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REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
- Remerciements .... P 02
- Sommaire .... P 03
Le choix d'un tel sujet pour un DEA peut paraître farfelu, et pourtant jamais l'étude du monde
universitaire n'a été autant à la mode. Cette mode, nous la devons certainement à l'anniversaire du mai 68
étudiant. Les études sur les mouvements étudiants sont nombreuses. Ce sont surtout les associations générales
étudiantes (AGE) qui font l'objet de ces recherches. Ces associations ou AGE se sont regroupées en 1907 pour
fonder l'Union Nationale des Etudiants de France (UNEF). C'est à partir de ces associations que les syndicats
étudiants se sont constitués, et ce sont eux les véritables objets d'études de ces travaux universitaires. Pour notre
part, nous délaissons quelque peu ce domaine de recherche tout en restant dans le milieu estudiantin.
Le choix du sujet.
De nombreuses occasions de participer à la vie sociale, par l'intermédiaire d'associations, s'offrent aux
jeunes qui entreprennent des études universitaires. Elles sont nombreuses et permettent à l'étudiant de
rencontrer d'autres jeunes et d'acquérir de nouvelles expériences. S'il est un lieu privilégié pour ces expériences,
c'est bien l'association des étudiants de la discipline étudiée. C'est en participant à l'une de ces associations que
nous avons observé le retour du port de la faluche. Le port du béret étudiant revenait en force dans toutes les
villes universitaires et nous y avons vu le témoignage du retour du folklore estudiantin. La faluche fut l'objet
d'étude de notre mémoire de maîtrise d'Histoire. C'était alors un thème de recherche très novateur qui ne
bénéficiait d'aucun effet de mode. Il n'existait qu'un seul travail universitaire sur la faluche, une thèse de
doctorat de Médecine de Guy Daniel . Ce travail est très succinct et n'a pas la rigueur d'une recherche historique,
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mais il a le mérite d'identifier l'origine du béret des étudiants. Les faluchards se présentaient comme les
"gardiens de la tradition estudiantine" et leur béret était, à leur avis, le "folklore estudiantin". Lors de notre
étude nous avons rencontré d'autres formes de folklore estudiantin, plus anciennes et plus élaborées. C'est l'objet
du travail que nous présentons ici.
L'Ordre du Bitard (LST !) semble avoir marqué Poitiers. Ainsi, lorsque la Mairie de la ville de Poitiers
s'est dotée d'un site sur Internet, qui propose entre autre un résumé des mythes de la région, la légende du Bitard
(LST !) y est citée. Lors de la rentrée solennelle de l'Université de Poitiers du 30 septembre 1997, le service
communication a distribué un livret sur l'Université pictave qui contient une photo représentant des membres de
l'Ordre. Ce livret reprenait le discours que le président de l'Université avait tenu l'année précédente, le 8
novembre 1996, lors de l'ouverture officielle de l'année Descartes. Le président Alain Tranoy y présentait
l'Université de Poitiers et rappelait la biographie de René Descartes, particulièrement son passage à Poitiers en
tant qu'étudiant :
" Il est enfin un dernier domaine où nous allons d'ailleurs rejoindre Descartes,
domaine qui est aussi à nos yeux un enjeu vital mais dont nous ne mesurons pas
1G. DANIEL, La Faluche, Histoire, Décryptage et Analyse, Th. doctorat de Médecine (sous la dir. de André Fourrier), Lille, 1990,
96 f.
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toujours l'importance. Ce sont toutes les actions que les universités médiévales
englobaient sous le nom évocateur de peregrinatio academica, en d'autres termes les
relations internationales. La vocation internationale de l'Université de Poitiers
s'affirme dès les débuts de son histoire et Descartes pouvait côtoyer dans sa vie
étudiante poitevine, pendant ses cours ou à l'occasion des nombreuses fêtes
estudiantines dont la tradition se maintient grâce à l'ordre illustrissime du Bitard, Loué
soit-il, Descartes pouvait donc côtoyer des Italiens, des Ecossais, des Allemands: il y en
avait tellement en 1612 que l'on pouvait craindre, en les fréquentant, d'oublier le
français !"
Il nous est souvent arrivé de rencontrer des personnes qui apprenant le lieu de nos études, demandaient:
"est-ce que les étudiants chassent toujours le Bitard à Poitiers ?". Ces anciens étudiants de l'antique cité
pictone n'ont jamais appartenu à l'Ordre. Certains ont participé à une Chasse, mais ils ont tous gardé le souvenir
du folklore estudiantin de Poitiers. Il semble que ce soit cette marque indélébile qui fasse d'eux des anciens
étudiants de Poitiers. Il n'est pas un seul livre consacré à Poitiers qui n'accorde un chapitre à son Université et
qui ne mentionne l'Ordre du Bitard (LST !). Il faut en déduire que l'Ordre est une composante de l'identité
pictone et mérite pour cela notre attention. Pourtant, à ce jour, aucune étude sérieuse ne lui fut consacrée, il était
tant d'y remédier à l'aube du troisième millénaire.
Le cadre chronologique.
L'origine de l'Ordre du Bitard (LST !) remonte au début des années 1920. La date est longtemps restée
incertaine, mais nous pouvons retenir l'année 1923 comme sûre. C'est cette année là que la Chasse au Bitard eut
lieu pour la première fois. L'Ordre du Bitard (LST !) peut revendiquer soixante-quinze ans d'existence, puisqu'il
est toujours d'actualité. Toutefois, pour notre étude, nous serons amenés à dépasser le cadre de ces soixante-
quinze années. En effet l'Ordre est issu d'une association étudiante et il serait utile de s'intéresser à la naissance
des AGE à la fin du XIXème siècle. Nous nous arrêterons au début des années 1990. D'une part, parce que le
fonctionnement de l'Ordre et ses activités n'ont pas beaucoup changé. D'autre part, les membres de l'Ordre des
années 1990 sont encore pour la plupart actifs; il nous manquerait donc un minimum de recul nécessaire à notre
étude.
La première guerre mondiale marque un véritable tournant dans la vie universitaire et estudiantine. Elle
a pu être la réponse à deux générations estudiantines de remords.
Au lendemain de la guerre de 1870/1871, Ernest Lavisse, Gabriel Monod, Camille Jullian, Charles
Seignobos et d'autres historiens sont allés "compléter leur formation dans les centres de recherche et
d'enseignement au-delà du Rhin. Ils ont pensé que la victoire de l'Allemagne s'expliquait par la parfaite
organisation de ses institutions militaires, civiles, intellectuelles; qu'il convenait d'observer puis d'imiter ces
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réalisations exemplaires pour assurer le redressement de la France [...] ils ont pris modèle sur les
programmes, les méthodes et les structures des universités allemandes" . 2
Pour la France, si elle a perdu la guerre, c'est qu'elle n'a pas su faire de sa jeunesse une jeunesse patriote.
Alors, l'Histoire de France est réécrite; elle devient une suite de hauts faits militaires, de Vercingétorix à Jeanne
d'Arc. Et tout va être fait pour que les étudiants créent leurs associations. L'Université repensée organise des
fêtes universitaires où le président de la République Sadi Carnot fait ses apparitions, et à cette occasion, l'avenir
de la nation, la jeunesse estudiantine, est exhibée. A ces fêtes, des représentants étudiants se déplacent, et
Lavisse n'hésite pas à engager toutes les villes universitaires non encore munies d'AGE à les créer. Il arrive
même que les étudiants provoquent ces retrouvailles. Ainsi les 5, 6, 7 et 8 juin 1892, la Société Générale des
Etudiants de Nancy organise, parallèlement à des rencontres gymniques, des Grandes Fêtes universitaires
européennes. La première fête universitaire européenne à laquelle des étudiants français aient participé est celle
qui commémorait le VIIIème centenaire de l'Université de Bologne ( du 10 au 12 juin 1888 ). Des étudiants de
l'AGE de Paris en ont ramené le béret des étudiants bolonais. Ce béret prendra bien plus tard le nom de faluche
(galette en lillois). Les étudiants de Marseille présents eux aussi à Bologne y ont vu une pâle copie des tenues
allemandes, et refusèrent de l'adopter . En fait, les étudiants français devaient être les seuls étudiants à ne pas
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avoir de tenue universitaire, et ils ont adopté le béret des étudiants bolonais. Très rapidement le béret s'est
répandu à travers les AGE. A cet effet, il faut préciser les deux facteurs essentiels qui ont permis cette diffusion.
Le premier est l'action de Louis Liard, qui a poussé toutes les AGE (ce sont surtout des Sociétés Générales
d'Etudiants à l'époque) à adopter des attributs symbolisant leur appartenance à leur association. Le second
s'inscrit dans l'air de cette fin de siècle où l'apparence prend une place grandissante. La distinction sociale par le
vestimentaire devient malaisée à cette époque où le budget des français consacré aux vêtements s'accroît . Et 4
puis, c'est une époque où chaque corps de métier veut s'affirmer par un signe distinctif. Ainsi, à Montpellier,
c'est, après l'adoption de la faluche, une véritable frénésie qui s'empare des lycéens, clercs d'huissiers, garçons
coiffeurs qui adoptent à leur tour le béret . A Rennes, ce sont les lycéens qui s'approprient le béret, à la grande
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fureur des étudiants. A Paris, les artistes adoptent ce béret et plus particulièrement les peintres. C'est un
phénomène qui dépasse l'étudiant qui veut "parader" avec un couvre-chef. Toute la fin du XIXème siècle est
parsemée de tensions dont les étudiants français sont le centre. Ainsi à Nancy, en 1892, Peroux, président de la
SGEN, écrivit une lettre pour faire appel à des dons qui couvriraient les dépenses des fêtes universitaires
européennes et l'accueil des associations étudiantes, en précisant "allemandes exceptées" et rajoutant "pour
plaider la cause de cette Université alsacienne-lorraine, que nous voulons faire grande et forte, en face de
l'Université allemande de Strasbourg". Une indiscrétion de la presse française eut des répercussions
démesurées dans la Gazette de l'Allemagne du Nord, la Gazette de Cologne, la Gazette de Voss et la Post de
Strasbourg. Il était signalé que de telles manifestations, en présence du président de la république française, si
proches de la frontière, risquaient de "compromettre la paix européenne" . Les incidents de ce type ne manquent
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pas pour cette période de la fin du XIXème siècle. Et la Jeunesse universitaire du début du siècle est allée à la
guerre et en est revenue victorieuse. Tout le pompe, l'espoir et les investissements placés en elle depuis 1885 se
sont révélés fructueux. Après la première guerre mondiale, la jeunesse universitaire n'avait plus rien à prouver,
2 G. BOURDE, H. MARTIN, Les Ecoles Historiques, Paris, le Seuil, 1990, p. 195
3 E. LAVISSE, Etudes et étudiants, Paris, Armand Colin, 1890, p. 314
M. SEGURA, La faluche: une forme de sociabilité estudiantine, maîtrise d'Histoire contemporaine (sous la dir. de Nicole Pietri),
Poitiers, 1994, p 74.
4 J. VALETTE, A. WAHL, Les français et la France (1859-1899), Paris, Sedes, 1986, vol. 2, p. 93
5 Bulletin de l'Association Générale des Etudiants de Montpellier, mars 1889, n°15
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puisqu'elle, ou plus tard ses aînés, se sont montrés à la hauteur de ce que l'on attendait d'eux. La reconnaissance
de leurs concitoyens était acquise grâce à leur sacrifice.
Les AGE de l'entre deux guerres connaissent une période riche en activités. Les congrès de l'UNEF sont
des rendez-vous annuels de grande importance. C'est aussi l'occasion pour les étudiants de villes universitaires
différentes de lier des amitiés. Chaque AGE se dote d'un organe de presse et jamais la communication inter-
universitaire ne fut plus grande. Outre les comptes rendus des manifestations folkloriques, les revues
universitaires publiaient des poésies, des nouvelles dont les auteurs étaient des étudiants. La presse étudiante
publiait aussi les revues théâtrales estudiantines. Enfin les AGE et l'UNEF se cantonnaient, parfois avec peine,
dans une position apolitique . La seconde guerre mondiale met un terme aux activités étudiantes. A la libération,
7
syndicalisation de l'UNEF, minos, avaient une tendance politique dite "de gauche" . Les majos refusaient cette
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syndicalisation. La syndicalisation de l'UNEF remettait en question son "sacro-saint" apolitisme de l'entre deux
guerres. C'est pourquoi, en voulant tourner la page sur cet aspect de l'UNEF d'avant la seconde guerre mondiale,
il était logique d'en rejeter les symboles. La faluche était l'un d'eux, mais il y avait aussi la chanson paillarde, le
monôme, la fête en groupe, puisqu'avant la seconde guerre mondiale, l'époque "folklorique" de l'UNEF, ce
n'était que "beuveries". Et forcément, les minos les rejetant, les majos se sont d'autant plus accrochés aux
différentes traditions estudiantines. L'opposition majo/mino est très vite devenue une opposition droite/gauche,
puisqu'un étudiant qui ne militait pas à "gauche" était catalogué à "droite" . Si ce catalogage fut dans un premier
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temps grossier, il s'est très certainement vérifié par la suite, peut-être par le poids des étiquettes. Le folklore
estudiantin, à la fin des années 60 était de fait devenu le symbole des étudiants de "droite". Mais il existe des
exceptions à cette évolution. A Poitiers, l'AGEP a voulu faire coexister "l'esprit estudiantin" bien implanté avec
la nouvelle notion de "syndicalisme étudiant", car " [...] l'étudiant qui, traditionnellement au cours des siècles
6 XVIIIème congrès de sociétés de gymnastique, cartulaire des fêtes gymniques de juin 1892 à Nancy, non identifié, (collection
privée). Le troisième chapitre est consacré aux fêtes universitaires organisées par la société des étudiants de Nancy à l'occasion de ce
congrès.
7 La lecture de la presse étudiante permet de cerner de façon précise les activités des AGE, et, de façon plus générale, des étudiants
pour la période de l'entre deux guerres.
8 Entrer dans le détail de l'évolution de l'UNEF nécessiterait une étude à part entière et serait dans notre cas fastidieux, d'autant plus
que l'UNEF fait actuellement l'objet de nombreuses recherches qui modifient quelque peu la vision traditionnelle de son évolution.
Toutefois, une étude permettra d'appréhender l'histoire de l'UNEF: M. De la FOURNIERE, F. BORELLA, Le syndicalisme étudiant,
Paris, Seuil, 1957, 187 p.
9 L'inconvénient des termes "droite" "gauche", c'est qu'ils sont tellement génériques qu'ils ne rendent pas compte des différentes
tendances qu'ils regroupent. Ainsi, résumer mino = gauche et majo = droite, c'est nier l'existence d'étudiants de sensibilité de gauche
qui ne souhaitaient pas la syndicalisation de l'UNEF.
10 Des étudiants de la fin des années 50 et du début des années 60 à Poitiers, parlent de "fachos".
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derniers est allé de l'avant, a bouleversé par son enthousiasme toutes les conceptions périmées, a donné en
France le signal des révolutions" ne doit pas devenir " [...] plus bourgeois que le bourgeois dont il se gausse" . 11
L'intérêt du sujet.
L'étude des organisations étudiantes en est à ses débuts même si, comme nous l'avons vu plus haut, elle
bénéficie d'un effet de mode. Toutefois, nous pouvons décerner une réelle tendance reconsidérant les
organisations étudiantes et leur accordant une importance qui n'existait pas auparavant. On ne s'intéresse plus
seulement à l'histoire de l'enseignement, mais aux associations étudiantes, aux syndicats étudiants, à l'UNEF. La
création du GERME (groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants) au printemps 1995 est
symptomatique de cette tendance. Il se donne entre autre pour objet de "promouvoir la recherche sur les
mouvements et organisations d'étudiants et de jeunes à l'époque contemporaine" . C'est ainsi qu'à la lumière
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des travaux récents, le schéma traditionnel de l'histoire des organisations étudiantes apparaît erroné. Ainsi, le
travail que nous présentons contribue à ce nouveau regard de l'histoire universitaire. Mais, comme nous l'avons
déjà précisé, nous nous écartons quelque peu, de l'effet de mode du mai 68 étudiant. Il ne s'agit pas là de
rechercher dans les organisations étudiantes antérieures à la seconde guerre mondiale l'embryon des tendances
syndicales qui sont apparues après 1945.
De nombreuses parutions, dont les auteurs ont souvent été acteurs de l'évolution syndicale des AGE, ont
présenté un schéma ternaire de l'histoire des organisations étudiantes. La première période, nommée
"folklorique", s'étend de la naissance des AGE à la première guerre mondiale. La seconde, appelée
"corporatiste", correspond à l'entre deux guerres. La troisième et dernière période débute en 1946 et est qualifiée
de "syndicale" . Les deux premières périodes sont généralement considérées comme inutiles, stériles et résultant
13
11 Le Bitard sort, février 1949, a. 2, n°3 p 1. Le Bitard sort est le journal de l'AGEP qui a remplacé Scapin à partir de 1948.
12 "Les objectifs du GERME", Les cahiers du GERME, 1er trimestre 1997, n°2, p. 1, (collection personnelle).
13 Ce schéma ternaire est présenté pour la première fois dans: M. De la FOURNIERE, F. BORELLA, op. cit. Mais de nombreuses
autres études ont conservé ce schéma.
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faire la fête. L'Ordre du Bitard (LST !) est une de ces créations, mais il est surtout le seul qui ait survécu jusqu'à
nos jours, ce qui, à nos yeux, ne fait qu'accroître l'intérêt de cette étude.
La problématique.
Il faut nous arrêter maintenant sur l'énoncé de notre étude: Le folklore estudiantin poitevin: l'exemple de
l'Ordre du Bitard (loué soit-t'il !). Le terme folklore peut prêter à discussion. La polémique s'attacherait au
choix entre l'utilisation du terme "folklore" plutôt que "tradition". L'Ordre du Bitard (LST !) est une tradition
estudiantine puisque c'est un ensemble de légende et de coutumes qui se transmet sur une longue période. Il
appartient au folklore estudiantin poitevin. Mais, à l'heure actuelle, ce folklore serait pratiquement inexistant
sans lui. Toutefois nous ne pouvons affirmer que le folklore estudiantin poitevin est l'Ordre du Bitard (LST !)
parce qu'il n'en a pas toujours été ainsi et parce que ce folklore pourrait s'enrichir grâce à la renaissance de
certaines traditions disparues: les manifestations des écoles préparatoires, les revues théâtrales estudiantines,
etc. En revanche en étudiant l'Ordre, nous serons amenés à aborder l'ensemble des traditions qui constituent le
folklore estudiantin pictave.
Il existait de nombreux ordres étudiants en France, plus ou moins élaborés, mais à l'exception de l'Ordre
du Bitard (LST !), ils ont tous disparu. Certains se sont éteints avec le départ de leurs fondateurs. Ils n'avaient
sans doute pas la vocation de durer et correspondaient plutôt à un groupe d'amis qui s'amusaient à donner une
organisation à leur amitié. D'autres n'ont pu survivre par manque de succession. Il nous semble donc important
de comprendre pourquoi ce type de folklore estudiantin n'existe-t-il plus qu'à Poitiers. Pour ce faire, nous
articulerons notre travail autour de trois réflexions. Il s'agira, dans une première partie, de découvrir l'Ordre du
Vénéré Bitard (loué soit-t'il !) tel qu'il se présente aujourd'hui. En effet, il nous apparaît essentiel d'appréhender
l'Ordre actuel avant d'en étudier les origines, et par là même de mieux saisir ses évolutions. Nous serons amenés
à aborder la composition de l'Ordre, ses activités et son impact sur la population pictave. Dans une deuxième
partie, nous étudierons la genèse de l'Ordre du Bitard (LST !) et nous chercherons à comprendre comment il est
apparu à Poitiers. Nous diviserons cette deuxième partie en trois chapitres. Dans un premier chapitre, nous
étudierons l'apparition des associations étudiantes en France à la fin du XIXème siècle. Dans un second
chapitre, nous rechercherons si un fond de traditions estudiantines existait déjà à Poitiers pendant l'entre deux
guerres. En effet si c'était le cas, nous aurions des éclaircissements sur l'apparition de l'Ordre. Dans un troisième
chapitre, nous nous interrogerons sur le contexte universitaire pictave qui a favorisé l'émergence de l'Ordre.
Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous chercherons le secret de la longévité de l'Ordre. Nous
tenterons de comprendre pourquoi l'Ordre existe toujours à Poitiers et comment il a pu survivre tout au long de
ces années. Pour ce faire, nous étudierons, dans un premier temps, son évolution. Dans un second temps, nous
rechercherons les facteurs poitevins qui ont contribué à la continuité de l'Ordre. Enfin, dans un troisième temps,
nous étudierons les éléments intrinsèques de l'Ordre qui ont permis sa survie.
Ainsi nous pourrons mettre en évidence le rôle que ce type de folklore peut avoir dans une ville
universitaire. C'est évidemment ce rôle qui favorise le maintien des traditions estudiantines et c'est ce qui nous
permettra d'affirmer que ce type de folklore estudiantin n'est pas la manifestation d'occupations stériles et
obsolètes.
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GLOSSAIRE
Ce glossaire a pour but de définir les termes spécifiques à notre étude, rencontrés dans ce travail
de recherche. Il en permettra une meilleure lecture.
(loué soit-t'il !): - Lorsque le terme Bitard est attribué au dieu des étudiants de
Poitiers, il est systématiquement suivi de (loué soit-t'il !). Nous
trouvons aussi l'écriture simplifiée (LST !). L'expression entre
parenthèse apparaît juste après la seconde guerre mondiale. Le
souligné, ainsi que le sigle n'existent pas avant les années
1950.
Châsse: - Sarcophage ouvert sur lequel le Bitard (LST !) est posé. Elle
est portée par deux personnes. Elle ne sert pratiquement que
pendant la Semaine Estudiantine.
La Grande Quéquette: - C'est une tournée des bars, avec la fanfare les Chiures de
Mouche, organisée par l'Ordre pour présenter ses voeux de la
nouvelle année à la population poitevine. A cette occasion,
l'Ordre fait la quête dans les rues.
Revue Estudiantine: - Dans le cadre de notre étude, c'est une pièce de théâtre
organisée par les étudiants de l'AGEP.
- Les revues estudiantines sont aussi les organes de presse des
AGE. Elles atteignent leur apogée durant l'entre deux guerres.
CHRONOLOGIE
Cette chronologie permet une vision globale de la période d'étude et de la replacer dans un contexte plus large.
Reconnaissance du droit
d'association en France, sauf pour
1901 les congrégations religieuses.
5 septembre: libération de
Poitiers.
Le Grand Bitardier porte un 8 mai: fin de la seconde guerre
manteau bariolé en tenue mondiale.
1945 d'apparat. Début de la IVème République.
Création de la Fédération
Nationale des Etudiants de
1961 France. -FNEF-
Création de la Fédération
Générale des Etudiants de
1963 Poitiers (FGEP) et de la
Bazoche.
L'Ordre a, pour la première fois,
une fanfare. Elle disparaîtra en
1964 1970.
Boby Lapointe est intronisé dans Révolte universitaire de mai 68. La France est paralysée par les
l'Ordre. événements de mai 68.
1968
La fanfare réapparaît dans
l'Ordre sous le nom de La Horde.
1973 Elle changera souvent de nom.
550ième anniversaire de
l'Université de Poitiers.
1981
La fanfare de l'Ordre est recréée
et est baptisée Les Chiures de
1983 Mouches.
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A l'aide des différentes sources que nous avons, nous avons établi cette chronologie des Grands
Maistres et des Grands Bitardiers. Elle nous est très utile pour l'exploitation de nos sources, car grâce à elle,
nous pouvons plus facilement dater des documents qui ne le seraient pas.
1923/24 Brisset
1924/25 Nicouleau
1925/26 Ducorneau
1933/35
1935/36 A. Moreau
1936/37 G. Audebert
1937/38 G. Audebert
1938/39 B. Moreau
1939/40 Blanc
1944/45 L. Bourreau
1945/47 Tessier - Delage A. Baron - J. Menu
Agier - Boutemy J. Bouju
EXEMPLES DE SOURCES
Abréviations employées pour les lieux de consultation des sources: médiathèque de Poitiers (Méd. Poitiers),
archives départementales de la Vienne (A.D.V.), bibliothèque universitaire de Poitiers (B.U.P.).
EXEMPLE 2: Une lettre du Grand Maître de l'Ordre datée du 10 mars 1951 (B.U.P. AG5 - Chemise AG
Intérieure).
EXEMPLE 3: Une lettre du président de l'AG de Bordeaux datée du 14 avril 1951 (B.U.P. AG6 -
Chemise Anonyme).
EXEMPLE 4: Une lettre du président de l'AG de Liège datée du 17 avril 1951 (B.U.P. AG6 - Chemise
Anonyme).
EXEMPLE 5: Une lettre, datée du 6 juillet 1951, du Grand Maître de l'Ordre conviant à une réunion
(B.U.P. AG5 - Chemise Correspondance 50-51).
EXEMPLE 6: Une lettre de l'AGEP qui s'engage à rembourser la plaque d'une bonneterie (B.U.P. AG5 -
Chemise Correspondance 50-51).
EXEMPLE 7: Deux lettres de l'AGEP. Dans l'une, l'AGEP s'engage à réparer les dégâts causés par des
étudiants lors de la Chasse. Dans la seconde, l'AGEP s'adresse au "Sekh de Khâgne Pictave". (B.U.P. AG5 -
Chemise Correspondance).
EXEMPLE 8: Une lettre de deux pages de l'AGEP qui demande à la Ville de Poitiers l'autorisation du
"Monôme de présentation du Bitard (loué soit-il !) aux autorités" (B.U.P. AG5 - Chemise fêtes et loisirs).
EXEMPLE 9: Une lettre du président de l'AGEP demandant l'autorisation de faire la Chasse dans un
Champ à son propriétaire (B.U.P. AG5 - Chemise fêtes et loisirs).
EXEMPLE 10: Deux pages du livret de la revue théâtrale de 1951, la couverture et le programme de la
Semaine (B.U.P. AG3).
EXEMPLE 11: Un article de deux pages signé A. B.: "Qu'est-ce que le Zident ?", Scapin, 1947, n°spécial,
(A.D.V. 4°E 57).
EXEMPLE 12: Un article signé R. L., étudiant de l'U. de P.: "Les étudiants poitevins chassent le bitard",
La Grand'Goule, mars 1933, a. 4ème, n°27, p. 82 (Méd. Poitiers BP 814).
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Unique en France l'Ordre du Vénéré Bitard (loué soit-t'il !) est une particularité poitevine. Il nous
a semblé important de pouvoir répondre à la question « pourquoi ce type de folklore estudiantin n'existe-t-il plus
que dans la ville de Poitiers ? ». Pour comprendre cette situation, nous articulerons notre travail autour de trois
questions qui correspondent à notre problématique. Nous nous attacherons, dans une première partie, à
découvrir l'Ordre du Bitard (loué soit-t'il !) tel qu'il se présente de nos jours. Il conviendra, dans une deuxième
partie d'étudier sa genèse et de comprendre comment il est apparu à Poitiers. Enfin, dans une troisième et
dernière partie, nous chercherons le secret de sa longévité pour expliquer pourquoi ce folklore existe toujours à
Poitiers.
Il s'agit, dans cette première partie, de découvrir l'Ordre du Vénéré Bitard (loué soit-t'il !) tel qu'il
se présente aujourd'hui. En effet, il nous apparaît essentiel d'appréhender l'Ordre actuel avant d'en étudier ses
origines, et par là même de mieux saisir ses évolutions. Pour cela, nous articulerons notre travail sur trois
interrogations: la composition de l'Ordre, ses activités et son impact sur la population pictave.
B) Un ordre étudiant.
L'apparat joue énormément dans l'Ordre. Ce sont ces atouts (faluches, capes et grades) qui discernent les
membres de l'Ordre, les Bitards, des autres étudiants. Ils sont très élaborés et leur symbolique est complexe. Par
là, nous comprendrons le système hiérarchique qui gère l'Ordre. C'est aussi dans cette rubrique que nous
aborderons les aspects parodiques de l'Ordre. En effet, comme le disent les Bitards "L'Ordre est une parodie
d'Ordre".
C) Etude des membres de l'association.
14 L'hymne de l'Ordre apparait dans l'année universitaire 1952/53. Régulièrement chanté pendant la Semaine Estudiantine, il est
surtout chanté en début et fin de chaque réunion. Il s'adresse aux "escholiers" et les invite à être "gai car le Bitard est là".
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Dans cette rubrique, nous étudierons les membres de l'Ordre, en utilisant des questionnaires, afin de connaître
les études qu'ils poursuivent et à quels niveaux. Il sera aussi important de s'intéresser à leurs origines
géographiques des Bitards, car si elles sont éloignées de Poitiers, l'Ordre assumerait, d'une certaine manière, un
rôle d'intégration. Enfin, il semble fondamental de connaître les origines sociales des Bitards, et de savoir si
l'Ordre puise ses membres dans des milieux socioprofessionnels particuliers. Si la majorité des Bitards ne
provient pas des classes sociales favorisées, il sera impossible de présenter l'adhésion à l'Ordre comme une
occupation de dilettante ou un remède à l'oisiveté pour des étudiants à l'abri du besoin.
Nous devrons aussi nous intéresser au nombre des dignitaires actifs car ce nombre, toujours surestimé, pose
autant de problèmes aux Bitards quant au fonctionnement de l'association. En effet, cet Ordre est une
association de type loi 1901, et il est donc soumis à des règles.
Il sera aussi important d'étudier la fanfare des Bitards: les « Chiures de Mouches, émanation sonore de l'Ordre
du Vénéré Bitard (LST !) » et ses relations statutaires avec lui.
C) La Semaine Estudiantine.
C'est la plus importante manifestation de l'Ordre et très certainement celle qui lui est primordiale. Il est
d'ailleurs remarquable qu'elle soit connue sous le nom de "Semaine des Bitards". Ces bacchanales printanières
sont les derniers écarts des étudiants avant les dernières révisions pour les examens de fin d'année. Chaque jour
de la semaine est l'occasion d'une manifestation ou d'une commémoration traditionnelle. Elle demande une
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organisation précise et des moyens financiers à la hauteur. C'est à l'occasion de la Semaine que l'Ordre reprend
les traditions médiévales des étudiants pictaves, traditions relatées par Rabelais dans son Pantagruel. Cette
Semaine Estudiantine, où l'étudiant est roi, est unique en France et est aussi ancienne que l'Ordre. Les
documents ne manquent pas pour son étude.
A) L'Etudiant en fête.
Il existe une image d'Epinal de l'étudiant faisant la fête. Cette image n'est certainement pas fortuite. La fête joue
un rôle important dans la vie des étudiants. C'est dans cette rubrique que nous aborderons les aspects typiques
de la fête estudiantine, à savoir la relation à l'alcool, les chansons paillardes et la provocation avec les canulars.
C'est aussi là que nous chercherons à savoir si la fête a une fonction dans la vie étudiante et plus
particulièrement dans l'Ordre.
C) Aspects carnavalesques.
Nous pensons avoir repéré des relations, peut-être fortuites, entre la Semaine Estudiantine et les fêtes
carnavalesques, Malgouverne et la fête des fous. Nous les étudierons à travers les costumes, la musique, les
règles de la Semaine Estudiantine et la ripaille. Il sera extrêmement intéressant pour notre travail de faire des
parallèles entre le carnaval et les étudiants qui se travestissent pendant la Semaine, la liesse entre deux périodes
d'examens, Malgouverne et la prise du pouvoir, pendant la Semaine, par les Bitards, qui interrompent les cours
pour offrir l'apéritif aux professeurs et étudiants et qui rebaptisent Poitiers en Bitardbourg en apposant des
panneaux à l'entrée de la ville. Ces panneaux ne sont pas enlevés par les autorités municipales car ce sont les
étudiants qui sont rois pour une semaine: c'est le Monde à l'envers. Enfin, il y a aussi la notion de la fête des
fous, puisque le plus fou d'entre les étudiants deviendra le Grand Bitardier.
33
DEUXIÈME PARTIE : LE CARACTÈRE POITEVIN DE L'ORDRE.
Nous articulerons cette deuxième partie sur trois chapitres. Dans un premier, nous étudierons
l'apparition des associations étudiantes en France. Dans un second, nous rechercherons s'il y avait déjà un fond
de traditions estudiantines à Poitiers. Dans un troisième chapitre, nous nous interrogerons sur le contexte
universitaire pictave qui a favorisé l'émergence de l'Ordre.
A) Un contexte favorable.
Dans cette première rubrique, nous étudierons comment, à la fin du XIXème siècle, les associations étudiantes
ont pu naître et insuffler à la vie estudiantine un nouveau souffle, une énergie, qui ont été déterminants pour le
siècle qui a suivi.
C) La faluche.
Il conviendra, dans cette rubrique, d'étudier le béret des étudiants de France, la faluche, son apparition, ce qu'il a
représenté et son évolution. Nous tenterons de chercher à savoir si la faluche était un folklore bien implanté
dans la cité pictave, ce qui serait un indice de l'attachement des étudiants à une forme de tradition universitaire.
A) Les étudiants poitevins avant la renaissance des universités à la fin du XIXème siècle.
Etre étudiant à Poitiers, au début du siècle, c'était certainement se sentir le dépositaire d'une grande tradition
familiale, celle de l'histoire estudiantine pictave. Nous démontrerons que le regroupement des étudiants n'est pas
une idée de la fin du XIXème siècle et que les facéties estudiantines ont été nombreuses auparavant. Ces
facéties, ces chahuts estudiantins, ont traversé les époques et leurs histoires sont devenues, pour les étudiants du
début du XXème siècle, de vraies légendes qui ont certainement contribué à l'émergence d'une tradition
estudiantine pictave.
34
B) Le mythe de Rabelais.
Il méritait, dans notre étude, une rubrique à part. Rabelais est très certainement, de toutes les personnes ayant
vécu à Poitiers, l'une des plus célèbres. Et dans ses écrits, la cité pictave a eu la part belle. Il n'a très
certainement jamais été étudiant (escholier) à Poitiers, mais il en a très bien connu la vie universitaire. Et il a su
s'inspirer de son pittoresque pour enrichir son Pantagruel.
Rabelais est depuis longtemps considéré comme "le maître de tous les étudiants". Il conviendra, dans cette
partie d'approfondir l'héritage culturel que Rabelais a pu "léguer" aux étudiants de Poitiers et dont l'Ordre s'est
fait le protecteur.
l'Ordre. Nous avons discerné trois périodes clés. Nous utiliserons donc un découpage chronologique. Toutefois,
nous avons consacré une quatrième rubrique à la Semaine Estudiantine et à son évolution.
force dans la cité pictave alors qu'il s'imposait dans toutes les autres villes universitaires ?
B) La Semaine Estudiantine.
En nous intéressant à la manifestation principale de l'Ordre, son véritable but et la raison principale de son
existence, nous pourrons mettre en évidence son importance et ses fonctions tant dans la vie universitaire que
16 La faluche a toujours été portée par les membres de l'Ordre et leurs sympathisants.
37
dans celle de la ville de Poitiers. Nous pourrons peut-être ainsi faire le lien avec les manifestations urbaines du
XVIème et du XVIIème siècle où certaines villes forgeaient leur identité à travers les fêtes.
C) Exutoires et créativités.
Nous chercherons, dans cette troisième et dernière rubrique, à savoir comment les Bitards évitent la monotonie
de la répétition de ce qui a été déjà fait. Il faudra prendre en compte les canulars et les thèmes titres choisis pour
chaque Semaine Estudiantine Il faudra aussi s'intéresser aux possibilités qu'offre la fanfare. les autres fanfares
étudiantes sont pour la majorité issues des écoles de Beaux Arts. Travestissements et mises en scène
accompagnent leurs prestations.
38
EXEMPLES DE DEVELOPPEMENTS
Roger Jozereau est par excellence "l'ami des étudiants". Cet homme de Lettres était dévoué à sa région et
fut l'un de ses plus fervents promoteurs. Nous allons dresser sous cette rubrique, à l'aide de nos sources, sa
biographie sommaire à travers ses différentes implications dans la vie culturelle pictave, puis dans un deuxième
temps nous aborderons son oeuvre littéraire.
possibilité de faire des études poussées. Il collabora très vite à la Revue du Tourisme. Parallèlement, il participa
à la revue Poitiers Universitaire qui publia nombre de ses poésies. Dès 1901, il fut membre de l'Association
Générale des Etudiants de Poitiers (AGEP) . Par la suite, il devint rédacteur à L'avenir de la Vienne. C'est à ce
18
poste qu'il se fit remarquer par Gabriel Morain, alors maire de Poitiers, et que ce dernier le nomma
bibliothécaire adjoint à la bibliothèque municipale. Nombre de fiches de l'actuel fond ancien de la médiathèque
de Poitiers ont été faites de sa main. Et c'est certainement grâce à ce poste qu'il a pu annoter certains documents
archivés dont nous nous servons. Ainsi il avait à disposition tous les documents historiques qu'il pouvait
souhaiter. Il abandonna ces responsabilités pour devenir directeur du bureau universitaire des statistiques
(BUS). Nous ne connaissons pas exactement la date de ce changement professionnel. Toutefois, nous trouvons
dans les archives de l'AGEP postérieures à la seconde guerre mondiale, des correspondances avec le BUS,
adressées à Roger Jozereau . Il semblerait que Roger Jozereau ait appartenu à la Franc-maçonnerie , mais il est
19 20
sûr qu'il était de confession protestante. Il quitta le BUS en 1947. Il était certainement très heureux dans cette
fonction où il contactait l'AGEP pour prévenir les étudiants de l'éminence de concours administratifs. Et puis il
devait se sentir chez lui dans son bureau où une fresque représentant Pantagruel à la Pierre Levée ornait les
17 Il n'existe pas de biographie de Roger Jozereau, aussi nous avons trouvé la plupart des informations qui suivent dans trois articles
de presse conservés dans les archives de l'Ordre. Il s'agit de trois articles de tailles différentes, non datés et non identifiés, dans la sous-
chemise SEMAINE 71/72 de la chemise 1971-1972 du CARTON 1969-1972. Nous trouvons des informations complémentaires dans
Anthologie des poètes poitevins, sous la dir. de Roger Jozereau président de l'Orientine, Poitiers, édition de Le Diable dans le Beffroi,
1928, pp. 61-65.
18 P. Bouhier, maîtrise, L'évolution de la sociabilité et des formes de solidarités étudiantes vers et à travers l'Association Générale
des Etudiants de Poitiers créée en 1889 jusqu'à la seconde guerre mondiale, sous la dir. de Nicole Piétri, Poitiers, 1996, p. 74.
19 Chemise BUS du CARTON AG5 des archives de l'AGEP.
20 P. Bouhier, op. cit. p. 177.
39
murs . Il décéda à quatre vingt dix ans et fut inhumé au cimetière de Chilvert. Des dignitaires de l'Ordre se
21
rendirent à ses obsèques et s'inclinèrent devant son cercueil pour rendre un dernier hommage à celui qui avait
tant fait pour eux. Finalement, sa vie professionnelle ne l'éloigna jamais des étudiants, et si ceux-ci lui ont
donné le titre "d'ami des étudiants" , lui, leur accorda toujours son aide et son amitié.
22
La boulimie culturelle et la plume de Roger Jozereau trouvèrent d'autres moyens d'expression. En 1926,
il fonda pour les écrivains et les artistes locaux la Société de l'Orientine, dont les salons annuels eurent une
renommée nationale. Parallèlement il fut président du Gay-Sçavoir, association qui proposait régulièrement des
conférences à l'Hôtel de ville. Celles-ci, sous des aspects rigoureux, ne manquaient pas d'humour. De même, il
participa au Chat noir poitevin, une association d'étudiants qui aimaient se réunir au Cul de Paille, un bar
restaurant, pour y faire la fête, et écrire des chansons et des pièces de théâtre. En 1929, Roger Jozereau créa une
revue régionale qui restera certainement comme sa plus grande réalisation. Cette revue c'est La Grand'Goule.
Son nom est emprunté au monstre poitevin dont une représentation est conservée au musée Sainte Croix de
Poitiers. La Grand'Goule serait l'incarnation du paganisme vaincu par Saint Hilaire. Mais il existe d'autres
légendes où Sainte Radegonde aurait terrassé le monstre qui se cachait dans les souterrains de la ville et qui
s'attaquait aux jeunes filles. L'effigie de la Grand'Goule était sortie pour les rogations poitevines appelées
Rouzons et qui se déroulaient sur trois jours, lundi, mardi, mercredi, précédant l'Ascension . La Grand'Goule 24
était surnommée la "bounne sainte veurmine". La revue reste la référence culturelle de l'entre deux guerres.
Tout d'abord mensuelle, elle devint très vite trimestrielle. Elle publiait de nombreux contes, chansons et
poésies. Mais elle publiait aussi des reproductions de tableaux et des articles historiques. Enfin, nous y trouvons
de nombreux comptes rendus des associations sportives (vol à voile) et des différentes manifestations locales.
La renommée de cette revue a dépassé les frontières du Poitou et celles de la France. De nombreux poitevins
"expatriés" pouvaient, grâce à cette revue régionale, conserver un lien avec leur pays d'origine, et parfois même
y faire publier un article. La proportion des articles des universitaires de Poitiers est très importante. Il est
évident que les professeurs de la faculté représentaient la vie culturelle et intellectuelle de la cité pictone, à tort
que lui-même n'avait pu faire des études supérieures qu'il fut si proche des étudiants. Il n'est pas impossible, non
plus, qu'il ait conservé d'eux l'image de l'élite de la jeunesse, qui était donnée aux étudiants de la fin du
XIXème. Nous pouvons en tenir pour preuve le nombre d'articles les concernant que nous trouvons dans La
Grand'Goule. En effet, lorsque ces derniers n'avaient à disposition un organe de presse, ils trouvaient toujours
dans la revue régionale la possibilité de publier des articles. Mais Roger Jozereau leur offrit encore plus, il leur
fit don d'un folklore. Ce folklore, les étudiants se l'accaparèrent très vite, et ils le nourrirent, l'agrémentèrent.
C'est en 1923 que Roger Jozereau publia le conte de La chasse au bitard. Le bitard est une coquecigrue qui
devint l'emblème des étudiants pictaves. En 1925, il enrichit le conte d'une pièce de théâtre, Rabelais revient, et
donna tous les profits de la pièce à Minerva, la revue de l'AGEP. Nous reviendrons plus en détail sur ces deux
œuvres majeures pour notre étude, mais il posait là les premières pierres de ce qui allait donner naissance au
folklore estudiantin le plus original de France : l'Ordre du Bitard (LST !).
"[Pantagruel] De faict vint à Poictiers pour estudier, et proffita beaucoup; auquel lieu
voyant que les escholiers estoyent aulcunes foys de loysir et ne sçavoient à quoy passer
temps, il en eut compassion; et, un jour, print d'un grand rochier qu'on nomme
Passelourdin une grosse roche ayant environ de douze toizes en quarré et d'espaisseur
quatorze pans, et la mist sur quatre pilliers au milieu d'un champ, bien à son ayse, affin
que lesdictz escoliers, quand ilz ne sçauroyent aultre chose faire, passassent le temps à
monter sur ladicte pierre et là banqueter à force flacons, jambons et pastez, et escripre
leurs noms dessus avec un cousteau, et, de présent, l'appelle-on la Pierre levée." 26
Le parallèle est osé, mais comment ne pas penser à Pantagruel lorsque nous faisons le bilan de l'œuvre
de Roger Jozereau ? Les étudiants de Poitiers avaient très certainement l'occasion de se divertir. Mais ces
occasions étaient rares et nécessitaient des dépenses que les pauvres moyens des étudiants ne pouvaient
satisfaire. Et si l'AGEP regroupait les étudiants sous sa bannière, celle-ci n'avait pas d'identité originale. Roger
Jozereau, en offrant le Bitard à l'AGEP, lui fit cadeau d'une mascotte, d'un emblème, d'un panache auquel les
étudiants se rallièrent. Dorénavant, le Bitard ornera la bannière de l'AGEP et symbolisera les étudiants de
Poitiers. Pantagruel fit don de la Pierre levée, Roger Jozereau fit don de la Chasse au Bitard.
25P. Ory, J. F. Sirinelli, Les intellectuels en France, de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1986, pp. 78-79.
26F. Rabelais, Oeuvres complètes, établi, annoté et préfacé par Guy Demerson, texte latin établi, annoté et trad. par Geneviève
Demerson, [1973], Tours, Editions du Seuil, l'Intégrale/Seuil, 1991, p. 232.
41
Chapitre 7 - "Le Bitard à travers les âges".
Nous avons emprunté ce titre à un article de Pierre Souty paru dans Le Courrier de la Vienne le 28 avril
1923. Nous retracerons dans ce chapitre de l'histoire du Bitard et de l'Ordre qui lui fut consacré.
Cette rubrique sera la continuité directe du C) du chapitre 6. Il conviendra ici d'étudier l'histoire et
l'évolution du Bitard et du folklore estudiantin pictave jusqu'en 1936. Nous articulerons cette rubrique en trois
points. Dans un premier, nous étudierons la première Chasse au Bitard, véritable coup d'envoi d'une tradition
qui s'est maintenue jusqu'à nos jours. Dans un second point, nous nous attacherons à l'engouement qui s'est
développé autour du Bitard. Enfin, dans un troisième et dernier point, nous aborderons la mise en place du
folklore du Bitard de 1923 à 1936, avant que n'apparaisse réellement l'Ordre du Bitard.
succède à la Grande Guerre est bien différent. Nous notons un net déclin des activités folkloriques dans le
milieu étudiant. Comme nous l'avons démontré dans une étude précédente , les étudiants portaient peu la
28
faluche et ceux qui l'arboraient en avaient oublié l'origine. Ainsi le béret étudiant, qui ne datait somme toute que
de 1888, était considéré comme le couvre chef des étudiants du Moyen Age. Et s'il était peu porté dans les
années 1920 à Toulouse, les étudiants soutenaient qu'il était sur toutes les têtes étudiantes "avant la guerre" . 29
Est-ce que la chasse était réellement pratiquée avant la guerre ? Cela nous semble peu probable. En effet, elle
n'est pas annoncée, en 1923, comme le retour de la chasse au Bitard. En la faisant remonter avant la guerre,
Roger Jozereau l'inscrit dans le fond des traditions estudiantines qui avaient disparu et coupe court à toute
discussion sur la légitimité de la Chasse. Il se présente comme la mémoire des étudiants et non comme un
écrivain qui impose ses créations aux étudiants. La chasse au Bitard ou au dahut a certainement déjà été
27 P. Ory, J. F. Sirinelli, op. cit. pp. 62-63.
28 M. Segura, maîtrise, La faluche, une forme de sociabilité estudiantine, sous la dir. de Nicole Piétri, Poitiers, 1994, 196 p.
29 M. Segura, op. cit. p. 82.
42
pratiquée, mais occasionnellement comme dans toutes les régions de France et sous sa forme originelle, celle
d'un mauvais tour que l'on fait pour berner une personne naïve. Roger Jozereau propose un récapitulatif de
différentes étymologies du nom "Bitard", il cite Rabelais, Du Cange et Pline l'ancien. L'animal semble ainsi
provenir du fond des âges et nous trouvons aussi l'inévitable référence de Rabelais qui, il est vrai, mentionne le
Bitard lorsque Carpalim va chasser :
Comme l'écrit Roger Jozereau "le nom est plaisant", et il allie le sérieux à la grivoiserie. Celui qui
chasse le Bitard, le bitardier, est la victime de ses comparses, et dans ce conte, il se nomme Jehan. Le choix du
prénom n'est pas anodin. Roger Jozereau puise là encore dans les traditions médiévales. En effet, Jehan est,
dans les contes populaires, proverbes et sotties du Moyen Age, le nom du sot, de "l'esservelé" , il est, pour
31
Roger Jozereau, le bizuth. Au conte, Roger Jozereau a ajouté une Chanson du Bitard qui est écrite en parler
poitevin et qui se chante sur l'air de "Il court, il court le furet".
L'aspect du Bitard est particulier. Dans les traditions rurales, le dahut est une coquecigrue, c'est à dire un
amalgame anatomique de plusieurs animaux. Nous avons trouvé un exemplaire du conte annoté par Roger
Jozereau, et il a écrit "J'ai donné au bitard sa forme et ses mœurs. La tradition le représentait sous aucun
aspect particulier, pour cette bonne raison qu'elle ne le représentait pas du tout !". Toutefois nous ne pouvons
ne pas remarquer une ressemblance entre la Grand'Goule et le Bitard. En fait la ressemblance peut s'étendre à
l'ensemble des représentations médiévales de dragons. La ville de Poitiers avait son monstre, à partir de 1923,
l'Université de Poitiers a le sien.
Le conte de la Chasse fut accueilli avec enthousiasme par les étudiants et surtout par l'Association
Générale des Etudiants de Poitiers (AGEP). Celle-ci venait juste de sortir d'une crise entre ses adhérents, et était
Il organisa, avec le concours de Roger Jozereau, la mise en scène de ce conte, puisque la Chasse se pratiquait
avant la guerre. Le Bitard avait été matérialisé par un fourreur des ateliers Peignon. Il resta longtemps exposé
dans la vitrine. Un portrait photographique en fut fait et il fut publié en carte postale (Annexe 2). Son aspect
33
bitardiers partaient à la recherche du Bitard, et l'un d'eux jouait le rôle du garde champêtre. Si le bitardier
chanceux parvenait à ramener le Bitard sans se faire arrêter par le garde champêtre, il recevait deux cents francs
(200 fr.), dans le cas contraire, le bitardier chanceux et le garde champêtre se partageaient la somme qui était
offerte par le comité de la foire exposition de Poitiers. La Chasse se déroula à Naintré sur la commune de Saint
Benoît, dans des bois mis à disposition par le propriétaire, monsieur Gauvin, maire de Saint Benoît, le jeudi 17
mai 1923. Pierre Brisset, étudiant en P.C.N., découvrit le Bitard et se fit attraper par le garde champêtre
occasionnel. Les étudiants se replièrent au café de Naintré pour pique-niquer. Ils rentrèrent au parc de Blossac,
lieu de la foire exposition de Poitiers, pour rendre le Bitard au stand Peignon, et pour la remise des prix au
bitardier vainqueur et au garde champêtre vigilant. Avant de s'en aller, les étudiants parcoururent les stands
d'exposition en monôme, et prirent la décision de recommencer chaque année la Chasse. Les étudiants
regrettèrent deux choses, que la pluie ait été présente par deux fois pendant la Chasse et que Roger Jozereau ne
put assister à la première Chasse. Et il est remarquable que dans les articles de presses rapportant la Chasse et
signés par des étudiants de l'AGEP, il soit annoncé comme "l'instigateur de la Chasse" et le "fidèle
conservateur des vieilles Traditions estudiantines".
Dès le début de l'année 1924, de nombreux articles de presse rapportent le conte de la Chasse et annoncent la
prochaine vénerie estudiantine. A cette occasion une appellation pseudo-scientifique, mais humoristique, fut
donnée au Bitard: Bitardus Paradoxus. La Chasse eut lieu le dimanche 24 février 1924. Les comptes rendus
donnés dans la presse nous informent que l'AGEP s'était déjà approprié le conte de Roger Jozereau et y avait
apporté quelques modifications. Le bitardier qui découvrait le Bitard était désormais nommé Grand Bitardier et
recevait une écharpe bleue. Les commerçants pictaves, cette fois encore, contribuèrent à la réussite de la
manifestation des étudiants. Avant de commencer la Chasse, l'AGEP remit une gerbe au monument aux morts
Roger Jozereau publia La Chasse au Bitard, chanson poitevine. Cette chanson sur l'air de Tu verras
Montmartre fut interprétée avec un succès populaire par Max Ela dont le nom de scène était Salafoumal. Le
refrain était "joyeusement repris par toute la salle" . De nombreux articles rapportèrent le conte et des résumés
37
de la Chasse. Ces articles parurent dans des journaux d'autres régions et contribuèrent à la notoriété du Bitard
au-delà des frontières du Poitou : L'indépendant du Berry, L'Université , La France. Un distillateur de
38
Châtellerault, monsieur Lafoy, commercialisa un apéritif à base de vins blancs et d'écorce de quinquina sous le
nom de Le Bitard. L'étiquette présentait une image du Bitard et un texte en vers signé Roger Jozereau . La 39
profession de ce dernier permit des effets de suspens dans la presse locale. Ainsi, avant la foire exposition de
1924, la presse annonçait "On prendra des Bitards à Blossac, pendant la foire.", "Un curieux procès en
perspective, un Bitard a été pris à Châtellerault. On dit même que c'est par le Sous-Préfet !!! Le Président de
l'Association des Etudiants va poursuivre.", "Une catastrophe épouvantable. Vendredi soir vers 17 heures, il y
eut à Blossac une véritable panique. Une foule évaluée à dix mille personnes environ entourait le stand 91 ;
chacun voulait prendre un Bitard." . Roger Jozereau nous raconte dans un texte manuscrit la naissance de cet
40
apéritif . A Châtellerault, le 31 mars 1924, l'AGEP donne une représentation de sa revue. Dans l'après-midi, elle
41
visita la distillerie de monsieur Lafoy qui leur offrit un apéritif. Il leur apprit qu'il avait déposé la marque Le
Bitard et que ce nom était donné à un nouvel apéritif à base de quinquina et qu'il a prévu de leur envoyer une
caisse de cette boisson. L'AGEP promit alors d'aller déguster Le Bitard à Blossac pendant la foire exposition de
Poitiers. Comme nous l'avons vu, la presse locale s'est fait l'écho de la dégustation. Il faut voir dans cette
36 Nous trouvons dans le même cahier toutes les informations qui suivent.
37 Ibidem.
38 C'était la revue de l'Union des Etudiants de France (UN ou UNEF).
39 Le cahier précédemment cité comporte un exemplaire de l'étiquette.
40 Ces articles ne sont pas identifiés, toutefois il ne fait aucun doute qu'ils soient l'oeuvre de Roger Jozereau. Ils se trouvent eux aussi
dans le cahier.
41 Là encore, le texte est dans le cahier La Chasse au Bitard.
45
démarche un effet publicitaire du distillateur. Le choix du nom et le geste envers les étudiants procèdent
certainement d'une stratégie de vente. Et le distillateur, grâce à ses choix, a pu s'adjoindre l'aide de Roger
Jozereau. Il faut en déduire que la notoriété de la vénerie étudiante et l'engouement qu'elle suscitait étaient tels
qu'ils suffisaient à faire vendre un produit. Il faut aussi très certainement en déduire que Roger Jozereau avait
acquis une popularité importante et qu'il était une personnalité incontournable de la vie poitevine.
3 - Un folklore estudiantin.
Comme nous l'avons vu, dès la deuxième année, la Chasse était présentée comme une tradition
estudiantine. Le Bitard existait bel et bien grâce à la complicité d'un fourreur. Tout était en place pour que les
étudiants mettent en place un folklore particulier lié au Bitard.
La manifestation suit un rite. En effet nous trouvons toujours les mêmes éléments. Il y a parfois des
changements quant à leur ordre, mais les éléments restent les mêmes. La remise d'une gerbe au monument aux
morts de la Grande guerre est un passage obligatoire. C'est alors commun à toutes les associations étudiantes de
France. Les étudiants de l'entre deux guerres, même si la plupart de leurs manifestations étaient festives, ont
toujours rendu hommages aux morts de la première guerre, ce qui, somme toute, semble normal puisqu'ils
avaient à déplorer nombre d'étudiants parmi les victimes. Evidemment, lorsque les étudiants viennent déposer
une gerbe sur le monument funéraire, les officiels de la commune et des représentants des anciens combattants
se doivent d'être présents. C'est la partie la plus solennelle de la manifestation étudiante. Un autre élément est
celui du banquet. Il est offert aux étudiants. Les premières Chasses, c'est la mairie de Saint Benoît, commune où
se déroule la Chasse, qui offrait le banquet. Le maire, des représentants du comité des fêtes de Poitiers et Roger
Jozereau y assistaient. Par la suite, le banquet fut offert par des anciens étudiants, notables de la commune où
avait lieu la Chasse. Ce lieu a souvent changé, même s'il n'a jamais dépassé le secteur Sud, Sud-Ouest de
Poitiers, entre Saint Benoît et Béruges. Si le dépôt de gerbe est l'hommage patriotique des étudiants à ceux qui
ont combattu pour la France, le banquet est l'hommage des notables à la jeunesse intellectuelle. Il y avait ensuite
la Chasse proprement dite. Parfois celle-ci a précédé le banquet. L'étudiant qui avait découvert le Bitard devait
essayer de regagner le point de rendez-vous sans être intercepté par le Garde Champêtre. Mais quand bien
même, il était sacré Grand Bitardier . Les étudiants se regroupaient dans un café et vidaient quelques bouteilles
42
en entonnant des chants paillards. Le retour à Poitiers était un moment très fort, et donnait lieu à la formation
d'un monôme. Lors de la deuxième Chasse, le monôme a lancé des "Chic au ...!" pour les maisons Vannier et
Peignon.
L'apparat est un élément de ce folklore. Il en est la démonstration physique et contribue à l'enraciner. A
l'instar de l'ensemble des étudiants de France, les membres de l'AGEP arboraient la faluche. Toutefois, au début
des années 1920, le port du béret étudiant n'était pas aussi général "qu'avant la guerre". Mais il semble que
Poitiers ait conservé cette tradition. Nous tenons pour preuve le témoignage, en 1924, d'étudiants rennais qui 43
décrivent les membres de l'AGEP avec le béret au quotidien, et qui affirment que "là bas [à Poitiers], on ne l'a
pas lâché !". La faluche était bien évidemment portée pendant la Chasse et les monômes. L'étudiant qui
incarnait le Garde Champêtre était affublé d'un bicorne et d'une écharpe en traversière. Même si c'était la tenue
quotidienne des gardes champêtres, il ne fait aucun doute que l'officier d'un jour était déguisé et que ses
42 LA PREMIÈRE CHASSE, Photo de la première chasse au Bitard, dédicacée à Roger Jozereau. Nous la présentons dans l'Annexe 2.
Nous pouvons y voir les bitardiers assemblés devant le président de l'AGEP. Le Grand Bitardier tient le Bitard et derrière lui, nous
apercevons le "garde champêtre" en tenue. (Médiathèque de Poitiers, Carton Poit. in 8° Jozereau, La Chasse au Bitard ).
43 "Les Etudiants d'Histoire de Rennes à l'A de Poitiers", L'A, 26 juin 1924, n° 13, (A.D.I.V.), p. 3. L'A est l'organe de presse de l'AGE
de Rennes.
46
attributs témoignaient, pour l'ensemble de la population universitaire, de sa fonction dans la manifestation
estudiantine. Dès la deuxième édition de la Chasse, le Grand Bitardier se voyait remettre l'écharpe de son titre.
Nous avons trouvé une description de cette écharpe . Elle était bleue et comportait une broderie représentant le
44
Bitard. Cette écharpe, lorsque le Grand Bitardier ne la portait pas, était exposée dans le local de l'AGEP et était
la fierté des étudiants pictaves. A tel point que les étudiants rennais, que nous avons déjà mentionnés, l'ont
confondue avec le Bitard lui même. Cela nous permet de supposer que l'incarnation du Bitard n'était pas la
propriété de l'AGEP. Il semble en effet que les ateliers Peignon l'ont conservée dans les premiers temps.
Faluches, bicorne, écharpes, les étudiants pictaves se constituaient une physionomie bien particulière. Dans sa
revue Rabelais revient, Roger Jozereau fait entrer sur scène le Grand Bitardier et son "Etat-Major" constitué de
"sept officiers" et ceux-ci sont tout de suite reconnus par les autres acteurs en tant que tels. Il est donc possible
45
qu'ils avaient eux aussi une marque de distinction. Mais nous n'avons aucune précision sur celle-ci.
D'emblée, il apparaît des personnages clés, parmi les étudiants dans cette manifestation. Bien
évidemment le président de l'AGEP était le chef d'orchestre de la vie estudiantine et dirigeait la Chasse. Il nous
semble logique que ce soit lui qui désignait le Garde Champêtre, même si nous n'avons trouvé aucune preuve
étayant cette hypothèse. En effet, l'étudiant qui portait le bicorne avait plus de chances que les autres de
percevoir une partie de la prime, il fallait donc une "autorité" pour le désigner. C'est le premier, faluches mises à
part, qui ait bénéficié d'une tenue d'apparat. Et lors de la première Chasse, c'est lui qui était à l'honneur dans le
cortège qui s'est formé au retour de la Chasse au parc de Blossac. Peut-être est-ce parce qu'il avait réussi à
alpaguer le braconnier ? De plus, le procès verbal qu'il prononçait était repris dans la presse locale. Ce discours,
qui s'inspirait du conte de Roger Jozereau, était une parodie et citait des lois fictives. C'était là un humour qui
devait être particulièrement bien perçu par une population étudiante en majorité inscrite en faculté de Droit. Le
titre de Grand Bitardier n'apparaît que la seconde année. Pourtant, cette fois là encore, il fut attrapé par le Garde
Champêtre. Cela correspond avec l'apparition de son écharpe. C'est lui qui gardait le Bitard lors du retour à
Poitiers et pendant le monôme qui se formait. Le couple Grand Bitardier - Garde Champêtre était mis à
l'honneur. Ainsi dans un numéro de la revue Minerva , à l'occasion d'un article annonçant la Chasse, un encart
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rappelait les précédants couples et citait leurs noms. Ces titres devaient donc revêtir un caractère honorifique
important. Si Roger Jozereau a mis en scène l'Etat-Major du Grand Bitardier, composé de sept "officiers", c'est
que celui-ci était certainement reconnu comme important par le reste des étudiants. Il nous faut nous arrêter ici
sur ce point. Il faut, tout d'abord, souligner le nombre de ces officiers. Il est symbolique et revêt une grande
importance dans l'histoire de l'Ordre. Nous le retrouverons dans les chapitres qui suivent . Enfin, cet Etat- 47
Major, petit groupe au sein de l'AGEP, peut être considéré comme l'embryon de l'Ordre. Ils sont directement
liés au Bitard et au Grand Bitardier et se définissent par rapport à eux. Dans la pièce de théâtre, ils sont
présentés comme les étudiants les plus chahuteurs et le Grand Bitardier semble bien être ce que l'on nomme
dans le Poitou une "bounne goule" et une "goule de petiâ" . D'ailleurs un personnage de la pièce s'adresse à eux
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" Je vous salue. Vous êtes beaux fils. Soyez bien vus et chéris de Poictiers. Aimez
liesse et esbatement. Riez, combien que vous dussiez en rendre l'âme. Buvez ! C'est le
conseil très précieux de mon compain Rabelais, médecin et bon gaultier. Videz les pots,
et prudents soyez avec les dames, car de mal ardent brûle le coeur dans le corps." 49
Réelle ou fausse, Roger Jozereau donne de cet Etat-Major l'image des escholiers du Moyen-Age.
Toutefois, nous ne trouvons aucune autre mention de l'Etat-Major. Seuls le Grand Bitardier et le Garde
Champêtre apparaissent dans la presse estudiantine poitevine. Quoi qu'il en soit, le monde étudiant pictave,
avec sa structure (l'AGEP), ses figures mythiques et son Bitard, devint une composante importante de la ville de
Poitiers.
La Chasse au Bitard se poursuivit les années suivantes. Comme nous l'avons signalé, elle avait acquis
une certaine notoriété nationale dans le monde estudiantin, à travers des articles de presse et certainement un
bouche à oreilles qui a dû fonctionner pendant les congrès étudiants. Mais c'est surtout parce que Robert Bigot,
alors président de l'AGEP, était devenu membre du bureau de l'UNEF en 1925, que la Chasse fut connue par
tous les étudiants de France. En 1926, le quinzième congrès national de l'UNEF se tint à Poitiers, et la Chasse
fut organisée pour sa clôture . Malheureusement la revue de l'AGEP, Minerva, ne rend pas compte de ce
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congrès et de la Chasse puisqu'elle cesse de paraître en janvier 1926. Nous trouvons des indications sur ce qui
s'est passé à la Chasse de 1926 dans des documents postérieurs . Des étudiants qui représentaient l'AGE de Lille
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ont, semble-t-il, subtilisé le Bitard et l'ont ramené chez eux comme trophée. Les trophées étaient une pratique
courante à l'époque. Ainsi nombre de plaques de rues ont disparu dans le sillage des manifestations
estudiantines, et le jeu le plus répandu consistait à dérober les plaques de médecins ou pharmaciens et de les
renvoyer à leurs propriétaires poste restante. Ce ne fut pas le cas du Bitard et les étudiants poitevins restèrent
orphelins de nombreuses années. L'AGEP était préoccupée par d'autres problèmes. En effet, elle devait faire
face à des problèmes économiques impartis aux dépenses occasionnées par l'organisation du congrès de 1926 et
vivait des luttes intestines qui paralysèrent ses activités . La Chasse disparaît donc avec le Bitard.
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Il faut attendre 1933 pour retrouver des mentions de la Chasse. Les manifestations du demi-millénaire de
l'Université de Poitiers semblent avoir réveillé les étudiants pictaves de leur torpeur folklorique. Les fêtes
d'anniversaires d'Université furent nombreuses à la fin du XIXème siècle et les étudiants étaient mis à l'honneur.
Elles restèrent dans la mémoire collective comme des moments forts de l'histoire des étudiants. Celle de Poitiers
eut lieu en 1933, et l'on comprend que les étudiants d'alors ne voulaient passer à côté de cet événement. C'était
l'occasion de renouer avec le prestige "d'avant la guerre" et de prouver que les étudiants étaient encore une
composante importante de la vie pictave. L'AGEP se dota d'un nouvel organe de presse, Scapin, qui commenca
à paraître à partir de janvier 1933. Dans le quatrième numéro, l'AGEP annonce la "remise à l'honneur du port
de la faluche" . Dans un autre article, la "568ème" Chasse est annoncée pour le dimanche 7 mai . L'article est
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49 R. Jozereau, Rabelais revient, revue locale en deux actes, op. cit., p. 14.
50 P. Bouhier, op. cit., p. 81.
51 "Le Bitard est rentré solennellement dans notre ville", La Grand'Goule, mars-mai 1936, a. 7ème, n°40, (Méd. Poitiers BP 814), p.
16.
G. Audebert, Le fils du maître d'école, Histoire d'un Tourangeau d'une guerre à l'autre, dessins de Mose, 2e éd., Maulévrier en Anjou,
Hérault Editions, 1988, (A.D.V. in 8° 1125), pp. 165-166.
52 P. Bouhier, op. cit., pp. 81-82.
53 Scapin, avril 1933, a. 1ère, n° 4, p. 15.
54 Idem, p. 6.
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signé du président de la Chasse. Il semble bien que l'AGEP ait structuré la reprise de ses activités folkloriques,
en planifiant une reconquête des traditions estudiantines. Il est donc fort peu probable qu'il y ait eu une Chasse
les années précédentes. Après six années d'interruptions, la Chasse avait changé d'aspect. Dans le même article,
nous trouvons le programme de la Chasse de 1933. Le départ était prévu à 12h30 de la place d'Armes de
Poitiers. Le début de la Chasse était programmé à 14h30. A 18h, l'AGEP organisait un apéritif et le banquet
était fixé à 19h. La Chasse devait donc durer trois heures et demi. Mais nous remarquons que les deux heures
prévues pour le transport sont bien généreuses. Nous imaginons mal les étudiants patienter au moins cinq
heures avec pour seule occupation la recherche du Bitard. D'autant plus qu'il n'y en avait pas ! En effet il est
certain que le Bitard ne revint à Poitiers qu'en 1936 . Et pourtant tout laisse à croire qu'il y avait bel et bien un
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Bitard à Poitiers. Chaque année un Grand Bitardier était désigné, et dans Scapin de mars-avril 1934, un article
atteste que le Bitard a été trouvé par un étudiant. S'agirait-il d'une confusion avec l'écharpe bleue du Grand
Bitardier comme cela s'était déjà produit avec des étudiants rennais en 1924 ? C'est possible, mais la réalité est
plus certainement ailleurs. Pour cela, revenons au retour de la vénerie étudiante en 1933. L'article annonçant la
Chasse dans le numéro d'avril 1933 de Scapin est intitulé "Bitardus Alcoolicus". C'est un clin d'oeil au nom
scientifique "Bitardus Paradoxus" qui fut attribué au Bitard. Mais c'est aussi l'annonce d'un changement
d'aspect. La Chasse devenait plus festive et moins solennelle. D'ailleurs, aucune commémoration aux morts
n'était prévue dans le programme. Il ne faut pas en conclure que l'AGEP ne déposait plus de gerbes
commémoratives aux monuments aux morts, mais ces recueillements trouvaient d'autres occasions pour
s'exprimer et étaient définitivement dissociés de la Chasse. L'explication la plus nette, nous la trouvons dans un
article écrit par un étudiant et publié la même année dans La Grand'Goule :
" Cette année, la fameuse Chasse au bitard a eu lieu dans les bois de Ligugé, par
un temps pluvieux qui n'encouragea guère les chasseurs. Ils en furent réduits aux
libations.
A vrai dire, la découverte de l'animal, le retour triomphal du «grand bitardier»
ne sont jamais l'essentiel d'une telle journée. La manifestation estudiantine est toujours
dirigée vers un autre but qui est plus en rapport avec le culte de Dyonisos qu'avec celui
de Nemrod. Le premier n'est pas moins classique que le second et si les «bourgeois»
s'en indignaient, ils pourraient relire avec profit certaines pages de l'histoire grecque.
Donc, le plus mémorable fut certainement l'heure de l'apéritif et le temps du
banquet, sous la double présidence de messieurs le docteur et le pharmacien de Ligugé.
Au dessert, le Dr Brunet nous conta la genèse du bitard, d'après Buffon et Fabre...
...Pauvres voyageurs somnolents du train qui ramena les chasseurs de bitard !" 56
Le ton de l'article est assez agressif. Il semblerait qu'il soit la réponse à des critiques qui auraient pu être
faites à l'encontre de la tournure que prit la Chasse. Il est paradoxal puisqu'il rejette en bloc la Chasse en elle
même et le titre de Grand Bitardier, pour n'en retenir que les libations, mais il qualifie les étudiants de
"chasseurs de bitard". Le Scapin de novembre 1933 publie le rapport moral et le bilan financier sur l'activité de
(675 fr.) en cotisations et qu'elle nécessita huit cent cinquante trois francs et vingt-cinq centimes (853.25 fr.) de
dépenses. Elle fut donc déficitaire. La cotisation est logique, nous comprenons aisément que l'AGEP n'ait pas
voulu organiser une fête gratuite, qui aurait attirée trop de personnes, qui, sans s'investir dans les différentes
activités de l'association, auraient profité du travail des autres. Que la Chasse soit déficitaire prouve qu'elle
n'avait pas pour objectif de rapporter de l'argent, mais bien de fournir l'occasion à l'AGEP de se retrouver dans
une fête à moindre coût. Y a-t-il eut un Grand Bitardier cette année là ? Rien ne le prouve, mais nous pouvons
le supposer. La Chasse de 1934 nous est contée dans un numéro de Scapin . Elle eut lieu au début du mois de
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mai, et nous y apprenons la nomination d'un Grand Bitardier. En revanche, nous ne possédons aucune
information sur la Chasse de 1935. Mais il nous semble fort peu probable qu'elle n'eut pas lieu. L'AGEP
retrouvait la dynamique qu'elle avait perdue les années précédentes et le folklore reprenait une place importante
dans la vie estudiantine pictave. Ce folklore prit une ampleur unique en France dès l'année 1936, et seule une
guerre mondiale pouvait l'interrompre.
Après les six années d'interruption, la Chasse revenait métamorphosée. Cette pause allait permettre aux
étudiants de se l'approprier totalement et de lui donner l'aspect qu'ils souhaitaient. De 1933 à 1935, tout le
pompeux de la manifestation avait disparu, pour laisser se développer un rite plus festif et certainement plus
vinesque. Le Bitard, en quittant Poitiers, avait mué de Bitardus Paradoxus en Bitardus Alcoolicus. Le rite ne
revêtait plus la même importance. Si seul le retour du Bitard à Poitiers pouvait faire revivre le côté officiel de la
Chasse, celui-ci ne pouvait plus se passer du festif.
57 R. Larrounet, "Rapport Moral sur l'activité de l'Association pendant l'année 1932-1933", Scapin, novembre 1933, a. 1ère, n° 8, pp.
7-10.
58 "Chasse au Bitard", Scapin, mars-avril 1934, a. 2ème, n° 11, p. 46. Cet article est signé Bi-Mi.
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Annexes
Annexe 1
LA CHASSE AU BITARD
Ce conte de Roger Jozereau est paru en 1923.
Annexe 2
LA PREMIÈRE CHASSE
Photo de la première chasse au Bitard, dédicacée à Roger Jozereau. Nous pouvons y voir les bitardiers
assemblés devant le président de l'AGEP. Le Grand Bitardier tient le Bitard et derrière lui, nous apercevons le
"garde champêtre" en tenue. Médiathèque de Poitiers, Carton Poit. in 8° Jozereau, La Chasse au Bitard.