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des interactions entre les acteurs, dans le rapport de force où ils se trou-
vent.
À partir de là, la notion de régulation conjointe désignera ici, à la fois,
des normes définies conjointement par les interlocuteurs et éventuellement
l’État, et traduites dans des accords, des déclarations conjointes ou des
politiques d’action conjointe, ainsi que le processus d’élaboration et de
transformation de ces normes.
Ensuite, l’emploi, objet sur lequel porte ici cette régulation conjointe,
peut être défini d’une façon générale en reprenant les termes de Maruani
(1994). Pour Maruani, l’emploi, comparé au travail, constitue « l’ensemble
des modalités d’accès et de retrait du marché du travail, ainsi que la tra-
duction de l’activité laborieuse en termes de statuts sociaux » (Maruani
1994 : 51).
Il peut ici aussi y avoir une certaine confusion puisque, comme le rap-
pelle Erbès-Seguin (1994), les notions d’emploi et de travail ont tradition-
nellement été utilisées dans des sens différents, voire opposés, par
l’économie et la sociologie, la première s’attachant davantage au marché
du travail, tandis que la seconde s’est surtout intéressée aux conditions de
l’activité de travail.
L’emploi sera envisagé ici comme la possibilité qu’ont les travailleurs
d’accéder à une activité professionnelle, de s’y maintenir et de s’en retirer,
et non pas dans le sens du contenu de l’activité exercée et de ses condi-
tions.
Dans cette optique, les études nationales effectuées par les équipes de
recherche des États membres en 1999 et 2000 ont porté, conformément à
un programme de travail commun, sur les mesures visant à favoriser la
création ou la préservation de l’emploi, et plus spécifiquement les mesures
suivantes : assouplissement des modalités d’accès et de retrait du marché
du travail, — par exemple, mesures axées sur l’insertion des jeunes ou sur
les possibilités de retraite progressive pour les travailleurs âgés — ; mesures
destinées à favoriser l’adaptation de la main-d’œuvre aux exigences des
activités de l’industrie et des services ; mesures destinées à réduire le coût
du travail, dont particulièrement la modération salariale.
On peut donc de façon synthétique considérer comme norme en matière
d’emploi toute mesure qui vise à organiser une ou plusieurs des dimensions
suivantes du marché du travail : volume de l’emploi calculé en nombre de
postes de travail ou en nombre d’heures de travail, modes d’accès à
l’emploi, modes de retrait de l’emploi, flux de main-d’œuvre sur le marché
du travail.
Si l’on souhaite analyser les formes de régulation conjointe de l’em-
ploi, il est utile d’examiner deux sous-hypothèses qui renvoient à des
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Il y a ainsi dans plus de la moitié des États membres à la fin des années
1990 et en 2000 un dialogue tripartite sur les politiques d’emploi, qui peut
prendre pratiquement quatre formes : accords tripartites contraignants ;
accords-cadres socio-économiques donnant des lignes directrices non
contraignantes ; forums de concertation ou tables rondes pour l’élaboration
des politiques publiques ; consultation des interlocuteurs sociaux par
le gouvernement pour la définition et la mise en œuvre des politiques
d’emploi.
Quelle est la nature de ces engagements tripartites et en quoi sont-ils
novateurs ? Trois caractéristiques témoignent du fait qu’ils constituent de
nouvelles formes de dialogue social : ils sont fortement articulés avec
l’intégration économique européenne et avec la stratégie européenne pour
l’emploi ; ils marquent une prédominance croissante des questions d’emploi
dans le dialogue tripartite ; ils reflètent une implication croissante des
interlocuteurs sociaux dans les politiques du marché du travail.
Premièrement, comme le souligne Pochet (1998), l’intégration au sein
de l’Union économique et monétaire peut inciter les acteurs d’échelon
national à se concentrer sur l’adaptabilité du marché du travail, dans un
contexte où les contraintes sur les salaires sont accrues et où l’intégration
de variables macroéconomiques incite à chercher des solutions de flexibi-
lité des organisations et de l’emploi. On ne retrouve cependant pas un
dialogue tripartite sur l’emploi dans la totalité des pays de la zone euro.
S’ajoute bien entendu à cette influence de l’intégration économique celle
de la stratégie européenne pour l’emploi (Goetschy 1999). L’obligation
faite aux gouvernements d’élaborer des plans d’action annuels, depuis 1998,
en consultant ou en se concertant avec les interlocuteurs sociaux, a pu
susciter des débats non seulement sur ces plans mais aussi sur un ensemble
de politiques d’emploi, dans les pays où des instances de dialogue centra-
lisées existent. La stratégie européenne pour l’emploi est donc susceptible
d’avoir induit ou accentué un dialogue social large sur les politiques d’em-
ploi, dépassant les plans d’action nationaux. Ces deux processus, relative-
ment récents, n’expliquent cependant pas toute l’évolution en cours, ne
serait-ce que parce que, dans certains pays, le dialogue tripartite sur l’emploi
a commencé dès le début des années 1990.
On observe en effet une prédominance croissante des questions
d’emploi dans le dialogue tripartite dans les pays concernés, au cours des
années 1990 et particulièrement à la fin des années 1990. Cela reflète une
diffusion large, dans ces pays, de l’emploi comme préoccupation sociale
majeure. Il faut ici rappeler que ce phénomène reste relativement récent,
comme le montre Erbès-Seguin, pour qui « La préoccupation de réglementer
un bien rare, l’emploi, n’a commencé à se faire réellement jour que dans
la décennie 1980 » (Erbès-Seguin 1994 : 20). Même si, à la fin des années
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TABLEAU 1
Dialogues tripartites sur l’emploi
TABLEAU 2
Négociations bipartites sur l’emploi
GRAPHIQUE 1
Formes de régulation de l’emploi
Forte présence de l’emploi dans les
négociations bipartites
Emploi objet de
négociations de Emploi
secteur et conjointement
régulé
l’emploi
Emploi objet de
Emploi régulé politiques
par le marché nationales
concertées
CONCLUSIONS
1. Cet article s’appuie sur les travaux menés de 1998 à 2000 par un groupe d’experts des
quinze pays de l’Union européenne à la demande de la Commission européenne :
D. Sadowski, S. Lindenthal, M. Schmitt, S. Vaudt et S. Vila, Universität Trier, Allemagne ;
Fr. Traxler, Universität Wien, Autriche ; E. Arcq, Centre de Recherche et d’Information
Socio-politique, Belgique ; J. Due, C. Jorgensen, Université de Copenhague, Danemark ;
R. de Alos, Universitat Autònoma de Barcelona et E. Roquero, Universidad Complutense
de Madrid, Espagne ; T. Kauppinen, European Foundation for the Improvement of Living
and Working Conditions, pour la Finlande ; J.-M. Plassard, Université de Sciences Sociales
de Toulouse, France ; A. Mouriki, National Center for Social Research, Grèce ; J. Geary
et E. Hannon, University College Dublin, Irlande ; Fr. Alacevich et L. Burroni, Università
degli Studi di Firenze, Italie ; Fr. Clément, CEPS-INSTEAD, Luxembourg ; J. Visser,
M. van der Meer et H. Benedictus, University of Amsterdam, Pays-Bas ; M. Pires de
Lima et R. Rego, Universidade de Lisboa, Portugal ; D. Marsden, London School of
Economics, Royaume-Uni ; D. Anxo, Göteborg University, Suède.
NÉGOCIATION COLLECTIVE ET RÉGULATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL 739
❚ BIBLIOGRAPHIE
SUMMARY