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6 Autoformation et enseignement supérieur

Nicole Poteaux Emmanuel Triby


Maître de conférences de sciences Maître de conférences en économie,
de l'éducation, Université Louis Pasteur, Strasbourg.
Université Louis Pasteur, Strasbourg
Georges Vignaux
Jean-Yves Robin Directeur de recherche,
Maître de conférences Laboratoire Communication
Table des matières
de psychosociologie, et politique,
Université catholique de l'Ouest, CNRS, UPR 36, Paris
Institut des sciences de la
communication et de l'éducation,
Teresa Yurén
Angers Professeur de philosophie
Françoise Thibault de l'éducation,
Laboratoire de sciences de Universidad Autônoma del Estado
l'information et de la communication de Morelos, Cuernavaca, Préface 13
(LABSIC), nommée « Chercheur national »
Université Paris X I I I , au Mexique Avant-propos 21
chargée de mission au ministère
de la Recherche, Paris PREMIÈRE PARTIE. L'autoformation comme notion 25

Introduction. Regards croisés sur une notion plurielle 27


Philippe CARRÉ

Chapitre 1. Autoformation et contextes institutionnels :


Une approche socio-historique 37
Brigitte ALBERO
1.1. La période paléo-conceptuelle : de l'utopie à l'action 39
1.1.1. Accès au savoir et classes sociales 40
1.1.2. Mutualité et solidarité : deux principes de base
de l'auto formation 42
1.1.3. Dons et contre-dons dans les situations marginalisées :
un palliatif aux déficiences du système éducatif ? 43
1.2. La période pré-conceptuelle : entre le militantisme et la recherche de
légitimité académique 46
1.2.1. Quelques pionniers expérimentent et formalisent 46
1.2.2. Les premiers réseaux s'organisent autour de la notion
polysémique d'autoformation 48
1.3. De l'expérience locale à l'organisation en réseau :
la nécessité de mutualiser 50
1.4. Du conflit au dialogue entre politique, recherche et action éducative :
la prise en compte du fonctionnement systémique de la formation 53
1.5. Le choix d'une modernisation qui n'exclut pas la tradition 56
8 Autoformation et enseignement supérieur Table des matières 9

1.6. Vers une période de conceptualisation : un système de valeurs partagé 5.1.4. Pour une approche économique renouvelée 111
dans la constitution d'un champ de pratique et de recherche 5.2. L'autoformation comme ébauche d'une nouvelle économie ? 112
1.6.1. Répondre aux besoins de formation et de démocratisation 5.2.1. L'autoformation comme réponse à la crise du taylorisme en
1.6.2. Donner aux étudiants les moyens de l'autonomie formation ? 112
1.7. Actualiser le système d'éducation et de formation 5.2.2. L'autoformation comme moyen d'entretenir « la production
1.8. Conclusions provisoires de la demande » 114
5.3. L'autoformation au cœur de l'économie de la connaissance ? 115
Chapitre 2. L'autoformation : d'une histoire sociale
au développement de la personne 69 DEUXIÈME PARTIE. L'autoformation comme pratique 119
Jean-Yves ROBIN
Introduction. Regards croisés sur les pratiques innovantes 121
2.1. D'une histoire sociale 70
Pierre CASPAR
2.2. ...au développement de la personne 73
2.3. Conclusion 77 Chapitre 6. L'autoformation à l'université :
de quelques éléments dialectiques 131
Chapitre 3. L'autoformation est-elle l'oubli d'autrui ? Nicole POTEAUX
Un regard philosophique sur la question 79
Teresa YURHN 6.1. Autoformation et autonomie 132
6.2. Autoformation et innovation 134
3.1. Les questions et l'approche 79 6.3. Autoformation et processus d'apprentissage 136
3.2. L'autoformation : son émergence comme opposition 80 6.4. Autoformation et massification 137
3.3. La formation pour soi et par soi : le chemin de la négativité 82 6.5. Autoformation et liberté 137
3.4. Le sujet assujetti : projet, angoisse et responsabilité 83
6.6. Autoformation et économie 139
3.5. La vie quotidienne, l'action communicative et Pautoformation 85 6.7. Conclusion 140
3.6. Le soi-même et la dialectique identité-altérité 87
3.7. Conclusions . 89 Chapitre 7. Autoformation des adultes et contexte insitutionnel 141
Danièle ABE-Hn.DE-NBRAND
Chapitre 4. L'autoformation, élément-pivot de la cognition naturelle. . . 9l
Georges VIGNAUX 7.1. Apprendre autrement 142
7.1.1. La pédagogie de l'autonomie 142
4.1. Le langage et la pensée : comment savoir ce dont on parle ? 92
7.1.2. L'autonomisation de l'apprenant 142
4.2. La chose et l'objet 93
7.1.3. Le dialogue pour l'autonomisation 143
4.3. Comment le sens vient aux choses : les représentations 94 7.2. Autonomisation et massification 144
4.4. L'intelligence construit le monde 95
7.2.1. De l'individualisation dans les groupes à l'autonomisation
4.5. Penser, classer : la catégorisation, phénomène ordinaire 97
de nombres restreints d'usagers 145
4.6. Représentations et notions 99
7.2.2. Les contraintes économiques pour l'autonomisation
4.7. Cognition collective 100
d'un nombre important d'individus 145
4.8. Conclusion : vers de nouvelles intelligences plurielles 101
7.2.3. Les contraintes en milieu institutionnel 146
Chapitre 5. L'autoformation comme activité économique et sociale 105 7.3. Caractéristiques pour favoriser l'autonomisation
Emmanuel TRIBY en contexte institutionnel 147
7.3.1. Un environnement d'apprentissage complexe pour inciter
5.1. Réinterroger certaines conceptions et pratiques 106 à la prise de décision 147
5.1.1. Le technologisme 107 7.3.2. Un centre ouvert et un apprentissage indépendant 148
5.1.2. L'évaluation 108 7.3.3. Une logistique différente de celle de l'hétéroformation 149
5.1.3. Une conception restreinte de l'économie 109
7.4. Conclusion 151
10 Autotbrmation et enseignement supérieur Table des matières 11

Chapitre 8. Aider l'apprenant à mieux apprendre 153 1 1 . 1 . 1 . Quelques caractéristiques des deux types de médias
Marie-José GREMMO considérés : les TIC et la télévision 221
11.1.2. La télévision et l'éducation aux médias 223
8.1. Autoformation et apprentissage autodirigé 155
11.1.3. Est-il possible, dans un tel contexte, de parler d'autoformation ? 225
8.2. La nature de l'apport du conseiller 156
11.2. Exploitation du potentiel médiatique 226
8.2.1. Les représentations 156
11.2.1. La correspondance entre l'image animée et le fonctionnement
8.2.2. Les savoir-faire méthodologiques 159
de la perception individuelle 227
8.3. L'entretien de conseil 160
11.2.2. L'écriture télévisuelle et la logique d'appropriation 228
8.4. L'interaction de conseil ". 164
11.3. L'intentionnalité 229
Chapitre 9. Du prescrit au vécu : l'enjeu des régulations 167 11.4. Le degré de persuasion et la logique adaptée au sens commun 230
Didier PAQUELIN et Hugues CHOPIJN 11.5. Médiation pour l'apprentissage tout au long de la vie 233
11.5.1. Le spectateur-apprenant et le message :
9.1. Introduction 167 deux systèmes complexes 234
9.2. Contexte de l'étude 168 11.5.2. Un apprentissage différent, la notion de guidage 235
9.3. Une reconnaissance de pratiques cachées de formation 170 11.5.3. Une nécessité dans certains domaines : l'exemple de
9.4. Du système de formation au dispositif 171 l'apprentissage des langues étrangères 237
9.5. Enjeux et modes de régulation 174 11.6. En conclusion... 238
9.5.1. L'autorégulation 175
9.5.2. L'homo-régulation 176 Chapitre 12. Autoformation, éthique et technologies :
9.5.3. L'hétéro-régulation 177 enjeux et paradoxes de l'autonomie 241
9.6. Les changements effectifs 179 Monique LINARD
9.7. Conclusion 182
12.1. L'autonomie, point de rencontre de l'autoformation
TROISIÈME PARTIE. Autoformation et technologies 185 et des technologies 241
12.1.1. L'autonomie entre réflexe et réflexion 242
Introduction. Autoformation, autonomie et changement de paradigme . . 187 12.1.2. Autonomie et autorégulation, deux problèmes-clés
Pierre LANDRY de la modernité 243
12.2. Un changement de paradigme : de l'algorithme à la navigation
Chapitre 10. Coalitions sociales et innovation pédagogique 193 en haute mer 243
Françoise THIBAULT 12.3. Autoformation et TIC : le présupposé implicite d'autonomie 245
12.4. Un triple tournant épistémologique, pédagogique et éthique 247
10.1. Un silence culturel 194
12.5. L'évolution rapide de la conception des usages dans l'ingénierie des
10.2. Institutionnalisme, théorie de l'innovation et pensée technique 196 248
interactions entre humains et machines
10.3. La triple extériorité du projet initial 197
12.5.1. De l'informationnel à l'actantiel : les besoins des l'acteurs . . . 249
10.4. Le rôle de l'établissement et celui des acteurs de terrain 200
12.5.2. De l'actantiel à l'existentiel : retour des effets de l'action
10.5. Connivence, coalition et coalescence 204 250
sur ses acteurs
10.6. Les différents effets defeedback de l'innovation technologique . . . . 215
12.6. La vision éthique : au-delà du souci des effets,
10.7. En conclusion 217
celui des conséquences 251
Chapitre 11. Images et apprentissages : 12.6.1. Techniques contemporaines : l'excès du pouvoir de faire
une médiation pour Pautoformation 219 sur le pouvoir de prévoir 252
Carmen COMPTE 12.6.2. Le plaisir technique, une anti-éthique ? 253
12.7. Boucles et spirales : les destins divers de l'autorégulation 254
1 1 . 1 . Utilisation des médias pour l'auto formation, utiles ou futiles ? 221 12.7.1. La boucle de rétroaction (feedback) : entre autorégulation et
emballement 255
12 Autoformation et enseignement supérieur

12.7.2. La boucle d'autoréférence : entre base identitaire


et cercle vicieux 256
12.8. Ambivalence des boucles et niveaux d'autocontrôlé de l'action . . . . 257 Pour moi, quand j'ai désiré apprendre, c'était
12.9. Autoformation et technologies : relecture
pour savoir moi-même et non pas pour enseigner ;
en tant qu'activités autonomes 258
j'ai toujours cru qu 'avant d'instruire les autres il
12.10. Théories et recherche : l'évolution récente 259
fallait commencer par savoir assez pour soi, et de
12.10.1. Des alertes 259
toutes les études que j'ai tâché de faire pendant ma
12.10.2. Des changements de points de vue et de pratiques 260
vie au milieu des hommes, il n'y en a guère d'éludes
12.10.3. Vers une reconnaissance des conditions de l'autonomie 261 que je n 'aurais faites de la même manière, seul dans
12.11. Conclusion 262
une île déserte oùj 'aurais été confiné pour le restant
Postface 265 de mes jours.
Jean-Marie BRABIER Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur
solitaire.
Annexes 1 271
Brigitte ALBERO

Annexe 2 276
Brigitte ALBERO

Annexe 3 278 Préface


Brigitte ALBERO

Annexe 4 279
Brigitte ALBERO

Bibliographie 282

Index des auteurs cités 303

Index des sigles et acronymes 309 Positionné à Ultima Thule, traduisez en Norvège, mais élevé et « formé » dans la
capitale des Gaules, on a estimé que je pourrais apporter un éclairage externe sur les
Index des notions 311 contributions des chercheurs et acteurs français présentées dans cet ouvrage. Cet
éclairage devrait aider le lecteur à situer les contours de cette « école française de
l'autoformation et de l'autonomie de l'apprentissage » au sein d'un décor plus vaste.
Il ne s'agit donc ni de faire l'apologie des points de vues développés dans ces
contributions, ni de prouver leur pertinence à être adoptés ailleurs, ni même de les
comparer à d'autres variantes en Europe et Outre-Atlantique. Vue de Scandinavie où
l'héritage de Grundtvig qui, au début du dix-neuvième siècle, lança la vision de
l'université populaire (folkeh0jskole) en réaction contre « l'école noire », imprègne
encore les comportements pédagogiques et la trame sociale (je ne mentionnerai en
passant que le concept de selvforvaltning - gestion de soi-même), une telle
comparaison aurait été pourtant tentante.
Introduction

Regards croisés sur une notion plurielle


Philippe CARRÉ

Le défi proposé dans cette partie de l'ouvrage est, comme beaucoup de défis, à la
fois séduisant et courageux. Il s'agissait de demander à plusieurs chercheurs en
sciences humaines non-spécialistes du thème, d'écrire sur la notion d'autoformation
du point de vue de disciplines spécifiques et complémentaires. Ce projet peut
séduire, puisqu'il donne à la notion d'autoformation un statut d'objet de réflexion
scientifique dans plusieurs champs disciplinaires, de la philosophie à l'économie, en
passant par la psychosociologie et la psychologie cognitive. Le danger qui
l'accompagne cependant est de limiter le corpus exploité par les auteurs à une
minorité de productions sur le champ examiné, et donc de restreindre la
compréhension de la notion à ses aspects les plus généraux, les plus proches des
représentations sociales dominantes. Le lecteur jugera si le jeu en valait la chandelle.
Pour ma part, j'ai pris plaisir et intérêt à lire et étudier ces textes, entre autres parce
qu'ils donnent à un certain nombre d'acquis de la recherche sur l'autoformation une
légitimité nouvelle, grâce précisément à la distance que confère aux auteurs invités
ici leur rapport à cette thématique.

Après avoir résumé ce qui, pour moi, est l'essentiel de ce qui caractérise les
avancées de la recherche sur l'autoformation depuis plus d'un quart de siècle, je
tenterai de faire ressortir des réflexions proposées par les auteurs de cette section
une demi-douzaine de lignes de force qui confortent ou valident, à partir de
nouveaux points de vue (et dans le champ délimité de l'enseignement supérieur), les
acquis de la recherche dans ce domaine. Enfin, je conclurai en ébauchant, sous le
double éclairage des textes qu'on va lire ici et de l'état actuel de la recherche sur
28 Autoformation et enseignement supérieur Regards croisés sur une notion plurielle 29

l'autoformation, une série de questions de recherche encore insuffisamment traitées numéro «historique» de la revue Education permanente en 1985 (Dumazedier,
aujourd'hui. 1985). Du point de vue des sciences de l'éducation en France, l'autoformation est
reconnue cette année-là.
L'autoformation comme champ de recherches 1
Les mouvements fédérateurs : 1986-2000
Les fondateurs (1967-1985)
Les années suivantes vont donner lieu, des deux côtés de l'Atlantique avec une
Même si l'on peut repérer de nombreux ouvrages, littéraires puis sociologiques demi-douzaine d'années de décalage, à des efforts de mutualisation et de fédération
sur l'autodidaxie bien avant cette date, l'acte de naissance du terme d'autoformation de la communauté de chercheurs et de praticiens réflexifs impliqués sur le thème de
comme phénomène social recouvrant les différentes dimensions de la « formation l'autoformation. En 1986, H. Long réunit à l'université de Géorgie le premier
par soi-même » peut être fixé à 1967 avec la parution au Canada de la thèse d'Allen symposium nord-américain sur l'apprentissage autodirigé et y rassemble
Tough : Learning without a teacher (Apprendre sans professeur). Bientôt suivront la quarante participants. En France, cinq chercheurs se réunissent en 1992, pour former
publication de l'ouvrage majeur de Cari Rogers, Freedom to learn (Liberté pour le GRAF (Groupe de recherche sur l'autoformation en France) qui se développera
apprendre, 1969), où le terme d'« autodirection » ou self-direction^ est introduit modestement jusqu'à compter vingt participants en 1998, et sera déclencheur et co-
dans le monde de la recherche en éducation, puis celles du travail fondateur de organisateur de six colloques dits « européens » et de deux rencontres dites
Tough sur les projets de formation de l'adulte (The Adult's Learning Projects, 1971) « mondiales » à Montréal en 1997 et Paris en 2000, réunissant à chaque fois entre
et du livre de M. Knowles intitulé L'apprentissage autodirigé : un guide pour les 150 et 400 participants.
apprenants et les enseignants (Self-directed learning: a guide for learners and
teachers, 1975). En moins de dix ans, la majeure partie du décor est posée à travers Tant en Europe qu'en Amérique, ce sont les années fédératrices : les chercheurs
les trois orientations majeures de la recherche nord-américaine en matière et les praticiens mobilisés par l'autoformation se reconnaissent, et se construisent à
d'autoformation : l'autodidaxie et les projets indépendants de formation de l'adulte travers ces différentes manifestations une identité « paradigmatique » commune : le
avec A. Tough, l'autodirection du sujet apprenant avec C. Rogers, les techniques et désir d'analyser et de pratiquer la formation en partant de la problématique du sujet
dispositifs d'accompagnement avec M. Knowles. social apprenant, à travers toutes les déclinaisons des situations qu'il ou elle peut
être amené(e) à traverser dans les différents milieux sociaux : école, université,
A la même époque, en France, trois approches complémentaires apparaissent et formation d'adultes, associations, syndicats, cité, vie privée, etc.
posent les fondations de l'autoformation. B. Schwartz intitule un chapitre de son
ouvrage de 1973 Vers l'autoformation assistée et s'inscrit comme fondateur du Ce mouvement fédérateur, mutualisateur, sorte de réseau national et international
courant «éducatif» ou pédagogique de l'autoformation avant l'heure. d'échange entre chercheurs de milieux et d'intérêts divers culmine en juin 2000 au
J. Dumazedier, préoccupé d'autoformation dans le cadre de ses intérêts pour le CNAM quand 450 personnes venues de quatre continents confrontent leurs travaux et
développement culturel depuis les années 1960, rédige un article sur l'autoformation réflexions sur le thème global de l'autoformation. Toutefois, pointe dès lors la
par la lecture la même année (1973), initiant ainsi une entrée « sociopédagogique » nécessité d'une structuration des courants de réflexion, des approches
dans l'autoformation. Ensuite, G. Pineau, à travers la publication de sa thèse méthodologiques et des sensibilités épistémologiques autour de concepts ou de
Produire sa vie: Autoformation et autobiographie en 1983 donne au terme une thématiques plus affermies, plus précises, plus opératoires aussi parfois. La
nouvelle légitimité, plus philosophique, centrée sur la construction de soi et la représentation de l'univers théorico-pratique de l'autoformation sous la forme d'une
perspective des histoires de vie. Enfin, à la clôture de la période, Dumazedier « galaxie » de cinq approches, que nous avions proposée en 1995 est retenue pour
réussira à réunir la plupart des acteurs de ce nouveau champ de recherche dans un structurer en juin 2000 le symposium de recherche de Royaumont et le colloque du
CNAM qui le suit. Simultanément, à côté d'une dynamique fédératrice et
1. Cette section reprend largement notre communication sur «L'état de la recherche sur centralisatrice autour du « paradigme » de l'autoformation, s'organisent ainsi un
l'auto formation », Actes du (F colloque sur l'autoformation, Montpellier, décembre 2001. certain nombre de sous-groupes de travail, de recherche ou d'affinités qui viennent
2. Bien plus que le terme de « non-directivité », abusivement diffusé en France à partir de relancer la réflexion sur des bases nouvelles. Nous entrons sans doute dès lors, en
traductions discutables des textes originaux de l'auteur. Pour une discussion sur ce point, voir matière de recherche, dans une ère de différenciation relative des problématiques,
P. Carré (à paraître), Rogers. ou de l'autodirection. Nanterre, CREF, secteur Savoirs et
rapport au savoir. des concepts, des modalités méthodologiques.
V
30 Autoformation et enseignement supérieur Regards croisés sur une notion plurielle 31

C'est dans ce contexte à la fois de fédération des recherches autour d'institutions Réalités des pratiques d'autoformation dans l'enseignement supérieur
légères, en réseau, et de différenciation des objets de recherche, que paraît le présent
ouvrage. Autoformation et enseignement supérieur sont d'anciens partenaires parce
qu'historiquement, et Jean-Yves Robin nous le rappelle ici, l'Université à toujours
porté en son sein des traditions pédagogiques de responsabilisation, d'émancipation
De quelques convergences significatives. Les enjeux du développement des et de participation active des étudiants à leur propre formation. Les exemples qu'il
pratiques d'autoformation dans l'enseignement supérieur cite sont, sur ce plan, éclairants. Même si l'on peut à juste titre faire remonter la
première apparition du terme d'autoformation dans l'enseignement supérieur aux
II faut d'abord saluer l'initiative de ce livre. La question de l'autoformation se premières expériences pédagogiques de Bertrand Schwartz à l'Ecole des Mines de
pose d'évidence dans l'enseignement supérieur depuis longtemps (depuis toujours ?) Nancy il y a à peine un demi-siècle, de multiples pratiques proches de l'idée
et personne, avant Brigitte Albero, n'avait cherché à traiter frontalement cette d'autoformation accompagnée s'y sont mises en place depuis longtemps. L'idée
question, par une entreprise à la hauteur des enjeux multiples, que l'on rappellera même de distinction entre travaux pratiques ou dirigés et cours magistraux ne nous
brièvement ici : rapproche-t-elle pas de notre interrogation ? De même, le développement de
- transformations de la démographie étudiante et augmentation de la demande de laboratoires de langues, l'organisation de tutorats, encore récente en France mais
formations supérieures pour de « nouveaux publics », mi-étudiants, mi-employés, bien installée dans les traditions pédagogiques anglo-saxonnes, la formation par la
plus âgés, en retour d'études, etc.,; recherche et son apogée, la formation doctorale, ne sont-ils pas des signaux faibles
-augmentation des besoins de formation professionnelle continue à tous les de la disposition historiquement favorable de l'institution universitaire et de nombre
niveaux de qualification et pressions sur les établissements d'enseignement de ses clercs, vis-à-vis de la formation « par soi-même » ?
supérieur pour qu'ils contribuent à une offre renouvelée, flexible, à contretemps C'est dire si, dans les dernières années, la création et le développement de quatre
(soir, week-end, congés), et bien sûr à distance ; réseaux de recherche-action, installés peu ou prou dans le giron universitaire pour
-percée progressive de nouvelles approches pédagogiques dans l'enseignement traiter, directement ou non, de la question de l'autoformation dans l'enseignement
supérieur (alternance, utilisation des technologies, travaux en groupes, visites, supérieur, n'est pas une surprise. Même s'il faut rappeler, pour certains d'entre eux,
simulations, etc.) contribuant à «fossiliser» les approches magistrales que les problématiques d'usage des technologies éducatives l'emportent dans la
conventionnelles ; majorité de ces réseaux sur la question de l'autoformation. La coordinatrice de ce
-besoin à l'Université plus encore qu'ailleurs, d'accéder en temps réel aux volume montre d'ailleurs ici comment, avec ou sans alliance entre elles, les
connaissances les plus récentes ou les plus valides que peuvent fournir les moyens questions de l'autoformation et des technologies de l'information et de la
technologiques actuels, rendant possible la mise à disposition des expertises les plus communication, souvent réunies sous le vocable de « formations ouvertes » doivent
pointues sur les thèmes de recherche retenus ; aujourd'hui être traitées ensemble, et le sont parfois.
-poussée de la demande sociale et professionnelle de l'autonomie dans le travail Ingénierie pédagogique... universitaire ?
et la vie citoyenne, comme contrepartie du passage d'une société de la commande à
une société de l'information, entraînant un besoin paradoxal de protection et D'où une troisième série d'observations de certains des auteurs de ce livre, sur ce
d'émancipation des sujets sociaux ; que B. Albero n'a pas peur de nommer « l'intégration de l'autoformation à
l'ingénierie pédagogique ». Le propos est ambitieux, mais à la hauteur des enjeux.
- du coup, nécessité de créer des environnements éducatifs propices à
Si, en effet, comme nous le rappelle E. Triby de son point de vue d'économiste,
I'« apprenance », comme complexe d'attitudes favorables à l'acte d'apprendre dans
l'autoformation est aujourd'hui, par nécessité, liée aux possibilités ouvertes par le
tous les registres de la vie, à toutes ses époques et dans tous les milieux.
développement technologique convergent de l'informatique, des télécom-
munications et de l'audiovisuel, alors en effet, il ne suffit plus de penser en termes
On pourrait bien sûr allonger cette liste, et la lecture des auteurs de cette partie
d'« auxiliaires pédagogiques » plus puissants. C'est à une révision d'ensemble des
de l'ouvrage la complétera. Brigitte Albero a donc vu juste, en pointant avec cet
modes d'intervention qu'il faut procéder, ce qui justifie amplement l'appellation
ouvrage l'enseignement supérieur comme « lieu par excellence » de développement
des pratiques d'autoformation. d'ingénierie pédagogique à cette nouvelle coordination de moyens variés visant à
l'efficacité de pédagogies plus ouvertes, plus flexibles, plus riches en possibilités
d'apprentissage. Mais bien sûr il faut, à l'instar de certains des auteurs réunis ici,
32 Autoformation et enseignement supérieur Regards croisés sur une notion plurielle 33

mettre en garde contre la technologisation aveugle des processus pédagogiques, et L'autoformation n 'est pas soloformation
chercher, expérimenter, évaluer, puis diffuser les enseignements de cette ingénierie Mais l'autoformation n'est pas « oubli d'autrui » (Yuren). Tous les auteurs
pédagogique « pour» l'autoformation (Carré, Moisan, Poisson, 1997). On ne peut réunis dans cette section du livre s'accordent à nous prévenir contre une telle
éviter ici de mentionner que le développement d'une ingénierie pédagogique réduction de l'autoformation à la pratique solitaire d'un apprentissage automatisé.
universitaire passe obligatoirement par la constitution d'équipes-projet comprenant G. Vignaux évoque même ici, en des lignes optimistes, comment l'autoformation
enseignants, ingénieurs et politiques universitaires réunis autour de la même vision peut, à travers les phénomènes de « cognrUor^collective » qu'elle autorise et suscite,
d'un enseignement ouvert et de la démultiplication des ressources. Ajoutons que permettre l'essor de cette «intelligence plurielTëlT que réclament à la fois les
cette ingénierie pédagogique est finalisée sur le développement des pratiques mondes sociaux et les milieux professionnels et économiques de ce siècle nouveau.
d'autoformation et l'on comprendra que doivent d'évidence être associés au B. Albero évoquera également, sur ce thème, l'expérience autodidactique et sa
processus même de construction des dispositifs les « clients » du système de désormais bien connue propension à la constitution d'un réseau de personnes
formation, c'est-à-dire les étudiants eux-mêmes... ressources. L'anthropologie est également ici convoquée par cet auteur pour signaler
l'importance, dans des phénomènes humains tels que ceux décrits ici, de l'échange,
L'étudiant, « sujet social apprenant »
de la réciprocité et de la construction de réseaux sociaux. L'autoformation est sans
Car bien évidemment, et c'est le point central à la fois des textes que l'on va lire, doute plus fréquemment que la formation canonique, source de lien social (Alava et
et de toute notre problématique, à l'Université comme ailleurs, l'autoformation est al., 2000).
avant tout pédagogie du sujet apprenant. D'abord, et c'est T. Yuren qui développe le
plus ce point, car autoformation rime avec projet, choix, responsabilité, voire Il suffit d'observer les pratiques d'apprentissage déployées dans les lieux
angoisse... du sujet apprenant face à sa propre vie. Pédagogie du risque et de d'autoformation « accompagnée » (par exemple les Ateliers de Pédagogie
l'initiative, elle est avant tout pédagogie de l'engagement et interroge de ce fait Personnalisée), voire les comportements d'étudiants engagés dans des travaux de
directement les dimensions tant motivationnelles que méthodologiques de l'action. groupe auto-organisés à l'Université, pour admettre que l'autoformation est une
L'apprenant est en effet considéré, dans les dispositifs d'autoformation accompagnée pratique créatrice de liens sociaux. Des points de vue de la relation pédagogique, des
comme dans les observations de pratiques plus informelles ou sauvages, comme un rapports entre pairs comme du recours accentué aux personnes ressources,
agent de sa propre formation. D'où comme nous l'indique J.-Y. Robin, la place l'autoformation suscite, voire exige, des échanges sociaux plus nombreux que la
importante des problématiques de la reconnaissance sociale et, pourrait-on ajouter participation à des stages ou cours conventionnels. C'est bien là un de ses
en invoquant A. Bandura (2002), du sentiment d'efficacité personnelle. Faute de paradoxes.
l'une et de l'autre (qui vont souvent ensemble), l'autoformation peut sans doute
dériver vers cette « fatigue d'être soi », caractéristique d'après certains de « nos L'autoformation, paradigme éducatif des économies post-modernes ?
temps modernes » porteurs d'espoirs et de possibilités d'action nouvelles, mais aussi
(surtout?) gros de risques nouveaux de fragilisation et d'exclusion des acteurs E. Triby reprend et développe dans les pages qui suivent une intuition de
sociaux mal préparés à affronter leurs lois (Cohen, 1999). G. Pineau qui s'est révélée fructueuse (Pineau, 1993). Selon l'analyse économique
proposée ici, le développement de l'autoformation, voué à se poursuivre, serait la
Processus continu, consubstantiel à la genèse de l'homme dans la perspective réponse éducative aux évolutions des systèmes de production des économies
cognitive piagétienne qu'adopté G. Vignaux ci-après, l'autoformation peut prêter le occidentales de ce début de siècle. En ce sens, comme toujours, selon la formule de
flanc à la critique de favoriser une conception individualiste, voire « solipsiste » de J.-M. Albertini (1992), ce serait « l'économie qui mène le bal». A l'interface des
la formation. Comme plusieurs auteurs l'indiquent, les représentations sociales de cultures de la post-modernité et de la nouvelle donne du capitalisme à l'échelle
l'autoformation engageraient plutôt à la concevoir comme l'action solitaire d'un planétaire, l'autoformation serait une facette ambiguë, paradoxale, contradictoire, du
apprenant confronté à des programmes informatisés de type « enseignement contexte socio-économique actuel.
programmé ». L'autoformation se résumerait alors à une « soloformation » plus ou Côté cour, l'autoformation représenterait le bras armé pédagogique du
moins « assistée » de machines à enseigner...
libéralisme économique, faisant de l'acteur individuel le responsable ultime de ses
réussites et de ses échecs éducatifs, dans la plus pure tradition d'un darwinisme des
ressources humaines dont on sait qu'il domine aujourd'hui la vie de multiples
entreprises privées. Côté jardin, l'autoformation serait l'outil d'une libération du
34 Autoformation et enseignement supérieur Regards croisés sur une notion plurielle 35

sujet social des entraves pédagogiques et organisationnelles qui rendaient les ci- l'autoformation pour dégager une approche psychopédagogique, une ingénierie et
devant « formés » esclaves de processus pédagogiques pensés par d'autres. Elle une sociologie (Carré, Moisan, Poisson, 1997). Cette distinction nous semblait
autoriserait alors une réelle émancipation des sujets apprenants par rapport aux essentielle pour clarifier les enjeux épistémologiques, théoriques et pratiques du
pouvoirs institués. développement des pratiques d'autoformation. Le point de vue psychopédagogique
travaille la dimension d'autodirection des apprentissages, tandis que l'ingénierie
On voit bien au simple énoncé de cette vision contradictoire, combien une œuvre à la construction de dispositifs qui lui soient propices et que l'analyse
compréhension économique de ce « contre-modèle » éducatif, selon les termes sociologique isole la dimension socio-politique et socio-organisationnelle de ces
d'E. Triby, peut aider à une juste appréciation de ses fonctions dans le contexte pratiques (collectifs de travail, organisations apprenantes, réseaux...). Cette
actuel des entreprises et du travail. distinction, encore relativement absente de la réflexion sur l'autoformation dans
l'enseignement supérieur, éclaircirait sans doute significativement un paysage
Un changement de perspective notionnel encore bien flou aux yeux des acteurs et pourrait contribuer à la conduite
Au-delà de ces ambivalences et de ces ambiguïtés, le développement des de plusieurs chantiers de recherche et d'action qui semblent, d'après les auteurs ci-
pratiques et des discours, savants ou politiques, autour de la notion d'autoformation après réunis, importants.
signale une transformation radicale de nos façons de penser la formation et
Ainsi par exemple la recherche sur les stratégies d'apprentissage autonome qui, à
l'apprentissage, sans doute en donnant la priorité au second sur le premier. C'est à
partir de traditions existantes comme l'autorégulation, l'éducabilité cognitive ou les
une véritable « conversion du regard », selon l'expression de J.-Y. Robin, que
convie le thème de l'autoformation, faisant passer, entre autres transitions, du souci study skills, permettrait de développer de véritables outils modulaires
de la réponse à celui de la question. Comme nous l'avons nous-mêmes largement d'apprentissage à l'autoformation. On sait à quel point, à l'Université comme
développé par ailleurs (Carré, Moisan, Poisson, 1997), le «renversement ailleurs (par exemple dans les APP, Carré et Tétart, 2002), cette ligne de travail est
paradigmatique » qui caractérise l'autoformation traverse les évolutions théoriques porteuse d'avenir. Sur ce même registre psychopédagogique, la question des
de toutes les disciplines-clé constitutives des sciences de l'éducation. motivations à l'engagement dans des parcours autodirigés représente un autre champ
d'investigation et de réflexion encore sous-investi. Les concepts d'auto-efficacité
11 est donc aujourd'hui acquis, et ce livre contribuera à installer l'idée selon (Bandura, 1997, 2002), d'autorégulation (Zimmermann, 2000) et d'autodétermination
laquelle le terme d'auto formation cristallise la poussée, face au paradigme (Deci et Ryan, 2000) seront d'utiles jalons dans ce parcours.
conventionnel de l'instruction, d'un paradigme de l'autonomie en éducation et
formation, y compris au cœur même des institutions pédagogiques (Albero, 2000). Sur le plan technico-pédagogique, on a déjà mentionné l'urgence de la
La force du préfixe « auto », comprise au sens de l'agentivité en formation (et non constitution d'une ingénierie pédagogique pour l'autoformation. Ce chantier doit
de la solitude) signale dans sa radicalité, le caractère absolu du pouvoir du sujet, réunir praticiens et experts des trois domaines constitutifs que sont la
qu'on le veuille ou non, sur ses apprentissages et sa formation. Même si l'on psychopédagogie, la technologie et la conduite de projet. L'Université devra, si elle
convient aisément que pour pouvoir s'épanouir, ce pouvoir doit être accompagné. veut négocier le tournant des formations ouvertes, s'armer de compétences et
Même si l'on doit dénoncer partout et toujours le glissement abusif qui fait passer de organiser des équipes codisciplinaires dans ce sens.
ce constat du pouvoir du sujet à l'illusion de sa toute-puissance. Même si, enfin, on
Enfin, au plan socio-organisationnel, deux efforts sont sans doute à faire pour
se doit de toujours rappeler, avec Wallon et toute la psychologie sociocognitive
pallier les béances de la recherche actuelle sur l'autoformation. D'un côté, de
actuelle, que ce sujet est d'abord un sujet social, indissociable de ses milieux de vie,
grandes enquêtes de terrain sont plus que jamais nécessaires pour attester des réalités
de travail et de formation.
actuelles des pratiques sociales d'autoformation, dans tous les milieux, à tous les
âges. Le travail fondateur de Joffre Dumazedier doit rester vif dans nos mémoires
Où va l'autoformation ? (Dumazedier, 2002), à l'heure où ce héraut de la sociologie de l'autoformation
permanente nous quitte. Jamais sans doute le besoin de recherches socio-historiques
Mais il faut aller plus loin. Dépasser ce consensus en émergence sur le à large base empirique n'aura été aussi urgent. Quand les pouvoirs politiques et
« paradigme de l'autos » en formation, déconstruire la nébuleuse qui entoure d'un économiques ne cessent de prêcher la « formation tout au long de la vie » dans une
halo polysémique cette notion préconceptuelle, fédératrice mais ambiguë. Nous nouvelle « économie de la connaissance », nous ne savons rien, ou trop peu, de la
avons, dans cet esprit, sélectionné trois « entrées » dans la problématique large de réalité des formations entreprises de façon autodirigée par les salariés et les citoyens,
36 Auloformation et enseignement supérieur

à la marge des dispositifs formels. D'autre part, un « pont » est à lancer en direction
des observateurs de la société de l'information afin de mieux saisir la réalité des
pratiques d'autoformation dans et par les outils technologiques. Ce sont ici les
fameuses notions de knowledge management et de e-learning qui sont bien sûr
convoquées. Effets de mode ou raz-de-marée ? A l'heure actuelle, peu de données
fiables, issues de recherches rigoureuses et contrôlées, sont disponibles pour Chapitre 1
dépasser le débat idéologique sur des questions dont chacun s'accorde à penser
qu'elles recouvrent des enjeux majeurs dans l'évolution socio-économique des
sociétés de l'information.
Autoformation et contextes institutionnels
Les auteurs que l'on va lire nous renvoient donc un reflet riche, bien que partiel
(par construction), sur la problématique de l'auto formation dans l'enseignement
une approche socio-historique
supérieur. Pour la plupart d'entre eux, leur distance vis-à-vis de cette notion - qui ne
fait pas partie de leurs objets coutumiers de recherche - donne à leurs analyses une
validité particulière. Nous avons isolé dans leurs contributions six thèmes en
Brigitte ALBERO
particulier - mais il y en a bien d'autres - qui nous paraissent autant de lignes de
force dans le traitement scientifique et opératoire de la question. La réalité des
enjeux de F auto formation dans l'enseignement supérieur, l'ancienneté de certaines
traditions pédagogiques de ce type à l'Université, la nécessité d'y développer une
ingénierie pédagogique spécifique, le regard neuf sur l'étudiant, « sujet social
apprenant » et le caractère éminemment social des pratiques d'autoformation (qui la
distinguent d'une « soloformation »), et enfin l'émergence d'un paradigme éducatif
nouveau, en phase avec « nos temps modernes » et nos économies de la A entendre certains discours, qu'il s'agisse de politiques, de praticiens ou de
connaissance... Voici de quoi nourrir la réflexion, pour penser les formations commerciaux, on pourrait penser que l'autoformation est une émanation des
universitaires d'aujourd'hui dans le cadre du projet de société apprenante de demain. technologies contemporaines, tel un effet qui leur serait inhérent et qui conduirait
implacablement l'artefact technique à formater l'activité humaine. Dans
l'enseignement supérieur, le maître, au sens noble du terme, se verrait détrôner par
des sites spécialisés où il suffirait de se connecter. Les campus numériques ou autres
universités virtuelles pourraient ainsi proposer, à n'importe quel étudiant dans le
monde, tout le savoir disponible sur un sujet par le seul miracle du téléchargement.
Avec les nouveaux fantasmes encyclopédiques et le rêve borgesien de la
métabibliothèque labyrinthique à l'échelle planétaire, se télescopent de vieilles
chimères totalitaires qui excluent le facteur humain des activités d'apprentissage et
de formation et achèvent de transformer ces processus complexes en simples
produits marchands.

Parce que l'autoformation n'est pas une invention liée à l'introduction des
technologies numériques et que nous avons le souci d'inscrire cette réflexion dans
un continuum, ce texte tente de relier entre elles les étapes socio-historiques qui
apparaissent déterminantes dans l'histoire d'une pratique sociale, pour les uns
alternative, pour d'autres parallèle, pour d'autres encore complémentaire du système
institué d'éducation et de formation.
Chapitre 6

L'auto formation à l'université :


de quelques éléments dialectiques

Nicole POTEAUX

Dans le contexte de l'enseignement supérieur, la mise en œuvre d'un dispositif


se réclamant de l'autoformation est, dans le plupart des cas, le fruit d'une suite
d'interrogations multiples où se mêlent choix méthodologiques en réponse à des
problématiques de terrain, contraintes institutionnelles, sociales et économiques,
mais aussi militantisme des porteurs de projets, événements, rencontres et hasards.
La notion d'autoformation prête à quantité d'interprétations mais la confrontation à
la réalité du terrain conduit à poser tout un ensemble de questions rarement
soulevées dans le fonctionnement d'un système institué. Pour y répondre, nous
prendrons appui sur l'expérience acquise non seulement à l'université Louis Pasteur,
mais aussi dans les nombreuses situations de formation de formateurs en France et à
l'étranger. Par ailleurs, nous nous attacherons à souligner quelques principes
méthodologiques qui fondent la conception même de tels dispositifs et qui,
simultanément, constituent des obstacles à franchir pour qu'ils puissent
effectivement exister. Nous étayerons également nos propos sur les résultats d'une
recherche récente effectuée dans le cadre d'un mémoire de DESS 1 .

1. Au printemps 2001, dans le cadre d'un mémoire de DESS de responsable en formation


d'adultes (Plateau, 2001), un questionnaire en ligne a été soumis aux étudiants de l'un des
CRI,. La population étudiée est composée de 145 étudiants (61 % d'hommes, 39% de
femmes, d'une moyenne d'âge de 23 ans) apprenant l'anglais. 52 % sont issus de l'UFR de
L'autoformation à l'université 133
132 Autoformation et enseignement supérieur

A l'Université Louis Pasteur, c'est en réponse à une demande institutionnelle et structurante pour l'individu qui l'exerce, activité par laquelle il développe son
politique que se sont progressivement mis en place les Centres de Ressources de autonomie. Les CRL ont été mis en place en accord avec les travaux de H. Holec
Langues (CRL). En 1991, la création du Pôle Universitaire Européen a conduit les (1979) qui définit l'autonomie comme la capacité à prendre en charge le
présidents des trois universités strasbourgeoises à impulser une politique déroulement de son parcours de formation en apprenant à faire des choix, à se
linguistique visant à rendre tous les étudiants du site performants en langues (en connaître comme apprenant et en évoluant progressivement d'un état de dépendance
priorité allemand, anglais, français). Il a donc été nécessaire de conduire une vis-à-vis de l'enseignant, à un état d'indépendance. La dimension philosophique du
réflexion sur cette question en essayant de trouver des réponses efficaces à développement du sujet présentée par Teresa Yuren dans ce même recueil de textes
l'apprentissage des langues par de grands nombres d'étudiants en articulation avec rencontre pleinement notre conception de l'auto formation comme mode
leurs disciplines d'études. Aujourd'hui, les CRL accueillent plus de dix mille d'apprentissage favorisant l'exercice de l'autonomie, elle-même finalité de
étudiants (non-spécialistes de langues) répartis dans huit centres distincts 2 . Les l'éducation. En effet, autonomie comme finalité éducative et autonomie dans le
principes méthodologiques qui ont présidé à la création des CRL se résument ainsi : cadre d'une tâche d'apprentissage prêtent souvent à confusion. Dans la plupart des
/une autoformation organisée institutionnellement, caractérisée par une approche cas3, l'autonomie est assimilée à l'absence de l'enseignant dans la situation
pédagogique centrée sur les étudiants, avec la mise à disposition d ' u n d'apprentissage 4 . Il est vrai que l'autonomie peut être comprise comme un espace
environnement riche en ressources multiples et variées, dont le multimédia ; la temporel pendant lequel l'élève va accomplir seul une tâche ponctuelle, mais qui
présence d'enseignants pour guider et accompagner les étudiants ; des lieux ouverts sera inscrite dans une progression pédagogique décidée par l'enseignant. Dans cette
offrant une grande souplesse d'utilisation. Ceux-ci accueillent également un public conception, il s'agit d'une définition de l'autonomie proche de celle utilisée dans le
en formation continue puisqu'il sont mis à la disposition de tous les personnels de domaine technique. C'est dans cette perspective que le Petit Larousse Illustré (2000)
l'université qui le souhaitent, enseignants-chercheurs, personnels administratifs et définit cette notion : « Distance que peut franchir un véhicule, un avion, un navire
techniques. sans nouvel apport de carburant ou sans intervention extérieure. » Si nous
transposons cette définition des objets aux êtres apprenants, nous obtenons :
Considérée comme une innovation pédagogique à grande échelle, la mise en « Distance que peut franchir un apprenant sans être ravitaillé par un enseignant. »
place progressive des CRL de l'Université Louis Pasteur a été fondée sur une Cette boutade permet de matérialiser l'idée sous-jacente à ce terme : l'élève reste
réflexion théorique et a fait l'objet d'évaluations constantes sous différentes formes. bien dans la dépendance du professeur pour l'organisation de son travail. 11 ne s'agit
donc pas dans ce cas d'autoformation.

6.1. Autoformation et autonomie La conception de l'autonomie qu'ont les étudiants n'interfère pas avec leur
conduite dans les dispositifs d'autoformation. A titre d'illustration, nous indiquerons
Dans le contexte universitaire des CRL, nous nous plaçons délibérément dans le que les résultats d'une enquête 5 concernant plus de six mille étudiants dans huit
champ de l'apprentissage. L'autoformation est perçue comme une activité universités françaises montrent que la grande majorité des étudiants, toutes filières et
toutes universités confondues, associent le mot « autonomie » et celui
mathématiques et informatique, 28 % de sciences physiques, 12 % de sciences de l'éducation. d'« université »6. 11 s'agit apparemment d'une autonomie de vie au sens
2 % de l'Ecole et observatoire des sciences de la terre, 4 % sont en formation continue, 2 % étymologique du terme, c'est-à-dire la capacité à se donner à soi-même ses propres
divers ou non déclarés. 60 % de cette population prépare une licence, 25 % une maîtrise, 3 % lois de fonctionnement et à s'autogérer. L'autonomie dans l'apprentissage
un DESS ; 7 % d'autres diplômes, et 5 % ne le mentionnent pas. Les questions ont porté sur le proprement dit n'est pas englobée naturellement dans cette représentation, alors
choix des ressources pédagogiques, du point de vue de la motivation et de leur efficacité pour qu'elle pourrait se définir comme le droit pour l'apprenant à déterminer librement
l'apprentissage ; sur le recours aux ressources humaines dans le centre ; sur l'évaluation des
progrès des étudiants par eux-mêmes, aussi bien en termes d'apprentissage de la langue que 3. Résultats obtenus dans le cadre de stages de formation d'enseignants par des exercices
d'acquisition de méthodes de travail et d'autonomie. Enfin une appréciation globale sur le d'associations d'idées sur le terme « autonomie ».
dispositif ainsi que des suggestions d'amélioration ont été demandées aux usagers. Des 4. L'élève travaille seul sans professeur, situation que l'on peut caricaturer par la formule :
analyses de carnets de bord d'étudiants ont complété les informations recueillies par les « Soyez autonomes, je reviens dans vingt minutes. »
questionnaires. L'ensemble des données nous permet d'illustrer les propos développés dans 5. Rapport de recherche sur le tutorat à l'université sous la responsabilité scientifique de
cette contribution. l'INRP, 2001.
2. Une description précise de la genèse de ces centres, ainsi que de leur fonctionnement, ont 6. Question consistant à choisir quatre mots parmi seize proposés (organisés en quatre champs
été présentés dans des publications précédentes, Bûcher-Poteaux, (1998), Poteaux (2000). sémantiques différents) à associer au mot « université ».
134 Autolbrmation et enseignement supérieur L'autoformation à l'université 135

les règles d'apprentissages auxquelles il se soumet. En transmettant les savoirs sans enseignants et sans pairs. Or, l'être humain ne développe pas ses processus
oralement sous forme de cours, la tradition universitaire française ne met pas les d'apprentissage parce qu'il est seul devant une tâche à accomplir, mais parce qu'il
étudiants en contact direct avec le texte original comme cela se pratique dans les est en interaction avec un environnement propice à stimuler ce processus Cette
pays anglo-saxons7. La médiation par l'enseignant est une habitude solidement conception piagétienne du développement humain n'est pas nouvelle, sa mise en
ancrée : l'étudiant écoute d'abord l'enseignant et ensuite seulement (et pratique notamment par de nombreux pédagogues des mouvements liés à
éventuellement) consulte les textes. Dans les CRL la confrontation aux documents l'Education Nouvelle, ne l'est pas non plus. Les technologies dans leurs habits de
originaux est plus immédiate. C'est pourquoi un travail de réflexion sur le sens de la modernité peuvent rapidement donner l'illusion de l'innovation et prétendre
notion d'autonomie avec les utilisateurs de dispositifs d'autoformation est un s'opposer à des pédagogies réputées traditionnelles. En référence aux pratiques de
préalable indispensable au bon usage de celui-ci. Les ateliers de méthodologie dans terrain, nous admettrons que les pratiques pédagogiques sont multiples et variées et
lesquels nous abordons avec les étudiants les principes fondateurs du dispositif, ainsi toujours éclectiques. Elles répondent à des choix méthodologiques dans un contexte
que ses finalités éducatives, facilitent l'adhésion nécessaire des usagers et donné. Actuellement, l'autoformation offre des réponses à des questions
concourent à l'efficacité du travail en autoformation. d'apprentissage liées à des évolutions du monde économique et social. Certes, les
technologies récentes proposent des outils stimulants qui enrichissent les ressources
L'enquête conduite dans les CRL indique que 79 % des étudiants estiment pour apprendre, mais d'autres techniques plus anciennes restent efficaces. L'apport
réussir à déterminer leurs objectifs personnels et à dégager des priorités. Ils de la télévision par exemple, largement développée par Carmen Compte dans ce
réussissent un peu moins bien à choisir leurs méthodes de travail et ne sont que la même ouvrage s'inscrit naturellement dans une démarche d'autoformation à
moitié à déclarer pouvoir évaluer leurs progrès, la proportion de garçons à pouvoir le condition que la télévision soit repérée comme support d'apprentissage. Nos
faire étant nettement plus élevée que celle des filles. Cependant l'évolution est nette étudiants citent (90 fois) le support vidéo comme ressource utilisée avec le plus
entre la licence et la maîtrise, puisque 61 % des étudiants de maîtrise déclarent d'intérêt, en seconde position après le CD-ROM (102 fois) et 32 fois comme
arriver à évaluer leurs progrès contre 42 % en licence. 11 semblerait donc qu'il y ait efficace pour l'apprentissage contre 53 pour le CD-ROM. Les étudiants marquent
apprentissage de Pauto-évaluation ou du moins augmentation de la confiance en soi bien la différence entre l'attrait des supports et leur efficacité pédagogique. La
au fil du temps et de la pratique. télévision n'a jamais vraiment pénétré le système scolaire malgré de nombreuses
tentatives et expériences intéressantes. En revanche, elle s'intègre parfaitement dans
des dispositifs d'autoformation, mais encore faut-il apprendre aux usagers à l'utiliser
6.2. Autoformation et innovation pour apprendre. Ce n'est donc pas l'outil qui est en cause, mais les dispositions
pédagogiques qui l'entourent. Hors l'école, la télévision est assimilée aux loisirs et
Actuellement, l'autoformation génère deux types de conduite chez les acteurs les processus d'apprentissage ne sont pas activés consciemment. Les étudiants qui
éducatifs : soit elle est perçue comme une mode pédagogique, soit elle est rejetée fréquentent les CRL où ils visionnent des films et des émissions de télévision en
violemment comme une ineptie au regard des pratiques habituelles. En outre, son langue étrangère, affirment aller plus volontiers voir les films en version originale au
aspect innovant est souvent associé aux technologies de l'information et de la cinéma, regarder les actualités télévisées sur les chaînes étrangères, assister plus
communication. Au risque d'être caricatural, rappelons que l'autoformation peut se spontanément à des conférences en allemand ou en anglais. Le décloisonnement
pratiquer avec un papier et un crayon et que le multimédia peut être intégré dans tout entre l'espace scolaire et l'espace privé semble s'accomplir progressivement.
modèle pédagogique y compris le plus prescriptif. Seuls les choix méthodologiques Quelles opérations de transferts faut-il effectuer pour passer d'un contexte
sont déterminants. L'emprise de la machine sur l'homme fait craindre la disparition d'apprentissage clairement défini à des situations sociales de la vie quotidienne ?
des enseignants et conforte la représentation de l'élève seul devant son ordinateur Quel type de médiations faut-il prévoir ? Nommer ce que l'on apprend n'est pas
spontané et les tentatives pour y parvenir nous entraînent dans le domaine des
7. « Le 'libre examen' des textes s'inscrit dans la tradition pédagogique protestante d'une activités de métacognition pour essayer d'identifier les processus à l'œuvre dans les
laïcité :(...) les protestants, les premiers, affirmèrent le droit des fidèles à lire directement le activités d'apprentissage.
texte biblique, sans la médiation du clerc (...) Dans les pays de tradition protestante, les
bibliothèques universitaires sont bien plus développées que chez nous et les enseignants
reçoivent les élèves dans leur bureau pour expliquer tel ou tel point dans un livre ; ils font très
peu de cours. A Bruxelles, l'université d'Etat se nomme 'Université libre de Bruxelles', ce
qui surprend toujours ceux qui ignorent que 'libre' renvoie ici au libre examen » (Meirieu Le
Bars, 2001, p. 140-141).
140 Autoformation et enseignement supérieur

projets pédagogiques à caractère professionnel (PPCP), les parcours de découverte


au collège, et autres éléments d'ouverture sur des démarches plus individuelles. La
déjà ancienne pédagogie de projet revient en force pour libérer l'élève- d'un cadre
par trop normalisant, parfois contre-productif.

Accompagner les apprenants dans une démarche d'autoformation nécessite Chapitre 7


l'acquisition d'attitudes coûteuses en temps, à la fois temps passé sur le terrain avec
les étudiants et temps de formation par la réflexion et l'action. La pratique
quotidienne en centre de ressources se déroule en double piste continuelle :
alimenter l'environnement offert aux étudiants, tout en observant ce qui s'y déroule Autoformation des adultes et contexte
et répondre aux demandes, tout en sachant parfois les anticiper. Il s'agit de passer
d'une logique de l'enseignement à une logique de l'apprentissage. C'est
institutionnel : l'apprentissage de l'anglais
indéniablement un nouveau métier. en semi-autonomie
6.7. Conclusion
au CNAM de Paris
L'autoformation comme démarche pédagogique développée dans les CRL de Danièle ABE-HILDENBRAND
l'université Louis Pasteur, constitue un modèle d'apprentissage construit qui répond
à des questions éducatives soulevées par un contexte politico-économique, mais qui
reste délibérément inscrite dans une approche humaniste du développement et de
l'insertion de l'individu dans la société. L'organisation d'un dispositif
d'autoformation en langues dans une grande université scientifique a répondu à une
commande institutionnelle dans un souci de meilleure efficacité pédagogique et
organisationnelle. Les questions du développement de l'autonomie de l'étudiant ont
été posées à cette occasion et ont servi de base à la conception du dispositif. Elles
peuvent être considérées comme l'apport spécifique des sciences humaines par le Le développement de l'autoformation où l'apprenant devient sujet de son
truchement, dans ce cas, des langues et cultures étrangères, à des étudiants apprentissage pose question en termes de faisabilité dans les contextes
scientifiques fonctionnant principalement sur un mode transmissif de savoirs institutionnels qui accueillent une masse importante d'étudiants. Dans cette
académiques. Le dispositif d'autoformation s'est progressivement intégré dans les contribution, nous proposons d'étudier les caractéristiques utiles à la conception de
mœurs universitaires en perdant peu à peu son statut d'innovation pédagogique, dispositifs d'apprentissage où l'apprenant est considéré dans sa dimension
mais en restant un domaine d'investissement économique et politique important, car personnelle et dans lesquels il est amené à être capable de se former tout au long de
il relève momentanément le défi de la pratique des langues par un grand nombre la vie. Après avoir évoqué le cheminement qui a conduit à mettre en place de telles
d'étudiants spécialistes d'autres disciplines. En participant à la formation globale formations, nous nous appuierons sur le dispositif d'Apprentissage de l'anglais en
des étudiants par une approche nouvelle, mais dans une discipline secondaire, semi-autonomie, créé en 1994, au Conservatoire national des arts et métiers
l'autoformation ne remet pas en cause la tradition universitaire, mais apporte une (CNAM) de Paris, dans lequel sont accueillis, chaque année, plusieurs centaines
touche de modernité et une complémentarité bienvenue. d'adultes en formation hors temps de travail et qui comprend un centre de ressources
et un dispositif d'accompagnement.
142 Autoformation et enseignement supérieur Autoformalion des adultes et contexte institutionnel 143

7.1. Apprendre autrement son parcours d'apprentissage, le contrôle pédagogique de la formation 2 reste assuré
par une personne extérieure. En revanche, lorsque l'élève-apprenant est autonome, il
7.1.1. La pédagogie de l'autonomie j a en plus d'une certaine souplesse dans les modalités de réalisation de son parcours,
la capacité de diriger lui-même ses actes d'apprentissage, c'est-à-dire d'effectuer des
La pédagogie de l'autonomie 1 a été la résultante d'un faisceau d'événements [ I choix conscients et raisonnes pour analyser ses besoins, les transformer en objectifs
philosophiques, sociaux, économiques, technologiques et de travaux en linguistique 7 d'apprentissage, utiliser des supports et des techniques d'apprentissage adéquats et
appliquée, en psycholinguistique et en sociolinguistique à la fin des années 1960. s'évaluer avec pertinence et cohérence en fonction des seuils d'acceptabilité qu'il
Elle vise à transférer sur la personne qui apprend un certain nombre de rôles et de 1 s'est fixés (Holec, 1990).
tâches jusqu'alors dévolus à l'enseignant, pour que celle-ci puisse plus tard se
former et entretenir ses connaissances et ses compétences tout au long de la vie, sans La maîtrise de ce rôle passe par le déconditionnement des apprentissages
avoir obligatoirement recours à un formateur. Elle se définit en termes antérieurs vis-à-vis de ses représentations concernant l'apprentissage en général, la
d'apprentissage plus qu'en termes d'enseignement, se préoccupe davantage des langue qu'il souhaite apprendre, et l'apprentissage de cette langue. Cette remise en
processus d'apprentissage que des méthodes pour faire apprendre, et prend en cause est réalisée grâce à une prise de conscience explicite et explicitée de ses
compte les personnes qui apprennent dans leur diversité, avec leurs modes de pratiques et comportements d'apprentissage avec des outils comme des grilles
fonctionnement, leurs attitudes et représentations singulières. d'analyse ou des questionnaires (Narcy, 1991), ou par l'intermédiaire de médiations
éducatives comme les discussions d'apprentissage avec un enseignant devenu
Cette acquisition de compétences à apprendre et à se former valorise la personne conseiller (Thomas et Harri-Augstein, 1985).
qui devient sujet de son apprentissage (Lesne, 1977), vise à faire acquérir la capacité
d'« apprendre à devenir » pour une préparation à l'apprentissage tout au long de la L'apprenant apprend à développer et mettre en œuvre des compétences
vie (Lecabec, 1998), et apporte des éléments de solution au problème de l'entretien métacognitives pour pouvoir apprécier ses actes d'apprentissage 3 et savoir décider
et du perfectionnement en langues sans augmenter le nombre d'enseignants de de garder ou infléchir les choix effectués à l'étape précédente, il « apprend à
manière exponentielle pour dispenser un enseignement personnalisé à de grands apprendre». L'institution l'aide à le faire en mettant en place une préparation
nombres d'individus (Cembalo et Holec, 1973). Cependant, en modifiant les d'ordre technique et une autre d'ordre psychologique destinée à développer ses
rapports de l'individu-apprenant au savoir et au pouvoir, il devient nécessaire compétences cognitives et métacognitives, mais également la capacité affective
d'inventer de nouveaux rôles et modes d'interaction entre l'institution de formation, nécessaire à maintenir sa motivation et sa volonté d'apprendre (Dickinson, 1981). Si
les pédagogues, les apprenants et les ressources, de manière à mettre en œuvre une le travail sur la méthodologie peut être effectué avant, après ou pendant l'acquisition
pédagogie de l'autonomie avec ses corollaires, l'apprendre à apprendre (Châlon, de la langue-cible, les expérimentations effectuées sur des groupes et sur des
1970) et l'aide à l'autonomisation. En effet, si les technologies et les modalités de individus ont montré que les publics adultes, souvent dans l'urgence, acceptent plus
formation qui leur sont liées permettent une mise en relation directe de l'apprenant volontiers d'apprendre à apprendre en même temps qu'ils apprennent l'anglais.
et des contenus à acquérir, la plupart des chercheurs s'accordent sur la nécessité
absolue d'interventions humaines dans les processus d'intégration de ces nouvelles
modalités (Barbier-Bouvet, 1982 ; Barbot, 1993). 7.1.3. Le dialogue pour l'autonomisation

Selon Esch (1999), la principale invention dans cette nouvelle pédagogie a été
7.1.2. L'autonomisation de l'apprenant l'importance accordée aux renversements des rôles interactionnels traditionnels pour
la transmission des savoirs. Les enseignants sont passés d'une pédagogie du savoir
L'autonomisation se distingue de l'individualisation des apprentissages en ce transmis et de la parole à une pédagogie rogérienne du soutien à l'apprentissage et
sens que, si cette dernière laisse à l'usager une certaine latitude dans la gestion de du dialogue.

2. P. Carré (1992) distingue le contrôle social, le contrôle pédagogique et le contrôle


1. « Autonomie » signifie dans ce chapitre « capacité d'apprendre sans se faire enseigner » cl psychologique de la formation.
non « autonomie langagière ». L'historique du concept tel qu'il est utilisé dans ce texte est 3. N. Leselbaum rend compte dans son ouvrage de 1982 de l'importance de l'auto-évaluation
développé dans M.-J. Gremmo et P. Riley (1997). dans la pédagogie de l'autonomie pour des publics en formation initiale.
144 Autoformation et enseignement supérieur Autoformation des adultes et contexte institutionnel 145

Dans la pédagogie de l'autonomie, les entretiens de conseil sont le lieu social où 7.2.1. De l'individualisation dans les groupes à l'autonomisation de nombres
l'échange avec le conseiller permet à l'apprenant d'expliciter ses comportements et restreints d'usagers
ses choix, l'amenant ainsi à prendre conscience de ses propres mécanismes. Grâce à
l'apport informatif du conseiller, il peut développer de manière efficace ses Les dispositifs pour l'autonomisation pour les grands nombres se sont
connaissances sur la langue cible et sur la culture d'apprentissage 4 . Les progressivement construits, avec d'abord des expériences de formation en alternance
conversations d'apprentissage sont utilisées, comme les learning conversations et de travail individualisé en groupe avec une part importante de prescription et
expérimentées à l'université de Brunel à la fin des années 1970, pour établir une contrôle de l'enseignant, même si la réalisation des parcours bénéficiait d'une
distance de manière à ce que l'apprenant se regarde apprendre et se confronte avec certaine souplesse. Celles-ci ont mis en évidence la faisabilité de ce mode de
les référents externes représentés par d'autres ou par la situation. Ceci l'aide à formation hors de la présence de l'enseignant, le bon degré d'acceptation de la part
déterminer les seuils d'acceptabilité pour l'apprentissage q u ' i l essaie de réaliser des intéressés et son caractère « déconditionnant » par rapport aux modes de
(Thomas et Harri-Augstein, 1990) et peut l'amener à changer ses représentations formation plus classiques (Harding et Legras, 1974 ; Abé, Henner-Stanchina et
pour une plus grande adéquation entre ses besoins et ses choix (Gremmo, 1995a). Smith, 1975).

En s'exprimant avec l'enseignant devenu conseiller, le rééquilibrage entre les La mise en place d'un dispositif nouveau au CRAPEL 5 en 1975, qui aidait des
poids respectifs de l'enseignant et de l'apprenant dans la relation pédagogique peut individus hors de tout groupe à se former par eux-mêmes, devait faire progresser les
avoir lieu, rétablissant la parole de l'élève presque inexistante dans la salle de classe, recherches en matière d'auto-direction des apprentissages. Dans le système
comme le révèlent les analyses du discours pour la prise de parole, le temps de d'apprentissage auto-dirigé avec soutien (SAAS), l'apprenant est placé au centre
parole, la distribution des tours de parole et la nature des actes de parole (Gremmo, | d'un environnement interactif complexe qui lui permet de trouver les éléments de
Holec et Riley, 1977). En lui laissant mener la totalité ou une partie de l'entretien, le comparaison et de mesure dont il a besoin pour prendre en charge son apprentissage
conseiller lui laisse prendre un certain contrôle, ce qui a pour effet de le rendre plus (Henner-Stanchina, 1976). Les ressources mises à sa disposition, à l'origine peu
actif et de modifier son rôle et la représentation qu'il en a dans la relation nombreuses et didactiques, se sont progressivement diversifiées et déstructurées,
pédagogique. L'interactivité en face à face permet une négociation permanente entre avec de moins en moins de didactisation, de plus en plus de documents authentiques
le conseiller et l'apprenant avec une réactivité immédiate et une densité inégalée par ? et de latitude pour l'utilisateur. Les fonctions de l'enseignant devenu « conseiller »
d'autres canaux comme les moyens télématiques ou téléphoniques (Abé, Gremmo et et celles de l'anglophone « locuteur natif» se sont progressivement différenciées et
Régent, 1981 ; Makin, 1994). affinées et leur degré de contrôle sur l'apprentissage de l'usager a progressivement
diminué. La notion de conseiller a été définie et précisée, ainsi que les conduites des
usagers et les conditions d'autonomisation aux différentes étapes de l'apprentissage
7.2. Autonomisation et massification (Abé et Gremmo, 1981).

Pour fournir une réponse adaptée à un grand nombre d'usagers, l'institution doit
concilier des exigences contradictoires : d'une part, il s'agit d'offrir une multitude 7.2.2. Les contraintes économiques pour l'autonomisation d'un nombre Important
de formations personnalisées qui prennent en compte la diversité des demandes, des d'individus
besoins, des situations d'apprentissage, des styles et représentations de chacun
(Duda et Riley, 1990), et faire en sorte que le temps passé par le formateur avec La conception et la mise en place d'un dispositif d'apprentissage en auto-
chaque apprenant soit suffisamment long et les entretiens suffisamment direction dans l'espace langues d'une grande entreprise en 1991, a demandé la
« autonomisants » pour permettre à l'apprenant de prendre sa place dans la relation rationalisation et l'optimalisation des moyens utilisés dans le SAAS (Abé, 1995). Un
pédagogique, sans pour autant multiplier de manière exponentielle les moyens en certain nombre de compromis ont dû être réalisés entre les visées pédagogiques et
formateurs. les contraintes économiques, en particulier pour ce qui concerne le volume de
l'accompagnement, consommateur de « temps d'enseignant ».

4. L'étude réalisée par H. Holec et M.-J. Gremmo (1986, 1987) montre comment l'apprenant
acquiert progressivement les critères utiles à la réalisation des différentes étapes de son 5. Centre de recherches et d'applications pédagogiques en langues, Université Nancy 2, fondé
apprentissage.
par Y. Châlon en 1970.
1 46 Autoformation et enseignement supérieur Autoformation des adultes et contexte institutionnel 147

Pour élaborer le dispositif, le temps de conseil consacré à la méthodologie et la Les étudiants du CNAM, réservés lors de l'étude de faisabilité réalisée avant la
durée des contacts avec l'anglophone ont été calibrés et uniformisés, en dépit de création du dispositif d'apprentissage en semi-autonomie (20 % de personnes
besoins variables selon les individus. Le volume optimal de conseil souhaitable pour intéressées), sont maintenant 50 % à choisir spontanément ce mode d'apprentissage.
l'acquisition d'une capacité d'autonomisation mesurée grâce à l'observation de Les intervenants enseignants et personnels administratifs choisis pour travailler dans
trajectoires d'apprentissage décrites dans H. Holec et M.-J. Gremmo (1986, 1987), le centre de ressources l'ont été sur la base du volontariat et ont été fortement
combiné au temps moyen que passait l'apprenant autonome en entretien de conseil sensibilisés et formés pour apprendre à conseiller ou à accueillir autrement les
dans le SAAS pour la durée de l'apprentissage, a abouti à un ratio de 10 % de travail usagers, de manière à renforcer la cohérence et l'efficacité du dispositif. La rigidité
consacré à la méthodologie de l'apprentissage sur la totalité du volume de travail du calendrier scolaire, les plages de travail ouvrables des administratifs qui doivent
individuel prévu. être présents en dehors des horaires jusqu'alors appliqués dans l'établissement, les
recrutements des personnels non enseignants extérieurs à l'établissement, et
Dans le même temps, les coûts d'investissement pour l'achat des matériels particulièrement les locuteurs natifs, soumis à des réglementations difficilement
étaient largement compensés par la diminution des coûts de fonctionnement : grâce conciliâmes avec la disponibilité de ces personnes, la prise en compte du
aux progrès de la technologie, 25 % du budget volume horaire utilisé par le changement de nature des tâches pédagogiques dans le calcul des services des
conseiller pour élaborer et préparer les supports d'apprentissage était économisé, car enseignants, la taille des locaux et le manque de souplesse ou de réactivité de
il était possible de se procurer des ouvrages et outils d'apprentissage de nature et de l'administration pour l'obtention d'espaces utilisés de manière non régulière, la
contenus suffisamment variés et diversifiés pour les besoins de ces formations. réglementation en matière de comptabilité publique pour la perception de cautions
sont autant de contraintes qui pèsent sur un dispositif flexible et innovant.

7.2.3. Les contraintes en milieu institutionnel


7.3. Caractéristiques pour favoriser l'autonomisation en contexte institutionnel
Au CNAM, l'environnement général dans lequel évoluent les auditeurs peut être
qualifié de prescriptif et de peu individualisé. Les formations diplômantes 7.3.1. Un environnement d'apprentissage complexe pour inciter à la prise de
dispensées par l'établissement sont régies par des programmes officiels et des décision
habilitations comportant des instructions précises ; les enseignants décident des
modalités des enseignements qu'ils dispensent et les auditeurs ont peu d'action sur Pour permettre à l'apprenant d'effectuer des choix en prenant les décisions
les contenus des formations, leur mode de réalisation, leur progression, les supports réfléchies, les ressources mises à disposition sont multiples, variées, avec pour
et les activités pendant les cours, le volume horaire en présentiel, sur les évaluations, fonction d'informer, faire réfléchir ou socialiser les usagers, une ressource pouvant
qu'elles soient sommatives ou formatives. avoir plusieurs de ces fonctions repérées par B. Albero (1998, 1999). Elles peuvent
être décrites selon deux axes, celui de l'acquisition de la méthodologie ou de la
Le service langues est partie intégrante de ce contexte et la validation des langue-cible d'une part, et celui des ressources matérielles et humaines d'autre part.
connaissances consiste en une certification externe à l'établissement. Les candidats
doivent obtenir un niveau au test BULAT 6 , variable selon le diplôme visé. Les : Une médiathèque « pédagogique »
auditeurs peuvent choisir de s'y préparer en s'inscrivant à des cours du soir en Les ressources matérielles les plus nombreuses sont celles qui concernent
présentiel ou de s'autoformer dans le dispositif d'apprentissage en semi-autonomie. l'acquisition des compétences langagières. La médiathèque contient des supports
L'innovation pédagogique que constitue la mise en place d'un apprentissage auto- pour l'apprentissage de l'anglais sur tous les médias existants, avec des contenus
dirigé, introduite comme action de changement dans ce contexte fortement structuré. variés : documents didactiques ou authentiques 7 , avec ou sans traitement de
a été vécue moins comme une perturbation que comme un progrès par les auditeurs didactisation, avec ou sans exercices d'entraînement, avec ou sans aide pour
mais a suscité des réserves ou de l'indifférence de la part des personnels enseignants l'apprentissage, adaptables et utilisables en activités de découverte ou de
et des adaptations parfois difficiles de l'administration dans l'établissement. renforcement (Carette et Holec, 1995).

6. Business Language Test, élaboré par UCLES, université de Cambridge. 7. Documents non fabriqués à des fins didactiques.
148 Autoformation et enseignement supérieur Autoformation des adultes et contexte institutionnel 149

Celles qui concernent la méthodologie sont informatives, ou informatives et apprenants sont encouragés à travailler avec leurs ressources personnelles utilisées
réflexives, et comprennent des documents écrits de description du dispositif, des dans leur profession ou pour leurs loisirs, ou avec les outils fournis par les moyens
fiches de suivi, des questionnaires informatifs sur l'expérience des usagers comme de communication comme Internet. Le prêt des supports à domicile permet leur
apprenant de langue, sur leurs besoins, leurs attentes et l'évaluation de leurs utilisation possible en permanence et le lieu choisi par les apprenants est à 95 %
compétences. Chaque support d'apprentissage est décrit dans une fiche détaillée et situé en dehors de l'établissement.
avec des critères pédagogiques utiles pour la sélection de chacun des 700 titres de la
médiathèque, à l'aide d'une documentation informatisée consultable à distance8. Le Les locuteurs natifs sont volontairement non enseignants, et choisis en fonction
logiciel permet à l'usager la sélection de plus en plus fine d'un support particulier de la variété d'anglais qu'ils utilisent, des métiers qu'ils exercent et de leur âge. Ils
selon les critères explicités comme l'objectif de travail, la rapidité du débit de assurent des entretiens individuels dans des simulations décidées et prévues par
parole, l'accent, le type de discours, le type d'exercices, l'aide pour le travail l'apprenant, ou animent des groupes de séances de discussions sur des thèmes et
individuel sans accompagnement. selon des modalités non scolaires, avec comme consigne de se comporter comme
Un accompagnement spécifique pour l'apprendre à apprendre des adultes qui communiquent avec d'autres adultes dans un environnement non
didactique.
Les conseillers, dont le rôle essentiel est de «conseiller, pas d'enseigner»
(Gremmo, 95b), assurent les entretiens en langue maternelle pour l'apport
Moins de présence et de contrôle pour davantage de responsabilisation
conceptuel sur la langue cible et sur l'apprentissage, ainsi que pour le travail sur la
méthodologie pendant 90 % de leur temps de présence dans le centre de ressources9, La prescription et le jugement externes sont, autant que faire se peut, évités dans
la description des supports et de la gestion administrative et pédagogique des la formation. Le dispositif en semi-autonomie n'est pas imposé mais proposé à
inscrits. Parallèlement, les locuteurs natifs, témoins de l'usage de la langue cible, l'inscription, les auditeurs ayant le choix entre ce mode de formation et les cours
sont utilisés comme personnes-ressources interactives et socialisantes qui aident les traditionnels. Les inscrits ont la possibilité de choisir eux-mêmes leurs objectifs de
apprenants dans leur pratique communicative, essentiellement à l'oral lors travail, leurs documents par l'intermédiaire de la documentation informatisée, et
d'entretiens individuels ou dans des groupes restreints. d'utiliser les techniques d'apprentissage qu'ils souhaitent. Les conseillers leur font
prendre conscience de leurs représentations et de leurs choix implicites, sans
apporter de jugement. A l'écoute, ils n'initient pas obligatoirement les interactions et
7.3.2. Un centre ouvert et un apprentissage indépendant ne contrôlent pas les décisions prises par l'apprenant.

Une interface entre le monde extérieur et l'institution déformation Les apprenants sont invités à travailler en dehors de la présence de l'enseignant,
Le centre de ressources et son dispositif d'accompagnement sont conçus comme même dans le centre de ressources où ils travaillent seuls avec des supports
une interface entre l'apprentissage dans l'institution et l'apprentissage tout au long autocorrectifs. Ils sont invités à résoudre leurs problèmes par eux-mêmes ou en
de la vie, hors de celle-ci (Albero, 1998, 1999 et 200la). En effet, s'il s'agit non différé avec le conseiller, ce qui vise à diminuer leur dépendance vis à vis de
seulement d'« informer l'apprenant de l'environnement qu'il aura à affronter pour l'enseignant. Parallèlement, ils apprennent à évaluer leurs actes d'apprentissage en
persévérer dans sa volonté d'apprendre» (Dumazedier, 1998b), mais également de fonction des objectifs à atteindre et des seuils d'acceptabilité qu'ils se sont fixés.
lui proposer d'évoluer dans un contexte dans lequel il aura pratiqué un L'auto-évaluation est encouragée, les ressources contiennent la possibilité
environnement ouvert sur le monde extérieur pendant sa formation (Abé, 1994). d'autocorrection. Les anglophones ont pour consigne d'intervenir comme ils le
feraient dans leur vie personnelle et professionnelle, de corriger les erreurs de
Les ressources sont volontairement des supports disponibles en librairie, non production de manière communicative. L'appréciation de la compétence langagière
fabriqués à l'intérieur de l'institution. Les documents authentiques et ludiques est éventuellement réalisée en différé, à la demande de l'auditeur, à partir de
constituent 40 % des supports de la médiathèque du centre de ressources. Les l'enregistrement des conversations suggéré lors des entretiens de conseil.
X

8. La documentation peut être consultée sur Internet l'adresse suivante :


http://doc.crac.cnam.rr/jlbweb/jlb.htm
9. Dans ce même ouvrage, M.-J. Gremmo rend compte de la spécificité que constituent les
entretiens-conseil et le rôle du conseiller.
Autoformation des adultes et contexte institutionnel 151
150 Autoformation et enseignement supérieur

temps d'accompagnement sur la durée de son apprentissage. Les rendez-vous


7.3.3. Une logistique différente de celle de l'hétéroformation annulés au dernier moment donnent du temps aux intervenants pour gérer
administrativement leurs inscrits ou effectuer du travail pédagogique sur les
Des repères mobiles ressources.
L'environnement pédagogique propose un cadre fixe avec des éléments pouvant
être choisis et organisés par chaque usager de manière modulable tout au long de la Un suivi permanent du dispositif
formation. Les repères de l'enseignement traditionnel comme l'heure de cours, avec Pour l'institution, l'atomisation des composantes de la formation et la non-
un groupe, un intervenant, une salle de classe, sont remplacés par un agencement linéarité des cheminements pour un grand nombre d'usagers exige un cadrage précis
non linéaire et variable des matériaux, des lieux et des intervenants : les entretiens et un suivi statistique pour quantifier les moyens et les adapter à la demande. 11
avec les locuteurs natifs pour les simulations individuelles ont lieu sur rendez-vous, permet de mesurer le comportement des apprenants dans le dispositif, le temps
les groupes des séances d'expression orale fonctionnent à dates variables avec une qu'ils passent à travailler sans accompagnement, le nombre de rencontres avec les
composition qui dépend à chaque séance de la demande expresse des apprenants qui différents intervenants et les documents utilisés et de vérifier que le dispositif est
souhaitent y participer. Seul le conseiller demeure le même pendant tout adapté aux visées pédagogiques et aux usagers. Le suivi concerne également la
l'apprentissage, renforçant ainsi la place accordée à la méthodologie. qualité du travail des conseillers qui font l'objet d'une formation approfondie et

Les rendez-vous avec les conseillers sont pris d'un entretien sur l'autre, dans des d'une concertation régulière.
plages horaires multiples dans la semaine, le rythme des entretiens de conseil étant
établi par l'usager selon le volume de travail réalisable entre deux entretiens.
7.4. Conclusion
L'utilisation du centre et de ses ressources est forfaitaire pendant le semestre, mais
l'accessibilité aux ressources est limitée, pour ce qui concerne le nombre de supports L'environnement d'apprentissage créé dans ce dispositif en semi-autonomie peut
empruntés en même temps et la durée des prêts, le nombre et la durée des entretiens être rapproché des conditions dans lesquelles évoluent les apprenants autodidactes
de conseil et des séances avec les anglophones, ainsi que les plages où il est possible performants observés par les chercheurs anglo-saxons. Ceux-ci cheminent dans un
de rencontrer le conseiller et l'anglophone. environnement riche et complexe, utilisent une démarche aléatoire qui évolue sans a
priori, sont actifs, savent tolérer l'incertitude, se connaissent comme apprenants et
D'autres cadrages pour la gestion du temps et des moyens mettent en jeu des compétences sociales pour se créer des réseaux de ressources
(Tremblay, 1996). La capacité d'autonomisation des usagers est développée par la
Le calcul du volume d'heures d'accompagnement prévu par apprenant et par qualité de l'interface pédagogique avec les conseillers, et par la possibilité offerte
semestre est fonction des autres formations du service langues et des ratios obtenus aux apprenants d'effectuer des cheminements variables et des apprentissages par
dans les dispositifs similaires précédents. Le temps de travail individuel suggéré à essai-erreur. Les mesures réalisées par B. Albero dans son étude de 1998 auprès des
l'apprenant pour son auto-apprentissage est établi de manière à être similaire à celui usagers ont positionné le dispositif du CNAM comme dispositif à « dominante auto-
que passe un auditeur en cours présentiels. De la même manière, pour l'institution, directive », ce qui conforterait l'idée que les usagers y apprennent bien à « mieux
un auditeur « coûte » le même volume horaire dans les deux dispositifs. Ce calcul apprendre ». Quant à l'évaluation du dispositif par les apprenants, leur degré de
inclut les heures passées en entretiens individuels avec les conseillers et les locuteurs satisfaction concerne la personnalisation de l'accompagnement, la souplesse du
natifs, et les séances de groupes animées par les conseillers ou les anglophones. Le dispositif et les résultats obtenus pour l'acquisition des compétences langagières
taux de rémunération varie selon la nature des intervenants et le type d'intervention. statistiquement au moins aussi satisfaisants que ceux des cours traditionnels, et
parfois la capacité à prendre en charge leur propre formation.
Par rapport au volume de travail suggéré à l'apprenant, le volume de
l'accompagnement est défini à raison de 10% réservés au travail sur la Dans l'établissement, l'implantation d'un tel dispositif reste limitée à
méthodologie, réalisable en majorité sous forme d'entretiens individuels, et de 20 % l'apprentissage de l'anglais. Il est vrai que l'intervention importante d'un conseiller
proposés en majorité sous la forme de groupes de discussions pour la pratique pour davantage d'auto-structuration des parcours d'apprentissage, l'invitation à
communicative. Le taux de remplissage des groupes étant plus difficile en cours, la l'utilisation de produits pédagogiques conjuguée à la prise de distance par rapport à
fluidité des inscriptions dans ce dispositif permet un ratio légèrement moins coûteux cette consommation, et le choix de l'autonomisation pour un nombre important
en heures d'enseignement, tout en offrant à l'apprenant la possibilité de 30 % de
152 Autoformation et enseignement supérieur

d'individus ne sont pas exempts de paradoxes (Albero, 1998). Il reste que cette
nouvelle modalité de formation est une réponse possible à un besoin de la société de
ce début de siècle qui souhaite d'autres repères et d'autres modes d'organisation des
savoirs et des savoir-faire dans un environnement de plus en plus complexe.

Du point de vue de l'ingénierie pédagogique, l'institution de formation peut se


défaire du contrôle des conditions de l'apprentissage en laissant l'apprenant décider
Chapitre 8
du moment, du rythme et du lieu où il travaille, et à un degré moindre du contenu et
des techniques pour réaliser un apprentissage efficace. Mais les outils et supports
physiques restant jusqu'à présent centralisés dans l'établissement, une perspective Aider l'apprenant à mieux apprendre :
de décentralisation pourrait être l'accessibilité à une grande diversité de supports
d'apprentissage par télématique et le développement de la téléconférence pour les
le rôle du conseiller ou le discours comme lieu
réunions avec les anglophones et les conseillers pour ceux qui ne rejettent pas les
contacts virtuels.
de rencontre pédagogique
Une autre piste à explorer pourrait être la délocalisation partielle vers une Marie-José GREMMO
médiathèque, qui deviendrait une nouvelle interface possible entre le formé et son
apprentissage en fournissant l'infrastructure en équipements et en supports. Pour que
l'apprentissage y soit effectif et efficace, il serait nécessaire d'intégrer une modalité
appropriée pour l'accompagnement, essentielle pour l'autonomisation, soit dans
l'institution de formation, soit dans les locaux de la médiathèque. Alors, un tel
dispositif permettrait aux adultes qui le souhaitent, d'apprendre ou de se
perfectionner en langues en dehors du contrôle d'un établissement de formation, et
pourrait peut-être devenir un levier pour la promotion de l'apprentissage tout au long
de la vie. Donner la possibilité d'apprendre en autoformation ne signifie pas simplement
utoriser à apprendre de cette manière : la possibilité offerte doit être réelle. Elle doit
onc impliquer que soient fournis aux apprenants qui le souhaitent les moyens de
nettre en œuvre cette autoformation, non seulement grâce aux ressources
nécessaires à leurs acquisitions, mais également au développement de leurs
capacités à apprendre « sans se faire enseigner ». C'est en cela que l'autoformation
proposée par une institution se différencie de l'autodidaxie proprement dite : le
système mis en place doit permettre à l'apprenant de développer son autonomie
d'apprentissage 1 au-delà des seules ressources de son autodidaxie, en lui donnant la
possibilité d'apprendre à mieux apprendre.

Cette contribution cherche à décrire la nature d'une intervention tout à fait


spécifique dans ce type de dispositif : le conseil. Dans la mesure où il s'agit d'un
! ,rôle pédagogique qui porte sur « l'apprendre à apprendre », les caractéristiques qui
pont être décrites ici ne sont pas liées à un marquage disciplinaire particulier, même

f 1. Autonomie au sens défini par B. Schwartz. c'est-à-dire la « capacité à prendre en charge


son apprentissage » (Holec, 1979).
154 Autoformation et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 155

si elles sont issues d'une expérience dans le domaine de l'apprentissage des langues qu'un certain nombre d'études de cas ont été mises en place, pour lesquelles chaque
vivantes aux adultes. apprenant concerné a fait l'objet d'un suivi total (enregistrement du premier au
dernier entretien). Lors d'autres phases de recherche, les données ont été recueillies
Les propositions qui vont suivre se basent sur les travaux effectués depuis plus à partir de l'enregistrement de tous les entretiens de conseil se déroulant pendant une
de vingt-cinq ans, en collaboration avec d'autres chercheurs 2 , dans le cadre du période donnée. Au total une soixantaine d'entretiens ont été enregistrés et
système d'apprentissage auto-dirigé avec soutien (SAAS), mis en place dès 1973 par transcrits. Leur analyse s'est également appuyée sur le recueil d'informations réalisé
le Centre de recherches et d'applications pédagogiques en langues (CRAPEL) de auprès des apprenants et des conseillers. Ainsi, des fiches récapitulatives ont-elles
l'université Nancy 2 (Cembalo et Holec, 1973). La mise en place du SAAS été remplies par les conseillers à la fin de chaque entretien, selon une grille élaborée
correspondait à la volonté des chercheurs du CRAPEL de mettre en place une collectivement et un questionnaire portant sur la compréhension que les apprenants
situation réelle d'autoformation 3 , afin de pouvoir à la fois en analyser les conditions avaient de l'entretien effectué a-t-il été systématiquement rempli par les trente
pédagogiques et didactiques et développer, par des procédures de recherche-action, apprenants annuels inscrits au SAAS. Enfin, le recueil de données a aussi comporté
des solutions aux questions qu'elle soulève. Le SAAS est une structure la mise en place d'une enquête par questionnaire auprès de trente apprenants ayant
d'autoformation pour l'apprentissage des langues étrangères par des adultes. quitté le SAAS depuis moins d'un an.
A l'origine, l'anglais était la seule langue proposée, actuellement la structure offre
également la possibilité d'un apprentissage de français langue étrangère et Par ailleurs, nous avons également réalisé, au cours d'une recherche spécifique
d'espagnol. Le SAAS permet aux personnes qui s'y inscrivent de réaliser un portant sur une action de formation « apprendre à apprendre », des entretiens non-
apprentissage autonome et individualisé, en leur donnant accès au centre de directifs auprès des quinze personnes qui participaient à cette formation. Certains
ressources en langues de l'université et en mettant à leur disposition différents types des résultats issus de cette dernière analyse sont également utilisés dans cette
de ressources d'apprentissage. Parmi les ressources humaines, le conseiller aide contribution.
chaque apprenant à mener à bien son parcours de formation. L'activité de ce dernier
s'organise donc autour d'une alternance entre des « entretiens de conseil », durant
lesquels il organise son programme et choisit ses ressources, et des «temps de 8.1. Autoformation et apprentissage autodirigé
travail linguistique » qu'il conduit par lui-même, en utilisant les ressources prêtées,
dans le lieu qu'il choisit^ et au rythme qui lui convient. Les entretiens de conseil sont La discussion qui va suivre se fonde sur la définition suivante de la situation
fixés à l'initiative de l'apprenant, et leur régularité dépend également de la volonté d'autoformation : l'apprenant réalise un apprentissage en prenant lui-même les
de chacun d'eux. Au cours des quinze dernières années, le SAAS a enregistré décisions concernant les objectifs à atteindre, les moyens à mettre en œuvre, les
l'inscription d'une trentaine d'apprenants par an. modalités de réalisation, la gestion de la mise en œuvre effective et l'évaluation des
résultats, et en assumant la responsabilité de ces décisions (Holec, 1979).
Ce chapitre propose une discussion des résultats des recherches réalisées autour-
dès « entretiens de conseil ». Ces travaux ont comporté trois axes mis en œuvre dans Selon cette définition, il nous semble pertinent de distinguer le concept
une progression chronologique à partir des années 1980 (entre 1985 et 1998) : d'apprentissage du concept d'acquisition, pour rendre compte de la différenciation
des activités mises en œuvre par un individu en situation de formation. L'acquisition
- les modalités de développement de la capacité d'apprentissage des apprenants.
[est le processus cognitif d'internalisation des savoirs et savoir-faire constitutifs
- la nature de la relation de conseil, d'une compétence : c'est un processus interne, non-conscient, non-accessible à la
- les caractéristiques du comportement discursif du conseiller. volonté (Gaonac'h, 1987). L'apprentissage est le comportement particulier que
l'individu peut adopter pour réaliser des acquisitions (car on peut acquérir sans
Dans les trois cas, l'analyse s'est effectuée à partir de l'enregistrement mettre véritablement en œuvre d'apprentissage). En tant que comportement,
d'entretiens de conseil. Les modalités d'enregistrement ont évolué selon les objectifs l'apprentissage est observable, conscient et accessible à la volonté. Il est constitué
des recherches : d'abord sur cassette son, puis, pour la dernière recherche, sur d'un nombre variable d'actions ou d'activités, gérées dans le temps, qui sont censées
support vidéo. De même, la nature des entretiens enregistrés a varié. C'est ainsi «provoquer» les acquisitions souhaitées. Il a donc pour objectif d'orienter le
processus d'acquisition, afin d'assurer les meilleures conditions possibles pour que
ces acquisitions aient bien lieu. C'est donc ce « comportement d'orientation »
2. Dont D. Abé-Hildenbrand, auteur d'une contribution dans ce même volume.
3. Le terme utilisé en 1973 était « apprentissage en autonomie ».
156 Autoformalion et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 157

(Holec, 1996), mis en œuvre consciemment par l'apprenant, qui est concerné par regarder les lèvres des anglophones quand ils parlent. Après j'essaie de les imiter et je
l'autoformation. trouve que c'est ça qui me permet de progresser. Alors, je le fais le plus possible, en
regardant la télé, en regardant les lèvres de mon prof pendant le cours... ».
Dans l'enseignement, le rôle de l'enseignant consiste à créer toutes les
conditions pour que le « comportement d'orientation » et les activités
L'apprenant B. qui travaille en autoformation. explique comment elle a réalisé un
d'apprentissage soient les plus favorables possibles à l'acquisition. Il prend, de ce
exercice : « Pour cet exercice de compréhension, ils disaient de lire les questions
fait, toutes les décisions qui concernent le programme d'apprentissage. Même
avant d'écouter la cassette, mais moi je trouve que c'est tricher, c'est trop facile
lorsque l'apprenant est associé à la détermination des options à retenir, il n'a qu'un
après. Alors, j'ai pas lu, j'ai tout de suite écouté la cassette. »
rôle consultatif : les décisions finales restent du ressort de l'enseignant. Les
situations d'enseignement se caractérisent donc par le fait que les décisions
Dans les deux cas, l'apprenant « détourne » ce qui a été prévu selon la
concernant l'apprentissage peuvent être préparées avec l'apprenant, mais qu'elles
conception qu'il a de l'apprentissage. Le sujet A transforme son professeur
sont prises par l'enseignant, qui en assume la responsabilité. L'enseignant, en
anglophone en modèle de prononciation à un moment où celui-ci gère une activité
s'appuyant notamment sur l'expertise disciplinaire qu'il a acquise, définit, de
dont l'objectif est sans doute tout autre. Le sujet B réorganise l'exercice proposé par
manière extérieure à l'apprenant, les acquisitions que celui-ci doit réaliser : il s'agit
son manuel selon ses propres critères. Ces deux exemples témoignent du fait que le
pour lui de sélectionner les connaissances qui lui semblent correspondre le mieux
phénomène de « manipulation » par l'apprenant de ce qui lui est fourni se produit
aux apprenants à chaque moment de leur apprentissage. Les décisions qu'il prend,
fréquemment, que ce soit en situation d'enseignement ou en situation
qu'elles se situent au niveau d'une séance de travail ou à plus long terme, sont prises
d'autoformation. L'apprenant cherche nécessairement à donner du sens à son
avant que le travail d'apprentissage ne débute. L'enseignant est constamment en
activité d'apprentissage, et le sens qu'il donne s'appuie sur les représentations qu'il
avance sur l'apprenant : il prévoit le cheminement de celui-ci, prédétermine les
a de cette activité.
contenus, prévient les problèmes qui peuvent surgir. Pour l'apprenant placé en
situation d'être enseigné, cette manipulation occulte souvent que c'est pourtant bien Aider l'apprenant à développer sa capacité d'apprentissage, c'est donc d'abord
lui l'acteur principal de son apprentissage.
l'aider à prendre conscience, objectiver et éventuellement faire évoluer les
représentations qu'il mobilise lors de l'apprentissage. Quand ils débutent un
Dans les situations d'autoformation, l'apprenant réalise un «apprentissage
apprentissage, tous les apprenants possèdent déjà des représentations sur le domaine
autodirigé ». C'est donc lui qui assume la responsabilité de son apprentissage, en
qu'ils abordent, plus ou moins précises, plus ou moins exactes, parfois même de
cohérence avec les acquisitions qu'il souhaite réaliser. En d'autres termes, les
l'ordre du stéréotype. Ainsi, dans le domaine de l'apprentissage des langues, il est
décisions que l'apprenant prend pour construire ou mettre en œuvre un programme
fréquent de rencontrer des représentations telles que : « L'anglais est une langue
de formation doivent être pertinentes au regard des domaines mobilisés pour ces
sans grammaire. » ou « II faudrait apprendre les langues étrangères comme on a
acquisitions, et cohérentes entre elles.
appris sa langue maternelle. » Ce sont ces représentations qui vont sous-tendre les
critères de décision que l'apprenant va utiliser.
8.2. La nature de l'apport du conseiller
Ainsi, l'apprenant C entame un apprentissage d'espagnol dans ces termes :
8.2.1. Les représentations
« Je sais que je suis parti dans quelque chose de compliqué. L'espagnol, pour un
Les analyses produites (Gremmo et Holec, 1986 ; Gremmo, 1997) ont permis de Français, c'est beaucoup plus compliqué que l'anglais : il y a plein de faux amis dont
mettre en évidence que les décisions prises par un apprenant dépendent de la il faut se méfier, plein de différences dans la grammaire. »
représentation qu'il se fait de la manière dont il doit et dont il peut orienter ses
S'attendant à ce que la langue qu'il envisage d'apprendre soit difficile, il va sans
activités d'apprentissage. C'est ce qu'il est possible de mettre en évidence dans les
deux exemples suivants qui concernent des apprenants d'anglais. doute rejeter, plus ou moins consciemment, toutes les procédures qui lui semblent
trop simples (comme par exemple des transferts directs de sa langue maternelle).
L'apprenant A, qui suit des cours, répond à la question : « Comment faire pour
La construction d'un programme exige donc, de la part de l'apprenant, la
améliorer sa prononciation ? » : « Pour apprendre à prononcer, je trouve très utile de
maîtrise d'un certain nombre de savoirs et de savoir-faire liés notamment à la
158 Autoformation et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 159

connaissance de la nature du processus d'acquisition, des caractéristiques ces travaux. La nature de la culture langagière4 et de la culture d'apprentissage 5 des
«disciplinaires» des acquis recherchés, des conditions techniques et matérielles apprenants en langue a ainsi pu être précisée. Il a également été possible de montrer
impliquées : comme les exemples ci-dessus l'indiquent, une telle maîtrise n'est pas les liens que ces cultures individuelles ont avec le passé éducatif de chaque individu
nécessairement le fait de tous les individus qui apprennent. Dans une structure et avec ses expériences personnelles, tout comme avec les caractéristiques de la
d'autoformation, chaque apprenant doit pouvoir bénéficier d'un apport pédagogique société dans laquelle l'individu évolue.
qui l'aide à développer sa capacité de décision. Ainsi, dans les situations
d'autoformation, les décisions concernant l'apprentissage sont prises par
l'apprenant, qui en assume la responsabilité, mais elles peuvent être préparées par le 8.2.2. Les savoir-faire méthodologiques
conseiller.
Dans la réalisation concrète du programme de formation, l'apprenant détermine
On voit ainsi se préciser ce rôle si spécifique. Il ne s'agit pas en effet de souvent ses choix méthodologiques selon les techniques de travail et les modalités
reconstituer la médiation de l'enseignant, dont on aurait simplement supprimé la de fonctionnement qu'il a déjà rencontrées (dans le cas de l'apprentissage de langue,
présence physique. En cela, les structures d'autoformation se démarquent très par exemple, beaucoup d'apprenants apprennent par cœur des listes de vocabulaire).
nettement des procédures d'enseignement individualisé (modules personnalisés, Ainsi, pour pouvoir tirer profit de l'ensemble des options existantes, l'apprenant a
parcours fléchés, didacticiels) où le véritable décideur n'est pas l'apprenant. Il ne souvent besoin d'acquérir des connaissances méthodologiques qu'il ne possède pas
s'agit cependant pas d'abandonner celui-ci ni à ses seules ressources (« faire ce qu'il nécessairement. Le rôle du conseiller est donc aussi d'aider l'apprenant dans ce sens.
peut »), ni à son seul plaisir (« faire ce qu'il veut »). Souvent, une partie de l'entretien est consacrée à la présentation, par le conseiller, de
ressources ou de techniques dont l'apprenant n'a pas, de lui-même, une utilisation
Le rôle du conseiller est d'apporter une aide en réponse à des propositions ou à fréquente, ni même une connaissance approfondie. Mais l'expérience montre que
des questionnements de l'apprenant, de l'amener à expliciter ses options (celles qu'il l'évolution méthodologique d'un apprenant est fortement liée à l'évolution de ses
a prises ou celles qu'il va prendre), et donc à réfléchir afin qu'il sache mieux définir savoirs. Le conseiller, en plus d'indiquer des ressources ou des techniques, précise
les termes des choix à opérer. Le conseiller aide l'apprenant à se rendre compte que les raisons de leur efficacité, afin que l'apprenant, là encore, dispose des critères qui
l'activité d'apprendre est la résultante de décisions pour lesquelles interviennent un lui permettront déjuger des conditions d'utilisation. En cela, son rôle se distingue du
ensemble de critères, certains «techniques», d'autres «psychologiques», d'autres travail de l'enseignant.
« disciplinaires », d'autres enfin « matériels », qui entrent parfois en contradiction
les uns avec les autres. La solution que l'apprenant retiendra ne sera que « la Ainsi, un extrait d'entretien montre comment le conseiller ne prend pas de
meilleure possible » pour l u i . En cela, le conseiller agit en réaction à l'activité de décision, mais détaille les critères qui permettent à l'apprenant de prendre par lui-
l'apprenant, et il n'a au mieux qu'un contrôle partiel des événements. Son degré de même cette décision. Par exemple, en réponse à une question de type : « Est-ce qu'il
participation dépend ainsi des caractéristiques de chaque apprenant, et la cohérence vaut mieux regarder un film qu'on connaît sans sous-titres, ou un film qu'on ne
de son travail se situe en liaison avec le cheminement d'apprentissage de ce dernier. connaît pas avec sous-titres ? », le conseiller apporte une réponse de type : « Choisir
un film, connu ou inconnu, avec sous-titres ou sans sous-titres, dépend avant tout
Certaines des études que nous avons réalisées ont ainsi permis de montrer que des objectifs que vous vous donnez pour travailler avec un film. », en précisant les
l'apport du conseiller dépend des priorités de l'apprenant. Il peut varier à la fois liens qui peuvent être faits entre différents objectifs d'apprentissage et l'utilisation
quantitativement lorsque, par exemple, les demandes d'aide s'amenuisent au fur et à de cette ressource. Dans sa réponse, il aborde des aspects de culture langagière, des
mesure de l'apprentissage (Abé et Gremmo, 1981) et qualitativement, lorsque, par aspects de culture d'apprentissage, et des précisions méthodologiques. Il aide ainsi
exemple, l'aide apportée à la préparation de la décision concerne des domaines l'apprenant à savoir prendre la décision qui correspond le mieux à ses préférences,
différents selon les entretiens (Gremmo et Holec, 1986). contraintes, besoins, etc.

Une catégorisation des domaines de représentations qui jouent un rôle dans la


capacité d'un apprenant à diriger son apprentissage a pu être élaborée à l'issue de
4. L'ensemble des connaissances, des valeurs et des pratiques que l'individu possède pour
définir ce que sont les langues.
5. L'ensemble des connaissances, des valeurs et des pratiques que l'individu possède pour
définir ce qu'est l'apprentissage.
160 Autoformation et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 161

8.3. L'entretien de conseil et plus détaillée du domaine qui relève de l'amélioration de sa compétence de
lecture. De même, l'analyse de ses prises de parole lors de ses entretiens met en
L'entretien de conseil a deux objectifs. Le premier consiste à aider la personne évidence l'évolution conceptuelle de l'apprenante P dans le domaine de l'oral.
dans l'apprentissage qu'elle est en train de mener, de lui offrir un Celle-ci passe de l'utilisation d'un terme unique «prononciation» lors du premier
« accompagnement » de son activité, en lui proposant de faire le compte-rendu du entretien, à l'utilisation précise de plusieurs termes différenciant compréhension et
travail réalisé et du travail qu'elle prévoit de faire, pour mieux organiser son expression orales lors du sixième. Elle mentionne ainsi : « compréhension orale »,
programme de formation, mieux choisir ses ressources, et trouver des solutions « comprendre des accents », « améliorer ma prononciation », « me faire comprendre
méthodologiques aux problèmes rencontrés. Le deuxième objectif est de la conduire même si mon accent n'est pas parfait ».
à expliciter les représentations qui interviennent dans ses choix d'apprentissage, de
manière à déclencher chez elle une évolution vers la construction de représentations Le conseiller doit être conscient des contradictions qu'il peut y avoir entre
plus adéquates pour la mise en place d'un apprentissage plus efficace, grâce à une acquisition des contenus et amélioration de la capacité d'apprentissage. On peut se
confrontation avec les propositions d'un observateur « expert ». demander en effet dans quelle mesure une intervention plus directive du conseiller
(une prise de décision franchement marquée, par exemple) ne serait pas plus
L'une des difficultés de ce type d'entretien, du moins au début de efficace. Certains apprenants (notamment ceux qui ne considèrent pas de prime
l'apprentissage, est que de nombreux apprenants s'attendent, de par leurs abord que l'objectif « apprendre à apprendre » est prioritaire) et certains enseignants
représentations, à participer à un « cours particulier », où il sera principalement qui se forment au rôle de conseiller peuvent ressentir les modalités de réponse
question de leur compétence linguistique et, au mieux, ne reconnaissent à l'entretien décrites ci-dessus comme une façon irritante de laisser l'apprenant découvrir par lui-
que le premier objectif. La nature de la discussion dans laquelle le conseiller même ce que le conseiller sait déjà. Cependant, la situation d'autoformation elle-
s'engage et l'auto-observation que cette discussion implique ne leur sont pas i même rend inefficace toute velléité de directivité : le conseiller n'est en effet pas en
familières. Nos études, parallèlement à d'autres (Esch, 1997), ont montré combien il [mesure d'imposer à l'apprenant le respect des décisions qu'il prendrait à sa place
est fondamental que le conseiller, pour qui le deuxième objectif est prioritaire, (ainsi que le montrent les exemples de A et de B présentés plus haut). D'un autre
prenne le temps nécessaire (parfois plusieurs entretiens) pour négocier avec [côté, toute réponse qui privilégie l'acquisition des contenus retarde le
l'apprenant la validité de ce deuxième objectif. 'développement de la capacité d'apprentissage qui est fondamentale pour
l'autoformation. Dans son action, le conseiller doit donc tenir compte du fait que
L'entretien de conseil repose sur l'hypothèse que c'est par la discussion que l'intégration de certains éléments fondamentaux va prendre du temps.
l'apprenant va pouvoir faire évoluer ses représentations et augmenter ses ressources
méthodologiques. Un rôle central est donné à la puissance de structuration du Dans l'entretien, il analyse le discours de l'apprenant afin de relever les
discours. Quand un apprenant est amené à formuler pour le conseiller la manière imprécisions, les inexactitudes ou les lacunes dans les représentations, les
dont il a construit son activité d'apprentissage et les raisons qui justifient ses constructions cognitives et les outils méthodologiques de celui-ci. Il lui fournit alors
décisions6, il est en fait conduit à rendre explicite, en premier lieu pour lui-même, des informations, lui suggère des modalités de fonctionnement, des activités
les catégories cognitives q u ' i l utilise et à en évaluer la pertinence. En écho, c'est par auxquelles ce dernier n'aurait pas pensé sans son intervention. Son apport consiste
le discours que le conseiller va donner à connaître à l'apprenant les critères donc de manière centrale, si ce n'est exclusive, à aider la personne à développer sa
utilisables pour l'apprentissage. C'est par le discours qu'ils négocient la mise en compétence d'apprentissage. C'est ce qui distingue fondamentalement le rôle du
place de procédures de travail satisfaisantes pour l'apprenant. conseiller de celui de l'enseignant. Ce type d'intervention repose ainsi sur une
expertisé spécifique qui comporte :
C'est ainsi sur la base d'une série d'études de cas, que le développement, tant
- des connaissances sur le domaine thématique de référence, sur les concepts qui
quantitatif que qualitatif, des critères de décisions utilisés par un apprenant a ainsi pu
organisent le domaine et leur évolution, ainsi que des savoir-faire méthodologiques
être montré (Gremmo et Holec, 1986 ; Gremmo, 1997). Par la réflexion suscitée lors
sur les approches didactiques possibles 7 ;
des entretiens de conseil, mais alimentée par son travail autodirigé pour apprendre
l'anglais, l'apprenant D a progressivement acquis une représentation plus adéquate

I 7. Il ne s'agit pas pour lui d'être le tenant d'une approche, mais bien plus de pouvoir informer
6. Par exemple : comment il définit ses motivations, ses besoins ; comment il évalue sa sur les approches existantes, leurs solutions méthodologiques, les techniques et activités
technique de travail ou son niveau. possibles, etc.
162 Autoformation et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 163

- des connaissances approfondies sur la nature du processus d'apprentissage, Le conseil relève donc de la « négociation d'un terrain commun » (Riley, 1997)
mais également sur la nature de l'apprentissage en autoformation et ses implications qui n'est pas uniquement celui du conseiller et dont la construction doit avant tout
pour l'apprenant ; être utile à l'apprenant. Les deux exemples qui suivent permettent de mettre en
- des connaissances précises sur le système d'apprentissage en autoformation évidence la variabilité de la négociation. Ils concernent tous deux des apprenants
particulier dans lequel l'apprenant est inscrit8. d'anglais.

On peut ainsi voir que l'expertise du conseiller est d'ordre pluridisciplinaire, L'apprenant D est en train d'expliquer au conseiller pourquoi il a décidé de ne
puisqu'elle touche tout autant les domaines théoriques de la discipline 9 , que les pas utiliser l'un des manuels que celui-ci lui avait fourni :
didactiques de la discipline et les courants théoriques de l'acquisition. C'est cette
expertise qui détermine la qualité de la grille d'analyse que le conseiller va utiliser D : « II y a beaucoup trop d'argot. C'est de l'anglais pour monter dans un taxi ou pour
lors d'un entretien et celle des apports qu'il va effectuer. aller au restaurant. Il y a un peu trop d'argot à mon goût. »

Comme le montrent de nombreux travaux réalisés dans le cadre du Conseil de C : « Ah bon ? De l'anglais familier, c'est ça ? »
l'Europe (Trebbi, 1990), la construction de cette expertise constitue actuellement un
facteur fondamental pour la réussite de la mise en place de systèmes D : « Oui, c'est ça, des expressions très familières, quoi dire à un chauffeur de taxi, la
d'autoformation. liste des plats dans un restaurant, par exemple, alors moi ça ne m'intéresse pas. »

Comme on l'a vu plus haut, l'action du conseiller se situe au niveau de la C : « Oui oui je comprends, vous ne serez pas dans ces situations-là. Donc vous
préparation de la décision 10 . L'analyse qu'il fait de ce que l'apprenant dit n'est pas l'éliminez. ».
destinée à mieux le connaître, mais à permettre à l'apprenant de mieux se connaître
L'apprenant D utilise le terme « argot » de manière très personnelle, à tel point
lui-même, de mieux connaître sa situation d'apprentissage et d'être ainsi capable de
que le conseiller doit en négocier le sens. Cependant ce terme permet à l'apprenant
se construire des solutions adaptées. Les informations que le conseiller fournit, les
d'expliciter un critère de choix pertinent. Dans cet extrait, les deux interlocuteurs
suggestions qu'il fait sont destinées à éclairer l'apprenant, et non pas à prendre les
construisent une connaissance commune fonctionnelle, qu'ils ne nomment certes pas
décisions à sa place. C'est l'interaction des constructions cognitives du
de la même manière, mais il n'est pas demandé à l'apprenant d'acquérir l'utilisation
conseiller/observateur et de celles de 1'apprenant/observé qui permet à l'apprenant
que les sociolinguistes font du terme « argot ».
d'évaluer ses catégories personnelles, de les mettre en rapport avec les résultats
attendus, et si nécessaire de les faire évoluer. En résumé, il s'agit de permettre à la
La négociation est différente dans l'extrait suivant, où l'apprenant E fait part de
personne de se construire une connaissance plus objectivée de son parcours de
i ses difficultés :
formation, sans pour autant prétendre la transformer en spécialiste de la discipline,
ni en enseignant. Il revient donc au conseiller de doser son apport d'information, de
E : « J'ai toujours des problèmes de prononciation, que ce soit quand moi je
présenter des concepts spécialisés de manière à ce qu'ils soient compris par
parle ou quand c'est les autres qui me parlent, j'ai des problèmes. »
l'apprenant, pour être appréhendés en autant de critères fonctionnels pour lui et de
l'amener ainsi à expérimenter des gestes techniques.
C : « Quand vous dites prononciation, moi j'y vois deux choses différentes :
si vous trouvez que vous avez du mal à comprendre les autres, vous avez des
problèmes de compréhension, si quand vous parlez vous trouvez que les
autres ne vous comprennent pas c'est au niveau de votre expression, et c'est
8. Par exemple : caractéristiques des ressources, fonctionnement des équipements, etc. Là
encore, il ne s'agit pas pour lui d'avoir des options « favorites » mais de connaître l'étendue des problèmes tout à fait différents. Vous pouvez travailler les deux aspects,
des options que propose le système. mais il vaut mieux les travailler séparément, compréhension d'une part,
9. Par exemple, dans le cas de l'apprentissage de langues étrangères : sociolinguistiquc. expression de l'autre. »
psycholinguistique, linguistique générale, linguistique descriptive des différentes langues
concernées, etc. E : « Oui, je pense que les deux seront nécessaires. »
10. « Préparation à la décision » est une expression qui inclut à la fois la détermination des
décisions à prendre et l'évaluation des décisions déjà prises et mises en pratique.
164 Autoformation et enseignement supérieur Aider l'apprenant à mieux apprendre 165

Ici, le terme « prononciation » utilisé par l'apprenant est explicitement analysé L'organisation de l'entretien doit également chercher à refléter la plus grande
par le conseiller dans le but d'amener l'apprenant à construire une représentation égalité de statut entre apprenant et conseiller que l'autoformation implique. Cela
plus détaillée et plus précise du domaine où il cherche à s'améliorer. concerne notamment le contrôle de l'interaction. En effet, dans cette modalité
d'échange, situation didactique et situation sociale sont au départ en contradiction.
La situation didactique réclame que ce soit l'apprenant qui contrôle l'interaction, qui
8.4. L'interaction de conseil définisse les thèmes abordés, qui organise l'entretien, qui le termine. Cependant la
situation sociale fait pencher la balance du côté du conseiller : il reçoit l'apprenant
L'entretien est une situation de discours dialogique 11 entre un apprenant et un dans son institution, il possède l'expertise, il lui reviendrait donc le droit, presque le
conseiller. Ce dialogue individualisé différencie fortement le rôle de ce dernier de devoir, de contrôler l'entretien. De ce fait, nous avons pu constater que la prise en
celui de l'enseignant. L'enseignement privilégie une relation d'une autre nature, charge par l'apprenant du contrôle de l'entretien (en ouvrant et fermant l'interaction,
celle d'un groupe-classe avec un individu-enseignant. De ce fait, la différenciation en déterminant les thématiques abordées) est significative de sa prise en charge de
entre ces deux rôles se situe également dans les différences de modalités son apprentissage dans sa globalité et de son utilisation de l'entretien comme « aide
interactives. à son apprentissage ». L'un des aspects du rôle interactif du conseiller est de ce fait
d'amener l'apprenant à se considérer comme le responsable de l'interaction. Dans
Dans la salle de classe, le rôle de l'enseignant est d'organiser les activités i nos observations, les conseillers cherchent à le faire en expliquant ouvertement leurs
d'apprentissage qu'il a lui-même décidées : son discours lui sert, par exemple, à rôles respectifs ou en refusant progressivement d'assumer la gestion de l'entretien.
donner des instructions, désigner des acteurs, encourager la participation. Son travail Par exemple, en acceptant toute tentative d'interruption de l'apprenant ou en laissant
est aussi d'évaluer les connaissances : dans son discours, il va alors solliciter des 1 à l'apprenant la tâche de combler les silences qui ne manquent pas de se créer.
réponses à ses questions, confirmer ou infirmer ces réponses. Son travail est encore
d'animer le groupe : c'est donc lui qui va contrôler l'interaction, ouvrir et fermer les Le développement d'une compétence communicative dialogique qui respecte les
échanges, distribuer la parole (Coulthard, 1977). ; conditions pédagogiques de l'autoformation est l'un des enjeux importants dans la
! formation des conseillers. Sans ce changement communicatif, l'action du conseiller
Dans l'entretien, le rôle de conseiller s'appuie nécessairement sur des pratiques Icourt le risque de demeurer une forme déguisée d'enseignement où il impose -
communicatives différentes. Les recherches les plus récentes (Gremmo, 1995a ; ! consciemment ou non - sa volonté, à cause de l'asymétrie de nature de la relation.
Carette et Castillo, 2002) ont visé à qualifier ces pratiques. Ainsi, pour déclencher Si, dans un contexte d'autoformation, son discours doit être en cohérence avec son
chez l'apprenant le processus d'explicitation qui aboutira à une réflexion favorable rôle, il faut alors que l'entretien soit une véritable situation de « négociation » et de
au changement, le conseiller est notamment amené à : reformuler le discours de I «construction » de sens où le conseiller ne postule pas qu'il connaît les réponses
l'apprenant en d'autres termes, le comparer à son propre discours, le compléter, avant d'entrer en contact avec l'apprenant, ni qu'il sait où il va ce dernier.
donner son avis (que l'apprenant pourra discuter), formuler des suggestions (que
l'apprenant pourra accepter ou rejeter). Depuis quinze ans, notre expérience dans des actions de formation au rôle de
[conseiller 12 est confortée par l'expérience d'autres chercheurs dans d'autres pays,
La contrainte didactique essentielle est de ne pas prendre les décisions pour d'autres contextes pédagogiques 13 . Elle permet d'affirmer que le rôle de
concernant l'apprentissage à la place de l'apprenant et de se situer dans une posture 1, conseiller en autoformation est un rôle d'autant plus complexe qu'il se place « hors
d'aide. Cette contrainte influe sur les formes linguistiques présentes dans le discours de la tradition », hors du mode social prévalent. Le conseiller doit non seulement
du conseiller. On constate, par exemple, que, pour diminuer la force que l'expertise
aider l'apprenant à entrer dans une nouvelle forme de formation, mais aussi vérifier
du conseiller pourrait donner à ses suggestions, la plupart des propositions sont que la volonté qui l'anime de promouvoir l'autonomie n'est pas contredite par la
atténuées par l'intonation, et par l'emploi de termes modalisateurs tels que : « Ça
réalité de ses actions, basées sur des représentations implicites issues de son passé
serait peut-être intéressant pour vous de... » ou « Vous pourriez peut-être essayer
|d'enseigné et d'enseignant. Les conseillers qui se forment aujourd'hui ne peuvent
de... ».

t; 12. Les plus récentes en janvier 2002 auprès de l'université nationale de Bogota (Colombie)
et en septembre 2002 à l'université Galatasaray, à Istamboul (Turquie).
11. Bien que certains systèmes d'autoformation proposent parfois des possibilités de conseil 13. Voir, par exemple, les travaux réalisés en Asie (Benson et Voiler. 1997) et au Mexique
en petits groupes. (ChavezSânchez, 1998).
166 Autoformation et enseignement supérieur

s'appuyer sur aucune « culture » de ce rôle, alors que, même s'ils n'ont jamais été
enseignants, leur passé éducatif leur a donné une culture d'enseignement avec
laquelle ils doivent compter. Ils ont donc besoin de mettre à jour leurs propres
positions discursives, « idéologiques» et relationnelles, non seulement vis à vis du
système d'autoformation dans lequel ils vont fonctionner, mais aussi, plus
globalement, vis-à-vis de leur statut d'« expert » et des modes de transmission du
savoir. C'est là une situation délicate, mais temporaire, car les conseillers
Chapitre 9
d'aujourd'hui construisent la culture de conseil sur laquelle, dans une ou deux
générations, pourront s'appuyer les conseillers du futur.
Du prescrit au vécu : l'enjeu des régulations
Didier PAQUELIN et Hugues CHOPLIN

9.1. Introduction

La formation universitaire sollicite depuis bien longtemps l'apprenant dans ses


capacités à s'organiser, à planifier, à effectuer des démarches de recherche
d'informations. Sans la nommer en tant que telle, l'autoformation est bien présente
dans cette pratique universitaire. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer comment
s'organisent les étudiants, qui sans fréquenter assidûment les amphithéâtres,
parviennent à réussir partiels et autres formes d'évaluation. Ces pratiques ne sont
généralisâmes ni à l'ensemble des niveaux ni à l'ensemble des filières de
l'enseignement supérieur, mais rappellent combien les capacités des étudiants à
s'autodiriger interviennent dans l'organisation de leur formation et de leurs
apprentissages. C'est dans un tel contexte qu'a été proposé à des étudiants inscrits
dans un cursus scientifique, un dispositif de formation ouverte et à distance.

Dans une situation conventionnelle, appelée également « cours » ou « stage », le


dispositif est connu, norme, régit par des règles que l'ensemble des acteurs connaît
et maîtrise. Proposer un dispositif de formation ouverte, c'est-à-dire dans lequel
l'apprentissage ne résulte pas uniquement d'activités proposées dans une unité de
temps, de lieu et de relations sociales, requiert chez le bénéficiaire du dispositif une
participation active à la production du service qu'est la formation (Collectif de
Chapitre 12

Autoformation, éthique et technologies


enjeux et paradoxes de l'autonomie
Monique LINARD

12.1. L'autonomie, point de rencontre de l'autoformation et des technologies

L'autoformation 1 confronte depuis longtemps l'éducation initiale et la formation


d'adultes à une question redoutable, l'autonomie des apprenants. Sa rencontre avec
les technologies de l'information et de la communication, outils privilégiés de
l'activité autonome, rend désormais la question incontournable. L'autonomie
rapproche ainsi les deux domaines, le pédagogique et le technique, en les
confrontant à un même problème : celui de la nature individuelle et collective de la
connaissance et de l'apprentissage, des conditions et limites de leur application.

Plus généralement, en posant partout la question de leur pratique effective,


autoformation et autonomie agissent comme un point de fixation et un symptôme.
Elles signalent la difficulté des sociétés de l'information à accepter les conséquences
de l'indépendance dans l'interdépendance qu'exigé en même temps leur efficacité.

1. Autoformation : au sens de modalité d'apprentissage d'un individu, souvent adulte, qui


prend en charge et dirige lui-même tout ou partie de son propre parcours, tout en restant
inscrit dans un cadre institutionnel. La présence de ce cadre oppose l'autoformation à
l'autodidaxie dans laquelle l'individu apprend seul, hors système.
242 Autolbrmation et enseignement supérieur Auloformation, éthique et technologies 243

12.1.1. L'autonomie entre réflexe et réflexion ressorts mêmes de l'organisation sociale et de ses institutions. L'onde de choc
technologique ramenant l'autoformation au premier plan, elle la transforme en
L'autonomie définit le mode plus ou moins indépendant de fonctionnement et ïvélateur de toutes les tensions et les contradictions contemporaines.
d'action d'une entité ou d'un système physique organisé, naturel ou artificiel en
relation avec son environnement. C'est un concept réflexif circulaire, de soi sur soi
donc complexe. L'autonomie comprend au moins deux niveaux distincts. I \2.\.2.A utonomie et autorégulation, deux problèmes clé de la modernité

Le niveau élémentaire des automatismes d'autorégulation fonctionnelle est L'action technique pose d'abord des questions de moyens et de « comment
commun à tous les systèmes, vivants ou non. Il leur permet de contrôler et de Ifaire ». L'activité humaine pose d'abord des questions de fins, de sens et de « pour
maintenir, plus ou moins par leurs propres moyens, leur identité et leur activité quoi faire ». Jusqu'ici, la raison des fins encadrait et guidait plus ou moins
propres dans leurs interactions avec l'extérieur. ['étroitement la raison des moyens. Mais que se passe-t-il quand la puissance des
Jjnoyens débordant tout contrôle, elle se développe pour son propre compte et tend à
Le niveau supérieur de la conduite intentionnelle ouvre le champ restreint du feevenir à elle-même sa propre fin ? Dans les systèmes biologiques et techniques,
premier niveau à la liberté de décision de l'action volontaire, de l'intelligence, de la [logique des fins et logique des moyens sont directement soumis aux résultats du
pensée réfléchie. Il permet une amplitude plus vaste d'analyse, d'orientation et fonctionnement. Dans les systèmes humains où interviennent des variables
d'initiative dans la définition des possibles, des buts et des stratégies de l'action en \ non directement fonctionnelles (affects, motifs, valeurs, rapports de
fonction des valeurs propres au système. [force), les deux logiques n'ont plus que des liens assez lâches. C'est la discordance
titre la logique causale pure de l'action élémentaire, traitable par machine, et la
Le second niveau de l'autonomie est fondé sur le premier mais il lui est jgique composite floue, de l'intention humaine, qui se trouve amplifiée par la
irréductible, ce qui rend l'équilibre entre les deux aussi difficile à établir qu'à puissance des réseaux.
conserver. Beaucoup de malentendus et de contradictions viennent de la
simplification abusive qui consiste à réduire le niveau complexe des intentions et des Notre propos est de montrer que l'instrumentation massive des activités par les
motivations, difficile à gérer, à celui beaucoup plus aisément maîtrisable, des chnologies d'information et communication bouleverse en profondeur les
mécanismes élémentaires de contrôle de l'action. conditions de production et de transmission des activités et des connaissances, dans
i société en général et plus encore à l'école et à l'université.
Ainsi définie, l'autonomie devient une modalité d'action complexe, autant
réflexe que réflexion. Son exercice s'apparente davantage à la pratique d'un sport Notre hypothèse est que les effets de propagation et d'interdépendance
qu'à celle d'un raisonnement académique. Elle présuppose des capacités que tous les généralisée propres aux technologies et au réseau, entraînent un tournant
individus ne sont pas également capables ni désireux de mobiliser. Le fait de épistémologique et culturel majeur aux conséquences incalculables. Ce tournant est
l'imposer comme modèle ordinaire entraîne une cascade de questions. De quelle elui d'une modification profonde des repères et des structures de notre expérience
indépendance, de quelle initiative les individus peuvent-ils et doivent-ils disposer en aditionnelle de la rationalité, de la causalité, de l'espace et du temps. Il oblige à
tant qu'acteurs autonomes ? L'autonomie individuelle doit-elle être cantonnée à prendre en compte, dans les conceptions théoriques et dans les pratiques sociales, les
l'exécution et à la marge de liberté nécessaire à l'adaptation des actes aux (nouvelles formes d'autorégulation nécessaires aux nouvelles formes de complexité
contraintes du monde extérieur ? Ou bien doit-elle s'étendre au niveau stratégique Jet d'autonomie suscitées par l'instrumentation technologique généralisée.
des orientations et des décisions ? Peut-elle s'envisager comme une qualité
individuelle en soi, en-dehors de toute dimension collective ? Sinon, de quelle
latitude l'individu et le groupe autonomes doivent-ils disposer par rapport aux 112.2. Un changement de paradigme : de l'algorithme à la navigation en haute
normes et aux règles instituées ? Dans quelle mesure cette latitude est-elle mer
compatible avec l'organisation sociale ?
Dans l'univers virtuel des TIC, les catégories de l'expérience naturelle du monde
En éducation et en formation, l'étude socio-historique de l'auto formation montre physique s'estompent et avec elles, la plupart des balises de l'action ordinaire. Tout
que ces questions se posent de façon récurrente depuis le XIX e siècle, mais toujours interagit et entre en résonance avec tout sur le réseau électronique. L'interférence
en marge : sans doute parce que l'idée d'un apprentissage autonome touche aux permanente des effets brouille les différences entre espace et temps, espace externe
244 Autoformation et enseignement supérieur 1 Autoformation, éthique et technologies 245 I
et interne, causes et effets, faits naturels et représentations artificielles. Le saut à la hauteur d'un impératif social les critères d'outils techniques qui imposent
quantitatif de puissance des instruments entraîne des mutations qualitatives des partout leurs moyens et leurs méthodes. Le niveau croissant de compétence exigé
modes de connaissance et de résolution de problèmes. Nos actions y gagnent d'une majorité d'individus pose le problème aigu de leur capacité à y accéder et de
infiniment en efficacité. Mais cette efficacité se paie par un net affaiblissement du l'équilibre entre contrainte et liberté dont ils doivent disposer pour l'exercer.
sens du réel et par la soumission aux normes d'automates infatigables qui imposent
partout, comme des faits de nature, leurs modes de fonctionnement et de Comme l'entreprise, la formation et l'éducation se voient confrontées à une
représentation du monde. Pour un grand nombre d'individus, le cumul de la tension et à une contradiction. La tension tient à la nécessité de former les individus
complexité, de l'abstraction, de l'accélération et de l'incertitude de leurs conditions faux modèles éprouvés qui assurent la continuité de l'organisation sociale et, en
de travail devient de plus en plus difficile à vivre, transformant en états chroniques même temps, de leur concéder l'autonomie indispensable à la pratique complexe des
le surmenage, la sursaturation et le stress 2. environnements socio-techniques actuels. La contradiction réside dans l'expression
! simultanée de la part des institutions, d'une exigence d'autonomie au plan individuel
Pour évoluer à l'aise dans ce nouveau monde, il faut être né avec ou changer de I et d'une réticence, pour ne pas dire un refus, d'en assurer les conditions pratiques et
paradigme. Les modèles rationalistes de la logique classique, de l'algorithmique et sociales par crainte des effets incontrôlables qui pourraient s'ensuivre.
de l'analyse taylorienne du travail convenaient à un monde de relatives certitudes à
évolution lente. Ils sont débordés par la logique de fluctuations chaotique et de Comment exiger au plan des individus l'autonomie que l'on redoute au plan
propagation épidémiologique propre aux réseaux. La navigation empirique du marin collectif? Comment concevoir le développement de compétences et de capacités
face aux caprices de la météorologie, par compromis entre règles, aléa et expérience, dont on repousse en même temps les conditions et les conséquences (Revue
offre un modèle mieux adapté au pilotage de l'action ordinaire, (Hutchins, 1983. Education Permanente, 1996 ; Ropé et Tanguy, 1994) ? Comment répondre aux
1994). S'orienter et se repérer en environnement instable, trier des données impératifs de l'instrumentation d'actions (Rabardel, 1995) et de dispositifs
pléthoriques et disparates, les assimiler de façon critique à ses connaissances techniques qui exigent une conduite autonome des acteurs tout en ignorant leurs
antérieures, les compacter en routines efficaces et adaptables, en tirer rapidement les besoins (Revue Education Permanente, 2002 ; Revue Hermès, 1999 ; Revue STE,
décisions adéquates pour s'adapter à des urgences permanentes : toutes ces capacités 2000 et 2001) ? Tels sont les dilemmes que l'on rencontre aussi bien au plan de la
cognitives de haut niveau sont indispensables à l'autopilotage de l'action en régulation économique mondiale qu'à celui de l'entreprise et de la formation
situation incertaine. Elles se résument en une seule : l'autonomie. Cette autonomie individuelle et collective des compétences.
n'est ni licence ni liberté illimitée. Elle est seulement latitude de choisir au mieux
son propre parcours dans un chaos de déterminismes (Prigogine et Stengers, 1979).
12.3. Autoformation et TIC : le présupposé implicite d'autonomie

L'autonomie, condition d'efficacité des TIC : contradictions et dilemmes Avant d'être un concept et une méthode, l'autoformation a été un projet
d'émancipation sociale et une pratique, parallèle ou opposée aux formations
Le thème des tensions entre liberté individuelle et contrainte sociale n'est pas instituées (Albero dans cet ouvrage; Dumazedier, 1980, 1996 ; Pineau, 1978,
nouveau en philosophie, ni en sociologie ni en politique. Mais en faisant de 1985 ). Son origine coopérative mutualiste interdit de l'assimiler à l'autodidaxie.
l'autonomie des utilisateurs une condition de leur efficacité, les technologies élèvent Elle n'en est pas moins vue souvent comme un mode héroïque d'autogenèse
intellectuelle pour individus hors système et elle reste difficile à cerner. Située entre
2. La pression du stress ne s'exerce pas de la même façon pour tout le monde. Pour les cadres, pratique militante et recherche théorique, développement personnel et utilitarisme
elle passe par l'extension et la multiplication des responsabilités et l'accélération des rythmes économique, elle est un révélateur des tensions entre individu et société.
de réponse. Pour les salariés de moindre qualification, il correspond souvent à une
dégradation sans contrepartie des conditions pratiques de travail. Les tic allègent certains La recherche montre que l'autoformation tend par nature à déborder les
aspects des tâches, mais elles permettent aussi une régression néo-taylorienne et un frontières établies (Albero et Barbot, 1992 ; Carré et al., 1997 ; Courtois et Prévost,
durcissement des contraintes, sources de nouvelles rigidités et de souffrance sociale. Avec le 1998; Gremmo et Riley, 1997 ; Holec, 1981 ; Lange, 1993 ; Tremblay, 1996;
chômage, la dévalorisation du travail chez les jeunes et les exclus et la désaffection croissante Wenden, 1991). Elle commence par poser des questions d'aménagement
à son égard sont des symptômes inquiétants. Laissés sans remède, ils pourraient annoncer un pédagogique, qui mènent à interroger leurs conditions d'application pratique, puis
phénomène massif de désocialisation (Adès et Dambert 2002 ; Dejours et al. 1995 ; Seryeix. les raisons théoriques des stratégies adoptées, puis l'organisation même de
2002 ; Thévenet, 2001 ; Vandramain et Valenduc, 2000).
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l'institution. En passant « du paradigme de l'instruction au paradigme de Réponses pédagogiques anciennes et récentes


l'autonomie » (Albero, 2000), l'autoformation finit, comme les TIC, par ébranler
tout l'édifice éducatif. Partis de perspectives opposées, l'humanisme social et L'autoformation et les pédagogies dites actives ont toujours été des pédagogies
l'efficacité technique aboutissent ainsi à une même mise en cause des modes plus ou moins explicites de l'autonomie. Chacune s'est efforcée de résoudre, en
pratiques d'agir et de penser. marge des systèmes établis, les contradictions qu'entraîné toute indépendance
imposée. Elles ont reconnu que l'autonomie est une capacité de haut niveau,
Autoformation et TIC requérant également l'autonomie, elles devraient s'allier cognitive, mais aussi psychologique et sociale, qui implique des qualités d'attention,
sans peine dans des solutions efficaces, en formation à distance en particulier. d'autocontrôlé, d'intelligence, de confiance en soi et de relation que peu d'individus
Pourtant ce n'est pas le cas, à deux exceptions près : celle des individus déjà possèdent ensemble à l'état naturel. Elles ont tiré les conséquences du constat que,
autonomes, experts, motivés ou indépendants par nature, et celle d'expériences qui comme toute capacité, l'autonomie étant diversement distribuée elle ne peut pas se
remplissent des conditions connues d'accompagnement humain de l'apprentissage prescrire mais qu'elle peut se développer par entraînement, à des conditions
médiatisé 3 . Dans les autres cas, les dispositifs d'(auto)formation intégrant les précises.
technologies font appel de façon implicite à la capacité d'autonomie des apprenants
mais ne la prennent pas en charge. Ils se contentent de la présupposer acquise 4. Sous la pression des TIC, ces pédagogies retrouvent une actualité parce qu'elles
semblent apporter des réponses pratiques et théoriques. Mais on ne retient que
Ce nœud se retrouve dans les organisations non éducatives. Il tient à la certains aspects cognitifs de l'activité prônée, en ignorant l'accompagnement social
reconnaissance ou non du préalable d'autonomie impliqué par le bon usage des issu de leur longue expérience des exigences, des difficultés et des limites de
technologies et à la décision de prendre en charge ou non ce préalable dans les l'apprentissage autonome. Cette omission peut éclairer certaines raisons de la
modes de production, de gestion et de formation. L'injonction faite à chacun d'être faiblesse persistante des TIC en éducation et en formation 5 . Dans l'enseignement
autonome sans les moyens nécessaires n'est pas un hasard. Elle exprime des supérieur, ainsi que le montrent plusieurs textes du présent ouvrage, des expériences
tensions sociétales de fond. pionnières d'autoformation médiatisée sont menées en divers lieux, parfois depuis
des décennies, à grande échelle et avec succès (Ecole des Mines et CRAPEL à
Nancy, RUCA avec PCSM et FUEL dans diverses universités françaises, Centre
d'autoformation à Bordeaux et Paris, CRL à Strasbourg). Ces expériences montrent
qu'il est possible, en remplissant les conditions institutionnelles, pédagogiques et
techniques nécessaires, de créer des dispositifs répondant aux besoins d'une
3. Les expériences qui donnent des résultats peu ou non significatifs se caractérisent souvent formation des étudiants à et par l'autonomie. Mais elles restent marginales et
par une décision d'implantation de tic d'origine hiérarchique, la priorité accordée à fragiles, dépendantes d'individus exceptionnels, tolérées en formation permanente et
l'équipement sur la définition des buts, une faiblesse ou absence d'explication des motifs, des à dose homéopathique dans les cursus classiques (voir le texte F. Thibaut dans ce
méthodes, de suivi des acteurs et des résultats. Les expériences réussies comportent
régulièrement des initiatives individuelles locales portant des projets pédagogiques motivés
même ouvrage).
par des buts explicites, relayés par une prise en charge collective et un fort engagement des
responsables sur le terrain, des stratégies évolutives centrées sur l'analyse des usages et le
suivi prolongé de tous les partenaires. 12.4. Un triple tournant épistémologique, pédagogique et éthique
4. En formation d'adultes, la conception des programmes et des dispositifs se réfère pour
l'essentiel à deux modèles : celui de l'instruction, définie comme transmission objective de La capacité d'autonomie exigée par le bon usage des technologies ébranle
connaissance et de procédures et celui de la connaissance, définie comme traitement pourtant de proche en proche les principes et l'architecture entière des institutions, à
d'information. Ces modèles, en ne visant que les tâches et les contenus, permettent de réduire
la pédagogie à la gestion objective des cursus, évaluation comprise, et de faire l'impasse sur 5. Les plates-formes et les e-books du e-learning en sont un exemple. La plupart sont des
les compétences prérequises et sur les conditions subjectives, cognitives, psychologiques, encyclopédies ou des cours magistraux interactifs redécoupés et formatés en hypertexte,
sociales, de l'activité des apprenants. Les limites des deux modèles en termes d'obstacles et associés à une gestion automatisée du travail, des contacts et de l'évaluation des étudiants.
de raisons d'abandon par les étudiants ont été bien mises en lumière, en particulier en Architecture, fonctionnalités et interfaces des systèmes, dits « centrés sur l'apprenant »,
formation à distance (Garland, 1993). Dans le cas des dispositifs d'autoformation aux langues assistent souvent correctement les fonctions pratiques de navigation, recherche et
étrangères, la thèse de B. Albero (1998) a mis en lumière ce phénomène dans la catégorisation communication. Ils suffisent aux « bons » étudiants qui savent déjà apprendre seuls. Ils ne
à laquelle son analyse aboutit. suffisent pas à ceux qui ont besoin d'être formés à l'autonomie avant de pouvoir la pratiquer.

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