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340-___-BB Serge LAPIERRE Version 1.

Sur le Léviathan (1651)1


de Thomas Hobbes

Frontispice du Leviathan par Abraham Bosse. Source image :


http://www.loc.gov/exhibits/world/images/s37.jpg

1. Thomas Hobbes (1588-1679), inventeur du concept de l’état de


nature et de la philosophie du contrat social
1.1 L’état de nature
L’état de nature désigne la vie que mèneraient les hommes en l’absence
d’institutions sociales, en particulier en l’absence de pouvoir politique, et par
conséquent, en l’absence de loi.

L’état de nature ne doit pas être compris comme une description d’une réalité
historique ou anthropologique mais plutôt comme une fiction philosophique dont
l’intérêt et la fécondité tiennent en ce qu’elle vise à expliquer et à justifier les
bienfaits d’une certaine forme de société politique.

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HOBBES, Thomas, Léviathan, ou Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la
république, 1651, rédigé en quatre parties et composé de 47 chapitres.

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1.2 L’état de nature selon Hobbes


À grand trait, les hommes vivant à l’état de nature sont animés (ou « gouvernés »)
par le seul instinct de conservation. Dans cet état, ils sont égaux et libres. Ils sont
égaux en effet mais dans la seule mesure qu’ils ont les mêmes passions sur toutes
choses, et qu’ils ont les mêmes moyens – par la force brute, par la ruse ou par
l’alliance – d’y parvenir (Léviathan, XIII). Ils sont aussi libres, puisqu’il n’existe
aucune loi leur interdisant d’arriver à leur fin par tel et tel moyen. Chacun agit donc,
sans contrainte, en fonction de ce qu’il juge bon pour lui. Il en résulte
nécessairement une guerre de « tous contre tous ». (Léviathan, XIII).
La puissance « anarchique » de la multitude des convoitises, incompatibles entre
elles, caractérise donc l’état de nature. Rappelons-le : l’homme le plus faible
physiquement peut, grâce à la ruse, l’emporter sur le plus fort physiquement
(Léviathan, XIII). Des alliances éphémères se nouent parfois, si nécessaire, pour
l’emporter sur un individu particulièrement puissant et détestable. Mais à peine la
victoire est-elle acquise sur cette « victime » que les vainqueurs se liguent les uns
contre les autres pour bénéficier seuls du butin. Bref, en cet état de nature,
« l’homme est un loup pour l’homme » (Léviathan, XIII).

REMARQUE : Cette guerre « de tous contre tous » est si féroce et si atroce qu’elle
menace l’existence de l’humanité elle-même...
À ceux qui penseraient que cette vision de l’humanité est trop pessimiste, Hobbes a
rétorqué que, même à l’état de société organisée où existent des lois, des juges et
une police, nous fermons néanmoins à clef nos coffres et nos maisons de peur d’être
détroussés (Léviathan, XIII). Or par définition, l’état de nature est sans loi, sans juge
ni police ; il ne peut donc qu’être pire...
C’est donc l’angoisse de la mort (la mort violente), laquelle résulte de l’égalité et de
la liberté naturelles – qui est à la fois la cause et l’effet de l’état de guerre – qui fait
peser sur la vie de tous une menace tangible et permanente. Or, cet état est
indéniablement paralysant : il ne permet pas la prospérité, ni le commerce, ni la
science, ni les arts (Léviathan, XIII).

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2. Le contrat social comme fondement de la société politique


C’est là qu’intervient le concept du contrat social. Les hommes vivant à l’état de
nature sont certes désordonnés mais néanmoins intelligents ; ils comprennent donc
finalement que leur vie est absurde (i.e. ne mène à rien) et qu’il leur faut donc quitter
l’état de nature au profit d’un monde meilleur, dont ils en seront cependant les
artisans. Ils concluront ainsi un pacte – un contrat social – par lequel chacun accepte
d’abandonner ses libertés naturelles au profit d’une instance supra individuelle – la
société politique ou l’État – incarné et gouverné par un souverain, appelé
Léviathan. Ce Léviathan, doté d’un pouvoir énorme, offre et garantit en retour à
chacun des droit civiles : droit à la propriété, droit à la sécurité et droit à la vie.
Par ce contrat, la multitude des individus est ramenée à une unité, celle du souverain
incarnant l’État. Laissons parler Thomas Hobbes :

La seule façon d’ériger un [...] pouvoir commun de protection, apte à défendre les gens de
l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à
les protéger, [...] c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à
une assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une
seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme ou une assemblée, pour assumer leur
personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait
ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a
ainsi assumé leur personnalité, et que chacun, par conséquent, soumette sa volonté et son
jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. [...] La
multitude, ainsi unie en une seule personne, est ainsi appelée République [...] Telle est la
génération de ce grand Léviathan, ou plutôt, pour parler avec plus de révérence, de ce dieu
mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. Car, en
vertu de cette autorité qu’il a reçue de chaque individu de la République, l’emploi lui reste
conféré d’un tel pouvoir et d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui permet de
modeler les volontés de tous, en vue de la paix à l’intérieur et de l’aide mutuelle contre les
ennemis de l’extérieur. En lui réside l’essence de la République, qui se définit : une
personne unique telle qu’une grande multitude d’hommes sont faits, chacun d’entre eux,
par convention mutuelle passée l’un avec l’autre, l’auteur de ses actions, afin qu’elle use
de la force et des ressources de tous comme elle le jugera expédient [moyen nécessaire
et suffisant], en vue de leur paix et de leur commune défense. (Léviathan, XVII)

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