémoire, mais tu nous parles comme tu l’as
toujours fait. Peut-être avec un esprit plus neutre. Il ne fait aucun doute que
tu es notre maman.
Assise dans un fauteuil en rotin qu’Araméis a fabriqué, Aqualuce les re-
garde en posant une de ses mains sur son ventre très rond.
⎯ Venez poser vos oreilles dessus, vous pourrez percevoir votre frère et
votre sœur.
Les enfants le font immédiatement et ils rient si fort que les enfants en des-
sous doivent les entendre. Ils se redressent et Céleste dit à sa mère :
⎯ Le cœur dont tu nous parles est comme ça, il faut tendre l’oreille
pour l’entendre. Il est en nous, mais on ne le voit pas. Il nous parle, mais on
ne peut le comprendre ; ou, alors, nous devons sentir ses paroles d’une fa-
çon différente. Le cœur est un comme le bébé dans ton ventre et nous de-
vons le faire naître. Est-ce cela que tu veux nous dire ?
⎯ Oui, très juste, et comme l’enfant que l’on porte en soi, qui dès sa
conception, il nous apporte des possibilités nouvelles, le cœur le fait pour
nous de la même façon.
⎯ J’ai compris, maman. Le cœur doit devenir celui qui nous dirige plu-
tôt que nos habitudes et notre tête.
⎯ Cléonisse si tu sais cela, tu ouvriras toutes les portes qui se trouve-
ront devant toi.
Ils embrassent leur mère et pour qu’elle se repose, ils sortent afin de rejoin-
dre Timi qui prépare le repas.

⎯ Tu sais, maman nous a parlé et je crois qu’en elle, il y a des choses


qui sont encore plus importantes que la mémoire. Veux-tu nous emmener
jusqu’à la porte que tu as trouvée, nous aimerions la regarder encore.
⎯ Laisse-moi terminer le pâté que je prépare ; nous irons chercher
Wendy, elle pourra nous dire ce qu’elle en a découvert.

Wendy ne se fait pas prier pour aller avec eux. Comme Araméis n’est pas
trop occupé, il les suit. En arrivant à l’endroit où se trouve l’étrange porte,
tandis que Jenifer revient d’une de ses explorations. Les enfants sont là,
encore emplis des paroles de leur mère et ils tournent autour de ce qu’ils
appellent la porte, une sorte de seuil incrusté dans le sol avec deux marches
qui arrivent jusqu’à une sorte de vitre comparable à de la glace et à travers
laquelle on distingue un couloir où descendent des marches. On peut ap-
puyer son nez dessus, rien ne laisse apparaître la possibilité d’y accéder.

359
Tout autour, la roche est comparable au granit. Céleste et Cléonisse obser-
vent un instant et Timi les regarde en se questionnant car ils ne semblent
pas s’intéresser à la porte, mais à un monticule de caillou un peu plus éloi-
gné. Ils s’en approchent et tous les deux commencent à gratter le sol. Les
voyants agir, les autres les rejoignent en comprenant qu’ils sont peut-être
sur une piste et en font autant. En quelques minutes, ils dégagent un tunnel
de la taille d’un enfant qui s’enfonce dans le sol. Wendy s’y engage la pre-
mière. Les autres la suivent et c’est alors que tous se retrouvent non pas
dans une grotte, mais à la surface d’une autre planète, totalement différente.
Le ciel est complètement rose alors que l’étoile qui les éclaire rayonne de
mille éclats verts. Là, il fait froid et le sol est recouvert d’une neige bleue.
Tous regardent autour d’eux et c’est là qu’en arrière, ils s’aperçoivent que
le trou par lequel ils sont passés n’existe plus. Jenifer panique, mais Timi se
précipite pour la calmer. Wendy pense qu’un piège s’est refermé sur eux et
elle ne comprend pas. Seul, Araméis garde tout son calme tandis que les
enfants sont déjà partis en exploration pour comprendre ce qu’ils viennent
d’ouvrir en enlevant les cailloux. Céleste dit à sa sœur :
⎯ Crois-tu que maman a eu une bonne idée de nous laisser ouvrir des
portes ?
⎯ Cela doit signifier quelque chose, mais il faut que les autres pensent
comme nous. Si nous avons ouvert un espace dans notre cœur, nous devons
savoir à quoi il correspond.
⎯ Tu sais, j’ai le sentiment que nous venons d’ouvrir un espace totale-
ment différent des autres. Mon cœur me dit que nous ne sommes plus dans
le monde, ni dans l’univers avec les étoiles.
⎯ Je pense comme toi, car, ici, je ne sens ni le froid ni le chaud. Mais,
je ne me sens pas perdu pour autant. Quelque chose me dit que nous som-
mes à la frontière d’une autre dimension.
Sur ces paroles, les deux enfants commencent à dessiner sur le sol des spira-
les autour des quatre adultes qui se questionnent et c’est alors que…

360
MADAME LA PRESIDENTE…
Hillary dans son grand bureau ovale réfléchit au grave
problème des soldats encore engagés en Irak. Il est plus facile de conseiller
que d’agir se dit-elle. Déjà six ans que son pays s’est installé là-bas et mal-
gré la volonté de son gouvernement, rien ne lui permet, hélas, de dire fai-
sons rentrer tous nos hommes. La situation est telle que si les troupes quit-
taient le terrain, c’est tout un système terroriste qui se partagerait le pays.
Le jour où son prédécesseur eut l’idée catastrophique d’attaquer ce pays, il
aurait mieux fait de se casser une jambe, ou mieux encore. Hélas, il faut
faire avec ce que l’on a.
C’est avec ces pensées qu’elle accueille une de ses collaboratrices dans son
bureau, après qu’elle l’ait fait appeler.
⎯ Approche-toi Mia et excuse-moi d’être dans mes pensées. Tu sais,
avant d’être présidente, je ne m’imaginais pas que ce poste soit en enfer,
bien que j’aie vécu avec Bill pendant huit ans ici. Je comprends bien les
tensions qu’il a dû subir durant toute cette période. Alors que je n’en suis
qu’au début de mon mandat, il faudra que je m’y fasse.
⎯ Madame la présidente, vous m’avez demandée ; est-ce en rapport
avec vos pensées ou autre chose ?
⎯ Autre chose, Mia. Je me questionne sur ce que tu m’as annoncé avec
tes amies il y a plusieurs mois. Je me demande si nous pourrons faire face à
une attaque sur notre territoire par une force étrangère comme une invasion
extraterrestre. Je t’ai laissé faire un bilan sur l’état de nos forces militaires
ainsi que leurs pouvoirs technologiques. Tu travailles avec ardeur et
j’aimerais savoir si tu as maintenant un résultat. Nous avons déplacé une
partie de nos équipements en Irak ; dis-moi où nous en sommes réellement
?
⎯ J’ai avec moi mon PC, je vais vous montrer :
Tout d’abord, vous savez qu’avant d’être ici, j’ai été responsable des ar-
mées pour mon peuple. Notre technologie est bien différente de la vôtre et
surtout beaucoup plus puissante. J’ai donc comparé les armes terrestres
avec celle que j’utilisais autrefois et j’en suis arrivée à quelques conclu-
sions.
Pour les armes de destruction massive, je peux vous dire que sur le terrain,
nous sommes presque à égalité. Vos bombes à hydrogène sont capables de
faire des dégâts inestimables. Nous sommes, malgré l’arrêt de la guerre
froide, capables d'anéantir toute vie sur Terre. La puissance des États-Unis
alliée aux autres pays peut faire sauter deux fois la planète. Face à ces ar-
mes, mon peuple a des bombes étheronucléaires. Une seule peut détruire le
quart de la planète. Un vaisseau bien équipé peut en contenir une dizaine.
Sur ce plan, les hommes n’auraient pas le dessus car les missiles interconti-

361
nentaux ne sont pas capables d’atteindre un vaisseau spatial. Bien sûr, des
missiles puissants peuvent faire des dégâts si vous les lancez sur des engins
ennemis, hélas les vaisseaux sont bien protégés. Mon peuple a des canons à
rayons éthériques qui peuvent détruire une ville. Votre aviation par contre,
présente de nombreux avantages, car nous n’en avons pas une comme la
vôtre. Vos chasseurs sont bien conçus pour les attaques au sol et les atta-
ques locales. Si nous combattions avec des troupes, elles seraient vulnéra-
bles. Hélas, un seul soldat extraterrestre est capable d’abattre dix de vos
appareils s’il tire le premier ; c’est une question de rapidité. Sur ce plan,
vous avez une carte à jouer car sur nos planètes, nous n’avons jamais été
confrontés à des attaques locales sur le terrain. Je suppose que si
l’envahisseur vient avec des troupes, elles seront très mal entraînées, jamais
nous n’avons eu à faire la guerre sur le terrain. Cela dit, il ne faut pas sous-
estimer l’ennemi, car les armes qu’il possède sont dix fois plus efficaces
que les vôtres. Vous avez des armes balistiques alors que nos ennemis pos-
sèdent des armes intelligentes. Même si la majorité des armes sont des
rayons, elles ont la capacité de ne pas être vectorielle et d’atteindre leurs
cibles même cachées. Encore une fois, la rapidité sur le terrain ferait la dif-
férence. Dans les laboratoires expérimentaux que vous avez, les armes que
vous élaborez sont encore archaïques, il y a un grand écart avec le monde
d’où je viens. Pour le reste, tout est question de stratégie.
⎯ Ce n’est pas très brillant tout cela. Dois-je en conclure que si un en-
vahisseur arrivait sur notre planète, nous n’aurions aucune chance ?
⎯ Je n’ai pas dit cela. Comme je vous le dis, tout est dans la stratégie.
Si vous placiez à la tête du commandement un individu doué connaissant un
peu l’ennemi, vous auriez des chances de le repousser.
⎯ Je n’ai pas ce genre d’homme parmi mes généraux, hélas.
⎯ Non, mais vous avez une femme !
⎯ À qui penses-tu ?
⎯ Moi ! je suis Lunisse et j’étais chef des armées à l’époque. Je connais
bien la personne qui veut envahir la Terre. J’ai longtemps travaillé avec elle
et je sais comment elle compte s’y prendre lorsqu’elle arrivera jusqu’ici. Si
j’étais général, je commencerais à la provoquer afin de l’amener sur le ter-
rain où je souhaite l’affronter. C’est à nous de déterminer la zone du
conflit ; si nous l’y amenons, nous aurons toutes les chances de neutraliser
son attaque. Dès maintenant, déterminons la zone et préparons la en consé-
quence. Nous devrons installer les troupes bien avant qu’ils arrivent. Il faut
mettre en orbite des ogives nucléaires afin de pouvoir répondre aux risques
des tirs de rayons. Il y a plusieurs mesures importantes à réaliser dès main-
tenant.
⎯ Je me doutais, Mia, que je pouvais compter sur toi, ce n’est pas par
hasard que tu travailles avec moi, nous en étions convenues. Je suis certaine

362
que tu auras déjà élaboré tous ces plans et qu’il est pratiquement inutile de
te demander de te mettre au travail.
⎯ Toute la stratégie est déjà écrite, il ne reste qu’à la mettre en œuvre.
C’est le moment, car le délai est très court pour pouvoir installer les ogives
sur orbite. Nous avons besoin d’une navette spatiale pour la transformer en
lance-missiles. La station spatiale internationale doit aussi être mise à
contribution. La meilleure zone pour affronter notre ennemi serait le désert
du Nouveau-Mexique. Nous devrons les attirer là-bas en les provoquant. De
toute façon, dès qu’ils approcheront, j’en serais informée. Mais si mon amie
Aqualuce a réussi, il est possible que nous ayons du renfort qui arrive des
étoiles au même moment.
⎯ Mia, je te donne carte blanche, tu es spécialiste. Dès aujourd’hui, il
faut commencer.
⎯ Mais, Hillary, vous savez qu’il m’est impossible d’agir, je ne suis
rien dans votre gouvernement. Tout cela doit être décidé par vos généraux
qui ne me connaissent même pas. Ce plan ne doit pas vous discréditer car
les conséquences seront très lourdes. Le secret le plus absolu doit être gardé
sur tout cela.
⎯ Mia, que proposes-tu ?
⎯ Convoquez vos généraux pour leur faire part de votre plan de gran-
des manœuvres à l’échelle internationale. Informez-les de votre souci de
savoir nous préparer à d’éventuelles attaques venant de l’extérieur. Prenez
mes notes et mes plans, distribuez-les à chacun afin qu’ils les mettent en
œuvre. Ce jour-là, prenez-moi avec vous dans votre bureau, je me chargerai
du reste. Personne ne saura que l’idée est de moi et eux-mêmes ne sauront
pas que vous en êtes la responsable. J’ai certains pouvoirs.

Hillary Rodham a la tête sur les épaules. La seule différence avec les autres
hommes est qu’elle a été touchée par un rayon d’amour foudroyant qui la
pousse à faire ce que lui dicte son cœur. Passant en détail le grand plan de
défense que Mia a élaboré durant tous ces mois passés, elle comprend bien
sa stratégie en l’assimilant très vite. Sans perdre de temps, elle convoque
tous les responsables du Pentagone pour le lendemain. La plupart d’entre
eux laissent leurs travaux en cours, traversant la ville ou la moitié de la pla-
nète pour assister à la réunion.
Dans son grand bureau, tous réunis, Hillary élabore son plan de grandes
manœuvres et Mia reste derrière elle, semblant pendre quelques notes. La
plupart des hommes restent sceptiques au début de la réunion, mais lors-
qu’Hillary dévoile en détail le plan de Mia, ils se trouvent tous comme sous
hypnose, écoutant avec la plus grande attention ce que leur présidente leur
dit, prenant note de tous les détails. Aucun d’eux ne s’oppose au projet, les
plans qu’ils manipulent sont très clairs et la voix d’Hillary paraît les

363
convaincre sans aucun doute.
La réunion s’achève et tous quittent Madame la Présidente sans dire un mot.
Discrètement, Mia les attend à la sortie et pose une main sur le front de cha-
cun, sans qu’aucun ne s’en rende compte. Une fois qu’ils sont partis, Hilla-
ry questionne Mia :
⎯ Ils ont tous accepté, sans broncher. Je me suis demandé si je ne les
avais pas hypnotisés ?
⎯ Pas vous, Hillary.
Elle regarde alors Mia de travers pensant qu’elle a le pouvoir de manipuler
tout son entourage et à cet instant Mia se rapproche d’elle, entourant le vi-
sage de ses mains, elle lui dit :
⎯ Vous n’y êtes pour rien, l’idée des grandes manœuvres vient de vos
généraux.
Elle la relâche et l’instant d’après, Hillary un peu tâtonnante lui dit :
⎯ Leur idée de grandes manœuvres dans le désert du Mexique est ex-
cellente et corrobore la tienne ; c’est une chance que tu aies pu assister à
cette réunion. Je veux que sur ce programme, tu sois ma correspondante.
Tout devra passer par toi. Je vais en informer mes collaborateurs. Tu seras
ma voix lorsque des problèmes pourront se poser ; ainsi, je suis certaine que
nous ne ferons pas d’erreurs.
⎯ Hillary, préparons ces manœuvres comme si tout cela était réel, ainsi
les hommes seront plus efficaces. Je pense aussi qu’il serait bien d’inviter
des personnes à assister à tout cela. Je pense aux enfants de l’école dont je
vous parle parfois ; vous savez, Keuramdor.
⎯ Mais pourquoi donc ?
⎯ Ces êtres doués pourraient donner un air plus juste à nos manœuvres.
⎯ Oh ! vous allez me faire croire que nous allons véritablement avoir la
visite des petits hommes verts.
⎯ On ne sait jamais !

Hillary se met à rire et Mia l’accompagne. Mais au fond de sa pensée, elle


sait que les manœuvres n’en seront pas, cette femme venue d’ailleurs en est
le témoignage vivant, que la guerre peut être proche si les terriens ne s’y
préparent pas. Les enfants de Keuramdor auront leur place car ils font partie
du grand plan, on lui a dit qu’ils sont tous exceptionnels, faits pour de gran-
des missions dans ce monde. Mia lui a dit que Maldeï avait déjà voulu les
enlever, c’est pourquoi ils seront les meilleurs appâts, sachant que c’est la
seule chose qui puisse l’attirer plus que le désir de détruire la Terre. Le sort
de plusieurs milliards d’êtres humains est peut-être dans leurs mains. Pour-
vu qu’Aqualuce et les autres aient pu se préparer et qu’ils soient là à temps.

Hillary Rodham regagne son bureau afin de s’occuper de la prochaine ré-

364
union avec le ministre des finances. Sur son sous-main, elle trouve la lettre
d’un enfant qui a réussi à passer tous les filtres de son secrétariat, il est
écrit :

« Madame la Présidente ; sauvez le Monde. »

365
UNE ARCHE POUR LA TERRE
Déjà trente-cinq jours que Wendy et Araméis ont disparu.
Sur Unis, la communauté s’est resserrée autour de Maora, Fil et Adiban ont
pris en main la gouvernance de la population. Lorsque toutes les femmes
prisonnières de l’île de Racben furent ramenées jusqu’ici, on a fait des tests
sur les enfants et les mères probables. Toutes les femmes vivantes ont re-
trouvé parmi les familles d’accueil leurs enfants, tout comme c’était arrivé à
Adiban, sauf quelques-uns paraissant orphelins. L’enfant que Maora avait
adopté ne retrouva pas sa mère et elle put le garder. Grâce à une phalange,
Clara put trouver l’enfant de Gadny, son amie morte sur Racben. Depuis
des jours sur Unis, les familles se sont recomposées et les nouvelles ma-
mans ont pu enfin trouver de la joie et du réconfort après des années passées
dans un demi-esclavage.
Mais pendant ces derniers jours, Adiban a beaucoup travaillé car juste après
son mariage avec Fil, elle s’est mise à élaborer un vaisseau pour rejoindre la
Terre. Ce matin, elle a rejoint Maora afin de mettre au point les derniers
éléments pour lancer la construction de l’arche pour la Terre :

⎯ Ton plan est totalement fou ; tu te rends compte de ce que cela im-
plique. C’est du jamais vu !
⎯ Je le sais, Maora, mais avec le peu de matériaux que nous avons à
notre disposition, je pense que c’est la meilleure solution. Et puis, nous
avons peu de temps pour réaliser un tel engin. C’est une arche, pas un vais-
seau ; nous allons devoir transporter l’ensemble de la communauté vers la
Terre sans compter que nous ne savons pas sur quoi nous tomberons. Il est
certain qu’une fois arrivés, nous ne pourrons jamais repartir.
⎯ C’est vrai, le vaisseau que tu proposes de construire doit être certain
d’arriver.
⎯ Si nous quittons Unis, nous arriverons, je te le garantis.
⎯ Alors, si tu es sûr de toi, fais-le, tu as mon accord et je pense que Fil
pense comme toi.
⎯ C’est un médecin, il ne connaît rien au voyage dans l’espace.
⎯ N’attendons plus Araméis et les autres. S’ils sont en vie, je pense
qu’ils feront ce qu’il faut pour nous rejoindre. Espérons qu’Aqualuce soit au
rendez-vous, sinon, lorsqu’on arrivera sur la Terre, devant Maldeï on sera
mal.
⎯ Sur Unis, nous avons laissé derrière nous nos craintes, nos tensions.
Nos pensées ne sont plus les mêmes ; je pense que nous pourrons nous op-
poser à elle et ses troupes.
⎯ J’en ai le même sentiment mais nous ne savons pas où en est Maldeï.

366
Depuis qu’Elvy a été secouée par la fonte des glaces, cette planète ne peut
plus supporter la vie alors qu’elle était le lieu le plus prospère de l’univers.
Avec l’aide de Clara, les forces de cette planète nous ont rejoints. Je pense
que nous aurons un grand poids dans la bataille. Nous sommes des milliers
à avoir la même vision de la vie, notre force est dans notre cœur ; Maldeï
n’a pas cela.
⎯ Même avec une armée plus nombreuse que la nôtre, nous avons nos
chances. J’ai fréquenté cette femme quelque temps, tu sais que j’ai été très
proche d’elle au poste de ministre de l’armement. Je connais ses faiblesses,
ce sera un avantage peut-être.
⎯ Je crois, Adiban, qu’il serait bien que tu ailles voir Clara, elle pourra
te donner des indications importantes. Elle est pilote comme toi et elle
connaît la Terre, plus que nous tous.
⎯ Tu as raison, j’y vais de ce pas.
Adiban quitte Maora pour rejoindre Clara qui est avec Christopher. Elle
l’informe de la décision prise avec Maora de commencer à construire
l’arche selon ses plans. Elle lui demande son avis, mais Clara n’a pas trop
suivi l’étude car depuis son arrivée, elle s’occupe et allaite son enfant adop-
tif ; une petite fille de plus de deux mois, en temps terrien.
⎯ Décris-moi encore comment tu vas construire l’arche. J’ai besoin de
l’imaginer afin de te conseiller.
⎯ Mon idée est simple :
Comme nous sommes près de cinq mille ici, il est clair que le vaisseau
« Instant-Plus » ne sera jamais assez grand pour nous contenir tous, alors, il
nous faut faire un engin encore plus exceptionnel. Hélas, sur la planète, il
nous manque quelque chose ! Les matériaux de construction, comme le
métal, les matériaux composites, les résines et surtout la matière noire né-
cessaire à nos moteurs ; même pour faire cela, nous sommes pauvres. Alors,
j’ai trouvé une solution originale ; à savoir utiliser le sol de la planète pour
en faire notre vaisseau. Je m’explique : nos habitations, toutes nos ressour-
ces sont concentrées en un lieu, au-dessus du Puits de l’Oubli. C’est tout cet
ensemble que je vais prendre comme socle pour construire notre arche. Je
découperai un cône faisant le tour de la ville sur une profondeur de trois
cents mètres environ, à l’aide du rayon éthérique du vaisseau. La ville étant
désolidarisée de la planète, je placerai sous la base du cône un rayon ma-
gnétique protecteur remontant à la surface, ensuite je replacerai un autre
cône magnétique au-dessus afin de nous enfermer dans une coque magnéti-
que permettant de nous déplacer dans l’espace ; pour cela, je vais avoir be-
soin de construire une tour et y placer le générateur d’écran qui formera
l’arche. Afin obtenir l’énergie nécessaire, je vais démonter les batteries et
les capteurs d’éther spatial du Grand vaisseau. Pour faire décoller notre
arche, je vais avoir besoin d’un moteur gravitique formidable, c’est le seul

367
point qui me dérange encore, car j’ai calculé qu’il me faudrait un anneau
magnétique de trois mille mètres de périmètre et ça, je ne sais pas encore
comment le fabriquer. Par contre, le moteur spatial n’est pas un problème,
car je le construirai avec celui du vaisseau que nous avons à notre disposi-
tion. J’aurai besoin que l’on transfère le CP du grand vaisseau dans le quar-
tier général de notre ville et nous le raccorderons à tout notre système, c’est
lui qui contrôlera notre voyage dans l’espace-temps. Nous devrons placer
des moteurs à inertie magnétique en périphérie de notre arche car nous de-
vrons voyager en rotation sur nous-mêmes afin de pouvoir pénétrer l’éther
spatial sans nous écraser dessus. Pour ce qui est de l’air, nous conserverons
l’atmosphère que nous aurons jusqu’au niveau de la tour, c’est pour cela
qu’en la plaçant le plus haut possible, nous aurons de l’air pour le voyage,
même s’il devait durer cinquante jours. J’ai étudié toute la question et je
suis certaine que ça marchera, le tout est de pouvoir décoller. J’ai étudié
d’autres moyens, mais celui-ci nous permettra de nous préparer le plus rapi-
dement. Il nous faut quarante jours pour être prêts, alors qu’en construisant
un vaisseau classique, il nous en faudrait trois fois plus. Nous devrons dé-
manteler le vaisseau « Instant- Plus » afin de récupérer toutes les pièces
pour de construire l’arche. Maora est d’accord avec moi et j’aimerais savoir
ce que tu en penses ?
⎯ Adiban, ton projet me paraît juste, tes arguments sont bien fondés,
mais, je me demande comme toi comment faire décoller un volume si im-
portant. Je crois que cela représente une masse de deux cents millions de
tonnes, c’est du jamais vu dans l’histoire de la navigation spatiale ; même
les vaisseaux les plus gros n’en font pas le tiers. Comme tu le faisais remar-
quer, ils sont tous construits avec des métaux légers et des matériaux com-
posites. Si tu es certaine que les moteurs sidéraux du grand vaisseau seront
suffisants, il est vrai que le moteur gravitique doit être réfléchi. Un anneau
de presque trois mille mètres se construit avec au moins un millier de kilo-
mètres de fil et nous n’avons pas d’usine pour cela. Il nous faudrait des cen-
taines de jours pour trouver une mine, l’extraire et le transformer. Je dois y
réfléchir rapidement, je te promets de te donner une solution, peut-être de-
main. Quant à la zone où nous pourrons poser notre arche, c’est aussi un
véritable problème. Nous ne savons pas où se passera le conflit. Que fera
Maldeï lorsqu’elle sera en vue de la Terre. De tout cela, nous n’avons au-
cune certitude, mais le projet est jouable et je pense que tu peux déjà t’y
mettre. Nous ne pouvons pas rester là ; Unis, même si elle a des qualités
extraordinaires, n’est pas faite pour nous accueillir pour la vie, notre mis-
sion est sur Terre, auprès des nôtres. Je réfléchirai avec Christopher lors-
qu’il sera de retour, passe me voir demain matin.

Ce matin, Clara se réveille de bonne heure, car hier soir, elle a eu une

368
conversation avec son homme. Elle doit prendre une décision grave afin
d’aider Adiban et toute la communauté. Sa nuit a été d’autant plus courte
que sa fille adoptive, Rosa, l’a réveillée deux fois afin de téter. Mais la vi-
site de son amie l’a changé de la petite habitude qu’elle avait prise depuis
qu’elle est revenue sur Unis. Elle se dit qu’il est temps d’agir, que comme
sa sœur, il faut tout donner car elle sent que la dernière ligne droite avant
l’arrivée est devant eux. Réveillant Christopher, elle lui dit :
⎯ Je pars rejoindre Adiban, je vais lui faire part de notre décision. Oc-
cupe-toi de Rosa, j’en ai peut-être pour la matinée. Lorsque tu seras debout,
peux-tu préparer nos affaires ?
⎯ Tout sera prêt, ne t’en fais pas ; moi aussi, je ne tiens plus en place.
Fais au mieux, je pense comme toi que c’est la meilleure solution.
Sur ces paroles, elle quitte Christopher et rejoint la maison de son ami Fil,
devenu le foyer d’Adiban.
⎯ Je peux entrer ?
⎯ Tu arrives tôt, mais au contraire, je préfère.
⎯ Adiban, je viens t’annoncer que Christopher et moi avons décidé de
partir sur Terre en urgence afin de savoir où vous pourrez atterrir lorsque
vous serez prêts à partir. Nous passerons sur Elvy pour voir où peut en être
Maldeï et ensuite, nous reviendrons. Nous n’en avons que pour quelques
jours, je pense que nous ne serons pas longs. Il faut que nous puissions
avoir une idée des plans de notre ennemi, Christopher souhaite jouer les
espions.
⎯ Mais je ne t’en demandais pas tant, je suis seulement venue hier pour
avoir quelques conseils, je ne m’imaginais pas que cela provoquerait ton
départ.
⎯ J’aime ma fille, mais je ne tiens plus et, hier lorsque tu es venu, tu as
remué en moi le désir de servir mon peuple et la communauté. À l’image
d’Aqualuce, je ne peux plus rester sur place, il faut que je parte afin que
nous avancions. Mais, nous ne faisons qu’une petite sortie. La Terre n’est
qu’à soixante mille années lumières, juste le temps pour moi de lacer mes
chaussures.
⎯ Mais ton bébé va-t-il te suivre aussi.
⎯ Peut-être serait-ce mieux de le laisser ici, car si nous allons vers
Maldeï, nous ne pourrons pas nous occuper de lui comme il faut.
⎯ Laisse-le-moi, je prendrai soin d’elle, mais, à une condition !
⎯ Laquelle ?
⎯ Je veux que tu reviennes et que tu ne te laisses pas prendre par Mal-
deï, sois plus futée qu’elle, je la connais, elle est très forte lorsqu’elle est
mauvaise.
⎯ Je te promets, je reviens dans quelques jours.
⎯ Alors, tu as mon soutien.
369
⎯ Ce n’est pas tout, tu m’as posé une question pour le moteur graviti-
que de l’arche et je t’ai promis une réponse. J’y ai réfléchi et je crois avoir
trouvé la réponse :
Lorsque tu auras démantelé le grand vaisseau et que tu auras récupéré tous
les équipements, fais fondre tout le métal, je pense que tu devrais en récupé-
rer une bonne partie. Avec celui-ci, fais le fil dont tu auras besoin. J’ai cal-
culé qu’avec le quart de ce que tu récupéreras, tu pourras faire l’anneau
magnétique dont tu auras besoin. Aide toi de l’Unissium pour renforcer les
batteries qui nous donneront l’énergie dont nous aurons besoin, car j’ai res-
senti que tu pourrais être juste en énergie. Le métal de cette planète est aussi
fort qu’une pile à combustible, utilisez le.
⎯ Je n’y avais pas pensé, j’étais trop occupé à réfléchir à la propulsion
qui nous emmènera jusqu’à la Terre. Tout cela est important et dès au-
jourd’hui, je vais mettre une personne dessus. Clara, je pense que tu dois
aller voir Maora, pour lui faire part de ta décision.
Après avoir mis les détails au point pour la garde de son enfant, Clara re-
joint Maora pour lui annoncer son départ. Celle-ci comprend la situation et
la félicite pour son courage. Clara prendra le petit vaisseau qu’elle avait en
venant de la Terre la première fois, il possède l’avantage de voyager dans
l’instant à travers l’univers. Ce voyage lui semble indispensable. Clara re-
joint enfin Christopher afin de terminer les préparatifs. En début d’après-
midi, Maora, Adiban et Fil les rejoignent alors qu’ils sont prêts à partir.
Clara confie son enfant à son amie. Elle leur dit :
⎯ J’aimerais revenir dans quelques jours, mais je ne sais pas ce que je
trouverai sur mon chemin. En tout cas, Adiban, construis l’arche que tu
projettes, ton plan est bon. Ma sœur reviendra chargée de connaissances,
j’en ai la certitude et elle sera là lorsque nous nous trouverons face à Mal-
deï. Nous reviendrons au plus vite, je te le promets.
Le bébé de Clara pleure comme s’il sentait ce qui se passe. Dans les bras
chauds d’Adiban qu’il connaît, il ne peut se calmer et sa mère adoptive ne
peut retenir ses larmes. Christopher la prend dans ses bras et la conduit vers
le petit vaisseau. Ils s’installent dedans, attachent leurs ceintures. Les amis
les regardent, attentifs et émus. Les portes se referment, les voilà dans
l’engin. Clara, face au pupitre de commandes, retrouve ses capacités de
pilote et met en fonction le CP et le moteur gravitique. Derrière la vitre tein-
tée de son appareil, elle voit l’entrée du Puits de l’Oubli. Elle pense à tous
ceux qui y sont entrés et qui en sortant, s’étaient transformés en trouvant
devant eux un esprit purifié. Les derniers à y être entrés sont Aqualuce,
Jenifer, Timi, Wendy et Araméis. Ils ne sont pas encore ressortis et elle
pense que là-dessous, il se passe bien des choses incroyables autant
qu’improbables. Mais elle a la certitude qu’ils reviendront plus fort encore.
⎯ Tu es prêt, mon chéri ?

370
⎯ On n’a pas le choix, nous devons retourner sur Terre pour voir com-
ment ils se préparent, ensuite connaître les plans de Maldeï.
⎯ Décollons et mettons le cap vers notre planète.
L’appareil s’élève alors légèrement dans l’air. Il fait une boucle autour de la
ville et s’enfonce dans le ciel.

Adiban, après s’être occupée des enfants, convoque immédiatement les


hommes les plus compétents afin de lancer la construction de l’Arche.

Maora coordonne toute la vie de la communauté.

Clara et Christopher ont à peine le temps de se faire un baiser, qu’ils sont


déjà au-dessus de l’atmosphère terrestre…

371
LES SEPT ESPACES
La spirale que dessinent les enfants commence à prendre
des couleurs extraordinaires et ceux qui se trouvent à l’intérieur en sont
déséquilibrés. C’est à ce moment que l’horizon se change autour d’eux ; les
couleurs de ton pastel rose, vert, bleu, jaune sont partout et au loin une
forme de dôme montagneux noir avec des nuages gris tournant autour appa-
raît. Le reste de l’horizon est comme un désert de glace bleu et sablonneux.
Il fait glacial, l’étoile qui les éclaire rayonne d’une lumière verte et froide.
Tous ont sur eux les vêtements qu’ils avaient le jour où ils ont été surpris et
emportés dans cette aventure. Les enfants sont en tenue de sport et aucun
n’est préparé à affronter le froid, ni la chaleur. Dépouillés, ils sont comme
nouveau-nés, arrivant dans un monde totalement inconnu. Voyant les deux
enfants frigorifiés, Wendy a aussitôt le réflexe de se séparer de son pull et
de son gilet pour couvrir les petits. La pauvre est presque torse nu, mais
pour elle, les enfants sont bien plus importants.
Araméis regarde le curieux dôme au loin et se demande s’ils doivent s’en
approcher ou au contraire s’en éloigner. Jenifer regarde autour d’eux et
voyant qu’il n’y a rien d’autre à l’horizon, suggère :
⎯ Nous sommes perdus dans ce désert glacé, nos vies ne paraissent pas
peser lourd ici, je crois que le choix ne se pose pas, nous devons nous rap-
procher de cette montagne, peut-être trouverons-nous une sortie.
Aussitôt, Timi et Wendy approuvent et Araméis n’a plus le choix, il s’est
parfois retrouvé devant ce genre de questions. Hélas, cette montagne se
trouve à des dizaines de kilomètres et de nombreuses heures de marche se-
ront à prévoir dans le froid, sans nourriture, sans eau et sans aucun confort.
Y arriveront-ils.
Timi se questionne sur le but de ce voyage, ne comprenant pas ce que peu-
vent signifier tous ces tours de magie qui se passent devant elle depuis
qu’elle a quitté la Terre. Mais, Cléonisse, la fille d’Aqualuce lui dit :
⎯ Ne t’es-tu jamais questionnée sur l’étrangeté de la vie sur notre pla-
nète, ne t’es-tu jamais posé de questions sur la vie et ne trouves-tu pas ma-
gique que nous soyons tous collés sur une bulle de terre ? Ne trouves-tu pas
magique que notre cerveau puisse penser, ne trouves-tu pas magique que les
oiseaux volent et que les poissons nagent. Ne trouves-tu pas magique que
les femmes puissent avoir des enfants. Et la parole, n’est-ce pas magique ?
⎯ Tout ce que tu dis est évident, cela fait appel à des lois physiques et
universelles, cela ne vient pas de rien. Tandis que là, tout se transforme
comme si nous étions dans un dessin animé où tout est possible.
⎯ La vie est un dessin animé, tout est possible, Timi. Ma maman me
disait lorsque nous étions sur Terre que nous pouvions transformer le
monde si notre cœur était juste. Elle m’a toujours dit que le monde, la Terre

372
et l’univers sont élastiques et que c’est presque de la pâte à modeler. Notre
esprit peut tout transformer.
⎯ Mais, ma petite, la matière existe, notre corps est fait de chair et de
sang. Nous ne pouvons le nier, sinon, nous serions dans le néant.
⎯ Le néant nous entoure dans notre ignorance, me disait maman, ajoute
Céleste. C’est sur le NÉANT que nous avons construit notre univers. Tout
est en nous, c’est de nous que tout se construit, maman sait tout cela.
Ces mots font taire Timi qui se met à penser à ces paroles. Aussi tous se
mettent en marche afin de rejoindre la montagne noire qu’ils voient à
l’horizon. Wendy prend par la main les deux enfants tandis que Jenifer re-
garde autour d’elle afin de repérer des indices qui lui permettraient de
connaître leur véritable position dans cet univers étrange. Les deux enfants
marchent la tête baissée en pensant à leur mère qu’ils ont perdue d’un coup,
juste en remuant quelques pierres. Il n’y a pas de vent, mais l’air est glacial,
Wendy a froid, mais de savoir les enfants au chaud la rassure. C’est ainsi
qu’ils entament une très longue marche.
Au bout de quelques heures, les enfants ont faim et sont épuisés. Hélas,
personne ne peut leur proposer le moindre morceau de pain. Même boire
leur semble impossible, le sable de glace bleu ne paraît pas comestible. Rien
ne peut à cet instant leur donner espoir de pouvoir abreuver et rassasier les
enfants, ni aucun d’eux. Chacun s’exprime et Araméis désespéré dit alors :
⎯ Nous sommes ici dans le néant, il n’y a rien qui soit fait pour nous !
⎯ Mais que dis-tu à propos du néant. Si tel est le cas, c’est en nous que
nous devons construire le monde qui se présente. Nous devons sortir du
néant pour aller vers une Terre nouvelle. C’est à nous de la faire, nous
sommes ici pour cela, j’ai compris pourquoi nous avons été expulsés de
l’endroit où nous étions. Nous cherchions une porte de sortie, c’est un nou-
vel espace que nous avons ouvert en soulevant les rochers qui nous ont fait
découvrir le passage par lequel nous sommes passés.
⎯ Mais Timi, comment penses-tu construire cette Terre dont tu nous
parles ?
⎯ Araméis, c’est grâce aux enfants que j’en ai eu l’idée. Tout à l’heure
ils m’ont dit des mots qui ont tourné dans mon esprit. Je crois qu’ils ont
éveillé en moi une sorte de ressouvenance, j’ai l’impression que c’est dans
notre cœur que tout se trouve.

TIMI, Monde de Vie et Néant

C’est à ce moment que tout se met à tournoyer autour d’eux et que le sol sur
lequel ils sont, devient de moins en moins stable. Sous leurs pieds, le sable
glacé se met à fondre et tous s’enfoncent dans le liquide qui paraît réagir

373
aux paroles et aux pensés. Timi semble mieux se maîtriser que les autres et
ne bouge pas, comme si tout ce qui se passe n’était qu’illusions, mais
l’instant d’après, le groupe se retrouve dans le néant total ; plus de lumière,
le sol a disparu, plus de ciel, aucune étoile autour d’eux. De leur bouche, les
paroles ne peuvent sortir, sur eux reste collée leur lumière qui leur permet
juste de se voir. À ce moment, Timi ferme les yeux et retrouve en elle l’idée
d’un espace dans lequel elle pourrait se projeter…

Le monde du Néant

Sur un sol sans couleurs, et un ciel sans lumière, Timi sent en elle la souf-
france de la vie la pénétrer, elle sait que c’est à elle de créer les bases d’un
nouvel espace qu’elle commence à imaginer. Elle, la coiffeuse farfelue de
Las Vegas, se trouve dans une position où toutes les qualités de sa vie doi-
vent s’associer pour trouver une ouverture. Mais elle se demande ce qu’elle
a devant elle, quel est ce monde qui s’ouvre sous ses pieds et au-dessus de
sa tête. Elle réfléchit rapidement, analyse ce qu’elle voit et sent autour
d’elle. Vite, en un éclair, elle comprend qu’elle se trouve à la limite du
néant, ce monde n’en n’est pas un, c’est le rien. Dans sa tête cela va très
vite et elle sent qu’elle doit prendre le groupe à sa charge. Mais, aucune
parole ne peut sortir de sa bouche, l’air semble avoir disparu autour d’elle.
Elle regarde à droite, à gauche, si au moins, ces deux mots avaient une va-
leur ici, mais se positionner dans le néant est comme vouloir trouver un coin
dans une sphère. Que faire alors que ses amis paraissent maintenant être
comme des poupées de tissu. Elle réfléchit encore et pense à l’époque où
elle était coiffeuse et transformait le visage de ses clients de façon artistique
et spectaculaire. Elle coupait les cheveux, les rasait parfois, les teintait ou
ajoutait des mèches suivant le désir de chacun de ses clients. En tout cas,
elle changeait pour tous les visages qu’ils avaient en entrant dans son salon.
Elle pense alors :
« Et si je changeais le néant en une autre forme, un autre univers, un autre
espace ; cela marcherait peut-être ? »
Mais, Timi n’est pas dans son salon de coiffure, elle n’a ni tondeuse, peigne
ou ciseaux ; elle n’a que ses mains, ses pieds et sa tête. Elle se demande ce
qu’elle pourrait bien faire pour changer tout cela. Naviguer dans le néant,
c’est être sorti du monde, être dans l’inexistant, le rien. Timi se demande si
le rien peut exister vraiment, le rien est-il aussi concevable que le tout.
Comme on peut se demander pourquoi il y a un univers avec des étoiles et
des galaxies, on peut aussi se demander si le rien est aussi possible. Qui
était en premier ; le tout ou le rien ?
Toutes ces questions, Timi se les pose pour comprendre l’enjeu de placé
devant elle et ce qu’en vaut la vie ?

374
Ses amis n’ont pas le temps de savoir ce qu’elle pense, car tous ces événe-
ments se passent à une rapidité telle qu’aucun ne la voit agir, penser ou
bouger. Le néant s’exprime comme si le temps n’existait plus, alors qu’elle
pense qu’il faudrait donner à ce qui l’entoure, une dimension, une vie.
Amener le néant à la vie, voilà ce qu’elle imagine. Au fur et à mesure
qu’elle pense, ses amis semblent se désagréger autour d’elle comme s’ils
étaient absorbés par le néant. Tous paraissent devenir transparent et rétrécir.
Le néant anéantit tout autour de lui, elle est la seule qui semble résister à
son emprise et Timi se dit :
« Que dois-je comprendre de tout cela, que manque t-il à mon esprit pour
arrêter tout. Si la solution est en moi, où dois-je la chercher ? »
Hélas, dans sa tête le temps passe, rien ne se fait, et elle voit ses amis et les
deux enfants étouffer comme s’ils se noyaient dans l’espace du néant.
« Pourquoi Aqualuce m’a-t-elle donné rendez-vous sur le grand barrage et
m’a emmené avec elle dans son vaisseau. Qu’attendait-elle de moi, qui ne
suis que coiffeuse ? »
Hélas, la voici seule à pouvoir agir devant le néant de la vie et elle doit
trouver une solution, sinon, ses amis disparaîtront à jamais. Alors elle se
met en tête d’avancer dans l’espace du néant sans savoir où elle est, ni si
elle est !
Dans ce vide, elle pense à ce que pourrait en être l’inverse si elle arrivait à
comprendre sa nature. C’est à cet instant que son imagination se met au
travail ; fermant les yeux, elle voit en elle un monde qui pourrait être par-
fait, se dit-elle :
« Et si la perfection était l’inverse du néant, si je devais lui opposer cette
idée, peut-être arriverais-je à inverser le cours de choses. Mais comment
dois-je faire ? »
La question se pose à peine qu’une idée lui apparaît aussitôt.
« Je ne te connais pas, mais je dois t’imaginer, c’est peut-être comme quand
je coiffe un client ; je prends mes instruments et je le vois changé avant
qu’il soit coiffé. En général, je prends mes ciseaux et le reste suit. »
Timi pense à Aqualuce qui, devant elle, prenait une boîte de peinture avec
des couleurs et un pinceau et commençait à repeindre le monde à sa façon.
« C’est ça ; changer le monde avec son imagination ; mettre les couleurs là
où il le faut ; sortir la Vie du néant, car le néant est la toile de l’artiste, tout
comme l’écrivain se met devant sa page blanche pour commencer son ou-
vrage. Il sort de son imaginaire toute la vie et ses personnages naissent de
sa plume. Ce qui fait vibrer l’esprit de l’artiste, c’est ce qu’il trouve dans
son cœur, car le cœur est plus puissant que la tête. C’est de là que tout
commence, l’imaginaire est plus relié au cœur que la tête. C’est de là que la
solution doit sortir, j’ai entendu les enfants d’Aqualuce en parler et ils pa-
raissaient sur la bonne voie. »

375
Ressentant ce qui se passe en elle, Timi entend quelque chose l’appeler et
lui dire dans un langage sans voix :
⎯ Laisse-moi parler à la place de ta tête, laisse-moi te montrer la lu-
mière à la place du Soleil, laisse-moi te donner le temps à la place du temps.
Prends dans ta main le pinceau de la vie et donne à ta toile ses couleurs.

Le Monde de Vie

⎯ Le pinceau de la vie ? mais, quel est-il, où le trouver ?


Timi regarde au fond de sa poche et ne voit que des êtres pas plus gros que
des fourmis. La voici seule, chargée d’une lourde responsabilité. Elle a cinq
personnes qu’elle peut sauver ou faire disparaître d’un coup ; le néant ou le
monde parfait, il faut trouver en elle la voie qui peut la conduire vers l’une
de ses extrêmes. C’est en ce sens que l’appel du vide l’attire afin de la faire
basculer. Timi se pose la question profonde :
⎯ Néant, as-tu toujours été proche de moi, ma vie sur Terre n’a-t-elle
pas toujours été vide et le rien ne serait-il pas ce à quoi l’homme est tou-
jours attiré ? La vie sur ma planète nous conduit irrémédiablement vers la
mort, le vide ; course de toute l’humanité vers le rien, en passant par les
sommets du vide. Enfin, la course au pouvoir, à l’argent et au plaisir n’est-
elle pas majoritaire dans l’esprit des hommes ? À quoi bon faire tout cela
alors que même les plus grands hommes sont morts ? Qui sur Terre peut se
vanter d’avoir donné un sens à la vie ?
Même les religions sont construites sur le vide, toutes se sont battues pour
imposer leur vision de la vie et lorsque la mort est à chaque fois au bout,
quel intérêt pour les hommes ? Qu’est-ce qui n’est pas néant en mon être, y
a-t-il une part infinie et immortelle en moi. Quelque chose qui
n’appartienne pas au vide ?
Je me sens attirée vers l’espace vide, il me suffit d’un pas pour le franchir et
tomber à jamais dedans, ma vie ne tient à rien. Je suis une coiffeuse, rien
d’autre, un être sans intérêt en même temps qu’inutile.
Timi regarde en elle, prête à faire le grand plongeon dans l’abîme du vide
pour se disperser vers le néant qui l’appelle. Et c’est alors que se dépouil-
lant de toute sa vie humaine, elle voit dans son esprit une porte improbable
s’ouvrir, qui la place dans un lieu sans temps ni distance. Devant elle, la
source du monde se déploie comme le cœur d’un temple qu’elle n’imaginait
même pas porter en elle. Se trouvant devant une source d’eau et de feu jail-
lissant, elle ne peut qu’éteindre son esprit et toutes ses pensées humaines.
Le foyer de la Vie, source du monde et de la création, l’antithèse du néant,
coule de son intérieur, elle le ressent. Lorsque qu’elle sent ses mains irra-
diées, une sensation se produit comme si elle avait des instruments de coif-
fure au bout des doigts, elle sent qu’elle peut transformer le néant à l’aide

376
de la source, et aussitôt Timi commence à tailler avec des ciseaux le vide
qui est autour d’elle. Un coup à droite, un coup à gauche, elle coupe le vide
qui se remplit de force et de lumière. Elle rase le néant pour le combler de
terre et elle ondule les mèches de rien pour en faire les vagues de la mer.
Avec ses teintures, elle colore le ciel de ses reflets bleutés et brillants et
avec son rasoir, elle taille l’herbe sous ses pieds. Avec un fer à friser, elle
transforme des cheveux en arbres et boucle des fruits sur eux. Avec son
peigne, elle trace sur la chevelure de l’herbe des franges dans lesquelles
coule l’eau afin d’abreuver le sol où poussent des couronnes de fleurs. À
force d’agir avec ses mains et son cœur, Timi parvient à créer autour d’elle
un monde plus riche que le vide d’âme qui entoure l’esprit des hommes qui
vivent sur la Terre à la recherche du plaisir et de la gloire. Ce que ses mains
ont réalisé est le reflet d’un monde sortant d’un feu de vie où l’homme or-
dinaire serait changé car ce qui s’y trouve rayonne vers les autres. Un
monde pour donner, sans le désir de recevoir, voici ce que devrait être
l’humanité, alors que sur la Terre, tout est son inverse. Timi comprend la
faute de l’humanité et verse des larmes en le découvrant.
Elle ouvre les yeux et voit devant elle un Nouvel Espace, une nouvelle
Terre où l’homme devra donner pour vivre. Elle a perdu ses instruments et
la voici sans rien dans les mains, il ne lui reste qu’un cœur pour donner. À
bout de forces, elle s’effondre inconsciente dans un Espace Parfait…

Lorsque Wendy se relève un peu sonné avec les enfants, Jenifer et Araméis,
elle découvre devant ses yeux un monde Parfait, une planète idéale. L’air
est doux, le sol recouvert d’un gazon parfait. Au loin elle voit une mer bleue
et douce dans laquelle se jette une rivière dont la source est à ses pieds ;
autour d’elle des arbres aux merveilleux fruits et au dessus un ciel pur sans
la moindre trace de nuage. Seule, au loin, la montagne noire semble ne pas
avoir changé et lorsqu’elle regarde le sol à ses pieds, elle voit Timi effon-
drée, sans connaissance. La pauvre femme a le corps glacé, elle parait en
hypothermie. Vite, elle réagit la voyant en danger :
⎯ Il faut la réchauffer. Araméis, vient vite te mettre contre elle pour
qu’elle se réchauffe.
Son époux enlève ses vêtements et se colle à elle afin de lui transmettre sa
chaleur. Mais Cléonisse qui connaît les secrets de la guérison par ce qu’elle
a appris de sa mère, se rapproche de Timi et avec ses yeux, se met à rayon-
ner un flux qui lui redonne vite meilleure mine. Quelques instants plus tard,
la pauvre femme ouvre les yeux et tous sont rassurés. C’est ainsi qu’elle
rapporte aux autres ce qu’elle a compris du néant et trouvé en elle. Dans ce
nouvel espace, ils s’installent afin de manger les fruits des arbres qui les
entourent et boivent à la source qui coule à leurs pieds.
⎯ Mangeons les fruits des arbres de vie, leur dit Timi, et buvons à la

377
source de l’amour. Cette planète nous donne la vie afin pour que nous la
partagions.
Tous prennent un repas qu’ils n’espéraient pas avant les grands change-
ments opérés par leur amie.
Timi regarde autour d’elle le résultat de cette épreuve imprévue. Elle ne
pensait pas avoir en elle ces ressources et surtout n’imaginait pas qu’une
telle lumière puisse sortir de son être. La petite coiffeuse de Las Vegas, ne
pensait pas qu’un jour, elle se retrouverait au pied d’un espace à rebâtir
dans son intégralité. Dans son ignorance quotidienne, la vie n’allait pas plus
loin que le boulevard d’en face, sauf que son destin était marqué d’une ren-
contre particulière.
Créer la vie, une terre, avec des ciseaux et un peigne, qui aurait pu
l’imaginer ?
Tous trouvent le repos et attendent le lendemain pour reprendre le chemin
vers la montagne noire.

ARAMEIS, le Chaos et la perfection

L’espace du Chaos :

Depuis trois jours, ils avancent, mais la montagne qui leur paraissait proche
semble s’éloigner. Ils ne peuvent marcher vite, les enfants auraient du mal à
suivre les adultes, mais ils ne manquent ni de nourriture ni d’eau, tout est à
leur disposition depuis que Timi a pensé le monde où ils sont maintenant.
Mais durant ces jours, de marche, Araméis est devenu plus aigre et parait se
refermer sur lui-même. Wendy, son épouse l’a remarqué, mais elle ne peut
trop lui parler ; elle sent que des forces le bousculent et pense qu’il est
mieux de le laisser comprendre lui-même ce qu’il se passe. Demain, tout
sera redevenu comme avant, elle le connaît depuis longtemps et sait qu’il
peut parfois être comme cela. Mais elle ne peut imaginer ce qui se passe
dans sa tête, car dans cet instant, une tension formidable est sur le point
d’exploser …

« Depuis toutes ces années que j’erre dans l’espace, où se trouve le monde
idéal que l’on nous avait promis ? J’ai voulu créer une microsociété avec
quelques amis et nous avons tout abandonné. J’ai cru refaire une nouvelle
communauté avec les milliers d’hommes et de femmes réunis sur Unis ; là
encore, tout semble s’être effondré à la venue des deniers survivants et je
suis parti. Me voici ici, dans un espace que je ne connais pas et dont je n’ai
pas la maîtrise. Il a beau sembler parfait, je ne n’y trouve aucun intérêt, il
serait un monde Chaotique, je n’en verrai pas la différence. »

378
Les pensées d’Araméis s’entrechoquent dans sa tête et une force inouïe
monte en lui. Bientôt, il ne se contrôle plus, les années de frustrations émer-
gent en lui comme une marmite sous pression sur le point d’exploser. Il
s’arrête d’un coup, les autres le voient. Il regarde autour de lui, fait le tour
de l’horizon de cette "Terre" parfaite et sans accro. Timi comprend alors,
mais trop tard ce qui se passe en lui, et déjà, tout bascule autour d’eux. Le
sol se met à trembler avec une violence inouïe, le vent se lève et la lumière
s’effondre comme si la tempête soufflait sur l’étoile du jour afin de
l’éteindre. Les trois femmes et les deux enfants sont balayés par l’ouragan
qui s’abat sur eux, le sol s’ouvre par failles successives et bientôt, aucun
humain ne peut rester sur le sol sans se faire emporter par le vent ou le
séisme qui se déploie. Atour d’Araméis, les autres ont disparu, il est le seul
à ne pas se faire emporter, car il paraît être l’épicentre des événements qui
se développent. Son esprit brûle, le capitaine de vaisseau, n’est plus là et
l’être qui a pris sa place est comme un démon. C’est alors que tout se calme
et qu’il peut voir le monde chaotique qu’il avait enfermé en lui et qui se
déploie maintenant tout autour, à perte de vue. Le ciel est devenu pourpre,
l’herbe verte s’est desséchée et l’air est devenu glacial. L’espace verdoyant
n’est plus qu’un monde au relief démoniaque avec des pics, des roches
sombres, du sable et des cailloux se concentrant autour de lui. Des éclairs
jaillissent et une épaisse brume noire envahit le ciel progressivement.
L’espace du Chaos s’installe autour pendant que ses pensées
s’obscurcissent. Il se pense seul et tout puissant devant ce désastre, mais
depuis une crevasse proche de lui, il découvre des mains qui s’agrippent et
au bout, un corps pendu au bord du néant. C’est Timi, qui avait été la pre-
mière à éprouver le monde dans lequel ils ont tous été projetés. Elle
s’extrait de l’abîme pour se retrouver face à Araméis. Timi est la seule qui
puisse se placer devant Araméis, car tombée dans le néant, elle s’en est sor-
tie en découvrant en elle des secrets la plaçant devant une nouvelle réalité.
Une source lumineuse brille en elle comme une parade à toute la démence
qui se déploie. Tout ce qu’elle avait imaginé et réalisé autour d’elle, la nou-
velle Terre, ont totalement disparu, détruits par la folie d’un homme. Il ne
reste plus que le Chaos et au loin, tous deux peuvent voir arriver sur eux
une épaisse brume noire qui paraît avaler tout ce qui se trouve devant, dé-
truisant tout ce qui peut s’opposer au Chaos. S’ils devaient respirer la noir-
ceur du brouillard arrivant sur eux, il est certain qu’ils disparaîtraient à ja-
mais. Timi s’en rend compte et très vite fabrique autour d’elle une protec-
tion l’isolant du gaz lugubre qui arrive comme une vague qui roule sur le
sol. En quelques instants, à l’aide de son imagination et de ses instruments
qu’elle élabore dans son esprit, elle crée une sorte de filtre fait de millions
de cheveux qui la couvrent comme une tente, mais laissent passer l’air à
travers. Timi est sous cette cape brune quand le brouillard noir arrive à leur

379
hauteur. Seul Araméis resté dehors commence à se laisser envahir par le gaz
sombre qui recouvre son corps. Il sent sur lui une odeur étrange de souffre
et de poudre, de charbon brûler ses poumons et il se met à suffoquer et rou-
ler sur le sol. Il perd connaissance un moment avant d’ouvrir les yeux au
cœur du Chaos. Il n’est plus à ce moment sur une planète, même chaotique,
mais bien au cœur du désordre de la vie. Son esprit est au centre du conflit
de l’existence de la vie, désordre inter-cosmique et humain. Pour lui, plus
de planète, ni de ciel ; seulement sa pensée tombée au fond d’un puits entre
le désespoir et la colère. Des rayons se projettent sur lui et l’envahissent,
telles les forces du monde qui emprisonnent son âme dans le Chaos de
l’humanité. Il retrouve ses esprits, ouvre les yeux et se trouve face à un es-
pace où tout est difforme. Il aperçoit près de lui la coiffe brume protégeant
Timi. Il s’en rapproche mais lorsqu’il veut frapper dessus, celle-ci résiste
comme de l’acier ; pourtant à l’intérieur, Timi sent que l’on cogne, à la fa-
çon d’un bélier. Elle se sait protégée, mais pensant à celui qui est à
l’extérieur, elle se rappelle qu’il est celui qui, il y a quelque temps, était
l’homme qui donnait tout aux autres afin de sauvegarder ceux dont il avait à
sa charge. Elle se dit qu’elle ne peut le laisser sombrer dans ce Chaos, le
destin de tous dépend de lui et de ce qu’il pourra découvrir de l’épreuve
qu’il traverse, c’est pourquoi elle décide de sortir de sa protection afin de
pouvoir le ramener à la raison. Elle sort de la coiffe et perd aussitôt
connaissance au contact de la brume noire.
Timi se redresse un peu plus tard, sans savoir combien de temps elle a pu
rester inanimée. Mais autour d’elle l’espace du Chaos s’est encore plus dé-
veloppé car elle voit Araméis se débattre contre la brume ainsi qu’avec les
roches qui tournoient autour de lui, comme des gouttes de pluie. Le ciel est
noir et laisse tomber sur eux des morceaux d’étoiles noires. Du sol, lorsqu’il
marche, il reçoit sur lui des milliers de pierres volcaniques et la matière
pousse autour de lui de manière anarchique. Tout le mouvement qu’elle voit
confirme bien que cet espace n’a rien à voir avec le monde idéal qui était
sorti d’elle. Néanmoins, elle se dit que si elle a eu la force de créer autour
d’elle un monde parfait, il est pareillement possible qu’Araméis puisse aussi
faire un monde raisonnable à sa façon. Timi comprend que si elle le ramène
sous sa coiffe, elle pourrait l’isoler de la vapeur noire et que peut-être qu’il
se retrouvera. Araméis voit Timi devant elle et tente de l’attraper afin de la
faire disparaître, mais elle ne se laisse pas faire. Il la poursuit et il traverse
le dôme de protection qu’elle avait construit. Une fois à l’intérieur, Timi
durcit les parois de son abri, de sorte qu’il ne puisse plus ressortir. Pris au
piège Araméis s’effondre, privé de la brume noire qu’il respirait…

L’espace de la Perfection :

380
Dans son esprit, c’est au début la confusion, il se voit dans l’abîme du
Chaos, tel qu’il avait construit sa vie depuis sa naissance. Il n’est pas le seul
à vivre ainsi et comprend à ce moment que toute la vie humaine est fondée
sur un espace chaotique avec lequel il organise son existence. Et si pour
vivre il avait choisi d’être pilote de vaisseau, c’était pour échapper à cette
impression profonde ; le but qu’il s’était fixé était de sortir du Chaos afin de
trouver la perfection. C’est pourquoi, abandonné sur Trinita avec ses quel-
ques amis, il avait voulu faire une communauté parfaite. La venue
d’Aqualuce avait détruit son idéal du moment et au fond de son être, il ne
lui avait jamais pardonné, même si après il avait pris à cœur d’emmener
tout la nouvelle communauté sur Unis. Le peuple dont il avait la charge
dernièrement était pour lui l’occasion de refaire un monde parfait ; c’est le
but qu’il s’était donné. Tout semblait fonctionner, même s’il savait que la
nouvelle communauté d’Unis attendait un nouveau départ. Son idéal de
perfection le poussait encore plus à rendre sa petite société plus parfaite que
le reste du monde. Maora de retour d’un grand voyage avec Wendy son
épouse, détruisait une fois encore ses espoirs.
Araméis se rend compte de tout cela et comprend maintenant que tout ce
qu’il avait espéré était en réalité basé sur le socle du Chaos ; rien de tout ce
qu’il désirait ne pouvait être définitif. Le Chaos ne peut supporter la perfec-
tion. S’il veut construire le parfait, il doit le faire sur la base du parfait. Son
être en est incapable car son esprit et son corps sont issus du Chaos…
Timi voit Araméis, allongé sur le sol qui paraît souffrir et semble dans un
état comateux et elle sent en lui une souffrance qu’elle peut sans doute allé-
ger. Elle se rappelle la découverte qu’elle avait faite dans l’espace du néant
et s’oriente vers son cœur. Ses pensées vont vers Araméis, la Lumière le
touchera peut-être.
C’est ainsi que, le pauvre homme perçoit en lui une lumière qui frappe son
esprit et lui montre un nouveau monde, un nouvel espace. Il comprend alors
que sa vie, fondée sur le Chaos de l’espace, de l’univers des planètes et des
galaxies n’était qu’illusions. Il perçoit que l’homme a d’autres racines que
ce monde de matière. La force qui le pénètre fait partie de cet autre monde
et c’est alors qu’il s’en sent pénétré comme celle qui avait fait agir Timi,
mais en plus, celle-ci l’entraîne plus loin. Lui qui toute sa vie avait soif de
perfection, découvre qu’il est capable de rendre perfectible ce qu’il a devant
lui, sous condition de ne plus agir à partir de la matière grossière sortant
tout droit du Chaos, alors il ouvre les yeux et se redresse devant Timi :
⎯ La vie n’a jamais été celle que nous croyons connaître. La source de
notre existence n’est pas issue de la matière, elle vient d’un monde sans
limites et sans barrière. Tu m’as éveillé à cela, je dois continuer ce que tu as
commencé.
Timi le regarde, et voit que ses yeux ont changé, il n’est plus le fou qu’elle

381
avait devant elle, bien au contraire. À ce moment, d’une main Araméis
écarte les fibres du dôme protecteur et sortant, il voit autour de lui la désola-
tion du monde du Chaos. Monde investi par le désordre, par les pensées
humaines et toute la monstruosité de la matière malmenée. Là, il sent en lui
l’idée du parfait le pénétrer et de la même manière qu’il a toujours imaginé
le meilleur, il commence à reconstruire ce qui n’aurait jamais dû être perdu.
La matière Chaotique et grossière n’existe que si on la génère en soi. Il suf-
fit de sortir de cette pensée pour l’oublier. La tempête n’a de base que le
déséquilibre des forces de la nature ; la stopper passe par l’ordonnancement
des forces cosmiques et les comprendre est la source de la paix. L’humanité
doit refonder le socle sur lequel elle s’est construite, rien n’est stable, ce
n’est pas étonnant que le monde lunisse se soit disloqué et que nous en
soyons là. La base de la construction de l’univers et de l’homme doit être
fondée sur l’Amour et de la Vie.
Tous ces éléments s’installent en Araméis qui avec la meilleure volonté du
monde n’avait jamais su bâtir son idéal sur autre chose que la matière ordi-
naire. Se découvrant, il sait maintenant comment construire le monde dans
la perfection. Devant lui, à chaque regard qu’il porte sur le monde, le Chaos
disparaît progressivement. Le sol se ressoude, les milliers de roches dispa-
raissent dans le sol, l’horizon s’aplanit, l’herbe pousse, le monde de Timi se
reconstitue de seconde en seconde, de plus, rien ne semble laissé au hasard.
Chaque pierre, chaque arbre paraissent disposés selon un plan précis, lais-
sant voir un ordre harmonique comme une partition de musique. Tout est si
parfait que le regard se laisse porter par la beauté du paysage.
Devant Araméis se déploie "Le monde Parfait"…
Sur une large pierre plate reposent, endormis, Wendy, Jenifer et les deux
enfants d’Aqualuce. Timi se rapproche d’Araméis en lui disant :
⎯ Nous portons en nous deux univers ; un avec lequel nous expérimen-
tons dans le monde et avec lequel nous sommes enchaînés par nos illusions,
un autre que nous ne voulons pas connaître car il casse tous nos désirs.
Mais, il nous appelle depuis le début des temps, il cherche à nous éveiller au
moment où nos larmes coulent du regret d’une vie perdue, la Ressouve-
nance.
Tu as réussi à briser le miroir qui se reflétait devant toi depuis que tu es
homme, Araméis, tu as toujours été pour les autres un bon guide, tu l’as
encore prouvé aujourd’hui.

Tous deux ayant passé l’épreuve qui leur a été fixée dans cet espace, ils se
jettent dans les bras, l’un de l’autre et c’est là que Wendy les voyant parta-
ger grand un moment d’intimité se sent jalouse et le prend aussitôt contre
elle.

382
WENDY, la Mort et la Vie

L’espace de la Mort :

Araméis se retourne et voit son épouse le regardant d’un mauvais œil, hélas,
il ne pense pas à lui dire de mots réconfortants alors que le sang de son
épouse s’échauffe instantanément. Savoir son mari dans les bras d’une autre
la rend furieuse au point de désirer le tuer. Pourtant, l’espace où elle se
trouve avec les autres est à la mesure de la perfection. Cette pensée de mort
la transcende instantanément alors que Wendy avait toujours été la femme
la plus juste et la plus tolérante qui soit. Regardant Araméis et Timi, ses
yeux les foudroient comme des rayons lasers afin de les faire disparaître
instantanément. Aussitôt, le monde parfait qu’elle avait devant ses yeux
s’effondre et disparaît. Dans l’obscurité, elle voit les âmes des deux êtres
s’évader dans l’espace de la mort. Wendy vient de dévoiler devant elle un
nouvel espace que nul homme ne souhaite voir un jour, pourtant, la mort
possède un lieu pour elle que Wendy pénètre maintenant. Pour entrer dans
cet espace, il faut être mort soi-même et c’est là que Wendy voit sa propre
mort se dévoiler à ses yeux. Dans son esprit, le film de sa vie se déroule et
la met devant sa vérité intérieure :
Née d’une mère sans métier et d’un père physicien, elle a grandi dans
l’intérêt de servir les autres par sa mère, et aussi de pouvoir comprendre
tous les mécanismes de l’univers avec son père. Ce mélange des deux
l’avait déterminée à réaliser en elle toutes ces qualités, alors elle avait suivi
la voie de l’espace pour répandre ses dons autour d’elle. Ayant une connais-
sance importante de l’univers des énergies, elle était devenue indispensable
dans un vaisseau spatial pour ordonner les flux éthériques et magnétiques
qui circulent dans tout l’univers. Hélas, tout cela n’était que façade, car elle
voulait devenir mère comme sa mère. C’est ainsi qu’elle portait une grande
frustration dans son âme jusque-là. Que peut être une mère sans enfants ?
Wendy est cela, c’est pourquoi elle porte en elle la mort et la souffrance
depuis bien longtemps. Tout ce qu’elle faisait depuis le début de sa vie
n’était que maquillage de vérité, dissimulation de souffrance par des actions
de bonté et d’amour et cela avait parfaitement fonctionné jusqu’à présent.
De sa vie, elle n’avait jamais versé une larme. Hélas, là, Wendy découvre le
jeu qu’elle a toujours exécuté et qui jusqu’à présent avait toujours trompé
les autres, en commençant par elle. C’est là, devant sa mort qu’elle voit
toute son action passée :
« Oh ! qui puis-je être ? Ma frustration de n’avoir jamais été mère est la
chaîne que je porte depuis longtemps. Qu’ai-je fait il y a un instant en dé-
truisant mon époux et la femme qui l’accompagnait, ai-je détruit des êtres
qui possédaient l’amour ou bien mon propre idéal ?

383
J’ai donné la mort par la colère, mon cœur a ainsi montré sa vraie nature.
Je ne suis qu’un être égoïste, je n’ai toujours pensé qu’à moi et c’est pour
cela que je me suis bandé les yeux, pour ne pas voir ma vérité. Je dois ad-
mettre que ma mère était plus sage que moi et que simple femme au foyer,
elle possédait plus de qualité d’âme. Mes actions spectaculaires de physi-
cienne, de savante ne sont rien en rapport avec celles de ma mère. Elle, au
moins était une véritable mère qui a su donner tout à ses enfants. Ma vie
n’a que peu d’intérêt, mais ma mort en a un, c’est l’essentiel ; celui de dis-
paraître pour que plus aucun être ne soit obligé de se trouver face à moi et
supporter ma différence, mon âme. »
C’est à ce moment que Wendy se voit mourir :
Allongée sur un lit, elle sait que ses dernières minutes sont inscrites dans le
chronomètre qu’elle a devant son esprit. Mourir, cela doit arriver à chacun
un jour, mais presque tous les hommes espèrent voir ce moment reporté une
autre fois ; c’est pour les autres, jamais pour soi, se disent-ils. Hélas, Wendy
sait qu’elle ne peut plus fuir, la mort est toute proche. Le cancer qui la
ronge depuis des mois ne s’est pas évaporé, il a fait de son corps sa rési-
dence principale. Au début, la maladie ne fait pas de bruit, elle est très dis-
crète ; mais, lorsqu’elle a trouvé dans le corps qu’elle a choisi un terrain
idéal et qu’elle a déjà installé dans le pauvre malade des tumeurs et des mé-
tastases, elle peut enfin se faire sentir par le pauvre être. Le cancer ne se
voit que lorsqu’il est installé et qu’il commence à faire souffrir et à ce mo-
ment, c’est bien plus difficile de le déloger. Wendy ne s’écoute jamais, de-
puis qu’elle existe ; lorsque des douleurs étranges l’ont touché pour la pre-
mière fois, elle n’avait pas envie de s’en occuper, car elle a toujours su que
le temps est compté et agir est plus important que de s’écouter souffrir. Ce-
pendant, cette chute dans l’escalier a été révélatrice ; ne pouvant se relever,
elle a attiré vers elles les médecins qui avaient devant eux un malade en
puissance ; la maladie n’attendait que cela…
C’est pourquoi Wendy se dit encore :
⎯ Si je n’étais pas tombée, personne ne m’aurait trouvé de cancer, je
suis certaine que je courrais encore dans mon jardin aujourd’hui. Il n’y a
que les médecins pour vous trouver des maladies…
Hélas, Wendy sait en vérité qu’on n’échappe pas à son destin, elle sait que
la maladie n’attend pas les médecins pour s’installer dans un corps que
l’âme appelle au changement. C’est ainsi que dans sa chambre, allongée
dans son lit, ayant beaucoup de mal à respirer, sentant son cœur avoir du
mal à trouver un rythme régulier, la gorge sèche, la vue floue ; c’est ainsi
qu’elle sait qu’elle va mourir. Mais, Wendy n’est pas triste, bien au
contraire, car…

L’espace de la Vie :

384
Autour d’elle, elle perçoit et elle entend ses enfants lui dire encore des mots
d’espoir. Ce n’est pas ce qu’ils disent qui la rassure, mais de les savoir près
d’elle et penser que tout ce qu’elle a pu donner dans la vie a servi à faire des
enfants débordants d’amour et de sagesse. Elle a fait d’eux des combattants
pour la lumière et de la vie, bien plus parfaits qu’elle et son époux. Pour-
tant, lorsque Araméis a disparu il y a déjà quelques années, il avait toutes
les qualités d’un grand sage. Ses deux enfants sont autour d’elle, c’est sa
plus grande joie et elle sait pourquoi ils sont ici aujourd’hui, pourquoi ils
ont pu naître. Elle trouve la force de leur dire ces derniers mots :
⎯ Ne craignez pas la mort, elle n’aura jamais d’influence dans votre
vie, tant que vous donnerez aux hommes la vérité et la lumière que vous
avez dans votre cœur. J’ai souffert avant de vous avoir, mais vous êtes mes
lumières et je pars avec cela dans mon monde.
Quelques instants plus tard, Wendy expire à jamais. Elle s’éteint laissant sur
ses lèvres un sourire. Ses derniers moments de conscience au-delà de sa
mort lui rappellent qu’elle avait il y a bien des années entrevu sa mort dans
un espace particulier, c’était l’espace de la Mort…
Wendy se voyant mourir comprend que sa vie n’est pas finie ; deux enfants
sont arrivés derrière cette expérience douloureuse.
Savoir qu’elle aura deux enfants dans le futur la réconforte et lui donne
l’idée que la Vie existe de façon plus positive que ce qu’elle imaginait. Hé-
las, elle se voit encore foudroyer son époux et son amie Timi et elle ex-
prime le plus grand dégoût d’elle-même. Comment a-t-elle pu agir ainsi,
l’irréparable est derrière elle. Relevant les yeux, elle comprend néanmoins
que l’espace de la mort est un passage ; Peut-être a-t-elle la possibilité de
faire différemment depuis le début. Elle se dit :
⎯ Et si je pouvais ouvrir l’espace de la vie ? C’est peut-être ce que je
devais comprendre en voyant ma mort future. Je me souviens que lorsque
j’ai vu Timi et Araméis se tenir l’un contre l’autre, nous étions dans un
monde si parfait que je ne pouvais m’y maintenir, c’est pour cela que j’ai
voulu les tuer. Mais je crois comprendre que ce n’est pas eux que j’ai tués,
mais moi qui me suis expulsée de l’espace où je me trouvais avec eux. Pour
les rejoindre, il faut que je fasse autour de moi un espace de vie, un monde
où mes futurs enfants puissent vivre. J’ai vu la mort et ce que j’étais. Je
comprends mes erreurs et mes défauts, autant j’ai appelé la mort autour de
moi, autant je dois appeler la vie vers mon être et vers les autres.
Elle fait une rétrospection sur sa vie et accepte les effets de sa personnalité
et comprenant le mécanisme qui avait fondé sa vie depuis son enfance,
Wendy voit alors comment changer le monde.
D’abord, vider son esprit de ses principes qui faisaient sa vie, accepter de se
voir telle qu’elle est et laisser en elle pénétrer une force nouvelle lui dictant

385
son avenir et sa direction. Elle doit en quelques instants, faire un bond en
avant qu’un homme ne réalise en général que sur plusieurs générations.
C’est ainsi qu’aussitôt, elle se retrouve face à une marche qu’elle doit fran-
chir afin de basculer vers l’espace de la vie.
Donner la vie pour une femme est l’acte le plus merveilleux qui soit, mais
aussi celui qui peut lui amener la plus grande souffrance. Donner la vie
passe obligatoirement par la douleur, c’est même une condition sine qua
non. Wendy l’avait vu autour d’elle durant toute sa vie, mais, dans un es-
pace où ne flotte que sa conscience, elle ne s’attend pas à subir l’épreuve
comme une future maman.
Pensant de toutes ses forces à ses amis, son mari, les hommes de la Terre,
les Lunisses perdus dans l’espace et tous ceux qui souffrent, elle imagine
pour tous l’espace de la vie, où ni le Néant, ni le Chaos ni la Mort n’ont leur
place. Son espoir de voir devant elle un tel monde est si fort qu’elle se vide
intégralement de sa substance vitale au point de sentir son âme disparaître
totalement, au point d’en provoquer une terrible douleur. Son corps est saisi
d’une décharge électrique si vive et soutenue qu’elle sent sa raison se déchi-
rer sans pouvoir hurler, tant la vie qu’elle extrait de ses entrailles lui prend
toute sa force. Cela dure un moment indéfinissable, mais d’un coup, la vie
se libère de son corps pour s’épandre autour d’elle, comme une dimension
nouvelle prenant sa place dans un nouvel espace. Vidée de sa force, elle
voit alors devant elle la vie dans toute sa splendeur, le monde parfait,
l’espace de la Vie. Alors, elle se retrouve dans l’espace parfait qu’elle avait
voulu détruire, elle voit devant elle tous ses amis. Araméis et Timi, prati-
quement à la place où elle pensait les avoir tués. Sans tarder, Araméis se
rapproche d’elle pour la prendre dans ses bras et aussitôt Wendy ressent
pour de vrai les effets de la vie sur elle et verse les larmes qu’elle retenait
depuis si longtemps. Lorsque son époux la voit ainsi, il comprend qu’il n’a
plus la même femme…

Devant tout le groupe, le paysage est toujours le même ; le but qu’ils se sont
fixés d’aller jusqu’au dôme noir n’a pas varié. Les enfants et tous les autres
reprennent leur longue marche afin d’atteindre leur but dès que possible ;
c’est ainsi qu’ils continuent durant cinq jours sans voir s’approcher le dôme
noir qu’ils visent depuis des jours…

JENIFER, l’espace de la Rupture et de l’Union

Les enfants sont courageux, ils suivent les adultes sans broncher, pourtant,
voilà dix jours qu’ils se sont fait happer par ce monde étrange. Tous passent
par des phases curieuses lorsque l’un d’eux s’emballe, comme c’est arrivé à
Timi, Araméis et Wendy. C’est comme s’ils dormaient durant ces moments-

386
là, sans rêves et sans souvenir. Aucun d’eux ne sait vraiment ce qui se
passe. La seule chose que tous ont comprise, c’est qu’ils sont dans un
champ d’expérimentation très étrange, à la limite de l’irrationnel et hors du
monde conventionnel. La seule femme qui cherche encore une relation en-
tre ses connaissances et cet espace particulier, c’est Jenifer qui pense que
les mathématiques doivent s’appliquer à ce monde comme aux autres. C’est
pourquoi lorsqu’elle marche ou se repose, elle tente de trouver une solution
mathématique à tout son environnement. Elle est persuadée que si elle
trouve, cela pourrait remettre en ordre tout l’espace ; une équation pourrait
être la solution de tous les problèmes, comme l’avait fait Adiban pour le
voyage dans l’espace. Aujourd’hui, personne n’ose la déranger, car chaque
jour qui passe la rend de plus en plus irascible, mais là, une goutte d’eau fait
déborder son esprit trop plein, car Araméis lui pose une question qu’il de-
vrait taire s’il en soupçonnait les conséquences :
⎯ Pourquoi t’obstines-tu à vouloir trouver le rationnel dans cet univers
si parfait ; ne devrais-tu pas laisser les choses faire sans t’attacher à com-
prendre ?
L’esprit de Jenifer se met instantanément à bouillir ; entendant cette remar-
que et ne tenant plus, elle lui lance tout ce qu’elle porte en son esprit depuis
qu’elle a quitté Wegas, son époux :
⎯ L’univers est tenu par une loi unique que nous appelons la loi de la
gravité. Tous les mécanismes qui circulent dans l’espace y sont attachés. La
lumière, le magnétisme, l’électricité, les atomes, les électrons, les neutrons,
les photons, tous les éléments de la matière et de l’antimatière sont attachés
à celle loi. De là, les mathématiques tiennent leur origine. S’il n’y avait pas
de gravité, il n’y aurait pas de mathématique. Sans la gravité, un et un ne
feraient pas deux, car ce n’est que parce que les deux "un" peuvent se rap-
procher par la loi de gravitation qu’ils s’additionnent. Le problème de ce
que nous vivons dans ce monde, c’est que je ne peux même plus additionner
un et un. Tu n’y as peut-être pas pensé, mais si tu regardes autour de nous,
rien ne peut s’assembler. Il manque un élément à cet espace. Je peux te le
dire, car j’ai tout observé depuis que nous sommes ici. Le dôme noir que
nous convoitons ne s’approche pas malgré notre marche quotidienne, nous
sommes isolés les uns des autres, personne n’a encore réussi à raisonner de
façon collective. Chacun de nous pense dans son coin, avec ses propres
intérêts. Nous sommes tous égocentriques, moi la première. Même les en-
fants ne paraissent plus jouer ensemble, ils marchent tête baissée, sans poser
de questions. Timi reste seule, tu ne t’occupes pas de Wendy alors que tu es
marié avec elle. Ce monde paraît parfait, mais il lui manque une logique et
c’est cela que je cherche depuis des jours. Nous sommes comme des âmes
isolées sur des planètes, chacun la sienne. Je crois que si tu fermes les yeux,
tu vas vite trouver ta planète et comprendre comme tu es seul. Faites

387
comme moi, fermez les yeux…

L’espace de la Rupture :

Araméis, sourit un peu au fond de lui, mais fait ce qu’elle lui suggère.
Alors, il ferme les yeux comme elle.
À peine Jenifer ouvre-t-elle ses yeux, qu’elle ne retrouve pas le monde de
ses amis, mais, posée sur une planète comme le petit prince, elle se retrouve
seule. Aussitôt, elle sent en elle la force de son corps agir sur elle comme si
elle s’alimentait et vivait de sa propre énergie. À ce moment, son esprit
retourne ses pensées vers son intérieur et elle se met à penser à sa position
dans l’univers qu’elle connaissait si bien, lorsqu’elle vivait sur Lunisse. Son
être entier s’est construit sur ce qu’on lui a appris de la vie, telle que ses
professeurs et ses parents lui avaient montré, lui présentant le bien et le mal.
Le mal était l’inconnu, alors que le bien était tout ce que Lunisse avait éta-
bli ; cela passait par la morale et aboutissait au travail, gloire de l’être ac-
compli. Dépasser les autres, être la première semble être l’aboutissement de
sa vie. Tous ceux qui l’entourent ne sont que des appuis afin d’arriver. Cela
devient évident et la tête lui tourne, il est compréhensible que le monde
dans lequel elle était avec Araméis et les autres ne puisse fonctionner. Ce-
pendant, Jenifer n’a pas encore touché le fond de l’expérience et elle
s’effondre dans un espace très particulier :
Sur la petite planète qui l’accueille, elle se retrouve entièrement nue et c’est
alors qu’elle sent en elle la douleur de son corps la tirer de tous côtés, ses
membres vibrent et elle voit ses doigts se détacher de ses mains. La douleur
est terrible pour elle, mais ce n’est pas terminé, car vite, ses bras s’arrachent
de son corps, ne laissant plus que des épaules sanglantes. Ses deux membres
tournent alors autour de sa petite planète et la douleur devient à peine sup-
portable. Mais son démembrement n’est pas fini car ses pieds s’arrachent de
son corps et volent au-dessus d’elle. Les jambes suivent, ce n’est plus
qu’une femme tronc ne pouvant même plus ramper sur le sol. Alors, son
abdomen se fend en deux et laisse échapper ses viscères qui s’envolent dans
l’air de la planète. Démembrée, vidée de son corps, elle arrive à sentir son
esprit résister à la mort. Alors, ses poumons s’arrachent de son thorax tandis
que son cœur seul reste attaché, jusqu’à l’instant où sa tête se déboîte et part
avec tout ce qui restait de sa conscience humaine. Cependant le cœur reste
seul, avec autour de lui les membres et les organes flottants autour de la
micro planète ; le seul organe paraissant encore battre, comme l’unique
reste d’une vie éclatée en morceaux.

L’espace de l’Union :

388
Un cœur battant seul, sans alimenter de membres ou d’organes, ne sert à
rien et ne demande qu’à s’éteindre. Mais, curieusement la tête n’étant plus
là, c’est ce muscle précieux qui se met à penser :
⎯ Mais qu’a-t-on fait de mon corps, pourquoi est-il démembré, pour
quelle raison suis-je seul autour de ces morceaux flottant dans l’espace ?
Le pauvre cœur de Jenifer se sent bien seul, ainsi arraché à tout ce qui fai-
sait son magnifique corps de femme. S’il avait le pouvoir de pleurer, il se
noierait dans ses larmes, mais cela ne le ramènera pas à la vie. Pour pouvoir
revivifier un corps, il faudrait qu’il puisse attirer à lui des forces à l’inverse
de ceux de la rupture ; des forces d’union. Mais, comment les trouver se
demande la pauvre conscience ?
C’est alors que l’idée que soufflait Jenifer à Araméis vient à l’esprit du
cœur :
⎯ La loi de gravitation, la seule force magnétique capable de rassem-
bler toutes les matières ensembles ; deux masses s’attirent toujours l’une
vers l’autre, c’est ce qu’il faut savoir car c’est une loi universelle. Pour acti-
ver la loi de gravité sur des morceaux qui flottent dans l’espace autour de la
planète, il est indispensable que la polarité de ce qui m’entour soit synchro-
nisé par une même force.
L’esprit du cœur cherche alors à quelle force il doit s’attacher pour que la
gravité agisse dans son univers. Il lui faut un moment pour comprendre,
enfin il lui vient une révélation :
⎯ Deux êtres qui s’unissent, le font par amour, c’est la première loi que
les hommes connaissent. La gravité et l’amour ne sont qu’une force, pris
sous un angle différent. C’est cela qu’il faut comprendre. L’amour rassem-
ble, la haine est une rupture, qui en est l’inverse. L’égocentrisme est une
force de répulsion, comme la haine. L’amour est la seule solution au mal
qui touche l’humanité. Pour attirer le reste des morceaux qui tournent au-
tour de la planète, il faut les aimer, projeter leur image dans le fond de ma
conscience, comme s’ils vivaient déjà dans le fond de mon être.
C’est alors que le cœur se met à imaginer en lui l’être entier et à aimer tout
ce qui le constitue. Cette projection devient si forte qu’il arrête de battre
d’un coup et que les morceaux du corps de Jenifer se rassemblent autour du
cœur et progressivement se ressoudent les uns aux autres. Par amour, le
cœur reforme l’unique corps de la pauvre femme. Se relevant du sol de la
petite planète, Jenifer ouvre les yeux et réalise combien l’amour est le pilier
de l’humanité. À ce moment, son cœur se met à battre fort à l’intérieur de sa
poitrine, mais elle n’a pas terminé son ouvrage pour autant. Debout sur sa
planète personnelle, elle voit autour d’elle d’autres planètes sur lesquelles
repose chacun de ses compagnons de voyage ; Araméis, Timi, Wendy, Cé-
leste et Cléonisse, les deux enfants, tout seuls sur une planète. Elle se dit
qu’elle doit les ramener à elle, sur un même astre. Alors, elle projette en elle

389
l’amour pour tous, s’oubliant totalement, afin que tous s’unissent dans une
même pensée, sur un astre unique. Les planètes s’arrêtent toutes de tourner
sur elles-mêmes et commencent à se rapprocher les unes des autres. C’est
ainsi que les six planètes se pénètrent et entrent en fusion. C’est à ce mo-
ment qu’un éclair violent foudroie Jenifer qui s’effondre sur un sol sans
fond…

⎯ Reviens à toi, Jenifer, ce n’est pas le moment de partir, les éléments


bougent autour de nous. Je ne sais pas pourquoi tu m’as fait fermer les
yeux, mais pour toi, ça ne t’a pas vraiment réussi. Regarde, on a
l’impression que les astéroïdes tombent du ciel en grande quantité ; il a dû
se passer quelque chose dans l’atmosphère. Je ne sais pas pourquoi c’est
arrivé d’un coup.
La pauvre femme se relève avec difficulté, mais voyant que la planète sem-
ble attirer vers elle de nouveaux éléments, elle comprend que son rêve n’en
n’était pas nécessairement un. Quelque chose a changé autour d’elle ; la
planète a toujours cet aspect parfait et idéal, mais ce qui est différent, c’est
le regard que chacun a vers les autres. Tous semblent rayonner un amour
vers leur prochain comme elle se l’était imaginée, afin de se rassembler les
uns vers les autres. La loi d’amour, pour tout unir, une loi de gravitation
pour ne former qu’un seul à la fin. C’est ce qu’il manquait au groupe pour
continuer son voyage vers le dôme noir…

Araméis regarde leur objectif et constate qu’il s’est approché. Plein d’espoir
il dit aux autres :
⎯ Il ne nous reste plus que quelques heures avant d’être arrivés.
Cela dit, ils reprennent la marche, mais les heures s’allongent si vite
qu’elles deviennent rapidement des jours et Céleste commence à montrer
des signes d’impatience et de fatigue…

Céleste, l’espace Temps et l’éternité

Un très jeune enfant ne pourrait normalement accepter tout ce qu’ils vivent


dans cet espace, mais aucun des deux n’a versé une larme depuis leur dé-
part. Le jeune garçon commence maintenant à montrer des signes étranges
de nervosité. Le long de la marche qui le rapproche du dôme noir, il devient
désagréable avec sa sœur. Peut-être faut-il le comprendre, la séparation
d’avec sa mère doit lui peser. Sa sœur ne supporte plus sa façon d’agir et
elle lui dit :
⎯ Mais, Céleste, je ne comprends pas pourquoi tu t’en prends à moi,
cela ne fera pas avancer les choses, de me considérer comme une idiote.
Nous n’irons pas plus vite pour rejoindre le dôme noir, il nous faut du

390
temps pour y arriver…

L’espace Temps :

⎯ Le temps, ma chère sœur, est une mesure que je connais bien et je ne


le perds pas à te dire que tu ne connais rien à tout cela. En moi, je peux
l’allonger ou le réduire dans l’espace ; le temps est une dimension élastique.
Si je veux, je peux allonger notre marche de mille ans et la distance de mille
lieues, ça m’est très facile.
⎯ Je voudrais bien voir ça, je crois que tu deviens trop prétentieux, tu
crois que c’est le moment de t’amuser à me faire peur ?
⎯ Je sens que j’ai au bout des doigts des pouvoirs qui ne demandent
qu’à sortir ; depuis que nous étions à l’école, je me retenais, mais là, c’est
trop, je ne peux plus !
⎯ Mais qu’est-ce que tu veux dire ?
⎯ Non, ce que je veux faire !
La petite fille voyant son frère vouloir changer le temps se précipite vers lui
et le fait tomber sous les pieds de Timi, mais celui-ci a le temps d’étendre
ses bras autour et allonger les doigts. Aussitôt, des éclairs en jaillissent vers
l’horizon et tout ce qui se trouve dans son rayon sur des kilomètres reste
gelé dans le temps. Au regard des autres cela se traduit par un assombrisse-
ment du ciel, la lumière reste figée comme si les photons ne bougeaient
plus. Les distances s’allongent comme si la planète avait grossi mille fois.
Le temps ralentit si fort que les quatre femmes et l’homme qui est avec eux
paraissent ne plus bouger, comme s’ils étaient gelés dans le temps. Seuls
Céleste et sa sœur ne semblent pas avoir été pris par le ralentissement du
temps.
⎯ Regarde ce que j’ai fait, tu vois, pour que Timi et les autres arrivent à
faire un pas, pour nous, il se sera passé un an, le soleil de cette planète
n’aura pas bougé et nous aurons tout le temps qu’il faut pour jouer. Le
temps ne semble plus exister, mais au contraire, il est plus puissant
qu’avant. Tu vois, c’est facile, je suis certain que tu n’as rien compris et que
tu te demandes encore comment j’ai pu faire ?
⎯ Tu es fou, Céleste, je me fiche de savoir comment tu as pu réussir ce
truc. Que veux-tu faire dans un monde dont le temps ne s’écoule pas,
qu’allons-nous devenir si plus rien ne bouge autour de nous, y as-tu réfléchi
?
⎯ On va pouvoir jouer et s’amuser tous les deux ; sans les adultes, on
est bien, tu le sais.
⎯ Mais s’ils ne vieillissent pas, nous on va grandir pendant tout ce
temps. Ils auront fait dix pas alors que nous aurons vieilli de dix ans. Lors-
que nous aurons quatre-vingts ans, ils n’auront vieilli que d’une minute. Tu

391
penses que c’est bien ?
Et lorsqu’ils auront fait un kilomètre, nous ne serons plus que des cendres
dispersées sur toute la surface de la planète ; nous serons morts depuis mille
ans. Te rends-tu compte de ce que l’on va devenir ici ?
Déjà, je ne sens plus la chaleur de l’étoile qui nous éclaire, la lumière s’est
tarie et nous ne pourrons bientôt plus rien faire car bloqués dans un temps
illimité, nous ne sommes plus que des ombres.
⎯ Nous avançons à la vitesse de la lumière pour les autres, nous pou-
vons être partout et nous déplacer si rapidement que nous pouvons agir par-
tout.
⎯ Lorsque nous mourrons, maman n’aura pas encore accouché des
deux bébés qu’elle porte dans son ventre. Le temps et l’espace sont des no-
tions très souples, mais si nous ne les maîtrisons pas, cela se retournera
contre nous. Je me sens déjà glacé comme si ma force m’abandonnait tota-
lement. Crois-tu que l’espace et le temps soient le lieu le plus adapté à notre
survie ?
Mis à part mourir, qu’avons-nous à y trouver de bien. Je crois que nous
devrions quitter cet espace pour en trouver un autre nous permettant de
pouvoir vivre avec les autres et de ne plus à avoir ni trop froid, ni trop
chaud. Un monde sans limites et où le temps soit aboli pour toujours. Fais-
nous rentrer là où nous étions tous ensemble.
⎯ Mais, je ne sais pas, j’ai juste appris à détendre le temps et l’espace,
le reste, je ne sais pas faire.
⎯ Comment ça, tu ne sais pas faire, alors que tu te vantais de connaître
toute la magie du temps et de l’espace il y quelques minutes ?
⎯ Je pensais que de manipuler le temps suffisait à pouvoir nous rappro-
cher de maman.
⎯ Je ne sais pas si tu nous as rapprochés, mais tu nous as séparés des
autres en faisant cela. Nous devons chercher une solution tous les deux.
Le petit garçon se met alors à pleurer, mais sa sœur le connaît trop bien et
finalement, se rapproche de lui afin de le consoler.
⎯ Ne t’en fais pas, Céleste, peut-être me serais-je emballée comme toi
si tu ne l’avais pas fait. Ne t’inquiète pas, nous nous en sortirons…

La petite fille reste optimiste, mais elle ne sait pas ce qu’ils ont devant eux,
car l’espace-temps est une dimension dans laquelle se sont perdus les hom-
mes depuis des éons. La journée passe pour eux comme dans l’attente, mais
à la fin, ils voient que rien n’a changé autour d’eux, et la lumière de leur
soleil ne s’est pas tarie. Les trois femmes et l’homme qui sont avec eux
n’ont pas bougé, il leur est impossible de les bouger, ou les toucher, un
écran magnétique semble les séparer alors qu’ils peuvent les voir. Comme
le disait Céleste, ils ne sont plus dans le même espace. À la fin, les deux

392
enfants tombent d’épuisement et s’endorment. À leur réveil, c’est encore la
même chose alors plus tard, ils décident de reprendre leur marche, seuls
vers le dôme noir.
⎯ Tu peux être certain, Céleste, que nous pouvons aller jusqu’au dôme,
il parait tout de même assez loin ?
⎯ Je crois que si nous y allons, les autres n’auront pas beaucoup avan-
cé, nous ne risquons pas grand-chose !
C’est ainsi que les deux enfants entament une marche vers ce fameux dôme
détenant peut-être la solution à leur problème. Le chemin qu’ils commen-
cent parait à leur portée, mais après s’être arrêtés à plusieurs reprises afin de
se reposer, ils voient qu’ils n’ont pas vraiment progressé. Pour éponger leur
fin, ils cueillent des fruits sur les arbres, mais, à chaque fois, ils s’étonnent
que les pépins et les trognons qu’ils lâchent ne tombent jamais sur le sol,
mais paraissent immobiles dans l’air. Cléonisse comprend immédiatement
que le temps de ses fruits n’est pas le même que le leur ; s’ils sont dans le
même espace que leurs amis, leurs déchets mettront trois mois à toucher le
sol.
⎯ Céleste, regarde, tout ce qui est autour de nous n’est pas dans notre
espace. Et si nous avions tous les deux accéléré de cent mille fois notre
temps, cela voudrait dire que nous mourrons avant les autres et que nous
allons vieillir très vite.
⎯ Si c’est le cas, nous allons rester là, sans rien pouvoir faire, sans ja-
mais revoir nos amis.
Les deux enfants se regardent et se questionnent. L’expérience donne vite
raison à Cléonisse car plusieurs dizaines de jours plus tard, ils sont encore à
marcher vers un dôme qui parait s’éloigner à chaque pas. Leur esprit change
déjà…
La vie peut paraître courte pour certains et longue pour d’autres.
Mais pour ces deux enfants, cette spirale dans le temps ce creuse de façon
incroyable car les années passent, ils ont bientôt vingt ans. Cléonisse est une
jolie jeune fille aux cheveux très longs et Céleste un jeune homme robuste.
Ils se sont construits avec les matériaux qu’ils ont pu trouver, une cabane
dans laquelle se cacher de la lumière afin de dormir pour feindre la nuit.
Leur vie s’est réduite à contempler le ciel, compter les cailloux ou se ra-
conter des histoires. Sur le sol, Cléonisse écrit des livres alors que Céleste
dessine des fresques. Hélas, treize ans passés enfermés dans une prison sans
murs est pire qu’être détenu dans un cachot ; là où ils sont, aucun gardien,
aucun espoir de sortie.
Leur esprit a changé, ils se sont habitués à vivre ainsi. Pour eux, les autres
n’existent plus, leur civilisation est un passé si lointain, qu’ils ont tout ou-
blié. La vie s’écoule dans leurs veines comme une rivière coule le long de
son lit sans s’occuper du lendemain…

393
Et les années passent encore plus vite, à soixante ans, ils ont construit dans
leur univers un monde complet ne faisant que la dimension de leur esprit.
Même s’ils étaient pleins de vie et d’espoir en arrivant ici, ils ont oublié tout
leur passé. Les habitudes se sont installées depuis des années, ils ont oublié
leurs dons, leurs rêves et tous leurs amis ; même leur mère a disparu de
leurs souvenirs. Ce qu’était la jeune Cléonisse n’est plus, c’est une femme
ridée avec des cheveux gris et sales. Elle a perdu une grande partie de son
langage, car elle n’a que son frère comme compagnon. Toutes les histoires,
les romans qu’elle écrivait sur le sable ont disparu, piétinés par les années, à
croire que sa vie a toujours été là et que son but n’est que d’attendre la
suite. Même la mort ; elle a oublié, elle n’en connaît même pas l’existence.
Pour elle, sa vie est sans fin car elle n’a aucun souvenir du début…
C’est ainsi que tous deux se retrouvent au seuil des quatre-vingts ans…

L’Éternité :

Ce soir qui semble éternel, la vieille femme est allongée sur sa couche. Elle
est malade, la vieillesse a fait son œuvre sur d’elle toutes ces années et son
frère qui la veille, voit qu’elle n’a plus la force, comme si elle devait dispa-
raître. Le temps où ils étaient de jeunes enfants est si loin qu’ils l’ont tous
deux oublié, les seuls souvenirs de leur passé sont les images du temps où
sur cette planète, il faisait encore jour et l’étoile qui les éclairait était encore
visible. C’est pourquoi dans la douleur de la maladie, Cléonisse rappelle à
son frère :
⎯ Te rappelles-tu la lumière lorsqu’elle était encore avec nous ?
Dans la tête de son frère, cette parole résonne comme un souvenir et il lui
répond des mots qu’elle n’attend pas :
⎯ La lumière ? C’est étrange, cela me rappelle des souvenirs bien trop
lointains dans ma mémoire.
⎯ Dis-moi lesquels, mon frère. Je n’ai plus de souvenir et je sens le
fluide de ma vie s’évaporer si vite qu’elle va bientôt s’éteindre ; fais-moi
revivre tes souvenirs, afin que je parte heureuse.
⎯ Non, tu ne partiras pas, je n’ai que toi pour vivre.
⎯ S’il te plaît !
Céleste revoit dans sa mémoire l’image d’une mère qui rayonnait à elle
toute seule, plus que toute la lumière que l’étoile leur avait un jour donné. Il
la revoit plus clairement maintenant et des souvenirs ressurgissent progres-
sivement de sa mémoire. Il raconte à Cléonisse :
⎯ Lorsque nous étions enfants, maman avait des yeux si profonds que
lorsqu’elle nous regardait, nous en sentions toute la chaleur. Elle n’avait
qu’une idée, celle de nous apprendre la lumière qui la guidait, afin que nous
prenions sa suite plus tard et que nous puissions montrer aux autres enfants

394
que le monde dans lequel nous vivions n’était pas celui de la vie, mais le
monde de la mort. Elle nous disait toujours que la vie était dans la lumière
et que pour la trouver, nous devions laisser derrière nous le temps et
l’espace car nous étions voués à vivre dans un autre espace qu’elle appelait
l’éternité. Je me rappelle bien, ça me revient maintenant.
⎯ Mais, si maman disait cela, pourquoi n’est-elle plus avec nous, ra-
conte-moi la suite, pendant que j’en ai encore la force.
⎯ Maman avait construit une école pour nous et d’autres enfants. Mais
elle dût partir avant que l’école ouvre ses portes. Je me souviens mainte-
nant, il y avait d’autres enfants, ils venaient de tous les pays de la terre.
Tous étaient doués, tous avaient des pouvoirs extraordinaires, et nous aussi.
Je me souviens de toi, tu semblais posséder la même sagesse que maman, tu
étais douée.
⎯ Mon pauvre, je ne me souviens même plus, mais continue, j’aimerais
que tu me décrives maman, si tu t’en souviens.
⎯ Sœur, la mémoire me revient au moment où je te raconte tout cela.
Elle était grande comme toi, elle avait les cheveux blonds et avait des taches
de rousseur sur tout le visage. Je me rappelle maintenant, elle était partie de
la maison avec papa pour faire la guerre à l’ennemi du monde qui se trou-
vait à l’autre bout de l’univers. Cette guerre faite dans l’espace était arrivée
jusqu’aux portes de notre école. Tout me revient, je me rappelle.
⎯ Dit moi, vite, je n’ai plus la force de t’écouter.
⎯ Nous avons rejoint maman sur la planète où elle était. Nous étions
avec ses amis, nous nous sommes égarés, sur une, une…
⎯ Dis-moi !
⎯ Nous nous sommes égarés sur cette planète. Maintenant, j’y suis !
⎯ C’était ici, sur cet astre. J’étais pris d’une grande nervosité, c’était
peut-être à cause de l’atmosphère que nous respirions. J’ai cru pouvoir
changer le cours des événements, alors que je n’étais qu’un enfant. J’avais
en moi la force de changer le temps et je l’ai fait. J’ai ralenti le temps pour
les autres. Pour nous deux, il s’est accéléré. C’est de ma faute si tu es ma-
lade aujourd’hui, je n’ai pas été prudent, je ne savais pas que jouer avec le
temps et l’espace pouvait tuer notre vie.
Céleste comprend ce qu’il a fait, mais lorsqu’il le découvre, c’est trop tard,
Cléonisse, sa sœur vient d’expirer. La voyant morte, il s’effondre sur elle,
pleurant comme un enfant malgré ses quatre-vingts ans. Il comprend qu’il a
gâché leurs deux vies. Il ferme les yeux un moment, pensant à lui-même,
puis à sa mère. Ouvrant les yeux, il voit immédiatement que le corps de sa
sœur a disparu. Dès lors, il se rappelle avoir laissé trois femmes et un
homme plus haut et décide vite de les rejoindre pour voir s’ils sont encore
là, vivant à l’extrême ralenti. Lorsqu’il arrive, ils n’ont pas progressé depuis
qu’il les a quittés avec sa sœur. Figé sur place, il se questionne un moment

395
et se dit qu’il faut les libérer.
Ce mot, "Lumière", que Cléonisse avait éveillé dans sa mémoire ravive ses
pensées. Il se rappelle du moment où il avait bousculé le temps et un phé-
nomène étrange le porte hors de sa pensée et de son corps :
Devant lui, l’espace s’ouvre à l’infini tandis que le temps lui en démontre le
néant et le Chaos. C’est bien un monde mort qu’il a devant lui, un univers
désuni et individualiste. Il comprend que pour redresser tout cela, il faut y
opposer l’éternité. Il se dit que s’il a su créer dans son espace le temps. Il
saurait peut-être retrouver l’éternité. C’est ainsi qu’aussitôt placé devant sa
conscience, il sent en lui un lieu pur, comme un espace ne faisant pas partie
de sa vie ; c’est alors qu’il se sent devenu un intrus dans le fond de son
cœur.
Au centre, un foyer de lumière s’écoule et c’est là qu’il comprend que s’il
prend cette lumière pour la placer au centre du temps, il le fait disparaître
pour toujours. C’est ce qu’il aurait dû faire le premier jour où il avait été
confronté à l’utilisation du temps sur les hommes.
Céleste laisse la lumière circuler dans tout son être, et place les rayons au
centre de la roue qui tourne dans son être et qui symbolise le temps dans
l’espace de la vie de tous les hommes.
C’est alors que tout s’arrête. La vie se fige, plus rien ne bouge, plus rien
n’existe et à ce moment, une formidable explosion se propage autour de lui,
mais au lieu de partir vers l’extérieur, elle ramène tout en son centre,
comme pour tout replacer en son début, comme à l’origine.
L’éternité prend la place de l’espace-temps.
C’est ainsi que tout se met à tourbillonner et que le corps de Céleste est
aspiré et d’un coup, retombe lourdement sur le sol…

Manquant de se faire piétiner par Timi qui pose une de ses bottes juste à
côté de son visage, le jeune garçon se redresse. La femme est surprise :
⎯ Mais que fais-tu sous mon pied, que s’est-il passé ?
Il se redresse et voit sa sœur allongée sur le sol, complètement étourdie.
Dans sa tête, il pense avoir rêvé, il a en mémoire une vie entière passée sur
cette planète avec le souvenir de la souffrance, la vieillesse et la mort. « Ce
rêve est trop long » pense-t-il, mais Cléonisse reprend ses esprits et lui dit :
⎯ Tu as trouvé le secret de l’éternité, tu as vaincu le pouvoir du temps.
Je comprends maintenant ce que voulait de nous toute notre vie passée ici.
Aussitôt, les deux enfants se prennent dans les bras et se câlinent comme
s’ils s’étaient quittés depuis des siècles. Les autres autour d’eux ne com-
prennent pas ce qu’il leur arrive car pour eux le temps n’a été que qu’une
foulée. Mais lorsqu’ils relèvent les yeux, ils voient tous que le dôme noir est
devant eux, quelques centaines de mètres les séparent. L’espace d’un ins-
tant, l’inaccessible est à portée de leurs mains. Tous s’arrêtent pour com-

396
prendre et le jeune Céleste leur raconte ce qu’il a vécu avec sa sœur. Wen-
dy, a acquis une grande sagesse tout au long de sa quête, comprend ce qu’ils
ont fait et tire les conclusions de leur aventure :
⎯ Depuis que nous sommes ici, chacun vit une expérience dramatique
de la matière et en même temps en comprend la résonance dans son esprit.
Céleste a trouvé la clef qui peut nous guider jusque à un autre monde, tout
comme nous autres l’avons fait. Nous avançons dans un espace qui veut de
nous un don particulier pour nous faire comprendre notre rôle dans la vie. Je
crains, Cléonisse, que tu sois la prochaine à franchir une étape particulière.
Tu as la chance d’en être averti alors que nous, nous n’en étions pas cons-
cients. Nous sommes au pied du dôme noir que nous visions depuis long-
temps, je ne sais pas ce que nous y trouverons, mais nous serons de tout
cœur avec toi s’il t’arrive quelque chose, n’aies crainte.

Cléonisse, l’espace de la Maladie et de la Guérison

Cléonisse n’est pas effrayée par les paroles de Wendy, elle sait que tous
sont passés par des épreuves difficiles, mais s’en sont sortis. Le groupe
s’arrête et décide d’explorer le dôme demain. Ils montent un campement
pour la nuit, ce soir, ils se racontent tous des histoires afin de trouver la
soirée agréable. Cléonisse et Céleste ne s’endorment pas sans penser tous
deux à la grande vie passée ici, leur mémoire est emplie des souvenirs d’une
longue vie…

Au réveil, l’esprit des deux enfants a oublié un passé peut-être trop encom-
brant et peut-être finalement sans réelle existence. C’est pourquoi, ils re-
trouvent tous deux le sourire lorsqu’ils se lèvent.
Le groupe reprend la marche et la montagne ne semble pas leur ouvrir ses
entrailles car ils ne trouvent pas le moyen d’y accéder. Les flancs de roche
noire sont trop lisses et trop abrupts pour être franchis. Ils pensent alors à en
faire le tour et c’est à ce moment que Timi se sent mal et a des nausées.
Vite, elle s’affaiblit et finit par s’effondrer. Ses amis s’inquiètent de son état
et doivent s’arrêter. C’est alors qu’Araméis est pris d’un terrible malaise ; le
cœur paraît lâcher, il s’effondre subitement sur le sol, les yeux convulsés,
les membres raidis par la forte douleur dans sa poitrine. Très vite, Wendy se
précipite vers lui et crie à l’aide le voyant faire un nouvel infarctus. Rien ne
peut le sauver, la pauvre, désespérée, tombe instantanément dans la folie,
personne ne peut la raisonner, la démence la gagne irrémédiablement. Il ne
reste que Jenifer pour s’occuper de ses amis, mais elle est prise d’une telle
fièvre qu’elle n’a plus la force de lutter ou s’occuper des autres. Un terrible
virus paraît l’avoir atteinte si rapidement que Céleste et Cléonisse se de-
mandent s’ils ne seraient pas déjà contaminés. Mais le pauvre garçon n’a

397
que le temps de penser car juste après, c’est lui qui paraît atteint d’une ma-
ladie tout aussi grave. Ses cheveux se mettent à tomber d’un coup, des ta-
ches noires apparaissent sur sa peau et le voici si faible qu’il parait aussi
être à la limite de la mort. Ce faisant, Cléonisse voit tous ses amis et son
frère si malades qu’ils vont peut-être tous mourir. Seule, elle reste sans être
atteinte d’aucun mal, au contraire, elle se sent si forte qu’elle en est invulné-
rable ; mais que faire pour leur rendre la santé ?
C’est ainsi que ne pouvant pas intervenir seule, elle se retranche en elle
pour comprendre :
« Ma vie est trop fraîche pour pouvoir comprendre les maladies. Je suis un
bébé pour tout cela. Vont-ils mourir si je ne fais rein, se guériront-ils seuls,
sans que j’intervienne, que dois-je faire afin de guérir leur mal ? »
Ces questions passent dans sa tête mais un peu plus tard, elle voit qu’aucun
ne semble aller mieux au contraire, ils paraissent tous souffrir de plus en
plus. C’est pourquoi elle comprend qu’elle aura un rôle à jouer dans une
guérison, si elle est possible pour chacun. C’est alors qu’elle se rappelle le
jour où sa mère, après avoir chuté dans le vaisseau, avait pu être sauvée par
sa seule intervention. Elle avait un don de guérison sur les hommes qu’elle
avait pu rendre à sa maman. Cléonisse pense que là, elle pourrait peut-être
en faire autant. C’est alors qu’elle appelle en son être ce don, faisant comme
la dernière fois.

L’espace de la guérison :

C’est pour elle un effort terrible, car elle emploie les forces de l’univers
ordinaire et il lui faut une concentration immense. Elle pense pouvoir guérir
son frère maintenant et la première des choses à faire est de pénétrer son
corps afin de déterminer son mal. Elle s’y emploie et comprend vite que son
frère a une tumeur au cerveau qui se développe très rapidement. Elle ne sait
comment le guérir car elle doit chercher la connaissance prise de sa mère,
enfouie en elle. Elle se dit que cela attendra un peu, le temps de faire un
diagnostic pour chacun. Ayant vu Araméis s’effondrer subitement, elle
plonge en lui et comprend que son cœur vient de subir un infarctus. C’est
urgent de lui donner des soins, les autres attendront. Aussitôt, elle dégage
de ses yeux un rayon rouge qui semble chauffer la poitrine du malade. Pre-
nant le poignet du malade dans sa main, elle sent son cœur battre d’un
rythme régulier, ce qui la satisfait ; ensuite, elle se retourne vers les autres.
Timi semble avoir une maladie dégénérant tous les tissus cérébraux, comme
si elle était très âgée. Son cerveau est liquéfié et le reste de ses organes
semblent totalement disloqués, comme si elle avait plus de cent vingt ans.
Cléonisse ne sait que faire et elle sent en elle que la force lui manque ; elle
ressent qu’elle ne pourra jamais guérir tous les malades autour d’elle. Wen-

398
dy est folle, la petite fille ne se sent pas le courage de pouvoir faire quelque
chose pour elle, tandis que Jenifer est atteinte par un terrible virus mortel
qui la ronge rapidement. Voulant soigner tous les malades, Cléonisse se
sent impuissante, jamais la force qu’elle reçoit de l’univers ne saura l’aider ;
cette source démontre sa limite. C’est pourquoi elle se sent vite sans dé-
fense et sans pouvoirs devant la maladie et elle baisse les bras devant son
frère et ses amis qui souffrent et perdent à chaque minute de leur vitalité.
Cléonisse recule afin de ne plus les voir et se blottit contre un gros rocher
afin de s’éloigner d’eux. Hélas, la maladie et les pensées qu’elle porte la
travaillent sans arrêt et c’est ainsi que la petite se met à penser de toutes ses
forces à sa mère…

⎯ Maman, pourquoi nous as-tu abandonnés ici ? tu ne nous as pas sui-


vis dans cet espace étrange où chacun fait des expériences curieuses. Main-
tenant, me voici seule devant des malades que je ne peux guérir et curieu-
sement, j’ai l’impression que tout cela est de ma faute. Si je ne t’avais pas
soigné, je n’aurais pas eu l’épreuve de la maladie. Je me rappelle le jour où
de toi j’ai reçu le don de guérison ; maintenant, je me revois te le voler dans
ton esprit.
La petite fille commence alors à comprendre comment elle prit ce don à sa
mère et découvre un terrible secret enfoui au fond d’elle :
⎯ Je sais ce qui s’est passé ce jour-là ; je me revois te prendre tes pou-
voirs et je sais pourquoi tu as perdu la mémoire après ton accident.
Maman, lorsque j’ai pris de ces dons, j’ai aussi pris tout ton passé, toute ta
mémoire. C’est moi qui t’ai rendue amnésique, maintenant je le vois très
bien, c’est pour cela, maman, que j’ai dans ma tète toute ta vie depuis ton
enfance. Je comprends maintenant qu’il faut que je te le rende, comme cela,
je te guérirai.
En même temps que Cléonisse réfléchit, au fond d’elle vient une pensée
émanant de la mémoire de sa mère :
« Guérir est un don qui vient du cœur. En toi, la force coule depuis
l’éternité, guérir l’âme de son oubli de la vie, lui donne le pouvoir de se
libérer des maux du monde. Donne la force qui coule de la source d’Amour
de ton cœur à ton âme et elle libérera les forces de guérison pour ceux qui
souffrent autour de toi. Voue-toi à ton âme, elle te détachera des forces
mortelles de l’univers qui rendent tous les hommes malades. Trouve en toi
la paix, fais place au fluide de la vie, efface-toi devant lui, oublie-toi, il te
prendra par la main pour te guider dans la vie. »
La jeune, Cléonisse se trouve devant une tâche incroyable et elle sent son
cœur réclamer la force qu’elle perçoit. Ce message vient du fond de la mé-
moire de sa mère et il était enfoui en elle sans qu’elle le sache. C’est la fille
d’Aqualuce, un enfant déjà parfait avant même d’avoir vécu et c’est à elle

399
de pouvoir allumer en son âme la flamme de la guérison. Alors, silencieuse,
elle place sa conscience dans un espace particulier, que l’on pourrait appeler
l’Espace de la Guérison d’où jaillit une source de vie.
C’est alors qu’elle sent en elle le pouvoir d’inonder son âme endormie de
cette force afin de lui redonner vie, la guérir de son oubli et de sa souffrance
; le don de pouvoir l’extraire de la matière. À ce moment, foudroyée par la
lumière, tout bascule autour d’elle, un vent lumineux balaie toute la surface
où ils sont et soulève le sol et le dôme noir ; tous les corps sont remués et
une pluie de sable bleu les recouvre tous lorsque la tempête se calme. Peu
après, tout redevient calme, plus un bruit, plus une parole ; impossible de
voir un être sur le sol, alors que le paysage fantastique est d’une beauté in-
finie.
Où est la Vie que tous les membres de cette équipe imaginaient et qu’ils
semblaient avoir à portée de main ?

L’étoile de la planète brille au plus haut dans le ciel d’une pureté infinie.
Les couleurs du monde sont les plus belles, le ton pastel et la joie rayonne
de toute part, comme si un artiste génial avait de sa main, peint avec détail
la moindre parcelle. Dès lors on peut voir un peu de sable s’enfoncer
comme faisant un tourbillon, et aussitôt après, une main en sort, un bras.
C’est Araméis qui apparaît, indemne de la tempête de sable et surtout de
l’infarctus qu’il avait subi un moment plus tôt. Il est suivi de Wendy qui a
les yeux sains et voyant son époux, elle se jette à son cou. Timi fait surface,
elle a bonne mine, la maladie semble si loin. Jenifer, comme elle, paraît en
bonne santé. Soudain, Céleste ressort avec Cléonisse, les deux enfants se
regardent et ont un sourire jamais vu. La petite fille est sortie victorieuse de
l’épreuve qui lui avait été imposée et tous le savent même s’ils n’ont aucun
souvenir. Wendy s’approche de Cléonisse et lui fait un immense câlin. Ils
sont tous recouverts de sable, mais vivant et bien portant. Les yeux de
l’enfant suffisent à exprimer ce qu’elle a vécu, et surtout compris et décou-
vert. Araméis se retourne vers le dôme noir et voit à quelques centaines de
mètres, une large ouverture qui les invite à pénétrer. Tous l’observent, mais
Wendy avertit :
⎯ Si nous nous précipitons à l’intérieur sans nous être préparés, il se
peut que nous soyons confrontés à d’autres épreuves. Réfléchissons à ce
que nous avons vécu depuis que nous sommes ici, regardons ensemble ce
que cela nous a apporté ; je suis certaine que nous ne devrons pas entrer les
mains vides dans ce dôme noir. Je crois que nous allons devoir nous justi-
fier, mon intuition me parle.
À sa remarque, tous se regardent et réfléchissent. C’est Jenifer qui, com-
prend l’intention de ses paroles :
⎯ J’ai fait l’expérience de l’union des âmes, je sais maintenant que

400
seuls, nous sommes impuissants. Avant de continuer, mettons à profit de
tous, nos découvertes. Unissons-nous afin de former une unité, autour du
feu qui nous dirige depuis que nous sommes là. Mélangeons nos pensées
afin de n’en faire qu’une seule, soyons un, nous serons solides devant les
épreuves que nous pourrions rencontrer.
Comme elle en a les moyens, Jenifer transmet aux autres le fruit de sa dé-
couverte. Ainsi chacun peut à son tour apporter le sien. Araméis donne de
lui la perfection qui lui a été révélée ; Timi offre à tous la nouvelle Vie, la
nouvelle Matière qu’elle a extraite du Néant. Wendy appelle dans l’âme de
chacun le don de la vie, la force qui enflamme l’âme afin que la vie
s’empare d’elle. Le petit Céleste offre à tous l’éternité, le domaine où le
temps n’a pas d’effet. Enfin, Cléonisse, apporte au groupe la guérison, non
pas du corps, mais de l’âme, car celle du corps suit toujours.
Le groupe ainsi préparé se dirige alors vers l’ouverture dans le dôme noir.
Ils s’avancent enfin dans la grande cavité qu’ils ne pouvaient encore voir
jusqu’à hier. Lorsque tous pénètrent, immédiatement un courant magnétique
les aspire et les propulse vers un lieu insoupçonné…

Le Septième espace ; l’espace de la Haine et de l’Amour

L’espace de la Haine :

Ils se retrouvent sur le tas de pierres qu’ils avaient soulevé pour découvrir le
passage qui les avait emmenés vers cet espace étrange, ils sont tous surpris.
Les enfants sont joyeux à l’idée de retrouver leur mère, chacun se demande
comment ils ont été dirigés vers ces lieux à la limite du naturel, mais ils ont
la certitude que ce n’est pas par hasard et pensent que tout était préparé pour
eux. Les enfants voient leur mère et courent vers elle, pensant qu’elle sera
très heureuse de les retrouver ; mais lorsqu’Aqualuce les voit arriver elle
pense aussitôt que ces deux enfants se précipitent pour l’agresser. C’est
alors qu’elle se défend en les rejetant.
⎯ Mais, maman, c’est nous, tu nous reconnais ?
Comme si elle détestait ceux qui s’approchent, elle leur lance les pierres
qu’elle a sous la main. Les enfants sont obligés de reculer. Les quatre adul-
tes la voyant faire s’inquiètent et pensent pouvoir la calmer. Wendy lui dit :
⎯ Aqualuce, sois raisonnable, tes enfants n’ont rien fait, ils t’aiment,
laisse les te rejoindre.
Hélas, la pauvre femme paraît être redevenue animale et se comporte
comme tel. Malgré son poids et son ventre qui doivent la gêner, elle bondit
sur Wendy et la défigure en la griffant avec ses ongles qui paraissent avoir
poussé comme les griffes d’un tigre. Elle jette sur ses anciens amis toute sa
haine. Araméis voit son épouse mettre son visage dans ses mains et se pré-

401
cipite sur elle afin de la soulager. Très vite Aqualuce se retranche dans la
cabane qui lui sert de maison et observe les six personnes se regrouper et se
retrancher. Pensant qu’elle a pris peur, les amis s’imaginent pouvoir la neu-
traliser en l’attrapant tous ensemble. Ils se rapprochent, mais à ce moment,
elle jette sur eux des troncs d’arbre qu’elle avait mis de côté. Timi en reçoit
un qui lui casse une jambe. Juste après, une volée de pierres part sur Jenifer
qui se fait assommer et s’effondre après avoir reçu des projectiles sur la
tête. Étalée sur le sol, elle perd son sang. Il ne reste plus qu’Araméis et les
deux enfants. Celui-ci réfléchit et trouve le moyen de se rapprocher d’elle
sans recevoir quoi que ce soit. Il n’est plus qu’à quelques mètres d’elle lors-
qu’Aqualuce l’attrape par un bras et le jette en l’air. Il est projeté à plusieurs
mètres et retombe en se faisant empaler sur un tronc pointu. Le pauvre
homme meurt sur place devant les yeux du jeune Céleste, qui effrayé,
s’enfuit en pleurant. Il ne reste que la petite Cléonisse qui n’a pas bougé
depuis le début. Elle regarde sa mère et, peut-être avec inconscience, se
rapproche d’elle. Aqualuce rugit comme une bête féroce, elle l’observe d’un
regard mortel, comme attendant le meilleur moment pour lui sauter dessus.
L’enfant et la mère se regardent comme deux prédateurs, curieusement la
petite ne recule pas et elle fait quelques pas. Sa mère a terriblement changé
en l’espace de quelques dizaines de jours, de l’état humain, elle s’est méta-
morphosée en animal nuisible, en bête tueuse, comme allant à l’inverse du
chemin que les autres ont parcouru. Les deux s’arrêtent, se regardent. D’un
bond, Aqualuce se jette sur son enfant et l’attrape par la gorge, lui enfon-
çant ses griffes dans son cou, prête à la tuer net en lui brisant la nuque de
ses mains devenues de puissants étaux.
Courageuse, Cléonisse refuse de sentir la douleur et l’étouffement que les
mains de sa mère lui procurent, la regardant encore fixement, dans sa tête,
elle pense à toute la découverte qu’elle a faite avec les autres. En une frac-
tion de seconde elle se replace dans la position qu’elle avait afin de trouver
la guérison. C’est là que leurs yeux se croisent et restent fixés. La petite fille
relie son esprit à celui de sa mère et dans la seconde, commence à déverser
sa conscience, toute la mémoire qu’elle lui avait prise l’autre fois. Le mo-
ment dure et Aqualuce reste figée, durant tout le transfert de mémoire. À la
fin, Cléonisse suffoque, elle est étouffée par les mains de sa mère, mais
heureusement celle-ci la relâche d’un coup. En tombant elle voit sa maman
rester immobile et un éclair de lumière vive descendre du ciel, touchant le
sommet de son crâne.

L’espace de l’Amour :

Frappée par la foudre, Aqualuce, retrouve sa mémoire et son esprit au mo-


ment où sa fille lui restitue son passé et en elle, un système formidable se

402
met en marche. La conscience complète de toute son aventure depuis son
départ lui apparaît ; toutes ses expériences, ainsi que le plan qui la mènera
jusqu’à Maldeï. Aussitôt, l’animal est chassé de son être et laisse place à un
être de lumière, et comme sa fille, elle perçoit la source coulée dans son
cœur, inondant tout son être. Son sang est changé, des paillettes de lumière
y circulent et très vite ses cellules sont envahies de la même source. Le
fluide nerveux reçoit à son tour un influx de lumière et en elle, le calme
absolu s’installe ; mais par ce même fluide, d’autres paillettes de lumière
montent maintenant jusqu’au cerveau et alors le changement se réalise en-
core plus. Ses cellules qui étaient liées à l’univers du monde et transpo-
saient l’intelligence des étoiles dans l’esprit d’Aqualuce, changent de pola-
rité. Les paillettes de lumière transmettent aux neurones une nouvelle liai-
son avec l’univers de Lumière, un anti-espace se nommant éternité. C’est à
ce moment qu’une force descend sur Aqualuce, la force la plus puissante de
la création l’Amour. C’est la force d’attraction qui relie tout ce qui vit et en
même temps donne à ceux qui possèdent le pouvoir de donner la vie, la
guérison, la perfection, l’éternité. L’Amour englobe tous les pouvoirs qui
soient.
Aqualuce est maintenant prête à finir la grande quête que de nombreux
hommes et femmes ont commencée depuis le début.
Épuisée par ce changement, elle s’effondre, fatiguée. Dans l’instant, une
tempête de lumière souffle sur elle et les autres. Dans l’état où tous se trou-
vent, ils sont soulevés et transformés en lumière. Un tourbillon incroyable
emporte les lumières que sont devenus Aqualuce, Céleste, Cléonisse, Timi,
Wendy, Jenifer et Araméis, même la planète se transforme en poussière de
lumière. Alors, un trou se fait dans l’espace et l’ensemble de la lumière y
est aspiré ; même l’étoile qui les éclairait s’efface avec eux. C’en est fini de
l’espace où ils cheminaient, l’univers dans lequel ils étaient à disparu, d’un
coup !

403
Note du narrateur :

(Voyant cela, je suis incapable de pouvoir les suivre ; bien que narrateur, il
m’est pour le moment impossible de savoir où se trouvent nos sept amis qui
ont disparu de l’espace traditionnel dans lequel je suis cette aventure depuis
le début ; veuillez m’excuser…)

404
ESPIONS
1- La Terre

Christopher et Clara arrivent sur Terre la nuit et cherchent


un lieu pour cacher leur engin. La forêt proche de Keuramdor n’est pas cer-
taine, parfois des randonneurs s’y promènent. Le lac d’Annecy est trop tou-
ristique pour que l’on y dépose un vaisseau comme celui-ci, même s’il ne
fait que quelques mètres. C’est Christopher qui a l’idée de le plonger dans
le Rhône, puisqu’il est submersible. Dans cette région les bords du fleuve
sont inhabités et personne ne peut les remarquer. C’est très facile pour Clara
de le laisser couler au milieu du fleuve. Lorsqu’ils devront le récupérer, il
suffira de réactiver à distance le Cristal Pensant. À plusieurs dizaines de
kilomètres de Keuramdor, comme ils ont quelques euros, ils passent la nuit
dans une petite ville, avant de regagner Annecy dans la journée. Le soir, un
taxi les conduit jusqu’à l’école et c’est là que Christopher voit son ami Har-
ry arriver à leur rencontre. Heureux de se retrouver, ils filent tous les trois à
la maison de Noèse, directrice de l’établissement, sœur de Clara et
d’Aqualuce. Ils arrivent au bon moment car ils ont la visite de Mia, arrivant
tout droit de Washington, envoyée en toute discrétion par Hillary Rodham.
La jeune Axelle est avec eux, mais comme il est tard, elle monte vite se
coucher. La petite fille n’étant plus là, ils peuvent maintenant avoir une
conversation profonde et délicate. Clara et Christopher leur racontent tout
ce qu’ils ont vécu depuis leur départ, la veille de Noël. Tard dans la nuit,
Mia leur dévoile l’information qu’ils étaient venus chercher :
⎯ Avec Hillary nous sommes tombés d’accord qu’il est indispensable
d’attirer Maldeï et son armée dans le désert du Nouveau-Mexique. La zone
est si vaste qu’elle a servi au premier essai nucléaire autrefois. L’armée
américaine est censée faire des manœuvres sur place, mais ce sera le pré-
texte pour affronter notre ennemi.
⎯ En soi, c’est une bonne idée que vous avez eue, Mia, je connais bien
ce désert, on ne peut pas espérer mieux. Mais comment comptez-vous
l’attirer jusque-là, alors que Maldeï est une femme totalement imprévisible
?
Mia regarde Christopher dans les yeux et fait le tour des autres visages.
C’est là qu’elle lui dit :
⎯ Pour attirer Maldeï, j’ai eu une idée terrible ; il faut amener les en-
fants de Keuramdor dans le désert, ils seront comme des appâts, c’est le
seul moyen de l’attirer jusque-là.
⎯ Christopher en est estomaqué, il n’y aurait jamais pensé, mais Clara
le regarde et lui fait signe de la tête, semblant approuver Mia.
C’est alors que Noèse qui se questionne sur le moyen rapide de pouvoir

405
trouver les parents de tous les enfants, afin d’avoir les autorisations néces-
saires pour leur visa vers les USA, demande à Clara :
⎯ Serais-tu en mesure de m’emmener voir tous les parents des enfants à
travers le monde afin d’espérer faire ce grand voyage ?
⎯ Notre vaisseau est caché, mais nous pouvons le rejoindre très rapi-
dement. Bien sûr, nous pourrons partir demain, si tu le souhaites.
Il ne faut que quelques jours à Noèse pour informer tous les parents de sa
venue prochaine et le lendemain, Noèse, Mia, Clara et Christopher partent
pour le Brésil, leur première étape. Ils arrivent plus d’un mois après la fin
du carnaval, mais ils en trouvent encore des traces du côté de Rio ; c’est là
qu’ils trouvent la famille de Moacyr un des garçons de Keuramdor. La tante
du jeune garçon accepte spontanément. Plus tard, à la lisière de l’Amazone,
ils trouvent les parents de Maïsa, qui s’imaginant que le président de
l’Amérique vient avec son armée les chasser hors de la forêt, refusent ; mais
Noèse lisant leurs pensées, arrive à les rassurer.
Du Brésil, ils sautent vers les Etats-Unis. Heureusement, les radars de
l’armée ne les repèrent pas. Mia se présentant à chacun des parents comme
envoyée par la présidente, les convainc sans problème.
La Russie, prochaine étape. Le père de Timofeï est ingénieur, il les écoute
avec beaucoup d’attention. Bien que la Russie ne soit plus communiste, il se
demande s’il est opportun de laisser son fils aller au pays du capitalisme. Il
a peur qu’il soit remarqué par les services secrets car lui-même était dans sa
jeunesse, un petit agent du KGB. Il faut toute la persuasion de Christopher,
montrant son insigne du FBI pour le convaincre. Au bord du lac Baïkal les
parents de la petite Guelia sont trop contents de savoir que leur fille peut
aller au pays de l’oncle Sam.
C’est ainsi que nos quatre amis font le tour de la Terre en moins d’une se-
maine, rejoignant la Chine, Madagascar, le Koweït, Israël, la Palestine, le
Maroc, l’Espagne, l’Allemagne, la Suède, l’Irlande et enfin la France.
Heureuse d’avoir réussi, Noèse est de retour dans son école. C’est là qu’elle
découvre que sa fille, Axelle, qui n’a peur de rien et qui connaît Maldeï,
pour l’avoir déjà affronté, a mené un commando constitué de tous les en-
fants de Keuramdor, afin d’affronter Paolis le sbire de Maldeï, l’homme
qu’elle avait envoyé sur la Terre afin de préparer sa venue. Elle découvre au
même moment que Paolis, un homme de Natavi, avait été obombré par
Maldeï, qui lui avait enlevé toute sa lucidité et sa conscience afin d’en faire
un émissaire. Il a retrouvé tout sa lucidité et le pauvre Paolis lui raconte les
terribles événements que Clara confirme à Noèse. Bien que cela soit terri-
ble, cela donne confiance à Christopher qui voit pour Maldeï un échec dans
sa stratégie. Cela clôture le voyage sur Terre de Clara et Christopher qui
ayant appris tout ce qu’ils désiraient, ne souhaitent qu’une chose, aller vers
Maldeï afin de connaître l’instant du départ vers la Terre pour ensuite in-

406
former leurs amis sur Unis.
Rassurés de voir que des hommes se préparent à l’invasion, ils partent pour
rejoindre Elvy afin de retrouver leur ennemi…

2- Elvy

Revêtant leur habit d’espion, Clara et Christopher arrivent sur Elvy, la pla-
nète où ils ont toujours trouvé Maldeï.
Toute la planète a changé, ils ne la reconnaissent pas ; les mers sont plus
hautes qu’autrefois, des îles ont disparu. Ils se questionnent, ne trouvant
plus Sandépra à sa place. Ils se posent dans la ville morte et ne trouvent que
des ruines. Tout à fait par hasard, ils découvrent un survivant, oublié ici.
C’est là qu’ils apprennent :
⎯ Notre reine est partie sur Domagis, emportant tous les êtres vivants
d’Elvy. Je suis arrivé trop tard lorsque je l’ai vue partir, je n’ai rien pu faire.
⎯ Qui êtes-vous, que vous est-il arrivé pour qu’on vous laisse ici ?
⎯ Je m’appelle Oessses, j’étais un des espions de Maldeï, elle m’avait
chargé d’enquêter sur des agents du clan rebelle qu’elle pensait avoir autour
d’elle. J’étais sur Glacialys lorsque que l’attaque de cette île fut donnée. Je
n’ai eu que le temps de m’enfuir avant la destruction de l’archipel. Mon
bateau arrivait juste sur les côtes d’Elvy lorsque j’ai appris que tous
fuyaient la planète. J’ai vu le dernier vaisseau décoller sans rien pouvoir
faire. Je vous jure que si je tenais un de ces rebelles entre mes mains, je ne
lui ferais pas de cadeau ; c’est à cause d’eux que je suis seul ici. Mais j’ai de
la chance de vous voir venir jusqu’à Sandépra. Avec votre vaisseau, nous
pourrions rejoindre notre maîtresse.
L’homme s’étant exprimé, les regarde un instant et s’interroge.
⎯ Mais, au fait, qui êtes-vous, pourquoi êtes-vous revenus sur Elvy, ne
seriez-vous pas de ces rebelles ? Maintenant, votre visage me revient, je
vous ai déjà vu sur Glacialys. C’est à cet instant que cet espion sort de sa
poche un pistolet éthérique, s’apprêtant à tirer sur eux. Mais, Christopher l’a
senti et avant que l’homme ne tire, il décharge son revolver sur l’espion qui
s’effondre instantanément sur le sol.

3- Domagis

Clara n’a pas vu le coup arriver et encore moins la rafale venir de son com-
pagnon, mais elle doit reconnaître qu’il les a tirés d’un mauvais pas. Elle
répète à Christopher :
⎯ Domagis, Domagis, la planète aux dix mille volcans ; un enfer pour
les hommes. Cela ne m’étonne pas de Maldeï, ce n’est pas son style de faire
prendre des vacances à tout son peuple.

407
⎯ Crois-tu qu’on puisse y aller ?
⎯ Nous ne nous gênerons pas et nous profiterons de son espion pour
nous rapprocher d’elle. Allons jusqu’à Domagis, tu te feras passer pour
Oessses, nous l’espionnerons à notre tour. Prends-lui ses vêtements, ils
peuvent nous servir.
⎯ Tu es folle, c’est risqué. Elle saura que je ne suis pas son espion et
toi, comment te présenteras-tu ?
⎯ Je crois avoir un plan. Ne perdons pas de temps, partons pour Doma-
gis, je t’expliquerai pendant le voyage.
Laissant Elvy et son lourd passé derrière eux, ils filent vers la planète Do-
magis afin de s’approcher de Maldeï, et peut-être lui donner l’idée de
concentrer son armée dans le désert du Nouveau-Mexique. S’ils réussissent,
cela donnera une chance aux terriens de pouvoir organiser leur défense.
Dans le vaisseau, Clara dévoile son idée à Christopher :
⎯ Tu dois te faire passer pour l’espion, j’ai pris des photos de son vi-
sage, comme tu as les cheveux et une taille identique je pense pouvoir te
faire ressembler. Pour ma part, tu n’auras qu’à me désigner comme une
rebelle que tu auras découverte et faite prisonnière sur Glacialys.
⎯ Mais si je te livre à elle, tu risques le pire.
⎯ Je pense que trop contente d’avoir un rebelle prisonnier, elle voudra
savoir ce que nous préparons contre elle. Ce sera l’occasion de lui dévoiler
nos plans terrestres et de l’attirer où ne le souhaitons. Si ça marche, on aura
gagné.
⎯ Et si ça ne marche pas, il ne restera pas grand-chose de nous, même
invulnérables, nous ne résisterions pas à son feu destructeur, tu sais qu’elle
a le pouvoir de désintégrer des hommes d’un simple regard.
⎯ Pour l’humanité entière, pour tous mes frères sur Unis, nous devons
le faire. Je suis prête à mourir pour les autres, ma vie n’a de sens que si je la
donne pour le salut de l’humanité. Ma sœur est comme cela et je suis
comme elle. Nous avons, Aqualuce et moi du sang d’Iahvé dans nos veines,
c’est notre destin.
⎯ Et moi, dans tout ça ?
⎯ Tu es comme Jacques Brillant, un être qui s’est fondu avec une âme
pour un destin qui te dépasse et tu as le devoir de te dépasser.
Étranges similitudes entre Clara et Aqualuce, car cette femme sort d’un sac
qu’elle avait emporté de la Terre une palette de couleurs ressemblant à une
trousse de maquillage. Christopher la regarde avec étonnement et c’est alors
qu’elle commence à dessiner sur le visage de son compagnon les traits pré-
cis de l’homme tué sur Elvy. De ses doigts agiles, elle trace la cicatrice qu’il
avait sur son visage puis accentue la teinte de la peau afin d’être plus res-
semblant. Elle fait disparaître les quelques mèches bouclées de Christopher
et lui accentue les sourcils. Si bien qu’à la fin, il est impossible de distin-

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guer la différence avec l’espion de Maldeï.
⎯ Voilà, il ne te reste plus qu’à enfiler ses vêtements.
⎯ Mais ils sont tachés de sang ! Je n’aime pas trop devoir ressembler à
l’homme que je viens de tuer, comment comptes-tu faire partir ces trous ?
⎯ Je suis désolée de devoir te faire subir cela, mais s’il n’était pas mort,
c’est nous qui le serions à sa place. Pour les taches et les accrocs sur le
blouson, je peux aussi les retoucher avec mon pinceau.
Et c’est ce qu’elle fait.
Maintenant prêts à descendre sur la planète, nos deux amis entament leur
arrivée sur Domagis. Très vite, leur vaisseau est repéré par le poste de
contrôle du vaisseau amiral et Christopher se présente comme l’agent Oess-
ses, espion de Maldeï. Ne pouvant effectuer d’autres contrôles, la sécurité le
laisse pénétrer dans l’espace aérien de la planète et lui indique un plan de
vol afin de le guider jusqu’à l’aire de stationnement des vaisseaux. Un peu
plus tard, ils se posent et sont accueillis par une troupe de soldats.
Lorsque Clara descend, les mains attachées derrière le dos et tenue avec une
corde par Christopher, elle voit immédiatement que la moitié des militaires
sont des femmes mal à l’aise dans leur uniforme. Comme tous les hommes,
elles ont le crâne rasé, leur matricule tatoué sur la tête. Leurs yeux dans le
vague laissent entendre qu’elles sont toutes droguées. Elle se dit que c’est
facile de constituer une armée avec des narcotiques. Autour d’eux, on voit
plusieurs volcans crachant leur lave. L’air qu’ils respirent est acide et brûle
leurs yeux. Un des hommes s’approche de ce qu’il pense être Oessses :
⎯ Maldeï veut te voir immédiatement avec ton prisonnier, suis-moi.
C’est là que le même homme attrape Clara par la corde qu’elle a autour de
son cou et la tire comme on traîne un âne. Christopher lui dit aussitôt :
⎯ Laisse-la, c’est moi qui l’ai trouvée, c’est à moi de l’amener jusqu’à
ma maîtresse.
L’homme le regarde d’un sal air et lui jette la corde fort heureusement car il
étranglait la pauvre Clara. Un homme s’installe aux commandes du vais-
seau de nos amis afin de le diriger avec les autres dans le parc.
Maldeï est installée dans le vaisseau Amiral, pour l’occasion transformé en
palais. Comme il n’est pas à côté, ils doivent traverser une partie du terrain
des militaires. Là ils peuvent voir comment les soldats s’entraînent et en-
core une fois Clara constate que les femmes sont toutes mises dans les si-
tuations les plus périlleuses, voir parfois dramatiques : les hommes sem-
blent s’entraîner sur elles en s’en servant de cibles. Comme ils tirent avec
des rayons mortels, chacune prend un risque incroyable en devant traverser
un terrain parsemé d’embûches de boue et de fosses parfois trop profondes,
que les pauvres femmes peinent à escalader. Mais comme elles savent que
les tireurs ne leur feront pas de cadeaux, elles arrivent à ruser en se cachant
pour détourner le problème de leur manque de force. En ce sens, Maldeï a

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réussi à rendre les femmes performantes. Il est clair que sur le champ de
bataille, elles sauraient se sortir de situations délicates. Peut-être feraient-
elles peur aux soldats de la Terre. En même temps, la tristesse se lit dans
leurs yeux vitreux semblant avoir perdu leur conscience.
Enfin ils arrivent devant le vaisseau gigantesque et le garde leur ouvre la
voie afin de les guider vers Maldeï…

Le rayon opaque qui obstruait l’entrée s’ouvre et ils pénètrent dans une
grande salle tout éclairée. Dix gardes entourent la prisonnière jusqu’à ce
que Maldeï leur dise :
⎯ Écartez-vous que je puisse voir à quoi ressemble un rebelle. Les gar-
des se poussent et laissent apparaître aux yeux de Maldeï une femme si
belle, avec des cheveux blonds et longs qu’aussitôt, elle en devient jalouse.
Les yeux de Clara sont bleu clair et il en rayonne une lumière qui
s’apparente à de l’amour à l’état pur. Tout cela n’est pas comparable à ce
que Maldeï aime paraître et donner. Mais tout cela n’est pas bon signe pour
Clara car dans l’âme de Maldeï, cela signifie sa mort prochaine. Même pour
Christopher qui ne possède pas de pouvoirs, cela devient évident en les re-
gardant et Maldeï pour justement le remercier, lui dit :
⎯ Tu as bien travaillé, Oessses, pour cela tu seras récompensé. Je te
laisserai violer cette femme, juste avant sa mort. Mais avant cela, je sou-
haite l’interroger, tu peux disposer, je t’ai fait préparer une chambre dans
mon vaisseau. Tu pourras te reposer avant de rejoindre la planète des rebel-
les. C’est pour cela qu’elle devra me dire où ils se trouvent.
Avec Maldeï, rien ne traîne, aucune perte de temps. Oessses est aussitôt
séparé de sa prisonnière et emmené jusqu’à sa chambre. Tandis que Clara
est conduite par le garde jusqu’au laboratoire. Dès qu’elle arrive, elle est
jetée à l’intérieur et lorsqu’elle se relève, elle comprend immédiatement
qu’en fait de labo, c’est une véritable salle de torture possédant les pires
instruments. Maldeï arrive aussitôt, accompagné de deux hommes et sans
perdre de temps, elle demande à l’un d’asseoir Clara sur le siège ressem-
blant à celui d’un coiffeur. Dès que Clara est dessus, les bracelets métalli-
ques s’accrochent à ses pieds, ses poignets et son cou. Comme un jeu que
Maldeï adore faire, et par pure jalousie, elle demande à l’autre homme de
bien vouloir la déshabiller intégralement et de la tondre. Il ne faut qu’un
instant pour lui arracher ses vêtements et ses cheveux tombent instantané-
ment grâce au spray que lui applique comme une laque l’homme dévoué à
sa maîtresse. Se rapprochant de Clara, Maldeï attrape son visage et d’une
autre main lui presse trop fort un sein afin de faire monter en elle la douleur.
⎯ Dis-moi ton nom pour commencer, je pense que tu peux le faire sans
trop souffrir !
Clara se dit que si elle donne son nom, Maldeï arrivera à faire la relation

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entre elle et Aqualuce. Savoir qu’elle est sa sœur peut devenir dangereux et
surtout pour la suite, car cela pourra faire l’objet d’un chantage. Si elle se
fait passer pour une autre, elle se dit que des personnes, ici pourraient la
reconnaître car elle a formé un bon nombre de pilotes qui pourraient la re-
connaître, mais elle pense qu’il faut prendre le risque :
⎯ Je suis Noèse, la fille d’Allia.
⎯ Allia ? il me semble avoir déjà entendu parler de cette femme.
⎯ C’est certain, à l’évidence, elle était tout aussi cruelle que vous.
⎯ Si je n’avais pas besoin d’en savoir plus sur la rébellion, je t’aurais
tuée sur le champ, ne parle plus sans que je te le demande. Réponds à mes
questions uniquement. Nous allons commencer maintenant. Collabore et je
te rendrais la liberté ; tu deviendras soldat comme toutes les femmes que tu
as pu voir, sinon, tu risques de périr avec ce que tu va subir pour te faire
parler.
⎯ Mourir est un détail pour moi, vous ne m’enlèverez pas ma lumière.
Clara a déjà trop parlé et reçoit sur le visage une gifle si forte qu’elle en est
presque assommée. Maldeï fait signe à un de ses hommes de rapprocher une
table avec des instruments étranges faisant penser à un nécessaire de perfu-
sion. Clara voyant cela, se raidit et l’homme plante dans une de ses veines
une aiguille. Une petite bouteille avec un liquide jaune est retournée sur un
appareil qui ressemble à une pompe reliée à l’aiguille. Maldeï sourit et lui
dit :
⎯ Ce petit engin est très simple, il va diffuser dans tes veines un acide
qui au début échauffera ton sang comme si tu avais de la fièvre. Là encore
c’est supportable. Mais après tu sentiras des picotements dans tout ton
corps. Ensuite, l’acide commencera à brûler ta bouche par ta salive. Puis tes
yeux se troubleront et tu perdras définitivement la vue. Le sang s’échauffera
encore plus en te brûlant le corps de l’intérieur. Tu voudras te plier de dou-
leur mais tu ne pourras pas car tes bracelets te retiendront sur la chaise. En-
fin l’acide transpercera ta chair, tu perdras ton sang et pour finir, les neuro-
nes se liquéfieront et ton corps pourra être mis à l’égout avec les excré-
ments. Je te conseille de tout nous dire avant que tu sentes ta salive brûler.
Là encore je pourrai te sauver, à toi de choisir ; collaborer ou disparaître.
Maintenant, dis-moi où se trouve le camp des rebelles, sur quelle planète ?
C’est à ce moment que l’homme voit Maldeï lui fait signe et met la pompe
en route. Clara dans sa tête se dit qu’il est mieux de mourir seule, plutôt que
de condamner à mort des milliers d’amis ; elle ne parlera pas. Maldeï
l’observe et attend avec un léger sourire. Au bout de quelques instants, Cla-
ra sent que son corps s’échauffe, sa température grimpe comme si elle était
malade.
⎯ Donne-nous des détails qui pourraient nous aider, je peux arrêter
l’injection, il n’est pas trop tard.

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Clara, les yeux rouges la regarde sans rien dire et Maldeï lui sourit en re-
tour. Elle commence à sentir des picotements gagner son corps depuis ses
pieds en remontant le long de ses jambes. Ces sensations sont encore sup-
portables, mais deviennent de plus en plus gênantes. Refusant de parler, elle
supporte avec plus de mal les effets de l’acide. Les picotements deviennent
des piqûres et gagnent tout son corps. Maintenant, sa salive commence à
prendre un goût désagréable, elle sent que le produit agit de plus en plus et
l’acidité arrive à ses papilles comme l’avait prévu Maldeï qui ne sourit plus,
voyant que l’effet de son supplice ne produit pas encore les résultats souhai-
tés. Clara ne tient plus, elle aussi voudrait vite mourir. C’est alors qu’il lui
vient une idée pour dévoiler des secrets sans trahir ses amis :
⎯ C’est sur Terre, c’est là qu’ils vous attendent, j’en reviens juste. Ar-
rêtez, il faut que vous m’écoutiez !
À peine a-t-elle prononcé ces paroles que Maldeï arrête la pompe afin
d’entendre ce qui l’intéresse :
⎯ J’écoute ce que tu veux me dévoiler, si c’est sans importance, je re-
prends le traitement commencé.
Clara réfléchit un instant afin de tourner les choses de façon à rendre
l’information du plus haut intérêt. La douleur de l’acide devient insupporta-
ble, si l’injection devait reprendre, elle sent bien qu’elle ne pourra y résister.
Même si sur Elvy elle est devenue invulnérable, un corps mélangé à de
l’acide ne résiste pas.
⎯ J’étais sur Terre, dans l’école qu’Aqualuce a créée. J’ai vu les en-
fants, ainsi que la fille que vous aviez kidnappée. Je sais aussi que vous
avez envoyé un espion qui doit préparer votre venue. Je sais aussi qu’il est
tombé dans un piège, il est comme mort pour vous.
Maldeï le sait, car la liaison qu’elle avait avec son agent s’est rompue d’un
coup, voulant dire qu’il est mort ou que son contrôleur lui a été enlevé. Elle
l’a ressenti ces derniers jours, comme c’est arrivé à d’autres de ses agents.
Elle sait que cette femme ne ment pas et reste prête à écouter la suite :
⎯ J’ai réussi à savoir que les enfants de l’école de Keuramdor partiront
en voyage début mai, dans une région sur Terre s’appelant le Nouveau-
Mexique. Je crois savoir que c’est là que les rebelles comptent s’installer.
⎯ Quand cela se fera-t-il ?
Très vite, Clara fait un calcul et regarde les yeux Maldeï, avec une mine
implorante :
⎯ Dans un peu plus de trente jours, je crois, mais je ne suis pas certaine
de la date exacte.
Pour sa part, Maldeï sait que l’arrivée de son enfant est prévue dans exac-
tement quarante jours. Elle pensait pouvoir lancer son invasion juste après
la naissance de son fils, mais cette information bouscule ses plans. Elle sou-
haite pouvoir arriver sur Terre avant la rébellion, afin de s’apprêter à les

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combattre. Cela dit, ses médecins sont toujours auprès d’elle et si elle devait
accoucher sur Terre, cela la dérange presque moins que d’accueillir son
enfant sur la planète aux dix mille volcans.
⎯ J’y serai avant eux, je veux les surprendre, mais avant tout, il faut
que je récupère tous les enfants de l’école d’Aqualuce, ils pèseront dans la
grande bataille. Tes informations sont très importantes. J’ai l’intention
d’attirer Aqualuce là-bas afin de l’affronter personnellement. Je prendrai les
enfants en otages pour la faire plier. Mon armée menacera la Terre de tous
les côtés. Lorsque j’aurai vaincu ta rébellion, alors j’installerai mon fils afin
qu’il règne sur mon nouveau royaume pour des milliers d’années. Mais tu
en sais déjà trop, maintenant, et je ne peux que te laisser deux choix pour
mourir.

Ayant écouté avec beaucoup d’intérêt ce que vient de lui dévoiler cette
femme, elle veut s’assurer de l’exactitude de ce qu’elle lui a dit. Le destin
de cette femme est écrit dans sa tête et pour en avoir la certitude, elle dit :
⎯ Garde, remettez la pompe en route, il faut que cette femme me dé-
voile le reste de ce que j’attends d’elle.
⎯ Mais, vous m’aviez promis d’arrêter si je vous dévoilais mes secrets.
⎯ Tu m’as dit une vérité, mais je ne sais toujours pas où se trouve la
rébellion. Je veux des garanties sur ce que tu m’as dévoilé.
⎯ Mais si vous continuez l’injection, je vais mourir.
⎯ Ta mort est une certitude, mais tu as encore le temps de me dire ce
que tu sais et lorsque la douleur deviendra insupportable, je pourrai te tuer
pour abréger tes souffrances.
⎯ Garde, exécutez mon ordre avant que je vous fasse subir la même
épreuve.
Aussitôt l’homme appuie sur la commande et la pompe reprend l’injection.
Clara se sent désespérée et se demande si elle résistera à l’envi que Maldeï
la tue en l’échange de ses derniers secrets. Ce sera trop terrible pour le reste
de l’humanité. Mais à cet instant, la porte de la salle tombe dans un terrible
fracas et apparaît à l’entrée, Christopher puissamment armé. Avant que les
deux gardes ne réagissent, il tire sur l’appareil injectant l’acide, puis sur le
garde qui commande l’instrument de torture. Celui s’effondre sans vie.
Aussitôt, Christopher exige du dernier homme de détacher Clara. Celui-ci le
fait immédiatement, de peur de subir le même sort que son collègue, tout ça
devant les yeux effarés de Maldeï qui n’avait pas prévu ce scénario et se
trouve à court d’idées. Clara, malgré les effets de l’injection, se relève et
court vers son compagnon. Aussitôt la porte franchie, ils s’enfuient afin de
rejoindre au plus vite leur appareil. Mais nue, Clara ne peut aller bien loin et
ils ne peuvent arriver à la sortie du vaisseau. Pénétrant dans une pièce, ils
se trouvent nez à nez avec une femme prenant un plateau-repas dans un

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distributeur. Elle semble avoir la taille de Clara et n’a pas le temps de com-
prendre qu’elle est déjà assommée. Vite ils lui prennent ses vêtements qui
sont aussitôt mis sur le dos de notre amie. Seulement l’alarme sonne,
d’autres hommes doivent être à leur recherche. Clara sait que les quelques
informations qu’elle possède peuvent déjà nuire à Maldeï, en aucun cas ils
ne peuvent fuir.
⎯ Christopher, il faut trouver une solution, sinon, nous sommes morts.
Tous les deux sont en uniforme militaire de l’armée de Maldeï, peut-être
arriveront-ils à se mêler aux autres. Pas le temps pour Clara de sortir sa
palette de peinture, il faut agir.
⎯ Viens, on sort, baissons la tête et fonçons comme les autres.
Ils ouvrent la porte et en effet, une multitude d’hommes armés courent à
travers le vaisseau afin de les trouver. Ils se mélangent aux autres et courent
aussi. Mais en arrivant vers l’entrée, la grande porte est gardée, on ne peut
plus sortir du vaisseau sans avoir été contrôlé. Avec un détecteur d’identité,
tous ceux qui sortent sont examinés. Impossible pour eux de pouvoir
s’enfuir, même Christopher qui possède les traits d’Oessses ne pourra pas-
ser. Clara pense à une autre solution et se dit qu’en s’enfuyant, Maldeï saura
que son plan est à reprendre. Vite elle pense qu’il faut mourir aux yeux de
ce monstre pour avoir une chance que le plan qui se construit depuis la
Terre puisse avoir une chance de marcher. Elle se retourne vers Christo-
pher, le prend par la main et le tire en arrière. Faisant signe de marcher len-
tement afin de ne pas attirer l’attention, elle entraîne son compagnon dans
des couloirs plus étroits du vaisseau. Pendant ce temps les images hologra-
phiques de Clara et Christopher sont diffusées partout, même dans les corri-
dors qu’ils traversent. D’un coup, Clara plaque son amant contre un mur où
l’on peut distinguer une trappe. Elle la pousse et tous les deux tombent à
l’intérieur.
⎯ Tu m’emmènes où ?
⎯ Dans le conduit d’extraction du gaz nocif, normalement, celui-ci sort
directement vers l’extérieur en passant par une valve qu’il faudra franchir.
⎯ Et ça nous conduit où ?
⎯ Sous le vaisseau ; peut-être vers la liberté. À condition de pouvoir
passer la valve sans se faire hacher et désintégrer.
⎯ Pardon ?
⎯ Petit détail, la valve est un désintégrateur de particules cosmique qui
ne laisse sortir que les gaz, rien d’autre. Surtout, il empêche les particules
cosmiques destructrices de pénétrer dans le vaisseau, car si elles entraient
pendant que nous voyageons à vitesse hyperlumique, cela nous détruirait
tous. Ce sont des turbines qui sont équipées de rayons éthériques qui filtrent
ce qui sort et ce qui peut pénétrer.
⎯ Mais qu’est-ce qu’on va faire ?

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⎯ Si je t’emmène jusque-là, c’est qu’il y a une solution.
Nos deux amis s’avancent en rampant dans le tube qui est juste à leur me-
sure ; il ne faudrait pas faire une taille de plus. Ils avancent avec difficulté
un long moment pour enfin arriver à l’entrée d’une turbine qui tourne en
attirant à elle les gaz consommés du vaisseau. Les palles battent l’air à
grande vitesse et derrière on peut voir le sol. Clara constate que le jour est
encore là et elle préfère attendre la nuit.

Cela fait trois ou quatre heures qu’ils attendent lorsqu’enfin la nuit paraît
avoir pris le pas sur la lumière et à ce moment, Clara réveille Christopher
qui se trouve être dans "le gaz".
⎯ Mon chéri, il faut se préparer à sortir.
⎯ Pardon, qu’est-ce qu’on doit faire ?
⎯ Il faut passer la turbine, sans l’arrêter, sans se faire toucher par les
palles ni les rayons éthériques.
⎯ Tu as vu la vitesse à laquelle tournent ces hélices, comment ne pas se
faire transformer en steak haché en passant à travers ?
⎯ La solution, c’est le gaz ; il n’y a que le gaz qui puisse passer sans se
faire désintégrer. Alors, nous allons nous transformer en gaz, tout simple-
ment.
⎯ Mais, avant que notre corps se transforme en gaz, il aura été brûlé à
une si haute température que nous serons morts bien avant ; quel intérêt ?
⎯ L’esprit est plus léger que le gaz, l’esprit est la vie. Pour passer à tra-
vers, nous devrons nous transformer en esprit.
⎯ Mais, c’est impossible, sur Terre l’esprit est identifié à Dieu. Som-
mes-nous Dieu ?
⎯ Le Dieu de la Terre est ce que les hommes ignorent de l’Esprit de
l’Homme. Peu possèdent l’esprit, car peu ont la liaison avec le courant de
vie universel, cette force, ce monde qui nous fait courir depuis que nous
sommes arrivés dans le cosmos. Mon père est né de cette force, j’ai cette
force comme lui, car nous sommes avec mes autres sœurs les dépositaires
de la Vie. L’Esprit coule dans mon être et se diffuse vers les autres. La ré-
alité est que nous ne sommes qu’énergie, vibration magnétique, lumière. Si
les hommes avaient la ressouvenance du passé, ils se transformeraient très
vite en gaz, avant de devenir lumière simplement.
Clara parle à Christopher tout en lui caressant le visage. Au fur et à mesure
que ses caresses l’apaisent, il ne voit pas qu’il devient plus léger et petit à
petit, il s’évade dans les paroles de Clara qui se transforme en un nuage de
plus en plus léger. Si bien qu’à un moment, sans qu’il s’en aperçoive, Chris-
topher s’élève comme un gaz et se laisse entraîner par l’aspiration des ailet-
tes de la turbine.
C’est ainsi qu’ils passent tous les deux l’obstacle infranchissable. Mais, cet

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état gazeux est exceptionnel à peine sont-ils sortis qu’ils se reconcentrent et
se retrouvent à genoux sur le sol.
Clara n’en est qu’à la première étape de son plan, car elle décide d’aller
jusqu’au vaisseau par lequel ils sont arrivés.
Le parc des vaisseaux est bien gardé, surtout le leur, car Maldeï se doute
que s’ils arrivent à sortir, ce sera pour rejoindre leur astronef. Clara dit
alors :
⎯ Nous devons rejoindre notre engin et partir pour informer les autres.
Christopher l’écoute sans étonnement, Clara ne fait qu’exécuter son plan
qu’elle semble parfaitement maîtriser…

Un peu plus tard, deux personnes s’introduisent dans le vaisseau qui était
arrivé quelques heures auparavant, transportant une femme et un homme se
disant espion. Les gardes les remarquent, mais ils sont déjà à l’intérieur.
Voyant que les moteurs sont déjà en marche, le commandant en charge de
la surveillance des appareils ordonne à ses hommes de tirer dessus afin de
lui interdire la fuite. Les cannons éthériques sont efficaces et l’engin, touché
dans ses parties vitales se crache un peu plus loin en s’enflammant. Aussi-
tôt, on prévient Maldeï qui se rend sur place quelques instants plus tard.
Avec une équipe de pompier qui vient d’éteindre le feu, des hommes com-
mencent à s’approcher du petit appareil. Ouvrant ce qu’il reste du cockpit,
on en extrait deux corps, une femme et un homme dont les traits sont ceux
des fuyards recherchés. Maldeï félicite les hommes qui ont abattu l’appareil,
enfin, elle peut se réjouir d’avoir pu tuer des rebelles qui ne pourront jamais
parler. Toute cette agitation a remué le camp et tous les soldats se sont re-
groupés sur les lieux du crash.

Se retrouvant seule avec l’enfant qu’elle porte, Maldeï réfléchit à la pro-


chaine étape qui sera l’invasion de la Terre. Les informations que lui a don-
nées la femme doivent être justes, elle le sent. Retrouver les rebelles face à
elle là-bas lui convient parfaitement. Pouvoir prendre avec elle tous les en-
fants de l’école afin d’amener à elle leur conscience et leurs pouvoirs, cor-
robore son idée. Il n’y a plus qu’à terminer l’entraînement de ses troupes,
préparer chaque vaisseau pour l’attaque finale qui devrait la laisser maître
de l’humanité entière et enfin pouvoir asseoir le pouvoir de la couronne sur
la Terre entière. Chaque être humain sera relié à la couronne et tous colla-
boreront à l’avènement du bien, du pouvoir de l’ego. Le combat du Mal
contre le Bien est une nécessité absolue. Toutes ces années passées dans
l’espace l’ont préparée à cet événement formidable. Sentant en elle l’enfant
donner des coups, elle se réjouit. L’enfant roi qu’elle porte, lorsqu’elle
l’installera sur son trône, elle pourra mourir, avec la certitude d’avoir exé-
cuté son destin comme la couronne lui a donné de le faire.

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RETOURS SUR UNIS
Voici bientôt soixante jours que Némeq a quitté Sagis et
pendant toute la période du grand voyage de retour vers Unis, il a pris Ma-
gylin en affection comme sa fille. Il lui a dévoilé tous les secrets du vais-
seau, il lui a appris le pilotage. Cette jeune femme a pris la place d’Amanine
bien qu’elle ait en affection son jeune ami, Nilygam. Mais Némeq s’est
trouvé guéri par cette occasion des sentiments d’affection qu’il pouvait
avoir envers ses équipières et maintenant, il rêve au jour où il pourra retrou-
ver Doora, sa femme. Sa joie est très grande car il sait qu’Unis n’est plus
qu’à quelques heures de vol. Demain, ils pourront se poser sur le sol de la
planète la plus mystérieuse de la galaxie et aussi le refuge de la rébellion.
Que se passera-t-il ensuite ? Il n’en sait rien, mais son long voyage à travers
la Voie Lactée lui a fait découvrir une sagesse si grande qu’elle est impos-
sible à exprimer dans cet univers si limité finalement. Il doit tout cela aux
différents amis qu’il a croisés durant toute sa recherche, ainsi qu’à toutes
ses expériences. Maora était la première et portait en elle une sagesse si
forte qu’elle était presque immatérielle ; ensuite est venue pour une longue
période Amanine, fruit de la vie et de l’amitié, se sacrifiant pour un groupe,
une planète, une nature si fragile, toujours meurtrie par les hommes ; mais
son esprit puissant vit toujours en lui. Qui aurait pensé que Magylin était en
mesure de percer l’âme de Némeq afin de faire pénétrer en lui la sagesse
des mondes perdus ? Parti avec toute la fougue d’un guerrier, il revient avec
la paix des sages, ainsi qu’avec plus de huit cents rescapés…

Maora est avec Adiban lorsque que son CP portable s’excite de façon
curieuse. Lorsqu’elle l’effleure, celui-ci transmet à sa pensée une informa-
tion qui la fait bondir et elle s’écrie :
⎯ Ils sont là, ils arrivent !
Adiban ne comprend pas et la regarde avec inquiétude, se demandant si elle
ne serait pas tombée sur la tête.
⎯ Que t’arrive-t-il ?
⎯ Némeq, revient, son vaisseau est au-dessus de l’atmosphère. Ça veut
dire qu’il a réussi dans sa mission impossible. Il faut prévenir tous les au-
tres, il faut se préparer pour les recevoir.
Très vite, tous les responsables se retrouvent ; Maora, Fil, Adiban, et Delfi-
liane, prêts à voir arriver tous leurs amis. Le reste de la population s’est
aussi joint à eux et bientôt, sur le large terrain consacré aux vaisseaux, ils
voient la grande nef qui depuis le début de leur aventure les a toujours ame-
nés partout, descendre du ciel comme le messie. La jeune Dagmaly se tient
à côté de Maora et porte le bébé de son amie, excitée de revoir Némeq
qu’elle avait suivi avant qu’ils ne se séparent depuis que Maora avait voulu

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dérober le vaisseau géant de Maldeï. Que d’aventure vécu depuis !
La longue coque commence à couvrir le ciel et le rendre aussi sombre qu’au
moment d’une éclipse. C’est bien le Terrifiant qui arrive sur Unis et tous se
réjouissent de le voir car c’est lui qui avait amené jusque-là une grande par-
tie des premiers habitants. Une passerelle a été construite afin que tous
puissent descendre et lorsque l’engin se pose, quelques hommes
s’approchent du grand sas qui doit s’ouvrir.
Maora ne tient plus, elle est impatiente de revoir Némeq avec qui elle a
partagé des moments si intenses. Elle pense aussi à Amanine, sa compagne
de route, avec qui elle avait vécu tant de choses lorsqu’ils étaient encore sur
Trinita, avant qu’un jour Maldeï n’arrive ; elle a tellement hâte de les re-
trouver. Enfin la porte s’ouvre et de nombreuses personnes apparaissent.
Némeq est en tête, suivi d’une jeune femme que Maora ne connaît pas. Elle
s’avance vers le groupe et arrivant à la hauteur de Némeq, se jette dans ses
bras. Bientôt les autres s’avancent et les premiers rescapés commencent à
sortir doucement.
⎯ Je savais que tu réussirais et que tu reviendrais. Vous êtes nom-
breux ?
⎯ Nous avons avec nous plus de huit cents survivants de toutes les pla-
nètes. Il ne reste presque plus personne, nous avons pu faire le tour de tous
nos mondes.
⎯ Presque plus personne, pourquoi ?
⎯ Il est arrivé que nous ayons quelques pertes parmi nos hommes, et
hélas, nous avons dû laisser Amanine sur Bravia. Il lui est arrivé quelque
chose de très particulier, mais elle demeure avec nous dans nos cœurs.
Maora entendant cela fait la grimace, mais elle sait que la vie en ce monde
reste continuellement pleine d’imprévus et sera toujours instable pour les
humains. Ce n’est pas le moment de pleurer son ami, il faut accueillir tous
ceux qui débarquent.
C’est ainsi que tous les habitants d’Unis qui s’étaient préparés à recevoir
d’autres survivants aident les nouveaux à trouver leur place dans la ville
construite pour eux. C’est par milliers que se comptent tous les rebelles que
Maldeï avait volontairement abandonnés sur les sept planètes extérieures à
Lunisse. Némeq, qui était avec Araméis, Wendy, Doora, Wegas, Weva,
Ysius, Yéniz et Aqualuce au début sur Fratania, se souvient lorsqu’à neuf,
sur le Terrifiant qu’ils avaient retrouvé et avec lequel ils avaient pris l’air,
ils espéraient pouvoir sauver d’autres hommes. Aqualuce les avait tous mo-
tivés et à l’époque, ils n’y croyaient pas vraiment. Mais là, avec plus de six
mille personnes, de tous âges, hommes, femmes, enfants, c’est vraiment
formidable.
C’est maintenant le soir et chacun des rescapés avec tous les habitants se
sont organisés. Déjà, tous sont informés qu’ils ne vont pas rester sur Unis,

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mais que d’un jour à l’autre, ils partiront vers la Terre. Maora a rassemblé
ses amis pour faire un point sur l’état de leurs projets. Tous sont réunis dans
le salon du poste de commande. Là, Adiban fait un point sur les travaux
qu’elle a réalisés afin de transformer la ville en vaisseau spatial :
⎯ Némeq, tu as pu voir que ton vaisseau s’est posé à l’extérieur de
l’enceinte de la ville. Lorsque tu es entré dans le centre de la cité, tu as vu la
grande tour que nous avons construite. C’est le dôme magnétique qui est en
fait notre carapace. La ville est entourée de moteurs gravitiques nécessaires
au décollage de notre vaisseau géant et le moteur principal est au cœur de
notre ville. L’énergie demandée est telle que nous ne pourrons faire qu’un
voyage. La Terre étant notre cible, nous ne pourrons changer de cap pen-
dant le voyage, une fois lancés, nous ne pourrons jamais faire demi-tour.
Mais le transport sera aussi rapide que le temps de traverser la ville. Deux
ou trois minutes suffiront car nous possédons la technologie du vaisseau
Instant-Plus que nous avons démembré pour cela. Tout est prêt pour notre
départ, mais il nous manque certaines informations pour pouvoir partir.
Surtout, nos amis disparus dans le Puits de l’Oubli, Aqualuce, Wendy, Ti-
mi, Jenifer et Araméis n’en sont jamais revenus. Sans eux, il nous est diffi-
cile de partir. Nous ne saurons que faire sur Terre si nous nous retrouvons
face à Maldeï.
En effet, c’est la question qui travaille tous ceux qui sont réunis. Même s’ils
sont courageux, il leur manque l’expérience de la guerre et cela les rend
tous perplexes. Maora est devenue la responsable de toute la communauté et
elle ne trouve pas les motivations qu’il faudrait pour mettre tout le groupe
sur la voie du départ. Elle se dit que tant qu’Aqualuce et les autres ne seront
pas revenus, il est inutile de partir d’ici. C’est pendant un silence que reten-
tit encore une fois l’alarme du Cristal Pensant. Elle le consulte et comprend
qu’un vaisseau arrive autour d’Unis. Demandant les détails de l’engin qui
s’approche, elle découvre que c’est un des vaisseaux qu’ils avaient en par-
tant vers les mondes extérieurs et comprend aussitôt qu’il s’agit de Jacques.
Lorsque tous apprennent que Jacques revient, un soulagement et une joie se
fait aussitôt entendre. Dans la nuit, ils se dirigent vers le parc des vaisseaux
afin de recevoir Jacques, qui il y a quelques années avait été désigné comme
le successeur de l’ancien Grand Dictateur. Son arrivée signifie qu’il pourra
donner à tous les directives nécessaires. Sur place, dans la nuit, ils voient
descendre, guidé par le CP central du poste de commande, le petit vais-
seau…

Dans son engin, Jacques n’en croit pas ses yeux car il voit devant lui une
ville qu’il n’avait jamais connue lorsqu’il s’était posé la première fois sur
cette planète. Néni regarde avec lui et découvre cet astre rouge et vert en lui
serrant la main très fort. Tous deux sont émus de voir qu’ils sont attendus.

419
Jacques pense qu’il a de grandes chances de retrouver Aqualuce, et Néni, de
revoir des amis qu’elle avait sur l’île de Carbokan. Ce voyage aura duré une
trentaine de jours, ce qui lui a permis de réfléchir dans le calme à tout son
parcours depuis qu’il a quitté la Terre, il y a bientôt neuf mois. La seule
chose qu’il a pu trouver durant tout ce temps, c’est Néni, la femme qui l’a
aidé durant toute la traversée de cette lourde épreuve, même lorsqu’il était
avec Maldeï. C’est parce qu’il réussit à entendre par elle un appel intérieur
qu’il a pu se réveiller de la conscience de mort que lui avait injectée Maldeï.
Sa descente se fait automatiquement sans aucun accroc. Le terrain
s’approchant, il ne voit aucun visage familier, sauf Maora qu’il connaît un
peu. Le posage se fait rapidement mais en douceur. Ses moteurs s’arrêtent
et aussitôt, il ouvre la porte du vaisseau.

Jacques et Néni sont aussitôt accueillis avec une très grande joie par le petit
groupe qui les entoure. Avec le retour de Némeq, cette journée est un évé-
nement sans précédent. Ils retournent au commandement pour partager avec
Jacques et Néni un repas. C’est là que Maora explique tous les événements
qui se sont déroulés depuis qu’ils se sont quittés sur Elvy. L’inquiétude de
Jacques se fait sentir pour la disparition d’Aqualuce et ses autres amis. On
lui explique la situation et l’incertitude qui demeure pour toute la commu-
nauté. Ils ne savent que faire, attendant le retour d’Aqualuce, et ils espèrent
que Jacques puisse le guider. C’est ce qu’explique Maora :
⎯ Le problème est que nous ne savons pas ce que nous devrons faire en
arrivant sur Terre. Il y a bientôt soixante-dix jours que Clara et Christopher
sont partis sur Terre pour organiser notre arrivée et surtout, ils devaient
retrouver Maldeï pour savoir ce qu’elle prépare. Nous avons les plus gran-
des inquiétudes pour eux.
⎯ Je pense, Maora, qu’il faut attendre le retour de Clara ou d’Aqualuce.
Avec l’une d’elles, nous saurons quoi faire. Je ne peux prendre seul la déci-
sion, je ne sais pas du tout comment les terriens réagiront lorsqu’ils verront
arriver sur leur planète des dizaines d’engins spatiaux chargés de guerriers
entraînés par Maldeï. La seule chose évidente est que peu de ses soldats ne
sont véritablement préparés à affronter les armées de la Terre, leur seul
avantage est dans leurs armes certainement beaucoup plus évoluées. De ton
côté, as-tu préparé la population à s’opposer à l’armée de Maldeï, avez-vous
des armes qui puissent les arrêter ?
Maora réfléchit un instant, sachant que la plupart des habitants sont des
familles, des enfants. Depuis qu’ils sont ici, ils ont passé la plus grande par-
tie de leur temps à s’occuper pour survivre, s’organiser. Il y a plus de qua-
tre-vingts jours avec Adiban, ils ont décidé de construire l’arche qui les
guidera jusqu’à la Terre. Mais ce que leur a apporté Unis, c’est le renouvel-
lement de leurs pouvoirs perdus il y a dix ans.

420
⎯ Nous avons nos pouvoirs à leur opposer, notre cœur, notre amour. Ce
seront nos armes face à eux.
Jacques réfléchit à son tour et pensant à tout son chemin depuis le premier
jour où il rencontra Aqualuce et il comprend :
⎯ Tout notre chemin n’est-il pas concentré sur ce que tu me dis. Nous
avons les meilleures armes de l’univers.
Pourtant, il a souvent vu Maldeï tuer des hommes, des femmes qui
n’avaient que leur cœur à lui opposer. Il doit maintenant croire que la lu-
mière que toute cette communauté porte, est plus puissante que toutes les
armes de ce monde.
⎯ La communauté, sait-elle où nous conduit toute cette guerre, tous ces
bouleversements actifs depuis tout ce temps ?
⎯ Depuis qu’ils sont passés dans le Puits de l’Oubli, ils ont compris
que notre monde n’est pas là. Ils savent qu’en eux vit, endormie, une lu-
mière qui doit être replacée au centre de leur existence. C’est de cette idée
que nous vivons tous ici. Il ne nous manque qu’une chose.
Jacques la regarde car elle s’arrête net de parler et il se demande ce qu’elle
voulait dire.
⎯ Mais, quoi ?
⎯ Nous ne pouvons aller que jusqu’à l’idée car nous savons tous que
nous ne sommes là que pour ouvrir la voie à celle qui doit anéantir le mal,
ce monstre qui cache la vérité. Notre rôle est de donner tout notre savoir à
celle qui en a besoin. Tous, depuis nos différentes planètes, nous avons
cheminé, nous avons tissé avec nos vies, la grande toile de lumière. C’est
avec notre souffrance, notre sang, nos morts, nos âmes que nous avons fait
tout cela. C’est ici, sur Unis, cette planète guérissante que nous avons tous
rassemblé nos chemins en un seul comme celui que toi, Jacques, tu as
commencé il y a dix ans. Et ce qui nous manque, c’est peut-être à toi de le
ramener.
⎯ Mais qu’attends-tu de moi ?
⎯ Aqualuce…

C’est ainsi qu’ils terminent cette longue journée ayant vu arriver Némeq et
ses huit cents rescapés, Jacques et Néni sauvés de l’emprise destructrice de
Maldeï. Ce soir, sans se faire remarquer, l’Ame de la communauté
s’éveille ; peut-être demain prendra-t-elle une nouvelle forme ?

421
L’ATTAQUE D’UNIS
Une bonne nuit de sommeil, c’est ce qu’il y a de mieux,
surtout lorsqu’on a passé plus de cinquante jours dans un vaisseau spatial.
La lumière de l’étoile éclaire le ciel de ses rayons orangés et Jacques re-
trouve le sourire. La nuit dernière, l’interrogation de Maora l’avait un peu
intriguée puis inquiétée, mais il se dit que les jours se suivent et ne se res-
semblent pas. Aujourd’hui, il est persuadé que ce sera une très bonne jour-
née, d’ailleurs il a l’intention de retrouver Maora avec Néni qui a pour lui
toujours de bonnes idées.
S’étant préparé, il gagne la cuisine pour se faire un déjeuner. Mais, surpris,
il ne trouve personne, alors, avec ce qu’il pourrait appeler un café dans la
main. Il rejoint le poste de contrôle et y retrouve Maora, Néni, Fil et Né-
meq. Tous sont devant un écran qu’ils regardent avec attention. Il se rap-
proche pour savoir pourquoi. Némeq le voyant, vient vers lui :
⎯ Nous avons un problème, Jacques, au-dessus de nous, il y a deux
vaisseaux en orbite. L’un d’eux, un tout petit engin, se rapproche de nous,
comme s’il avait l’intention de se poser ; le second est un vaisseau d’attaque
qui semble appartenir à la flotte de Maldeï. Nous avons les moyens de dé-
truire le premier, mais le second est hors de portée de nos défenses. Par
contre, celui-ci a les moyens de nous détruire, lorsqu’il sera en position.
Nous allons devoir déclencher l’alerte totale si le danger se précise ; peut-
être quitter Unis plus tôt que prévu.
⎯ Est-ce bien des ennemis qui nous approchent ?
⎯ Le grand croiseur, c’est à peu près certain, mais pour le petit, nous
avons encore un doute, car il semble que sa radio et son communicateur
éthérique sont hors service.
⎯ C’est pour cela que vous le laissez descendre vers nous ?
⎯ Il demeure un doute pour ses passagers, nous avons détecté deux per-
sonnes à l’intérieur. Si ce sont des ennemis, nous avons les moyens de les
neutraliser, mais nous hésitons.
⎯ Je peux prendre mon vaisseau pour aller à leur rencontre, de près,
nous aurons des informations plus précises, je peux l’obliger à se poser sur
une zone déterminée. Dans combien de temps arrive-t-il ?
⎯ Dans vingt-cinq minutes, il sera sur nous.
⎯ Dans ce cas, j’y vais immédiatement.
Jacques a l’esprit vif et il fonce vers l’engin avec lequel il est arrivé hier.
Némeq comprenant ce qu’il veut faire, le suit immédiatement, il a juste le
temps d’avertir les autres.

Dans son appareil, Jacques est sûr de lui, il l’a parfaitement en main. Et il

422
met aussitôt la propulsion en marche. Le CP repère l’engin étranger et très
vite se dirige vers lui. Plus rapide, il arrive sur lui. Et d’un air menaçant se
rapproche par-dessus, comme pour le pousser vers le bas. Le petit vaisseau
ne semble pas vouloir le contrarier et paraît suivre la course que lui impose
Jacques et Némeq. Quelques minutes plus tard, au-dessus de la base, le petit
engin se pose sur une place entourée d’hommes en armes. Jacques pose son
appareil en face et comme les gardes postés autour, avec leurs rayonneurs
braqués sur l’étranger, ils attendent que la porte s’ouvre. Pas de doute, c’est
un vaisseau de l’armée de Maldeï, il a sur un de ses flancs la marque de la
Couronne de Serpent. Personne ne sait qui pourrait en sortir, même Jacques
imagine voir débarquer Maldeï en personne. C’est alors que la porte s’ouvre
et, en sortent Clara et Christopher que plus personne ne s’imaginait revoir.
Un grand "ouf" de soulagement se fait sentir, les visages se réjouissent et
aussitôt, Jacques se précipite vers Clara qu’il aime comme une sœur. Les
autres, Maora, Fil, Adiban, Delfiliane Némeq les retrouvent aussitôt, la joie
est grande. Ils sont tous deux très fatigués, ils ont maigri, leur teint est pale ;
leur voyage a dû être très éprouvant. Fil les examine et sur place il constate
qu’ils sont déshydratés et épuisés comme s’ils n’avaient pas mangé depuis
des jours. Immédiatement, il les fait conduire à la clinique de la communau-
té. Mais Clara insiste pour les voir tous, elle dit avoir des informations im-
portantes pour eux…

Christopher et Clara sont alités, Fil a branché à chacun une perfusion qui
devrait leur rendre leur vitalité très rapidement. À leur demande, tous les
amis sont là. Clara s’exprime alors :
⎯ Il ne faut plus perdre de temps, Maldeï compte partir avant nous sur
la Terre. C’est maintenant que nous devons donner le signal de départ si
vous êtes prêts. Nous sommes allés sur Terre et nous avons rencontré Noèse
ainsi que Yéniz, qui se fait maintenant appeler Mia Ericsson. Comme elle
est très proche de la présidente des Etats-Unis, le pays le plus puissant de la
planète, elle a pu la convaincre de préparer une zone qui pourrait être le lieu
où nous placerons notre cité et en même temps, le lieu d’affrontement. Ils
placeront un appât pour attirer Maldeï ; ce seront les enfants de l’école
d’Aqualuce. Nous devons partir pour les protéger et surtout surprendre
Maldeï qui veut arriver avant nous. Maldeï est tombé dans notre piège et ne
pense pas que nous soyons arrivés jusqu’à vous, elle nous pense morts tous
les deux.
C’est alors qu’elle leur raconte comment elle et Christopher ont pu faire
pour lui échapper sans pour autant qu’elle sache qu’ils avaient fui :
⎯ Près du vaisseau de Maldeï, nous avions réussi à fuir jusqu’au parc
des vaisseaux. Là les engins étaient bien gardés et nous savions que si elle
nous voyait nous échapper, elle changerait ses plans d’invasions car me

423
croyant sous son emprise et bientôt morte, elle m’avait fait ses confidences
par fierté. Devant elle, nous avons réussi à nous enfuir et notre seule chance
pour que nos informations soient utiles, était que nous soyons morts et c’est
ce que nous lui avons fait croire. Comme nous savions qu’ils surveillaient
l’engin avec lequel nous étions venus, nous avons déposé à l’intérieur les
clones de nous-mêmes. Sur place, nous avons pu nous vaporiser, nous ren-
dre gazeux. Cela nous a permis de pénétrer dans notre vaisseau sans que
personne ne s'en aperçoive. Une fois à l’intérieur, nous nous sommes rema-
térialisés et nos corps se sont installés dans les deux sièges. Seulement, nos
âmes n’ont pas intégré notre forme physique et nos corps ne sont restés que
des pantins sans vie. L’essentiel était fait. Il nous a suffi de déplacer nos
deux conscienses dans un autre vaisseau, là, nous avons reconcentré notre
corps éthérique afin de nous reconstituer. Nous avons réussi et de là où nous
étions, j’ai pu donner ordre au CP du premier vaisseau de décoller. C’était
gagné car très vite ils ont abattu l’engin et Maldeï est venu constater notre
décès. Comme ils étaient tous occupés, nous nous sommes enfuis dans le
vaisseau qu’ils ne contrôlaient pas. Hélas, dans notre appareil il y avait de la
nourriture pour dix jours, alors que notre voyage en faisait presque trente.
Nous nous sommes rationnés, mais durant quinze jours nous n’avons pu
boire ni manger. Heureusement que Christopher et moi avons les pouvoirs
d’Elvy, sinon, nous serions morts.
Clara a la force de raconter tout cela et même si elle est très fatiguée, le
traitement de Fil semble déjà la soulager. Elle rajoute :
⎯ Maldeï a préparé une armée de cinq cent mille soldats, hommes,
femmes, enfants et vieillards mélangés. Ils sont tous puissamment armés, et
elle a vingt vaisseaux géants qui pourraient détruire la Terre en quelques
minutes. Je sais qu’elle dispersera la plupart de ses engins autour de la
Terre, au-dessus des grandes villes, bien que son intention soit d’affronter
Aqualuce en premier lieu. La Terre est en danger, il faut partir pour prépa-
rer les hommes qui devront affronter la puissance de la Couronne de Ser-
pent.
Pour Maora, il ne fait plus de doute, il faut partir, mais reste la question
d’Aqualuce et de ceux qui ont disparu avec elle. Peut-être faut-il les atten-
dre ?
Les autres sont tentés de penser comme elle. Mais, à cet instant, la com-
mande que Maora porte toujours sur elle retentit et s’adressant à elle, lui
indique que le grand vaisseau repéré est maintenant à leur verticale et pour-
rait être menaçant. Avec l’arrivée de Clara et Christopher, ils avaient oublié
le grand danger que le CP n’a jamais cessé d’observer. Ce rappel brutal
attire toute leur attention. Vite, Maora et Némeq regagnent le poste de
contrôle pour en savoir plus et c’est là que Némeq s’aperçoit que l’engin
qu’ils ont au-dessus de leur tête est le même que celui qui avait voulu les

424
détruire lorsqu’ils étaient sur Vénusia.
⎯ C’est de ma faute, c’est moi qui l’ai attiré jusqu’ici. Cet engin nous
avait attaqués sur une des premières planètes que nous avons visitées. Je
crois qu’il nous a suivis tout au long de notre voyage, sachant qu’un jour
j’arriverai jusqu’à vous. C’est un engin destructeur, nous n’avons que peu
de temps pour partir, si c’est encore temps.
Entendant cela, Maora comprend qu’il faut vite quitter Unis, cette merveil-
leuse planète qui a su les protéger pendant de nombreux jours. Alors, lais-
sant tout, elle retrouve les autres :
⎯ Adiban, nous devons partir dans l’heure qui vient, prépare le départ
de l’arche, c’est urgent. Fil, Delfiliane, veillez à ce que tous soient bien
rassemblés dans l’enceinte de la ville. Némeq, met l’écran de protection en
marche, cela peut nous protéger d’une attaque si elle n’est pas trop puis-
sante. Clara, tu suivras Adiban jusqu’au poste de pilotage, je veux que tu
prennes les commandes de notre nef. Je crois que si tout se fait vite, nous
pourrons partir dans moins d’une heure si là-haut, ils nous en laissent le
temps.
Mais, Jacques qui était resté en retrait n’est pas d’accord, il lui semble
qu’on oublie l’essentiel :
⎯ On ne peut pas partir sans Aqualuce et les autres ; c’est impossible.
⎯ Jacques, nous sommes presque six mille cinq cent ici, peut-être que
dans quelques minutes, nous serons tous morts.
⎯ Dans ce cas, partez sans moi, je reste ici pour les retrouver.
Clara connaît bien jacques et elle le voit très inquiet pour Aqualuce ; elle
sait qu’il peut aussi faire des prouesses dans les endroits les plus sombres.
⎯ Je sais que tu retrouveras ma sœur, je sais qu’elle est vivante, tu
n’auras qu’à suivre ton cœur pour cela. Fais ce que tu dois faire, ramène-la
sur Terre. Je sais que tu en es capable.
Durant tous ces jours où j’ai pu t’accompagner depuis que tu as rencontré
Maldeï, dit Néni qui restait discrète jusqu’à présent, qu’as-tu découvert en
toi, par moi ? Ne crois-tu pas que c’est maintenant l’heure de retrouver
l’autre partie de ton cœur ? Moi, je n’ai été durant ce temps que l’image de
celle qui a disparu, il est pour toi l’heure de retrouver ta moitié. Tu as vain-
cu devant Maldeï, tu as su quitter sa force obombrante pour te rallier à celle
qui coule dans ton cœur comme dans le nôtre. Tu dois, seul, la rejoindre,
elle t’attend là où elle se trouve.
⎯ Prends le vaisseau avec lequel tu es venu, dit Maora, écarte-toi de là
où nous sommes, bientôt, ici il ne restera que du néant. Pars vite, nous
sommes tous avec toi.
Jacques les regarde, son cœur l’entraîne à partir malgré tous ses amis. Il
serre les dents en pensant que les autres vont pouvoir rejoindre la Terre et
que lui doit encore rester ici. Regardant Néni l’abandonner pour de bon,

425
cette fois il ne peut plus hésiter ; il sait que le début de l’aventure com-
mence pour lui. Il ne demande rien aux autres et il recule doucement pour
partir sans rien dire.
Tous le voient courir jusqu’à son engin et décoler immédiatement…

Taourel a repéré le camp des rebelles, ses investigations lui confirment


qu’ils sont plusieurs milliers. Le seul vaisseau qu’ils possèdent est celui
qu’elle a toujours poursuivi, celui d’un commandant se nommant Némeq.
Comme elle veut s’assurer qu’aucun ne puisse s’échapper, elle détruira le
vaisseau en premier. Sachant qu’elle créera une panique chez les rebelles,
elle profitera de cela pour détruire le reste de cette base. Les armes qu’elle
possède le lui permettent. Sur dix kilomètres, il ne devrait rien rester, les
canons éthériques sont capables de désintégrer toute la matière qui se trouve
dans son champ de rayonnement.

Maldeï sait déjà que la cachette des rebelles a été trouvée et cela la réjouit,
sachant que s’ils n’arrivent jamais sur Terre, elle ne trouvera aucune résis-
tance face aux terriens. Et, même si Aqualuce fait partie des victimes, ce
sera pour elle une grande libération car au fond, elle l’a toujours craint. Au-
jourd’hui, ce pourrait être une grande victoire, même si elle n’y assiste pas.
Cela lui laissera un peu de temps avant la grande invasion. Taourel, femme
dont la conscience a été obombrée par ses soins, est la main exécutante de
ses pensées, tout le plan établi n’est que le sien. Cette femme issue de Nata-
vi était au contraire une rebelle sur l’île de Racben et elle est en joie de
l’avoir transformé en l’opposé. Dans sa conscience, elle met son plan à exé-
cution…

Un signal est donné sur l’ensemble de la base. Tous les habitants savaient
que le départ se ferait, mais ils ne l’imaginaient pas de façon si précipitée.
Tous doivent se concentrer dans les principaux bâtiments et ne plus se trou-
ver à l’extérieur. Certains qui étaient partis dans des champs pour les entre-
tenir, laissent tout sur place, abandonnant les matériels. D’autres qui étaient
dans des mines pour extraire de l’unissium qui leur donne l’énergie dont la
base a besoin, ne sont pas immédiatement informés et il faut envoyer très
rapidement des sentinelles pour les ramener. En moins d’une heure,
l’ensemble de la population est enfin rassemblé. Tout paraît prêt, c’est alors
qu’un rayon venant du ciel détruit le vaisseau de Némeq. L’attaque com-
mence, heureusement, il n’y avait personne dedans.
Maora pense aussitôt que ceux qui ont fait cela veulent qu’aucun ne puisse
s’échapper. Hélas, ici, ils n’ont pas les moyens de se défendre. Très vite,
elle ordonne le départ. Clara, Adiban, Némeq surveillant l’ensemble des
commandes, mettent en route les séparateurs périphériques qui détachent du

426
sol toute la matière. C’est alors que la ville se trouve suspendue à quelques
mètres, comme si elle était dans le godet d’une grue invisible. Le rayonne-
ment protecteur agit alors sur l’ensemble ; l’arche est pareille à un grand
cône pointé vers le sol, la tour d’où partent les rayons agissant comme un
dôme invisible. Le Puits de l’Oubli se trouve alors découvert aussi le mag-
ma et les rayons qui étaient dans le fond se mettent à bouillir. C’est alors
qu’aux commandes d’un morceau de la planète, Adiban et Clara commen-
cent à diriger l’arche géante pour qu’elle puisse quitter l’atmosphère. À
peine se sont-ils déplacés de quelques milliers de mètres qu’un autre rayon
frappe cette fois l’endroit d’où ils viennent de partir. Le rayonnement est si
fort que cela déstabilise l’arche, mais heureusement le dôme protecteur agit
en conséquence. Rapidement le bout de planète s’élève bien plus haut et
arrive dans la stratosphère. C’est alors qu’au loin ils aperçoivent le rayon
néfaste de l’engin ennemi bombardant le sol. Du Puits de l’Oubli, le Magma
se transforme en un champ d’énergie qui se retourne vers l’agresseur.
Le vaisseau de Taourel est alors touché de plein fouet par une masse
d’énergie si intense qu’il est neutralisé et devient aussi mort qu’un satellite.
À l’intérieur, plus rien ne fonctionne, l’électricité n’existe plus, la climatisa-
tion s’est arrêtée, ils sont tous dans une épave qui ne pourra les garder en
vie que quelques instants.
De l’arche, Clara s’en aperçoit et le signale à Maora. Sur l’instant, ils se
questionnent, décidés à partir directement vers la Terre, mais la conscience
de Maora lui dicte d’aller secourir les survivants ; tous sont d’accord. Mais,
l’arche n’est pas prévue pour accoster un vaisseau dans l’espace, il est né-
cessaire de trouver une solution. C’est Némeq qui en a l’idée :
⎯ L’engin avec lequel Clara et Christopher sont revenus est de petite
taille, je crois que nous pourrions sans risquer de perdre notre atmosphère,
créer une ouverture dans le champ de force afin de sortir. Je peux y aller, ce
ne sera qu’un sauvetage de plus.
Maora réfléchit un peu, regarde le temps que lui indique le chronocristal et
se dit qu’il y a peu de temps pour agir car Maldeï risque de partir d’un mo-
ment à l’autre et elle souhaiterait pouvoir la surprendre sur place. Dans son
cœur, elle a toujours su prendre des risques pour sauver des hommes.
⎯ Qu’en penses-tu Adiban, c’est toi qui as conçu l’arche ?
⎯ Si l’appareil est bien placé devant un de mes générateurs, je peux le
couper une seconde, pas plus, afin qu’il passe. Au-delà, nous risquerions de
perdre une grande partie de notre atmosphère qui reste limitée au volume du
dôme protecteur.
⎯ Tu as entendu, Némeq. Une seconde, c’est le temps qu’on peut te
laisser pour passer. Seulement, ton engin ne peut contenir qu’une vingtaine
d’hommes et il se peut que tu te trouves devant un problème de conscience
lorsqu’il faudra embarquer ceux que tu trouveras.

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⎯ Je ferai au mieux, sur place je verrai.
La décision étant prise, l’arche se rapproche du vaisseau moribond. Pas une
lumière ne se dégage de lui, pas un signe de vie. Némeq prépare son vais-
seau avec Christopher, Fil, Adiban et Néni qui se sont proposés de
l’assister. Ils sont tous armés, il est fort probable, que même dans la diffi-
culté, certains veuillent se défendre.
Devant le bord de l’arche, juste au-dessus d’un des générateurs magnéti-
ques, Némeq place son vaisseau face au vide sidéral. Clara leur demande
s’ils sont prêts ; plus rien ne les retient, et ensembles, les CP de l’arche et du
vaisseau ouvrent le champ de force et l’engin passe. Juste le temps d’avoir
créé une légère déchirure dans l’écran, un terrible appel d’air se faisait déjà
sentir mais, fort heureusement trop court pour que l’atmosphère de l’arche
se vide. La seconde était largement calculée, ils n’en ont mis que le dixième
pour traverser. Juste à cet instant, ils voient devant eux l’engin mort que la
force magnétique d’Unis a neutralisé en réaction à leur agression. Ils se
rapprochent jusqu’au sas d’échange par lequel ils doivent pénétrer et ils
comprennent vite que celui-ci est impossible à ouvrir sans énergie. Le seul
moyen sera de découper le sas afin de pénétrer. Seul Christopher se de-
mande si c’est une bonne idée de pénétrer dans un vaisseau ennemi pour
jouer les humanitaires ; parfois il ne comprend pas l’esprit de ses amis ex-
traterrestres. Adiban qui a des pouvoirs se propose de percer la porte. Pour
cela, elle enfile vite une combinaison spatiale pour sortir. Très rapidement,
à l’extérieur, face à eux, elle se dirige dans son scaphandre vers la porte.
C’est avec curiosité que Christopher la voit, son casque paraît laisser passer
les rayons, faisant fondre le métal du sas. Elle fait un trou très large et les
résidus de la fusion s’échappent dans l’espace en formant de billes qui flot-
tent autour d’elle. Très vite les parois se refroidissent et elle peut pénétrer
dedans. Juste après, elle ouvre manuellement le sas qui laisse la place au
vaisseau pour s’accrocher. Aussitôt, la pressurisation est rétablie, et nos
amis peuvent enfin pénétrer dans l’appareil. C’est là qu’ils retrouvent Adi-
ban ayant quitté son scaphandre.
⎯ Tu as fait du bon boulot.
⎯ Peut-être, mais ce n’est pas gagné, il faut trouver les survivants et
peut-être Taourel.
Tous les quatre prennent leurs armes et commencent à pénétrer dans un des
couloirs du vaisseau. Il règne autour d’eux une odeur de mort, ils sentent
vite le manque d’oxygène autour d’eux. Pour leur part, ils ont pris des mas-
ques s’ils devaient suffoquer. Un peu plus loin, ils découvrent trois hommes
morts, peut-être n’ayant pu résister à la décharge magnétique. Le vaisseau
est grand et en entrant dans un compartiment, ils découvrent une dizaine
d’hommes asphyxiés, qui nécessitent quelques soins. Fil reste avec eux afin
de pouvoir les oxygéner. Tous les autres continuent leur recherche et pen-

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sent s’approcher du poste de pilotage, mais avant, il y a un compartiment
qui semble fermé hermétiquement. Après analyse, Adiban dit :
⎯ Cette porte est verrouillée par l’intérieur et de l’autre côté, il y a de
l’air. Je pense que certains se sont enfermés après avoir dévié le reste
d’oxygène qu’il y a dans le vaisseau. Ceux qui sont derrières ne seront pas
comme ceux que l’on a trouvés, il faudra se méfier si on arrive à pénétrer à
l’intérieur.
⎯ J’ai avec moi des désintégrateurs rayonnants, je peux faire sauter la
porte !
⎯ D’accord, Christopher, mais les autres reculez-vous et ne regardez
pas, car ça brûle les yeux. Vas-y !
Aussitôt, il place son petit engin sur la porte blindée et le met en marche.
Juste le temps de se protéger ; quelques secondes plus tard, comme un
rayon de lumière intense, en silence, la porte s’évapore d’un coup. La diffé-
rence de pressurisation est telle que du fond de la pièce, des hommes der-
rière la porte sont éjectés. Ceux-là sont armés et aussitôt se redressent pour
tirer sur eux. L’échange est vif, Christopher, bien que terrien, est le plus
efficace en tirant avec précision sur des soldats qui ne se relèvent pas. Tous
ses amis se redressent pour avancer en embuscade vers la porte. Adiban
avance la première, mais un des hommes du vaisseau tire plus rapidement et
elle tombe, blessée. Christopher passe au-dessus et tire à bout portant sur les
hommes retranchés. Ça a l’air de marcher et les autres avancent à leur tour.
Sous la menace des armes de nos amis, les hommes lèvent les bras, laissant
tomber leurs armes. Néni qui était restée discrète s’avance alors vers le
poste de pilotage et ouvre la porte. C’est alors qu’un homme monstrueux,
d’un poids et d’une taille incroyable s’abat sur elle. Il la frappe et l’envoie à
l’autre bout du poste. Christopher s’avance immédiatement, mais le monstre
lui arrache son arme et l’assomme. Les autres font alors demi-tour afin de
se mettre à l’abri. Cette bête humaine s’avance vers eux si rapidement qu’ils
ne peuvent battre la retraite. À ce moment, le terrible individu, après avoir
bloqué dans un coin Adiban blessée et Némeq, arrache leurs armes. Dans un
élan de folie, il les prend et les jette à l’autre bout de la pièce. Ensuite, at-
trapant une des armes, il les vise de façon déterminée, mais Néni tire sur lui
et le foudroie avec toute la puissance de son pistolet éthérique. L’homme
est blessé à son tour, mais avec le bras qui lui reste, il attrape une arme et
tire sur Néni, qui touchée au thorax est comme paralysée. Le monstre se
précipite alors sur elle, mais dans un ultime effort, elle vide tout le reste de
l’énergie de son arme sur la bête humaine qui s’effondre mortellement tou-
chée. La pauvre Néni respire difficilement, de sa poitrine coule beaucoup de
sang, sa cage thoracique éventrée. Christopher se redresse à ce moment,
ayant tout vu et Némeq se relève aussi, ils se précipitent vers Néni, Adiban,
blessée au bras est avec elle. Tous l’ont toujours crue immortelle, pourtant,

429
Néni faiblit douloureusement et, comme un ange déjà dans un autre monde
et elle leur dit :
⎯ J’ai fait mon travail et cette fois, vraiment, je vais mourir. J’ai tou-
jours été avec vous, tout le long de l’incroyable voyage de Jacques. J’ai été
placé dans toutes les situations les plus extrêmes, j’ai affronté Maldeï à plu-
sieurs reprises et durant tout ce temps, j’ai eu la force de m’interposer pour
tous ceux qui avaient besoin d’aide lorsqu’ils étaient en difficulté. Mais
mon rôle se termine maintenant car je n’ai rien à faire sur Terre. Jacques est
parti retrouver Aqualuce, je peux disparaître. Au moins, au lieu de ne servir
à rien dans l’arche, je vous ai sauvé la vie ; c’est pour cela que je suis venue
avec vous. Maintenant, laissez-moi dans ce vaisseau, je crois qu’Unis sera
pour moi un magnifique tombeau. Adiban, je crois que ton amie Taourel a
besoin de toi, elle n’est pas loin, rejoins-la vite.
Ayant parlé au-delà de son souffle, Néni semble suffoquer, mais, aussitôt, la
mort la prend et ses yeux profonds lancent un dernier regard autour d’elle
avant de se fermer. L’instant d’après, son corps se raidit, elle est morte.
Tous paraissent figés, mais Adiban regarde autour d’elle et voit, effondrée
sur le siège du pilote, une femme qu’elle reconnaît ; Taourel…

La femme perd un peu de sang d’une étrange blessure sur la tête d’où res-
sort un objet métallique qu’Adiban reconnaît immédiatement, en ayant eu
un aussi. Elle comprend alors que le maléfice de Maldeï s’est retiré d’elle,
peut-être lorsque le rayon magnétique d’Unis a touché le vaisseau. Elle
prend son pouls et constate qu’elle est en vie. Malgré sa blessure, elle vou-
drait la porter, mais elle n’y arrive pas. Ses deux autres amis arrivent alors
et prennent la femme dans leurs bras. Les autres hommes avec qui ils
s’étaient battus précédemment, voyant leur chef inconsciente et le géant
mort, comprennent qu’ils n’ont plus rien à faire contre les rebelles et se
repentant, ils proposent leurs services. Plus loin, Fil qui commençait à ré-
veiller les hommes en manque d’oxygène est heureux de revoir ses amis,
mais s’étonne de ne pas voir Néni. Adiban lui explique. Rapidement, ils
évacuent le vaisseau et se retrouvent dans l’appareil. Ils sont en surnombre,
mais, la vingtaine d’hommes arrivent à se tasser. Ils quittent l’épave et vite,
face à l’arche, y pénètrent d’un coup. Nombreux sont ceux qui les attendent
et les voyant sortir, tous, même les anciens ennemis sont acclamés. Taourel
est emmenée à la clinique pour y être examinée par Fil qui doit surtout
s’occuper du bras d’Adiban et des asphyxiés ; heureusement, il est aidé par
les assistants qu’il a formés. Enfin, lorsque Taourel ouvre les yeux, Adiban
est à côté d’elle. Sortant d’un état d’hypnose de plusieurs centaines de jours,
elle comprend ce qu’elle était devenue et le regrette, surtout lorsqu’elle ap-
prend qu’à cause d’elle des hommes et des femmes sont morts. Mais son
amie est là pour la rassurer et elle lui confie que d’autres femmes, prison-

430
nières comme elles sont revenues et ont pu retrouver leur enfant. Adiban
marié avec Fil lui assure que d’autres enfants n’ont pas encore retrouvé
leurs mères et qu’elle fera dès que possible les tests afin de savoir où est
l’enfant qu’elle avait dû abandonner à la naissance.
Rassurée, elle se dit que dès qu’elle sera sortie de la clinique, elle fera tout
pour combattre Maldeï.
Les hommes du vaisseau ennemi, prennent tous parti pour la rébellion car
ils ont compris qu’ils n’auront plus à craindre Maldeï.
Tous voient à travers le dôme protecteur, le ciel étoilé et le vaisseau fan-
tôme que Taourel dirigeait. La planète Unis paraît être au-dessus d’eux,
mais c’est normal, dans l’espace, il n’y a ni endroit, ni envers. D’un coup
l’épave se met à piquer du nez et descendre vers la planète. Accélérant, elle
continue sa progression, si bien qu’à grande vitesse elle fonce vers le sol et
que d’un coup, marque un impact qui fait jaillir une grande lumière bleutée,
que tous prennent pour le bouquet final d’un feu d’artifice.
Maora, dit alors à ses amis, Clara, Christopher, Adiban, Fil et Némeq :
⎯ C’est Néni qui nous fait signe, c’est certain, je le sens dans mon
cœur. Elle a rejoint jacques, j’en ai l’assurance, ainsi qu’il reviendra avec
Aqualuce…

Au poste de contrôle :
Clara, Adiban, Némeq ; cap sur la TERRE…

431
FAUT-IL Y CROIRE ?
Madame la Présidente ; sauvez le Monde,
J’ai entendu parler de la bombe.
Madame la Présidente ; donnez à manger,
J’ai entendu dire qu’on est affamé.
Madame la Présidente ; faites la paix,
J’ai entendu dire qu’on se tuait.

Mon papa est mort alors qu’il combattait,


Tandis que je naissais dans un pays en paix,
Maman s’épuise au travail tout le temps,
Pour ne pas laisser dans la faim ses enfants.
Ensemble, mon père ma mère,
Sont les victimes de la guerre.

Dis-moi, Madame, où se trouve l’espoir,


Est-il caché dans les étoiles ?
Pourquoi mon ciel demeure-t-il noir,
Interdisant que la Lumière se dévoile ?

J’attends que vous unissiez l’humanité,


Afin de libérer toute la vie.
J’attends que vous dévoiliez la vérité
Afin que nous retrouvions notre véritable patrie ;

Celle que j’ai perdue en arrivant sur notre Terre égarée.

Andréa Bager

⎯ Vous vous rappelez cette lettre que j’avais reçue avant que vous ne
partiez en France, Mia ? Je l’ai gardé et parfois je la relis et je me demande
ce qu’un enfant d’à peine six ans peut penser dans sa tête. Et je me dis qu’il
s’en passe beaucoup. J’ai demandé qu’on me donne des informations sur la
famille de cette jeune enfant. Je les ai reçues, il est vrai que cette petite fille
a perdu son papa en Irak. Elle n’est pas la seule dans ce cas, car cette salle
guerre fait encore de nouveaux orphelins chaque jour des deux cotés. Sa
mère ne touche pas de pension, elle fait du ménage très mal payé et n’arrive
plus à payer son crédit pour rembourser sa maison. Elle a deux autres frères

432
et ils ne peuvent même pas fêter Tanksgiving, ni Santa-Claus. Ça m’a pei-
née, mais je ne peux rien faire pour eux directement, je me demande si les
hommes ne comptent pas trop sur moi pour régler tous les problèmes du
monde, à croire que je suis en relation direct avec Dieu. Qu’en penses-tu ?
⎯ Je pense, Hillary que tu recevras encore longtemps des lettres comme
celle-là et je pense que tu t’y feras. Mais si tu lis bien ce poème de cette
petite fille, que je pense très douée pour t’avoir écrit cela, je vois en elle
l’image de la nouvelle jeunesse du monde. Cette enfant est semblable à
ceux qui se trouvent dans l’école de Keuramdor, en France. Cette enfant a
voulu te donner un message plus fort que tu ne le penses. Elle décrit sa si-
tuation familiale, mais si tu lis bien, elle te crie sa souffrance du manque de
lumière qu’elle perçoit en elle et surtout, autour d’elle. Elle sait que dans le
cœur se trouve l’espoir, elle décrit les cœurs comme des étoiles et elle mon-
tre à quel point nous sommes coupés de la vie en montrant notre conscience
ordinaire comme un ciel noir. Elle sait que la réunion des âmes donnera une
autre conscience qui dévoilera une vie nouvelle. Et enfin, dans ses trois
derniers vers, elle nous fait comprendre que cette découverte ouvrira une
vision sur le monde caché d’où nous sommes tombés.
Cette lettre en forme de petit poème est une vérité, qui est là pour te montrer
que nous ne faisons pas fausse route et que tu dois croire en ce que tu fais.
Les préparatifs engagés par l’armée ne sont pas là pour rien, de toute façon,
ce ne sont que de grandes manœuvres en apparence.
⎯ Je joue ma tête en mobilisant cent mille hommes pour faire ce ciné-
ma dans le désert du Nouveau-Mexique. J’ai le doute, faut-il y croire ?
⎯ Lorsque tu verras plusieurs vaisseaux ennemis au-dessus de
l’atmosphère terrestre et que ces engins géants se poseront dans le désert, le
doute ne sera plus et l’on te remerciera d’avoir prévu. Mais en attendant, les
généraux se questionnent et déjà au Pentagone, ils se demandent si c’est
finalement une bonne idée. Eux aussi verront bien que tu avais raison, il ne
faut pas t’en faire.
⎯ Et si je ne t’avais pas rencontrée, si je n’avais rien préparé, penses-tu
que ça changerait quelque chose ?
⎯ Si nous ne pouvions préparer la venue de cette armée d’invasion, il
est clair qu’elle commencerait à taper n’importe où, il est certain que nous
aurions la certitude d’avoir beaucoup de dégâts. Là, nous avons une chance
de sauver un nombre considérable d’hommes. Les enfants qui arrivent de
France sont pour tous une garantie que cette Maldeï arrivera là où nous les
souhaitons. Si notre piège fonctionne, nous serons bien plus forts.
⎯ Mais les enfants arrivent demain et tu dois t’en occuper. Tu dois par-
tir les chercher. Tu sais que nous avons prévu de les emmener à Disney
World pour les divertir, avant qu’ils se retrouvent dans la base du Nouveau-
Mexique. Mais je regrette parfois de t’avoir écouté et de mettre en jeu la vie

433
de tous ces enfants.
⎯ Si j’avais eu le choix, je ne l’aurais jamais fait ; il s’agit de la vie de
milliard d’humains.
⎯ Mais, savent-ils qu’ils sont des appâts ?
⎯ Ils s’en doutent, ces enfants ne sont pas comme les autres. Tout
comme cette petite fille qui t’a envoyé cette lettre, que tu devrais peut-être
rencontrer lorsque tu le pourras.

Devenue présidente du plus puissant pays du monde, Hillary ne pensait pas


être confrontée à une telle situation. Femme de président, elle-même, elle
n’avait jamais vu son époux poussé à cette extrême. Cette fonction est la
pire qui soit, bien que de dehors, ce soit la plus convoitée. Avant d’être
élue, Hillary était portée par ses amis, et dans l’euphorie du combat contre
son adversaire, elle ne voyait que le résultat final. Oh ! bien sûr, elle
connaissait la problématique de la fonction, tous les dossiers qu’elle trouve-
rait devant elle, mais elle était à un milliard d’années-lumière de s’imaginer
devoir affronter une attaque extraterrestre. La rencontre avec les trois fem-
mes, un jour dans une pièce de la mairie de New York, avait changé sa vie
et personne ne le savait jusqu’à maintenant, pas même Bill, son époux. Elle-
même n’a pas le souvenir d’un voyage au bout de l’espace que son âme a
fait dans des conditions très étranges. Son cœur partagé entre le souvenir
inconscient de l’expérience extraordinaire qu’elle a vécue et la terrible
charge de sa fonction, fait qu’en elle le doute s’est installé et lui rend la vie
impossible. Mia le sait bien, mais elle ne peut intervenir sur sa conscience,
c’est à elle de faire sa véritable opinion sur ce qu’elle doit réaliser.

⎯ Tu restes songeuse, Hillary, tu penses à l’improbabilité de ce que


nous t’avons annoncé et tu ne sais plus quoi faire. Dois-tu me renvoyer et
me dénoncer à tes agents ? Je n’ai qu’une chose à te dire ; écoute ton cœur,
et tâche de voir ton dominateur naturel en toi. Trouve lequel ne dit pas la
vérité et vois de quel côté penche ta nature. Alors, tu sauras quelle voie sui-
vre, tu pourras faire ce que tu veux de moi et tu sauras si tu dois replier tes
troupes.
Lorsque Mia lui dit ça, elle se dit qu’elle est folle, mais sa longue phrase
fait le tour de sa tête. C’est alors que son cœur commence à faire entendre
sa vibration comme une force lui montrant la nature profonde de sa vie, une
sorte de monde sans limites dans lequel elle paraît avoir un pied. Ce monde
lui fait sentir la paix et l’harmonie d’une vie mieux que parfaite. Ce cœur
lui dicte la vérité.
D’un coup, elle sent l’âme, une sorte de synthèse de sa vie, un mélange de
son corps, son sang, son fluide nerveux, sa conscience, souffrir en elle du
manque de vie et de force de son cœur. C’est là qu’elle se dit qu’elle est

434
responsable de la douleur de son âme si elle ne lui donne pas la nourriture
de son cœur. Mais d’un coup, elle refuse tous ces éléments qui semblent la
déranger. Une autre voix se fait entendre qui lui dit que tout cela n’est que
foutaise et qu’elle doit entendre la raison du monde ; l’armée, les ministres,
la bourse, la crise mondiale, la guerre, l’Internet, le pétrole, les usines, le
dollar et les banques comme les maîtres de ce monde. Alors Hillary com-
prend que cette raison de matière sonne faux en elle et pour la première
fois, elle voit en son être son dominateur naturel, le tourbillon du monde
ordinaire et ses problèmes constants. C’est ainsi qu’un éclair de lumière
apparaît et qu’à ce moment, elle devine ce qu’elle doit suivre comme direc-
tion dans sa vie. Après un moment de silence, regardant Mia, elle lève les
yeux et lui dit :
⎯ Avoir un cœur éveillé est une charge bien plus terrible qu’être prési-
dent des Etats-Unis. Qu’as-tu mis en mon être pour que j’aie ces deux char-
ges en moi, alors que toi, tu n’en as qu’une ?
⎯ Ce n’est pas moi, mais c’est ton destin qui porte cela. Si tu es char-
gée comme tu le dis, c’est que tu en as la capacité. Dieu ne charge jamais
plus ses enfants de ce qu’ils peuvent porter. C’est à toi de le savoir et
d’avoir confiance. Notre rencontre était écrite avant que nous le sachions,
ce n’est pas moi et mes amies qui l’avons provoquée.
⎯ Je sais, je dois continuer ce que j’ai commencé, je le vois bien, à pré-
sent. Cet enfant disait, "sauvez le Monde, donnez à manger, faites la paix,
unissez l’humanité, dévoilez la vérité afin que nous retrouvions notre véri-
table patrie". Tous ces mots parlent en mon être, je n’ai plus de doute. Mia,
prépare-toi pour accueillir les enfants qui viennent de France, je veillerai à
ce qu’il ne leur arrive rien. Je vais mettre des gardes du corps à leur disposi-
tion afin qu’ils soient protégés.
⎯ Si tu veux, mais je crois qu’ils ont déjà l’entraînement, j’ai entendu
dire qu’ils ont fait fuir des bandits. Je prends l’avion ce soir pour les rece-
voir à New-York demain après-midi. Nous partirons directement pour Or-
lando afin d’aller à Disney. Ensuite, comme tu l’as prévu, un avion militaire
nous transportera à Holloman Air Force Base, avant qu’un convoi nous
transporte à la base vie.
⎯ Je t’embrasse, sois prudente lorsque tu seras sur place. De toute fa-
çon, j’aurai de tes nouvelles à chaque instant, je te suivrai par vidéo.

Mia part pour rejoindre les enfants, elle les retrouve le lendemain et ils par-
tent pour Disney World. Ensuite, comme prévu, ils se retrouvent dans une
base de l’Air force en plein milieu du désert, avant qu’un convoi les trans-
porte dans quelques jours jusqu’à la base implantée au centre du Désert du
Nouveau-Mexique. Tout se passe comme prévu, il n’y a plus qu’à attendre
les événements improbables qui n’arrivent jamais sur cette bonne vieille

435
planète ; tout comme on n’attend jamais un Onze septembre 2001…

Mais Hillary y croit aujourd’hui, ce jour du quatorze mai deux mille neuf.

436
À LA RECHERCHE D’AQUALUCE
Jacques, a fui la zone où se trouvait la rébellion, il sait que
l’attaque se concentrera sur eux. Lorsqu’il se pose, il voit des rayons rouges
et verts traverser le ciel alors qu’il doit être à plus de cent kilomètre de
l’impact. Il espère que ses amis ont pu fuir avant que les armes destructrices
ne les touchent. Là où il est, c’est une région très verte et la végétation est
plus dense qu’une forêt tropicale néanmoins, sur la colline où il se trouve la
vue est dégagée, ce qui donne un panorama très clair et lointain. Il est seul
maintenant et il se questionne sur la direction qu’il pourrait prendre pour
retrouver son épouse. Seul sur une planète, il sait qu’il n’a aucune chance
de trouver quatre personnes si celles-ci ne se signalent pas volontairement.
Dans l’engin qu’il a pris, il n’y a même pas de détecteur de vie, le vaisseau
n’est pas équipé pour ce type de mission. Maora semblait certaine que lui
seul pouvait retrouver son épouse, mais il se sent bien désarmé sur cette
planète, pas même un indice lui permettant de savoir dans quelle direction
chercher. Jacques sait qu’Aqualuce a pu partir vers une autre planète et là,
c’est encore plus vaste. Jamais il n’y arrivera, se dit-il. Maintenant, il doit se
débrouiller seul et vraiment désappointé, il se laisse aller à un moment in-
tense de déprime. Assis sur une pierre, face à son vaisseau qu’il regarde
avec dégoût, il pense au jour où Aqualuce était venue dans son bureau pour
lui annoncer leur départ prochain pour l’espace. À cette époque, il pensait
définitivement terminer les voyages dans l’espace, enfin stabilisé par ses
deux enfants qu’il ne quitterait jamais, se disait-il. Voilà maintenant presque
neuf mois qu’il a quitté Aqualuce et dans sa tête, il se demande pourquoi
tout cela, car Maldeï est maintenant plus que prête à envahir la Terre, alors
qu’ils étaient partis pour éviter tout cela. Pourquoi aujourd’hui rien ne sem-
ble aller vers l’apaisement, Aqualuce a-t-elle bien réfléchi en voulant jouer
les héros ? Peut-être que Maldeï n’aurait jamais entendu parler de la Terre
et à cette heure-là, il pourrait être dans son bureau à écrire des romans. Per-
dre tout, c’est ce qu’il est en train de vivre maintenant. C’est ainsi qu’il
reste assis à regarder le ciel durant un très long moment…

Dirigeant son regard sur un point plus brillant que les autres dans le ciel,
Jacques est attiré par ce qu’il observe. Le point grossit et semble se diriger
vers le sol à grande vitesse. C’est peut-être un vaisseau en difficulté qui
arrive à vive allure et très vite Jacques n’a plus de doute, il est certain qu’il
est parti pour le crash. Quelques secondes plus tard, il n’entend pas le bruit
de l’impact, mais une lumière bleutée puissante, envahit le ciel alors qu’il
fait encore jour. Le rayonnement le touche et sur son vaisseau, cela crée des
crépitements sur toute la carlingue. Cet événement ravive l’esprit de Jac-
ques qui se dit qu’il y a peut-être des survivants et c’est alors qu’il décide

437
de partir vers le lieu de l’impact afin de vérifier.
Aux commandes de son vaisseau, il décolle et arrive vite sur la zone ; c’est
exactement là que se trouvait le Puits de l’Oubli. Survolant la zone, il dé-
couvre que la ville qui abritait les rebelles a disparu et qu’à la place du puits
se trouve un immense trou. À l’intérieur, c’est le noir total, plus un rayon,
plus une seule lumière. Il se demande si en tombant, le vaisseau n’a pas
détruit le puits. Comme il voit qu’il est possible de se poser, Jacques
conduit son engin vers le bord du cratère et arrête son appareil. Il descend
vite pour voir s’il trouve quelque chose.
Il franchit la porte de son vaisseau et aussitôt, il est frappé par une pensée si
forte qu’il croit voir devant lui un être cher qu’il vient de quitter et il dit :
⎯ Néni, c’est toi ; tu n’es pas partie avec les autres ?
Il ne reçoit pas la réponse qu’il attend, mais son cœur continue à sentir
l’esprit de son ami autour de lui. Il se rappelle ce qu’il a accompli durant
tout ce temps, revoyant dans sa mémoire, l’amie qui l’avait toujours ac-
compagné ; Néni, cette femme qui comme une bonne étoile, l’avait toujours
aidé, conseillé et avait mis parfois sa vie en jeu pour que la réussite soit
auprès de lui. Elle lui a fait prendre conscience de tant de chose, elle avait
redonné vie à sa conscience assombrie par Maldeï et elle lui avait donné la
force de s’arracher à la force noire qui le tenait en son pouvoir depuis qu’il
était arrivé auprès d’elle. Il avait compris qu’au-delà de la Graine d’Etoile
qu’il porte en lu, il était indispensable de se libérer de la pensée noire qui
recouvrait sa conscience. Jacques, n’avait pour mission durant tout ce temps
que d’affaiblir la force de Maldeï, par son amour. Repensant aux paroles de
Maora, avant qu’il parte, lorsqu’elle lui disait que lui seul pouvait retrouver
Aqualuce, il se dit alors :
⎯ Pourquoi, moi ?
Et la réponse lui arrive en voyant l’image de Néni se transformer en celle
d’Aqualuce et son âme dit :
⎯ Cherche l’amour, tu la trouveras…
Chercher l’amour ! mais, il pensait l’avoir trouvé. Chercher l’amour, au-
delà de son âme, mais qui le guidera ?
Sur ces pensées, d’un coup, il percute le sol avec une extrême violence et
perd connaissance…

Il a mal aux os, mal à la tête, mal dans son corps, mal dans son âme et il se
demande s’il est encore vivant. Les yeux collés au sol, il les ouvre et c’est là
qu’il voit à côté de lui son vaisseau, la lumière éclairer le ciel et, de façon
incroyable, le trou disparu, comme s’il n’y avait jamais eu de puits, jamais
eu de ville ; seulement des roches et de la matière de sol, qu’il appellerait
sur sa planète, "de la terre". Par quel miracle est-il là ?
Courbatu, il se redresse et se demande si le trou a réellement existé ?

438
Enfin debout, il voit non loin de lui les restes d’un vaisseau complètement
disloqué. C’est bien l’engin qu’il avait vu tomber la nuit dernière, il ne rêve
pas cette fois et comprend qu’épuisé, la nuit dernière il est tombé sur le sol
en perdant connaissance. Mais il se souvient vraiment de toutes ses pensées
et à ce moment et ces mots lui reviennent :
« Cherche l’amour, tu la trouveras. »
C’est à ce moment qu’il perçoit encore comme l’autre nuit la voix de Néni
dans sa tête lui parler comme si elle était présente :
⎯ Avance vers la mer, efface les frontières, remonte les rivières, tra-
verse les déserts, découvre qui tu es, parcours ton histoire, va droit devant
toi, alors tu pourras retenir tout en toi et tout offrir. Pour aimer, tu peux bou-
leverser le monde, enfin la serrer dans tes bras et te poser enfin. Cherche
l’amour, il est devant toi.
C’est alors que Jacques sent en lui l’âme de Néni le traverser avec une flui-
dité jamais ressentie auparavant.

Peu après, il s’approche du vaisseau disloqué et regarde les décombres de


l’engin. La carcasse n’est pas entièrement décomposée, il reste des mor-
ceaux qui ont résisté à l’impact. C’est à ce moment qu’à sa surprise, il voit
les restes du corps de Néni. Plus de doute, cette fois, elle est bien morte.
Son visage ne semble pas laisser paraître la douleur, au contraire, elle sem-
ble sourire, dans une profondeur éternelle. Elle a dû mourir avant l’impact,
car elle ne porte qu’une blessure sur le thorax. C’est à ce moment qu’il
comprend que toute la force de son être s’est libérée comme un oiseau
qu’on libère de sa cage. Son corps était une prison, le monde une torture,
l’univers une mort permanente. Néni, libérée de la vie, est une lumière sans
limites, Jacques le sait. Reprenant les paroles qu’il entendait, il les répète
plusieurs fois, la première lui dit, avance vers la mer. C’est alors que re-
trouvant son vaisseau, il demande au CP de trouver la mer la plus proche.
Celui-ci lui indique alors qu’il pourra en trouver une à moins de cent kilo-
mètres et c’est ainsi qu’il prend son appareil pour rejoindre la mer.

***

Aqualuce se redresse, elle entend une chanson dans sa tête qu’elle a envie
de fredonner. "Quand on cherche l’amour" interprétée par Natasha Saint
Pier, vite, elle prend son lecteur MP3 et trouve la chanson qu’elle chante
immédiatement.
Sa fille lui demande alors :
⎯ Pourquoi chantes-tu ?
⎯ J’ai l’impression que ça pourrait attirer vers nous quelqu’un qui nous
aidera, je crois que ma voix peut le guider jusqu’à nous.

439
⎯ Mais, à qui penses-tu ?
⎯ Peut-être papa, qui sait !
⎯ Alors, si ça peut l’amener à nous, continue…

***

Jacques s’attendait à une mer bleue, une étendue d’eau allant tout au bout
de l’horizon, il ne s’imaginait pas avoir devant lui un océan de sel ; un vaste
désert. Il arrête son vaisseau pour comprendre ce qui pourrait l’avoir guidé
jusque-là, c’est pour cela qu’il sort. Se posant devant l’horizon, il se de-
mande comment trouver l’amour dont lui parlait cette voix intérieure. Il
s’avance sur le grand plateau de sel et ne voit rien au-delà du désert salé,
c’est à cet instant qu’une tornade se déclenche, sans raison précise et le
tourbillon fonce vers lui si vite qu’il n’a même pas le temps de remonter
dans son engin. Le courant est si fort qu’il l’aspire d’un coup et l’emmène
vers le désert. Remué, contorsionné, il est transporté à la façon du vent. La
tornade s’arrêtant d’un coup, il se retrouve jeté sur le sol de sel et s’arrache
la peau des genoux et du crâne, mais par chance il est entier. Sans perdre
conscience, il se relève, se sentant bien vivant. Mais, il fait sec et il n’a pas
une goutte d’eau avec lui. Ayant observé l’étoile, il arrive à s’orienter en
pensant pouvoir revenir vers son vaisseau. C’est là qu’il commence à mar-
cher. Mais bientôt, le sol qui était devant lui, plat comme une mer, semble
onduler comme des vagues et au fur et à mesure qu’il marche, le sel se li-
quéfie et ses pieds s’enfoncent de plus en plus. Il ne peut plus marcher et
bientôt se retrouve dans un bain de sel liquide, une mer. Plongé dedans, il
doit maintenant nager pour avancer, mais heureusement, l’eau est si salée
qu’il peut flotter sans problème. Hélas, il ne voit nulle part une rive où
s’approcher. Il se demande dans ces conditions, comment trouver l’amour ?
Des heures qu’il nage et la fatigue se fait de plus en plus sentir. Se deman-
dant si la mer dans laquelle il se trouve ne va pas le prendre dans son ventre
et l’engloutir, il trouve la force de réfléchir sur l’amour. Aqualuce apparaît
dans sa pensée, mais au-delà de l’amour qu’il a pour sa tendre, une pensée
étrange l’emmène vers la première mission qu’il avait eue autrefois ; la
Graine d’Etoile. Il commence à comprendre que l’amour pour ce qu’il avait
découvert est plus important. Mais, il lui manque encore la compréhension,
la raison de cet amour moins humain. S’apaisant, il reprend confiance en
lui, continue à nager et peu de temps après, il aperçoit une petite île sur
cette mer et prend courage pour la rejoindre. Il se hisse jusqu’au sable et
enfin arrive à se mettre au sec. À l’ombre d’un palmier, il ferme les yeux,
épuisé…

Il se réveille juste à l’aube et c’est là qu’il s’aperçoit que l’île n’en n’est pas

440
une, mais une oasis entourée d’un désert de sel, comme au début. Au mi-
lieu, il y a une source d’où jaillit une eau fraîche. Il se rapproche pour se
désaltérer, mais lorsqu’il souhaite se rafraîchir, il en est empêché, car un
mur invisible lui barre l’accès. Il se demande alors pourquoi et son cœur
paraît lui répondre, comme Néni le faisait :
« Pour boire à la source de la vie, il faut avoir trouvé l’amour. Pour trou-
ver l’amour, et se retrouver dans son nouvel espace : lui laisser la place. »
Jacques est malheureux, il ne comprend pas vraiment ce qu’il doit faire, en
général dans sa tête, tout est ordonné, il ne laisse jamais le hasard agir sur
lui, il pense qu’il est toujours bon de prévoir, d’organiser. Mais, finalement,
même s’il connaît la Graine d’Etoile, connaît-il l’âme ? C’est là qu’il se
questionne intensément et comme un fil conducteur, il entend en lui une
voix lui dire :
« Trop bruyant, tu ne peux toujours pas m’entendre crois-tu que l’Amour
puisse se montrer lorsque la vie extérieur t’entraine avec elle ? »
Jacques comprend qu’il fait encore trop de bruit avec ses pensées. S’il peut
les apaiser, il pourra entendre autre chose. Regardant le désert, il apaise sa
panique pour pouvoir entendre. Il est perdu, il ne sait pas. La source d’eau
coule encore devant lui, mais il ne peut toujours pas s’en abreuver, pourtant,
il a soif. Il se désespère de ne pas y arriver, aussi, il décide de quitter l’oasis
pour trouver un lieu plus hospitalier. Toujours autant de sel autour de lui et
sûrement pas de vaisseau alors il reprend sa marche…
La croûte de sel sur laquelle il se déplace, commence à devenir de plus en
plus chaude et lui brûle les pieds. Bientôt, de la vapeur sort du sol et comme
dans une bouilloire, des bulles apparaissent et éclatent sous la chaleur, de
plus en plus de bulles, comme du savon. Jacques est impressionné, il
s’imagine qu’elles doivent être si chaudes que si une de ces bulles explosait
sur lui, il serait aussitôt brûlé. C’est alors qu’une bulle plus grosse que lui
sort du sol sous ses pieds, il passe à l’intérieur, et s’envole. Déjà à quelques
mètres du sol, il est impressionné, et se demande ce qu’il adviendra de lui
lorsque que cette bulle éclatera. Mais au lieu de redescendre, elle monte de
plus en plus et bientôt, il se retrouve à la hauteur où naviguent les avions. Il
n’ose remuer de peur d’éclater la bulle. Mais elle monte encore et la voici
dans la stratosphère. Il se demande comment il se fait qu’avec le peu de
pression dehors, il arrive à se maintenir et que la bulle n’ait pas encore écla-
té. C’est irréaliste, il n’en croit pas ses yeux, mais il voit la planète comme
on la regarde depuis un vaisseau spatial, et la bulle continue de monter ;
mais jusqu’où ?
La vitesse accélère, et bientôt, il passe au ras de l’étoile du système plané-
taire, peut-être n’est-il plus loin de la vitesse de la lumière. Dans sa bulle,
Jacques s’inquiète, il se demande dans quoi il a pu pénétrer pour naviguer
dans l’espace de cette sorte. Cette bulle ne semble pas flotter, laissant

441
l’impression de savoir où elle va. Se dirigeant vers une autre étoile, Jacques
comprend que la bulle va vers une autre planète. C’est ainsi que descendant
sur l’astre, la bulle laisse apparaître aux yeux de Jacques une planète diffé-
rente d’Unis. Elle commence à l’approcher de si près que Jacques est terri-
fié, sachant qu’il est maintenant à plusieurs années-lumière d’Unis. Mais la
bulle fait le tour de la planète à vive allure et ses yeux ne voient rien de
comparable à ce qu’il connaissait jusqu’à aujourd’hui. Il se demande ce
qu’il doit comprendre de tout cela ?
Dans l’instant, toujours la même voix parle en lui :
« As-tu trouvé l’amour que tu cherches ? »
Le pauvre Jacques n’a toujours pas de réponse à offrir à cette voix et
comme aucune réponse ne sort de sa bouche, la bulle accélère encore et
quitte la planète. Sa vitesse est encore plus prodigieuse, car ce n’est pas une
étoile qu’il voit arriver sur lui, mais des dizaines, des centaines. Une planète
arrive sous ses pieds, il traverse des rivières, des déserts et montagnes, des
horizons inconnus. La bulle change ensuite de planète, mais cette fois,
l’astre est loin d’être viable, car l’atmosphère est comme de l’acide, mais
cette bulle semble très résistante. À travers un brouillard étrange, il voit des
volcans qui crachent une lave bleue et verte, tout le sol de la planète n’est
qu’un tapis de lave en fusion. Jacques espère que sa bulle protectrice
s’échappe de cet enfer, mais c’est le contraire, car elle fonce vers le sol si
vite qu’elle va s’éclater en le percutant. Ses yeux ont à peine de temps de
regarder qu’il pense vivre sa mort. Mais quelle surprise lorsque la bulle
traverse la planète sans qu’il ait l’impression d’être freiné un instant. Il voit
toutes les couches de la sphère et malgré la température incroyable, il ne
sent rien. C’est alors qu’il se questionne en pensant aux paroles qu’il enten-
dait dans sa tête.
⎯ Trouver l’amour ! mais je me demande si âme et amour ne seraient
pas la même chose ?
L’âme ne serait-elle pas une vie en dehors de moi ? pour la trouver, je de-
vrais arrêter de me regarder le nombril. Il faut que je regarde au-delà de
mon être. N’est-ce pas ce que me montrait toujours Néni ?
Jacques commence à comprendre et il sent que s’il est dans le ventre de la
planète, c’est pour lui montrer que sa conscience est tournée vers l’intérieur,
plutôt que vers une lumière bénéfique. Il revoit le visage de Maldeï, mais
aussitôt, se retourne vers Néni. C’est à ce moment que la bulle se dégage
des sous-couches de la planète et fonce directement vers le ciel. Jamais il
n’avait parcouru l’univers à une telle vitesse, car autour de lui, ce ne sont
pas des planètes ou des étoiles qui défilent sous ses yeux, mais des ga-
laxies ; qui pourrait le croire ? C’est ainsi qu’il fait le tour de l’univers,
comme un enfant fait un tour de manège. Jacques admire l’ensemble de la
création, il y a dans la bulle comme un œil magique lui permettant de situer

442
tout ce qu’il veut dans l’univers ; c’est ainsi qu’il peut voir le soleil en
temps réel. Il regarde la Terre, les planètes sur lesquelles il a déjà séjourné,
c’est alors que la voix lui revient en lui disant :
« As-tu trouvé l’amour, celui que tu cherches, peux-tu voir où il est ? »
C’est là que Jacques pense à ce qu’il avait oublié au début de sa recherche
et qu’il dit :
⎯ Aqualuce, tu es mon âme, c’est toi que je désire, c’est à toi que je
donnerai toute la force qui me traverse.
Et il répond à la voix en lui :
⎯ Aqualuce est mon âme, elle se meurt de ne pas m’avoir avec elle et
elle m’attend.
Regardant à travers l’univers, il aperçoit l’astre où elle se trouve. La bulle
ne fait qu’un bon en laissant toutes les galaxies derrière elle et se retrouve
au-dessus d’Unis. Jacques aperçoit une forêt tropicale,
⎯ C’est ici qu’elle est ; aussitôt, la bulle contenant Jacques, descend
vers la forêt trop verdoyante. Très vite, il voit le sol arriver et sa bulle pro-
tectrice passe entre les arbres tropicaux. En se posant il voit sous ses pieds
la moisissure du sol humide, mais il en est séparé par la bulle. Il rapproche
son doigt de la fine sphère et à peine l’effleure-t-il qu’elle éclate exactement
comme une bulle de savon. Il se demande comment une bulle aussi fragile a
pu le transporter et lui faire faire le tour de l’univers ?
Mais sa protection n’est plus là, le désert de sel non plus, au contraire, le
voici dans une jungle qu’il ne connaît pas et il n’y a toujours personne au-
tour de lui. Pas le temps de réfléchir à l’amour car le terrain sur lequel il se
trouve n’est pas très stable, il doit trouver meilleur endroit pour marcher.
Enfin il parvient en s’accrochant à des branches à rejoindre un sol plus sta-
ble. Mais, perdu, il se questionne :
⎯ Tout à l’heure au-dessus des galaxies ; maintenant me voici dans la
boue, planté, là dans la jungle, sans boussole, sans carte, sans savoir où je
dois aller. De là-haut, je pensais avoir repéré quelque chose. Ce doit être
mes sentiments, mes illusions qui me faisaient croire ça. À quoi pourrait
servir de marcher, je ne sais même plus où aller.
Jacques s’assied sur un tronc d’arbre, totalement dépourvu d’idées. Mais la
nature ne l’entend pas de cette oreille, car très vite le sol vibre, les arbres se
fléchissent, l’eau commence à couler sous ses pieds. C’est alors que des
lianes entourent ses pieds et le tirent de sa souche pour le pendre en haut
d’un arbre géant, tel qu’il en existe dans le Sequoia national Parc, en Cali-
fornie. Jacques, la tête en bas, les pieds attachés par des lianes, est à plus de
cent mètre de hauteur. Alors, il commence à saisir quelque chose :
⎯ Néni, est-ce toi qui m’emmène partout, entre l’univers et le sommet
des arbres, est-ce ton esprit libéré de son corps qui me persécute ainsi ?
Si j’étais seul, il ne se passerait rien de tout cela, tu veux de moi quelque

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chose que je n’ai pas encore donné. Pourtant je saisis l’amour que tu veux
de mon être, je comprends qu’il y a en moi la force de faire vivre autre
chose, je sais qu’Aqualuce est ce que j’ai fait naître autour de moi. C’est à
elle que je veux aller. Je vois en mon esprit son visage, mais j’ai le senti-
ment que je n’ai pas tout fait pour arriver à elle. Me voici, le corps pendu en
haut d’un de ces arbres géant et je ne sais toujours pas pourquoi ; que n’ai-
je pas fait ?
C’est alors que la liane se dénoue et que Jacques tombe de toute la hauteur
de l’arbre. Jusqu’au sol, il ne faut que cinq secondes et pour l’esprit de Jac-
ques, c’est une éternité, alors il pense à ses enfants ; "Cléonisse, Céleste".

C’est alors que le petit garçon redresse la tête, ayant entendu en lui son nom
prononcé. Voyant très loin, dans un arbre, un homme tomber, il a le même
réflexe qu’il avait eu une fois en voyant Wendy tomber de la montagne.
Cette petite chose qu’il voit aussitôt par la pensée, il l’attrape et la porte par
son esprit, afin qu’elle arrive en douceur jusqu’au sol. Sa mère lui demande
ce qui se passe :
⎯ J’ai vu une chose tomber d’un arbre tout là-bas, je pense que ça pour-
rait être un homme. Ne l’as-tu pas aperçu ?
⎯ Tu sais, je suis fatigué mon corps a tant de mal à se porter que je ne
peux plus redresser la tête.
⎯ Si tu veux, maman, je peux te porter avec mes pouvoirs, je crois que
j’en suis capable, comme je l’ai fait pour l’homme qui tombait du grand
arbre.
Sa sœur lui dit :
⎯ Mais si tu as vu un homme tomber, il faut lui porter secours, il a pu
se faire très mal.
⎯ Tu as raison, ma fille, je vais demander au groupe.
Aucun doute pour les autres, il faut aller voir qui peut être ce pauvre bougre
tombé d’un arbre. L’enfant indique la direction à suivre, c’est à plus d’un
kilomètre, moins d’une heure suffira pour y arriver…

Jacques ne comprend pas ce qui s’est passé pendant sa chute, car à quelques
dizaines de mètres du sol, alors qu’il devait s’écraser, une sorte de main l’a
rattrapé et posé délicatement sur le sol. Il en est à se demander ce qu’est
encore cette magie. Les fesses dans la boue, il réfléchit pour comprendre
véritablement tout ce que veux la voix qui parlait en lui jusqu’à mainte-
nant :
« J’ai suivi Aqualuce lorsqu’elle a voulu partir dans l’espace et je n’avais
aucune idée du but à son départ. Je me suis endormi dans le vaisseau qui
nous emmenait et lorsque je me suis réveillé, j’étais l’esclave de Maldeï.
Néni a toujours été auprès de moi, comme une lumière, une flamme me

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montrant la voie. Je l’ai aimée comme la femme que j’avais perdue et elle
en a pris sa place. La suivant, elle m’a réveillé du sommeil dans lequel
Maldeï m’avait plongé en voulant prendre la place d’Aqualuce. Je me suis
révolté et je me suis enfui. J’ai vu ce que la révolte avait provoqué, grâce
au feu qu’avait mis Aqualuce en tous ses hommes. C’est cela qu’Aqualuce
était partie faire lorsque nous avons quitté nos enfants. Elle devait organi-
ser la rébellion. Mais, qu’ai-je fait que je n’ai pas encore compris. »
Jacques réfléchit et pense aux derniers instants passés avec Aqualuce avant
leur séparation. C’est là qu’il se rappelle avoir eu avec elle un rapport trop
particulier, trop intime. Il se revoit alors avoir une relation physique avec
elle, il la savait féconde, la veille elle le lui avait dit. C’est alors qu’il com-
prend :
⎯ C’est maintenant, Aqualuce attend un enfant, elle va accoucher, c’est
certain, il faut que je la retrouve. Je ne sais pas comment, mais il le faut, un
enfant va naître, il faut que je sois auprès d’elle.
Réfléchissant encore, Jacques découvre enfin ce que la parole voulait de
lui :
⎯ "As-tu trouvé l’amour, celui que tu cherches, peux-tu voir où il est ?",
c’est ce que tu me disais. Je sais maintenant que tout cela était pour une
naissance. J’ai fait naître en mon cœur une vie, avec la force que j’avais
découverte la première fois, la Graine d’Etoile. Je connaissais cette force
formidable, mais hélas, je n’avais jamais su l’utiliser jusqu’alors. Cette
force n’est pas pour moi, mais pour la vie qui me touche et qui me porte en
même temps. Aqualuce, tu as plongé dans la vie, tu t’es sacrifiée durant
tous ces mois, tandis que j’étais obombré par Maldeï, la force noire de la
Couronne de Serpent. Par la force du cœur, par l’intermédiaire de Néni, j’ai
commencé à me réveiller et Néni m’a sorti de mon oubli. Comme je me
détachais de Maldeï, une force de révolte s’est constituée, je suis certain que
tu en étais le foyer. Ce n’est pas deux ou trois êtres qui seront libérés, mais
des milliers, grâce à la révolte que tu avais décidée de soulever lorsque nous
sommes partis. Je comprends que l’Amour est le principe de la vie, je com-
prends aussi que c’est en donnant pour tous qu’on libère en nous tous les
rayons de l’Amour, je sais maintenant que c’est en libérant les rayons vers
toi, Aqualuce, que tu pourras changer tout le ciel de l’univers. C’est pour
nous deux une nouvelle vie, une nouvelle naissance. Aqualuce, je t’aime.
Entends ces mots qui sortent de mon cœur.
À peine ces paroles prononcées, la force qu’il croyait être l’âme de Néni lui
parle dans son cœur, c’est son âme. Il ressent en lui une joie si profonde
qu’il a la sensation d’être déjà dans un monde nouveau, rempli de bonheur ;
comme s’il vivait dans une autre dimension, un autre espace. C’est aussi à
ce moment qu’il se sent la force d’avancer vers celle à qui il pense. Il se
lève, et ses jambes se mettent à le porter, comme si ses pieds étaient des

445
fusées, dans une direction que son cœur lui indique ; Jacques a trouvé
l’Amour…

À la recherche de l’homme tombé des arbres, Aqualuce suit le groupe


d’amis, guidé par son fils, mais soudain, elle s’arrête net, prise de douleurs.
Tous la regardent et Jenifer comprend ce que cela veut dire et demande aux
autres de s’arrêter aussi.
⎯ Je crois qu’Aqualuce va accoucher, il faut s’occuper d’elle.
Wendy, Timi et Araméis ne s’imaginait plus que cela pouvait arriver un
jour à leur amie, ils s’étaient tellement habitués à la voir toujours se surpas-
ser qu’elle paraissait totalement immunisée. Mais la nature est ainsi faite.
Les deux enfants s’inquiètent alors de voir que leur mère pourrait donner la
vie dans la jungle, sans aucun soin.
⎯ Ça va, Aqualuce, tu peux te redresser ?
⎯ Je sentais depuis deux jours des picotements dans le bas ventre, mais
je pense que là, c’est du sérieux. J’ai eu il y a un instant une contraction
terrible, je crois que ce ne sera pas la dernière. Je veux bien marcher encore,
mais de toute façon, je n’en ai plus pour longtemps.
⎯ Je ferai tout ce que je peux pour toi, même si je dois donner mes vê-
tements à tes bébés, mais nous n’avons rien pour t’accoucher.
⎯ T’en fais pas, je m’en suis toujours sortie, la nature nous aidera.
C’est sur cette phrase que les arbres, les plantes autour d’eux paraissent
avoir un comportement curieux. Les arbres se couchent pour faire un es-
pace, les plantes se mettent à s’entrecroiser pour confectionner un lit. Des
pétales de fleurs se mettent à voler pour arriver dans le lit végétal et le cou-
vrir d’un doux duvet. Un arbuste se redresse alors pour faire une ombrelle.
Et des lianes poussent pour renforcer la structure. Aqualuce voit alors ce
que la nature vient de réaliser pour elle et s’en émeut, et elle s’allonge sur le
confortable lit afin de prendre ses aises pour mieux se préparer à faire venir
la vie. Tous sont étonnés, mais ils pensent vite à un miracle de la vie. Pour-
tant, Aqualuce très réceptive dans ces instants, avant son accouchement, se
rappelle une jeune femme qu’elle avait rencontrée au début de leur mission
; elle s’appelait, Amanine. Sait-elle que celle-ci est aujourd’hui attachée à
l’esprit de Bravia, un des sept planètes de Lunisse. Sait-elle que l’esprit de
Néni est aussi avec elle ; ses enfants entendent du bruit derrière les arbres.
Cléonisse léve les yeux et voit un homme apparaître derrière les arbres cou-
chés ; elle le reconnaît vite :
⎯ Papa !
Tous regardent et aperçoivent alors Jacques, qui arrive en courant sur les
branches. Il se presse, comme s’il savait pourquoi tous sont arrêtés ? Plus de
doute, le moment tellement attendu est là. En quelques secondes, Jacques
Brillant, l’époux d’Aqualuce, le père des enfants est devant eux. Face aux

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yeux émerveillés d’Aqualuce qui oublie dans l’instant les contractions
commencées.
Il embrasse ses deux enfants qui lui tendent les bras et se rapproche vite du
lit sur lequel est allongée son épouse. Leurs regards se rejoignent alors et
c’est à ce moment qu’une chose encore plus étrange se passe autour d’eux :
Le corps de Jacques devient transparent et électrique. Au bout d’un instant,
il est comme un champ électrique et se déplace en se fondant sur le corps
d’Aqualuce. Dans un crépitement électrique, les deux corps se mélangent
n’en formant plus qu’un seul, devant les yeux étonnés de leurs amis et de
leurs enfants. Comme s’ils échangeaient ensemble leur expérience, on ne
peut que distinguer durant tout ce temps une grosse masse électrique, où
n’apparaît qu’une forme humaine étrange. Puis un grand flash éblouit tous
ceux qui sont autour et après, Jacques se retrouve au sol, projeté en arrière
tandis qu’Aqualuce est prise d’une nouvelle contraction.
Jacques se redresse et dit à Jenifer :
⎯ Il faut ramener le vaisseau jusqu’ici. C’est celui dans lequel tu voya-
geais avec Aqualuce, tu as la capacité de le faire venir jusqu’à nous.
Jenifer réfléchit, puis se rappelle qu’elle et Aqualuce avaient accès au CP
par le mode pensée. Elle comprend alors qu’il lui suffit de se connecter au
CP du vaisseau pour le faire venir jusque-là. Quelques instants plus tard,
elle reçoit les influx du vaisseau, car Jenifer a tous ses pouvoirs et elle
commande alors à l’engin de décoller et de venir jusqu’à elle. Moins de dix
minutes plus tard, au-dessus d’eux, le vaisseau apparaît. Les arbres le com-
prenant s’écartent afin de lui laisser la place et l’appareil se pose. Aqualuce
pousse un léger gémissement de douleur, Jacques se retourne vers elle.
⎯ Veux-tu que je t’emmène jusqu’au vaisseau ?
⎯ Non, ce lit est très bien, je m’y sens à l’aise pour accoucher. Éloignez
les enfants, je ne veux pas qu’ils me voient. Aussitôt Wendy emmène Cé-
leste et Cléonisse dans le vaisseau, Araméis et Timi les suivent, et Jenifer
reste avec eux. À ce moment, Aqualuce perd les eaux et Jacques vient au-
près d’elle pour lui donner des soins. Jenifer lui demande d’aller prendre
dans leur engin la caisse de soins. Il ne tarde pas, le travail est déjà com-
mencé…

Marie et Joseph, ce sont les deux bébés qu’Aqualuce a mis au monde au-
jourd’hui. Ils sont très beaux, les deux ont les yeux mauves et quelques fins
cheveux blonds. Ils n’ont que quelques minutes, mais Jenifer voit déjà que
ces deux enfants sont plus que frère et sœur ; ils se complètent de façon
étrange, lorsqu’un paraît rayonner de la lumière de son regard, l’autre la
reçoit comme s’ils communiquaient déjà ensemble. Lorsqu’un sert une
main, l’autre en ouvre une Aqualuce et Jacques sont tous deux heureux, les
deux enfants sont sur le ventre de leur mère. C’est alors que les autres sor-

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tent du vaisseau pour venir voir les nouveaux venus dans ce monde.
Tous sont autour du lit, les bébés dans les bras de leur mère, Jacques à ge-
noux, tenant la main de sa compagne, tandis qu’Araméis tient dans ses
mains une pierre lumineuse d’unissium comme cadeau. Timi porte des vê-
tements tandis que Wendy apporte du lait d’orginave afin de les toiletter.
Jenifer ne paraît pas avoir de présent, mais lorsqu’elle ouvre la paume d’une
main, un rayon lumineux en jaillit et recouvre leur visage. Cléonisse et Cé-
leste sont heureux de voir leur frère et leur sœur, leur cœur est rempli
d’amour. C’est le soir, l’étoile est couchée et au zénith du ciel, apparaît une
étoile d’où l’on peut voir trois rayons surgirent de la nuit. Tout comme à
Bethléem, tout comme l’étoile du berger, la lumière de cette étoile les enve-
loppe de ses rayons comme pour les transformer et annoncer la naissance
d’un nouveau temps.
Pour parfaire cette fête silencieuse, les arbres de la forêt se redressent un
instant pour former une voûte pour les protéger de la fraîcheur de la nuit, et
façonnent pour chacun un lit. Tous s’endorment autour du foyer allumé par
les deux jeunes enfants, laissant pour une nuit le repos s’installer afin de les
récompenser de leur bravoure pendant cette période qui les transporta dans
le désir de Vie qu’ils avaient accroché à leur cœur…

Le premier bébé pleure, il a faim et réveille le deuxième qui se met à récla-


mer ensuite. Aqualuce qui se réveille comme les autres, s’inquiète aussitôt,
c’est difficile de donner la tétée à deux nourrissons au même moment. Jac-
ques se redresse et prend un des enfants qui se calme instantanément. C’est
alors qu’Aqualuce peut donner le repas du premier qui s’endort après s’être
rassasié. Jacques fait l’échange et tout se passe bien. Mais, Aqualuce n’est
jamais au repos, car à peine ses deux enfants endormis, elle se redresse,
comme si elle n’avait jamais accouché :
⎯ Mes amis, mes enfants, nous n’avons plus rien à faire ici. Nous
avons traversé des épreuves sur cette planète, nous nous sommes tous pré-
parés depuis que nous avons pénétré les profondeurs du Puits de l’Oubli.
Nous avons cheminé dans les différentes sphères de l’astre et nous nous
sommes longtemps perdus dans cette forêt. Mais nous devons remercier
Unis de nous avoir accueillis et donné son enseignement. C’est par cette
planète que toute la révolte contre les forces du mal est devenue possible et
pour la remercier, partons sur Terre pour continuer l’œuvre commencée.
Araméis, prends les commandes du vaisseau, c’est toi le chef. Emmène-
nous sur Terre pour rejoindre les autres ; notre planète est en danger.
Tous regardent Unis dans un silence méditatif, c’est alors qu’Aqualuce dit à
Jacques :
⎯ Néni est en moi, tu la sens, n’est-ce pas ; tu sais, c’est une de mes
sœurs, nos corps sont comme un. Approche-toi, je vais te donner un baiser.

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Jacques n’avait pas eu l’occasion de lui en faire un depuis qu’ils s’étaient
retrouvés, hier. Araméis ferme les portes du vaisseau qui décolle juste
après.

Ce n’est pas un baiser ordinaire, car il redonne à Jacques tout le passé


qu’Aqualuce lui avait ôté. Mais pour que sa peine disparaisse, elle lui donne
l’oubli de Néni, mélangeant sa vie avec la sienne. Car, l’esprit de Néni était
celui d’Aqualuce ; Jamais elle ne l’avait quitté.

Néni était Aqualuce…

Cap sur la Terre.

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450
GUERRE SUR
TERRE

451
DIALOGUE ENTRE UN ELFE ET UNE ETOILE
Dans un espace se trouve un univers. Dans cet univers, se trouvent des ga-
laxies dans lesquelles sont des constellations où, il y a des étoiles. Dans ces
étoiles se trouvent des planètes, sur lesquelles sont des hommes…

⎯ Et, ces hommes, que viennent-ils faire ici ?

⎯ L’homme est un univers. C’est une galaxie, c’est une constellation,


c’est une étoile, c’est une planète. L’homme est microcosme, face au ma-
crocosme ; pourtant, ils sont plus semblables qu’il n’y parait. Qui pourrait
imaginer que l’univers est comme un homme ?
Et pourtant, il l’est !

⎯ Mais l’homme est imparfait.


⎯ Mais l’univers est imparfait !
⎯ Qui a créé l’homme ?
⎯ Qui a créé l’univers ?

⎯ L’homme est issu de l’univers !


⎯ Non, l’univers est issu de l’homme !
⎯ Mais lequel des deux contient l’autre ?

⎯ Ni l’un ni l’autre ! car l’un est un rêve et l’autre une pensée.


Au commencement, l’homme a rêvé l’univers car le rêve était la forme la
plus fine de la vie.
Mais l’univers a pensé l’homme et la matière a pris forme.

⎯ Mais sans Dieu, rient de tout cela ne serait ?

⎯ Dieu est le rêve le plus élevé de l’homme, c’est son but car c’est
l’image de l’homme-univers.
L’homme fut Dieu, avant qu’il ne rêve ; avant qu’il soit l’homme perdu
dans l’univers.

⎯ Donc, l’homme s’est perdu en lui-même ?

⎯ Oui, il est tombé dans sa création, son rêve qui est devenu pensée. Il
a créé un espace qui le contient enfermé dans le temps.
Le temps a ses propres mesures qui sont l’espace, la gravitation, la vitesse
et les dimensions.

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⎯ Et si l’homme devait mourir ?

⎯ L’espace disparaîtrait, ainsi que l’univers et les dieux. Mais l’homme


est immortel ; il n’y a que ses pensées qui le sont.

⎯ Mais alors, les hommes de la Terre ne sont que des pensées, s’ils
sont tous mortels ?

⎯ La pensée surgit de l’âme, elle crée pour vivre dans l’univers, la pen-
sée humaine. Mais cette pensée peut un jour redonner du rêve à cette âme,
afin qu’elle puisse retrouver la voie de l’éternité, l’autre espace sans temps,
ni gravité ni distances, car la pensée de l’homme contient Dieu au fond de
son cœur.

⎯ Mais si la pensée est le signe de la mort et de la souffrance sur la


Terre, pourquoi n’a-t-elle pas disparu depuis longtemps ?

⎯ La pensée a généré une vie impie qui a pris la place du rêve ; la pen-
sée ne veut pas disparaître et détruit le rêve tant qu’elle peut. Elle détruit
son créateur à chaque moment. Elle est en guerre contre lui.

⎯ Les hommes sont donc tous prisonniers, ils ne pourront jamais se li-
bérer de leurs pensées, la Terre est remplie de centaines de milliards de pen-
sées ; c’en est le plus grand fléau.

⎯ L’humanité doit entrer en guerre contre ses pensées.

⎯ Mais il y a des hommes qui aiment à penser, alors que d’autres ai-
ment à rêver !

⎯ Les rêveurs doivent se réveiller afin d’endormir les penseurs ; alors


le rêve deviendra réalité et l’univers sera changé.

⎯ Mais ce sera la guerre !

⎯ Elle est inévitable ; la Pensée est comme un serpent venimeux, alors


que le rêve est comme un enfant innocent.

⎯ La guerre de l’enfant et du serpent ?

⎯ Oui ; regarde en bas :


453
INVASION
Tout est prêt, cette fois, Maldeï sait que la couronne l’a
préparée pour ce destin. Sur Terre, elle trouvera un monde installé depuis
des millénaires, des hommes ayant un passé plus lointain que celui de sa
civilisation. Elle a cinq cent mille hommes avec elle, mais là-bas, elle en
aura sept milliards face à elle. Cela dit, quelle importance, sa couronne est
comme le creusé de la civilisation sur laquelle elle s’assiéra. La couronne
possède tout, y compris le passé du monde qu’elle envahira bientôt. Ses
vingt vaisseaux sont plus puissants que toutes les armées de la Terre. Pour-
quoi devrait-elle avoir un doute sur sa supériorité ; elle est certaine de pou-
voir mettre tous les hommes sous son joug. Pourtant, elle a le doute car elle
ne connaît pas la puissance de celle qu’elle désire affronter. Retrouvera-t-
elle Aqualuce comme elle le souhaite, elle en doute, mais ce qu’elle prépare
ne peut que l’attirer, même s’il a eu des fuites sur ses projets d’invasion,
cela était nécessaire. Ses médecins lui ont signifié que son enfant viendra
dans trois jours ; c’est pour elle le signe du départ qu’elle a prévu pour la
nuit prochaine. Son arrivée sur Terre se fera aussi en pleine nuit, tout est
prévu, ses généraux sont rompus à sa cause, elle a acheté leur conscience
par des promesses de pouvoir et leur offrant des femmes si belles qu’aucun
ne put résister, même si ces pauvres êtres n’ont plus qu’une conscience
sexuelle. Depuis l’échec des êtres de Natavi qu’elle avait voulu obombrer,
elle a compris que les hommes se manipulent moins qu’ils ne s’achètent.
Néanmoins, les troupes restent droguées, cela pourrait les aider à oublier la
souffrance, voir accepter la mort dans certains cas. De toute façon, elle sait
que dès que le rayonnement de la couronne s’étendra sur la Terre, et que les
terriens seront vaincus, elle n’aura besoin d’aucun homme pour diriger la
planète entière, elle se dit que ses troupes pourront disparaître, cela ne
changera rien lorsque son but sera atteint.
Devant son pupitre de commande, elle fait le point ; tout est prêt. Les vingt
généraux sont tous dans l’attente du signal, les soldats, mâles, femelles,
enfants, vieillards encore aptes, sont tous comme des zombis, drogués, prêt
à se jeter dans le feu des armes terriennes. Elle signale à ses hommes de
patienter encore un peu, elle doit encore faire une dernière chose avant de
partir vers sa nouvelle conquête…

Allongée sur son lit, elle pose les mains sur son ventre. La tête du serpent se
dresse au-dessus d’elle, comme pour entrer en contact avec le bébé. C’est
ainsi qu’elle entend le cœur de son enfant battre à travers elle, le fluide de
l’esprit du reptile pénètre le cerveau de l’enfant afin de déjà le préparer à
son destin de fils du serpent. Cet enfant sera le maître de l’humanité, il
n’aura pas besoin d’une couronne sur sa tête pour exercer les pouvoirs du

454
serpent, il en sera l’esprit, c’est le destin de l’enfant de Jacques et Maldeï.
Ce bébé aura dans ses veines le sang du terrien et celui de la reine de
l’univers ; rien ne pourra le vaincre, pas même la mort. Son esprit libérera
toutes les forces de la couronne et il sera l’âme de l’humanité ; c’est son
destin. Encore une fois, Maldeï sait ce qu’elle aura à faire une fois sur
Terre. Sentant les coups que donne encore son bébé à travers son ventre,
elle entend de lui que c’est le moment. C’est ainsi qu’elle se lève, replace
sur elle sa tunique d’argent, réajuste sa couronne et rejoint le grand poste de
pilotage où se trouve son amiral. Une fois dans la cabine de commande-
ment, elle demande à tous :
⎯ Êtes-vous prêts à retrouver notre planète afin qu’elle nous rende tous
nos pouvoirs ?
Tous lui répondent :
⎯ La Couronne de Serpent reprendra sa place, comme il y a six mille
ans, la Terre retrouvera le pouvoir du Serpent. Maîtresse, dirigez-nous vers
notre nouvelle patrie.
Un grand silence se fait. Maldeï rayonne le pouvoir de sa couronne vers les
vingt vaisseaux, afin que tous soient déjà pris par son esprit unique, afin de
lui donner leur force.
Alors, Maldeï appuie sur la commande qui donne le départ vers la terre…

Deux heures ont été nécessaires afin d’arriver dans le sillage de Mars, la
Terre, à quelques minutes de la planète rouge va se transformer en champ
de bataille d’une guerre hors de portée des hommes. Déjà dix-huit vaisseaux
se placent autour de la planète bleue ; plusieurs au-dessus de chaque conti-
nent. Comme elle l’a prévu, toutes ses armes sont dirigées vers les plus
grosses villes qu’ils ont sous leurs pieds :
Paris et Moscou sont visées par les canons éthériques, capables de tout dé-
sintégrer à la surface, mais encore aucun homme ne le sait. New York et
Los Angeles sont déjà prises sous les rayons magnétiques du générateur à
neutrons qui peuvent éliminer la vie dans la seconde où on le décidera. Pé-
kin et Delly ne savent pas que les canons ioniques gèleront tout et qu’à plus
de dix mètres, la température sera inférieure à moins quatre-vingt degrés.
Les habitants de Sidney, Tokyo et Hong-Kong sont loin d’imaginer qu’un
orage magnétique brûlera peut-être dans quelques instants tous les circuits
électriques et électroniques qu’ils contiennent et les font vivre. Quant à Rio
et Mexico, personne ne peut imaginer le pire des ouragans dévastateurs que
les générateurs éthériques leur préparent. Au-dessus de Londres et Oslo,
personne ne sait qu’une grande quantité de météorites sont rassemblées
pour écraser toutes vies dessous. L’Afrique n’échappe pas aux calamités car
sur ce continent, une vague géante est prête à se soulever depuis
l’Atlantique ; les générateurs magnétiques déplaceront bien plus efficace-

455
ment la mer que ne peut le faire la Lune, et un raz-de-marée géant pourrait
infliger une telle plaie que cette terre déjà si fragile ne pourra jamais s’en
relever. La banquise est sous le feu de réacteurs thermiques et leur fonte ne
prendra que quelques minutes et ainsi, les terres basses ou des archipels,
comme les Pays-Bas ou les Maldives, ainsi que Venise et bien d’autres vil-
les se noieront sous la montée des eaux. Rome, Berlin et Madrid ne sont pas
laissés pour compte, car des millions de bactéries virtuelles vont se propa-
ger à travers ces villes, contaminant tous les êtres respirant l’air qu’ils ont
autour d’eux. Ces germes transmis par rayons photomagnétiques se recons-
tituent à leur arrivée dans l’atmosphère et se multiplient presque à l’infini.
Les cellules atteintes se cristallisent et les hommes touchés se solidifient
comme des pierres. Un champ magnétique particulier effacera toutes les
informations stockées dans les disques durs ou autres mémoires électroni-
ques. Maldeï avait lu dans la mémoire de Jacques comment était la vie sur
Terre et depuis longtemps elle s’était préparée, sachant parfaitement com-
ment réduire les forces de cette planète à néant, sans même devoir perdre un
seul de ses soldats. Pourtant, elle les a préparés comme s’ils allaient se bat-
tre au corps-à-corps. Dans le plus grand secret, elle a préparé son invasion,
personne ne savait vraiment, pas même ses généraux. Sous sa méchanceté
qui semble dominer sa vie et ses intérêts, elle a préparé un plan d’invasion
très efficace. Cette femme est en vérité une grande guerrière. Son ancienne
âme contenait l’esprit de Marsinus Andévy, chef des armées lunisse, il y a
des années déjà. Ceux qui avaient connu cette femme, savent qu’elle avait
dans sa tête la vision en quatre dimensions d’une guerre. Elle savait, même
avec peu d’hommes prendre l’avantage par rapport au nombre. Jamais elle
n’avait perdu une bataille, un conflit avec leurs ennemis, les Golocks. À
croire qu’Andévy ne s’est jamais réellement éteinte dans la mémoire de
Maldeï. Est-ce pour le bien ou pour le pire ?

L’arrivée de Maldeï est effective, car ceux qui se trouvent dans l’arche
aperçoivent tous les mouvements dans le ciel et voient approcher deux vais-
seaux, au-dessus du désert qui les accueille maintenant…

Pour les terriens, ce jour du 18 mai 2009 sera peut-être la fin de leur réelle
liberté. Tous les vaisseaux sont prêts, les cibles déjà marquées, les hommes
en dessous, déjà condamnés…

456
UNE ARCHE DANS LE DESERT
Juste après la bataille dans le vaisseau de Taourel, ils ont
pu sauver plusieurs dizaines d’hommes et sont partis vers la Terre. L’arche
est la nef la plus rapide de l’univers, mais ils ont mis deux jours pour arriver
au-dessus de la planète bleue, car tous devaient se préparer et trois minutes
pour une pareille transition n’auraient pas permis de trouver leurs nouveaux
repères. Dessus, ils sont nombreux, tous survivants des sept planètes du
monde Lunisses, plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants,
mais, aussi quelques guerriers de Maldeï, heureux de rejoindre la rébellion.
Parmi eux, plusieurs avaient été placés à des responsabilités importantes,
comme Adiban, ministre de l’armement pour Maldeï et Taourel, chargé de
retrouver les rebelles et les détruire. Au début de l’aventure initiée par
Aqualuce, il y avait Araméis, chef de la rébellion et son épouse, Wendy,
ainsi que Weva s’étant rebaptisée Jenifer, après être passée sur Terre. Mais
ceux-la ont disparu et depuis, la direction de la rébellion a été prise par
Maora, jeune femme dont la mère était gouverneur de la planète Persevy.
Comme la population de cette planète est la plus importante, il fut logique
qu’elle remplaçât Araméis. De plus, Maora a tant de dons qu’aucun doute
ne s’éleva, lorsque l’obligation de reprendre la suite lui fut proposée. Avec
elle, tout se passe bien car elle a mis une direction collégiale avec les autres,
comme Fil, Adiban, Némeq, Delfiliane, Clara, Christopher et même Dag-
maly, la jeune ado, rebelle, qui montra tant de courage dans les moments les
plus durs. Depuis peu, au retour de Némeq, une jeune femme s’est aussi
intégrée, Magylin, celle qui put sauver les derniers survivants de Sagis.
Unis a la particularité d’agir avec force sur la pensée et la conscience des
hommes, grâce au métal dont elle est constituée, l’unissium, a transformé
l’ensemble des êtres qui s’y sont posés et le reste de la population de l’arche
n’est sans aucune contestation opposé au collège, ni Maora, bien au
contraire. Tous sachant que l’existence sur les planètes où ils survivaient il
y a peu, n’était que provisoire et sans espoir, ils se réjouissent réellement
d’arriver sur Terre, origine de leur vie, même s’ils doivent affronter Maldeï
et sa Couronne de Serpent.
Clara et Christopher ayant indiqué la position de la zone d’atterrissage,
Adiban et Maora, après avoir fait le tour de la planète pour la contempler un
long moment, ont décidé de poser l’immense arche sur le sable du désert
Américain. C’est ainsi que les observateurs militaires de la zone déjà en état
d’alerte, du fait des grandes manœuvres, en sont tous totalement retournés
et observent l’événement ; le général Scott avertit son commandement en
direct de ce qu’il voit :

⎯ Madame la présidente, vous ne pouvez imaginer ce que je vois en ce

457
moment. Une curieuse masse de terre de plusieurs kilomètres de diamètre,
comme si on avait arraché du sol un bout de notre planète. Mais cela ne
tombe pas, ça vole. Je vois dessus tous une installation, il y a une sorte
d’élévation, comme la Tour Effel, et de son sommet, des rayons verts en
sortent et entourent cette… Cette île du ciel.
Vous ne me croirez pas, mais dessus, il y a des habitations ; c’est une ville
volante, et sur les bords, avec mes jumelles, je vois des hommes et des
femmes se pencher pour regarder. L’île volante semble faire le tour du dé-
sert comme si elle cherchait à se poser. Nos avions en font le tour, mais ce
serait inutile d’envoyer un missile, je pense que cela ne ferait rien. Je n’ai
jamais pensé que cela puisse exister, c’est comme si nous faisions voler l’île
de Manhattan avec ses grattes ciels. Mais ça y est, j’ai l’impression qu’ils
m’ont pris pour cible, maintenant l’île se dirige vers nous et nos cantonne-
ments et elle descend. J’ai les oreilles qui bourdonnent, j’ai l’impression
que cette chose vibre d’une force magnétique car ma montre tremble sur
mon poignet et tout ce qui est métallique émet un curieux bruit, même mes
lunettes bourdonnent. La chose grossit et n’est plus qu’à quelques mètres de
notre camp, je vois les hommes et les femmes debout et leurs enfants nous
font signe. Je crois qu’ils ne sont pas armés, ils semblent nous adresser un
message de paix. Autour d’eux, il y a des arbres, c’est une ville, il n’y a
même pas de protection, pas de vitres, pas de blindages. Le bout de l’île est
à cinquante mètre de mon véhicule, il se pose sur le sable qui semble
s’écraser et s’écarter, faisant une nouvelle dune. C’est fini, l’île est sur notre
terre, les rayons verts s’arrêtent, un souffle d’air semble s’évacuer sur nous.
Madame la présidente, j’ai l’impression de voir une Arche s’être posée de-
vant moi. Je vois des milliers d’hommes et de femme dessus, ils sont tous
comme vous et moi ; ce sont des Hommes !
Lorsque Hillary entend cela, elle n’est pas étonnée, Mia est à côté d’elle et
comprend que c’est le moment tellement attendu et préparé. Elle ne sait pas
encore qui est arrivé, mais ayant entendu la description de ce qui vient de se
poser, elle est certaine que ce n’est pas l’armée de Maldeï. Elle attend avec
impatience de savoir qui se trouve à bord. À l’autre bout de la ligne, le gé-
néral, un peu paniqué leur indique qu’une rampe vient de se déployer et que
quelques hommes et femmes la descendent. Enfin les premières images
vidéo arrivent dans le bureau de la présidente et elle peut voir ceux qui dé-
barquent de l’infini spatial…

⎯ Mes respects, mon général, je suis le lieutenant Christopher Leass,


du BFI, division SF, affaires étranges. Tout cela est en rapport avec la dis-
parition de la navette au mois d’août dernier. J’ai été propulsé dans une
aventure extraordinaire, qui m’a conduit jusqu’à ces hommes, et me revoilà
avec eu sur cette Arche. L’affaire est sérieuse, notre président en est-il in-

458
formé ?
⎯ Madame la présidente suit l’opération, sait que des événements
étranges se passent ici. Pourriez-vous m’expliquer tout cela ?
⎯ Tout d’abord, il est important que vous demandiez au commande-
ment aérien d’éloigner vos avions de cette zone, car je pense qu’ils sont en
danger, d’autres événements pourraient se produire. Je vais vous présenter
aux responsables de l’arche, ils ont des informations à transmettre à votre
présidente, l’heure est grave, des événements plus importants vont arriver
dans les heures qui viennent. Mettez-nous en vidéoconférence avec elle,
afin que les décisions importantes puissent être prises.
Les officiers et autres soldats autour du général sont aussi surpris et cela les
rend impuissants. Ils sont presque paralysés devant ces hommes qui débar-
quent de nulle part, la surprise est trop grande pour eux ; ils sont habitués à
combattre contre d’autres militaires en casques comme eux ou des terroris-
tes équipés de bombes ou de Kalachnikov, mais cela ils ne connaissent pas.
Le général Scott voit arriver sur lui deux autres hommes et plusieurs fem-
mes souvent jeunes. L’une d’elles prend la parole :
⎯ Général, vos radars n’ont peut-être pas remarqué, mais au-dessus de
la planète, se trouvent vingt vaisseaux de combats débordant de troupes
armées. De très grandes villes sont prises pour cibles et des millions
d’hommes sont en grand danger. La Terre entière risque de voir une partie
de ses capitales disparaître sous la terrible haine de notre ennemi. Vous
devez vous préparer à une grande invasion dans les heures qui viennent.
Le pauvre homme est incapable d’agir, mais, madame la présidente qui a
tout entendu, s’adresse à lui dans un des haut-parleurs.
⎯ Général Scott, préparez vite une vidéoconférence entre moi et les
responsables de l’arche !
Aussitôt, les militaires installent dans leur base l’équipement nécessaire à la
transmission. Afin que la communication ne soit pas interceptée, elle sera
codée. Dans la pièce s’installent Maora, Clara, Christopher et Fil. À l’autre
bout, à la Maison Blanche, se trouve Hillary Rodham, le ministre de la dé-
fense, trois généraux et en arrière plan, une secrétaire, Mia Ericsson. C’est
ainsi que la présidente commence :
⎯ Monsieur Christopher Leass, je viens de recevoir de mes services
une note vous concernant, elle indique que depuis août, vous êtes en mis-
sion en France pour enquêter sur la disparition d’une navette spatiale à
Houston. Vous avez pris des vacances depuis novembre et depuis, vous
avez disparu. Vous revoici, avec des milliers d’hommes et de femmes, dé-
barquant dans le désert, avec une sorte d’île volante qui semble sortir de
nulle part. Quelle est la relation avec notre navette ?
⎯ La disparition de notre engin est liée à la guerre qui se prépare contre
nous aujourd’hui. Certains de nos amis ont dérobé la navette afin

459
d’organiser notre défense contre l’ennemi qui s’apprête à nous frapper. Cer-
tains terriens ont des capacités surnaturelles qui leur permettent de se dépla-
cer dans l’espace sans moteur, sans fusées ni réacteurs.
⎯ Alors, qui sont ces gens qui débarquent ici aujourd’hui ?
⎯ Je laisse Maora vous expliquer le reste.
⎯ Madame la présidente, je vous prie de recevoir mes vives salutations.
Je me nomme Maora, je suis de la planète Persevy, une planète faisant par-
tie d’un ancien système se nommant Lunisse. Nous vivions en parfaite har-
monie sur nos huit planètes, jusqu’à ce qu’un événement important déstabi-
lise notre système. C’est à partir de là que la Terre fut menacée et qu’un
terrien fut pris dans notre aventure. Il s’appelle Jacques Brillant, kidnappé
par nos ennemis de l’époque, il rejoignit Lunisse et fit un travail inimagina-
ble. Il arriva à luter contre nos ennemis et fit des découvertes si importantes
qu’elles peuvent bouleverser l’univers. Il put revenir chez lui, avec une
femme extraordinaire, Aqualuce ; c’est elle qui a pris votre navette afin de
repartir dans l’espace avec Jacques. Ils nous ont rejoints et libérés, c’est
ainsi que nous pouvons arriver jusqu’ici, car nous savons par lui que nos
origines sont terriennes, nous revenons sur notre terre perdue et c’est notre
but aujourd’hui. Hélas, dans la bataille que Jacques mena, il y a quelques
années, l’ennemi se réveilla après son départ et reprit de la force. Pendant
tout ce temps, il reconstitua une armée dont le but est de revenir sur la
Terre, afin de reprendre les droits que ses ancêtres avaient abandonnés en
quittant la planète qui s’appelait alors, Atlantide, il y a six mille cinq cents
ans environ et nous en sommes leurs descendants. Maldeï, tel est le nom de
la femme qui représente les forces hostiles du passé. C’est elle qui a préparé
l’invasion terrienne, elle est arrivée, vingt vaisseaux se trouvent au-dessus
de vos têtes, préparant ainsi les plus grandes calamités que la terre puisse
connaître un jour. Nous ne savons pas ce qu’elle attend, mais d’un moment
à l’autre, vous pourriez voir arriver des vaisseaux en masse ou déjà la des-
truction de beaucoup de choses. Cette femme n’est plus humaine, elle se
délecte à faire le mal ; et la souffrance est pour elle normale. Je crains que
vos armes soient inefficaces face à elle. Seuls ses troupes, composés de
femmes, d’hommes et d’enfants ne savent pas se battre. Sur le terrain, peut-
être que vos hommes auraient parfois l’avantage.
⎯ Mais que pouvez-vous faire, vous qui arrivez ici ?
⎯ Nous ne sommes pas armés, mais nous avons un grand avantage,
nous arrivons tout droit de la planète Unis qui nous a tous transformés.
Nous possédons des pouvoirs, mais contre les armes de Maldeï, nous ne
pouvons rien. Mon peuple ne peut pas rester sur l’arche, maintenant qu’elle
s’est posée sur votre planète. Il serait mieux que les enfants soient mis à
l’abri loin de l’arche devenue une cible évidente pour Maldeï. Le reste des
hommes pourraient se mélanger à vos troupes pour les aider, les conseiller.

460
Je pense qu’il faut le faire au plus vite.
Christopher intervient alors :
⎯ Madame la présidente, les enfants de l’école de Keuramdor sont-ils
auprès de vous, les avez-vous fait venir sur le terrain ?
⎯ Sur les conseils d’une de mes collaboratrices, ils sont actuellement
en route pour Holloman Air Force Base, dans l’est du désert, je pense même
que l’avion s’est déjà posé… Mon ministre me dit que c’est à cent cin-
quante kilomètres de là où vous vous trouvez.
⎯ Madame, si c’est bien cela, les enfants ne sont pas en danger, mais,
faite immédiatement évacuer le site sur lequel nous nous trouvons, le dan-
ger est imminent, on me le fait savoir…

Pas de temps à perdre, les généraux ne peuvent douter de ce qu’un des leurs
affirme avec ses amis extraterrestres, arrivés sur une arche si gigantesque,
défiant toutes les lois de la physique. Tout cela sont des preuves. Le com-
mandant en chef de l’armée, le ministre, l’Air Force donnent tous les
moyens d’évacuer les six mille êtres qui se trouvent sur la zone et débar-
quent les quelques matériels sensibles. En moins de trois heures, des centai-
nes d’hélicoptères font la navette pour enlever chaque enfant, chaque
femme, chaque homme ; sur l’arche et autour de l’arche, plus un homme,
plus un être vivant. Tout cela est rendu possible grâce à Mia, autrefois Yé-
niz, chef des armées lunisse aujourd’hui, petite secrétaire dans un bureau à
la forme ovale…
L’exercice est terminé, l’alerte est à son maximum, les cent mille hommes
des grandes manœuvres du désert sont maintenant en guerre, bien que
l’ennemi ne se soit pas encore montré.
⎯ Madame la présidente, je pense qu’il serait prudent de quitter Was-
hington immédiatement, je vous fais préparer vos affaires pour rejoindre le
centre d’opération au Mount Weather, là, vous serez en sécurité.
⎯ Mon cher secrétaire, je veux que vous organisiez mon départ, mais
nous allons à Holloman Air Force, c’est là que j’ai placé des enfants et il
n’est pas question de les laisser seuls devant le danger alors que je serai
tranquille sous une montagne blindée. Ils risquent leur vie, la mienne n’a
pas plus de valeur. Faites préparer mon jet, nous partons.

Tous les hommes de l’arche se sont mélangés aux militaires, Maora, Chris-
topher, Clara, Adiban, Fil, Némeq et leurs proches, comme Dagmaly et
Magylin sont conduits jusqu’à Holloman Air Force Base, afin de retrouver
les enfants de la fameuse école de Keuramdor. Leur hélicoptère arrive sur la
base aérienne et Christopher repère de haut le site qui paraît être comme
une ville plantée dans le désert. Les hommes y ont même planté des arbres
et ont créé une zone pavillonnaire qui pourrait faire penser à une petite

461
bourgade, sauf qu’au dessus, d’autres bâtiments abritent des installations
avec des prototypes d’avions révolutionnaires qui ne verront peut-être ja-
mais le jour. Mais en tout cas, aucun de ces engins ne ressemble à l’île vo-
lante que les autres militaires ont vu se poser tout à l’heure. Clara est émue
à l’idée de retrouver les enfants, les autres ne savent pas ce qui les attend.
On croit voir sur le bord d’une piste, des enfants, mais c’est moins sûr…

462
LES ENFANTS SACRIFIÉS
Plus aucun doute lorsque l’hélicoptère se pose, car quand
la porte s’ouvre, Clara voit Axelle et ses deux amis, Oda et Shanley courir
vers eux, sans que les militaires puissent les retenir. Axelle les appelle et se
précipite vers eux, et Clara a juste le temps de la rattraper dans ses bras.
⎯ Oh, Clara, comme je suis heureuse de te revoir. On nous a tous ame-
nés ici pour Maldeï. On n’a rien dit aux autres, mais je crois qu’ils ont tous
deviné que nous sommes des appâts. As-tu des nouvelles de Cléonisse et
Céleste.
⎯ Ma petite Axelle, comme je suis heureuse de te retrouver, mais je
n’ai pas de nouvelle de ton cousin et de ta cousine, je ne sais pas où ils peu-
vent être.
C’est ainsi que ces retrouvailles se font sur le tarmac, mais le commandant
demande que la zone soit dégagée au plus tôt. Tous montent dans le bus et
repartent vers la zone pavillonnaire d’où viennent les filles. En arrivant, ils
trouvent les autres enfants dehors, ainsi que tous les adultes. Noèse est de-
vant le groupe, avec Doora. C’est au moment où les premiers passagers
descendent du bus que Doora s’effondre. Némeq, la voyant, se précipite sur
elle. Pour elle le choc est trop sévère, elle n’imaginait pas revoir son époux
qu’elle avait quitté en partant avec Aqualuce, il y a plusieurs mois. Le voir
sortir d’un bus est pour elle presque irréel. Némeq tente de la ranimer, mais
vite un des médecins se rapproche et comprend qu’elle vient de faire un
malaise cardiaque. Aussitôt, elle est emmenée à l’hôpital de la base. Némeq
la suit. Heureusement, elle est prise en charge par un très bon médecin qui
lui donne tous les soins attendus. Lorsqu’elle ouvre un œil, Némeq est assis
à côté d’elle. C’est à ce moment qu’elle lui dit :
⎯ Je me suis encore faite remarquer, c’est réussi comme mise en scène
pour nos retrouvailles. Que veux-tu, je n’ai plus vingt ans, mon cœur n’est
plus aussi fort qu’autre fois.
⎯ Le docteur m’a dit que tu étais surmenée et que c’est pourquoi ton
cœur a eu cette faiblesse. C’est un petit infarctus, mais pas trop grave. Dans
quelques jours, tu pourras sortir de l’hôpital.
⎯ Il le faut, nos enfants nous attendent ; ils sont restés en France chez
une nourrice.
⎯ Nos enfants ?
⎯ Oui, nous avons deux enfants qui viennent d’Elvy. Leur mère est
morte et je les ai adoptés. Ils s’appellent Magann et Dicam, une fille et un
garçon. Tu les aimeras lorsque tu les verras. Et toi, as-tu réussi la mission
qu’Aqualuce t’avait confiée ?
⎯ Avec Maora, nous avons retrouvé près de cinq mille survivants.

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Nous les avons tous ramenés ici.
⎯ Comme je suis heureuse, avec moi, tu n’aurais jamais pu le faire. Je
savais que l’on pouvait te faire confiance, tu es le meilleur. Tu as été fidèle
jusqu’au bout à ton engagement.
Ce mot, fidèle, lui fait mal aux oreilles. Il a honte de regarder Doora comme
un héro. Elle le sent et lui dit :
⎯ Parle-moi d’Amanine, je sens ton cœur lourd.
⎯ Amanine est morte. Elle s’est sacrifiée pour nous sur Bravia. Sans
elle, nous ne serions pas revenus. J’ai honte de te le dire, mais je t’ai trompé
avec elle ; j’ai eu envie d’elle et je l’ai fait. Elle m’attirait, elle avait quelque
chose que beaucoup d’autres n’ont pas. Mais, tu sais, je n’ai jamais cessé de
t’aimer.
⎯ La course que tu as faite à travers les étoiles est pleine d’embûches.
Sauver cinq mille hommes et femme est bien plus important que d’être fi-
dèle. Moi, je t’ai oublié pendant des centaines de jours, car je n’ai vécu que
pour les enfants que j’ai autour de moi. Tu ne vas peut-être pas me croire,
mais tout à l’heure, lorsque je t’ai vu, je me suis rappelé que j’étais mariée.
Ce souvenir subit m’a créé ce choc ; tu étais sorti de ma mémoire.
⎯ Mais, alors, tu ne m’aimes plus !
⎯ La mémoire et les sentiments peuvent revenir à la façon d’un tsuna-
mi ; c’est mon cas.
Les deux se regardent un court instant et Némeq, bravant les interdits du
médecin, se jette sur elle pour la couvrir de baisers et de caresses afin de
remplir le vide de leur séparation.

Noèse accueille Clara et Christopher avec bonheur. Les autres amis se pré-
sentent aussi. Maora fait vite connaissance de tout le groupe et comme elle
a aussi un très jeune enfant, Noèse est tout attentive envers elle. Ce moment
de retrouvaille leur ferait presque oublier la raison de leur rencontre sur
cette base militaire. Mais une information arrive et le commandant leur de-
mande de les rejoindre dans son QG. Laissant les enfants, elles montent
dans une Jeep qui les y conduit…

En compagnie de Harry, Adiban, Noèse et Maora sont emmenés dans le


poste du général Kinder qui les attend devant un écran et leur demande :
⎯ Le service aérien m’envoie des images étranges, prises au-dessus de
l’arche sur laquelle vous êtes arrivés ; pouvez-vous me dire ce qui se passe,
d’après vous ?
Maora, experte regarde un instant. Adiban s’interroge et pense comprendre :
⎯ Général, reste-t-il des hommes autour de l’arche ?
⎯ Non, je crois que l’évacuation est terminée, mais je peux me le faire
confirmer. Y a-t-il une urgence ?

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⎯ Oui, trois minutes !
Tous se regardent, le général appelle le QG pour savoir s’il reste des militai-
res dans la zone. On l’avertit dans la minute qu’il reste une patrouille
d’inspection. Mais, il n’a pas le temps de dire autre chose que d’un coup,
toutes les lumières, les ordinateurs s’éteignent. Coupure totale !
L’arche est à cent cinquante kilomètres de là, mais une vibration étrange se
fait sentir de tous. Adiban dit alors :
⎯ C’est terminé, l’arche n’est plus que du passé. Si vous allez voir sur
place, Général, vous trouverez juste un cratère assez large pour y mettre
votre base entière et je pense qu’il y aura encore beaucoup de places.
Il la regarde, sans comprendre. Mais Adiban, qui a mis au point les arme-
ments des vaisseaux que commande Maldeï, sait que les canons éthériques
sont des armes silencieuses. Elle connaît aussi leur influence sur les champs
magnétiques et électriques. Les vibrations ressenties sont aussi le résultat du
tir. Tout cela, elle le sait et lorsque la ligne de communication se rétablit, le
général entend ce qu’on lui dit dans l’écouteur :
« Général Kinder, d’un seul coup, nous avons vu l’arche s’illuminer et dis-
paraître. C’est incroyable, mais à sa place, il y a un immense cratère. »
⎯ Vous aviez raison, c’est ça !
Mais une autre information lui arrive aussitôt :
« Une chose étrange et gigantesque descend du ciel, ça mesure des kilomè-
tres. C’est comme s’il faisait du rase-mottes pour inspecter son travail.
Maintenant, il ne bouge plus ; pourvu qu’il ne nous ait pas repérés…
Non, je ne crois pas, mais, c’est curieux, il se tourne maintenant. Oh ! j’ai
l’impression qu’il se dirige vers vous. Si vous regardez vers l’Ouest, vous
allez le voir arriver. »
Très vite, ils regardent par la fenêtre et voient arriver vers eux un engin
incroyable. Comme c’est la fin de l’après-midi, l’immense vaisseau cache le
soleil et la base se trouve presque en entier dans la nuit. Le général ne sait
quoi faire, ils ne sont pas plus de deux cents hommes et une dizaine de pilo-
tes sur la base. Ils n’ont que des fusils, mais pas une seule arme de combat,
leur base n’est pas un camp de troupes, leur vocation est de faire des tests
sur les prototypes. Noèse s’inquiète alors pour les enfants qu’elle a laissés
dans les résidences avec Harry et Clara. Elle se dit que si Maldeï les a sen-
tis, c’est que l’appât a fonctionné et comme prévu, elle vient les chercher.
Elle pense que le coup donné à l’arche a dû effrayer les généraux qui n’ont
pas compris qu’il était important de protéger les enfants. Ces militaires ne
devaient pas s’imaginer qu’une attaque comme ça allait se produire.
⎯ Maora, il faut que nous regagnions les résidences, je sens que les en-
fants sont en danger.
À peine a-t-elle dit cela que le vaisseau est déjà au-dessus d’eux. Noèse
voudrait sortir pour rejoindre les enfants, mais ça lui est impossible. Les

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portes des bureaux sont bloquées, impossible de les ouvrir.
⎯ Général, que se passe-t-il on ne peut plus sortir ?
⎯ Hélas, c’est normal, c’est la sécurité qui s’est déclenchée, elle agit
pour notre protection et aussi pour bloquer les espions qui tenteraient de
sortir d’ici avec des secrets.
⎯ Comment fait-on ?
⎯ Il faut attendre que l’alerte soit levée.
⎯ Alors levez là !
⎯ Impossible c’est géré depuis le commandement au Pentagone.
Noèse se demande comment elle a pu faire confiance à des militaires aussi
prétentieux et en fin de compte, aussi inexpérimentés. C’est alors qu’elle
voit à travers les vitres blindées le vaisseau immobilisé au-dessus de la base
et des rampes se glisser jusqu’au sol. Des soldats descendent par centaines ;
des hommes, des femmes, tous armés et bien préparés. Elle se dit que même
la plus belle des armées terrestres ne fera jamais le poids devant ces gens-là.
C’est alors qu’elle pense à tous ces enfants, ces appâts comme on aimait les
appeler ; ces pauvres enfants sacrifiés. Comment a-t-elle pu être aussi bête
pour accepter qu’on prenne son école comme un vivier de larves que l’on
élève pour aller à la pèche. Elle essaie de pénétrer les pensées de ceux qui
sont restés avec les enfants et elle tente de leur dire de fuir, s’ils le peuvent
encore. Mais lorsqu’elle entre en contact avec l’esprit de Clara, elle
s’effondre, en larme…

466
L’ATTAQUE
Les enfants ne se sont pas aperçus qu’au-dessus d’eux,
une chose monstrueuse arrivait ; ils sont avec Doora, en train d’écouter Cla-
ra et Christopher raconter leurs aventures dans l’espace. Ils sont tant pas-
sionnés qu’ils ont oublié pourquoi ils sont là aujourd’hui. C’est à ce mo-
ment-là qu’ils entendent Dagmaly, la fille rebelle, crier si fort qu’elle sur-
prend tout le monde :
⎯ On est attaqué, vite, il faut se cacher ou fuir !
Clara se redresse, elle regarde par la fenêtre et voit des dizaines de soldats
dans l’uniforme des forces d’Elvy entourer le bâtiment dans lequel ils sont.
Plus de doute pour elle, c’est Maldeï qui envoie ses forces pour kidnapper
les enfants. Elle appelle aussitôt Christopher afin qu’il puisse faire quelque
chose pour leur résister. Très vite, il ferme les portes de la salle et prend son
arme, afin de protéger tous les enfants. Clara décroche le téléphone, mais il
n’y a pas de tonalité, alors elle se dit qu’elle et Christopher, qui sont invul-
nérables, grâce à leur découverte faite sur Elvy, pourrait tenter de créer une
diversion et la panique parmi leurs agresseurs. Cela pourrait permettre à
l’armée d’arriver et de faire fuir les troupes de Maldeï.
⎯ Christopher, viens avec moi, il faut sortir, on va leur rentrer dedans.
Toi et moi, on en a le pouvoir.
⎯ Mais, comment veux-tu, ils sont si nombreux !
⎯ Sur Elvy, comment faisais-tu lorsque tu étais coincé entre les soldats
de Maldeï ?
⎯ Mais, je ne suis pas seul, nous avons les enfants avec nous, il peut
leur arriver quelque chose.
⎯ Le quelque chose est là et si on ne bouge pas, nous serons tous morts.
D’un coup, Christopher ouvre une fenêtre et avec Clara y passe pour se
retrouver dehors. Dagmaly ferme la fenêtre sur eux et tire le rideau afin que
les enfants ne regardent pas et que les agresseurs ne les remarquent pas ;
peut-être qu’ils ne savent pas que les enfants se trouvent dans cette salle, la
base est grande, pourquoi viendraient-ils ici directement ?

Clara voit vite que c’est par centaines que les soldats de Maldeï sont arrivés
jusque-là. Pour qu’ils soient ralentis, il faudrait en éliminer plusieurs dizai-
nes d’un coup et ce n’est pas avec un revolver que Christopher y arrivera.
Alors, elle rend son esprit hyper-dynamique et comme une gymnaste, elle
roule si vite sur le sol qu’aucun des soldats n’arrive à la voir. Mais, elle a le
temps d’arracher des mains d’un homme son arme et immédiatement rejoi-
gnant Christopher, elle lui donne le fusil éthérique. C’est alors qu’il a le
réflexe de tirer efficacement sur ceux qui sont sa portée. Sept hommes
s’effondrent sans vie. Clara recommence et après avoir bousculé trois
467
hommes et avoir pris leurs armes, elle s’arrête et tire sur une dizaine de
soldats qui tombent à leur tour. Mais les soldats ne se laissent pas impres-
sionner et après avoir remarqué le jeu de Clara, ils la visent tous de leurs
armes, mais elle est trop rapide.
Christopher se met à l’abri et tire sur tous les soldats qui se présentent de-
vant lui et arrive à en abattre plus de quinze. Hélas, c’est par dizaines qu’ils
arrivent encore, ils semblent provenir d’une source intarissable. À deux
contres des centaines, ils ne pourront jamais arriver à bout. Clara a une idée.
Elle se dit qu’il faut les éloigner de la salle où sont cachés les enfants,
comme ça, les petits pourront s’échapper et se protéger. Elle fait un signe à
son époux et lui fait comprendre que c’est à eux de jouer les appâts. Alors,
très vite et ils se lancent dans la troupe afin de traverser et les attirer ail-
leurs. Tous deux, en hurlant, se mettent à foncer, tous les soldats sont sur-
pris. Ils tentent de tirer sur eux, mais leurs coups ne semblent pas faire effet,
comme si la peau de Clara et Christopher était en acier. En même temps,
avec leurs armes, les deux continuent à tirer et à faire des dégâts. Tous les
soldats se retournent vers eux et se mettent à les poursuivre et bientôt, plus
aucun ne tourne autour du bâtiment où sont les enfants. Au bout de plu-
sieurs centaines de mètres, la troupe entière est derrière eux, Clara se dit
que le champ est libre pour les enfants qui pourront s’échapper. C’est alors
qu’elle est arrêtée net dans son élan par un mur d’hommes et de femmes ;
soldats d’élite de Maldeï. Eux seront difficiles à passer. À ce moment, à sa
grande surprise, elle voit arriver, comme de nulle part, une femme qu’elle
connaît trop bien, Maldeï. Celle-ci tient dans ses bras une arme bien plus
curieuse que les autres. C’est là qu’elle a un mauvais pressentiment. Elle se
retourne alors vers le bâtiment des enfants et voit alors quatre d’entre eux
s’en échapper ; Axelle et Shanley, Oda et Dagmaly, courant vers la base
militaire. Comprenant que grâce à elle et Christopher, ceux-là ont pu fuir,
elle se sent rassurée, sachant qu’Axelle pourra donner l’alerte. Elle se re-
tourne vers son mari, lui tenant la main, elle lui dit :
⎯ On a fait notre travail. On peut partir en vacances, t’es d’accord ?
Christopher voyant Maldeï les menacer d’une arme inconnue, entendant
Clara parler de vacances, comprend alors qu’il s’agit plutôt de dire au revoir
à la Terre. C’est à ce moment qu’il décide de décharger toute la puissance
de son arme sur Maldeï, pensant que de toute façon, pour lui, la vie s’arrête
là. Comme il l’imaginait, lorsque les rayons mortels arrivent sur sa cible, ils
sont instantanément arrêtés par la force de la couronne. Alors, le pauvre se
précipite dans les bras de Clara et c’est à ce moment que Maldeï déver-
rouille son arme qui instantanément les désintègre.
C’en est terminé d’eux, la vie les a abandonnés d’un coup.
Maldeï sourit, enfin elle a pu tuer les deux espions qui s’étaient échappés
lorsqu’elle était sur Domagis. Elle donne ordre à ses soldats d’aller déloger

468
tous les enfants qui sont dans le bâtiment, mais, elle veut avant tout la tête
de l’enfant qui vient de se sauver avec trois autres filles. Maldeï pense à
Axelle qu’elle a repérée depuis qu’elle est arrivée sur la Terre. C’est cette
enfant qui lui a indiqué où se trouvaient les autres, elle sent son aura. Mal-
gré elle, cette enfant a trahi ses amis. Elle est presque obsédée par cette pen-
sée :
« Tue cette fille, elle est dangereuse, venge-toi de l’affront qu’elle t’a fait
un jour sur Carbokan. »
Si bien qu’elle envoie à sa recherche ses meilleurs soldats.

Axelle avait raison de s’inquiéter, depuis le début, elle met en danger une
bonne partie de ses camarades et avec ses amies, elles courent vers le centre
de la base, là où elle avait vu les avions avec le pilote. Elle pense qu’il faut
absolument partir loin d’ici, persuadée que c’est à cause d’elle que cet im-
mense vaisseau est arrivé jusque-là. Elle sent la présence de Maldeï, il n’y a
plus de doutes, c’est l’état de guerre. Cette femme diabolique a réussi à
amener son monde, sa force, ses pensées, sa haine jusque sur Terre. Ce
n’est plus un conflit qui se passait dans un endroit très reculé de l’espace ;
c’est là, à quelques milliers de kilomètres de son école, Keuramdor.
Elle oblige ses trois amies à courir avec elle, cependant elles se fatiguent
très vite. Mais pas de choix, il faut y aller :
⎯ Oubliez votre fatigue, oubliez que vous êtes des filles, vous avez la
force d’y arriver.
Ses amies grimacent, Axelle se retourne et voit un groupe d’hommes qui
doivent être des soldats se rapprochant d’elles. La pauvre voudrait
s’envoler, elle n’est pas elfe pour rien, mais, elle ne sait pas si c’est à cause
de la présence de Maldeï, elle a le sentiment d’avoir perdu ses pouvoirs.
« Tant pis, il faut compter sur soi et sur notre nature ordinaire. »
C’est le courage qui l’entraîne avec autres, car elles arrivent jusqu’au tar-
mac où sont posés les avions. Par chance, elles voient le pilote de ce matin
qui est avec deux autres, autour des appareils. Alors que les soldats de Mal-
deï ne sont plus très loin, Axelle crie aux pilotes :
⎯ Vite, emmenez-nous, il faut partir !
Les trois hommes les regardent et voyant tous les hommes courir vers eux,
comprennent aussitôt que c’est important. D’ailleurs, complètement affolés
de voir sur le côté un vaisseau spatial géant, ils ne savent plus quoi faire. La
vision des enfants fuyant devant des envahisseurs les motive à agir. Ni une,
ni deux, les pilotes attrapent les enfants et les placent à l’arrière de chaque
avion. Ils sautent à leur tour à l’intérieur et immédiatement démarrent leurs
réacteurs. Normalement, les moteurs doivent chauffer avant le décollage,
mais ils n’ont plus de temps et commencent à rouler. Les soldats arrivent
sur eux et tirent avec leurs armes surpuissantes. Curieusement, aucune

469
n’atteint son but et après avoir roulé quelques minutes, les F-117 s’engagent
sur la piste et décollent presque instantanément. Les avions surpuissants
grimpent en flèche vers le ciel, mais, les hommes de Maldeï ont aussi des
petits chasseurs qui se lancent à leur poursuite.
Les avions sont vite rattrapés et le combat aérien qui se profile paraît inégal
car chaque avion est suivi d’un chasseur extraterrestre ayant certainement
des armes si sophistiquées que nos pauvres F-117 doivent leur sembler être
de simples pigeons à abattre. Mais il n’en est rien, car en montant en alti-
tude, les avions paraissent plus maniables que les vaisseaux et ceux-là ra-
lentissent. Les F-117 voient alors qu’ils prennent de la distance et le chef-
pilote, au lieu de fuir prend une décision incroyable ; il fait une boucle, se
retourne et se retrouve aux fesses de ses agresseurs. C’est à ce moment que
tout change et que les pilotes des engins extraterrestres se voient poursuivis.
Ils veulent se débarrasser des avions, mais ceux-là les collent. Ils accélèrent,
mais c’est comme s’ils attiraient encore plus ceux qu’ils voulaient détruire.
L’un des pilotes des trois avions comprend alors qu’il peut envoyer un mis-
sile pour tenter d’en détruire un. L’ordinateur de bord trouve la cible, cal-
cule et indique au pilote qu’il peut tirer. Celui-ci fait feu et l’incroyable se
passe. L’engin visé est instantanément détruit et il tombe en miette vers le
sol. Les enfants dans l’avion voient cela et sont contents de savoir qu’ils ne
sont pas perdants devant ces gens venus de l’espace avec toute leur techno-
logie. Il reste deux appareils ennemis, il ne faut pas les laisser s’échapper,
pensent-ils tous. Alors, ils reprennent le combat, mais cette fois, ayant ac-
quis l’expérience de la défaite, les deux engins qui restent ne se laissent plus
faire. C’est une poursuite infernale et à l’intérieur des avions, les enfants
sont bousculés. Parfois, ils ont un ennemi derrière eux, parfois c’est le
contraire, mais c’est impossible aux ordinateurs de calculer, ça bouge trop.
C’est au moment où ils sont à plusieurs kilomètres d’altitude que l’avion
qui transporte Axelle est touché. Une aile se brise sous l’effet d’un rayon
envoyé par un des vaisseaux. C’est le drame, car aussitôt, l’engin se met en
vrille, aspiré par la gravité. Il semble que de loin, on peut voir deux petits
points s’éjecter…
La bagarre doit continuer et de rage, cette fois les deux pilotes des avions se
disent qu’ils ne finiront pas comme ça. L’un d’eux effectue une monté en
chandelle et terminant sa course, d’un coup, se retourne en descendant en
piqué. Un des ennemis ne l’a pas vu venir, car durant sa chute, l’ordinateur
a eu le temps de faire son calcul et lance son missile tout droit sa cible.
L’autre avion prend de travers l’engin restant et tire à son tour, c’est gagné,
ils sont libres. Les deux appareils filent tout droit vers la Luke Air Force
Base, celle qui leur semble la plus proche.
Hélas, les trois filles pensent à leur amie perdue dans le ciel du combat.
Axelle est-elle encore vivante ? Et le pauvre pilote, qu’est-il devenu ?

470
Leurs avions foncent au-delà du désert et arrivent enfin sur la base, laissant
derrière eux un combat si terrible que nul ne sait ce que sont devenus les
pauvres enfants restés sur la base attaquée…

471
DÉSEMPARÉS
Ce n’est que lorsque le vaisseau qui s’est posé au-dessus
de la base décolle que les portes du Quartier Général où est enfermés Noèse
avec ses amis et les militaires, se déverrouillent. Lorsque qu’ils arrivent
dans la zone résidentielle, jusqu’à la salle où tous les enfants s’étaient réfu-
giés avec Clara et Christopher, ils constatent que tous les enfants ont dispa-
ru. Plus de doute, ils ont tous été enlevés par Maldeï. Dans la grande salle
en désordre, par miracle, Delfiliane en ressort, rescapée. C’est là qu’elle
raconte le malheur, de la bataille avec Clara et Christopher qu’elle a pu ob-
server de la fenêtre. Les enfants ont tous été enlevés et leurs deux amis,
froidement abattus par Maldeï les laisse tous sans bras, une douleur
s’installe sur tous. Ils ne comprennent pas comment après avoir traversé tant
d’épreuves, ils ont pu se laisser prendre par cette infâme femme. Pour
quelle raison avoir voulu jouer les héros si c’est pour que tous les enfants
disparaissent. C’est trop stupide, cela n’aurait jamais dû être. Delfiliane qui
a vu toute la scène amène Noèse à l’endroit où elle les a vus se faire désin-
tégrer. À l’emplacement restent curieusement leurs deux alliances, sur un
tas de cendre. Noèse n’est en général pas sentimentale, mais elle se sent
obligée de ramasser les cendres avec les alliances et les mettre dans une
boîte. Sa demi-sœur et son beau-frère ne resteront pas ici, elle les ramènera
en France, à l’école, si elle le peut encore ; si la vie continue comme autre-
fois…

Hillary Rodham ne pouvait pas savoir que rien ne pourrait arrêter un vais-
seau spatial arrivant dans le désert. L’idée d’attirer les envahisseurs dans le
désert était excellente, mais elle ne pensait pas que les enfants puissent être
kidnappés si vite. L’armée aurait dû intervenir pour barrer la route aux en-
vahisseurs, les enfants auraient dû être évacués dès que le premier vaisseau
se montrait ; ils ont bien pu évacuer l’arche à une vitesse record. Cette im-
mense nef qui descend du ciel sans trouver d’opposition, ne peut que don-
ner de l’assurance à cette Maldeï dont on lui a parlé. Ses armées ont été
pétrifiées en voyant comment, d’un trait, l’arche fut détruite. Elle se re-
tourne vers Mia en qui elle avait toujours eu confiance jusqu’à présent :
⎯ Avais-tu prévu cela, savais-tu que les enfants disparaîtraient, savais-
tu que mon armée ne serait jamais de taille à se battre contre ses envahis-
seurs, penses-tu avoir une solution qui nous fasse espérer que notre monde
soit encore vivant demain ? Réponds-moi avant que je te fasse interner avec
tous tes amis.
La pauvre présidente a le regard noir.. Mais Mia ne se laisse pas dominer :
⎯ Ce n’est que la première manche. Une guerre ne se gagne jamais sur
la première bataille, c’est le meilleur moyen de connaître son adversaire que

472
de le laisser gagner la première fois. Tes généraux le savent bien et moi, j’ai
été militaire avant eux, je sais combattre, j’ai eu dans mes mains une des
meilleures armées de la galaxie. Alors que toi, tu n’as que l’armée d’un
pays. Je n’ai plus peur de te dire cela devant tes généraux, même devant ton
ministre. L’ennemi a joué sa première carte, alors que nous gardons encore
toutes les nôtres. Tu connais le poker, c’est un jeu de ton pays. C’est une
partie de poker que nous jouons. Alors, je te propose de jouer au poker
menteur avec elle. Voici ce que je te propose, mais il faut agir très vite.
C’est alors que Mia se met à part et dit à Hillary son plan. Peu après, il est
convenu que madame la présidente part immédiatement pour le Mount
Weather Emergency Operations Center, afin d’être à l’abri en cas d’attaque
et que Mia rejoint la base Holloman avec un général de la Air Force. Mia,
malgré les reproches qui lui ont été faits, semble avoir encore de l’influence
sur Hillary, ce qui agace les militaires qui l’entourent. Eux auraient bien vu
cette femme enfermée dans un asile.

Pendant ce temps, Noèse et Steve, Maora, Doora et Némeq, Fil et Adiban,


Delfiliane et Dgoger se rassemblent dans le QG de la base pour réfléchir :
⎯ Le vaisseau de Maldeï est parti si vite qu’il n’est pas possible de sa-
voir où il peut se trouver. Je ne sais pas comment nous pourrons retrouver
les enfants et je me demande pourquoi elle les a tous kidnappés. C’est éton-
nant que Maldeï ait pu les repérer aussi vite et venir directement ici.
⎯ Adiban, tu dois savoir que parmi eux, il y avait ma fille qui est restée
auprès de Maldeï quelque temps. Je suis certaine que c’est elle qui l’a atti-
rée jusqu’ici. La pauvre s’en est aperçue il y a deux jours, je l’ai senti dans
ses pensées, elle ne pouvait pas le cacher.
⎯ Mais que vont-ils faire d’eux, quel intérêt de les avoir avec elle ?
⎯ Steve, tu sais bien que ces enfants sont tous doués, si elle peut dé-
tourner leur esprit, elle pourra les prendre pour alliés.
⎯ J’en sais quelque chose, avec plusieurs de mes compatriotes nous
avons été soumis à son esprit en nous plaçant dans la tête des terribles cap-
teurs. Je crains qu’elle soit capable de le faire sur eux. Toutes les âmes
soumises à la couronne sont comme des esclaves. Si elle y arrive, nous
n’avons plus qu’à trouver le moyen de fuir la Terre. Avec eux, elle soumet-
tra les hommes à la puissance de la couronne et toute l’humanité deviendra
comme les soldats qu’elle a avec elle.
⎯ Mais pour quelle raison, Adiban ?
⎯ Je ne sais pas !
⎯ Moi, je sais.
⎯ Comment, Maora ?
⎯ Le secret de la Terre est dans la couronne. Celle-ci n’est qu’un sym-
bole, l’élément de liaison avec les forces de l’univers qui maintiennent tous

473
les hommes dans leur prison matérielle. Cette planète est une prison pour
tous et si les hommes désiraient se révolter, ils arriveraient à couper les for-
ces qui maintiennent l’univers en place. En les rendant dépendant de la cou-
ronne, l’énergie des hommes serait consacrée à la stabilité de ce monde de
l’espace et du temps. Je crois que cette bataille ne date pas d’aujourd’hui,
mais elle prend une forme plus évidente car des forces nouvelles pénètrent
tout l’univers depuis quelque temps.
Noèse pense alors à la Graine d’Etoile et à la planète Monadis sur laquelle
elle avait séjourné, bien avant qu’Aqualuce reparte dans l’espace. Elle se dit
alors que si Maldeï est si pressée que ça d’en finir, c’est qu’il va peut-être se
passer des événements importants sur la planète, comme le jour du 11 sep-
tembre 2001, date où le mal et le bien furent séparés par les rayons de Mo-
nadis.
⎯ Rien n’est perdu, il se peut que les éléments se retournent. Nous, Lu-
nisses, sommes plus de six mille à déjà nous libérer de l’espace-temps. Je
suis certaine que même séparés, nous pouvons appeler à la résistance. Il faut
que nous nous concentrions.
⎯ Tu as parfaitement raison, Noèse, maintenant que nous sommes ré-
unis, nous devons rassembler toutes les expériences que nous avons vécues
durant tous ces jours, depuis qu’Aqualuce nous a propulsés vers cette quête
immense. Tout ce que nous avons fait, découvert, est notre richesse. Né-
meq, sur chaque planète où tu es passé, tu as acquis un savoir, tu as pris de
chacune son essence. C’est cela que nous devons réunir pour nous opposer
à Maldeï. Il faut que nous offrions notre savoir, notre force, toutes nos ri-
chesses nous devons les donner afin d’ouvrir l’espace de l’éternité et d’en
faire descendre les forces de la vie pour qu’elles inondent le monde et ba-
laient celles de la couronne.
⎯ Doora, tu as tout compris ; faisons-le immédiatement. Appelons tou-
tes les lunisse à nous rejoindre en pensée. Créons un champ de force, avec
tous nos cœurs, construisons une pyramide qui pourra abriter tous les hom-
mes et leur faire ouvrir les yeux vers un nouvel espace sans temps ni distan-
ces.

Curieusement, ne parlant plus des enfants, ils se rassemblent tous en dehors


du quartier général militaire et forment un groupe d’une douzaine, ils se
concentrent tous, non en pensée, mais par l’intermédiaire d’une force
rayonnante dans leur cœur. De leurs poitrines sort alors une lumière qui
forme au centre un foyer et de là, un feu jaillit dans le ciel.

Les militaires qui sont mélangés aux hommes venus d’ailleurs voient subi-
tement tous ces étrangers frappés par un rayon surprenant. Au début, ils
pensent que c’est une attaque extraterrestre, mais ceux qui reçoivent la lu-

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mière ne semblent pas souffrir, au contraire. Sur tous les sites militaires
autour du désert, tous les hommes de l’arche s’écartent des soldats et se
rassemblent. Plus loin, dans les camps où ont été regroupés les femmes et
les enfants, il se passe la même chose ; les milliers rescapés de l’arche sont
tous au même moment touchés par la lumière partie des douze réunis, Mao-
ra, Noèse et leurs amis. Les militaires qui observent le phénomène ne com-
prennent pas ce qui se passe, mais s’ils étaient dans d’autres villes de la
planète, peut-être le sauraient-ils. De cet immense rassemblement naît une
pyramide invisible.

Maldeï, dans son vaisseau, ne sait pas ce qui se passe sous ses pieds, elle
pense aux enfants qu’elle a pris et s’apprête à faire pour eux une cérémonie
particulière. Pour marquer ce grand événement sur Terre, elle ordonne à
deux de ses vaisseaux de frapper Paris et Moscou. Désintégrer ces villes lui
permettra d’ôter à toute l’humanité l’envie de se rebeller. Quelques dizaines
de millions de morts ne sont rien sur les milliards que compte cette planète.
Il faut maintenant montrer à ces terriens que le serpent vient imposer sa loi.

Hillary arrive dans le plus grand secret dans l’immense abri, accompagnée
de ses ministres et des généraux les plus proches d’elle. Officiellement,
aucune information n’est donnée ; rien sur l’attaque extraterrestre. La prési-
dente ne veut pas que soit donnée une alerte qui serait pire que tout. De
toute façon, si ces êtres venus d’ailleurs décident de détruire la planète, ils
le feront, même si l’humanité est paniquée. Il vaut mieux que tous les
hommes vivent normalement jusqu’à la fin. Hillary sait que jusqu’à présent,
ce n’est que dans le désert que les choses se passent. Tant que les agresseurs
ne frapperont pas ailleurs, cela restera Secret Défense. Ayant envoyé sa
collaboratrice rejoindre ses amis dans le désert, elle s’en veut d’avoir été un
peu rude avec elle. Mais Mia lui a parlé d’un plan et elle l’a accepté et don-
né les moyens de le réaliser. C’est peut-être une chance pour eux. À peine
installé son aide de camp vient la voir pour lui donner une information :
⎯ Madame la présidente, nous venons de recevoir un message de la
Luke Air Force Base, il est fort étonnant, lisez cela !

475
COURONNEMENT ET DESTRUCTION MASSIVE
Lorsque Hillary prend le message et lit, elle se met alors à
enfin espérer. Deux de ses avions, pris en chasse par trois vaisseaux enne-
mis ont pu les abattre dans un combat aérien incroyable. Trois enfants sont
revenus sains et saufs avec les pilotes, un enfant de l’arche et deux autres de
l’école française. Un troisième avion est porté disparu, mais les recherches
sont menées afin de retrouver les survivants ; peut-être que le pilote et
l’enfant qu’il transportait ont pu s’éjecter avant de s’écraser ?
De savoir que ses avions sont capables de se battre contre des engins extra-
terrestres lui donne un espoir et elle se dit que Mia a peut-être raison de
vouloir se battre contre ces ennemis. Hillary demande que Mia Ericsson et
les civils se trouvant sur Holloman base soient immédiatement informés.
Fatiguée, elle va prendre un peu de repos en attendant la suite. Mais cette
fois, elle sait que ces extraterrestres ne sont pas si invulnérables que ça…

Maldeï a tout prévu, pas un détail ne lui échappe. Elle a préparé l’invasion
de la Terre avec une précision incroyable et tout ce qui se passe exactement
comme elle l’avait prévu. Elle pense que les pilotes de ses trois chasseurs
abattus n’étaient vraiment pas expérimentés. S’ils sont morts, c’est qu’ils le
méritaient ; leur incompétence les a condamnés. Cette fois, rien ne peut
s’opposer à l’attaque qu’elle lancera dans quelque temps contre les deux
capitales car c’est elle-même qui s’en occupera. À l’altitude où ses vais-
seaux tireront, personne ne pourra les en empêcher. Mais elle attendra
d’avoir fait pour les enfants qu’elle vient de kidnapper, une cérémonie très
particulière. En effet, chacun recevra sur sa tête une Couronne de Serpent
afin d’être au service du Grand Serpent qui dirige tout dans l’univers. Ces
petites couronnes seront la continuité de celle de Maldeï et les dons de ces
chers petits seront aussi les siens, et avec eux elle formera une forteresse
imprenable. Même remis en liberté, ces petits seront plus dangereux que
n’importe quelle armée.
C’est maintenant l’instant de la cérémonie organisée dans son vaisseau…

Dans une salle particulière, des femmes vêtus de blanc, le crâne rasé, tien-
nent chacune un coussin rouge sur lequel repose un petit serpent en or, en-
roulé sur lui-même ; on dirait un cobra. Au fond de la salle, des soldats
tiennent chacun un enfant afin qu’ils ne s’échappent pas. Ils sont vingt-
quatre, et ils pleurent, appellent leur mère ou leur père. Maldeï, sur une
large estrade recouverte de velours rouge attend, face au groupe d’enfants.
Elle se concentre un instant, semblant faire des incantations bizarres alors
que le serpent sur sa tête se contorsionne étrangement. D’un coup, se re-
tournant et dirigeant ses yeux vers les jeunes, elle fait signe que tout com-

476
mence.
À ce moment, dans un fond de musique étrange, la première femme du
groupe s’avance, portant une Couronne de Serpent et grimpe sur l’estrade.
Devant Maldeï, elle s’arrête et c’est alors que le premier enfant est emmené
par un soldat jusqu’aux pieds de Maldeï. Le pauvre petit est en larmes et ses
cris terrorisent les autres. C’est un jeune garçon, un enfant de sept ans à
peine. Il veut se débattre, mais deux autres hommes viennent en renfort
pour le tenir. Maldeï lui dit alors :
⎯ Ne t’en fait pas, dans un instant, tu auras oublié la peur.
C’est alors qu’elle attrape le serpent posé sur le coussin. Celui-ci paraissait
endormi, mais à son contact il s’éveille et se tortille dans tous les sens. Mal-
deï approche l’animal de la tête de l’enfant et c’est alors que le serpent
s’enroule immédiatement sur son crâne. À cet instant, tous les enfants
voient leur camarade s’arrêter de bouger et d’un coup se tenir raide. Ses
yeux changent et deviennent bizarres. L’enfant qui se détache des soldats et
très calme, il regarde les autres enfants comme un zombi. Ce n’est plus le
même, son esprit semble s’être volatilisé. Maldeï lui demande alors :
⎯ Qui es-tu ?
⎯ Je suis l’enfant du serpent, ma reine, oh ! Maldeï, je suis à ton ser-
vice.
Juste après, il se range derrière la terrible femme.
Une petite fille monte juste après lui et subit le même sort. La cérémonie
dure deux heures, tous les enfants y passent et lorsque le dernier est couron-
né, les enfants applaudissent tous et leurs yeux ne reflètent plus la lumière
mais la mort. Tous ont maintenant le regard plus noir que le fond de
l’abîme.
Maldeï jouit d’avoir avec elle les êtres les plus doués de la Terre. Ce sont
ses serviteurs et aussi ses futurs combattants. Rient ne l’arrêtera plus, elle
est certaine que la suite sera ainsi. Elle rêvait de ce jour depuis longtemps.
Elle se retourne vers le groupe :
⎯ Mes enfants, vous êtes ma main et vous repartirez sur Terre dès que
vous serez prêts, afin de convertir les hommes et qu’ils deviennent tous mes
esclaves. Regardez aujourd’hui ce que vous êtes devenus ; vous pourrez le
faire pour les autres dès que vous retournerez dans vos pays !
Levant les bras, au-dessus d’elle s’ouvre une demi-sphère qu’elle montre
aux enfants. À l’intérieur apparaît une très large ville coupée par un fleuve
avec des bois de chaque coté et des tas de cités tout autour. C’est ce qu’ils
voient au-dessus de leur tête ; le vaisseau navigue tête en bas. Maldeï leur
montre fièrement les canons pointés vers la très grande ville…

Aujourd’hui, à Paris, il fait beau et la ville est particulièrement lumineuse ;


c’en est même très curieux, mais les promeneurs ne s’en plaignent pas. Le

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ciel paraît crépiter comme au moment d’un orage ; il est curieusement très
électrique. Dans la cour d’une école, les enfants jouent ; ce jour du joli mois
de mai est vraiment exceptionnel, car hier encore, il pleuvait fort. Les petits
se demandent encore comment le soleil a pu percer les terribles nuages et
lui font des signes de reconnaissance mais, hélas, la maîtresse sonne la fin
de la récréation. Maintenant, il est l’heure d’aller en classe pour apprendre.
Tous ces enfants sont fougueux, ils ne s’imaginent pas encore que la vie est
loin d’être un jeu, ils ne pensent pas que l’univers entier n’est qu’un grand
champ de bataille depuis qu’il existe. Si cela n’était pas, les mouvements
cosmiques, les phénomènes incroyables que brasse tout le ciel ne seraient
pas. Peuvent-ils imaginer que le seul vrai monde stable et juste est une di-
mension différente s’appelant éternité, et qu’une guerre contre lui a déjà
commencé au-dessus de leurs têtes ?

Les hommes ne savent rien de la terrible catastrophe qui va les plonger dans
la mort, seuls les animaux ont été capables de le ressentir. Dans les zoos,
tous les félins, les singes et les autres mammifères sont devenus nerveux
devant les yeux étonnés des gardiens. Les chats cherchent par tous les
moyens de se protéger tandis que les chiens aboient étrangement. Un oiseau
se perche sur une branche, mais sentant comme une terrible catastrophe
arriver sur lui, s’envole à tire d’aile pour échapper au pire. C’est aussi à ce
moment que tous les oiseaux décident de quitter la grande ville et que tous
les habitants les voient s’envoler par milliers d’un coup, se demandant ce
qui peut bien leur arriver. Rien ne laisse figurer qu’au-dessus de leur tête,
une arme terrifiante va détruire la ville dans les minutes qui arrivent. Per-
sonne ne peut penser que la vie ne sera plus sur des dizaines des kilomètres,
entraînant la disparition de millions d’hommes, femmes et enfants.
À Moscou, il se passe les mêmes phénomènes, personne n’a remarqué les
changements dans l’atmosphère, même les militaires n’ont pu repérer le
vaisseau spatial au-dessus de leurs têtes. Pourtant…
Pensant le moment venu, Maldeï confirme l’ordre aux commandants de
vaisseaux et ceux-là mettent en marche les canons. Sur Paris et Moscou, les
terribles rayons éthériques déploient toute leur énergie, quelques secondes
suffiront pour supprimer et détruire toute matière jusqu’à des dizaines de
mètres de profondeur. Ces rayons sont invisibles, mais si mortels
qu’absolument rien ne peut les arrêter ; aucun acier, aucun béton. Même les
galeries du métro et du RER seront désintégrées.
Lorsque les rayons atteignent la surface de la planète, les oiseaux qui
fuyaient sont les premiers touchés et s’éparpillent en cendres sur toute la
surface. Mais, étrangement : les enfants sont encore dans la classe et écou-
tent la maîtresse leur faire la leçon sur les divisions. Ils aimeraient bien
qu’une catastrophe arrive à ce moment, afin qu’ils puissent rentrer cher eux

478
pour jouer ; mais, rien de tout cela. Les voitures continuent à rouler dans la
ville, mais des hommes, des femmes sensibles se sentent mal. Certains at-
trapent un tube d’aspirine, tandis que d’autres perdent connaissance, mais
aucun rayon n’arrive à toucher la ville.
Maldeï voit en direct l’échec de son feu, elle n’imagine pas qu’en dessous
d’elle, ce n’est pas un troupeau de bêtes comme elle considère ses soldats,
mais des hommes. Tous les enfants ont une lumière, ils possèdent un feu en
eux, qu’ils sont capables de rayonner tout comme ceux qu’elle a ravis et
couronnés. Ceux-là ont un cœur ouvert à des valeurs bien plus grandes que
celles que les adultes glorifient comme des dieux, ce sont eux qui change-
ront le monde car ils possèdent l’Amour alors que les plus grands l’ont par-
fois oublié à la faveur de matière.
Au moment de l’impact du rayon destructeur, des pyramides invisibles par-
venant des hommes et femmes de l’arche s’interposent entre les villes et les
vaisseaux. Celles-ci produisent un écran protecteur afin de neutraliser les
armes de Maldeï. Les cœurs d’enfants les ont attirées car il n’y a aucune
raison d'anéantir la vie ici. Tous les enfants de la Terre aspirent à une liberté
nouvelle comme tous ceux qui sont revenus sur la Terre. Maldeï a bien la
puissance par les armes, mais elle n’a pas celle de l’Amour, bien plus
grande.

Maldeï voyant cela demande à ses commandants de pousser toute la puis-


sance sur les canons, mais rien ne parvient à entamer la couverture que les
deux capitales semblent avoir. Ce jour du 18 mai 2009 pourrait être un mo-
ment de toute exception pour l’Amour. Paris et Moscou continuent leur vie,
sans rien savoir de cette terrible bataille. Les automobilistes font toujours la
queue derrière les bouchons, les jeunes sont toujours accrochés à leur télé-
phone portable et les mamans poussent toujours leur poussette sur le trot-
toir. Dans la classe, les enfants entendent la cloche sonner, c’est l’heure de
rentrer à la maison pour refaire le monde dans leur chambre ou dans le sa-
lon, avec leurs rêves et de leur imagination…

Maldeï, furieuse, demande aux commandants de lui donner une raison à cet
échec. Un des hommes lui dit que les rayons ont frappé l’objectif, mais
qu’il semble qu’un écran protecteur se soit interposé. Déterminée, elle
change d’idée ; comme les rayons ne passent pas ici, elle ordonne au com-
mandant du vaisseau qui est au-dessus de Rio, de lancer un cyclone terrible
qui emportera toute vie sur son passage. L’engin au-dessus de la ville
commence à faire chauffer l’océan se trouvant à côté et par des rayons ma-
gnétiques, attise les courants atmosphériques. Au loin sur la mer, les bai-
gneurs peuvent voir d’importants nuages se former et pensent qu’un orage
se prépare. Au cœur de la mer, le vent accélère et la mer est aspirée par ce

479
qui est au début une tornade. Mais la spirale de vent prend de l’ampleur et
devient un tourbillon de plusieurs centaines de mètres. Les rayons magnéti-
ques du vaisseau s’amplifient et bientôt, c’est l’ouragan qui prend de la
vitesse. À l’intérieur, les vents soufflent à presque quatre cents kilomètres
par heure et l’accélération continue. Tout cela sans qu’aucun météorologue
ne le voie car du vaisseau, le satellite météo est contrôlé et envoie de mau-
vaises informations. Cette fois, Maldeï ne souhaite pas que son attaque soit
un échec.
Sur la plage, les hommes voient un curieux phénomène se passer au loin et
cette fois, ce qu’ils pensaient être de l’orage, leur paraît être bien plus dan-
gereux.
Les rayons du vaisseau dirigent alors l’ouragan vers la côte directement sur
la grande ville de Rio. Les vents soufflant à plus de cinq ou six cents kilo-
mètres heures sont si terribles qu’ils sont brûlants comme des feux. Une fois
sur la terre, rien ne pourra résister, le souffle agissant comme une flamme.
Déjà, en dessous, les poissons s’approchant de la surface meurent ébouillan-
tés ou aspirés. Cette fois, Maldeï regarde le montre se rapprocher de la côte
et jubile à l’idée que bientôt se ne sera plus que désolation sur ce qui est
encore pour quelques instants, une ville. Tous les enfants couronnés regar-
dent aussi avec beaucoup de concentration et sourient déjà à l’idée de la
souffrance qui arrive en soufflant sur les hommes.

Dans la ville de Rio, comme à Paris ou Moscou, il y a de nombreux enfants


qui jouent et rient. Oh ! bien sûr, il y a aussi beaucoup de misère dans cette
immense ville, mais malgré cela, tous ces enfants possèdent en eux une
étoile leur donnant la direction d’un avenir différent de celui que les plus
anciens leur montrent ; un pays de lumière à aller chercher dans les rêves,
en dépassant les frontières de la matière.
Les amis du désert ont entendu leur appel et au-dessus de la ville se déploie
une immense pyramide invisible qui s’étend jusqu’au-dessus de la forêt
amazonienne. C’est alors que l’ouragan arrive sur le bord de la côte et ripe
au-dessus du champ protecteur. En dessous, personne ne se rend compte du
phénomène qui se passe au-dessus de leur tête. Même les avions de ligne
passent sous la protection sans s’en rendre compte. Des hommes et des
femmes ressentent quelques malaises, les enfants sont nerveux. Mais rien ne
laisse voir qu’une catastrophe climatique passe au dessus sans pouvoir les
toucher. Seuls des nuages traversent le ciel si vite qu’on ne les voit même
pas. Mais un peu plus loin, dans une zone échappant à la protection, toutes
les grenouilles d’un lac sont aspirées et l’ouragan arrivant dans la forêt
amazonienne, finit sa course en arrachant des milliers d’arbres avant de se
transformer en un simple orage continuant de mourir gentiment.
Regardant cela, Maldeï devient encore plus folle, elle rêve d'en finir avec

480
cette planète qui refuse de se laisser faire comme elle l’entend. Elle réfléchit
un instant à l’attaque prochaine, et pense à lancer sur toutes les côtes de la
terre des raz-de-marée qui l’inonderont ; elle réfléchit à une météorite
géante qui tombant dans le pacifique ou l’Atlantique secouerait la planète
pour en finir avec ces terriens. Elle a les moyens d’attirer un tel astéroïde
sur cette maudite Terre, quitte à arracher un morceau de la Lune afin de le
jeter sur cette planète. Mais, avertie qu’un de ses vaisseaux vient de repérer
dans le désert américain une armée immense se concentrant, certainement
en vue de la combattre, elle demande à mettre le cap sur le Désert du Nou-
veau-Mexique.

481
ELFES ET LEURRES
Maldeï ordonne au vaisseau ayant repéré le rassemble-
ment d’en commencer la destruction. Le commandant acquiesce et celui-ci
se met à penser aux bienveillances qu’il obtiendra en frappant d’un coup
toute l’armée étalée sous ses pieds.
Se pensant seul et invulnérable, vu sa taille, le chef du vaisseau géant des-
cend de plus en plus bas afin de mieux repérer l’armée qu’il a sous ses
pieds. Il peut voir des centaines d’avions, de tanks, de nombreux camions,
des lance-missiles et de nombreuses tentes de campagne. Vu la quantité
d’engins, il est certain qu’une grande partie de l’armée terrienne y est ras-
semblée. Alors il décide d’envoyer tous les chasseurs disponibles afin de
tout détruire. N’ayant plus d’informations venant de sa reine Maldeï, il
lance l’attaque sur l’armée terrestre. Ses meilleurs pilotes doivent tout
anéantir, ensuite il se posera pour constater les dégâts. C’est ainsi qu’à dix
kilomètres d’altitude, ayant tout repéré, le commandant fait ouvrir tous les
panneaux protecteurs et les portes afin que les chasseurs s’échappent de son
lourd vaisseau. Ce sont des dizaines d’engins bien armés qui filent vers le
sol, l’avantage de ces petits appareils est qu’ils trouvent leur énergie depuis
le grand vaisseau, ce qui leur permet d’avoir une force de frappe bien plus
forte que s’ils étaient autonomes. Il voit tout les chasseurs partir vers leurs
cibles et il se dit que rien ne pourra les arrêter.
Quelques minutes plus tard, ses appareils sont en vue des objectifs et il leur
donne le signal de faire feu. C’est ainsi que du poste de pilotage et de com-
mandement, il voit se faire détruire un à un les engins immobilisés au sol,
sans qu’aucun terrien ne puisse riposter. L’armée est étalée sur des kilomè-
tres, cela va prendre du temps, mais le commandant n’est pas pressé car il
pense que plus durera l’attaque, plus les hommes en dessous seront ef-
frayés. Cela dit, il se questionne sur le fait que Maldeï ne se manifeste tou-
jours pas et que son vaisseau ne soit pas encore arrivé dans les environs. Il
pense que l’occasion est trop belle pour lui ; visualisant les dégâts réalisés,
il se félicite de son efficacité. Déjà, dans son vaisseau les soldats voient la
réussite de cette attaque et se rassurent, pensant que la guerre sur Terre ne
durera que quelques heures. L’invasion de la Terre sera facilitée par la des-
truction de toutes leurs armes, cela ne fait aucun doute…

Mia voit son plan fonctionner exactement comme elle l’avait prévu ; les
hommes de Maldeï sont tombés dans le panneau et pour elle, c’est le mo-
ment d’agir très vite, c’est la condition de la réussite. Hillary suit le dérou-
lement de l’opération, mais pour l’instant, aucune bataille n’est encore ga-
gnée, il lui faut du concret, sinon, tout cela ne servira de rien…

482
Du vaisseau extraterrestre, personne ne s’est encore aperçu d’un détail qui
aurait pu mettre le doute sur les bienfaits de l’opération. Si le commandant
n’avait pas lancé des certitudes sur le visuel et avait fait une analyse plus
poussée sur ce qu’il avait sous ses pieds, il aurait immédiatement su que
tout cela n’était qu’un leurre. En effet, au-dessus de son vaisseau arrive sur
lui toute une flotte d’avions, chasseurs de tous types, armés des meilleurs
missiles. Pendant que tous les engins s’acharnent sur ce qu’ils voient au sol,
le vaisseau est attaqué par les avions de la Terre. Tout comme l’avaient fait
les quatre chasseurs ayant transporté les enfants, les pilotes attaquent par
surprise l’engin attendant le retour de ses chasseurs. Mia connaît bien les
faiblesses du vaisseau que les pilotes ont devant eux et elle leur a montré
comment toucher ses parties vitales. Il y a les trompes d’immatière placées
devant, les antennes de communications éthériques au dessus et toutes les
portes d’entrée lorsqu’elles sont ouvertes.
Les pilotes ont en vue l’immense nef et les missiles sont déjà préparés pour
être lâchés sur leur cible. Mia s’étant placée dans un des avions, découvre
l’appareil et décide qu’il faut détruire les trompes en premier. Dix engins se
préparent et ayant repéré les parties à toucher.
Trop tard, le commandant s’aperçoit qu’il est à son tour attaqué, compre-
nant le réel danger et il demande à tous les chasseurs au sol de remonter.
C’est une question de seconde pour Mia qui se doutait qu’ils ne pourraient
pas arriver sans se faire repérer. C’est pour tous ceux qui visent les trompes
le moment de faire feu.
Sur son écran frontal le commandant voit arriver sur lui dix avions ; leur
vitesse est trop rapide pour qu’il puisse agir, c’est trop tard. Vingt missiles
partent directement sur les trompes devant le vaisseau.
Les chasseurs remontent vite vers leur vaisseau, s’ils l’atteignent ce sera fini
de l’attaque. Mais, les missiles ont fait mouche et instantanément, toute
l’énergie du vaisseau se coupe, brisant le lien qui reliait les chasseurs à leur
générateur. Si bien que juste avant d’arriver, tous les engins qui
s’apprêtaient à contre-attaquer tombent comme des pierres. Le vaisseau se
trouve déstabilisé, les autres avions en profitent pour toucher les réseaux de
communication et les ouvertures sur les côtés. Sans son moteur éthérique,
l’engin n’est plus qu’une pierre, car les sources d’énergie atteintes, le mo-
teur gravitique ne peut plus se tenir en sustentation et il commence à des-
cendre doucement vers le sol. Les avions américains l’accompagnent et
avec surprise, le paquebot du ciel s’étale lourdement sur le sol, creusant un
léger cratère. Il se disloque en se brisant en trois morceaux. Les avions
tournoient tout autour, c’est une réelle victoire pour tous les hommes et
cette fois, Hillary desserre les dents et enfin sourit depuis le début de
l’invasion. Elle se dit que Mia avait raison, elle a une grande habitude des
méthodes extraterrestre, elle connaît bien ceux qui sont en face et elle sait

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quels sont leurs défauts. En imaginant les attraper avec des leurres, elle ne
s’est pas trompée, elle sait que la fierté de ceux qui sont trop sûrs d’eux les
entraîne souvent à faire de graves erreurs. Hillary avait réellement usé de
son autorité pour faire installer en grande urgence des leurres à la place des
avions et des tanks. Ces engins gonflables ont eu raison de l’armée la mieux
équipée. Mia sait tout cela, comme elle l’avait dit à Hillary ; elle était autre-
fois Chef de l’armée lunisse. Et cela a suffi pour arrêter une armée entière.
Au sol, nombreux sont ceux qui sortent de l’immense carlingue, la moitié
est assommée par le choc brutal, mais ils sont de nombreux survivants.
Dans chacun des grands vaisseaux tournant autour de la Terre, il doit se
trouver près de vingt-cinq mille personnes.
Avec d’autres avions, Mia fait le tour de l’épave et voit sortir de toute part
des hommes, des femmes ne semblant pas comprendre ce qui se passe. Jus-
qu’à présent, ils étaient tous des ennemis, mais là, elle se dit que si Maldeï
devait disparaître, ils seraient tous perdus ici, sur cette planète :
« Avons-nous pensé à ce qu’ils deviendront s’ils se retrouvent sans maître
ni but. Déjà, ces milliers d’hommes qui s’échappent de leur engin, ont-ils
une idée de leur destin, ici ? »
Voyant tout cela, elle demande au pilote de rejoindre la base d’Holloman
afin de retrouver le groupe entier.

Maldeï n’a pas remarqué que son vaisseau est lui-même attaqué par des
êtres imprévus et son déplacement est arrêté aussitôt. Très vite elle ressent
proche d’elle l’être qui l’avait attirée vers la base où elle avait trouvé les
enfants. Plus de doute pour elle, cette enfant qu’elle avait affrontée sur l’île
de Carbokan est là. Les chasseurs qu’elle avait envoyés à sa recherche ont
définitivement échoué. Les sas de son vaisseau sont ouverts, elle fait donner
l’alarme, mais elle ignore qui vient vers elle, aucun engin ennemi n’est si-
gnalé. Les caméras montrent alors dans le ciel tout une volée d’enfants
s’engouffrant dans son appareil. Ce que Maldeï ne savait pas, c’est que des
elfes pouvaient déferler sur elle. La troupe d’elfes est emmenée par Axelle
et Belinn, l’elfe des elfes. Maldeï se doute de la raison de leur arrivée, ils
sont venus rechercher les enfants prisonniers. Réfléchissant très vite, elle
pense avoir trouvé la parade contre eux et aussitôt, elle regroupe les enfants
et de son esprit les prépare à se battre contre les elfes. Ils auront toute la
capacité de le faire tandis qu’elle s’occupera de cette fille revenue
l’affronter. Les soldats ne peuvent arrêter ceux qui rentrent, ces êtres sont
comme intouchables et lorsqu’ils croisent des guerriers, ceux-là baissent
leurs armes. Le vaisseau est très grand et il faut du temps pour arriver jus-
qu’à la salle du couronnement où sont encore tous les enfants. Maldeï se
place à l’entrée de la salle, les enfants prisonniers rassemblés ont formé
autour d’eux un voile protecteur interdisant leur approche et lorsque tous les

484
elfes arrivent, ils découvrent cette femme couronnée s’interposant devant
eux. Impossible de pouvoir franchir le mur invisible pour entrer dans la
salle et rejoindre les enfants. C’est là qu’Axelle passe devant les autres et
regarde Maldeï :
⎯ Laisse-nous reprendre nos amis et retourne d’où tu viens avec tes
soldats et tes vaisseaux, sinon tous les terriens se battront contre toi et tu ne
gagneras pas. Fais-le maintenant, tant que tu en as la possibilité.
Cela déclenche un rire terrible et elle lui répond :
⎯ Tu es revenue prendre ta dernière leçon. Tu n’auras pas la chance
d’être couronnée comme tes amis, mais le moment est venu pour toi de
prendre une bonne correction. Tu ne t’opposeras plus jamais à moi.
Les elfes s’écartent, ils comprennent que Maldeï va se battre contre leur
jeune amie et ils ne peuvent rien contre cela, ni même s’interposer et se
battre à sa place. Si Axelle accepte le combat, elle devra le faire seule.
Vite Maldeï lance de ses yeux des rayons infrarouges afin de brûler
l’enfant. Axelle est comme pétrifiée par son regard brûlant et reçoit sur elle
toute la force de la femme. Ses cheveux crépitent et s’enflamment. Sa peau
commence à se cloquer. Mais elle ne bouge pas comme la première fois
qu’elle l’avait affrontée. D’un coup, elle renvoie sur Maldeï un souffle d’air
si froid qu’elle semble geler face à elle. Les rayons de chaleurs sont arrêtés,
hélas, l’enfant est blessée, brûlée. Malgré tout, Axelle se relève tandis que
Maldeï se remet des engelures qu’elle a eues avec l’air glacé qui a stoppé
son feu. C’est alors que la femme lance sur l’enfant une série de décharges
électriques sans aucun effet ; Axelle les lui retourne aussitôt. Maldeï pense
alors à étrangler la fille et pour cela, elle n’hésite pas à l’étouffer par sa
force mentale. On voit autour de son cou comme un garrot invisible
l’étrangler. Cette fois cela devient très efficace et les pauvres elfes ne peu-
vent rien faire, ce n’est pas leur fonction de défendre l’enfant. Si au moins
Maldeï pouvait la lâcher, ils pourraient lui prodiguer les soins nécessaires.
Axelle devient violette, elle ne peut plus respirer, ses yeux sont rouges, le
sang de sa tête ne descend plus vers le cœur. Dans quelques secondes elle
s’éteindra si rien n’est fait. Mais malgré la très grande souffrance, elle est
encore consciente, peut-être arrive-t-elle à encore réfléchir à une contre-
attaque. Maldeï retrouve le sourire, elle jouit de voir l’enfant s’éteindre pour
de bon, cette fois, elle aura le dernier mot face à elle ; c’est une certitude.
Axelle s’effondre sur le sol ; tétanisés, ses membres se mettent à trembler
de toute par, signifiant sa fin.
Les elfes sont désemparés, ils ne peuvent croire qu’Axelle finisse ainsi.
Tandis que Maldeï les regarde d’un air qui veut leur dire :
« Voyez, personne ne peut luter contre moi, vous aussi, un jour vous suc-
comberez ou plierez devant ma face… »
Cette pensée est si forte que tous les elfes l’entendent dans leur esprit. Mais,

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ce que Maldeï ne sait pas, c’est qu’Axelle l’a aussi compris malgré son
agonie et d’un coup, la couronne de cette terrible femme se détache de son
crâne et reste suspendue en l’air et elle s’effondre dans l’instant et tout ce
qui faisait sa force disparaît. Aussitôt Axelle est libérée et peut respirer, le
mur magnétique entre les elfes et les enfants disparaît et tout devient possi-
ble. La pauvre Axelle reste au sol, suffocant. Aussitôt un elfe vient vers elle
pour la soigner et l’aider à retrouver son souffle. Mais Axelle le retient, car
elle ne peut arrêter de se concentrer puisque c’est elle qui par son esprit a
arraché la couronne, qu’une terrible force tend à faire descendre et raccro-
cher sur son possesseur. Axelle lute autant qu’elle le peut et Belinn qui
comprend ce qu’elle fait, dit aux autres elfes :
⎯ Nous n’avons pas beaucoup de temps, il faut vite retirer les couron-
nes qui sont sur la tête des enfants. C’est une question de vie ou de mort
pour Axelle.
La pauvre fille transpire, elle lutte autant qu’elle peut ; c’est le serpent qui
essaie de pénétrer en elle, car le contact de son influx suffit à la relier à cette
maudite couronne.
⎯ Dépêchez-vous, je sens sa force m’envahir, si je ne la lâche pas avant
peu, c’est moi qui prendrai la place de Maldeï.
Tous les elfes s’enfoncent dans la grande salle du couronnement et sans
ménagement, ils volent au-dessus des enfants en leur arrachant une à une
les couronnes. Celles-ci ne sont pas comme le serpent de Maldeï, car une
fois décrochées du crâne, elles se désintègrent et tombent en poussière.
Tous les enfants à qui l'on retire la couronne perdent connaissance, bientôt
près de vingt enfants gisent sur le sol. Tous les elfes les prennent pour les
faire sortir et Belinn dit à Axelle que c’est bon, il faut relâcher la couronne.
Mais la petite fille est maintenant prise par la pensée du serpent et cette
maudite couronne descend dans la direction de sa tête. Sans comprendre
vraiment, Belinn donne un violent coup de pied dans la couronne qui vole et
directement retrouve le crâne de Maldeï. C’est à ce moment que l’elfe prend
Axelle dans ses bras et s’envole pour quitter le vaisseau.
Hélas, toutes les sorties sont fermées, les hommes de Maldeï ont dû avoir
des instructions à ce sujet. Tous les elfes et les enfants se retrouvent dans
une salle dans laquelle ils s’enferment. Axelle est faible, mais elle est cou-
rageuse, alors voyant les enfants encore perdus dans l’inconscience, elle
demande à Belinn de la laisser réveiller ses amis. Cette petite fille a du cou-
rage et beaucoup de pouvoir car sachant que le serpent les a endormis, elle
trouve la parade pour les faire revivre. À chacun, elle donne de son fluide,
peut-être un peu de sa vie en même temps. C’est alors qu’un à un ils se ré-
veillent et reconnaissent leur amie. C’est ainsi que tous revivifiés, les en-
fants ne veulent pas partir sans avoir rendu la monnaie de sa pièce à Maldeï.
Axelle n’est pas vraiment d’accord, il ne faut jamais avoir envie de ven-

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geance, cela est pour les hommes sans cœur et sans conscience. C’est alors
que les deux elfes qu’Axelle connaît bien font leur apparition, Baldouw et
Cadmall, deux individus peu recommandables dans la lignée des elfes. Tous
les deux ont le sourire et Belinn leur demande pourquoi :
⎯ À votre air, vous avez encore fait des choses qui ne sont pas dans nos
règles ?
⎯ Oh non ! nous n’avons pas enfreint nos lois, nous ne nous sommes
pas battus, nous avons juste fait des petites choses sur les moteurs du vais-
seau. D’ailleurs, nous vous conseillons de ne pas rester là car cet engin ris-
que de tomber d’un instant à l’autre.
Toutes les portes étant fermées, Belinn de son propre pouvoir fait exploser
le plafond de la salle et au-dessus d’eux s’étend le ciel étoilé sur leurs têtes
et elle leur crie à tous :
⎯ Vite, quittons le vaisseau.
Tous les elfes prennent avec eux les enfants et au-dessus de l’engin, ils
voient alors que Maldeï vient juste de faire exploser la salle dans laquelle ils
s’étaient tous enfermés. Deux secondes plus tard, c’était eux qui sautaient.
De la fumée s’échappe de l’engin et tous se doutent que c’est le résultat des
plaisanteries des deux elfes.
Le grand vaisseau perd de l’altitude tout en se dirigeant vers le grand désert
du Nouveau-Mexique. Les elfes et les enfants suivent sa course et descen-
dent avec lui.

Dans le vaisseau, Maldeï a retrouvé sa couronne et ordonne à ses hommes


de faire les réparations sur les moteurs. Tous s’y mettent, même les enfants
courent partout afin d’amener les pièces pour réparer, mais il est évident
qu’ils ne peuvent pas redresser l’engin comme ils le voudraient. Maldeï
vient de donner l’ordre à tous les vaisseaux autour de la Terre de se rappro-
cher du désert afin de concentrer toutes les forces de la flotte.

Déjà, sur Terre, les militaires voient dans leurs jumelles d’énormes engins
arriver du ciel. La concentration de vaisseaux semble vouloir se poser dans
le désert. La présidente donne l’ordre que tous les chars, les troupes se met-
tent en position tout autour du désert.
Tous étaient déjà en place depuis le début des grandes manœuvres, mais ils
étaient restés cachés sous les sables du désert.
Hillary demande à rejoindre la base Holloman le plus vite possible, malgré
les conseils inverses de son entourage.
De l’autre côté, tous les Lunisses sentent qu’il faut aussi rejoindre la zone
d’impact où se posera le vaisseau obligé de rejoindre le sol. Tous les amis
se trouvant à Holloman Base pensent que le désert sera dans un instant le
centre du monde. Quelque chose dit à tous qu’un événement important va

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arriver très rapidement et ils décident de rejoindre les autres au centre du
désert…

Mais, durant tout ce temps, personne n’a remarqué le petit vaisseau qui
vient de traverser l’espace entier et arrive depuis le haut du ciel, vers le dé-
sert…

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AQUALUCE RETOUR SUR TERRE
Lorsque le vaisseau de Maldeï tente de reprendre le
contrôle, des forces inconnues semblent en prendre la direction. Les elfes
ont fait de tels dégâts qu’aucun de ses techniciens ne semble pouvoir répa-
rer sa nef céleste. Malgré tout, en dépit des difficultés de contrôle sur
l’appareil, le pilote le dirige droit vers le centre du désert. Maldeï ne pani-
que pas, de toute façon elle a autant de vaisseaux qu’elle le souhaite…

Son engin se pose au centre du désert et les autres le rejoignent. Cela donne
un spectacle incroyable parce que chaque engin est immense et cela fait un
comme un cercle de cinq kilomètres de périphérie. On croirait des monta-
gnes côte à côte, du jamais vu.
De loin, les observateurs militaires n’en reviennent pas et se disent que
leurs tanks et leurs avions ne feront pas le poids devant toute cette armada.
Les généraux se sentent incapables d’agir devant tout ça. Dans le QG instal-
lé, Mia est la seule à ne pas paniquer, elle voit cela différemment, elle sait
que posés, ces engins sont incapables de se défendre ou d’attaquer. Ce n’est
que leur taille qui fait illusion.

Maldeï ordonne à tous les membres de son vaisseau de ne pas sortir. Elle
observe ce qui se passe dehors et voit que des hommes et des femmes sont
rassemblés. Elle fait venir son médecin et ses deux nourrices, car elle sent
en elle de légères contractions. Elle leur demande de l’accompagner, elle
souhaite sortir. Ceux-là ne comprennent pas vraiment, mais la suivent. Mal-
deï s’avance dans le désert, sur une centaine de mètres, elle se retourne face
à son vaisseau avec un léger sourire. Elle sait que dehors, les hommes et les
femmes qui se rapprochent d’elle, sont les rebelles. Ils ne lui font pas peur,
elle se sent tout à fait capable de les tuer tous. Maldeï n’a vraiment pas sup-
porté d’avoir été battue par les terriens. Même les enfants l’ont vaincue.
Elle pense qu’il est temps de montrer qu’elle seule détient le pouvoir de vie
et de mort. Cependant, tuer les rebelles maintenant ne lui convient pas, il
faut déjà les effrayer et pour cela, elle a une idée bien plus sombre, terrible.
Sachant qu’elle est observée par des milliers de Lunisses et de terriens, elle
se retourne face à son vaisseau et le regarde étrangement. Dedans sont en-
fermés vingt-cinq mille individus ; des hommes, des femmes et des enfants.
C’est alors qu’elle attrape une sorte de bague qu’elle a toujours à un de ses
doigts. Elle regarde la pierre qui y est sertie et appuie dessus. C’est alors
que le vaisseau se met à vibrer silencieusement et qu’il commence à scintil-
ler de mille couleurs. Ensuite, il devient rouge, jaune, vert et bleu. C’est à
ce moment qu’il commence à devenir de plus en plus transparent et d’un
coup, comme si tout l’engin était devenu instable et vaporeux, il disparaît

489
comme du gaz et produit un souffle de tempête incroyable. Une pluie de
sable s’effondre dans le désert à la place du vaisseau géant. L’horreur s’est
produite aux yeux de tous ; des milliers d’êtres tués d’un coup, pour le plai-
sir de cette femme totalement inhumaine. Tous ceux qui viennent d’assister
à ce spectacle deviennent blêmes, pensant à la mort de tous ces hommes. Ils
se disent alors :
« Et si les prochains, c’était nous ! »
C’est exactement ce que Maldeï souhaite…
Mais soudain, au milieu de cette horreur, un petit vaisseau arrive au-dessus
d’eux. Tous se demandent ce que c’est. Sauf certains, comme Maora, Né-
meq ou Noèse. Ils n’osent y croire, mais cela ne peut qu’être qu’elle…

L’engin est posé, une porte s’ouvre et en sortent devant tous les Lunisses,
les enfants, les elfes, et surtout Maldeï : Aqualuce et Jaques.
Ils sont suivis par leurs deux enfants et surtout deux autres bébés tenus dans
les bras de Timi et Jenifer. Tous forts étonnés découvrent les deux nou-
veaux enfants d’Aqualuce. Mais, Maldeï voyant sa rivale débarquer sent en
elle le désir d’un combat tant espéré.
Aqualuce la découvre, elle n’avait qu’entendu parler d’elle mais jamais elle
ne l’avait croisée. Pourtant, elle connaissait bien Marsinus Andévy, elles
étaient toutes deux militaires sur Lunisse, l’une était chef, l’autre exécu-
tante.
Tous étant rassemblés dans ce désert avec le vaisseau au centre, cela fait
penser à une arène avec des gladiateurs. Le soleil cogne et Noèse voyant les
enfants dans les bras de ses amis, va vers eux pour les faire monter dans un
véhicule afin qu’ils ne soient pas exposés au soleil. Cléonisse et Céleste
rejoignent le groupe d’enfants tandis que Wendy et Araméis retrouvent
leurs amis d’Unis, ainsi que Némeq et son épouse. Ensuite, tout va très vite,
près du petit vaisseau restent Aqualuce, Jacques et Maldeï. Au loin, de tous
les vaisseaux l’armée de Maldeï ; tous les hommes, les femmes sortent dans
le désert, faisant un tapis couvrant le sol comme des fourmis, peut-être sont-
ils cinq cent mille personnes. Jouissant de voir ses troupes se concentrer
autour de tous les rebelles, Maldeï sourit et se sent rassurée. Aqualuce voit
le grand mouvement autour d’elle, mais ne se laisse pas impressionner.
C’est alors que Maldeï commence à dire, regardant dans les yeux Aqua-
luce :
⎯ Nous voici enfin toutes les deux face à face. J’espère que ton voyage
t’aura apporté beaucoup de pensées sur la fin que tu envisages pour toi.
Mourir n’arrive qu’une fois. Pendant tout le temps que je t’ai espérée, j’ai
beaucoup pensé à ce jour, je me l’imaginais comme ça. Je pensais pouvoir
te prendre avec ta rébellion en étau avec mon armée. J’imaginais tous tes
enfants, ton école avec nous et voilà, c’est maintenant. Oh ! je me suis amu-

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sée de ton époux, il m’a bien servi. Regarde, ce qu’il m’a fait ! Vois-tu mon
ventre ? J’attends un enfant de lui !
Tu sais, ton époux a pris beaucoup de plaisir à le faire. Je me demande s’il
te faisait l’amour aussi bien qu’à moi ? j’ai eu l’impression qu’il découvrait
le plaisir lorsque je suis montée sur lui. Tu l’aurais vu jouir, on aurait cru
une bête, il miaulait comme un chat. Moi, je peux te dire qu’il m’a donné du
plaisir, ton homme est aussi le mien, en cela je peux te remplacer sans pro-
blème. Je jubile déjà à l’idée prochaine de le retrouver entre mes jambes.
Regarde-le, il ne sait plus quoi dire. Ton homme est incapable de me résis-
ter, vois, il rougit. Je suis certaine qu’il n’a jamais osé te dire tout ça. Il a
honte et en même temps il pense toujours à moi, je sais qu’il m’aime. Je
suis étonnée qu’il ne te l’ait pas dit !
Jacques entendant cela ne peut résister à l’envie de frapper cette femme, il
ne peut supporter toutes ses allusions et l’idée qu’il puisse l’aimer le répu-
gne. Il sait très bien que l’enfant qu’elle attend n’est que le fruit de sa cons-
piration. Aqualuce n’arrive pas à le retenir car il fonce sur Maldeï pour la
faire taire. Mais Jacques ne possède aucun pouvoir et le voyant arriver, elle
lui lance une série de rayons qui l’arrêtent et le paralysent sur le coup. Il
tombe est reste inanimé sur le sable. Maldeï en rit et continue :
⎯ Devant toi il veut paraître, mais regarde le, il est incapable de faire
du mal à une mouche. C’est ça que les Lunisses avaient autrefois élu grand
dictateur sur ton ancien monde ? Ma chérie, il va falloir en finir maintenant.
Je te propose de collaborer avec moi et de te soumettre à la couronne. Si tu
le veux, nous pourrons nous partager Jacques. Si tu refuses, il n’y a que la
mort qui puisse t’aller. Réponds-moi, je ne t’ai pas encore entendue, je
m’en étonne ?
Aqualuce observe Maldeï et ne trouve toujours pas les mots pour lui répon-
dre. Elle semble réfléchir avant d’ouvrir sa bouche. Elle sait de toute façon
que Maldeï aura toujours le dernier mot, elle sait faire usage du verbe autant
qu’il le faut. Aqualuce n’est pas aussi forte qu’elle sur ce terrain. La seule
chose qu’elle sache dire, c’est la vérité. Les menaces ne sont pas son fort, la
vantardise, elle ne connaît même pas. Aqualuce pense avant tout à l’intérêt
de la vie, avant de penser au sien. C’est alors qu’elle trouve ces quelques
mots :
⎯ Je ne vous connais pas, mais j’ai connu une femme vraiment parfaite
et trop humaine ; elle s’appelait Marsinus Andévy. J’aimerais savoir ce
qu’elle est devenue, est-ce cette chose que vous avez au-dessus de votre tête
qui l’aurait tué ?
Entendre ce nom est une souffrance pour Maldeï, elle voudrait l’avoir ou-
blié et qu’il n’ait jamais existé. Cela la met encore plus en rage contre son
adversaire, mais elle se retient d’agir car elle a besoin de la sonder afin de
connaître son potentiel pour se battre contre elle.

491
⎯ Si tu ne viens pas à moi, il pourrait t’arriver bien pire qu’à elle. À
moins que tes pouvoirs dépassent de loin les miens. Je te propose de t’allier
à moi et de dominer l’humanité, d’avoir tous pouvoirs sur les hommes. Al-
lie les membres de la rébellion à mes troupes et nous serons capables de
dominer l’univers entier. Sinon, j’ai un autre marché qui consiste à nous
battre toutes les deux. Si tu gagnes, tu auras tous mes hommes avec toi. Si
tu perds, je prends tes rebelles et tous tes enfants ; Jacques aussi. Cela me
semble honnête. De plus, prends qui tu veux pour t’aider, si tu en ressens la
nécessité, je peux admettre que sans couronne, tu sois moins forte !
Maldeï dit cela dans l’idée qu’elle dévoile sa véritable force. Si Aqualuce
doit trouver des partenaires, cela voudra dire qu’elle n’a plus les pouvoirs
qu’on lui donne. De toute façon, pour elle, la victoire ne fait aucun doute,
même si parfois des choses ne se sont pas réalisées comme elle l’aurait sou-
haitée.
Aqualuce regarde autour d’elle ; les troupes de Maldeï forment un cercle
infranchissable pour elle et tous ses amis. Fuir n’est plus possible, cinq
mille hommes contre cinq cent mille soldats, ce sera impossible de combat-
tre et ce sera un vrai massacre. Les troupes terrestres sont à l’extérieur, mais
leurs équipements ne sont pas au point face à ceux de Maldeï. Engager un
combat global ne sera que ruine pour toute l’humanité. Pourtant, s’il le faut,
cela sera inévitable. Elle pense à ce qu’elle fut avant de partir avec Jacques
pour combattre un ennemi qu’elle ne connaissait pas encore. Au début,
pleine de force, prête à soulever des montagnes, remplie d’innombrables
pouvoirs, elle était une armée à elle seule. Elle se souvient qu’après avoir
laissé Jacques aux mains de l’ennemi, elle s’était retrouvée sur Monadis ;
du moins elle pense qu’elle ne l’a pas rêvé. Là, on lui retira tous ses pou-
voirs, la laissant à reconstruire en elle une autre forme de don. Durant tout
le parcours qu’elle a vécu, à chaque étape importante, ce sont les autres qui
l’ont aidé. Même les enfants lui ont apporté leur soutien bien souvent. Elle
se demande ce qu’elle peut opposer à Maldeï qui, nantie de sa couronne, est
remplie de tous les dons que l’univers peut lui donner. Elle n’est rien face à
son ennemie et malgré tout, le destin de la Terre repose sur ses fragiles
épaules. Elle réfléchit à tout cela et se demande ce qu’elle a de plus que son
adversaire ne possède pas ?
Maldeï attend une réponse, un geste qui signifierait sa faiblesse ou au
contraire son immense force, tandis qu’Aqualuce voit en elle la conclusion
de toute cette épopée :
« Dans toute cette guerre, place à l’amour. Je me rappelle le jour où on
m’avait envoyée chercher la Graine d’Etoile ; cela remonte à dix ans. C’est
Jacques que j’avais découvert, qui nous avait montré le chemin et déjà,
c’était celui de l’amour. Je n’ai rien que cela à opposer à cette femme. Mes
pouvoirs, mes dons, tout ce qui faisait mon exception à l’époque ne sont

492
rien en comparaison de l’Amour ; c’est ce que j’ai découvert pendant tous
ces moi passés. Ma guerre, ma bataille depuis ce 23 août 2008 où je suis
partie, n’était pour mon être que le chemin de la découverte du véritable
Amour. J’y ai fait germer deux enfants, je les ai arrosés de mon amour,
c’est tout. Que je sois devenue une simple femme me convient.
Maintenant, je sais ce que je peux lui répondre… »

C’est à ce moment que tous figés autour d’Aqualuce, ils l’entendent chanter
cette magnifique chanson :

"S’il suffisait d’Aimer…"

493
FACE A FACE
S’arrêtant, Aqualuce regarde encore une fois Maldeï,
maintenant, sa décision est prise :
⎯ Je ne te donnerai pas la Terre ni mes enfants.
⎯ Oh ! très bien, tu veux donc le combat avec moi. J’en suis satisfaite,
je t’attends depuis si longtemps. Ma chère, si tu es aussi bonne que ton ma-
ri, je vais prendre avec toi beaucoup de plaisir !
⎯ Vous avez raison, si je reste face à vous, Maldeï, ce n’est que pour
l’amour, tout comme Jacques l’avait fait pour vous. Nous sommes prêtes
toutes les deux, je crois que vous et moi sommes arrivées à la croisée de nos
vies. Chacune ayant pris une voie qu’il nous avait été donné de parcourir. Je
ne l’ai pas choisi, ni vous d’ailleurs, mais il était écrit que nous nous retrou-
verions, Andévy. L’une porte la mort, l’autre la vie ; cette rencontre était
inévitable. De nos deux feux, une lumière en sortira, une âme se révélera. Je
suis prête à donner ma vie pour le monde et je vous l’offre si vous arrivez à
la saisir. Je n’ai qu’un seul mot à vous dire pour tout cela : Amour.
⎯ Depuis que je suis, la force de l’univers me pénètre. Il me donne la
puissance de toutes les étoiles réunies. Je suis un ciel, un univers, un dieu
tout puissant. Pourquoi aurais-je besoin de ton amour ?
⎯ Mais du mien, vous n’en avez pas besoin, je vous parle de l’Amour,
cette force universelle qui ordonne toute la création, cette loi qui donne à
tous la vie, cette force qui rassemble le tout en un, le souffle de vie de
l’Homme, c’est-à-dire le don parfait, comme mourir pour vivre. Andévy, je
ne t’appellerai qu’ainsi, maintenant. Andévy, réveille-toi !
Aqualuce en a dit assez. Aussitôt, Maldeï l’attaque par une de ses méthodes
habituelles. Lançant un regard meurtrier, elle veut lui brûler son corps. De
terribles rayons se dirigent sur elle pour la griller, mais Aqualuce est spor-
tive et même sans dons particuliers, elle esquive l’attaque en faisant un tri-
ple saut en arrière très impressionnant et les feux de Maldeï font fondre le
sable comme dans un four. Les hostilités ont commencé, il n’est plus
l’heure de parler mais d’agir. Maldeï voit qu’elle a à faire à quelqu’un ayant
des ressources. Ne pouvant faire brûler son adversaire, elle trouve une autre
parade. Connaissant sa souplesse, elle pense qu’il sera mieux de rayonner
plutôt que de viser. C’est alors qu’autour d’elle des rayons infrarouges pro-
pagent une chaleur intense sur plusieurs dizaines de mètres. Aqualuce est
dans le champ de ce rayon et se trouve prise à l’intérieur ; elle ne peut que
se consumer. Maldeï la voit alors se recroqueviller sur le sable et ne plus
bouger. Autour d’elle une croûte de sable fondu se forme mais pas sur elle.
Aqualuce semble prendre une pause qui la préserve et dans sa tête, elle se
questionne :
« Qu’est-ce qui m’entoure comme une coque en acier, je ne sens rien des
494
rayons infrarouges qui tournent au dessus ma tête. Du reste, je ne peux plus
bouger. »
Derrière les deux femmes qui commencent à s’affronter, le groupe
d’enfants observe et parmi eux, une petite fille s’appelant Lina, très dis-
crète, a vu le danger arriver sur la mère de ses amis, et par son pouvoir pro-
tecteur, elle forme une coque magnétique impénétrable protégeant Aqua-
luce du souffle brûlant arrivant sur elle.

Aqualuce n’a plus de pouvoirs, mais d’autres lui donnent la force de résis-
ter. Elle le ressent à ce moment tandis que le rayonnement maléfique conti-
nu à agir autour d’elle. Assise sur le sable, se tenant en boule pour faire
front, elle reçoit alors du groupe, de tous les amis de l’aventure spatiale,
leurs expériences, leur savoir et leur sagesse accumulés durant tous ces
mois passés :
Doora lui transmet ses qualités d’Amour et de patience. Elle est une de ses
sœurs et lui renvoie par la même occasion les qualités de son père.
Némeq lui attribue tout le courage qui lui avait été nécessaire pour voyager
et retrouver tous les êtres perdus, le perdant pour lui-même dans l’instant.
Wendy est une spécialiste de l’énergie. Elle sait comment la mettre en œu-
vre et la trouver afin de faire fonctionner un vaisseau. Mais en même temps,
elle peut attirer vers elle toutes les forces dont elle a besoin. Ce don, cette
connaissance, elle la déverse sur son amie, s’en débarrassant pour elle, afin
que la réussite soit de leur côté.
Araméis est un chef, il sait diriger un équipage, il connaît les hommes pour
leurs qualités et leurs défauts. Rien que cela est un don, même s’il n’y parait
pas. Il perd pour son amie tout ce qu’il avait acquis.
Jenifer a beaucoup d’amour pour la Terre et tous les hommes ; elle est fi-
dèle à ses amis et sur Lunisse, elle était une excellente mathématicienne.
Elle se vide dans l’instant de tout son savoir afin qu’Aqualuce puisse trou-
ver une solution à tous les pièges qui se présenteront à elle.
Delfiliane est de l’île de Glacialys, son pouvoir était là-bas de supporter le
froid extrême. Mais en plus, elle a le pouvoir de se déplacer dans les airs
partout où elle le souhaite. Elle sait qu’en donnant son don à Aqualuce, elle
ne le retrouvera jamais.
Dgoger était sur Elvy le chef de la police. Ce n’était pas rien car il avait la
charge d’avoir l’œil sur toute chose suspecte. Il était formé pour réagir aux
imprévus et se défendre de toutes attaques. Il se défait de son savoir pour
l’offrir à Aqualuce.
Taourel a traqué Némeq une grande partie de son épopée. Elle était son
adversaire pendant un très long moment. Elle est de la planète Natavy, de
ceux qui donnent leur vie pour la vie. Elle rend à Aqualuce ses pouvoirs
Natavien et en même temps, elle lui donne le pouvoir de chasser le mal.

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Défaite de tout cela elle devient sur Terre une femme ordinaire, mais elle
retrouve en elle la paix et la délivrance du mal qu’elle avait commis pour
Maldeï.
Adiban est Natavienne comme Taourel. Avant d’être ministre de
l’armement pour Maldeï, elle était pilote de vaisseau et surtout celle qui
avait inventé le moteur capable de voyager instantanément dans l’espace.
La réalité de son pouvoir est en fait le don d’ubiquité qu’elle avait transposé
pour les vaisseaux. Se libérant de son pouvoir, elle le donne à son amie.
Dagmaly, cette rebelle, lui apporte toute la fougue de la jeunesse. De plus,
elle a le don de donner la douceur et la paix aux enfants dont elle s’occupe.
Son esprit est le sang du nouveau temps et cela suffit à Aqualuce pour se
défendre contre Maldeï. Lui laissant cela, elle se défait de son enfance pour
la vie.
Maora abandonne toute sa force pour Aqualuce, elle ne se sait pas être une
de ses sœurs, mais son sang et son influx parlent d’eux-mêmes. Héritière de
Persevy, elle en a toute la qualité, la persévérance. Elle s’en défait instanta-
nément pour en couvrir sa sœur.
Mia lui confie toute la stratégie du combat qu’elle avait acquise durant de
longues années dans le monde lunisse en s’en défaisant pour la vie.
Timi n’est pas Lunisse, elle est une simple femme de la Terre. Mais, son
pouvoir est dans son imagination et ses mains de coiffeuse. Refaire le
monde à son idée est son pouvoir, c’est tout ce qu’elle peut donner à son
amie, mais cela est énorme déjà…
Enfin, Noèse, qui est comme la pure pensée, sa vie consacrée à l’âme des
enfants, elle est une grâce pour ceux qui la côtoient. Elle voit tout, sent tout
parce que la pensée pure trouve en tous les hommes un passage pour leur
donner la vérité. Noèse est sœur d’Aqualuce, c’est pour cela que face aux
forces erronées de l’univers, elle lui donne d’un coup toutes ses qualités, les
perdant à jamais.
Aqualuce semble avoir en un instant reçu de tous de merveilleux pouvoirs
qui pourront l’aider à se placer face à Maldeï. Tout cela vient de ses proches
qui sont autour d’elle. C’est alors qu’arrivent d’au-delà de l’espace des for-
ces conscientes ; l’une s’appelle Amanine, l’autre Néni…
Toute la nature est avec toi, je te donne pour la création entière le pouvoir
des éléments de la vie qui accompagne les hommes depuis qu’ils sont,
l’esprit de la nature entière est en toi. Ma vie, je l’ai laissée sur Bravia pour
en faire resplendir l’Arbre de vie. Dans cet instant, je disparais à jamais afin
que le chemin entamé aboutisse.
Aqualuce sait aussitôt qu’il s’agit d’Amanine, partie avec Némeq pour re-
trouver tous les survivants.
Maintenant une autre conscience se fond en elle et arrive comme pour lui
donner la force de tout rassembler :

496
Notre père nous a donné la vie afin que nous la donnions aux autres. L’être
que tu as face à toi est ton image dans la dimension inférieure. Marsinus
Andévy a un passé bien plus ancien que le nôtre, ton père la connaissait
bien plus que nous tous. Je suis restée auprès d’elle afin de lui rappeler son
origine bien qu’elle se soit enfoncée dans les profondeurs du serpent. Si tu
peux enfin te présenter face à elle aujourd’hui, c’est grâce à Jacques qui
s’est réveillé et a pris conscience de l’âme qu’il a dans son cœur. J’ai été le
pont entre toi et lui et il t’a redécouverte. Ramène Andévy dans son monde,
c’est la couronne qui la rend prisonnière ; arrache-la lui et accomplit ta mis-
sion comme l’a tracée notre père. Tu dois achever le travail commencé de-
puis l’origine du monde d’Atlantide. Je te fais don de ma simplicité, j’ai
perdu mes pouvoirs pour découvrir la vérité absolue. Morte je demeurerai
toujours présente en toi et Jacques.
Je me nomme Néni, ton cœur me connaît, notre père nous a conçues pour
libérer la lumière des hommes. Sois toujours humble, tout ce que tu as reçu
aujourd’hui te sera une grâce…

Cela écrase Aqualuce qui doit accepter tous ces dons. Elle ressent de tous,
leurs épreuves, la richesse gagnée à traverser toutes ses péripéties, chacun
lui ayant donné son savoir. Elle devient le porteur du long parcours de tout
le groupe. Même les cinq mille rescapés agissent ainsi sur elle. Aqualuce
n’est pas seule face à Maldeï, elle est le tout, étant comme la partie infime
d’un iceberg immergé.

Maldeï voit qu’elle ne peut agir sur elle pendant qu’Aqualuce reçoit des
autres ses pouvoirs, elle recueille aussi de ses dernières années vécues le
solde qu’elle a acquis.
C’est là qu’elle voit ce qu’elle est :
Maldeï est le fruit unique de la Couronne de Serpent et sa vie se dévoile
devant elle, lui faisant comprendre qu’elle est attachée un à lourd passé de
milliers d’années. Mais elle n’a que le souvenir du présent, comme si elle
était née au lendemain de la fin de Lunisse. Durant les années où elle a pu
dominer le monde d’Elvy et emprisonner sur leurs planètes les derniers
survivants des mondes lunisses, Maldeï s’est crue invincible car elle ne ren-
contra jamais personne capable de s’opposer à elle. Les seuls qui semblaient
vouloir le faire étaient aussitôt tués. La couronne lui a toujours donné le
pouvoir absolu sur toutes choses. Cela commença à changer le jour où dé-
barqua dans son domaine un homme nommé Jacques Brillant. Son cœur
l’avait toujours espéré, mais en l’acceptant et le prenant avec elle, elle était
loin de se douter que son arrivée allait tout changer en elle et autour d’elle.
Jacques est arrivé avec sa bonne étoile, Néni. Même si Maldeï avait la main
mise sur lui, elle ne pouvait pas contrôler la Graine d’Etoile qu’il avait dé-

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couvert. Son déclin en était certain et le conflit ne pouvait que s’installer car
Jacques, si proche de Maldeï, s’en est détaché petit à petit au profit de la
confiance qui s’installa entre lui et Néni. Malgré ses attaques et ses ruses,
Maldeï perdit son compagnon et la rébellion se renforça à ses portes. Plu-
sieurs fois le nom de Marsinus Andévy a été porté à ses oreilles, mais elle
ne pouvait l’entendre. La Couronne de Serpent tenta de se renforcer en elle
à chaque fois qu’elle le put ; donner la mort autour d’elle en a toujours été
un de ses moyens.
Mais, là ! dans ce désert, face à son adversaire, Maldeï se sent soudain,
seule. Son armée ne pèse plus rien maintenant. C’est l’instant pour elle de
découvrir la vérité !
Aqualuce se relève, le souffle brûlant s’est arrêté, et se redressant, elle se
replace devant Maldeï :
⎯ Donne-moi ta couronne, ce n’est pas ta tête qu’elle veut, c’est la
mienne.
Maldeï ne pouvait s’imaginer que cela puisse être possible, mais elle com-
prend maintenant ce qui l’a conduit jusqu’ici…

Autour d’elles, plus rien n’existe. Le désert, les enfants, les hommes les
femmes, les soldats et les vaisseaux ont disparu. D’un coup, Maldeï décolle
et s’envole dans les airs. Aqualuce la suit et toutes deux se retrouvent dans
les glaces de l’Antarctique où le vent souffle si fort qu’elles ont du mal à
tenir debout. Le froid est si vif que leur visage se recouvre de givre dans
l’instant. Maldeï a froid, mais Aqualuce peut résister grâce à Delfiliane qui
lui a transmis son pouvoir. C’est ici que le véritable combat peut commen-
cer.
Maldeï est toujours la première à prendre l’initiative, car c’est elle qui a
voulu cette confrontation. Si elle a emmené Aqualuce ici, c’est parce que
dans le grand froid, elle sait que les forces éthériques sont amoindries, ce
qui pourrait lui donner l’occasion de prendre l’avantage sur elle. Car Maldeï
ne prend pas sa force par les éthers ; ils se maintiennent grâce au souffle
magnétique de l’univers. Aqualuce liée à son groupe use des éthers, ce qui
l’handicape ici. En effet, elle résiste au froid sans aucun problème, mais elle
est démunie de la force que même Wendy pourrait lui avoir transmise. Mal-
deï, gelée, se sent assez robuste pour lui lancer des monceaux de glace qui
lui tombent dessus et l’ensevelissent. Aqualuce est écrasée. Maldeï se féli-
cite de ce résultat rapide et pour s’assurer qu’elle est bien morte, elle attend
un très long moment afin de constater de son décès. Pour voir ce qu’est
devenu son corps, elle déplace toute la glace, mais furieuse, elle découvre
qu’elle n’est plus là. Où se trouvait son corps, demeure un trou par lequel
elle a dû s’échapper. C’est alors que plus loin, elle la voit sortir d’une cre-
vasse et partir dans le ciel. Aussitôt, elle part à sa poursuite.

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S’évadant de l’Antarctique, Aqualuce ne voit que l’océan sous ses pieds,
c’est là qu’elle a une idée. Elle plonge dans la mer, même si elle est glacée.
C’est ainsi que Maldeï la rejoint sous l’eau. Toutes deux n’ont pas de com-
binaison ou de scaphandre, mais comme si elles n’avaient pas besoin de
respirer, elles s’enfoncent de plus en plus profondément sous la mer en y
rencontrant une baleine qui y passe. Se laissant descendre de plus en plus
bas, Aqualuce atteint bientôt les abysses et c’est autour d’elle l’obscurité.
Elle ne se doute pas encore que Maldeï l’a suivi. Ici, elle sent la pression sur
elle l’eau qui doit faire des dizaines de kilos au centimètre carré, mais la
force qui lui est donnée à cet instant lui permet d’y résister. C’est par les
qualités de Maora qui est originaire de Persevy que cela lui est permis ; tous
les habitants de cette planète ont toujours vécu sous le sol ou sous la mer.
Ce lien tissé avec ses amis est une véritable protection pour elle. Car elle
sent qu’une bulle d’air s’est constituée autour de son visage et l’oxygène.
Aqualuce se pense seule et se demande s’il ne serait pas plus juste de re-
monter à la surface. Mais Maldeï qui l’observait dans le plus grand secret
grâce à l’œil du serpent se glisse jusqu’à elle et lui transperce la bulle salva-
trice. Aqualuce suffoque d’un coup, commençant à boire toute l’eau de
l’océan. Elle perd pied, ne comprenant plus vraiment ce qui lui arrive.
L’effet de protection qu’elle ressentait s’est échappé et Maldeï jubile de
voir que son ennemie pourrait maintenant se noyer. Voulant voir cela plus
clairement, les yeux du serpent illuminent toute la scène. C’est là
qu’Aqualuce voit Maldeï respirer par les ouïes du serpent et qu’autour
d’elle, l’eau s’écarte ne la touchant même pas. Cette femme est protégée par
le serpent qui est un monde à lui seul. Comment luter contre cela ?
Aqualuce s’étouffe, l’eau envahit tout son esprit et gagne l’ensemble de ses
neurones. Mais, en dehors de Maora, une autre personne arrive à ressentir
sa souffrance ; c’est la jeune Jia, un des enfants de Keuramdor. Cette petite
fille est capable de donner sa force solaire aux autres mais en même temps,
elle a le pouvoir de lui transmettre l’air de la Vie, le fluide qui donne la vie
aux nourrissons à leur naissance. Aqualuce s’en abreuve et expulse toute
l’eau avalée. Cela lui donne la force de se relever malgré tout le poids de la
pression et de se replacer devant Maldeï. Toutes deux pourraient communi-
quer par télépathie mais la rage de Maldeï est telle qu’aucun mot ne peut
sortir de son esprit. La voyant encore vivante, elle voudrait lui envoyer des
décharges électriques, mais dans l’eau c’est inutile. Alors, elle se jette sur
Aqualuce et le serpent arrive à enrouler une partie de sa queue autour de son
cou afin de l’étouffer. Aqualuce est prise, mais l’esprit de Jia tient bon face
à l’ennemie. La pauvre boit encore de l’eau et semble se noyer sans pouvoir
se défendre cette fois. Par chance, une baleine passe dans le secteur et, on
ne sait pas pourquoi, elle fonce sur Maldeï en la bousculant, arrachant
d’Aqualuce la queue du serpent. Le cétacé est rapide et surprend Maldeï qui

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ne peut plus s’attaquer à son adversaire, la baleine remonte Aqualuce vers
la surface. Comme portée dans des bras étranges, Aqualuce se retrouve vite
à la surface, alors que Maldeï est déjà à la surface de l’eau, l’attendant.
Comme si cette femme voulait mener le combat à sa façon, elle prend
Aqualuce par une main et la tire pour l’entraîner ailleurs.
Aqualuce n’a pas le temps de se rendre compte qu’elle est déjà dans la jun-
gle amazonienne, jetée dans un tas de boue et de plantes sauvages. Elle re-
crache l’eau qui lui reste de la mer et se redresse. Elle est seule, Maldeï a
disparu, elle comprend où elle se trouve, l’air est chaud et humide. Ne vou-
lant pas rester sur place, elle regarde le soleil au-dessus des arbres et se
laisse guider par la lumière. Vite elle comprend qu’elle est en Amérique du
Sud, peut-être au Brésil, car elle trouve autour d’elle des mygales. Pour
l’avoir lu, elle sait trop bien que dans la jungle, on croise des prédateurs que
même les hommes craignent. Aqualuce doit rester prudente, il se pourrait
que de dangereux animaux lui apparaissent encore et elle pense que le pre-
mier prédateur, Maldeï, ne se montre plus. Elle se demande ce que cela veut
dire. Alors, elle se met à marcher pendant de longues minutes, se faisant un
chemin entre les feuilles, les lianes et les arbres. Observant un passage
étrange entre une série de gros rochers, elle s’y engage, pensant que c’est le
lit d’une rivière asséchée. C’est à ce moment que le fond s’effondre sous ses
pieds et qu’elle tombe dans une fosse remplie de serpents semblables à celui
du crâne de Maldeï. Tous les reptiles s’enroulent sur elle, Aqualuce en est
prisonnière et ne peut s’en défaire. Ni le don ubiquité ni celui de se déplacer
dans les airs ne peuvent l’aider, il faudra qu’elle soit libre. C’est alors
qu’elle voit apparaître en haut du trou, Maldeï, qui lui crache des paroles
terribles :
⎯ La jungle a ses pièges, ces serpents sont pour certains venimeux, le
premier qui te mordra fera couler dans ton sang un venin si terrible que tu
regretteras d’avoir un jour vécu. Prie pour qu’il vienne vite car il y en a
d’autres qui aiment s’infiltrer par les orifices que tu possèdes. Espère être
morte avant, car ils se délecteront de toi par l’intérieur. Sentir un de ces
serpents sortir de par un œil est une sensation que je n’ose imaginer. Le voir
repénétrer son corps par la bouche et le sentir partir par l’anus est encore
plus terrible. Si l’un d’eux pénètre ton vagin, il y fera un nid pour ses œufs,
tu peux en être certaine. De toute façon, tu vas finir digérée. C’est le destin
qui est devant toi, tu as choisi cette voie, plutôt que de t’allier à moi.
Aqualuce l’a écoutée avec dégoût et elle sent un de ces serpents s’introduire
entre ses jambes. Elle pense alors à ce que vient de lui annoncer cette igno-
ble femme, elle en a des larmes qui lui coulent, pensant à ses enfants. Mais
l’incroyable se réalise, car dans le désert, une fille, Shanley, elfe de la na-
ture, tout comme Axelle, ressent instantanément le désespoir d’Aqualuce.
La sachant en grand danger, son esprit la conduit directement au bord de la

500
fosse des serpents. Ayant pris forme sous les traits d’un anaconda, elle se
jette dans le trou devant les yeux étonnés de Maldeï, car ce reptile n’était
pas prévu dans son plan. C’est alors que cet énorme serpent se jette sur les
autres et les engloutit avec une rapidité déconcertante. Aqualuce est aussi
surprise et pense sa dernière minute arrivée. Mais lorsqu’elle voit ce mons-
tre de huit ou dix mètres dévorer les autres serpents en prenant soin de ne
pas l’effleurer, elle comprend qu’il est là pour l’aider. En effet, très vite il
attrape le reptile placé entre ses jambes et l’englouti d’un coup. Il dévore
ceux qui entourent son corps et son cou, jusqu’à finir le dernier de ses ser-
pents à l’intérieur de cette fosse. Maldeï voyant cela devient furieuse et
c’est à cet instant qu’elle décharge son regard meurtrier sur l’anaconda.
Celui-ci est blessé, mais se redresse devant elle, en ouvrant la gueule en
grand. Mais, à l’instant où il voit Aqualuce se relever et sortir de la fosse, le
reptile géant disparaît d’un coup…

Sur le sol du désert, l’enfant s’effondre, une blessure terrible sur le côté de
son abdomen.

Maldeï ne veut pas laisser fuir Aqualuce et elle arrive à influencer l’esprit
des animaux pour qu’ils se mettent en chasse contre elle.
Aqualuce ne s’est pas envolée, elle est toujours dans la jungle car elle n’a
pas voulu utiliser ses pouvoirs pour s’enfuir par crainte de les gâcher pour
peu. Elle court en se frayant un chemin entre les larges plantes et les arbres
paraissent s’écarter comme pour lui laisser la place. L’esprit d’Amanine
semble être présent avec elle et Maldeï paraît avoir été distancée. Hélas,
c’est presque trop beau car Aqualuce entend autour d’elle des rugissements
qui s’intensifient ; ces bruits viennent de derrière, de côté et maintenant en
face. C’est alors qu’elle se sent cernée de toutes parts. Elle pense à
s’envoler pour laisser tous ces animaux féroces là où ils sont, mais elle est
comme plaquée au sol, impossible de décoller. C’est à ce moment qu’un
guépard sort d’un taillis et se place face à elle. Aqualuce ne s’attendait pas à
voir ce félin, mais elle sait qu’il peut se faufiler où il veut et surprendre sa
victime lorsqu’il le souhaite. De plus, c’est un animal très rapide. Elle en est
d’un coup pétrifiée, il ne faut plus bouger sinon la bête peut se sentir agres-
sée et réagir. Aqualuce pense qu’il n’est pas anormal de se trouver devant
ce genre d’animal, c’est la jungle. Mais, si elle entend d’autres rugisse-
ments, c’est parce qu’il n’y en a pas qu’un. D’autres guépards sortent de
tous les côtés, comme s’ils s’étaient donnés rendez-vous ici, et justement,
neuf bêtes autour d’elle la regardant d’un œil vif et déterminé. Aqualuce se
dit qu’il n’est pas évident qu’ils l’attaquent, elle a déjà entendu parler
d’hommes face à des félins qui ne les avaient pas dévorés. C’est alors que
du sol des racines sortent et que l’une d’elles commence à entourer une de

501
ses chevilles. Aqualuce voyant cela essaie de s’en défaire, mais son pied est
prisonnier et la racine agressive et épaisse la serre très fort. Surprise, elle
fait attention à l’autre pied pour qu’il ne se retrouve pas à son tour prison-
nier. Ce qui est étrange, c’est que ces racines subitement sorties de terre
n’ont poussé qu’autour d’elle. Hélas, elle en a l’explication très vite car
Maldeï reparaît devant les Guépards qui n’ont pas bougé. Aqualuce pense
que ces animaux sont dirigés par cette femme, mais l’instant d’après, ils
s’enfuient comme si un danger bien plus important allait apparaître. Cela ne
tarde pas car, Aqualuce entend des rugissements ne ressemblant à ceux
d’aucun animal. C’est alors que sortent de dessous la végétation des ani-
maux des plus étranges qui soient.
Le premier qui s’approche a une tête de loup, mais deux fois plus grande.
Son corps épais est comme celui d’un rhinocéros, avec des pattes de cheval.
Cet animal est très agressif, il donne des coups de tête tout autour de lui.
Une autre bête s’approche, mais le premier la chasse en le mordant avec
beaucoup d’agressivité. Encore deux autres monstres surgissent devant la
première bête et l’attaquent à leur tour. Ces monstres sont terribles, ils ont
des visages de Tyrannosaure Rex avec un corps de lion puissant. Leurs
membres sont pourvus de griffes terribles et trop longues pour qu’ils puis-
sent courir. En quelques secondes l’autre animal est déchiqueté et avalé
aussitôt. Aqualuce regarde cela, pensant qu’elle sera le dessert de ces deux
créatures. En effet, à peine en ont-ils fini qu’ils voient Aqualuce, elle sera
bien la prochaine. Elle voudrait s’envoler, mais elle est tenue par la terrible
racine qu’elle ne peut enlever ; sa cheville est bien attachée, elle ne peut
rien. Les anciens pouvoirs qui auraient pu la sortir de là ont disparu, ceux
qu’elle a reçus ne sont pas comparables. Son cœur bat très fort et Maldeï
jubile de la voir se débattre sans résultat. Une des ignobles bêtes arrive à sa
hauteur, la regarde et d’un coup, se baisse et lui dévore le pied prisonnier.
La douleur est intense, le sang jaillit, Aqualuce, relevant la tête, est prête à
basculer, elle voit alors la gueule ouverte du monstre prêt à l’avaler entière,
mais libérée de son entrave, elle s’élance en l’air et part aussi loin qu’elle le
peut. C’est ainsi qu’elle se retrouve sur la lune, posée dans un désert de
poussière, étalée sur le sol, elle voit son sang s’écouler et aussitôt geler sur
place ; mais dans l’instant, elle entend une petite voix lui dire :
⎯ Ne t’inquiète pas, je vais te soigner.
C’est encore un des enfants qui apparaît devant elle comme un fantôme. Le
jeune garçon a pour don de pouvoir soigner tous les maux de la vie. Dans
son école, il est bien connu pour cela ; il s’appelle Abbas. C’est alors
qu’elle le voit de son regard et de ses mains apaiser la douleur en lui cares-
sant sa jambe. Et seules avec ses mains, il arrive à faire cicatriser le moi-
gnon. En quelques instants, toutes douleurs disparaissent ainsi que les der-
nières traces de sang.

502
⎯ Je ne peux pas faire repousser ton pied sinon je l’aurais fait. Mais,
maintenant, tu ne risques plus rien. Je suis certain que tu vas gagner, tu as
tous les enfants avec toi, tu n’es pas seule. Vite, il faut que je retourne avec
les autres, car ils vont s’inquiéter. Je te promets, je reviendrai si tu en as
encore besoin. Devant Maldeï, tu es la seule qui puisse réussir.
Instantanément, l’enfant disparaît et sa jambe déchiquetée est maintenant
cicatrisée, seulement il lui est impossible de marcher sans son pied. Par
chance, elle voit sur le côté deux planches et de la ficelle. Peut-être que le
garçon ne pouvant pas lui rendre son pied a pensé à lui donner de quoi se
faire une sorte d’attelle ou de prothèse. C’est ainsi qu’elle lie les deux mor-
ceaux de bois sur sa jambe et les serre très fort. Alors, elle peut se redresser
pour marcher. Elle est un peu boiteuse, mais, quelle importance, sur la Lune
la gravité est beaucoup moins forte que sur la Terre. Hélas, ce répit ne dure
que quelques minutes, car Maldeï l’a déjà retrouvée et arrive sur le satellite,
furieuse que ces animaux féroces n’aient pas eu la bonne idée de la coquer
dès le départ. Lorsqu’elle la voit, elle lui lance des rayons terribles afin de la
brûler, la désintégrer, la détruire. Aqualuce ne peut répondre, elle ne peut
que se dérober, se cacher. Alors elle s’envole au-dessus de la Lune et trouve
une faille dans laquelle elle s’engouffre. Maldeï la poursuivant, la voit
s’infiltrer et fait feu sur le grand trou.
Aqualuce a trouvé une cavité qui paraît la protéger. Elle est dans le noir et
ne voit rien et elle ne peut se rendre compte que Maldeï affaisse l’entrée de
ses rayons destructeurs. Toutes les roches s’effondrent dans la cavité et la
bouchent de centaines de tonnes de cailloux et de pierres. Maldeï se donne
le maximum de moyen pour réussir à l’ensevelir. Au bout d’une heure, elle
a même créé une colline tant elle a accumulé de roches. C’est impossible
qu’Aqualuce puisse s’en sortir. Rassurée, elle s’arrête, pensant qu’elle peut
retourner sur Terre afin de continuer ce qu’elle a commencé. Plus rien ne
pourra désormais l’arrêter.
Aqualuce n’entend rien, ni ne voit, ce qui rassure. Elle se dit que Maldeï ne
l’a pas suivie et c’est une chance pour elle. Alors, elle pense à sortir de sa
cachette. Hélas, quand elle veut s’avancer dans la faille, elle ne la trouve
plus. Elle comprend trop tard que Maldeï l’a enterrée vivante. Se sachant
sans don, elle découvre que la Lune va devenir avant peu son tombeau.
Alors, elle s’assied et réfléchit…

« Au juste, je suis là, sur cet astre qui n’est même pas viable ; pas
d’atmosphère, dépression maximale, température entre plus ou moins cent
cinquante degrés. Ce n’est pas vraiment une station balnéaire. Déjà, les
dons de mes amis y sont pour quelque chose. Je n’ai pas faim. Mais alors ?
si je suis prise au piège ici, ce n’est pas la mort qui m’attend, mais une pri-
son éternelle ! »

503
L’angoisse la prend alors, elle ne sait plus vraiment où elle en est, mais elle
revoit dans sa tête tous ses amis. Elle regrette de ne pas avoir pu être avec
les enfants de l’école qu’elle avait voulue avec Néni ; elle a une amère pen-
sée pour ses quatre enfants qu’elle ne verra jamais grandir. Et elle se dit que
si Maldeï arrive sur la Terre, c’en est fini. Mais l’angoisse est un sentiment
humain que tous ont dans leur faiblesse. À ce moment Aqualuce sent en son
cœur une force rayonner et lui rendre le réconfort. Celle-ci ne se soucie pas
des tonnes de roches lunaires qu’il y a au dessus et cela lui donne confiance
en cette lumière qui ne s’éteint jamais dans les êtres remplis d’Amour. C’est
alors que deux enfants s’expriment à côté d’elle :
⎯ Tu n’es jamais seule, Madame, tu peux compter sur nous tous. Lors-
qu’on a entendu ton cœur pleurer, on s’est tous les deux regardés, alors, on
est venu.
⎯ Mais, qui êtes-vous ?
⎯ Moi, je m’appelle Scott, rappelle-toi, tu es un jour venu chez moi et
tu as proposé à mes parents d’aller dans ton école. Keuramdor est génial, tu
as bien fait de venir me chercher. Je suis là car là-bas, j’ai découvert que je
peux me déplacer partout dans l’espace, à travers les étoiles. Alors, venir
sur la lune, c’est du gâteau !
⎯ Moi, je suis Timofeï, tu me reconnais, la dernière fois Cléonisse m’a
entraîné avec elle, avec son sifflet. Je t’ai vue et t’ai aidée déjà. Mais là, ce
n’est plus une voiture à déplacer, mais une montagne. Depuis que je suis à
Keuramdor, j’ai trouvé notre raison de vivre. Nous, les enfants de l’école,
nous avons la foi qui peut déplacer les montagnes. On va le faire, je sais,
j’en ai la possibilité.
⎯ Mais tu vas donner toute ta force pour ça.
⎯ La foi n’a pas de limite, elle ordonne ce qui doit être. Et ce qui doit
être aujourd’hui, c’est que Maldeï ne prenne pas la Terre pour champ de
bataille. Tu dois la retrouver, on a tous besoin de toi.
C’est sur cette parole que le garçon devient lumineux et de son cœur sor-
tent des rayons magnétiques bleus, orangés. C’est à ce moment que d’un
bloc, la montagne se soulève et un nouveau cratère se forme à la place, dé-
couvrant Aqualuce et les deux enfants. L’immense tas de rochers s’éparpille
sur l’astre. De là où ils sont, ils peuvent voir la Terre briller et rien que ça,
c’est tellement beau qu’on ne peut s’imaginer le pire pour elle.
Les enfants sont contents d’avoir sauvé Aqualuce qui ne sait à quel point les
remercier. Mais les petits repartent aussitôt…

Maldeï qui se dirige vers la Terre, a des regrets. Elle pense à Aqualuce et se
dit qu’elle ne pourra respirer tant qu’elle n’aura pas vu son corps en état de
décomposition. Peut-être a-t-elle trouvé un moyen de s’en sortir. C’est là
qu’elle décide de faire demi-tour. Elle n’est pas longue à arriver, mais à la

504
place de la montagne qu’elle avait faite, elle trouve un trou et en son centre
Aqualuce qui vient de voir disparaître les deux enfants. Aussitôt, elle se rue
sur elle et encore plus menaçante, elle la défie :
⎯ Tu fais celle qui n’a rien, aucun pouvoir. Mais tu t’amuses de moi
depuis que je t’ai trouvée sur la Terre. Chaque fois que je te trouve devant
moi, tu esquives mes pièges. Je vais te lancer un réel défi et cette fois, celle
qui en sortira vainqueur deviendra le maître de la Terre. Es-tu d’accord,
cette fois ?
⎯ Dire que j’esquive tes pièges est une drôle de chose car j’ai perdu un
pied et la moitié d’une jambe. Je n’appelle pas ça esquiver. Mais si tu veux
me lancer un défit, peut-être puis-je l’accepter sous la condition que nous
soyons d’accord sur les règles. Si tu veux que nous nous affrontions, éta-
blissons-les ensembles. En tout cas tu me lances un défi et moi je te lance le
mien. Dis-moi quel est le tien, je te donnerai le mien ensuite.
⎯ Ah ! ah ! tu fais la fière sur ta jambe de bois ! tu me rappelles le capi-
taine Achab avec Moby Dick. Tu es comme lui, tu veux tuer la baleine.
Mais, celle-ci ne se laisse jamais prendre, car c’est une légende tout comme
je le suis moi-même. Tu te feras dévorer, je suis imprenable. Voici mon défi
:
L’épreuve se fera en neuf manches. L’espace complet sera notre champ de
bataille. Pas question de se faire aider par des éléments extérieurs ; aucun
homme, aucune femme. Comme je vais m’amuser avec toi, si tu remportes
deux manches, je te laisserai la vie sauve et tu pourras vivre avec tes en-
fants. Trois, tu pourras garder Jacques. Quatre, tes amis seront sauvés, et
cinq, je quitterai ta planète. Cela me paraît équitable, qu’en penses-tu ?
⎯ J’accepte cela, mais mon défi est différent, je ne me placerai devant
toi que pour cela :
Nous avons toutes deux des pouvoirs et je souhaite que nous ne les utili-
sions qu’une seule fois au cours des épreuves. À la fin nous nous battrons
avec ce qu’il nous restera. Comme cela chacune devra réfléchir pour ne pas
se retrouver sans rien à la fin. C’est ma seule exigence.
⎯ J’accepte ce marché, il me convient. Mais sache juste que mes pou-
voirs demeurent sans limites et tu risques de t’user bien avant moi.
⎯ Pour ma part, voici mon but : prendre la couronne placée sur ta tête.
⎯ Si c’est cela, alors, tu es déjà morte ! Première épreuve ; rendez-vous
sur Mercure.

Dans la seconde, Maldeï disparaît de la surface de la Lune. Aqualuce se


doute qu’elle est déjà partie sur la planète et la rejoint aussitôt.

***

505
Votre narrateur :

J’en ai vu de toutes les couleurs depuis que vous me suivez dans cette his-
toire, mais là, cela devient vraiment inexplicable. Ce combat est surnature,
personne ne peut imaginer que des humains puissent se déplacer comme
cela, d’une planète à l’autre tout comme on se rend chez son coiffeur ou le
boulanger. Mais, ayant dépassé depuis longtemps les limites du naturel, ces
deux femmes sont parties combattre pour la cause du bien ou du mal absolu.
C’est pour cela que nos limites se trouvent toutes dépassées. J’en suis le
témoin, je vous en ai avertis à la première page de cette aventure que je suis
comme vous. Ce jour du 18 mai 2009 est une des dates les plus importantes
pour l’humanité, depuis la naissance de Jésus ou du Bouda. Aqualuce vient
de quitter la lune, suivons-la…

***

Mercure est la planète la plus proche du soleil et comme elle présente tou-
jours la même face devant notre étoile, elle est d’un côté très chaude et de
l’autre très froide. La vie, comme sur la Lune, n’est pas possible, il y a trop
peu d’oxygène et des mouvements de roches font d’elle une planète insta-
ble, où il serait de toute façon impossible de rester. Tout semble en mouve-
ment, le repos n’est pas de mise dessus. Une face à cent quatre vint degrés
et une autre à moins cent quatre-vingts degrés Celsius, de quoi attraper une
pneumonie facilement. C’est là qu’Aqualuce arrive, cherchant Maldeï. Dans
sa tête, elle n’a qu’une idée, non la tuer, mais seulement la découronner.
Elle sait que si elle y arrive, l’âme de cette femme sera sauvée et l’humanité
pourra espérer un renouveau sur la Terre. Mais Maldeï ne l’entend pas ainsi,
car pour qu’elle continue à vivre et à développer ses pouvoirs, Aqualuce
doit définitivement disparaître. Chacune pense à la façon d’atteindre son
objectif. L’une se dit qu’il serait mieux de la surprendre pour lui ôter sa
couronne et l’autre de la tuer avant même de s’être sentie surprise. Mais ce
combat est au-delà de notre nature, peut-il y avoir une fin avec deux êtres
comme elles ?
Aqualuce est dans la zone de la limite, entre le jour et la nuit. Là, la tempé-
rature est à cet endroit à peu près celle de la Terre, peut-être soixante ou
quatre-vingt degrés. C’est chaud, mais un sauna ne l’est pas plus, c’est en-
core supportable ; posée sur le sol, elle regarde tout autour et marche dou-
cement avec sa jambe de bois. Elle se rappelle les conditions de leur défi et
elle se dit qu’il ne faut pas user des pouvoirs reçus ces dernières heures, car
il faut pouvoir aller au bout des neuf épreuves. D’un coup, le plongeon fait
sur Mercure ne lui permet plus de se déplacer avec le seul don d’ubiquité ;
la prochaine fois, elle devra trouver un autre moyen. Maldeï est comme elle,

506
cela va rendre difficile toute cette bataille. Mais c’est elle qui en a eu l’idée
et elle espère que c’en est une bonne. L’instant qu’elle passe à réfléchir
suffit à ce qu’elle soit surprise par les mouvements de terrain de l’astre. Le
sol bouge sous ses pieds et une faille s’élargit d’un coup, comme dans un
tremblement de terre. Aqualuce doit aussi se dépêcher pour ne pas tomber
dans le gouffre qui se crée sous ses pieds. Surprise, elle crie en dévalant une
pente que le mouvement de terrain a créée devant elle. Cela suffit pour
éveiller l’attention de Maldeï qui aussitôt retrouve son ennemie. Cette fois,
elle ne se montre pas afin de la tuer par surprise. Elle l’observe s’éloigner
de la crevasse et tenter de courir pour fuir le séisme. Maldeï prend son
temps et se dit que si elle la désintègre avec les feux de son regard, elle ne
pourra se protéger. Lorsqu’elle voit Aqualuce s’arrêter dans un lieu plus
sûr, elle se dit que c’est gagné. Comme si elle avait un fusil de précision,
elle ajuste son regard, se concentre et décharge toute la puissance de son
pouvoir mortel. Aqualuce est touchée mais le don de Maldeï s’arrête net,
comme s’il s’était d’un coup effacé. Pendant ce temps, son adversaire se
retourne et la repère ; c’est trop tard pour elle, elle ne peut reprendre le des-
sus, toute fois, elle tente de la foudroyer une fois de plus, mais hélas pour
elle, rien n’agit. La promesse qu’elle avait faite à Aqualuce était donc ré-
elle, malgré la couronne, elle se trouve neutralisée. Mais Maldeï pense à
une autre solution, elle sait qu’elle a d’innombrables pouvoirs. Si elle ne
peut plus désintégrer Aqualuce, elle peut au contraire la geler sur place.
Alors elle lance sur elle un vent glacé, bien plus froid que l’atmosphère de
la planète. Seulement, Aqualuce l’a vu venir et elle s’est déjà cachée der-
rière un grand bloc de pierre. Hélas, la roche éclate aussitôt sous l’action du
froid et la découvre, ce qui laisse à Maldeï le champ libre pour attaquer plus
violement. Le froid n’ayant pas suffi, elle lance sur elle des flèches de glace
se formant à sa guise dans l’atmosphère grâce à l’humidité. Aqualuce en
reçoit des dizaines sur elle, elle est vite touchée et s’effondre sur le sol ins-
table, blessée comme par une terrible bombe à fragmentation. Maldeï la
pense mortellement blessée et s’approche d’elle pour la voir mourir. Devant
le corps meurtri d’Aqualuce, elle est presque soulagée. Mais c’est alors que
les yeux d’Aqualuce la fixent et d’un coup paraissent lui prendre de sa vita-
lité. Les aiguilles de glaces disparaissent et la femme blessée se redresse en
lui disant :
⎯ Tu as gagné cette manche, mais j’ai réussi à me soulager en prenant
de toi la force dont j’ai besoin pour ne pas mourir. Je suis prête pour l’autre
partie !
Maldeï a gagné, mais elle s’en veut de s’être fait dérober sa puissance par la
ruse de son adversaire. Aqualuce lui résiste, elle ne peut le supporter. C’est
là que Maldeï pense à un piège effroyable qui entraînera Aqualuce dans une
chute sans aucun espoir de retour. Alors, elle lui dit :

507
⎯ J’exige de toi que nous nous retrouvions sur le soleil, là-bas est la
deuxième épreuve.
⎯ Mais, je n’ai plus le pouvoir de me déplacer, je l’ai employé pour ar-
river ici.
⎯ Alors, reste ici, fais de cette planète ta demeure pour l’éternité !
Maldeï s’envole si vite qu’il n’y a que l’esprit d’Aqualuce pour la voir fuir
vers le soleil. La pauvre pleure, regardant ses blessures. Dans cette bataille,
elle a perdu trois doigts ; heureusement, ils ne saignent plus mais la douleur
est terrible. Elle pense au piège qu’elle s’est elle-même tendu. Les promes-
ses sont devenues pour toutes deux de nouvelles lois semblant faire partie
de leur champ d’existence, tout comme celle de la gravitation. Elle est pié-
gée comme sur la Lune et cette fois, impossible de faire appel aux enfants ;
elle a accepté les règles de Maldeï qui consistent à ne pas faire appel à de
tierces personnes. Mais une voix parle au fond d’elle :
⎯ Même sans dons, tu ne peux rester là, je vais t’envoyer où tu dois al-
ler car ta présence en mon sein n’est pas désirable. Tu perturbes mon esprit,
les humains ne sont pas désirés sur mon sol.
⎯ Mais qui es-tu pour t’exprimer au fond de mon esprit, d’où viens-tu ?
⎯ Je suis l’esprit de Mercure, le dieu des voyageurs. J’ai toujours in-
fluencé ta planète pour ces choses, même encore aujourd’hui, même si je
fais maintenant partie de l’Antiquité. Mon esprit est toujours présent sur la
Terre ; la preuve, je rayonne toujours mes lumières vers vous et vous
m’observez depuis vos télescopes. Toi qui es de passage ici, je te donne le
pouvoir permanent de te transporter là où tu le souhaiteras. Je t’ordonne
d’aller au diable ou plutôt d’aller sur le Soleil si tu le souhaites. Disparais
de ma vue, tu ne peux déranger un dieu !
Aqualuce est devant l’incroyable et ne pouvait penser que l’esprit de cet
astre puisse se révéler à elle ainsi. C’est alors qu’elle se sent éjectée de la
planète dans la seconde, et qu’elle se trouve plongée vers les feux de
l’étoile. Arrivant sur la surface gazeuse, elle se trouve obligée d’utiliser un
des pouvoirs que lui avait donnés la petite Lina. Celui-ci semble encore
marcher, c’est une chance, car elle serait désintégrée dans l’instant, la sur-
face du Soleil étant d’au moins six mille degrés. Comme dans une bulle,
elle flotte dans le gaz bouillonnant et la lumière est telle que ses yeux ne
peuvent s’ouvrir au risque d’être aveuglée. Si elle ne peut voir, elle entend
encore et c’est ainsi que Maldeï se manifeste devant elle :
⎯ Je vois que tu possèdes encore des ressources, je m’en doutais un
peu. Hélas, ce n’est pas ici que je souhaite me battre avec toi, mais plus bas
encore. Là où le feu de l’astre est encore plus chaud. Pour ma part, je n’ai
pas besoin de super pouvoir pour résister à cette température, la couronne
est ma protection permanente.
C’est alors que Maldeï attrape Aqualuce par un bras et l’entraîne dans les

508
profondeurs de l’étoile. Malgré sa protection magnétique, celle-ci se désa-
grège et la chaleur devient de plus en plus insupportable. Son ennemi rit et
lui dit encore :
⎯ Tu as peut-être déjà entendu parler des flammes de l’enfer ; c’est ici
mon domaine. L’humanité craint cet endroit. De tout temps, les hommes ont
inventé des dieux qui les en éloignent. Le feu du soleil veut leur dire qu’ils
sont liés à la mort et qu’ils resteront des vies et des vies ici tant qu’ils seront
sous mon emprise. La couronne est leur maître et elle le restera toujours.
Ah, ah, ah !
C’est alors qu’elle jette Aqualuce vers le fond de l’étoile. Avant que la pro-
tection magnétique ne cède, Aqualuce voit sa peau se consumer, elle est
totalement brûlée des pieds à la tête, ne laissant sur elle que des membres
rôtis, un visage monstrueux ne ressemblant plus qu’à un cadavre. La dou-
leur est si terrible qu’elle n’a plus que quelques soubresauts de conscience.
Alors que la chaleur s’apprête à la consumer dans ses dernières cellules,
celle-ci disparaît, peut-être désintégrée par la chaleur incommensurable qui
y règne.
Maldeï ne comprend pas et se questionne sur ce qu’elle est devenue, elle ne
l’a pas vue mourir : juste souffrir…

Rejetée dans l’espace du vide, Aqualuce continue de sentir sur elle la cuis-
son de son corps, mais la douleur disparaît peu à peu. Néanmoins, elle
conserve sur elle toute la sauvagerie de la haine de Maldeï. Les brûlures
paraissent marquées à vie sur elle, ce n’est plus une femme, mais un mons-
tre. Autour de ses yeux encore visibles et maintenant globuleux, n’existent
plus de paupières, entièrement consumées, toute la peau de son corps a dis-
paru laissant des muscles blessés et luisants comme un animal dépecé. Son
visage qui était si joli avec sa peau claire et ses taches de rousseurs, n’est
plus que chair à vif et son crâne donne l’impression d’avoir été scalpé par
un apache. Elle n’a plus d’oreilles, le nez a disparu avec les lèvres qui mon-
trent ses dents blanches, à la façon d’une tête de mort. Jamais elle ne pourra
prendre ses enfants dans ses bras si elle en sort vivante. Mieux serait pour
elle d’être morte, mais elle supporte encore de vivre malgré toute sa dé-
chéance physique.
Après avoir traversé le sillage de Vénus, Aqualuce aperçoit une sorte
d’astéroïde brillant s’approchant d’elle ; c’est la comète de Kopff. Cela lui
fait oublier un instant sa souffrance et son état, car le spectacle est magnifi-
que. Aqualuce en est si proche qu’elle est attrapée par son orbite et qu’elle
se met à tourner autour. Fatiguée, elle se laisse aller, traversant sa longue
queue flamboyante. Aucun homme ne peut imaginer ce que peut être la
vision d’une comète lorsqu’on se trouve dans son sillage glacé. Une sensa-
tion de bien-être unique l’envahit et elle se met à rêver dans son sommeil…

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« Elle est en jupe, elle est petite et a les cheveux nattés. Aqualuce ne doit
pas avoir plus de dix ans. Une pluie d’étoiles filantes tombe sur la Terre et
avec une épuisette à papillons, elle saute dans les airs et les attrape une à
une. Tout se passe bien, mais une autre fille vient la bousculer si fort qu’elle
tombe et perd toutes ses captives. L’autre les récupère aussitôt et se moque
d’elle. La fille plus grande l’attrape par un pied et la lance dans le ciel, c’est
à cet instant qu’Aqualuce se réveille en sursaut. Maldeï est devant elle, tou-
tes deux flottant dans l’espace en suivant la queue de la comète.
⎯ Tu as eu une chance incroyable, je me demande encore ce qui s’est
passé pour que tu t’en sortes. Tu aurais dû t’évaporer dans cette étoile.
Mais, je constate que tu as bien grillé, je ne donne pas cher de ta peau si tu
reviens sur Terre, les bactéries et les virus auront plus vite fait de te tuer que
moi. Tu es belle, voici ta vraie personne, tu ressembles aux pires monstres
que l’humanité puisse connaître. En plus tu sens le grillé, tes enfants fuiront
devant toi !
⎯ J’ai mon âme et mon esprit intacts, pas comme toi. Au moins, nous
avons en commun que toutes deux nous ne pouvons plus nous regarder dans
un miroir sans nous écœurer !
⎯ Je te maudis, tu es la pire des femmes que j’ai connues. Les autres se
laissaient toutes dominer et tuer plus facilement. Je vais t’éclater sur cette
comète, il ne restera plus rien de toi. Je ramasserais ton cadavre puant pour
le mettre aux pieds de tes enfants.
Aqualuce est proche de Maldeï et se demande s’il lui est possible d’attraper
sa couronne dans l’instant. Alors, elle fait sur elle-même un demi-tour en
tendant le bras et frôle sa couronne. Mais Maldeï esquive le geste de jus-
tesse et Aqualuce, prise dans son élan continue à tourner sur elle-même.
C’est alors que Maldeï lui envoie un de ses rayons qui la catapulte vers la
comète. La pauvre part plus vite qu’un obus vers l’objet stellaire. La regar-
dant disparaître vers l’astéroïde, elle éclate de rire :
⎯ Encore une fois, tu as perdu, cela fait déjà trois fois. Je ne suis plus
loin de gagner. Encore deux coups et c’est fini pour toi ; je prendrai ta
Terre.

Aqualuce ne peut se freiner, elle arrive à si vive allure qu’elle s’écrase sur
le sol gelé de la comète. Des débris de glace tombent sur elle, une grande
partie de ses os se brise dans cette chute terrible. Aucun humain, pas un être
vivant ne peut se relever vivant de cela. À cette vitesse, rien ne peut résister,
même de l’acier serait transformé, plié. Si bien que Maldeï arrive déjà pour
récupérer le cadavre de son adversaire totalement disloqué…

Tandis qu’elle se penche pour pousser la glace, un bruit étrange se fait en-
tendre, de plus en plus fort. Une vibration si terrible que ses oreilles ne peu-

510
vent la supporter. Maldeï n’a aucune idée de ce qu’est l’esprit d’une co-
mète, ni même Aqualuce qui ne s’était jamais arrêtée sur aucune durant
toute sa carrière spatiale. Mais peut-être que de grands sages savent ce
qu’elles sont en réalité ; sur la Terre il existe une légende qui aujourd’hui
peut devenir réalité. Un soir, au-dessus d’une grotte appelée Bethléem, une
étoile apparut. Personne ne sut vraiment si c’était une étoile ou autre chose.
En fait, c’était une comète, mais pas n’importe laquelle car elle s’appelait
Aurora, lumière éternelle. Sortie d’un autre espace, elle fut visible durant le
grand événement, puis disparut. Sur Terre, dans les légendes, les comètes se
sont transformées en fées. Toutes les fées sont comme des comètes, elles
traînent derrière elles de longues robes de lumière visible par moments aux
yeux des hommes puis repartent lorsqu’elles ont semé les graines de vie
qu’elles contiennent en abondance. Une comète ne donne jamais la mort,
mais la vie au contraire, comme toutes les bonnes fées. Et cela, Maldeï ne le
sait pas.
C’est pour cela que le corps d’Aqualuce réagit aux vibrations de la comète.
Toutes ses cellules se regroupent au son d’une sorte de musique harmo-
nieuse et étrange qui au contraire est une souffrance pour Maldeï. Comme
une symphonie, tout se met en rythme, les graves et les aigus se distinguent,
tandis que les notes se mettent en ordre. Et voilà que devant les yeux médu-
sés de Maldeï se reconstruit un corps, atome par atome. Pas un rayon laser,
pas une machine n’opèrent ici, mais juste une nature peu ordinaire ; l’esprit
de la comète, l’esprit de la fée, comme dans les contes…
Il faut moins d’une heure pour qu’une forme se distingue dans le brouillard
qui s’est formé autour de la matière regroupée du corps d’Aqualuce. Mal-
deï, collée au sol par la musique, ne peut bouger et reste témoin de ce qui se
passe. Enfin, la musique décline, les vibrations s’amoindrissent et
s’arrêtent. C’est là qu’un souffle balaie le brouillard et découvre le corps
d’Aqualuce entièrement nu, mais…

Mais, comme avant. Comme elle a toujours été, une si jolie femme que
même Maldeï en est toute retournée. Son corps parfait, sans une égrati-
gnure, sans une seule imperfection se tient devant celle qui ne jure que par
sa destruction. Maldeï, à force de vouloir détruire Aqualuce, lui a redonné
vie au centuple.
Trouvant une étoffe de tissu blanche sur le sol, peut-être l’attendant depuis
des siècles, Aqualuce la ramasse et s’enroule dedans, laissant à Maldeï
l’impression d’avoir une reine devant elle, alors qu’elle fait triste mine de-
vant Aqualuce, avec son crâne chauve, son ventre énorme, sa longue robe
pourpre. Les rôles paraissent un moment inversés. D’un coup, Maldeï a
peur, elle ne se sent pas à l’aise sur cette comète et elle s’enfuit plus loin,
vers d’autres planètes.

511
Aqualuce, par instinct, la suit. Mais elle est loin de se douter que c’est un
nouveau piège que lui tend déjà Maldeï. À peine a-t-elle fait quelques pas
en direction de Jupiter qu’elle se trouve devant une ceinture d’astéroïdes qui
la ralentit. Elle est obligée de dévier sa route à plusieurs reprises, mais c’est
sans compter que Maldeï est devant elle et a l’intention de lui faire barrage.
Des centaines de pierres, des météorites de toutes tailles convergent sur elle
à des vitesses invraisemblables, comme si Aqualuce les attirait comme un
aimant. La pauvre n’a d’autre choix que de se protéger en se repliant der-
rière une énorme météorite qui la couvre de toutes les autres. Elle sent les
coups portés par les autres astéroïdes qui s’écrasent dessus. À l’abri, elle se
demande comment faire pour arrêter Maldeï ; ses pouvoirs semblent être
sans limites et elle se dit qu’elle ne pourra pas rester derrière cette météorite
éternellement. Comme elle a le pouvoir de se déplacer à sa guise depuis
quelle est passée sur Mercure, elle se dit qu’il faut tenter de quitter la cein-
ture d’astéroïdes le plus vite possible, si elle file au-delà de la vitesse de la
lumière, Maldeï n’aura pas le temps de la voir partir. De là où elle se trouve,
il faut foncer tout droit, même si c’est dans la direction contraire à la Terre ;
au moins elle s’en sortira.
Elle regarde à droite, à gauche, au dessus et en dessous. Rien ne semble
l’empêcher de partir. Elle repère un espace entre les étoiles et se dit que
vers où elle va, elle rencontrera peut-être une de ses anciennes planètes. Elle
se détache du bloc de pierre et s’apprête à se lancer, mais au moment de
partir, après quelques mètres parcourus, elle retombe lourdement sur
l’astéroïde, comme s’il l’attirait magnétiquement. Elle se demande pourquoi
cela et elle se doute que cet énorme rocher est constitué de magnétite qui la
colle dessus. Il est évident que pour s’arracher à ce caillou, il est presque
nécessaire de le désintégrer. Sinon, elle y restera toute sa vie. Mais, Aqua-
luce n’a plus le temps de réfléchir car Maldeï l’a remarquée et se retrouve
devant elle, et sans trop s’approcher de la météorite, elle s’arme de grosses
pierres, d’une multitude de morceaux d’astéroïdes qu’elle lance de toute son
énergie sur Aqualuce. La pauvre ne peut se débattre, à peine esquiver les
pierres pour la plupart, mais une lui cogne le crâne et l’assomme presque ;
sa tête est ensanglantée et, hélas, ce n’est pas fini car une multitude de cail-
loux, comme des balles parent vers elle et un de ces débris percute un œil et
le perce. Son pauvre visage est tuméfié, sa chevelure blonde n’est plus
qu’un tapis de sang. Collée sur la météorite, elle n’est plus qu’une cible à
dégommer, comme à la fête foraine, et Maldeï s’en amuse comme un en-
fant. Malgré tout, les tirs de son ennemie ne sont pas très précis, c’est la
quantité qui fait le résultat et c’est ce qui laisse à Aqualuce une chance de
s’en sortir. Comme c’est un véritable bombardement, la chance est là car un
des projectiles est si gros qu’il fracasse en mille éclats la météorite, ce qui
libère Aqualuce. Bien qu’elle n’ait plus qu’un œil, elle vise son objectif et

512
plus vite qu’une étincelle, elle disparaît dans l’azur du ciel.
Maldeï comprenant qu’elle a pris la fuite réfléchit, regarde la profondeur de
l’univers et laissant ses cailloux, file droit pour la retrouver…

Un trou éthérique ! Aqualuce est tombée dans un de ses phénomènes les


plus étranges de l’univers. Arrêtant sa course dans l’espace, elle pensait
arriver vers une des planètes des anciens mondes lunisses. Mais, elle est
partie ailleurs et elle s’est fait aspirer par un trou éthérique, zone dans
l’espace où la force spatiale de l’univers est absente. Tout ce qui y pénètre
est ballotté dans le vide où ni espace ni temps n’existent ; un lieu où
l’éternité n’a aussi nulle place. Ces trous ne sont pas plus dangereux que
l’espace, mais il est impossible de savoir combien de temps on peut y rester
car à l’intérieur, on ne voyage nulle part malgré sa vitesse, et le temps est
déformé, soit en se rallongeant ou se raccourcissant. On en sort que lorsque
le trou se résorbe de lui-même, mais à quelle époque, avec combien
d’années en plus ou en moins ?
La pauvre femme redresse la tête en comprenant son malheur, mais elle
n’est pas au bout de ses peines car Maldeï qui l’a suivie est dans la même
position qu’elle, flottant dans l’espace sans rien pouvoir faire, sauf lui lan-
cer des regards noirs, ainsi que de tristes paroles :
⎯ Tu as perdu un œil, tu n’es plus capable de te diriger dans l’espace.
Regarde, où tu nous as emmenées. Tu es une pauvre sotte, je comprends
mieux pourquoi tu es resté du mauvais côté. Ton bond dans l’espace n’est
qu’une fuite sans intérêt, de toute façon, je serai avec toi jusqu’à ta mort.
La pauvre Aqualuce, souffrant de ses blessures ne dit rien, mais elle réflé-
chit à la solution qui pourrait la ramener sur la Terre avec Maldeï. Elle se
demande si le monde du rêve ne serait pas la porte qui pourrait les ramener
là-bas ?
⎯ Depuis que tu m’as trouvée, tu n’arrêtes pas de vouloir me détruire
par tous les moyens et bien qu’à chaque combat tu sembles prendre
l’avantage et te déclarer vainqueur, malgré toutes mes souffrances, je suis
toujours vivante. Tu t’acharnes sur moi et je me relève à chaque fois. Je ne
désire pas ta mort, Andévy, seulement que tu enlèves ta couronne. Je veux
te rendre ton âme, c’est-à-dire, l’être que j’ai connu, la femme qui se dé-
vouait à son peuple en s’oubliant et donnant toute sa vie pour les autres.
C’est tout ce que je désire contre toi, Maldeï. De toute façon, ici, dans le
trou éthérique où nous sommes, nous ne pouvons rien faire et il est possible
que si nous retournions sur Terre, nous la retrouverions vieillie de plusieurs
siècles. Un trou de ce type est une porte ouverte dans le temps.
⎯ Il ne sera jamais trop tard pour que j’y impose mon pouvoir, moi, je
n’ai pas d’enfants qui m’attendent, à l’inverse de toi, je n’ai rien à perdre.
⎯ Mais depuis longtemps l’espace-temps n’a plus d’emprise sur mon

513
être, mon esprit est peut-être dans ton monde, mais il n’est pas de ton
monde.
À se détacher de l’espace-temps, Aqualuce crée un bouleversement autour
du trou éthérique. C’est alors que les deux femmes s’aperçoivent que le
temps et l’espace se reforment autour d’elles. Maldeï s’en réjouit tandis
qu’Aqualuce fatiguée, se déconcentre. Dans l’instant, tout l’univers se re-
forme autour d’elles et c’est à ce moment qu’elles se retrouvent à la porte
d’un autre phénomène plus connu sur Terre : un Trou Noir.
Les masses de matières, de gaz et de lumière entraînés par le phénomène
sont d’une ampleur telle que les deux femmes en sont presque admiratives.
Elles ne sont pas entraînées par le trou certainement formé d’une masse au
moins égale à dix mille soleils, mais elles voient autour d’elle les consé-
quences. Maldeï se demande comment entraîner Aqualuce vers ce phéno-
mène, sans qu’elle se perde pour autant. Il ne lui faut pas beaucoup de
temps pour trouver, car elle voit que même la lumière se fait prendre. C’est
là qu’elle décide de créer un halo de lumière autour de sa rivale afin que le
vent spatial l’entraîne à jamais dans le trou noir. C’est ainsi que se mettant à
tourner autour d’Aqualuce à grande vitesse, elle crée par l’échauffement de
son corps une lumière de plus en plus vive qui entoure la pauvre femme.
Cela dure un tel moment qu’autour d’Aqualuce resplendit comme un petit
soleil. Maldeï s’en détache au moment où elle voit que l’effet désiré com-
mence à agir. Aqualuce et la lumière sont entraînées vers le trou noir et leur
vitesse commence à s’accélérer. La pauvre ne peut se défaire de sa lumière,
elle en est prisonnière et elle s’enfonce si vite vers le trou noir que Maldeï a
déjà disparu. Alors qu’elle est à des centaines de millions de kilomètres de
l’étoile noire qui l’attire, elle sent déjà l’échauffement du phénomène. Ses
atomes se sont resserrés et elle est en train de rétrécir. Il est fort probable
qu’elle ne sera plus qu’à la taille d’une poussière en arrivant dans le trou
noir, celui-ci réduisant à néant toute la matière qui peut s’en approcher. Elle
se dit que Maldeï a encore gagné, son intelligence étant toujours sous le
pouvoir de sa véhémence. Cette fois, dans ce monde, sa vie se termine, elle
en a le sentiment, une poussière humaine n’est rien devant les plus grands
phénomènes de la nature. Mais, elle continue de voir autour d’elle, et même
si elle se sent maintenant rétrécir, elle reste parfaitement consciente. C’est
ainsi qu’elle voit toute la matière s’effondrer autour d’elle et se réduire de
plus en plus, comme si la vie se miniaturisait sans disparaître. Et, c’est ce
qui semble se passer pour elle. C’est ainsi qu’elle arrive sur le trou noir et
que bientôt se collant à lui, elle en fera bientôt partie. Mais, son esprit ne se
replie pas sur lui-même, au contraire, Aqualuce semble commencer à com-
prendre des choses nouvelles, comme si l’esprit de ce trou noir lui parlait
maintenant. C’est ainsi qu’elle termine sa course dans la matière du trou et
que sa conscience ne disparaît pas ; elle s’y associe…

514
Les astronomes, les astrophysiciens, les physiciens et les mathématiciens de
la Terre se sont toujours questionnés au sujet des trous noirs et il y a des
théories différentes selon chacun. Mais, aucun n’en connaît la vérité et celle
qu’Aqualuce découvre maintenant :
« L’esprit de la mort n’est pas ici. Toute matière que j’ai prise est appelée
pour retourner à sa source. Ce passage est une porte pour l’éternité, pas un
entonnoir pour étoiles mortes. Tout ce qui y pénètre trouve la vie, non la
mort. L’effondrement de la matière est le signe du retour à la source ;
l’espace de l’éternité d’avant le big-bang, le cœur du Monde. C’est cela le
grand secret du trou noir des hommes… »
Aqualuce entendant tout cela dans son esprit comprend alors qu’elle pos-
sède un pouvoir qu’elle n’a pas encore utilisé et qu’elle peut maintenant
faire valoir. Et c’est ainsi qu’elle plonge son esprit entier dans le monde du
rêve pour y attirer Maldeï…

⎯ L’imaginaire est bien plus puissant que toutes les armes du monde, la
source de la vie vient du rêve. Ceux qui savent rêver peuvent changer le
monde, les hommes, l’univers. Il faut que j’attire Maldeï dans le monde du
rêve, au pays de l’imaginaire.
C’est à ce moment qu’un être apparaît devant elle ; une jeune fille d’environ
quinze ans, mais au regard sûr et sans crainte dans son âme. Aqualuce sur-
prise de trouver cet être devant elle, lui demande :
⎯ Mais, qui es-tu, comment as-tu fait pour me trouver ici ?
⎯ Je m’appelle Belinn, je suis l’elfe des elfes. Tu m’as appelée il y a
quelques instants, j’ai entendu ta voix demander le monde des rêves. J’en
suis la reine et je viens te chercher pour t’y emmener. Je te connais, tu es
Aqualuce, l’amie de tous les enfants de l’école de Keuramdor. Je les ac-
compagne depuis que vous nous avez sauvés de l’emprise de Maldeï.
⎯ Je ne peux pas te demander d’aide, j’ai fait une promesse à Maldeï.
Ce combat est notre affaire. Vous ne pouvez pas intervenir.
⎯ Je n’ai pas l’intention de m’interposer entre toi et elle, mais la pro-
chaine épreuve à passer est dans le monde des rêves. C’est mon royaume et
quiconque le pénètre doit passer par moi, car j’en détiens les clefs.
⎯ Il faut que je fasse passer Maldeï dans ce monde afin que nous conti-
nuions notre combat ; il n’est pas terminé.
⎯ Oh ! ce n’est pas compliqué, elle t’attend à l’entrée du trou noir, une
des portes du monde des rêves. Je peux la faire pénétrer si tu le désires
vraiment. Mais attention, je ne la maîtrise pas. Dans le pays des rêves, la
règle absolue est de ne faire que des choses autorisées par la nature. Vous
êtes obligées d’employer les éléments de la nature, sans les déformer ; pas
de choses surnaturelles, pas de magie, pas d’objets de fabrication humaine,

515
aucun objet manufacturé. Si l’une d’entre vous doit outrepasser ces règles,
je serai obligée de vous en faire sortir immédiatement. Au-delà de mon
monde, je ne maîtrise rien, tu devras te défendre contre elle uniquement par
toi-même, attention.
C’est à ce moment que Belinn disparaît, que tout ce qui était apparent à
Aqualuce disparaît et qu’elle se retrouve projetée dans un univers qu’elle ne
connaît absolument pas. Le ciel est bleu foncé, le soleil orange bien que
haut dans le ciel n’éclaire presque pas. Plus loin la mer bleue éclaire le ciel
de ses vagues vertes. La terre est jaune comme un canari et un souffle de
vent tiède circule entre son visage et les arbres violets. C’est alors qu’elle
aperçoit plus loin une femme qu’elle reconnaît aussitôt : Maldeï.
C’est étrange, celle-ci semble avoir perdu sa couronne et c’est alors que
rassurée, Aqualuce s’en approche…
Andévy, Andévy, c’est toi, qu’as-tu fait de ta couronne ?
⎯ Petite femme mortelle, comment oses-tu me parler ? Mets toi à ge-
noux à mes pieds, ne te moque pas de Maldeï, sinon, tu vas goûter de son
souffle, de sa flamme.
Aqualuce n’a pas peur de ses menaces et s’approche d’elle afin de voir si sa
couronne a bien disparu de son crâne. C’est à ce moment que la femme se
transforme instantanément en un dragon violet et crache immédiatement des
flammes sur elle. Aqualuce est surprise, mais n’est pas atteinte. Pour
l’éviter, elle-même trouve la réplique en devenant un souffle de vent puis-
sant afin d’éteindre la flamme de l’animal. Aussitôt le dragon se change en
un aigle qui s’amuse à tourner en maîtrisant le souffle de l’air, comme s’il
faisait du surf avec. Aqualuce voyant que son adversaire a pris le dessus,
trouve aussitôt une parade en se métamorphosant en pluie de mousson. Le
pauvre animal s’épuise sous l’eau et tombe sur le sol gorgé d’eau. Mais sa
riposte est instantanée, car il devient vite brochet, qui déployant toute sa
force dans l’eau, la fait jaillir et en maîtrise le courant. Aqualuce n’a pas le
dernier mot sur l’animal et se trouve presque dépourvue devant lui, mais
une idée lui vient vite. L’eau se refroidit et d’un coup devient glace, si bien
que le poisson est pris dedans, pétrifié comme une statue de marbre. Pour la
première fois, elle se sent gagnante devant Maldeï et s’en réjouit. Mais
voyant le pauvre brochet, elle imagine vite qu’il peut mourir prisonnier dans
la glace et c’est alors qu’elle la transforme en vapeur pour ne pas faire dis-
paraître son ennemie. Le poisson hors de l’eau se débat, étouffant, mais son
esprit resté vif et se change en rat. Aqualuce étant redevenue elle-même est
mordue aussitôt et l’animal lui dévore un mollet c’est alors qu’elle trouve
l’instant pour devenir un oursin piquant. Le pauvre rat lâche aussitôt sa
prise, les gencives blessées, et aussitôt devient éléphant, s’apprêtant à écra-
ser le fruit de mer. Cependant c’est trop tard, Aqualuce est devenue une
baleine et le pauvre animal devient bien ridicule sur elle et roule jusqu’au

516
sol en s’effondrant lamentablement. Vexée, Maldeï ne joue plus les règles
établies par les elfes et d’un coup se transforme en soldat puissamment ar-
mé et avec ses engins, tire sur le cétacé et le blesse si fort qu’il reprend la
forme d’Aqualuce, paralysée et blessée par les armes. Maldeï prend plaisir à
continuer de l’abattre lâchement et n’arrête pas son feu. Aqualuce, effon-
drée, ne se relève plus, elle est plus que désarmée, elle est mortellement
blessée. C’est à cet instant que l’elfe apparaît devant Maldeï ayant retrouvé
sa couronne. Bien que dominante dans son monde, elle ne peut rien contre
l’elfe qui est devant elle, même si celle-ci paraît bien plus jeune et petite
qu’elle. Elle ne peut que l’écouter :
⎯ Aqualuce m’a demandé de te faire rentrer dans le monde des rêves.
Je l’ai prévenu, cela n’est pas nécessairement bon pour tous. Tu connaissais
les règles en arrivant dans ce monde, tu savais qu’il n’est pas possible de
faire entrer ici des objets de la matière, sinon le rêve meurt. Mais tu as en-
freint la loi, car ici, c’est le jeu, le rêve, la vie, pas la mort. Aqualuce était
bien meilleur que toi, ça, tu ne peux l’accepter. Les rêves d’Aqualuce ont
dépassé ton imagination et tu es retombée dans l’esprit des êtres sans rêves.
Tu as besoin de la matière pour exister, alors que ton monde est voué à la
disparition. Tu as définitivement tué ton esprit en tuant Aqualuce, mais ici,
personne ne meurt. Hélas pour toi, tu viens de tuer tes derniers pouvoirs, tu
t’es détruite toute seule. Tu as perdu contre ton adversaire. Retourne d’où tu
viens, assume ton destin…

Une spirale de lumière emporte le corps d’Aqualuce en même temps que


Maldeï qui se débat. Ce vent spatial semble les aspirer comme si elles fai-
saient en quelques fractions de seconde le trajet inverse qui les avait condui-
tes jusqu’à la porte du trou noir et au-delà dans le monde des rêves.

Tout s’inverse en un instant, car…

Sur le sol, dans le désert, entourées par une foule, deux femmes se relèvent
lourdement. Maldeï a bien du mal, son ventre arrivé à terme ne peut plus
supporter l’esprit de la femme à la Couronne de Serpent. Aqualuce a subit
les pires blessures durant son voyage et se lève avec difficulté. Le soleil les
assomme toutes deux, mais enfin, elles se retrouvent face à face comme au
tout début. Mais, une différence se fait valoir maintenant ; l’une de compo-
sition athlétique paraît reprendre des forces, tandis que l’autre tenant son
ventre, semble ne plus pouvoir bouger, comme si la douleur était en elle.
Maldeï aimerait pouvoir détruire son adversaire, mais, malgré sa Couronne
de Serpent, elle est comme impuissante. Elle cherche en elle les moyens de
terminer son combat, mais rien ne lui paraît possible. Pourtant, ses yeux ont
toujours la rage d’anéantir Aqualuce.

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Tous les hommes, les femmes, les enfants présents sont immobiles, presque
paralysés, s’imaginant que dans un instant, l’humanité aura basculé dans la
force de la Couronne de Serpent.
Tous le pensent…

C’est alors qu’Aqualuce s’avance d’un pas décidé jusqu’à la hauteur de


Maldeï et que d’un coup lui lance une gifle telle que la femme en est se-
couée. Juste après, elle lui donne un coup de poing dans la mâchoire et en-
suite encore plusieurs coups sur le thorax, le visage. Aqualuce n’a plus de
pouvoir, tout comme Maldeï, mais elle a des muscles et sait s’en servir.
C’est ainsi que Maldeï s’effondre, surprise par les coups. Alors, Aqualuce
arrache la Couronne de Serpent de son crâne, la jette au sol et crie :
Maldeï est morte !

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LA COURONNE DE SERPENT
La femme s’effondre sur le sable chaud, Aqualuce est
presque sous le choc de l’avoir battue ainsi. Personne n’aurait imaginé
qu’une telle guerre puisse se terminer à coups de poing, surtout lorsqu’on
sait que les protagonistes avaient des pouvoirs très particuliers ainsi que des
armes si sophistiquées. Soudain, Maldeï qui reste à terre, demande de l’aide
:
⎯ S’il te plaît, je sens que je vais accoucher, je ne peux plus me relever,
aide moi, Aqualuce.
Encore dans l’action du combat, elle ne réagit pas immédiatement, mais,
Noèse qui a entendu l’appel se rapproche d’elle et voit sur le sable une ta-
che qui pourrait être le liquide amniotique, ce qui voudrait dire qu’elle est
prête à accoucher. Maora comprend aussi et comme elle est avec des mili-
taires, elle leur demande de faire venir une équipe médicale. Fil est là et se
propose, mais il lui faut un peu de matériel et surtout un endroit abrité pour
que l’enfant puisse naître dans les meilleures conditions. Quelques minutes
plus tard un hélicoptère se pose près d’eux et Maldeï y est transportée.
Aqualuce se rapproche de Maldeï pour lui parler :
⎯ Désolée si j’ai provoqué les contractions en te frappant, je ne pensais
plus à ton enfant.
⎯ Mais Aqualuce, tu n’y es pour rien, tout est de ma faute, je n’aurais
jamais dû poser cette couronne sur ma tête. C’est à cause d’elle que tout est
arrivé. Tu m’as sauvé au contraire. Je retrouve mon âme, mon esprit. Je suis
Andévy, Marsinus Andévy. Je n’ai pas d’autre nom, je suis lunisse, je suis
une simple femme comme les autres.
Mais elle s’arrête, prise d’une contraction. L’hélicoptère s’est arrêté sous les
recommandations du médecin qui pense que l’accouchement est trop immi-
nent pour l’emmener à l’hôpital le plus proche. Ce sera mien de faire naître
le bébé ici. Tout se passe bien, d’après Fil, il se présente bien, le col est
ouvert comme il faut. Andévy reprend :
⎯ Je découvre que je suis enceinte et je suis déjà en train d’accoucher,
alors que je ne sais même pas qui est le père.
⎯ C’est Jacques ; Maldeï avait gardé de toi l’amour que tu avais pour
lui et elle a fait ce que ta conscience n’aurait jamais accepté.
⎯ Cette femme a laissé des traces en moi, je ressens maintenant la rai-
son qui l’a poussée à faire cela. M’en veux-tu ?
⎯ Étant donné les conditions dans lesquelles cela s’est fait, je n’ai au-
cune raison de te le reprocher. Si tu as un enfant de Jacques, je ne peux que
t’en féliciter, j’en ai aussi quatre beaux de lui, de plus tu portes un enfant
d’un homme que tu aimes. Jacques n’est pas un coureur, il est fidèle, il n’est

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pas responsable. Je n’ai pas l’esprit jaloux, l’important est de bien accueillir
cet enfant.
Mais, Andévy ne peut plus parler, elle fait une grimace, elle semble souffrir.
Fil voit l’enfant commencer à passer. Il demande à Andévy de pousser pour
l’aider, il tient le bon bout. La pauvre fait beaucoup d’efforts pour faire
sortir son enfant, tout le monde le voit, son visage devient rouge, mais Fil
ne prend pas garde. C’est dans l’instant que le bébé sort, ouvrant les yeux
dans le monde qui l’accueille. Le bel enfant possède les yeux bleus comme
tous les nourrissons, ainsi que les cheveux châtains comme Jacques. C’est
un petit garçon, si léger qu’il donne l’impression de ne pas être de ce
monde. Tous le regardent avec attention, émerveillés de ce que la nature
peut donner comme plaisir aux hommes. Mais, Andévy qui a souffert n’a
pas la chance de le voir aussi bien et elle a comme un malaise. Aqualuce est
la première à constater sa difficulté et s’en rapproche :
⎯ Tu ne te sens pas bien, Andévy ?
⎯ J’ai très mal à la tête, j’ai l’impression de perdre la vue ainsi que mes
membres. Dis-moi, est-il beau ?
⎯ C’est un garçon, il te ressemble, il a les cheveux de son père. Tu as
fait un magnifique bébé.
⎯ Heureusement, ce n’est pas Maldeï qui l’a fait, mais mon corps.
Toute mon âme se retrouve en lui.
⎯ Comment veux-tu l’appeler ?
La pauvre femme cherche ses mots, elle semble avoir du mal à parler, mais
elle fait un effort pour dire à Aqualuce :
⎯ Je n’ai qu’un nom en tête, Iahvé. Il tourne dans ma tête depuis que
j’ai ouvert les yeux. Je crois que Maldeï y pensait aussi. Cet enfant est par-
ticulier. Maldeï voulait en faire le maître du monde, je pense qu’il sera un
maître, pas le Maître.
⎯ Iahvé était le nom de mon père, j’ai un étrange sentiment au sujet de
ton enfant.
Andévy se sent encore plus mal et se contient pour ne pas perdre connais-
sance. Fil vient de comprendre ce qui se passe, elle fait une hémorragie
interne, c’est grave si ce n’est pas traité immédiatement. Aux militaires, il
demande des secours et un autre médecin s’apprête alors avec Fil et très
vite, ils repèrent la blessure. Mais, le temps passe, l’hémorragie continue
ses dégâts. C’est alors que faisant un effort au-delà de ses possibilités, An-
dévy dit à Aqualuce :
⎯ Je vais peut-être mourir, je ne pouvais pas m’en tirer comme ça. J’ai
fait des milliers de morts, je dois payer mon imprudence d’avoir ramassé la
couronne dans le repaire de Belzius. Ma mort ne serait que justice. Mais,
j’ai trouvé dans le combat, la lumière et je la rejoins pour terminer mon
travail.

520
Silence ; elle cherche ses mots, elle ne veut pas sombrer dans le coma avant
d’avoir dit à Aqualuce son vœu le plus cher :
⎯ Aqualuce, si je devais disparaître, prends cet enfant. Élève pour moi
Iahvé, fait en un homme d’esprit, un roi pour tous ceux qui souffrent dans
leur âme. Prends-le comme fils.
C’est à ce moment qu’elle ferme les yeux, perdant connaissance. Fil et le
médecin militaire font alors dégager tous ceux qui se trouvent dans
l’hélicoptère et avec le bébé, ils décollent afin de rejoindre l’hôpital de
campagne installé plus loin. Peut-être auront-ils la chance d’arriver à temps
pour la sauver ?

Malgré toute la souffrance que Maldeï avait fait subir à son peuple, Aqua-
luce ne supporte pas de voir Andévy dépérir ainsi. Cette femme n’est pas
responsable de tout ce qui fit tant de dégâts autour d’elle ; c’est la couronne.
La vie d’Andévy, lorsqu’elle était sur Lunisse, était à l’image de la perfec-
tion. Cette femme s’était comme elle, toujours sacrifiée pour son peuple. Si
ça n’avait pas été elle qui avait ramassé la couronne pour la poser sur sa
tête, une autre victime l’aurait fait. Elle se dit qu’elle-même aurait pu tom-
ber dans ce piège.
Sortant de l’hélicoptère en courant il lui vient une idée. Quelques dizaines
de mètres plus loin, elle retrouve la Couronne de Serpent étalée sur le sable.
Elle s’arrête devant, la regarde et pense à Andévy puis à Maldeï. Avec
curiosité, elle pense aux dégâts qui depuis des millénaires, elle fait autour
d’elle. Elle se dit alors toujours ne rien connaître de cette Couronne de Ser-
pent, ce bijou reste encore mystérieux. Saisie par tout le chemin parcouru
depuis neuf mois, elle comprend ce qu’elle doit faire. Comme si elle arrivait
aujourd’hui au bout de son chemin, sachant qu’elle risque de perdre à ja-
mais tous les êtres chers qu’elle a autour d’elle. Elle se dit :
« Toute cette route parcourue, depuis que j’ai un jour trouvé Jacques sur
ma route ; Une chose est certaine, maintenant, termine ce que père a com-
mencé, fait ce que pourquoi tu es née. »
C’est alors qu’elle ramasse la Couronne de Serpent et la prend à pleines
mains, découvrant que son destin est lié à elle depuis qu’elle est née…

Oh ! je n’aurais jamais dû te toucher ni t’attraper, qui es-tu pour me prendre


ainsi ? À peine dans mes mains que tu m’envoûtes, j’entends ton discours,
je veux résister. Mais, ma souffrance augmente autant que je résiste. Tu
tentes de chasser ma conscience, tu veux tuer ma personnalité, mais je ne
veux pas, je suis forte, tu ne me prendras pas, je suis infaillible. Tu
t’attaques à mon corps, mais je préfère mourir plutôt que de me faire péné-
trer pas ton infâme conscience. Je résiste. Oh ! non, tu entres par la porte de
mes sentiments, tu connais ma faiblesse maintenant, tu es pervers, je ne

521
peux plus te résister, tu vas me prendre. Ta queue s’enfonce dans le bas de
ma nuque pour y faire pénétrer ton venin mortel, tu t’enroules autour de
mon crâne et tu le serres, jusqu’à en faire tomber tous mes cheveux et en
étouffer toute ma lucidité. Maintenant que je suis chauve, tu viens
d’annihiler toute ma force, je sens le fluide de l’univers m’envahir et mon
esprit se contracter, je ne suis plus qu’une poussière de pensée parmi toute
la force que tu déverses dans mon être. Mon âme se brûle dans l’acide de ta
pensée, ton poison est une souffrance comme un gouffre sans fin qui
m’emporte vers la mort. Je ne peux résister à toi, je ne serai bientôt plus
qu’un souvenir, pour la femme que j’ai été.
Et maintenant, ton œil se tourne vers mon regard et tu me fécondes de ton
poison, tu implantes dans mon bassin un germe maléfique et pour le
confirmer, tu oses me faire jouir dans toutes mes cellules comme le ferait un
amant. Tu viens de planter ta graine macabre en mon être et je m’endors
peut-être pour l’éternité. Oh ! Jacques, aide moi, viens me délivrer, je
t’aime…

Je suis et je pense. J’ai le pouvoir absolu sur toute chose, j’ai la puissance,
l’univers m’emplit de sa force, je suis la beauté et l’intelligence absolue, je
suis la perfection de la création. Car je suis le créateur.
Par ma couronne, je suis invincible, je suis par elle éternelle.
En même temps par ma fécondité, je suis le berceau de l’humanité, tous les
hommes sont mes enfants, ce sont mes esclaves aussi, je suis la Vie pour
eux, et aussi leur Mort.
Je suis comme un dieu ; je suis le maître de l’univers, je suis DIEU !
Je ne suis plus humaine, je suis la Couronne de Serpent, celle qui renferme
en elle le secret de la vie, qui est DIEU, qui est le diable, qui est le Bien, qui
est le Mal. Nous ne sommes plus qu’un, enroulé sur la tête de celui que je
possède.
Mais avant tout, je suis l’expression de l’homme, sa force, sa sexualité, sa
haine, son amour, son intelligence, sa bêtise, sa peur et son courage. Je me
nourris de toute l’humanité, car je suis l’image totale de sa création. Je suis
DIEU pour l’humanité, car elle m’a créé par son ignorance alors que, moi je
sais. Tel un enfant supérieur à ses parents par le perfectionnement de ses
gènes, je suis plus fort que l’homme, car j’en suis aussi l’enfant. Lorsque
l’homme était dans ses cavernes et qu’il laissait tomber son habit de lému-
rien, j’étais déjà là avec lui. Lorsque Atlantide sortit de terre, j’étais tout
puissant et lorsqu’on m’emporta dans les cieux, je l’étais encore plus. Alors
maintenant que je suis une femme forte, féconde et intelligente, qui aurait
l’audace de me combattre aujourd’hui ?

C’est alors qu’une lumière intervient, comme une voix en elle :

522
⎯ Aqualuce, écoute-moi sous l’esprit de la Couronne de Serpent. Tu
dois découvrir le secret. Ton rôle est de dévoiler à tous, la grande masca-
rade qui nous est jouée. Reprends ton rôle, ne te laisse pas dominer par le
serpent…

Tous les Lunisses rassemblés dans le désert, tous les militaires voient Aqua-
luce coiffée de la Couronne de Serpent. Son visage et ses yeux se transfor-
ment, elle n’est plus celle que tous connaissent, son regard scrute tous les
êtres autour d’elle en les terrorisant. Elle paraît intouchable et puissante,
chacun se demande s’il en sera bientôt sa victime.
Maldeï avait de grands pouvoirs, mais Aqualuce coiffée de la couronne sera
cent fois plus forte. L’humanité est bien en danger. Si elle reprend l’idée de
Maldeï, dans quelques heures, tous les hommes de la Terre auront été trans-
formés en esclaves. Mais tous la voient d’un coup s’arrêter, comme s’il se
passait des choses inconnues dans sa tête. Au même moment, le ciel se cou-
vre d’épais nuages si noirs que les rayons du soleil sont aussitôt arrêtés. Un
vent étrange se met à souffler alors qu’un froid glacial envahit le désert. Des
éclairs sortent du ciel de tous les côtés, comme une apocalypse biblique.
Cela est en rapport direct avec la couronne. Raidis par une grande peur, tous
ont perdu leur force, même les plus courageux. Heureusement les enfants
ont été mis à l’abri, sauf Axelle et Cléonisse, restés auprès de leur mère.

Un combat intérieur se prépare…

⎯ Serpent, écoute-moi, je suis une flamme. Je n’ai pas de nom, pas de


corps, car je ne suis ni homme ni femme. Je suis une étoile indestructible.
Tu m’as fait pénétrer ton esprit lorsque tu as pris mon âme. Tu as volé le
corps d’Aqualuce, mais en même temps tu as créé une faille en toi. L’âme
renée ne peut jamais sombrer dans l’âme du monde, elle est indestructible.
Tu m’as cherchée pendant des millénaires et enfin me voilà, préparée par
tous ceux qui ont cru en mon être. Je suis venu te chercher afin que tu re-
prennes ta place abandonnée depuis des éons ; pas de combat entre nous,
mais un démasquage complet pour chacun de nous. Montre-moi ce que tu
es, je te dirai qui tu es. Je suis venu pour les fiançailles, je suis venu cher-
cher l’époux et la mariée.
La Couronne de Serpent comprend qu’elle vient de faire pénétrer en elle la
force de la lumière qu’elle a toujours refusée et chassée loin d’elle et des
hommes, car elle sait que si celle-ci pénètre les hommes, elle les perdra de
son pouvoir. Si la lumière pénètre son corps, c’est elle-même qui, saisie,
sera à son tour changée. Sur le coup, elle veut chasser d’elle l’âme qu’elle
vient d’absorber, mais celle-ci a décidé de s’accrocher à elle. C’est à ce

523
moment que cette nouvelle âme, rendue parfaite par son possesseur, Aqua-
luce, commence à regarder la profondeur de ses entrailles.
Alors, une brèche se fait dans l’âme du serpent et une force pénètre son
passé aussi long que la nuit des temps.

Je passe dans ton flux d’esprit pour m’approcher de ta source. D’où viens-
tu, qui t’a créée ?
Comme une descente aux enfers, l’âme passe dans des zones de vies suc-
cessives de la couronne et la première qu’elle voit est Maldeï. Aqualuce
comprend toute la souffrance d’Andévy dans l’instant où elle toucha le ser-
pent ; elle a subi la même chose qu’elle. La conscience écrasée par la puis-
sance des éons de gloire sur l’humanité entière. Le serpent n’est que le
symbole de toutes les âmes perdues qui refusent de mourir en prenant de
l’humanité toute la force dont elles ont besoin pour survivre dans le monde
de la mort. Maldeï n’était pas une reine, mais l’esclave de ces maîtres qui
dominent l’humanité par tous les artifices, comme la peur, la terreur, le
sexe, la violence, la religion, l’humanitarisme et le plaisir. La pauvre Andé-
vy s’était fait piller son âme pour donner à Maldeï le but qui la tenait dans
la direction voulue, qui était d’envahir la Terre afin de s’assurer que les
hommes deviennent des esclaves plus malléables. Comme un film à
l’envers, la vie de Maldeï apparaît en évidence. Mais l’âme d’Aqualuce
s’enfonce plus profondément et découvre le prédécesseur : Belzius.

Belzius eut deux visages. Le dernier était celui de Céleste, l’enfant d’Iahvé,
pris pour remplacer Belzius mourant. Celui-ci régna presque six mille ans,
maintenant la couronne en place et s’assurant que les hommes étaient tous
pris par les artifices qui les font vivre, les laissant tous dans le doute et la
peur. Sa couronne fut retirée par sa sœur Cléonisse, qui l’avait attendu des
millénaires. Le premier Belzius était empereur de l’Atlantide ; sa civilisa-
tion arrivant en fin de règne sur la planète, il décida de quitter Atlantide
pour y créer un nouveau monde, loin des influences des astres du zodiaque.
Quittant la planète, un homme, Iahvé, le père d’Aqualuce, lui lança le défit
de créer une nouvelle planète, la Terre. Mais avant cela, cet homme avait
été un bon empereur qui autrefois s’était appelé Miasmos, un des premiers
maîtres avant la Grèce antique. La couronne qu’il avait sur le crâne avait été
trouvée dans la tombe du Roi de Lémurie qui la possédait bien avant lui.

C’est alors qu’Aqualuce voit devant sa conscience l’âme encore vivante du


roi lémurien agissant encore et dirigeant les pouvoirs de la couronne. Il s’est
retiré depuis des éons dans des zones cachés de la Terre, au-dessus des
montagnes et de l’atmosphère. Il n’est pas seul, d’autres veilles âmes l’ont
accompagné, mais toutes sont obligés pour subsister de piller les forces des

524
humains : la guerre et l’amour, dégagent des quantités incroyables d’influx
vitaux pour maintenir leur esprit en vie. L’esprit de la couronne est le point
de liaison qui permet au roi de Lémurie et à bien d’autres de pouvoir survi-
vre. La couronne activée par un vivant permet de transmettre les pouvoirs
maléfiques nécessaires et maintenir les hommes prisonniers sur la Terre. En
se battent, ils vident leurs âmes de leur influx de vie. Aqualuce voit en par-
tie la vérité de la couronne. Mais elle ne s’imagine pas qu’elle va bien au-
delà. Quittant le roi de Lémurie, elle ouvre une nouvelle porte donnant
place aux différents esprits de la nature qui sont encore plus profondément à
l’origine de la Couronne de Serpent…

L’esprit de la Terre est le dieu qui donna naissance aux humains, son image
est marquée dans la couronne, car comme créateur, il fit l’homme et la
femme, lui donnant comme Adam et Eve les pouvoirs du jardin d’Eden. Il
était le serpent dans l’arbre qui fit croquer la pomme par l’homme, sachant
qu’en le rendant prisonnier, il l’obligera l’humanité à le servir.

L’esprit de l’eau domine celui de la Terre. Le fluide crée la Terre et l’oblige


à donner aux hommes la haine et l’amour. L’Homme fut créé pour
s’opposer à la femme et réciproquement. L’esprit de la Terre fit les hom-
mes, la nature et aussi toutes les calamités, imposé par l’esprit de l’eau qui
donne le mouvement. Il n’y eut jamais de fumée sans feu comme il n'y eut
jamais de terre sans eau…

Mais l’eau vient de l’esprit de l’air, l’élément le plus léger. Le serpent a


toujours dominé l’air pour le concentrer et le rendre liquide. L’air emplit les
poumons des hommes afin de le rendre dépendant de leur respiration. À
chaque bouffé d’air, l’homme brûle la vie, la détruit et ainsi donne aux éons
la force qui leur est nécessaire. L’esprit de l’air est un éon qui force
l’homme à rester prisonnier de son système.

Le dernier des quatre éléments est le feu. C’est lui qui brûle l’air dans
l’homme, c’est lui qui réchauffe et détruit. Le feu sème la terreur, il ali-
mente le flux qui nourrit les éons de toute la nature. Le feu est lui-même la
force.

Aqualuce comprend tout cela, mais, son introspection n’est pas encore ter-
minée, car au-delà de ce qu’elle a pu ressentir, elle est directement propul-
sée vers l’esprit des étoiles. Elle découvre que chacun de ces astres est
comme un être, une conscience. Chaque étoile est tombée du ciel, attirant
avec elle les hommes vers le bas, leur faisant croire qu’ils sont des êtres de
lumière. Le serpent est encore là, afin de faire croire aux humains leur affi-

525
liation divine, alors que les hommes viennent de la terre, simplement.

Après les étoiles, les galaxies. Celles-ci, concentrent une telle quantité
d’énergie, qu’Aqualuce pourrait les croire immortelles, mais elles ont be-
soin des hommes pour vivre, car sans leur conscience, personne ne serait là
pour dire qu’elles existent. Le serpent prend aux plus petites consciences de
l’univers leur imaginaire. Là, il les tient afin de prendre d’eux toute leur
vitalité…

Aqualuce comprend que l’humanité est prise au piège du serpent. Ensuite


viennent au-dessus des galaxies, les amas stellaires, encore plus puissants et
plus gros que tout, l’homme ne semble plus y trouver sa place, mais l’esprit
du serpent maintient tout en état ici. Gardant sur toutes les régions de
l’univers la conscience d’être au-dessus de la création.
C’est là qu’une limite se tient, l’esprit de l’énergie cosmique est à la limite
de la création, bien attaché aux manettes de l’espace-temps, il dirige toutes
les forces qui maintiennent en équilibre le domino édifié à l’origine du
temps. Sachant que si l’homme ouvre les yeux sur sa véritable nature, tout
s’effondrera…

Le Big-Bang est là, à l’origine de la naissance du serpent, celui-ci ayant pris


pour lui la lumière, il s’éjecte de l’espace éternel. Toutes les âmes consti-
tuant l’homme se transforment en énergie, elles n’ont plus conscience d’être
des enfants de Lumière, ne trouvant pas d’autre solution que de devenir
énergie.

C’est alors que l’esprit d’Aqualuce voit de son être entier la chose la plus
fabuleuse, son origine : l’homme n’est encore qu’un enfant désireux de
connaître tout. Il est céleste, il doit se sublimer à sa vocation divine. Mais il
est curieux : voulant savoir ce qu’est la force de la vie pour lui, il prend
alors la lumière pour lui afin de la libérer en lui pour être au-dessus de la
création et devenir, lui aussi créateur. Hélas, il n’en a pas encore les moyens
et il crée l’explosion qui le rejette de son espace de vie éternel.
Il arrive alors dans l’espace et le temps.

À l’origine, elle voit l’Amour et l’association des forces positives négatives


donner naissance à l’homme, force divine capable de se construire. Dieu y
introduit volontairement l’expérience afin que l’homme se découvre à tra-
vers sa gestation qui le conduira au plus profond du gouffre de la vie.
Un clignement d’œil pour le créateur, une éternité pour les hommes qui
arrivent.

526
En un mot, pour "l’Expérience", la seule raison de l’existence du bien et du
mal. Au milieu de tout cela, le Serpent…

L’Ame pure d’Aqualuce, qui s’était fait prendre par le serpent, comprend
tout de ce long et grand chemin. Aussitôt le serpent de la création se place
devant son esprit afin de terminer le combat commencé il y a des millénai-
res…

527
COMBAT FINAL
Le serpent se déroule devant l’âme pure afin de montrer
toute la puissance accumulée par l’Expérience. L’âme devant cela est si
petite qu’elle apparaît comme une puce devant un éléphant. La couronne a
vécu des millénaires, des centaines de millénaires. Tandis que l’âme pure
est jeune, elle naît de la conjonction de la Lumière et du souvenir du passé
glorieux, en se frayant un chemin entre la mort et la vie. Aqualuce est née
d’une mère de la Terre et d’un père venu des étoiles, grandissant dans
l’expérience de la matière et de l’Amour. Jacques, le simple homme, l’a
trouvée sur son chemin et s’est attaché à elle, comme une étoile tombée du
ciel. Aqualuce, comme une étoile filante, a ralenti son mouvement en en-
trant dans l’atmosphère terrestre, si bien qu’elle en a perdu toute sa lumière.
Seulement en donnant tous ses pouvoirs, elle les a dispersés sur tous, afin
d’arriver dépouillée devant Maldeï et ensuite face à la Couronne de Serpent.
Elle ressent que l’armée du serpent vient de perdre ses armes, par l’esprit de
tous les enfants, que le serpent avait voulu voler plus tôt. Les enfants sont
en action, comme des âmes nouvelles, ils demeurent plus efficaces que les
grands qui n’ont plus de rêves. La bataille met en place ses éléments…
La Couronne avait pris l’âme d’Andévy parce qu’elle avait des désirs. Sa
faiblesse venait de l’amour qu’elle portait à Jacques, ce qui l’avait rendue
très fragile. Son esprit s’était ainsi mélangé au serpent laissant naître Maldeï
qui ne rêvait qu’à faire tomber Aqualuce afin de lui dérober son époux.
Mais, là, même si Aqualuce a été prise par l’esprit du serpent, celui-ci n’a
pu s’accrocher à elle, glissant sur son âme pure et sans désir. Maintenant, le
Serpent, chargé de tout son passé et de tous ses désirs, devient comme
l’âme faible.
Face à face, le Serpent, Aqualuce, se regardent dans les yeux pour le dernier
combat…

C’est alors que les deux se transposent en énergie, l’une positive, l’autre
négative. Ils s’élèvent dans le ciel et se mettent à spiraler comme des cyclo-
nes, se déchargeant de l’un à l’autre, lançant des éclairs partout dans le ciel
et sur la Terre. Le serpent si chargé vide sur Aqualuce toute sa force, mais
celle-ci ne se fatigue pas, au contraire, car plus le serpent donne de sa force,
plus elle s’en charge et devient puissante. Le combat des forces lumières
dure si longtemps, que les siècles de la Terre n’y suffisent pas et comme
l’espace Temps se brise, le combat devient éternel, le serpent s’épuise, si
bien que sa fin semble proche.

C’est à cet instant que devant tous les héros de l’aventure, devant tous les
enfants de la Terre, un événement incroyable intervient.

528
Au centre du désert, dans la tempête, sous les éclairs, la pluie et le vent,
dans l’obscurité du ciel chargé des nuages de l’apocalypse, une femme se
redresse et attrape de ses mains, sur sa tête, une Couronne de Serpent.
L’animal d’Or se tortille et se détend, voulant attraper ceux qui se présente-
ront à sa portée. Mais, la femme brandit le reptile au-dessus d’elle, le mon-
trant à tous. Alors, on peut voir ses mains puissantes serrer si fort l’animal
qui celui-ci paraît être étranglé. Les éclairs deviennent encore plus nom-
breux, le vent souffle encore plus fort et les hommes, les femmes, ne peu-
vent plus se tenir debout.

Dans l’esprit d’Aqualuce, une chose surprenante se passe, elle ressent la


vie, différemment, elle n’est plus elle-même, unie à l’esprit qui était le ser-
pent, elle l’a libéré ; elle est une lumière. Elle ressent que les enfants de la
lumière, ceux qui encore quelques heures avant étaient prisonniers du ser-
pent, l’aident et la soutiennent, elle sait qu’elle a accompli sa mission.

C’est à cet instant que dans un éclair stupéfiant, le serpent explose. C’est
alors que toute la tempête, le vent, les éclairs, la pluie, toutes les calamités
de cette bataille, se déchirent et d’une déflagration si puissante, disparais-
sent avec tous les vaisseaux de la flotte de Maldeï, désintégrés comme si ces
montres de l’espace n’avaient jamais existé, laissant seule au centre du dé-
sert une femme totalement dénudée de force et de pouvoirs. Aqualuce
s’effondre sur le sable, tenant dans ses mains une peau de serpent totale-
ment vidée.
Les amis voudraient la retrouver pour lui porter secours, mais ils sont tous
arrêtés net car du haut du ciel, une lumière traverse tout l’espace et frappe
Aqualuce en plein cœur. Une lumière si vive, si forte qu’aucun œil ne peut
la regarder directement. La femme étalée sur le sable est prise par ce fais-
ceau, elle est comme irradiée, brûlée, son corps frémit comme une feuille
agitée par la tempête. Et soudain la pauvre Aqualuce devient plus brillante
que du métal en fusion. C’est à ce moment que le grand rayon, faisant dis-
paraitre la pauvre femme pénètre le sol de la planète, comme pour en son
sein déverser toute sa lumière et sa puissance. Les minutes sont longues et
d’un coup, tout s’arrête, redevient calme comme s’il n’y avait jamais eu de
bataille…

Noèse et Maora disent alors :


⎯ Monadis vient de déverser son deuxième rayon sur la Terre ; le rayon
du dévoilement ; l’humanité doit faire vite pour trouver la voie, le cycle du
temps va changer la planète.

Jacques ayant vu tout cela, se précipite sur l’endroit où Aqualuce a été tou-

529
chée par cette lumière qu’il connaît bien. C’est là qu’il découvre unique-
ment l’empreinte du corps de son épouse sur le sable ; pas un seul os, pas
une trace d’elle. Juste quelques poussières de son cadavre qui sont là pour
témoigner qu’elle a existé…

Mais étrangement, lorsque qu’il lève les yeux afin de supplier le ciel, il voit
en même temps, le plus formidable phénomène qui soit :
Un astre qui jusqu’à hier n’était pas visible dans le ciel se montre mainte-
nant. Il est facilement reconnaissable, car il est suivi d’une longue queue.
Comme s’il faisait un signe à tous, comme si l’âme d’Aqualuce rayonnait
sur toute l’humanité.

Le cœur de Jacques pense à cela, mais sa souffrance est terrible. Aqualuce


était partie combattre l’ennemie de la lumière et elle avait réussi à rassem-
bler des milliers d’hommes et de femmes avec elle. Réussissant partout, elle
a donné deux enfants et combattu l’ennemi jusqu’au bout, le terrassant.
Mais alors, pourquoi est-elle morte ? Pourquoi cette injustice. Elle laisse
quatre enfants et un mari, créant un vide aussi profond que l’univers entier.
C’est alors que ses deux enfants se rapprochent de lui, comme s’ils vou-
laient le réconforter…

Tous les autres sont tristes, mais ce soir est néanmoins une très grande vic-
toire. Cette guerre a fait bien d’autres victimes que rejoint Aqualuce, mais
tous ceux qui ont disparu, ont donné aux hommes sur la Terre l’exemple du
sacrifice afin que la lumière puisse pénétrer le cœur de la vie.

La Couronne de Serpent détruite, l’humanité peut enfin ouvrir les yeux sur
sa véritable destinée qui est de laisser la Lumière prendre le pouvoir afin de
ramener les hommes dans leur véritable patrie, un monde sans souffrance,
sans haine ni mort.

530
ÉPILOGUE…
Aqualuce a disparu dans le désert, juste après avoir triom-
phé de la Couronne de Serpent. Les cinq cent mille extraterrestres dispersés
dans le désert du Nouveau-Mexique disparurent tous presque aussitôt,
s’éparpillant partout sur la planète. Tous furent libérés de l’emprise du Ser-
pent dès l’instant de sa disparition et leurs âmes furent guéries de leurs ma-
ladies et de leur lourd passé. Chacun savait ce qu’il devait alors faire sur
Terre, la lumière de leur cœur brillant comme des étoiles. Certains fondè-
rent des familles avec d’autres hommes, d’autres élaborèrent des écoles
comme celle de Keuramdor, alors qu’une partie prit la route vers les quatre
coins de la planète pour enseigner une nouvelle sagesse…

Hillary Rodham, présidente des Etats-Unis, garda Mia Ericsson parmi son
personnel, mais tous ceux qui avaient participé aux grandes manœuvres du
désert ne se souvinrent de rien, absolument rien car juste au moment de la
destruction de la Couronne de Serpent, un étrange rayon magnétique effaça
toutes les mémoires des hommes qui avaient collaboré à cette guerre sur
Terre, même les mémoires de tous les ordinateurs oublièrent aussi cet évé-
nement…

La disparition d’Aqualuce laissa un mari et ses quatre enfants. Jacques au-


rait pu ne pas se remettre de cette tragique disparition, mais une femme prit
très vite la place de son épouse. Marsinus Andévy qui n’avait jamais cessé
de l’aimé se retrouva malgré elle, prise par les enfants d’Aqualuce qui la
placèrent devant leur père, comme s’ils sentaient qu’elle était un peu la
continuité de leur mère. De plus, Jacques est aussi le père de Iahvé. Ces
mêmes enfants ne se sont pas contentés de rassembler Jacques et Andévy,
mais ils sont persuadés que leur véritable mère est encore vivants, c’est
pourquoi aujourd’hui, Céleste et Cléonisse recherchent leur mère à travers
de nombreuses aventures qu’ils partagent avec les autres enfants de leur
école, comme si leur aventure ne faisait que commencer…

Eric Vatin

Chelles le 06 décembre 2010

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Cet ouvrage a été imprimé par
COPIE-MEDIA
33693 MERIGANC
En Février 2011
Pour le compte des EDTIONS DU FUTUR ©

N° d’édition : EF2011/06

Dépôt légal : Février 2011

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