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OEUVRES COMPLETES
DE

SAINT AUGUSTIN

TOME DOUZIÈME
Celte traduction est la propriété des Editeurs^ qui se réservent tous leurs droits. Toute contrel'açon

ou reproduction, quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente, sera poursuivie rigoureuse-

ment , conformément aux lois.

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ŒUVRES COMPLETES
DE

SAINT AUGUSTIN
TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS

SOUS LA DIRECTION DE M. RAULX


Doyen de Vanconleurs.

TOME DOUZIEME

TRAITÉS de MORALE. — ŒUVRES DOGMATIQUES : De la Trinité.

BAR-LE-DUC, L. GUÉRIN et C% EDITEURS

1868
\
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,

ŒUVRES

DE SAINT AUGUSTIN.

TRAITÉS DE MORALE.

MANUEL
ou

Traité cle la Foi, de l'Espérance et d.e la Oliarité.

CHAPITRE PREMIER. CHAPITRE II.

L AUTECR DEFINIT LA VERITABLE SAGESSE ET LA LA SAGESSE DE l'hOMME EST TOUT ENTIÈRE


SOUHAITE A LAURENTIUS. DANS LA PIÉTÉ.

1. Je ne saurais exprimer, mon très-cher fils La sagesse de l'homme, c'est la piété. Ce


Laurentius, la joie que m'inspire ta science principe est établi dans le livre de Job, où tu
éclairée et le désir que j'éprouve de te voir au peux lire cet oracle de la sagesse elle-même :

nombre des sages, non de ceux dont il est dit: « La piété, voilà la sagesse' ». Si tu me de-

« Où est lesage? où est le scribe? où est le mandes le sens qu'il faut attacher ici au mot
« subtil discoureur du siècle présent ? Dieu n'a- de piété, tu le trouveras nettement expliqué
« t-il pas convaincu de folie toute la sagesse du dans le terme grec, ôêcajêEia, c'est-a-dire, culte
« monde ? » mais de ceux dont il a été écrit:
^
dû à Dieu. La langue grecque désigne aussi
« La multitude des sages est le salut de l'uni- la piété par le mot euoiSeia, culte légitime ;

« vers ^ » et que l'Apôtre donne pour modèles


, moins spécial, ce terme est toutefois consacré
aux chrétiens à qui il adresse ces paroles «Je : ordinairement à désigner le culte religieux.
« veux que vous soyez sages dans le bien, sim- Mais comme le premier terme emporte avec
« pies dans le mal ^ ». Mais de même qu'on ne lui la définition de la chose, il n'en est pas de
peut se donner l'existence, de même on ne peut plus propice pour fixer le caractère essentiel
tirer la sagessede son propre fond il faut ; de la sagesse. Peux-tu souhaiter une précision
pour l'acquérir, être éclairé par celui dont il a plus grande, toi qui veux que je te présente
été écrit « Toute sagesse vient de Dieu * ».
: les plus grandes vérités en raccourci ? Ou bien

» I Cor. I, 20. — • Sag. vi, 26. — » Rom. xvi, 19. — ' Eccli. i, l. ' Job, xxvin, 28.

S. AuG. — Tome XII.

J
MANUEL

ne demandes-tu pas qu'on t'explique ce terme CHAPITRE V.


et qu'on enseigne en peu de mots comment il
RÉPONSE A LA TROISIÈME ET A LA QUATRIÈME
faut honorer Dieu ?
QUESTION.

CHAPITRE III.
L'esprit, une fois pénétré des principes de
la foi agissant î)ar l'amour, s'efforce, par une
ON HONORE DIEU PAR LA FOI, l'ESPÉRANCE
vie pure, d'arriver à la contemplation où doit
ET LA CHARITÉ.
se révéler aux cœurs saints et parfaits l'inef-
Si je te réponds qu'on doit honorer Dieu par fable beauté dont la vue compose la félicité
la foi, l'espérance et la charité, tu vas m' accu- souveraine. Voilà le principe, voilà le terme
ser de pousser trop loin la précision, et me de la perfection : elle commence par la foi,

demander une explication succincte sur ces elle s'achève vue de Dieu. Voilà aussi
par la

trois points, savoir que faut-il croire, espérer,


: l'abrégé du christianisme. Quantau fondement
aimer? Ce travail sera une réponse complète véritable et éternel de la foi catholique, c'est
aux questions que tu m'as posées dans ta lettre. Jésus-Chiistlui-mème «Personne, dit l'Apô- :

Si tu en as gardé une copie, tu peux les relire : « tre ne peut poser d'autre fondement que
,

en tout cas, je vais te les rappeler. « celui qui a été établi et qui n'est autre que
« Jésus-Christ M). Et qu'on n'aille pas dire que
CHAPITRE IV. ce fondement n'est pas essentiel à la foi catho-
lique parce qu'il semble servir de point com-
QUESTIONS POSÉES PAR LAURENTIUS.
RÉPONSE d' AUGUSTIN.
mun entre nous et certains hérétiques. Car,
si examine attentivement l'ensemble des
l'on
Tu que je compose pour
désires, m'écris-tu, vérités enseignées par Jésus-Christ,on s'aper-
toi ce qu'on nomme un manuel un manuel , çoit que Jésus-Christ n'appartient que de nom
qui puisse l'accompagner partout, et où soient à certains hérétiques qui prétendent au titre
traitées les questions suivantes : «1 "Que faut-il de chrétiens, et qu'en réalité il ne préside
« croire que faut-il tenir pour suspect, surtout
? point au miheu d'eux. La démonstration de
« dans le conflit des hérésies? 2° Jusqu'à quel cette vérité m'entraînerait trop loin : il fau-
« point la raison peut-elle devenir l'auxiliaire de en revue toutes les hérésies
drait en effet passer
« la foi, et quelle est son insuffisance dans les anciennes, actuelles ou même possibles, et
« mystères que la foi seule révèle ? 3° Où corn- faire voir, en les analysant, qu'elles ne sont
et mence, où finit en nous la perfection ? Quel chrétiennes que de nom. Or, cette discussion
« est l'abrégé de la doctrine chrétienne? 4° Quel exigerait une suite de volumes, ou plutôt elle
« est le fondement véritable et indestructible paraît inépuisable.
« de la foi catholique ? » Tu sauras tout ce qu'il
CHAPITRE VI.
faut savoir sur ces points essentiels, quand tu
sauras exactement ce qu'il faut croire, espérer, DE LA MATIÈRE QUE PEUT CONTENIR UN MANUEL.
aimer. Voilà principalement, ou plutôt voilà
tout ce qu'il faut embrasser dans la religion. Au contraire, tu n'attends de moi « qu'un
Celui qui combat ces principes ou ne porte pas « manuel et non de gros livres capables de
le nom du Christ ou n'est qu'un hérétique. «remplir les rayons d'une bibliothèque».
L'emploi du raisonnement n'est légitime qu'au- Pour en revenir donc aux trois points qui
tant que les vérités sont du ressort de l'expé- constituent le culte dû à Dieu, la foi, l'espé-

rience des sens ou tombent sous les prises de rance, la charité, il est aisé d'enseigner ce

notre intelligence. Quant aux choses qui ne qu'il faut croire , ce qu'il faut espérer , ce
relèvent pas de l'espérance ou qui dépassent de réfuter les sophis-
qu'il faut aimer. S'agit-il
et ont toujours dépassé la portée de l'esprit mes de ceux qui combattent nos principes? —
humain, il faut s'en rapporter sans hésitation Une telle œuvre exige une science profonde,
au témoignage des auteurs qui ont composé étendue et, pour l'acquérir, il ne suffit pas
;

justement appelées divines


les Ecritures, si : d'un manuel, il faut l'enthousiasme d'un cœur
car leur sens ou leur esprit ont reçu de Dieu embrasé de zèle.

une énergie assez puissante pour saisir ces


vérités surnaturelles ou les voir d'avance. « I Cor. iii, 11.

z
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 3

CHAPITRE VIL selon eux, l'auteur a pris espérer dans le sens


de craindre *. La foi peut donc s'attacher au
LE SYMBOLE ET l'ORAISON DOMINICALE RENFER-
bien comme au mal car on peut croire, sans :

MENT LA FOI, l'espérance, LA CHARITÉ.


que au bien et au mal. La foi
la foi soit viciée,
2. Voici le Symbole et l'Oraison Dominicale : peut aussi avoir pour objet le passé, le présent
qu'y a-t-il de plus court à lire ou à entendre, de et l'avenir. Par exemple, nous croyons que

plus facile à graver dans la mémoire ? Comme Jésus-Christ est ressuscité, c'est un fait passé ;

le genre humain était accablé sous le poids de qu'il est assis à la droite de son Père, c'est
la misère qu'avait entraînée le péché, et avait un fait actuel ;
qu'il viendra juger tous les
besoin de la miséricorde divine, un prophète, hommes, c'est un fait à venir. La foi s'étend
annonçant le règne delà grâce, disait « Qui- : de plus aux intérêts d'autrui comme aux
« conque invoquera le nom du Seigneur sera nôtres. En
nous croyons que non-seule-
effet,

« sauvé ». De là l'origine de la prière. En


* ment notre existence, mais encore celle des
outre, l'Apôtre, après avoir cité le témoignage autres hommes et du monde, loin d'être éter-
du prophète, et pour attirer les yeux sur la nelle, a eu un commencement : nous croyons
grâce, ajoute aussitôt « Comment invoque- : une foule de mystères qui ont trait à nos sem-
« ront-ils celui en qui ilsnecroientpas- ?» De blables et même aux anges. Quant à l'espé-
là l'origine du Symbole. Tu découvres dans rance, elle a pour objet le bien, l'avenir; elle
l'Oraison dominicale et le Symbole les trois est de plus un sentiment tout personnel. La
vertus fondamentales C'est la foi qui croit, : foi et l'espérance, ayant un caractère distinctif,
c'est l'espérance et la charité qui prient : et doivent donc être désignées par un terme spé-
comme celles-ci ne peuvent exister sans celle- cial. Cependant ces deux vertus ont un trait
là, la foi prie également; c'est en ce sens qu'il commun elles s'attachent toutes deux à un
:

a été dit : « Comment invoqueront-ils Celui en objet invisible. Voilà pourquoi dans l'Epître
« qui ils ne croient pas? » aux Hébreux, dont le témoignage a été invoqué

par les Apologistes les plus illustres, la foi est


CHAPITRE VIII.
définie : « la croyance aux choses qu'on ne voit
«pas " ». Sans doute quand une personne
EXPLICATION GÉNÉRALE DE LA FOI DE L'ESPÉ-
,
prétend s'en rapporter, ou si l'on veut, don-
RANCE , DE LA CHARITÉ : DE LEUR UNION INDIS-
ner son adhésion, non à l'autorité des pa-
SOLUBLE.
roles, du témoignage d'autrui ou du raisonne-
Mais peut-on espérer ce qu'on ne croit pas? ment, mais à l'évidence même qui s'attache à
Toutefois il est des choses qu'on croit sans les la déposition de ses yeux, elle n'énonce pas
espérer. Car quel est le chrétien qui ne croit une opinion tellement insensée qu'on ait le
pas au châtiment éternel réservé aux impies? droit de la reprendre, de blâmer ses préten-
S'ensuit-il que l'on s'attende à ce supplice? tions et de lui dire Tu as vu, donc tu n'as :

Non on ; a beau croire qu'il est suspendu sur pas cru; ce qui pourrait faire conclure qu'il
sa tête, et en détourner sa pensée avec horreur, y a contradiction à dire qu'une chose peut
on ne l'espère pas, on le craint. Un poète a être crue sans tomber sous les regards. iMais
nettement distingué ces deux sentiments : la foi achez nous un sens mieux défini nous :

appelons ainsi la croyance que fait naître en


Laissez à la crainte un rayon d'espérance.
(Luc, Ph. iiv. II, V, 13.) nous le témoignage des divines Ecritures et
qui s'attache par conséquent à un objet invi-
Un autre poète, malgré la supériorité de sible. L'Apôtre a dit également de l'espérance :
son génie, n"a pas employé l'expression propre « L'espérance que l'on voit n'est plus l'espé-
dans ce vers :
« rance ; peut-on espérer ce que l'on voit ? Si

Si je puis espe'rer une telle douleur.


(Enéid., Iiv. v, 419.) Sperare, comme en grec £À-iÇ££v, signifie prévoir le bien ou le
mal. Saint Augustin le sait fort bien , il n'a pas oublié les commen-
taires grammaticaux des vieux poètes. Mais il veut définir nette-
Aussi quelques grammairiens ont-ils cité ment l'objet propre de l'espérance, c'est-à-dire le bonheur, il lui faut
un terme technique, et si Lucain le lui fournit, il le prend dans Lu-
ce vers comme un exemple d'impropriété :
cain. C'est une preuve entre mille que l'analyse philosophique a été
une cause plus active peut-être que la barbarie, de la décomposition
du latin et le véritable berceau des idiomes modernes.
'
Joël, n, 23. — ' Rom. x, 14. Hébr. XI, 1.

6(3
ru 77
MANUEL

« nous espérons ce que nous ne voyons pas, la bonté du Dieu véritable et unique qui les a
« nous l'attendons avec patience ». Donc, en ^ tirées du néant que tout l'être est en lui ou
;

ayant foi clans les biens à venir, nous ne fai- vient de lui, que ce Dieu est en trois personnes,
sons que les espérer. Que dire de l'amour ? le Père, le Fils engendré du Père, le Saint-
Sans lui la foi est inutile et quant à l'espé- ;
Esprit procédant de l'un et de l'autre, unique
rance, elle en est inséparable. Enfin, comme et même Esprit du Père et du Fils.

dit l'apôtre Jacques , « les démons croient et


«tremblent - ». Mais, malgré la foi, ils ne CHAPITRE X.
peuvent ni aimer ni espérer; ou plutôt ils re-
doutent de voir se réaliser ce que la foi nous DE l'origine du MAL.
apprend à aimer et à espérer. Aussi l'Apôtre
Paul approuve-t-il et exalte-t-il « la foi agis- Créé par la Trinité, en qui le bien réside
« sant par Famour ' » et, à ce titre, indissolu- dans sa plénitude et son immuable perfection,
blement unie à l'espérance. En un mot, l'amour le monde ne reproduit point cette bonté sou-

suppose l'espérance, comme l'espérance sup- veraine , indéfectible , immuable ; toutefois


pose l'amour, et ces deux sentiments sont in- chaque chose a degré du bien qui lui est le

séparables de la foi. propre tout est bon ' et de l'accord des parties
:

entre elles naît un ensemble de merveilleuse


beauté.
CHAPITRE IX.
CHAPITRE XL
EXPOSITION DES PRINCIPES UE LA FOI , DANS
l'ordre MÊME DU SYMBOLE. SCIENCE NÉCESSAIRE POURQUOI DIEU permet-il LE MAL ? LE MAL
AU CHRÉTIEN. n'est que la NÉGATION DU BIEN.

3. Demande-t-on ce qu'il faut croire en Le mal a sa place naturelle et légitime


matière de religion? 11 serait bien inutile de dans la création il fait ressortir, par le con-
:

chercher à pénétrer les secrets de la nature traste, le prix du bien et lui communique un
à l'exemple des physiciens \ pour parler comme nouvel attrait. En eil'et, le Dieu tout-puissant
les Grecs. Les propriétés et le nombre des élé- auquel les païens eux-mêmes attribuent « un
ments ; les mouvements réguliers des corps « empire souverain sur la nature ^ », n'aurait

célestes et leurs éclipses; la structure de l'uni- jamais permis dans sa bonté infinie que le mal
vers ; les espèces et l'organisation des animaux; se mêlât à son ouvrage s'il n'avait été assez ,

la formation des plantes, des pierres, des bon et assez puissant pour tirer le bien du
sources, des fleuves, des montagnes ; les divi- mal même. Et qu'est-ce que le mal, sinon la
sions de l'espace et du temps ; les pronostics négation du bien ?Dans le corps les maladies,
de la température, et mille autres phéno- les blessures sont un défaut de santé et cela :

mènes dont les savants ont découvert ou se est si vrai, que les remèdes ont pour effet

flattent d'avoir découvert les lois ; autant de non d'expulser ces désordres de l'organisme
questions que le chrétien doit se résoudre afin qu'ils aillent subsister ailleurs, mais de
sans peine à ne pas savoir à fond : car, ces les y détruire absolument ; les blessures, les

savants eux-mêmes, quels qu'aient été la maladies ne sont pas des substances ; elles ne
supériorité de leur génie, le feu de leur sont que des altérations de la chair or la chair :

enthousiasme, l'étendue de leurs travaux, étant une substance, est par là même un bien ;
n'ont pu tout découvrir en recourant soit aux mais c'est un bien que peut modifier la ma-
hypothèses soit à l'expérience des siècles
, ladie, c'est-à-dire, le défaut du bien qu'on

passés et, dans les inventions dont ils se font


; appelle la santé. de l'âme : Il en est de même
un titre de gloire, il y a plus de probabilité que quels que ne sont tous
soient ses vices, ils
de science véritable. Il suffit à un chrétien de qu'une privation des biens qu'elle tient de sa
savoir que les choses créées, célestes ou terres- nature s'en guérit-elle ? ils ne vont pas se
;

tres, visibles ou invisibles, n'ont qu'une cause, réfugier ailleurs ils disparaissent au sein de :

la santé avec laquelle ils sont incompatibles.


* Rom. vin, 24, 25. — '
Jacob, il, 1. — ' Gai. v, 6. — ' Physicus
en grec, ce terme correspond à notre mot naturaliste dans toute son
acception. » Gen. I, 31. — ' Virg. Enéid. x, 100.

z
DE LA FOI , DE L'ESPERANCE ET DE LA CHARITÉ.

CHAPITRE XIT. CHAPITRE XHI.

TOnS LES ÊTRES CRÉÉS SONT BONS l'iMPERFEC- ; POINT DE MAL SANS BIEN.
TION DE LEUR NATURE LES ASSUJÉTIT A LA COR-
RUPTION. Il donc conclure qu'il n'y a point de
faut
mal sans bien. Le bien, sans aucun mélange
4. Tous les êtres clant l'ouvrage de la bonté de mal, est le bien absolu uni au mal, c'est :

infinie, nécessairement bons


sont mais : un bien corrompu ou corruptible; mais le mal
comme ils ne peuvent posséder la bonté sou- ne saurait exister dans l'absence totale du bien.
veraine et immuable de leur Créateur, le bien De là une conséquence qui paraît étrange :

en eux est susceptible de diminuer ou de Toute substance étant essentiellement un bien,


s'accroître. Or, tout affaiblissement du bien prétendre qu'une substance corrompue est
est un mal : toutefois, quelle que soit cette mauvaise, c'est dire au fond qu'un bien est
dégradation , nécessairement
elle suppose un mal, et qu'il n'y a de mal que le bien ;

une substance qui serve comme de support à car, toute substance est un bien et, pour être
l'être, pour peu qu'il soit réel et effectif. Ima- mauvaise, une chose doit être. Le mal, pour
ginez un être aussi limité, aussi imparfait exister, suppose donc un bien et, quoique ;

qu'ilvous plaira la bonté qui compose son


: cette vérité ait l'air d'un paradoxe, le raison-
essence ne saurait être anéantie sans qu'il nement nous l'impose comme la conséquence
ne soit anéanti lui-même. Si un être que la invincible d'un principe nécessaire. Faudra-
corruption n'a point atteint est digne de notre t-il donc voir tomber sur nos tètes cet arrêt
admiration, celui que son essence même rend prononcé par le prophète a Malheur à ceux :

absolument incorruptible, lui est sans contre- « qui disent que le bien est mal et que le mal
dit supérieur. Mais quand une substance se « est bien que les ténèbres sont la lumière,
;

corrompt, cette corruption entraînant la perte « et que la lumière est les ténèbres; que la dou-
de quelque bien, devient par là même un mal : ceceur est pleine d'amertume et l'amertume
car si elle n'entraînait la perte d'aucun bien, « pleine de douceur ». Il est vrai que le Sei-
'

elle ne lui serait pas nuisible ; or, elle lui est gneur a dit « Le méchant tire de mauvaises
:

nuisible ; elle lui fait donc perdre quelque « choses d'un mauvais trésor ' ». Or, l'homme
bien. Ainsi, tant qu'une substance va en se étant une substance, un homme mauvais
corrompant, elle conserve un bien dont elle n'est-il pas une mauvaise substance ? D'autre
est insensiblement dépouillée par conséquent, ;
part, si l'homme, par cela seul qu'il est une
s'il lui restait un degré de bonté que la cor- un être excellent, le méchant
substance, est
ruption ne pourrait atteindre, elle deviendrait n'cst-il un mal excellent ? Cette difficulté
pas
essentiellement incorruptible, et elle aurait tombe devant un examen plus attentif. Le
acquis ce bienimmense par l'effet même delà mal, chez le méchant, n'est pas inhérent à la
corruption. Ne cesse-t-elle au contraire de nature humaine, ni le bien, à l'iniquité : on
se corrompre ? elle garde nécessairement un est bon parce qu'on est homme, on est mau-
bien susceptible d'être détruit par la corrup- vais, parce qu'on commet l'iniquité. Si donc
tion. Si elle pouvait êlre détruite tout entière on prétend que c'est un mal d'exister, un bien
et dans son fond, tout vestige de bien s'effa- d'être méchant, on encourt l'anathème du
cerait par cela seul qu'elle ne serait plus rien. prophète « Malheur à ceux qui disent que le
:

La corruption ne peut donc anéantir le bien « bien est un mal et que le mal est un bien ».

qu'en réduisant la substance elle-même au Car on blâme ainsi dans l'homme ce qui est
néant. Tout être est donc bon, à un haut l'ouvrage de Dieu, et l'on approuve en lui le
degré, s'il est en dehors de la corruption à ;
mal qu'il ne doit qu'à l'iniquité. Donc tout
un degré plus faible, s'il est soumis à ses effets: être, même corrompu, est bon en tant qu'il
quant à nier qu'il soit bon, il faudrait être fou est un être en tant qu'il s'est corrompu, il
;

et étranger à la philosophie. Car si l'être était est mauvais.


anéanti par la corruption, la corruption elle-
même disparaîtrait, puisqu'il n'y aurait plus » Isai. V, 20. — ' Matt. x\l, 35.

de substance où elle pût exister.


. .

MANUEL

CHAPITRE XIV. a des épines » ,


parce que le raisin ne vient pas
sur les épines ; mais nous voyons tous les
LE MAL NAIT DU BIEN.
jours les vignes et les épines croître ensemble
Le bien et le mal sont donc des contraires dans une excellente terre. De même donc
auxquels on ne saurait appliquer l'axiome des qu'un mauvais arbre ne peut produire de
métaphysiciens que « deux qualités contra-
: bons fruits, de même une volonté perverse
a dictoires ne peuvent se rassembler dans la ne saurait être un principe de bonnes actions :

« même substance » L'air ne peut être tout . mais la nature humaine, quelque excellente
ensemble sombre et transparent ;une liqueur, qu'elle soit, peut produire une bonne comme
un aliment ne peut être à la fois doux et amer; une mauvaise volonté première : et en effet la

le blanc et le noir, le beau et le laid ne peu- intention coupable n'a trouvé pour germer
vent exister simultanément dans une même que deux natures excellentes, celle de l'ange
partie d'un même corps; eu général, l'identité et celle de l'homme. Le Seigneur, du reste, a
de la substance exclut les contraires. Mais il mis cette pensée en pleine lumière dans le
n'en est pas de même du bien et du mal. passage même où il parlait de l'arbre et de ses
Quelque évidente que soit leur opposition fruits « Ou rendez l'arbre bon avec ses fruits
:
;

essentielle , ils se réunissent dans le même « ou rendez l'arbre mauvais et les fruits mau-

être ;
que dis-je ? le mal ne peut subsister sans « vais également * >k II nous révèle assez par Là

le bien et en dehors du bien, mais le bien peut que si un bon arbre ne peut produire de mau-
subsister en dehors du mal. vais fruits, ni un mauvais arbre de bons fruits,
Car, on conçoit un homme, un ange purs la terre, à laquelle s'adressait ce précepte,
de toute injustice or ces deux êtres sont seuls
; pouvait également voir naître ces deux espèces
capables de tomber dans l'injustice; ce sera d'arbres.
donc un bien d'être homme ou ange, un mal CHAPITRE XVI.
d'être injuste. Ces deux contraires soutien- LA SCIENCE n'est PAS UN ÉLÉMENT ESSENTIEL
nent donc un rapport tel que le mal ne sau- DU BONHEUR.
rait exister sans un bien auquel il puisse s'at-
tacher car, sans un fond capable de s'altérer,
: 5. Puisqu'il en est ainsi, touten admirant le
le vice n'aurait plus de substance où il pût vers célèbre de Virgile: « Heureux celui qui a
naître et résider, puisque tout vice suppose «pu remonter jusqu'auxprincipesdes choses^»,
l'altération d'un bien. Ainsi les maux naissent n'allons pas nous figurer que le moyen
des biens et y trouvent leur support. Imaginez d'arriver au bonheur, c'est de connaître les
un autre principe d'où le mal puisse sortir, lois qui président aux magnifiques mouve-

vous ne le trouverez pas. Car la substance du ments des corps dans l'univers, mystères que
mal, en tant que substance, serait bonne la nature recèle dans ses dernières profon-
nécessairement dès lors ou elle serait indé-
; deurs de savoir « pourquoi la terre tremble,
;

fectible et par conséquent un bien infini, ou « quelle puissance fait enfler la mer dans ses
elle serait susceptible de s'altérer et par con- « abîmes pousse hors de ses limites pour
et la
séquent offrirait encore un bien sur lequel et la refouler ensuite sur elle-même ^ » et ,

seul la corruption aurait prise. autres phénomènes analogues. Nous devons


nous borner à rechercher les causes d'où pro-
CHAPITRE XV. viennent et cela, dans
les biens et les maux,
les limites qu'impose à l'homme la nécessité
EXPLICATION DE CE PASSAGE : « UN BON ARBRE NE
d'échapper aux erreurs et aux misères dont
« PEUT PORTER DE MAUVAIS FRUITS »
cette vie est la source féconde. Notre fin, c'est
Qu'on n'aille pas croire qu'en faisant sortir de tendre à cette béatitude qui exclut le dé-
le mal du bien nous nous mettons en contra- sordre de la souffrance comme les illusions de
diction avec cette parole du Seigneur « Un : l'erreur. S'il y avait obligation pour nous de
« bon arbre ne peut porter de mauvais fruits » ' remonter aux lois des phénomènes de la na-
Sans doute, comme dit encore la Vérité sou- ture, notre premier devoir serait d'appro-
veraine, et on ne peut cueillir des raisins sur fondir les secrets de nos maladies cependant :

« Matt. vu, 18. Matt. xn, 33. — ' Georg. ii, 490. — ' Ibid, 479-480.
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ.

sur ce point notre insuffisance, que


telle est choses en elles-mêmes puisque l'humiliation
;

nous avons recours aux médecins dès lors, : et l'avilissement de notre esprit en cet état,
comment ne pas se résigner à l'impuissance n'ont d'égale que sa grandeur et sa noblesse
où nous sommes de sonder les merveilles du pour exprimer son adhésion
lorsqu'il lui suffît
ciel et de la terre ? de dire simplement Oui, cela est
: non, cela ;

n'est pas on peut apprécier toute la misère


^
:

CHAPITRE XVII.
de cette vie humaine qui, pour se conserver,
a parfois besoin du concours de l'erreur. Loin
EN QUOI CONSISTE l'eRRELR. l'eRREUR n'EST
de moi la pensée de comparer à la vie humaine
PAS TOUJOURS NUISIBLE. ANECDOTE.
l'existence où notre âme doit vivre de la vérité,
Nous devons sans doute éviter l'erreur, où il n'y a ni trompeur ni dupe. Mais ici-bas
par tous les moyens en notre pouvoir, dans les hommes sont trompeurs ou dupes, et c'est
lesgrandes comme dans les plus petites choses : unplusgrand malheur démentir pourtromper
mais, de ce que l'erreur a pour cause l'igno- que d'être induit en erreur en croyant au
rance, il ne faudrait pas en conclure que le mensonge. Telle est toutefois l'horreur de la
manque de savoir entraîne toujours une nature humaine pour le faux, tel est son pen-
erreur. Se tromper, c'est croire savoir ce chant à éviter l'erreur, que ceux-là mêmes qui
qu'on ne sait pas car le véritable caractère
: se plaisent à tromper ne consentent pas à être
de l'erreur, c'est de prendre le faux pour le trompés. Le menteur en effet n'est pas dupe
vrai. Mais la gravité de l'erreur dépend sur- de l'erreur où il engage celui qui se fie à
tout de l'objet qui l'occasionne. S'agit-il d'un ses paroles. Mais s'il ne se trompe pas sur la
même objet ? La science, sans contredit, vaut chose même dont il altère sciemment la vé-
mieux que l'ignorance, et la certitude que l'il- rité il se trompe en se figurant
, que son
lusion. S'agit-il d'objets divers ? L'un sait-il mensonge n'entraîne pour lui aucune consé-
des choses utiles, l'autre des choses superflues quence fâcheuse. Le péché est plus fatal à son
ou même nuisibles ? Sur ce dernier point, qui auteur qu'à celui qui en est la victime.
ne préférerait l'ignorance au savoir ? II est
des choses qu'il vaut mieux ignorer que de CHAPITRE XVIII.
connaître. Cela est si vrai qu'il a été plus
TOUT MENSONGE EST UN PÉCHÉ, MAIS LA GRAVITÉ
d'une fois avantageux de s'égarer, je ne dis
EN EST RELATIVE. l'iNTENTION FAIT LE MEN-
pas sur le chemin de la vertu, mais en voyage.
SONGE.
Il nous est arrivé à nous-mêmes de nous

tromper à un embranchement de route et 6. Ici s'élève une question obscure et subtile,


d'éviter ainsi une embuscade où une troupe que de la polémique nous ont
les nécessités
de Donatistes épiaient sous les armes l'instant obligé à traiter dans un ouvrage considérable:
de notre passage nous ne pûmes atteindre le
; c'est de savoir si l'homme de bien peut quel-
but de notre voyage que par un long détour, quefois mentir. Il y a des gens qui vont jusqu'à

mais en apprenant le piège qui nous avait été soutenir que le parjure et le mensonge en
tendu, nous nous félicitâmes de nous être matière de religion et de foi pourraient être,
égarés et rendîmes grâces à Dieu. Qui ne dans certaines circonstances, un acte de vertu
préférerait où tombe le voyageur,
ici l'illusion et de piété. Pour moi, je pense que tout men-
à la vraie connaissance que jjossède le bri- songe est un péché en soi, mais que la gravité
gand ? Si donc le plus grand de nos poètes en est subordonnée à l'intention et à la nature
fait dire à un amant au désespoir: « Je te vis ; même de la faute. Le péché n'est pas aussi grave
« éperdu, je devins le jouet d'une funeste suivant que l'on ment pour faire le bien ou
« erreur » , c'estparce qu'il y a
peut-être pour porter préjudice, et on porte moins de
d'heureuses erreurs qui, sans être nuisibles, préjudice en donnant à un voyageur une indi-
produisent un bien. cation trompeuse qu'en faussant les principes
Mais, en allant au fond des choses, puisque qui conduisent àla vie éternelle. On ne saurait
l'erreur ne consiste qu'à prendre le vrai pour tenirpour menteur celui qui dit une fausseté
faux pour le vrai, à tenir le cer-
le faux, et le en croyant ne dire que la vérité, car il est
tainpour incertain et l'incertain pour certain,
quelle que soit la vérité ou la fausseté des ' Matt. V, 37.
8 MANUEL

plutôt trompé qu'ilne trompe lui-même. Il ne aux vérités qui conduisent à la


croit pas

faut donc voir moins un mensonge qu'un vie éternelle,ou qu'on croit à des erreurs qui
entraînent la damnation il est léger, quand
défaut de réflexion chez celui qui a trop légè- ;

rement affirmé le faux et le tient pour vrai. un faux calcul nous attire des disgrâces passa-
Au contraire on ment, autant qu'il est en soi, gères que la résignation chrétienne peut chan-
quand on donne pour vrai ce que l'on croit ger en bien tel est le préjudice que nous cau-
;

faux. Car, à ne considérer que l'intention, on serait un homme qui aurait su nous déguiser

ne dit pas la vérité dès qu'on parle contre sa sa méchanceté. Celui qui regarde un méchant

pensée, lors même que la vérité serait confor- comme bon, sans en être victime, est le jouet
me à cette assertion : on est coupable de men- d'une innocente erreur et se trouve à l'abri de
songe, parce que l'on a dit la vérité de bouche cette malédiction du prophète: « Malheur àceux
que l'on avait dessein « qui disent que le mal est bien ». Ces paroles
et sans le savoir, tandis
de tromper. Donc, indépendamment de l'objet en effet doivent s'entendre des vices plutôt que
même sur lequel porte l'erreur, et à n'exami- des personnes : par exemple, si l'on dit que

ner que l'intention de celui qui parle, il est l'adultère est un bien, on encourt l'anathème
plus conforme à la vertu de dire par ignorance du prophète ; mais si l'on appelle un homme
une chose fausse, en croyant dire la vérité, que bon, parce qu'on le croit chaste etqu'onignore
de se proposer de mentir et de rencontrer la ses dérèglements, l'erreur n'a plus pour objet
la vérité sans le savoir. Chez l'un, en effet, la le vice et la vertu, mais le mystère même qui
parole s'accorde avec la pensée chez l'autre,;
enveloppe humaines on l'appelle
les actions :

quelle que soit la valeur de son affirmation, bon, en lui prêtant une vertu et tout en croyant
la bouche exprime une pensée, le cœur en que l'adultère est un mal et la chasteté un bien ;

cache une autre, et c'est là le caractère distinc- on lui donne ce titre, parce qu'on le croit
tif du mensonge. chaste et qu'on ignore qu'il vit dansl'adultère.
Quant aux objets sur lesquels porte l'illu- Enfin, si l'erreur devient un moyen de salut,

sion, on mesure à leur importance la gravité comme j'en suis un heureux exemple, elle est

de l'erreur ou du mensonge, à tel point que, pour l'homme de quelque utilité. Et lorsque
s'il est moins funeste d'être dupe que de trom- je dis qu'en certains cas on peut se tromper
per, en ce qui touche les intérêts purement sans qu'il en résulte de mal ou même pour
humains, il est mille fois plus excusable de son bien, je ne prétends pas que l'erreur en
mentir dans les choses qui ne concernent pas elle-même ne renferme aucun mal ou soit
la religion, que d'être trompé sur les principes un bien j'entends dire par là le mal qu'on
:

qu'il faut croire ou savoir nécessairement pour évite ou le bien qu'on atteint en s'éloignant de
honorer Dieu. Pour éclaircir ma pensée par son but, en d'autres termes, les désagréments
un exemple, comparons le mensonge d'un que l'erreur ne produit pas ou les avantages
homme qui soutiendrait qu'un mort est encore qui en découlent. Bien que la gravité de l'er-
vivant, à l'erreur de celui qui croirait que reur soit en proportion avec l'importance des
Jésus-Christ doit mourir une seconde fois au choses, elle est toujours un mal. Pourrait-on
bout d'une période de temps indéterminée. Ne en effet, sans tomber soi-même dans l'erreur,
vaut-il pas infiniment mieux mentir comme prétendre qu'il n'y a aucun mal à prendre le
l'un que de se tromper comme l'autre, et n'y faux pour le vrai, à rejeter le vrai comme faux,
a-t-il pas un désordre moins grave à entraîner à tenir pour certain ce qui estincertain, et ré-
quelqu'un dans la première erreur qu'à se ciproquement ? Mais il y a une différence pro-
laisser entraîner soi-même dans la seconde? fonde entre l'illusion qui nous fait regarder
comme bon un méchant homme, et l'absence
CHAPITRE XIX. de suites fâcheuses qui auraient pu en résul-
ter il y a erreur, mais ce mal n'en a pas pro-
:
l'erreur est toujours un mal, quoique
duit d'autres, le méchant homme nous ayant
A des degrés différents.
trompés sans nous faire tort. De même il est fort
Ainsi donc, selon la nature des objets, l'er- différent de croire faussement qu'on a pris le
reur est tantôt cause d'un mal plus ou moins bon chemin et de recueillir de cette erreur un
grand, tantôt, sans être nuisible, elle produit avantage, par exemple, celui d'éviter les em-
quelque bien. Le mal est immense, quand on bûches des scélérats.
.

DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 9

CHAPITRE XX. croire sous peine de n'arriver jamais à la vie


bienheureuse, en d'autres termes, à la vie
TOUTE ERREUR N'eST PAS UN PÉCHÉ. RÉFUTATION
éternelle. Aussi je ne sais trop si nous devons
DU SCEPTICISME DE LA NOUVELLE ACADÉMIE.
discuter avec des philosophes qui, loin d'ad-
7, Faut-il voir des fautes dans une foule mettre l'immortalité de l'âme, ne savent pas
d'erreurs^ par exemple on a bonne opinion : même s'ils vivent ici-bas, que dis-je? qui pré-
d'un méchant homme dont on ne connaît pas tendent ne pas savoir ce qu'ils savent néces-
les mœurs; un rêve nous présente des fan- sairement. On ne peut en effet douter de son
tômes que l'imagination conçoit comme des existence; car, sans l'existence, on n'est ca-
réalités, et la réalité semble quelquefois n'être pable de rien, même d'ignorer, puisque pour
qu'un songe témoin l'apôtre Pierre qui,
: ignorer, comme pour savoir, il faut d'abord
délivré tout à coup de ses chaînes et de sa {«ri- exister. En refusant d'admettre leur propre
son par un ange, croyait rêver dans l'ordre *
; existence , ils s'imaginent éviter l'erreur,
physique même, on confond le rude avec le comme si l'erreur même n'était pas la preuve
poli, le doux avec l'amer, les parfums avec irrésistible qu'ils existent : car si on n'existait
les mauvaises odeurs le bruit d'une voiture ; pas, on ne pourrait se tromper. Notre exis-
fait croire qu'il tonne la ressemblance des ; tence est donc un fait aufsi vrai qu'incontes-
traits fait prendre un homme pour un autre, table, et ce principe entraîne une foule de
surtout quand elle est frappante comme chez vérités tellement évidentes , que le doute
quelques jumeaux et qu'elle produit « cette serait à cet égard moins philosophique qu'in-
« illusion charmante pour les parents » dont sensé.
parle le poète -? Je l'ignore. Je ne veux point CHAPITRE XXI.
entreprendre non plus de résoudre le problème
l'erreur, sans ÊTRE TOUJOURS UNE FAUTE,
qui a tant tourmenté les subtils philosophes
EST ESSENTIELLEMENT UN MAL.
de l'Académie, ni examiner avec eux si le
sage ne doit pas s'abstenir de tout jugement Quant aux choses sur lesquelles la foi ou le
dogmatique, pour éviter de tomber dans Ter- doute, la certitude ou l'erreur ne contribuent
reur en prenant le faux pour le vrai car d'a- : eu rien à la conquête du royaume de Dieu,
près eux, tout est mystère ou incertitude. J'ai l'illusion qui fait prendre le vrai pour le faux
composé trois livres sur ce sujet, au début n'entraîne aucune faute, ou du moins cette
même de macuiiversion,afiu d'écarter les amas faute est légère et sans conséquence. Pour
de contradictions qui auraient pu arrêter mes tout dire, de pareilles erreurs, quelles qu'en
premiers pas. Avant tout, en effet, j'avais à soient la nature et la gravité, sont en dehors
arguments dont ils s'appuient pour
réfuter les de qui nous conduit à Dieu, en d'autres
la voie
démontrer que la vérité est introuvable. Dans termes, « de
la foi agissant par l'amour ' »
ce système, toute erreur est une faute, et Ce n'était point sortir de cette voie que d'é-
l'unique moyeu de l'éviter, c'est de suspendre prouver l'illusion charmante qui faisait con-
en toutes choses son jugement car l'erreur : fondre deux jumeaux à leurs parents, que de
consiste à donner sou adhésion à des appa- se croire, comme l'apôtre Pierre, dupe d'un
rences, et aucune certitude dans nos
il n'y a songe qui lui faisait prendre la réahté pour
idées, parce que le faux ne présente aucun une chimère de son imagination, jusqu'au
caractère qui le distingue du vrai, lors même départ de l'ange, sou libérateur de même le ;

que le vrai serait caché sous les apparences. patriarche Jacob ne quittait pas cette voie en
Voilà leur théorie, et pour la soutenir, ils se figurant que son fils, qui vivait encore,
prodiguent toutes les ressources de la dialec- avait été dévoré par une bête cruelle -. Nous
tique la plus subtile et la plus audacieuse. sommes victimes de ces illusions tl de ces
Pour nous, au contraire : « Le juste vit de la erreurs, sans perdre la foi en Dieu ni quitter
« foi ' » . Mais si toute adhésion est impossible, la voiequi mène vers lui ; à ce titre, elles ne
car on ne peut croire sans
la foi est détruite ; sont pas des péchés : toutefois il faut les ran-
donner son adhésion à la vérité. Or, il y a des ger parmi les maux de où la vanité
cette vie,
choses vraies quoique invisibles, qu'il faut domine avec tant d'empire qu'on y voit sans

' A Cl. iii, 9. — = Virg. En. x, 392. — '


Rom. i, 17. Gai. V, 6. — > Gen. ixivu, 33.
.

10 MANUEL

cesse le faux tenu pour vrai, le vrai sacrifié au Testament et qu'on doit suivre ce précepte :

faux et l'incertfiin regardé comme évident. G N'ayez à la bouche que ces mots : oui, oui ;

Car, quelque étrangères que soient ces erreurs « non, non : tout ce qu'on dit de plus vient
à la foi, qui nous mène, par un chemin sûr et et du mal ^ » . Et c'est parce que ce mal ne
au bonheur éternel, elles font par-
infaillible, cesse de se glisser dans la vie humaine que les
tie de la misère au sein de laquelle nous cohéritiers de Jésus-Christ s'écrient: «Remet-
sommes encore plongés. Nos facultés morales « tez-nous nos dettes ^ »

et physiques seraient à l'abri de l'erreur, si


CHAPITRE XXm.
nous jouissions déjà de la véritable et souve-
raine félicité.
LA BONTÉ DE DIEU EST LE PRINCIPE DE TOUS
CHAPITRE XXII. LES BIENS LE MAL VIENT DE LA RÉVOLTE DE
:

LA VOLONTÉ CHEZ LES ÊTRES d'uNE PERFEC-


TOUT MENSONGE EST UN PÉCHÉ.
TION BORNÉE.
Au contraire, tout mensonge doit être re-
gardé comme un péché, parce que l'homme, De plus longues explications dépasse-
8.

soit qu'il sache la vérité, soit qu'il se trompe Examinons


raient les limites de cet ouvrage.
et s'égare par suite de sa faiblesse naturelle, donc maintenant quelles sont les causes du
doit parler comme il pense peu importe ici
: bien et du mal, autant que nous devons les
que son langage exprime la vérité ou qu'il la connaître pour marcher sûrement dans la
contredise, pourvu qu'il soit sincère. Car le voie qui mène à ce royaume où la mort ne
mensonge ne consiste qu'à parler contre sa sera plus associée à la vie, l'erreur à la vérité,
pensée et dans l'intention de tromper. Les l'inquiétude au bonheur. Sur ce point, nous
mots n'ont pas été établis pour déguiser la devons croire, sans le ])lus léger doute, que
pensée, m.ais pour la communiquer. C'est donc labonté de Dieu est le principe de tous les
un péché que de se servir du langage pour biens qui sont le privilège de notre nature,
tromper en le détournant de son but primitif. tandis que les maux ont pour cause la révolte

Et n'allons pas justifier le mensonge sous pré- qui sépare du bien immuable la volonté des
texte qu'il peut être utile. êtres où le bien est sujet au changement, en
A ce titre, on pourrait obliger un pauvre, d'autres termes, de l'ange et de l'homme.
en commettant un larcin dont il recueillerait
CHAPITRE XXIV.
le bénéfice, sans qu'il en résultât le moindre
inconvénient pour le riche que l'on aurait LE MAL A UNE SECONDE CAUSE, l'IGNORANCE
volé en secret toutefois, on n'oserait jamais
;
ET LA CONCUPISCENCE.
soutenir que ce larcin ne soit pas un péché.
On pourrait encore voir dans l'adultère un Voilà donc quel est le mal premier de la

moyen de rendre service, en consentant à sa- créature raisonnable , en d'autres termes


tisfaire la passion d'une femme qui semblerait quelle est en elle la première privation du
exposée à mourir d'amour, et qui aurait en- bien. La révolte de la volonté a eu pour con-
suite le temps de se purifier par le repentir : séquence immédiate et involontaire l'igno-
pourtant un commerce aussi infâme est in- rance du devoir et la concupiscence, et à leur
contestablement un péché. Si la chasteté a tant suite, l'erreur et la douleur, qui en sont les

de prix à nos yeux, la vérité est-elle moins compagnes naturelles. Quand nous sommes
belle ? Nous ne voudrions pas, dans l'intérêt menacés de ces deux maux, notre âme cherche
d'autrui, commettre un adultère ; pourquoi à les éviter, et c'est ce mouvement qu'on ap-
voudrions-nous commettre un mensonge? pelle la crainte. Quand nous possédons l'ob-

On ne saurait nier sans doute que mentir dans jet de nos convoitises, l'erreur nous empêche

le seul but de sauver un homme, c'est avoir d'en sentir le danger ou le vide notre âme ;

progressé déjà beaucoup dans la vertu ; mais est alors dominée par le plaisir corrupteur, ou
ce qui mérite alors la louange ou la recon- elle s'abandonne aux transports d'une joie

naissance, aux yeux du monde, c'est la bien- insensée. Ces passions, filles du besoin et non
veillance plutôt que le mensonge même il : de l'abondance, sont la source de toutes les
suffitqu'on excuse celui-ci sans l'approuver,
surtout quand on est héritier du Nouveau •
Malt. V, 37. - » Id. VI, 12.
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 11

misères qui accablent la créature raison- était plongé dans le mal, ou plutôt il ne faisait

nable. que tomber d'un mal dans un autre, et, con-


CHAPITRE XXV. fondu avec les anges coupables, il expiait sa
révolte impie car, il ne faut pas moins voir
;
CHATIMEiSTS DU PÉCHÉ.
un effet de colère divine dans les désordres at-
Toutefois, au sein même de sa misère, l'être trayants auxquels une concupiscence aveugle
intelligent ne saurait perdre le goût de la fé- et sans frein entraîne les méchants, que dans
licité. Ces maux, il est \rai, sont communs les peines évidentes et sensibles qu'ils subis-

aux hommes et aux anges que leur rébellion sent malgré eux. Cependant le Créateur par sa
a justement condamner par la justice du
fait bonté a maintenu le don de l'existence et de
Seigneur; mais l'homme ade plus un châtiment l'immortalité aux mauvais anges, qui, sans ce
spécial à subir, la destruction du corps. Dieu, concours, auraient été anéantis ;
quant aux
en effet, l'avait menacé de cette peine s'il ve- hommes, quoique la source en soit corrompue
nait à pécher; il lui accordait le privilège de et maudite, il n'a pas cessé de créer et de vivi-
la liberté, mais il voulait l'assujétir à ses lois fier les éléments dont leurs corps sont formés,
en lui offrant l'image menaçante de la mort: de disposer leurs membres, d'entretenir la
c'est à cette condition qu'il le plaça dans un vivacité de leurs sens, de les nourrir, dans
jardin de délices, faible image de la vie plus tous les temps comme dans tous les lieux. lia
heureuse où il devait s'élever par sa fidélité mieux aimé faire sortir le bien du mal que de
aux lois de la justice. supprimer le mal lui-même. S'il eût voulu
que la chute de l'homme fût irréparable,
CHAPITRE XXVI. comme celle des anges criminels, n'aurait-il
LA PEINE ATTACHÉE AU PÉCHÉ DADAM pas agi avec justice ? L'être qui avait aban-
SE TRANSMET A TOUTE SA RACE. donné Dieu, qui n'avait fait usage de sa puis-
sance que pour fouler aux pieds et transgres-
Chassé de l'Eden après sa faute, il enchaîna ser le coinmaudement si doux à observer de
à sa condamnation et à sa peine tous ses des- son Créateur; qui avait déshonoré en lui l'i-
cendants, corrompus en lui comme dans leur mage de son Père, et fermé obstinément les
source par conséquent , toute la race qui
; yeux à sa lumière qui s'était affranchi du
;

devait naître de lui et de sa fennne, coupable joug salutaire de la loi divine en faussant sa
et condamnée comme lui, et sortir de cette liberté, cet être ne méritait-il pas de se voir à
concupiscence charnelle qui avait été la cause jamais abandonné et d'expier son crime par
et demeurait le châtiment de leur désobéis- un châtiment éternel? Tel eût été son sort, si
sance ; toute cette race, dis-je, fut soumise au Dieu n'avait consulté que sa justice au lieu ,

péché de son origine, et par suite aux illusions d'écouter sa miséricorde et de la déployer
et aux douleurs de toute espèce, qui aboutis- avec d'autant plus d'éclat que ceux qu'elle af-
sent au châtiment éternel où elle tombe avec franchissait gratuitement de leur peine en
les anges rebelles ses corrupteurs, ses maîtres étaient plus indignes.
et ses compagnons d'infortune. « C'est ainsi
« que par un seul homme
péché est entré le CHAPITRE XXVHI.
« dans le monde, et, avec le péché, la mort,
sort DES BONS ANGES.
« qui a passé à tous les hommes par celui en
« qui tous ont péché ^ ». Le monde, dans ce 9. Lorsqu'une partie des anges eurent aban-
passage de l'Apôtre, désigne le genre humain donné Dieu dans leur orgueil impie et qu'ils
tout entier. eurent été précipités des hauteurs du ciel dans
CHAPITRE XXVII.
les ténèbres les plus profondes de l'atmosphère
DE l'État de l'homme après le péché d'adam. terrestre, la troupe fidèle des anges continua
MISÉRICORDE DE DIEU ENVERS LUI. de participer au bonheur et à la sainteté de
Dieu. C'est qu'on ne voit pas ici un ange pri-
Tel était l'état de l'homme : le genre humain mitivement déchu et maudit donner naissance
tout entier, sous le poids de sa condamnation, à toute une postérité, qui reçoit par transmis-
sion, comme la race humaine, la souillure du
' Rom. V, 12. péché originel et est soumise en masse au chà-
.

12 MANUEL

timent de son auteur ; Tarchange, devenu de- dans son royaume éternel? Loin de nous cette
puis le Tentateur, entraîna ses compagnons erreur. Quel bien en effet pourrait accomplir
dans les rêves de son orgueil comme dans sa avant d'avoir été arraché à sa misère celui qui
chute les autres restèrent unis à Dieu par une
: s'est perdu? Serait-ce par un libre effort de sa

pieuse obéissance, et, par une faveur que n'a- volonté ? Non, sans doute car, en abusantde :

vaient pas reçue les rebelles, ils acquirent la l'homme a perdu ce privilège et s'est
la liberté,

certitude que leur bonheur était désormais à perdu lui-même; il s'est suicidé. Un homme
l'abri de tout changement et de toute vicissi- qui se tue abuse de son existence mais du ;

tude. même coup il la perd el ne saurait la recouvrer


CHAPITRE XXIX. par sa propre énergie. De même l'abus de la
liberté a entraîné la perte
de la liberté qui a péri
LA PARTIE DU GENRE HUMAIN QUI SE RELÈVE DE SA
dans le triomphe du péché « Quiconque est :

CHUTE REMPLACE LES ANGES BANNIS DU CIEL.


vaincu devient esclave de son vainqueur ».
c( ^

Quels ont été les desseins du Dieu Créateur Ces paroles sont sûrement de l'apôtre Pierre;
et arbitre de l'univers? Les anges ne s'étaient et, comme elles sont infaillibles, l'esclave du
pas tous révoltés contre lui; il a donc con- péché peut-il avoir d'autre liberté qne celle
damné par un arrêt irrévocable ceux qui s'é- qui lui fait trouver dans le péché un irrésis-
taient quant à ceux qui n'avaient pas
perdus ;
tible attrait? Servir librement, c'est exécuter
pris part à la révolte, il leur a donné la douce avec plaisir la volonié de son maître. Si donc

certitude que leur bonheur était à jamais as- l'esclave du péché n'est libre que pour pécher,
suré. L'autre espèce de créatures raisonna- il ne saurait observer la justice librement,

bles, c'est-à-dire le genre humain, s'était per- sans avoir été affranchi du péché et engagé
due tout entière par le péché originel et les dans les liens de la justice même. La véritable
crimes qu'elle y avait librement ajoutés Dieu : indépendance éclate dans la joie qu'inspire le
a permis qu'elle se relevât en partie de sa bien accompli la pieuse servitude, dans la ;

chute, pour remplir les vides faits dans le ciel soumission au commandement. Mais comment
par la catastrophe de Satan. L'Ecriture, en l'homme livré et vendu au péché retrouvera-
effet, promet aux justes « qu'ils seront, après t-il cette liberté dans le bien, s'il n'est éman-

«la résurrection, semblables aux anges ». ' cipé par Celui qui a dit « Si le Fils vous met :

Ainsi la Jérusalem céleste notre mère, la cité « en liberté, vous serez véritablementlibres^?»

de Dieu, loin de voir diminuer le nombre de Or, avant d'avoir senti s'opérer en lui ce pro-
ses habitants, deviendra peut-être plus peu- dige, l'homme est impuissant à accomplir le
plée et plus florissante. Car nous ne savons ni bien librement. Eh! pourrait-il se vanter d'ac-
le nombre des justes, ni celui des démons que complir le bien par un acte de sa volonté,
les enfants de l'Eglise, cette sainte mère qui sans être enflé de cet orgueil insensé dontl'A-
paraissait ici-bas frappée de stérilité, sont des- pôtre réprime les transports, quand il nous
tinés à remplacer au sein de la paix éternelle dit « C'est la grâce qui vous a sauvés par la
:

et du bonheur qu'ont perdu les rebelles. Le « foi ' ? »

nombre de ces citoyens privilégiés tel qu'il est CHAPITRE XXXI.


ou qu'il sera un jour, n'est présent qu'à la pen- LA FOI ET LES BONNES ŒUVRES SONT
sée du divin Architecte qui «appelle les choses UN DON DE DIEU.
« existantes comme celles qui ne sont pas
« encore - » et « règle tout avec nombre, poids Pour ôter à l'homme la pensée que la foi est
(' et mesure ' » une inspiration de son sens propre plutôt qu'un
CHAPITRE XXX. don du ciel; après avoir déclaré dans un autre
endroit de ses Epîtres « qu'il a été prévenu
l'homme ne SE RELÈVE POINT PAR SES MÉRITES,
« par la miséricorde du Seigneur pour être
MAIS PAR LA PUISSANCE DE LA GRACE.
« fidèle *
» , l'Apôtre ajoute aux paroles que
Serait-ce donc par le mérite de ses actes que nous venons de citer « La grâce ne vient pas :

du genre humain
pourrait se relever la partie « de vous, c'est un pur don de Dieu ce n'est :

que Dieu a promis d'affranchir et d'admettre


' U Pet. n , 19. - ' Joan , viii , 36. — » Eph. u , 8. — * I Cor.
' Luc, XX, 36, - ' Rom. iv, 17. — ' Sag. xi, 21. VII, 25.
DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 13

« pas le fruit de vos œuvres, et personne ne « miséricorde », que la volonté humaine ré-
« peut s'en rapporter la gloire* ». Il ajoute en- duite à elle-même ne saurait atteindre le but ;

core, pour empêcher de croire que les fidèles pourquoi ne pas adopter la proposition con-
soient stériles en bonnes œuvres : « Il nous fa- traire que voici Cela dépend non de la misé-
:

ce çonne ; c'est lui qui nous a créés en Jésus- ricorde de Dieu, mais delà volonté de l'homme,
« œuvres dans
Christ pour opérer les bonnes puisque, réduite à elle-même, la volonté di-
« lesquelles il que nous
avait réglé d'avance vine est insuffisante ? Or, il n'y a pas de chré-
« devions marcher ^ ». Ainsi nous devenons tien assez téméraire pour admettre cette inter-
véritablement libres, lorsque Dieu nous fa- prétation, qui contredit évidemmentles paroles
çonne en d'autres termes, lorsqu'il forme et
; de l'Apôtre. Ce passage attribue donc toute
crée en nous, je ne dis pas l'homme, puisqu'il l'influence à Dieu. Ainsi il dispose la volonté
a déjà fait cet ouvrage, mais l'homme de jus- de l'homme à recevoir son secours, et l'aide
tice, ce qui est l'œuvre de la grâce, « afin que encore quand il l'a disposée. La bonne volonté
« nous soyons un être nouveau créé en Jésus- précède plusieurs dons de Dieuchez l'homme,
« Christ ^ », selon cette parole du prophète : mais elle ne les précède pas tous, et, parmi
c( Seigneur, créez en moi un cœur nouveau* ». ceux qu'elle ne devance pas, il faut la comp-
Il est en effet trop évident que le cœur, comme ter elle-même. Cette distinction des bienfaits de
organe, avait déjà été créé. Dieu est nettement marquée dans les Ecri-
tures; car, il y est dit, d'une part « Sa miséri- :

CHAPITRE XXXII. « corde me préviendra '», et de l'autre « Sa :

LA BONNE VOLONTÉ DÉPEND DE DIEU.


«miséricorde me
suivra». En d'autres termes,
elle va au-devant de notre volonté, afin de lui
L'homme est-il tenté de s'enorgueillir non inspirer le désir du bien
elle suit nos résolu- ;

plus de ses bonnes œuvres, mais de son initia- tions, afin qu'ellesne soient pas stériles. Il nous
tive, et de trouver en lui-même le principe est enjoint «de prier pour nos ennemis ^ » les
de sou mérite, dont la récompense naturelle plus obstinés à ne pas vivre dans la piété ;
serait la liberté de bien faire ? Qu'il écoute les n'est-ce pas pour demander à Dieu de créer
paroles du prédicateur de la grâce : « C'est en eux le bon vouloir qui leur manque? On
« Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, nous commande encore de demander pour
« selon son bon plaisir S) ; et ces autres : « Cela recevoir n'est-ce pas uniquement pour voir
;

«ne dépend pas de celui qui veut ou qui court, réaliser les désirs de notre volonté par l'au-
« mais de Dieu, selon sa miséricorde *». Assu- teur même de notre bonne volonté ? Nous
rément l'homme, à l'âge de raison, ne peut prions donc pour nos ennemis afin que la mi-
croire, espérer, aimer, sans le vouloir ; il est séricorde de Dieu les prévienne avec la même
incapable de conquérir la palme du triomphe bonté qu'elle nous a prévenus nous-mêmes ;

s'il n'y court volontairement ^ Comment donc nous prions pour nous afin que la miséricorde
a cela ne dépendrait-il ni de celui qui veut, ni ne cesse pas de nous accompagner.
«de celui qui court, mais de Dieu dans sa mi-
«séricorde », si la volonté elle-même « n'était CHAPITRE XXXni.
« prédisposée par le Seigneur » ainsi qu'il est
NÉCESSITÉ d'un MÉDIATEUR EN QUOI CONSISTE LA
:

écrit * ? Autrement, si ces paroles n'ont été


COLÈRE DE DIEU.
dites que pour marquer que la volonté de
l'homme doit s'allier à la miséricorde de 10. Le genre humain était donc tout entier
Dieu il faut entendre par là que la volonté
, enveloppé dans une juste condamnation les :

humaine est impuissante sans la miséricorde hommes étaient tous les dont fils de la colère
divine, au même titre que la miséricorde di- il Parce que tous nos jours ont été
a été écrit : «

vine est insuffisante sans le concours de la «remplis de péchés et que nos péchés ont
volonté humaine. Si tout le sens de ce passage «provoqué votre colère, nos années seront
consiste à voir dans les mots « Cela dépend, : « considérées comme les toiles fragiles de l'arai-
« non de celui qui veut, mais de celui qui fait « gnée * ». C'est encore cette colère que Job
désigne ainsi : « L'homme né de la femme est
' Eph. II, 7, 8. — ^ Eph. II, 8-10. — ' Gai. v, 15. — ' Psal. iv, 12.
— ' Philip. II, 13. — '
Rom. ix, 16. — "
Philip, in, 14. — » Prov.
vin, 35, sel. Sept. ' Psal. LVin, 11. — ' Matt. v, 44, — ' Psal. lxxxix, 9.
. ,

u MANUEL

« pauvre d'existence , mais riche de colère ^o de la Vierge Marie? Le Verbe, en s'incarnant,


Notre- Seigneur en parle également: « Celui a pris l'enveloppe de la chair par un effet de sa
«qui croit au Fils, a la vie éternelle celui qui ; puissance divine; il n'a pastransformé en chair
« ne croit point au Fils, n'a point la vie, mais sa divinité. Le mot chair n'est ici qu'une mé-
« la colère de Dieu demeure sur lui^) Remar- . tonymie où l'on prend la partie pour le tout, et
quons bien qu'il ne dit pas « elle viendra », : qui désigne l'homme, comme dans ce passage
mais « elle demeure sur lui », parce qu'elle
: de saint Paul: « Nulle chair ne sera justifiée
naît avec l'homme. Voilà pourquoi l'Apôtre « par les œuvres de la loi * ». Car l'incarnation
dit « Nous aussi nous sommes nés comme
:
n'a laissé de côté aucune partie de la nature
« les autres, fils de la colère ^ «.Les hommes humaine, le doute sur ce point serait un blas-

étant donc tous enveloppés dans celte colère phème mais elle a pris celte nature sans au-
-;

par suite du péché originel, aggravé encore cun des péchés qui l'entravent. Ce n'est point,
par leurs fautes personnelles, il leur fallait il est vrai, l'homme fait de l'union des sexes,

un Médiateur pour les réconcilier avec Dieu ouvrage de la concupiscence de la chair, et


et apaiser sa colère par l'offrande d'un sacri- dès lors souillé du péché que doit purifier le
fice extraordinaire, dont les sacrifices de l'an- bain de la régénération non, c'est l'homme :

cienne loi et des prophètes n'étaient que l'om- tel qu'il devait naître d'une Vierge, dont la foi,

dogme qu'expose l'Apôtre quand


bre. C'est ce dégagée de toute passion, avait fécondé le
il dit lorsque nous étions encore enne-
: « Si, chaste sein. Si le Christ, même dans sa puis-
«mis de Dieu, nous avons été reconciliés avec sance, eût altéré l'intégrité de sa Mère il ne ,

« lui par la mort de son Fils, à plus forte raison serait plus le Fils d'une Vierge ce serait en ;

c( étant devenus ses amis, serons-nous délivrés vain, ô blasphème! que la maternité virginale
« par son sang de la colère divine * ». de Marie serait proclamée par l'Eglise entière,
Du reste, en parlant de la colère divine, on qui, vierge comme elle, et comme elle mère,
n'entend pas un mouvement passionné, ana- enfante chaque jour ses membres. Veuille
logue à celui qu'éprouve un homme irrilé ; à ce sujet lire la lettre que j'ai adressée à un
une métaphore destinée à désigner, par
c'est personnage illustre, Volusien si je cite son ;

un mouvement du cœur humain, la ven- nom, c'est autant par estime que par amitié ^.
geance divine toujours juste. Quand donc nous
sommes réconciliés avec Dieu par notre Mé-
CHAPITRE XXXV.
diateur et que nous recevons l'Esprit-Saint qui
JÉSUS-CHRIST EST TOUT ENSEMBLE DIEU ET HOMME.
nous transforme en fils du Seigneur, selon
cette parole que « tous ceux qui sont dirigés Jésus-Christ, Fils de Dieu, est tout ensemble
« par l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu"», Dieu et homme : il est Dieu dans l'éternité,
c'est une grâce que nous recevons par l'en- homme dans le temps Dieu, parce qu'il est le ;

tremise de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Verbe de Dieu et « que le Verbe était Dieu* » ;

homme, parce qu'il a rassemblé dans l'unité


CHAPITRE XXXIV. de sa personne divine une âme et un corps.
Par conséquent il ne fait qu'un avec son Père^,
DE l'incarnation DU VERBE. RÉFUTATION DES
APOLLINARISTES.
comme Dieu; comme homme, il voit son Père
au-dessus de lui *. Fils unique de Dieu par
Le dogme du Médiateur exigerait un long essence et non par grâce, il s'est fait Fils de
développement qui répondît à la grandeur du l'homme pour devenir aussi plein de grâce.
sujet; mais le langage de l'homme peut-il De ces deux natures s'est formée la personne
s'élever à la sublimité de ce mystère? Com- unique du Christ, selon ces paroles de l'Apôtre :

ment trouver des paroles assez hautes pour « Etant de la nature de Dieu, il n'a point

expliquer « que le Verbe s'est fait chair et a « usurpé l'égalité avec Dieu », car il tenait ce

« habité parmi nous S), et pour nous initier privilège de sa nature; « mais il s'est anéanti
à la foi en Jésus-Christ, Fils unique du Dieu «lui-même en prenant la nature d'un esclave''»
tout-puissant, son Père, né du Saint-Esprit et sans perdre toutefois sa nature divine ni se

' Job. XIV, 1. — Joan. in, 36.— Eph. II, 3, — " Rom. v, 10-9. * Rom. m, 20. — ' Réfutation des Apollinaristes. ' Lett. 137.— —
— ' Rom. vui, 14. -' Jean,i, 14. * Jean, i, 1. — ' Jean, x, 30. —
' Ib.
xiv, 28. ' Philip, —
ii, 6-7.
DE LA FOI , DE L'ESPERANCE ET DE LA CHARITÉ. 15

devenu inférieur
dégrader. C'est ainsi qu'il est son devenir mère de son Seigneur, ou
titre à
un en deux
à Dieu sans cesser de lui être égal, plutôt du Seigneur de l'univers. Que dit Jean
natures, inférieur comme homme, égal si on l'Evangélisle de Jésus-Christ lui-même ? « Le
considère en lui le Verbe. Le Fils de Dieu et « Verbe s'est fait chair et il a habité parmi

le Filsde l'homme, le Fils de l'homme et le « nous» puis ilajouteimmédiatement: «Nous


;

Filsde Dieu ne sont qu'une seule et même « avons vu sa gloire qui est celle du Fils unique

personne. Le Dieu et l'homme ne forment pas « de Dieu », nous l'avons vu « plein de grâce

en lui un double Fils de Dieu il est simple- : « et de vérité ». A l'expression «le Verbe s'est
ment Fils de Dieu; il n'a pas de commence- « fait chair » correspondent les termes « plein
ment comme Dieu, ilné dans le temps,
est « degrâce» «lagloiredu Fiisunique duPère »
;

comme homme; son nom, c'est Notre-Seigneur est l'attribut «de Celui qui est plein de vérité » :

Jésus-Christ. car le Verbe, Fils de Dieu par nature et non


CHAPITRE XXXVI. par grâce, s'est uni si étroitement à l'huma-
nité par la vertu de la grâce, qu'il est devenu
LA GRACE ÉCLATE DANS l'hUMANITÉ DE JÉSUS-
enmême temps le Fils de l'homme.
CHRIST.

II. Ce mystère fait éclater dans toute sa CHAPITRE XXXVn.


grandeur la grâce divine. Quel titre avait l'hu- LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST, EN TANT QU'ELLE
manité unie à Jésus-Christ, pour mériter l'hon-
EST l'oeuvre du SAINT-ESPRIT , EST UN EFFET
neur sublime d'entrer dansl'unité personnelle
DE LA GR.4CE.
du Fils de Dieu ? Avait-elle antérieurement
mérité, par la pureté des intentions, l'enthou- En même temps qu'il est Fils unique de
siasme pour le bien et la sainteté des actes, le Dieu, Jésus-Christ, Notre-Seigneur, est né du
privilège de former avec Dieu une seule per- Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Or, l'Es-
sonne ? Avait-elle déjà existé et obtenu par un prit- Saint est le don de Dieu, et, comme il est
mérite incomparable cette incomparable fa- égal à son principe, Dieu lui-même et il est
veur ? Non ; dès le premier instant de l'Incar- n'est inférieur ni au Père ni au Fils. Que prouve
nation, l'homme ne fut autre que le Fils de donc l'intervention de l'Esprit-Saint dans la
Dieu, et par suite ne forma avec lui qu'un Dieu, naissance de Jésus-Ciirist comme homme, si-
le Verbe divin s'étant incorporé à lui pour se non le concours de la grâce? Aussi, que répon-
faire chair. Ainsi,de même que l'homme n'est dit l'ange à la Vierge, quand elle lui demanda
qu'une personne formée par l'union d'une âme connnent s'accomplirait le mystère qu'il lui
et d'un corps, de même le Christ n'est qu'une révélait puisqu'elle ne connaissait point
,

personne formée par l'union du Verbe avec d'homme? « L'Esprit-Saint surviendra en vous,
l'humanité. D'où vient donc cette glorification « et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son
de la nature humaine, qu'elle ne pouvait at- « ombre. C'est pourquoi le Saint qui naîtra de
tendre de ses mérites et qui n'est évidemment « vous sera appelé le Fils de Dieu » Et quand *
.

qu'une pure faveur? La grâce infinie de Dieu Joseph, qui avait respecté la virginité de Marie,
n'ap parait-elle pas avec une évidence irrésis- résolut de la renvoyer comme adultère, que lui
tible dans ce mystère considéré avec les répondit l'ange? «Ne craignez pas de prendre
lumières de la foi, pour faire comprendre aux « chez vous Marie, votre épouse : car ce qui est
hommes qu'ils sont justifiés
de leurs péchés « né en elle, est l'ouvrage du Saint-Esprit^ ».
par la grâce toute- puissante qui a préservé En d'autres termes, ce que vous regardez
l'homme en Jésus-Christ du pouvoir môme de comme le fruit de l'adultère, n'est que l'œuvre
pécher ? Cette pensée se révèle dans les paroles du Saint-Esprit.
dont l'ange salua Marie, en venant lui an- CHAPITRE XXXVIII.
noncer le prodige de sa maternité « Je vous :

JÉSUS-CHRIST n'est PAS LE FILS DU SAINT-ESPRIT ,


« vous qui êtes pleine de grâce», dit-
salue, ô
MAIS IL A MARIE POUR MÈRE.
il, et il ajouta presque aussitôt « Vous avez :

« trouvé grâce devant Dieu * ». La plénitude 1 2. Faut-il dire pour cela que l'Esprit-Saint est
de la grâce qu'elle a trouvée devant Dieu, voilà le Père de Jésus-Christ comme homme ? A ce

• Luc, I, 28-30. '


Luc, I, 35. — ^ Matt. i, 20.
,

16 MANUEL

titre, Dieu le Père aurait engendré le Verbe, l'Es- Marie est sa Mère ; c'est une chose certaine.
prit-Saint aurait engendré l'homme, et Jésus-
CHAPITRE XXXIX.
Christ, composé de ces deux substances, serait
à la fois Fils de Dieu, comme Verbe , et comme l'origine ne suppose pas nécessairement
homme, Fils du Saint-Esprit qui, jouant le rôle la filiation.
de père, aurait fécondé le sein d'une Vierge.
Mais qui oserait soutenir une pareille erreur ? On aurait donc tort d'admettre en principe
Il serait superflu de faire ressortir les consé- que tout être produit par un autre doit s'ap-
quences révoltantes de cette proposition elle ; peler son fils. Je ne m'arrêterai pas ici à faire
estsi révoltante en elle-même qu'aucune oreille observer que l'homme se reproduit dans un
fidèle ne saurait l'entendre sans horreur. Donc, fils d'une autre manière qu'il voit les cheveux
ainsi que nous le reconnaissons dans le sym- croître sur sa tête, les vers mêmes pulluler
bole, Jésus-Christ Notre Seigneur qui est « Dieu dans son corps ce serait rabaisser par une in-
:

« de Dieu » ei. qui, comme homme, est né de digne comparaison la majesté de mon sujet ;

l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie, reste en mais de l'eau les


s'avisera-t-on d'appeler fils

Fune et l'autre nature Fils unique du Père tout- fidèles qui naissent de l'eau et de l'Esprit-

puissant dont procède le Saint-Esprit. Mais Saint ? Non; on leur donne Dieu pour père et
comment entendre que Jésus-Christ est né du l'Eglise pour mère. Voilà comment Jésus-
Saint-Esprit n'en a pas été engendré ? Serait-
s'il Christ, quoique né du Saint-Esprit, n'est pas
ce parce qu'il est son ouvrage ? Car, si Jésus- sonFils, mais celui de Dieu. Produire et donner

Christ Notre-Seigneur est, comme Dieu, celui naissance à un fils sont choses fort différentes ;

par qui tout a été créé', il a été créé lui-même j'aivoulu faire sentir cette distinction en pre-
dans son humanité « de la race de David selon nant les cheveux pour terme de comparaison.
a la chair ^ », pour emprunter les paroles de J'ajoute qu'on peut porter le nom de fils sans

l'Apôtre. Mais la créature que la Vierge a con- y avoir droit par sa naissance : tel est un fils

çue et mise au monde n'est-elle pas Fouvrage adoptif; et quand on appelle les méchants fils

de la Trinité tout entière, bien qu'elle n'ap- de l'enfer, on ne dit pas qu'ils sont sortis de
partienne qu'à la personne du Fils ? La Trinité, l'enfer, mais qu'ils sont destinés à y tomber,
dans ses actes, n'olîre-t-elle pas une union de même qu'on nomme fils du royaume cé-
indissoluble ? Comment donc attribuer uni- leste les fidèles auxquels il est réservé.

quement cet ouvrage à l'Esprit-Saint ? Ne faut-


CHAPITRE XL.
ilpas voir le concours de laTrini té dansl'œuvre
attribuée à une personne divine ? Cette dernière LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST PAR l'OPÉRATION
explication est la vraie, et nous pourrions citer DU SAINT-ESPRIT RÉVÈLE LA GRACE QUI A UNI LE
à Fappui une foule d'exemples mais pourquoi :
VERBE A l'humanité DANS UNE SEULE PER-
nous arrêter plus longtemps sur ce point ? Ce SONNE.
qui trouble la raison, c'est de savoir comment
Jésus-Christ est né du Saint-Esprit, sans être Si donc il n'est pas nécessaire qu'un être
son Fils à aucun Dieu a créé le monde
titre. : soit le fils de celui dont il est né, et qu'on peut
est-ce donc une raison pour dire que le monde même porter le nom de
sans y avoir droit fils

est Fils de Dieu et qu'il est né de lui ? Non ce : par sa naissance, Jésus-Christ, en tant qu'il
que nous pouvons dire, c'est qu'il a été créé est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie,
tiré du néant, produit ou formé par la puis- sans avoir l'un pour père comme il a l'autre

sance divine ^ Cependant nous reconnaissons pour mère, une preuve éclatante de la
est

dans le Symbole que Jésus-Christ est né du grâce divine par elle en effet que l'hu-
: c'est

Saint-Esprit et de la Vierge Marie puisqu'il : manité de Jésus-Christ, sans aucun mérite an-
est né de tous deux, comment ne serait-il pas térieur, a formé, dès le premier instant de son
le Fils du Saint-Esprit et de la Vierge Marie ? existence, une union personnelle avec le Verbe
Voilà le point difficile à expliquer : carie Saint- si indissoluble, que le Fils de Dieu est devenu

Esprit n'est pas son père, au même titre que inséparable du fils de Fhomme, et le fils de
l'homme du Fils de Dieu ainsi l'incarnation a
:

*
Joan. I, 3.— ' Rom. i, 3. — ' L'Incarnation est nettement dis- rendu comme naturelle à l'Homme-Dieu la
tinguée de cette immanation divine qui est le principe du Pan-
théisme. grâce qui éloignait de lui tout péché. Or, cette
,

DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 17

grâce devait être marquée par le Saint-Esprit vie de la tache primitivedu péché, il nous a
qui, tout en étant Dieu par essence, est néan- arrachés à la mort où le péché nous avait
moins appelé le « don de Dieu ». Pour déve- '
plongés, et rendus à la vie nouvelle qu'il a
lopper sufûsamment ce sujet, (mais en som- marquée du sceau de sa résurrection.
mes-nous capables?) il faudrait beaucoup de
temps. CHAPITRE XLII.
CHAPITRE XLI.
LE BAPTÊ.ME.

JÉSUS-CHRIST, PÉCHÉ.
Le sacrement du baptême opère en nous les
13. Jésus-Christ ayant été conçu et formé en effets puissants de ce mystère : tous ceux qui
dehors des voluptés toutes sensuelles de la reçoivent meurent au péché,
cette grâce
concupiscence, n'avait pu contracter la tache comme on dit est mort à
de Jésus-Christ qu'il
du péché originel; intimement lié par un la forme du péché en mourant à la chair et ;

mystère ineflable de la grâce, au Verbe, Fils ils sortent du bain sacré avec une vie nou-

unique du Père par essence, et non par grâce, velle, comme il sortit lui-même du tombeau
etne faisant avec lui qu'une personne indivi- par sa résurrection, et cela, quel que soit l'âge
sible,il ne pouvait contracter de péché ce- : qu'ils aient déjà atteint.
pendant sa ressemblance avec la chair de
péché dont il était enveloppé, lui a fait donner CHAPITRE XLllI.
le nom du péché qu'il devait expier par son
PÉCHÉS EFFACÉS DANS LE BAPTÊME.
sacrifice ^. En
dans l'ancienne loi les
effet,

sacrifices offerts pour les péchés s'appelaient Depuis l'enfant nouveau-né j usqu'à l'homme
eux-mêmes « péchés » ', et Jésus-Christ est cassé de vieillesse, tous doivent être admis
au
réellement ce sacrifice dont les anciens n'é- baptême, parce que tous y meurent au péché;
taient que le symbole. Voilà pourquoi l'Apôtre l'enfant meurt au péché originel, et les per-
après avoir dit «Nous vous supplions au nom
: sonnes plus âgées meurent de plus à tous les
cfde Jésus -Christ de vous réconcilier avec péchés qu'elles ont ajoutés à celui de leur
« Dieu », ajoute aussitôt « Car Dieu a rendu :
naissance par les fautes de leur vie.
« péché pour nous Celui qui n'en avait commis
« aucun, afin que nous devinssions en lui jus- CHAPITRE XLIV.
« tice de Dieu*». Suivant une variante de
LE SINGULIER POUR LE PLURIEL
certains exemplaires incorrects, l'Apôtre aurait
ET RÉCIPROQUEMENT.
dit: « Celui qui n'avait commis aucun péché
« a fait le péché pour nous», comme si Jésus- En disant ici que ces personnes elles-mêmes
Christ fût devenu pécheur pour nous sauver !
meurent au péché dans le baptême, on ne
Non, l'Apôtre dit que Dieu avec qui nous de- parle pas d'un seul péché : car ilest hors de
vons nous réconcilier « a rendu péché pour doute que le baptême efface tous ceux qu'elles
« nous Celui qui n'avait pas commis le péché» ont commis par pensées, paroles ou actions ;

en d'autres termes, a fait de Jésus-Christ la on prend le singulier pour le pluriel par une
victime de nos péchés pour nous réconcilier figure de mots bien connue. « Ils remplissent
avec lui par les mérites de ce sacrifice. Jésus- «les flancs du monstre d'un soldat armé»,
Christ est donc devenu péché, afin que nous ', ce qui ne peut s'entendre ici que
dit Virgile
devenions justice, non la nôtre, mais celle de d'une troupe de soldats. Ou lit également dans
Dieu, non en nous-mêmes, mais en lui ; le les saintes Lettres : « Prie donc le Seigneur
péché est notre ouvrage et non le sien ; ce « d'éloigner de nous le serpent *», expression
n'est pas en lui, mais en nous qu'il résidait, il qui désigne multitude des serpents dont le
la
n'en avait que les dehors sous cette chair de peuple tourmenté. Les exemples analo-
était
péché dans laquelle il a été crucifié. Ainsi, gues sont innombrables. Réciproquement, on
innocent de tout péché, il mourait pour ainsi désigne le péché originel par un nombre plu-
dire au péché en mourant dans la chair qui riel, en disant qu'on baptise les nouveau-nés
en offrait toutes les apparences pur dans sa ; pour la rémission de leurs péchés ici on em- :


Act. vin, 20. — • Rom. vill, 3. — ^ Osée, iv, 8. — '
Cor. ii, v'
ploie le pluriel pour le singulier. C'est ainsi
20, lil. ' Ed. II, 20. — ' Nom. x.yi, 7.

S. AuG. — Tome XII.


18 MANUEL

que l'Evangile dit, en faisant allusion à la mort a agacées ^ ». Ainsi on renaît pour être puri-
d'Hérode « Ceux qui clierchaient la vie de
: fié de toutes les fautes qu'on apporte en nais-
« l'enfant sont morts ». On trouve également ' sant ; car les péchés que l'on commet après
dans l'Exode: «Ils se sont fait des dieux d'or-», le ba|)tème ont la pénitence pour remède.
quoiqu'ils n'eussent élevé qu'un seul veau La régénération n'a donc été établie que pour
d'or. Les Israélites eux-mêmes en s'écriant : réparer les défauts de la naissance ; et cela
«Voilà tes dieux, Israël, ce sont eux qui t'ont est si vrai que le prophète, quoique issu d'un
«tiré de l'Egypte '», prenaient le pluriel pour mariage légitime, a pu dire « J'ai été conçu :

le singulier. « dans les iniquités, et c'est au milieu des

« péchés que ma mère m'a nourri dans ses


CHAPITRE XLV. «entrailles'' ». II ne dit pas dans l'iniquité
ou le péché, si justes que soient ces expres-
LE PÉCHÉ ORIGINEL EST COMPLEXE.
sions le pluriel lui semble préférable. Pour-
:

Toutefois ce péché « qu'un seul homme a quoi ? C'est que le péché qui s'est communiqué
« introduit dans le monde et qui a ensuite à tous les hommes, et qui, par son énormilé,
« passé dans tous les hommes *
», et qui rend a si complètement altéré la nature humaine
le baptême nécessaire, même aux nouveau-nés, qu'elle a été condamnée à mourir, renferme
ce péché, dis-je, est très-complexe; ou y dé- en lui-même comme je viens de le dire,
,

couvre, en l'analysaut, une foule de péchés : une multitude de péchés; c'est que les fautes
l'orgueil, parce que l'honnne a préféré l'indé- personnelles des pères, sans vicier la nature
pendance à la soumission aux lois divines le ;
aussi profondément, ne laissent pas de peser

sacrilège, parce qu'il n'a pas cru à la parole sur leur race, à moins que la miséricorde de
de Dieu; l'homicide, parce qu'il s'est précipité Dieu ne l'affranchisse par une faveur toute
lui-même dans la mort l'adultère spirituel, ;
gratuite.

parce que la pureté de l'esprit humain a été


CHAPITRE XLVn.
corrompue par l'éloquence insidieuse du ser-
pent le larcin, parce qu'il a mis la main sur
; A QUELLE GÉNÉRATION s' ARRÊTE LA TRANSMISSION
un aliment qui lui avait été interdit ; la cupi- DES FAUTES.
dité, parce que ses désirs ont été au-delà de
ses besoins; bref, ce péché en renferme peut- Les fautes des ancêtres, dont la suite remonte
être une foule d'autres encore que ferait aisé- jusqu'à Adam, soulèvent une question qu'il
ment ressortir une analyse plus approfondie. n'est pas inutile d'examiner; la voici : l'enfant
à sa naissance est-il enveloppé dans le réseau
CHAPITRE XLVI. des fautes et des crimes de ceux qui l'ont pré-
cédé, de telle sorte que son origine soit d'autant
LE PÉCflÉ ORIGINEL n'EST PAS LE SEUL QUI SE
plus corrompue qu'il compte une plus longue
TRANSMETTE AVEC LE SANG.
suite d'aïeux; ou bien la vengeance que Dieu

C'est une opinion assez plausible que les menace d'exercer sur la j)Ostérité d'un père
enfants sont impliqués par leur naissance coupable s'arrête-t-elle à la troisième ou à la
dans la faute de nos premiers parents et tout quatrième génération? Dans ce cas. Dieu ne
ensemble dans ks iniquités de la famille dont voudrait pas étendre plus loin les effets de sa

ils sortent, car ils sont soumis à cet arrêt di- justice et la tempérerait par sa miséricorde,

vin : « Je poursuivrai sur les fils l'impiété des pour ne pas aggraver le châtiment éternel que
« pères ^
», aussi longtemps qu'ils n'ont pas subirait cette race infortunée si elle ne recevait

été admis à la régénération du Nouveau Tes- pas le bienfait de la régénération la respon- :

tament. que révélait le pro-


C'est ce bienfait sabilité serait trop lourde, si les enfants con-

phète Ezéchiel, lorsqu'il annonçait que les fils tractaient dans leur naissance les fautes de

n'hériteraient plus des crimes de leurs pères, tous leurs aïeux depuis l'origine du monde,
et qu'Israël verrait un jour se démentir le et étaient condamnés à en porter la peine.

proverbe « Les pères ont mangé du raisin


: Sur une question si grave, l'Ecriture interro-

« vert et les dents de leurs fils en ont été gée avec attention donnerait peut-être une
autre réponse ; mais je ne pourrais ni l'afûr-
» MatU 11,20. — ' Exod. xxxu, 31. — ' Ib. — • Rom. v, 12. -
'
Deut. V, 9.
' Ezech. xviil, 1-20. — ' Psa. l, 7.
DE LS. FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 49

mer ni le nier. Ce serait de ma pari une témé- Jésus-Christ s'est soumis au baptême comme
rité. à la mort, c'est pour remplir le ministère que
CHAPITRE XLVIII. lui traçait sa compassion pour les hommes,
sans qu'il y fût contraint par une nécessité
LE PÉCHÉ ORIGINEL NE PEUT ÊTRE EFFACÉ QUE
qui le rendait lui-même digne de pitié : un
PAR JÉSUS-CHRIST.
seul homme avait introduit le péché dans le
Quant au péché qui fut commis dans le
14. monde, c'est-à-dire dans la nature humaine,
séjour et au sein de la plus haute félicité, et un seul homme devait l'effacer.
qui, par son excès même, entraîna la con-
damnation du genre humain dans son auteur CHAPITRE L.

et pour ainsi dire dans sa racine, il ne peut JÉSUS-CHRIST EFFACE TOUS LES PÉCHÉS.
être expié et effacé que par Jésus-Christ, mé-
diateur entre Dieu et l'homme * : car Jésus- y a une différence l'un n'avait
Toutefois il :

Christ seul a pu naître sans avoir besoin d'être introduit qu'un péché dans le monde, l'autre

régénéré. détruit avec ce péché tous ceux qui s'y


CHAPITRE XLIX. ajoutent. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre : « Il

« n'en est pas du don comme du péché venu


LE BAPTÊME DE JEAN n'AVAIT PAS LA VERTU
« par un seul; car le jugement de condam-
DE RÉGÉNÉRER.
« nation vient d'un seul, tandis que la grâce

En baptême de Jean, que reçut


effet, le « de la justification délivre d'un grand nombre
Jésus lui-même, n'avait pas la vertu de régé- « de péchés ». En effet, le péché originel suffit
nérer seulement le ministère du précurseur
; pour faire encourir la damnation la grâce :

qui avait dit «Préparez la voie du Seigneur^»,


: au contraire justifie non-seulement du péché
avait pour but de préparer la venue de Celui commun à tout le genre humain, mais en-
qui seul pouvait donner aux hommes une vie core des péchés particuliers à chaque homme.
nouvelle. Car Jésus-Christ ne baptise pas seu-
lement dans l'eau, comme Jean, mais encore CHAPITRE LI.

dans le Saint-Esprit ^ afin que tous ceux qui ;


NÉCESSITÉ d'Être régénéré en
croient en lui soient régénérés par le Saint-
JÉSUS-CHRIST.
Esprit qui, ayant engendré Jésus-Christ, l'a
soustrait à la nécessité de renaître. Aussi le L'Apôtre ajoute « De même que par le
:

Père fit-il entendre cette parole : « Voilà celui « péché d'un seul tous les hommes ont été
« que j'ai engendré aujourdlmi
*
», et par là « condamnés à mort, ainsi, par la justice d'un
il ne faut pas entendre le jour où Jésus-Christ « seul tous ont été justifiés pour mener une
fut baptisé, mais lejour sans fin de l'immobile « vie immortelle * ». Et par là il révèle clai-
éternité Dieu révélait ainsi que l'humanité
; rement que tous les fils d'Adam sont soumis
dont il parlait était unie à la personne de son à sa condamnation et qu'ils n'y échappent
Fils unique car le jour qui n'a ni veille ni
; que par leur régénération en Jésus-Christ.
lendemain ne peut s'exprimer que par aujour-
d'hui. En recevant le baptême des mains de CHAPITRE LU.
Jean, Jésus ne se purifiait dans l'eau d'aucune
LE BAPTÊME EST LA FIGURE DE LA MORT ET DE LA
iniquité il voulait donner un grand exemple
:
RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.
d'humilité. Le baptême ne trouvait aucune
tache à effacer en lui, de même que la mort Après avoir exposé, dans les limites et selon
ne trouvait en lui aucun crime à punir de : le plan de son épître, comment la grâce d'un
la sorte, le démon vaincu et accablé par l'in- seul a justifié ceux que le péché d'un seul avait
nocence éclatante plutôt que par le pouvoir faitcondamner l'apôtre célèbre dans la croixde
,

de Jésus-Christ, fut légitimement condamné à Jésus-Christ le mystère auguste du saint bap-


perdre, par l'injuste mort qu'il fit souffrir à tême en nous faisant comprendre que le bap-
la victime sans péché et sans tache, les âmes tême en Jésus-Christ n'est que la figure de sa
que le péché soumettait à son empire. Si donc mort, et que sa mort sur la croix n'est que
l'image de la rémission du péché à sa mort
' [ Tim. II, 5. — » Luc, m, 4. — ' Marc, 1,8.— »
Psal. il, 7 ;
;

Heb. V, 5, ' Rom, V, 16, 18.


20 MANUEL
réelle correspond aussi la rémission effective «Dieu en notre Seigneur Jésus-Christ ». '

de nos péchés, et à sa résurrection véritable, la L'apôtre avait entrepris de prouver que nous
vraie justification de nos âmes. Ecoutons ses ne devons pas persévérer dans le péché, afin
paroles« Que dirons-nous donc ? Devons-nous
: de voir la grâce se multiplier avec nos fautes :

«demeurer dans le péché pour faire abonder « Puisque nous sommes morts au péché, avait-

«la grâce? » Il avaitditen effet plus haut: «Oi^i « il dit , comment pourrons-nous encore y
« le péché a abondé, a surabondé la grâce' ». « vivre?» Puis, pour montrer que nous étions

On voit bien qu'il se demande, s'il faut persé- morts au péché, il avait ajouté: « Ignorez-
vérer dans le péché, parce que la grâce s'est « vous donc que nous tous qui avons été
multipliée avec les fautes. 11 répond « A Dieu : « baptisés en Jésus-Christ nous avons été ,

« ne plaise » et continue ainsi « Puisque nous


, : « baptisés en sa mort ? » Ainsi la fin de son

« sommes morts au |»éché, comment pourrions- discours répond au commencement il nous :

«nousencorey vivre?» Puis, pour montrer que a présenté en effet le trépas de Jésus-Christ
nous sommes morts au péché « Ignorez-vous : comme n'étant qu'une mort au péché et par
«donc, s'écrie-t-il, que nous tous qui avons été conséquent à la chair dont il avait pris l'enve-
«baptisés en Jésus-Christ, nous avons été bap- loppe et qui avait été appelée péché parce
« tisés dans sa mort ? » Si donc le baptême en qu'elle en offrait tous les dehors. C'est donc à
Jésus-Christ n'est que la figure de la mort au tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ, quel
péché, les enfants que Ton baptise en Jésus- que soit leur âge, que s'adressent ces paroles :

Christmeurent au péché : car ils sont baptisés « Considérez-vous comme morts au péché »,

dans l'image de sa mort C'est à tous sans ex- à l'exemple de Jésus-Christ, « et ne vivant plus
ception que s'applique ce passage: «Nous tous « que pour Dieu en Jésus-Christ Notre-Sei-

« qui avons été baptisés, nous avons été baptisés «gneur ».


« dans sa mort ».Nous mouronsdonc au péché
CHAPITRE LUI.
dans le baptême c'est tout ce que l'apôlre
;

veut prouver. Or, à quel péché l'enfant peut-il LA CROIX, LA SÉPULTURE, LA RÉSURRECTION, l' AS-
mourir en se régénérant, sinon au péché qu'il CENSION DE JÉSUS-CHRIST, SYMBOLES DE LA
tient de sa naissance ? 11 faut donc aussi appli- VIE CHRÉTIENNE.
quer aux nouveau-nés les paroles suivantes:
«Nous avons été ensevelis avec lui parle bap- Ace titre, le crucifiement de Jésus-Christ,
« tême pour mourir avec lui, afin que, de même sa sépulture, sa résurrection le troisième jour,
«que Jésus-Christ est ressuscité par la puit^sance son ascension au ciel,où il est assisà la droite
«de son Père, nous marchions aussi après du Père, tous ces événements réels,
et qu'on
« notre résurrection dans les voies d'une vie ne doit pas regarder comme de simples allégo-
« si nous avons été entés en
toute nouvelle. Car, ries sont des symboles mystiques de la vie
,

« lui par la ressemblance de sa mort, nous le se- chrétienne ici-bas. Qu'est-il dit de son crucifie-
« ronsaussi parla ressemblance de sa résurrec- ment? « Ceux qui sont à Jésus-Christ ont cruci-
« tion. Ainsimeltons-nousbiendansl'espritque « fié leur chair avec ses passions et ses con-

« notre vieil homme a été crucifié avec Jésus- «voitises^» de sa sépulture? «Nous avons été
;

« que le corps du péché soit détruit,


Christ, afin « ensevelis avec lui par le baptême pour mourir
« et que nous ne soyons plus les esclaves du «avec lui » de sa résurrection ? » De même
;

« péché. En effet, celui qui est mort est déli- « que Jésus-Christ est ressuscité par la puissance
« vré du péché. Si donc nous sommes morts « de son Père, de même nous devons marcher

« avec Jésus-Christ, nous devons croire que « après notre résurrection dans les voies d'une

«nous vivrons toujours avec lui, puisque nous « vie toute nouvelle » de son ascension au ciel ;

« savons que Jésus-Christ ressuscité ne meurt où il est assis à la droite du Père ? « Si donc
« plus et que la mort n'aura plus sur lui aucun « vous êtes ressuscites avec Jésus-Christ, re-
« empire. Car, pour ce qui concerne la mort, « cherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ
« il n'est mort qu'une fois, afin d'expier nos « est assis à la droite du Père n'ayez de goût
:

M péchés maintenant qu'il vit, il vit pour Dieu.


; « que pour les choses du ciel, et non pour celles
« Aussi vous devez vous considérer comme « de la terre : car vous êtes morts, et votre vie
« morts au péché et ne vivant plus que pour « est cachée en Dieu avec Jésus-Christ * ».

' Kom, VI, 1, V, 20. » Rom. VI, 1-11. — ' Gai. V, 24. — • Coloss. lU, 1-3.
DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 21

CHAPITRE LIV. nous ajoutons que nous croyons au Saint-


Esprit, afin de réunir les trois personnes de la
LE JUGEMENT DERNIER.
Trinité, qui est Dieu même ensuite nous
:

Quant à l'article d u Symbole qui nous oblige nommons la sainte Eglise. Rien de plus logi-
à croire que Jésus-Christ descendra du ciel que : la créature raisonnable et faisant partie
pour juger les vivants et les morts, il n'offre de Jérusalem libre ', devait être nommée
la
plus la même analogie avec les actes de notre après le Créateur, je veux dire la Trinité sou-
vie : il a pour objet non le passé, mais l'avenir veraine; car tout ce qui vient d'être rapporté
tel qu'il doit se réaliser à la consommation des sur l'humanité de Jésus-Christ devait l'être ici,
siècles. C'est dans ce sens que parle l'Apôtre puisqu'il n'y a qu'une personne dans le Fils
quand il ajoute : « Lorsque Jésus-Christ paraî- unique de Dieu. L'ordre naturel exigeait donc
« tra, lui qui est votre vie, vous paraîtrez aussi qu'on associât dans le Symbole l'Eglise à la
a avec lui dans la gloire * ». Trinité c'était unir la maison à celui qui l'oc-
;

cupe, le temple à la divinité, la ville au fonda-


CHAPITRE LV. teur. Or, il est ici question, non-seulement de

LES VIVANTS l'Eglise qui voyage sur cette terre, qui loue le
DOUBLE SENS DE l'eXPRESSION :

ET LES MORTS. nom du Seigneur du couchant à l'aurore % et


chante un cantique nouveau après sa délivran-
On peut entendre de deux manières l'expres- ce de la captivité d'autrefois, mais encore de
sion de vivants et de morts. Les vivants peuvent l'Eglise céleste, qui est restée fidèle au Dieu
en effet désigner ceux qui, à l'instant du juge- son créateur et qui n'a jamais éprouvé les sui-
ment, seront encore dans les liens de la chair; tes funestesde la déchéance. Cette Eglise bien-
et les morts, ceux qui se sont déjà séparés du heureuse se compose des saints anges etassiste,
corps ou doivent s'en séparer, avant l'arrivée comme elle le doit, sa sœur en voyage elles :

du souverain Juge ou bien les vivants repré- : doivent se réunir un jour dans l'éternité, et
sentent les justes et les morts, les méchants, ; déjà elles ne font qu'un, grâce à la charité qui
puisque les justes seront également jugés. les unit; c'est une seule Eglise établie pour
Tantôt ce mot jugement a un sens terrible, adorer un seul Dieu. Aussi ne veut-elle ni dans
comme « Ceux qui auront
dans ce passage : son universalité ni dans l'une de ses parties,
mal, ressusciteront pour être jugés '».
a fait le recevoir les honneurs divins : elle refuse de
Tantôt il se prend en bonne part, comme en voir un Dieu dans tout ce qui fait partie du
cet autre endroit « Dieu, sauvez-moi en : temple que le Dieu incréé a formé des êtres
« votre nom g\ jugez-moi dans votre puissan- divins créés par lui.
« ce ». Le jugement de Dieu en effet aura
^
Si donc le Saint-Esprit était créature au
pour but de séparer les bons d'avec les mé- lieu d'être créateur,il serait sans contreditune

chants, afin que, délivrés du mal et arrachés créature raisonnable, car celle-ci est la première
à la peine qui attend les coupables, les justes des créatures; dès lors, il ne viendrait pas
soient rassemblés à la droite '*.
Aussi le pro- avant l'Eglise, dans le Symbole de la foi, puis-
phète David s'écriait-il : « Jugez-moi, ô mon qu'il ferait lui-même partie de l'Eglise qui est
« Dieu », ajoutant, comme pour expliquer sa dans les cieux; et, loin d'avoir un temple, il
pensée : et «séparez ma cause de celle d'un concourrait lui-même former le temple
à
« peuple impie ^». divin. Or, il a son temple que désigne l'Apôtre
quand il dit : « Ne savez-vous pas que votre
CHAPITRE LVI.
«corpsest temple de l'Esprit-Saint, qui réside
le

DE l'ESPRIT-SAINT ET DE l'ÉGLISE. RAPPORTS — « en vous, que vous avez reçu de Dieu? » fl

DE l'Église triomphante et de l'église mili- avait dit plus haut « Ignorez-vous que nos :

tante. « corps sont membres de Jésus-Christ* ?»


les
Puisque le Saint-Esprit a un temple, comment
Après avoir formulé en peu de mots,
45. ne serait-il pas Dieu ? Peut-il être inférieur
comme l'exige un symbole, notre foi en Jésus- à Jésus-Christ, dont il a les membres pour
Christ Notre-Seigneur, Fils unique de Dieu, temples? D'ailleurs entre le temple de Dieu et
' Coloss. m, — = Joan. v, 29. — celui du Saint-Esprit il n'y a pas de différence,
4. Psal, LUI, 1. "
Matt. xxv,
32, 33, — '. Ps. XLll, 1, ' Gai. IV, 26. — « Psal. cxii, 3. — • I Cor. vi, 19, 15.
Ov-l
MANUEL

puisque l'Apôtre, après avoir dit « Ignorez- : ciété des anges pour un grand nombre de ;

« vous que votre corps est le temple de Dieu », personnes ce ne sont que des corps lumineux
ajoute pour le prouver: «Etque l'Esprit de Dieu privés de sentiment et d'intelligence.
« habite eu vous ? » Ily a donc un temple où
'

habite Dieu, c'est-à-dire où résident avec le CHAPITRE LIX.

Saint-Esprit le Père et le Fils, puisque ce der- DE LA FORME SOUS LAQUELLE LES ANGES ONT
nier en parlant de son corps qui l'a rendu chef APPARU.
de l'Eglise ici-bas, « afin qu'en toutes choses il
« ait lepremier rang ® », a dit « Abattez ce : Comment expliquer encore quelle est la
a temple et je le rebâtirai en trois jours * ». Ce forme dont les anges se revêtent pour se ma-
temple où réside Dieu, en d'autres termes, nifester aux hommes ? Tantôt ils ont Vin corps
la Trinité tout entière, est la sainte Eglise, visible et même palpable
au contraire, ; tantôt,
embrassant tout le ciel et la terre dans son ils découvrent par un eilet tout spirituel,
se

universalité. non aux yeux du corps, mais à ceux de l'àme,


CHAPITRE LVII. se placent au dedans et s'y font entendre sans
que l'oreille soit frappée au dehors, témoin le
BONHEUR INALTÉRABLE DE l'ÉGLISE DU CIEL.
proi)hète : « L'ange qui parlait au dedans de
Que pourrions-nous dire de l'Eglise céleste, «moi, me dit*». Remarquez l'expression :

sinon qu'elle ne renferme pas de méchants et « au dedans de moi » il ne dit pas que l'ange ;

que personne n'y fut ou n'y sera jamais dé- lui adressait la parole. Quelquefois même ils

gradé, depuis jour où « Dieu, sans épargner


le apparaissent pendant sommeil et parlent en le

a les anges qui avaient péché, les a précipités faisant la même impression qu'un songe; on
« dans l'abîme ténébreux où ils sont enchaînés lit en effet dans l'Evangile « Voici que l'ange :

« pour être tourmentés et tenus comme en « du Seigneur lui apparut en songe et lui

« réserve jusqu'au jour du jugement * ? » « dit ^ ». Dans ces sortes de visions, les anges
n'apparaissent pas évidemment sous une en-
CHAPITRE LVIII. veloppe matérielle de là une question fort ;

HIÉRARCHIES DES ANGES.


difficile : c'est de savoir comment les patriar-
ches ont pu leur laver ^ ou comment les pieds

Et comment décrire cette heureuse société Jacob a soutenu avec l'un d'eux une lutte si
d'en haut? Quels sont les traits qui distinguent terrible *. Quand on soulève ces difficultés et
les anges et établissent entre eux une hiérar- qu'on cherche à les expliquer par des hypo-
chie ? Le nom d'ange est commun à tous les thèses, dans la mesure de ses forces, on peut
esprits célestes, et l'apôtre Paul nous le révèle y trouver un utile exercice d'esprit; mais il
clairement dans ce passage « A qui des anges : faut mettre une sage réserve dans cet examen,
« Dieu a-t-il jamais dit Asseyez-vous à ma : et se garder de tout préjugé systématique.
« droiteCependant il y a parmi eux des
^
? » Est-il donc si nécessaire d'affirmer, de nier, de

archanges; ces archanges se confondent-ils définir et de distinguer dans des questions que
avec les vertus? Quand le psalmiste a dit :
l'on pourrait ignorer sans péril ?
a Louez le Seigneur, vous tous qui êtes ses
« anges; louez-le, vous tous qui êtes ses ver- CHAPITRE LX.
a tus^ », ne faut-il voir dans ces vertus que
ARTIFICES DE SATAN POUR SE DÉGUISER EN ANGE
les archanges eux-mêmes? Quelle différence DE LUMIÈRE.
y entre les trônes, les dominations, les
a-t-il

principautés, les puissances, ce qui semble 16. Un point plus essentiel, c'est de savoir
constituer pour l'Apôtre toute la hiérarchie reconnaître les artifices qu'emploie Satan pour
céleste"? Réponde qui pourra à ces questions, se transformer en ange de lumière ° ses sé- :

surtout en n'avançant rien sans le prouver ; ductions pourraient nous entraîner dans quel-
pour moi j'aime mieux reconnaître ici mon que abîme. Produit-il sur les sens une illusion
ignorance. Je ne sais même pas si le soleil, la sans ébranler l'esprit ni l'écarter des principes
lune et les autres astres font partie de la so- dont la lumière guide la conduite de toute

' I Cor. m, 16. — = Col. i, 18. — '


Joan. ll, 19. — »
Pet. n, 4. — '
Zach. i , 9. — = Malt, i , 20. — ' Geo. xvm, 4, xix, 2. — * Ib.
' Hébr. I, 13. — ' Psal. cxLViii, 2. — '
Coloss. i, 16. xx.xm. — ' If Cor. xi, U.
DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 23

âme fidèle? La piété n'est exposée à aucun genre humain pour rétablir la cité céleste,
danger. Contrefait-il dans ses actes ou dans dans son intégrité primitive. Voilà pourquoi
ses paroles la sainteté des anges? Son hypo- l'Apôtre dit « Qu'en Jésus-Christ etparJésus-
:

crisie, quand même


nous en serions dupes, « Christ tout est réparé au ciel et sur la
ne ferait courir à la foi chrétienne aucun « terre » au ciel, puisque ceux qui doivent
'
;

péril. Mais lorsqu'il cherche à nous conduire y remplacer les anges déchus sont prélevés
à ses fins sous le masque de la vertu, il faut sur le genre humain sur la terre, puisque les ;

alors déployer l'attention la plus vigilante hommes prédestinés à la vie éternelle sont
pour reconnaître ses pièges et pour ne point affranchis de la corruption originelle et régé-
se laisser entraîner sur ses pas. Et qui pourrait nérés. C'est ainsi que par un seul sacrifice, re-
échapper à ses ruses infernales sans l'inspira- présenté dans l'ancienne loi sous une multi-
tion et le secours d'en haut ? Cette lutte péril- tude de victimes symboliques, le Médiateur
leuse a donc un avantage c'est d'avertir : réconcilie le ciel avec la terre, la terre avec le
l'homme de ne pas se fier à ses propres forces ciel, « parce qu'il a plu à Dieu, dit l'Apôtre,
ou à celles d'autrui et de n'avoir recours qu'à « de renfermer en lui la plénitude de toutes
Dieu, soutien universel de ses enfants. Rien « choses, de réconcilier toutes choses en lui et
n'est plus salutaire que celte défiance aux yeux « par lui, pacifiant par le sang qu'il a répandu
de tout homme véritablement religieux. « sur la croix ce qui est sur la terre et ce qui
« est dans le ciel ^ ».
CHAPITRE LXI.
CHAPITRE LXni.
JÉSUS-CHRIST n'est PAS MORT POUR LES ANGES.
i
EN QUOI LA RÉDEMPTION TOUCHE-T-ELLE LES LA PAIX DU ROYAUME DES CIEUX DEPASSE TOUTE
ANGES. INTELLIGENCE.

Pour en revenir à l'Eglise formée par les « Cette paix de Dieu, comme il est écrit,
saints anges et les vertus de Dieu, ses gran- « dépasse toute intelligence ' » ; nous n'en
deurs nous seront révélées quand nous lui concevrons l'idée que dans le ciel. Qu'est-ce en
serons enfin incorporés, et que nous partici- effet que la paix dans le ciel, sinon l'accord
perons à sa félicité inaltérable. Si nous con- rétabli entre le ciel et la terre ? Dans le ciel, il

naissons mieux celle qui voyage ici-bas, c'est règne une paix inaltérable : rien n'y trouble
que nous en sommes membres et qu'elle se l'accord des esprits créés, soit entre eux soit
compose d'hommes semblables à nous. C'est avec le Créateur. « Cette paix, qui dépasse

pour elle que le Médiateur, innocent de tout « toute intelligence », n'est insaisissable que
péché, a payé la rançon du péché c'est elle ; pour nous : elle n'est pas au-dessus de l'intelli-
qui peut dire : pour nous, qui
« Si Dieu est gence des anges qui contemplentéternellement
« est contre nous ? Il n'a pas épargné son la face du Père. Quant à nous, si hautes que
« propre Fils, mais il l'a livré pour nous * » : soient nos conceptions nous n'apercevons ,

car Jésus-Christ n'est point mort pour les qu'imparfaitement les choses, etnousne voyons
anges. Cependant ils prennent part aux bien- « Dieu que comme dans un miroir et à travers

faits de cette mort; les hommes qu'elle a ra- « des énigmes » mais quand « nous serons ;

chetés et délivrés du mal, se réconcilient en « devenus les égaux des anges * », nous le ver-

quelque sorte avec eux et font cesser la divi- rons, comme ces bienheureux esprits, face à
sion que le péché avait mise entre le ciel et la face nous serons unis avec eux dans les
:

terre; de plus, la rédemption remj)lit les vides mêmes sentiments de paix, parce que nous les
que la révolte avait produits dans les rangs des aimerons autant qu'ils nous aiment. En ce
anges. jour nous connaîtrons la paix qui règne parmi
CHAPITRE LXII. les anges, parce que celle dont nous jouirons
sera aussi pure, aussi profonde, et ne dépassera
JÉSUS-CHRlST PRINCIPE d'uNION ET DE PAIX.
plus nos conceptions. Je ne parle pas ici des
Eclairés par la divinité, dont l'éternelle con- sentiments de paix qui animent Dieu pour
templation fait leur bonheur, les saints anges lesanges ni leur cœur ni le nôtre ne saurait
:

savent le nombre des élus que doit fournir le en mesurer l'étendue. Car si le bonheur de
»
Rom. vin, 31, 32. ' Eph. I, 10. — = Col. 1, 19, 20. — » Philip, iv, 7. — *
Luc, xx, 36.
.

24 MANUEL

toute créature intelligente, appelée à la vie CHAPITRE LXV.


heureuse, dépend de Dieu, Dieu trouve en
QUELS CRIMES REMET l'ÉGLISE. EN DEHORS DE
lui-même sa félicité. Il vaut donc mieux ne
l'Église les péchés ne peuvent être remis.
faire exception que pour Dieu dans ce passage :

« La paix de Dieu dépasse toute intelligence». La sainte Eglise a-t-elle le pouvoir de re-

Au-dessus de la portée des saints anges, ce mettre les crimes les plus énormes? Oui, sans
mystère ne peut dépasser celui qui en est le doute, et ne faut pas désespérer de la misé-
il

principe et l'auteur. ricorde divine,si la pénitence est proportionnée

au péché. Eût-on commis un crime assez


^CHAPITRE LXIV. grave pour être excommunié, la pénitence
doit moins se mesurer à la durée qu'à la vi-
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS.
vacité même du repentir: « car Dieu ne dé-
17. Toute division s'efface entre nous et les « daigne pas un cœur contrit et humilié ». '

anges, même dès ici-bas, quand nos péchés Cependant, le repentir étant un sentiment
nous sont remis. Aussi l'article du Symbole tout intérieur et qui d'ordinaire ne se révèle

relatif à l'Eglise est-il immédiatement suivi pas au dehors par les paroles ou autres signes,
du dogme de la rémission des péchés. C'est de sorte qu'il n'est visible que pour celui
par là que subsiste l'Eglise qui est sur la « à qui nos gémissements ne sont pas cachés ^» ;

terre, et qu'on ne voit pas périr sans res- les chefs de nos églises ont sagement déter-

sources ce qui avait été perdu et ce qui s'est


c(
miné la durée de la pénitence, afin de donner
« retrouvé » Quoiqu'on ait reçu le baptême,
*
.
pleine satisfaction à l'Eglise même au sein de
destiné à effacer par sa vertu régénératrice le laquelle se remettent les péchés, pouvoir divin

péché originel et tout ensemble les péchés qui en dehors d'elle n'existe pas : car, elle a

actuels qu'on aurait commis antérieurement exclusivement reçu le don du Saint-Esprit %


par pensées, par paroles ou par action quoi- seul capable d'accorder la rémission des pé-
;

que, dis-je, on ait reçu ce bienfait incompa- chés, gage de la vie éternelle.

rable, qui est le principe d'une vie nouvelle


CHAPITRE LXVI.
et l'expiationde toute faute personnelle ou
héréditaire cependant on ne saurait vivre
; LA RÉMISSION DES PÉCHÉS A POUR RUT DE
après avoir atteint l'âge de raison, sans la PRÉVENIR LE JUGEMENT A VENIR.
grâce de la rémission des péchés, si féconde
que soit la conduite en actes de justice. En Les péchés ne sont en effet remis que pour
de Dieu, pendant leur vie péris-
effet, les fils prévenir le jugement à venir. Avec quelle
sable, ne cessent de lutter contre la mort. On rigueur ne s'exécute pas en ce monde cet arrêt
a dit avec raison « que tous ceux qui se lais- terrible « Un joug pesant est sur les fils
:

« sent régir par l'Esprit de Dieu sont ses en- « d'Adam, depuis le jour oîi ils sortent du sein

« fants^ i> ; toutefois ils ne sauraient être gou- « de leur mère jusqu'à leur sépulture dans le

vernés par l'Esprit-Saint ni marclier dans la « sein de leur mère commune M» Les nou-

voie des enfants de Dieu sans s'abandonner de veau-nés, quoique régénérés dans le bap-
temps en temps comme les enfants de , tême, sont souvent en proie aux douleurs les
l'homme, à la pente de leur propre esprit, sous plus De là une conséquence fort
cruelles.

l'impulsion « de cette chair corruptible ^ » et simple que les sacrements ont pour eflet
: c'est

des passions : voilà comment ils tombent de fortifier nos espérances dans les biens à
dans péché. Mais les péchés diffèrent selon
le venir, plutôt qu'ils ne sont un moyen d'ac-
leur gravité, et si tout crime est un péché, il quérir ou de conserver les prospérités d'ici-
s'en faut bien que tout péché soit un crime. bas. Il semble parfois que Dieu oublie le crime

On peut donc dire que les saints, tant qu'ils et le laisse impuni non, le châtiment n'est ;

sont sur la terre, pure de tout mènent une vie que différé; ce n'est pas sans raison qu'on ap-
crime; « mais si nous prétendions que nous pelle jour du jugement, \e \om où doit appa-

« sommes sans péchés, nous nous trompe- raître le Juge des vivants et des morts. Parfois
« rions nous-mêmes et la vérité ne serait au contraire la peine suit le crime, et, si ce
« point avec nous * » crime a été remis, il n'entraîne aucun châti-

Luc, XV, 24. — = Rom. viii, U. — ' Sap. ix, 15. — ' I Joan. i, 8. • Psal. 1, 19. — =
Ib. XXXVII, 10. — ' II Cor. i, 28. — ' Eccl. XL, 1.
.

DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 25

ment dans le siècle à venir. De là vient qu'en vres, et par conséquent que Paul contredit son
parlant des peines temporelles auxquelles les compagnon dans l'apostolat, que dis-je? se
pécheurs rentrés en grâce avec Dieu sont con- contredit lui-même, puisqu'il s'écrie plus loin :

damnés ici-bas , et qui les préservent des «Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs,
peines futures, l'Apôtre dit: «Si nous nous « ni les idolâtres, ni les adultères, ni les eflfé-

«jugions nous-mêmes, nous ne serions pas « minés, ni les sodomites, ni les avares, ni les

«jugés par mais quand nous


le Seigneur : « ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs
« sommes jugés de la sorte, le Seigneur nous « du bien d'autrui, ne seront héritiers du
« châtie, afin que nous ne soyons pas con- « royaume de Dieu ». Or, comment le ciel *

« damnés avec ce monde * » serait-ilfermé à ces pécheurs endurcis dans le


crime, si la foi en Jésus-Christ suffisait pour les
CHAPITRE LXVn. sauver ?
TOUS LES FIDÈLES, QUELS QUE SOIENT LEURS
CHAPITRE LXVIII.

CRIMES, SERONT-ILS SAUVÉS PAR LE FEU? DU FEU PURIFICATEUR EN CETTE VIE.

C'est une opinion particulière à certaines Comme le langage des Apôtres, sur ce point,
personnes-, que si Ton reste fidèle au nom de est trop clair et trop explicite pour être taxé

Jésus-Christ, et qu'après avoir été incorporé à d'erreur, il ne reste plus qu'à lever toute con-
l'Eglise par lebaptême, on ne s'en retranche tradiction entre ces témoignages incontesta-
ni par le schisme ni par l'hérésie, eût- on bles et le passage un peu obscur où Paul dé-
commis les plus grands crimes sans les effacer clare que « tous ceux qui auront surajouté au
par la pénitence ou les racheter par l'aumône, fondement, c'est-à-dire à la doctrine de Jésus-
et persévéré jusqu'au dernier soupir dans le Christ, un édifice non d'or, d'argent et de
péché, on échappera à la damnation en pas- pierres précieuses, mais de bois, de foin et de
sant par le feu le supplice aura sans doute : paille, seront sauvés par le feu, parce qu'ils
une durée proportionnée aux fautes, mais il auront bâti sur le véritable fondement ». Or,
ne sera pas éternel. Les personnes qui, tout en le bois, le foin et peuvent fort bien
la paille
restant catholiques, admettent cette opinion, figurer ici un attachement aux choses du
me semblent dupes d'une pitié tout humaine monde, honnête en soi, mais assez puissant
pour les criminels l'Ecriture divine répond : pour rendre douloureuse la perte de ces biens
tout le contraire quand on veut l'interroger. éphémères. Jésus-Christ tient-il, dans un cœur
J'ai composé sur cette question un ouvrage dévoré de pareils regrets, la place fondamen-
intitulé De la Foi et des Œuvres ^ ! Là, selon tale; en d'autres termes, sait -on mettre Jésus-
leslumières que Dieu m'a communiquées, j'ai Christ au-dessus de tout et aimer mieux per-
démontré que la foi qui sauve est celle dont dre les biens du monde que la foi ? On se
l'apôtre Paul a nettement défini le caractère sauve par le feu. Au contraire, aime-t-on
dans ce passage : « En Jésus-Christ ni la cir- mieux, dans les jours d'épreuves, s'attacher
« concision, ni l'incirconcision ne servent de aux biens périssables du monde qu'à Jésus-
« rien, mais la foi agissant par la charité ^ ». Christ? on ne bâtit plus sur l'inébranlable
Or, si la foi n'est féconde qu'en mauvaises ac- fondement car, on préfère alors l'accessoire
:

tions, nul doute, comme dit l'apôtre Jacques, au nécessaire, puisque la base d'un édifice en
« qu'elle ne soit morte en elle-même » car, : est l'élément essentiel. Le feu dont parle ici
selon le même Apôtre, « que servira-t-il à l'Apôtre n'est qu'une épreuve passagère de
« quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas l'éditice élevé sur l'éternel fondement, soit en
« les œuvres ? La foi pourra-t-elle le sauver * ? » or, en argent ou en pierres précieuses, soit
Mais si un homme chargé de crimes n'a be- en foin, en paille ou en bois. Car il ajoute :

soin que de croire pour être sauvé par le feu, « Le feu montrera quelle est la qualité de

si c'est là le véritable sens du passage où le « l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage surajouté

bienheureux Paul dit « qu'on sera sauvé, mais « au fondement résiste au feu, on recevra
« comme par le feu », il faut alors admettre « une récompense si l'ouvrage est consumé,
:

que la foi est capable de sauver sans les œu- « on perdra son salaire, et on ne se sauvera

« qu'en passant parle feu ^ ». L'un et l'autre


' I Cor. XI , 31 , 32. — ' Voir tome V. — " Gai. v, 6. — * Jacq.,
II, 17, 14. ' I Cor. VI, 9, 10. — ' Id. III, 11-15.
MANUEL

ouvrage seront donc soumis k l'épreuve du gauche, au dernier jour, selon qu'ils auront
feu. Ainsi le feu désigne la violence des tribu- été féconds ou stériles en charités car il doit ;

lations, comme expressément dans


il est dit dire aux uns « Venez, bénis de mon Père,
:

un autre endroit de l'Ecriture « Le feu : «possédez le royaumequi vousaété préparé»;


«éprouve les vases du potier, et l'affliction, le et aux autres : « Allez au feu éternel * ».

« juste ». L'affliction, en effet, est parfois


*

dans la vie l'épreuve du feu que l'Apôlre si-


CHAPITRE LXX.
gnale. Supposons deux fidèles l'un, tout oc- :
SANS LA CONVERSION, l' AUMÔNE NE PEUT
cupé des choses du Seigneur et des moyens RACHETER LES CRIMES.
de lui plaire, bâtit sur le fondement de la foi
en Jésus-Christ un édifice d'or, d'argent et de •19. Qu'on ne se figure pas toutefois que l'au-
pierres précieuses; l'autre, occupé du soin des mône efface les crimes qui ferment le ciel, à

choses du monde et des moyens de plaire à sa mesure qu'on les commet; il faut d'abord
femme, bâtit sur le môme fondement un édi- changer de conduite. On trouve dans l'au-
fice de bois, de foin et de paille ^ : l'ouvrage mône un moyen d'attirer la miséricorde de
du premier flamme, parce qu'il
résiste à la Dieu sur ses fautes passées, et non de l'ache-
n'est point attaché aux biens du monde et ter en quelque sorte et d'acquérir le privilège
qu'il est insensible à leur perte ; l'ouvrage du de pécher impunément. « Dieu n'a donné à
second est consumé, parce qu'on ne saurait « personne le droit de mal faire ^ » il a pitié ;

perdre sans regrets des biens qu'on a possédés de nos fautes passées ne les pardonne que
et

avec amour. Mais comme ce dernier, si on lui quand nous lui offrons une juste satisfaction.
proposait de choisir entre Jésus-Christ et le
monde, préférerait Jésus-Christ et qu'il sacri- CHAPITRE LXXI.
fierait ces avantages à sa foi, tout en regrettant
l'ORAISON dominicale EFFACE LES FAUTES
d'en être privé, il se sauve sans doute, mais LÉGÈRES.
comme à travers un incendient est dévoré du
regret d'avoir perdu les biensdont il était épris ;
Quant à ces fautes légères et fugitives de
mais son chagrin n'attaque ni ne consume chaque jour qui sont inséparables de la vie
le fondement inébranlable que sa solidité met humaine, l'Oraison dominicale suffit chaque
à l'abri de toute atteinte. jour pour les expier. «Notre Père qui êtes aux
«cieux» est une expression toute naturelle dans
CHAPITRE LXIX. la bouche de ceux qui sont redevenus les en-
fants de Dieu par le baptême. Cette prière efface
DU FEU PURIFICATEUR DANS l'aUTRE MONDE.
donc les fautes légères de chaque jour, elle
Y a-t-il dans l'autre monde une épreuve sert même d'expiation aux fautes graves d'une
analogue ? Il n'y aurait là rien d'extraordi- vie passée dans le crime, si les fidèles renoncent
naire, et on peut se poser cette question. Par à leurs désordres et reviennent à la vertu par
une loi plus ou moins mystérieuse, il peut y la voie de la mais il faut pour cela
pénitence ;

avoir des fidèles qui se dans les purifient, qu'après avoir prié Dieu sincèrement « de
flammes, de leur attachement excessif aux «nous remettre nos dettes », qui ne sont
choses d'ici-bas, et qui se sauvent en endu- jamais éteintes, nous lui disions avec la même
rant un sup|)lice dont la longueur est en rap- sincérité « comme nous remettons à ceux
:

port avec l'intensité de leurs désirs mondains : « qui nous doivent » en d'autres termes, il
;

mais il ne saurait être ici question de ceux faut que nous pardonnions les premiers. C'est
« à qui le royaume du
ciel est fermé », à une aumône, en effet, que d'accorder le par-
moins obtenu par une juste pé-
qu'ils n'aient don à celui qui le sollicite.
nitence le pardon de leurs crimes. Par ce mot
de juste pénitence, je veux surtout dire qu'ils
CHAPITRE LXXH.
ne doivent pas être pauvres d'aumônes l'E- :
FORMES DIVERSES DE l'AUMÔNE.
criture, en effet, attribue à l'aumône une
vertu si puissante que le Seigneur prédit Tous les bons offices que peut rendre la
qu'il mettra les hommes à sa droite ou à sa pitié se rattachent à cette parole du Seigneur :

» Eccl. A'xvii, 6, — M Cor. 33-34. '


Matt. XXV, 34, 41. — Eccli. xv, 21.
DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 27

« Faitesl'aumône et tout sera pur en vous * ». vilége de dire avec vérité : « Remettez-nous
Faire l'aumône, ce n'est pas seulement apaiser a nos dettes comme nous remettons à nos dé-
la faim du pauvre, éteindre sa soif, couvrir sa « biteurs ». Toutefois ce vœu est rempli, sans
nudité, accueillir le voyageur, cacher le fugi- aucun doute, quand, trop imparfaits encore
tif, visiter le malade ou le prisonnier, racheter pour aimer notre ennemi, nous cédons à ses
le captif, soutenir le faible, guider l'aveugle, prières et lui pardonnons sincèrement les
consoler l'affligé, soigner le blessé, remettre offenses que nous en avons reçues. Nous
l'homme égaré dans sa roule, donner conseil mêmes, en effet, sollicitons le pardon de nos
à celui qui est irrésolu, enfin prêter à chacun fautes en faisant cette supplique : « Comme
l'aide que réclame son état pardonner
; c'est «nous remettons nos dettes ». N'est-ce pas

les offenses, c'est corriger un inférieur par une dire Accordez à nos prières le pardon de nos
:

peine rigoureuse ou par des leçons sévères, fautes,comme nous l'accordons nous-mêmes
tout en lui pardonnant du fond du cœur ou en à nos ennemis quan ils viennent nous le de- 1

priant Dieu de lui pardonner et l'aumône : mander ?


ici consiste non-seulement à pardonner l'of- CHAPITRE LXXIV.
fense ou le préjudice, mais encore à châtier
DIEU NE PARDONNE QU'a CEUX QUI PARDONNENT.
ou à reprendre le coupable car on suit à son
;

égard les inspirations de la pitié. On oblige Il ne faut plus voir un ennemi dans l'homme
souvent les hommes malgré eux, en consul- qui, regrettant sa faute, va demander pardon
tant moins leurs désirs que leurs intérêts, à celui qu'il a offensé ; on trouve autant de
parce qu'ils n'ont point d'ennemis plus terri- douceur à l'aimer qu'on y trouvait de répu-
bles qu'eux-mêmes, d'amis plus dévoués que gnance quand son cœur était animé par la
leurs prétendus ennemis dupes de cette illu-
: haine. Mais si les prières et le repentir du cou-
sion, ils rendent le mal pour le bien, et ou- pable ne peuvent réussir à nous toucher,
blient que le chrétien doit répondre même au ne croyons pas que le Seigneur nous remettra
mal par la charité. L'aumône prend donc nos péchés. La vérité est incapable de tromper ;

diverses formes, et, quand nous la faisons, or, peut-on avoir lu ou entendu lire l'Evangile
nous contribuons à nous acquitter de nos sans savoir quel est Celui qui dit de lui-même :

dettes. « Je SUIS la Vérité » La Vérité donc, après


^
!

CHAPITRE LXXIII. nous avoir enseigné cette prière, ajoute, pour


nous faire sentir toute rimportance de ce pré-
l'aumône la plus noble est de pardonner
cepte « Si vous remettez aux hommes leurs
:

A SES ennemis.
« offenses, votre Père céleste vous remettra

De toutes les aumônesla plus sublime est « aussi vos péchés. Mais si vous ne les remettez

celle qui consiste à pardonner sincèrement les « point aux hommes, votre Père céleste ne vous

offenses. Ce n'est pas un trait de grandeur « remettra point non plus vos péchés *». Quel

d'àme que d'être bienveillant, généreux même éclat de tonnerre S'il neréveille pas, on n'est
!

envers un homme qui ne nous a jamais nui ;


pas endormi, on est mort Dieu, toutefois, peut :

le comble de la bienfaisance et de la magna- ranimer les morts mêmes.


nimité, c'est d'aimer notre ennemi, de n'op-
poser à sa haine et à ses offenses que la cha- CHAPITRE LXXV.
rité et les bons offices en obéissant à ce
,
l'aumône NE PURIFIE PAS SI ON NE SE CORRIGE.
commandement du Seigneur « Aimez vos :

« ennemis, faites du bien à ceux qui vous 20. Les pécheurs qui vivent dans le crime
« haïssent et priez pour ceux qui vous persé- sans songera réformer leurs mœurs, et qui, au
cutent - ». Mais les enfants de Dieu les plus milieu de leurs attentats et de leurs désordres,
parfaits atteignent seul cet idéal où chaque ne laissent pas de prodiguer les aumônes, se
fidèle doit aspirer en substituant aux faiblesses bercent d'une idée chimérique, s'ils prennent
humaines ce divin sentiment à force de , à la lettre ces paroles du Seigneur : a Faites l'au-
prières, de luttes et de victoires intérieures; « mône, et tout sera pur pour vous ^» .Ils ne les

il se rencontre moins de personnes qu'on comprennent pas dans leur profondeur. S'ils
pourrait le croire qui aient le magnifique pri- veulent en découvrir le sens, qu'ils écoutent à
Luc, XI, 41. —
' Matt. V, 44.
= ' Joan. XIV, G. — ' Matt. vi, J4, 15. — Luc, XJ, 41.
28 MANUEL

qui Jésus-Christ les adresse « Pendant qu'il : « mort


étions encore pécheurs, Jésus-Christ est
« parlait, un pharisien le pria de dîner chez lui, « pour nous * ». C'est ainsi qu'en faisant un
a et Jésus y alla et se mil à table. Alors le pha- sincère aveu de notre pauvreté et en aimant
« risien raisonnant en lui-même, commença Dieu de l'amour môme que nous tenons de la
« à se demander pourquoi Jésus ne s'était pas grâce, nous vivons avec piété et avec justice.
« lavélesmains avant de dîner. Maisle Seigneur Or, les pharisiens ne songeaient ni à leur indi-
« lui dit Vous autres pharisiens vous nettoyez
:
gence, ni à la charité de Dieu ils se bornaient :

« le dehors de la coupe et du plat, mais le de- à donner le dixième de leurs biens et payaient
ce dans de vos cœurs est plein de rapines et la dîme des moindres légumes, au lieu de

« d'iniquités. lnsensés,celui quiafaitledehors, commencer par se prendre eux-mêmes pour


« n'a-t-il pas aussi fait le dedans ? Cependant, l'objet de leur pitié et de leurs aumônes, et

« donnez l'aumône de ce que vous avez et tout de suivre l'ordre naturel de la charité « Tu :

« serapur pour vous » Eh quoi les pharisiens


^
. 1 « aimeras ton prochain comme toi-même ' ».

n'avaient pas la foi en Jésus-Christ, ils étaient Lors donc que Jésus leur reprochait de pousser
incrédules, ils n'étaient pas régénérés dansl'eau trop loin la propreté extérieure et d'être tout
et le Saint-Esprit, et tout serait pur en eux à la souillésau dedans parlesrapinesetlesiniquités,
seule condition de donner l'aumône dans le il leur faisaitcomprendrequ'il y aune aumône
même esprit que la font ces pécheurs ? Mais que l'homme doit d'abord lui-même
se faire à

on est impur si on n'a pas été purifié par la foi et qui seule est capable de purifier le cœur :

de Jésus-Christ qui « purifie les cœurs ^ » ; et, « Du reste faites l'aumône, et tout sera pur en
comme dit l'Apôtre : « Rien n'est pur pour les « vous ». Puis, pour leur faire sentir la force

a impurs et les infidèles : ils ont l'esprit et la du précepte qu'ils négligeaient, et pour leur
« conscience souillée ^ ». Comment donc tout ôter la pensée qu'il ignorait leurs aumônes,
serait-ilpur pour les pharisiens, à la seule il ajouta: « Malheur à vous, pharisiens »,
condition de donner l'aumône sans avoir la foi ? comme s'il eût dit : Je viens de vous apprendre
Or, comment auraient-ils eu la foi, eux qui l'espèce d'aumône que vous devez faire pour
ne voulurent ni croire en Jésus-Christ, ni se que tout soit pur en vous « malheur à vous, ;

régénérer par sa grâce ? Cependant, tout est « pharisiens, qui payez la dîme de la menthe,

vérité dans les paroles qu'ils ont entendues : « de la rue et de toute sorte de légumes » ces ;

« Faites l'aumône et tout sera pur en vous». aumônes, je les connais n'allez pas croire ;

qu'elles sont le véritable objet de mes repro-


CHAPITRE LXXVI. ches vous négligez la justice et l'amour de
: «

« Dieu *» voilà l'aumône qui purifierait votre


l'aumône consiste tout d'abord a prendbe pitié
;

âme de toute souillure, comme l'eau purifie


de son ame et a bien vivre.
votre corps. Le mot tout, en effet, comprend à
Veut-on suivre dans ses aumônes l'ordre la fois l'âme et le corps : « Purifiez l'intérieur,

naturel ? il faut d'abord se la faire à soi-même. « est-il dit dans un autre endroit, et l'extérieur

L'aumône est un effet de la pitié. Or il a été dit « sera net * ». Dune veut reste, Jésus-Christ

avec vérité «Prends compassion de ton âme,


:
pas avoir de rejeter les aumônes qui se
l'air

« pour plaire à Dieu » Nous nous régénérons


''
.
font des biens temporels car il ajoute aussitôt ; :

pour plaire à Dieu, qu'offense avec raison la « Voilà ce qu'il fallait observer », c'est-à-dire,

tache de notre origine ; c'est la première au- la justice et l'amour de Dieu, « sans négliger

mône que nous nous sommes faite car, nous


:
« les autreschoses"», c'est-à-dire, les aumônes
avons alors regretté notre indigence et soupiré des biens de la terre.
après la miséricorde de Dieu, en reconnaissant
CHAPITRE LXXVII.
la justice de l'arrêt qui nous avait condamnés
aumalheur, et dont l'Apôtre a dit: «La sentence l'aumône n'est efficace qu'a la CONDITION
« provoquée par un seul a condamné tout le DE RENONCER A l'iNIQUITÉ.
« genre humain » puis nous avons rendu
;

grâces à cette charité infinie dont le même Qu'on ne s'imagine donc pas qu'à force
Apôtre a dit « Dieu a fait éclater envers
: d'aumônes en nature ou en argent, on puisse
c(nous son amour, en ce que, quand nous '
Rom. V, 16, 8, 9. — -
Luc, x, 27. - • Luc , xi, 42, — ' Malt.
Luc, XI, 37-11. — ' Act. XV, 9. - ' Tit. I, 15. — " Eccli. XXX, 24. xxui, 26. — ' Luc, XI, 42.
DE LA FOI, DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 29

acheter le privilège de persévérer impunément bas donc vous avez des procès sur les
: « Si

dans les crimes et dans les désordres les plus « affaires de ce monde, prenez pour juges les
abominables. C'est une erreur; car, on ne « personnes mêmes qui tiennent le dernier
commet plus seulement le crime, mais on « rang dans l'Eglise. Je le dis à votre confa-
l'aime et on voudrait n'y renoncer jamais, si « siou : n'y a-t-il donc parmi vous personne
on était assuré de l'impunité. Or, « celui qui « d'assez sage pour être juge entre ses frères ?
«aime l'iniquité, hait son àme ^
», et celui « Mais on voit un frère plaidercontreson frère,
qui hait son àme, loin d'en avoir pitié, la « et cela devant des infidèles ! » A n'entendre
traite cruellement; en l'aimant selon le monde, que ces paroles, on pourrait croire qu'il y a
il la hait selon Dieu. S'il voulait lui faire l'au- péché, moins à avoir un procès qu'à le faire

mône qui purifierait toutes ses souillures, il juger en dehors de lEglise; mais l'Apôtre
la haïrait selon le monde et Tainierait selon ajoute aussitôt : « C'est déjà un péché d'avoir
Dieu. Mais, si légère que soit une aumône, on « des procès entre vous* ». Donnerait-on pour
ne peut la faire sans la recevoir soi-mèine de excuse qu'on a le droit de son côté et qu'on

Celui qui ignore le besoin. De là cette parole : est en butte à une injustice dont on voudrait
« Sa miséricorde me préviendra ^ ». se voir délivré par un arrêt des tribunaux?
L'Apôtre va au-devant de ces prétextes et de
CHAPITRE LXXVIII. cesexcuses en ajoutant: «Que ne souftrez-vous
DE CERTAINS PÉCHÉS QUI, AU JUGEMENT DES « plutôt l'injustice? Que ne vous résignez-vous
HOMMES, SONT DES ACTES INNOCENTS. « à quelque dommage? »Je reviens ainsi aux
paroles mêmes de Jésus-Christ « Si quelqu'un :

non l'homme qui pèse les


21. C'est Dieu et « veut vous faire un procès pour avoir votre
fautes dans ses jugements et décide de leur « robe, abandonnez-lui aussi votre manteau*»;
gravité. Nous savons en effet que les Apôtres et ailleurs : «Ne redemandez pas ce qui vous
eux-mêmes ont eu des ménagements pour la « appartient à ceux qui vous le ravissent * ».
faiblesse humaine. Telle est la concession que Dieu donc a défendu aux siens d'entrer en con-
le vénérable Paul faitaux personnes mariées : testation avec les hommes pour des intérêts
« Ne vous privez point Tun et l'autre de votre temporels, et c'est d'après ce principe que
« droit, si ce n'est d'un consentement mutuel, l'Apôtre voit un péché dans un procès. Cepen-
« pourpeu detemps, aûn de vaquer a la prière :
dant, comme il permet aux chrétiens de sou-
a après cela, revenez à l'usage du mariage, de mettre leurs différends à un tribunal chré-
«peur que, ne pouvant garder la continence, tien, au sein de l'Eglise, et qu'il défend avec
« Satan ne vous porte au mal ». D'après ces véhémence de prendre des juges hors de
paroles, il semblerait que les époux peuvent il est clair qu'il ne laisse
l'Eglise, cette liberté
sansaucunpéchéavoirmoinsen vue les enfants que par condescendance pour les faibles.
qui sont la tin du mariage que les plaisirs des C'est |)Our des fautes de ce genre, ou pour des
sens, et cela, pour éviter que l'incontinence péchés plus légers encore, que nous commet-
ne les entraîne dans la fornication, l'adultère tons par pensées et par paroles, et auxquels
et dans tous les excès d'impudicité qu'on ne l'apôtre saint Jacques fait allusion quand il

nomme pas et auxquels conduit la passion dit : « Nous faisons tous beaucoup de fautes* »,
allumée par le tentateur; il semblerait, dis-je, jour prier le Sei-
qu'il faut plusieurs fois le
que ce commerce ne renferme aucun péché, gneur de nous remettre nos dettes » et sur-
«

mais l'Apôtre ajoute « Au reste, ce que je : tout ne pas mentir à l'engagement que nous
« vous en dis, c'est par condescendance, et je prenons « de remettre leurs dettes à nos débi-
« n'en fais point un commandement ^ ». Or, « leurs ^ ».

comment ne pas voir un péché dans un acte CHAPITRE LXXIX.


que l'Apôtre avec toute son autorité ne fait
DE CERTAINS PÉCHÉS FORT GRAVES, QUOIQUE
que pardonner? De même, quand il dit: «Com-
LÉGERS EN APPARENCE.
« ment se trouve-t-il quelqu'un parmi vous

« qui, ayant un différend avec son frère, ose On serait tenté de regarder comme légères
« l'appeler en jugement devant lesméchants certaines fautes, si l'Ecriture ne témoignait
« et non devant les saints? » et un peu plus — —
' I Cor. VI, 1-7. ' Matt. v, 40. — • Luc, vi, 30. * ac. m, 2.
' Psal. s, 6. — ' Ib. LVUI, 11. — M Cor. vu, 5, 6. — =
Matt. VI, 12.
,

MANUEL

qu'elles ont plus de gravité qu'on ne pense. criqui m'échappa, il y a quelques années, en
Croirait-on que « celui qui appellera son frère expliquant l'Epître aux Galates, quand j'arri-
« fou, sera condamné au feu de l'enfer », si la vai à ce passage : « Je crains bien d'avoir tra-
Vérité elle-même n'eût prononcé cet arrêt? « vaille pour vous inutilement malheur, :

Mais elle met remède à côté du mal, en


le « disais-je, aux crimes que des exemples rares

nous faisant immédiatement une loi de nous « nous font exécrer Quant aux péchés ordi-
!

réconcilier avec nos frères « Si donc tu pré- : « naires, quoiqu'ils aient fait couler le sang
cesentes ton offrande à l'autel, et que là tu te « du Fils de Dieu et qu'ils soient assez graves
« souviennes que ton frère a quelque chose « pour fermer l'entrée du ciel, que de fois
« contre toi, laisse-la devant l'autel et va au- « avons-nous été conduits à les souffrir en les
« paravant te réconcilier avec ton frère * ». Se « voyant trop fréquents que de fois l'indul-!

figurerait-on encore qu'il y ait une faute grave « gence nous a-t-elle entraînés à en commettre
« à observer les jours et les mois, les temps et « quelques-uns 1 Puissions-nous , Seigneur
«les années», comme font ceux qui, pour « ne commettre pas tous les péchés que nous
commencer ou ne pas commencer certaines « n'avons pu empêcher M » Je ne sais; mais il

choses, se règlent sur les jours, les mois, les me semble que je fus alors entraîné trop loin

années, d'après le préjugé insensé qu'il y a par la douleur.


des époques fatalement heureuses ou cri-
tiques? Mais on peut mesurer la gravité de ce
CHAPITRE LXXXI.
péché à la terreur qu'il inspire à l'Apôtre et deux causes du péché l'ignorance et la fai- :

qui le fait parler ainsi aux Galates sui)ersti- blesse NÉCESSITÉ de la GRACE POUR SURMON-
:

tieux : « Je crains bien d'avoir inutilement TER CES obstacles.


a travaillé parmi vous ^ ».
22. Je vais répéter ici un point de doctrine
CHAPITRE LXXX. souvent expliqué dans mes ouvrages. Nos pé-
chés se rattachent à deux causes: l'ignorance,
l'horreur pour le crime s'affaiblit par
qui nous empôched'avoirconnaissancede notre
l'habitude.
devoir, et la faiblesse, qui nous empêche de le
Il y a plus : l'habitude affaiblit ou même remplir quand nous en avons conscience. Il
efface lesentiment des péchés, quelle que soit faut sans doute combattre cette double ma-
leurénormité et leur abomination on finit : ladie ; cependant, nous succomberions dans
par ne plus s'en cacher, que dis-je ? par les cette lutte,si Dieu ne nous assistait, non-seu-

étaler et s'en vanter « Le pécheur, dit le : lement en nous éclairant sur nos devoirs, mais
« psalmiste, se loue dans les désirs de son encore en ajoutant à la lumière qui guérit
«âme, et celui qui fait le mal est béni ^». l'intelligence un charme assez puissant pour
Cette iniquité, qui s'affiche, est appelée un nous rendre insensibles aux séductions des
cri dans les saintes Lettres : « J'ai attendu », objets qui nous entraînent au péché, en pleine
dit Isaïe à propos de la mauvaise vigne, «j'ai connaissance de cause; soit par le désir de les
« attendu qu'elle fît la justice, mais elle a fait posséder, soit par la crainte de les perdre.
« l'iniquité : elle n'a pas fait la justice, elle a Nous ne sommes pas alors simplement pé-
« élevé un cri*». On retrouve cette expression cheurs, comme nous l'étions en péchant par
dans la Genèse : « Le cri de Sodome et de Go- ignorance; nous sommes prévaricateurs, puis-
« morrhe s'est multiplié^». En effet, "ces villes que, étant instruits de la loi, nous osons faire
étaient un théâtre d'infamies qui, loin d'être ce qu'elle défend ou ne pas fairede plus ce
réprimées, se commettaient au grand jour et qu'elle ordonne. Aussi, après avoir demandé
étaient presque passées en loi. C'est ainsi que, pardon à Dieu de nos fautes: « Remettez-nous
de notre temps, l'habitude a tellement consa- « nos dettes comme nous remettons à nos dé-

cré des crimes moins abominables sans doute, « biteurs », il faut aussi le prier de nous con-

mais fort répandus, que nous n'osons plus ni duire et de nous arracher au péché «Ne nous :

excomnmnier le laïque qui s'en rend cou- « induisez pas en tentation M) il faut, dis-je, :

pable, ni même dégrader un clerc. De là ce invoquer Celui que le Psalmiste appelle tout

'
Matt. V, 22, 23, 24. — » Gai. iv, 11. — ' Psal. ix, 24. — * Isai. '
Explic. de l'Epître aux Galates, n. 35. Voir tome V. — • Matt.
V, 7. — ' Gen. xviii, 20. VI, 12, 13.
.

DE LA FOI , DE L'ESPERANCE ET DE LA CHARITÉ. È\

ensemble «sa lumière et son salut ^ », afin CHAPITRE LXXXV.


ignorance et fortifie notre
qu'il dissipe notre
DES AVORTONS.
faiblesse.
CHAPITRE LXXXII. La première questionest de savoir si les en-
fants qui ont vécu dans le sein maternel et
LA PÉNITENCE EST UNE GR.4CE DE DIEU.
qui naissent avant terme, pourront renaître. Si
La pénitence même, quelque méritée qu'elle l'enfant était déjà formé, il ressuscitera; cette
soit, quand l'Eglise l'inflige suivant ses lois, assertion ne saurait être infirmée dans sa gé-
n'est pas toujours accomplie; cela \ient de néralité. S'il n'est encore qu'un embryon
notre faiblesse une fausse honte, qui n'est au
;
informe, n'est-il pas naturel de croire qu'il
fond que la crainte de déplaire, nous fait pré- sera anéanti comme le sont tous les germes
férer l'estime du monde aux humiliations de qui n'ont pas été fécondés? Toutefois, la ré-
la pénitence que la justice nous impose. Par surrection n'aura-t-elle pas pour effet de com-
conséquent, nous avons besoin de la miséri- pléter une organisation inachevée? Qui pour-
corde divine, non-seulement en faisant péni- rait le nier, encore qu'il n'osât l'affirmer? S'il
tence, mais encore pour nous y résoudre. Au- en est ainsi, les corps recevront le développe-
trement l'Apôtre n'aurait pas dit de certains ment qui aurait été l'œuvre du temps, de la
incrédules : « Peut-être Dieu leur donnera-t-il même manière qu'ils n'auront plus les défauts
« l'esprit de pénitence ^ ». De même encore, qu'amène le temps aucun être ne sera privé :

avant de parler des larmes amères que versa des formes et des propriétés (ju'une vie plus
Pierre, l'évangéliste nous dit: « Le Seigneur longue lui aurait fait acquérir, de même qu'il
« le regarda ^ » ne sera pas défiguré par le ravage des années :

l'organisation sera achevée, si elle était in-


CHAPITRE LXXXIII. complète ; renouvelée, si elle était altérée '.

DU PÉCHÉ CONTRE LE SAINT-ESPRIT.


CHAPITRE LXXXVI.
de croire que l'Eglise a le pou-
Si l'on refuse
DE l'Époque ou la vie commence dans
voir de remettre les péchés, si on dédaigne ce
LE SEIN MATERNEL.
don inestimable de la munificence divine, et
qu'on expire dans ce sentiment d'incrédulité, La science pourrait se poser ici une ques-
ou se rend coupable d'un péché irrémissible tion et employer l'analyse la plus délicate
contre l'Esprit-Saint, en qui les péchés sont pour l'examiner, si toutefois les investigations
remis par Jésus-Christ. C'est là une question de l'esprit humain peuvent s'étendre aussi
fort délicate je l'ai traitée dans un ouvrage
: loin : je veux parler de l'époque où l'embryon
spécial, et je l'ai éclaircie autant qu'il m'a été commence à vivre. N'y aurait-il pas en lui
possible *. une vie latente antérieurement aux mouve-
CHAPITRE LXXXIV. ments qui la révèlent? On ne saurait, sans
imprudence, nier que la vie ait animé les en-
DE LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR.
fants dont on arrache les membres par lam-
23. J'arrive au mystère de la résurrection beaux, de peur qu'ils ne fassent mourir la
de la chair; il non de quelques résur-
s'agit ici mère en restant dans ses entrailles. Or, dès
rections miraculeuses suivies plus tard d'une que la vie a commencé, la mort devient pos-
seconde mort, mais de la résurrection défi- sible je ne vois donc pas à quel titre un fé-
:

nitive et pour l'éternité, semblable à celle de tus que la mort a frappé, serait exclu de la
Jésus-Christ. Sur cette question, je ne sais résurrection des morts.
comment être bref tout en répondant aux dif-

ficultés qu'elle soulève d'ordinaire : un point CHAPITRE LXXXVII.


essentiel et qu'aucun chrétien ne doit révo- DES MONSTRES COMMENT RESSUSCITERONT-ILS?
:

quer en doute, c'est que tous les hommes qui


sont nés ou qui naîtront, qui sont morts ou qui Quant aux monstres qui vivent après leur
mourront, reprendront un jour leur corps. naissance, ne fùl-ce que quelques instants, on
ne saurait dire qu'ils ne ressusciteront pas ou
' Psalm.
XXVI, 1. — -
Il Tim. li, 25. — '
Luc, x.xil, 61. — ' Voir
serm. LXXI, tome VI. ' Voir Cité de Dieu, liv. zxa, ch. 12, 13.
MANUEL

croire qu'ils ressusciteront sons leur forme bés sous le ciseau se rajustent, que les par-
étrange, sans avoir vu disparaître les défauts celles d'ongles tantde fois coupés se réunis-
où de leur organisation. Naguère il
les excès sent, l'imagination ne conçoit plus que des for-
est né en Orient, comme l'assurent des mes sans mesure, sans grâce, et la résurrec-
témoins oculaires dignes de foi et comme le tion entraîne, comme leveulentles incrédules,
raconte dans ses lettres le prêtre Jérôme de les proportions les plus choquantes. Qu'une
sainte mémoire, un monstre à deux têtes et à statue de bronze ait été fondue, ou mise en
quatre mains loin de nous la pensée qu'il
: pièces, ou réduite en une seule masse et qu'un
renaîtra avec ce double corps et que les or- artiste veuille la recomposer avec la même
ganes destinés à former deux jumeaux ne quantité de métal; quelle que soit la partie de
composent pas deux êtres distincts! Ainsi matière employée pour refaire tel ou tel
donc les enfants qu'on appelle monstres parce membre, la restauration ne serait pas moins
qu'ils ont des organes incomplets ou superflus com|)lète, si tout le métal de la statue primi-
ou démesurément difformes, reprendront les tive entrait la statue nouvelle. De même
dans
justes proportions du corps humain chaque : Dieu, cemerveilleuxetinimitableartiste,saura
âme aura un corps tout corps double à sa
;
en un moment recom[)Oser nos corps avec tous
naissance sera réduit à ses membres essen- leséléments qui le constituaient, sans que son
tiels, et n'offrira plus que les organes néces- intégrité soit altérée parce que les cheveux,
saires qui composent l'ensemble parfait et les ongles, au lieu de reparaître sous cette
harmonieux du corps humain. forme, se fondrontdans l'ensemble en se com-
binant avec d'autres organes, par l'attention
CHAPITRE LXXXVIII. du divin artiste à ne laisser aucune dispropor-
tion dans ses ouvrages.
LE CORPS SE RECOMPOSERA, QUELLE QUE SOIT LA
MANIÈRE DONT LES ÉLÉMENTS AURONT DIS- CHAPITRE XC.
PARU.
la TAILLE, LES TRAITS n'OFFRIRONT PLUS
L'argile dont est formée la chair de l'homme d'irrégularité.
ne s'anéantit jamais devant Dieu qu'elle soit
:

réduite en cendre ou en poussière, qu'elle Il ne serait pas moins illogique de pré-


se changé en vapeurs et disparaisse dans les tendre que les hommes n'auront pas la même
airs, qu'elle serve à former la substance taille, parce qu'ils ont ici-bas une taille diffé-

d'autres corps ou même se décompose en ses rente, ou qu'ils reprendront les uns leur em-
éléments primitifs, enGn que devenue lanour- bonpoint, les autres leur maigreur. S'il entre
ture des animaux et de l'homme lui-même, dans les desseins du Créateur que chaque per-
elle s'assimile avec leur chair, peu importe, sonne, tout en gardant les traits originaux de
elle retournera en un instant à l'âme qui l'a- sa figure, ait également part aux dons de la
vait animée d'abord, et avait présidé à la for- beauté physique, il saura bien modifier la
mation, à la vie, et au développement d'un matière dans chaque individu sans lui enlever
être humain. lamoindre parcelle, et sans qu'il lui en coûte
pour la compléter, puisqu'il a créé de rien
CHAPITRE LXXXIX. tout ce qu'il lui a plu.
Si, au contraire, chaque corps après la résur-
DES EXCROISSANCES DU CORPS : COMMENT rection doit présenter des différences sans
SE RÉUNIRONT-ELLES A l'ORGANISME. irrégularité, à peu près comme les nuances
de plusieurs voix qui forment une symphonie,
Du reste, la matière qui se change en ca- sa substance servira à exprimer les belles
davre après le départ de l'âme, recouvrera les formes qui rendront digne d'entrer dans le
le

éléments qu'elle avait perdus par dissolution chœur des anges et de leur plaire par un
et qui étaient passés en différents corps sous gracieux ensemble. Toute disproportion sera
les formes les plus diverses, sans que ces élé- inconnue dans le ciel il n'y aura pas de
:

ments reprennent la place qu'ils occupaient forme qui ne soit belle, parce que la beauté
dans le corps. Supposez que les cheveux tom- sera la condition même de son existence.
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 33

CHAPITRE XCI. chercher la solution. Il serait superflu de se


préoccuper de la beauté ou de la laideur plus
LE CORPS DES SAINTS RESSUSCITERA DANS SA
ou moins vraisemblable des corps voués à une
SUBSTANCE, DÉSORMAIS INDÉFECTIBLE.
éternité de peines trop réelles. Ne cherchons
Le corps des saints ressuscitera donc sans pas non plus comment leur corps sera à la
défaut, sans disproportion : il sera dès lors fois incorruptible et capable de souffrir, ou
soustrait à la corruption, à la pesanteur, à corruptible et incapable de mourir : car,
toute espèce d'entraves ; son agilité n'aura qu'est-ce que la vie sans le bonheur, et l'in-

d'égale que sa félicité. C'est à ce titre qu'il est corruptibilité sans une existence k
de l'abri
appelé dans l'Ecriture spirituel^ bien qu'il la douleur? Souffrir sans pouvoir mourir,
doive être un corps et non un pur esprit. De c'est la mort elle-même, si j'ose ainsi parler,
même qu'on dit maintenant du corps qu'il est qui ne peut mourir une douleur éternelle :

animé, sans qu'il soit pour cela une àme de ;


qui accable sans anéantir, n'est qu'une cor-
même il sera alors spirituel, sans être pour ruption sans fin. Voilà l'état que l'Ecriture
cela immatériel. Quant à la corruption qui appelle « une seconde mort ». *

pèse sur l'àme \ et aux passions qui soulèvent


la chair contre l'esprit, elles disparaîtront : le CHAPITRE XCIII.

corps ne sera plus charnel, et c'est en ce sens QUELS SERONT P.\RM1 LES D.\MNÉS CEUX QUI
qu'il est appelé céleste. Aussi TApôtre dit-il :
SOUFFRIRONT LE SUPPLICE LE PLUS DOUX.
« La chair sang ne posséderont pas le
et le
« royaume de Dieu » et, pour expliquer net-
; Toutefois la première mort, qui dégage
,

tement sa pensée, il ajoute « La corruption : l'âme du corps,serait aussi inconnue à l'homme


«ne participera pas à l'incorruptibilité ^ ». que la seconde
qui attache l'âme au corps
,

L'expression de corruption est le commentaire coupable, personne n'avait péché. Ceux qui
si

des mots chair et sang ; l'incorruptibilité est n'auront pas ajouté de faute au péché originel,
synonyme de royaume de Dieu. Comme sub- subiront le supplice le plus léger ; quant à
stance, la chair ne disparaîtra pas. Le corps ceux qui auront commis en outre des péchés
de Jésus-Christ est ai)pelé chair, dans l'Evan- actuels, la gravité de leur châtiment sera pro-
gile, après la résurrection ^ Et pourquoi l'A- portionnée à la gravité de leurs fautes.
pôtre dit-il « On sème un corps animal et il
:

« ressuscitera corps spirituel '"


? » C'est qu'entre CHAPITRE XCIV.
l'esprit, principe de vie, dégagé de toute in-
A LA VUE DES CHATIMENTS DES RÉPROUVÉES, LES
fluence extérieure, et la chair obéissante et SAINTS APPRÉCIERONT MIEUX LEUR BONHEUR.
soumise, il régnera une harmonie si parfaite,

que nous n'éi)rouverons plus de lutte en nous- 24. En voyant les mauvais anges et les ré-
mêmes; au dehors, comme au dedans, nous ne prouvés condamnés à un supplice éternel, les
rencontrerons plus de forces antagonistes. saints comprendront mieux les bienfaits dont
la grâce de Dieu les a comblés. Ce spectacle
CHAPITRE XCII.
leur montrera dans toute son évidence la

DAMNÉS APRÈS vérité de ces mots du psalmiste «Je chanterai,


ÉTAT DU CORPS DES LA :

RÉSURRECTION. « Seigueur, votre miséricorde et votre juge-


« ment^». On ne sera, effectivement, affranchi
Les malheureux qui n'auront pas été sou- que par un effet de miséricorde toute gratuite,
straits par la grâce du Médiateur, à la con- comme on ne sera condamné que par un ju-
damnation universelle qu'a entraînée la faute gement légitime.
du premier homme, reprendront sans doute
leur corps, mais ils ne le reprendront que pour
CHAPITRE XCV.
être punis avec Satan et ses anges. Ressusci- LES JUGEMENTS SECRETS DE DIEU DANS LE MYSTÈRE
teront-ilsavec les défauts ou les difformités DE LA PRÉDESTINATION, SERONT .iLORS RÉVÉLÉS.
physiques qu'ils avaient de leur vivant? C'est
là uu problème dont il serait fort inutile de C'est alors que s'éclairciront des mystères,
aujourd'hui impénétrables, savoir : pourquoi
' Sag. IX, 15. — ' I Cor. xv, 50. — ' Luc, xxiv, 39. — ' I Cor.
XV, 41. ' Ap. n, 11, et XX, 6, 14. — ' Psalm. c, I.

S. AuG. — Tome XII.


.

34. MANUEL

de deux nouveau-nés, l'un a été élu par un empêcher ce qu'il ne veut pas, que faire ce qui
effetde miséricorde, l'autre, rejeté par arrêt lui plaît. doute de cette vérité, on
Si l'on
divin, et l'enfant privilégié ne doit pas ignorer ébranle le symbole de la foi dès les premiers
la peine qu'il aurait encourue si la grâce mots, puisqu'on y déclare qu'on croit en Dieu,
n'était venue à son secours ;
pourquoi donc «le Père tout-puissant». La toute-puissance
l'un d'eux a été choisi de préférence, quand seraitun vain mot, si Dieu ne pouvait pas
tous deux avaient les mêmes titres ;
pourquoi exécuter tout ce qu'il veut, et que sa volonté
encore y a des âmes qui n'ont point vu
il fût bornée dans ses effets par la volonté d'un
s'accomplir en leur faveur des prodiges dont être créé.
elles auraient profite pour faire pénitence,
CHAPITRE XCVII.
tandis que ces miracles ont été accordés à
d'autres sans les soustraire à leur incrédulité. LA VOLONTÉ DE l'hOMME PEUT-ELLE ENTRAVER LA
Le Seigneur dit expressément : « Malheur à VOLONTÉ DE DIEU QUAND IL A RÉSOLU DE SAU-
et toi, Corosaïn, malheur à toi,Bethsaïde ; car, VER UNE AME ?
« si les faits au milieu de
miracles qui ont été
« vous, avaient été dans Tyr et dans Sidon,
faits Examinons donc comment ce principe se
« il y a longtemps qu'elles auraient fait péni- concilie avec cette parole infaillible de l'A-
« tence sous le cilice et dans la cendre * ». Il pôtre : « Dieu veut le salut de tous les
ne faut pas croire que Dieu ait refusé injuste- « hommes ' » ; car, puisque les hommes ne
ment de les sauver : ils auraient pu se sauver, sont pas tous sauvés et que les élus même
s'ils l'avaient voulu. Eclairés alors par la sont en minorité, on pourrait croire que tous
sagesse divine, nous comprendrons une vérité les desseins de Dieu ne sont pas remplis et que
à laquelle s'attache la foi des chrétiens sans en sa volonté est entravée par la volonté de
avoir encore la nous
pleine intelligence ; l'homme. D'ordinaire, en effet, on dit que, si

verrons, dis-je combien la volonté de Dieu


, tous les hommes ne sont pas sauvés, c'est
est sûre, immuable et efficace, comment il ne qu'ils ne le veulent pas. Cette explication ne
veut pas tout ce qu'il pourrait, quoiqu'il ne saurait convenir aux nouveau-nés que nous
veuille rien faire qu'il ne puisse l'accomplir ; venons de pour exemple , puisqu'ils
citer
enfin nous sentirons la vérité de ces paroles : sont incapables encore de vouloir ou de ne
« Notre Dieu habite les hauteurs du ciel au ;
vouloir pas. S'il fallait prendre pour des actes
« ciel et sur la terre il fait tout ce qu'il veut ^ » volontaires les mouvements aveugles avec les-
Ces paroles ne seraient que mensonge, si la quels ils se débattent contre les cérémonies
volonté de Dieu était parfois impuissante, ou du baptême, il faudrait dire qu'on les sauve
ce qui serait plus humiliant encore , si sa en dépit de leur volonté. Le Seigneur lui-
puissance trouvait dans la volonté humaine un même s'exprime plus clairement encore dans
obstacle à ses desseins. Il ne se fait rien en cette apostroi)he à l'impie Jérusalem : « Com-
dehors de la volonté du Tout-Puissant; en tout, « bien de fois ai-je voulu rassembler tes en-
il agit ou permet d'agir. « fants comme une poule rassemble ses petits
a sous son aile , et tu ne l'as pas voulu M » La
CHAPITRE XCVI. volonté de Dieu serait-elle donc limitée par

DIEU FAIT LE BIEN, MÊME EN LAISSANT FAIRE


celle des hommes, et la faiblesse serait-elle
capable, par ses résistances, de tenir en échec
LE MAL.
la toute-puissance?
On ne que Dieu n'agisse bien
saurait douter Que devient alors cette puissance infinie,
lors même qu'il laisse le mal s'accomplir : qui fait au ciel et sur la
tout ce qui lui plaît
car il ne le permet que dans un juste dessein, terre, voulu rassembler les enfants de
si elle a

et sa bonté est inséparable de sa justice. Ainsi Jérusalem sans pouvoir y réussir? Ne faut-il
quoique mal, en tant (jue mal, ne puisse
le pas plutôt admettre que Jérusalem n'a pas
être un bien, toutefois c'est un bien que le mal voulu voir Dieu rassembler ses enfants et qu'il
existe avec le bien. Car, s'il n'était pas bon a, malgré elle, rassemblé tous ceux qu'il a

que le mal existât. Dieu, le bien absolu, ne le bien voulu ? « Au ciel et sur la terre » Dieu
permettrait pas, puisqu'il peut aussi aisément n'est pas tantôt maître de ses actes, tantôt im-
'
Matt. XT, 21. — ''
Psalm. cxiir, 11. ' I Tim, II, 4. — • Matt. xxill, 37.
.

DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 35

puissant à réaliser ses desseins : « il fait tout « Dieu '


». Ainsi les deux fils de Rébecca nais-
G ce qu'il veut » saient enfants de la colère, suite naturelle,
non de leurs fautes personnelles, mais du pé-
CHAPITRE XCVIII. ché d'Adam qui les avait enveloppés dans sa

QUOIQUE DIEU PUISSE CONVERTIR TOUS LES condamnation. Par conséquent Celui qui a
dit « J'aurai pitié de qui je voudrai » a aimé
:
HOMMES, IL n'est PAS INJUSTE EN NE LES CON- ,

VERTISSANT PAS TOtS.


Jacob par un de miséricorde toute gra-
effet
tuite, et il a pris Esaû en haine par un arrêt
25. Le délire de l'impiété peut-il aller jus- de sa justice. Comme cet arrêt les atteignait
qu'à dire que Dieu n'a pas le pouvoir de ra- tous deux, Jacob, en se comparant à Esaû, a
mener au bien, quand et comme il lui plaît, reconnu que s'il avait échappé à la peine qu'il
les volontés perverses qu'il a résolu de chan- encourait pour la même faute, il le devait,
ger ? Lui plaît-il de le faire? il agit par misé- non à quelque prérogative de mérite et de
ricorde ; ne le fait-il pas ? il obéit à sa justice : vertus, mais à la grâce toute pure de Dieu,
car, (( il fait miséricorde à qui il veut et il parce que cette faveur dépendait « non de la
« endurcit qui il lui plaît ». L'Apôtre, en te- « volonté et des efforts de l'homme, mais de la

nant ce langage, voulait faire sentir la puis- « miséricorde divine ». Par un mystère aussi

sance de la grâce aussi avait-il déjà cité les


; sublime que fécond dans la pratique, l'Ecri-
deux enfants , conçus par Rébecca à qui , ture, si l'on considère bien ses traits les plus
« avant leur naissance^ sans qu'ils eussent fait généraux et, pour ainsi dire, sa physionomie,
« ni bien ni mal, afin de montrer que le dé- semble reproduire sans cesse cette vérité :

« cret de l'élection gratuite de Dieu ne dépend « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le
« point des œuvres, mais de la volonté de a Seigneur * ».
c( Dieu qui appelle, il fut prédit : que l'aîné
« serait assujéti au plus jeune ». Et il cite à CHAPITRE XCIX.
l'appui de ces paroles le témoignage du pro- DIEU FAIT GRACE PAR SA BONTÉ INFINIE, COMME
aimé Jacob et j'ai haï E>aû».
phète: «J'ai
Puis, s'aperçevant que ce langage pourrait dé-
IL ENDURCIT SANS INJUSTICE. DU PRINCIPE QUI —
NOUS SÉPARE DE LUI.
concerter les esprits trop faibles pour pénétrer
les profondeurs de la grâce, il ajoute « Que : Après avoir fait éclater la miséricorde de
« dirons-nous donc ? Est-ce qu'il y a en Dieu Dieu en ces termes « La grâce ne dépend ni :

« de l'injustice ? point du tout ». Il semble en « de la volonté, ni des efforts de l'homme,


effet injuste que Dieu aime l'un et ha'isse «mais de la miséricorde de Dieu », l'Apôtre
l'autre, sans avoir égard à leurs actes bons ou met sa justice en relief, et avec raison car, :

mauvais. Et qu'on ne croie pas que l'Apôtre l'injustice étant étrangère à Dieu, celui qui
songe aux actes bons ou mauvais qu'ils de- n'éprouve pas les effets de sa miséricorde, loin
vaient accomplir un jour et dont Dieu avait la d'être victime d'une injustice, est l'objet de
prescience car au lieu de dire que le choix
:
ses jugements. Il ajoute donc immédiatement :

de Dieu a ne dépend pas des œuvres », il au- « Voici ce que l'Ecriture fait dire à Pharaon :

rait parlé des œuvres futures c'eût été un :


« Si je t'ai élevé sur le trône, c'est pour faire

moyen commode de résoudre le problème ou « éclater ma


puissance et rendre mon nom
plutôt de le supprimer. Mais non après avoir ; « illustredans toute la terre ». Et il résume
dit « qu'iln'y a pas d'injustice en Dieu», il le sa pensée dans cette conclusion où éclate le
prouve en ajoutant « Il a dit à Moïse J'aurai : :
double effet de la miséricorde et de la justice :

« pitié de qui je voudrai, et je ferai miséri- « Il fait miséricorde à qui il veut, il endurcit
corde à qui il me plaira de faire miséri- « qui il lui plaît ». En d'autres termes. Dieu
« corde » . En effet, n'y aurait-il pas fohe à faitgrâce par sa miséricorde infinie, et il
accuserDieu d'injustice parce qu'il punit légi- endurcit sans être injuste de sorte qu'on n'a ;

timement celui qui le mérite, ou qu'il fait point à se glorifier de ses mérites, si l'on est
grâce à celui qui ne le mérite pas ? L'Apôtre sauvé, et que, damné, on doit regar-
si l'on est
conclut donc, avec raison, «que les faveurs der sa perte comme un juste châtiment. La
«ne dépendent ni de la volonté, ni des efforts grâce seule sépare les élus des damnés, puis-
« de l'homme, mais de la miséricorde de ' Rom. IX, 11-16. — *
I Cor. i, 31,
.

36 MANUEL

q u'une faute commune, contractée en naissant, « desseins '


ordonnées avec une
» ; elles sont
les avait tous indistinctement enveloppés dans sagesse infinie et l'ange ayant
; car, l'homme
la même condamnation. péché, en d'autres termes, ayant mieux aimé
Dirait-on De quoi se plaint Dieu? Qui
: suivre leu r volonté que celle du Créateur, Dieu
pourrait résister à sa volonté? Ira-t-on jus- s'est servi de leur désobéissance même pour
qu'à rejeter la responsabilité des crimes sur accomplir ses desseins. Dans sa bonté souve-
celui « qui fait miséricorde à qui il veut, raine, il a tiré parti du mal en condamnant
« et qui endurcit qui il lui plaît? » Ne rougis- ceux que sa justice avait prédestinés au châti-
sons pas alors de faire la môme réponse que ment éternel, en sauvant ceux que sa miséri-
l'Apôtre : «0 homme! qui es-tu pour contester corde avait prédestinés aux faveurs de sa grâce.
c( avec Dieu ? Le vase d'argile dira-l-il à celui Autant qu'il a été en eux, ils ont résisté à sa
c( qui l'a pétri Pourquoi m'as-tu formé ainsi?
: volonté; mais sa toute-puissance a rendu leurs
« Le potier n'a-t-il pas tout pouvoir sur son tentatives vaines; leur désobéissance même
«argile? ne peut-il pas former de la même est devenue le mobile de sa volonté. « Voilà
« masse un vase d'honneur et un vase d'igno- « comment les œuvres de Dieu sont grandes
((minie ? » Il y a des esprits insensés qui
'
c( et proportionnées à ses desseins »par une ;

s'imaginent que l'Apôtre n'a pu trouver de loid'une profondeur incroyable, toute révolte
réponse satisfaisante, et qu'à défaut d'argu- contre sa volonté ne peut s'accomplir en de-
ments, il a fermé la bouche aux contradicteurs. hors de sa volonté; car elle ne peut s'accomplir
Mais n'y a-t-il pas un argument victorieux qu'autant qu'il le permet, et il ne le permet
dans ces paroles « homme qui es-tu ? » : ! qu'autant qu'il le veut bien; d'ailleurs, sa
D'un seul mot, l'Apôtre invite l'homme à bonté ne permettrait jamais le mal, si sa puis-
mesurer la portée de son intelligence dansées sance ne lirait pas le bien du mal.
redoutables problèmes, et donne une réponse
péremptoire car si l'homme ne peut com-
;
CHAPITRE CI.

prendre ces vérités, que répondra-t-il à Dieu? LA VOLONTÉ DE DIEU, TOUJOURS CONFORME AU BIEN,
et s'il les comprend, n'est-il pas également
s'accomplit par LES RÉSOLUTIONS BONNES OU
réduit au silence? Dans ce dernier cas, en MAUVAISES DES HOMMES.
effet, il voit clairement que le genre humain,

séparé de Dieu dans sa source, a été condamné Parfois une intention bonne entraîne l'homme
par un arrêt si équitable, que les hommes à vouloir ce que Dieu ne veut pas par un motif
auraient pu être abandonnés en masse à leur infiniment plus élevé et pur car la vo- i)lus :

sort, sans que Dieu eût à encourir le plus lonté divine est toujours conforme au bien.
léger reproche d'injustice ; il voit également Par exemple, un bon fils peut désirer que son
que les élus devaient être alTranchis de manière père vive, taudis que Dieu, dans un but excel-
que du plus grand nombre, abandonné
le sort lent ordonne qu'il meure. En revanche ,
,

à sa perte et à sa juste condamnation, fût une l'homme peut concevoir, dans un butcoupable,
preuve éclatante du châtiment qu'avait mérité la résolution que Dieu a formée dans un but

l'espèce entière, et que les élus même auraient excellent par exemple, un mauvais fils peut
:

subi légitimement sans le secours de la misé- vouloir que son père meure en même temps
ricorde divine à laquelle ils n'avaient aucun que Dieu l'ordonne. Les désirs du premier ne
droit.Par là, quiconque voudrait se glorifier s'accordent pas avec les desseins de Dieu chez ;

de ses mérites « a la bouche fermée ^ »,et le second,y a parfaite conformité toutefois


il :

« quiconque se glorifie, doit se glorifier dans la tendresse du premier, quoique contraire


« le Seigneur ^ » aux décrets de Dieu, est plus conforme à la
volonté sainte, que l'impiété du second, quoi-
CHAPITRE C. qu'elle corresponde à ses desseins; tant est
profonde la différence qui sépare nos résolu-
qu'aucun événement n'a lieu en dehors de la
tions des desseins de Dieu tant il est vrai que I

volonté de dieu, lors même qu'il la contredit.


le motif de nos actes en fait la bonté ou la ma-

26. Telles sont « les œuvres sublimes du lice Souvent, en effet, Dieu emploie la volonté
1

« Seigneur , toujours proportionnées à ses coupable des méchants pour exécuter ses vo-
'
Rom. IX, 11-21. — ' Ib. m, 19. —U Cor. i, 31, » Psalm. ex, 2.
.

DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 37

lontés toujours bonnes : c'est ainsi que la per- volonté divine dans ces paroles « Dieu veut
; :

fidie des Juifs a été rinstrument dont il s'est « le salut de tous les hommes », comprenons
servipour immoler Jésus-Christ et réaliser le qu'il n'y aura de sauvés que ceux qu'il plaira
plan de notre rédemption ; et telle était la à Dieu. Ce sens n'est pas qu'il n'y a personne
grandeur de ce bienfait, que l'apôtre Pierre, que Dieu ne veuille sauver, mais que personne
en voulant y mettre obstacle, fut appelé satan n'est sauvé sans que Dieu ne l'ait voulu c'est
'

par la victime même qui courait au sacrifice. à ce titre qu'il faut le prier de vouloir bien
Sans doute, les fidèles obéissaient aux motifs nous sauver, parce que sa volonté sera infail-
les plus nobles en conjurant Paul de ne point liblement accomplie. La prière, en effet, était
aller à Jérusalem et d'éviter les tourments que l'objet des préceptes de l'Apôtre, quand il a
lui révélait le prophète Agabus ^ Cependant prononcé celte parole. Nous devons entendre
Dieu voulait que Paul endurât ces tourments de la même manière ce passage de l'Evangile :

pour publier la foi il voulait mettre à l'épreuve


;
« C'est lui qui éclaire tout homme *
». Ces pa-
le confesseur de Jésus-Christ, et il remplit ses roles ne signifient pas qu'il n'y a point d'homme
desseins en employant, non la bonne volonté qui ne soit éclairé de Dieu, mais que personne
des fidèles , mais la volonté criminelle des ne peut être éclairé sans sa lumière. On pour-
Juifs. L'intention des fidèles ,
quoique op- rait encore expliquer ce passage, sans admettre
posée à ses desseins, lui plaisait mieux que qu'il n'y a personne que Dieu ne veuille
celle des Juifs, qui agissaient conformément à sauver, erreur manifeste, puisque Dieu n'a pas
sa volonté, parce qu'ils accomplissaient les voulu faire de miracles dans des villes qui, en
décrets de sa bonté dans une intention cou- les voyant, auraient fait pénitence; cette expli-
pable. cation consisterait à entendre par « tous les
CHAPITRE Cil. « hommes » les différentes classes dont se
compose le genre humain : les rois et les
LA VOLONTÉ DE DIEU EST TOUTE PUISSANTE IL :

sujets, les nobles et les roturiers, les grands


NE FAIT JAMAIS LE MAL SOIT QU'iL FASSE MI-
et les petits, les savants et les ignorants, les
SÉRICORDE, soiT qu'il endurcisse.
forts et les faibles, ceux qui sont ingénieux el
Quelque puissante que soit la volonté des ceux qui ont l'esprit lent ou grossier, les
anges et des hommes, des bons et des méchants, riches, les pauvres et les gens aisés, les hommes
qu'elle s'accorde ou qu'elle ne s'accorde pas et les femmes, les nouveau-nés et les enfants,
avec les desseins de Dieu, la volonté du Tout- les adolescents et les jeunes gens, les vieillards
Puissant est au-dessus de tous les obstacles; jusqu'àl'àge le plus décrépit, les hommes enfin
elle n'a jamais le mal pour but car, en con- : avec toutes les variétés qu'établissent entre
damnant à souffrir, elle est juste, et la justice eux la langue, les mœurs, les arts, les métiers,
est incompatible avec le mal. Dieu donc, dans les goûts, les sentiments. Par quel motif, en
sa puissance absolue, fait miséricorde à qui il effet.Dieu ne voudrait-il pas choisir ses élus
veut par un effet de sa grâce, ou endurcit qui chez tant de peuples divers et les sauver par
il lui plaît en vertu d'un jugement équitable : les mérites de Jésus-Christ, son Fils unique,
jamais il n'agit par injustice jamais il ne fait ; puisque, dans sa toute-puissance, il ne saurait
rien sans le vouloir et il fait tout ce qui lui rien vouloir sans l'exécuter ? Telle est la pensée
plaît. de l'Apôtre car il venait de recommander à
:

CHAPITRE cm. Timothée de prier i)Our tous les hommes, en


désignant plus spécialement « les rois et ceux
EXPLICATION DE CE PASSAGE DE l'ÉPITRE A Tl-
«qui sont élevés en dignité», parce qu'il
MOTHÉE DIEU VEUT LE SALUT DE TOUS LES
:

était naturel de croire que les pompes et les


HOMMES.
vanités du monde leur faisaient oublier Fhu-
27. Quand nous entendons
ou que nous dite miiité de la foi chrétienne. Après avoir dit que
lisons dans que Dieu veut
les saintes lettres « les prières adressées au ciel pour les grands
« le salut de tous les hommes», quoique nous « Dieu notre Sauveur », il
sont agréables à
ayons la certitude que le genre humain ne ajoute aussitôt, pour prévenir le désespoir :

doit pas se sauver tout entier, prenons garde « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés

de rien retrancher à la toute-puissance de la « et arrivent à la connaissance de la vérité -


»
' Matt. XTI, 23. — = Act. xxi, 10-12. » Joan. I, 9. — ' I Tim. n, i-4.
38 MANUEL
Dieu, en effet, a daigné dans sa sagesse accor- dans l'éternité, il sera incapable de vouloir le
der aux prières des petits le salut des grands, mal, sans perdre toutefois son libre arbitre. La
et nous voyons aujourd'hui son dessein liberté sera d'autant plus parfaite qu'elle sera
accompli. D'ailleurs on retrouve cette manière affranchie du péché car, faut-il déprécier
:

de parler dans la bouche môme du Seigneur, la volonté, ou lui refuser l'indépen-


la nier,
lorsqu'il dit aux Pharisiens: « Vous donnez le dance, parce que nous avons un instinct si vif
« dixième de la mente, de la rue, et de tous du bonheur, que, non-seulement nous ne
« les légumes » apparemment, les pharisiens
; voulons pas être malheureux, mais que nous
ne donnaient pas la dîme des légumes d'au- sommes incapables de le vouloir ? Eh bien 1

trui ou des plantes exotiques. Si donc il faut de même que notre âme ne peut aujourd'hui
entendre par « tous les légumes» les légumes vouloir son malheur de même alors elle ne
;

de toutes sortes, nous pouvons ici regarder pourra se résoudre au mal. Mais Dieu voulait,
l'expression « tous les hommes », comme pour suivre une gradation légitime, montrer
synonyme d'hommes de toute classe. On peut la grandeur d'un être raisonnable et libre
d'ailleurs adopter une autre interprétation, d'éviter le péché, en face de l'impeccabilité
pourvu qu'elle n'entraîne pas la conséquence qui est une perfection plus haute. 11 en est de
que le Dieu tout-puissant ait formé un dessein même de l'immortalité moins parfaite quoi- :

sans pouvoir le réaliser. « Celui qui, comme que réelle, lorsqu'elle n'excluait pas la mort,
« la vérité le déclare sans équivoque, a fait elle sera complète , lorsqu'elle n'entraînera
« tout ce qu'il a voulu au ciel et sur la plus la possibilité de mourir.
« terre » , n'a pas voulu faire , sans aucun
doute, tout ce qui ne s'est pas fait.
CHAPITRE CVl.

nécessité de la GRACE DANS l'ÉTAT PRIMITIF


CHAPITRE CIV.
COMME DANS l'ÉTAT ACTUEL.
DESSEIN DE DIEU SUR ADAM, DONT IL PRÉVOYAIT
LA FAUTE. La nature humaine a perdu, par sa libre
volonté, cette immortalité primitive : quant à
28. Dieu aurait-il voulu maintenir l'homme la seconde, qu'elle aurait conquise par ses mé-
dans la perfection oîi il l'avait créé, et, après rites, si elle n'avait péché, elle la tiendra de
l'avoir vu devenir père, ne l'aurait-il pas la grâce : toutefois, même avant la chute, elle
appelé à des destinées plus hautes, au mo- n'aurait pu mériter sans concours de la le
ment marqué dans ses desseins, sans le faire grâce. Le péché, sans doute, ne dépendait
passer par la mort, en le transportant dans un que du libre arbitre mais l'observation de
:

séjour où il aurait été exempt, non-seulement la justice n'en dépendait pas entièrement le ;

du péché, mais de l'intention même de faire secours divin était nécessaire pour mettre la
le mal ? Oui, sans doute, s'il avait prévu que liberté en communication avec le bien im-
l'homme ne perdrait jamais la volonté de muable. L'homme peut se détruire quand il
rester dans l'innocence, qui était le privilège lui plaît il a mille moyens de s'ôter la vie,
;

de son origine. Mais comme il savait d'avance comme de se priver de nourriture, pour ne
qu'il ferait un mauvais usage de la liberté, en citer que ce moyen mais il ne lui suffit pas
;

d'autres termes, qu'il pécherait, il régla sa de vouloir, pour conserver son existence; il
volonté sur sa prescience et résolut de tirer le faut qu'il ait recours aux aliments et à tous les
bien du mal, afin que sa volonté toujours moyens d'entretenir la vie. Telle était la con-
bonne fût exécutée, loin d'être réduite à dition de l'homme dans le paradis terrestre :

l'impuissance par la volonté criminelle de il était libre de se suicider, en renonçant à la jus-


l'homme. tice ; mais, quand il fallait rester fidèle à cette
CHAPITRE CV. justice, sa volonté devenait insuffisante et avait
besoin d'être soutenue par le Créateur. Depuis
DE LA LIBERTÉ DANS l'ÉTAT PRIMITIF
la chute, la miséricorde de Dieu est plus
ET DANS l'État de perfection.
nécessaire encore, puisqu'il faut dégager delà
L'homme devait d'abord être créé avec la servitude la liberté elle-même, que domine le
faculté de vouloir également le bien et le mal, péché avec la mort sa compagne. Or, ce n'est
à la condition d'en être récompensé ou puni ;
point par ses propres forces , c'est par la
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 39

grâce toute pure de Dieu en Jésus-Christ, que mais quand le péché eut creusé un abîme
riiomme reprend sa liberté « Sa volonté, : entre Dieu et le genre humain, un Médiateur
« ainsi qu'il est écrit, doit être préparée par étranger au péché dut naître, vivre et s'im-
«le Seigneur *
», pour qu'il puisse recevoir moler pour nous réconcilier avec lui, et nous
tous les dons divins qui lui valent le don mériter avec la résurrection de la chair la vie
suprême de la vie éternelle. éternelle. Ainsi l'humilité d'un Dieu devait
convaincre et guérir l'homme de son orgueil :

CHAPITRE CVII. l'homme pourrait mesurer l'intervalle qui le


séparait de Dieu, en voyant qu'il fallait pour
LA VIE ÉTERNELLE RÉCOMPENSE ET GRACE
le combler un Dieu incarné; un Dieu-homme
TOUT A LA FOIS.
donnant à l'homme rebelle l'exemple de l'o-
C'esten ce sens que l'Apôtre appelle la béissance. Ainsi, en revêtant la forme d'un
vie éternelle, qui est le salaire des bonnes esclave jusque-là incapable de mérites, le Fils
œuvres, le fruit de la grâce de Dieu. « La mort unique devint la source de la grâce ; la résur-
a a été la solde du péché, dit-il le fruit de la ;
rection du Rédempteur devint le gage de la
« grâce de Dieu, c'est la vie éternelle en Notre- résurrection de la chair promise à ceux qu'il
« Seigneur Jésus-Christ * ». La solde est pour rachetait le démon fut vaincu par la nature
;

le soldat le prix de ses services, ce n'est pas un humaine qu'il se flattait d'avoir séduite; et
don en appelant la mort «lasolde du péché»,
: l'homme fut réduit à ne plus se glorifier, afin
l'Apôtre nousfaitsentir qu'elle est le châtiment de prévenir ainsi le retour de l'orgueil. Voilà
nécessaire et comme le prix du péché. Quant les conséquences de ce mystère auguste et je ;

à la grâce, elle ne serait qu'un vain mot, si ne parle pas de celles que peuvent découvrir
elle n'était pas une faveur toute pure. Il faut et exprimer des âmes plus parfaites, ou que
donc admettre que conquis
les biens, même l'esprit contemple sans que le langage puisse
par les mérites de l'homme, sont des dons de les traduire.
Dieu, et qu'en recevant la vie éternelle pour CHAPITRE CIX.
prix de ses mérites, on ne fait que recevoir
DU SÉJOUR DES AMES AVANT LA RÉSURRECTION.
« grâce pour grâce ' » . Ainsi l'homme a été
créé avec un esprit droit, de telle manière Dans l'intervalle qui sépare la mort de
29.
qu'il avait besoin du secours de Dieu pour con- la résurrection générale, les âmes résident
server cette droiture originelle, et qu'il pou- dans un séjour mystérieux, séjour de repos ou
vait fausser sa volonté en abusant de son libre de tourment, selon le sort qu'elles ont mérité
arbitre. Quelque parti qu'il prît, il devait lorsqu'elles étaient enfermées dans les liens
accomplir la volonté de Dieu ou la voir s'ac- du corps.
complir sur lui. Or, il aima mieux suivre sa CHAPITRE ex.
volonté que celle de Dieu, et la volonté de
DANS QUELLE MESURE ET POUR QUELLES AMES LE
Dieu s'accomplit sur lui. De la masse viciée
SACRIFICE DE l' AUTEL ET LES AUMÔNES SONT-
qui est sortie de cette source. Dieu a formé
ILS EFFICACES?
tantôt un vase d'honneur, tantôt un vase
d'ignominie*: d'honneur, par sa miséricorde, Il est incontestable que les âmes des morts

d'ignominie, par un elîet de sa justice, afin sont soulagées par la piété des vivants, quand
qu'on ne vît plus dans l'homme et par consé- on pour elles le sacrifice du Média-
fait offrir

quent en soi un sujet de se glorifier. teur ou qu'on répand des aumônes dans
l'Eghse. Mais, pour recevoir ce soulagement,
CHAPITRE CVHL
on doit s'en être rendu digne pendant la vie :

DIEU EST l'auteur DE NOTRE SALUT. car, il y a une manière de vivre qui n'est ni
assez parfaite pour se passer de semblables
Jésus-Christ même,
médiateur entre Dieu le secours après la mort, ni assez criminelle pour
et l'homme, aurait été impuissant à nous ne pas en retirer quelque fruit. En revanche
délivrer, s'il n'avait été tout à la fois homme il y a une perfection dans la vertu qui n'a pas

et Dieu. Lors de la création d'Adam, l'homme besoin de ces secours, comme il y a dans le
était droit etn'avait pas besoin d'un Médiateur ; mal un degré où ils deviennent superflus. Par
' Prov. vui, 35. — ' Rom. vi, 23. — '
Joaii. i, 16. — '
Rom. ix, 21. conséquent, il dépend de nous de mener ici-
40 MANUEL

bas une vie qui aggrave ou permette d'alléger humaine pour les malheureux qui doivent
nos peines dans l'autre monde, et il serait subir un châtiment éternel et des tourments
insensé de compter après la mort sur une sans fin, et qu'on s'imagine que ces peines

faveur que l'on n'aura pas songé à mériter auront un terme. Sans doute on n'attaque pas
pendant sa vie. Ainsi l'usage où est l'Eglise de les Ecritures mais, en obéissant aux mouve-
;

prier pour les défunts, ne contredit pas cette ments du cœur, on adoucit les passages trop
pensée de l'Apôtre « Nous devons tous com- : sévères, et on plie à un sens moins rigoureux
« paraître devant le tribunal de Jésus-Christ, des paroles où l'on se plaît à voir une menace
« afin que chacun reçoive ce qui est dû aux plutôt que la vérité. «Dieu, dit-on, n'oubliera
« bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura « pas sa miséricorde et ne mettra pas lui-
a faites pendant qu'il était re\êtu de son a même
dans sa colère, une borne à sa
,

« corps » puisque ces âmes auront mérité,


^
;
« pitié Ce sont bien là, en effet, les ex-
*
».

par leurs actions ici-bas, les soulagements de pressions du Psalmiste mais elles ne s'appli- ;

l'Eglise. Tous, en effet, ne reçoivent pas ces quent évidemment qu'à ceux qui sont appelés
soulagements et d'où peut venir cette excep-
; « des vases de miséricorde », parce qu'ils ne

tion, sinon de la différence même dans la con- doivent pas leur délivrance à leurs propres
duite qu'ils ont menée ici-bas ? Donc le sacri- mérites, mais à la miséricorde de Dieu. Vou-
fice de l'autel et les aumônes faites à l'intention drait-on que ce passage s'appliquât indiffé-
de tous les fidèles défunts, sont des actions de remment à tous les hommes? On ne saurait,
grâce pour les chrétiens accomplis, des of- sans une grave inconséquence, reconnaître
frandes propitiatoires, pour les chrétiens im- une limite au supplice des damnés dont il est
parfaits quant aux méchants, ils n'en reti-
: écrit : « lis irontau feu éternel » car il faudrait ;

rent aucun fruit ; dans tous les cas, ces prières du même coup admettre que lesjustes, ceux
servent à consoler les vivants. Les âmes à qui qui iront dans « la vie éternelle^ », verront
elles sont utiles, voient leurs peines annulées mettre un terme
ou tard à leur félicité. tôt

ou du moins allégées. Qu'on on le veut, qu'après un certain


croie, si
laps de temps, le châtiment des damnés sera
CHAPITRE CXI. allégé dans une certaine mesure. Cette hypo-
thèse, en effet, ne contredit pas la vérité la
DEUX CITÉS ÉTERNELLES APRÈS LE JUGEMENT :

GÉNÉRAL. colère de Dieu, synonyme ici de condamna-


tion, puisque Dieu est étranger à tout mou-
Après la Résurrection, quand le jugement vement des passions, subsiste contre ces mal-
de toutes les âmes aura été clos, seront sépa- heureux, et par conséquent « Dieu, dans sa
rées les deux cités, celle de Jésus-Christ et « colère », en d'autres termes, sans abjurer sa
celle du démon; l'une sera le séjour des bons, colère, « ne met pas de bornes à sa miséri-
l'autre celui des méchants ; toutes deux auront « corde » ; il est miséricordieux, non en met-
pour habitants des anges et des hommes. Les tant un terme aux tourments éternels, mais en
l3ons perdront toute volonté , les méchants, adoucissant les supplices ou en les tempé-
tout pouvoir de pécher la mort disparaîtra ; : rant par de certains soulagements. Ainsi on
mais uns vivront au sein d'une pure et éter-
les respecte la pensée du Psalmiste, qui ne dit
nelle félicité, les autres existeront au sein des pas que Dieu sera miséricordieux pour mettre
tourments et comme dans une mort éternelle un terme à sa colère ou après y avoir renoncé,
sans pouvoir mourir, car, la durée des peines mais qu'il ne mettra pas de bornes à sa com-
comme du bonheur n'aura pas de fin toute- : passion, tout en gardant sa colère. D'ailleurs,
fois il y aura des degrés dans la félicité comme qu'on suppose cette peine aussi légère qu'on
dans les supplices. peut la souffrir dans l'enfer se voir mort au :

royaume de Dieu, exilé de la Cité céleste,


CHAPITRE CXII.
étranger à la vie de Dieu, privé des douceurs
LE SUPPLICE DES DAMNÉS DOIT ÊTRE ÉTERNEL. sans nombre que Dieu « réserve à ceux qui
« le craignent et communique à ceux qui
C'est donc à tort que parfois ou plutôt en « espèrent en lui *
», quel supplice 1 11 est si
général, on se laisse toucher d'une piété toute affreux dans sa durée infinie, qu'il ne peut
«
n Cor. V, 10. »
Psal. Lxxv, 10. — -
Mail, xxv, 10. — " Psalm. xxx, 20.
DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. M
être comparé à aucun des tourments que a volonté soit faite sur la terre comme au
nous connaissons, dùt-onles endurer des mil- a ciel », ou, selon une interprétation assez ju-
liers de siècles. dicieuse, dans notre esprit comme dans notre
corps; nous sollicitons des biens impéris-
CHAPITRE CXIII. sables. Commencés ici-bas, ils se développent
PERPÉTUITÉ DE LA MORT DES IMPIES COMME DE en nous à mesure que nous croissons en ver-
LA YIE DES SAINTS. tus ils s'achèveront dans l'autre vie, comme
:

nous devons l'espérer, et la possession en sera


Ainsi la mort du damné, en d'autres termes, éternelle. Mais quand nous disons « Donnez- :

la privation de la vue de Dieu, se perpétuera « nous aujourd'hui notre pain quotidien, et


et sera commune à tous les réprouvés, quelle « remettez-nous nos dettes comme nous re-

que soit la manière dont l'homme, en écou- « mettons à ceux qui nous doivent, et ne nous

tant son imagination, conçoive la variété des « laissez point succomber à la tentation, mais

tourments, l'allégement ou la suspension des « délivrez-nous du mal », n'est-il pas visible


^

souffrances. La vie des également saints sera que ces demandes ont rapport aux besoins de
éternelle et commune à tous les élus dans la vie présente ? C'est donc dans la vie éter-
cette hiérarchie de gloire et d'honneurs dont nelle, objet perpétuel de nos espérances, que
ils seront environnés. nous verrons le nom de Dieu se sanctifier,
son règne arriver, sa volonté s'accomplir dans
CHAPITRE CXIV. nos esprits et dans nos corps, d'une manière
DE l'espérance. — l'ORAISON DOMINICALE parfaite et immuable. Quant au pain quoti-

RENFERME TOUT CE QU'iL FAUT ESPÉRER. dien, il s'appelle ainsi parce qu'il est néces-
saire chaque jour, soit au corps, soit à l'àme,
30. De la foi, contenue en abrégé dans le selon qu'on prend cette expression au propre
Symbole, dont les expressions sont comme le ou au figuré. De même ce n'est qu'ici-bas, sur
lait des petits enfants, mais dont le sens pro- le théâtre du péché, qu'on peut demander la
fond fait la nourriture des forts^ naît la solide rémission du péché c'est ici-bas que se pro-
;

espérance des fidèles, et sa compagne, la sainte duisent les tentations qui attirent ou entraî-
charité. Or, de toutes les vérités qu'il faut nent au péché; ici-bas enfin que règne le mal
croire, celles qui sont contenues dans l'orai- dont nous souhaitons d'être délivrés au ciel, :

son dominicale forment spécialement le do- ces vœux n'auront plus d'objet.
maine de Malheur, dit l'Ecri-
l'espérance. «

« ture divine, celui qui met son


malheur à CHAPITRE CXVI.
« espoir dans Thomme » malédiction qui^
!
DES CINQ DEMANDES DE L'ORAISON DOMINICALE,
enveloppe celui qui met son espoir eu lui- d'après SAINT LUC : ACCORD DES DEUX ÉVAN-
même. C'est donc uniquement à Dieu Notre- GÉLISTES.
Seigneur que nous devons adresser les vœux
que nous formons, soit pour bien faire, soit L'oraison dominicale, dans saint Luc, n'offre
pour obtenir le prix de nos bonnes œuvres. que cinq demandes cette abréviation, loin :

de présenter une couiradiction, aide à flxer


CHAPITRE CXV. le sens des sept demandes qu'expose le pre-

DES SEPT DEMANDES DE l'ORAISON DOMINICALE, mier évangéliste. X'est-ce pas dans l'esprit ^
d'après SAINT MATTHIEU. qu'est sanctifié le nom de Dieu ? N'est-ce pas
dans la résurrection de la chair % qu'éclatera
L'oraison dominicale, telle qu'on ia trouve l'avéuement du règne de Dieu ? C'est ainsi
dans révangéliste saint Matthieu, semble au qu'en retranchant la troisième demande, saint
premier abord renfermer sept demandes trois ; Luc nous fait comprendre qu'elle n'est qu'une
ont pour objet les biens éternels, les quatre répétition des deux premières. 11 rapporte en-
autres sont relatives aux biens temporels, en suite les trois autres qui sont relatives au pain
tant qu'ils seiTent à obtenir les biens célestes. quotidien, à la rémission des péchés, à la
Quand nous disons « Que votre nom soit
: grâce de surmonter la tentation. Les mots qui
« sanctifié, que votre règne arrive, que votre
' Matt. VI, 9-13. — ' C'est-à-dire au ciel. — ' Et par conséquent
' Jér. XVII. 5. sur la une.
42 MANUEL
terminent l'oraison dans saint Matthieu, « et chair régnent partout où la charité de Dieu
« délivrez-nous du mal», sont supprimés dans est absente.
saint Luc, pour nous faire entendre que cette CHAPITRE CXVIII.
demande est contenue dans celle qui porte
DES QUATRE ÉTATS OU ÉPOQUES DE l'hUMANITÉ.
sur la tentation. Le premier évangéliste, du
reste, en mettant « Mais délivrez-nous du
: L'homme est-il plongé dans les plus épaisses
«mal», au lieu de dire «Etdélivrez-nousdu : ténèbres de l'ignorance, et ne trouve-t-il dans
« mal », laisse clairement apercevoir que ces sa raison aucun obstacle contre les passions
deux prières se confondent ensemble il pré- : de la chair ? c'est son début et son premier
sente la même pensée sous la forme d'une état. Quand la loi vient ensuite lui découvrir
antithèse, comme quand on dit ne veuillez : le mal, sans que l'Esprit de Dieu soutienne sa
pas ceci, mais veuillez cela; et ainsi il nous volonté, il désire vivre conformément à cette
avertit qu'on est délivré du mal, par cela seul loi, mais il est vaincu, il tombe sciemment
qu'on n'est pas induit en tentation. dans le mal et il vit sous le joug du péché :

« Car le vaincu est l'esclave du vainqueur ». '

CHAPITRE CXYIL La connaissance du précepte produit donc cet


effet le péché achève en l'homme la corrup-
:
LA CHARITÉ SON UNION AVEC LA FOI
:

tion en y ajoutant pour ainsi dire le couron-


ET l'espérance.
nement de la prévarication, et ainsi se trouve
31. J'arrive à la charité. L'Apôtre la met au- accomplie la parole de l'Apôtre « La loi qui :

dessus de la foi et de Tespérance ; et en effet, « est survenue après le péché d'Adam, n'a fait

plus elle est vive, plus celui qu'elle anime est « qu'augmenter les transgressions *». Voilà le

parfait. Veut -on savoir si quelqu'un est second état de l'homme. Mais quand Dieu
homme de bien ? on ne demande pas ce qu'il tourne ses regards vers l'homme, qu'il l'aide
croit ni ce qu'il espère, on s'informe de ce lui-même à accomplir ses commandements et
qu'il aime. La pureté de l'amour entraîne l'anime de son Esprit, les désirs de la chair
celle de l'espérance et de la foi. Sans l'amour, sont combattus par l'énergie de la charité ' ;

au contraire, la foi est stérile, quand même sans doute il y a encore une lutte intérieure
elle aurait pour objet la vérité l'espérance est ; et la faiblesse n'est pas complètement guérie :

vaine, lors même qu'on démontrerait que ses toutefois l'homme vit dans la justice par la
aspirations ont pour but le véritable bonheur: vertu de la foi, à proportion qu'il ne se laisse
il faut que les croyances et les espérances se pas entraîner à la concupiscence et cède à l'at-
convertissent en charité, par un don du ciel trait de la justice. C'est le troisième état de

que la prière peut obtenir. Bien que l'espé- l'homme, et l'époque d'espérance. Si l'on
rance soit inséparable de l'amour, il est pos- marche à la perfection avec une pieuse per-
sible qu'on n'aime pas les moyens d'atteindre sévérance, il y aura un dernier état, celui de
à l'objetmême qu'on espère. Par exemple, on la paix qui consistera dans le repos de l'àme

peut espérer la vie éternelle, et qui ne l'aime- après mort, et se consommera par la résur-
la

rait? sans aimer la justice qui en est la con- rection de la chair. De ces quatre époques
dition première. La charité n'est, comme dit différentes, la première a précédé la loi la ;

l'Apôtre, que la foi agissant par l'amour ; re- seconde correspond au règne de la loi la ;

marque-t-elle des imperfections dans son troisième, à celui de la grâce le dernier âge ;

amour? elle demande pour recevoir, cherche sera celui d'une paix parfaite et inaltérable.
pour trouver et frappe pour se faire ouvrir '
: Tel est l'ordre dans lequel se sont succédé à
car la foi obtient ce que la loi se contente d'or- travers les temps les destinées du peuple de
donner. Sans don de Dieu, en d'autres
le Dieu, selon les conseils de Celui qui dispose
termes, sansl'Esprit-Saint, «par qui la charité tout avec poids, nombre et mesure \ Ce peuple,
« se répand dans nos cœurs ^ » la loi peut ,
au début, n'a pas soumis à la loi étéplus ;

commander, elle est impuissante à aider la tard, il mains de Moïse puis


a reçu la loi des ;

volonté, et ne sert qu'à rendre l'homme pré- il a vécu sous l'empire de la grâce, révélée

varicateur, en lui enlevant la ressource de son par le premier avènement du Médiateur. Tou-
ignorance pour excuse : les convoitises de la tefois, n'allons pas croire que la grâce ail fait

» Malt. VII, 7. — ^ Rom. v, 5. MI Pierre, il, 19. — ' Rom. v, 20. — ' Gai. v, 17. — " Sag. xi, 21.
.

DE LA FOI , DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ. 43

défaut, dans les deux époques antérieures, aux on n'accomplit pas le bien comme il faut, tout
âmes prédestinées à la recevoir ; le moment de en en ayant l'air. La charité consiste à aimer
la répandre n'étant pas encore venu, elle Dieu et le prochain, «double commandement
agissait mystérieusement et comme sous un « qui renferme la loi et les prophètes » Con- '
.

voile : car, les justes de l'époque antérieure sulte l'Evangile, consulte les lettres des Apô-
n'ont pu se sauver en Jésus- que par la foi tres ; c'est toujours la même doctrine : « La

Christ, et, s'il leur avait été inconnu, ils au- a fin du précepte ou encore est la charité », :

raient été incapables de nous révéler sa « Dieu est la charité^ ».com- Ainsi tous les
venue, dans ces prophéties où tour à tour mandements de Dieu, par exemple « Tu ne :

s'obscurcit et brille la vérité. « commettras point d'adultère» ; tous les con-


seils évangéliques, comme celui-ci : « Il est
CHAPITRE CXIX. « bon que l'homme n'approche pas de la
a plusieurs. « femme », sont exactement suivis, quand on
l'esclavage de la loi inconnu
a pour but d'aimer Dieu et d'aimer le pro-
Du reste, quel que soit l'état où la grâce de chain en vue de Dieu, soit ici-bas, soit dans
la régénération surprend Thomme, elle lui réternité. Aujourd'hui nous aimons Dieu par
fait obtenir le pardon de toutes ses fautes pas- la foi ; dans l'éternité, notre amour jouira de
sées ; la peine à laquelle sa naissance con- le sa vue. D'ailleurs, c'est par la foi que nous ai-
damne, s'efface dans la nouvelle naissance mons aussi le prochain ; l'homme est inca-
qu'il reçoit. Cette parole divine : « L'Esprit pable de pénétrer dans les replis du cœur de
où il veut », s'accomplit si littérale-
« souffle '
l'homme, mais alors « Dieu éclairera les pro-
ment, qu'une foule de personnes vivant sous la « fondeurs des ténèbres et révélera les secrets
loi n'en ont pas connu l'esclavage, et qu'elles « des cœurs et chacun recevra de lui la
,

ont reçu du même coup les commandements « louange qu'il mérite ' » et ainsi on ai- ;

de Dieu et la grâce nécessaire pour les remplir. mera, on louera dans le prochain les vertus
que la lumière divine dévoilera à tous les re-
CHAPITRE CXX.
gards. Enfin la concupiscence va en s'affai-
MORT DE l'enfant BAPTISÉ. blissant, à proportion que la charité augmente,
Avant de recevoir les commandements di- jusqu'à ce qu'elle atteigne enfin à ce degré de
vins, l'homme doit avoir reçu la vie phy- perfection qu'elle ne peut dépasser « Per- :

sique mais dès qu'il a été plongé dans le sa-


; a sonne ne peut porter plus loin l'amour que
crement de la régénération, il peut mourir, « de donner sa vie pour ses amis * » ; mais qui
sans avoir rien à redouter. En effet, « Jésus- pourrait expliquer le règne de la charité dans
« Christ est mort et est ressuscité pour régner des cœurs où elle ne rencontrera plus de pas-
« sur les vivants et sur les morts ^
», et l'em- sion à combattre, et où la corruption sera si
pire de la mort ne saurait peser sur celui pour complètement anéantie, que la mort n'aura
lequel s'est sacrifié le Dieu « libre entre les plus sur eux aucune prise ?
« morts ^ »
CHAPITRE CXXII.
CHAPITRE CXXI.
ÉPILOGUE.
LA CHARITÉ EST LA FIN DE TOUS LES PRÉCEPTES.
33. Il est temps de terminer cet ouvrage ;

32. Ainsi tous les préceptes divins aboutis- c'est à toi de voir s'il remplit l'idée que tu te
sent à la charité, selon la parole de l'Apôtre :
faisais manuel et s'il en mérite le
d'un ,

« La du précepte est la charité qui sort


fin nom. ne pouvais rester indifférent à ton
Je
a d'un cœur pur, d'une bonne conscience et ardeur pour la science de Jésus-Christ la ;

« d'une foi sincère "*


». Oui, la charité est la confiance et l'espoir que je fonde sur ta piété,
fin à laquelle doivent se rapporter tous les soutenue de la grâce de notre Rédempteur,
préceptes. Obéit-on dans ses actes à la crainte l'amour qui m'attache vivement à toi, l'un de
du châtiment ou à tout autre mouvement ses membres, voilà les motifs qui m'ont engagé
charnel, au lieu d'avoir en vue la charité à composer ce traité de la foi, de l'espérance et
« que l'Esprit-Saint répand dans nos cœurs * » ? de la charité j'y ai consacré toutes mes forces :
;

puisse son utilité répondre à son étendue 1

'Jean, m, 8.— "Rom. xiv,9.— >


Psalm. LXi:xvii, 6.— 'ITim. i, 5.

r- ' Rom. V, 5. '


Matt. XXII, 10. — " 1 Joan. IV, 16. — ' Id. iv, 5. — " Joan. xv, 13,
DU COMBAT CHRÉTIEN.

LuUe à soutenir contre Satan. —


Satan vaincu et subjugué quand on parvient à dompter les passions et à réduire le corps en
servitude. —
Le corps est soumis, quand on le soumet à Dieu, de qui dépend toute créature, de gré ou de force. La fai- —
blesse liumaine a pour appui la foi , et elle trouve le remède le plus efficace dans le Fils de Dieu fait chair. Parcourant —
ensuite les différents points de la foi catholique renfermés dans le Symbole, saint Augustin fuit voir les diverses hérésies qui
se sont élevées contre elle, et apprend à les fuir.

CHAPITRE PREMIER. « chassé * ». Non qu'il ait été chassé hors du


— monde, comme le pensent quelques héréti-
LA COURONNE EST PROMISE AUX VAINQUEURS.
ques, mais il a été rejeté hors des âmes de
SATAN NOTRE ENNEMI EST VAINCU AVEC l'AIDE
ceux qui restent fidèles à la parole de Dieu,
DE JÉSUS-CHRIST.
loin de s'attacher au monde dont Satan est le
1. La palme de la victoire n'est offerte qu'à maître car s'il exerce un pouvoir absolu sur
;

ceux qui combattent. Dans les saintes Ecri- ceux qui recherchent les biens éphémères du
tures, nous trouvons à chaque pas la promesse siècle, il n'est pas pour cela le maître du

de la couronne, si nous sortons -victorieux de monde mais il est le prince de toutes ces pas-
;

la lutte mais pour éviter une foule de cita-


;
sions qui nous font convoiter les biens péris-
tions, ne lit-on pas en termes clairs et précis sables de là vient l'empire qu'il exerce sur
;

dans l'apôtre saint Paul « J'ai achevé mon : tous ceux qui négligent Dieu, dont le règne
« œuvre, j'ai fourni ma course, il ne me reste est éternel, pour n'estimer que des frivolités

« plus qu'à recevoir la couronne de justice qui que le temps change sans cesse « car la cupi- ;

« m'est réservée donc connaître


' ? » Il faut « dite est la racine de tous les maux et c'est ;

quel adversaire nous avons à vaincre pour « en s'y laissant aller que quelques-uns se

être couronnés c'est celui que Notre-Seigneur


;
« sont écartés de la foi et se sont attirés de

lui-même a vaincu le premier, afin que nous a nombreux chagrins ^ » C'est à cause de cette .

aussi, en lui demeurant unis, nous puissions concupiscence que Satan établit sa domination
le vaincre à notre tour. sur l'homme, et prend possession de son cœur.
La Vertu et la Sagesse de Dieu, le Verbe par Voilà l'état de ceux qui aiment ce monde. Or,
qui tout a été fait, c'est-à-dire le Fils unique nous bannissons Satan, toutes les fois que
de Dieu, demeure éternellement immuable nous renonçons du fond du cœur aux vanités
au-dessus de toute créature. du monde car on se sépare de Satan, maître
;

Or, si toute créature que n'a pas souillée le du monde, quand on renonce à ses attraits
péché, est sous sa dépendance, à plus forte corrupteurs, à ses pompes, à ses anges. Aussi
raison en est-il de même pour celle que le Dieu lui-même, une fois revêtu de la nature
péché a dégradée. Si tous les anges restés purs triomphante de l'homme, nous dit-il « Sa- :

sont sous encore ne sont-ils pas bien davan-


lui, « chez que j'ai vaincu le monde ' ».

tage sous lui, tous ces anges prévaricateurs


CHAPITRE II.
dont Satan est le chef? Mais, comme Satan avait
séduit notre nature, le Fils unique de Dieu a VAINCRE SATAN, C'eST VAINCRE SES PASSIONS.
daigné revêtir notre humanité, pour vaincre
Satan avec elle, et mettre sous notre dépen- 2. Bien des gens s'écrient Comment vaincre :

dance celui qu'il lient sans cesse sous la Satan, quand nous ne le voyons pas? Mais n'a-
sienne ; c'est ce qu'il fait entendre lui-même vons-nous pas un maître qui n'a point dédai-
quand il dit : « Le prince du monde a été gné de nous montrer comment on arrive à
Jean, xii, 31. —
' i Timot. vi, 10. —
"
Jean, xvr, 83. '
» II Timot. IV, 7, 8.
DU COMBAT CHRÉTIEN. 45

subjuguer des ennemis invisibles ? C'est en L'Ecriture le dit en plusieurs endroits : « Dieu
parlant de ce maître que l'Apôtre a dit ^ : «Se « a tonné
du haut du cieP »; « les oiseaux du
« dépouillant lui-même de la chair, il a exposé « ciel-»; «les animaux qui volentdansleciePfl.

c( les principautés et les puissances à une Il est de toute évidence que les oiseaux volent

ignominie publique, triomphant d'elles cou-


« dans l'air. Nous aussi, nous avons l'habitude
rageusement en lui-même'». Ainsi donc
« d'appeler ciel cet air qui nous entoure. Quand
nous aurons vaincu ces puissances invisibles, nous voulons savoir si le temps est serein ou
nos ennemies, dès que nous aurons subjugué nuageux, il nous arrive dédire, tantôt Quel est :

les passions qui sont au fond de notre cœur et ;


l'état del'air, ou, quelestl'état du ciel? Si je suis

si nous éteignons en nous-mêmes les désirs entré dans ces détails, c'est pour ne pas laisser
qui non s font rechercher les biens de ce monde, croire que les mauvais esprits habitent là où
nous arrivons nécessairement à vaincre en Dieu a placé, dans unordre admirable, le soleil,
nous celui qui a établi son empire dans le la lune et les étoiles. Si les mauvais dénions

cœur de l'homme en y allumant ces mêmes sont appelés par l'Apôtre des êtres spirituels,
désirs. Quand Dieu dit à Satan a Tu mangeras : c'estparce que dans les saintes Ecritures les
« de la terre »,il a dit au pécheur: «Tu es terre, mauvais anges sont nommés esprits l'Apôtre ;

« ettu retourneras en terre ^». Ainsi le pécheur les nomme aussi les
princes des ténèbres de ce
a été livré à Satan pour que Satan fît de lui sa monde, parce qu'il appelle ténèbres, les pé-
nourriture. Donc, ne restons pas terre, si nous cheurs sur lesquels ces mauvais anges ont
ne voulons pas servir de pâture à Satan. La établi leur domination. Aussi dit-il dans un
nourriture que nous prenons devenant partie autre passage Vous étiez autrefois ténèbres,
: «
de notre corps, les aliments eux-mêmes, par « vous êtes maintenant lumière dans le Sei-
l'action des organes, s'assimilent à notre subs- «gneur*». — C'est qu'après avoir été pé-
tance ; ainsi la perversité, l'orgueil et l'impiété, cheurs, ils avaient obtenu leur justification.
avec leurs habitudes pernicieuses, font de cha- Gardons-nous donc de penser que Satan avec
cun de nous un autre Satan, c'est-à-dire un ses légions habitedans les hauteurs du ciel,
être semblable à lui. L'on demeure alors sou- d'où nous croyons qu'il est tombé.
mis à Satan, comme le corps est soumis à l'àme.
Voilà ce que signifie « être mangé par le ser- CHAPITRE IV.

« peut ». Quiconque redoute le feu éternel,


INTERPRÉTATIONS DES MANICHÉENS.
allumé pour Satan et sesanges % doit chercher à
vaincre en soi ce mauvais génie. Nous repous- \. Les Manichéens, dans leur aveuglement,

serons victorieusement de notre cœur ces en- soutiennent qu'avant la formation du monde
nemis du dehors qui nous assiègent, en étouf- il existait une race d'esprits de ténèbres,
qui
fant les désirs de la concupiscence qui nous osa se révolter contre Dieu. Selon l'opinion de
asservissent. Ces esprits \iennent-ils à rencon- ces malheureux. Dieu, dont la puissance est
trer des hommes qui leur ressemblent? ils les infinie, n'aurait pu résister a cette attaque
entraînent à partager leurs châtiments. qu'en envoyant contre les rebelles une partie
de lui- même. Les chefs de cette légion, d'après
CHAPITRE IlL les Manichéens, auraient dévoré cette partie

PRINCES DES TÉNÈBRES.


divine, et le monde aurait été formé de cette
assimilation. Pour obtenir la victoire. Dieu
3. C'est ainsi que l'Apôtre, d'après son propre donc, d'après eux, éprouva dans ses membres
témoignage, lutte contre les puissances exté- des pertes, des tourments, des misères sans
rieures. « Nous n'avons pas, dit-il, à combattre nombre ; et ses membres assimilés aux en-
« contre la chair et le sang, mais contre les trailles des esprits de ténèbres, modifièrent
« principautés, contre les puissances, contre leur caractère, et calmèrent leur fureur. Cette
« les princes de ces ténèbres, contre les esprits secte ne voit pas qu'elle pousse le sacriléo-e
« malfaisants qui habitent dans les cieux*».On jusqu'à croire que ce point par ses n'est
nomme ciel aussi cet air où se forment les créatures, mais par sa propre personnalité que
vents, les nuées, les tempêtes et les tourbillons. ce Dieu tout-puissant est entré en lutte contre

' Coloss. 15. — « Geu. U, — >


Malt. XSV, 41. — les ténèbres. Une pareille opinion est un
II, III, 19. ^
Eph.
6-12. ' Ps. XTii, U. — » Ib. VIII, 9. — ' Matt. v/, 26. — '
Ep. v, 8,
,

46 DU COMBAT CHRETIEN.

crime. Us ne s'arrêtent pas là. Pour les vain- vérités de la foi catholique, qu'on a pour ap-
cus , une fois leur fureur réprimée leur , pui des mœurs honnêtes et une piété sincère,
état serait devenu meilleur, tandis que la na- ignorât-on les subtilités de leur hérésie , on
ture divine, qui était victorieuse, aurait été n'est pas embarrassé pour leur répondre. Ja-
réduite à l'état le plus misérable. Ils osent mais ils ne séduiront le fidèle qui connaît ce
dire encore que par suite de ce contact, de que comprend la foi chrétienne, cette foi ca-
cette mêlée, la partie divine aurait perdu l'in- tholique, répandue dans l'univers, et qui, sous
telligence et le bonheur^ pour tomber dans les la conduite de Dieu, n'a rien à craindre des
fautes et les tourments les plus graves. En- impies, des pécheurs, ou même de l'indiffé-
coresi les Manichéens admettaient qu'un jour rence de ses enfants.
cette partie de Dieu pût se trouver purifiée ;
bien qu'il y eût une insigne impiété envers CHAPITRE V.
ce Dieu tout-puissant d'affirmer qu'une,
dans quel sens faut-il entendre que les
partie de lui-même ait été, si longtemps, et
esprits du mal sont dans les hauteurs de
sans avoir commis aucun péché, en proie à l'air.
l'erreur et aux châtiments mais non ces ; ;

malheureux insensés osent dire encore, que 5.N0US le disions: l'apôtre saint Paul a déclaré
la nature divine ne saurait tout entière répen- que nous avons une lutte à soutenir contre les
dre son premier état de pureté, et que la par- princes des ténèbres, et les esprits du mal qui
tie qui n'a pu être purifiée, va être enchaînée habitent dans l'air; nous avons montré que
et attachée au mal comme à un tombeau ; l'air même qui environne la terre , s'appelle
ainsi cette partie qui n'a point failli, serait ciel ; il faut donc admettre que nous com-
aussi tourmentée pour l'éternité dans une battons contre Satan et ses satellites qui ,

prison de ténèbres. mettent leur joie à nous tourmenter. Aussi


Voilà ce qu'avancent les Manichéens pour le bienheureux Paul appelle, ailleurs, Satan
abuser les âmes simples mais peut-on pous-
; le prince de la puissance de l'air *. Ce-
ser la simplicité au point de croire à de pa- pendant le passage où il parle des esprits du
reils sacrilèges? Quoi I Dieu, qui peut tout, mal habitant dans les cieux, pourrait s'in-
aurait été forcé et contraint de livrer une par- terpréter encore autrement, ne pas désigner
tie de lui-même, pure et sans tache, sans pou- les anges prévaricateurs, mais s'adresser à
voir la soustraire à tant de châtiments, à tant nous-mêmes ; car ailleurs il est dit à notre
de corruption ? Et ce qu'il n'aurait pu af- sujet : « Notre séjour est dans les cieux ^ ». En
franchir, serait par lui-même retenu dans conséquence, comme si
nous étions placés dans
d'éternelles chaînes? Qui n'est saisi d'horreur les hauteurs du ciel, c'est-à-dire, parce que
en entendant ce blasphème ? qui n'en voit nous suivons les préceptes spirituels de Dieu,
l'impiété et l'abomination ? Mais quand ces nous devons résister aux esprits du mal
hérétiques cherchent à faire des victimes, ils dont les efforts tendent à nous en écarter.
ne tiennent pas d'abord ce langage. Autre- Oui, cherchons plutôt comment il nous faut
ment on se rirait d'eux, on les luirait mais ; combattre et vaincre ces ennemis invisibles :

ils prennent, dans les Ecritures, des passages de cette manière ces gens d'un esprit si
que les âmes simples n'entendent pas, et alors étroit ne pourront s'imaginer que nous avons
ilsabusent des ignorants en leur demandant à lutter contre l'air.

quelle est l'origine du mal. C'est ainsi qu'à


propos de ce verset de l'apôtre : « Les princes CHAPITRE VI.

« des ténèbres du mal qui habi-


: les esprits
CHATIER SON CORPS POUR VAINCRE SATAN
« tent dans demandent à un
les cieux », ils ET LE MONDE.
homme, qui ne comprend pas les saintes
Ecritures, comment il se peut qu'il y ait dans 6. L'Apôtre veut bien nous l'enseigner lui-
le ciel des princes des ténèbres. L'infortuné ne même ne combats pas, dit-il, en donnant
: « Je

pouvant répondre, se laisse, dans sa curiosité, « des coups en l'air; mais je châtie mon corps,

séduire et tromper par eux car la curiosité ; je le réduis en servitude, de peur qu'après
est le propre de toute âme ignorante. « avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé
Mais quand on est solidement instruit des ' Eph. Il, 2. — " Philip, m, 2.
DU COMBAT CHRETIEN. A^

« moi-même * ». Il dit encore : « Soyez mes Tout-Puissant mais il y a une différence


;

« imitateurs, comme je le suis à mon tour de complète entre exécuter et subir les prescrip-
«Jésus-Christ^». Que signifient ces paroles, tions de la loi. Les justes agissent conformé-
sinon que l'Apôtre avait triomphé des puis- ment à la loi, et les méchants souffrent d'après
sances de ce monde, comme il enseigne que cette même loi.

l'avait Seigneur ^ dont il


fait d'abord le 8. Ne nous tourmentons pas à la pensée que
donc son exem-
se déclare l'imitateur? Suivons les justes ont, ici-bas, selon la chair dont ils

ple, comme il nous y engage, châtions notre sont revêtus, beaucoup de peines et d'ennuis
corps, et réduisons-le en servitude, si nous à supporter. En effet, ils ne sauraient éprou-
voulons vaincre le monde. ver aucun mal, ceux qui peuvent répéter ces
Comme le monde exerce sur nous son em- paroles que l'Apôtre fait entendre sous l'ins-
pire par ses plaisirs défendus, par ses pompes piration de l'Esprit-Saint : « Nous nous ré-
et par un esprit de curiosité funeste, c'est-à- « jouissons même au milieu de nos tribula-
dire, par tous ces biens séducteurs et dangereux « lions, sachant que la tribulation produit la
qui enchaînent les amateurs des biens du « constance, la constance la pureté, et la pu-
siècle, et les forcent à servir Satan et ses ce reté l'espérance. Or, l'espérance n'est point
complices ;nous résistons à toutes ces ten-
si « confondue, puisque l'amour de Dieu est ré-
tations, notre corps sera réduit en servitude. « pandu jusqu'au fond de nos cœurs par l'Es-
a prit-Saint qui nous a été donné
dans ^ ». Si
CHAPITRE VII. cette vie, où bons et
l'on a tant à souffrir, les
les justes sont capables, non-seulement de
POUR QUE NOTRE CORPS NOUS SOIT SOUMIS, IL
supporter avec calme les tribulations qui leur
FAUT NOUS SOUMETTRE A DIEU, DE QUI DÉPEND
TOUTE CRÉATURE, DE GRÉ OU DE FORCE. surviennent mais encore de s'en glorifier
,

dans l'amour de Dieu; que penser de cette


7. N'allez pas me demander comment nous autre vie qui nous est promise, où notre corps
soumettrons notre corps rien n'est plus ; facile n'aura rien à souffrir? En effet, les corps des
à comprendre et à exécuter, une fois que nous justes et des impies ne ressusciteront pas pour
nous serons soumis à Dieu, de tout notre cœur, avoir le même sort il est écrit « Nous res-
; :

et avec un abandon complet ; car toute créa- « susciterons tous, mais nous ne serons pas
ture est, bon gré, mal gré, soumise à un seul «tous changés»; et pour qu'on n'aille pas
Dieu, son Seigneur. Ce que nous recommande la croire que ce changement n'est pas promis
foi , c'est de le servir de tout notre cœur ; car aux justes, mais aux impies, et qu'il y a là un
le juste le sert sans rien perdre de sa liberté, châtiment, l'Apôtre ajoute : « Les morts res-
et le pécheur, en restant dans ses entraves. « susciteront incorruptibles , et c'est nous qui
Tous sont soumis à la divine Providence ; l'un « serons changés ^ ».
montre une obéissance fidèle, et sous ses aspi- Ainsi le sort des méchants est parfaitement
rations accomplit le bien ; l'autre est à la réglé : chacun d'eux est nuisible à soi-même,
chaîne comme un esclave, et subit le sort et tous se portent préjudice réciproquement,
qu'il mérite. Ainsi leDieu suprême, l'Auteur lis recherchent, en effet, ce qu'on ne peut

de toute créature, qui a fait toute chose excel- aimer sans se faire tort, et ce qui peut être
lente, comme il est écrit dans la Genèse ^, a ravi facilement ; et ce bien, quand ils se per-
réglé la création de manière à tirer le bien sécutent, cherchent à s'en dépouiller les
ils

des bons et des méchants. Un acte juste est en uns les autres. De là des tourments pour ceux
même temps un acte bon or, les bons sont : qui perdant les faveurs du monde, parce qu'ils
heureux à juste titre, et les méchants sont y ont mis leur affection. La joie est pour ceux
justement punis; par conséquent Dieu tire le qui les leur ravissent mais cette joie n'est ;

bien des bons et des méchants, puisqu'il fait qu'aveuglement, que misère profonde ; elle
tout selon les lois de la justice. J'appelle bons n'est, eu effet, qu'entraves pour l'àme qu'elle
ceux qui servent Dieu de tout cœur, et mé- entraîne dans des angoisses plus douloureuses.
chants ceux qui le font par contrainte car ; Le poisson aussi se sent heureux, lorsque, sans
personne ne peut se soustraire aux lois du voir l'hameçon, il dévore l'appât; mais que le

— pêcheur l'attire à lui, d'abord ses entrailles se


' I CoTint. IX, 26. ' Ib. xi, 1. — ' II Corint. II , 14 , et Coloss.
Il, 15. — * Gen. i, 31. ' Rom. V, 3-5. I Cor. XV, 51, 52.
48 DU COMBAT CHRÉTIEN.
déchirent, et bientôtil périt victime de la joie duire envers leurs semblables, et de le servir
qu'il a éprouvée dans son avidité. Tel est le lui-même ; mais les hommes savent assez le
sort de ceux qui croient trouver le bonheur traitement qu'ils doivent employer pour leurs
dans les biens d'ici-bas ils ont saisi l'ha- : bestiaux, c'est-à-dire, les procédés que l'expé-
meçon, ils le portent partout avec eux; mais rience, l'habileté, les talents naturels four-
le moment va venir où ils sentiront quels nissent pour veiller à la conservation de ces
tourments ils ont mis en eux par leur avidité. animaux. Et tous ces biens, ne les tiennent-ils
Les impies, toutefois, ne portent aucun préju- pas des trésors immenses de leur Créateur?
dice aux vrais fidèles, parce qu'ils leur enlè- Ainsi, quand un homme peut comprendre
vent des biens auxquels ces derniers ne sont comment Dieu, auteur de la création univer-
pas attachés. Car ce qu'ils aiment et ce qui selle gouverne par l'intermédiaire des
, la
fait leur bonheur, personne ne peut le leur âmes pures, qui lui servent de ministres et sur
ravir. Quant aux souffrances du corps qui ac- terre et dans les cieux, attendu que ces saintes
cablent si tristement les âmes des méchants ;
âmes sont l'ouvrage de ses mains, et qu'elles
les âmes des justes s'y retrempent et s'y for- occupent le premier rang dans la création;
tifient. Ainsi l'homme méchant et le mauvais quand un homme donc peut comprendre tout
ange servent sous les ordres de la divine Pro- cela, eh bien 1 qu'il comprenne et qu'il entre
vidence; mais ils ignorent le bien que Dieu dans la joie de son Seigneur *.

opère par eux; aussi sont-ils payés, non d'après


leurs services, mais d'après leur malice. CHAPITRE IX.

COMBIEN LE SEIGNEUR EST DOUX.


CHAPITRE VIII.

TOUT EST GOUVERNÉ PAR LA DIVINE PROVIDENCE. 10. Si ce bonheur nous est refusé pendant
que nous sommes dans les liens du corps, et
9. De même que ces âmes qui ont l'intention que nous accomplissons notre pèlerinage loin
de nuire et qui calculent les conséquences de Dieu % cherchons du moins à goûter com-
de leur action, sont placées sous les lois divines bien le Seigneur est doux % lui qui nous a
de manière que personne ne souffre injuste- donné comme gage d'amour son Esprit-Saint *,
ment; ainsi, tous les êtres organisés et vivants pour nous faire jouir de son ineffable douceur
sont, chacun dans son espèce et sa classe, diri- et nous faire soupirer après cette source même
gés conformément aux lois de la divine Pro- de la vie, où sans perdre la raison nous pou-
vidence. Aussi le Seigneur a dit « Deux pas- :
vons nous plonger et nous enivrer sans man-
cesereaux ne se vendent-ils pas une obole ? et quer à la sobriété, comme cet arbre planté le
« pas un d'eux ne tombe sur la terre sans la long d'un cours d'eau, qui se charge de fruits
« volonté de votre Père Par ces paroles, *
». à la saison, sans jamais se dépouiller de ses
que que ce qui paraît
veut-il faire voir, sinon feuilles ^ L'Esprit-Saint n'a-t-il pas dit « Les :

le plus vil aux yeux des hommes, est gouverné «enfants des hommes s'abandonneront à l'es-
par la toute-puissance de Dieu En effet, par 1 « pérance sous l'abri de vos ailes, ils s'enivre-
lui sont nourris les oiseaux du ciel, par lui « ront à l'abondance de votre maison, et vous
sont vêtus les lis des cham[)S ^; ainsi s'exprime « les désaltérerez au torrent de vos voluptés ^ ? »
la Vérité môme, que nos cheveux
et elle ajoute Une pareille ivresse, loin de troubler l'esprit,
mêmes sont comptés ^ Mais si Dieu veille par l'élève et lui donne l'oubli des choses de la
lui-même sur les âmes pures qui ont la raison terre; surtout, si nous pouvons dire dans
en partage, soit sur les anges qui ont gardé toute l'effusion de notre cœur : « Comme le
leur dignité et leur grandeur, soit sur les « cerf soupire après les fontaines, ainsi mon
hommes qui servent Dieu avec une entière c( âme soupire après vous, ô mon Dieu ''
1 »
soumission , Dieu aussi les emploie pour
gouverner Aussi l'Apôtre a-t-il pu
le reste. CHAPITRE X.
dire avec vérité Dieu ne prend point souci
: «
POUR NOUS LE FILS DE DIEU S'eST FAIT HOMME.
« des bœufs J). En effet, Dieu enseigne aux
'*

hommes, dans l'Ecriture, la manière de se con- 1 1 . Si les chagrins que l'attachement au monde

» Matt. X, 29. — » Matt. vi, 26, 28, 29, 30. — ' Id. x , 30. — ' I » Matt. XXV, 21. — = II Cor. v, 6. — » Ps. xxxiii, 9.-^1 Cor.
Corinth. ix, 9. I, 22, V, 5. — ^ Ps. I, 3. — <•
Psal. xxxv, S, 10. — Psal. XLr, 2.
DU COMBAT CHRÉTIEN. 49

cause à notre àme nous empêchent de goûter autrement, mais s'il l'eût fait, votre sottise
combien Seigneur est doux
le du moins ,
trouverait également à redire. En ne se mon-
ayons confiance en Fautorité divine que Dieu trant pas aux yeux des pécheurs, sa lumière
même a bien voulu placer dans la sainte Ecri- éternelle, qui n'est visible que par les yeux de

ture, où il est parlé de son Fils, « qui lui est l'àme ne pourrait être vue des esprits
,

« venu de la race de David selon la chair ^ », souillés. Mais comme le Fils de Dieu a daigné

comme dit l'Apôtre. « Tout a été fait par lui, nous instruire en prenant une forme visible
« et rien n'a été fait sans lui », dit l'Evan- afin de nous préparer à la possession des biens

gile ^ eu compassion de notre


C'est lui qui a invisibles, il froisse les avares, parce qu'il n'a

faiblesse, dont il mais que n'est pas l'auteur, pas revêtu un corps d'or massif ; il froisse les
nous ne devons attribuer qu'à nous-mêmes, impudiques, parce qu'il est né de la femme,
car Dieu a créé l'homme immortel et lui a
'^
car les impudiques ne peuvent supporter que
donné le libre usage de sa volonté; eh! où les femmes conçoivent et enfantent ; il froisse
serait la perfection pour lui s'il obéissait aux les orgueilleux, parce qu'il a supporté les
commandements de Dieu, par force et non outrages avec la plus admirable patience il ;

librement ? froisse les voluptueux, parce qu'il a enduré


A mon de plus simple mais c'est
avis, rien ;
les soulfrances; il froisse les peureux, parce

ce que pas comprendre ces


ne veulent qu'il est mort. Et pour n'avoir pas l'air de
hommes qui, ayant abandonné la foi catho- prendre la défense de leurs vices, ils disent
lique, désirent cependant conserver le nom que ce n'est |)as parce qu'il est homme,
de chrétien. S'ils conviennent avec nous que mais parce de Dieu, que cela
qu'il est le Fils
notre nature ne peut se corriger que par la les révolte dans Xotre-Seigneur. Ils ne com-
pratique du bien, ils avoueront nécessairement prennent donc pas quelle est cette éternité
qu'elle s'altère par le péché. Il suit donc que divine qui s'est faite homme; ils ne com-
nous ne devons pas croire que notre àme soit prennent pas non plus ce qu'est l'humanité
un même être avec Dieu s'il en était ainsi, ; qui par ce changement recouvrait sa i)remière
ni sa volonté, ni une force étrangère ne sau- énergie, et par là nous montrait que sous la
raient la pousser au mal puisque Dieu est ab- ;
conduite de Dieu nous pouvions, en pratiquant
solument immuable, comme en conviennent la vertu, nous affranchir des faiblesses causées
ceux qui n'aiment pas à parler des ques- par le péché. Ne voyons-nous i)as en effet à
tions qu'ils ignorent, dans un esprit de lutte, (jucl degré de misère l'homme était descendu
de rivalité, d'amour de vaine gloire mais , |)ar sa faute, et comment aujourd'hui, par le

avecune huiîiilité toute chrétienne; jugent du secours divin, il peut se relever de cet état?
Seigneur d'après sa bonté, et le cherchent dans Voilà pourquoi Dieu s'est fait homme et a
la sim[)licité de leur cœur *. Ainsi donc le souffert, comme homme, ce qui peut arriver à
Fils de Dieu a daigné se revêtir de notre fai- notre humanité. Ce remède à nos maux est
blesse. « Et le Verbe s'est fait chair, et il a ha- telque nous ne saurions nous en faire une
« bité parmi nous ^ » son éternité n'a pas été ; assez grande idée. Comment guérir l'orgueil,
changée mais il a montré aux regards
, s'il ne s'abaisse devant l'humilité du Fils
i)as

muables de l'homme, une créature également de Dieu ? Comment renoncer à l'avarice, si on


muable dont il s'est revêtu dans son immuable n'y renonce en face de la pauvreté du Fils de
majesté. Dieu? Quelle colère pourra se calmer, si elle
CHAPITRE XI. résiste en présence de la résignation du Fils
de Dieu? Quel est l'impie qui s'amendera, s'il
CONVENANCES MAGNIFIQUES DE l'iNCARNATION.
résiste à la charité du Fils de Dieu? Enfin,
12. Il se rencontre des insensés qui disent : quelle pusillaniinilé pourra être surmontée,
Dieu dans sa sagesse ne pouvait-il sauver les sielle ne cède devant la résurrection de Noire-
hommes qu'en se faisant homme, en prenant Seigneur?
naissance dans le sein d'une femme, et en se Que les hommes reprennent courage et
soumeltant a tout de la part des pécheurs ? reconnaissent leur nature, qu'ils voient le
Voici notre réponse Oui, Dieu pouvait agir : rang qu'ils occupent dans les œuvres de Dieu.
Oliouimes, ne vous méprisez pas vous-mêmes:
'
Rom. I, 3. — = Jeao, l, 3. — • Sag. il, 23. — ' Sag. i, 1. —
' Jean, i, 14. le Fils de Dieu s'est fait homme ; ô femmes,
S. Alg. — ToiiE XII.
50 DU COMBAT CHRÉTIEN.
n'ayez pas de mépris pour vous-mêmes : le Fils CHAPITRE XII.
de Dieu est né d'une femme. Cependant, ne
PARTOUT LA FOI CHRÉTIENNE PEUT SE DÉVELOPPER
vous attachez pas à la chair car en Jésus- ,

ET REMPORTER LA VICTOIRE.
Christ disparaît en nous toute distinction de
sexe. Ne vous attachez pas aux choses du 13. Aussi tous les sexes et tous les âges, les
monde, parce que si on pouvaitles aimer légi- grands mêmes de ce monde, se sont laissé
timement, le Fils de Dieu fait homme les eût entraîner à l'espérance de la vie éternelle.
aimées gardez-vous de craindre les outrages,
;
Les uns, méprisant les biens de la terre, n'as-
les croix et la mort, parce que s'il pouvait en pirent plus qu'aux choses divines. Les autres,
résulter un dommage pour nous, l'humanité tout en ne pratiquant pas les vertus qu'ils
prise par le Fils de Dieu ne les aurait pas voient pratiquer, louent ce qu'ils n'osent pas
soufferts. Eh cette leçon qui déjà est répandue
!
imiter. Un petitnombre murmurent encore, en
et pratiquée partout, et qui sauve toute âme proie à une haine impuissante : ce sont ceux
obéissante, serait-elle donnée ici-bas, si tout qui cherchent leur intérêt dans l'Eglise, bien
ce qui froisse les passions de ces insensés,ne qu'ils affectent les dehors du catholique ; ou
s'était pas accompli
Qui donc daigneront ? ceshérétiques qui, sous le nom même du Christ,
imiter ces fanfarons du vice, pour arriver à cherchentà faire parler d'eux; ou cesJuifs qui
pratiquer la vertu, s'ils rougissent de suivre travaillent à se disculper du crime de leur im-
Celui dont il a été dit, avant qu'il naquît :
piété; ou bien encore des païens qui redoutent
« 11 du Très-Haut' », et qui
sera appelé le Fils de renoncer à leurs mystères licencieux. Quant
aujourd'hui est appelé ainsi parmi toutes les à l'Eglise catholique répandue dans toute l'é-
nations, comme on n'en saurait douter? Avons- tendue de l'univers, après avoir repoussé dans
nous de nous-mêmes une haute idée? dai- les premiers temps les attaques de ses ennemis,
gnons imiter Celui qui est appelé le Fils du elle s'est de plus en plus fortifiée, non par la
Très-Haut? Nousdéfions-nous de nous-mêmes? résistance, mais par la patience. Et aujour-
osons imiter les pécheurs et les pubUcains d'hui, en voyant leurs objections insidieuses ,

qui ont été ses imitateurs. remède salu- elle en rit dans sa foi, les dissipe par sa vigi-
taire à tous ! il comprime toute enflure, res- lance, les réduit à néant par sa science; elle ne
taure toute faiblesse, écarte tout ce qui est se préoccupe pas si ses accusateurs trouvent
superflu, conserve tout ce qui est nécessaire, quelques pailles dans son grain elle a assez :

répare toutes perdues et redresse


les forces de prudence et de zèle pour reconnaître le
tout ce qui est dépravé. Qui s'élèverait main- temps où l'on doit moissonner, battre dans
tenant contre le Fils de Dieu? Qui pourrait l'aire, entasser dans les greniers. Mais quant
désespérer de soi quand pour nous le Fils de à ceuxqui décrient son pur froment, elle tâche
Dieu a voulu s'humilier à ce point? Qui de les ramener de leurs erreurs, ou ne fait pas
croira que le bonheur de la vie consiste dans plus de cas de leur maligne jalousie que des
des biens que Jésus-Christ nous a appris à ronces et de l'ivraie.
mépriser? Quelles adversités pourraient abat-
tre, quand on voit la nature de l'homme CHAPITRE XIII.
triompher en Jésus-Christ de si grandes
SE SOUMETTRE A DIEU EN TOUTES CHOSES.
épreuves? Peut-on penser que le royaume des
deux nous est fermé, quand on voit que des 14. Soumettons notre âme à Dieu, si nous
publicains, des courtisanes ont pu imiter le voulons tenir notre corps en servitude et triom-
Fils de Dieu -
? A quels désordres ne se sous- pher de Satan. C'est la foi d'abord qui attache
trait-on pas, quand on examine, pour les aimer notre âme à Dieu; ensuite la morale, dont la
et les suivre, les actions et les paroles de cette pratique fortifie notre foi, nourrit la charité,
nature humaine en qui le Fils de Dieu nous a et donne un vif éclat à ce qui n'était au para-
tracé un modèle de conduite? vant qu'une simple croyance. En effet, dèsque
' Luc, I, 32.— = Matt. XI, 31. laconnaissance et l'action rendent l'homme
heureux, il faut d'uncôtése garderde l'erreur;
de l'autre, éviter toute souillure. C'est une
erreur grave de croire qu'on puisse connaître
la vérité, tout en vivant dans le désordre. Or,
. ,

B{] COiMBAT CHRÉTIEN. 51

c'est un désordre que d'aimer le inonde, d'en CHAPITRE XVI.


estimertous les biens passagers et périssables,
ÉGALITÉ ET ÉTERNITÉ DES PERSONNES DIVINES.
de de faire des efforts pour les ac-
les désirer,
quérir, de mettre sa joie dans leur abondance, 18. Repoussons également ceux qui préten-
de craindre qu'on ne les perde, et de se désoler, dent que le Père seul est le Dieu éternel; que
quand ils nous sont enlevés. L'homme qui vit le Fils n'est pas né du Père, mais qu'il est formé
ainsi ne peut ni contempler pure et la vérité par lui et tiré (lu néant, et qu'il n'a pas toujours
immuable, ni s'attachera elle, ni prendre son été ; que le Saint-Esprit est inférieur au Fils
essor pour l'éternité. Aussi pour purifier ,
en majesté, et qu'il a été formé après le Fils;
notre esprit, nous devons croire d'abord ce que que les substances de ces trois personnes sont
nous ne sommes pas encore capables de com- différentes comme le sont l'or, l'argent et
prendre. Car le prophète a dit avec vérité : l'airain. Ces hérétiques ne savent ce qu'ils
« Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez disent, et les idées qu'ils se font sur les objets
« point * » qu'ils ont accoutumé de ne voir qu'avec les
15. L'Eglise enseigne en peu de mots ce yeux de la chair, ils les transportent sottement
qu'on doitcroire:elle parle des choses éternelles dans leurs discussions. De fait, c'est un grand
que ne peuvent comprendre encore les âmes travail pour l'intelligence de comprendre une
charnelles; des choses temporelles accomplies génération qui se fait, non dans le temps, mais
ou à accomplir, de tout ce que l'éternelle Pro- dans l'éternité de comprendre la charité et
;

vidence a fait et fera pour le salut des hommes. la sainteté établissant entre le Père et le Fils
Croyons donc au Père, au Fils et au Saint- une union ineffable oui, notre intelligence,
;

Esprit voilà les biens éternels et immuables


: calme et parfaitement tranquille, a
fùt-elle
c'est un seul Dieu, l'éternelle Trinité en une peine à s'élever jusqu'à ces mystères.
seule substance ; Dieu, de qui tout est sorti , A plus forte raison sont-ils inaccessibles à
par qui tout a été fait, en qui tout réside -. ceux qui considèrent de trop près les lois de la
génération humaine , et qui à ces ténèbres
CHAPITRE XIV. inévitables ajoutent encore l'obscure fumée
LA SAINTE TRINITÉ. que leurs luttes et leurs disputes de tous les
jours ne cessent de répandre. Leurs âmes sont
16. Gardons-nous de ceux que disent que le affaibliespar leurs attachements à la chair,
Père seul existe, qu'il n'a pas de Fils et (jue semblables à ce bois imprégné d'eau qui, tout
le Saint-Esprit n'est pas avec lui; mais que le en brûlant, ne donne que de la fumée sans
Père s'appelle tantôt le Fils, tantôt le Saint- jamais jeter une flamme brillante. Cette com-
Esprit. Ils ne connaissent pas le Principe d'où paraison s'applique exactement à tous les héré-
tout est sorti, l'Image d'après laquelle il forme tiques.
tout, la Sainteté par laquelle il ordonne tout. CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XV. DIVINITÉ DU CHRIST.

LES TROIS PERSONNES NE SONT PAS TROIS DIEUX. Tout en croyant à l'immuable Tri-
19.
nité, nous devons croire aussi l'incarnation
17. Gardons-nous aussi de ceux qui s'indi- qui s'est faite dans le temps, pour le salut du
gnent et s'irritent de ce que nous ne voulons genre humain. Loin de nous ceux qui préten-
pas qu'on adore trois dieux. Ils ignorent ce dent que Jésus-Christ, Fils de Dieu, n'est qu'un
que c'est qu'une substance unique et immua- homme;, mais un homme si juste qu'il a
ble; leurs fausses imaginations les abusent. mérité d'être appelé le Fils de Dieu. La disci-
Parce qu'avec les yeux de la chair ils voient pline de l'Eglise catholique a banni de son
ou trois êtres, ou trois personnalités quelcon- sein ces hérétiques qui, séduits par l'amour
ques, distinctes et séparées, ils se figurent qu'il d'une vaine gloire, ont voulu discuter sur ce
en est ainsi de la substance divine. Leur erreur sujet, avant de comprendre la Vertu de Dieu
profonde vient de leur orgueil, et ils ne peu- et la Sagesse de Dieu^ ce que signifie ;
« Au :

vent s'éclairer parce qu'ils refusent de croire. «commencementétaitle Verbe, le Verbe parqui

• Isaie, VII, 9, secund. lsjc. — ' Rom. xi, 36. '


I Cor. I, 24.
52 DU COMBAT CHRÉTIEN.

a tout a été fait », et comment « le Verbe s'est corps humain. En effet, les animaux eux-mê-
« fait chair et a iiabité parmi nous * ». mes sont doués d'une âme et d'un corps; mais
ils ne possèdent pas la raison, qui est l'apanage
CHAPITRE XVIII.
de l'intelligence.
RÉALITÉ DE l'iNCARNATION. Si nous devons avoir en horreur ceux qui
avancent que Jésus-Christ n'a pas eu un corps
20. Nousn'accepterons pas non plusle langage humain, parce que le corps est chez l'homme
de ceux qui avancent que Jésus-Christ ne s'est la partie inférieure, je ne puis entendre sans
pas revêtu d'un vrai corps humain, qu'il n'est quand ils disent
surprise ces autres hérétiques,
pas né de la femme, mais qu'il n'a montré aux que Jésus-Christ n'a pas eu ce qu'il y a de
regards qu'une fausse chair, qu'une forme meilleur dans l'homme. Sans doute, l'esprit
simulée de notre corps. Ces hérétiques ne humain est bien misérable, quand il se laisse
comprennent pas comment la substance de vaincre par le corps, car alors il n'a pas été
Dieu, en gouvernant toute la création, ne sau- réformé par son union avec cet homme divin
rait jamais recevoir la moindre souillure; et dont le corps même a reçu déjà une forme
cependant ils répètent partout que ce soleil céleste; mais Dieu nous garde a'une opinion
suspendu au-dessus de nos tètes, pénètre de produite par l'audace et l'orgueil de l'aveugle-
ses rayons les corps les plus vils et les plus ment et du bavardage.
corrompus, sans que ces mêmes rayons soient
jamais altérés ni souillés. Or, si des objets visi- CHAPITRE XX.
bles sont à l'abri des souillures et de la cor- LE CHRIST EST LA SAGESSE MÊME DE DIEU.
ruption d'autres objets visibles ; à plus forte
raison la vérité invisible et immuable prenant 22. Gardons-nous également de ceux qui
une âme par l'esprit, et un corps par l'àme, a- avancent que la sagesse éternelle a inspiré
t-elle pu, ense revêtant de l'bommetoutentier, l'homme né d'une Vierge, comme elle inspire
le soustraire à toutes nos infirmités sans con- tous ceux qui, dociles à ses leçons, finissent par
tracter elle-même aucune tache î Aussi se devenir parfaitement sages. Ils ne compren-
trouvent-ils dans le plus grand embarras, et, nent pas le cachet propre de cet homme ; ils

quand ils craignent, chose impossible, que la se figurent qu'il n'a d'autre avantage sur les
Vérité ne soit souillée par le contact delà chair, bienheureux que d'être né d'une Vierge. Si
ils accusent la Vérité de mensonge. Jésus- toutefois ils apportaient un peu plus de ré-
Christ lui-même a fait ce commandement : flexion, peut-être lîniraient-ils par croire que
« Que votre bouche dise cela est, cela n'est : Jésus-Christ a mérilé cette faveur, entre tous,
« pas "^
»; l'Apôlre aussi haute nous crie à parce que ce privilège même comporte une
voix « Il n'y avait pas en lui le oui et le non,
: supériorité. Eh! n'y a-t-il pas une grande
« le oui était en lui ^ ». Cependant ces mal- différence entre être sage par la sagesse de
heureux ajoutent que le corps entier de Jésus Dieu, et être soi-même la sagesse de Dieu in-
n'a été chair qu'en apparence; aussi ne croi- carnée? Bien que le corps de l'Eglise soit un
raient-ils pas imiter le Christ, s'ilsn'employaient dans sa constitution, ce[)endatit, qui ne com-
le mensonge auprès de leurs auditeurs. prend qu'il y a une grande différence entre la
tête et les membres? Si la tête de l'Eglise est
CHAPITRE XIX. Celui par l'incarnation duquel «le Verbe s'est

ESPRIT HUMAIN DANS JÈSUS-CHRIST. «fait chair et a habité parmi nous», les autres

membres comprennent tous les saints qui


21. Formons encore nos oreilles à ceux qui, composentet rem plissent l'Eglise. L'âme anime
tout enadmettantlaTrinilédansune substance et vivifie tout notre corps mais c'est dans la
;

unique et éternelle, ne craignent pas d'avancer tête seulement qu'elle a conscience tout à la
que l'humanité dont Jésus-Cluist s'est revêtu fois de la vie, de l'ouïe, de l'odorat, du goût
dans le temps, n'a pas eu l'intelligence de et du toucher dans les autres membres elle
;

l'homme, qu'elle n'en a eu que l'àme et le n'exerce que le toucher aussi est-ce la tête
;

corps. Cela revient à dire H ne fut pas homme,


: qui les dirige tous pour l'action, et la tête est
il n'avait que les membres qui constituent le placée au-dessus d'eux comme en sentinelle,
1, 3, 14. — Matt. v, 37. -
» Il Cor, parce qu'elle représente pour ainsi dire l'àme
-
'
Jean, i, 19. i,
,

DU COMBAT CHRÉTIEN. B3

elle-même, qui est la sentinelle du corps c'est ; de ces impiétés, et croyons fermement que le
dans la tête que sont réunis tous les sens. De Verbe de Dieu s'est revêtu de l'homme; tout
la même manière tout le peuple des saints, entier et de l'homme dans son état de perfec-
comme un seul corps, a pour tète le Médiateur tion.
entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ fait CHAPITRE XXII.
homme '
. En conséquence, la Sagesse de Dieu
JÉSDS-CHRIST m. d'une FEMME.
le Verbe par qui, dans le principe, tout a
été fait, ne s'est pas communiquée à Jésus- 24. 11 y en a, (mais leurs paroles ne
Christ fait homme, de la même façon qu'aux nous en imposeront pas), qui prêtent à
autres saints, mais c'est à un degré infini- Notre-Seigneur un corps semblable à celui
ment plus élevé et plus sublime lui seul ;
qui se montra sous la forme de la co-
devait être choisi pour que la Sagesse suprême lombe que Jean-Baptiste vit descendre du ciel,
se manifestât par lui aux autres hommes, de et s'arrêter sur Jésus, comme emblème de
la manière qu'il lui convenait de se montrer l'Esprit-Saint par là ils veulent persuader
:

sous des signes visibles. Aussi tous les hommes que le Fils de Dieu n'est pas né de la femme.
dans le présent, le passé et l'avenir, ne sau- S'il fallait, disent-ils, qu'il fût visible aux yeux

raient être sages comme le Médiateur divin, de la chair, il a pu prendre un corps tel que
Jésus-Christ fait homme,
il ne possède pas car l'avait pris l'Esprit-Saint. Or ajoutent-ils, ,

seulement, à titre de bienfait ,1a sagesse même cette colombe n'est pas sortie d'un œuf; et
par qui tout homme acquiert la sagesse, mais cependant les yeux des hommes ont pu lavoir.
encore il est en personne celte même sagesse. D'abord nous leur répondrons que dans le
Quant aux âmes sages et spirituelles, on peut livre où nous lisons que l'Esprit-Saint est ap-
dire avec raison qu'elles portent en elle le paru à Jean sous la forme d'une colombe ',
Verbe de Dieu «par qui tout a été fait »; mais nous trouvons aussi que Jésus-Christ est né de
d'aucune d'elles on ne saurait dire qu'en elle la femme -. Il ne faut pas dans l'Evangile ac-
« le Verbe s'est fait chair et a habité parmi cepter tel passage pour rejeter tel autre. Pour
« nous ». Cette parole ne convient qu'à Notre- quel motif croyez-vous que l'Esprit-Saint s'est
Seigneur Jésus-Christ. montré sous la forme d'une colombe, si ce
n'est parce que vous l'avez lu dans l'Evangile?
CHAPITRE XXI. Moi aussi j'ai donc raison de croire que Jésus-
LE CHRIST n'avait PAS UN CORPS SANS AME. Christ est né d'une Vierge, puisque je lis cela
dans l'Evangile.
23. Loin de nous encore ceux qui avancent Mais l'Espvit-Saint n'est pas né d'une co-
que le Verbe divin n'a pris que le corps de lombe, comme Jésus-Christ est né d'une
l'homme. Cette parole « Le Verbe s'est fait : femme en voici la raison l'Esprit-Saint n'é-
; :

«chair », ils l'interprètent en ce sens que tait pas venu pour affranchir les colombes,
THomme-Dieu n'a de l'homme que la chair, mais pour faire connaître aux hommes Tin-
sans en avoir l'âme. Quelle erreur! ils ne nocence et l'amour spirituel dont la colombe
comprennent pas que si dans ces mois « Le : est le symbole. Or, Notre-Seigneur Jésus-
« Verbe s'est fait chair», on n'a désigné que Christ, qui était venu pour sauver l'huma-
la chair, c'est que la chair seule pouvait se nité (et le salut importe aux deux sexes), n'a
rendre visible aux yeux des hommes, pour le pas dédaigné les hommes, puisqu'il s'est fait
salut desquels Dieu s'était incarné. En effet, si homme, ni les femmes, puisqu'il est né de la
comme nous l'avons démontré plus haut, on femme. Voyez encore cet admirable mystère :

ne peut sans absurdité, sans indignilé, dire la mort nous était venue par la femme, c'est
que l'Homme - Dieu n'a pas eu l'esprit de par la femme que la vie devait nous être
l'homme, à plus forte raison est-ce le comble rendue, et par ces deux natures, de l'homme
de l'absurdité et du sacrilège d'avancer que, et de la femme, Satan a eu la douleur de se
privé de l'esprit et de l'âme humaine, il n'au- voir vaincu et comme il avait eu la joie de
;

raiteu en partage que la partie la plus vile et les perdre toutes les deux, le châtiment res-
la moins noble même chez les animaux, je tait incomplet, si les deux natures de l'huma-
veux dire le corps. Mettons notre foi à l'abri nité ne nous sauvaient l'une et l'autre.
• I Timoth. II, 5. ' Matt. m, 16. — ' Tu. i, 20, 25.
.

u DU COMBAT CHRETIEN.
\
Aiassi ne disons-nous pas que Jésus-Christ « corps, ils ne peuvent rien sur l'âme ' »

seul ^'est révolu réellement d'un corps, tandis Ainsi donc nous admettons que les martyrs
que leSainl-Esprit se serait montré aux yeux ont souffert et sont morts danslescorpsdont ils
des hommes, sous de fausses apparences; nous s'étaient revêtus, sansque leurs âmes aient été
affirmons que nous croyons à ces deux corps, exposées à la destruction ou à la mort nous ;

que ces deux corps sont vrais. Si le Fils de reconnaissons de la même manière que le Fils
Dieu ne devait pas tromper les hommes, le de Dieu a souffert et est mort dans l'humanité
Saint-Esprit non plus ne pouvait les ahuscr. à laquelle il s'était uni personnellement, sans

Mais à Dieu, qui a tiré du néant toute créature, qu'il y ait eu changement ou mort pour sa na-
il n'était pas plus difficile de former en dehors ture divine.
des lois de la nature un vrai corps de colombe, CHAPITRE XXIV.
que de créer un corps dans le sein de Marie,
IDENTITÉ DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST RESSUSCITÉ.
sans le concours de l'homme. Dans le sein de
la femme pour former Thomme, comme dans 26. Nousrepousseronsaussi ceux qui préten-
le ciel même pour créer une colombe, la na- dent que le corps du Sauveur n'était pas, après
ture n'obéissait-elle pas à la volonté souve- sa résurrection, telqu'au moment où il fut placé
raine du Seigneur? Mais ces malheureux hé- dans le sépulcre. S'il en avait été ainsi, il n'au-
rétiques se figurent, dans leur aveuglement;, rait pas dit lui-même à ses disciples, après sa
que Dieu lui-même, dont la puissance est iiv résurrection « Touchez et regardez
: car un :

finie, n'a pu faire ce qu'eux-mêmes se sen- « esprit n'a ni chair ni os, comme vous m'en

tent incapables de faire, ou ce qu'ils n'ont «voyez ^ ». Il y aurait sacrilège à croire que
jamais vu ! Notre- Seigneur, qui est la Vérité même ait ,

CHAPITRE XXIII. jamais pu faire un mensonge. Ne soyons pas


non plus surpris de ce que l'Ecriture ^ dit qu'il
LE FILS DE DIEU N'eST-IL QU'uNE CRÉATURE ?
apparut à ses disciples, bien que les portes
25. Eloignons-nous encore de ceux qui cher- fussent fermées ; et n'allons pas lui refuser un
chent à nous faire considérer le Fils de Dieu corps humain, parce que nous voyons qu'il est
comme une créature, par la raison qu'il a contraire à la nature de ce corps de pénétrer
souffert. Voici leur raisonnement s'il a souffert,
: à travers des portes fermées. « Tout n'est-il pas
il est sujet au changement s'il peut changer,
; « possible à Dieu * ?» Il est contraire en effet
il est une créature, parce que l'essence divine à la nature de nos corps de marcher sur les

ne peut changer. Quant à nous, nous confes- eaux, et cependant Notre-Seigneur avant sa
sons avec eux que l'essence divine est im- passion y a marché, il y a même fait marcher
muable et que la créature peut changer mais ; saint Pierre ^. Ainsi donc, après sa résurrec-
entre la créature et l'abaissement au rôle tion, il a pu faire de son corps ce qu'il a voulu.

de créature, il y a un abîme. Ainsi le Fils Et si avant sa passion il a pu donner à son corps


unique de Dieu, je veux dire la Vertu, l'éclatresplendissantdu soleil'', pourquoi, après
la Sagesse de Dieu, le Verbe par qui tout sa passion, lui aurait-il été impossible de rendre
a été fait, étant immuable, a bieu voulu ce même corps assez diaphane et délicat pour
se revêtir de notre humanité elle était tom-
; pénétrer à travers des portes fermées ?
bée et vieillie, il a daigné la relever et la ra-
jeunir. Mais quand il a souffert sa passion pour CHAPITRE XXV.
elle, il n'a altéré en rien sa propre nature au ;
ASCENSION.
contraire, par sa résurrection il a amélioré le
sort de notre humanité, et pourtant il faut re- 27. Nous n'écouterons pas non plus ceux qui
connaître que le Verbe du Père, le Fils unique avancent que Notre-Seigneur n'a pas élevé avec
de Dieu, par qui tout a été fait, est né et a lui son corps dansle ciel. Ils rapportent ces mots
souffert pour nous. En effet, ne disons-nous de l'Evangile « Personne n'est monté au
:

pas que les martyrs ont souffert et sont morts « ciel, que du ciel »
celui qui est descendu ''

pour posséder le royaume des cieux? et cepen- puis ils ajoutent que comme son corps n'est
dant par ces souffrances, par cette mort, leurs pas descendu du ciel, il n'a pu y monter. C'est
âmes n'ont pas été anéanties car le Seigneur
:
' Matt. X, 28. — » Luc, xxiv, 39. —
' Jean,xx, 26. —
' Matt.
ix,
a dit « Ne craignez point ceux qui tuent le
: 26. — ' Id.
XIV, 25, 29. —
' Id. xvn, 2. —
' Jean,
m, 13.
DU COMBAT CHRÉTIEN. 55

qu'ils n'entendent pas ces mots : « Le corps qui s'appuient sur ces passages de l'Evangile :

n'est pas monté au ciel ». Eu effet, Notre- « Qui croit en Jésus-Christ ne sera pas jugé ;

Seigneur est monté, mais son corps n'est pas « qui ne croit pas en lui est déjà jugé ». '

monté ; il a été porté au ciel, élevé par Notre- Voici leur raisonnement Si celui qui croit, :

Seigneur qui y est monté. n'est pas soumis au jugement, et si celui qui ne
Un exemple Qu'une personne descende: croit pas, est déjà jugé, où sont donc alors ceux
nue du sommet d'une montagne, et qu'une quele Christ jugera aujourdujugement? Ils —
fois descendue elle prenne des vêtements, et, ne comprennent pas que les saintes Ecritures,
dans cet état, monte. Nous avons raison de en s'exprimant ainsi, prennent le passé pour le
dire Personne n'est monté que celui qui est
: futur. C'est ainsi que plus haut, en citant ces
descendu car nous ne faisons pas attention
; paroles de l'Apôtre « Il nous a fait asseoir
:

au vêtement que la personne a emporté avec « avec lui dans le royaume des cieux » nous ,

elle, mais à la personne même qui s'estvètue, avons remarqué que nous n'y sommes pas
et nous disons qu'elle seule est montée. encore mais puisque nous y serons certaine-
;

ment un jour, l'Apôtre s'est exprimé comme


CHAPITRE XXVI. si le fait s'était déjà accompli. C'est de la même
façon que le Seigneur dit à ses disciples
LE CHRIST ASSIS A LA DROITE DE SON PÈRE. :

« Tout ce que j'ai entendu de mon Père, je


28 Nous rejetterons aussi ceux qui ne veulent « vous l'ai fait connaître- ». Bientôt il ajoute :

pas que le Christ soit assis à la droite de son a Jai encore plusieurs choses à vous dire,
Père. Voici ce qu'ils disent : Dieu le Père a-t- « mais elles sont au-dessus de votre portée*».
il un côté droit et un côté gauche, comme les Comment aurait-il dit : « Tout ce que j'ai
hommes ? Mais nous n'avons pas une telle « entendu de mon Père, je vous l'ai fait con-
idée de Dieu le Père. Dieu ne peut se limiter « naître », s'il n'avait parlé, comme d'un fait
et serenfermer dans aucune forme physique. accompli, de ce qu'il devait certainement faire
On entend par la droite du Père, le bonheur par le Saint-Esprit. Aussi, quand on nous dit :

éternel promis aux saints et la gauche désigne ; «Quiconque croit en Jésus-Christne viendra pas
très-justement l'éternité de souffrances qui «enjugement», nous devons comprendrequ'il
attend les impies. Ainsi la droite et la gauche ne sera pas damné. Car ici, par jugement on
ne doivent pas s'entendre par rapport à Dieu, entend damnation, suivant ces expressions de
mais par rapport aux hommes. Aussi le corps l'Apôtre « Celui qui ne mange pas, ne doit
:

du Christ, qui est l'Eglise, est-il aussi à la « pas juger celui qui mange * » ; c'est-à-dire,
droite de Dieu pour goûter cette béatitude : ne doit pas mal penser de lui. Le Seigneur
a IInous a ressuscites, dit l'Apôtre, et nous a aussi ne dit-il pas « Ne jugez pas, pour qu'on
:

asseoir avec lui dans le ciel * » Bien que


« fait . « ne vous juge pas*? » II ne nous ôte pas la

notre corps n'y soit pas encore notre es- , faculté de pouvoir juger, puisque le prophète
pérance s'y trouve déjà. Aussi Notre-Sei- dit «Enfants des hommes, si vous aimez sin-
:

gneur après sa résurrection commande-t-il « cèrement la justice, jugez selon la droi-


aux disciples qu'il rencontre occupés à pêcher « ture*' ». Le Seigneur lui-même ne dit-il pas

de lancer leurs filets à droite. A peine eurent- aussi «Ne jugez point d'après les apparences,
:

ils exécuté cet ordre qu'ils prirent des ,


«mais portez votrejugement selon la justice'?»
poissons , qui tous étaient gros ^ C'est Ici, en nous défendant déjuger, il nous défend

l'emblème des justes à qui la droite est pro- de condamner celui dont nous ne connaissons
mise. Voilà encore pourquoi, au jugementsu- ni les pensées secrètes, ni la conduite à venir.
prême. Dieu placera à sa droite les agneaux, Par conséquent, lorsqu'il a dit « Il ne viendra :

et les boucs à sa gauche ^ « pas en jugement», le Seigneur a voulu faire

entendre ceci Il ne tombera pas sous un arrêt


:

CHAPITRE XXVII. de condamnation. « Quiconque ne croit pas


LE JUGEMENT FUTUR. « est déjà jugé ^ » cela signifie qu'il est déjà
:

condamné par prescience de Dieu, lequel


la
29. Gardons-nous également d'écouter ceux sait tout ce qui attend les incrédules.
qui ne croient pas au jugement dernier, et
- Jean, xv, 15. — ' Id. xvi, 12. — '
Rom. XIV
Eph, u, 6. — -
Jean, xxi, 6-11. — ^
Matt. sx — ' Ps. LVll, 2. — ' Jean, vu, 24. — Id. m, 18.
56 DU COMBAT CHRÉTIEN.

CHAPITRE XXVIII. soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Tes-


tament, où l'on voit clairement que l'Eglise
A QUI ÉTAIT PROMIS l'eSPRIT-SAINT.
du Christ répandue dans le monde entier?
est
nous encore ceux qui avancent
30. Loin de A cette ils nous répondent que tout,
objection
que le Saint-Esprit, promis par le Seigneur sans doute, en était rempli avant l'existence
dans l'Evangile à ses disciples, est venu à du parti de Donat, mais ils prétendent qu'en-
l'apôtre Paul ou a Mon«an et à Priscilla, d'a- suite l'Eglise entière a péri, et que ses restes
près le sentiment des Cataplirygiens ou bien ; ne se trouvent que parmi les Donatistes.
à je ne sais quel Manès ou Manichée, selon langage superbe et criminel! Non , la chose
l'opinion des Manichéens. Ils sont assez aveu- n'est pas possible, quand même ils vivraient
glés pour ne pas comprendre le sens si clair de manière à conserver la paix entre eux.
de l'Ecriture, ou bien ils négligent assez leur Mais, ils ne remarquent pas qu'à l'égard de
salut pour ne pas la lire. Qui, en effet, à une Donat s'est accomplie cette parole « On vous :

simple lecture, ne comprendrait les paroles c(mesurera avec la même mesure qui vous
écrites dans l'Evangile même, après la résur- « aura servi à mesurer les autres* ». Il a cher-

rection du Seigneur, et où il dit en personne : ché à diviser le Christ, ainsi lui-même chaque
« Je vous envoie ce que mon Père vous a jour est divisé et morcelé par les siens. C'est
« promis; pour vous, demeurez dans la ville aussi ce que fait entendre celte autre parole du
« jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu Seigneur « Qui frappe du glaive, périra parle
:

« d'en haut * ». Et dans les Actes des Apôtres, « glaive ^ » En effet dans ce passage, le glaive,
.

quand Seigneur a disparu aux yeux de ses


le mis aux mains d'un méchant, désigne une
disciples pour s'élever au ciel, ces impies ne langue amie de la discorde or, ce malheureux ;

voient pas que le jour de la Pentecôte, le en a alors frappé l'Eghse, mais sans la tuer.
Saint-Esprit est venu sur eux d'une façon Car le Seigneur n'a pas dit «Qui tuera par le :

visible; et pendant que ces mêmes disciples « glaive, périra parle glaive » mais « Celui ; :

étaient encore dans la cité, selon la promesse « qui aura fait usage du glaive, mourra par

faite auparavant, il les a remplis de lui-même « le glaive». Donat a frappé l'Eglise avec sa

et leur a fait le don des langues. En effet, il langue séditieuse , et aujourd'hui il est lui-
y avait là des hommes de diverses nations, même déchiré de manière à disparaître et à
et chacun les comprenait dans la propre mourir complètement.
qu'il parlait ^ Mais ces incrédules abusent Pourtant l'apôtre Pierre s'était servi du
les âmes indifférentes qui ne veulent pas s'ins- glaive, non pas poussé par l'orgueil, mais par
truire de leur foi si clairement prouvée dans l'amour de Dieu, amour tout humain encore;
l'Ecriture; ce qu'il y a de plus grave et de
et, aussi sur un avertissement remit-il le fer au
plus déplorable, c'est que ces âmes, si négli- fourreau; mais cet impie, même vaincu, ne
gentes pour la foi catholique, prêtent une veut pas obéir. Comme il soutenait son hé-
oreille attentive aux suggestions de l'hérésie. résie devant Cécilien, à Rome, en présence des
évêques qu'il avait lui-même convoqués, il ne
CHAPITRE XXIX. put venir à bout de prouver aucune de ses
propositions. Ainsi il persista dans son schisme
l'église catholique et les DONATISTES.
pour mourir par le glaive. Mais le peuple
31. Nous nous garderons aussi du langage même de cet impie, quand il n'écoute ni les
de ceux qui prétendent que TEgliso, une et prophéties, ni l'Evangile, où il est dit en termes
catholique, n'est pas répandue dans le monde si précis que l'Eglise du Christ est répandue
entier, mais qu'elle ne vit qu'en Afrique, c'est- dans toutes les nations, et que d'un autre côté,
à-dire dans le parti de Donat. C'est ainsi qu'ils il s'en rapporte à des schismatiques qui ne

se ferment les oreilles en présence du prophète cherchent pas la gloire de Dieu mais la leur,
qui s'écrie «Tu es mon Fils, je t'ai engendré
: ce peuple fait assez voir qu'il est esclave et non
« aujourd'hui; demande-moi, et je te donne- libre, et que l'oreille droite lui a été coupée.
« rai pour héritage les nations, et pour posses- Pierre, en effet, dans sou amour de Dieu,
« sion, jusqu'aux extrémités de la terre ^». Et coupa par erreur l'oreille droite à un esclave
combien d'autres paroles ne trouve-t-on pas, et non à un homme libre. N'est-ce pas dire
'
Luc, xsiv, 49. — ' Act. II, 1-11. — ' Ps. II, 7, 8. '
Wiitt. vil, 2. — ' Ib. XXVI, 52.
DU COMBAT CHRETIEN. 57

que ceux qui sont frappés par le glaive du En effet, la grande vertu de la piété, c'est

schisme, sont les esclaves des désirs charnels? la paix et l'unité, parce que Dieu est un.
car ils n'ont pas encore été amenés à la liberté Or, les Lucifériens ne l'ont pas, cette vertu,
que donne de manière à ne point
l'esprit, parce qu'ils se sont séparés de l'unité. Aussi,
mettre leur confiance dans un homme; en quand l'un d'entre eux revient à la foi catho-
outre ils n'entendent pas ce qui est à droite, lique, iln'a pas besoindereprendrel'apparence
c'est-à-dire la gloire de Dieu répandue au loin de la piété, qu'il possède, mais il en reçoit la
dans TEglise catholique entière, mais ils sai- vertu, qu'il n'avait pas. Semblables à des
sissent bien ce qui est à gauche, c'est-à-dire branches coupées mais non desséchées, qui
les erreurs de la présomption humaine. sont susceptibles d'être encore entées eux ,

Cependant, comme le Seigneur dit dans aussi peuvent revenir à la foi, s'ils ne per-
l'Evangile que la lin du monde arrivera quand sévèrent pas dans l'incrédulité ainsi que ,

l'Evangile aura été prêché par toutes les na- l'enseigne l'Apôtre en termes précis \ Voilà
tions '
; comment osent-ils prétendre que déjà ce que comprennent les Lucifériens, et ils
toutes les autres nations ont perdu la foi, que ne donnent pas le baptême une seconde fois;
l'Eglise est restée seulement dans le parti de alors nous ne les blâmons pas. Mais lorsqu'ils
Donat; lorsqu'il est évident que, depuis la sé- ont voulu se séparer eux-mêmes de la racine,
paration de ce parti d'avec la grande unité, qui n'aurait jugé ce dessein condamnable ?

quelques nations sont venues à la foi. qu'il en surtout quand ce qu'ils rejettent dans l'Eglise
reste plusieurs qui ne croient pas encore, mais catholique, est vraiment le caractère distinc-
auxquelles l'Evangile est annoncé sans re- tif de sa sainteté. Nulle part, en effet, les
lâche? N'est-on pas surpris de rencontrer un entrailles de la miséricorde ne s'émeuvent au-
homme qui se déclare chrétien et se laisse tant que dans l'Eglise catholique; comme une
entraîner à l'impiété contre la gloire du Christ, véritable mère, elle ne traite pas avec orgueil
au point d'oser prétendre que tous les peuples ses fils quand ils commettent des fautes, elle
de la terre qui viennent deutrer dans l'Eglise leur pardonne aisément quand ils se sont
de Dieu, qui se hâtent, pour ainsi parler, d'a- corrigés. Ce n'est pas sans motif que Pierre,
voir la foi en Jésus-Christ, travaillent en vain, entre tous les Apôtres, représente le caractère
parce qu'un Dcnatiste ne leur donne pas le bap- de cette Eglise catholique car c'est à elle que ;

tême? Sans aucun doute on repousserait avec furent données les clefs du royaume des cieux
horreur de pareilles propositions et on aban- lorsqu'elles furent remises à Pierre \ A tous
donnerait bien vite ces hérétiques, si on cher- s'adresse cette parole qui lui fut adressée :

chait Jésus-Christ, si on aimait l'Eglise; si on « M'aimes-tu? pais mes brebis '» L'Eglise catho- .

était libre, et qu'on eût encore l'oreille droite lique doit donc pardonner avec empressement
intacte. à ses fils quand ils se sont amendés et fortifiés
CHAPITRE XXX. par la piété, puisque Pierre lui-même, qui la
représente , obtint sou pardon après avoir
l'église catholique et les lucifériens.
tremblé sur la mer*; après avoir d'une ma-
Nous n'écouterons pas non plus ces autres
3-2. nière trop charnelle, cherché à détourner le
qui, sans réclamer pour personne un second Seigneur de souffrir ''; après avoir coupé avec
baptême, se sont néanmoins retranchés de le glaive l'oreille d'un esclave; après avoir
l'unité de l'Eglise, ont préféré s'appeler Luci- renié trois fois le Seigneur^ et s'être ensuite
fériens plutôt que catholiques. Ils sont dans la laissé aller à une feinte superstitieuse"; mais
saine doctrine en comprenant que le baptême il s'était corrigé et fortifié au point de mériter
du Christ ne doit pas se réitérer. Ils voient, la gloire de souffrir comme le Sauveur.
en effet, que
sacrement de la sainte ablu-
le Aussi , après la persécution excitée par les
tion ne vient que de l'Eglise catholique, et Ariens, quand la paix,que l'Eglise catholique
que les sarments coupés conservent la forme tient tûulefùisde son union avec le Seigneur, eut
qu'ils avaient prise sur le cepavant d'être tran- été rendue, même par les grands de ce monde,
chés. C'est à eux toutefois que s'adressent beaucoup d'évêques qui, dans celte persécu-
ces paroles de l'Apôtre : « Ils ont l'apparence tion, étaient du parti d'Arius, préférèrent, après
« de la piété, mais ils en ont rejeté la vertu -».
Rom. XI , 23. — - Matt. xn, 19. — • Jean, xxi , 17. — *
iiatt.
'
Mdtt. XXIV, 11. — ' II Tiia. m, 5. XIV, 30. — '•
Ib. XVI, 22. — ' Id. xxvi, 51, 70, 71. — ' Gai. ii, 12.
58 DU COMBAT CHRÉTIEN.

s'être corrigés, rentrer dans la foi catholique, en fait-il pas la promesse quand il dit « Les :

condamnant ce qu'ils avaient cru ou feint c< hommes n'auront point de femmes, ni les
de croire. L'Eglise catholique les reçut dans «femmes de maris, mais ils seront comme
son sein maternel, comme elle y avait reçu « les anges de DieuUne fois devenus ^ ? »

Pierre lorsqu'il pleura après que le chant du semblables aux anges, ne vivront plus pour ils

coq l'eut averti de son reniement, et lorsqu'a- les hommes, mais pour Dieu seul. La chair et

près de coupables feintes , il se fut corrigé à le sang seront ainsi changés et formeront un

la voix de Paul. corps céleste pareil à celui des anges. « Les


En en blâmant avec
traitant avec hauteur, « morts ressusciteront dans un état d'incor-
impiété cette charité de notre mère, ces héré- « ruptibilité, et nous, nous serons transfor-
tiques ont mérité pour n'avoir pas félicité
,
« mes ^ ». Ainsi, il est vrai que la chair res-
Pierre se relevant au chant du coq ', de tomber suscitera, et il l'est aussi que ni la chair ni le
avec Lucifer qui le matin se levait avec
,
sang ne posséderont le royaume de Dieu.
éclat ^
CHAPITRE XXXI. CHAPITRE XXXIII.

l'église et les cathares. iL faut grandir par la foi.

33. Nous n'écouterons pas non plus ceux qui 35. Allaités en quelque sorte par la simpli-
refusent à l'Eglise le pouvoir de remettre tous cité et la pureté de la foi, croissons en Jésus-
les péchés. Aussi ces malheureux, en ne voyant Christ, et pendant que nous ressemblons à de
point la pierre dans Pierre, en ne voulant pas faibles enfants, ne désirons pas les aliments
croire que les clefs du royaume des cieux ont de ceux qui ont déjà grandi, mais dévelop-
été remises à l'Eglise, les ont laissé échapper pons-nous en Jésus-Christ en prenant une
de leurs mains. Ce sont eux qui condamnent nourriture salutaire, en y ajoutant les bonnes
comme adultères les veuves qui se remarient, mœurs et la justice chrétienne qui renferme
et qui se prétendent plus purs que la doctrine l'amour de Dieu et du prochain dans toute sa
des Apôtres ^ S'ils voulaient reconnaître leur perfection et dans toute sa force. Ainsi
véritable nom, ils s'appelleraient impurs, plutôt chacun de nous pourra triompher, en lui-
que purs. Puisqu'ils ne veulent pas se corriger même et en s'attachant au Christ dont il s'est
quand ils ont péché, ne préfèrent-ils pas se revêtu, du démon et de ses anges. Effective-
damner avec ce ijionde ? Car, en refusant aux ment, la charité n'a en elle ni les affections ni
pécheurs le pardon de leurs fautes, ils ne ren- les frayeurs du siècle, c'est-à-dire qu'elle ne

dent pas la santé à leurs âmes, mais il privent désire pas acquérir les biens de ce monde et
les malades de tout remède et, en ne permet- ; ne craint pas de les perdre car c'est par ces :

tant pas à leurs veuves de se remarier, ils les deux portes que pénètre en nos cœurs, pour y
forcent de brûler *. établir son empire, l'ennemi qui sera chassé
d'abord par la crainte de Dieu, et ensuite par
CHAPITRE XXXII. la charité.

la résurrection de la cuair. Aussi devons-nous chercher avec d'autant


plus d'ardeur à connaître clairement la vérité,
34. Nous ne devons pas écouter non plus ceux à la voir avec une pleine évidence, que nous
qui, pour n'admettre pas la résurrection de la faisons plus de progrès dans la charité, et que,
chair, nous citent ces paroles de l'apôtre Paul : par la simphcité de la charité, nous possédons
« Ni la chair ni le sang ne posséderont le un cœur pur car la vérité se fait voir aux
;

« royaume de Dieu » Ils ne comprennent donc . yeux même de l'âme : « Heureux ceux qui
pas cet autre passage du même Apôtre «Il faut : « ont le cœur pur, parce verront Dieu *.
qu'ils

« que corruptible, ce corps se revête d'incorrup- « Enracinés donc et fortement établis dans la
« tibililé,etquemorteI, ilse revêle d'immorta- « charité, puissions-nous comprendre avec tous
« lité». Alors il n'y aura plus ni chair ni sang, « les saints quelle en est la largeur, la lon-
mais un corps céleste ^ Le Seigneur ne nous « gueur, la hauteur, la profondeur, c'est-à-

« dire, connaître quel est pour nous l'amour


' Matt. XXVI, 75. — ' Is. XIV, 12. — * 1 Tim. v, 4. — ' I Cor. vu,
9. - 'Il Rctr. cb. 3. » Matt. XXII, 30. — ' 1 Cor. xv, 50,-53. — ' Matt. v, 8.
DU COMBAT CHRÉTIEN. 59

« de Jésus-Christ, qui surpasse toute connais- le joug du Christ est doux pour ceux qui
« sance, afin que nous soyons remplis de tous l'aiment et qui le cherchent, et comme son
« les trésors de la plénitude de Dieu ' » ;et, fardeau est léger \ puissions-nous mériter
après avoir soutenu contre l'invisible ennemi la couronne due à la victoire.
les luttes dont nous venons de parler, comme ' Matt. XI, 30.

' Eph. HT, 17-19.

Traduction de M. THENARD.
MÉTHODE
POUR ENSEIGNER AUX CATECHUMENES LES ELEMENTS DU CHRISTIANISME
OU.

Traité dn Oatécliisme.

L'au*eur, à la prière d'un diacre de Carihage , retrace les règles qui doivent guider le catéchiste. —
Après avoir exposé la ma-
nière d'enseigner les vérités chrétiennes non-seulement avec méthode mais avec grâce et facilité , il joint l'exemple aux pré-
ceptes et propose deux discours comme modèles des instructions que l'on doit donner aux catéchumènes.

CHAPITRE PREMIER. me permettent d'offrir les bienfaits dont Dieu


m'a comblés et qu'il m'impose envers ceux
BUT DE CE TRAITE.
dont il a fait mes frères. Plus je désire voir se
1 . Tu m'as prie, Déogratias mon frère, de répandre au loin les trésors du Seigneur, plus
l'adresser des conseils sur lamanière de rem- je suis obligé d'adoucir les peines qu'éprou-
plir les fonctionsde caléchisle. Chargé à Car- vent ses serviteurs et mes collaborateurs à les
thage, en qualilé de diacre, d'inilier au chri- faire valoir ;
plus je dois, dans la mesure de
stianisme un grand nombre de personnes con- mes forces, leur faciliter la tâche qu'ils brû-
fiées à tes soins, sur la rcpulalion dont tu lent de remplir.
jouis de savoir réunir, dans ton enseignement,
de la doctrine à la grâce de l'élo-
CHAPITRE II.
la solidité
culion; tu hésites souvent, me dis-lu, sur la PAR QUEL SECRET l'aUDITEUR GOUTE-T-IL SOU-
méthode à suivre pour enseigner avec facilité
VENT UN DISCOURS DONT l'ORATEUR EST MÉCON-
les vérités élémentaires qu'il faut croire pour TENT ? LE PRÉDICATEUR DOIT AVANT TOUT PRÉ-
obtenir le titre de chrétien. Tu me demandes VENIR l'ennui et ÉGAYER SON ÉLOCUTION.
où doit commencer, où doit finir cette expo-
sition; s'il est nécessaire d'y ajouter quelques 3. Pour en venir à la question qui te préoc-
exhortations, ou s'il suffit de formuler sim- cupe, je ne voudrais plus le voir songer avec
plement les préceptes dont l'observation est tristesse au style plat et languissant que tu
essentielle à celui qui veut embrasser la foi prétends remarquer dans tes instructions. Ces
chrétienne et y conformer sa vie. Si j'en crois défauts échappent peut-être à ton auditeur, et
même tes aveux et les plaintes, la parole finit tu te figures sans doute que ta parole ne mé-
par devenir languissante et t'inspire du dé- rite pas d'être écoulée, parce qu'elle ne répond
goût, loin de charmer le catéchumène et l'au- pas assez à ton idéal. Moi-même je suis pres-
ditoire. Dans celte situation délicate, tu m'as que toujours mécontent de mes discours. Je
prié, au nom de la charité que je le dois, de me forme un idéal qui me ravit en moi-
vouloir bien, au milieu de mes travaux, l'a- même aussi longtemps que je ne cherche pas
dresser quelques conseils sur ce sujet. à le rendre par la parole. Ne puis-je l'expri-
2. Pour moi, je trouve dans la charité et mer dans toute sa beauté? Je m'afflige en
dans le sentiment des devoirs qui m'attachent, voyant que ma langue ne peut répondre aux
non-seulement à un ami en particulier, mais ins|)iralions de mon cœur. Car je voudrais
encore à l'Eglise en général, un motif impé- faire entrer dans l'esprit des auditeurs ma
rieux de rendre sur-le-champ, avec un dé- pensée tout entière, et je sens que ma parole
vouement sans bornes, tous les services que est incapable de produire cet effet. L'idée pé-
.

TRAITÉ DU CATÉCHISME. 61

iiètre dans mon esprit comme un rayon de je n'ai garde de manquer au ministère dont
lumière; mon langage se traîne, languit et la je les vois recueillir tant de fruits. Fais comme
retlète à peine ;
pendant qu'il se débrouille, moi. Puisqu'on te confie souvent l'instruction
elle se perd dansses mystérieuses profondeurs; des catéchumènes, tu dois en conclure que
toutefois, par une merveilleuse propriété, elle tes discours n'inspirent pas aux autres la
imprime dans la mémoire des traces qui sub- même répugnance qu'a toi-même ; surtout il

sistent avec les termes mêmes destinés à la ne faut pas croire qu'ils sont inutiles, parce
fixer. Ces impressions donnent naissance aux que l'expression ne rend pas ta pensée comme
signes phonétiques dont l'ensemble com[)Ose tu la conçois car, ta pensée reste souvent elle-
;

un idiome, le grec, le latin, l'hébreu, ou toute même au-dessous des choses. Quel homme
autre langue que l'on pense seulement à ces
;
ici- bas ne voit pas la vérité comme dans un

signes ou qu'on les produi>e avec la voix, peu miroir et à travers des énigme? ? L'amour lui- '

importe ; les impressions de la pensée ne sont même n'est pas assez fort pour percer les
ni grecques, ni latines, ni hébraïques; elles ténèbres dont la chair nous enveloppe, et pour
ne sont particulières à aucun peuple, elles se l)énétrer dans cette éternité resplendissante
forment dans l'esprit comme les traits se des- à laquelle empruntent un éclat tel quel les
sinent sur le visage. La passion de la colère choses éphémères d'ici-bas. Mais une per-
est désignée en grec, en latin, en hébreu et fection de plus en plus haute rapproche sans
dans les divers idiomes par un terme diffé- cesse les justes de ce jour éternel, où l'on ne
rent. L'expression de la colère sur la physio- connaît plus le mouvemtnt périodique du
nomie humaine n'est point un langage spécial ciel, retour de la nuit, de cette merveille
ni le

à la Grèce ouàlTtalie. Pour comprendre celui que l'œil de l'homme n'a point vue, que son
qui s'écrie : Iratus swn ', en colère, il
je suis oreille n'a point entendue, que son cœur n'a
faut être initié à la langue latine mais que le
; jamais conçue^; de là vient surtout le mécon-
mouvement d'une âme en courroux éclate sur tentement où nous laissent nos instructions
le visage et se peigne dans tous les traits, il aux catéchumènes nous aspirons à des :

suffît de Yoir physionomie pour


le jeu de la pensées sublimes, la simplicité du langage
comprendre qu'elle exprime la colère. Or, il est ordinaire nous rebute.
impossible de retracer par la parole et de re- A dire vrai, la sympathie de l'auditeur
présenter aux oreilles de l'auditeur, avec l'évi- dépend de la sympathie qu'il trouve en nous ;

dence irrésistible physionomie, les traces


de la notre joie se mêle à toute la trame de notre
que les idées laissent dans la mémoire: ici tout discoui-s; avec la joie naît la facilité et la
est intérieur, là tout éclate au dehors. On peut grâce. La difficulté n'est donc pas ici de
ainsi mesurer l'intervalle qui existe entre l'ap- montrer où doit commencer, où doit finir
parition soudaine des idées et le langage, l'exposition des vérités de la foi ; d'apprendre
puisqu'il se forme plus lentement encore que le secret d'y jeter de la variété, tantôt en la
les impressions dans la mémoire. Que faisons- développant, tantôt en l'abrégeant, sans être
nous donc? Ne songeant qu'aux intérêts de incomplet entîu de déterminer les cas qui
;

notre auditoire, nous voulons, malgré l'im- exigent de l'ampleur ou de la précision dans
puissance qui trahit nos efforts, exprimer le style; le point essentiel, c'est de donner des
les pensées comme nous les concevons; notre règles pourcatéchisme avec joie
faire le :

insuccès nous désespère; la pensée que notre car, plus on plus l'enseignement
sait plaire,
travail est superflu nous fait tomber dans le est efficace. La raison n'eu est pas difficile à
découragement et le dégoût. La tiédeur et la trouver Dieu aime celui qui donne avec joie ^
:

faiblesse de nos discours, principe de notre ce qui est plus vrai encore dans l'ordre spiri-
découragement, s'accroissent par notre dé- tuel que s'il était question d'un don pécuniaire
couragement même. Mais, pour obtenir a propos cette joie attrayante,
L'altrailqu'inspiremaparoleauxauditeurs
4. il faut la demander à Celui qui eu a fait un
empresses de m'entendre, me révèle qu'il y précepte. Ainsi donc nous allons d'abord parler
a dans mes discours moins de langueur que des justes limites où doit se renfermer la nar-
je ne l'imagine : au plaisir qu'ils éprouvent, comme tu me le demandes, puis de la
ration,
je reconnais tout le profit qu'ils en tirent, et méthode lapins propre à instruire et à toucher,
' Je suis en colère. » [ Cor. XII, 12. — = Id. IF, 9. — » n Cor, ix, 7.
62 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

enfin des moyens de plaire, selon les lumières Jésus-Christ. Il faut en effet regarder comme
que Dieu nous communiquera. membres de l'Eglise tous les saints qui ont
vécu avant son avènement et qui ont cru
CHAPITRE III.
qu'il viendrait sur la terre, avec la même foi

QUOI UNE NARRATION COMPLÈTE


que nous croyons y est venu. Jacob en
qu'il
EN CONSISTE
naissant présenta d'abord la main dont il
AU POINT DE VUE DU CATHÉCHISME? ELLE
tenait le pied de son frère, sorti le premier du
DOIT AVOIR POUR FIN LA CHARITÉ, l' ANCIEN
sein maternel la tête parut ensuite, entraînant
:
TESTAMENT PRÉPARE l' AVÈNEMENT DE JÉSUS-
après elle tout le corps '
; or, la tête surpasse
CHRIST, DESTINÉ A ÉTABLIR LA CHARITÉ.
en dignité et en puissance et les membres
5. Pour faire une narration complète, le qu'elle entraine après elle et la main qui la
catéchiste doit débuter par le premier verset précéda : l'ordre naturel était interverti par
de la Genèse : « Au coînmencement Dieu créa le mode d'apparition. C'est une figure de
« le ciel et la terre ^
», et descendre jusqu'à Jésus-Christ. Avant de se manifester dans la

l'histoire contemporaine de l'Eglise. Pour chair et de sortir du sein de l'éternité, pour


atteindre ce but^ il n'est pas nécessaire de apparaître sous la figure humaine, comme le

réciter par cœur le Pentateuque, les livres des médiateur entre Dieu et les hommes et le
Juges , des Rois et d'Esdras, ensuite tout Dieu suprême qui est béni dans les siècles des
l'Evangile et les Actes des Apôtres, les eût-on siècles, il présenta, dans la personne des saints

appris mot pour mot, ou de développer en patriarches et des prophètes, une partie de
détail tous les événements historiques con- son corps sacré c'était comme la main qui
:

tenus dans ces ouvrages ; un pareil récit serait annonçait sa future naissance. Le peuple or-
déplacé et fort peu nécessaire. Il suffit de tout gueilleux qui le précédait, fut enlacé dans les
embrasser sous un coup d'oeil général, en liens de la loi dont il l'étreignit comme avec
faisant un choix des événements les plus les cinq doigts de la main. Car il ne cesse

merveilleux, les plus capables de captiver durant cinq époques ^ distinctes de faire pré-
l'esprit, et en les distribuant par époques. dire et annoncer sa venue par une analogie ;

Loin de faire passer rapidement ce tableau non moins frappante le législateur des ,

sous les yeux, sans lever pour ainsi dire le Hébreux écrit cZ/i^r livres. Ces esprits orgueil-
rideau il faut s'arrêter pour l'analyser en
, leux, abandonnés à leurs pensées charnelles
quelque sorte et le mettre dans tout son jour, et cherchant à établir leur propre justice,
afin de le présenter avec toute sa grandeur à virent la main du Christ se fermer pour les
la vue et à l'admiration des auditeurs: sur étreindre et les arrêter, au lieu de s'ouvrir
tout le reste il faut passer légèrement et le pour leur prodiguer les bénédictions « leurs :

faire rentrer dans l'ensemble. Grâce à cette « pieds furent enchaînés, et ils tombèrent ;

méthode, les faits que nous voulons signaler « nous nous sommes dressés au contraire et

sont mis en relief, l'auditeur les aborde sans «nous restons debout^». Ainsi donc, pour
fatigue et s'abandonne au mouvement de la revenir à ma pensée, quoique le Seigneur
narration; sa mémoire n'est pas surchargée et Jésus ait fait paraître une partie de son corps
il recueille aisément nos leçons. dans la personne des saints qui ont précédé sa
6. Dans ces récits, il ne suffit pas d'avoir en naissance, il n'en forme pas moins la tête de
vue la fin du précepte, c'est-à-dire la charité l'Eglise qui est son corps * tous ces saints se ;

qui sort d'un cœur pur, d'une bonne con- sont rattachés au corps dont il est le Chef, par
science et d'une foi sincère -, pour y rattacher leur foi en Celui qu'ils annonçaient. Loin de
toutes nos paroles il faut encore fixer l'esprit
: s'en séparer en le devançant, ils s'y sont réunis
de notre auditeur sur ce principe et l'y ra- en le suivant. La main peut précéder la tête
mener sans cesse. Tout ce que nous lisons sans cesser d'en dépendre. Par conséquent,
dans les saintes Ecritures, avant la venue de tout ce qui a été écrit avant nous, a été écrit
Notre- Seigneur, n'a été écrit que pour mettre pour notre instruction C'était la figure de '".

en lumière son avènement et prédire TEglise, ce qui nous était réservé « tous ces événe- ;

qui n'est que le peuple de Dieu répandu « ments leur arrivaient en figure, et ils sont

parmi toutes les nations et formant le corps de '


Gen. XXV, 25. — ' Ces cinq époques vont être déterminées plus
'Gen. I, 1.— ' ITiui. l, 5. bas, n. 39. — '
Psal. xis, 9. — ' Coloss. i, 18. — ' Rom. xv, 4.
TRAITE DU CATÉCHISME. 63

« écrits pour notre instruction, de nous qui de déplaire à un ami, dans la crainte de lui
« nous trouvons à la fin des temps * ». que nous ne l'aimons pas ou que
laisser croire
notre amitié est moins vive que la sienne? S'il
CHAPITRE IV. le croyait, en effet, il mettrait plus de réserve

LA VENUE DE JÉSUS-CHRIST A EU POUR BUT ESSEN-


et de froideur dans ces rapports intimes que
TIEL d'Établir le régne de la charité c'est :
l'amitié crée entre les hommes ; et, quand il

A LA CHARITÉ QUE DOIT TENDRE TOUTE NARRA- ne pousserait pas la faiblesse jusqu'à laisser
toute sa sympathie se refroidir à cause de cette
TION EMPRUNTÉE AUX ÉCRITURES SUR JÉSUS-
offense, il se renfermerait dans une amitié où
CHRIST,
le calcul supprimerait les épanchements du
7. QueHe a été la cause principale de la cœur.
venue de Jésus-Christ, sinon l'amour que Il est surtout à remarquer que, si les grands

Dieu nous portait et qu'il voulait nous témoi- veulent être aimés des petits et qu'ils s'y at-
gner par une preuve éclatante, la mort de tachent en proportion de leur dévouement et
Jésus-Christ, dans le temps môme que nous de leur affection, les petits répondent à la
étions encore ses ennemis^? Il est venu pour sympathie des grands par une ardente amitié.
nous montrer que le but du précepte et l'ac- L'amitié, en effet , a d'autant plus d'attrait
complissement de la loi sont tout entiers dans qu'elle est moins un transport inspiré par la
la charité ^ Il a voulu nous apprendre à nous nécessité, qu'un épanchement de la généro-
aimer les uns les autres et à donner notre vie sité; ici, elle vient de la charité, là, du besoin.

pour nos frères, comme il a donné la sienne Or, supposez un inférieur sans espoir d'ob-
pour nous * il a voulu qu'en voyant Dieu
: tenir jamais l'amitié de son supérieur : n'é-
nous aimer le premier ^ et livrer son Fils uni- prouverait-il pas un bonheur indicible, s'il

que à la mort pour nous tous % sans l'épar- voyait celui dont il n'aurait jamais osé at-

gner, l'homme, jusqu'alors insensible, eût tendre un bienfait si précieux, prendre les
honte de ne pas rendre amour pour amour. devants et daigner lui déclarer son amour?
Rien n'éveille l'amour avec autant de force que Mais peut-il y avoir une disproportion plus
de faire les premières avances l'âme la plus : étonnante qu'entre Dieu et l'homme, le juge
rebelle à ce sentiment ne saurait sans cruauté et le coupable? Et quel coupable il s'était 1

refuser d'y répondre. C'est là une vérité que livré à la domination des puissances de l'or-
font éclater les attachements les plus bas et les gueil, incapables de lui donner le bonheur,
plus criminels. et cela, avec d'autant plus d'aveuglement qu'il
Quand un amant veut faire partager sa pas- avait moins compté sur la Providence de
sion, il songe à tous les moyens en son pouvoir l'Etre infini, qui ne veut pas signaler son pou-
de déclarer son amour et d'en découvrir les voir par le mal, mais le faire sentir par le
transports : il prend les dehors de la justice, bien.
afin d'avoir le droit de réclamer comme une 8. Si donc le but essentiel de la venue de
dette la sympathie du cœur qu'il veut séduire ;
Jésus-Christ a été d'apprendre à l'homme la
sa passion s'avive et s'enflamme, en voyant portée de l'amour que Dieu avait pour lui,
troublée du môme feu la personne dont il con- afin de lui montrer à rendre amour pour
voite la possession tant il est vrai que la sym-
; amour et à chérir son prochain, en suivant
pathie fait sortir un cœur froid de son indiffé- tout ensemble les préceptes et l'exemple de
rence et redouble l'amour en celui qui déjcà en Celui qui s'est rapproché le plus étroitement
éprouvait les ardeurs Il est donc bien évident ! de notre cœur quand il a embrassé dans son
que rien ne contribue davantage à faire naître amour non-seulement le prochain, mais les
ou à développer l'amour que l'aveu de ce senti- hommes les plus éloignés ; si les saints livres
ment, l'espoir qu'il sera partagé, les avances écritsavant son avènement n'ont eu d'autre
de celui qui l'éprouve le premier. Combien ce objet que de le prédire, et que tout ce qui a
caractère de l'amour empreint dans les liai- été écrit depuis sous le sceau de l'autorité
sons les plus criminelles est-il plus sensible divine a raconté Jésus-Christ et fait une loi de
dans l'amitié ! N'évitons-nous pas avant tout l'amour; il faut évidemment rattacher à la

charité,non -seulement la loi et les prophètes


• I Cor. X, 11. — =
Rom. v, G-9. — '
ITim. i , 5 Rom. xill, 10.
contenus dans le double commandement d'ai-
;

— * I Joan. m, 16. — ' Id. iv, 10. — ' Rom. viir, 32.
64 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

mer Dieu et le prochain, où se résu- paraître. La foi n'est pas un hommage tout
mait toute l'Ecriture au moment où par- extérieur; c'est l'adhésion d'un esprit convain-
lait Notre-Seigneur , et l'ensemble des Ecri- cu. Mais la miséricorde divine touche souvent
tures postérieurement composées sous l'in- les esprits par le ministère du catéchiste; elle
spiration divine et confiées au souvenir des fait naître, sous l'influence de sa parole, les
âges. sentiments dont ils avaient résolu d'affecter les
L'Ancien Testament est symbole mysté-
le dehors : la droiture de leurs intentions doit
rieux du Nouveau ; le Nouveau, la révélation marquer pournou^l'inslantoùilsse présentent
éclatante de l'Ancien. Les âmes charnelles qui à nos instructions. Nous ignorons sans doute
comprennent matériellement ces symboles, l'heure où le catéchumène est présent de cœur
sont aujourd'hui, comme autrefois, esclaves comme il l'est de corps; mais, celte intention
d'une crainte coupable. Dociles à la révélation, ne fùt-elle pas en lui, nous devons tâcher d'y
les âmes pures qui autrefois ont vu s'ouvrir entraîner sa volonté existât-elle en germe ,
:

devant leurs pieuses investigations le sens nos pour la développer ne seraient pas
efforts

caché des Ecritures ou qui aujourd'hui le superflus, encore que nous ne sussions ni la
cherchent sans orgueil, de peur que le côté circonstance ni l'instant où elle a été conçue.
lumineux ne se change pour elles en ténèbres, Le moyen le plus simple, quand il est pra-
ont compris selon l'esprit et ont été affranchies ticable, serait de s'éclairer, dans l'entourage

parle don delacharité. Or, l'envie estl'enneniie du catéchumène, de ses dispositions secrètes et
mortelle de la charité, l'orgueil, le prin- des motifs qui le déterminent à embrasser la
cipe de l'envie. Notre-Seigneur Jésus-Christ, religion. Si cette source de renseignements
l'Homme-Dieu, est donc tout ensemble et la nous est interdite, interrogeons-le lui-même,
révélation de l'amour de Dieu pourles hommes afin de prendre dans ses réponses le point de

et le modèle de l'h umilité ici-bas, afin de guérir départ de nos instructions. Se présente-t-il
notre orgueil démesuré par un remède plus dans le but touthypocrite de servir ses intérêts
puissant encore. Quelle misère profonde que ou de les sauvegarder ? Il mentira or, c'est de ;

l'hommeorgueilleux mais quelle miséricorde


1 ce mensonge même qu'il nous faut partir,
plus profonde encore qu'un Dieu humble 1 non pour le réfuter comme s'il était évident,
Que la charité soit donc le princi[)e auquel se mais pour en prendre occasion d'approuver ,

rattachent tous tes discours dans toutes tes ;


sans songer à la sincérité ou à l'hypocrisie de
instructions, fais en sorte que l'auditeur croie ses paroles, et de faire ressortir la beauté du

ce qu'il écoute, espère ce qu'il croit, et aime motif qu'il nous présente, afin de lui inspirer
ce qu'il espère. le désir d'être réellement ce qu'il veut paraître.

AUégue-t-il un motif incompatible avec les


CHAPITRE V. sentiments dont doit être pénétré un esprit qui
veut embrasser la foi chrétienne? Représente-
IL FAUT EXAMINER AVEC SOIN LE MOTIF QUI DÉTER-
lui doucement son erreur, comme si elle venait
MINE LE CATÉCHUMÈNE A SE FAIRE CHRÉTIEN.
de l'ignoranceetdudéfautd'instruction ; mon-
La juste sévérité de Dieu, si propre à jeter
9. tre-lui quelle est la véritable foi du chris-

dans les cœurs une impression salutaire de tianisme avec une précision énergique, afin
terreur, doit servir aussi de fondement à l'édi- d'éviterledangerd'anticiper sur une exposition

iice de la charité. Le bonheur de se voir aimé complète ou de la faire à un espritencore mal


par Celui que l'on craint doit inspirer la con- disposé parla tu réussiras peut-être à lui in-
:

fiance de l'aimer à son tour, et tout ensemble s[)irer la résolution que les préjugés ou l'hy-
la honte de blesser sa tendresse, fût-on assuré pocrisie l'erapôchait de prendre;

de l'impunité, 11 n'arrive guère, ou plutôt il

résolution de
CHAPITRE VI.
n'arrive jamais ,
qu'on prenne la

se faire chrétien sans avoir été touché de la LE CATÉCHISTE DOIT EMBRASSER DANS SES INSTRUC-
crainte de Dieu. Veut-on embrasser le chris- TIONS l'HISTOIREDEL'eGLISE DEPUIS LA CRÉATION
tianisme, comme l'unique moyen de plaire à jusqu'à NOS JOURS.
ceux dont on attend les faveurs, ou d'éviter la
vengeance elles ressentiments de ses ennemis ? 10. S'il répond qu'un avis du ciel, une ter-

On aspire moins à devenir chrétien qu'à le reur mystérieuse, lui a inspiré la résolution de
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 65

devenir chrétien, la sollicitude de la Pro- CHAPITRE VIL


vidence pour les hommes nous fournira un
PRÉMUNIR LE CATÉCHUMÈNE CONTRE LES SCANDALES.
début aussi naturel qu'attrayant. De ces mi-
ENSEIGNEMENT DE LA MORALE.
racles et de ces visions surnaturelles, il faut
ramener sa pensée aux principes plus infail- 11. Le récit achevé, il faut inculquer la foi
libles, aux oracles plus sûrs des saints livres, au dogme de la résurrection. Sans cesser de
en lui faisant sentir que c'est par un effet de la consulter la portée d'intelligence du catéchu-
miséricorde divine qu'il a reçu cet avis, avant mène, non moins que le temps si court dont
d'avoir donné son adhésion à l'Ecriture. Il est nous disposons, il est combattre
essentiel de
essentiel de lui représenter que le Seigneur, en les vainssarcasmes des incrédules et d'établir
l'avertissant lui-même, en lui inspirant le désir le principe de la résurrection des corps, du

d'embrasser le christianisme et de devenir jugement dernier, favorable aux bons, terrible


Riembrede l'Eglise, en l'instruisant enfin par aux méchants, équitable pour tous; puis, après
des prodiges et des révélations, n'a voulu que avoir indiqué avec horreur et tremblement les
l'engager à suivre paisiblementlavoie sûre que supplices réservés aux impies, célébrer en
ui traçait d'avance l'Ecriture : là, il apprendra soupirant le royaume préparé aux justes et
moins à chercher des miracles visibles qu'à aux fidèles, la cité céleste et son éternelle
espérer les échappent aux
merveilles qui béatitude. Il faut alors prémunir et fortifier la
regards; ce ne sera plus pendant son som- faiblesse humaine contre les tentations et les
meil, mais les yeux ouverts, qu'il sera instruit. scandales qui se produisent soit au dehors,
Après ce début, il faut exposer l'histoire de soitau dedans de l'Eglise; je veux dire contre
^
l'Eglise, depuis la création, où tout était bien le paganisme, le judaïsme, l'hérésie, au de-
en sortant desmainsde Dieu, jusqu'à nosjours ;
hors; contre la paille qui couvre l'aire du
chaque événement, chaque acte doit être rat- Seigneur, au dedans. Sans doute il serait
taché à ses causes et par conséquent aboutir à déplacé de réfuter les erreurs de toutes sortes
cette fin de la charité, qu'on ne doit jamais et d'opposer une proposition contradictoire
perdre de vue dans ses actions, comme dans ses à chaque hérésie; mais il faut montrer, au-
j)aroles. Si des grammairiens, dont la science tant que la circonstance le permet, que ces
égale la réputation , essaient d'expliquer les scandales ont été prédits, que ces tentations
mythes imaginés par les poètes, sans autre servent à l'édification des fidèles, et qu'on en
dessein que d'amuser les esprits qui se repais- trouve le remède dans la patience même dont
sent de chimères, en leur assignant un but Dieu nous donne l'exemple en permettant à
pratique aussi frivole, il est vrai, et aussi fa- ces erreurs de se perpétuer jusqu'à la fin des
vorable à lacuriosité mondaine que ces fictions siècles.
elles-mêmes, quelles précautions ne devons- Quand le catéchumène est suffisamment
nous pas prendre 'pour éviter que les vérités armé contre les méchants dont la foule impie
saintes, apparaissant dans nos récits sans les ne remplit que matériellement les églises, il

principes^ qui les expliquent, n'inspirent plus convient de lui exposer délicatement et eu
qu'une croyance fondée sur une jouissance de raccourci les principes d'une vie pure et chré-
l'imagination ou sur une dangereuse curiosité ? tienne. L'avarice, l'ivrognerie, les jeux frau-
Toutefois, gardons-nous de sacrifier la suite du duleux, l'adultère, la fornication, le goût des
récit au développement de ces causes, en lais- spectacles, les opérations de la magie, les en-
sant notre enthousiasme et notre parole se chantements, l'astrologie, les secrets supersti-
perdre dans le dédale d'une discussion trop tieux autant que chimériques de la divination
abstraite la vérité seule du raisonnementdoit
: pourraient le séduire et l'entraîner par l'espoir
relier les faits comme un fil d'or (}ui rassemble de l'impunité, quand il verrait de prétendus
des pierres précieuses sans en troubler l'agen- chrétiens aimer, pratiquer, justifier ces éga-
cement par un éclat trop vif. rements y engager les autres par leurs
et
' Gen. I. conseils. donc lui montrer la fin réservée
Il faut
aux malheureux qui persévèrent dans ces
péchés, la raison qui les fait tolérer dans l'E-
glise, dont ils seront un jour retranchés, et
cela, d'après le témoignage même des saints
S. AuG. — Tome Xll.
66 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

livres. Il faut aussi l'avertir qu'il trouvera familière. On expose ainsi, dans une énumé-
dans une foule de chrétiens éprouvés,
l'Eglise ration rapide, tous les principes qu'il faudrait
véritables citoyens de la Jérusalem céleste, du inculquer aux simples et aux ignorants. Grâce
moment qu'il marchera sur leurs traces. En à cette méthode, un homme éclairé ne se voit
dernier lieu, il faut lui recommander avec point enseigner, comme à Técole d'un maître,
force de ne jamais fonder son espoir sur un ce qu'il sait déjà et, en revanche, s'il ignore
;

homme ; un homme ne peut guère décou-


car quelque chose, il l'apprend par la revue même
vrir les caractères de la sainteté dans un autre que nous avons l'air de faire de ses connais-
homme; et, quand on le pourrait, on doit sances. Il ne sera point inutile de lui deman-
imiter les saints, en sachant bien que notre der quels motifs l'ont déterminé à se faire
sanctification ne vient pas d'eux, mais de celui- chrétien ; si tu t'aperçois qu'il a puisé ses con-
là même qui a sanctifié nos propres modèles. victions dans la lecture de livres canoniques
Ce principe produira une conséquence à la- ou d'excellents débute par l'éloge de
traités,
quelle on ne saurait attacher trop de prix. ces ouvragesen admirant
, à des degrés ,

Celui qui nous écoute, ou plutôt qui écoute divers, l'autorité infaillible de l'Ecriture et ,

Dieu par notre organe, ne sera point tenté, l'exactitude jointe à l'élégance de ses inter-
quand il deviendra plus vertueux et plus prètes; attache-toi à faire ressortir dans l'E-
instruit, et qu'il marchera avec ferveur dans criture l'expression féconde, par sa simplicité
les voies de Jésus-Christ, d'attribuer ses pro- même, des vérités les plus sublimes, et dans
grès à notre influence ou à lui-même il ; les traités qu'elle inspire, selon le mérite de
saura s'aimer, ainsi que nous et les personnes chaque auteur, une éloquence d'un tour plus
qui lui sont chères, en Celui et par Celui qui pompeux et plus orné, appropriée à l'orgueil
a répondu à sa haine par la tendresse, et a et par là même à la faiblesse des esprits. Il est
gagné son amour en le justifiant. Tu n'as pas important de lui faire dire quels ont été ses
besoin sans doute de leçons pour apprendre auteurs favoris, les ouvrages qu'il a médités de
à resserrer ou à étendre tes développements, préférence et qui l'ont déterminé à embrasser
selon le temps plus ou moins long dont l'au- le christianisme. Cet aveu obtenu si nous ,

ditoire et toi pouvez disposer; c'est un pré- avons lu ces ouvrages ou que nous ayons
cepte que la nécessité seule enseigne mieux appris, par la renommée dont ils jouissent
que tous les maîtres. dans l'Eglise, qu'ils ont pour auteur un repré-
sentant illustre de la foi catholique, empres-
CHAPITRE VIII.
sons-nous de les approuver. Au contraire,
MÉTHODE POUR INSTRUIRE LES PERSONNES est-il tombé sur les ouvrages d'un hérétique,

ÉCLAIRÉES. et, dans son ignorance des erreurs opposées à

la religion, s'y est-il arrêté comme à l'expres-


12. Voici un point essentiel : Quand une sion de la foi catholique, il faut lui démontrer
personne d'un esprit cultivé se présente à toi avec force la prééminence que mérite l'auto-
pour se faire instruire, si elle est déterminée à rité de l'Eghse universelle unie à celle des
embrasser le christianisme et prêle à recevoir génies supérieurs qui, dans le domaine des
le baptême, elle a déjà, selon toute vraisem- vérités qu'elle enseigne, ont brillé par leurs
blance, acquis une connaissance assez étendue controverses et leurs écrits.
de nos saintes lettres, et elle n'a d'autre inten- Reconnaissons cependant que les auteurs
tion que de participer aux sacrements de mêmes qui sont morts dans la foi catholique,
l'Eglise. Ces personnes, en effet, n'attendent après avoir légué à la postérité des ouvrages
pas le moment d'embrasser la foi pour s'ins- écrits sous l'inspiration chrétienne, soit qu'ils
truire; elles pèsent auparavant leurs motifs, aient été mal compris, soit qu'ils n'aient pas
et, chaque fois qu'elles trouvent un confident, eu vigueur d'esprit nécessaire pour remon-
la
elles lui découvrent leurs pensées et leurs ter aux principes les plus élevés, et pour
sentiments. Dans cette circonstance, il faut s'attacher à la vérité sans être dupes de la
être court; et, loin de s'appesantir sur les vraisemblance, ont laissé dans certains pas-
vérités qu'elles connaissent, on doit les effleu- sages des germes d'hérésie que des esprits
rer avec tact, en leur disant que nos dogmes aventureux et téméraires ont développés. Il
sont telle et telle vérité qui leur est sans doute n'y a pas lieu de s'en étonner; l'Ecriture
TRAITÉ DU CATÉCHISME. ^7
même, l'expression la plus pure de la vérité, voile épais, un sens profond qu'il faut déga-
n'est pas à l'abri de ce péril. Que de gens, non ger; ils pourraient croire qu'il suffit d'en-
contents.de mal interpréter la pensée de l'é- tendre le son des mots pour comprendre. Il

crivain sacré ou d'offenser le dogme, fautes faut aussi leur faire sentir que le sens caché,
qu'on pardonne aisément à la faiblesse hu- d'où vient le mot mystère, et l'obscurité même
maine quand on la voit disposée à les recon- des symboles, doublent l'attrait de la vérité et
naître, s'acharnent avec une opiniâtreté et un dissipent le dégoût qu'inspirent les choses
orgueil invincibles à justifier leurs méprises faciles, en leur montrant, par quelques exem-
et leurs erreurs, et, en rompant avec l'unité ples, qu'une vérité évidente qui laisse froid,
catholique, donnent naissance aux opinions les charme quand on la dégage d'une allégorie
plus dangereuses ! — Voilà les principes qu'il où elle était renfermée. Le premier besoin de
faut développer, dans une conférence sans ces esprits est de savoir que la pensée l'em-
prétention, aux esprits qui s'élèvent au-dessus porte autant sur la parole, que l'esprit sur le
du vulgaire par leur érudition et leurs lu- corps par conséquent qu'ils doivent préférer
;

mières, quand ils aspirent à entrer dans la dans les discours la vérité à l'éclat, comme ils
société chrétienne; on doit prendre le ton doivent préférer dans un ami le bon sens à la
dogmatique, pour les préserver des erreurs grâce des traits. Qu'ils sachent aussi que le
où entraîne la présomption, mais il ne faut le langage du cœur est le seul qui frappe l'o-
prendre que dans la mesure même de l'hu- reille de Dieu dès lors ils pourront s'aperce-
:

milité dont ils sont capables. Quant aux vérités voir, sans trouver matière à raillerie, que par-
qui constituent la saine et pure doctrine, soit fois les évèques et les ministres de l'Eglise
qu'on raconte, soit qu'on raisonne, il faut adressent à Dieu des prières entremêlées de
loucher brièvement les points relatifs à la foi, barbarisme, de solécisme, et même qu'ils ne
à la morale, aux tentations, en observant la comprennent pas ou comprennent vague-
méthode supérieure dont je viens de tracer ment les termes dont ils se servent. Il con-
les règles. vient sans doute de faire disparaître ces fautes,
CHAPITRE IX. ne fût-ce que pour permettre au peuple de ré-
\ion(\re A?72e?i avec intelligence; toutefois les
COMMENT INSTRUIRE LES GRAMMAIRIENS ET LES
ORATEURS. —
DIEU N'ENTEND QUE LE LANGAGE
esprits cultivés doivent avoir ici de l'indul-
gence, car les désirs sont dans l'Eglise ce
DU CŒUR.
qu'est l'éloquence au barreau et, quelque bon ;

13. H sort aussi des écoles si fréquentées du que puisse langage du barreau, il ne
être le
grammairien et du rhéteur des catéchumènes, se confondra jamais avec les bénédictions de
qui tiennent comme le milieu entre les igno- l'Eglise. Quant au sacrement qu'ils sollicitent,
rants et les philosophes livrés aux spéculations quelques mots suffisent pour leur en montrer
les plus hautes de l'esprit humain. Quand ces la signification, s'ils sont éclairés; mais, s'ils
hommes, qui semblent avoir sur les autres la ont l'esprit un peu lourd, il faut recourir à
supériorité de l'éloquence, se présentent pour l'amplification, aux comparaisons, de peur
recevoir le titre de chrétien, nous leur devons qu'ils ne méprisent un mystère dont ils ne
un avis moins nécessaire aux gens sans édu- verraient que la forme.
cation, celui de revêtir l'humilité chrétienne
et d'apprendre à ne plus regarder avec mé- CHAPITRE X.
pris ceux qui aiment mieux éviter les fautes
DE l'ennui et DE SES CAUSES : PREMIER MOYEN
dans la conduite que dans le langage, et d'en d'y REMÉDIER.
venir à ne plus comparer à la pureté du cœur
la souplesse d'une langue déliée, qui leur 14. Tu attends peut-être ici un discours qui
semblait un don bien supérieur. Il faut sur- puisse te servir de modèle et où j'applique les
tout leur apprendre à goûter l'Ecriture, de règles que je viens de te retracer. Avant de te
peur que ce langage solide, sans emphase, ne dans la mesure des forces que Dieu
satisfaire,
les rebute; ils pourraient d'ailleurs s'imaginer me donnera, je dois t'enseigner, selon ma
que les actions ou les paroles prêtées aux promesse, l'art difficile de charmer. Je m'étais
hommes dans ces livres sacrés, ne cachent engagé à formuler les règles nécessaires pour
pas, sous une enveloppe sensible et sous un instruire le catécluimène qui vient suiliciier
.

68 TRAITÉ DU CATECHISME.

le titre de chrétien; j'ai rempli, je crois, mon pas déplaire, une prière aussi pressante qu'im-
engagement. Tu ne dois pas exiger de moi possible à décliner nous oblige à instruire un
comme une dette, que je joigne dans ce traité catéchumène; nous entreprenons avec dépit
l'exemple à la théorie; si je le fais, ce sera un une tâche qui exige le plus grand sang-froid,
surcroît; mais, puis-je donner le surcroît avant en déplorant la nécessité où nous sommes
d'avoir payé ma dette intégralement? Tu t'es d'interrompre la suite de nos occupations et
plaint à moi d'un défaut d'élévation et de de ne pouvoir suffire à tout; ce malaise se
chaleur qui , à t'entendre ,
gâtait toutes tes communique à notre discours, qui, sortant
aux catéchumènes. Je suis con-
instructions d'un fond aride de tristesse, ne peut jaillir
vaincu que ce défaut ne tient ni au manque avec abondance. Enfin, c'est quelquefois au
d'idées sur des sujets dont tu possèdes à fond moment même qu'un scandale nous afflige et
toutes les ressources, ni à la disette d'expres- nous consterne, que l'on vient nous dire Voici :

sions; il vient d'un secret ennui, provoqué une personne qui veut embrasser le christia-
par différentes causes. nisme, viens l'entretenir. Quand on nous parle
D'abord nous trouvons plus de charme et ainsi, on ne connaît pas le chagrin intérieur
de beauté dans les muettes conceptions de notre qui nous dévore, et, si nous sommes réduits
esprit, et, comme je Tai déjà remarqué, nous à ne pas découvrir notre peine, nous entre-
avons de la répugnance à faire passer notre prenons à contre-cœur de satisfaire au désir
idéal dans des sons qui ne le peignent qu'im- exprimé en passant par les replis d'un cœur
;

parfaitement; puis, lors même


que nos expres- sur lequel la tristesse répand ses feux et ses
sions ne nous déplairaient pas, nous aimons vapeurs, la parole perd son éclat et sa grâce.
mieux écouter ou lire des discours qui sont Voilà les causes de découragement qui trou-
plus beaux que les nôtres et ne nous coûtent blent la sérénité de notre esprit : avec l'aide
ni effort ni inquiétude, que d'improviser en de Dieu, nous devons chercher les moyens de
appropriant notre langage au goût d'autrui, les combattre, afin de voir notre cœur s'épa-
sans savoir si nous réussirons à voir les paro- nouir, notre âmes'échauffer,etde mettre notre
les couler à souhait ou produire sur les esprits bonheur à remplir en paix un devoir sacré :

une heureuse impression d'ailleurs, comme ; « Car Dieu aime celui qui donne avec joie » *

les notions qu'il faut inculquer aux esprits 15. Sommes-nous abattus, en songeant que
novices nous sont très-familières et ne peuvent l'auditeur est incapable de s'élever jusqu'à nos
guère contribuer à notre avancement, nous conceptions, et que nous sommes réduits à
nous voyons avec peine obligés d'y revenir quitter les crimes de la pensée, pour nous ap-
sans cesse : notre esprit, fier de ses petites pesantir sur les lentes expressions qui n'en
forces,ne trouve plus de charme à s'arrêter sont qu'un lointain reflet ; à tirer de nos lè-
sur des vérités élémentaires et qui semblent vres, sous la forme de périodes longues et
réservées à l'enfance. L'orateur est encore compliquées, une idée que l'intelligence saisit
refroidi par l'air glacé d'un auditeur qui reste et dévore par une intuition rapide? En voyant

immobile, soit parce qu'il ne ressent aucune dans le langage une image si infidèle de la
émotion, soit parce qu'il ne laisse pas voir dans pensée, aimerions-nous mieux nous taire que
son attitude que l'orateur l'éclairé ou le touche. de parler ? Réfléchissons alors à l'exemple que
Sans être passionnés pour la gloire humaine, nous a laissé Celui dont nous devons suivre
nous songeons que la parole, dont nous som- les traces ^ car, quel que soit l'intervalle qui
:

mes les ministres, est celle de Dieu plus nous ;


sépare le langage de l'intuition, il y a une
aimons notre auditeur, plus nous désirons le différence plus profonde encore entre la chair
voir captivé par les vérités que nous lui présen- périssable et celui qui est égal à Dieu. Or,
tons pour le sauver notre insuccès nous afflige,
;
« quoique étant dans la forme substantielle de
et, dans le cours même de notre entrelien, nous « Dieu, il s'est anéanti lui-même, en prenant
sentons notre ardeur s'affaiblir et s'éteindre, «la figure d'un esclave il s'est rendu ;

comme si elle s'épuisaiten efforts superflus. Il «obéissant jusqu'à la mort de la croix ^».

arrive encore qu'on nous arrache à un devoir Pourquoi donc « s'est-il rendu faible avec les
plus attrayant ou même plus impérieux que « faibles, sinon pour gagner les faibles * ? »

nous aurions aimé à accomplir: la recomman- » n Cor. IX, 7, — » I Pet. Il, 21. — » Phil. Il, 6, â. — I Cor.
dation d'une personne à qui nous ne voulons c, 22.
TRAITÉ DU CATECHISME.

Ecoute son imitateur s'écrier ailleurs « Soit : de prévenir l'impression fâcheuse que pour-
« que nous paraissions passer les bornes en rait en concevoir l'auditeur; n'attribuons
« nous louant, c'est pour Dieu soit que nous ; notre méprise qu'à la volonté de Dieu qui nous ,

« parlions de nous avec modération, c'est pour a mis à l'épreuve pour voir nous saurions si

« vous. Car l'amour de Jésus-Christ nous reconnaître notre erreur avec calme, et pour
a presse, considérant qu'un seul est mort pour nous empêcher d'être entraînés dans une er-
« tous *
». Et comment aurait-il été prêt à se reur plus dangereuse, enfaisant notre apologie.
sacrifier pour les âmes, s'il avait eu de la répu- Si notre méprise n'a point été relevée, si elle a
gnance à se pencher vers leur oreille ? Il s'est échappé là l'auditeur et à nous-mêmes, il faut
donc rendu petit parmi nous, comme une y être insensible à condition de l'éviter à l'a-
nourrice pleine de tendresse pour ses enfants ^ venir. Il arrive assez souvent que, quand notre
Trouverait-on du plaisir à tronquer, à mutiler souvenir se reporte sur nos discours, nous y
les mots, si un pareil jargon n'était inspiré découvrons quelque erreur, sans pouvoir
par la tendresse ? nous dire quelle impression elle a faite sur les
Cependant on est heureux de rencontrer un esprits la douleur est encore plus vive pour
;

petit enfant pour babiller avec lui. Une mère un cœur embrasé par la charité, quand il sent
aime mieux triturer des aliments et les faire qu'une pensée fausse a été accueillie avec
passer de sa bouche dans celle de son enfant, plaisir. Dans ce cas, cherchons l'occasion fa-
que de se rassasier elle-même de mets plus vorable de dissiper peu à peu chez les autres
substantiels. Ayons donc toujours devant les l'erreur que nous nous sommes secrètement
yeux cette poule de l'Evangile, qui cache ses reprochée à nous-mêmes c'est notre parole, :

petits sous ses plumes tremblantes et, d'une et non celle de Dieu, qui a égaré leur esprit.
voix fatiguée, rappelle sa bégayante couvée : Si quelques méchants, aveuglés par une ja-
malheur au poussin orgueilleux qui fuit ses lousie insensée, o semeurs de discordes, dé-
tendres ailes il devient la pâture des oiseaux
1 « tracteurs, ennemis de Dieu», triomphent de
de proie ^ L'élévation de la pensée pure a sans nos méprises, voyons dans leur joie une occa-
doute un vif attrait mais n'y a-t-il pas aussi ; sion d'exercer notre patience et notre charité,
un grand charme à songer que, plus la cha- a parce que bonté divine veut aussi lescon-
la
avec complaisance, plus elle
rité sait s'abaisser « » car qu'y a-t-il de plus
duire à la pénitence :

a de force pour se répandre dans le cœur où affreux, « de plus capable d'amasser sur nous
laramène le témoignage qu'on se rend inté- « un trésor de colère pour le jour de la colère

rieurement, de n'aspirer qu'au salut éternel a et de la manifestation du juste jugement de


des âmes vers qui l'on s'abaisse? «Dieu * », que de triompher, à l'exemple
pernicieux de Satan, du mal d'autrui ? Parfois
CHAPITRE XI.
encore nos discours, quoique d'une justesse
DEUXIÈME CAUSE d'eNNUI : MOYEN d'Y REMÉDIER. irréprochable présentent certaines vérités
,

qui, faute d'être comprises, ou parce qu'elles


16. Aimerions-nous mieux lire ou entendre combattent des opinions et des préjugés invé-
des discours travaillés avec soin, plus élo- térés, ont un caractère de nouveauté qui dé-
quents que les nôtres, et par suite, ne pou- concerte et choque l'auditeur. S'il nous laisse
vons-nous sans une certaine répugnance courir voir son impression et qu'il consente à se
les hasards de l'improvisation ? Si notre lan- laisser guérir, prodiguons pour l'éclairer les
gage, conforme au fond à la vérité, offre à témoignages et les raisonnements s'il cache ;

l'auditeur quelques mots qui le blessent, nous son déplaisir et son impression. Dieu lui ou-
avons une ressource commode c'est de lui : vrira peut-être les yeux mais s'il regimbe, et :

apprendre à dédaigner un défaut de netteté ou qu'il méprise nos avis, cherchons notre con-
d'élégance dans les termes, quand ils sont solation dans l'exemple du Seigneur qui,
assez clairs pour rendre la pensée. Si au con- voyant les hommes trouver ses paroles cho-
traire la faiblesse humaine nous égare
loin de quantes et étranges, s'adressa aux disciples fi-
la vérité, quoiqu'on ne
guère exposé à ce soit dèles et leur dit « Et vous, ne voulez-vous
:

péril sur le sentier battu qu'il faut suivre pour « point aussi me quitter ^ ? » Nous devons nous
instruire les catéchumènes ne manquons pas ; attacher à ce principe solide, indestructible,
' II Cor. V, 13, 11, - = I Thess. il, 7. — *
Matt. xxm, 37. ' Rom. I, 30 ; ii, 4, 5. — ' Jean, vi, 68.
.

70 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

qu'à la fin des siècles la Jérusalem captive qui arrive, quand nous montrons les monu-
sera affranchie du joug de
Babylone ter- la ments d'une ville, les sites d'une campagne,
restre, et qu'aucun de ses enfants ne périra; à un ami qui ne les avait pas encore visités ?
et en effet, tous ceux qui périront ne seront La vivacité de son admiration ne rajeunit-elle
pas ses enfants car « le fondement que Dieu
: pas la nôtre pour des beautés à côté desquelles
a a posé demeure ferme, ayant cette parole nous passions avec indifférence ? Notre plai-
« pour sceau: Dieu connaît ceux qui lui ap- sir est d'autant plus vif que nous l'aimons
« partiennent, et tous ceux qui invoquent le davantage plus la sympathie est profonde,
:

« nom du Seigneur doivent s'éloigner de l'ini- plus ces merveilles surannées reprennent à
« quité *
». nos yeux un air de nouveauté. Si donc nous
Convaincus de ces vérités, invoquant sans consacrons nos lumières et notre goût à em-
cesse au fond de notre cœur le nom de Jésus- pêcher nos amis de rester insensibles ou froids
Christ, nous cesserons de calculer avec crainte en face d'un chef-d'œuvre du génie de
l'efFet que nos discours peuvent produire sur l'homme; si nous sommes enchantés de leur

des esprits ondoyants et divers; que dis-je? expliquer le plan de l'artiste, et d'élever ainsi
nous supporterons avec joie les désagréments leur esprit jusqu'à la beauté et à la grandeur
attachés à ce ministère de charité, si nous le des œuvres du Créateur, fin suprême et fé-
remplissons sans avoir la gloire humaine en conde de l'amour; notre enthousiasme ne
vue car le caractère des œuvres véritable-
: doit-il pasredoubler, quand on vient appren-
ment bonnes, c'est de sortir de la charité et dre à notre école Celui qui est le but de toute
d'y rentrer comme dans leur principe et leur notre science ? Un nouvel auditoire ne doit-il
foyer. Quant aux lectures qui nous ravissent, pas raviver nos sentiments et nous communi-
aux discours éloquents que nous voudrions quer une inspiration originale qui ranime
entendre et dont Tinimitable perfection, par notre parole? Nous trouverions un nouveau
les efforts mêmes que nous faisons pour la re- motif d'allégresse, en songeant à quelle er-
produire, communique à nos paroles une reur de mort l'homme doit s'arracher pour
froide monotonie, nous y trouverons un dé- arriver à la vie de la foi. La politesse nous
lassement à nos travaux, et notre joie intérieure fait traverser avec plaisir les rues les plus
en doublera le prix nous prierons Dieu : fréquentées pour indiquer le chemin à une
avec une confiance nouvelle de nous faire en- personne égarée quel transport de joie ne
;

tendre le langage que nous rêvons, en consen- devons-nous pas éprouver à parcourir dans la
tant avec joie à servir, selon nos forces, d'or- science du salut les points mêmes que notre
gane à sa parole; c'est ainsi que « tout sert intérêt ne nous oblige pas à revoir, quand
au bien de ceux qui aiment Dieu ^ n nous avons à guider une âme infortunée,
lasse des erreurs du monde, dans les sentiers
CHAPITRE XII.
de la paix, et qu'il nous faut répondre à l'ordre
TROISIÈME CAUSE d'eNNUI : DES MOYENS de Celui qui nous les a ouverts?
d'y REMÉDIER.
CHAPITRE XIll.

17. Si notre ennui a pour cause l'obliga-


QUATRIÈME CAUSE d'ennui MOYENS d'Y REMÉDIER.
:

tion de revenir sans cesse sur des vérités


DE l'usage, adopté DANS CERTAINES ÉGLISES,
communes et à la portée des plus jeunes en- d'Écouter assis la parole divine.
fants, prenons pour le catéchumène un cœur
de frère, de père, de mère la sympathie :
d8. C'est une rude tâche, je l'avoue, que
nous fera voir le lieu commun sous un jour de son discours, quand
d'aller jusqu'à la fin
nouveau. Telle est en effet la puissance de la on a sous les yeux un auditeur immobile,
sympathie, ({u'elle établit entre les disciples et impassible. Est-ce scrupule religieux ou res-
le communauté de sentiments qui
maître une pect humain qui l'empêchent de manifester
confond leurs cœurs en un seul le disciple : son approbation de la voix ou du geste ? Est-
semble s'exprimer par la bouche du maître, ce défaut d'intelligence ou dédain? Comme
et le maître s'initieravec ses disciples aux vé- nous ne pouvons dans son cœur, il faut
lire
rités mêmes qu'il enseigne. N'est-ce pas ce recourir à tous les moyens pour l'aimer, et
' II Tim.19. — II, ' Rom. vm, :i8. percer en quelque sorte la nuit où il s'envelop-
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 71

pe. Refoule-t-il ses pensées en lui-même par retirer. C'est déjà un inconvénient qu'un
excès de timidité ? Il faut le rassurer par des chrétien, quoique incorporé à l'Eglise, soit
paroles affectueuses, encourager sa modestie contraint de quitter une assemblée nombreuse
en montrant une sympathie toute frater-
lui pour reprendre ses forces ; mais n'est-il pas
nelle, l'interroger pour savoir s'il comprend, cent fois plus fâcheux qu'un catéchumène,
et lui donner assez de confiance pour exposer qui doit être initié aux mystères, soit réduit à
franchement ses objections. Ne manquons pas la nécessité impérieuse de se retirer, pour ne
non plus de lui demander si ces vérités frap- pas tomber de faiblesse ? La timidité l'em-
pent pour la première fois son oreille, si elles pêche d'expliquer la raison qui l'oblige à
ont perdu à ses yeux l'intérêt de la nouveauté. partir ; ses forces épuisées ne lui permettent
Sa réponse nous guidera tantôt il faudra met- : plus de rester debout. Je parle par expé-
tre plus de simplicité etde précision dans notre rience : j'ai vu un homme de la campagne
langage, tantôt réfuter les opinions contraires ;
me quitter au milieu de l'entretien, et sa
tantôt nous résumerons ce qu'il sait, loin de conduite m'a révélé le péché que je signale.
nous livrer à d'inutiles développements, et nous Eh ! n'y a-t-il pas un orgueil révoltant à ne
choisirons des paraboles, des événements pas laisser s'asseoir en notre présence des
symboliques, dont l'interprétation communi- hommes qui sont nos frères que dis-je ? ,

quera à notre entretien une grâce attrayante. dont nous cherchons à nous faire des frères,
S'il manque d'imagination, s'il est incapable et qui, à ce litre, doivent attendre de nous
de comprendre et de goûter ces beautés exqui- une Ne voyons-
sollicitude plus empressée ?
ses, il ne reste plus qu'à le souffrir avec pa- nous pas qu'une femme était assise en écou-
tience; après avoir récapitulé brièvement tant le Seigneur dont les anges environnent
nos dogmes, il faut insister sur les points le trône '
? Si l'entretien doit être court ou que
essentiels, l'unité catholique, les tentations, le lieu ne permette guère de s'asseoir, je le
la nécessité de se conduire en vue du juge- veux bien, on écoutera debout : c'est qu'alors
ment à venir, en le faisant trembler. Eilfîn, l'auditoire sera nombreux et qu'il ne s'agira
consacrons plus de temps à parler à Dieu pour pas d'instruire un catéchumène. Mais il y a
lui qu'à lui parler de Dieu. péril, je le répète, à laisser debout une ou
19. Il n'est pas rare de voir un auditeur, qui deux personnes qui viennent nous trouver
semblait charmé au début, se lasser d'être pour s'initier à la foi chrétienne.
attentif ou de se tenir debout il n'approuve ; Toutefois, si nous n'avons pas pris cette pré-
plus, que dis-je ? il se met à bailler et témoi- caution au début, et que nous apercevions des
gne involontairement l'envie qu'il a de se signes d'ennui chez l'auditeur, il faut lui offrir
retirer.Dès qu'on s'aperçoit de sa fatigue, on aussitôt un en le pressant de s'asseoir, et
siège,
doit le récréer, soit en lui tenant quelques lui adresser quelques paroles pour le récréer,
propos d'un enjouement de bon ton, sans sortir ou même dissiper le malaise qui avait troublé
du en lui faisant un récit qui frappe
sujet, soit son attention. Dans l'incertitude où nous
son imagination ou touche sa sensibilité. sommes des motifs qui l'empêchent d'écouter,
Qu'on lui parle surtout de lui-même, afin que tenons-lui, dès qu'il est assis, quelques propos
rintérêt personnel le tienne en éveil, sans enjoués ou pathétiques, pour l'arracher aux
toutefois le blesser parquelque allusion offen- distractions que lui causent les souvenirs du
sante, ni quitter l'accent de tendresse qui peut monde. De la sorte, si nous tombons juste
seul gagner son cœur. On pourrait encore sou- sur les pensées qui préoccupent, elles dis-
le
lager son attention en lui offrant un siège, ou paraîtront pour ainsi dire devant une accusa-
plutôt, il vaudrait mieux qu'il fût assis dès lion directe si nous nous sommes trompés,
:

le commencement, autant que la circonstance quelques mots sur ces préoccupations que nous
le permet. sommes obligés de supposer en lui, par cela
trouve fort sensé l'usage adopté dans
Je seul qu'ils sont inattendus et interrompent la
certaines églises d'outre-mer, où l'on voit suite de l'entretien, piquent sa curiosité et
assis l'évêque qui parle et le peuple qui l'é- renouvellent son attention. Du reste, soyons
coute de la sorte, les personnes trop délicates
: brefs,puisque nous faisons une digression, de
ne sont pas condamnées à relâcher leur atten- peur que le remède ne soit pire que le mal
tion et à en perdre les fruits, même à se » Luc, X, 39.
72 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

et n'augmente la lassitude que nous avons des- « des projets, les conseils de Dieu seuls sont
sein de combattre. Ayons soin dès lors d'a- « immuables et éternels '
».
bréger ; faisons entrevoir et pressons la fin de 21. Notre esprit troublé par
quelque scan-
notre entretien. dale ne peut-il trouver des paroles pleines de
calme et d'agrément? Concevons pour les
CHAPITRE XIV.
âmes que Jésus-Christ a voulu sauver par sa
CINQUIÈME ET SIXIÈME CAUSES d'eNNUI : DES mort et délivrer au prix de tout son sang des
MOYENS d'y remédier. fatales erreurs du monde, une charité si vive
que, si l'on vient nous avertir de l'arrivée d'un
20. Est-ce le regret de ne pouvoir accomplir catéchumène, à l'instant où nous sommes tout
un devoir auquel tu t'appliquais, parce que tu affligés, cette bonne nouvelle serve à soulager
le regardais comme plus impérieux, qui cause notre douleur et à la dissiper; c'est ainsi que
ton découragement, et sens-tu qu'un dépit les plaisirs du gain balancent le chagrin que
secret répand sur tes instructions une teinte causent les pertes. Un scandale nous afflige à
de tristesse? Nous savons sans doute que dans la vue ou à la pensée qu'une âme se perd ou
tous nos rapports avec le prochain nous devons entraîne dans sa perte les âmes faibles l'arri- ;

être inspirés par la bouté et par la charité la vée d'un catéchumène dont nous attendons
plus pure; mais songe que ce principe ad- quelque succès, doit affaiblir les regrets que
mis, nous sommes incapables de déterminer nous causent les âmes infidèles. Si la crainte
les actions qu'il est plus utile d'accomplir, ou de voir notre prosélyte devenir fils de l'enfer^
plus à propos de suspendre, de sacrifier même. naît en nous à la pensée des nombreux caté-
Impuissants à découvrir les mérites que nos chumènes qui ont fini par donner les scandales
obligés ont aux yeux de Dieu, nous ne com- dont nous gémissons, celle triste léflexion doit
prenons pas, nous conjecturons d'après les nous animer au lieu de nous abattre elle doit^ :

indices les plus obscurs et les plus vagues, nous engager à avertir notre auditeur de ne
quels sont les services que nous devons leur point imiter ceux qui n'ont de chrétien que le
rendre selon les circonstances. Par consé- nom, de ne jamais se laisser entraîner, par
quent, réglons de nos actions selon la
la suite leur nombre, à les suivre ou à quitter Jésus-
Si nous pouvons ac-
portée de notre esprit. Christ pour leur plaire enfin, de renoncer à
;

complir nos devoirs dans l'ordre même que entrer avec eux dans l'Eglise de Dieu, s'il n'est
nous nous sommes tracé, applaudissons-nous pas résolu à ne jamais les prendre pour mo-
de voir que nos projets ont été conformes aux dèles. Dans ces sortes d'exhortations, la parole
desseins de Dieu survient-il une conjoncture
; qu'anime une douleur encore cuisante, ac-
qui dérange notre plan de conduite? plions- quiert, je ne sais comment, une vivacité nou-
nous à la circonstance au lieu de nous décou- velle loin d'être froids, nous développons avec
:

rager, et puisque Dieu a préféré un autre verve et enthousiasme un sujet que nous au-
ordre, hâtons-nous de l'adopter. Dieu ne doit rions traité d'un ton monotone et languissant,

pas suivre notre volonté, nous devons nous sinous avions été plus calmes; et c'est un
soumettre à la sienne. L'ordre que nous pré- bonheur pour nous d'avoir pu trouver l'occa-
tendons suivre à notre gré ne peut être ex- sion de faire servir à l'édification des âmes
cellent qu'à la condition d'être subordonné nos sentiments personnels.
à un ordre supérieur. Pourquoi donc nous Avons-nous commis une erreur, une faute
plaindre, faibles mortels que nous sommes, même qui nous accable de douleur? Songeons
d'être devancés par la sagesse de ce grand « qu'un cœur contrit est un sacrifice agréable

Dieu, Notre-Seigneur tout-puissant, et vou- « à Dieu ^ »; songeons surtout que « si l'eau

loir tomber dans le désordre par le désir a éteint le feu, l'aumône éteint le péché * »,

même de nous attacher à l'ordre qu'il nous a et que « Dieu aime mieux la miséricorde que
plu d'adopter? « le sacrifice* ». Qu'un incendie nous menace,

Le véritable plan de conduite, c'est d'être nous savons courir, aller chercher de l'eau
résolu à ne jamais lutter contre puissancela pour l'éteindre, ou remercier les voisins qui
de Dieu, et de ne point se passionner pour nous en apportent. De même, quand le péché
accomplir un dessein conçu dans une tête
'
Piov. XIX, 21. — ' Matt. xxni, 15. — ' Psalm. L, 19.— • Eccl:
humaine « Le cœur de Thonime conçoit bien
:
m, 3X — ' Osée, VI, 6.
TRAITE DU CATÉCHISME. 73

allume dans notre cœur desséché un feu qui assemblée qui représente les goûts les plus
nous épouvante, applaudissons-nous de trou- divers. Parle-t-il en public? tantôt il n'adresse
ver dans uoe œuvre charitable, que l'occasion ses instructions qu'à une seule personne, et
se présente d'accomplir , une source assez l'assemblée ne fait que le juger ou rendre té-
abondante pour éteindre l'incendie qui nous moignage à la vérité de ses paroles tantôt l'au- ;

consume. Nous ne pousserons pas, j'imagine, ditoire attend un discours qui s'adresse à tous
la folie jusqu'à croire que le pain avec lequtl indistinctement. Dans ce dernier cas, la mé-
nous apaisons la faim d'un pauvre, aurait plus thode doit encore changer selon que le public
de vertu pour relever notre courage que la est pour ainsi dire réuni en famille et n'attend
parole même de Dieu, distribuée à un esprit qu'une conférence, ou qu'il est suspendu en
affamé de l'entendre. A supposer même qu'il silence aux lèvres de l'orateur, parlant du haut
n'y eût pas d'inconvénient à se dispenser d'un d'une tribune. Et même alors le ton doit ,

devoir, d'ailleurs utile à remplir, nous au- varier, si l'auditoire est plus ou moins nom-
rions toujours le tort de dédaigner le moyeu breux, s'il est composé de savants ou d'igno-
qui nous est olîert d'échapper au péril où notre rants, de gens de la ville ou de la campagne,
salut et non celui d'autrui, est malheureuse- enfin, s'il représente le peuple entier avec ses
ment engagé. Ne connaissons-nous pas cet différentes classes. En efi'et, si l'orateur n'est
arrêt terrible du Seigneur « Serviteur mé- : pas capable d'éprouver les émotions les plus
« chant et paresseux, tu aurais dû mettre mon diverses, son âme ne saurait se peindre dans
a argent entre les mains des banquiers ? » '
son discours ni sa parole exprimer des senti-
Quel serait donc notre aveuglement, si la dou- ments assez variés pour répondre aux mille
leur de nos fautes nous entraînait dans une impressions que provoque la sympathie dans
nouvelle faute, celle de refuser le trésor du une foule nombreuse.
Seigneur à qui le demande avec instance ? Il n'est ici questionque d'initier à la foi des
Voilà par quelles réflexions on peut dissiper es[)rits novices : toutefois, je puis t'assurer,
l'ennui avec tous ses nuages et se porter tout d'après mon
expérience personnelle, que je
entier à remplir les fonctions de catéchiste. ressens une émotion toute différente selon
Voilà comment on réussit à faire doucement que je vois dans le catéchumène un savant, un
entrer dans les cœurs un enseignement qui ignorant, un étranger, un concitoyen,uu riche,
découle avec autant de facilité que de grâce un pauvre, un particulier,un magistrat; dignité,
des sources fécondes de la charité. Ce n'est pas famille, âge, sexe, système philosophique, font
moi qui te tiens ce langage; c'est plutôt autant d'impressions sur mon cœur, et, sous
l'amourqui nous l'adresse à tous^ « cet amour l'empire du sentiment que j'éprouve, mon
« répandu jusqu'au fond de nos cœurs par discours commence, se continue et s'achève.
« l'Esprit-Saint qui nous a été donné'». On doit à tous une égale charité mais ce n'est ;

pas une raison pour aj^pliquer à tous le même


CHAPITRE XV. remède. La charité saitenfanter les uns et se
NÉCESSITÉ d'approprier SON LANGAGE ALX rendre faible avec les autres ; elle travaille à

CIRCONSTANCES ET ALX PERSONNES. édifier ceux-ci, elle a peur d'offenser ceux-là;


tantôt elle s'abaisse, tantôt elle s'élève, tour à
23. Je t'ai fait une promesse et tu en récla- tour indulgente et sévère, jamais ennemie,
mes peut-être l'accomplissement, comme si toujours maternelle. Quand on n'a point éprou-
c'était une dette : il me faut prendre le rôle de vé ces mouvements de la charité, on croit que
catéchiste et composer un entretien qui puisse notre bonheur est attaché au faible talent qui
te servir de modèle. Soit; mais figure-toi bien nous vaut les éloges de la multitude et les
qu'un écrivain qui compose dans son cabinet douces émotions de la gloire. Mais que Dieu, en
pour être lu, se place à un tout autre point de « présence duquel montent les gémissements

vue que l'orateur qui parle devant un audi- « des captifs », voie notre humilité et nos
'

toire attentif et pour l'orateur, que de points


; peines, et qu'il nous remette tous nos péchés *.
de vue divers Tantôt il donne des instructions
! Si ma parole a eu pour toi quelque agrément,
en particulier, sans témoins qui contrôlent son si elle t'a inspiré le désir d'apprendre de moi

langage tantôt il parle sous les yeux d'une


; quelques règles pour vivifier tes discours, je te
' Matl. XXV, 26. — ' Rom. v, 5. ' Psal. Lxivm, 11. — Psal. XXIV, 18.
u TRAITÉ DU CATÉCHISME.

le répète, tu aurais été plus vite initié à ces « la parole de Dieu seule demeure éternel-
secrets en me voyant exercer les fonctions de a lement ' ». Ahisi, quiconque aspire au bon-
catéchiste qu'en me lisant. heur et à la paix inaltérable, doit se détacher
des biens passagers et périssables du monde
CHAPITRE XVI. pour ne mettre espoir que dans la parole de
Dieu en s'attachanl à l'Etre qui demeure éter-
:
DISCOURS QUE l'ON PEUT TENIR A UN CATÉCHUMÈNE.
nellement, il participera à son immutabilité.
EXORDE TIRÉ DE LA RÉSOLUTION QU'a PRISE
25. D'autres ne songent ni à s'enrichir, ni à
l'auditeur d'embrasser la foi CHRÉTIENNE
briguer le vain éclat des honneurs
ils mettent ;
POUR trouver enfin la paix LES HONNEURS, :

leur félicité et leur repos à hanter les tavernes


LES RICHESSES, LES PLAISIRS, LES SPECTACLES, NE
ou les maisons de débauche, à fréquenter les
FONT QUE TROUBLER LE CCEUR.
théâtres et à jouir de ces représentations
24. Je suppose donc qu'un homme dun es- frivoles qu'on leur donne gratuitement dans

prit ordinaire, habitant la ville, tel que tu dois les grandes villes. La passion du luxe triomphe

rn rencontrer beaucoup à Carthage, vienne te vite de leur pauvreté; et, delà misère ils tom-

trouver dans l'intention de se faire chrétien. Tu bent dans le vol, la rapine ou même le bri-
lui demandes s'il a pris cette résolution pour gandage. Ils se trouvent tout à coup en proie à
jouir de quelque avantage temporel, ou pour des craintes mortelles naguère encore ils :

goûter la paix qui nous est promise dans l'au- chantaient dans la taverne, maintenant ils ne

tre vie ; il répond qu'il n'aspire qu'à la paix rêvent plus que torture et prison. Quant à la
éternelle ; tu peux alors lui tenir à peu près passion des spectacles, elle les change en dé-

ce discours :
mons :encouragentà grands cris les gladia-
ils

Grâces soient rendues à Dieu, mon frère ;


teurs à se tuer réciproquement; si le sang ne

eu le bonheur de songer
je te félicite d'avoir
coule pas, ils font naître dans leur cœur des sen-

à t'assurer un port au milieu des orages si timents de rivalité et un ardent désir de plaire
terribles et si dangereux du monde. On se à un peuple en délire. S'aperçoivent-ils que
les combattants sont de connivence, ils s'in-
dévoue ici-bas aux plus rudes fatigues pour
trouver lereposetlasécurité, mais les passions dignent, ils s'écrient qu'on doit les frapper de
verges, comme s'ils étaient coupables de col-
ne permettent pas d'y atteindre. On veut en
goûter le repos au scindes choses agitées lusion ils condamnent le magistrat, né pour
;
effet
t!t passagères, et comme le temps les emporte venger la justice, à ordonner cette injustice
lui, la crainte et les regrets troublent le révoltante. Savent-ilsaucontrairequ'une haine
avec
cœur et aucun moment de
ne lui laissent irréconciliable divise les comédiens et les

calme. L'homme veut-il se reposer au sein des danseurs, les cochers et les dompteurs d'ani-
richesses? elles lui donnent plus d'orgueil que maux, et tous les malheureux qu'ils engagent
de tranquillité. Que de gens, comme nous l'ap- dans des luttes à outrance contre leurs sem-
prend l'expérience, perdent tout à coup leur blables ou les botes sauvages ? plus ils voient
les concurrents animés de sentiments hostiles,
fortune ou trouvent la mort, soit en courant
après les richesses, soit en voulant défendre plus ils leur témoignent de faveur et d'enthou-

leurs trésors contre un rival plus avare Lors !


siasme ils applaudissent à la fureur de la
;

l'homme lutte et provoquent les applaudissements ils


même que la richesse serait fidèle à ;

toute sa vie et ne quitterait pas son avide pos- se communiquent leur délire, plus insensés

sesseur il faudrait bien qu'il la quitte en


,
encore que les victimes insensées dont ils sti-

mourant. Et quelle est donc la durée de la mulent l'aveugle courage la folie fait tout le :

vie, même quand on atteint la vieillesse ? Dé-


charme du spectacle. La paix d'un esprit sain
vieillesse, n'est-ce pas désirer une pourrait-elle donc remplir un cœur qui se re-
sirer la
Quant aux honneurs du paît de querelles et de discorde ? La santé n'est-
longue maladie ?
elle pas toujours en rapport avec les aliments ?
monde, qu'impliquent-ils sinon l'orgueil, la
du salut ? C'est en ce sens que
vanité, la ruine
Enfin, quel que soit le charme attaché à

la sainte Ecriture nous dit : « Toute chair est ces joies, sion peut appeler ainsi des joies
« semblable à l'herbe des champs, et la gloire insensées, que faut-il pour nous rendre insen-
sibles à l'orgueil des richesses, à l'éclaléblouis-
« de l'homme est semblable à la fleur d'une
« herbe l'herbe se dessèche, la fleur tombe,
:
.

TRAITÉ DU CATÉCHISME. 75

sant des hommes, aux plaisirs ruineux des prospérité plus brillante que ceux qui ne ren-
tavernes, aux luttes sanglantes du théâtre, à la dent à Dieu aucun hommage; aussi l'exemple
débauche, à l'obscénité des bains publics? Une dequelquesimpies,élevés,malgréleurscrimes,
fièvre légère nous dérobe ces joies telles , à un degré de gloire et de puissance humaines
qu'elles, et suffit pour saper, même avant la qu'ils ne peuventatteindre ou dont ils se voient
mort, notre prétenduefélicité:il nenous reste précipités, trouble leur imagination, comme
qu'un cœur vide et gangrené qu'attend la jus- si leur piété ne produisait aucun fruit, et fait

tice du Dieu dont il a dédaigné la protection ,


chanceler leur foi.

la sévérité du Maître en qui il n'a pas voulu en vue du


27. Aspirer à devenir chrétien,
chercher ni aimer un Père tendre. bonheur sans fin et de l'inaltérable repos qui
Pour toi, mon frère, qui cherches le repos est promis aux saints après la mort, sans

promis aux chrétiens après la mort, tu com- autre but que d'entrer dans le royaume éter-
menceras à en goûter la douceur dès ici-bas ,
nel avec Jésus-Christ et de ne point aller avec
au sein même des soucis les plus amers de la Satan au feu éternel \ voilà le vrai chrétien,
vie, situ t'attaches avec amour aux préceptes vigilant dans les tentations, afin de n'être
de Celui qui l'a promis. Tu ne tarderas pas à jamais ni corrompu par la prospérité, ni abattu
sentir que les fruits de la justice sont plus doux par les revers, toujours tempérant et maître
que ceux de l'iniquité et qu'une conscience de lui-même au sein des félicités de ce monde,
pure au milieu des chagrins inspire une joie ferme et résigné dans les tribulations. En
plus réelle et plus vive q u'une conscience bour- avançant dans la pratique de la vertu, il finira
relée au milieu des voluptés ce ne sont point
:
par aimer Dieu plus encore qu'il ne craint
en avantages temporels qui t'enga-
effet les l'enfer, et si Dieu venait à lui dire : « Jouis
gent à entrer dans l'Eglise de Dieu » « éternellement des plaisirs de la chair, pèche
« en liberté, sans craindre la mort ni le feu
CHAPITRE XVII. c< éternel, à la seule condition de n'habiter

CONDAMNATION DE CEUX QUI EMBRASSENT LA FOI EN


« jamais avec moi » ; il reculerait d'horreur

VUE d'un INTERET HUMAIN. —


LE REPOS ÉTER-
et s'abstiendrait du péché, moins pour éviter
NEL, BUT DU VRAI CHRÉTIEN. — EXPOSITION DES la peine qu'il redoute que pour ne pas offenser
Celui qu'il aime, l'Etre en qui seul réside ce
DOGMES, ET d' ABORD DE l'iNCARNATION.
repos « que l'œil de l'homme n'a point vu,

26. Il gens qui em-


se rencontre enefl'eldes « que son oreille n'a point entendu, que son
embrassent le christianisme pour se concilier « cœur n'a point compris, et que Dieu a pré-
certains personnages dont ils attendent des ce paré à ceux qui l'aiment ^ ».
avantages temporels, ou pour éviter de déplaire 28. Ce reposfort clairement
est marqué
à des protecteurs puissants. Ce sont de faux dans l'Ecriture, qui nous apprend que Dieu,
chrétiens l'Eglise les supporte pour un temps
: à l'origine du monde, quand il créa le ciel et
comme l'aire garde la paille, jusqu'au jour où la terre avec tout ce qu'ils renferment,, tra-
le vanneur en sépare le grain; mais s'ils ne se vailla pendant six jours et se reposa le sep-
corrigent pas, s'ils nesongentpas à n'avoir en tième *. Dans sa toute-puissance. Dieu n'avait
vue dans le christianisme que le repos à venir, besoin que d'un instant pour tout créer. Or,
ils seront un jour séparés du bon grain. Qu'ils il n'a pas travaillé pour rentrer ensuite dans

ne se flattent pas d'être gardés dans l'aire avec le repos, lui qui « a dit, et tout a été fait, a
le pur fromentde Dieu loin d'être admis dans
: « ordonné, et tout est sorti du néant * » mais ;

le grenier céleste, ils iront dans le feu auquel pour nous révéler que, les six âges du monde
les destinent leurs péchés '. D'autres, quoique écoulés, il consacrerait le septième au repos
animés d'une espérance plus noble, ne laissent avec ses saints,comme il y avait déjà consacré
pas de courir un danger aussi grave; je veux le septième jour. En effet, les saints trouve-
parler de ceux qui, ayant la crainte de Dieu et ront le repos au sein du Dieu qu'ils ont servi
ne songeant ni à se jouer du nom de chrétien, par les bonnes œuvres qu'il a lui-même opé-
ni à se couvrir du masque de l'hypocrisie pour rées en eux, puisque c'est lui qui appelle, qui
entrer dans l'Eglise, attendent le bonheur dès choisit, remet les fautes passées et justifie les
ici-bas ils voudraient jouir sur la terre d'une
:
' Matt. XXV, 34, 41, 46. • '
I Cor. it, 9. — ' Gen. i et ii, 1-3. —
'
Matt. m, 12. '
Psalm. cxLViu, 5.
,

76 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

pécheurs. Si donc on a raison de dire que une compagne : ce n'était pas pour les unir
Dieu agit dans le cœur de ceux qui n'accom- par le lien de
concupiscence, puisque, avant
la

plissent le bien que par un don de sa grâce, d'être soumis à la mort, qui n'est que le châ-
on doit également dire qu'il se repose avec les timent du péché, leur corps était étranger à
bienheureux qui goûtent le repos dans son toute corruption son but était de donner à
;

sein pour lui, en effet, il est étranger à la


:
. l'homme dans la femme un sujet de se glori-
*
fatigue et n'a pas besoin de mettre un terme fier, en la guidant vers Dieu et en s'offrant à

à ses travaux. C'est par son Verbe qu'il a tout elle comme un miroir de sainteté et de piété,

créé, et le Verbe est Jésus-Christ lui-même, eh au même titre qu'il faisait lui-même la gloire
qui les anges et les purs esprits du ciel se re- de Dieu, en obéissant aux inspirations de sa
posent et goûtent le silence de la sainteté. sagesse.
Déchu par sa faute, l'homme a perdu la paix 30.11 les plaça dans un séjour de.féhcité
qu'il devaitau Verbe divin et la recouvre par inaltérable, appelé Paradis dans l'Ecriture, en
les mérites du Verbe fait homme aussi, est-ce : leur imposant un commandement : s'ils l'ob-
au moment marqué dans ses desseins éternels, servaient fidèlement, ils devaient jouir du
que le Verbe s'est fait homme et est né d'une bonheur de l'immortalité s'ils le transgres- ;

femme, sans que la corruption de la chair saient, la mort les attendait comme châti-
pût atteindre Celui qui devait la purifier. ment de leur faute. Dans sa prescience. Dieu
Les saints de l'Ancien Testament ont été ins- voyait bien qu'ils pécheraient : cependant,
truits de sa venue par les révélations du Saint- comme il de tout
est le principe et l'auteur

Esprit et l'ont annoncée ils ont été sauvés en


: bien, il pour les créer le moment où
choisit
croyant qu'il viendrait , comme nous le il créa les animaux, afin de multipher sur

sommes en croyant qu'il est venu ; ils nous la terre les trésors de bonté qui convien-

ont ainsi appris à aimer Dieu, qui a poussé nent à ce séjour car, même après le péché,
:

l'amour pour nous jusqu'à envoyer son Fils l'homme est encore supérieur à la bête. Quant
unique revêtir la bassesse de notre humanité, au précepte qu'ils ne devaient pas observer, il
et se sacrifier pour les pécheurs de la main des aima mieux le leur donner, afin de leur enle-
pécheurs mêmes. Et en effet, dès les temps ver toute excuse quand il ferait peser sur eux
les plus reculés, ce mystère nous est conti- sa justice. Quelles que soient les actions de
nuellement révélé dans sa profondeur par des l'homme, Dieu y toujours éclater sa gloire
l'ait

figures et des prophéties. par la justice des récompenses, si elles sont


bonnes, par la justice des châtiments, si elles
CHAPITRE XVIII. sont criminelles ; enfin, par les bienfaits de

29. CRÉATION DU MONDE. — PÉCHÉ ORIGINEL. sa miséricorde, pécheur reconnaît sa


si le

faute et retourne au bien. Pourquoi donc n'au-


Le Dieu tout-puissant, bon, juste et miséri- rait-il pas créé l'homme, tout en prévoyant sa

cordieux, a imprimé le caractère de la bonté à faute, puisqu'il devait le couronner dans sa

toutes ses œuvres, quelle que soit leur grandeur victoire, le soumettre à l'ordre dans sa chute,
ou leur petitesse, à tous les points de l'espace. le soutenir dans ses efforts pour se relever,

Après avoir créé le ciel, la terre, la mer au ;


tour à tour bon, juste, clément, et toujours
ciel, le soleil, la lune et tous les astres ; sur la plein de gloire ? D'ailleurs ne prévoyait-il pas
terre et dans la mer, les plantes et les diverses que de cette tige de mort sortiraient un jour
espèces d'êtres qui les peuplent; en un mot, le des saints qui rendraient gloire à leur Créateur
inonde des corps et des choses visibles, il a sans y prétendre pour eux-mêmes, et qui, af-
créé les choses invisibles, comme les principes franchis par la piété de toute souillure, méri-
de vie qui animent les corps puis il a fait ;
teraient de vivre avec les saints anges d'une
l'homme à son image il a voulu que de même
: vie éternellementheureuse ? Le don du hbre
qu'il exerçait par sa toute-puissance un souve- arbitre,que l'homme avait reçu pour servir
rain empire sur l'ensemble de la création Dieu, moins par une fatalité humiliante que
l'homme commandât à la terre et aux êtres par un noble effort de sa volonté, avait été éga-
qu'elle renferme par le privilège de son intel- lement accordé aux anges. Par conséquent
ligence qui le rend capable de connaître et i'ange qui, dans son orgueil, s'est révolté con-
d'adorer son Créateur. lia aussi créé à l'homme tre Dieu avec ses compagnons, et s'est changé
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 77

en Satan, s'est nui à lui-même sans faire tort seront séparées de corps comme d'esprit. Les
à Dieu : car Dieu a su faire rentrer dans l'or- hommes enivrés d'orgueil, que travaille l'am-
dre les esprits rebelles, et leur châtiment est bition de régner sur le monde avec tout le

devenu une décoration pour les parties les faste et toute la pompe des vanités humaines,
plus basses et les plus sombres de la création, forment une société étroite avec les démons
par une loi où la justice la plus sévère se joint qui sont animés des mêmes passions et
à la plus merveilleuse harmonie. Satan n'a mettent également leur gloire à soumettre les
donc pu atteindrela majesté divine, soit en se hommes à leur empire quoique les biens du ;

révoltantlui-même, soitenentraînantl'homme inonde excitent souvent des luttes entre eux,


à lamort par ses séductions l'homme n'a pas : ils n'en éprouvent pas moins une égale ambi-

été non plus capable d'altérer la vérité, la tion dont le poids les entraîne tous dans le
puissance ou la félicité de son Créateur, en môme abîme, où ils se trouvent associés par
s'associant librement à la désobéissance de sa la ressemblance des caractères et des crimes.

femme, tombée la première dans les pièges du Au contraire, les hommes et les purs esprits
Condamnés par l'arrêt le plus équi-
tentateur. qui oublient leur gloire pour ne chercher que
de leur châtiment a tourné à
table, la justice celle de Dieu et qui s'attachent humblement
la gloire comme l'humiliation de leur
de Dieu, à lui, ne sont tous non plus qu'une seule so-
peine a tourné à leur honte. Séparé de son ciété.Et cependant. Dieu est plein de miséri-
Créateur, l'homme a été assujétià Satan, son corde et de patience pour les impies il leur :

vainqueur, et Satan aété pour l'homme revenu ménage l'occasion de se repentir et de se cor-
à son Créateur, l'ennemi qu'il fallait vaincre : riger.
de la sorte, tous ceux qui suivront jusqu'à la Quand Dieu a fait périr les hommes par
32.
fin les inspirations du tentateur, iront avec lui ledéluge, à l'exception d'un seul juste qu'il
au feu éternel tous ceux qui s'humilieront
; voulut sauver dans l'arche avec sa famille, il
en l'honneur de Dieu et triompheront du ten- savait qu'aucun d'eux ne reviendrait au bien ;

tateur avec le secours de la grâce, obtiendront toutefois, pendant tout un siècle qu'on mit à
une récompense éternelle. bâtir l'arche, il ne cessa de leur faire annoncer
que sa colère allait éclater sur eux s'ils ^
:

CHAPITRE XIX. s'étaient convertis, il leur aurait pardonné,

mélange des bons et des méchants dans comme il pardonna plus tard à Ninive, après
lui avoir annoncé sa destruction prochaine
l'Église, les actes comme les paroles des
saints qui ont précédé jésus- christ, ont un
par la bouche d'un prophète, en voyant cette

caractère prophétique. grande cité faire pénitence '^ En accordant aux


pécheurs dont il pré voit l'endurcissement tout
31. N'allons pas nous troubler en voyant le le temps de se repentir, Dieu se propose
grand nombre suivre les ins[)irations de Sa- d'exercer notre patience et nous en donne
tan, tandis que le petitnombre obéit au Sei- l'exemple; cet exemple est d'autant plus propre
gneur : entre la quantité du grain et celle de à nous enseigner la condescendance envers les
la paille, il y a toujours une disproportion pécheurs, que nous ignorons encore ce qu'ils
considérable ; et, si un gros tas de paille n'est deviendront, tandis que Dieu, pour qui l'ave-
point un embarras pour le laboureur, le nir n'a pas de secrets, leur fait grâce et leur
nombre des coupables n'est rien aux yeux de laisse la vie. Remarquons encore que l'arche
Celui qui connaît les moyens d'en faire jus- de bois sur laquelle échappèrent au
les justes
tice etd'empêcher le désordre de s'introduire déluge, était la figure de l'Eglise que Jésus-
dans son royaume et d'en troubler l'harmo- Christ, son roi et son Dieu, a placée, par le
nie. Qu'on ne se figure pas que Satan triom- mystère de sa C7'oix au-dessus du gouffre où
,

phe, parce que le nombre de ses vainqueurs le monde s'engloutit.


Dieu, sans doute, n'i-
est inférieur à celui de ses victimes. Il existe gnorait pas que des justes sauvés dans l'arche
deux cités, établies » l'origine du monde et naîtrait une race coupable, qui couvrirait
qui dureront jusqu'à la fin des siècles, celle encore de ses iniquités la face de la terre; il
des méchants et celle des justes elles ne se : ne laissa pas de donner un exemple du juge-
distinguent aujourd'hui que par l'esprit qui ment à venir, et de représenter sous un sym-
les anime; mais, au jour du jugement, elles '
Gcù. VI, VIII. — '
Jonas, m.
78 TRAITÉ DU CATÉCHISME.

bole la délivrance future des justes par le que temps, et appropriés à sa dureté de cœur.
mystère du bois sacré. Le déluge n'empêcha Là encore on retrouve la figure des mystères
pas le vice de se multiplier sous toutes les spirituels qui devaient s'accomplir dans le

formes de débauche et de
l'orgueil, de la Christ et son Eglise : et en réalité tous ces

l'impiété après avoir abandonné son Créa-


: saints étaient membres de l'Eglise, quoiqu'ils
teur, rhomme ne s'abaissa pas seulement eussent précédé la naissance de Jésus-Chris t
jusqu'à adorer les créatures, l'ouvrage à la selon la chair. Car, le Fils unique de Dieu, le
place de l'ouvrier dégrada au point de
; il se Verbe du Père, égal et coéternel à son Père,
prostituer son culte aux œuvres de la main par qui tout a été fait, s'est incarné pour nous,
des hommes et aux créations de l'art, pour afin d'être le chef de l'Eglise et comme la tête

faire ressortir plus honteusement encore le du corps tout entier. Quand un homme naît en
triomphe de Satan et des démons : ils s'ap- présentant d'abord la main, cet organe ne fait

plaudissent en efîet d'être adorés sous de pas moins partie de l'ensemble, que domine la

telsemblèmes, et perpétuent leur égarement tête et à laquelle il est subordonné : c'est la

en entraînant l'homme à leur suite. figure, telle que nous la retrouvons dans la
33. Dans ces temps primitifs, il se rencontra naissance de quelques patriarches '
: ainsi les

toutefois des justes pour rendre à Dieu un hom- saints qui ont paru sur la terre avant Jésus-
mage pur et triompher de l'orgueil du tenta- Christ, quoiqu'ils l'aient précédé, font partie

teur : c'étaient des membres de la cité sainte, du corps de l'Eglise dont il est la tête, parce
guéris de la maladie de l'orgueil par l'humilité qu'ils sont nés sous sa dépendance.
de leur roi, Jésus-Christ, dont le Saint-Esprit
leur avait révélé l'abaissement. Parmi eux se
CHAPITRE XX.
distingue Abraham, pieux et fidèle serviteur SERVITUDE DES ISRAÉLITES EN EGYPTE. LEUR —
que Dieu se choisit pour lui révéler les mys- DÉLIVRANCE A TRAVERS LA MER ROUGE, SYM-
tères qui devaient s'accomplir en son Fils : sa BOLE DU BAPTÊME. DE l'aGNEAU PASCAL, —
foi a fait de lui le père de tous les croyants, FIGURE DE LA PASSION DU CHRIST. DU DOIGT —
chez tous les peuples. De ce patriarche sortit DE DIEU. —
DE JÉRUSALEM, COMME EMBLÈME
le peuple appelé à adorer l'unique et véritable DE LA CITÉ CÉLESTE.
Dieu, Créateur du ciel et de la terre, pendant
que le reste des nations se prosternerait servile- en Egypte, le peuple d'Israël
34. Transporté
ment devant les idoles et les démons. Ce peuple fut soumisaujougd'unlyranfarouche; instruit
est une nouvelle figure plus frappante encore à l'école des plus rudes souffrances,il chercha

de l'Eglise future il renfermait une multi-


: en Dieu son libérateur. Dieu choisit dans son
tude toute charnelle, qui n'adorait Dieu qu'en peuple même et fit paraître son pieux serviteur
vue de ses bienfaits temporels et visibles; au Moïse qui, après avoir épouvanté les supersti-
miheu d'elle, quelques âmes songeaient seules tieux Egyptiens par des prodiges redoutables,
au repos de l'éternité et aspiraient à la céleste accomplis au nom de la puissance divine, tira
patrie : apprenaient à celles-ci
les prophéties lepeuple de l'Egypte et lui fit traverser la mer
les abaissements de Jésus-Christ, notre Roi et Rouge là, les eaux se séparèrent pour ouvrir
:

Seigneur, en ce mystère les guérissait


et la foi un passage aux Hébreux, tandis qu'elles se
de l'orgueil dont elle dissipait toutes les refermèrent sur les Egyptiens qui poursui-
fumées. Chez ces saints personnages qui ont vaient les fugitifs, et les engloutirent. Ainsi,
précédé la venue de Jésus-Christ, paroles, de môme que le déluge a effacé sur la terre

conduite, mariage, postérité, en un mot, tous les crimes des pécheurs qui ont péri dans les
les actes de la vie renferment une prophétie flots, tandis que les justes trouvaient dans
du temps où l'Eglise devait se former de tous le bois un moyen de salut, de même les eaux
les peuples par la foi en la passion de Jésus- livrèrent passage au peuple de Dieu, à sa sortie
Christ. C'est par l'entremise de ces patriarches d'Egypte, et engloutirent ses ennemis. On
et de ces prophètes que le peuple d'Israël, retrouve, en effet,dans ce prodige le bois
nommé dans la suite le peuple Juif, recevait mystérieux : Moïse, pour opérer ce miracle,
et les bienfaits visibles que, dans ses désirs frappa les eaux de sa verge. Voilà le symbole
charnels, il implorait du Seigneur, et les châ- du baptême : les fidèles y passent à une nou-
timents matéiiels destinés à l'épouvanterquel- ' Geu. XXV, 25.
TRAITÉ DU CATÉCHISME.

comme autant d'en-


velle vie, et leurs péchés, 36. Ce fut ainsi qu'au milieu des prodiges
nemis, y demeurent anéantis. La passion de de toute sorte, symboles de l'avenir devenus
Jésus-Christ a été plus clairement encore aujourd'hui des réalités dans l'Eglise, et dont
figurée chez ce peuple, lorsqu'il reçut l'ordre le récit nous entraînerait trop loin; ce fut
d'immoler un agneau et de le manger, de que le peuple parvint à la terre
ainsi, dis-je,
frotter les portes de son sang, et de célébrer promise où il devait fonder un empire tem-
chaque année ce mystère, sous le nom de porel selon ses désirs grossiers néanmoins ce :

pâque du Seigneur. C'est de Jésus-Christ, en royaume terrestre fut comme élevé sur le plan
effet, qu'il a été si clairement prédit : « 11 a de la Jérusalem céleste. C'est là, en effet, que
« été conduit comme un agneau à l'immola- fut fondée la célèbre cité de Dieu, Jérusalem,
« tion^». Tu dois imprimer aujourd'hui même cité esclave qui représentait la cité libre d'en
sur Ion front, comme les Hébreux sur leurs haut % ou la céleste Jérusalem, expression
portes, le signe de la passion et de la croix : hébraïque qui signifie littéralement « vision
voilà pourquoi tous les chrétiens se signent. a de la paix ». Elle a pour citoyens tous les

De
là le peuple fut conduit dans le dé-
35. hommes marqués du sceau de la sainteté, soit
sert; y erra pendant quarante ans et reçut la
il dans le passé, soit dans le présent ou dans
loi gravée du doigt même de Dieu ^ Le mot l'avenir, et tous les esprits purs qui, fussent-
doigt désigne ici le Saint-Esprit, selon l'ex- ils au sommet de la hiérarchie céleste, s'em-
pression formelle de l'Evangile ^. Dieu n'est pressent d'obéir à Dieu avec un dévouement
borné par aucune enveloppe matérielle, et il absolu, loin d'imiter l'orgueil impie de Satan
ne faut pas se figurer qu'il y ait en lui comme et de ses anges. Pour roi, elle a Noire-Sei-
en nous des organes et des doigts si donc le ; gneur Jésus-Christ comme Verbe., il règne sur
:

Saint-Esprit a été nommé le doigt de Dieu, les chefs même des anges; comme Verbe in-
c'est parce que les dons divins sont distribués carné, il domine sur les hommes qui régne-
par le Saint-Esprit entre tous les saints, et que ront avec lui dans une éternelle paix. Nulle
ceux-ci ont des aptitudes diverses, sans tou- figure plus frappante de sa royauté n'a brillé
tefois cesser d'être unis par la charité, comme dans le royaume
terrestre d'Israël que David,
les doigts, sans cesser d'appartenir à un seul de duquel devait naître selon la chair
la race
organe, offrent des divisions multipliées; du le vrai monarque, Notre-Seigneur Jésus-Christ,
reste, que ce soit pour cette raison ou pour «qui est béni dans les siècles des siècles ï>. "^

une autre, cette expression ne doit jamais Mille faits se sont accomplis dans la terre pro-
éveilleren nous une idée sensible. mise pour désigner l'avènement de Jésus-
La loi était gravée sur des tables de pierre, Christ et de son Eglise : tu pourras les appren-
pour représenter cette dureté de cœur qui dre peu à peu dans les saints livres.
devait empêcher le peuple d'en observer les
commandements. Car, n'attendantdu Seigneur CHAPITRE XXI.
que des bienfaits temporels, il était esclave de CAPTIVITÉ DE BABYLONE. — LES JUIFS n'ONT JA-
la crainte charnelle plutôt qu'il n'obéissait
MAIS DEPUIS RECOUVRÉ LEUR INDÉPENDANCE
aux inspirations de la vraie charité; or, c'est
NATIONALE.
la charité seule qui peut accomplir les com-
mandements. Aussi furent-ils courbés, comme 37. Plusieurs générations après David, Dieu
des esclaves, sous joug de rites sans nombre
le fit voir en figure le mystère le plus profond.
qui devaient présider aux repas, aux sacrifi- La cité sainte fut réduite en captivité et la plu-
ces. Toutes ces cérémonies sensibles étaient part de ses enfants emmenés
Babylone. Or, à
sans doute un symbole des mystères spirituels si Jérusalem désigne la société formée par les

de Jésus-Christ et de son Eglise mais quel- ; saints, Babylone qui, dit-on, signifie confu-
ques saints en petit nombre découvraientseuls sion, désigne la société formée par les mé-
dans ces pratiques le sens caché qui sauvait, chants. Nous avons déjà parlé de ces deux
et s'y soumettaient pour obéir aux exigences cités qui doivent subsister ensemble à travers
des temps: la multitude les observait sans les les vicissitudes des âges, depuis l'origine du
comprendre. monde jusqu'à la fin des siècles, et au jour du
jugement où elles seront à jamais séparées.
' Isai, Lni, 7. — » Exod. i-xx, xxxii, xxxiv ; Nura. xiv, 33 :

Deut. XXIX, 5. — ' Luc, xi, CO. » Gai. IV, 25, 26. — • Rom. ix, 5.
.

80 TRAITÉ DU CATECHISME.

La partie de Jérusalem et du peuple vouée à lement prier pour eux, lors même qu'ils per-
l'exil, reçut l'ordre du Seigneurde partir pour sécuteraient l'Eglise, comme nous le com-
Babylone, par la bouche de Jérémie, le pro- mande l'apôtre Paul, qui s'exprime ainsi :

phète de cette époque. « Je vous recommande avant tout de faire des


Parmi les monarques babyloniens , leurs « supplications, des prières, des demandes et
maîtres, rencontra qui, frappés des
il s'en « des actions de grâces pour tous les hommes,
miracles accomplis à l'occasion des Israélites, « pour tous pour tous ceux qui
les rois et
reconnurent le vrai Dieu, l'unique Créateur otsont élevés en dignité, afin que nous menions'
de toute créature, l'adorèrent et le firent « une vie heureuse et tranquille en toute

adorer *. Le Seigneur commanda encore « piété et honnêteté ^ » Ce sont eux en . ,

aux Israéhtes de prier pour ceux qui les effet, qui ont donné à TEgiise la paix et cette

retenaient en captivité, de fonder l'espoir tranquillité matérielle nécessaire pour bâtir


de leur tranquillité sur celle de leurs maîtres, des édifices spirituels, pour féconder les jar-
afin de pouvoir élever leurs familles^ bâtir dins et les vignes du Seigneur. Vois plutôt :

des maisons, planter des jardins et des vignes. dans cet entrelien, j'édifie et je plante en ton
C'est aprèsune période de 70 ans que Jéré- âme, et ce travail s'accomplit dans tout l'uni-
mie promit la fin de la captivité ^. Or ,
vers, grâce à la paix que nous donnent les rois
c'était là une allégorie qui désignait la chrétiens. « Vous êtes le champ que Dieu
soumission que doit aux monarques du « cultive, dit encore l'Apôtre, et l'édifice que

monde l'Eglise avec tous les saints, qui « Dieu bâtit ^ »

sont les citoyens de la Jérusalem d'en haut : 38. Au bout de 70 ans, figure mystique de la
car, d'après la doctrine de rA|)ôtre, « toute fin des temps, le temple fut rebâti à Jérusa-
« personne doit être soumise aux puissances lem, afin de compléter la figure mais comme ;

« souveraines » ; et plus loin : « Rendez à tous ces événements n'étaient que des sym-
« chacun ce que vous lui devez, le tribut à boles, les Juifs ne purent jamais recouvrer
a qui vous devez le payer, l'impôt, à qui ni paix solide ni indépendance. Plus tard, ils
« doit le lever sur vous' ». Et ainsi de tous furent vaincus par les Romains et soumis au
les devoirs auxquels nous sommes obli- tribut. Du reste, à partir du moment où ils
gés envers les puissances humaines, sauf le entrèrent dans la terre promise, et quand ils
culte que nous devons à notre Dieu. Notre- eurent des chefs à leur tête, le Christ ne cessa
Seigneur lui-même a voulu nous enseigner d'être annoncé dans une foule de prophéties,
par son exemple ces sages principes et n'a d'une clarté plus frappante encore que par le
pas dédaigné de payer la capitation pour passé, de peur qu'ils ne crussent voir la pro-
sa personne *. Les serviteurs chrétiens et messe d'un Messie libérateur accomplie dans
les pieux fidèles doivent obéir à leurs maî- la personne d'un de leurs rois. Outre David,

tres selon la chair avec autant de docilité que dans le livre des Psaumes, une foule de pro-
de dévouement ^
; ils les jugeront .un jour, phètes, pleins d'élévation et de sainteté, le
si leur iniquité ne se dément pas; ils ré- prédirent jusqu'à la captivité de Babylone.
gneront fraternellement avec eux , s'ils se Durant la captivité, il parut encore des pro-
convertissent au vrai Dieu. C'est à tous les phètes qui annoncèrent la venue du Seigneur
chrétiens que s'adresse le commandement Jésus-Christ, libérateur du genre humain.
d'être soumis aux puissances de la terre et du Lorsque le temple eût été reconstruit, après
monde, jusqu'au moment, figuré par le terme la période des 70 années, les Juifs furent sou-
de 70 ans, où l'Eglise sera arrachée à la confu- mis par les rois étrangers à une tyrannie si

sion du monde, comme Jérusalem fut affran- effroyable, qu'ils n'eurent pas de peine à sen-

chie de la captivité de Babylone. La captivité tirque le Libérateur n'avait pas encore paru :

de l'Eglise a aussi été cause que les rois de la car, ne comprenant pas que ce Libérateur n'af-
terre ont enfin abandonné les idoles au nom franchirait que les âmes, le désir de la liberté
desquelles ils persécutaient les chrétiens : ils charnelle leur faisait implorer sa venue.
ont reconnu, ils adorent le vrai Diett et le » I Tim. II, 1, 2. — * I Cor. m, 9.

souverain Seigneur Jésus-Christ. 11 faut éga-

*
Daa. n-vi, xiv. — ' Jér. xxv, xxix. — * Rom. xiii, 1, 7. —
Matt. XVII, 26. — ' Eph. VI, 5.
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 81

CHAPITRE XXII. titre d'un éternel héritage, Jésus-Christ renou-

— DE velait l'homme et lui enseignait à vivre, avec


LES SIX ÉPOQUES DE l'HISTOIRE DU MONDE.
l'esprit DU NOUVEAU TESTAMENT. — NAISSANCE, le secours de la grâce
de l'esprit; du même coup il déclarait sur-
, de la vie nouvelle

VIE, MORT DE JÉSUS-CHRIST.


anné l'Ancien Testament, sous la loi duquel
39. Voici donc les cinq premiers âges du un peuple grossier, animé des instincts
monde : le premier s'étend d'Adam, le père du vieil homme, à l'exception des patriar-
du genre humain, jusqu'à Nué et à la cons- ches, des prophètes ou des saints incon-
truction de l'arche second s'étend de Noé
^
; le nus qui comprenaient en petit nombre le
à Abraham, le père de toutes les nations qui sens caché de l'Ecriture, ne connaissait que
devaient imiter sa fui^: c'est du sang d'Abra- la vie des sens, n'attendait du Seigneur que
ham que devait sortir la race juive, la seule des récompenses matérielles, et les recevait en
qui, parmi tous les peuples du monde, avant la figure des biens spirituels. Jésus-Christ fait
diffusion de la foi chrétienne, ait adoré l'uni- homme a donc méprisé tous les biens d'ici-
que et \éritable Dieu, et de qui devait naître bas, afin de nous apprendre le mépris que
selon la chair le Messie Sauveur. Ces deux nous en devions faire, et s'est chargé des
premières époques sont mises en relief dans maux qu'il nous engageait à supporter par ;

l'Ancien Testament; quant aux trois autres, la il nous a montré qu'il ne fallait ni mettre

l'Evangile même les distingue dans la généa- le bonheur dans les uns, ni craindre les autres
logie de Notre-Seigneur ^ Le troisième âge comme une cause de malheur. Né d'une Mère
s'étend depuis Abraham jusqu'au roi David ;
qui, quoique conservant toute sa vie la fleur
le quatrième, depuis David jusqu'à la captivité de son intégrité, Vierge quand elle conçoit,
qui transporta le peuple de Dieu à Babylone; Vierge quand elle enfante, Vierge quand elle
le cinquième, depuis la transmigration de meurt, ne laissait pas d'être la fiancée d'un
Babylone jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ; charpentier, il a sans retour anéanti l'orgueil
le sixième commence avec Jésus-Christ. C'est attaché à la noblesse du sang. Né à Bethléem,
dans ce dernier âge que la grâce toute spiri- la plus petite des villes de Juda, et si faible
tuelle, connue jusque-là d'un petit nombre de qu'aujourd'hui même on l'appelle un hameau,
prophètes et tie patriarches, devait être révélée il nous a appris à ne plus tirer vanité de notre
à toutes les nations, que les hommages rendus cité terrestre, quelle qu'en soit la grandeur. Il
à Dieu devaient être désintéressés; en d'autres a même voulu devenir pauvre, lui qui pos-
termes, n'avoir plus pour but la récompense sède tout et qui a tout créé, afin d'empêcher
matérielle d'un culte mercenaire et les pros- ceux qui croiraient en lui de s'enorgueillir des
pérités de la vie présente, mais la vie éternelle richesses d'ici-bas. Il a refusé la royauté que
et la i)ossession de Dieu ; enfin, c'est dans ce lui offraient les hommes, quoique la création
sixième âge que l'âme humaine devait être entière publie sa royauté éternelle, parce qu'il
renouvelée à l'image de Dieu, de même qu'au montrait le chemin de l'humilité aux malheu-
sixième jour l'homme avait été fait à son reux que l'orgueil avait séparés de lui. Il
image *. Car la loi est remplie quand ce , donne à tous les êtres les aliments et le breu-
n'est plus par passion pour les biens tempo- vage; il est le pain des esprits et la source où
rels, mais par amour pour le législateur, qu'on ils viennent se désaltérer. Et cependant, il s'est

exécute tout ce qu'elle commande. El comment condamné à la faim comme à la soif. Il a sup-
ne |)as payer de retour le Dieu si juste et si porté les fatigues du voyage, et c'est lui qui
miséricordieux qui a le premier aimé les s'est fait notre voie pour nous conduire au
hommes, malgré leurinjustice et leur orgueil, ciel il s'est tu, il a semblé fermer les oreilles
;

au point de leur envoyer son Fils unique, par devant ceux qui l'outrageaient, et c'est lui q-u
qui il avait tout créé ? Et ce Fils n'a-t-il pas, a rendu l'ouïe aux sourds et la parole aux
sans changer de nature, adopté l'humanité, muets ; il a brisé les entraves du |)éché , et il

revêtu la chair, et consenti, non-seulement à s'est laissé enchaîner; il a soustrait les malades
vivre avec les hommes, mais encore à être aux aiguillons de la douleur, et il a été fl igellé ;

immolé par eux et pour eux? il a fini nos tourments, et il a enduré celui de
40. En promulgant le Nouveau Testament, la croix ; enfin il a ressuscité les morts, et il

Gen. VI. — Ib. xvii, 4. — Matt.


' * 17. — Gen. 27.
' i, ' i, a voulu mourir. Mais il est ressuscité pour ne
S. AuG. — ToME XH. 6
82 TRAITE DU CATECHISME.

plus mourir, afin d'empêcher Thomme de près d'un mort et l'ayant couvert de son om-
mépriser la mort en s'imaginant qu'il ne sau- bre, lemort ressuscita *.
rait plus revivre. 42. A la vue des prodiges éclatants qui
s'accomplissaient au nom de Celui qu'ils
CHAPITRE XXIII. avaient crucifié, les uns par haine, les autres
par erreur, les Juifs se divisèrent les uns
DESCENTE DU SAINT - ESPRIT. — CONVERSIONS
s'acharnèrent à poursuivre les Apôtres qui
:

OPÉRÉES CHEZ LES JUIFS ET CHEZ LES GEN-


l'annonçaient les autres , étonnés de voir
;

TILS.
s'accomplir tant de merveilles au nom de Ce-
M. Après avoir affermi la foi chez ses disci- lui qu'ils avaient tourné en dérision et dont
montré à eux pendant quarante
ples et s'être ils se flattaient d'avoir consomme la défaite et
jours, Jésus-Christ monta au ciel en leur pré- la ruine, se repentirent par milliers etcrurent
sence. Cinquante jours après la Résurrection, en Ce n'étaient plus ces Juifs qui deman-
lui.
il leur envoya, selon sa promesse, le Saint- daient à Dieu des prospérités mondaines et un
Esprit, pour répandre dans leur cœur la cha- royaume temporel, ou qui attendaient dans
rité qui devait non-seulement alléger, mais le Messie un monarque glorieux selon la
encore faire aimer l'accomplissement de la loi. chair se plaçant au point de vue de l'éter-
:

Cette loi avait étédonnée aux Juifs sous la nité, ils comprenaient, ils aimaient Celui qui
forme de dix commandements, ce qu'on appelle s'était condamné à souffrir par eux et pour
le Décalogue mais elle se réduit à deux pré- eux tant de supplices dans le temps, qui avait
:

ceptes qui sont d'aimer Dieu de tout notre effacé généreusement tous les crimes de leur
cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, race, et, par l'exemple de sa résurrection,
et d'aimer notre prochain comme nous-mê- leur avait appris à attendre de lui le don de
mes. Ces deux commandements renferment la rimmortalité. Ils mortifiaient donc en eux les
Loi et les Prophètes, comme le Seigneur l'a désirs du vieil homme, et dans leur enthou-
déclaré expressément dans l'Evangile \ et l'a siasme pour la vie spirituelle dont ils avaient
du reste prouvé par son exemple. Cinquante jusqu'alors ignoré les merveilles, ils s'empres-
jours après avoir célébré la pâque symbolique, saient, selon le précepte évangélique, de ven-
immolé et mangé l'agneau dont le sang mar- dre ce qu'ils possédaient et d'en déposer le
qua leurs portes comme gage de salut % le prix aux pieds des Apôtres ensuite on le dis- :

peuple d'Israël reçut la loi gravée du doigt de tribuait à chacun selon ses besoins ^ Ils vi-
Dieu % figure du Saint-Esprit, comme nous vaient dans l'union de la charité chrétienne :

l'avons déjà remarqué * de même, ce fut le aucun ne considérait comme à lui ce qu'il
:

cinquantième jour après la passion de Notre- possédait toutes choses étaient communes ;

Seigneur, la véritable pâque, que le Saint- entre eux et ils ne formaient qu'un cœur et
Esprit fut envoyé aux disciples. Ici, plus de qu'une âme ^ Leurs concitoyens ne tardèrent
tables de pierre pour figurer la dureté des pas à les persécuter, au mépris de la voix du
cœurs les disciples étaient tous assemblés
: sang, si puissante sur ces esprits charnels, et
en un même lieu, à Jérusalem, quand on en- les dispersèrent. Leschrétiens trouvèrent ainsi
tendit soudain un bruit sourd venant du ciel, l'occasion de propager au loin l'Evangile et
semblable à celui d'un vent impétueux et ils d'imiter la patience de leur Maître ; après :

virent des langues de feu qui se partagèrent avoir souffert pour eux avec douceur, il les
et s'arrêtèrent sur chacun d'eux puis ils com- invitait à prendre un esprit de douceur et à
:

mencèrent à parler diverses langues. Tous les souffrir pour lui.


Juifs venus à Jérusalem des différents pays où 43. Parmi les persécuteurs des chrétiens,
ils étaient dispersés et dont ils avaient appris Paul avait montré le plus d'acharnement. Ap-
la langue, reconnaissaient leur idiome parti- pelé à la foi et à l'apostolat, il reçut la mission
culier dans le langage des disciples ^ Prêchant d'annoncer l'Evangile aux Gentils et souffrit
alors Jésus-Christ avec tout l'enthousiasme de pour le nom de Jésus-Christ plus de maux
la foi, ils opéraient en son nom une foule de qu'il n'en avait fait pour le combattre. En
prodiges, au point que Pierre, ayant passé fondant des églises chez toutes les nations où
il semait la parole évangélique il sentait
' Matt. XXII, 37, 40. — ' Exod. X[i. — ' Id. xix, XX. — ' Ci-des-
,

sus, ch. XX, n. 35. — ' Act. Il, 1-11. '


Act. V, 15. - ' Id. II, 44, et iv, 34. — ' Id. IV, 32-35.
TRAITÉ DU CATECHISME. 83

bien que les fidèles qui venaient de renoncer 4o. Ainsi nous voyons l'accomplissement
au culte des idoles et qui étaient peu initiés fidèled'événements prédits tant d'années au-
encore à l'esprit de la religion, avaient de la paravant. Si donc les miracles faisaient naître
peine à vendre et à distribuer leurs biens la foi chez les premiers chrétiens et sup-

pour ne servir que Dieu aussi leur recom- ;


pléaient à cette preuve renfermée dans l'ave-
mandait-il instamment d'envoyer des offran- nir ; l'accomplissement littéral des prédictions
des aux chrétiens pauvres des églises de Ju- consignées dans les livres écrits longtemps
dée. D'après les principes de l'Apôtre, les uns auparavant, et où l'on fait l'histoire de l'ave-
remplissaient le rôle de soldats, les autres nir comme s'il était présent, doit servir à

étaient chargés dans les provinces de solder édifier notre foi et à nous faire croire, sans le

leur paie. Il posait parmi eux Jésus-Christ plus léger doute, aux vérités qui ne sont pas
comme la principale pierre de l'angle, selon encore réalisées, en nous attachant fermement
l'expression du prophète ', afin d'y rattacher, à la parole du Seigneur. Bien des événements
comme deux murailles opposées les Juifs ,
terribles se trouvent encore prédits dans les
et les Gentils, et de les confondre dans une Ecritures, entre autres, le dernier jour du
charité toute fraternelle. Dans la suite, les jugement, où les enfants de la double cité dont
peuples païens suscitèrent à l'Eglise de Jésus- nous avons parlé, doivent ressusciter en re-
Christ des persécutions à la fois plus fréquen- prenant leur corps et venir rendre compte de
tes et plus cruelles^ et l'on voyait de jour en leur vie au pied du tribunal de Jésus-Christ.
jour s'accomplir cette prédiction du Sei- Car il viendra dans tout l'éclatde sa puissance,
gneur : « Voilà que je vous envoie comme après avoir daigné descendre sur la terre sous
« des brebis au milieu des loups ^ ». les humbles dehors de l'humanité il fera le ;

discernement des bons et des méchants, soit


CHAPITRE XXIV. que ceux-ci aient refusé de croire en lui, soit
qu'ils n'aient eu qu'une foi morte et stérile il
l'église est une vigne qui se charge de ;

branches et qu'on émonde. — les prédic-


emmènera les premiers avec lui dans son
tions deja accomplies doivent faire croire
royaume éternel ; un supplice éternel avec

a celles qui ne le sont pas encore, sur-


Satan sera le partage des autres. De même
tout a celle du jugement dernier. qu'aucune joie humaine ne peut môme don-
ner l'idée des délices de la vie éternelle, ré-
•44. Or, cette vigne merveilleuse, pour em- servée aux saints de même il n'est pas de
;

ployer la comparaison des prophètes et du tourments ici-bas qui puissent être compa-
Seigneur lui-même, dont les sarments char- rés aux peines éternelles des impies.
gés de fruits se multipliaient dans tout l'uni-
vers, était d'autant plus féconde qu'elle était CHAPITRE XXV.
abondamment arrosée du sang des martyrs. RÉSURRECTION. — MORT ÉTERNELLE EN ENFER. VIE
La multitude innombrable des victimes de la ÉTERNELLE AU CIEL. — SE TENIR EN GARDE
foi lassa les princes persécuteurs; leur or- CONTRE LES PAÏENS, LES JUIFS, LES HÉRÉTIQUES,
gueil fut abattu, ils se convertirent enfin à
MÊME
ET LES MAUVAIS CHRÉTIENS : FAIRE
Jésus-Christ et l'adorèrent. Il fallait encore DES BONS SA SOCIÉTÉ, SANS METTRE EN EUX SES
que cette vigne fût émondée, selon la prédiction ESPÉRANCES.
plusieurs fois renouvelée du Seigneur, et
qu'elle fût débarrassée de toutes ses branches 4G. Appuie-toi donc fermement, ô mon
stériles % en d'autres termes, des schismes et frère, sur le nom et sur le bras de Celui en
des hérésies provoquées dans le monde, au qui tu crois, implore son secours contre les
nom de Jésus-Christ, par des esprits superbes railleries des incrédules, dont le diable em-
qui consultaient moins sa gloire que leur va- prunte langue pour déverser un faux ridicule
la

nité, et dont l'opposition, en ne cessant d'exer- sur nos dogmes et en particulier sur celui de
cer l'Eglise , devait mettre à l'épreuve sa la résurrection. Juge d'après toi-même tu ,

doctrine et sa patience, et leur donner un verras qu'on peut revenir de la mort à la vie,
nouveau lustre. quand on est passé du néant à l'existence. Où
était donc la matière de ton corps, la disposi-
'Psal. cxvir, 22. Isaie, xxvni, 16. Matt. X, 16. — » Jeau,
XV, 2. tion harmonieuse de tes membres, quelques
84 TRAITE DU CATÉCHISME.

années avant d'être né ou d'avoir été conçu que nous avons cru. Désormais, loin de bé-
dans le sein de ta mère ? Où était ton corps, gayer dans le langage de la foi que le Père
dis-je, avec son volume et sa taille ? N'est-ce est égal au Fils et au Saint-Esprit, que la Tri-
pas sous l'action invisible de Dieu qu'il s'est nité est une, et que les trois personnes ne
formé dans les profondeurs de l'organisme, sont qu'un Dieu, nous verrons ce mystère
qu'ilavule jour, et que selon le progrès ré- sans voile, et nous nous perdrons avec trans-
gulier des divers âges de la vie humaine, il port dans une muette extase.
a pris son développement et ses proportions ? 48. Grave ces principes au fond de ton cœur
Or, est-il bien difficile au Dieu qui, en un clin et prie le Dieu auquel tu crois de te protéger
d'oeil, amoncelle les nuages des bouts de l'hori- contre les pièges du Tentateur. Prends garde
zon et obscurcit le cieldans toute son étendue, aux séductions, quelles qu'elles soient, de cet
de rendre à ton corps la somme des éléments ennemi dont la rage cherche à se soulager
dontil était composé, quand il a pu lui donner dans ses supplices en multipliant les compa-
une forme qu'il n'avait pas ? Crois donc avec gnons de ses tourments. Car il ose attaquer les
une foi inébranlable que les molécules qui chrétiens, non-seulement par le ministère de
semblents'anéantiretdisparaissentauxregards ceux qui ont en horreur le nom du Christ, qui
de l'homme, subsistent indestructibles, inalté- se désolent de le voir dominer sur tout l'uni-
rables pour la Toute -Puissance créatrice; que vers et qui voudraient s'affilier de nouveau au
Dieu les recomposera quand il le voudra, culte des idoles et aux mystères des démons ;

sans délai comme sans obstacle, dans la pro- mais encore, de temps à autre, par l'organe de
portion que leur assignera sa justice. Ainsi ces hommes dont nous venons de parler et qui,
les âmes seront réunies aux organes avec les- pareils à des rameaux séparés du tronc, ont
quels elles ont agi, pour rendre compte de rompu avec l'unité de l'Eglise et portent le titre
leurs actes, et elles verront les corps qu'elles d'hérétiques ou de schismatiques. Les Juifs,
animaient, selon leur mérite ou leur démé- sans doute, sontaussi pour lui des instruments
rite,transformés en une substance incorrupti- dont il se sert parfois dans ses essais d'attaques
ble, ou condamnés à une corruption physi- et de séductions; mais chacun doit se pré-
que qui, loin d'aboutir à la mort, fournira munir principalement contre les assauts et les
matière à un éternel supplice. pièges de ces catholiques que l'Eglise souffre
47. Cherche donc, mon frère, dans une foi dans son sein comme on souffre la paille sur
inébranlable et dans une vie pure, le moyeu l'aire jusqu'au moment de la vanner. Si le Ciel
d'échapper à ces tourments où les bourreaux use de patience envers eux, c'est tout à la fois
sont infatigables et les victimes immortelles : pour exercer et pour affermir, à l'aide de leur
c'est pour elles une mort dont le terme recule méchanceté, la prudence et la foi de ses élus,
sans cesse, que de ne pouvoir mourir au etparceque beaucoupd'entre eux s'améliorent,
milieu des souffrances. Attache-toi avec tout et, touchés de compassion pour leur âme en
l'enthousiasme de l'amour à la vie éternelle vue de plaire à Dieu *, se convertissent à lui
des saints, également étrangère aux fatigues avec une vive ardeur. Non, tous n'abusent pas
de l'action et à l'oisiveté du repos là , on : de la patience divine justju'à s'amasser des tré-
louera Dieu, sans fin comme sans monotonie ;
sors de colère pour le jour de la colère et du
plus de tristesse dans le cœur, plus de souf- juste jugement de Dieu; beaucoup, au con-
frances dans le corps, plus de ces besoins qui traire, sont amenés par la patience du Tout-
forcent à invoi[uer secours d'autrui ou
le Puissant à l'heureuse douleurde la pénitence ';

qu'on est heureux de soulager chez le pro- et en attendant ils servent à exercer non-seule-
chain. Nous deviendrons, selon la promesse ment la patience, mais encore la compassion
du Seigneur et selon noire espoir, les égaux de ceux qui marchent dans la droite voie.
des anges de Dieu et nous leur serons asso-
'
Tu rencontreras donc des ivrognes, des ava-
ciés pour jouir de la vision béalifique de la res, des trompeurs, des joueurs, des adultères,
Trinité, dont la grâce nous aide « à marcher des fornicateurs, des hommes qui recourent
« ici-bas dans la foi ^ ». Nous croyons, en effet, à des remèdes impies, qui s'abandonnent aux
ce que nous ne voyons pas, afin d'arriver par enchanteurs, aux astrologues ou à toute autre
les mérites de notre foi à voir, à posséder ce espèce de devins ; tu remarqueras aussi qu'aux
Luc ïX 36. — "
H Cor. v, 7 ' Eccli. XXX, 21. — ' Rom. II, 5, 4.
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 85

jours de fête des chrétiens les églises sont certitude. Si néanmoins nous devons aimer
remplies des mêmes multitudes qui sepressent ceux qui ne sont pasjustiûés encore, afin qu'ils
dans les théâtres aux jours de fête des païens, le soient; quel amour plus ardent ne nous
que tu vois.
et ce spectacle te portera à faire ce faut-il pas pour ceux qui le sont déjà ? Autre
Que dire encore ? Tu verras ce que tu sais dès chose est donc d'aimer un homme, et autre
maintenant, car tu n'ignores point que plu- chose d'espérer en lui la différence est si
;

sieurs se livrent aux excès que je viens de grande queDieudéfend le dernier acte et com-
rappeler brièvement, tout en portant le nom mande le premier. T'arrive-t-il d'endurer pour
de chrétiens. Ne sais-tu pas même encore que lenom du Christ desoutragesetdesatflictions ?
des désordres plus graves sont commis de N'abandonne pas la foi, ne quitte pas le droit
temps à autre par des gens que tu entends chemin, et tu recevras la grande récompense.
également appeler chrétiens? Céder alors aux efforts du démon, c'est perdre
Or, ce serait t'abuser étrangement que de jusqu'à la moindre. Mais sois humble devant
venir dans l'intention de commettre, en quel- Dieu, et il ne souffrira point que tu sois tenté
que sorte impunément, ces fautes. A quoi te au-dessus de tes forces.
servira le nom du Christ, quand, après avoir
daigné nous secourir dans son infinie misé- CHAPITRE XXVI.
ricorde, le Christ se mettra à nous juger dans
EXPLIQUER LA SIGNIFICATION DES SACREMENTS.
sa sévère justice ? N'a-t-il pas prédit, n'a-t-il

pas dit dans l'Evangile : « Ce ne sont pas tous 50. Après ces paroles, on doit demander au
« ceux qui me crient: Seigneur, Seigneur, qui postulant s'il croit ces vérités et s'il désire
y
« entreront dans le royaume des cieux, mais conformer sa conduite. Sur sa réponse affir-
a la volonté de mon Père?Beau-
ceux qui font mative, on le marquera solennellement du
« coup effectivement me diront en ce jour-là : sceau sacré, et on le traitera comme le fait
« Seigneur, Seigneur, c'est en votre nom que l'Eglise. A propos du sacrement qui lui est
« nous avons mangé et bu » Ainsi donc, per- *
. conféré, on lui fera comprendre avec soin que
sévérer dans des œuvres de cette nature, c'est si les signes des grâces divines sont visibles ,

aboutir à damnation. Par conséquent, lors-


la on honore dans ces signes d'invisibles réalités,
que tu verras la multitude s'y livrer, les justi- et qu'une fois sanctifiée par la bénédiction ,

fier, y attirer même, attache-toi à la loi de cette matière ne peut plus servir comme une
Dieu, et garde-toi d'en imiter les violateurs : matière profane. On expliquera ensuite et le
tu seras jugé, non sur leur sentiment, mais sens des paroles sacramentelles et les effets
sur sa vérité. produits intérieurement et analogues à la ma-
aux bons, à ceux que tu vois en-
49. Unis-toi tièredu sacrement.
flammés comme tu l'es d'amour pour ton Roi. il faut en profiter, de
C'est l'occasion, et
Eh si tu cherchais, dans les théâtres, à t'ap-
1 rappeler que dans l'Ecriture même, on
si,

procher, pour ne pas les quitter, de ceux qui remarque des traits qui semblent trop char-
aimaient le même cocher, le même gladiateur, nels, on doit, tout en ne les comprenant pas,
le même histrion que toi ; à combien plus se persuader qu'ils renfeiment un sens tout
forte raison ne dois-tu pas être heureux de spirituel, un sens relatif à la sainteté des
faire société avec ceux qui aiment Dieu avec mœurs et à la vie future. Voici la règle exprimée
toi car on ne saurait rougir de Dieu quand
; en quelques mots Aperçoit-on, dans les livres
:

on l'aime; loin de se laisser vaincre, il rend canoniques, des traits que l'on ne saurait rap-
invincibles ses amis. Prends garde toutefois porter ni à l'amour de l'éternité, de la vérité
de placer ton espoir dans ces hommes de bien et de la sainteté, ni à l'amour du prochain?
qui te précèdent ou qui t'accompagnent dans on doit croire que ces parolts ou ces actes sont
l'amour de Dieu quelques progrès que tu aies
: figurés, et essayer d'y voir le double amour
faits, tu ne saurais en effet t'appuyer sur toi , de Dieu et du prochain mais sans prendre ce
;

mais sur Celui-là seul qui lesrend bonscomme dernier terme dans un sens grossier. Le pro-
toi en leur communiquant sa sainteté. Tu es chain est quiconque peut arriver comme nous
sûr que Dieu ne change pas la prudence : dans la sainte cité, quelles que soient d'ailleurs
t'interdit d'avoir pour aucun homme la même les mœurs qu'on voit en lai car on ne doit
;

' Matt. -vu, 21, 22. désespérer de la conversion de personne, puis-


86 TRAITÉ DU CATECHISME.

que la patience de Dieu ne laisse vivre le 53. Aussi bien, tout ce que tu vois mainte-
pécheur, comme l'enseigne l'Apôtre, que pour nant dans fEglise, tout ce qui se fait au nom

l'amener à faire pénitence ^ du Christ par tout l'univers, est prédit depuis
bien des siècles nous voyons ce que nous
;

CHAPITRE XXVII. lisons, c'est ce qui affermit notre foi. Le déluge


autrefois se répandit sur toute la terre, afin
MANIÈRE PLUS COURTE d'INSTRUIRE
de la débarrasser des pécheurs ; en y échap-
UN CATÉCHUaiÈNE.
pant dans l'arche, Noé et sa famille n'étaient-
que j'aie passé trop de temps
51. Trouves-tu ils pas un symbole de l'Eglise à venir, puis-

à instruire catéchumène que je me figurais


le qu'aujourd'hui elle vogue sur les flots du
avoir sous les yeux ? Tu peux être plus court, siècle et sesauve du naufrage en s'appuyant
et je crois qu'on ne doit pas être plus long. sur le bois de la croix du Christ ? Il fut prédit
Observons néanmoins que les audileurs pré- à Abraham ce fidèle serviteur de Dieu, que
,

sents réclament parfois plus que n'exige la tout seul qu'il était, il deviendrait le père d'un
fonction sacrée en elle-même. Lors donc qu'il peuple entier, appelé à adorer le seul vrai
faut être court, vois comme il est facile de Dieu au milieu de toutes les autres nations
tout dire en peu de mots. courbées devant les idoles ; d'autres prédic-
Suppose encore une fois que tu es visité tions furent adressées à ce peuple, et toutes

par un homme qui demande à devenir chré- se sont accomplies exactement. A ce peuple
tien tu l'as interrogé et
;
répondu comme il t'a il fut annoncé que de la race d'Abraham
l'autre, car s'il n'avait pas répondu de la sorte, naîtrait selon la chair le Christ, le Roi de tous

il faudrait l'avertir d'y répondre. Voici main- les saints, Dieu enfin, pour élever à la dignité
tenant comme toutes les vérités se peuvent d'enfants d'Abraham tous ceux qui imiteraient
enchaîner :
la foi d'Abraham c'est ce qui s'est accompli
:
;

Oui, mon frère, elle est grande, elle est le Christ est né de la Vierge Marie, l'une des
réelle la félicité promise aux saints dans la vie descendantes du patriarche. Les prophètes

future. Tout ce qui est visible, passe ; toute la prédirent aussi qu'il serait attaché à la croix
pompe du siècle, toutes ses délices et toutes par ce même peuple juif dont il était issu en
ses curiosités s'évanouiront et entraîneront tant qu'homme : ce qui s'est accompli. Il fut

dans leur ruine leurs malheureux amants. prédit qu'il ressusciterait, il est ressuscité.

C'est de cette ruine, c'est-à-dire des peines Conformément encore aux prédictions des pro-
éternelles, que Dieu, dans sa miséricorde, a phètes, il est monté au ciel et aenvoyé l'Esprit-

voulu préserver les hommes, pourvu qu'ils Saiiit à ses disciples. Ces mômes prophètes et

ne demeurent pas leurs propres ennemis et Notre-Seigneur Jésus-Christ ont prédit que son
qu'ils ne résistent pas à la tendresse de leur Eglise se répandrait dans tout l'univers, qu'elle
Créateur et dans ce dessein il leur a envoyé
; y serait comme semée par les martyres et les
son Fils unique, son Verbe égal à lui-même, souffrances des saints, et ils ont prédit cela à
le Verbe par qui il a tout fait. Tout en conser- l'époque où son nom était tout à la fois ignoré
vant sa divinité, sans quitter le sein de son des gentils et tourné en dérision partout où il

Père et sans changer en quoi que ce soit, ce était connu. Or, grâce à ses miracles, tant à

Verbe, en venant parmi les hommes, s'est ceux qu'il a faits par lui-même qu'à ceux qu'il
rendu visible à leurs yeux en se faisant homme a faits par ses serviteurs, aujourd'hui ([u'on
et en revêtant une chair mortelle. Par là, de publie ces prédictions et qu'on y croit, nous
même que par un seul liomme, le premier en voyons l'accomplissement nous voyons ;

homme ou Adam succombant devant sa même les rois du monde, jadis persécuteurs
femme que le serpent avait séduite, et trans- des chrétiens, courbés maintenant sous le
gressant avec elle le commandement divin, la nom du Christ. Il a été prédit encore que de
mort est entrée dans ce monde ainsi par un ; ,
son Eglise sortiraient des schismes et des
seul homme encore, lequel est tout à la fois hérésies, qui partout où ils le pourraient,

Dieu et Fils de Dieu, par Jésus-Christ, une chercheraient en son nom, non pas sa gloire,
fois tous leurs anciens péchés effacés, ses mais la leur nous voyons également l'accom-
:

fidèles pourront entrer dans l'éternelle vie ^ pUssement de ces prédictions.


'
Rom. II, 4. — Ib. V, 12-19. 54. Ne doil-on pas en conclure que ce qui
TRAITÉ DU CATÉCHISME. 87

reste s'accomplira aussi ? Si les premières pré- charmes. Il faut l'aimer, toutefois, non pas
dictions se sont réalisées, les dernières se réa- comme on aime ce qui est visible, mais
liseront ; oui viendront les afflictions encore comme on aime la sagesse, la vérité, la sain-
réservées aux justes viendra aussi ce jour du
;
teté, la justice, la charité et autres perfections
jugement qui séparera, au moment de la semblables, considérées, non pas telles qu'elles
résurrection des morts , les impies des saints, sont dans l'homme, mais telles qu'elles sont
non-seulement les impies qui sont en dehors dans la source même de Tincorruptible et
de l'Eglise du Christ, mais encore ceux qui en immuable sagesse.
sont comme la paille et qu'elle doit endurer A ceux donc que tu verras remplis
tous
avec une invincible patience jusqu'à ce qu'il d'amour pour ces perfections, unis-toi, afin de
les vanne enfln et les jette dans le feu qui leur te réconcilier avec Dieu par le Christ, qui s'est

est dû. Quant a ces hommes qui se moquent incarné pour devenir médiateur entre Dieu et
de la résurrection, qui s'imaginent que cette les hommes. Quant aux méchants, tout en les

chair, une fois pourrie, ne saurait se ranimer, voyant pénétrer dans l'enceinte de l'EgHse, si
ils la reprendront pour leur malheur^ et Dieu toutefois ils y pénètrent, ne croispas qu'ils en-
leur montrera qu'après avoir pu créer les treront dans le royaume des cieux s'ils ne se ;

corps quand ils n'existaient pas, il peut en un convertissent, ils seront rejetés chacun en son
clin d'œil les rétablir tels qu'ils étaient. Pour temps. Ainsi, prends les bons pour modèles,
les fidèles qui doivent régner avec le Christ, tolère les méchants, aime tout le monde car ;

ils mériteront, en ressuscitant, d'être trans- tu ignores ce que sera demain celui qui est
formés, d'être incorruptibles comme les an- aujourd'hui mauvais. >i'aime pas dans les

ges, de devenir égaux aux anges \ pour le méchants leur injustice; aime leur personne
louer sans fatigue aucune et sans aucun dé- pour qu'ils deviennent bons. 11 nenous est pas
goût, pour vivre éternellement en lui et de connnandé seulement d'aimer Dieu, mais en-
lui, avec tant de joie, avec tant de bonheur, core d'aimer le prochain, deux préceptes qui
que l'homme ne saurait ni dire ni se figurer résument toute la loi '. Or, on n'accomplit
rien de semblable. cette loi qu'après avoir reçu le don de Dieu,

55. Fortement convaincu de ces vérités, l'Esprit-Saint égal au Père et au Fils, car les
prends garde aux tentations, car le démon trois personnes ne font qu'un seul Dieu. C'est

cherche à se faire des compagnons d'infor- en lui qu'il faut i)lacer notre espoir, et non pas
tune. Que cet ennemi ne parvienne ni à te sé- dans l'homme, quelque mérite qu'il ait d'ail-
duire par le moyen de ceux qui sont en dehors leurs. Quelle différence, effectivement, entre
de l'Eglise, païens, juifs ou hérétiques ni à ;
Celui qui nous justifie, et ceux qui sont justi-
te faite imiter ceux qui, devant toi et au sein fiés avec nous?
de l'Eglise catholique, se conduisent mal, s'a- De plus, la cupidité seule ne sert pas au dia-
bandonnent sans frein aux plaisirs de la ble d'instrument pour nous tenter il nous ;

bouche et du ventre, à limpudicité, aux vai- tente encore en nous inspirant la crainte des
nes et désordonnées curiosités des spectacles, dérisions, dessoufiranceset même de la mort.
des enchantements et des présages des dé- Néanmoins, plus l'homme souffre pour le nom
mons. Tu les imiterais en t'environnanl des du Christ et pour l'espoir de la vie éternelle,
pompes et des grandeurs de l'avarice et
folles quand il reste fidèle au miheu de ses afflic-
de l'orgueil, ou en menant une vie que con- tions, plus sera grande sa récompense au ;

damne et punit la loi divine. Joins-toi plutôt lieu qu'en succombant devant le diable, il
aux bons chrétiens, et tu en découvriras aisé- partagera sa damnation. Or, les œuvres de mi-
ment si tu es bon toi-même. Adorez Dieu en- séricorde, jointes à une pieuse humilité, ob-
semble et aimez-le d'un amour pur; il sera tiennent de Dieu pour ses serviteurs la grâce
toute notre récompense, lorsque dans cette de n'être pas tentés au-dessus de leurs
autre vie nous jouirons de sa bonté et de ses forces \
' Luc, XX, 36. ' Matt. Xiil, 37-10. — ' 1 Cor. x, 13.

Traduction de M. CITOLEUX.
DE LA CONTINENCE.

En quoi consiste la continence. — Nécessilé de la grâce pour garder la continence. — Vaines excuses des libertins,
surtout des Manichéens.

CHAPITRE PREMIER. Laissons à cet oracle divin le sens naturel


qu'il comporte , donnons au mot bouche
LA CONTINENCE EST ON DON DE DIEU.
toute l'extension qu'il réclame, et la conti-

^ . II est difficile, quand on traite de celte nence dont il y est nous apparaîtra
parlé
vertu de l'âme que l'on nomme continence, comme un don bien signalé du ciel. C'est peu
d'élever son langage à la hauteur du sujet. en effet de veiller sur ses paroles et de puri-
Mais, pour soutenir ma faiblesse sous le poids fier son langage de toute souillure. N'y a-t-il

d'un tel fardeau, je compte sur le secours pas aussi la bouche du cœur? et n'est-ce pas
tout-puissant de Celui de qui seul nous vient là surtout que l'écrivain sacré demandait à
cette sublime vertu. Ce Dieu qui donne aux Dieu nous apprenait à lui demander nous-
et

fidèles la continence, accorde également à ses mêmes de placer une garde et d'asseoir la
ministres le pouvoir d'en parler dignement. continence? En effet, alors même que nos
J'attends donc de lui seul ce que m'inspirera lèvres restent silencieuses combien de cris ,

ce grand sujet. s'échappent de notre cœur Au contraire, que 1

Et d'abord j'affirme et je prouve que la le cœur soit silencieux, et la bouche restera

continence est un don de Dieu. Au livre de la muette en face des objets les plus séduisants.
Sagesse, nous lisons que personne ne peut être Ce qui n'émane point du cœur ne produit
continent, si Dieu ne lui en fait la grâce*. aucun bruit extérieur ce qui en émane est-il ;

Parlant, non pas de la chasteté conjugale, mauvais, l'âme en est souillée, lors même
mais d'une continence plus belle et plus glo- que rien ne se manifesterait au dehors. Ainsi
rieuse, le Seigneur nous dit: « Tous ne com- donc il doit y avoir continence jusque dans
« prennent pas cette parole, il n'y a pour la le cœur où parle le silence la continence doit ;

« goûter que ceux à qui Dieu en a fait la étouffer ce qui pourraitsouiller la pensée, lors
« grâce n. Elle-même, cette chasteté conju- même que les lèvres du corps resteraient
gale, comment se conserve-t-elle? Ce ne peut muettes.
être qu'en se refusant toute action illicite; CHAPITRE II.

voilà pourquoi l'Apôtre y voit également un


LA CONTINENCE DU CŒUR.
don de Dieu. Parlant donc à la fois de ces
deux chastetés, virginale et conjugale, il s'é- 3. « Placez, Seigneur une garde à ma ,

crie « Je voudrais que tous les hommes fus-


: abouche et la continence sur mes lèvres ».
« sent comme moi mais chacun a reçu de : Pour nous montrer plus clairement encore
« Dieu un don qui lui est propre, celui-ci d'une que c'est à la bouche du cœur qu'il appli-
a manière et celui-là d'une autre ^ ». quait ces paroles, le psalmiste ajoute aussi-
2. C'est donc de Dieu seul que nous devons tôt : « Ne laissez mon cœur s'incliner aucune
à
attendre la continence. Mais ne croyez pas « parole mauvaise * ». Cette inclinationdu
que je parle uniquement ici de la continence cœur est-elle autre chose que le consentement
de la chair ne chantons-nous pas dans un
; lui-même? En effet, supposez les suggestions
psaume « Placez, Seigneur, une garde à ma
: aussi séduisantes que possible, jusqu'à ce que
« bouche et la continence sur mes lèvres ». le cœur ait émis son consentement, aucune

Sag, VIII, 21. — ' Matt. xis, U. — ' l Cor. vu, 7. ' Ps. CXL, 3, 4.
DE LA CONTINENCE. 89

parole n'a été prononcée. Au contraire, s'il a « descend dans l'estomac, puis est rejeté de-
consenti, une parole intérieure a été formu- « hors ? » Il est évident que c'est par la
lée,quoique les lèvres soient restées silen- bouche qu'entre la nourriture: mais il ne l'est
cieuses. Avant que la main ou telle partie du pas moins que les paroles suivantes désignent
corps ait agi, l'acte est déjà accompli par le la bouche du cœur et c'est pour vaincre sur
;

fait que la résolution a été prise de l'ac-


seul ce point la lenteur de notre esprit que la sou-
complir. Kien n'est encore venu frapper les veraine Vérité a daigné ajouter « C'est du :

sens extérieurs, et cependant la violation des « cœur que sort ce que la bouche exprime »;

lois divines est consommée; le cœur seul s'est en d'autres termes Ce que l'on vous dit de
:

prononcé, le corps n'y a pris aucune part. la bouche, c'est du cœur que vous devez l'en-
Jamais l'homme n'agitera l'un de ses mem- tendre. Pour moi, j'envisage ces deux choses
bres pour agir extérieurement, si déjà le prin- à la fois, mais l'une me sert à expliquer l'autre.
cipe de l'acte n'a été posé par la parole inté- L'homme intérieur a une bouche intérieure
donc avec raison qu'il est écrit
rieure. C'est et pour la discerner il faut l'oreille intérieure.
quelque part que le commencement de toute Ce qui sort de cette bouche, sort du cœur et
action c'est la parole. Combien d'actions faites c'est là ce qui souille l'hoinme. Enfln, mettant
par les hommes, pendant que leurs lèvres de côté ce nom de bouche, qui peut aussi s'en-
sont muettes, leur langue immobile et leur tendre de la bouche du corps, Sauveur ma-
le
voix silencieuse 1 Et quand leur corps agit, nifeste encore plus clairement sa pensée en
n'en doutez pas, c'est que leur cœur a parlé. ces termes : « C'est du cœur que sortent les
Concluons dès lors que Ton peut être très- « pensées mauvaises, les homicides, les adul-
coupable dans ses paroles intérieures et très- « tères, les fornications, les vols, les faux té-
innocent dans ses œuvres au dehors. Au con- « moignages, les blasphèmes, et c'est là tout
traire, avant de devenir extérieur, le péché « autant de souillures pour l'homme '».
était déjà consommé intérieurement. Voulez- Il n'est aucun de ces crimes qui ne soit formé

vous donc jouir de cette double innocence? par la pensée avant d'arriver à sa perpétration
Placez la continence sur les lèvres intérieures. extérieure par les membres du corps; et la pen-
4. Cette vérité se trouve clairement formulée pour souiller l'homme, quand
sée seule suffit
dans ces paroles du Sauveur « Purifiez l'in- : même, en vertu d'un obstacle, les membres y
« térieur et au dehors tout sera pur » Dans *
. que le pou-
resteraient étrangers. Si c'est parce
une autre circonstance, réfutant les ineptes voir lui manque que
main ne se plonge pas
la
calomnies des Juifs qui reprochaient comme dans le sang humain, le cœur en sera-t-il moins
un crime à ses disciples de ne pas laver leurs coupable d'homicide? Et parce que Tonne peut,
mains avant le repas, « Ce qui souille l'homme, comme on le voudrait, s'emparer du bien
« répond le Sauveur, ce n'est pas ce qui entre d'autrui, le vol en est-il moins dans la vo-
«dans la bouche, mais ce qui en sort». Soute- lonté ? Et si la femme que l'impudique con-
nir que dans ce passage il ne s'agit que de la voite, s'obstine à rester chaste, l'a-t-il moins
bouche du corps, seraitune absurdité. En effet souillée dans son propre cœur ? Si aucune
si la manducation ne souille pas, le vomisse- prostituée ne se trouve dans le lieu de dé-
ment souillera-t-il davantage? «Ce qui souille bauche, celui qui la cherche en a-t-il moins
« l'homme, ce n'est pas ce qui entre dans la commis la fornication intérieure ? Si voulant
« bouche » évidemment ces premières pa-
; mensonge, le temps
blesser le prochain par le
roles s'appliquent à la bouche proprement ou l'occasion vous manque le faux témoi- ,

dite. Mais n'est-il pas aussi évident que c'est gnage en est-il moins prononcé sur les lèvres
de la bouche du cœur que Jésus-Christ entend de votre cœur ? Ou bien, si c'est par crainte
parler quand il ajoute « Ce qui souille
: des hommes que langue n'ose articuler le
la
« l'homme c'est ce qui sort de sa bouche ? » blasphème, regarderez-vous comme innocent
Tout d'abord l'apôtre saint Pierre n'avaitvuen de ce crime celui qui a dit dans son cœur :

cela qu'une parabole il en demande donc


; « Dieu n'existe pas ^ ? » On peut en dire au-

l'explication, et voici la réponse. « Vous aussi tant de tous les autres péchés des hommes. Le
« ne comprendriez-vous pas ? Vous ne com- corps peut ne faire aucun mouvement, les sens
« prenez pas que ce qui entre par la bouche, peuvent tout ignorer, mais les crimes, quoique
* Matt. xxiii, 26. '
Matt. XV, U-20. — » Ps. xui, 1.
90 DE LA CONTINENCE.

cachés, n'en sont pas moins réels ce qui ; souille l'homme. Au contraire, si la continence
souille, c'est le consentement de la volonté, enchaîne le consentement, la concupiscence

c'est-à-dire la parole criminelle de la bouche spirituelle n'a plus rien à craindre dans sa
intérieure. lutte contre la concupiscence charnelle.
David donc craint que son cœur ne s'incline
au mal, et il demande à Dieu de placer la
CHAPITRE m.
continence autour de son cœur, d'y étouffer LUTTE DE LA CONTINENCE CONTRE LA CHAIR.
toute parole coupable, et si la pensée y bouil-
lonne, d'en exclure toujours le consentement 6. Autre chose est de bien combattre,
de la volonté. De
manière , selon le pré-
celte quand comme maintenant, nous avons à ré-
,

cepte de l'Apôtre, le péché ne régnera jamais sister aux attaques de la mort autre chose de ;

dans notre corps mortel, et nos membres ne ne plus avoir d'adversaire , ce qui n'arrivera
deviendront jamais des armes pour l'iniqui- que quand la mort dernière, notre grande
té '. Qu'ils sont donc loin d'accomplir ce ennemie, aura été détruite '. Quand donc la
précepte ceux qui n'enchaînent leurs sens continence enchaîne et dompte les passions,
en face du péché, que parce qu'ils se trouvent en même temps elle aspire à l'heureuse im-
dans l'impossibilité d'agir Donnez-leur ce ! mortalité vers laquelle tendent nos efforts, et
pouvoir et aussitôt leurs membres, devenus elle repousse le mal contre lequel nous avons
(les armes criminelles, manifesteront abon- à combattre pendant notre mortalité. Consu-
damment les sentiments qui régnent dans mée de désirs et d'affections pour l'immorta-

leur cœur. Autant donc qu'ils le peuvent, ils lité, la continence est l'ennemie déclarée de
font de leurs membres des armes d'iniquité ;
tout ce qui est mortel ; aspirant à la gloire,
et s'ils n'accomplissent pas ce qu'ils veulent, honte en horreur.
elle a la Il lui serait facile

c'est qu'ils ne le peuvent. d'enchaîner nos passions si le mal n'avait


5. Quant à celte continence charnelle, qui pour nous aucun attrait, si notre bonne vo-
conserve le nom de continence proprement lonté n'avait pas à lutter contre les efforts de
dite, elle n'est souillée d'aucune transgression la concupiscence mauvaise. En effet, j'entends
si le cœur conserve intacte la continence dont l'Apôtre s'écrier : « Je sais que le bien n'habite
nous parlons. « C'est du cœur que sortent les « pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair. Je

« pensées mauvaises » nous dit le Seigneur , ;


« puis vouloir le bien mais à l'accomplir je ,

et aussitôt,voulant caractériser ces pensées, « me trouve impuissant » Dès lors dans l'état . ,

il ajoute «Les homicides, les adultères» etc.


: ,
où nous sommes, le seul bien qui nous soit
Sans énumérer tous les crimes qui sortent du possible, avec la grâce du Ciel, c'est de ne pas

cœur, il lui suffisait d'en citer pour exemple consentir à la concupiscence mauvaise ce ;

quelques-uns à l'aide desquels on pût com- n'est que quand cette dernière aura été dé-

prendre les autres. Il suit de là qu'il n'y a de truite, que le bien sera parfait. Le même

faute extérieure qu'autant que la pensée a Apôtre s'écrie de nouveau « Selon l'homme :

« intérieur, je fais mes délices delà loi de Dieu


conçu et voulu ce qui se fait au dehors. D'un ;

« mais dans mes membres je vois une autre


autre côté, ce qui procède du cœur suffit déjà ,

pour souiller l'homme lors môme que tout , «loi qui lutte contre la loi de mon esprit ^ ».

acte extérieur deviendrait impossible. Donc 7. Cette lutte n'est connue que de ceux qui
que dans le cœur, d'où émane tout ce qui peut se font les cliami)ions de la vertu et les enne-
souiller l'homme, règne la continence, et rien mis du vice, car le mal de la convoitise n'a

d'impur n'en sortira, et la continence restera d'ennemi que le bien de la continence. Il est

sans tache. Sans doute un tel état ne serait pas même des hommes
entièrement étran- qui,

encore la perfection , car s'il y avait perfec- gers à la loi de Dieu, ne regardent pas comme
tion , toute lutte aurait cessé entre le vice et ennemies les concupiscences mauvaises, s'en
la continence. Mais puisqu'ici-bas la chair font les esclaves aveugles et mettent leur bon-

convoite contre l'esprit et l'esprit contre la heur à les satisfaire plutôt qu'à les dompter.

chair % il nous suffit de ne point consentir au D'autres ont connu la concupiscence par la
En effet, dit l'Apôtre, c'est par la loi que
mal qui s'agite en nous. Le consentement loi. «

est-il donné? aussitôt du cœur émane ce qui « nous connaissons le péché ^ » ; ailleurs il

»
Rom. VI, 12-13. — ' Gai. v, 17,

I Cor. XV, 55, 26. — ' Rom. vm, 18, 22-23. — = id. m, 20,
DE LA CONTINENCE. 91

ajoute : « J'aurais ignoré la concupiscence, si a fet, ne régnera plus sur vous, car vous n'ê-
«la loi n'avait dit : Tu ne convoiteras point ». ' « tes loi, mais sous la grâce
plus sous la ». '

Et néanmoins, tout en connaissant la concu- Et ailleurs « Donc, mes frères, nous ne


:

piscence, eux se laissent vaincre par elle, parce « sommes plus les débiteurs du corps jusqu'à
qu'ils vivent sous une loi qui, en ordonnant le « vivre selon la chair. Si vous vivez selon la
bien, ne donne pas la force de l'accomplir. Que « chair, vous mourrez; mais si par l'esprit vous
ne règne de la grâce
vivent-ils plutôt sous le « mortifiez les vous vivrez.
œuvres de la chair,

qui, par l'Esprit, donne la force de faire ce « Car ceux-là sont les enfants de Dieu qui se
que la loi ordonne! Mais non; et voilà pourquoi « laissent conduire par son Esprit - » Dès lors, .

la loi les éclaire pour faire régner en eux pourvu que notre vie mortelle reste sous l'in-
le péché ^ La défense n'a fait qu'accroître la fluence de la grâce, le péché, c'est-à-dire la
convoitise et l'a rendue invincible. Alors, en concupiscence du péché, car c'est d'elle qu'il
effet, est survenue la prévarication, laquelle s'agit ici, ne régnera pas dans notre corps.
n'existait pas sans la loi, quoiqu'il y eût pé- Au contraire, obéir à ses désirs, c'est mon-
ché. « Car, dit l'Apotre, là où il n'y a pas de trer que nous sommes soumis à son empire.
« loi, il n'y a pas de prévarication ^ ». C'est Il est donc en nous une concupiscence coupa-

ainsi que, privée du secours de la grâce, la ble dont nous devons briser la domination ;

loi, en défendant le péché, n'a fait que lui et, à moins de vouloir qu'elle règne sur nous,

imprimer une plus grande énergie « La : il nous faut résister à ses désirs. Loin de
« force du péché c'est la loi », dit toujours le laisser nos membres au service de la concu-
même Apôtre \ 11 n'est pas étonnant, du piscence, soumettons-les à la continence ;

reste, qu'une loi, bonne en elle-même, prête qu'ils deviennent des armes de justice pour
à l'infirmité humaine des forces pour le mal, Dieu, et non point des armes d'iniquité. A
puisque, pour accomplir cette loi, l'homme péché ne fera pas de nous
cette condition, le
ne peut com[)tcr que sur ses propres forces. des esclaves. Puisque la loi commande le
N'ayant aucune idée de la justice de Dieu, bien et ne le donne pas, secouons son joug et
départie si largement à celui qui est faible ; soumettons-nous à la grâce. Alors, du moins,
voulant, d'un autre côté, fonder sur lui-même nous aimerons ce que la loi ordonne, et si
sa propre justification, il se révolte orgueil- nous servons nous servirons librement.
leusement contre la justice divine ".Je suppose, 9. Le même Apôtre nous presse de renoncer
au contraire, que la loi, après avoir rendu à la vie de la chair, pour éviter la mort, et de
l'homme prévaricateur, lui ouvre les yeux mortifier ses œuvres, si nous voulons avoir la
sur la gravité de ses blessures, lui fait sentir vie.Le cri de guerre qu'il fait entendre alors
le besoin d'une guérison, et le met sur le nous dévoile la lutte dans laquelle nous
chemin de la grâce aussitôt, à cette suavité ; sommes engagés; en même temps il nous en-
funeste qui assurait la victoire à la concupis- flamme de courage pour combattre vivement
cence, le Seigneur oppose une suavité bienfai- et pour frapper de mort nos ennemis, si nous
sante qui rehausse encore les charmes de la ne voulons périr sous leurs coups. Il n'est
continence. Notre terre alors donnera en pas jusqu'à nos ennemis eux-mêmes qui ne
abondance les fruits*^ dont se nourrit le soldat nous soient clairement désignés, ce sont les
qui, Dieu aidant, soutient courageusement la œuvres de la chair; frappons-les donc du
lutte contre le péché. glaive de la mortification. « Si, nous dit-il,
8. Pour ces combattants, la trompette apos- « vous mortifiez les œuvres de la chair, vous

tolique fait retentir ce cri de guerre : « Que « vivrez ». Enfin il énumère ces œuvres dans
« le péché ne règne plus dans votre corps son épître aux Calâtes : « Les œuvres de la
« mortel jusqu'à obéir à ses désirs, et gardez- « chair, dit-il, sont évidentes : la fornication,
« vous de faire de vos membres des armes « l'impureté, la luxure, l'idolâtrie, le sorti-
« d'iniquité. Bien plutôt apparaissez aux « lége, la haine, les divisions, la jalousie, les
« yeux de Dieu comme des hommes ressusci- « animosités, les dissensions, l'hérésie, l'en-
« tés d'entre les morts, et faites de vos meni- « vie, l'ivresse, la gourmandise et autres
« bres des armes de justice. Le péché, en ef- « choses semblables. Or je vous déclare de

— nouveau que ceux qui s'y abandonnent ne


'
Rom. VIII, 7. = Id. V, 20. - '
Id. IV, 15. — » I Cor. XV, 56.
(.(

'
Rom. s, 3. — ' Ps. Lxxiiv, 13. ' Rom. VI, 12-11. — ' Id. VIII, 12-14.
92 DE LA CONTINENCE.

a le royaume de Dieu ». Telle


posséderont pas ayons toujours l'œil attentif aux embûches
est donc la guerre qu'il nous annonçait; et que nous dressent suggestions diaboliques, les

pour nous lancer ardemment à la mort de et gardons-nous de trop présumer de nos

ces ennemis, il faisait retentir la trompette propres forces. « Maudit soit, en effet, celui
du Christ. En effet, précédemment il avait dit: « qui place dans l'homme son espérance * ».

« Je vous le déclare, laissez l'Esprit éclairer Etcetimprudent, quelest-iUsicen'estl'homme


«votre marche et ne suivez pas les désirs de lui-même? Comment donc échappera à cette
otla chair. Car la chair convoite contre l'es- malédiction celui qui met sa confiance en lui-

« prit et l'esprit contre la chair». C'est là l'en- même? C'est là vivre selon l'homme, et vivre

nemi qui est en présence et qui veut enchaî- ainsi n'est-ce pas vivre selon la chair? Si donc
ner notre volonté. « Et si l'esprit est votre il est tenté de céder à cette suggestion , pour
« guide, vous n'êtes plus sous le joug de la peu qu'il lui reste encore de sens chrétien,
«loi». Ce combat contre la chair n'est donc pourra-t-il, sans frémir, entendre ces paroles :

que pour ceux qui vivent sous l'empire de la « Si vous vivez selon la chair, vous mour-
grâce. Or, pour nous dévoiler ces œuvres de « rez ? »

la chair, il ajoute les paroles que j'ai citées H. Mais, me dira-t-on, autre chose est de
plus haut : « Les œuvres de la chair sont ma- vivre selon l'homme, autre chose de vivre
« nifestes : la fornication » et tous les autres
, selon la chair. En effet, l'homme étant une
crimes qu'il énumère et ceux qu'il nous laisse créature raisonnable, possède une intelligence
supposer et qu'il désigne implicitement par qui le distingue de la brute; la chair au con-
ces mots « Et autres choses semblables ».
:
traire n'est de l'homme que la partie infime et
A cette armée charnelle, l'Apôtre oppose terrestre; suivre ses inspirations, c'est donc
ensuite une armée spirituelle « Les fruits de : toujours un vice. Dès lors, vivre selon l'homme
«l'Esprit, dit-il, sont la charité, la joie, la ce n'est pas vivre selon la chair, mais bien
longanimité, la bonté,
« paix, la la confiance, selon cette partie de lui-même qui le rend
«la mansuétude, la continence, et contre de homme, c'est-à-dire selon l'esprit qui le dis-

«tels biens il n'y a point de loi ». Il ne tingue des animaux.


dit pas : contre ces biens, car on aurait pu Je réponds qu'une telle discussion, si elle

supposer que ce sont les seuls, quoique peut avoir quelqu'importance dans les écoles

cependant on ait dû en appliquer les carac- philosophiques, n'en a aucune parmi nous; et,

tères à tous les biens de même espèce; son pour comprendre l'Apôtre, nous devons nous
expression est donc plus générale et désigne familiariser avec le langage des livres chré-
tous les biens semblables. Toutefois il termine tiens.

cette énumération par la continence, désirant C'est pour nous une vérité de foi que le

par là que cette vertu produise sur nos esprits Verbe, en descendant parmi nous, a revêtu
l'impression la plus vive et la plus durable. notre humanité, et notre humanité avec l'âme
Et en effet, dans cette lutte de l'esprit contre raisonnable, quoi qu'en disentxertains héré-
la chair, la continence n'occupe-t-elle pas le tiques. Cependant nous lisons : « Le Verbe
premier rang? N'est-ce pas elle qui cruciQe «s'est fait chair ^ ». Que peut signifier cette

en quelque sorte la concupiscence de la chair? chair, sinon l'homme lui-même? «Toute chair
De là ce qui suit « Ceux qui appartiennent à
: « verra le salut de Dieu'; toute chair s'élè-
« Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec leurs « vera vers nous * » Dans ces deux passages ne .

« passions et leurs concupiscences * ». C'est devons nous pas lire tout homme ? « Vous :

là l'œuvre de la continence et la mort des « lui avez donné la puissance sur toute chair ^»;

œuvres de la chair. Au contraire, ceuxquidé- c'esl-à-dire sur tout homme. « Toute chair ne

sertent la continence, pour suivre les attraits « sera pas justifiée par les œuvres de la loi '»,

de la concupiscence, sont frapjjés mortellement ne devez- vous pas lire: aucun homme? Mais
par les œuvres mêmes qu'ils accomplissent. quelque chose de plus frappant encore :

«L'homme, dit le même Apôtre, ne sera pas


CHAPITRE IV.
« justifié par les œuvres de la loi
''
» et il ré- ;

SE DÉFIER DE SES PROPRES FORCES. primande les Corinthiens en ces termes :

10. Voulons-nous conserver la continence,


— Jean, 14. — Luc, m, 6. —
• Jerem. xvii, 5. - i, • ' Ps. ixiv, 3,
« Gai. V, 16-24. — '
Jean, xvii, 2. — ' Rom. m, 20. — '
Gai. ii, 16.
DE LA CONTINENCE. 93

« N'êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous CHAPITRE V.


«pas selon l'homme ^? » Il les accuse d'être
NE PAS EXCUSER SON PÉCHÉ.
charnels, et cependant ne leur dit pas qu'ils il

marchent selon la chair, mais selon l'homme. 12. En face de cette parole « Le péché ne :

N'est-ce pas nous enseigner clairement que « régnera pas en vous », prenez garde de vous
vivre selon la chair et vivre selon l'homme, attribuer à vous-mêmes la gloire de détruire
c'est une seule et même chose? Si c'est une en vous le règne du péché. Comptez unique-
faute de vivre selon la chair et un mérite de ment sur Celui à qui un saint adressait cette
vivre selon l'homme, comment, pour leur prière : « Dirigez mes pas selon votre parole, et
adresser un reproche, leur dit-il «Vousmar- :
« qu'aucune iniquité ne règne en moi ». '

« chez selon l'homrne?» Craignant donc que ces expressions «Le pé- :

Que l'homme confesse enfin sa honte, qu'il « ché ne régnera plus en vous », ne soulevas-

change de résolution et évite sa perle 1


sent notre orgueil et que nous n'eussions la
homme, prête une oreille attentive ne marche :
témérité de n'attribuer ce bonheur qu'à nos
pas selon l'homme, mais selon Celui qui a fait propres forces, l'Apôtre ajoutait aussitôt:
l'homme ; ne quitte point Celui qui t'a créé, « Car vous n'êtes plus sous le règne de la loi,
ne te repose pas sur toi-même. « mais sous le règne de la grâce ^ ». Ainsi c'est

Un homme, qui cependant ne vivait pas la grâce qui détruit en nous le règne du péché.

selon l'homme, s'écriait « Avoir une seule :


Dès lors gardez-vous de compter sur vous-
« pensée, comme
venant de nous-mêmes, nous mêmes, car alors le péché ne vous dominerait
«ne le pouvons pas; tout pouvoir nous vient que plus tyranniquement. D'un autre côté,
«de Dieu ^ ». Vivait-il selon l'homme celui quand on nous dit que nous vivrons si, par
qui sincèrement tenait un semblable langage? l'esprit, nous mortifions les œuvres de la chair,

Quand donc l'Afiôlre avertit l'homme de ne pas gardons-nous encore d'attribuer ce précieux
vivre selon l'homme, il ne fait que rendre résultat à notre es|)rit, comme s'il pouvait y
l'homme à Dieu; et celui qui ne vit pas selon parvenir par ses propres forces. Cette inter-
l'homme mais selon Dieu, ne vit assurément prétation charnelle viendrait d'un esprit plu-
pas selon ses propres inspirations. Vivre selon tôt murt que capable de mortifier. Aussi l'A-
l'homme c'est donc vivre selon la chair, puis- pôtre dit aussitôt « Ceux qui se laissent con-
:

que, dans le langage sacré, la chair ne peut « duire par l'Esprit de Dieu, deviennent véri-
désigner que l'homme. « tablement ses enfants ^ ». A[)pliquer son es-
Nous lisons : « Que toute âme», c'est-à-dire prit à mortifier lesœuvres de la chair, c'est
tout homme, «soit soumise aux puissances sou- donc agir avec l'Esprit de Dieu, de qui .seul
« veraines' » ; ailleurs : « Septante-cinq âmes nous vient la continence, sans laquelle nous ne
« descendirent en Egypte avec Jacob S), c'est- pouvons ni enchaîner, ni dompter, ni vaincre
à-dire septante-cinq hommes. homme, ne la concupiscence.
visdonc pas selon loi-même c'est là ce qui a 1 Ce grand combat, telle est donc la con-
43.
causé ta perte, mais tu as été racheté. Ne vis dition de l'homme soumis à l'empire de la
pas selon toi-même, car tu t'étais perdu, mais grâce. Aidé par elle, s'il lutte avec généro-
tu as été retrouvé. N'accuse pas la nature de sité, la joie du Seigneur l'inonde, mais une

la chair, quand tu entends dire : « Si vous vi- joie mêlée de crainte. En effet, les soldats les
« vez selon la chair, vous mourrez ». Ah 1 elle plus courageux, ceux-là mêmes qui restent
n'est que tro[) vraie cette parole : « Si vous vi- vauiqucurs dans celte lutte contre les œuvres
«vez selon la chair, vous mourrez! » Le démon de la chair, ne laissent pas de ressentir parfois
n'a point de corps et cependant, parce qu'il n'a les atteintes du péché, et pour en obtenir la

voulu inspirer sa vie que de lui-même, il n'a guérison, ils répètent chaque jour dans la
pas persévéré dans la vérité. Est-il étonnant plus sincère vérité « Pardonnez-nous;

dès lors que, vivant selon lui-même, ce soit « nos otlènses * ». Contre ces vices, contre

de lui-même qu'il parle, quand il dit le men- le démon, prince et roi de tous les vices,
songe ^ ? Ce mot si vrai est sorti des lèvres de la prière est toujours l'arme la plus puis-
la Vérité même. sante et la plus efficace pour déjouer les sug-

' I Cor. III, 3. — • II Cor. lU, 5. — •


Rom. xiii, 1. — ' Geii. xlvi, • Ps. cxviu, 133. - ' Rom. vr, 14. — • Id. vm, 13, 14. — Matt.
27. — ' Jean, VIII, 44. VI, lii.
94 DE LA CONTINENCE.

gestions perfides à l'aide desquelles il porte fortuite en cela du moins ils agissent en con-
;

le pécheur à excuser plutôt qu'à accuser ses naissance de cause et affirment sans aucune
fautes. Ces excuses, loin de guérir les péchés, hésitation. Quelle folie, dites-moi, d'attribuer
ne tendent qu'à les rendre graves et mortels, à la raison leurs excuses, et leurs actions au
lors même qu'ils ne le seraient pas d'abord. hasard D'autres constituent le démon seul
!

C'est donc ici surtout que se fait sentir le be- responsable de leurs œuvres mauvaises; mais
soin de la continence pour étouffer cet orgueil toujours ils soutiennent obstinément qu'ils
qui inspire à l'homme de se complaire en lui- n'ont avec lui aucune relation, eux qui l'ac-
même, de repousser toute idée de culpabilité cusent de les pousser au mal par de secrètes
propre, et de s'opposer, quand il pèche, à suggestions, et qui ne peuvent douter du con-
toute conviction de son péché. Repoussant sentement qu'ils accordent à ces suggestions,
cette humilité salutaire qui lui ferait accepter de quelque part qu'elles viennent. D'autres ne
sa propre accusation , c'est l'excuse qu'il craignent pas de rejeter sur Dieu la responsa-
cherche, victime en cela par lui-même d'une bilité de leurs fautes : s'ils sont malheureux,
fatale complaisance. Contre cet orgueil de- c'est Dieu qui l'a ainsi voulu ; mais n'est-ce
mandait à Dieu la continence, celui dont j'ai pas à leur propre fureur qu'ils doivent attribuer
cité et expliqué plus haut les paroles dans la leurs Pour rester conséquents
blasphèmes ?

mesure de mes forces. « Placez, Seigneur, avec eux-mêmes, font du mal une sub-
ils

avait-il dit, une garde à ma bouche et la stance en révolte contre Dieu. De son côté,
« continence sur mes lèvres ; ne laissez point Dieu ne pouvait étouffer cette révolte qu'en
« mon cœur s'incliner à des paroles mau- détachant une partie de sa substance et de sa
avaises ». Voulant ensuite rendre sa pensée nature, pour la mêler à cette substance mau-
plus claire et plus frappante, il ajoutait : vaise et l'exposer ainsi à la souillure et à la
« Pour excuser mes excuses danspéché ». le * corruption. Dès lors, s'ils pèchent, c'est que
En effet, quoi de plus pernicieux pour un pé- lanature du mal l'emporte sur la nature de
cheur que de nier son péché, même quand il Dieu. Telle est l'impure folie des Manichéens.
a contre lui une œuvre coupable dont il ne Mais la vérité déjoue facilement ces machina-
peut contester Tévidence ? Ne pouvant cacher tions diaboliques; il lui suffit pour cela d'af-
son action, contraint d'avouer qu'elle n'est firmer que la nature de Dieu est inviolable et
pas bonne, il cherche à rejeter sur autrui ce incorruptible. Toutefois quelle souillure et

qui est son œuvre propre, comme s'il pouvait quelle corruption profonde n'avons-nous pas
par là se soustraire à ce qu'il a mérite. En le droit d'attribuer à des hommes pour qui
niant sa culpabilité, en augmente la malice;
il Dieu lui-même, c'est-à-dire le bien suprême
et en excusant ses fautes au lieu de les accu- et incomparable, n'est plus qu'une substance

ser, il oublie que ce n'est i)as le châtiment imparfaite et corruptible ?

qu'il éloigne, mais le pardon. En face déjuges


humains qui peuvent se tromper, il peut être CHAPITRE VI.

quelquefois utile, du moins pour un temps, DIEU TIRE LE BIEN DU MAL.


de dissimuler la faute que l'on a commise;
mais devant Dieu, que l'on ne peut induire 15. Il est aussi des hommes qui, pour ex-
en erreur, ce n'est point à une fausse justifi- cuser leurs fautes, soutiennent que Dieu n'a
cation qu'il faut avoir recours, mais à une pour le péché que des com|)laisances. Si le

confession véritable et sincère. péché déplaisait à Dieu, disent-ils, armé qu'il


14. Les uns cherchent dans la fatalité une est d'une puissance infinie, il n'en permet-

excuse à leurs fautes. A les en croire, ils au- trait pas la perpétration. Ils oublient donc que

raient été nécessités au mal comme par une Dieu ne laisse impuni aucun péché, même
influence irrésistible des astres ; ainsi le pre- pour ceux que la rémission de leurs fautes
mier coupable c'est le ciel, l'homme ne le de- doit arracher au supplice éternel. Aucun pé-

vient que pour avoir exécuté ses arrêts. D'au- cheur, en effet, ne reçoit la remise d'une
tres accusent le hasard, et se disent tourmen- peine plus grave, qu'en en subissant une
téspar des cas fortuits. Mais gardez-vous de autre, quelqu'inférieure qu'elle puisse être.
ne voir dans leurs excuses qu'une témérité Dès lors l'immensité de la miséricorde laisse
*
Ps. CXL, 3, 4. toujours place à la justice. Tel péché vous
DE LA CONTINENCE. 95

paraît-il impuni ? son châtiment n'en est que sant de l'impeccabilité un mérite pour
plus rigoureux, car s'il n'est point expié par l'homme pendant cette vie, et une juste ré-
l'amertume de la douleur, il l'est par l'aveu- compense après la mort. Telle est en effet la

glement et l'endurcissement du cœur. Pour- destinée qu'au ciel Dieu réserve à ses saints ;

quoi, demandez-vous, Dieu permet-il le pé- pour eux le péché ne sera plus possible. C'est
ché, si le péché lui déplaît ? Si le péché plaît dans cet heureux état que se trouvent main-
à Dieu, demanderai-je à mon tour, pourquoi tenant les anges le saint amour que nous
;

le punit-il ? J'avoue de mon côté que nulle avons pour eux est exempt de toute crainte de
faute ne se commettrait, si le Tout-Puissant les voir devenir des démons par le péché.
ne le permettait; avouez donc aussi que ce L'homme juste, pendant nous offre sa vie, ne
qui doit être puni justement, ne doit pas être pas sans doute la même assurance mais nous ;

commis. Et c'est en évitant ce qu'il punit, que croyons sans hésiter qu'au ciel nous serons
nous mériterons d'apprendre de Dieu lui- tous impeccables. Si le Tout-Puissant sait

même pourquoi il permet ce qu'il doit punir. changer en bien mal


que nous com-
le même
« Pour les parfaits, il faut une nourriture mettons, de quels biens ne nous comblera-t-il
« solide », écrivait saint Paul aux Hébreux K pas quand il nous aura délivrés de tous nos
Tous ceux donc qui reçoivent cette nourri- maux Le bon usage du mal pourrait être
I

ture des forts, comprennent qu'il était digne l'objet d'une dissertation aussi longue que
de la Toute-Puissance divine de laisser libre spirituelle mais elle n'entrerait pas dans le
;

la volo-nté humaine et de permettre le mal cadre que je me suis proposé ;• et avant tout
qui pouvait en résulter. Mais sa bonté est je veux éviter les longueurs.
aussi toute-puissante; à elle donc de tirer le
bien du mal, soit en pardonnant, soit en gué- CHAPITRE VII.

rissant, soit en disposant toutes choses pour LA PAIX, FRIIT DE LA CONTINENCE ET DE LA JUS-
le bien des justes, soit enfin en exerçant contre TICE. — DOUBLE NATURE DES MANICHÉENS.
le mal une vengeance légitime. Or tout cela
est bien; tout cela est vraiment digne d'un 17. Revenons donc au sujet qui nous a
Dieu bon et tout-puissant, et cependant tous amenés à cette digression. La continence est
ces biens sont tirés du mal. Où trouverons- pour nous une nécessité, si nous voulons que
nous la perfection suprême et la toute-puis- notre cœur ne s'incline point aux paroles
sance, si ce n'est en Celui qui, étranger au mauvaises et aux excuses du péché. Nous sa-
mal, sait changer en bien le mal lui-même ? vons aussi que cette vertu ne peut nous venir
Les pécheurs élèvent vers lui ce cri de la que de Dieu. Enfin, quel péché pouvons-nous
prière Pardonnez-nous nos offenses ^ », et
: « éviter sans la continence, puisque, après l'a-
il les exauce, il leur pardonne. Le mal a laissé voir commis, il nous faut encore la continence

dans les pécheurs de profondes blessures; il pour étouffer ce funesteorgueilqui nous pousse
les cicatrise et les guérit. Tels ennemis pour- à nous justifier nous-mêmes? C'est donc à
suivent les justes de leur fureur, et Dieu fait, tous ces points de vue que la continence nous
de leurs victimes, de glorieux martyrs. Ceux est nécessaire pour résister au mal. Quant au
enfin qu'il juge dignes de la réprobation, il les bien, il me paraît être l'œuvre d'une autre
condamne; et en faisant ainsi retomber sur vertu, la justice. C'est ce que nous révèle ce
les méchants leur propre malice. Dieu n'ac- passage d'un psaume mal et fais le
: « Evite le
complit que le bien. En efTet, ce qui est juste «bien». Pour quel motif? Ecoutons ce qui
peut-il ne pas être bien ? et si le péché est suit « Cherche la paix et suis-la
: » Or, nous ^
.

injuste, le châtiment qui le frappe peut-il ne aurons la paix parfaite quand nous serons in-
pas être juste ? séparablement unis à Dieu, et qu'en nous-
16, assurément
Dieu , aurait pu créer , mêmes nous ne surprendrons plus aucune
l'homme impeccable mais il trouva mieux ;
résistance. C'est aussi ce que le Sauveur paraît
de lui laisser le pouvoir de pécher s'il le vou- vouloir nous faire comprendre par ces pa-
lait, et de ne pas pécher s'il ne le voulait pas. roles « Que vos reins soient ceints et vos
:

Pour lui-même. Dieu s'est réservé de proscrire « lampes allumées ». Qu'est-ce que ceindre ses

le péché et de commander l'innocence, fai- reins? C'est enchaîner ses passions, et c'est là
• Héb. V, M. — '
Matt. vi, 12. ' Ps. xxxm, 15.
96 DE LA CONTINENCE.

l'œuvre de continence. Avoir sa lampe al-


la sait pas. Cette faute. Dieu l'a effacée pour les

lumée, répandre autour de soi la chaleur


c'est fidèles, par sa grâce, dans le bain de la régé-
et l'éclat des bonnes œuvres, et c'est là le fruit nération; mais il n'a pas guéri la langueur;

de la justice. Le but lui-même nous en est aussi le combat dure-t-il toujours entre elle
révélé dans ce qui suit « Soyez semblables à : et la nature. Dans ce combat la guérison sera

a des hommes qui attendent leur maître à sa la victoire parfaite; guérison non plus tempo-

« sortie des noces ». En effet, quand le Sei-


' raire, mais éternelle; non plus partielle, mais

gneur sera de retour, il nous donnera la juste absolue.


récompense que nous aurons méritée, en ré- C'eA dans celte espérance que le juste s'a-
sistant aux séductions de la cupidité et en dressant à son âme lui dit eu toute sincérité :

obéissant aux impulsions de la charité. Alors « mon âme, bénis le Seigneur et n'oublie
nous régnerons dans une paix éternelle et par- « point ses bienfaits, car il se montre pro-
faite, étrangers à toute atteinte du mal et « pice à tes iniquités, il guérit toutes tes lan-
inondés d'un bonheur infini. « gueurs S). Il se montre [)ropice à nos iniqui-
nous mettons notre confiance uni-
18. Ainsi, tés, en pardonnant nos péchés il guérit nos ;

quement dans le Dieu vivant et véritable. Il langueurs, en réprimant nos désirs cou-
est le bien suprême et immuable, il ne peut pables. 11 est propice à nos iniquités, en nous
être l'auteur ni souffrir d'aucun mal. C'est de faisant indulgence; en nous accordant la

luique découle tout bien créé; ce bien, hélas! continence, il guérit nos langueurs. L'une de
peut changer, mais celui qui constitue la na- ces faveurs s'accorde dans la profession du
ture divine est immuable. Maintenant, enten- bajjtême, l'autre dans l'ardeur du combat ;

dons l'Apôtre nous dire « Marchez selon les : c'est alors qu'appuyés sur le puissant secours

« lumières de l'esprit et n'écoutez point la de Dieu, nous triomphons de nos infirmités.


« concupiscence de la chair ; car la chair con- L'une se réalise quand Dieu daigne exaucer
« voite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, cette prière «Pardonnez-nous nos offenses»
:
;

« ils sont opposés l'un à l'autre, de sorte que l'autre, quand il écoute ce cri de notre cœur;

«vous ne faites pas ce que vous voulez ^ ». « Ne nous laissez point succomber à la tenta-

Or, en lisant ces paroles, loin de nous la pen- « tion ^ ». En effet, dit l'apôtre saint Jacques,

sée de conclure follement avec les Manichéens « chacun de nous est tenté par sa pro|)re con-
qu'il s'agit ici de deux natures distinctes, op- « cupiscence, attiré et entraîné' ». Contre ce
posées l'une à l'autre par des principes con- vice nous demandons le secours et le remède
traires, l'une bonne et l'autre mauvaise. J'af- à Celui qui peut seul guérir toutes ces lan-
firme au contraire que chacune d'elles est gueurs, non pas en nous dépouillant d'une
bonne l'esprit est bon, la chair aussi. De son
;
nature étrangère, mais en réparant la nôtre
côté, l'homme formé deces deux natures peut-il propre. Aussi l'Apôlre ne se contente pas de
ne pas être bon, quand surtout l'une des deux dire : «Chacun est tenté par la concupiscence»,
doit rester maîtresse et l'autre obéir? Le bien il ajoute : « par sa propre concupiscence ».

qu'il possède est, il est vrai, susceptible de Or, en lisant ces paroles, comment ne pas s'é-
changement; mais dès lors qu'il existe, il ne crier : « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi,
peut venir que du bien immuable, duquel « guérissez mon âme parce que j'ai péché
découle tout bien créé , à quelque degré « contre vous *•
?» Cette âme, en effet, n'aurait
qu'on le sup|)Ose. Est-il petit? il a dû alors pas eu besoin de guérison si elle ne se fût pas
découler d'un plus grand; et si grand ([u'il elleniême souillée par le |)éclié. Et elle s'est
puisse être, il ne pourra encore supporter la souillée en se laissant dominer par le péché,
comparaison avec l'infinie grandeur de Celui c'est-à-dire en accédant à la convoitise soule-

qui l'a créé. Mais, au sein de cette nature de vée contre elle par l'infirmité de la chair.
l'homme, nature bonne et qui est sortie
CHAPITRE VIII.
telle des mains du Ciéateur, la lutte s'est éle-

vée, car nous sommes encore dans le lieu du COMBIEN DE TEMPS LA CHAIR CONVOITE-T-ELLE
combat. Guérissez les langueurs et vous aurez COMRE l'esprit ?
la paix. Cette langueur, c'est le fruit de la
faute par elle-même la nature ne la connais-
;
19. La chair, en effet, ne peut rien convoiter
' Luc, XII, 35, 3o. — ' Gai. v, IG, 17. ' Ps. eu, 2, 3. — ' Malt, vi, 12, 13. — ' Jae. i, 14. — • Ps. XL, 5.
DE LA CONTINENCE. 97

que par l'intermédiaire de l'âme. Dès lor?, en assurément ; mais dans cette partie de lui-
disant que la chair convoite contre l'esprit, même éprouvait toute l'impétuosité des dé-
il

nous entendons que l'âme, pactisant avec la sirs. Ces désirs, il les repoussait, sans doute ,

concupiscence charnelle, se met en révolte mais ils ne l'agitaient pas moins. En refusant
contre l'esprit. Là se trouve notre être tout d'y consentir, il obéissait à la loi de Dieu, et
entier; et si la chair, cette partie infime de enchaînait ses membres pour ne pas en faire
nous-mêmes, meurt quand notre âme s'en des armes d'iniquité.
sépare, ce n'est pas pour la fuir à jamais que 20. 11 est donc en nous des désirs mauvais ;

nous la déposons. Nous la reprendrons un n'y consentons pas et notre vie restera pure.
jour, et cette fois pour ne plus la quitter. Nous portons en nous la concupiscence du pé-
« Nous semons un corps animal, et la résur- ché; en y résistant nous résistons au mal ;

« reclion nous rendra un corps spirituel * ». mais nous n'aurons atteint la perfection du
Alors la chair ne convoitera plus contre bien, que quand cette concupiscence sera dé-
l'esprit, car elle sera elle-même spiritualisée, truite en nous. Ces deux points nous sont clai-
non-seulement parce qu'elle subira sans répu- rement enseignés, l'un dans ces paroles de
gnance l'action de l'esprit, mais encore parce l'Apôtre « Je puis vouloir le bien, mais non
:

qu'étrangère à toute alimentation corporelle, « pas l'accomplir » l'autre dans celles-ci


'
; :

elle sera éternellement vivifiée. Donc, pendant « Que vous dirige, et ne suivez pas la
l'esprit

que dure en nous cette lutte des deux sub- « concupiscence de la chair ». Il ne soutient

stances dont nous sommes composés, deman- pas qu'il lui soit impossible de faire le bien ,
dons et travaillons à faire régner la paix entre mais seulement d'arriver à l'accomplir dans
elles. Le véritable ennemi, ce n'est ni l'une ni sa perfection il ne nous dit pas N'ayez au-
; :

l'autre de ces deux substances, mais le vice cune concupiscence de la chair; mais seule-
qui porte la chair à convoiter contre l'esprit. ment « Ne la suivez point ». Il y a en nous
:

Guérissons ce vice, tout ennemi aura disparu, concupiscence mauvaise, quand ce qui est dé-
les deux substances seront saines et la lutte fendu nous plaît; y résister, c'est enchaîner
sera finie. les passions pour conserver son esprit soumis
Ecoutons l'Apôtre : «Jevois, dit-il, quelebien à la loi de Dieu. Faire le bien, c'est donc
« n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma vaincre la délectation mauvaise par la délec-
« chair ». C'est nous dire que la chair, lùt-elle tation bonne mais la perfection, vous ne la
;

bonne, cesse de l'être, quand le vice de la chair trouvez pas, tant que la chair, soumise encore
vient à s'y glisser. Que ce vice disparaisse, la à la loi du péché, subira l'atteinte des passions
chair restera, mais elle ne sera plus ni viciée et en sera émue, quoiqu'alors même elle soit
ni vicieuse. Toutefois, voulant nous montrer enchaînée par la continence. Si elle n'était pas
que cet état est une des conditions de notre émue, où serait le besoin de la continence ?
nature actuelle, l'Apôtre ne craint pas de dire : Le bien ne sera donc parfait que quand le mal
« Je sais que le bien n'habite pas en moi » et, ; sera détruit l'un sera à son comble quand
;

pour expliquer sa pensée, il ajoute «C'est-à- : l'autre aura cessé.


« dire dans ma chair ». La chair en elle-même Espérer cet heureux état dans notre condi-
n'est donc pas notre ennemie, et quand on ré- tion présente, c'est une illusion. Poury arriver,
siste à ses vices, on l'aime puisqu'on la guérit. il faut que la mort soit détruite elle ne lésera ;

« Personne en effet n'a jamais haï sa chair^». que quand aura commencé la vie éternelle.
Plus loin le môme Apôtre ajoute « Donc par : Alors en effet nous trouverons le souverain
« mon esprit je me soumets à la loi de Dieu, et bien ; le mal aura cessé ; nous éprouverons
« par ma chair, à la loi du péché » Que ceux . pour la sagesse un amour souverain, et le
qui ont des oreilles entendent : « Moi-même», travail de la continence sera nul. La chair
dit-il, qui suis tout à la fois esprit et chair ;
n'estdonc pas mauvaise, quand elleestexempte
mais par mon
soumets à la loi de
esprit je me du mal, c'est-à-dire du vice qui s'est emparé
Dieu, tandis que ma chair est soumise à la loi de l'homme, non pas en vertu de sa formation,
du péché. Comment donc par sa chair est-il mais par l'effet de son propre crime. Car
soumis à la loi du péché ? Serait-ce qu'il con- l'homme a été créé bon dans son âme et dans
sentirait à la concupiscence charnelle ? Non, son corps par un Dieu bon, et lui seul est
' I Cor. sv, U. — ' Eph. V, 29. ' Rom. vu, 18, 25.

S. AuG. — Tome XII. 7


.

08 DE LA CONTINENCE.

l'auteur du mal qui Ta rendu mauvais. Mais mais ce qui compris que par un petit
n'est
si miséricorde le délie de sa faute, qu'il se
la nombre ;que le mal n'est pas une
à savoir,
garde bien de regarder comme léger le mal substance. Telle est une blessure dans un
qu'il a commis, car toujours il a besoin de la corps, tel est le mal dans une substance qui
continence pour faire contre-poids à sa dégra- s'est souillée elle-même ce mal y a commencé ;

dation. Quant aux vices, n'en cherchez pas par une maladie, et il disparaîtra avec une
dans ce royaume futur de la paix car, dans le ; santé parfaite. Mais quand ce mal. né de nous,
combat de cette vie, les vainqueurs voient sera détruit en nous quand le bien qui est ;

chaque jour s'affaiblir en eux le péché d'a- en nous aura été porté jusqu'au comble du
bord, et aussi la concupiscence que nous bonheur, de la perfection et de l'immortalité,
combattons en lui refusant notre consente- (jue ne sera pas chacune des deux substances
ment, et à laquelle nous ne pouvons consentir qui nous composent? Rappelons seulement
sans péché. que maintenant, au sein de notre corruption
21. Ainsi donc, la chair convoite contre et de notre mortalité, quand le corps corrup-
l'esprit, le bien n'habite pas en elle, et la loi tible appesantit encore notre âme *
;
quand,
des membres répugne à la loi de l'esprit. Tout suivant le mot de saint Paul, notre corps est
cela est hors de doute ; mais il est faux de sou- mort à cause du péché % notre chair cepen-
tenir que c'est là le résultat du mélange de dant, cette partie infinie et terrestre de notre
deux natures contraires. L'unique principe de nature, a mérité du même Apôtre ce témoi-
ce mal, c'est le péché qui a jeté la division gnage que j'ai cité plus haut « Personne n'a
:

dans l'homme lui-même. Tels nous n'étions « jamais haï sa chair » ; et cet autre qui suit
pas en Adam, avant que notre nature, trom- immédiatement : « Mais il la nourrit et la
pée par les séductions du serpent, eût méprisé « soigne, comme Jésus-Christ le fait pour son
et offensé son Auteur. Cet état n'est donc pas « Eglise »
lacondition primitive de l'homme, il n'est CHAPITRE IX.
que le résultat du châtiment du péché. Ce NOTRE CHAIR n'EST PAS SUBSTAMIELLEMENT
châtiment, Jésus-Christ nous en a délivrés
MAUVAISE.
par sa grâce ; devenus libres, nous pouvons
donc du péché.
lutter contre le mal, suite 22. Quelle est donc, je ne dis pas Terreur,
Notre salut, sans doute, n'est point encore mais la fureur des Manichéens, de faire de
assuré, mais du moins nous en avons reçu le notre chair l'œuvre de je ne sais quelle
gage. nation ténébreuse, nation éternelle et éter-
Quant à ceux qui n'ont pas voulu de cette nellement mauvaise ? L'Apôtre, inspiré par
délivrance, ils restent coupables du péché et la vérité, n'exhorte-t-il pas les époux à ai-

victimes de ses châtiments. Après cette vie, mer leurs épouses comme leur propre chair?
les coupables n'auront plus à attendre qu'un Et pour rendre son exhortation plus pressante,
châtiment éternel ceux au contraire qui sont
;
n'invoque-t-il pas l'exemple de Jésus-Christ et
rachetés ne connaîtront éternellement ni le de son Eglise? Citons tout entier ce passage
châtiment ni la faute. En eux l'esprit et la de sa lettre ; il se présente ici fort à propos :

chair resteront substances bonnes, et ne se- « Epoux, aimez vos épouses comme Jé-
dit-il,

ront plus soumises qu'à Dieu, qui, dans sa sus-Christ a aimé son Eglise car il s'est ;

bonté immuable, les a créées bonnes mais « livré à la mort pour elle, afin de la sancti-
susceptibles de changement. Devenues meil- « fier, la purifiant dans le bain salutaire de

leures, elles seront contirméés dans la perfec- « l'eau et par la parole. C'est ainsi qu'il a
tion, sans pouvoir jamais déchoir. Le mal aura « voulu se faire une Eglise glorieuse, sans
entièrement disparu, soit celui que l'homme « tache et sans souillure, sainte et immaculée.
a commis injustement, soit celui dont il a été c< De même, les époux doivent aimer leurs
justement frappé. Une fois qu'auront disparu « épouses comme leur propre corps. Celui qui
l'iniquité, qui est le premier de tous nos maux, «aime son épouse, s'aime lui-même*». Il

et l'infortune, qui en a été la conséquence né- termine par ces mots, déjà cités plus haut ;
cessaire, la volonté de l'homme restera droite « Car personne n'a jamais haï sa propre chair ;

et pure. Alors nous verrons clairement et sans « au contraire , il la nourrit et la soigne


aucun doute ce qui est déjà ouï, il est vrai, '
Sag. IX, 15. — ' Rom. vill, 10. — ' Eph. v, 25-29.
.,

DE LA CONTINENCE. 99

« comme Jésus-Christ le fait pour son Eglise » appel à ce qui leur est inférieur, c'est-à-dire à
A un témoignage aussi formel, que peut op- leurs corp?. Car il ne dit pas seulement :

poser la folie de rimpiété la plus grossière? « Epoux, aimez vosépouses comme Jésus-Christ
Manichéens, qu'y opposez-vous ? Vous essayez « a aimé son Eglise » il ajoute «Les hommes
; :

de produire les lettres apostoliques pour nous « doivent aimer leurs épouses comme leur

prouver votre système des deux natures, l'une « propre corps ^ ». Le premier exemple est tiré

bonne et l'autre mauvaise pourquoi donc re- ;


d'un ordre supérieur, le second, d'un ordre in-
fuser d'entendre ces mêmes lettres aposto- férieur; c'est assez dire que ces deux ordres
liques quand condamnent votre perver-
elles sont bons. Mais, quand il s'agit de la femme,

sité sacrilège? Vous lisez « La chair convoite : on ne luipropose l'exemple ni du corps ni de


« contre l'esprit *; le bien n'habite pas dans la chair; on ne lui dit pas d'être soumise à son
« ma chair » ; lisez donc aussi : Personne
« époux comme la chair est soumise à l'esprit.
c( n'a jamais haï sa chair, il la nourrit au con- Parcesilcnce, l'Apôtre voulait-il faire conclure
« traire et la soigne comme Jésus-Christ le fait ce qu'il évitait d'énoncer ? Peut-être, au con-
« pour son Eglise Vous lisez « Je vois dans
». : traire,que témoin de la lutte soulevée parla
« mes membres une autre loi qui répugne à chaircontre l'esprit, au sein de notre mortalité
« la loi de mon esprit - » lisez donc aussi ; : et de nos langueurs, il n'a pas voulu faire, de
« Comme Jésus-Christ a aimé son Eglise, ainsi cette soumission de la chair à l'esprit, le mo-
«les époux doivent aimer leurs épouses, comme dèle de la soumission de la femme à l'égard
« leur propre corps ». Parmi ces témoignages de son mari. Il en est autrement pour les
de l'Ecriture sainte, ne cherchez pas à faire hommes; car, sil'esprit convoite contre la chair,
servir les uns à vos perfides desseins et à fer- cette convoitise même
pour l'avantage de
est
mer Toreille aux autres ainsi vous serez tou- ; la chair. Au en convoitant contre
contraire,
jours dans le vrai. Interprétez ces derniers l'esprit, la chair veut le mal de l'esprit et son
comuiC le bon sens l'exige, et vous compren- propre mal à elle-même. Cependant, soit que
drez les autres dans leur véritable signification. l'esprit, devenu pour ainsi dire la providence
23. L'Apôtre fait allusion à trois sortes d'u- de la chair, lanourrisseet la soigne ; soit qu'il
nions : l'union de Jésus-Christ et de son Eglise, s'arme de la continence pour enchaîner ses
l'union de l'bomme et de la femme, enfin celle vices, il resterait impuissant dans son action
del'espritetde la chair. Les premiers membres bienfaisante, si ces deux substances, par leur

de ces unions servent de types aux autres, et harmonie actuelle ne révélaient clairement
,

ceux-ci sont soumis aux premiers. Tous sont que Dieu est l'auteur de l'une et de l'autre.
bons et reflètent éminemment le type du beau Quelle démence vous pousse donc à vous décla-
dans l'ordre les uns parce qu'ils l'emportent
: rer chrétiens, et en même temps à soutenir,
avec éclat sur les autres, et ceux-ci parce qu'ils contre les Ecritures, avec un aveuglement cri-
sontsoumis noblement aux premiers. L'homme minel, que lachair de Jésus-Christ n'était pas
et la femme, pour connaître leurs devoirs ré- une chair véritable que si l'Eglise appartient
;

ciproques, reçoivent ici le précepte et l'exemple. par son àmeà Jésus-Christ, par son corps elle
Le précepte « Que les épouses soient soumises
: appartient au démon
que les sexes sont
;

« à leurs époux comme au Seigneur car , l'œuvre de Satan non celle de Dieu enfin
et ;

« l'homme est le chef de la femme; et vous, que la chair unie au corps est une substance
« époux, aimez vos épouses ». L'exemple, les essentiellement mauvaise ?
femmes le trouvent dans l'Eglise, et les hommes
en Jésus-Christ « Comme l'Eglise, dit-il, est
:
CHAPITRE X.
« soumise à Jésus-Christ ; de même que les
FOLLES ASSERTIONS DES MANICHÉENS.
« femmes soient soumises en tout à leurs

«époux». Nous avons vu le précepte donné 24. Peut-être les témoignages que je viens
aux époux d'aimer leurs épouses ; maintenant d'emprunter aux vous parais-
livres saints,
voici l'exemple: «Comme Jésus-Christ a aimé sent-ils insuffisants pour vous convaincre ?
« son Eglise ». En voici d'autres encore; écoulez-les si vous
Pour exhorter les époux, s'il invoque ce qui avez des oreilles pour entendre. Sur la chair
leur est supérieur, il ne laisse pas de faire de Jésus-Christ que dit Tinsensé Manichéen ?
* Gai. V, 17. — » Rom. vii, 18, 23. » Eph. V, 22-28.
,

100 DE LA CONTINENCE.

que celte chair n'avait rien de réel, qu'elle Direz-vous donc que la chair est mauvaise,
n'était qu'apparente. Et l'Apôtre, que dit-il ? quand les âmes elles-mêmes sont invitées à
« Souvenez- vous, selon mon Evangile ,
que imiter la paix qui règne entre les membres
«Jésus-Clirist, de la race de David, est ressuscité du corps ? Comment soutenir (jue la chair
« d'entre les morts'». Et Jésus-Christ? «Palpez est l'œuvre du démon puisque les âmes, qui
,

« et voyez, dit-il un esprit a-t-il, comme moi,


;
régissent les corps, doivent, pour échapper
« de la chair et des os * ?» Une doctrine qui entre elles aux inimitiés et aux divisions, pren-
soutient que la chair en Jésus-Christ n'était dre exemple sur les membres du corps, et réa-
qu'apparente, peut-elle donc être vraie? Com- liser, sous l'action de la grâce, un bien que
ment en Jésus-Cbrist n'y avait-il aucun mal ,
les corps ont reçu de Dieu par nature ? C'est

quaud sa personne n'était qu'un étrange men- donc avec raison que l'Apôtre écrivait aux
songe? Parce que, répondez-vous, même pour Romains « Je vous en prie, mes frères, parla
:

les hommes les plus purs, une chair véritable « miséricorde divine, faites de vos corps, pour

est toujours un mal. Mais ce n'en est point de « Dieu, une hostie vivante, sainte et imma-

substituer à une chair véritable une chair si- « culée ». Or, c'est sans motif que nous re-
^

mulée ? Une chair véritable, issue de la race fusons de confondre les ténèbres avec la lu-
de David, est un mal et ce n'en est point de
;
mière, et la lumière avec les ténèbres, si nous
dire faussement « Palpez et voyez, un esprit
: faisons de nos corps, issus des ténèbres, une
« a-t-il comme moi une chair et des os ? » hostie vivante, sainte et agréable à Dieu ?
Au que dit le séducteur des
sujet de lEglise,
hommes, inspiré par le souffle mortel de l'er- CHAPITRE XI.

reur ? Que, quant aux âmes, elle appartient à COMPARAISON ENTRE LA CHAIR ET l'ÉGLISE.
Jésus-Christ; mais quant aux corps, elle appar-
tient au démon. Et quelle réponse est inspirée 23. Mais, nous diront-ils, comment établir une
au Docteur des nations par la foi et la vérité ? similitude entre la chair et l'Eglise ? L'Eglise
« Ne savez-vous i)as, dil-il,que vos corps sont convoiterait-elle contre Jésus-Christ quand
a les membres de Jésus-Christ ' ? » Quant à la l'Apôtre nous dit : « L'Eglise est soumise à
différence des sexes, que dit le fils de la per- « Jésus-Christ ? » Je réponds : l'Eglise assuré-
dition Que le sexe ne vient pas de Dieu, mais
? ment est soumise à Jésus-Christ^; et si l'esprit
du démon. Et Paul, ce vase d'élection, que ré- convoite contre la chair, c'est précisément pour
pondit-il? «De même que la femme vient de que l'Eglise soit soumise à Jésus-Christ sous
« l'homme, de même l'homme naît par la fem- tous rapports. La chair, de son côté, convoite
« me; mais tout vient deDieu * ». Sur la chair, contre l'esprit, parce que l'Eglise ne possède pas
que dit l'esprit immonde par l'organe des Ma- encore la paix parfaite qui lui a été promise.
nichéens ? Qu'elle est une substance essentiel- Si donc l'Eglise est soumise à Jésus-Christ,
lement mauvaise, formée, non point par Dieu, c'est parce qu'elle a en elle le gage de son salut;

mais par l'ennemi de l'homme. Et le Saint- et si la chair convoite contre l'esprit, c'est par
Esprit que répond-il [)ar Saint Paul ? « Le
,
l'effet de ses langueurs et de ses faiblesses.
« corps, quiest un, possède différents niembres, N'étaient-ils pas membres de rEglise,ceux à qui
« et cependant ces membres, quoique nom- l'Apôtre osait dire : «Marchez selon l'esprit, et
« breux, ne forment qu'un seul corps. Il en « n'obéissez point aux concupiscences de la
« est ainsi de Jésus-Christ ». Un peu plus loin « chair; car la chair convoite contre l'esprit
il ajoute « Dieu a placé dans le corps chacun
: « et l'esprit contre la chair ; ils sont opposés
« des membres comme il l'a voulu ». Un peu « l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas
plus loin encore « Dieu a sagement disposé
: « ce que vous voulez ^ ? » Oui, c'est à l'Eglise

« le corps de l'homme, en y compensant l'igno- que s'adressaient ces paroles; elle était donc
« minie par un accroissement d'honneur, alin soumise à Jésus-Christ, car autrement l'esprit
« d'en faire disparaître toute division. Si donc de continence n'aurait pas convoité en elle
a un membre souffre , les autres membres contre la chair. D'où je conclus que ces fidèles
« partagent ses souffrances ; si un membre pouvaient ne pas obéir aux concupiscences de la
« est glorifié, tous les autres sont dans la joie ^). chair; mais du moment que la chair convoitait
contre l'esprit, ils ne pouvaient plus faire ce
n Tim. n, 8. — » Luc, XXIV, 39,

12. — ' Id. xu, 12-26. » Rom. XII, 1. — ' Eph. V, 21. — ' Gai. v, 16, 17.
DE LA CONTINENCE. 101

qu'ils voulaient, c'est-à-direne pas éprouver voiter contre la chair. Toute lutte aura cessé,
laconcupiscence de la chair. l'union la plus parfaite régnera entre ces deux
D'ailleurs, pourquoi ne pas reconnaître que substances; tout principe charnel sera dé-
dans les hommes spirituels l'Eglise est sou- truit la chair elle-même sera spiritualisée.
;

mise à Jésus-Christ, tandis que dans les hom- Tout chrétien animé de l'esprit de Jésus-
mes charnels elle convoite contre lui? Est-ce Christ convoite contre la mauvaise concupis-
qu'ils ne convoitaient pas contre Jésus-Christ, cence de sa chair, pour la guérir et la dé-
ceux à qui l'Apôtre pouvait dire « Le Christ : truire et cependant il nourrit et soigne en
;

« est-il divisé ? Je n'ai pu vous parler comme


' elle la bonne nature, car personne n'a jamais
« à des hommes spirituels, mais seulement haï sa propre chair K C'est là aussi ce que fait
« comme à des hommes charnels ? Vous regar- Jésus-Christ à l'égard de son Eglise, si toute-
« dant comme de^petits enfants en Jésus-Cbrist, fois nous pouvons établir une comparaison

«je vous ai donné du lait pour nourriture, au entre des choses si distantes l'une de Tautre.
« lieu d'unahmentsohde ([uevous n'auriez pu Quelquefois il la corrige et la châtie, de crainte
« supporter. Maintenant encore vous ne le que l'impunité ne lui soit une cause d'orgueil
« pourriez pas, car vous êtes toujours char- et de décadence. Il lui accorde aussi d'abon-
« nels. Ily a parmi vous des jalousies et des dantes consolations, de crainte qu'appesantie
a divisions n'ctes-vous donc pas charnels ^ ?»
;
par sa faiblesse elle ne vienne à succomber.
Contre qui la jalousie et les divisions convoi- De là ce mot de l'Apôtre : « Si nous nous ju-
tent-elles? n'est-ce pas contre Jésus-Clirist? « gions nous-mêmes, nous ne serions pas ju-
Or, ces concupiscences de la cliair, le Sauveur « gés quand nous sommes jugés, le Seigneur
;

les guérit dans ceux qui sont à lui, mais il les « nous frappe afin que nous ne soyons pas
hait partout où il les trouve. Et c'est là ce qui « condamnés avec ce monde ^ » ; et ce cri du
nous explique pourquoi la sainte Eglise, tant Psalmiste Vos consolations ont réjoui mon
: «

qu'elle renferme de tels membres, ne saurait « àme, en proportion delà multitude des dou-
être sans tache et sans ride. Ajoutez-y encore « leurs qui l'accablaient ' » Donc notre chair .

ces péchés pour lesquels sa voix ne cesse de obtiendra une guérison aussi parfaite que fa-
crier chaque jour « Pardonnez-nous nos of- : cile, quand l'Eglise de Jésus-Christ sera dans
« fenses ^ ». Et quels sont ceux qui pourraient une pleine sécurité.
se dire innocents? Ce ne sont pas les hommes
CHAPITRE XII.
charnels ce ne sont pas même les hommes
;
FAUSSE COINTINENCE DES MANICHÉENS
spirituels. Car le disciple bien-aimé du Sau-
ET DES HÉRÉTIQUES.
veur, celui qui à la Cène reposa sa tête sur la
poitrine de son maître, saint Jean ne nous dit- !2(5. Ces observations sur la continence véri-
il pas « Si nous affirmons que nous sommes
: table suffisent pour convaincre de fausseté la
« sans péché, nous nous trompons nous-mê- continence des Manichéens. Et cependant, à les
« mes, et la vérité n'est point en nous * ?» Or, en croire, le travail à la fois utile et glorieux
dans tout péché, plus ou moins sans doute, de la continence, alors même qu'elle dompte
suivant la gravité de la faute, nous trouvons et enchaîne les voluptés immodérées et illi-
la concupiscence en lutte contre la justice. cites de notre corps, loin d'imprimer une ré-
D'un autre côté il est écrit de Jésus-Christ: «Il pression salutaire à cette partie infime de
« s'est fait pour nous sagesse, justice, sanctifi- nous-mêmes, ne ferait que diriger contre elle
« cation et rédemption ^ ». Donc tout péché une guerre de préjugés, une vaine hostilité.
convoite contre Jésus-Christ. 11 ôst vrai que le corps est d'une nature diffé-

Mais quand Celui qui guérit toutes nos lan- rente de celle de l'âme, mais il n'entre pas
gueurs", aura conduit l'Eglise à la guérison moins dans la nature de l'homme. L'âme sans
qui lui est promise, c'est en vain que dans doute n'est pas formée d'un corps mais ;

quelqu'un de ses membres nous chercherons l'homme est formé à la fois d'un corps et
la moindre tache et la moindre ride. Alors la d'une âme; et, quand Dieu nous sauve, il sauve
chair ne convoitera plus contre l'esprit, et dès à la fois notre corps et notre âme. Aussi est-ce
lors l'esprit n'aura plus aucun motif pour con- l'humanité tout entière qui a été revêtue par
Jésus-Christ, daignant racheter en nous tout
' I Cot. 1, 13. — = Ib. m, 1-3. — ' Matt. vi, 12. — M Jean, i, 8.
- '
1Cor. I, 30. — » Ps. eu, 3. » Eph. V, 29. — ' I Cor. xi, 31, 32. — ' Ps. xcui, 19.
102 DE LA CONTINENCE.

ce qu'il y avait créé. Niez-vous cette vérité? continence qui ne repose pas sur une foi véri-
Si vous la niez, que vous sert-il d'enchaîner table, ne mérite même pas le nom de con-
vos passions, si toutefois vous les enchaînez ? tinence.
Quelle pureté, pensez-vous, peut produire en 27. Il hommes qui, tout en ser-
est aussi des
eux une continence qui est elle-même im- vant démons, s'abstiennent des voluptés
les
pure et qui ne mérite rien moins que le nom corporelles pour s'abandonner plus librement
de continence? Ce qu'ils éprouvent à ce sujet ne à d'infâmes plaisirs dont l'ardeur les dévore.
peut être que l'efFet de l'inspiration du démon, Je veux éviter les longueurs, mais comme je
et la continence, n'est-ce pas un don de Dieu ? dois parler, je ne citerai qu'un exemple. On
De même, il ne suffit pas de souffrir ni de voit des hommes éviter tout contact avec leurs
supporter la douleur avec patience, pour s'au- épouses, et recourir à la magie pour jouir de
toriser à dire que l'on possède la vertu de pa- femmes étrangères. Quelle étrange continence,
tience; car elle aussi, cette vertu, ne peut ou plutôt quelle corruption, quelle infamie !

venir que de Dieu. Supposez la continence véritable si un époux :

Beaucoup d'hommes s'exposent à d'affreux enchaîne en lui-même les mouvements de


tourments pour ne pas se trahir dans leurs la concupiscence, ce sera pour éviter l'a-
crimes, ou révéler leurs complices; beaucoup, dultère et non pour s'y abandonner. En effet,
pour satisfaire de violentes passions, pour se le propre de la continence conjugale, c'est de
procurer ou conserver ce qui pour eux est donner une certaine satisfaction à la concu-
l'objet d'un amour criminel; beaucoup, pour piscence charnelle, mais en y apportant une
soutenir des erreurs pernicieuses dans les- certaine modération de la contenir dans la ;

quelles ils sont étroitement enchaînés. Pré- sphère conjugale, et d'y garder un mode ap-
tendre que tous ces hommes possèdent la vé- proprié, soit à la faiblesse de l'autre époux,
ritable patience, n'est-ce pas une erreur ? De selon la condescendance dont parle l'Apôtre ',

même ne sutfit pas de contenir ou de ré-


il soit à lagénération des enfants. Cette généra-
primer vigoureusement les passions de la chair tion, de la part des pères et des mères guidés
et de l'esprit, pour se donner le droit de con- par l'Esprit de Dieu, a toujours été l'unique
clure que l'on possède celte continence dont motif du devoir conjugal. En agissant ainsi, en
nous faisons ressortir la gloire et l'utilité. Les modérant, et, pour ainsi parler, en limitant
uns, en effet, c'est à n'y pas croire, se contien- aux époux la concupiscence de la chair, en
nent par leur incontinence même celte ; fixant des bornes à ses mouvements inquiets
femme, par exemple, qui évite son mari pour et désordonnés, l'homme fait un usage légi-

remplir le serment qu'elle a fait au complice time de ce qui est mal et veut en faire sortir
de ses adultères. D'autres se contiennent par le bien. En cela il imite Dieu lui-môme qui se
l'injustice tel est l'époux qui refuse le devoir
; sert des hommes mauvais pour aider à la per-
conjugal à son épouse etréciproquement, sous fection des justes.
le prétexteque lui ou elle peut vaincre cette
inclination. D'au^tres se contiennent trompés CHAPITRE XlII.

par une foi mensongère, par une fausse espé-


LA CONTINENCE DU CORPS ET DE l'ESPRIT.
rance ou de vains désirs dans cette classe
:

nous devons ranger les hérétiques et tous ceux que l'Ecriture a


28. C'est de la continence
qui, sous un nom religieux, se laissentséduire dit Le propre de la Sagesse est de savoir
: «

par l'erreur. Leur continence serait vraie, si « par qui ce don nous est fait ^ ». Gardons-
leur foi l'était mais comme leur foi est er-
; nous donc d'en gratifier ceux qui, en restant
ronée, leur continence ne peut qu'être fausse continents, s'abandonnent à l'erreur, ou n'é-
et ne mérite pas même
d'être appelée conti- touffent certaines cupidités plus légères que
nence. En continence qui nous pa-
effet, cette pour s'abandonner à des satisfactions plus
raît si justement un don de Dieu, dirons-nous grandes. Toute continence véritable nous
qu'elle est un péché? Une telle folie soulève- vient du ciel, et loin de substituer le mal au
rait dans nos cœurs une profonde indignation. mal, elle se propose de guérir le mal par le
Cependant, selon l'Apôtre, « ce qui ne vient bien. Etudions brièvement son action. Répri-
« pas de la foi est un péché ». Donc toute '
mer et guérir toutes les délectations de lacon-
> Rom. XIV, 23. » 1 Cor. va, 6. — " Sag. viii, 21.
,

DE LA CONTINENCE. 403

cupiscence contraires à la délectation de la «Christ en Dieu. Quand Jésus-Christ, votre


sagesse, telle est la fonction de la continence. « vie, aura apparu vous apparaîtrez aussi
,

C'estdonc ne pas ^n comprendre toute l'ex- « avec lui dans la gloire ». Comprenons à qui
tension que de prétendre qu'elle se borne à l'Apôtre adresse ces paroles, ou plutôt écou-
comprimer les passions corporelles. Il est plus tons-les plus attentivement. Quoi de plus ex-
exact de dire qu'elle a pour effet de gouverner plicite? Quoi de plus formel? Saint Paul par-
les passions ou la cupidité en général, sans se lait évidemment à des hommes ressuscites
restreindre à la cupidité corporelle. Ce vice de avec Jésus-Christ, non pas d'une résurrection
la cupidité réside aussi bien dans l'esprit que charnelle, mais spirituelle. Il parlait à des
dans le corps. En effet, si la cupidité du corps hommes qu'il dit morts et qui n'en sont que
se manifeste par la fornication et l'ivresse; plus vivants: « Car, dit-il, notre vie est cachée

n'est-ce pas dans les émotions et le trouble de « avec Jésus-Christ en Dieu ». De ces morts,
l'esprit, plutôt que dans les voluptés du corps, voici le cri : «Je vis, non pas moi, mais Jésus-
que résident les inimitiés, les divisions, la ja- « Christ en moi ». Eh bien ! c'est à ceux dont
lousie, la haine? Toutefois l'Apôtre désigne la vie est cachée en Dieu qu'il donne cet aver-
toutes ces œuvres sous le nom d'oeuvres de la tissement ,
qu'il adresse cette exhortation
chair, sans distinguer si elles procèdent de de mortifier leurs membres qui sont sur la
l'esprit ou du corps; car il désigne l'homme terre.
sous le nom de chair K En effet, on appelle Mais peut-être hésiterez-vous à croire que
œuvres de l'homme celles qui ne viennent pas ces justes sont encore obligés de mortifier
de Dieu, parce que, en tant qu'il les accom- leurs membres extérieurs et sensibles. Ecou-
plit, l'homme suit ses propres inspirations et tez donc ce que dit l'Apôtre : « Mortifiez vos
non celle de Dieu. Mais il est d'autres œuvres « membres : la fornication, l'impureté, la di-
de l'homme que l'on devrait plutôt appeler « vision, la concupiscence mauvaise et l'ava-
œuvres de Dieu. Car, dit l'Apôtre, c'est Dieu « rice,qui est une véritable idolâtrie ». Mais
qui opère le vouloir et le faire, suivant son de conclurions-nous que ces hommes qui

bon plaisir -. De là aussi ce mot « Ceux qui : étaient morts à eux-mêmes, dont la vie était
« se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, sont cachée avec Jésus-Christ en Dieu, se rendaient
« ses enfants ^ ». encore coupables de fornication, qu'ils se
29. Voilà pourquoi l'esprit de l'homme, en livraient encore aux mœurs et aux actions
s'attachant à l'Esprit de Dieu, convoite contre impures, qu'ils s'abandonnaient encore aux
la chair, c'est-à-dire contre lui-même et pour troubles de la concupiscence mauvaise et à
lui-même; car, en enchaînant en vue du salut l'avarice? Une telle conclusion serait une in-
les mouvements qui flattent l'homme et non signe folie. Que doivent-ils donc mortifier, par
pas Dieu et qui sont langueur ac- l'etfet de la la continence? N'est-ce pas ces mouvements
quise, il travaille à vivre selon Dieu et à pou- qui s'élèvent d'eux-mêmes en nous, sans au-
voir dire « Je vis, non pas moi, mais Jésus-
: cun consentement de notre volonté sans ,

« Christ en moi * » car détruire le mo/, c'est; aucune action correspondante de nos mem-
le rendre plus heureux; et (|uand un mouve- bres ? Et comment la continence peut-elle
ment humain s'élève dans l'homme et y ren- atteindre ces mouvements et les mortifier?
contre la résistance de l'Esprit, soumis à la N'est-ce pas en leur refusant le consentement
loi de Dieu, à pouvoir dire encore « Ce n'est : de l'espritet toute participation des membres?
« pas la mon œuvre M). A des âmes qui en N'est-ce pas surtout en exerçant ia vigilance
étaient là, l'Apôtre adressait les paroles sui- la plus continuelle jusque sur la pensée elle-
vantes, que nous devons entendre comme même? En effet, cette pensée, nécessairement
étant membres de leur société « Si vous êtes : obsédée parle charme et la séduction des
ressuscites avec Jésus-Cbrist, cherchez ce qui mouvementsdela concupiscence, doit pourtant
« est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite leur refuser toute délectation volontaire et
« de Dieu; goûtez les choses surnaturelles et trouver un plaisir plus grand à s'élever vers
« non les choses terrestres. Car vous êtes les choses supérieures. Si donc elle nomme
« morts, et votre vie est cachée avec Jésus- encore ces mouvements dans son langage, ce
n'est pas pour qu'on s'y complaise, mais pour
' Gai. V, 19-21. — ' Philipp. n, 13. — » Kom. viil, 14. — *
Gai.
11, 20. — ' Rom. vu, 17. qu'on les repousse avec horreur. Voulons-nous
. .

i04 DE LA CONTINENCE.

qu'il en soit ainsi ? Ecoutons avec une bonne de croire qu'on pouvait commettre ces crimes,
volonté, et avec l'aide de Celui qui nous l'im- et cependant vivre sans crainte, parce que la
pose, ce précepte apostolique : « Cherchez ce foi serait un abus contre le? coups dont Dieu
« qui est d'en-haut, là où Jésus-Christ est assis frappe les enfants d'infidéhté. L'Apôtre dissipe
« à la droite de Dieu ;
goûtez les choses du cette illusion. « Déposez, dit-il, vous aussi »,
« ciel et non les choses de la terre » ces vi^es qui attirent la colère de Dieu sur les
enfants d'infidélité ;
gardez-vous de croire
CHAPITRE XIV. que ceux-ci ne sont frappés que parce qu'ils
n'ont pas la foi, et ne vous promettez pas
NE CESSER DE LUTTER CONTRE LES VICES DE LA l'impunité, à cause de votre foi. Or, imposer
CHAIR. ce précepte à des hommes qui s'étaient déjà
dépouillés de ces vices, en ce sens du moins
rénumération de tous ces vices,
30. Après qu'ils n'y consentaient pas et qu'ils refusaient
l'Apôtre ajoute « C'est pour en tirer ven-
: de faire de leurs membres des armes d'ini-
« geance, que la colère de Dieu est tombée quité, n'était-ce pas leur faire entendre clai-
«sur les enfants de l'infidélité». Sous les rement que ce dépouillement de tous les vices
coups de celte terreur salutaire, comment est le caractère propre et l'unique préoccupa-
croire encore que la foi seule peut sauver, tion de la vie des saints sur la terre? En effet,
lors même que l'on s'abandonnerait à ces tant que l'Esprit convoite contre la chair, le
crimes? Cette croyance criminelle, l'apôtre grand devoir de l'homme, c'est de résister aux
saint Jacques la combat ouvertement « Si : délectations coupables, aux passions impures,
« quelqu'un, dit-il, affirme qu'il a la foi, mais aux mouvements charnels et bonteux , et d'y
« sans en remplir les œuvres, sa foi pourra- trouver un contre-poids dans les douceurs de
a t-elle le sauver*?» C'est la môme pensée la sainteté, dans l'amour de la chasteté, dans
qu'exprime saint Paul en affirmant que c'est la force spirituelle et dans la beauté de la

à cause de ces maux que la colère de Dieu a continence. Alors seulement on peut dire en
frappé les enfants de l'infidélité. 11 ajoute : toute vérité que ces vices sont déposés quand
« Et autrefois vous étiez de ce nombre quand ils le sont par ceux qui y sont morts et qui

« vous viviez dans ces crimes » N'est-ce pas . refusent d'y vivre en refusant d'y consentir.
nous dire qu'ils n'y vivaient plus? Ils étaient Ils sont déposés quand ils sont enchahiés par

morts à ces crimes, afin que leur vie fût ca- une continence perpétuelle qui leur rend im-
chée en Dieu avec Jésus-Christ. Ils ne vivaient possible toute résurrection.
plus dans ces crimes, et cependant il leur est Mais si, trompé par une fausse sécurité, on
encore ordonné de les mortifier n'est-ce pas ; croit pouvoir cesser cette lutte, aussitôt ces
faire entendre clairement que ces crimes vi- vices s'emparent de nouveau de la forteresse
vaient encore en eux, comme je l'ai prouvé de l'âme, la renversent à leur tour, et la ré-
précédemment? S'il parle de leurs membres, duisent à une triste et honteuse servitude.
il entend parler de ces vices qui habitaient Alors aussi lepéché régnera dans le corps
dans leurs membres il prenait ainsi le con- ; mortel de l'homme, le forcera d'obéir à ses
tenant pour le contenu. C'est dans le même désirs ; bientôt les membres deviendront des
sens que l'on dit Tout le forum s'écria, pour
:
armes d'iniquité S et le dernier état sera pire
que ce sont les hommes qui étaient
signifier que le premier ^ Il eût été préférable de ne
sur le forum qui s'écrièrent. Le Psalmiste point engager ce combat, plutôt que de le
emploie la même figure quand il chante : quitter après l'avoir connncncé, et de rester
« Que toute la terre vous adore ^
», car c'est vaincu après avoir été un généreux combattant,
dire : que tous les hommes de la terre vous voire même un vainqueur. Aussi le Seigneur
adorent. ne dit pas : celui qui commencera, mais bien,
31. « Maintenant donc, vous aussi, déposez « celui qui persévérera jusqu'à la fin sera
« tous ces vices ^
en signa-
», s'écriait l'Apôtre « sauvé ^ »
lant les vices de ce genre. Pourquoi ces mots : que nous combattions avec cou-
32. Soit
« Vous aussi », et ne pas se contenter de ceux- rage, pour ne pas succomber, soit même que
ci « Déposez tous ces vices?» Pour empêcher
: parfois, aidés d'une généreuse inspiration ou
' Jac. u, U. — ' Ps. LXV, 4. — ' Colûss. m, 1-8. *
Rom, VI, 12. — » Matt. xii, 45. — ' Id. x, 22.
.

DE LA CONTINENCE. 105

d'une circonstance heureuse, nous rempor- «été confondu * ». La Providence, pour le


tions la victoire, rendons toujours grâces à guérir, permit qu'il fût un instant abandonné
Celui qui nous donne la continence. Souve- à lui-même, de crainte que, poussé par un fu-
nons-nous de ce juste, qui, au sein de l'abon- neste orgueil, n'abandonnât son unique sou-
il

dance, s'écria un jour « Rien ne pourra


: tien. Dès lors, soit en ce monde, où nous avons
«jamais m'ébrauler». Bientôt il reconnut toujours à lutter pour enchaîner nos vices et
qu'il avait été téméraire en s'attribuant à lui- pour les affaiblir, soit au ciel, où nous cesse-
même un don qui ne lui venait que du ciel. rons d'avoir des ennemis, parceque nous
Lui-même nous en fait l'aveu, car il ajoute jouirons d'une santé parfaite, toujours confor-
aussitôt : « Seigneur, c'est vous qui avez bien mons-nous à cet avis salutaire : « Que celui
« voulu donner la vertu à ma gloire ; vous « qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur^ »
« avez un instant détourné votre face, et j'ai ' Ps. XXIX, 7, 8. — ' I Cor. I, 31.

Traduction de M. Vabbé DURLERAUX.


DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

Honorabilité du mariage. — La virginité chrétienne lui est préférable.— Que les vierges toutefois évitent de se comparer
aux saints patriarches qui ont vécu avec chasteté, par obéissance, dans l'union conjugale.

CHAPITRE PREMIER. termes : « Croissez et multipliez- vous et cou-


« vrez la face de la terre » . Mais nous ne voyons
SOCIÉTÉ PRIMITIVE DE l'hOMME ET DE LA FEMME.
aucune nécessité ni d'étudier cette question,
1. Chaque homme constitue, par lui-même, ni de chercher à le péché
la résoudre, puisque
une partie du genre humain et la nature ; est malheureusement un qui a soumis les fait

humaine est essentiellement faite pour la corps à la mort, et qu'aujourd'hui il ne peut


société, où elle trouve d'immenses et précieux y avoir d'union qu'entre des corps mortels.
avantages, ainsi que la puissance de l'amitié. On a émis sur ce point des opinions aussi
Aussi Dieu a-t-il voulu que tous les hommes nombreuses que différentes, et il serait bien
fussent enfants d'un même père, afin de main- difficile de préciser celle qui se rapproche le

tenir entre eux une société réciproque, basée plus de la vérité des divines Ecritures. Les
non-seulement sur la similitude de genre, uns soutiennent qu'en dehors du péché les
mais sur les liens de parenté. L'union de enfants auraient pris naissance sans aucune
l'homme et de la femme est donc le premier relation nécessaire des époux, par l'effet seul
lien naturel de la société humaine. Remar- de la toute-puissance du Créateur. Dieu peut,
quonsqu'ils ne furent pas l'objet d'une création sans aucun doute, former les enfants en dehors
distincte, qui les eût rendus étrangers l'un à de tout concours des parents, lui qui a pu for-

l'autre ;de l'homme que Dieu forma la


c'est mer la chair de Jésus-Christ dans le sein vir-
femme, pour marquer qu'en la tirant de la ginal de Marie, et qui, pour me faire com-
poitrine de l'homme, c'est dans le cœur que prendre des infidèles eux-mêmes, donne aux
résiderait leur force d'union réciproque ^ abeillesune naissance à laquelle le mélange
On de ceux qui cheminent ensemble et qui
dit des sexes est absolument étranger. D'autres
ont les yeux fixés sur le même but, qu'ils mar- soutiennent que la bénédiction dont il est

chent côte-à-côte. Un autre lien de société est parlé, avait été prononcée dans un sens mys-
formé par les enfants, le seul fruit honorable, tique et figuratif; en sorte que ces paroles :

non pas de l'union, mais des relations conju- «Remplissez la terre et soyez-en les maîtres '»,
gales de l'homme et de la femme. Même en doivent s'entendre de la plénitude et de la
dehors de ces relations, il peut y avoir dans perfection de la vie, tandis que ces autres :

chacun des deux sexes un rapprochement de «Croissez et multipliez », ne signifient que


parenté et d'amitié, très-compatible avec l'au- le et l'abondance de la vertu.
progrès de l'esprit
torité de l'un et la soumission affectueuse de C'est dans ce sens que le Psalmisle a dit :

l'autre. « Vous me multiplierez dans mon âme par la


CHAPITRE H. « vertu ^ ». En etTet l'homme n'eut d'enfants
par la succession ordinaire que quand, grâce
DE LA PROPAGATION DES ENFANTS EN DEHORS
au péché, la mort fut devenue sa destinée.
DU PÉCHÉ.
D'autres prétendent que nos premiers pa-
2. On a souvent demandé quelle eût été, rents n'avaient pas reçu un corps spirituel mais
en dehors du péché, la génération des pre- un corps animal, que l'obéissance aurait rendu
miers hommes que Dieu avait bénis en ces spirituel et dès lors capable de l'immortalité.
'
Gen. II, 21, 22. ' Gen. I, 28. — ''
Ps. cxxxvii, 3.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. 107

Cette immortalité n'eût pas attendu la mort la première soit décédée. Dans l'Evangile le
qui est entrée dans le monde par la jalousie de Sauveur affirme la bonté du mariage, non-
Satan ^ et est devenue le châtiment du péché; seulement en défendant à la femme de quitter
mais eût été l'œuvre de cette transforma-
elle son mari, si ce n'est en cas de fornication \

tion dont parle l'Apôtre « Ensuite nous qui : mais encore en acceptant d'assister lui-même
« vivons, qui sommes laissés sur la terre, à un mariage -. Ce fait, à lui seul, prouve la
a nous serons ravis avec eux dans les nuées à la proposition que j'avance.
a la rencontre du Christ ^ ». D'après cette opi- L'honorabilité du mariage ne résulte pas
nion, corps des premiers époux était mortel,
le seulement de la création des enfants, mais
en vertu de sa conformation première, et encore du besoin naturel à des sexes différents
cependant ne seraient pas morts sans le
ils de faire entre eux société. Autrement le ma-
péché, contre lequel Dieu avait porté une riage ne serait pas convenable entre vieillards,
menace de mort. Supposez que Dieu eût me- surtout s'ils avaient perdu leurs enfants ou
nacé ce corps d'une blessure parce qu'il était s'ils n'en avaient jamais eu. Or ce mariage
vulnérable ; si ce corps n'eût point désobéi, entre vieillards, tous le regardent comme
tout vulnérable qu'il était, il n'aurait point été légitime ; l'ardeur juvénile des époux n'existe
blessé. De même rien n'empêchait que la géné- plus, mais il suffit que l'affection les unisse.
ration fût possible à des corps susceptibles, dans Aussi regardons-nous comme un signe de per-
une certaine mesure, d'un progrès continuel, époux de renoncer, d'un con-
fection dans les
sans toutefois passer par la vieillesse ou au sentement mutuel, aux relations conjugales;
moins parla mort, jusqu'à ce que fût réalisée la dès lors plus ils sont parfaits, plus tôt ils
y
bénédiction en vertu de laquelle ils devaient renoncent, non pas que par là ils se soient mis
remplir toute la terre. Dieu voulut que les dans l'impossibilité physiciue de répondre,
vêtements des Hébreux
dans le désert se dans la suite, à une volonté réciproque ; du
conservassent intacts pendant quarante ans *. moins procuré la gloire de se refu-
se sont-ils
A combien plus forle raison, si l'homme lût ser ce qui leur était permis; et quand les
resté obéissant, Dieu aurait-il accordé à sou époux se rendent réciproquement le respect
corps une certaine permanence heureuse, et les autres devoirs, leurs membres fussent-
jusqu'à ce qu'il lût arrivé à une transformation ils glacés et presqu'éteints par l'âge, le mérite
plus parfaite, non point par l'eO'et de la mort, de la chasteté leur reste; chasteté du cœur et
qui chasse l'àme du corps, mais par l'effet du d'esprit d'autant j>!us sincère, d'autant plus
passage de la mortalité à l'immortalité, de la sûre, qu'elle est plus calme et plus tranquille.
qualité animale à la qualité spirituelle. De plus le mariage a encore cet heureux résul-
tatde tourner vers le but honnête de la pro-
CHAPITRE m. pagation des enfants, rincontinence, même
TROIS PREMIERS AVANTAGES. vicieuse, des jeunes gens. C'est ainsi que l'union
conjugale change en bien le mal même de la
Laquelle de ces opinions est la vraie ? Peut- concupiscence. Ensuite l'aflection paternelle
on en imaginer d'autres encore, tout en se réprime rend plus honnêtes les ardeurs de
et
fondant sur les paroles de la bénédiction pri- la chair.La volupté la plus ardente devient
mitive? De telles questions nous entraîneraient tout à coup un sentiment sérieux dans les
trop loin. époux, à la pensée qu'en s'unissant ils vont
3. Contentons-nous de dire que, vu la condi- mériter les titres de père et de mère.
tion où nous sommes créés et que nous con-
naissons, de naître et de mourir, l'union de CHAPITRE IV.

rhomine et la femme
en elle-même un
de est
AUTRE AVANTAGE DANS LE MARIAGE :

bien réel. En efïet cette union est si précieuse


LA FIDÉLITÉ CONJUGALE.
aux yeux de l'Ecriture, que la femme, du
vivant de son premier époux, ne peut en épou- 4. Quant au devoir conjugal, malgré l'in-
ser uu autre, fût-elle renvoyée par lui. Réci- tempérance qui l'accompagne quelquefois,
proquement, l'homme renvoyé par sa femme toujours LSt-il qu'il est, de la part des époux,
ne peut en épouser une autre jusqu'à ce que matière à fidélité réciproque. Cette fidélité,
' Sag. II, 2J. — " I Thess. iv, 16. — • Deut. xxix, 5. ' iiatt. SIX, 9. — ' Jean, ii, 2.
108 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

aux yeux de l'Apôtre, donne un droit si réel^ crime, qu'elle revienne à la foi conjugale,
qu'il ne craint pas de l'appeler une puissance : qu'elle rompe avec ses engagements et re-
« La femme, dit-il, n'a pas puissance sur son nonce à ses joies adultères, et j'affirme qu'elle
etcorps, elle appartient à l'homme. Celui- ne sera plus regardée ni comme infidèle, ni
« ci à son tour n'est pas dans une condition comme adultère.
« différente, son corps est en la puissance de

« sa femme ^ ». Violer cette fidélité, c'est se CHAPITRE V.

rendre coupable d'adultère ce qui arrive ;


QUAND Y A-T-IL MARIAGE ENTRE L'hOMME
quand, au mépris du pacte conjugal, poussé ET LA FEMME.
par la passion ou attiré par les séductions
d'une personne étrangère, on a avec elle des 5. Un homme et une femme qui ne sont
relations coupables. La fidélité est détruite à liés par aucun mariage antérieur, ont ensem-
l'instant même, et cette fidélité, en ce qui non pas précisé-
ble des relations charnelles,
regarde les choses corporelles et humiliantes, ment dans le but d'avoir des enfants, mais
est toujours un grand bien de l'àme, car elle uniquement par incontinence et cependant ;

doit être préférée à la vie même du corps. Une ils nourrissent la ferme résolution de se gar-
paille légère n'est rien en face d'une grande der une fidélité réciproque. On demande si
quantité d'or; cependant que la fidélité ait l'on peut voir en cela un mariage véritable.
pour objet de la paille ou de l'or, elle a tou- On le peut certainement pourvu que leur en-
jours son prix et la même importance. gagement soit perpétuel, pourvu aussi que,
Invoquera-t-on la fidélité pour s'autoriser à sans se proposer peut-être la génération des
commettre le péché ? Je m'étonnerais qu'il y enfants, ne l'évitent pas de propos délibéré
ils

eût alors fidélité. Quelle qu'elle cepen-


soit, et ne opposent pas criminellement. Mais si
s'y
dant, il suffit de la violer, pour devenir par l'une ou l'autre de ces conditions manque, il
cela même
plus coupable, excepté dans le cas n'y a plus mariage à nos yeux. En effet, qu'un
où renonce pour revenir à la vraie fi-
l'on y homme conserve une femme en attendant qu'il
délité, c'est-à-dire pour corriger sa volonté et trouve à en épouser une autre qui lui agrée da-
renoncer au péché. Par exemple, tel malfai- vantage, pour l'honneur ou pour la richesse, je
teur se trouve trop faible pour attaquer seul dis que dansson cœur il commet l'adultère, non
un voyageur; il trouve un complice, et tous pas précisément contre celle qu'il désire trou-
deux s'engagent à réaliser ce crime et à par- ver, mais contre celle qu'il entretient sans avoir
tager le butin. Mais le crime à peine commis, l'intention de l'épouser. Et si cette dernière
l'un des deux criminels s'empare seul des dé- connaît les dispositions de son séducteur, elle
pouilles. L'autre gémit et se plaint de la vio- est coupable parce qu'elle n'est liée à lui par
lation des engagements contractés envers lui. aucun engagement matrimonial. Toutefois si,
Qu'il se souvienne plutôt qu'avant tout il avait même alors, elle reste fidèle; si, après le
à se montrer fidèle à ses obligations envers la mariage de son complice, elle n'a aucune vo-
société humaine, et que le premier de ses de- lonté de se marier et se dispose à vivre dans
voirs était d'empêcher qu'un homme fût in- la continence absolue, je crois qu'alors je ne

justement dépouillé, lui qui sent si vivement pourrais pas l'accuser d'adultère. Tous affir-
l'iniquité d'une infidélité commise dans un ment du reste et sans hésiter, qu'elle pèche
pacte criminel. Il est donc doublement con- dans les relations qu'elle a avec un homme
pable et doublement criminel. Au contraire si, dont elle n'est pas l'épouse. Supposons main-
regrettant tout à coup la faute commise, il re- tenant que, dans ses désordres, du moins quant
fuse sa part des dépouilles etdemande qu'elles à ce qui la regarde, elle ne se propose autre
soient rendues à leur véritable possesseur, on chose que d'avoir des enfants, et, qu'en de-
ne pourra évidemment l'accuser d'infidélité. hors de ce but, tout la fasse soutfrir, je dis
De même, supposé qu'une femme, après avoir qu'ellel'emporte sur un grand nombre de
au complice
violé la foi conjugale, reste fidèle matrones qui, sans être proprement adultères,
de son adultère, elle serait coupable elle le ; forcent des maris qui voudraient rester dans
serait plus encore en se rendant infidèle à l'un la continence, à leur rendre le devoir con-
et à l'autre. Mais qu'elle se repente de son jugal, non pas dans le but d'avoir des enfants,
' I Cor. vu, 4. mais uniquement pour satisfaire l'ardeur de
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. J09

la concupiscence qui les dévore, usant ainsi époux cette servitude réciproque, comme pré-
avec intempérance d'un droit qui leur appar- servatif contre une honteuse corruption in-
tient. Et cependant leur mariage reste bon en spirée par le démon et nourrie par l'inconti-
lui-même, par cela seul qu'elles sont mariées; nence soit de l'un des époux, soit des deux en-

car elles le sont, afin de restreindre cette con- semble. Le devoir conjugal, quand il a pour
cupiscence dans des limites légitimes, en de- but la génération, n'est point une faute ; ac-
hors desquelles elle déborderait sans mesure compli uniquement pour satisfaire la concu-
et sans frein, appuyée sur l'indomptable fai- piscence, mais entre époux, en gardant la fi-

blesse de la chair, tandis que le mariage pro- délité conjugale et dans la mesure du devoir,
duit l'union indissoluble et force à la fidélité ;
il n'excède pas le péché véniel; tandis que l'a-
de plus la chair, par elle-même, se porte im- dultère et la fornication sont toujours péchés
modérément aux œuvres qui lui sont propres; mortels. D'où il suitque la continence absolue
le mariage, au contraire, couvre du voile de est bien plus parfaite que le devoir conjugal,
la chasteté, la génération elle-même car, s'il ;
même quand il n'a pour but que la généra-
est honteux d'user passionnément d'un mari, tion.
c'est faire preuve d'honnêteté de ne connaître CHAPITRE VII.
que son mari et de ne recevoir que de lui les
INDISSOLUBILITÉ DU MARIAGE.
honneurs de la maternité.
Garder la continence, c'est l'état le plus par-
CHAPITRE VI. fait rendre le devoir conjugal est une chose
;

DD DEVOIR CONJUGAL. permise; l'exiger en dehors des nécessités de


la génération, c'est un péché véniel commet- ;

On
trouve des maris qui poussent l'incon- tre la fornication ou l'adultère, c'est un péché
tinence jusqu'à méconnaître l'état embarrassé mortel. La charité conjugale exige donc que
de leurs épouses. Mais si les époux se livrent l'un des époux, sous prétexte de mériter da-
à l'immodestie et à la honte, c'est la faute des vantage, se garde bien d'être pour l'autre une
hommes et non du mariage. cause de damnation. Car «celui qui renvoie sa
0. Et même, dans l'usage immodéré du ma- « femme, sauf le cas de fornication, la pousse
riage, usage que l'Apôtre leur permet mais a à l'adultère '
». En effet, le pacte nuptial est
qu'il ne commande point, et qui a un tout si sacramentel qu'il n'est pas même rompu

autre but que celui de la génération des en- par la séparation des époux. Tant que son
fants quoique alors ils cèdent à l'entraîne-
;
époux est vivant, eùt-elle été renvoyée par lui,
ment de leurs mœurs dépravées, le mariage a la femme commet l'adultère en connaissant un
encore l'efficacité de les soustraire à l'adultère autre homme; et le mari, en la renvoyant,
ou à la fornication. En effet, ce n'est pas le s'est fait la cause de ce crime.
mariage qui commande
cet acte, mais c'est le 7. Puisqu'il est permis de renvoyer safemme
mariage qui l'excuse. Dès lors si les époux surprise en adultère, est-il aussi permis d'en
s'appartiennent l'un à l'autre pour la généra- épouser une autre ? L'Ecriture donne lieu, sur

tion des enfants, but premier assigné à la so- ce point, à une difficulté assez grave. L'A-
ciété humaine dans notre existence mortelle, pôtre, promulguant en cela un précepte du
ils s'appartiennent aussi comme remède à la Seigneur, déclare que la femme ne doit point
faiblesse de la chair, et se trouvent l'un à l'é- se séparer de son mari et que, si elle s'en sé- ;

gard de l'autre, dans une sorte de servitude pare, elle doit rester sans mari, ou se réconci-
pour étouffer jusqu'aux désirs illicites et pour lier avec le sien '\ En voici la raison. En se sé-
ne pouvoir garder l'un ou l'autre perpétuelle- parant d'un mari qui n'est point adultère et
ment la continence, sans un consentement en suspendant toute relation conjugale, elle
réciproque. Voilà pourquoi « l'épouse n'a exposerait son époux à tomber dans l'adultère
« point puissance sur son corps, il appartient ou l'impureté. Mais elle peut en toute justice
«au mari; de même celui-ci n'est plus le se réconcilier avec lui, soit
en tolérant son in-
« maître de son corps, c'est la femme * ». conduite, pour elle-même la continence est
si

Donc, en dehors même de la génération, les impossible, soit surtout eu le ramenant à des
faiblesses et l'incontinence imposent aux sentiments meilleurs. Des lors je ne vois pas
' I Cor. Vil, -l-G. * Matt. V, 32. —M Cor. vu, 10, 11.
,

410 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

sur quoi l'on peut s'appuyer pour soutenir plutôt la condamnation que l'approbation du
que l'homme, dont la femme est adultère, divorce.
peut, après l'avoir quittée, en épouser une «Le mariagedoit donc être honorable en
8.

autre, puisque, dans le même cas, la femme nuptial immaculé ». Kndisant


« tout et le lit *

ne peut convoler à de nouvelles noces. S'il ne que le mariage est bon en lui-même, nous ne
peut en épouser une autre, c'est que le lien parlons pas d'une bonté relative, comparative-
conjugal d'abord formé dans le but d'avoir des ment à la fornication ; autrement mariage et
enfants est tellement indissoluble, qu'il ne fornication ne seraient que des maux, dont
peut être rompu pour chercher la génération l'un seulement serait plus grand que l'autre.
dans un autre mariage. Autrement, tel homme Ou bien la fornication serait bonne parce
dont la femme est stérile, pourrait la renvoyer qu'elle est un moindre mal que l'adultère,
et en épouser une autre, avec laquelle il au- puisque c'est une plus grande faute de violer le
rait des enfants. Or agir ainsi serait un
, mariage d'autrui, quede s'attacher à une con-
crime; la loi en vigueur de nos jours et ap- cubine. L'adultère, à son tour, serait bon ,

puyée sur la coutume romaine, ordonne de parce qu'il est un moindre mal que l'inceste
n'avoir qu'une«eule femme vivante et cepen- ; car souiller sa mère est un plus grand crime
dant après le divorce pour cause d'adultère, que de violer une femme étrangère ainsi de ;

de la part de l'un ou de l'autre des deux suite, en descendant jusqu'à ces hontes que
époux, il pourrait encore naître des enfants, rA|)ôtre défend de nommer, tout sera bon ,

s'il était permis de contracter un nouveau ma- comparé à ce qui est pire ^ La fausseté d'un
riage. La loi divine le défend d'une manière tel raisonnement est évidente. Le mariage et
absolue, et c'est là ce (jui prouve à tout homme la fornication ne sont pas deux maux, dont
réfléchi la force irrésistible du lien conjugal. l'un serait plus grand que l'autre. Au contraire
Pourrait-il en être ainsi, si le sacrement ne le mariage et la continence sont deux biens,
venait fortifier la faiblesse humaine et s'im- dont l'un est supérieur à l'autre. De même ,

poser aux hommes jusqu'à leur faire craindre la santé et l'état de souffrance ne sont pas deux
un châtiment infaillible, s'ils renoncent au maux, dont l'un serait i)lus grand que l'autre,
lien conjugal, où s'ils cherchent à le dissou- tandis que la santé et l'immortalité sont deux
dre ? Une séparation peut avoir lieu, mais l'u- biens, dont l'un est supérieur à l'autre. Enfin
nion des époux ne sera pas brisée ils reste- ; la science et la vanité ne sont pas deux maux,
ront époux, même après s'être séparés, et s'ils à condition que celui-ci soit le plus grand ;

s'abandonnent à la licence de leurs mœurs, ils mais la science et la charité sont deux biens ,

se rendent coupables d'adultère à l'égard de celle-ci l'emporte sur la première. « La


ceux avec lesquels ils restent unis, la femme « science sera détruite», dit l'Apôtre, et cepen-
à l'égard de son mari et réciproquement. Le dant elle est nécessaire en cette vie; « quanta
mariage, jusqu'à ce point indissoluble, n'est « la charité elle ne tombera jamais ^ » .De même
possible que dans la cité de notre Dieu et sur cette génération mortelle qui est le but du
sa montagne sainte *.
mariage, disparaîtra, tandis que la continence
qui est ici-bas un commencement de vie an-
CHAPITRE VIII.
gélique, restera éternellement.
LE DIVORCE CHEZ LES GENTILS ET CHEZ LES JUIFS. De même donc que les jeûnes des pécheurs
LE MARIAGE EST LIS BIEN, QUOIQUE MOINDRE. sont moins méritoires que les festinsdes justes,
de même le mariage des filles fidèles l'emporte
Il n'en est point ainsi du mariage parmi les sur la virginité des filles qui n'ont pas la foi.
nations païennes. Chez elles, par le fait seul Toutefois, dans ces hypothèses, ce n'est pas le
de la répudiation, et sans que la justice hu- festin que nous préférons au jeune mais la ,

maine s'en occupe aucunement, la femme peut justice au péché ce n'est pas le mariage que
;

épouser un autre mari, et réciproquement. nous préférons à la virginité, mais la foi à


Moïse, de son côté, cédant à la dureté des Israé- l'impiété. Enfin si les justes mangent quand il

lites,semble leur avoir permis quelque chose en est besoin, c'est afin de se montrer bons
de semblable en les autorisant à donner le li- maîtres à l'égard du corps leur esclave , et
belle de répudiation ^ Et en cela je trouve de lui accorder ce qui est juste et équitable ,
'Ps. XL, Vil, ' Deut. XXIV, ] ; Malt, xix, 8. ' Hébr. xni, 4. — ' Eph. v, 12. — M Cor. xui, 8.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. 111

tandis que
le jeûne des pécheurs sacrilèges celui qui n'en use pas dans le but qui leur
tourne directement au service des démons. De est assigné, pèche tantôt véniellement, tantôt
même si les filles fidèles se marient, c'est pour mortellement. Au contraire c'est bien agir que
avoir, avec leurs époux, des relations chastes d'en user d'une manière subordonnée à leur
et modestes, tandis que dans une fille païenne but mais ne pas en user quand ils ne sont
:

une véritable fornication contre


la virginité est pas nécessaires, c'est agir bien mieux encore.
le vrai Dieu. Marthe, en servant les saints ,
Les désirer quand le besoin s'en fait sentir,
faisait une bonne action mais Marie faisait ; c'est bien ; mais c'est mieux encore de ne
encore mieux en se prosternant aux pieds du pas en vouloir, car c'est pour nous un état
Seigneur et en recueillant sa parole ^ Nous plus parfait de ne pas en avoir besoin. D'où il

louons en Suzanne la chasteté conjugale ^; suit qu'il est bon de se marier, parce qu'il est
mais en cela même elle est inférieure à Anne bon de créer des enfants, d'être mère de fa-
la veuve, et surtout à la Vierge Marie ^ Les mille '. Mais il est mieux de ne pas se marier,
femmes qui, sur leur fortune, fournissaient le car il est mieux, pour le bien même de la so-
nécessaire à J.-C. et à ses disciples, faisaient ciété, de ne pas avoir besoin du mariage. Je
bien; maisceux-là faisaient mieux encore qui m'explique ainsi, parce qu'aujourd'hui nous
renonçaient à tout pour suivre p!us facilement trouvons, non-seulement parmi ceux qui sont
leSauveur. Or, dans toutes ces circonstances, engagés dans le mariage, mais même parmi
et ceux qui abandonnaient tout et ceux qui ceux qui s'abandonnent à des relations cou-
imitaient Marthe et Marie, ne pouvaient as- pables, où le Créateur change le mal en bien,
pirer à un état plus parfait qu'en quittant assez d'hommes à qui il accorde de nombreux
l'état moins parfait. D'où il suit que le ma- enfants et de riches successions, pour qu'on
riage ne doit pas être considéré comme lui puisse contracter desaintes amitiés. De là vient
mal, bien que dans le mariage on ne puisse qu'aux premiers âges du monde, dans le but
pratiquer ni la chasteté viduclle ni l'intégrité de multiplier les enfants de Dieu, de prophé-
virginale. De même les fonctions de Marthe n'é- tiser et de préparer la naissance du Prince et
taient pas mauvaises, bien que sa sœur, si elle du Sauveur de tous les peuples, les saints ont
l'eût imitée, n'aurait pas fait ce qui était mieux. dû user du mariage, non pour eux-mêmes,
Enfin ce n'est pas un mal de donner l'hospita- mais pour servir d'instrument aux desseins de
lité à unou à un prophète, bien qu'on
juste Dieu. Aujourd'hui que, parmi tous les peuples,
ne doive point avoir de maison quand on ,
on voitse former avecactivité des unions toutes
veut suivre Jésus-Christ jusqu'à la perfection. spirituelles, pour établir la sainte et véritable
société, on ne doit pas laisser ignorer à ceux
CHAPITRE IX. même qui n'aspirent au mariage que dans le
EN QUOI CONSISTE LA BONTÉ DU MARIAGE. désir d'avoir des enfants, qu'il serait mieux
pour eux d'embrasser l'état plus parfait de la
9. Il est à remarquer que parmi les dons de continence.
Dieu, il en que l'on doit rechercher pour
est CHAPITRE X.
eux-mêmes, tels sont la sagesse, la santé, l'ami-
OBJECTION CONTRE LA CONTINENCE.
tié; il en est d'autres qui ne sont nécessaires
que comme moyens, tels sont la science, la 10. Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si tous les
nourriture, la boisson, sommeil, le mariage
le hommes embrassaient la continence ? que de-
et les relations conjugales. Parmi les derniers viendrait le genre humain ? Plût à Dieu que
actes les uns sont nécessaires à la sagesse , tous eussent ce désir, inspiré « par la charité

telle est la science ; les autres sont nécessaires « d'un cœur pur, d'une bonne conscience, et
à la santé, tels sont la nourriturs, le breuvage, « d'une foi véritable ^ » la cité de Dieu serait;

le sommeil; d'autres enfin sont nécessaires à plus promptement remplie, et la fin du monde
l'amitié, comme le mariage et l'acte qui lui est arriverait plus tôt 1 N'est-ce pas là ce que
propre car c'est sur lui que repose la propa-
; désirait l'Apôtre quand il s'écriait « Je vou- :

gation du genre humain, pour qui les relations « que tous vous fussiez comme moi ?» Et
drais
de l'amitié sont un bien si grand. Quant aux ailleurs «Voici ce que je vous dis, mes frères;
:

biens qui sont nécessaires comme moyens, « le temps est court, que ceux qui ont des

'
Luc, X, 39, 42. — Dan. xill. — Luc,
" 27 36, 37.' i, ; li, » I Tim. T, 14. — M Tim. i, 5.
.

112 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.


« femmes vivent comme n'en ayant point que ;
ture. C'est cet abus que l'Apôtre stigmatisait
« ceux qui pleurentsoient comme ne pleurant quand il parlait de l'affreuse corruption des
« point, et ceux qui sont danslajoie comme n'y hommes impudiques et impies ^ Il n'y a de
« étant pas que ceux qui achètent soient
,
permises et de vraiment matrimoniales que
« comme s'ils n'achetaient pas, et que ceux qui les relations nécessaires pour procurer la gé-
« usent de ce monde soient comme n'en usant nération. Tout ce qui se fait en dehors de cette
« pas, car la figure de ce monde passe. Or je nécessité est inspiré, non plus par la raison,
« veux que vous soyez sans aucune sollicitude » mais par la passion. Et cependant, si, en ne
Plus loin il ajoute « Celui qui n'est pas marié,
: l'exigeant pas, on se contente de rendre le
« ne recherche dansses pensées quecequi peut devoir à l'autre époux, pour le soustraire au
« plaire à Dieu; tandis que celui qui est en- crime de la fornication, on fait acte de sou-
« gagé dans le mariage, s'occupe des choses du mission conjugale. Si les deux époux sont
« monde et cherche à plaire à sa femme. La victimes de la même concupiscence, leurs re-
« femme mariée a le cœur partagé ; celle qui lations ne sont plus entièrement conformes
« ne préoccupée que des choses
l'est pas, n'est aux du mariage. Si pourtant ils préfèrent
lois
« du Seigneur, pour se rendre sainte de corps ce qui est honnête à ce qui est déshonnête,
etet d'esprit; tandis que celle qui est mariée c'est-à-dire ce qui est du mariage à ce qui n'en
« se préoccupe des choses du monde et cher- est pas, l'Apôtre les regarde comme dignes
« che à plaire à son mari ». De là je conclus d'indulgence et de pardon. Ce n'est pas le
qu'à l'époque où nous sommes, il n'y a que mariage qui leur inspire celte conduite, mais
ceux qui ne peuvent vaincre l'incontinence il intercède en leur faveur pourvu qu'ils ,

qui doivent se marier, selon cette sentence du n'éloignent pas la miséricorde divine, soit en
même Apôtre « Ceux qui ne sont pas maîtres
: ne se privant aucun jour pour se livrer à la
a d'eux-mêmes, qu'ils se marient, car il vaut prière, cette privation, comme le jeûne, don-
« mieux se marier que de brûler ». nerait du poids à leurs supplications soit en ;

11. Même pour ceux-là, le mariage n'est pas changeant l'ordre de la nature, ce qui devient
un péché; je le dis d'une manière absolue, sans un crime horrible pour des époux.
aucune pensée de comparer le mariage à la
fornication et de le montrer comme un CHAPITRE XI.

moindre péché, car tout moindre qu'il serait, DE l'usage contre NATURE. COMBIEN LA
ce serait toujours un péché. Qu'opposerions-
VIRGINITÉ l'emporte SUR LE MARIAGE.
nous à cette parole évidente de l'Apôtre :

« Qu'il fasse comme il l'entend; en se mariant 12. Quand du mariage se fait dans
l'usage
« il ne pèche pas » et à cette autre « En
; : l'ordre naturel, mais en dehors de la procréa-
« prenant une épouse, vous n'avez pas péché ; tion, il n'est que péché véniel pour l'épouse,
« eten se mariant, la vierge ne pèche pas ? » '
mais il est péché mortel pour la concubine.
Après des témoignages aussi formels, il n'est Au contraire, l'usage contre nature, tout hor-
plus permis de douter que mariage soit un le rible qu'il est dans une concubine, le devient
péché. Ce n'est donc pas le mariage sous forme bien plus encore pour les époux. Tel est l'ordre
de pardon que l'Apôtre permet; quelle ab- établi par le Créateur et imposé à la créature :

surdité de dire que ceux à qui l'on accorde le dans les choses dont l'usage est permis, excé-
pardon n'ont pas péché Ce qu'il accorde sous ! der le mode légitime est une faute beaucoup
forme de pardon ou d'indulgence, ce sont ces plus pardonnable qu'elle ne l'est si elle se
relations matrimoniales qui se font par incon- commet dans les choses défendues, lors même
tinence, non pas pour le seul motif de la gé- que l'abus serait très-rare. Voilà pourquoi on
nération, et quelquefois même sans aucun but tolère dans le mariage et dans les matières
de créer. Le mariage, loin d'exciter ces rela- permises certaines licences immodérées, pour
tions nécessaires, réclame pour elles l'indul- empêcher que la passion n'entraîne à ce qui
gence et le pardon pourvu toutefois qu'elles
;
est défendu. Ainsi, quelle que soit l'assiduité

ne se multiplient pas jusqu'à ne laisser aucun dont on obsède une épouse, on se rend par là
temps destiné à la prière et qu'elles ne dégé- beaucoup moins coupable qu'on ne le serait
nèrent pas en abus contre les lois de la na- en cédant, ne fût-ce que très-rarement, à la
* I Cor. vil, 7, 28-36. ' Rom. I, 26, 27.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. 113

fornication. Mais si Thomme veut changer à CHAPITRE XII.


l'égard de son épouse l'ordre de la nature,
PEU DE FEMMES C.\PABLES DE NE PENSER QU'a DIEU.
cette épouse est beaucoup plus coupable de
permettre ce désordre sur elle, que si elle le 14. Ce langage s'applique-t il à toutes les

permettait sur une autre. L'honneur conju- épouses indi^tinctement ou au moins à l'im-
dans la génération, et la
gal, c'est la chasteté mense majorité d'entre elles? 11 est permis de
fidélité àrendre le devoir; telle est l'œuvre l'exnniiner. Ces paroles relatives aux vierges :

propre du mariage, œuvre proclamée exempte « Celle qui est vierge s'occupe des choses de
de toute faute dans ces paroles de l'Apôtre : « Dieu et cherche à se rendre sainte de corps
« En prenant une épouse, vous n'avez pas pé- « et d'esprit » , s'appliquent à toutes les femmes
« ché la \ierge en se mariant, ne fièche pas;
;
non mariées; mais n'est-il pas un certain nom-
« qu'elle fasse selon ses désirs, mais en se bre de veuves qui vivent dans les délices '
? Si

« mariant elle ne pèche pas ». Quant à exiger maintenant nous voulons comparer entre
immodérément le devoir conjugal, l'Apôtre a elles les vierges et les épouses, voici ce que
dit plus haut qu'il en faisait l'objet du pardon nous pouvons affirmer. On ne peut trop
accordé aux époux. détester celte vierge qui, renonçant au ma-
13. «La personne qui n'est pas mariée», riage, c'est-à-dire à ce qui est permis, s'aban-
dit l'Apôtre, « se préoccupe de glorifier le Sei- donne au péché, à la luxure ou à l'orgueil, ou
« gneur et de se rendre sainte de corps etd'es- à la curiosité, ou à l'intempérance du langage.
« prit ». Mais ces paroles ne doivent pas être De même, on ne trouve que rarement des
entendues dans ce sens, que l'épouse cliré- femmes qui, au sein même des affections con-
tienne, si elle observe les règles de la chas- jugales, ne cherchent qu'à plaire à Dieu, et
teté, ne soit [»as sainte de corps. En effet, c'est prennent pour ornement non [las la recherche
à tous les fidèles qu'il a été dit : « Ignorez- dans les cheveux, l'or, les perles et les vête-
« vous que vos corps sont le temple de lEs- ments précieux, mais celte belle décence qui
que vous avez reçu de Dieu ? »
« pril-Saint, '
convient aux femmes, dont la conversation est
Si donc les époux se montrent fidèles à eux- comme un parfum de piété K Voici ce que
mêmes et à Dieu, leurs corps sont saints. Cette l'apôtre saint Pierre prescrit relativement à
sainteté, par un époux
loin d'être détruite ces mariages : « Que les femmes obéissent à
païen, reflue de l'épouse chrétienne sur l'époux « leurs maris de ces maris qui ne
; est-il
infidèle, et de l'époux chrélien sur son épouse « croient pas à la parole divine? faites en sorte
infidèle. C'est TAitôtre qui nous l'alûrme par « qu'ils se laissent gagner par la vie sainte de
ces paroles : « L'homme infidèle a été sancli- « leurs femmes, sans le secours de la [tarole ;
« fié par son épouse, et la leiiime infidèle a été « qu'ils soient frappes de la pureté dans la-
« sanctifiée par notre frère ^ ». « quelle vous vivez et du respect que vous
Cette proposition ne fait que confirmer celle « avez pour eux. Ne mettez point votre gloire
qui établit [)Our les vierges une sainteté plus « à vous parer au dehors par la frisure des
grande que pour les épouses, sainteté qui ob- « cheveux, par la profusion de l'or etlasplen-
tiendra une récompense proportionnée à son « deur des vêtements. Parez plutôt l'homme
degré de mérite. La raison en est que la vir- « invisible caché dans le cœur, par la pureté
ginité permet de tourner vers Dieu toutes ses « incorruptible d'un esprit plein de douceur
pensées. En effet, la femme fidèle, tout en ob- « et de paix; c'est là le plus riche et le plus
servant les lois de la pudeur conjugale, ne « magnifique ornement aux yeux de Dieu.
peut pas ne penser qu'au Seigneur ; sa perfec- « C'est ainsi qu'autrefois les saintes femmes
tion estdonc moindre, puisqu'elle a aussi les « qui espéraient en Dieu se paraient, re.-tant
pensées du monde en cherchant à plaire à son « soumises à leurs maris. Telle était Sara, (jui
mari. C'est d'elle que l'Apôire a parle en di- « obéissait à Abraham et l'appelait son Sei-
sant que le mariage lui impose la nécessité de « gneur; Sara, dont vous êtes devenues les
penser aux choses du monde et de chercher à « filles en imitant ses œuvres et en refoulant

plaire à sou époux. « toute crainte inspirée par la vanité. El vous,


' I Cor. VI, 19. — ' Ib. vu, 14. « maris, vivez sagement avec vos femmes, les
« traitant avec honneur et discrétion, comme
• I Tira. V, 6. — » Id. n, 9, 10.

S. AuG. — Tome XII.


114 DE CE QUI EST BIEN DANS LE iMARIAGE.

« le sexe le plus faible, n'oubliant pas qu'elles raient pas embrassé avec joie la virginité,
ot sont, avec vous, héritières de la grâce qui quand nous voyons comment ils vivaient
« donne en sorte de donner un
la vie, et faites avec leurs épouses? Chaque homme pouvait
« Est-ce que de
libre cours à vos prières
* ». avoir plusieurs femmes; mais ils avaient avec
tels époux ne s'occupent pas des choses du elles des relations plus chastes, que n'en ont
Seigneur et ne cherchent pas à lui plaire? aujourd'hui avec une seule femme ces époux
Mais je l'avoue, ils sont bien rares ; qui pour- à qui l'Apôtre fait les concessions dont nous
rait le nier? Et dans le petit nombre de ceux avons parlé \ Les anciens se mariaient pour
qui en sont là, aucun ne s'était marié dans le avoir une postérité etnon pour satisfaire ces
but d'arriver à cette perfection, ils n'y sont désirs auxquels sont en proie les nations qui
arrivés qu'après le mariage. ne connaissent pas le Seigneur -. Ne dites pas
que cette conduite n'a rien d'extraordinaire,
CHAPITRE XIII. car aujourd'hui pour un grand nombre de
chrétiens il est plus facile de vivre dans la
COMBIEN EST RARE LA PURETÉ PARFAITE
DANS LE MARIAGE. continence absolue, que de s'abstenir dans le
mariage des relations qui n'auraient pas pour
15. Comment en etîet, sous le règne de but unique de leur créer une postérité. Une
Jésus-Christ, quand ils se voient au temps, multitude de nos frères des deux sexes, héri-
non plus d'embrasser % mais de s'abstenir de tiers comme nous du royaume des cieux, se
tout embrassement, ceux qui, libres encore condamnent à la continence, soit après avoir
des liens du mariage peuvent garder ,
la con- fait l'épreuve du mariage, soit en conservant
tinence, hésiteraient-ils un seul instant à s'abs- la virginité perpétuelle. Au contraire, parmi
tenir du mariage et à choisir la continence ceux qui sont mariés ou qui l'ont été, combien
virginale ou viduelle, plutôt que de se jeter en trouvons-nous qui, dans l'intimité delà
dans de la chair, complément
la tribulation confidence, puissent nous affirmer que jamais
inséparable du mariage selon la parole de l'A- ils n'ont eu de relations conjugales, que dans

pôtre? Nous supposons toutefois qu'aucune le but ou avec l'intention d'avoir des enfants?
nécessité sociale ne les contraint de se marier. Donc ce que les Apôtres ordonnent aux époux,
Mais voici que poussés par la concupiscence, il constitue la nature du mariage ce qu'ils per- ;

en est qui ont rivé sur eux les chaînes du ma- mettent, sous forme de pardon, ou ce qui
riage. Si alors triomphent des penchants
ils empêche la prière, le mariage ne le com-
de la chair, ils ne pourront plus
sans doute mande pas, il le tolère.
rompre le mariage malgré la liberté où ils
étaient de ne pas le contracter, mais du moins CHAPITRE XIV.
ils peuvent réaliser la perfection de cet état.
DE LA FORNICATION ET DU MARIAGE.
Ou bien, d'un consentement mutuel, ils mon-
teront à un degré plus élevé de la sainteté ;
iQ. Faisons une supposition, que je crois à
ou bien, s'ils ne sont pas tous deux capables peine possible, ou plutôt que je ne crois pas
de cette perfection, le plus parfait des deux, possible. Je suppose donc qu'un homme en-
sans exiger le devoir, se contentera de le tretienne, pourun temps, une concubine, dans
rendre, en observant toutes les 'règles d'une le seulbut d'en avoir des enfants, et je dis
conduite chaste et religieuse. Dans les temps que, même alors, cette union serait plus cou-
anciens, quand le mystère de notre salut était pable que le mariage dans lequel on a besoin
encore voilé sous les figures prophétiques, de réclamer l'indulgence de l'Apôtre. En effet,
ceux mêmes qui pouvaient rester continents, ce qu'il faut examiner, c'est le mariage en
se mariaient dans le but de propager la race lui-même, et non l'usage immodéré que l'on
humaine; dès lors le mariage était pour eux peut en faire. Qu'un homme, après s'être
non point une victoire de la concupiscence, injustement emparé de plusieurs terres, en
mais un acte de piété. Si comme à nous, le , recueille les fruits pour en faire d'abondantes
choix leur eût été donné; si comme à nous, il aumônes, il ne justifie point, par ce fait, l'injus-
leur eût été dit : « Que celui qui peut saisir ticecommise. De même si un avare couve en
saisisse '
», pouvons-nous croire qu'ils n'au- quelque sorte le bien qu'il a hérité de son
' I Pierre, m, 1-7. — ' Eccl. m, 5 — » Matt. xix, 12. ' I Cor. vn, 6. — » I Thess. iv, 5.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. 1 1 o

père 011 qu'il a justement acquis d'un tiers, moins qu'on n'ait besoin d'un
rester vierge, à
on ne doit pas faire retomber la faute sur la remède Dans les premiers
à l'incontinence.
loi civile qui lui a permis d'en devenir le légi- temps, ceux mêmes pour qui la continence
time possesseur. L'iniquité d'une faction ty- était le plus facile, pouvaient, sans péché,
rannique ne deviendra pas un titre d'honneur, épouser plusieurs femmes, à moins que des
lors même que le tyran traiterait ses sujets raisons de piété n'y missent obstacle. L'homme
avec une clémence royale de même la puis- ; sage et juste, qui désire mourir et régner avec
sance royale ne deviendra jamais méprisable Jésus-Christ, et pour qui ce désir est le seul
en elle-même, par cela seul qu'un roi se rend bonheur*, prend néanmoins de la nourriture,
coupable de tyrannie. Autre chose est de vouloir non pas par amour delà vie, mais par dévoue-
user justement d'une puissance injuste, autre ment à son devoir et pour être utile à ses frères.
chose d'user injustement d'une puissance De même les saints patriarches ne virent dans
juste. Si donc des concubines, entretenues les relations avec leurs femmes qu'un devoir
temporairement, ne se proposent que la géné- du mariage et non un moyen de flatter la
ration des enfants, elles ne rendent pas légi- volupté.
time leur concubinage; de même la profana- CHAPITRE XVI.
tion du mariage par des épouses et des époux
USER DU MARIAGE COMME DES ALIMENTS.
coupables n'ôte rien à la sainteté du mariage
en lui-même. 18. Ce que la nourriture est à la santé de
17. Il est certain, toutefois, qu'un mariage l'homme, le mariage l'est à la conservation
criminellement formé peut devenir légitime du genre humain. L'un et l'autre produisent
par le redressement des volontés. une délectation charnelle; mais cette délecta-
tion,contenue dans certaines limites, et res-
CHAPITRE XV. treinte par latempérance au besoin naturel,
LES PATRIARCHES ET LEURS CONCUBINES. ne peut pas être appelée de la passion*. Or ce
qu'est une nourriture pour soutenir la illicite
Dans de notre Dieu où, d'après l'u-
la cité , santé, la fornication et l'adultère le sontpour
nion primitive de deux personnes humaines, obtenir de la famille. Supposez maintenant
le mariage a toujours été une sorte de sacre- une nourriture illicite, non plus pour entre-
ment, ce même mariage une fois conclu, ne tenir la santé, mais uniquement pour flatter
peut se dissoudre que par la mort de l'un des l'estomac et la gourmandise, c'est l'image d'un
deux époux. Le lien demeure dans toute sa commerce illicite qui en flattant la passion ne
force, lors même qu'une évidente stérilité cherche point la génération. Ce qu'est enfin,
empêcherait la réalisation du but pour lequel pour quelques-uns, l'usage excessif de nour-
il a été formé. Dès lors, les époux qui savent ritures permises, c'est ce que sont pour les
d'une manière certaine qu'ils n'auront point époux les relations conjugales dignes de par-
d'enfants, ne peuvent se séparer pour cette don. De même donc qu'il est mieux de se
raison et convoler à de nouvelles noces. Agir laisser mourir de faim, que de manger des
autrement, ce serait commettre l'adultère, car viandes certainement offertes aux idoles ^ de ;

ils restent véritablement époux. même il est mieux de mourir sans postérité
Chez les anciens, il était permis, du consen- que d'en chercher dans des relations coupa-
tement de la première femme, d'en prendre bles. Au contraire, de quelque manière que la
une autre et les enfants qui en naissaient, naissance s'opère, si les enfants n'imitent pas
étaient regardés comme des enfants communs, les vices de leurs parents et s'ils servent Dieu
résultant des relations et du sang de l'un des comme il faut, ils seront honorables et sauvés.
deux époux, du pouvoir donné par l'autre.
et La semence de l'homme, de quelque source
Mais aujourd'hui ce serait un crime d'en agir qu'elle découle, est l'œuvre de Dieu; en user
ainsi ; car le besoin de propagation qui existait mal, c'est se rendre coupable , mais, malgré
alors, n'existe plus. Il était même permis, l'abus, elle reste toujours ce qu'elle est. De
quoique la première femme fût féconde, d'en même donc que l'adultère n'est nullement
épouser d'autres, afmde multiplier la famille; justifié par d'excellents enfants, qui en seraient
ceci n'est plus permis. L'état des choses est le fruit ; de même le mariage n'est nullement
aujourd'hui si différent qu'il est mieux de ' Philip. I, 23. — ' Voir Rétr. II, cb. xsii, h. 2.
116 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

incriminé parce qu'il produit quelquefois des sonnes la différence était très-grande. En ef-
enfants mauvais. Nos pères du Nouveau Testa- fet,dans les uns, malgré l'honnêteté du
ment, quand, par devoir, ils prenaient leurs mariage, nous trouvons ce qui n'est pas de la
aliments, pouvaient éprouver la délectation nature du mariage et ne leur est concédé que
naturelle de la chair, mais il faut se garder de par indulgence, je veux parler de ce qui ex-
les comparer à ceux qui mangeaient des cède les nécessités de la génération. Dans les
viandes offertes aux idoles S ou même à ceux autres, nous ne trouvons point ces excès. Que
qui mangeant des viandes permises les pre- dis-je? présentez-moi des époux, s'il en est,
naient immodérément. De même nos pères qui ne cherchent et ne désirent, dans le ma-
de l'Ancien Testament, en usant du mariage riage, que ce pourquoi le mariage a été ins-
par devoir, éprouvaient les effets de la délec- titué, croyez-vous que je pourrais les placer

tation naturelle, mais ils étaient loin de la sur le même rang que les saints dont je parle?
pousser jusqu'à la passion criminelle et dérai- Tous, il est vrai, désiraient des enfants, mais
sonnable, à plus forte raison jusqu'aux turpi- de nos jours, ce désir est un désir charnel,
tudes des impudiques ou à l'intempérance de tandis qu'alors c'était un désir tout spirituel
certains époux. C'est la charité qui inspire et prophétique, comme l'époque dans laquelle
aujourd'hui de donner à Jérusalem, notre on Aujourd'hui quiconque est arrivé à
vivait.

cité par excellence, des enfants spirituels; la la perfection de la piété, ne cherche plus que
même charité inspirait autrefois de lui en des enfants spirituels; tandis qu'autrefois c'é-
donner selon la chair; la diversité seule des tait la piété elle-même qui inspirait la géné-
temps a causé la diversité des œuvres de nos ration charnelle, laquelle était une annonce
pères. C'est ainsi que les prophètes les moins des événements et entrait dans le plan des
portés aux choses de la chair devaient engen- prophéties.
drer charnellement, comme les Apôtres, qui 20. Voilà pourquoi, était permis à un
s'il

n'avaient plus rien de charael, devaient se homme femmes, une femme


d'avoir plusieurs
nourrir de chair. ne pouvait avoir plusieurs maris, même dans
le cas de fécondité de sa part et d'impuis-
CHAPITRE XVII. sance de la part de son époux. Ceci repose
sur une loi secrète de la nature qui cherche
LES ÉPOUX d'aujourd'hui ET CEUX DES TEMPS
l'unité dans le chef; tandis que si la raison
PRIMITIFS.
naturelle ou sociale le permet, plusieurs infé-
19. Quelque nombreux que soient aujour- rieurs peuvent, sans honte, reconnaître la di-
d'hui ceux dont il est dit : « Si la continence rection d'un seul maître. Un seul esclave n'a
«leur est impossible, marient*», qu'ils se pas plusieurs maîtres, tandis qu'il est dans
gardons-nous bien de les comparer aux l'ordre qu'il n'y aitqu'un seul maître pour
saints époux d'autrefois. Il est vrai que le ma- plusieurs esclaves. De même nous ne voyons
riage, chez toutes les nations, n'a qu'un seul nulle part qu'une pieuse épouse ail eu deux ou
but, la génération des enfants. Ces enfants, plusieurs maris vivants, tandis que l'histoire
par la pourront être bons ou mau-
suite, nous montre des maris ayant chacun plusieurs
vais, mais toujours est-il que le mariage est femmes, quand les lois de la société le per-
institué pour leur donner une naissance lé- mettaient, ou que les besoins de l'époque
gitime et honnête. Pour les hommes qui ne l'exigeaient; un tel état de choses n'est point
peuvent observer la continence, le mariage contraire à la nature du mariage. En effet un
est en quelque sorte un degré d'élévation dans seul hommepeut suffire à plusieurs femmes,
la vertu; pour ceux quiauraient pu rester con- mais une femme ne saurait suftîre à plu-
tinents, si les nécessités de ré|)0 jue l'avaient sieurs maris. Ce principe est fondamental.
permis, c'est par un sentiment de piété qu'ils Ainsi Dieu a sous sa puissance toutes les
se sont abaissés au mariage. Pour tous indis- âmes, car, pour elles, il n'y a qu'un seul
tinctement le mariage, en tant qu'il a pour Dieu véritable tandis que pour une seule
;

but la création des enfants, a été une chose âme, livrée à plusieurs faux dieux, il n'y a
bonne; mais quant au mérite propre des per- plus de possible que la fornication et non la
'
I Cor. vin, 7. — ' I Cor. VII, 9. génération.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. n
CHAPITRE XVIII. n'y en aura plus aucune. De même que, dans
les temps anciens, la pluralité des femmes fi-
LA POLYGAMIE MAINTENANT DÉFENDUE.
gurait multitude soumise à Dieu, au sein
la

21. Nous sommes tous appelés à ne former de toutes les nations de la terre; de même au-
qu'une seule cité, n'ayant, pour Dieu, qu'un jourd'hui l'unité de mariage figure l'unité
cœur et qu'une âme ^ Après la mort, celte que nous formerons tous dans la cité céleste,
unité deviendra telle que les pensées les plus sous le regard et la puissance de Dieu. Comme
intimes seront perçues par tous, sans ren- il est impossible de servir deux ou plusieurs
contrer nulle part la moindre divergence. maîtres de même il n'a jamais été, il n'est
;

Voilà pourquoi, sous le Nouveau Testament, pas, ne sera jamais permis à une femme d'a-
il

le sacrement de mariage exige si rigoureuse- voir simultanément plusieurs maris. Apostasier


ment un seul homme et une seule femme, le culte d'un seul Dieu et se jeter dans une
qu'un homme qui auraiteu plusieurs femmes superstition adultère a toujours été un crimel.
ne pourrait être élevé à l'épiscopat ^ Cette loi Même but de se former une postérité
dans le
est si formelle que plusieurs auteurs ont cru plus nombreuse, jamais nos saints n'ont imité
pouvoir l'appliquer au mariage contracté le Romain Caton, qui, de son vivant, livrait sa
avant d'être chrétien, et souliennentqu'un ca- femme à un autre pour que celui-ci en reçût
téchumène ou un païen qui aurait plusieurs des enfants. Dans le mariage chrétien, la sain-
femmes, ne pourrait, étant devenu chrétien, teté du sacrement l'emporte sur la fécondité.
arrivera l'épiscopat. On parle ici au point de
vue du sacrement, et non au point de vue du CHAPITRE XIX.
péché, puisque tous les péchés sont effacés par
LA CONTINENCE CHRÉTIENNE COMPARÉE A LA
lebaptême. Celui qui a dit «En prenant une :
FÉCONDITÉ DES PATRIARCHES.
« épouse tu n'as point péché ; en se mariant
« une vierge ne pèche pas ;
que'lle fasse 22. Ainsi donc ceux mêmes qui se marient
a comme ne pèche pas en
elle le désire, elle dans la vue seulement d'avoir une postérité
se mariant ^» celui-là a suffisamment prouvé
; et de réaliser ainsi la fin du mariage, ne peu-
que le mariage n'est point un péché. vent soutenir la comparaison avec les patriar-
Mais considérons la sainteté du sacrement. ches; car ceux-ci, en demandant une famille,
De même qu'une femme qui aurait été souillée avaient des motifs bien plus élevés. Aussi
avant son baptême, ne pourrait, après son quand Abraham reçut d'immoler son
l'ordre
baptême, être consacrée parmi les vierges; fils, transporté soudain d'un héroïque dé-

de même il paraît logique de croire, que si vouement, il n'eût pas épargné le fruit de ses
Ton a pu , sans péché avoir plusieurs , plus ardents désirs, si son bras n'eût été re-
femmes, on a cependant perdu tout droit au tenu par Celui au nom de qui il l'avait levé'.
sacrement de l'Ordre; on a pu mener une vie Il nous reste à examiner si, du moins, la

irréprochable, mais on manque d'un carac- continence chrétienne peut être comparée à
tère nécess.iire à l'ordination ecclésiastique. la fécondité patriarcale. Jusque-là nous n'a-
La pluralité des femmes, chez les prophètes, vons rien trouvé de comparable aux patriar-
figurait la pluralilé des Eglises, réunies toutes ches se pourrait-il que les vierges l'empor-
;

sous l'empire du Christ; ainsi l'évêque qui tassent sur eux ? Il est certain d'abord que le
n'a eu qu'une seule femme Qgure l'union de mariage, dans les patriarches, l'emportait de
tous les peuples au Christ, lunique époux. beaucoup sur le mariage tel qu'il doit être; il
Cette unité arrivera à sa perfection quand les est certain aussi que ce dernier est de beau-
ténèbres auront dévoilé leurs secrets, quand coup intérieur à la continence. Alors, comme
toutes les pensées du cœur se seront ma- maintenant, le but du mariage était d'avoir
nifestées et que chacun recevra de Dieu sa des enfants; car c'est le but de tout être mor-
louange *. Maintenant, sans que la charité en tel de chercher quelqu'un qui le remplace
soit blessée, il s'exciledes dissensions publiques après sa mort. Dire que ce désir n'est [)asbon,
ou secrètes entre ceux qui doivent plus tard c'estignorer que Dieu est le créateur de tous
ne former qu'un dans un seul; mais alors il les biens célestes et terrestres, immortels et
mortels. Les animaux eux-mêmes ne sont pas
' Act. IV, 32. — > I Tim. m, 2 ; Tit. I, 6. — » I Cor, vu , 28, 36.
— * I Cor. IV, 5. ' Gen. XXII, 12.
118 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

privés de cet instinct dans la génération, sur- devait être suivie aussi de la purification. Il

tout les oiseaux qui mettent tant d'empresse- est vrai que certains auteurs y voient un pé-
ment à construire leurs nids, à former une ché, prétendant qu'elle est toujours le résultat
sorte d'amitié conjugale et à nourrir leurs pe- d'un désir coupable. Mais c'est là une erreur.
Quant aux patriarches, en qui la chasteté,
tits. Du moins on ne peut voir un péché dans les
aidée de la protection du ciel, consistait, sui- règles mensuelles de la femme néanmoins ;

vant certains auteurs, à produire dans le ma- la loi ancienne les faisait suivre encore d'une
riage des fruits jusqu'à trente pour un, ils don- expiation sans doute parce qu'il y a là aussi
'
;

naient à ce besoin de toute nature mortelle un la matière difforme d'où résulte le développe-
caractère de sainteté bien plus relevé. S'ils ment du corps. Quand donc a lieu cette émis-
voulaient des enfants, c'était en vue de Jésus- sion de matière informe, la loi y considère
Christ, afin de distinguer de toutes les autres l'image d'un cœur qui se répand et se dissipe
nations, la race qui devait être la sienne selon sans honneur et sans frein. La purification, à
la chair. Dieu lui-même l'avait ainsi voulu, son tour, figure clairement la nécessité de
comme si la prophétie à ses yeux la plus frap- comprimer les élans de ce cœur. Enfin,. est-ce
pante dût être celle qui signalait la race et la donc un péché de mourir, et n'est-ce pas un
nation dans laquelle le Verbe devait s'incar- acte d'humanité d'ensevelir les morts? Cepen-
ner. Si donc le mariage des chrétiens est une dant, même alors, la purification était obliga-
œuvre que devons-nous penser du but
sainte, toire ^ Non, le corps privé de vie n'est pas un
qu'entrevoyait Abraham dans l'acte du ma- péché; mais il symbolise parfaitement l'état

riage, quand il ordonnait à son serviteur de d'une âme dépouillée de la justice.


placer la main sur son fémur et de faire un 24. Je conclus donc que le mariage est chose
serment relatif à la femme qu'il devait pro- bonne, et que l'on peut aisément le justifier
curer à son fils ? En effet, que signifiait ce
'
de toutes les calomnies. Et si l'on veut parler
placement de la main, ce serment au nom du du mariage des saints patriarches, je demande,
Seigneur, si ce n'est que le Seigneur du ciel non pas quel mariage, mais quelle continence
viendrait un jour dans une chair qui tirerait peut lui être comparée. Mais il est inutile de
de lui son origine? Le mariage est donc un comparer mariage à mariage, puisque partout
bien; mais les époux sont d'autant plus saints le mariage est un don d'égale valeur accordé

qu'ils sont plus chastes, plus fidèles et plus à la nature encore sujette à la mort il s'agit ;

craignant Dieu, surtout s'ils nourrissent spi- de comparer des hommes qui usent du ma-
rituellement les enfants qu'ils désirent char- riage, avec d'autres hommes qui en ont usé
nellement. bien différemment ; et comme je ne trouve
CHAPITRE XX. personne, parmi les derniers, que je puisse
comparer aux premiers, je dois chercher des
LES PURIFICATIONS ANCIENNES.
termes de comparaison parmi ceux qui ont
23. La loi prescrivait une purification après observé la continence. Oserait-on dire qu'A-
l'acte mais on ne doit pas en con-
conjugal ;
braham n'a pu conserver la continence en vue
clure que cet acte soit un péché si l'on n'en ;
du royaume des cieux, lui qui, pour arriver à
voit pas dans ce que l'Apôtre tolère avec indul- ce royaume, n'hésita pas un seul instant à
gence, quoique trop répéter cette sorte d'actes immoler son fils unique, le seul objet pour le-
soit un obstacle à la prière. On sait qu'en quel le mariage lui était devenu cher ?
beaucoup de points la loi n'était qu'une om-
bre et une figure. Ainsi la semence encore
CHAPITRE XXI.
informe qui doit former le corps de l'homme, LA CONTINENCE COMME HABITUDE ET COMME ACTE.
devait signifier une vie informe et grossière ;

cette grossièreté de la vie, pour disparaître, a 25. La continence est une vertu, non pas du
besoin de la doctrine et de l'enseignement ;
corps mais du cœur. Or quelquefois les vertus
c'est ce que symbolisait la loi de la purifi- du cœur se traduisent en actes, quelquefois
cation obligatoire après toute émission de la elles restent à l'état caché de simples habi-

semence. L'émission qui se produit durant le tudes. La vertu du martyre, par exemple, pa-
sommeil n'est pas un péché cependant elle;
raît avec éclat et se manifeste en face des souf-
» Gen. XXIV, 2-4.
'
Lévit. XV. — ' Nomb, xix, 11.
.

DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. M9


frances à supporter; mais combien de mar- mun à tous les hommes mais ; c'est le propre
tyrs de volonté, à qui,pour le devenir réelle- des grandes âmes de savoir la supporter. De
ment, il ne manque que l'épreuve qui leur même, tous peuvent jouir de l'abondance ;

permettrait de produire aux yeux des hommes mais savoir en jouir, cela n'appartient qu'à
ce qui en eux n'est connu que de Dieu, et de ceux qui ne se laissent pas corrompre par elle.
manifester au dehors ce qui existe réellement 2G. Afin de montrer plus clairement encore
dans leur cœur Job, avant son épreuve, pos-
1 que la vertu peut exister comme habitude
sédait la patience aux yeux de Dieu, qui lui sans se traduire en actes, j'invoque un exem-
rendait ce témoignage mais il fallut l'épreuve ; ple hors de doute pour des catholiques, celui
pour révéler cette patience aux hommes K de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Que dans la
L'épreuve arriva, et cette vertu jusque-là ca- chair réelle dont il était revêtu, il ait eu faim
chée dans son âme, se manifesta extérieure- et soif, qu'il ait mangé et bu, c'est un point

ment, mais elle existait déjà. De même saint sur lequel l'Evangile ne nous permet pas d'hé-
Tiraothée possédait la vertu de tempérance, et siter un seul instant. Conclura-t-ondelàqu'il
saint Paul ne la lui ravit pas en lui conseillant n'avait pas, au même
degré que saint Jean-
d'user d'un peu de vin à cause de son estomac Baptiste, la vertu de tempérance? « Jean est
et des défaillances qu'il éprouvait fréquem- « venu ne mangeant ni ne buvant, et ils ont
ment^ . Autrement, c'eût été un pernicieux « dit Il est possédé du démon
: le Fils de ;

conseil ; c'eût été l'intéresser à la santé de son « l'homme est venu mangeant et buvant, et ils
corps, au détriment de la vertu de son âme. « ont dit : Celui-ci est un homme vorace et un
Mais comme cette vertu pouvait très-bien se « ivrogne, l'ami des publicains et des pé-
concilier avec l'invitation qui lui était adres- « cheurs». Ne dit-on pas de nos pères ses ser-
sée,Timothée put soulager son corps en pre- viteurs de leur manière d'agir et de parler
;

nant du vin, et conserver dans son âme la vertu au sujet du mariage Voilà des hommes pas- :

de tempérance. sionnés et impurs, amis des femmes et de la


En général on entend par habitude ce qui volupté ? Le reproche fait à Jésus-Christ n'é-
nous permet d'agir, quand il en est besoin. tait qu'une honteuse calomnie, quoiqu'il fût
Lors même que nous n'agissons pas, nous con- vrai qu'il ne portât pas la mortification exté-
servons le pouvoir d'agir. En appliquant ces rieure aussi loin que saint Jean, c'est lui-
principes à la continence charnelle, nous pou- même qui nous le déclare « Jean est venu, :

vons affirmer que cette habitude n'est point en « dit-il, ne mangeant ni ne buvant et le ;

ceux dont il est dit : « S'ils ne peuvent se con- « Filsde l'homme est venu , mangeant et
marient
« tenir, qu'ils se ^ ». Mais elle est le « buvant » de même les accusations portées
;

privilège de ceux dont il est dit : « Que celui contre nos pères étaient d'une fausseté évi-
« qui peut saisir saisisse * ». C'est ainsi que, dente. d'un Apôtre vierge que les
Ici c'est
guidées par cette habitude de la continence, païens disent a les secrets de la magie là
: Il ;

les âmes parfaites ont toujours usé des biens c'est un prophète du Christ, vivant dans l'état
terrestres, quand ces biens étaient nécessaires du mariage et ayant des enfants, et les Mani-
pour obtenir un but ultérieur elles en ; chéens s'écrient c'est un voluptueux. :

usaient sans attache en conservant , et tout « Mais la sagesse a été justifiée par ses en-
le pouvoir de ne pas en user, quand aucun « fants * » . Ces paroles du Sauveur suivent
besoin ne les y contraignait. Pour bien user immédiatement où celles il est questionde
de ces biens terrestres, il faut pouvoir ne pas saint Jean et de lui-même. « La sagesse a été
en user. En effet, pour un grand nombre, il « justifiéepar ses enfants» ; car ils savent que
est plus facile de ne pas jouir que de jouir la vertu de continence doit toujours exister,
avec modération d'où il suit que pour pou- ; en tant qu'habitude, tandis que pour se tra-
voir user sagement, il faut que l'on puisse duire en acte, elle a besoin de circonstances
s'interdire l'usage même. Saint Paul faisait et d'occasions favorables. Dans les martyrs la
allusion à ce principe quand il disait : «Je sais vertu de patience manifestée par les œu- s'est
« être dans l'abondance et dans la privation ^ » vres, tandis que dans les autres saints elle est
Se trouver dans la détresse c'est le sort com- restée à l'état de disposition intérieure. De
l Job. I. — ' Tim. V, 23. — ' I Cor. vu, 9. — » Matt. xix, 12.
même donc que le mérite de la patience n'est
— ' Philip. IV, 12. ' Matt. XI, 18, 19.
120 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

pas plus grand en saint Pierre, qui a été mar- leur cœur, ne peuvent pas ce que je puis ; je
tyrisé,qu'en saint Jean qui n'a pas subi le ne vaux pas mieux que ceux qui, à raison de
martyre; de même le mérite de la continence, la différence des temps, n'ont pas fait ce que

dans saint Jean qui est resté vierge, n'est pas je fais. Car ce que je fais aujourd'hui ils l'au-

plus grand que dans Abraham qui a engendré raient mieux fait que moi, si le temps en eût
des enfants. Car le célibat de saint Jean et le été venu et ce qu'ils ont fait, je ne le ferais
;

mariage d'Abraham, eu égard à la différence pas aussi bien, s'il me fallait le faire.

des temps, ont tourné à la gloire de Jésus- Toutefois se rencontre-t-il quelqu'un qui se
Christ; et cependant la continence dans le pre- sente et se connaisse assez pour conserver
mier se produisit en action, et le second ne la intactedans son cœur la vertu de continence,
posséda que comme habitude. sipour accomplir un devoir de religion il était
contraint d'entrer dans le mariage, et pour
CHAPITRE XXII. être père et mari comme l'était Abraham?

LA CONTINENCE AVANT ET DEPUIS JÉSUS-CHRlST.


A celte demande captieuse qui lui est faite,
qu'il ne craigne pas de répondre Il est vrai, :

27. Il est donc certain que, sous l'ancienne je ne suis pas meilleur qu'Abraham, même
loi, qui suivit l'ère des patriarches, quand la sous le rapport de la continence qu'il possé-
malédiction avait été portée contre ceux qui dait réellement quoiqu'invisiblement, mais je
restaient sans postérité en Israël ', celui qui puis lui être comparé puisque je possède la
ne pouvait garder la continence ne le mon- même vertu tout en menant un autre genre
trait pas,tout en possédant ce pouvoir. Mais de vie. Qu'il tienne hardiment ce langage;
depuis que la plénitude des temps est accom- car en y glorifiant le don qui lui est fait, il
plie ', depuis qu'il a été dit: « Que celui-là n'est point insensé puisqu'il dit la vérité.

« comprenne, qui peut comprendre », désor- Si néanmoins il prend des ménagements, de


mais et jusqu'à la tin du monde, celui qui en a crainte qu'on n'ait de lui une estime exagérée S
le pouvoir agit en conséquence; mais que qu'il évite de se mettre lui-même en jeu,
*
celui qui ne veut pas user de ce pouvoir, ne qu'il parle, non pas de la personne mais de la
doit pas dire faussement qu'il le possède. chose même, et qu'il affirme qu'on ressemble
Cependant c'est sous ce règne de Jésus-Christ à Abraham, quand on peut ce qu'il a pu. Mais
que nous voyons des hérétiques corrompre les ilpeut se faire que la vertu de continence se
bonnes mœurs par des discours mauvais % faire trouve àun moindre degré dans l'âme de celui
appel à une ruse aussi vaine que téméraire et qui n'use pas du mariage que dans Abraham
dire au chrétien qui veut garder la continence qui en a usé ; jç ne crains cependant pas d'a-
et refuse le mariage Es-tu donc meilleur : jouter que cette continence est encore plus
qu'Abraham ? Qu'à ces paroles le chrétien ne grande en lui qu'elle ne l'est dans celui qui

se trouble pas qu'il évite de répondre qu'il


;
s'est résigné à la chasteté conjugale, parce
se croit meilleur, mais qu'il ne renonce pas à qu'il ne pouvait en faire davantage.

sa résolution car aulant sa réponse serait


; A son tour, que la vierge qui rapporte tou-
fausse, aulant son action serait blâmable. tes ses pensées à Dieu, afin de se rendre sainte
Qu'il se contente de dire: Il est vrai que je ne de corps d'esprit-, quand elle s'entendra
et

suis pas meilleur qu'Abraham, mais je sais faire cette impudente question « Es-tu donc :

aussi que la chasteté virginale l'emporte sur « meilleure que Sara? » réponde sans crainte Je :

la chasteté conjugale. œuvres Abra-


Dans ses suis meilleure que celles qui n'ont pas ma

ham n'avait que la dernière, mais dans son vertu de continence, mais je ne crois pas que
cœur il les avait toutes les deux. Car sa vie Sara soit de ce nombre, car avec cette vertu
conjugale fut extrêmement chaste; il aurait elle a agi comme l'exigeait son époque. Quant

pu conserver la chasteté virginale, mais les à moi je ne suis pas soumise à cette nécessité,
circonstances s'y opposaient. Quanta moi, il et je puis réaliser dans mon corps la vertu
m'est plus facile de renoncer au mariage qu'elle ne conservait que dans son cœur.
dont usa Abraham, que d'user du mariage » II Cor. XII, 6. — ' I Cor. vu, 33.

comme il en usa. Voilà pourquoi, si je suis


meilleur que ceux qui, vu l'incontinence de
»
Deut. XXV, 5-10. — " Gai. IV, 4. — ' I Cor. sv, 33.
DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE. 121

CHAPITRE XXII l. au lieu de comparer une vierge, de


30. Mais
tous points désobéissante, àune épouse obéis-
LA CONTINENCE ET LA CHASTETE CONJUGALE.
sante, supposons uniquement que la vierge
28. En comparant ces vertus l'une àl'aulre, estmoins obéissante que l'épouse, sans oublier
il est évident que la chasteté virginale l'emporte que celle-ci n'a que la chasteté conjugale, par
sur la chasteté conjugale, quoique toutes deux elle-même bien inférieure à la chasteté virgi-
soient bonnes en elles-mêmes. Mais si nous nale. Je suppose donc qu'il y a d'autant moins
comparons les hommes entre eux, le meilleur d'obéissance qu'il y a plus de chasteté et récipro-
sera celui qui possède le bien le plus excel- quement, sans oublier qu'avant d'établir une
lent. Or celui qui, dans le même genre, pos- comparaison entre l'une et l'autre, il demeure
sède plus, possède aussi moins ; tandis que la bien certain que l'obéissance est la mère de
réci()roque ne peut pas être vraie. Dans le toutes les vertus. D'où il suit que l'obéissance
nombre soixante se trouve le nombre trente, peut exister sans la virginité, puisque la virgi-
tandis qu'il est faux de dire que trente ren- nité n'est que de conseil et non de précepte,
ferme soixante : de même dans l'accomplisse- et, quand je parle d'obéissance, j'entends
ment des devoirs on peut ne pas faire les actes l'obéissance à l'égard des préceptes. C'est dire
de telle vertu que pourtant l'on possède; par clairement que si l'obéissance peut exister
exemple on peut avoir la vertu de miséricorde sans la virginité, elle est absolument insépa-
et ne rencontrer aucun malheureux à qui Ton rable de la chasteté. En effet c'est le propre
puisse faire l'aumône. de 'la chasteté de résister à la fornication,
29. De là il suit que c'est à tort que l'on vou- à l'adultère, à toute passion illicite ; autre-
drait comparer les hommes les uns aux autres, ment , on viole les préceptes divins et on
en ne se plaçant qu'à un seul point de vue. renonce à l'obéissance. Au contraire, la vir-
Car il peut se faire que l'un possède ce que ginité peut exister sans l'obéissance, car une
l'autre n'a pas, mais qu'il remplace par un femme, toute résolue qu'elle est de conserver
bien plus excellent. Ainsi l'obéissance est assu- la virginité, peut désobéir et violer les com-
rément supérieure à la continence. En effet, mandements. Ne connaissons-nous pas un
nous ne trouvons nulle part, dans les saintes grand nombre de vierges, coupables de lo-
Ecritures, de condamnation portée contre le quacité, de curiosité, d'intempérance, d'a-
mariage; tandis que la désobéissance y est par- varice, d'orgueil, et semant la discorde? Or
tout sévèrement condamnée. Si donc vous me il y a là violation formelle d'autant de pré-
présentez une personne engagée dans la vir- ceptes, et autant d'actes de désobéissance qui
ginité perpétuelle, mais désobéissante, et une donnent la mort, comme ils l'ont donnée à la

autre qui engagée dans le mariage parce


, première femme. Ainsi, non-seulement je pré-
qu'elle n'a pu rester vierge, se montre tou- fère une épouse obéissante à une vierge qui
jours d'une obéissance parfaite, à laquelle des ne l'est pas je mets encore une épouse plus
;

deux donneriez-vous la préférence? Est-ce à obéissante au-dessus d'une vierge qui l'est
celle qui mérite moins de louanges, que si moins.
elle était vierge, ou à celle que l'Ecriture con- 31. C'est en vertu de l'obéissance qu'Abra-
damne, toute vierge qu'elle soit? De même si ham, à la fois époux et père, accepta d'immo-
vous comparez une vierge intempérante aune ler lui-même son fils unique quand sur lui ;

épouse parfaitement sobre, hésiterez-vous à seul reposait l'accomplissement de cette pro-


porter un jugement semblable? Le mariage et messe « Je te susciterai une race en Isaac 'o.
:

la virginité sont deux biens dont l'un l'em- Avec quel empressement, plus vif encore,
porte sur l'autre; la sobriété et l'obéissance il eût embrassé la virginité, si Dieu la lui
sont également des biens réels, tandis que l'in- eût demandée! Comment, dès lors, ne pas
tempérance et la désobéissance sont des maux nous étonner de rencontrer des chrétiens de
véritables. Or il est mieux de posséder tous les l'un et de l'autre sexe, qui, après avoir embrassé
biens, ou des biens inférieurs, que d'unir la continence absolue, n'obéissent qu'avec
un grand mal à un grand bien; mieux vaut une coupable négligence aux préceptes, et
n'avoir que la taille de Zachée avec une montrent tant d'ardeur à se refuser ce qui leur
bonne santé, que d'être malade avec la taille est permis ? Comment ne pas voir que c'est
de Goliath. « Gen. XXI, 12.
122 DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.

une profonde erreur de vouloir comparer ces jours le caractère du sacrement et il le portera
pères et ces mères des temps primitifs, avec au jugement dernier.
les hommes et les femmes de notre époque Que la génération soit lebut du mariage,
qui vivent sans doute dans la virginité, c'est ce qui résulte de ces paroles de l'Apôtre :
mais qui sont moins obéissants lors môme ; (( Je veux que les jeunes veuves se marient »;
que les patriarches n'auraient pas été inté- puis supposant qu'on lui demande pourquoi,
rieurement disposés à faire ce que font exté- il continue Afin de créer des enfants et de
; «
rieurement ceux-ci ? Si donc, il leur est un « devenir mères de famille ^ » Quant à la .

jour donné de suivre l'Agneau en chantant le fidélité conjugale, il s'exprime ainsi : « L'é-
cantique nouveau selon cette parole de l'Apo- « pouse n'a pas puissance sur son propre
la
calypse « Ceux-là suivent l'Agneau, qui n'ont
: « corps, cette puissance appartient au mari ;
«jamais connu de femmes » le seul mérite
'
; « même l'époux n'a pas la puissance sur
de
qu'ils auront à présenter, ce sera d'être restés « son propre corps, cette puissance appartient
vierges. Toutefois qu'ils se gardent bien de se « à la femme ». Parlant enfin de la sainteté
préférer aux saints patriarches qui ont usé du sacrement, il s'écrie « Que l'épouse ne :

chastement du mariage. Nous l'avons dit, tout « se sépare point de son mari ; si elle s'en sé-
ce qui, dans l'usage du mariage, se fait en « pare, qu'elle s'interdise tout nouveau ma-
dehors des exigences de la génération, est tou- « riage , ou qu'elle se réconcilie avec son
jours une souillure, ne fût-elle que vénielle ;
« époux. De même, que le mari ne renvoie
autrement, s'il n'y avait aucune faute, pour- « point sa femme ». Tels sont donc les biens
quoi le pardon que promet l'Apôtre ? Or, je qui impriment au mariage tout autant de ca-
dis que si les enfants qui suivent l'Agneau ractères de bonté les enfants, la fidélité, le
:

n'avaient pas persévéré dans la virginité, je sacrement.


m'étonnerais beaucoup qu'ils fussent innocents Toutefois, depuis Jésus-Christ, il est plus
de ces souillures. parfait de renoncer à cette postérité charnelle,
de conserver la virginité perpétuelle et de
CHAPITRE XXIV. n'avoir d'autre époux que Jésus-Christ; pourvu
néanmoins que ce soit dans le dessein de fixer
TROIS SORTES d' AVANTAGES DANS LE MARIAGE toutes ses pensées en Dieu, de ne chercher à
DES CHRÉTIENS. plaire qu'à lui seuP, en d'autres termes, de cher-
cher constamment à ne pratiquer pas moins
32. Parmi toutes les nations et aux yeux de l'obéissance que la continence. Cette obéis-
tous les hommes, le désir d'une postérité et sance a été la vertu radicale, et comme la
la fidélité conjugale impriment au mariage vertu mère des saints patriarches. Quant à la
un caractère de bonté réelle. Chez les chré- continence elle n'était en eux que comme ha-
tiens, il fauty ajouter la sainteté du sacrement bitude de l'âme. Or, je dis que cette obéissance
qui défend à une épouse répudiée de convo- qui les rendait justes et saints, qui les dispo-
ler à de nouvelles noces, pendant la vie de saità toute sorte de bonnes œuvres, les eût
son premier mari, lors même qu'elle n'aspi- aussi rendus et conservés vierges, s'il leur
rerait à un nouveau mariage que dans le but avait été prescrit de s'interdire tout commerce
d'avoir des enfants. Ce but, en effet, est le avec une femme. En effet, admettez un ordre
seul que l'on doive se proposer dans le ma- ou un conseil qui les appelle à la virginité, ne
riage. Supposé qu'il ne puisse être obtenu, leur était-il pas plus facile d'y répondre que
le lien nuptial n'est pas brisé pour ce seul de se montrer prêts, par obéissance, à immo-
motif, il ne peut l'être que par la mort de ler le seul enfant qui avait été le but de leur
l'un des deux époux. On ordonne un clerc mariage ?
pour diriger une réunion de fidèles suppo- ; CHAPITRE XXV.
sé que cette réunion n'ait pas lieu, le sacre-
LES PATRIARCHES VENGÉS DES CALOMNIES
ment de l'ordre reste validement conféré.
MANICHÉENNES.
Bien plus, lors même qu'en punition de quel-
que faute ce clerc mériterait d'être interdit 33. Viennent donc les hérétiques, mani-
des fonctions de son ordre, il conserve tou- chéens ou autres, déversant sur les patriar-
' Apoc. XIV, 4. « I Tira. V, 14. - » I Cor. VII, 4, 10, 11, 32.
DE CE QUI EST BIEN DAiNS LE MARIAGE. 1^23

ches de l'Ancien Testument d'injustes calom- chasteté conjugale. Cependant loin de mépri-
nies au sujet de leurs femmes et les accusant ser intérieurement, qu'ils regardent, comme
d'incontinence. Je crois, dans ce qui précède, bien supérieur à leur propre continence, le
leur avoir suffisamment répondu. Mais sont-ils mariage de ces patriarches, dont l'union était
capables decomprendrequ'ils n'ont péché : ni toute prophétique, qui ne cherchaient dans
contre la nature, puisque ce n'était point par cette union que la postérité, et qui dans cette
libertinage mais pour avoir des enfants qu'ils postérité même ne voyaient qu'un moyen de
usaient de leurs femmes ; ni contre les usages faciliter et de hâter la venue du Sauveur.
reçus, puisqu'ils ne faisaient que suivre la 35. Nous rappelons également aux vierges
coutume de leur temps ; ni contre aucun pré- des deux sexes qui vouent à Dieu leur inté-
cepte, car alors aucune ne leur défendait
loi grité, de chercher, pour le trésor qu'ils con-
d'agir comme ils Quant à ceux qui
l'ont fait? servent sur la terre, une protection efficace
ont illicitement usé des femmes ou bien l'E- , dans une humilité d'autant plus profonde, que
criture a répandu sur eux un blâme solennel, ce qu'ils ont voué est plus élevé et plus divin.
ou bien en nous proposant leurs fautes à lire, N'est-il pas écrit « Plus vous êtes grand, plus
:

l'Esprit-Saint veut que nous les condamnions, « vous devez en tout vous humilier ?» C'est ^

que nous évitions leurs désordres, au lieu de à nous d'exalter leur glorieux privilège, c'est
les approuver ou de les imiter. à eux de s'appuyer sur une humilité profonde.
Nous avons parlé de certaines grandes figures
CHAPITRE XXYI. patriarcales, auxquelles les vierges mêmes
RESPECT DU AUX SAINTS PATRIARCHES. JOINDRE ne peuvent se préférer parce que, si ces vierges
étaient mariées, elles n'auraient point porté
l'humilité a LA VIRGIMTÉ.
aussi haut la vertu. Cependant lors même
34.De toutes nos forces donc nous invitons qu'à la suite d'un premier mariage les époux
les époux chrétiens à ne pas juger les saints de notre temps auraient voué la continence,
patriarches selon leur propre faiblesse, ne se les vierges n'hésitent pas un seul instant à
jugeant que d'après eux-mêmes^ comme s'ex- regarder leur état comme l'emportant sur
prime l'Apôtre *comprenez plutôt quelle
;
le leur, non pas autant que Susanne l'em-
force d'àme il leur fallait déployer pour ne porte sur Anne, mais autant que Marie l'em-
céder en rien à leurs passions, pour résister porte sur ces dernières. Je ne parle ici
aux mouvements de la chair, pour se conser- que de la sainte intégrité de la chair ; car
ver dans les justes limites de la génération, de qui sont ignorés les autres mérites de
autant que l'exigeaient l'ordre de la nature, les Marie ?
mœurs de leur époque et les lois divines. D'où Que leurréponde donc à leur haute vo-
vie
peuvent donc venir ces soupçons désavanta- cation, et seront assurés de la brillante ré-
ils

geux, si ce n'est, ou bien de rincontinence qui compense qui les attend qu'ils n'oublient ;

rend le mariage nécessaire, ou bien de l'usage pas que si,entre eux et tous les fidèles, ces
immodéré du mariage lui-même ? membres élus et bien-aimés du corps de Jésus-
Quant à ceux qui gardent la continence, Christ qui viendront en grand nombre de l'O-
quant aux maris qui, après la mort de leur rient et de l'Occident, il doit y avoir une diffé-
femme, aux femmes qui, après la mort de rence de gloire, proportionnée aux mérites,
leur mari, ou enfin quant aux époux qui, l'un néanmoins ils prendront également place dans
et l'autre et d'un consentement réciproque, le royaume de Dieu avec Abraham, Isaac et

ont voué la continence, ils n'ignorent pas sans Jacob -, lesquels sont devenus époux et pères
doute qu'ils ont droit à une plus belle récom- non pour suivre les penchants du siècle, mais
pense que celle qu'ils auraient obtenue par la en vue du Christ.
» n Cor. X, 12. ' Eccli. m, 20. — ' Matt. vm, 11.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX


DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

Combien la virginité l'emporte sur la chasteté conjugale. — Ne pas condamner le mariage ni l'(5galer à la virginité.
— L'humilité fortement recommandée aux vierges.

CHAPITRE PREMIER. CHAPITRE II.

RESPECT DU AUX SAINTS PATRIARCHES. JÉSUS-CHRIST, FILS d'uNE VIERGE ET ÉPOUX DES
VIERGES.
1. Dans De ce qui est bien dans l'é-
le livre

tat conjugal, que nous avons publié derniè- 2, C'est là le but que nous nous proposons

rement, nous donnions aux vierges, et nous dans cet ouvrage. Puisse Jésus-Christ me
leur renouvelons ici le conseil salutaire de soutenir de sa grâce, lui le Fils d'une Vierge ,

ne point se laisser éblouir par l'excellence du l'Époux des vierges, né corporellement d'un
don qu'elles ont reçu du ciel; nous leur di- sein virginal et uni spirituellement par un
sions de refouler dans leur âme tout sen- mariage virginal L'Eglise universelle est
!

timent de mépris à l'égard de ces pères et tout à la fois vierge et épouse de Jésus-Christ,
de ces mères, nobles ancêtres du peuple de selon la parole de l'Apôtre K De quelle gloire,
Dieu. L'A[!Ôlre \ ne voulant pas que la greffe dès lors, ne sont pas couronnés ceux de ses
sauvage pût se livrer à l'orgueil, compare à membres qui réalisent, dans leur propre chair,
l'olivier franc ces patriarches {|ui préparaient ce que l'Eglise tout entière réalise dans sa foi,
la venue du Chiisl par leur fécondité même. imitant ainsi la mère de son É[>oux et de son
Pour atténuer leur mérite, qu'on se garde Seigneur? L'Eglise est en même temps vierge
bien de répéter contre eux, que de droit divin et mère. Si elle n'est .pas vierge de qui ,

la continence l'emporte sur le mariage, et la donc cette intégrité que nous entourons de
virginité sur l'état conjugal. Dans la personne notre sollicitude? Si elle n'est pas mère, de
de ces |)alriarcbes se préparaien l et s'enfantaient qui donc cesenfants que nous engendrons par
les événements futurs, dont la réalisation nous la parole? Marie a enfanté corporellement le

frappe aujourd'hui d'étonnemmt et d'admi- Chef de cette famille l'Eglise enfante spiri-
;

ration. Qîjand donc nous voyons en eux la fé- tuellement les membres de ce Chef. Dans
condité comblée d'honneurs ou la stérilité l'une et l'autre de ces deux mères, la virgi-
rendue féconde loin de chercher l'explication
;
nité n'est point un obstacle à la fécondité, ni
de ces phénomènes dans les désirs ou ks joies la fécondité un obstacle à la virginité. L'E-
humaines, cherchons-la uniquement dans la glise est donc sainte de corps et d'esprit, mais

profondeur des desseins du ciel. Mais aujour- dans l'universalité de ses membres elle n'est
d'hui qu'il nous est dit « Que ceux qui ne : vierge que d'esprit et non pas de corps ;

« peuvent se vaincre, se marient ^ », n'exhor- combien n'est-elle pas plus sainte dans ceux
tons plus au mariage, mais consolons ceux de ses membres où elle est vierge de corps et
qui y sont condamnés. Et ceux à qui il est dit : d'esprit ?
« Saisisse qui peut saisir ^ » , exhortons-les
comme CHAPITRE III.
à ne concevoir aucune terreur, aussi
à repousser tout sentiment d'orgueil. Si donc PARENTÉ SPIRITUELLE AVEC JÉSUS-CHRIST.
nous devons exalter la virginité pour la faire
aimer, nous devons aussi lui donner des con- 3. Il est écrit dans l'Evangile que la mère et

seils pour l'empêcher de s'élever. les frères, c'est-à-dire les parents de Jésus-
'
Rom. XI, 17, 18. — ' I Cor. VU, 9. — ' Matt. xix, 12. ^» II Cor. XI, 2.
DE LA SAhNTE VIRGIiNITÉ. 12o

Christ le firent prévenir qu'ils l'attendaient elle demandé commuent elle pourrait enfanter
au dehors, parce que la foule ne leur permet- le Fils qui lui était promis ?

tait pas d'arriver jusqu'à lui. Et le Sauveur de Dès que. par un prodige éclatant, le Fils de
répondre : « Quelle est ma mère et qui sont Dieu devait revêtir en elle la forme d'esclave,
« mes frères ?» Puis, étendant la main sur ses elle pouvait bien recevoir l'ordre de rester

disci[»les, il ajouta : «Voici mes frères; etqui- vierge; mais comme Marie devait servir de
a conque fera la mon Père, celui-là
volonté de modèle aux autres vierges. Dieu ne voulut pas
a est mon frère, ma sœur et ma mère*». laisser croire que celle-là seule devait rester

N'est-ce pas nous dire clairement qu'il préfère vierge, qui tout en restant Vierge aurait mérité
notre alliance spirituelle à la parenté char- de devenir mère. Marie voua donc sa virginité
nelle ? N'est-ce pas nous annoncer que le bon- ([uand elle ignorait encore son futur et mira-
heur, pourleshommes, ne consiste pas à avoir, culeux enfantement. Ainsi devait-elle, en imi-
avec les justes et les saints, une parenté char- tant la vie des anges dans un corps mortel,
nelle, mais à leur être uni par l'imitalion de un vœu et non pas à un commande-
être fidèle à
leur vie et la soumission à leur doctrine ? ment, faire un choix dicté par l'amour et non
Marie fut donc plus heureuse en recevant la obéir en esclave. Dès lors, en naissant d'une
foi de Jésus-Christ, qu'en enfantant sa chair. Vierge qui, avant de connaître sa maternité
Bienheureux le sein qui vous a porté», future, avait voué la virginité, Jésus-Christ
s'écriait une femme « bien plus hiureux, re-
;
montra qu'il préférait approuver la virginité
« prit le Sauveur, ceux qui écoutent la parole plutôt que de l'imposer. Ainsi voulut-il que la
« de Dieu et la mettent en pratique ^ ». A ceux virginité fût libre jusque dans la femme qu'il
de ses fcères, c'est-à-dire à ceux de ses parents prit pour sa Mère en se faisant esclave.
qui ne crurent point en lui, de que) avantage
fut cette parenté? La maternité même de Marie CHAPITRE V.
n'eût été pour elle d'aucune utilité si en ,

portant Jésus-Christ dans sa chair, elle ne LA PLUS BELLE GLOIRE DES VIERGES.
l'avait porté plus heureusement dans son
cœur. 5. Que les vierges ne s'attristent donc pas de
CHAPITRE IV. ne pouvoir, comme Marie, unir la miternité
charnelle à la virginité. En effet, ctlle-ci ne
LE VOEU DE VIRGINITÉ EN MARIE.
pouvait enfanter convenablement que Celui
4. Ce qui rehausse le mérite de sa virginité, ce dont la naissance miraculeuse est sans égale
n'est point que Jésus-Christ, en desceudanteu dans la nature. Remarquons toutefois que cet
elle, s'en soit fait le gardien avant toutcontact Enfant de la plus sainte des Vierges est une
avec son époux, c'est que cette virginité était véritable gloire pour les autres vierges ; car ,

déjà par elle consacrée à Dieu avant que le Sau- en accomplissant volonté du Père céleste
la
,

veur la choisît pour sa Mère. C'est là ce que elles deviennent réellement avec Marie, mères
Marie nous fait entendre dans sa réponse à de Jésus-Christ. N'avons-nous pas rapporté
l'ange qui lui annonçait l'Incarnation. « Com- plus haut cette sentence du Sauveur: «Qui-
« ment, dit-elle, cela pourra-t-il se faire, puis- « conque fait la volonté de mon Père qui est
erque je ne conn:iis pas d'homn)e ' ? » Ces « au ciel, devient mon frère et ma sœur et ma
paroles sup[)>senl clairement que Mirie avait « mère?» Tous ces degrés de parenté se réalisent

déjà voué à Dieu sa virginité. Mais parce qu'un spirituellement dans le peuple que Jésus-Christ
tel vœu était alors contraire aux mœurs des s'est accjuis par son sang. Les hommes justes
Juifs, elle dut se marier avec un homme ju-;te, et les saintes femmes deviennent ses frères et
lequel devait, non pas lui ravir par violence ,
ses sœurs, puisqu'ils doivent partager avec lui
mais conserver contre toute violence la
lui l'héritage céleste. Sa mère, c'est l'Eglise tout
virginité qu'elle avait vouée. D'ailleurs elle entière, qui, par la grâce de Dieu, lui enfante
pouvait se contenter de dire « Comment cela : chaquejoir de nouveaux membres, c'est-à-dire
« pourra-t-il se faire?» sansajouler: «puisque des tidèles. Sa mère, c'est aussi toute âme
« je ne connais point d'homme ». Si elle était pieuse accomplissant la volonté de son Père,
mariée dans l'intention d'user du mariage, eùt- par la fécondité de la charité qu'il dépose dans
'
Matt. XII, 46-50. — ' Luc, xi, 27, 28. — '
Luc, l, 34. tous ceux qu'il enfante, jusqu'à ce qu'il soit
126 DE LA SAINTE VIRGINITE.

formé en eux '. Donc, en faisant la volonté de CHAPITRE VH.


Dieu, Marie qui n'est Mère de Jésus-Christ que
LA VIRGINITÉ SUPÉRIEURE A TOUTE FÉCONDITÉ
corporellement, est devenue spirituellment et
CONJUGALE.
sa Mère et sa Sœur.
7. Que la fécondité conjugale se garde donc
CHAPITRE VI. de disputer la supériorité à l'intégrité virgi-

PRIVILÈGE SPÉCIAL DE MARIE. nale, en s'appuyant sur Marie elle-même.


Qu'elle se garde donc de dire aux vierges de
6. Ainsi Marie est l'unique femme dont on Dieu : Marie eut dans son corps deux choses
puisse dire qu'elle est tout à la fois mère et que nous devons honorer : la virginité et la
vierge, non-seulement d'esprit mais aussi de fécondité, car elle enfanta tout en restant
corps. Elle est mère spirituellement, non pas vierge. Puisque nous ne pouvons les unes et
de Jésus-Christ, dont elle est elle-même la fille les autres aspirer à tout ce bonheur, nous
spirituelle, puisque tous ceux qui ont cru en l'avons divisé vous serez vierges et nous
:

lui, et Marie est du nombre, sont appelés les mères. A ce qui vous manque en fécondité,
enfants de l'Epoux ^
; mais des membres de trouvez une compensation dans la virginité ;
Jésus-Christ, et c'est nous qui sommes ces pour nous, nous trouvons à l'intégrité perdue
membres. En effet, elle a coopéré, par sa cha- un dédommagement dans le bénéfice de la
rité, à faire naître dans l'Eglise les fidèles qui maternité. Ce langage des mères chrétiennes
sont les membres de ce Chef. Elle est corpo- aux vierges consacrées pourrait avoir encore
rellement sa mère ; car il fallait que, par un quelqu'apparence de justesse, si elles enfan-
insigne miracle, Chef naquît d'une
notre taient corporellement des chrétiens. Alors, du
vierge, selon la chair, pour signifier par là que moins, si Ton en excepte la virginité, elles
ses membres naîtraient spirituellement d'une pourraient se comparer à Marie, en ce sens
autre vierge qui est l'Eglise. Marie seule est que, si la Vierge a enfanté le Chef, elles en en-
donc à la fois, selon l'esprit et selon la chair, fantent les membres. Mais, leur laissantmême
mère et vierge, la mère et la vierge de Jésus- soutenir qu'elles ne se sont mariées que pour
Christ. Dans la personne des saints, appelés à avoir des enfants, et que dans ces enfants elles
la possession du royaume de Dieu, l'Eglise n'ont vu autre chose que le bonheur de les
tout entière est aussi spirituellement la mère gagner à Jésus-Christ, on peut toujours leur
et la vierge dans quelques-
de Jésus-Christ ;
répondre que ce ne sont pas des chrétiens qui
uns des de corps, vierge de
fidèles elle est, naissent de leur chair pour le devenir, il faut
;

Jésus-Christ; dans d'autres elle est mère, mais que l'Eglise, déjà vierge spirituelle du Sau-
non de Jésus-Christ. Quant aux femmes ma- veur, et spirituellement la mère de ses mem-
riées et aux \ierges consacrées à Dieu, si elles donne une naissance
bres, les enfante, leur
sont saintes de mœurs, si la charité vient en nouvelle. A
enfantement nouveau, les
cet
elles, d'un cœur pur, d'une bonne conscience mères coopèrent néanmoins pour faire de ces
etd'une foi sincère ^ par cela même qu'elles enfants ce qu'elles savent bien qu'elles n'en
accomplissent la volonté du Père, elles sont ont pas fait par la maternité corporelle. Elles
spirituellement mères de Jésus-Christ. Celles y coopèrent en tant qu'elles sont elles-mêmes
qui, dans la vie conjugale, enfantent corpo- vierges et mères de Jésus-Christ, savoir par la
rellement, ce n'est mais pas Jésus-Christ, foi qui opère par la charité *.

Adam qu'elles enfantent. De là leur empresse-


ment à procurer les sacrements * à leurs en- CHAPITRE VIII.

fants, pour les faire devenir membres de Jé- POURQUOI LA VIRGINITÉ DOIT ÊTRE HONORÉE.
sus-Christ : elles savent à qui elles ont donné
la vie. 8. Aucune fécondité de la chair ne peut
donc être comparée à la sainte virginité, même
*Gai. IV, 19. —
' Matt. ix, 15. — • I Tim. i, 5. — ' Le Baptême,
la Confirmation et l'Eucharistie. à la virginité corporelle. Si nous honorons
celte virginité, ce n'est pas en tant qu'elle est
virginité, mais en tant qu'elle est consacrée à
Dieu car si c'est dans la chair qu'elle se con-
;

' Gai. V, 6.
,

DE LA SALNTE VIRGINITÉ. \r^

serve, c'est surtout par la religion et par la CHAPITRE X.


dévotion de l'esprit. En ce sens, quoi de plus
n'est-ce PAS DU MARIAGE QUE NAISSENT
spirituel que la virginité même du corps,
LES VIERGES ?
quand elle est vouée et conservée par la conti-
nence religieuse? En effet, de même que Epouses fidèles, gardez donc les avantages
toute souillure, avant de se produire dans le qui sont propres à votre état et dont nous
corps, a déjà été conçue dans l'esprit de ; même avons parlé dans le livre précédent; mais con-
la chasteté du corps suppose toujours la chas- sidérez les vierges consacrées, vous le faites
teté de l'esprit. Si donc, quoique s'appliquant d'ailleurs avec raison, comme étant d'un ordre
à la chair, la chasteté a pour principe non pas plus élevé que le vôtre, ainsi que nous le
la chair, mais l'esprit qui retient la chair dans montrons en ce moment.
les limites de la pudeur conjugale, combien 10. En effet, pour égaler le mariage à la
plus devons-nous mettre au nombre des biens continence, c'est en vain que vous prétendez
les plus glorieux de l'àme, cette continence i\ne c'est de lui que naissent les vierges. Cette
qui voue, consacre et conserve l'intégrité pour naissance, loin d'être l'œuvre propre du ma-
en faire honneur au Créateur de l'âme et de la riage, n'est-elle pas plutôt celle de la nature ?
chair I D'après l'institution divine, toute union des
CHAPITRE IX. deux sexes, qu'elle soit licite et honnête ou
bien honteuse et illicite, produit toujours un
NULLE COMPENSATION POSSIBLE A LA VIRGINITÉ
enfant vierge, mais non pas une vierge consa-
PERDUE.
crée. Malgré le crime des parents, un enfant
9. S'agit-il donc de cette fécondité de la naît vierge ; et malgré le mariage, on ne sau-
chair qui, à notre époque, ne cherche dans le rait naître avec la sainte virginité.
mariage que la gloire d'avoir des enfants,
pour les consacrer à Jésus-Christ? Je dis en- CHAPITRE XI.

core qu'elle ne saurait compenser la virginité


LA GLOIRE DES VIERGES, c'eST d'ÈTRE CONSACRÉES
perdue. Avant Jésus-Christ, quand on atten- A DIEU.
dait sa venue selon la chair, la maternité était
une sorte de nécessité pour cette nation nom- il. Ce que nous louons dans les vierges, ce
breuse et prophétique. Mais aujourd'hui que n'est pas leur virginité même, c'est leur con-
le corps du Christ peut se former de membres sécration à Dieu dans les exercices d'une
recueillis dans toutes les nations et de toutes pieuse continence. efTet, je crois pouvoir En
les races appelées à former le peuple de Dieu dire, sans témérité, qu'une femme mariée me
et la cité céleste, que celui qui peut pratiquer paraît plus heureuse qu'une fille à marier,
la sainte virginité la pratique ', et qu'il n'y ait car la première possède ce que celle-ci désire,
pour se marier que ne peut garder
celle qui surtout si elle n'est encore fiancée à personne.
la continence '. Je suppose qu'une femme La première ne cherche à plaire qu'à celui à
riche consacre des sommes immensesà acheter qui elle s'est mariée la seconde, ne sachant à ;

des esclaves de toute nation pour en faire des qui elle appartiendra, désire plaire à plusieurs.
chrétiens; quelles entrailles seraient assez fé- Ce qui sauve sa pudeur contre les passions de
condes pour donner à Jésus-Christ des enfants la foule, c'est qu'elle cherche dans la foule,
aussi nombreux ? Et pourtant cette femme ose- non pas un adultère, mais un époux. La
rait-elle comparer son argent au mérite de la vierge, certainement supérieure à l'épouse,
sainte virginité? Ne dites donc pas que la vir- n'est donc pas celle qui, sans rechercher l'a-
ginité perdue estdignement compensée parla mour de la multitude, n'aspire qu'à être aimée
fécondité de la chair qui donne à la religion d'un seul, ni celle qui, l'ayant trouvé, s'occupe
des enfants chrétiens, car vous seriez obligées du monde et prend souci de plaire à son
de conclure qu'il serait préférable de vendre mari * mais celle qui a voué tout son amour
;

sa virginitépour une grande somme d'argent au plus beau des enfants des hommes %et qui
avec laquelle on donnerait à l'Eglise beaucoup ne pouvant le concevoir dans sa chair comme
plus de chrétiens, que ne pourrait le faire le Marie, le conçoit dans son cœur et lui con-
sein le plus fécond. sacre l'intégrité de sa chair.
' Matt. XIX, 12. — » I Cor, vu, 9 « I Cor. VII, 34. — = Ps. XLV, 3.
128 DE LA SAINTE VIRGIISlTÉ.

CHAPITRE XII. pour d'aucun avantage. Et pour faire


elle
croire que
cette vaine opinion n'est pas l'œu-
LES VIERGES, ENFANTS DE l'ÉGLISE.
vre de l'imagination, on invoque en sa faveur
Toute fécondité corporelle est impuissante ce passage de l'Apôtre « Quant aux vierges,
:

à enfanter ces vierges ; elles ne naissent ni de « je n'ai aucun précepte à leur imposer au nom

du sang. Vous demandez quelle est


la chair ni « du Seigneur je ne puis formuler qu'un
;

leur mère je réponds c'est TEglise. Une


;
: « conseil, moi qui, favorisé de la miséricorde

autre qu'une vierge peut-elle produire des « divine, ai pu y rester fidèle. Je pense donc

vierges? et cette vierge n'est-ce pas celle dont qu'il est bon que l'homme reste continent
il est dit: que pour demeurer chaste elle a été à cause de la nécessité présente ». La con-
« *

fiancée à un seul homme, à Jt sus-Christ '


? clusion évidente, ajoute-t-on, c'est que la vir-

Si elle n'est pas tout entière vierge de corps, ginité n'estbonne que pour la vie présente,

elle l'est d'esprit, et c'est d'elle que naissent sans relation aucune avec la vie future. Mais
les vierges de corps et d'esprit. l'Apôtre n'envisageait-il pas ces nécessités de
12. Toutefois j'affirme que le mnriage est la terre au point de vue du ciel, lui dont le

bon, non pas précisément parce qu'il produit ministère tout entier tend vers les biens de la
une postérité, mais parce qu'il la produit dans vie future ?
l'honnêteté, dans le droit, dans la pudeur et CHAPITRE XIV.
pour le bien de la société parce qu'il sert à ;
LA VIRGINITÉ GLORIFIÉE AU CIEL.
donner aux enfants une éducation commune,
salutaire et constante ;
parce qu'enfin les 14. Nous devons, sans doute, éviter les né-
époux s'y gardent la fidélité et ne profanent cessités présentes, mais [)ar là j'entends uni-
point le sacrement. quement celles qui diminuent les biens de la
vie future. Telle est la nécessité qui oblige la
CHAPITRE Xlll.
vie conjugale à s'occuper des choses de la

SI LA CONTINENCE n'EST UTILE QUE POUR LA terre, l'homme à cherchera plaire à sa femme
VIE PRÉSENTE. et la femme à son mari. Cette nécessité, toute-
fois, n'exclut pas du royaume des cieux ; il

Ces caractères, toutefois, sont purement n'y a que péché qui produise cette sépara-
le

humains; tandis que l'intégrité virginale, la tion, voilà pourquoi il est l'objet d'un précepte

continence absolue et rincorruptibilité perpé- formel et non pas d'un simple conseil car, ;

tuelle dans une chair corruptible, nous élèvent ne pas obéir à un précepte divin, c'est mériter
à la dignité dts anges. Comment donc com- la damnation. Il y iuira donc une augmentation

parer h cet étal la fécondité de la chair, la de gloire pour celui <jui aura cherché plus
pudeur conjugale ? La fécondité est-elle au avidement ce qui plaîl davantage à Dieu. Une
pouvoir de l'homme, est-elle du domaine de telle augmentation ne peut pas être pour le

l'éternité? Le libre arbitre n'a aucun pouvoir le mariage, car cet état nécessite d'autres
sur elle, et au ciel il n'est plus question de soucis que la recherche de ce qui peut plaire
pudeur conjugale. D'où je conclus que dans à Dieu. De là celle parole « Je n'ai sur
: la

ce royaume immortel, quelque grande récom- c( virginité aucun précepte divin à imposer* ».

pense est spécialement réservée à. ceux qui, En effet, ne pas remplir un commandement,
dans leur chair, ont quelque chose qui n'est c'est se rendre coupable et mériter le châti-
pas de la chair. ment. Ce n'est donc pas un péché de se marier,
donc une erreur étrange de croire
d3. C'est puisque le mariage n'est pas détendu par un
que la continence, si elle est bonne pour le commandement il suit de là que la \iiginité
;

siècle présent, n'est d'aucune utilité pour le n'est l'objet d'aucun précepte divin. D'un
royaume des cieux. Le mariage, dil-on, est la autre côté, pour arriver à la vie éternelle il
source de beaucoup de soucis lem|jorels, dont faut être sans péché, soit qu'on l'ail toujours
s'exemi)tent ceux qui pialiquenl la continence; é\ité, soit qu'on en ail obtenu la rémission.

voilà pourquoi il est mieux de ne pas se ma- Mais dans le ciel il est une gloire qui ne sera
rier, car ou échappe ainsi aux tortures de cette accordée qu'a quelques-uns des vainqueurs, à
vie; quant à la vie future, la continence n'est ceux-là seulement qui, non contents de se dé-
'
n Cor. XI, 2. « I Cor. VII, 25, 26.
. .

DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 129

pouiller du péché, auront voué librement « qu'elle garde la continence, ou qu'elle se


quelque sacrifice au Rédempteur, sacrifice « réconcilie avec son mari ». 11 peut arriver,
qu'ils auraient pu, sans crime, ne pas vouer, en effet, que le mari et non la femme soit la

mais dont le vœu et la réalisation leur sera un cause de cette séparation. Il ajoute : « Et que
titre de gloire. Voilà pourquoi « je donne un « le mari ne quitte point sa femme *
», sans
« conseil, dit l'Apôlre, comme ayant moi- mentionner clairement que un pré- ce soit là
« même obtenu de Dieu la faveur miséricor- cepte divin, cependant il se garde bien de con-
« dieuse d'y être fidèle ». Dois-je avec jalousie clure et s'il l'abandonne, il ne pèche pas. Car
:

conserver pour moi ce conseil, moi qui suis c'est là un précepte formel que l'on ne peut

fidèle, non par l'efîel de mes propres mérites, violer sans crime, ce n'est pas un simple con-
mais grâce à la divine miséricorde ? «Je pense seil dont l'omission priverait d'un bien sans

« donc qu'à raison de la nécessité présente, être un péché. Si « donc tu es délivré d'une
« c'est un bien de rester vierge » mais ce ;
« épouse, n'en cherche pas une nouvelle » ce ;

n'est pas un précepte que j'impose, je n'en ai n'est pas ici un mal qu'il défend, mais un

reçu aucun, c'est un conseil que je donne. Je mieux qu'il conseille voilà pourquoi il ;

sais, en effet, quelle nécessité pèse dans celte ajoute aussitôt « En te mariant tu n'as point
:

vie sur ceux qui sont entrés dans le mariage ;


« péché de même si une vierge se marie, elle
;

car, dans cet état, s'ils s'occupent encore des « ne pèche pas »

choses de Dieu, ce ne peut-être d'une manière


assez constante pour arriver à cette gloire qui
CHAPITRE XVI.
ne sera le partage que de quelques élus dans TRIBULATION DE L.\ CHAIR DANS LE MARIAGE.
la vie éternelle. « Une étoile diffère d'une
« autre étoile en clarté ainsi en sera-t-il pour ; Nous lisons ensuite, à propos des époux :
d 6.

« la résurrection des morts ', L'homme donc « Ilséprouveront les tribulations de la chair.
« fait bien de rester vierge » « Pour moi je vous épargne». L'Apôtre voulait
par là exhorter à la virginité et à la continence
CHAPITRE XV. perpétuelle et détourner quelque peu du ma-

LA VIRGINITÉ n'eST QU'UN CONSEIL riage non pas qu'il soit illicite ou défendu,
;

ET NON UN PRÉCEPTE. mais parce qu'il est une cause de peines et de


chagrins. Il y a en effet une grande différence
15. Le même apôtre dit encore : « Es-tu uni entre la turpitude et la tribulalion de la chair :

« une épouse, ne cherche pas une rupture


à ; la première est le résultat d'un crime la ;

« es-tu déchargé du lien conjugal, ne cherche seconde n'est qu'une épreuve à laquelle des
point d'épouse ». La première de ces deux hommes se condamnent souvent dans leurs
propositions est l'expression d'un précepte que fonctions les plus honorables. A présent donc
l'on ne saurait violer sans crime. En effet, que le Christ ne demande point qu'on prépare
d'après la parole même du Sauveur, il n'est son avènement en multipliant la famille, ne
permis de se séparer d'une épouse que dans serait-ce pas folie de s'exposer à celte tribula-
le cas de fornication ^ La seconde proposition lion de la chair, dans le mariage, à moins que
n'est qu'un conseil et non un précepte on ; l'on ait à craindre de faire, par l'incontinence,
pourrait licitement contracter de nouveaux des chutes horriblement déplorables, sous
liens, mais le mieux est de s'abstenir. Le même l'influence tentatrice du démon ? En disant
docteur continue En prenant une épouse
: « qu'il épargne ceux qui s'uxposent à éprouver
« tu n'as point péché de même, si une vierge
; cette tribulationde la chair, l'Apôtre me paraît
« se marie, elle ne pèche pas». En disant un avoir voulu ne pas expliquer en quoi consiste
peu plus haut : « Si tu es dans le mariage, ne cette même tribulalion de la chair qu'il prédit
« cherche pas à le dissoudre », l'Apôtre a-t-il à ceux qui s'engagent dans le mariage. Du reste,
ajouté vous brisez cette union, vous ne
: Et si ne peut-elle pas résulter des soupçons au sujet
péchez pas? Le pouvait-il, après des paroles de la flilclilé conjugale, des alarmes au sujet
comme celles-ci « A ceux qui sont mariés,
:
de la formation et de l'éducation des enfants,
«j'ordonne, non pas moi mais le Seigneur, des craintes et des chagrins du veuvage? Une
« de ne pas se séparer si la femme se sépare, ; fois engagés dans les liens du mariage, sout-
» I Cor. XV, 41, 42. — » Matt. xtx, 9. » I Cor. VII, 27, 28, 10, 11.

S. AuG. — Tome XII.


.

430 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

ilsnombreux ceux qui n'ont rien à éprouver « fille fait bien, mais celui qui ne la marie pas
de ces affections diverses ? Mais, gardons-nous « fait encore mieux. En prenant une épouse,
de toute exagération, dans la crainte de ne « tu n'as pas péché, et si une vierge se marie,
pas épargner nous-mêmes ceux que l'Apôtre « elle ne pèche pas ». Un peu plus loin « A :

a voulu épargner. « mon avis, il sera plus heureux en persévé-


« rant dans la virginité ». Puis, craignant que
CHAPITRE XYII. son avis ne paraisse une opinion purement
l' APOTRE CONDAMNE-T-IL LE MARIAGE ? humaine, il ajoute aussitôt « Je le pense :

en cela je suis animé de l'Esprit de Dieu »


« et

il. Les réflexions précédentes suffisent pour Préférer les dons les plus excellents, sans con-
mettre le lecteur en garde contre ceux qui damner les moindres, c'est là une doctrine
calomnient le mariage et veulent en trouver divine, apostolique, vraie et parfaitement sûre.
la condamnation indirecte dans cette maxime : Dans l'Ecriture, la vérité révélée l'emporte de
« Ilséprouveront la tribulation de la chair, beaucoup sur toutes les conceptions humaines
« mais moi je vous épargne ». Doit-on regar- relatives à la virginité d'esprit ou de corps.
der ces dernières paroles comme une con- Que l'on aime la chasteté, très-bien mais que ;

damnation ? En voulant les épargner, ne se l'on segarde aussi de nier la vérité. En effet
blesserait-il pas lui-même , car il y aurait quelles fautes ne peuvent souffrir dans leur
mensonge dans les paroles suivantes : « En te propre chair, ceux qui pensent que dans ce
« mariant tu n'as point péché, et si une vierge passage même, où il exaltait la virginité du
« se marie elle ne pèche pas ? » Voir dans la corps, l'Apôtre était victime de la corruption
sainte Ecriture ou chercher à y voir un
, du mensonge !

mensonge, n'est-ce pas se frayer une voie Avant tout donc et surtout, il est nécessaire
pour s'autoriser à mentir, ou pour soutenir que ceux qui embrassent la sainte virginité,
une opinion condamnable, dès que Ton veut possèdent la foi la plus ferme sur la véracité
se livrer à l'erreur ? Si pour les confondre, des saintes Ecritures et qu'en particulier ils

vous leur alléguez un passage évident des acceptent comme vraie cette parole : « En pre-
Saints Livres, aussitôt ils s'emparent de cette « nant une épouse tu n'as point péché, et si
idée, pour se défendre contre la vérité et s'ex- «une vierge se marie elle ne pèche pas».
poser, sans protection aucune, à tous les coups Qu'ils rejettentde leur esprit la simple pensée
du démon prétendent que l'auteur du livre
; ils que amoindrir le précieux bien de l'inté-
c'est
n'a pas dit vrai, soit pouravoir voulu épargner grité, que de ne pas condamner les noces
les faibles, soit pour avoir cherché à effrayer comme mauvaises. Au contraire, ne doit-on
les rebelles. De cette manière ils trouvent tou- pas espérer une récompense d'autant plus
jours le moyen de défendre la doctrine la belle, que l'on était plus fermement persuadé
plus perverse. Corriger leur opinion, ils s'en qu'en se mariant on ne serait pas condamné?
gardent bien; ils préfèrent la soutenir, dus- Comment cr®ire que la couronne ne sera pas
sent-ils ne négliger aucun subterfuge pour d'autant plus glorieuse que l'on a résisté au
annuler l'autorité de la sainte Ecriture, qui désir légitime de se marier Vous voulez de- !

seule est capable de briser les fronts les plus meurer vierges, c'est bien mais en renonçant ;

orgueilleux et les plus insensibles. au mariage, ne le regardez pas comme un


foyer d'iniquité; qu'il vous suffise de vous éle-
CHAPITRE XVIII. ver au-dessus de la colline d'un bien inférieur,
SI l'excellence de la virginité condamne pour vous reposer sur la montagne d'une con-
tinence plus parfaite. Quiconque a placé sa
LE MARIAGE.
demeure sur cette colline, n'est plus libre d'en
18. Vous tous qui avez embrassé la conti- sortir quand il voudra, «car la femme est liée
nence perpétuelle et la virginité, vous jouis- « pendant toute de son époux ». Cepen-
la vie '

sez, sans doute, d'un bien qui l'emporte beau- dant elle peut servir d'échelon pour monter
coup sur le mariage, mais gardez-vous d'en jusqu'à la continence du veuvage au lieu que ;

conclure que le mariage est un mal. Rappelez- si l'on aspire à la continence virginale, ou

vous plutôt cette maxime, si pleine de vérité, bien il faut éviter cette colline en résistant à
|)rononcée par l'Apôtre « Celui qui marie sa
: ' I Cor. VII, 38, 40.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 131

toute demande de mariage ; ou bien il faut Or il est faux que saint Paul ait voulu, par là,
s'élever au dessus en rendant ces demandes dissimuler la peine qui attendrait les époux
impossibles. dans le siècle futur. Il est faux qu'il condamne
CHAPITRE XIX. à l'enfer celle que Daniel a sauvée d'une con-
damnation temporelle. Il est faux que l'union
DEUX ERREURS AU SUJET DE LA VIRGINITÉ
conjugale soit pour elle un droit au châtiment
ET DU MARIAGE.
devant le tribunal de Jésus-Christ, quand,
19. Peut-être serait-il venu à la pensée de pour rester fidèle au Christ elle a préféré
quelqu'un, de croire que la récompense serait exposer sa vie, et serait morte, s'il l'avait
la même pour ceux qui se contentent du bien fallu, sous le coup d'une fausse accusation

et pour ceux qui s'élèvent au plus parfait. d'adultère. «J'aime mieux», dit-elle, «tomber
Voilà pourquoi j'ai cru devoir réfuter l'opinion « entre vos mains, que de pécher en pré-
de ceux qui, dans ce but, donnaient une fausse « sence de mon Dieu ^ ». A quoi bon ce noble

interprétation à ces paroles de l'Apôtre : « Je langage, si Dieu devait, non pas la sauver par-
« pense que c'est là un bien à cause de la né- ce qu'elle conservait sa pudeur conjugale, mais
« cessité présente » . De là en effet ils préten- lacondamner parce qu'elle était épouse ? Que
daient conclure que si la virginité est utile, ce lescalomniateurs du mariage l'avouent donc :

de la récompense céleste, mais


n'est pas à raison Quand la vérité des saintes Ecritures protège
uniquement pour la vie présente, et il s'en- la chasteté conjugale, c'est l'Esprit- Saint qui
suivait que dans l'éternité, les vierges n'obtien- défend Susanne contre ses faux témoins, et la
draient exactement que la récompense réservée justifie d'un crime sopposé. Mais ici il le fait

aux autres. Cette discussion du texte m'a en- bien plus en grand. Alors il ne s'agissait que
suite amené à ces autres paroles ; « Ils éprou- d'une épouse, il s'agit aujourd'hui de toutes.
«veront la tribulation delà chair ; mais pour Il ne s'agissait alors que d'un adultère occulte
«moi je vous épargne». Alors j'ai attaqué et supposé, maintenant il s'agit d'incriminer
d'autres ennemis, qui loin d'égaler le mariage le mariage véritable et légal. Alors, sur l'attes-
condamnaient le mariage d'une
à la virginité, tation de quelques vieillards criminels on
manière absolue. C'était une autre erreur. En accusait une femme aujourd'hui, ce sont tous
;

se fuyant réciproquement, ces deux erreurs les maris et toutes les femmes que l'on accuse
se combattent l'une l'autre, parce qu'elles ne sur le silence de l'Apôtre. Croyez-le, disent-ils,
veulent point du juste milieu de la vérité. En c'est votre condamnation qu'il a tué, quand
restant dans ce milieu, en nous appuyant sur il a dit « Pour moi je vous épargne ».
:

la droite raison et sur l'autorité des saintes Et qui donc a prononcé cette parole? N'est-
Ecritures, il est évident pour nous, d'abord ce pas celui qui avait dit un peu plus haut :

que le mariage n'est point un péché, ensuite « Si tu prends une épouse, tu ne pèches pas et
qu'il est inférieur en dignité et en mérite « si une vierge se marie, elle ne pèche pas? »

à la continence virginale, voire même au veu- Pourquoi, dans sa réticence modeste, entrevoir
vage. le crime des époux, tandis que dans son lan-
CHAPITRE XX. gage manifeste vous refusez de voir leur jus-
tification? Condamne-t-il dans son silence
l' APOTRE GONDAMNE-T-IL LES NOCES?
ceux qu'il absout dans ses paroles ? Accuser
Nous venons de remarquerquelesuns, tout Susanne non du crime de mariage, mais du
de feu pour la virginité, condamnent le ma- crime d'adultère, est-ce une plus grande faute
riage à l'égal de l'adultère. D'autres au con- (jue d'accuser de mensonge la doctrine apos-
traire, pleins d'amour pour le mariage, sou- tolique ? Comment échapperions-nous à un
tiennent qu'il n'y aura qu'une seule et même aussi grand danger, si nous n'avions pas pour
récompense pour la virginité perpétuelle et nous l'évidence et la certitude que le mariage
pour la pudeur conjugale. D'après les uns, la honnête ne peut pas plus être condamné, que
gloire de Susanne devient l'humiliation de la sainte Ecriture ne peut se tromper.
Marie et d'après les autres, l'excellence de
; • Dan. XIII, 23.

l'état de Marie est la condamnation de Susanne.


20. La difficulté vient de ces paroles de
l'Apôtre : « Quant à moi je vous épargne ».
,

132 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

CHAPITRE XXI. damnation. Pour ceux qui ne les comprennent


pas, ces deux maximes semblent être deux
RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.
erreurs diamétralement opposées. Ceux qui
21. Mais, direz-vous, qu'importe cette dis- prétendent égaler les époux aux vierges inter-
cussion à la sainte virginité ou à la continence prètent en leur faveur la nécessité présente
perpétuelle que nous avons à traiter ici? Je dont parle l'apôtre et ceux qui condamnent
;

réponds d'abord, ce que j'ai déjà répondu, le mariage s'appuient sur ces autres paroles :

que de la virginité est d'autant plus


la gloire « Pour moi, je vous épargne». Nous appuyant
belle que, pour l'acquérir, on s'est élevé au- donc sur la foi et sur la saine doctrine des
dessus de l'honneur conjugal, ou, en d'autres Ecritures, nous disons que le mariage n'est
termes, que l'on a renoncé au mariage qui point un péché, et cependant qu'il est un état
pourtant n'est pas un péché. Autrement on ne moins parfait, non-seulement que celui de la
devrait plus louer la continence perpétuelle, virginité, mais même que celui de la viduité.
il suffirait de ne pas la condamner, car alors Nous disons que la nécessité présente pour les
elle deviendrait le moyen nécessaire d'échap- époux, sans leur ôter le droit à la vie éternelle,
per au crime du mariage. Je réponds ensuite les prive, par le fait même, de cette gloire par
que ce n'est point sur des raisons humaines, excellence réservée i\ la chasteté perpétuelle.

mais sur l'autorité de l'Ecriture divine, que Nous disons que dans cette vie le mariage n'est
l'on doit inviter les hommes à cet état de per- utile que pour ceux à qui la continence est
fection ; comment, dès lors, ne pas insister impossible; nous ajoutons que sans vouloir
fortement pour justifier la sainte Ecriture, et pa>^ser sous silence la tribulation de la chair
empêcher qu'elle paraisse mensongère en qui résulte de l'affection charnelle, sans la-
quelque point que ce soit? Forcer à la virginité quelle le mariage n'est pas possible pour les

en condanmant le mariage, ce n'est pas plai- incontinents, l'Apôtre n'en a pas parlé plus
der sa cause, c'est la compromettre. Comment, longuement pour épargner ,
ces détails à la
en effet, faire croire à la vérité de cette parole : humaine.
faiblesse
« Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux »,

si ne voit que mensonge dans cette autre


l'on
CHAPITRE XXII.

qui précède immédiatement « Celui qui :


ON DOIT AIMER LA VIRGINITÉ SURTOUT PAR RAP-
« marie sa fille fait bien? » Admettez au con-
PORT A LA VIE FUTURE. TÉMOIGNAGE DE SAINT —
traire que les vierges croient, d'une foi cer- PAUL.
taine, à l'Ecriture, quand elle affirme que le
mariage est hou; vous les verrez aussitôt, 22, Citons à ce sujet, autant que nous le per-
s'appuyant sur l'infaillible autorité de cette mettra notre faible mémoire, les témoignages
même Ecriture, s'animer d'une ardeur nou- les plus évidents de la sainte Ecriture. Il en

velle et s'élancer vers le bien supérieur résulte clairement que ce n'est pas pour la vie
qu'elles ont préféré. présente mais surtout pour la vie future,
,

Mais je crois en avoir dit assez sur ce sujet ; que l'on doit aimer la continence perpétuelle.
je croisaussi n'avoir rien négligé pourprouver Cette conclusion découle naturellement de ces
que cette parole de l'Apôtre « Je pense que : paroles du même apôtre : « Celui qui est sans
a cela est bon pour la nécessité présente », ne « épouse s'occupe de ce qui est de Dieu et de
peut s'interpréter dans ce sens que la virginité « ce qui peut lui plaire tandis que celui qui ;

soit pour ce monde préférable au mariage, « est marié s'occupe des choses du monde et
tandis que pour Téternité et le siècle futur, « cherche à plaire à sa femive. Le cœur de
virginité et mariage seraient dans un rang de « l'épouse est partagé , tandis que celle qui
parfaite égalité. Quant à ces autres paroles « n'est pas mariée recherche avec sollicitude
relatives aux personnes mariées « Elles : « ce qui peut glorifier le Seigneur et la rendre
« éprouvèrent la tribulation de la chair, mais « sainte de corps et d'esprit. Celle qui est ma-
« je vous épargne », je crois avoir démontré
' « liée s'occupe des choses du monde et cherche
qu'elles ne peuvent être interprétées en ce sens « à plaire à son époux * ». L'Apôtre ne dit pas
que l'Apôtre ait mieux aimé taire qu'affirmer qu'elle s'occupe de ce qui peut lui procurer la
du mariage qu'il est un péché et une cause de sécurité dans le monde et la soustraire aux
'
l Cor. vu, 38, 26, 28. ' I Cor. VII, 32-34.
DE LA SAINTE VIRGINITE. 133

tourments plus graves du temps. La différence CHAPITRE XXIV.


il ne la
qu'il établit entre la vierge et l'épouse,
TÉMOIGNAGE D ISAIE.
fonde pas sur la liberté dont la vierge jouit à
l'égard des peines temporelles auxquelles l'é- 24. De quels eunuques le Seigneur parle-t-il
pouse est soumise, mais, dit-il, ses pensées ne parle prophète Isaïe, quand il promet de leur
sont que pour le Seigneur; elle cherche ce donner dans sa demeure une place privilégiée,
qui peut le glorifier et la rendre sainte de corps plus belle que celle des fils et des filles?
et Quelque partisan insensé de la
d'esprit. N'est-ce pas de ceux qui le sontdevenus pour
chicane dira-t-il Ce n'est pas pour le royaume
: le royaume de Dieu? Quant à ceux qui, comme
des cieux, mais pour le siècle présentque nous les eunuques des riches et des rois, le devien-
voulons plaire à Dieu c'est pour la vie pré- ; nent par le crime des maîtres, il leur suffît
sente et non pour la vie future que nous vou- d'être chrétiens et d'observer les commande-
lons être saints de corps et d'esprit? Une telle ments de Dieu : dans une disposi-
et s'ils sont
assertion soulève la pitié la plus profonde. tion telle qu'ils embrasseraient le mariage
L'Apôtre n'a-t-il pas dit: «Si c'est uniquement s'ils en avaient le pouvoir, ils tombent, aux

« pour que nous espérons dans le


cette vie yeux de Dieu, dans une égalité complète avec
« Christ, nous sommes les plus malheureux les fidèles mariés qui apprennent à leurs en-
« de tous les hommes ? » Si donc c'est folie '
fants à placer leur espérance en Dieu seul.
de rompre son pain en faveur de l'indigent Leur récompense ne peut donc pas être supé-
quand on ne le fait que pour cette vie, sera-ce rieure à celle des fils et des filles. En effet,
faire preuve de prudence d'astreindre son s'ilsne se marient pas, c'est uniquement parce
corps à la continence perpétuelle, si cette sé- qu'ils ne le peuvent, ce n'est point par l'effort
vérité n'a droit à aucune récompense dans de leur volonté. Libre à qui le voudra de sou-
l'autre monde? tenir que le prophètes'adressait aux eunuques
charnels et véritables; cette erreur même ne
CHAPITRE XXIII.
peut que servir la cause que je défends. Car ce
TÉMOIGNAGE DE JÉSUS-CHRIST. n'est pas seulement à ceux qui n'ont aucune
place dans sa demeure céleste que Dieu pré-
23. Ecoutons Notre-Seigneur nous formu- fère ces eunuiiues, mais à ceux mêmes qui,
lant lui-même celte maxime évidente. Il venait, dans les devoirs du mariage, ne portent au-
d'un accent majestueux et divin, de défendre cune atteinte à la vertu conjugale. En disant
aux époux de se séparer, excepté pour cause qu'il leur donnera une place de beaucoup
de fornication ; ses disciples lui répondent : plus belle, il affirme que les époux en auront
« Si telle est la condition de l'homme avec sa une, mais de beaucoup inférieure.
« femme, il de ne pas se marier.
est préférable Admettrons-nous que c'est dans la maison
« Tous, réplique Sauveur, ne comprennent
le de Dieu simplement que sont appelés ces eunu-
« pas cette parole. Il en est qui naissent ques selon la chair, qui n'étaient pas admis
« eunuques d'autres le deviennent par le
; dans les rangs du peuple juif, et qui au lieu
« crime des hommes il en est enfin qui se le ; de se fairejuifs, se convertissent sous nos yeux
c( rendent en vue du royaume des cieux. Que au christianisme; et que le prophète ne parle
« celui qui peut comprendre, comprenne ^ ». pas de ceux qui pour se donner à la continence
Quoi de plus vrai? quoi de plus clair? Jésus- et pour éviter le mariage embrassent la chas-
Christ, c'est-à-dire la Vérité , la Force et la teté parfaite dans le but unique de parvenir
Sagesse de Dieu, nous dit que ceux qui, dans plus sûrement au royaume des cieux? Quelle
un motif religieux, s'abstiennent du mariage, folie,dès lors et quelle erreur de croire que
c'est pour le royaume des cieux qu'ils le font; les eunuques selon la chair obtiendront au
et la vanité humaine ose soutenir follement ciel une gloire plus brillante que les personnes
que ceux qui se vouent à la virginité, ne se mariées; tandis que ceux qui embrassent la
proposent que d'échapper à la nécessité pré- continence volontaire dans un motif rehgieux,
sente des peines conjugales, et qu'ils n'ont pas ceux qui châtient leur corps jusqu'à mépriser
d'autre récompense que les autres à attendre le mariage, ceux qui portent le fer de la mor-
dans le royaume des cieux 1 tification non pas dans le corps seulement,
' I Cor. XV, 19. — 2
Matt. xix, 10-12. mais jusqu'à la racine même de la concupis-
. .

i34 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

cence, ceux enfin qui, dans une chair mor- qui ont conservé intègre leur virginité, et qui
telle, mènent une vie céleste et angélique, ne renoncent aux jouissances de la chair que
ceux-là n'auraient ni plus de mérite ni plus de pour donner toutes leurs pensées à Dieu, et
gloire que les personnes mariées ! Et quand chercher en tout à lui plaire? «Jeleurdon-
Jésus-Christ loue ostensiblement ceux qui se « nerai un nom éternel » Sur quoi vous 1

condamnent à la continence, non pas pour appuyez-vous pour soutenir qu'il ne s'agit que
échapper aux soucis de ce siècle, mais pour le de la terre, dans ce royaume des cieux pour
royaume des un chrétien oserait le con-
cieux, lequel ils ne reculent devant aucune des exi-
tredire et affirmer que si la continence est gences de la virginité ? « Je leur donnerai un
utile pour la vie présente, elle ne l'est point «nom éternel!» Ce mot ne signifle-t-il à
pour le siècle futur I Qu'ils fassent un pas de vos yeux qu'un nom durable? Ecoutez donc
plus, qu'ils prétendent que le royaume des cette accumulation, cette insistance :« Et ce
cieux se confond avec la vie présente Pour- 1 « nom ne défaillira jamais » Que cherchez- 1

quoi leur aveugle présomption n'irait-elle pas vous de plus? Que voulez-vous de plus? Ce
jusqu'à cette absurdité? Et quelle absurdité nom éternel, quel qu'il soit, avec sa significa-
plus révoltanteSi quelquefois c'est l'Eglise
I tion évidente d'une gloire propre et excellente,
de qui est désignée par ces paroles
la terre : est réservé aux eunuques de Dieu, à l'exclu-
le royaume des cieux, n'est-ce point parce sion du grand nombre, alors même que tous
qu'elle se prépare à la vie future et éternelle? seraient dans le même royaume et dans la
Cette Eglise, il est vrai ,
possède la promesse même demeure. La propriété essentielle d'un
de la vie mais dans toutes
future et éternelle *
; nom, n'est-elle pas de distinguer de tous les
ses bonnes œuvres ce ne sont pas les choses « autres ceux qui l'ont reçu?
« visibles qu'elle envisage mais les choses in-
« visibles. Car les choses visibles sont tempo- CHAPITRE XXVI.
« relies, tandis que les choses invisibles sont
LE DENIER ACCORDÉ A TOUS LES OUVRIERS
et éternelles * »
DE LA VIGNE.
CHAPITRE XXV. 26. Que signifie alors, nous disent-ils, ce de-

LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE PRÉDITE PAR ISAIE. nier,accordé indistinctement à tous les ouvriers
de la vigne, soit à ceux qui avaient travaillé
25. L'Esprit-Saint a daigné lui-même con- depuis la première heure, soit à ceux qui n'a-
fondre l'impudence et de ces obstinés; la folie vaient commencé qu'à la onzième? Et com- ' —
il a victorieusement triomphé de leurs atta- ment ne que tous possé-
pas y voir la preuve
ques furibondes, en entourant la vérité d'un deront eu commun le royaume des cieux ou la
mur infranchissable. En parlant des eunuques vie éternelle, dans ce séjour où seront rassem-
il «Je leur donnerai dans ma mai-
avait dit : blés tous ceux que Dieu a prédestinés, appelés,
ceson la place par excellence, une gloire beau- justifiés et glorifiés? «Il faut», dit l'Apôtre,
« coup plus belle qu'aux fils et aux filles». «que ce corps corruptible revête l'incorrupti-
Puis craignant qu'un œil trop charnel ne voie que ce corps mortel revête l'immor-
« bilité, et

dans ces paroles une promesse temporelle, il « talité» ; denier ou la récompense


tel est le
ajoute aussitôt: «Jeteur donnerai un nom commune. «Les étoiles», cependant, «difîè-
« éternel qui ne leur fera jamais défaut'. C'est « rent l'une de l'autre en splendeur telle sera ;

comme s'il eût dit Pourquoi tergiverser, : «aussi la résurrection des morts». Evidem-
aveuglement impie pourquoi tergiverser ? , ment il est ici question de la différence des
Pourquoi envelopper des ombres de ta per- mérites chez les saints. Le denier désigne le
versité une vérité si pure ? Devant cette écla- ciel, j'y consens; mais n'est-ce pas au ciel
tante lumière des Ecritures, pourquoi cher- que sont aussi suspendus tous les astres ? Et
cher à invoquer des ténèbres accusatrices? cependant «autre est la gloire du soleil, autre
Pourquoi ne j)romettre à la sainte continence « celle de la lune , autre celle des étoiles * »

qu'une récompense temporelle ? « Je leur don- Veut-on voir dans ce denier l'image de la
« nerai un nom éternel ! » Pourquoi ne sup- santé du corps? La santé, quand elle existe,
poser qu'un but purement humain à ceux n'est-elle pas commune à tous les membres ?
» I Tim. IV, 8. — = Il Cor. IV, 18. — » Is. lvi, 4, 5. *
Matt. XX, 9. — ' I Cor. xv, 53, 41, 42.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 135

et si elle persévère jusqu'à la mort, jusque-là Où va-t-il ? Dans quelles forêts ? Dans quels
aussi elle est leur partage égal. Et cependant gras pâturages? Là sans doute où la joie sura-
« c'est Dieu qui a déplacé ces membres dans bonde, non pas cette vaine joie du siècle, ces
«le corps, comme il l'a voulu*», afin que le mensonges insensés; non pas même cette joie
corps tout entier ne fût pas l'œil, ne fût pas que goûteront dans le royaume des cieux,
l'ouïe, l'odorat. Chacune de ces parties a sa ceux qui ne sont pas vierges; mais une joie
spécialité, quoique, pour toutes, la santé soit différente de toutes les autres joies, la joie des
égale et commune. Ainsi la vie éternelle en vierges, joie de Jésus-Christ, en Jésus-Christ,
elle-même sera le partage de tous les saints ;
avec Jésus-Christ, après Jésus-Christ, par Jésus-
voilà ce que figure le denier accordé à tous les Christ, pour Jésus-Christ. La joie propre aux
ouvriers. Mais, dans le ciel, les mérites brille- vierges de Jésus-Christ, n'est pas la même que
ront d'un éclat divers; voilà pourquoi il y a la joie des époux, qui pourtant appartiennent
diverses demeures dans la maison de mon aussi à Jésus-Christ. Aux autres, d'autres joies,
Père ^ Le denier est le même pour tous quant mais personne une joie aussi grande. Plon-
à
à sa nature, parce que la vie, au ciel, n'est pas gez-vous-y, suivez-y l'Agneau, car la chair de
plus longue pour les uns que pour les autres; l'Agneau est vierge aussi. En croissant, l'En-
mais les demeures y sont nombreuses et di- fant divin a conservé en lui-même ce trésor
verses, parce que la gloire n'y est pas la même qu'il n'a ravi à sa mère ni dans sa conception,
pour tous. ni dans sa naissance. Il est donc vrai de dire
CHAPITRE XXYII. que vous le suivez par la virginité du cœur et de
la chair. En effet, qu'est-ce que suivre quel-
GLOIRE EXCELLENTE ET SPÉCL\LE RÉSERVÉE
qu'un, sinon l'imiter? a Jésus-Christ a soulTert
AUX VIERGES.
« pour nous, nous donnant l'exemple, afin, dit
27. Courage donc, enfant*^ de Dieu, jeunes « saint Pierre, que nous marchions sur ses

gens et jeunes filles , hcaimes et femmes « traces' ». Chacun le suit dans ce en quoi il
vierges; persévérez jusqu'à la Louez le fin. l'imite, non pas eu tant qu'il est le Fils uni-
Seigneur avec d'autant plus de suavité que que de Dieu, par qui tout a été fait, mais en
vous pensez à lui plus fréquemment espérez ; tant qu'il est le Fils de l'homme, car c'est
d'autant plus heureusement en lui que vous ainsi qu'il s'est posé comme modèle et a réa-
le servez avec d'autant plus de constance; lisé dans personne tout ce qu'il nous est
sa
aimez-le avec d'autant plus d'ardeur que vous nécessaire d'imiter. Combien de choses pour
apportez plus de soins à lui plaire. « Les reins tous à re[)roduire dans sa personne Quant à 1

« ceints et la lampe allumée, attendez le Sei- la virginité de la chair, elle n'est point donnée
« gneur à son retour des noces ^ » Aux noces . à tous, car elle est devenue absolument impos-
de l'Agneau vous apporterez un cantique nou- sible à ceux qui l'ont une première fois perdue.
veau, que vous chanterez sur vos harpes. Ce
cantique ne sera pas celui que chante toute la CHAPITRE XXVIII.
terre, à laquelle il est dit « Chantez au Sei- :
jusqu'à QUEL POINT TOUS PEUVENT-ILS SUIVRE
« gneur un cantique nouveau que toute la ;
l'agneau.
« terrechante le Seigneur *». Ce cantique, vous

seuls pourrez le chanter. C'est vous qu'a vus 28. Que ceux qui ont perdu la virginité du
dans l'Apocalypse ce disciple bien-aimé (jui corps suivent l'Agneau, non point partout où
reposa sa tête sur la poitrine de son Maître, et il ira, mais jusqu'où ils pourront. Or ils le

y aspira à longs traits, pour les célébrer en- peuvent partout, excepté dans la gloire de la
suite, les merveilles du Verbe de Dieu. Il vous «Bienheureux les pauvres en esprit»:
virginité.
a vus en nombre incalculable, chantant sur imitez celui qui étant la richesse même, s'est
vos harpes la virginité sans tache dans le fait pauvre pour nous-. «Bienheureux ceux
corps, et la vérité pure dans le cœur. 11 a écrit «qui sont doux» imitez Celui qui ^ dit::

de vous que vous suivez l'Agneau partout où « Apprenez de moi que je suis doux et humble
ilva^ Et où donc va l'Agneau, quand nul « de cœur *» Bienheureux ceux qui pleurent»
. :

autre que vous n'ose ou ne peut le suivre? imitez Celui qui a pleuré sur Jérusalem ''.

• I Cor. XII, 18. — =


Jean, xiv, 2-— '
Luc, xn, 35, 3G. — 'Ps. ' I Pier. u, 21, — • U. Cor. vin, 9. — • Matt. xi, 29, — >
Luc,
xcv, 1. — '
Ap. XIV, 2-4. XIX, 41.
136 DE LA SAINTE VIRGINITE.

a Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la l'entendre et se réjouir de votre glorieux pri-
« justice » 5 imitez Celui qui a dit : « Ma nour- vilège. Pour vous, qui le chanterez et l'enten-
« riture est de faire la volonté de celui qui m'a drez tout ensemble, plus beaux seront vos
« envoyé *
». « Bienheureux ceux qui font mi- tressaillements, plus grand sera votre bon-
ctséricorde » imitez Celui qui a porté secours
: heur. Ce bonheur, toutefois, ne soulèvera
à l'étranger blessé par les voleurs et gisant aucune amertume dans l'âme de ceux qui en
demi-mort sur le chemin \ «Bienheureux ceux seront privés. Car l'Agneau, que vous suivrez
« qui ont le cœur pur » imitez Celui qui n'a : partout où il va, n'abandonnera pas ceux qui
commis aucun péché et dont les lèvres n'ont ne peuvent suivre avec vous, 11 est tout-
le
jamais articulé le mensonge'. «Bienheureux puissant; vous précédera sans se séparer
il

« ceux qui aiment la paix» imitez Celui qui, : des autres, car « Dieu sera tout en tous * ».
parlant de ses persécuteurs, s'est écrié : « Mon Les moins favorisés ne nourriront aucune ja-
a Père, pardonnez-leur, car ne savent ce ils lousie contre vous et là où nulle jalousie ne;

« qu'ils font S). «Bienheureux ceux qui souf- règne les différences ne détruisent point
,

« frent persécution pour la justice ^ » imitez : l'union. Confiance donc, courage et persévé-
« Celui qui a souffert pour vous vous don- , rance, vous qui, pour le Seigneur votre Dieu,
« nant l'exemple, afin que vous marchiez sur formez et accomplissez les vœux de perpé-
«ses traces*». Ceux qui suivent cette voie tuelle continence, non pour le siècle présent,
d'imitation, suivent par cela même l'Agneau. mais pour le royaume des cieux I

Les époux peuvent aussi courir cette carrière:


leur marche y sera sans doute moins ferme CHAPITRE XXX.
et moins parfaite; toutefois ces sentiers ne
LA VIRGINITÉ, ŒUVRE DE SURÉROGATION ET
leur sont point fermés.
NON DE PRÉCEPTE.
CHAPITRE XXIX. 30. Et VOUS qui n'avez pas fait ce vœu,

GENRE d'imitation RÉSERVÉ AUX VIERGES. emparez-vous-en, si vous le pouvez ' courez ;

AU CIEL POINT DE JALOUSIE. sans relâche, afin d'arriver au but '. Apportez
chacun votre victime et entrez dans le sanc-
29. Mais voici que l'Agneau s'avance dans tuaire du Seigneur *. Pourtant aucune néces-
la voie de la virginité. Comment pourraient le sité ne vous contraint vous êtes libres. Il est ;

suivre ceux qui ont perdu ce qu'ils ne peuvent dit « Tu ne commettras point d'adultère, tu
:

plus recouvrer? Vous, du moins, ses vierges « ne tueras point ^ » mais il n'est pas dit ; :

bien-aimées, suivez-le; marchez sur ses traces; vous ne vous marierez pas. Là s'impose le
la virginité vous donne seule le droit de le précepte, ici s'offre le conseil. Suivez-le et
suivre partout où il va. Nous pouvons exhor- vous serez glorifiés; mais en résistant au pré-
ter les époux à le suivre vers tout autre degré cepte vous seriez condamnés. Dans l'un. Dieu
de la sainteté ; mais celui-ci leur est irrévoca- nous impose un devoir dans l'autre, si nous ;

blement fermé. Suivez-le donc, et conservez faisons plus que ce qui nous est commandé,
avec constance ce que vous avez voué avec le Seigneur nous le rendra au centuple *.
ardeur. Loin de vous tout ce qui pourrait N'oubliez pas que dans la demeure éternelle,
vous ravir la belle virginité ; car une fois il y aura, quelle qu'elle soit, une place plus

perdue , tout serait impuissant à vous la excellente que celle des fils et des filles. N'ou-
rendre. bliez pas qu'il y aura là un nom éternel ^ Qui
La foule des fidèles, qui ne peut jusque-là nous expliquera ce que doit être ce nom?
suivre l'Agneau , vous
contemplera avec Quel qu'il soit, il est certain qu'il sera éter-
amour vous verra et ne jalousera point
; elle nel. Cette foi, celte espérance et cet amour
votre bojibeur; en glorifiant en vous ce qu'elle vous ont rendus capables non pas seulement
n'a p(Jint, elle le possédera en quelque sorte. d'éviter les unions défendues, mais encore de
Chanter ce cantique nouveau qui vous est vous élever au-dessus même de ce qui vous
propre, la foule ne le peut mais elle pourra ; est permis.
' Jean, iv, 34. —
» Luc, x
, 30-35.
• — I Pierre, il, 22. _ '
Luc, »
I Cor. XV, 28. — • Matt. xix, 12. — • I Cor. ix, 24.— * Ps. xcv,
nxm, 34.— ' Matt. V, 3-10. —
' I Pier. ii, 21. 8. — '
Exo. XX, 13, 14. — ' Luc, x, 35. — ' Is. LVI, 5.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 137

CHAPITRE XXXI. CHAPITRE XXXII.


l'humilité nécessaire aux vierges. l'humilité prescrite par JÉSUS-CHRIST.

31. Nous n'avons rien négligé pour exalter, 3'2. Je vais donc citer quelques passages

comme il le mérite, le privilège de la chas- seulement, ceux que le Seigneur daigne me


teté. Mais plus il est excellent et divin, plus rappeler à la mémoire et dans lesquels Jésus-
il nous impose aussi la nécessité de parler de Christ expose sa doctrine sur l'humilité. Ces
sa plus sûre gardienne, l'humilité. Si, ap- passages suffiront pour le but que je me pro-
puyées sur les saintes Ecritures, les vierges se pose. Dans le premier grand discours qu'il ait
comparent aux personnes mariées, elles se adressé à ses disciples, il commence par ces
trouveront supérieures par leurs œuvres et paroles : « Bienheureux les pauvres en esprit,
par la récompense, par leur vœu et par la « royaume des cieux est à eux », pa-
car le ^

couronne qui l'attend. Mais qu'aussitôt elles roles qui évidemment ne s'appliquent qu'aux
se rappellent ces paroles de l'Ecriture : « Plus humbles. Si Jésus-Christ loue avec une com-
« tu es grand, plus tu dois en tout t'humilier plaisance si marquée la foi du centurion,* s'il
« et tu trouveras grâce devant le Seigneur '». déclare qu'il n'en a jamais trouvé d'aussi vive
La mesure de l'humilité pour chacun, c'est la en Israël, c'est parce que l'humilité lui a dicté
mesure même de sa grandeur. De là le dan- ces paroles : « Je ne suis pas digne que vous
ger de l'orgueil, dont les insinuations per- «entriez dans ma maison-». Saint Luc in-
verses sont toujours en proportion du degré dique clairement que ce centurion ne se ren-
d'élévation. Il est immédiatement suivi de la dit pas en personne auprès du Sauveur, mais
jalousie, sa compagne et sa fille. En effet, qu'il députa vers lui quelques-uns de ses
c'est de l'orgueil qu'est issue la jalousie ;
amis '. Saint Matthieu au contraire nous le
la mère et la fille sont inséparables. Le grand montre aux pieds même de Jésus-Christ :

maître de ces deux vices, c'est le démon. pourquoi, sinon pour nous faire entendre que
Voilà pourquoi la religion chrétienne s'attaque son humilité le plaçait [dus près de Jésus-
avant tout à l'orgueil et à sa fille, la jalousie. Christ que ceux qu'il lui avait envoyés? De là,

Son précepte par excellence, c'est l'humilité, ce mot du prophète : « Le Seigneur est plus
principe et sauvegarde de la charité. C'est de « élevé que les cieux, et il jette un regard sur

la charité que l'Apôtre


ne jalouse dit : « Elle «les humbles, tandis qu'il ne \oit que de
« pas » et comme s'il voulait on donner la
;
«loin les superbes *»; car ceux-ci ne s'ap-
raison, il ajoute aussitôt « Elle ne s'enfle : prochent point de lui. De là aussi cette parole
« pas * » ; c'est-à-dire, elle repousse l'envie du Sauveur à la chananéenne a femme, ta :

parce que l'orgueil lui est en horreur. La pre- « foi est grande qu'il soit fait comme tu ;

mière chose que fit Jésus-Christ, le grand « veux ». Et cependant il n'y avait qu'un ins-

docteur de l'humilité, fut « de s'anéantir lui- tant qu'il l'avait traitée de chienne et avait af-
« même en prenant la forme d'esclave, en se firmé qu'on ne devait pas lui jeter le pain des
« faisant semblable à l'homme et en prenant enfants. Accueillant humblement cette dure
« l'extérieur de l'homme il s'est humilié lui- ;
parole, elle avait répondu : « C'est vrai, Sei-
« même en se faisant obéissant jusqu'à la « gneur, mais les chiens ne mangent-ils pas
« mort, et à la mort de la croix ^ ». Que la « les miettes qui tombent de la table de leur

doctrine de Jésus-Christ se propose d'une ma- « maître? » Ce qu'elle n'avait pu obtenir par
nière spéciale d'insinuer l'humilité ; qu'elle sesclameurs multipliées, elle l'obtint par son
enfasse un précepte vivement recommandé, humilité ^
comment recueillir tous les documents qui le Deux hommes, l'un pharisien, l'autre pu-
prouvent, ou en donner une explication com- blicaiu, nous sont proposés priant dans le
plète? Que celui qui voudra faire un traité temple. C'est pour confondre ceux qui se
spécial de l'humilité, tente cette noble entre- croient justes et qui n'ont que du mépris pour
prise ; mais tel de cet ou-
n'est pas le but les autres. Ici le Sauveur préfère la confession
vrage ; du dont il y est traité
reste, la vertu des péchés à l'énumération des bonnes
est si grande, qu'elle doit avant tout se défier œuvres. Le pharisien, en effet, remerciait
de l'orgueil. » Matt. V, 3. — ' Id. vm , 5-10. — • Luc, - 'Ps.
' Eccli. m, 20. —M Cor. xiu, 4. — ' Philip. Il, 7, 8. cxixvn, 6. — * Matt. xv, 22-28.
138 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

Dieu des actions dans lesquelles il se complai- exemple offert à leur iniifâlion par le divin
sait : « Je vous rends grâces, dit-il, de ce que Maître ; c'était celui aussi dont ils devaient
a je ne suis pas comme les autres hommes, garder plus fidèlement le souvenir. Ce qu'il
« injustes , voleurs , adultères , et surtout aurait pu faire en toute autre circonstance,
« comme ce publicain. Je jeûne deux fois la pendant qu'ii était avec eux, le Sauveur le ré-

« semaine, je donne la dîme de tout ce que je serva pour ce moment suprême. En toute
« possède. Quant au publicain, il se tenait loin autre occasion l'exemple eût été donné,
« du sanctuaire, et sans oser lever les yeux au mais il n'eût pas été également bien reçu.
« ciel, il en disant
se frappait la poitrine :

« Seigneur, ayez pitié de moi qui ne suis


CHAPITRE XXXIII.

« qu'un pécheur ». La sentence divine ne se l'humilité nécessaire aux chrétiens, mais


fit point attendre « En vérité, je vous le dé-
:
surtout aux vierges.
« clare , le publicain descendit plus justifié
a que pharisien ». La raison, la voici
le : 33. Le chrétien porte le nom même de Jé-
« Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui sus-Christ. C'est assez dire qu'il doit pratiquer
« s'abaisse sera exalté » 11 peut donc arriver '
. l'humiUté, car ce serait ne pas connaître l'E-
que quelqu'un réellement le mal et
évite vangile que de ne pas y voir les hautes leçons
trouve en lui un bien réel dont il rend grâces d'humilité que nous y donne le Sauveur. Riais
au Père des lumières, de qui vient tout don la pratique de cette vertu est spécialement
parfait et excellent ^ Cependant il sera ré- nécessaire à ceux qui brillent au-dessus des
prouvé pour son orgueil, si seulement dans autres par quelque privilège spécial. Ceux-là
sa pensée et devant Dieu il méprise les autres surtout ne doivent pas oublier cette parole
pécheurs, surtout ceux qui confessent leurs déjà citée « Plus tu es grand, plus tu dois
:

fautes. Car les pécheurs, loin de mériter d'or- « l'humilier et tu trouveras grâce devant
gueilleux reproches, doivent e.xciter la pitié «Dieu* ». Comme une grande vertu, dans
et la confiance. l'Eglise de Dieu, c'est la continence perpé-
Les Apôtres demandaient à leur Maître le- tuelle et surtout la sainte virginité, aucun
quel d'entre eux serait le premier; le Sauveur soin n'est à négliger pour soustraire cette

plaça au milieu d'eux un petit enfant en leur vertu à l'infiuence de l'orgueil.


disant « Si vous ne devenez comme cet en-
:

CHAPITRE XXXIV.
« fant, vous n'entrerez pas dans le royaume
«descieux' ». N'était-ce pas recommander QUELLES VIERGES EXHORTONS-NOUS A L'hUMILITÉ.
hautement l'humilité et en faire le principe
34. Saint Paul signale des veuves curieuses
de toute grandeur réelle? Aux enfants de Zé-
bédée qui ambitionnaient d'être assis à ses et causeuses, et il attribue ce défaut à l'oisi-
veté. « Celles qui restent dans l'oisiveté, dit-
côtés dans son royaume, Jésus-Christ répon-
mettent leur plaisir à aller de maison en
dit qu'ils devaient se préparer à boire son ca-
ce il,

s'est con- «maison; elles ne sont pas seulement oisives,


lice *, les humiliations auxquelles il
mourir mourir sur la croix % « elles sont aussi curieuses et causeuses, et
damné jusqu'à et
«s'enlretiennentde ce qu'ellesdevraient taire».
plutôt que d'aspirer orgueilleusement à être
Parlant encore de ces veuves, il avait dit plus
préférés aux autres. C'était leur montrer
clairement qu'il ne rendrait grands que ceux haut « Evitez les jeunes veuves. Comme elles
:

passent leur vie dans les délices, elles veu-


qui l'auraient suivi dans le chemin de l'humi-
«

Immédiatement avant sa passion il lava les « lent se marier en Jésus-Christ ; mais elles
lité.
« sont condamnables parce qu'elles ont violé
pieds à sesApôlres, et les avertit de faire les
« leurs premiers engagements », c'est-à-
uns à l'égard des autres ce qui venait d'être
et Maître ' ; dire qu'elles n'ont pas persévéré dans leur
fait pour eux, par leur Seigneur
première résolution. L'Apôtre ne dit pas que
quelle puissante exhortation à l'humilité Or, I

ces jeunes veuves se marient, mais qu'elles


pour la leur adresser, il choisit le moment où,
attirait sur veulent se marier. Beaucoup, en effet, renon-
sur le point de courir à la mort, il
le dernier cent au mariage, non point par fidéhté à une
lui leurs regards étonnés. C'était là
belle résolution, mais par crainte d'un dés-
»
Luc, xvui, 10-14.
^ Jac. - 1, 17. - ' Matt. ïvm, 1-3. - ' Id.


' PMlip. u, 8. — ' Jean, xiii, 1-17.
» Eccli. m, 20.
XX, 21, 22.
.,

DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 139

honneur public. Cette crainte elle-même Je ne crains plus pour


et à toutes ces faiblesses
vient de l'orgueil, qui redoute plutôt de dé- ellequ'une seule chose, l'orgueil; je tremble
plaire aux hommes qu'à Dieu. Celles donc qu'elle ne s'enorgueillisse de l'heureux état
qui veulent se marier, mais qui ne le font pas dont elle jouit. Plus elle a de motifs de se
parce qu'elles ne le pourraient impunément, complaire en elle-même, plus je crains qu'elle
feraient beaucoup mieux de se marier que de ne déplaise à Celui « qui résibte aux superbes
brûler, c'est-à-dire que de sentir la flamme se- « et donne sa grâce aux humbles * ».

crète de la concupiscence les dévorer dans leur


conscience ; d'autant plus qu'elles se repentent CHAPITRE XXXV.
de leur engagement et qu'elles ont honte de l'humilité apprise a l'école de JÉSDS-CHRIST.
l'avouer. A moins donc qu'elles ne répriment
les élans de leur cœur, à moins qu'à l'aide 35. C'est surtout dans la personne de Jésus-
de la crainte et de la grâce de Dieu elles ne Christ qu'il nous faut considérer le précepte et
domptent leurs passions, elles doivent être l'exemple de l'intégrité virginale. A ceux qui
mises au rang des morts. Si elles vivent dans pratiquent la continence je ne puis, au sujet
les délices, elles méritent cette dénomination, de l'humilité, que répéter ce que le Sauveur
car on doit alors leur appliquer ce mot de nous dit à tous « Apprenez de moi que je suis
:

l'Apôtre : « Celle qui vit dans les délices, est «doux et humble de cœur ». C'est parla qu'il
« réellement morte, toute vivante qu'elle pa- terminait la révélation de ses grandeurs; et
« raisse ». Vivent-elles dans le jeûne et les
'
quand lui, si grand, veut nous montrer
travaux? Alors encore elles doivent être mises combien pour nous il s'est fait petit, il s'é-
au rang des morts, si elles n'usent d'aucune crie :« Je le confesse devant vous, ô mon f^ère,

répression à l'égard de leur cœur et si elles « Seigneur du ciel et de la terre, vous avez
s'adonnent à l'ostentation plutôt qu'à la ré- « caché ces choses aux sages et aux prudents
forme d'elles-mêmes. A de telles vierges c'est « et vous les avez révélées aux petits. C'est
en vain que je chercherais à recommander le « là, ô mon Père, le dessein qui vous a plu.
grand travail de l'humilité; il suffit que leur « Tout m'a été donné par mon Père, et per-
orgueil soit confondu et tourmenté par les « sonne ne connaît le Fils le Père seul le con- ,

blessures de la conscience. « naît; et personne ne connaît le Père, si ce


Il en est de même
de celles qui se livrent à « n'est le Fils et celui à qui le Fils l'a ré-
l'intempérance, à l'avarice ou à quelqu'autre ff vêlé. Venez à moi, vous tous qui êtes affligés
maladie aussi condamnable. Elles professent « et chargés, et je vous soulagerai. Portez mon
la continence corporelle, et leurs mœurs per- « joug sur vos épaules et a|)prenez de moi que
verses sont en elles une contradiction mani- «je suis doux et humble de cœur ^ ». Oui,
feste. A quoi bon, dès lors, chercher à leur Celui à qui le Père a tout donné et que per-
recommander encore le soin important de sonne ne connaît ce n'est le Père; Celui qui
si

l'humilité chrétienne? N'iraient-elles pas faire seul connaît le Père, et qui peut seul le faire
ostentation de leur misère, et ne se contente- connaître, Jésus-Christ enfin n'a pas dit Ap- :

raient-elles pas du retard apporté au châti- prenez de moi à créer le monde ou à ressus-
ment qu'elles méritent? Que dire de celles que citer les morts, mais
je suis doux et : « Que
tourmente le désir de plaire, soit par un vête- « humble de cœur enseignement salu- ».
ment dontleur profession condamne l'élégance taire Maître et Seigneur des hommes dans
!

affectée, soit par les bandelettes capricieuses le sein desquels la mort s'est glissée avec le
dont elles ornent leur tète, soit par les renfle- breuvage de l'orgueil! Jésus-Christ n'a pas
ments exagérés de leur chevelure, soit par la voulu enseigner ce qu'il n'était pas, il n'a
ténuité des voiles qui laissent apercevoir la voulu commander que ce qu'il accomplissait
vanité de leur coiffure? A ces vierges on ne lui-même Je vous vois, ô Jésus, je vous con-
!

doit point parler d'humilité ;


qu'on leur rap- temple avec ces yeux de la foi, que vous m'a-
pelle avant tout les devoirs de la chasteté et vez ouverts, criant au genre humain assemblé
les délicatessesde la pudeur. tout entier «Venez à moi et apprenez de moi»
:

Présentez-moi une vierge professant la con- Fils éternel de Dieu par qui tout a été fait
tinence perpétuelle, étrangère à tous ces vices Fils de l'homme, qui avez été fait vous-même
' 1 Tira. V, 11, 12, 13, 6. ' Jac. lY, 6. — » Matt, xi, 25-29.
140 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

dans la plénitude des temps, qu'apprendrons- CHAPITRE XXXVII.


nous en venant à vous Que je suis doux, 1 «
BEAU MODÈLE d'hCMILITÉ PROPOSÉ AUX VIERGES.
a répjond-il, et humble de cœur ». Est-ce à

cela que se résument tous les trésors de sagesse 37. Mais regardez, Seigneur, cette troupe

et de science cachés en vous '? Tout, pour de viergeSi enfants et jeunes filles ; c'est dans
nous, consiste-t-il à apprendre de vous que votre Eglise que leurs rangs se sont formés ;
vous êtes doux et humble de cœur? Etre pe- c'est auprès de vous qu'ils ont sucé le lait
tit, est-ce donc une si grande chose, que si maternel c'est pour prononcer votre nom
;

elle ne venait pas de vous il serait impos- que leur langue s'est déliée ce nom a été ;

sible de l'apprendre? Je le crois en toute assu- pour eux le lait de l'enfance. Parmi eux aucun
rance; car on ne peut trouver le repos de ne peut dire J'ai d'abord été blasphémateur
:

l'âme qu'à la condition de rejeter loin de soi et calomniateur et oulrageux, mais j'ai obtenu

cette humeur inquiétante, qui nous faisait miséricorde parce que j'ai agi dans l'ignorance
paraître grands à nos yeux, quand nous étions de mon incrédulité *. Ce n'était pas un pré-
en proie à cette maladie de l'orgueil. cepte mais un simple conseil que vous procla-
miez en disant « Qui peut prendre prenne », :

CHAPITRE XXXVl. ils ont pris, ils ont voué. Pour le royaume
des cieux ils ont embrassé la continence, non
LA DOCTRINE DE l'hUMILITÉ FACILEMENT COMPRISE
pas sous le coup de quelque menace de votre
PAR LES PÉCHEURS.
part, mais sous l'influence seule de vos exhor-

36. Qu'ils vous écoutent qu'ils viennent à ,


tations ^
vous, qu'ils apprennent de vous à être doux A ceux-là criez et ils le comprendront, « que
et humbles, ceux qui en vivant pour vous et ,
« vous êtes doux Plus et humble de cœur ».
ils sont grands, plus ils doivent s'humilier en
non pour eux, cherchent la miséricorde et la
vérité. Qu'ilentende cette parole, le malheu- tout, afin de trouver grâce à vos yeux. Ils sont

reux accablé sous son fardeau, qui n'ose pas justes ; mais est-ce comme vous, jusqu'à jus-
l'impie ? Ils sont chastes; mais leurs
même lever les yeux vers le ciel et se tient au tifier

mères les ont engendrés et nourris dans le


loin, en se frappant la poitrine dans la convic-
tion de son péché -.Qu'ils l'entendent, ce cen- péclié Us sont saints; mais vous êtes le Saint
'.

turion qui ne se juge pas digne de vous rece- des saints. Ils sont vierges mais ils ne sont ;

voir dans sa demeure ce Zachée, prince des ^


;
pas nés d'une vierge. Ils sont purs d'esprit et
publicains, restituant quatre fois la valeur de de corps mais ils ne sont pas le Verbe fait
;

ce qu'il a usurpé * cette pécheresse publique


;
chair. Qu'ils apprennent donc, non pas de

qui arrose vos pieds de ses larmes, confessant ceux qui ont besoin de pardon, mais de vous-
qu'elle avait été loin de suivre vos traces ces ^ même. Agneau de Dieu qui effacez les péchés
femmes de mauvaise vie et ces publicains qui du monde *, qu'ils apprennent que vous êtes
précèdent Scribes elles Pharisiens dans le
les doux et humble de cœur.
royaume des cieux*;tous ces malades enfin 38. âme chrétiennement pudique , qui
qui vous font un crime de manger; ceux qui, avez enchaîné l'appétit charnel jusqu'à vous
refuser au mariage qui avez refusé à votre
se croyant sains, ne cherchaient pas le méde- ;

cin, quand vous déclariez n'être pas venu corps, condamné à périr, la jouissance de se

pour appeler les justes mais les pécheurs à la reproduire dans une postérité qui avez im- ;

pénitence ^ En se convertissant à vous^ tous primé des habitudes célestes à des membres
ces malheureux deviennent facilement doux fragiles et terrestres pour vous apprendre ;

et humbles de cœur en votre présence, grâce l'humilité, je ne vous propose ni les publi-

au souvenir toujours vivant de leur vie cri- cains ni les pécheurs qui cependant précéde-
minelle de votre infinie miséricorde car,
et ;
ront les orgueilleux dans le royaume des m
où le péché a abondé, a surabondé la grâce ^ cieux; je ne vous les propose pas, car, sortis %
qu'ils sont du gouffre impur, ils ne méritent
»
Coloss. Il, 3. — ' Luc, xvui, 13. • Math, — viii, 8. — ' Luc,
XIX
X, 2, 8. — '
Luc, vu, 37, 38. — ' Matt. xxi, 31. — ' Id. IX, U-13. pas d'être présentés à l'imitation de la sainte

— » OA au Roi du ciel que je vous


»
' Rom
T-»
V. 20. virginité. C'est
renvoie, à Celui par qui les hommes ont été
«
l Tim. 1, 13. — ' Matt. xix, 12. — ' Ps. I,7. — Jean,
'
11, 29.
i,
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 141

créés et qui, pour eux, s'est fait homme parmi « pas dans la charité, et la charité parfaite
les hommes. Je vous propose le plus beau des « l'exclut entièrement * ». Mais la crainte dont
enfants des hommes ', Celui qui a été couvert il est ici parlé, c'est la crainte humaine et non
de mépris |)ar les hommes et pour eux, Celui la crainte surnaturelle; la crainte des maux
qui. Maître souverain des anges immortels, temporels et non la crainte du jugement de
n'a pas dédaigné de se faire l'esclave des mor- Dieu. « Gardez-vous de porter trop haut vo3
tels, voilà votre modèle ! Ce n'est assurément «prétentions, mais craignez*? » Aimez la
pas l'iniquité qui le rendit humble, mais la bonté de Dieu, mais craignez la sévérité de
charité, « la charité qui ne jalouse pas, qui sa justice l'amour et la crainte ne supportent
;

ne s'enfle pas, qui ne cherche pas son ()ropre


« point l'orgueil. En aimant, vous craignez d'of-
« avantage*» Loin de chercher à se complaire
. fensergravement Celui que vous aimez et qui
en lui-même» Jésus-Christ a pu dire en toute vous aime. Or, quelle offense plus grande que
vérité « Les opprobres de ceux qui vous inju-
: de déplaire, par l'orgueil, à Celui qui, à cause
« riaient sontretombés sur moi ' » Levez-vous, . de vous, s'est attiré la haine des orgueilleux ?
allez à lui etapprenez qu'il est doux et humble Cette chaste crainte, qui demeure dans le siècle
de cœur. des siècles', où peut-elle mieux se trouver

Vous n'irez pas à celui qui, écrasé sous le qu'en vous qui, étrangère à toutes les pensées
poids de l'iniquité, n'osait lever les yeux au du monde et au soin de plaire à un époux,
ciel; mais à celui qui est descendu du ciel, n'avez de pensées que pour Dieu et ne cher-
entraîné sous le poids de sa charité * Vous ! chez à plaire qu'a lui seul * ? La crainte hu-
n'irez pas à celle qui arrosa de ses larmes les maine ne s'allie point avec la charité mais ;

pieds de son Maître, imi»Iorantle pardon pour cette crainte chaste dont je parle en est insé-
sa vie criminelle; mais à Celui qui, en par- parable. Si vous n'aimez pas, craignez de périr ;

donnant tous les péchés, a lavé les pieds de ses si vous aimez, craignez de déplaire. La charité
serviteurs ^ Je connais l'excellence de votre exclut la première de ces deux craintes elle ;

virginité; voilà pourquoi je ne vous profiose s'allie intimement à la seconde.


pas l'exemple du publicain accusant humble- Saint Paul a dit « Nous n'avons pas reçu :

ment ses fautes ; mais je crains pour vous le « l'esprit de servitude pour craindre, mais

pharisien, tirant vanité de ses mérites ^ Je ne « l'esprit d'adoption des enfants et c'est par
vous dis point Soyez semblable à celle dont
: « lui que nous crions mon Père ° ». L'Apôtre
:

il fut dit : « Beaucoup de péchés lui sont re- fait ici donnée sous
allusion à cette crainte,
« mis, parce qu'elle a beaucoup aimé »; mais l'Ancien Testament, de la perte des biens tem-
je crains qu'en voyant la légèreté de vos fautes porels, que Dieu avait promis à ceux qui, loin
pardonnées, vous n'aimiez que faiblement \ d'être ses enfants sous l'empire de la grâce,
n'étaient que des esclaves sous l'empire de la
CHAPITRE XXXVIII. loi. La crainte peut aussi avoir pour objet le
feu éternel; servir Dieu pour échapper à ce
LA CRAINTE NÉCESSAIRE AUX VIERGES. feu, ce n'est pas encore faire preuve de charité
parfaite. En effet, il y a une différence à éta-
39. Je suis pour vous saisi d'une grande blir entre le désir de la récompense et la
crainte. Si vous vous glorifiez de pouvoir sui- crainte du châtiment. S'écrier : « Où irai-je
vre l'Agneau, partout où il va, je tremble que, « loin de votre esprit? de où finirai-je loin
gonflées d'orgueil, vous ne puissiez le sui- «votre face*?» bien différent que de
c'est

vre par le sentier étroit. âme virginale, dire: « J'ai demandé une seule chose au Sei-
conservez dans votre cœur ce que vous y avez « gneur et je m'y attacherai : c'est d'habiter
reçu par le baptême conservez aussi dans , « tous les jours de ma vie dans la maison du
votre corps ce qui y était en naissant; mais il « Seigneur, afin d'y contempler les joies éter-
estbon aussi que, sous l'influence de la crainte « nelles et de m'abriter, moi son temple » ;

du Seigneur, vous conceviez et enfantiez l'es- ou bien encore : « Ne détournez pas de moi
prit de salut *. « La crainte, il est vrai, n'est « votre face ^ » ou encore « Mon âme est dé-
; :

« faillante au désir d'arriver à la maison du


' Ps. XLiv, 3. — ' I Cor. XIII ,4,5. ' Rom, —
xv, 3. * Jeau, —
VI, H8. — ' Id. xiu, 5. — ' Luc,
iVUl, 10-14. ' Id. vu, —
38, 47. — ' I Jean, iv, 18, — ' Rom. xi, 20. — • Ps, xvui, 10. — *
I Cor.
'
Is. XXVI, 18, VU, 32. — ' Rom. vm, 15, — ' Ps. cxxxvill, 7. — ' Ps, xxvi, 4, 9,
.

142 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

« Seigneur *». Laissez les premières paroles à pendant vous êtes encore en ce monde, et
celui qui n'osait pas lever les yeux au ciel et vous n'êtes pas humilié d'entendre ces pa-
à celle qui arrosait de ses larmes les pieds du roles: «Est-ce que toute la vie humaine sur la
Sauveur pour obtenir le pardon de ses crimes; « une tentation ? » Ne trouvez-
terre n'est pas ^

les autres ne s'appliquent qu'à vous, dont l'u- vous pas votre présomption condamnée par
nique sollicitude est de plaire au Seigneur et ces mots « Malheur au monde à cause de ses
:

de vous rendre sainte de corps et d'esprit. La « scandales * ? » Vous ne tremblez pas d'être

crainte agitée, celle que rejette la charité du nombre de la multitude dont la « charité
parfaite, doit s'approprier les premières pa- «se refroidit parce qu'abonde l'iniquité*».
roles; secondes appartiennent à cette
les Vous ne frappez pas votre poitrine à ces pa-
chaste crainte du Seigneur, qui subsiste en- roles « Que celui qui se flatte d'être debout,
:

core pour le siècle des siècles. A l'une et à « prenne garde de tomber * » Entre ces aver- .

l'autre il Gardez-vous déporter


doit être dit : « tissements du ciel d'un côté, et de l'autre entre
« trop haut vos prétentions, mais craignez» ;
ces dangers de la vie, à quoi bon insister pou
que l'homme donc ne s'élève ni par la justifi- persuader l'humilité aux vierges saintes?
cation de ses péchés, ni par la présomption de
sa justice. Si l'Apôtre a dit : «Vous n'avez pas CHAPITRE XL.
« reçu l'esprit de servitude pour craindre » ; LES CHUTES DU PROCHAIN SONT UN AVERTISSEMENT
il dit aussi accompagne la
de la crainte qui POUR NOUS. — LA VIRGINITÉ EST UN DON DE
charité « J'ai beaucoup craint pour vous et
:
DIEU.
« beaucoup tremblé ^ » Ne voulant pas que .

l'olivier greffé s'élevât d'orgueil au-dessus des permet que dans votre profes-
41. Si Dieu
rameaux brisés de l'olivier sauvage, il a pro- sion même un si grand nombre de
il arrive
noncé cette sentence : « N'aspirez pointa tant chutes, n'est-ce pas pour que cette vue aug-
«de hauteur, mais craignez». S'adressant mente votre crainte et étouffe votre orgueil,
ensuite à tous les membres du Christ en gé- cet orgueil que Dieu hait à tel point que pour
néral, il ajoute : « Opérez votre salut avec lui seul le Très-Haut s'est condamné à tant
« crainte et tremblement, car c'est Dieu qui d'humiliations ? Pour diminuer votre crainte
« opère en vous la volonté et l'action suivant et accroître votre orgueil, jusqu'au point de
« son bon plaisir ^». 11 n'est plus possible dès n'aimer que faiblement Celui qui vous a
lors d'appliquer, d'une manière exclusive, à aimés jusqu'à se livrer lui-même pour vous %
l'Ancien Testament ces autres paroles , : direz-vous qu'il ne vous a été accordé qu'un
« Servez le Seigneur avec crainte et tressaillez léger pardon, puisque, depuis votre enfance,
« en lui avec tremblement * » vous avez gardé la foi, la pudeur, une pieuse
chasteté et une virginité sans tache? Quoi
CHAPITRE XXXIX. donc ne devriez-vous pas aimer avec des ar-
1

FRAGILITÉ HDMAINE. deurs d'autant plus vives Celui qui, en par-


donnant les crimes de ceux qui reviennent à
40. S'il est des membres de son corps, de la lui, a soutenu votre faiblesse et vous a em-
sainte Eglise, qui doivent aspirer à fournir à pêché de tomber ? Ce pharisien, qui aimait si
l'Esprit-Saint un lieu de repos, n'est-ce pas peu, parce qu'il croyait qu'il n'avait eu besoin
ceux qui professent la sainteté virginale ? que d'un léger pardon ^, n'était-il pas victime
Comment peut-il reposer, s'il ne trouve pas de de cette erreur aveugle, qui, en lui laissant
lieu convenable ? Ce lieu, n'est-ce pas le cœur ignorer la justice divine, le portait à ne cher-
humble ; ce cœur
le remplit et ne le quitte il cher que la sienne propre et le tenait ainsi en
point, ne l'abaisse pas. Ecoutons
il l'élève et dehors du royaume de Dieu ^ ? Mais vous, race
ces paroles d'une clarté évidente « Sur qui : choisie, et choisie entre les élus mêmes,
« se reposera mou Esprit? Sur celui qui est chœurs de vieiges, appelés à la suite de l'A-
f
«humble, tranquille, et qui craint mes ora- gneau, vous aussi, la grâce vous a sauvée par
«cles^». Déjà votre vie est juste, pieuse, la foi, et ce don ne vient pas de vous, mais de _
pure, sainte et d'une chasteté virginale ; ce- Dieu; il n'est pas le fruit de vos œuvres, pour-
' Ps. Lxxxm, 3. — = I Cor. ii, 3. '
Philip. Il, 12, 13. - ' Ps. • Jcb, VIT, 1. — = Matt. xviii, 7. — ' Id. xziv, 12. — * I Cor. x,
II, 11. — ' Is. LXVI, 2. 12. — '
Gai. II, 20. — ' Luc, vu, 36-47. — ' Rom. x, 3.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. \A3

quoi donc y trouveriez-vous un sujet d'or- tification sur lui-même et contre tout senti-
gueil? « Nous sommes son ouvrage, créés, ment de révolte contre la sanctification qui
« en Jésus-Christ, dans les bonnes œuvres nous vient du ciel. Telle ne fut pas la conduite
« pour lesquelles Dieu nous a préparé le de ce Simon qui fut devancé par cette femme
« chemin '
». à laquelle beaucoup de péchés furent par-
L'aimerez-vous donc d'autant moins qu'il donnés parce qu'elle aima beaucoup.
vous aura plus comblés de ses dons ? Une telle Une pensée plus salutaire encore et en
démence ferait horreur. Puisque le Verbe a même temps plus vraie, c'est de regarder
dit que celui-là aime moins, à qui il a été comme nous étant pardonnes tous les péchés
moins pardonné, si vous voulez exciter en auxquels Dieu nous a soustraits par sa grâce.
vous de nouvelles ardeurs, si vous voulez J'en prends à témoin ces cris de pieuses sup-
aimer davantage Celui qui vous a rendus li- plications contenues dans les Saintes Ecri-
bres des sollicitudes et des soins du mariage, tures, et qui nous prouvent que les préceptes
regardez comme vous ayant été pardonné tout de Dieu ne sont accomplis qu'avec la grâce
le mal que, sous l'inspiration divine, vous et le secours du Dieu qui nous les impose.
avez évité. «Que vos yeux soient loujoursvers En effet , toutes ces prières seraient autant
« le Seigneur, car il arrachera vos pieds aux de mensonges, si nous pouvions, sans le se-
« embûches^». Ou bien « Si le Seigneur ne : cours de la grâce, accomplir ce que nous de-
« garde pas la cité, c'est en vain qu'a veillé mandons. Ainsi le précepte par excellence
« celui qui la garde ^». L'Apôtre parlant de la n'est-il pas d'obéir aux commandements de
continence elle-même, s'écrie : « Je voudrais Dieu? Or, cette obéissance est très-souvent
« que tous les hommes fussent comme moi, l'objet de la prière : « Vous avez ordonné de
«mais chacun a reçu de Dieu un don particu- « commandements »
garder vos , et immé-
« lier, l'un d'une manière l'autre d'une , diatement après « Puissent mes : voies se di-
«autre*». Quel est Celui qui distribue ces « riger toujours vers l'accomplissement de vos
dons, qui gratifie chacun comme il le veut ^ ? « préceptes
alors je ne serai pas confondu à
1

N'est-ce pas Dieu qui ne connaît point l'ini- « la vue de vos commandements ». Le pro- *

quité "? Quant à savoir quel est son dessein eu phète vient de rappeler les ordres de Dieu,
étabhssant la diversité de ses dons, l'homme maintenant il lui demande la grâce de les ac-
ne le peut il suffit que l'on sache que cette
; complir, afin de ne point se laisser aller au
diversité est parfaitement équitable ; et qui péché. Quand le péché est commis, on est
pourrait en douter? « Qu'avez-vous donc que oliligé de s'en repentir défendre, excuser son ;

« vous n'ayez reçu ? » et par l'elTet de quelle péché, c'est périr soi-même par orgueil, en
''

perversité aimez-vous d'autant moins que vous refusant de faire périr le péché par la péni-
avez reçu davantage ? tence. Cette bonne volonté, nous la demandons
à Dieu, ce qui prouve que nous ne pouvons
CHAPITRE XLI. l'avoir sans le secours de Celui à qui nous la

TOUTES LES VERTUS SONT DES DONS DE DIEU. demandons. «Placez, Seigneur, dit David, une
« garde à ma bouche et la continence en sen-

42. Ainsi donc, la première condition pour « tinelle sur mes lèvres ne laissez jias mon ;

parvenir à l'humilité, c'est de croire que la « cœur s'incliner vers des paroles coupables,
virginité, loin d'être notre œuvre propre, est « jusqu'à chercher des excuses dans mon pé-
réellement le don par excellence, descendant « ché, à l'exemple des hommes qui commel-
du Père des lumières en qui ne se fait aucun « tent l'iniquité - ». Si donc l'obéissance qui
changement ni aucune obscurité ^ Convaincu nous porte à accomplir les commandements,
de cette vérité, que l'homme se garde bien de et lapénitence qui accuse et non qui excuse
croire qu'il peut n'aimer que faiblement parce ses péchés, sont l'objet de la prière; c'est une
qu'il ne lui a été que peu pardonné. Qu'il se preuve manifeste que l'obéissance et la péni-
mette en garde contre l'ignorance de la justice tence nous viennent du ciel, qui nous en fait
de Dieu, contre la prétention de fonder sa jus- le don ou nous en accorde le secours. Au
sujet de l'obéissance en particulier, il est dit :

' Eph. II, 8-10. — » Ps. XXIV, 15. — '


Ps. cxxvi, 1. — * I Cor. « Les pas de l'homme sont dirigés par le Sei-
VII, 7. — ' Id. xii, 11. — « Rom. XI, 14. — '
I Cor. iv, 7. — '
Jac.
I, 17. » Ps. cxvin, 4-6. — ' Ps. CXL, 3, i.
. ,

i44 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

« gneur, c'est lui qui leur trace le chemin *». CHAPITRE XLIII.
Au sujet de la pénitence, l'Apôtre s'écrie :

LES VIERGES NE DOIVENT PAS SE PRÉVALOIR


et Dieu peut-être leur accordera la péni-
DU DON DE DIEU.
a tence * »

44. Quoique persuadé que c'est la grâce de


CHAPITRE XLII. Dieu qui l'a fait ce qu'il est, l'homme ren-
c'est dieu qui donne la continence contre devant lui une autre sensation d'or-
gueil, celle de se prévaloir de la grâce même
et la sagesse.
jusqu'à n'avoir que du mépris pour les autres.
43. Enfin, quant à la continence il a été dit: C'est le crime du pharisien, qui rendait grâces
« Je savais que personne ne peut être con- à Dieu du bien qui était en lui et en même
« tinent, à moins que Dieu ne lui en fasse la temps se préférait au publicain, abîmé dans
« grâce ; et c'est le propre de la sagesse de sa- l'aveu de ses fautes *. Que doit faire une
a voir de qui \ient ce don * ». vierge? Que doit-elle penser pour ne point se
Il ne suffit pas que la continence soit un préférer à ceux ou à celles qui n'ont point
don de Dieu, il faut à l'homme la sagesse de reçu le don de la virginité? Ce n'est point une
reconnaître que ce don ne vient pas de lui, humilité feinte qu'on lui demande, mais une
mais de Dieu. Ecoutez « Dieu a rendu sages : humilité réelle ; feindre rhumililé, ce serait le
« des aveugles * le témoignage de Dieu est
; comble de Après ces paroles: a Plus
l'orgueil.
« fidèle, il donne la sagesse aux enfants **; si « en tout»
tu es grand, plus tu dois l'humilier
« quelqu'un désire la sagesse, qu'il la demande l'Espril-Saint, voulant nous montrer que l'hu-
« à Dieu qui donne à tous abondamment et milité doit être véritable, ajoute aussitôt :

« sans faire de reproche, et il l'obtiendra * ». « Et tu trouveras grâce devant Dieu ^ » ; lequel


Or, les vierges doivent être sages, si elles ne évidemment ne pourrait approuver une hu-
veulent pas que leurs lampes s'éteignent \ Et milité menteuse.
comment seront-elles sages, si ce n'est en ne
s'élevant pas vers ce qu'il y a de plus élevé, et CHAPITRE XLIV.
en s'inclinant vers ce qu'il y a de plus hum- MOTIF D'nUMILITÉ POUR UNE VIERGE.
ble,en s'occupant des petites choses * ? C'est la
sagesse même qui a dit à l'homme « La : 45. Que dirai-je encore? Se peut-il quelque
a piété, voilà la donc vous n'a-
sagesse ^ ». Si motif qui , mûrement pesé , empêche une
vez rien que vous ne l'ayez reçu, ne vous vierge de se préférer à fidèle, non- la femme
élevez point si haut dans vos pensées, mais seulement à la veuve, mais même à l'épouse ?
craignez '". Gardez-vous surtout de n'aimer Pour en trouver, je ne supposerai pas une
que faiblement, sous prétexte qu'il ne vous a vierge réprouvée, car qui ne sait que la femme
été que peu pardonné au contraire, aimez ; obéissante doit être préférée à la vierge re-
beaucoup, parcequevous avez beaucoup reçu. belle ? Je les suppose toutes deux d'une obéis-
Si celui à qui il a été donné pour le dispenser sance égale aux préceptes de Dieu mais ne ;

de payer, aime beaucoup; combien plus doit craindra-t-elle pas de préférer la sainte virgi-
aimer celui qui a reçu pour conserver. Or, si nité aux chastes noces,
et la continence au
une âme a conservé sa pureté première, c'est mariage, centième, au fruittrentième?
le fruit

que Dieu a dirigé ses pas; et si une autre a Elle ne doit pas hésiter un seul instant. Etce-
quitté l'impureté pour devenir chaste, c'est l)endant, que celte vierge obéissante et crai-
ijuc Dieu l'a retirée du mal enfin, si Ton reste ; gnant Dieu se garde bien de se préférer per-
impudique jusqu'à la lin, c'est que Dieu a sonnellement à celte femme également obéis-
abandonné. Quoique Dieu fasse en cela, ses sante et craignant Dieu, autrement elle cesse-
desseins nous sont inconnus, mais ils ne sau- rait d'êlre humble, et « Dieu résiste aux
raient être injustes. S'il nous les cache, n'est- c(superbes ^ ». Quelle pensée doit donc l'oc-
ce pas afin de nous faire craindre davantage cuper? La pensée des dons secrets de Dieu ;

et de nous empêcher de nous enorgueillir? dons qui ne sont jamais connus, même de
ceux qui les possèdent, qu'en présence de l'é-
'
Ps. xxj-vi, 23. ' II— Tim. II, 25. — ' Sag. viii, 21. — ' Ps.
preuve. En effet, sans parler d'autre chose,
cxLV, 8. — ' Ps. xviii, 8. — ' Jac. i, 5. — ' Matt. xxv, 4. — • Rom.
XII, 16. — • Job, ixvui, 28. — " Rom. xi, 20. ' Luc, xvm, 10-14. - ' Eccli. m, 20. — ' Jac. iv, 6.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. 145

cette vierge, tout empressée qu'elle est de se vierges, quoiqu'engagées dans la continence
livrer aux exercices de la piété, à ce qui peut perpétuelle, ne vont pas cependant jusqu'à
plaire à Dieu, oserait-elle affirmer qu'aucune réaliser cette parole du Seigneur a Si tu veux :

faiblesse inconnue de la volonté, ne l'empêche « être parfait, va^, vends tout ce que tu as,
d'être mûre pour le martyre tandis que cette ;
« donne-le aux pauvres, et tu auras acquis un
femme qu'elle méprise, peut déjà boire le calice « grand trésor dans le ciel puis, viens et suis ;

de la souffrance chrétienne ce calice prédit ;


«moi * ». Elles n'oseraient, dès lors^ se mêler
par Jésus-Christ aux deux disciples, amateurs à la société de ceux qui ne possèdent rien en
du premier rang ? Sait-elle que peut-être elle
* propre, et pour qui tout est commun ^ Or,
est bien loin de ressembler à Thècle, tandis croyons-nous que les vierges qui portent jus-
que cette femme est déjà, peut-être, une autre que-là le renoncement, n'acquièrent aucun
Crispine ? nouveau titre à larécompense ? Ou bien que
Quoi qu'il en soit, il est certain que ce don si elles ne vont pas jusqu'à ce degré de perfec-
précieux du martyre ne se dévoile que dans tion, il ne leur sert de rien d'être vierges?
la tentation.

CHAPITRE XLV. CHAPITRE XLVI.

LE CENTIEME, LE SOIXANTIÈME ET LE TRENTIÈME. EXCELLENCE DE LA VIE COMMUNE POUR


LES VIERGES.
46. Et cependant il est si grand que plu-
sieurs auteurs y voient le fruit qui produit au Concluons, dès lors, que les dons de Dieu
centième. En effet, l'Eglise, dans sa souveraine sont nombreux^ mais différents l'un de l'autre
autorité, a réservé, dans la célébration des en excellence. Tel n'a à faire fructifier qu'un
saints mystères, une place signalée aux mar- petit nombre de ces dons, mais ils sont d'une
tyrs et aux vierges défuntes. Que signifie cette nature plus élevée; tel autre n'a que des dons
fécondité diverse ? J'en laisse la décision à plus inférieurs, m^ais ils sont en plus grand nombre.
habiles que moi. La virginité est-elle le cen- Qui donc poussera la témérité jusqu'à égaliser
tième; le veuvage le soixantième, et la vie ou diversifier entre les hommes les honneurs
conjugale le trentième ? Ou bien, dans ces trois éternels qui les attendent, surtout quand il

catégories, devons-nous voir le martyre, la vir- est certain que


dons sont différents et
ces
ginité et le mariage? On bien encore, sera-ce qu'ils fructifient, non pas pour cette vie, mais
la virginité unie au martyre qui produira au pour la vie éternelle? Le Seigneur nous parle,
centième la virginité seule au soixantième,
; il est vrai, de trois fructifications ;en particu-

tandis que le mariage, par lui-même, ne pro- lier % mais il laisse supposer les autres. Un
duira qu'au trentième, et s'élèvera au soixan- des évangélistes ne parle même que du cen-
tième s'il est uni au martyre? Comme les dons tuple *; doit-on en conclure ou qu'il réprou-
de la grâce sont multipliés, les uns plus grands, vait ou qu'il ignorait les deux autres nombres ?
les autres plus faibles, ce qui a fait dire à l'Apô- N'a-t-il pas plutôt voulu en abandonner la
tre « Aspir^ toujours à des
: dons plus élevés^», supputation à l'intelligence de chacun ?
ne serait-il pas plus juste d'admettre plus de 47. Que le centuple désigne la virginité re-
trois catégories dans les dons de Dieu? D'abord ligieuse ou tout autre état, toujours est-il que
ce serait une erreur de n'attribuer aucun fruit nous ne devons pas confondre ces différents
à la continence viduelle, ou de la placer dans degrés de rapport. Personne, je crois, n'osera
un rang inférieur à la pudeur conjugale, ou préférer la virginité au martyre, et tous affir-
de l'égaler à la gloire virginale. Ce serait se meront sans hésiter que ce don du martyre
tromper aussi de croire que la couronne du peut exister, quoiqu'occulte, tant qu'il n'est
martyre, qu'elle soit uniquement l'objet d'un pas en face de l'épreuve qui doit le mani-
désir habituel en dehors de toute occasion de fester.
souffrir, ou bien qu'elle ait eu occasion de se
» Matt. XIX, 21. — * Act. n, 44 et iv, 32. — • Matt. xili , 8. —
manifester dans les tourments, n'ajoute abso- ' Luc, VIII, 8.

lument aucun mérite à l'une ou à l'autre de ces


trois espèces de chasteté. Enfin beaucoup de
Matt. XX, 22. — M Cor. xii, 31.

S. AuG. — Tome XÏÎ. 40


l-i(3 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

CHAPITRE XLYII. « glorifier d'avoir le cœur pur? qui peut se


« glorifier d'être sans péché*? » On a peut-
QUELLE VIERGE EST SURE DE POUVOIR ENDURER
être conservé intègre la virginité depuis la
LE MARTYRE ?
naissance: «mais personne», dit Job, «n'est
Ainsi, toute vierge peut conserver l'humi- « pur en votre présence, pas même l'enfant
lité sans porter aucune atteinte à la charité, le « qui n'est que depuis un jour sur la terre ^».
plus excellent des dons de Dieu, et sans lequel On a même conservé dans la foi une certaine
tous les autres dons ne sont rien, qu'ils soient chasteté virginale, celle qui unit l'Eglise vierge
rares ou nombreux, grands ou petits. Oui, elle à son unique Epoux ; mais cet unique Epoux,
a de quoi ne pas s'exalter, ne pas s'enorgueillir ; s'adressant non-seulement aux vierges d'esprit
en restant persuadée qu'en général la vir- et de corps, mais à tous les chrétiens, depuis
ginité l'emporte de beaucoup sur l'état du les plus spirituels jusqu'aux plus charnels,
mariage, est-elle sûre si telle ou telle épouse depuis les apôtres jusqu'aux derniers péni-
ne pourrait pas aujourd'hui supporter, pour tents, depuis les sommités du ciel jusqu'aux
Jésus-Christ, des souffrances sous lesquelles extrémités de de la terre % leur a appris à dire
elle succomberait elle-même, et que Dieu lui dans la prière : « Pardonnez- nous nos of-
épargne pour ne pas soumettre sa faiblesse à « fenses comme nous pardonnons
à ceux qui
de trop fortes épreuves? « Dieu est fidèle, dit « nous ont offensés » or, en nous faisant '•
;

« l'Apôtre, il ne permettra pas que vous soyez prier, le Sauveur nous avertissait de ne pas
« tentés au-dessus de vos forces ;"et si l'épreuve oublier ce que nous sommes, car, en nous
« se présente, il vous donnera la grâce de la apprenant à demander ce pardon, ce n'est
«surmonter * ». Il est donc possible que tels pas pour les péchés commis dans la vie pas-
époux ou épouses vivant saintement dans sée et effacés par le baptême autrement ,

l'état du mariage, soient capables de résister cette prière ne serait que pour les catéchu-
au mal jusqu'à avoir les entrailles déchirées mènes jusqu'à leur baptême. Cette prière est
et verser leur sang, tandis que telles vierges récitée après le baptême et chaque jour, par
ne pourraient porter jusque-là l'amour de la les prêtres et les fidèles, par les pasteurs et le
justice ou de la pureté. Autre chose est, par troupeau n'est-ce pas une preuve manifeste
:

amour pour la vérité, ou par fidélité à son de- que dans cette vie, qui est tout entière une
voir, de ne consentir ni aux suggestions ni aux tentation ^ personne ne peut se flatter d'être
caresses et autre chose de résister aux tortures
; sans péché ?
et aux mauvais traitements. Ce courage et cette CHAPITRE XLIV.
force restent cachés jusqu'au moment où la
l'aveu des péchés.
tentation les dévoile et que l'expérience les
manifeste. Si donc on est tenté d'orgueil à la 49. Si donc les vierges suivent l'Agneau par-
vue de ce qu'on peut, qu'on pense humble- tout où il va, c'est à la condition d'être irré-
ment que peut-être on resterait impuissant préhensibles, et elles le sont par l'expiation de
devant quelque chose de plus parfait à accom- leurs péchés et par la conservation de leur
plir tandis que d'autres, qui sont dans un
; virginité car on ne peut la recoyvrer si on a
;

état inférieur à celui qui inspire de l'orgueil, eu le malheur de la perdre. L'Apocalypse, qui
pourraient ce qu'on ne pourrait pas soi-même. leur attribue ce privilège, les loue aussi d'a-
En suivant cette règle, on établira sa vie sur voir soustrait leurs lèvres à toute espèce de
une humilité véritable et sincère ; «on se pré- mensonges ^ les avertissant ainsi que la vérité
« viendra on s'honorera mutuellement par
et leur défend de dire qu'elles sont sans péché.
a des témoignages de respect ^ » et « chacun se , Le même Apôtre dit encore «Si nous préten- :

« trouvera inférieur à son frère ^ ». « dons que nous sommes sans péché, nous

« nous trompons nous-mêmes et la vérité , J


CHAPITRE XLVni.. « n'est pas en nous. Si, au contraire, nous 1
AUTRE MOTIF d'HUMILITÉ. « confessons nos fautes. Dieu, juste et fidèle,
« nous les pardonnera et nous purifiera de
48. Que dirai-je du soin et de la vigilance à « toute iniquité. Au lieu qu'en disant que
apporter pour éviter le péché? « Qui peut se — - Matt. xxiv, 31. * Id. VI,
'
Prov. XX, 9. ' Job. xsv, A. '

I Cor. X, 13. — '


Rom. XIi, 10. — » Philip. Il, 3. 12. — ' Job. vil, 1. — ' Ap. XIV, 1, 5.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. li"

« nous n'avons pas pécbé, nous faisons de nent partout le dernier rang afin de trouver
« Dieu un menteur, et sa parole n'est point en grâce devant Dieu. Quelque grandes qu'elles
a nous ». Ce passage n'a pas un sens res- soient, en effet, il sera toujours vrai de dire
treint, il s'applique à tous les chrétiens sans que « le serviteur n'est pas au-dessus de son
en exclure les vierges. Cette confession est « Seigneur, ni le disciple plus grand que sou
pour elles le moyen d'être sans mensonge, « Maître * » . Or le Seigneur est Celui qui a dit :

comme vues l'auteur de l'Apocalypse.


les a « Tout m'a été donné par mon Père » et le ;

Jusqu'au moment donc où elles auront atteint Maître « Venez à moi vous tous qui êtes dans
:

la perfection dans la gloire céleste, qu'elles « la peine et apprenez de moi » Et qu'appren- .

cherchent l'innocence dans une humble con- drons-nous? « Que je suis doux et humble de
fession de leurs fautes. « cœur-».
50. Peut-être allez- vous prendre de là occa-
sion de vous tranquilliser sur vos péchés et
CHAPITRE LI.

même d'y persévérer par la raison qu'ils seront DIEU EST LE GARDIEN DE LA VIRGINITÉ DANS LES
promptement effacés par une facile confession.
HUMBLES.
C'est pour détruire cette illusion que l'Apôtre
ajoute « Mes petits enfants, je vous écris en
: 5:2. Mais, me dira-t-on peut-être, ce n'est

« ces termes, afin que vous ne péchiez pas. Si plus de la virginité, c'est de l'humilité que
« quelqu'un se rend coupable, nous avons Jé- vous parlez. Mais ai-je entrepris de parler de
« sus-Christ pour avocat auprès de son Père; la virginité en général, et non pas de la vir-
« il nous servira de propitiation pour nos pé- ginité selon le cœur de Dieu? Or plus ce bien
« chés ». Ne quittons donc pas le péché avec
*
me parait précieux, plus je crains pour lui les
la pensée d'y retomber bientôt ne faisons au- ; ravages et les coups de l'orgueil. Garder la
cun pacte avec l'iniquité mettons notre joie à ; virginité, Dieu seul le peut, car lui seul en est
l'éviter, et non à la confesser. la source. Or Dieu est charité ^
; la véritable
gardienne de donc la cha-
la virginité, c'est
CHAPITRE L.
rité, et celle-ci ne siège que dans l'humi-

LE PÉCHÉ LÉGER, AGGRAVÉ PAR l'ORGUEIL ET lité. En effet, c'est uniquement dans un cœur
DÉTRUIT PAR l' HUMILITÉ.
humble qu'habite Celui qui représente l'Es-
prit-Saint comme prenant son repos dans
Toutefois ceux-là même qui déploient la vi- celui qui esthumble, paisible, et qui tremble
gilance la plus active pour éviter le péché, en- à sa parole \ Je ne suis donc pas sorti de
traînés qu'ils sont par la fragilité humaine, le mon sujet car pour faire conserver avec
,

commettent encore quelquefois; ces péchés plus de soin le bien que j'ai loué j'ai voulu ;

sont légers, ils sont rares, mais enfin ce sont préparer la place à qui est chargé de la gar-
des péchés. Que l'orgueil vienne y ajouter son der. Sans craindre aucunement de soulever
poids, ils deviennent de graves et redoutables contre moi la colère de ceux à qui je veux
péchés. Confessons-les plutôt avec la plus pro- faire partager mes alarmes, je dis hautement
fonde humilité et le Prêtre que nous avons ; qu'il sera époux humbles
plus facile aux
au ciel les effacera et ils disparaîtront avec la qu'aux vierges orgueilleuses, de suivre l'A-
facilité la plus grande. gneau, non pas partout où il va, mais là où il
51. Je ne m'adresse toutefois nullement à leur sera donné de l'accompagner. Comment,
ceux qui soutiennent que l'homme, ici-bas, en effet, suivre Celui dont on ne veut pas s'ap-
peut vivre sans péché; je ne veux engager procher? Et comment s'en approcher quand
contre eux aucune discussion. On pourrait dire on ne vient pas à lui pour apprendre « Je :

que nous jugeons des grandes âmes d'après « suis doux et humble de cœur? » Ainsi donc,
notre profonde misère, et que nous nous aveu- si l'Agneau a des humbles à sa suite, et les con-

glons en nous comparant nous-mêmes à nous- duit partout où il va, c'est qu'il trouve en
mêmes ^ 3Iais je sais une chose, c'est que ces eux une place pour y reposer sa tête. Or un
grandes âmes, et nous n'en sommes pas, nous homme orgueilleux et rusé lui disant « Sei- :

n'en n'avons jamais connu de telles, plus elles « gneur, je vous suivrai partoutoù vous irez»,
sont grandes, plus elles s'humilient et pren-
«Jean, xiil, 16. — ^
Malt, xr, 27-29. — ' I Jean, iv, 8. — '
Is
' I Jean, i, 8 ; ii, 2. — = II Cor. x, 12. LXVI, 2.
.

U8 DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

il lui répondit : a Les renards ont leurs ta- mit et s'augmente par la charité; et celui que
« nières et les oiseaux leurs nids, tandis que le vous n'avez pas, vous l'obtiendrez d'autant plus
« Fils de l'Homme n'a pas où reposer sa tête^ » facilement que vous le demanderez avec plus
Sous nom de renards, le Sauveur condam-
le d'humilité. Prenez exemple sur celles qui per-
nait l'astuce et la fraude les oiseaux symbo- ; sévèrent; quant à celles qui tombent, qu'elles
lisent l'orgueil dans tout cela il ne trouvait
; augmentent vos craintes. Aimez celles-là et
donc pas l'humilité véritable sur laquelle il marchez sur leurs traces pleurez sur celles-ci, ;

pût se reposer. Voilà pourquoi jamais il n'a de crainte que l'orgueil ne vous séduise. Gar-
suivi le Seigneur, cet homme qui avoit pro- dez-vous de compter sur votre propre justice,
mis de le suivre, non pas jusqu'à tel degré, et soumettez-vous à Dieu qui vous justifie.
mais partout oii il irait. Pardonnez les fautes du prochain et priez
pour les vôtres prévenez les péchés futurs par
;
CHAPITRE LU. votre vigilance, et effacez par une humble con-
LA PRATIQUE DE l'HUMILITÉ, NÉCESSAIRE AUX fession les péchés passés.

VIERGES.
CHAPITRE LUI.
53.Courage donc, vierges du Seigneur, LES VIERGES DOIVENT ÊTRE d'aUTANT PLUS
courage, suivez l'Agneau partout où il ira. HUMBLES qu'elles SONT PLUS SAINTES.
Mais avant de le suivre, venez à lui et apprenez
qu'il est doux et humble de cœur. Si vous 54. Vous êtes arrivées à conformer toutes
l'aimez, venez humblement à Celui qui est vos œuvres à la profession de la virginité.
l'humilité même, et ne vous séparez jamais Homicides, sacrifices diaboliques, abomina-
de lui, si vous craignez de tomber celui qui ; tions, vols, rapines, fraudes, parjures, intem-
regarde comme un malheur de s'éloigner de pérance, luxure, avarice, ruse, jalousie, im-
lui, répète souvent cette humble supplication: piété,cruauté, non-seulement vous êtes dé-
a Que le pied de l'orgueil ne vienne point pouillées de tous ces vices , mais les fautes
« jusqu'à moi ^ » Appuyées sur le pied de
. les plus légères ou qui le paraissent, on ne les
l'humilité courez la voie de la plus haute
, rencontre point en vous. Ni votre visage n'est
perfection. Celui qui n'a pas rougi de des- colère ; ni vos yeux, errants ; ni votre lan-
cendre jusqu'à notre bassesse, exalte ceux gue, immodérée; ni votre rire, éclatant; ni
qui le suivent dans l'humilité. Confiez-lui la vos jeux, bouffons; ni votre vêtement, im-
garde des dons qu'il vous a faits mettez en ; modeste; ni votre démarche, fière ou affec-
sûreté votre force près de lui ^ Le mal que tée « vous ne rendez point le mal pour le
;

par sa protection vous ne commettrez pas, « mal, la malédiction pour la malédiction '
;

regardez-le comme vous étant pardonné ;


« Votre charité irait même jusqu'à donner vo-
autrement, vous seriez tentées de croire « tre vie pour vos frères ^ ». Voilà ce que vous
qu'il vous a été pardonné peu vous n'aime- ; êtes, parce que c'est là ce que vous devez être.
riez que peu, et gonflées d'un fatal orgueil, Quand toutes ces vertus s'ajoutent à la virgi-
vous iriez jusqu'à mépriser les publicains nité, les hommes ont sous les yeux le specta-
qui se frappent humblement
Avez- la poitrine. cle d'une vie angélique, et la terre voit des
vous fait en quelque chose Texpérience de mœurs toutes célestes. Mais plus vous êtes
vos forces ? Défiez-vous et ne vous enor- grandes, plus vous devez vous humilier en
gueillissez pas d'avoir pu porter tel fardeau. tout, afin que vous trouviez grâce devant
Quant à ce que vous n'avez pas expérimenté Dieu, qui résiste aux superbes, qui abaisse
encore, priez afin que Dieu vous garde d'en- ceux qui s'élèvent, et laisse ceux qui s'enflent
treprendre au-delà de vos forces. Croyez que dans l'impossibilité de pénétrer par la porte
ceux que vous précédez extérieurement, vous étroite. C'est du reste une question superflue
sont supérieurs dans le secret de leur âme. de demander si l'humilité se trouve partout
Lorsque vous accueillez avec bienveillance le où brûle la charité.
bien que l'on vous dit des autres, et que vous ' I Pier. III, 9. — » I Jean, m, 16.

ignorez le bien que vous connaissez en vous,


loin de diminuer par la comparaison, s'affer-
> Matt. VIII, 19, 20. — » Ps. xjcrv, 12. — ' Ps. lviii, 10.
DE LA SAINTE VIRGINITÉ. U9
CHAPITRE LIV. trouvez rien qui puisse vous blesser et vous
n'avez pas à craindre qu'il s'offense de ce qui
LES VIERGES DOIVENT AIMER JÉSUS-CHRIST
n'existe pas. Dans le mariage, vous auriez été
DE TOUT LEUR CCEUR.
tenues à un grand amour pour vos époux ;

vous avez renoncé au mariage


55. Puisque quel amour ne devez-vous donc pas a Celui
humain qui vous eût rendus pères où mères, que vous avez préféré à tous les époux ? Te-
aimez de tout votre cœur le plus beau des nez fixé dans votre cœur Celui qui pour vous
enfants des hommes. Il est tout entier à vous, fut attaché à la Croix; qu'il possède dans vo-
puisque votre cœur est libre des liens du ma- tre âme tout ce que vous avez refusé d'enga-
riage. Contemplez la splendeur de votre ger par le mariage. Il ne vous est pas permis
bien-aimé : voyez-le égal à son Père et sou- de n'aimer que faiblement Celui pour qui
mis à sa mère ; régnant au ciel et serviteur vous avez refusé d'aimer, même ce que vous
sur la terre; créateur de tout être créé, et créé pouviez aimer. Or, si vous aimez de la sorte
parmi tout. Contemplez avec amour ce qu'in- Celui qui fut doux et humble de cœur, je ne
sultent en lui les orgueilleux ; c'est sa beauté. crains pour vous aucune espèce d'orgueil.
Jetez les yeux de votre cœur sur les blessures
du divin Crucifié, sur les cicatrices du divin CHAPITRE LVI.

Ressuscité, sur le sang d'un Dieu qui meurt, conclusion.


sur le prix de votre foi, sur le salaire de votre
Rédemption. Appréciez la valeur de ces bien- 57. Nous avons traité suffisamment, selon
faits;
pesez-les dans la balance de la charité, notre faible pouvoir, de la sainteté qui vous a
et tout ce que vous aviez d'amour à dépenser mérité le nom de vierges consacrées, et de
pour votre mariage, donnez-le à l'Epoux. l'humilité qui est le moyen de conserver ce
qui fait votre grandeur. Du reste, je laisse à
CHAPITRE LV. ces trois enfants, que rafraîchissait dans les

BONHEUR d'aimer l'ÉPOUX DIVIN. flammes Celui qu'ils aimaient de tout leur
cœur, le soin de vous faire goûter ce petit ou-

56. Ce qu'il recherche , c'est la beauté inté- vrage; ils le feront en beaucoup moins de
rieure de cette âme par laquelle il vous a donné paroles, mais avec une autorité bien plus im-
lepouvoir de devenir les filles bien-aimées de posante, dans cet hymne où ils chantent la

Dieu ^ Pour cela il ne demande pas de vous un gloire de Dieu. En joignant l'humilité à la
beau corps, mais de belles mœurs pour répri- virginité dans les âmes invitées à bénir Dieu,
mer les élans de la chair. Il n'est pas menteur ces enfants nous ont appris, jusqu'à la der-
dans ses promesses, et ne soulève pas la jalousie nière évidence, que plus on est élevé dans la
cruelle. Voyez avec quelle sécurité vous jouis- sainteté, plus on doit se mettre en garde con-
sez de son amour, car vous n'avez pas àcraindre tre les séductions de l'orgueil. Vous aussi,
de lui déplaire par des soupçons. Le mari et la louez donc Celui, qui, au milieu des ardeurs
femme s'aiment parce qu'ils se voient, et ils de ce siècle, ne permet pas que vous brûliez
craignent réciproquement ce qu'ils ne voient des feux de la concupiscence, quoique vous
pas ; ce qu'il voient ne peut donc leur procu- ne soyez pas engagées dans les liens du ma-
rer une
joie assurée, puisque souvent ils riage, et, en priant aussi pour nous, répétez :

soupçonnent intérieurement ce qui n'est pas. « Saints et humbles de cœur, bénissez le Sei-

Dans Celui que vous ne voyez pas de vos yeux, « gneur, chantez l'hymne de la louange et

mais que -vous apercevez par la foi, vous ne « tressaillez dans tous les siècles ». '

' Jean, 1, 12. » Dan. m, 87.

Traduction de M. l'abbé BVRLERAUX.


. ,

AVANTAGES DE LA VIDUITÉ
ou

Lolrti^e à JxilierLiie, veixve.

loférieure en mérite à la chaslelé virginale , la chasteté des veuves l'emporte sur l'état conjugal. C'est Dieu qui accorde
la grâce de cette chasteté. La conserver avec soin et veiller sur sa réputation.

Augustin , évêque , serviteur du Christ et des serviteurs du vous répéter celle de l'Apôtre. En effet, c'est
Christ, à Julienne, servante dévouée de Dieu, salul en Josus-
dans la sainte Ecriture que notre enseignement
Christ, le Seigneur des seigneurs.
trouve sa règle immuable gardons-nous donc :

CHAPITRE PREMIER. « de vouloir être plus sages qu'il ne faut » ;

nous devons, dit l'Apôtre, « nous tenir dans


BUT DE l'auteur.
« les bornes de la modération selon la mesure

1 Désireux de répondre, le plus tôt possible, « du don de la foi que Dieu a départie àcha-

à votre demande, à ma promesse et à votre « cun » Il me suffira donc de vous exposer les
'
.

affection chrétienne, je fais trêve, un instant paroles du saint Docteur, que je développerai
à mes plus pressantes occupations, pour vous selon l'inspiration que Dieu voudra bien m'ac-
adresser quelques mots sur la profession de corder.
la sainte Viduité. Vous m'aviez fait de vive CHAPITRE H.
voix cette demande, et je n'avais pu vous re-
LES VEUVES, DANS LE LANGAGE DE l'aPÔTRE.
fuser . mais bien souvent ,
par lettres , vous
la réalisation d'un engagement
avez insisté sur 3. Voici donc les paroles de l'Apôtre, du doc-
qui me
réellement envers vous. Lorsque
liait teur des peuples, du vase d'élection, saint Paul:
vous rencontrerez dans ce travail des choses « Je dis à celles qui ne sont pas mariées et aux
qui vous paraîtront étrangères au genre de vie « vierges, qu'il leurestbonde persévérer dans
que vous menez vous et les vôtres il vous ;
« cet état, comme j'y persévère moi-même ».

semblera peut-être sans utilité réelle pour Ce serait une erreur de conclure de ce texte
vous, mais ne le jugez pas, si promptement, que les veuves, parce qu'elles ont été mariées,
superflu. C'est à vous que je l'adresse, mais ce ne peuvent pas être comprises dans ce mot
n'est pas pour vous uniquement qu'il a été (sinnuptis celles qui ne sont pas mariées »,
écrit j'ai dû ne pas oublier que par vous il
;
car dans son acception véritable ce mot dési-
serait utile à d'autres. Si donc vous croyez, de gne toute personne qui actuellement n'est pas
certaines idées, qu'elles ne vous ont jamais été engagée dans les liens du mariage, lors même
nécessaires, ou qu'elles ne vous le sont plus, qu'elle l'aurait été précédemment. C'est ce que
tandis qu'elles le sont à d'autres, ne craignez prouve cet autre passage « Le cœur de la :

pas de les conserver et de les donner à lire; de « femme est partagé ; il n'en est pas ainsi de
cette manière votre charité sera l'utilité d'au- « celle qui n'est pas mariée et de la vierge ».
trui. En mettant une distinction entre la femme
2. Dans tout ce qui regarde la vie et les qui n'est pas mariée et la vierge, il est clair
mœurs ,
ne suffit pas, il faut
la conviction que l'Apôtre entend parler de la veuve. Voyez
aussi laL'enseignement nous
persuasion. plutôt comme par une seule expression il em-
montre ce que nous devons faire, l'exhortation brasse à la fois ces deux professions: «Celle
nous pousse à agir conformément à notre con- « qui n'est pas mariée s'occupe uniquementdes
viction.Quant à la doctrine, je ne puis que ' Rom. XII, 3.
. ,

AVANTAGES DE LA VIDUITÉ. Jol

« choses du Seigneur , de ce qui peut lui « qui ne formons qu'un seul corps, étant tous
« plaire que celle qui est mariée cher-
; tandis « réciproquement les membres les uns des
« che ce qui est du monde et ce qui peut « autres mais nous avons des dons différents,
;

« plaire à son mari M). Il est évident qu'il « selon la grâce qui nous a été octroyée ? » '

n'est pas seulement parlé ici de celle qui ne S. Ce même Apôtre avertit les époux de ne
s'est jamais mariée, mais aussi de celle que la pas se refuser sans raison grave le devoir con-
viduilé a délivrée des liens du mariage. Par la jugal, dans lacrainte que l'un desdeux, injuste-
même raison, quand saint Paul parle d'une ment trompé, et entraîné parsonintempérance
femme mariée, il désigne celle qui a un mari et par le démon, ne s'abandonne à la fornica-
et non pas celle qui ^n a eu un. Toute veuve tion. Il «En vous parlant ainsi
ajoute aussitôt:
est une personne non mariée, mais toute per- « j'use d'indulgence, mais je ne vous impose
sonne non mariée n'est pas veuve pour cela ,
« pas de précepte. Car je voudrais que tous les
car il y a des vierges et les unes et les autres
; « hommes fussent comme moi mais chacun ;

sont désignées dans ces paroles « Je dis à : « a reçu de Dieu un don spécial, l'un d'une
« celles qui ne sont pas mariées et aux veuves » « manière, l'autre d'une autre ».
C'est comme s'il eût ainsi formulé sa pensée :

En parlant de celles qui ne sont pas mariées CHAPITRE IV.


,

je ne veux pas désigner uniquement les vierges,


LES SECONDES NOCES PERMISES.
mais aussi celles qui sont veuves, et je leur
dis à toutes « qu'il leur est bon de persévérer Ainsi la pudeur conjugale et la fidélité ma-
« dans cet état comme je le fais moi-même ». trimoniale sont un dondeDieu ; et si, en dehors
de ce qui est nécessaire pour la procréation
CHAPITRE m. des enfants concupiscence charnelle se
la
,

LA VIDUITÉ, SUPÉRIEURE AU MARIAGE. procure quelques satisfactions, c'est là un


mal, mais ce mal n'excède pas le péché véniel,
4. Ainsi donc les avantages dont vous jouis- grâce au lien du mariage. En effet si les rela-
comparés à celui que l'Apôtre re-
sez, les voilà tions matrimoniales n'ont pour but (jue la for-
vendique pour lui-même la viduité est assi- ; mation des enfants, si on y observe toutes les
milée à la virginité, pourvu qu'elle repose sur règles de lapudeur conjugale, si enfin le sa-
une fidélité à toute épreuve. Celte doctrine crement reste indissoluble pendant la vie des
n'est pas longuement exposée, mais elle n'en deux époux, tout alors est bien dans le ma-
est pas moins digne de respect, d'autant plus riage. Quand donc l'Apôtre s'éjcrie «Je vous :

qu'elle n'en est que plus facile et plus chère à « dis cela par indulgence et non pour vous
accomplir. Un bien que l'Apôtre préfère, sans « exprimer un précepte », il n'entend parler que
hésiter, à la fidélité conjugale, peut-il n'être de cet usage immodéré de la chair, qui naît de
qu'un bien tout ordinaire et sans importance? la faiblesse des époux et que le lien nuptial
Pour nous montrer l'excellence du mariage rend digne d'un facile pardon. Le même Apôtre
chrétien et religieux, l'Apôtre ne craint pas de ajoute « La femme est liée pendant toute la
:

dire, en flétrissant la fornication et en parlant « vie de son mari mais après sa mort elle;

aux époux comme aux autres « Ignorez-vous :


« recouvre sa liberté qu'elle se marie avec ;

« que vos corps sont les membres de Jésus- a qui il lui plaît, pourvu que ce soit dans le
« Christ - ?» Ainsi, même dans le mariage, les « Seigneur mais elle sera plus heureuse si
:

époux chrétiens restent les membres de Jésus- « elle veut suivre mon conseil et rester veuve »
Christ. Cependant, sans aucun doute, la viduité C'est nous dire clairement que si une veuve
l'emporte sur le mariage non pas assurément ; se remarie chrétiennement, elle fait une bonne
que la veuve chrétienne soit plus que membre action dans le Seigneur, mais qu'elle en fera
de Jésus-Christ mais parmi ces membres elle
; encore une meilleure en restant dans le veu-
occupe une place privilégiée. L'Apôtre n'a-t-il vage. Ou bien, pour me servir non plus des
pas dit « Comme dans un seul corps nous
: paroles de l'Ecriture mais d'un exemple ,
,

« avons plusieurs membres et que tous ces Ruth est heureuse, mais Anne l'est beaucoup
a membres n'ont pas la même fonction de ; plus.
« même en Jésus-Christnous sommes plusieurs 9. La première conclusion que vous pouvez
' 1 Cor. VII, 8, 31. —U Cor. vi, J9. ' Rom. xu, 4-6.
. ,

152 AVANTAGES DE LA VIDUITÉ.

tirer, c'est que la viduité, que vous avez em- emploie simplement le positif pour le compara-
condamne pas les secondes
brassée, ne noces, tif et en effet, ce qui est meilleur que le bien
;

mais lesmetdansun rang inférieur. De même peut assurément paraître bien puisque le ,

donc que vouée par votre fille ne


la virginité mieux n'est qu'un bien plus grand. De même
condamne pas votre unique mariage, de même donc que l'on peut dire du célibat et du veu-
la viduité que vous observez ne condamne pas vage qu'ils sont un bien, sans pour cela dire
les secondes noces. De là l'hérésie des Cata- du mariage que c'est un mal de même on ;

phrygicns et des Novatiens, hérésie soutenue peut dire de la virginité qu'elle est honnête,
parTertullien avec plus d'éclat que de sagesse, sans frapper pour cela le mariage d'une flé-

car ilpermit de déchirer vivement les secon-


se trissure honteuse on conserve uniquement ;

des noces que l'Apôtre, inspiré par la sagesse, dé- le nom d'honnête à ce qui pourrait être appelé
clare légitimes. Attachez- vous à cette doctrine plus honnête. Or, là où ily a plus il y a moins.
apostolique, sans vous laisser ébranler par Comment douter de cette supériorité du céli-
aucune discussion ignoranteou savante. Aimez bat, quand il est dit a Celui qui marie sa :

le bien dont vous jouissez, mais ne l'exaltez pas « fille, fait bien, mais celui qui ne la marie

au point de regarder comme criminelles les ((pas, fait mieux » et encore « Elle sera plus ; :

personnes qui ne l'ont pas conservé. Soyez « heureuse en persévérant dans cet état ^ ? »
d'autant plus heureuse de votre état, que non- Ce que l'on dit du mieux par rapport au bien,
seulement vous voyez qu'il vous épargne bien d'une plus grande béatitude par rapport à une
des maux, mais aussi qu'il vous élève à un bien moindre, on le dit également de ce qui est
supérieur. Quels maux en effet ne sont pas plus honnête. Si l'état du mariage est un état
l'adultère et la fornication 1 honteux, comment donc saint Pierre a-t-il pu
dire aux époux «Honorez vos femmes comme :

CHAPITRE V. « le sexe le plus faible, sans oublier qu'elles


a sont avec vous les héritières de la grâce ? »
LA VIDUITÉ ET LE MARIAGE.
S'adressant aux femmes et leur citant Sara

A quelle distance de ces crimes n'est pas comme modèle de soumission à l'égard de
toute personne qui s'est librement engagée leurs maris : « C'est ainsi, leur dit-il, qu'au-
par vœu, et qui s'est interdit même les choses c( trefois les saintes femmes qui espéraient en
licites pour mieux répondre, non point à un « Dieu se paraient, restant soumises à leurs
précepte de la loi, mais aux inspirations de la « maris telle était Sara, qui obéissait àAbra-
;

charité La pudeur conjugale est un bien vé-


! « ham l'appelant son seigneur Sara dont
, ,

ritable, mais la continence lui est supérieure; « vous êtes devenues les filles en faisant le
la supériorité de l'une est rehaussée par l'in- « bien et en ne vous laissant abattre par au-
fériorité de l'autre, mais ne la condamne pas « cune crainte ^ »
pour cela et ne lui enlève point tout mérite.
7. Après avoir montré que le grand privi-
CHAPITRE VI.

lège des célibataires et des personnes qui ne SI LES FEMMES PEUVENT ÊTRE SAINTES DE CORPS.
sont pas mariées, c'est de pouvoir concentrer
sur Dieu toutes leurs pensées et de ne cher- 8. En disant de la vierge « qu'elle se rend
cher à plaire qu'à lui seul, l'Apôtre ajoute : c( sainte de corps et d'esprit ^
», il est évident
« Ce que j'en dis, c'est pour votre utilité et que l'Apôtre n'a pas voulu enseigner que les
c(non pour vous tendre un piège » en vous , femmes chrétiennes, chastes et soumises à
contraignant « je veux seulement vous mon-
; leurs maris, sont dans une impossibihté réelle I
« Irer ce qui est honnête ». N'allons pas con- d'être saintes de corps en même temps que
clure de ces dernières paroles que si le célibat d'esprit. Se peut-il, en eff'et, que l'esprit soit
est honnête, conjugal est honteux, car
le lien saint, et que
le corps, instrument de l'esprit,

ce serait condamner même les premières noces ne le soit pas ? Mais ne raisonnons pas, ne con-
dont l'honnêteté n'a jamais été contestée ni sultons que l'oracle divin pour expliquer
])ar les Cataphrygiens, ni par les Novatiens, comment saint Pierre, à propos de Sara, dit
ni parTertullien, leur éloquent défenseur. En d'une manière absolue «Les saintes femmes » :

disant des célibataires et des veuves qu'il leur sans ajouter de corps. Saint Paul réprouve
:

est bon de persévérer dans cet état, l'Apôtre > I Cor. VII, 5-8, 35-40. — ^ I Pier. m, 5-7. — » I Cor. VU, 3t.
AVANTAGES DE LA VIDUITÊ. 153

en ces termes la fornication : a Ne savez-vous mais l'ensemble des êtres a un caractère d'ex-
a pas que vos corps sont les membres de Jé- cellence que n'a pas chaque être en particu-
« sus-Christ? Prendrai-je donc les membres lier. Ah que la saine doctrine de Jésus-Christ
!

« de Jésus-Christ pour en faire les membres contribue par sa grâce à vous rendre saine
« d'une prostituée ? » Osera-t-on dire que les dans son corps sacré ; et si vous possédez dans
membres de Jésus-Christ ne sont pas saints, votre corps et dans votre esprit un avantage
ou que le corps des épouses chrétiennes a que tous ne possèdent pas, que votre esprit, le
cessé d'être membre de Jésus-Christ? Ecou- guide de votre corps, ait soin de ne pas se
tons encore Notre corps est le temple du
: « prévaloir avec insolence ni s'enorgueillir avec
a Saint-Esprit, que vous avez reçu de Dieu : ignorance.
« vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes, CHAPITRE VIL
« car vous avez été achetés un grand prix * ».
LES SAINTES FEMMES DE LA LOI ANCIENNE SE
Ce grand docteur dit du corps des fidèles qu'il
MARIAIENT PAR OBÉISSANCE.
est membre de Jésus-Christ et le temple du
Saint-Esprit, et il entendait parler des fidèles 10. Ruth, mariée deux fois, est appelée heu-
des deux sexes, sans distinction des vierges ou reuse; Anne, restée longtemps veuve après un
des épouses. Les unes sans doute peuvent être premier mariage bientôt rompu, est dite plus
élevées en mérite au-dessus des autres, comme heureuse gardez-vous toutefois de conclure
;

parmi les membres il en est de supérieurs ;


sur-le-champ que vous êtes plus heureuse que
mais quels qu'ils soient, ils ne sont pas séparés Ruth.
du corps. Donc, en disant de la vierge qu'elle Pour juger les saintes femmes de ces temps
de corps et d'esprit, l'Apôtre affir-
est sainte prophétiques, il ne faut pas oublier que ce
mait seulement que les vierges jouissentd'une n'était point la concupiscence qui les poussait
sainteté plus grande de corps et d'esprit, sans au mariage, mais l'obéissance ne devaient-
;

soutenir aucunement que le corps des épouses elles pas travailler à la propagation du peuple
est indigne de toute sanctification. de Dieu, d'où devaient sortir les prophètes du
9. Appréciez donc
le bien dont vous jouis- Christ? Ce peuple lui-même, au sein duquel,
sez de plus, n'oubliez pas que si votre état
; qu'il le sût ou non, tout arrivait en figure
\
est si digne de louange, c'est parce qu'il est élait-il autre chose que le prophète de Jésus-

rehaussé par un autre qui, bon en lui-même, Christ, devant lui fournir la chair dont son
est d'un degré inférieur au vôtre. En serait-il humanité serait formée ?
pour aider à C'était
ainsi, si tout autre état que le vôtre était mau- cette propagation, que la
une sen- loi portait
vais ou qu'il n'y en eût pas? Les yeux oc- tence de malédiction sur quiconque restait
cupent dans le corps humain la place d'hon- stérile en Israël ^ Dans le mariage des saintes
neur; en serait-il ainsi, s'il n'y avait aucun femmes, ne voyez donc aucunement le désir
autre membre dans le corps ? Dans le firma- des jouissances, mais la pieuse ambition de
ment, plus de lumière que la
le soleil jette devenir mères aussi peut-on croire avec jus-
;

lune, mais ne l'amoindrit pas les étoiles


il ; tice qu'ellesauraient fui toute relation conju-
elles-mêmes brillent d'un éclat différent, mais gale, si la postérité eût pu leur advenir par
l'orgueil ne les divise pas ^ « Dieu a tout fait tout autre moyen. D'un autre côté, la plura-
et et tout est très-bien ». Remarquez qu'à litédes femmes était permise aux hommes;
propos de l'ensemble il est dit « Tout est : mais il est évident que cette concession avait
«très-bien», tandis qu'après la création de pour but, non pas de favoriser la concupis-
chacune des œuvres on se contente de dire : cence, mais de faciliter la multiplication des
cr Et Dieu vit que cela bien». Chaque était familles. En effet, si la pluralité des femmes
œuvre en particulier n'était donc que bonne était permise aux hommes, la pluralité des
en elle-même , mais envisagée dans l'en- , hommes était interdite aux femmes cette ;

semble de tous les êtres, elle prend un nou- pluralité, en ne favorisant pas la fécondité,
veau degré de bonté « Et Dieu vit que tout : n'était propre qu'à les couvrir de honte.
« ce qu'il avait fait était très-bien ' ». A n'en- Voilà ce qui nous explique pourquoi Ruth,
visager que chaque chose en particulier, il restée sans cette postérité exigée en Israël,

y a entre elles des degrés de supériorité; après la mort de son mari, en désira un autre
»
I Cor. VI, 15, 19, 20. — » Ib. xv, 41. — ' Gen. i. ' I Cor. X, 11. — » Deut. xxv, 5-10.
iU AVANTAGES DE LA VIDUITÉ.

qui la rendît mère. Ruth cependant, quoique chrétienne, elle nous répond que sous le règne
mariée deux fois, fut moins heureuse qu'Anne, de Jésus-Christ, même le premier mariage, à
restée veuve après un premier mariage. La moins qu'il ne soit un remède à l'inconti-
raison en est que cette dernière mérita de de- nence, doit être rejeté. En effet, celui qui a dit :

venir la prophétesse de Jésus-Christ. Avait-elle « Que ceux qui ne peuvent garder la conti-
des enfants? L'Ecriture nous le laisse igno- « nence, se marient », aurait pu dire égale-
rer. Nous devons plutôt croire, qu'inspirée ment : Que ceux qui n'ont pas d'enfants se ma-
par l'Esprit-Sainl, elle a pu prévoir que Jésus- rient, si, depuis la résurrection et la prédica-
Christ naîtrait d'une vierge, comme après sa tion de Jésus-Christ, qui ont donné à toutes
naissance elle a pu le reconnaître comme les nations des moyens si abondants d'engen-
Dieu. Si elle a pu, même sans enfant^, refuser drer spirituellement, il y avait encore, comme
un second mariage, c'est qu'elle voyait arri- dans les temps primitifs, uu devoir de se
ver le temps où Jésus-Clirist serait moins créer charnellement une postérité.
honoré par la maternité que par la continence. Il est vrai que nous lisons dans un autre
Supposons maintenant que Ruth savait par passage : « Je veux que les plus jeunes se ma-
avance que d'elle sortirait la race qui donne- « rient, qu'elles aient des enfants et qu'elles
rait naissance à Jésus-Christ, et que c'est en « deviennent mères de famille ». Mais par ces
conséquence de cette prévision certaine qu'elle paroles l'Apôtre se propose uniquement d'at-
a contracté un second mariage; dans ce cas, tester, avec sa prudence et son autorité aposto-
je n'ose plus affirmer que le veuvage d'Anne liques, la bonté du mariage, sans vouloir au-
fut plus heureux que la fécondité de Ruth. cunement enseignerque la loi impose ledevoir
de la génération à ceux qui comprennent le
CHAPITRE VIII.
bienfait de la continence. Du reste, sa pensée
LE MARIAGE AVANT ET APRÈS JÉSUS-CHRIST. est clairement manifestée dans ces autres pa-
roles : « Ne donneraucune occasion au démon
Pour VOUS, qui avez des enfants et qui vi-
11. « d'exercer sa funeste puissance ; car quel-
vez à une époque où il ne s'agit pas de jeter les « ques-unes ont déjà quitté le bon chemin
pierres mais de les recueillir, où il ne s'agit « pour suivre ses inspirations». 11 voulaitfaire

pas d'embrasser, mais de se soustraire aux entendre par là que celles à qui il permet de
embrassements \ vous avez médité ces pa- se marier auraient mieux fait de garder la
,

roles de l'Apôtre a Je vous le dis, mes : continence que de brûler; mais pourtant,
temps est court, la seule chose qui
« frères, le qu'il est mieux de se marier que de subir le
«reste, c'est que ceux qui ont des épouses, joug du démon, c'est-à-dire qu'il est mieux
«vivent comme n'en ayant point». De là je de renoncer au privilège de la virginité ou de
conclus que si vous aviez désiré un second la chasteté viduelle, que de regarder en arrière
mariage, j'y aurais vu non pas un hommage et s'exposer à une chute profonde. Que celles
rendu à la prophétie ou à la loi, non pas un à qui la continence est impossible se marient
désir même charnel d'avoir une postérité, donc, avant de professer la continence ou de
mais une preuve d'incontinence. En effet, c'eût la vouer à Dieu car, en violant leur vœu, ;

été de votre part la réalisation de ces autres elles s'attireraient une trop juste condamna-
paroles de l'Apôtre « Il leur est bon de de- : tion. C'est de cespersonnes que l'Apôtre parle
« meurer dans cet état; mais si elles ne peu- dans un autre passage « Après s'être aban- :

« vent se contenir, qu'elles se marient; car « données à la mollesse dans le service du


«j'aime mieux les voir se marier que brûler'^». « Christ, elles veulent se marier, et méritent
Il empêcher la passion de se
voulait par là « ainsi une effrayante condamnation pour
précipiter dans la honte du crime, en lui of- «avoir violé leurs premiers engagements».
frant pour refuge l'honnêteté du mariage. Elles les ont violés puisque, après avoir
Rendez de vives actions de grâces à Dieu de voué la continence, elles ont voulu le mariage.
vous avoir donné d'enfanter ce que vous n'avez Leur premier vœu était sincère, mais elles
pas voulu être, et de ce que la virginité de ont manqué de persévérance pour l'accom-
votre fille compense noblement la perte de plir '.

votre virginité. Si nous consultons la doctrine Ainsi donc, le mariage conserve toujours
'
Ecc. m, 5. — = I Cor. vu, 29, 8 et 9. ' I Tim. V.
AVANTAGES DE LA VIDUITE. 155

son caractère de bonté; mais tandis qu'autre- réserver tout entière aux personnes qui se
fois, pour le peuple de Dieu, il était un acte marient après avoir voué un état plus parfait.
d'obéissance à la maintenant il n'est plus
loi, « Elles veulent se marier », dit-il, « et en cela

qu'un remède aux faiblesses de la chair et un « elles sontcondamnables » en voici la raison, ;

moyen de propagation pour l'humanité. Vou- « c'est qu'elles ont violé leurs premiers enga-

loir de la famille selon l'ordre conjugal établi, « gements » : la volonté seule est crimirjelle,

et non selon les instincts de la brute, est un lors même que le mariage ne se réaliserait

sentiment louable dans l'homme, mais bien pas.


inférieur au désir chrétien de porter ses pen- CHAPITRE X.
sées vers le ciel et de s'élever au-dessus des
UN TEL MARIAGE EST-IL UN ADULTÈRE.
inclinations de la chair.
13. Ceux qui soutiennent qu'une telle union
CHAPITRE IX. n'est pas un mariage mais un adultère, ne
SE MARIER APRÈS LE VŒU DE CONTINENCE EST
me paraissent pas avoir assez pesé leur affir-
mation; c'est la similitude qui les trompe. En
CN CRIME.
effet dans le langage ordinaire, on dit de

12. Le Seigneur l'a dit « Tous ne com- :


celles qui refusent de se marier pour se livrer

« prennent pas cette parole ». Que celle donc ' à la perfection chrétienne, qu'elles deviennent
qui le peut, la comprenne; que celle qui n'est les épouses de Jésus-Christ. Or, voici comment
pas maîtresse d'elle-même, se marie que celle ;
raisonnent nos contradicteurs une femme : si

qui n'a pas encore pris son parti, réfléchisse; contracte un second mariage du vivant de
que celle qui s'est engagée, persévère; qu'au- son premier mari, elle est adultère, comme
cune occasion favorable ne soit offerte au dé- l'a déclaré le Sauveur lui-même '; donc, du

mon, et qu'aucune oblation ne soit ravie à vivant de Jésus-Christ, sur qui la mort n'a plus
Jésus-Christ. Si, dans le mariage, on conserve aucun empire % celle qui renonce à son
la pudeur conjugale, on n'a à craindre au- union avec lui pour épouser un homme, est
cune condamnation; mais la récompense sera véritablement adultère. Ce raisonnement, s'il

bien plus belle pour la continence viduelle ou a quelque chose de spécieux, est gros de con-
virginale. Du moment qu'on l'a choisie et séquences absurbes. Il suit de là eu effet que
vouée, c'est un crime non-seulement de se si une femme, du vivant de son mari etavec
marier, mais même d'en avoir la volonté. Re- son consentement formel, fait vœu de conti-
marquez, en effet, ces expressions de l'Apôtre : nence, elle est coupable et fait de Jésus-Christ
« Après s'être abandonnée à la mollesse dans un adultère, puisqu'elle l'épouse avant la
« le service du Christ », il n'ajoute pas : elles mort de son autre mari. D'un autre côté, il

se marient, mais : « Elles veulent se marier, et, est qu'un second mariage paraît
certain
« en cela elles sont condamnables, puisqu'elles moins digne que le premier; or à quelle veuve
« ont violé leurs premiers engagements», par est-il jamais venu
la pensée de regarder Jésus-
cela seul qu'ellesen ont eu la volonté. Est-ce Christ comme un
second époux? Même pen-
à dire que même alors le mariage comme tel dant leur premier mariage, alors qu'elles se
est mauvais? Assurément non. Ce qui est montraient soumises et tidèles à leurs maris,
crime, c'est la violation d'un engagement, la ne pouvaient-elles point regarder Jésus-Christ
profanation du vœu, le rejet volontaire d'un comme leur époux, non point charnel, mais
bien supérieur, quoique en soi il ne soit pas spirituel? L'Eglise, dont elles sont les mem-
défendu de se contenter d'un état moins par- bres, est appelée l'épouse de Jésus-Christ, et
fait; enfin celles qui agissent ainsi sont con- cette Eglise, par l'intégrité de sa foi, de son
damnables, non point précisément parce espérance, de sa charité, est réellement vierge,
qu'elles se sont engagées dans le mariage, non-seulement dans les vierges, mais aussi
mais parce qu'elles ont violé leurs premiers dans les veuves et les épouses chrétiennes.
engagements. Celte vérité découle de ce pas- C'est à l'Eglise tout entière, dont les fidèles
sage de l'Apôtre et exprime très-bien sa sont les membres, que l'Apôtre a dit « Je :

pensée; car il est clair qu'il a voulu éviter de a vous ai unie dans une chaste virginité à un
jeter la condamnation sur le mariage, pour la « seul époux, Jésus-Christ * ». Cet époux qui a
' Matt. XIX, 11. »Matt. XIX, 9. — Rom. vi, 9. — Il Cor. xi, 2.
' »
1S6 AVANTAGES DE LA VIDUITÉ.

pu naître d'une vierge, sans qu'il y eût pour tère de honte à raison de leur nombre. Si dans
elleaucune corruption de la chair, ne peut-il sa brièveté cette réponse déplaît à quelqu'un,
pas donnera son épouse vierge une fécondité je suis prêt à la discuter avec qui que ce soit.
sans tache? En pour quel motif les troisièmes noces
effet,
Ceux qui, sans assez y réfléchir, soutiennent seraient-elles défendues plutôt que les se-
que si des vierges renoncent à leur vœu, pour condes ? Je l'ai dit en commençant, loin de
se marier, elles ne contractent pas un véri- moi de vouloir être plus sage qu'il ne faut K
table mariage, devraient tirer cette affreuse Qui suis-je pour oser me prononcer, quand
conclusion que, n'étant pas épouses, elles doi- je vois que l'Apôtre ne s'est pas prononcé lui-
vent se séparer de leurs maris sous peine d'être même?» La femme est liée », dit-il, «pendant
adultères; puis, en voulantrétablir ces femmes « toute la vie de son mari ». Il ne dit pas si ce
dans leur ancienne continence, ils feront de mari est le premier, le second, le troisième ou
leurs maris tout autant d'adultères, puisque le quatrième. « La femme est liée pendant
du vivant de leurs femmes ils convolent à de « toute la vie de son mari si son mari vient ;

nouvelles noces. « à mourir, elle recouvre son entière liberté.


CHAPITRE XI. « Qu'elle se marie à qui lui plaira, pourvu que
« ce soit dans le Seigneur. Mais elle sera plus
le uariage des vierges relapses est plus
« heureuse de persévérer dans la conti-
qu'un adultère.
« nence ^ ». Je ne vois pas ce que l'on peut
14. Je soutiens mariage con-
donc que le ajouter ou soustraire à cette sentence, quant à
renoncé à leur
tracté par des vierges qui ont la question qui nous occupe.
vœu de virginité est un mariage véritable et Ecoutons Notre-Seigneur lui-même répon-
non un adultère mais j'ajoute que le crime
; dant aux Sadducéens, qui lui demandaient, en
qu'elles commettent est pire que l'adultère. parlant d'une femme mariée sept fois, au-
En effet, si l'offense faite à un mari par une quel de ces sept maris elle appartiendrait à
femme infidèle retombe sur Jésus-Christ dont la résurrection, « Vous êtes dans l'erreur »,
elle est le membre combien
; plus le Sauveur répond Jésus-Christ, « vous ne connaissez ni
doit-il être offensé quand il se voit refuser ce « les Ecritures ni la vertu de Dieu. A la résur-
qu'il n'exigeait pas qu'on mais ce qu'il
lui offrît, « rection ne sera question ni de mariage ni
il

a le droit de réclamer quand on le lui a voué ! « d'épouse la mort ne les atteindra plus, ils
;

Ne pas accomplir un vœu que l'on a formé de «seront semblables aux anges de Dieu*».
son plein gré, sans aucun ordre antérieur, c'est Le Sauveur parle ici de ceux qui ressusciteront
se rendre d'autant plus coupable que l'on était pour le bonheur et la vie, et non pour le châ-
moins nécessité à vouer. J'insiste sur ce point timent et la damnation. Il aurait pu dire :

pour vous empêcher de croire qu'un second Vous êtes dans l'erreur, vous ne connaissez ni
ou tout autre mariage soit un crime en lui- les Ecritures ni la vertu de Dieu car les ;

même. Ne condamnez donc pas ce mariage femmes qui se seront mariées plusieurs fois
dans les autres, mais méprisez-le pour vous- n'auront point de part à cette résurrection ;

même. La continence pour des veuves est puis ajouter qu'il ne sera plus alors question
d'autant plus louable qu'en la vouant et la de mariage. Voyons-nous que dans cette ré-
professant elles renoncent et à un plaisir et à ponse le divin Maître ait condamné en quoi
un droit. Dès que le vœu en est fait, on doit que ce soit cette femme plusieurs fois mariée?
enchaîner et vaincre le plaisir, parce que ce Si donc pour ménager la pudeur naturelle,
plaisir n'est plus un droit. je n'ose dire à une femme qu'elle se marie
aussi souvent qu'elle voudra après la mort de
CHAPITRE XII.
ses maris; d'un autre côté je croirais man-
DES TROISIÈMES ET QUATRIÈMES NOCES. quer à l'autorité des saintes Ecritures, si je
condamnais les noces, quelque nombreuses
15. On soulève d'ordinaire la question de qu'elles soient; seulement, à la veuve qui n'a eu
savoir si les troisièmes, quatrièmes et autres qu'un époux comme à toute autre veuve, je dis
noces sont permises. Ma réponse n'est pas en toute assurance Vous serez plus heureuse :

longue je ne condamne aucun mariage


:
,
en persévérant clans cet état.

mais je ne prétends pas leur ôter tout carac- » Rom. XII, 3. — ' I Cor. vii, 39, 40. — ' Matt. xxii, 29 et 30.
AVANTAGES DE LA VIDUITÉ. 157

CHAPITRE XIII. CHAPITRE XIV.


PARMI LES VEUVES A LAQUELLE DONNER LA COMPARAISON ENTRE TROIS VEUVES.
PRÉFÉRENCE.
17. Supposons trois veuves dont chacune
16. On demande assez ordinairement et présente un des caractères que nous venons
peut-être n'est-ce pas sans motif, quelle veuve, de rencontrer dans Anne la prophétesse. L'une
à raison des mérites, doit obtenir la préfé- n'a eu qu'un époux ; mais ayant vécu long-
rence sur les autres est-ce celle qui n'a eu
;
temps avec lui, son veuvage n'a pas été long,
qu'un mari et qui, après avoir vécu longtemps son zèle pour la piété n'a pas été très-ardent,
avec lui après avoir eu des enfants et leur avoir
, elle n'a pas multiplié les jeûnes elles prières;
créé une position convenable, est devenue l'autre, après un premier mariage de très-
veuve et a embrassé la continence ou bien ; courte durée, a perdu bientôt après un se-
est-ce celle qui, toute jeune encore, en deux cond mari son veuvage a donc été long, mais
:

ans de mariage a perdu deux maris, n'a eu il n'a pas été marqué par une vive ardeur pour

aucun enfant pour sa consolation, a voué à le jeûne et pour la prière ; la troisième enfin

Dieu la continence et y a persévéré jusqu'à a également eu deux époux, ses années de ma-
une extrême vieillesse? Cette question est bien riage, soit avec les deux, soit avec l'un seule-
capable d'exercer la sagacité de ceux qui ju- ment, ont été nombreuses devenue veuve ;

gent les mérites des veuves d'après le nombre elle aurait pu


marier si elle l'avait voulu, et
se
des époux et non d'après les efforts que leur avoir des enfants ; mais elle a préféré la con-
a coûtés la continence. Diront-ils que la veuve tinence, et dans cet état elle a redoublé de zèle
qui n'a eu qu'un seul mari doit être préférée pour Dieu, passant comme Anne, ses jours et
à celle qui en a eu deux ? Mais alors, qu'ils ses nuits dans le jeûne et la prière. S'il s'agis-
fournissent quelque raison spéciale ou quelque sait de décider laquelle des trois est supérieure
grave autorité car autrement je conclurais
, en mérites, hésiterait-on à déclarer que la
qu'ils donnent au bonheur de la chair la pré- palme de la victoire appartient à celle qui a
férence sur la vertu du cœur. Vivre long- été la plus fervente et la plus pieuse ? Suppo-
temps avec un mari et avoir des enfants, sons trois autres veuves qui possèdent cha-
qu'est-ce autre chose que le bonheur de la cune deux de ces avantages sans les réunir
chair ? Si leur préférence ne vient pas de ce aucun doute, les plus par-
tous les trois; sans
qu'elle a eu des enfants, mais de ce qu'elle a faitesseront celles qui feront preuve d'une
vécu longtemps avec son mari, je dis encore humilité plus pieuse pour rendre leur piété
que ce ne peut être là qu'un bonheur de la plus profonde.
chair. Anne au contraire a été comblée d'é- 18. Mais aucune de ces six veuves ne peut
loges, parce qu'ayant promptement perdu son approcher du bonheur dont vous jouissez.
mari elle a jusqu'à une longue vieillesse lutté Dans la persuasion où je suis que votre vœu
contre les désirs de la chair et en a triomphé. persévérera jusqu'à la vieillesse, j'ose dire que
Voici le portrait que trace d'elle l'Ecriture : vous pouvez posséder les trois avantages sur
« Il y avait une prophétesse nommée Anne, , lesquels nous établissions tout à l'heure Tex-
« fille de Phanuël et de la tribu d'Aser elle ; cellence d'Anne la prophétesse. En effet, vous
a était parvenue à un grand âge et n'avait été n'avez eu qu'un mari et il n'a pas vécu long-
que sept ans dans le mariage arrivée dans ; temps avec vous, selon la chair. Si donc vous
« son veuvage à l'âge de quatre-vingt-quatre obéissez à ces paroles de l'Apôtre « Celle qui :

« ans, elle ne sortait pas du temple et multi- « est vraiment veuve et désolée a espéré dans
pliait jour et nuit ses jeûnes et ses supplica- «le Seigneur et persévéré nuit et jour dans la
« lions ». Vous voyez qu'elle est proclamée
*
«prière» ; si, grâce aune constante vigilance,
sainte, non-seulement parce qu'elle n'a eu vous faites en sorte qu'on ne puisse dire de
qu'un seul époux, mais parce qu'elle n'a passé vous : « Celle qui vit dans les délices, toute
que peu d'années avec lui et qu'elle a rempli « vivante qu'elle soit, est réellement morte *
» ;

jusqu'à une extrême vieillesse, les devoirs de alors les trois privilèges d'Anne deviendront
la continence viduelle et les exercices de la réellement les vôtres. De plus vous avez des
plus grande piété. enfants et peut-être n'en eut-elle pas ; mais
» Luc, II, 36, 37. » I Tim. V, 5, 6.
158 AVANTAGES DE LA VIDUITÉ.
ce n'est pas pi'écisément parce que vous en en bonne santé? Qu'une doctrine saine soit
avez que vous méritez des éloges, c'est parce donc toujours l'ornement et la force d'une
que vous vous appliquez à les élever sainte- bonne résolution. Voilà en effet ce qui nous
ment. S'ils sont nés, c'est grâce à votre fécon- explique pourquoi les femmes catholiques,
dité s'ils vivent, c'est pour votre bonheur
; : même après plusieurs mariages, sont bien
mais leur éducation est l'œuvre de votre vo- supérieures à tout ce que l'hérésie peut pré-
lonté et de votre puissance. Quant à leur senter de veuves, après un seul mariage,
naissance et à leur santé, vous méritez que voire même de vierges.
les hommes vous félicitent mais vous méri- ; Mariage, veuvage, virginité, ce sont là des
tez qu'ils vous imitent dans les soins que vous conditions qui soulèvent de nombreuses dif-
donnez à leur éducation. De plus, Anne divi- ficultés.Pour bien les éclaircir et les résou-
nement inspirée a reconnu le Christ dans les dre, une étude sérieuse et de longs
il faut
bras de la Vierge sa Mère la grâce évangéli-
; développements; ainsi on restera dans la vé-
que vous a rendue mère d'une vierge de rité, ou Dieu y ramènera si on s'en écarte.

Jésus-Christ. Cette sainte fille que, d'après ses Jusque-là suivons le précepte de l'Apôtre :

désirs et à sa demande, vous avez vouée à « Continuons à marcher dans la voie que
Jésus-Christ, ajoute quelque chose du mérite « nous avons suivie ^ ». Or, quant à la ques-

virginal aux mérites de la viduité de son tion qui nous occupe, nous en sommes arri-
aïeule et de sa mère. Car, en possédant une vés à préférer la continence au mariage, et la
vierge, vous profitez de ce trésor et vous êtes virginité au veuvage nous avons aussi
;

en elle ce que vous en vous-même.


n'êtes pas prouvé que tout mariage véritable, je ne
En vous mariant, vous avez perdu votre virgi- parle pas de l'adultère, n'est nullement con-
nité; mais c'était afin de donner naissance à une damné ni par nous ni par les nôtres. Nous
vierge. avons, sur ces sujets, donné beaucoup d'au-
CHAPITRE XV. tres éclaircissements dans les livres des avan-
tages de la sainte virginité, et dans l'ouvrage
RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.
que nous avons composé avec tout le soin pos-
id. Je ne parlerais point de cette diversité sible, en réponse aux erreurs manichéennes
de mérites parmi les épouses et les veuves, si de Faustus; car, en dénigrant avec fureur les
je ne savais pas que je m'adresse à d'autres chastes unions des patriarches et des prophètes,
qu'à vous. Si donc je n'ai pas hésité à toucher cet auteur a fait abandonner la vraie foi à plu-
à des questions délicates et difficiles, c'est afin sieurs ignorants.
de répondre directement à ceux qui ne secroient
savants, qu'autant qu'ils s'attaquent aux li- CHAPITRE XVI.
vres d'autrui, non pas pour les juger, mais SECONDE PARTIE DE CET OUVRAGE.
pour les dénigrer indignement. J'ai voulu PREMIER DEVOIR, RENDRE GRACES A DIEU.
aussi, non-seulement assurer votre fidélité et
votre perfection dans l'heureux choix que 20. En commençant ce livre j'ai constaté
vous avez fait, mais surtout vous convaincre que j'avais un double devoir et j'ai pris le
que votre état est supérieur au mariage dans double engagement d'instruire et d'exhorter.
ce que le mariage a de bon et de légitime. Quant au premier je crois l'avoir accompli
Vous entendrez des hommes condamner le dans la mesure de mes forces. J'arrive donc
mariage des femmes veuves, lors même que à l'exhorlation et je veux faire aimer ardem-
celles-ci ajouteraient à leur continence des ment ce qui a été sagement reconnu comme
privations aussi nombreuses qu'étonnantes, et bon.
auxquelles vous ne croyez pas vous-même Avant Dieu toute l'affec-
tout, rapportez à
pouvoir vous astreindre mais gardez-vous
; tion dont vous vous sentez éprise pour la
bien de vous laisser séduire par ces belles sainte continence rendez en grâces à Celui
;

apparences, et de partager leur manière de qui a répandu dans votre cœur une si grande
voir, quoique vous ne puissiez faire ce qu'ils abondance de son esprit et de sa charité, que,
font. Voyez -vous quelqu'un désirer la fréné- dédaignant un second mariage qui vous était
sie pour lui-même, quoiqu'il remarque que permis, vous avez aspiré à un bien supérieur,
les frénétiques sont plus forts qu'on ne l'est ' Phil. m, 15, 16.
.

AVANTAGES DE LA VIDUITÉ. ir>9

à la continence. En \oiis permettant le ma- frapper les oreilles, finissent par ébranler les
riage, Dieu vous en a ôté le désir, au point que consciences. Je sens couler mes larmes quand
ce qui vous était permis vous est maintenant je les vois se poser en ennemis de la grâce de
interdit et pour ce mariage que vous vous
;
Dieu, et déclarer que pour ne pas tomber en
êtes interdit, il vous a accordé un éloigne- tentation nous n'avons nul besoin de recourir
ment d'autant plus prononcé aujourd'hui, à Dieu par la prière. Sous prétexte de sauve-
que vous ne vous Têtes pas permis quand garder le libre arbitre de l'homme, ils affir-

vous le pouviez veuve de Jésus-Christ, vous ;


ment que par nos propres forces, et sans au-
avez même mérité de voir votre fille au nom- cun besoin d'être aidés de la grâce divine,
bre des vierges chrétiennes ; vous avez prié nous pouvons accomplir ce que Dieu nous
comme Anne, et votre fille est devenue commande. C'est donc en vain que le Sei-
l'imitatrice de Marie. Plus vous reconnais- gneur a dit, « Veillez et priez, de crainte que
sez que ces dons viennent de Dieu, plus ces «vous n'entriez en tentation' » c'est en vain ;

dons augmentent votre bonheur, et cette con- que chaque jour dans l'oraison dominicale
naissance vous fait seule ce que vous êtes. nous répétons « Ne nous laissez pas succom-
:

Ecoutez l'Apôtre :« Pour nous, ce n'est pas « ber à la tentation"^ ». Si par nous-mêmes
«l'esprit de ce monde que nous avons reçu, nous avons le pouvoir de surmonter la tenta-
«mais l'esprit qui vient de Dieu, afin que nous tion, pourquoi demander de ne pas y succom-
« connaissions les dons que Dieu nous a faits » '
ber ? Laissons plutôt notre libre arbitre dé-
Beaucoup ont reçu de Dieu un grand nombre ployer tout son pouvoir, et rions-nous de ces
de bienfaits, mais comme ils ignorent de qui paroles de l'Apôtre : « Dieu est fidèle, il ne
ils les ont reçus, ils sont assez coupables pour « permettra pas que vous soyez tentés au-
en tirer vanité. Comment les dons de Dieu « dessus de vos forces
^ ». Eh pourquoi de- I

rendraient-ils heureux celui qui se montre mander Dieu ce qui est en mon propre
à
ingrat envers son bienfaiteur? Pendant les pouvoir ? De telles pensées ne sont pas celles
saints mystères on nous ordonne d'élever bien d'un sage. Par conséquent, demandons à
haut notre cœur mais c'est Celui qui nous ; Dieu de nous donner ce qu'il nous ordonne
fait cet ordre qui nous donne le pouvoir de d'avoir. S'il nous ordonne d'avoir ce que
l'accomplir aussi ajoutons-nous que pour
; nous n'avons pas, c'est pour nous faire con-
avoir élevé ainsi notre cœur, nous en ren- naître ce que nous avons à demander. Et
dons grâces à notre Dieu, sans attribuer cette quand nous sentons en nous le pouvoir de
gloire à nos propres forces et on nous aver- ; faire ce qui nous est commandé, sachons re-
tit aussitôt que cela est digne et vraiment connaître de qui nous vient ce pouvoir; au-
juste. Vous connaissez d'où sont tirées ces pa- trement, enflés par l'esprit de ce monde, nous
roles vous en sentez intimement toute l'im-
, serions dans l'ignorance des dons que nous
portance et toute la sainteté. Conservez donc avons reçu de Dieu.
ce que vous avez, et rendez-en grâces à son Comment donc soutenir que nous détrui-
auteur. Vous avez le mérite de l'avoir reçu et sons le libre arbitre de l'homme, quand, loin
de le posséder, mais au fond vous n'avez que de méconnaître orgueilleusement la grâce
ce que ce que vous avez reçu. Celui qui vou- de Dieu, nous proclamons avec une piété re-
drait tirer gloire de ce qu'il possède et se l'at- connaissante qu'elle est un secours tout-puis-
tribuer à lui-même, devrait s'appliquer ces sant pour notre libre arbitre ? Notre œuvre,
paroles de l'Apôtre : « Qu'as-tu que tu n'aies c'est de vouloir ; mais cette volonté même a
« reçu ? Or, si tu l'as reçu, pourquoi te glori- besoin d'être exécutée pour se lever, d'être
« fier comme si tu ne l'avais pas reçu ^
? » guérie pour être forte, d'être dilatée pour re-
cevoir, d'être remplie pour posséder. Si nous
CHAPITRE XVII.
ne le voulions pas, nous n'accepterions point
ERREUR DES PÉLAGIENS. ce qui nous est donné, et nous ne le posséde-
rions pas. Prenons pour exemple la continence
21. Ce qui me
détermine à vous donner ces dont vous entretiens en ce moment com-
je ;

conseils, c'est la doctrine détestable de cer- ment si on ne la veut pas ? pour l'ap-
l'avoir
tains hérétiques dont les paroles, à force de cepter il faut d'abord la vouloir. Mais pour
' I Cor. II, 12. — -
I Cor. iv, 7. '
Matt. XXVI, -11. — ' Id. VI, 13. — ' I Cor. x, 13.
.

160 AVANTAGES DE LA VIDUITÉ.

que volonté puisse l'accepter et la posséder,


la de cette volonté. C'est supposer que la volonté
de qui la recevra-t-elle ? Ecoutez la Sainte peut être libre de parfaire une œuvre , si
Ecriture « Je savais que personne ne peut-
: elle n'est délivréede Dieu. Ils par l'aide

« être continent à moins que Dieu ne lui en ac- ne remarquent donc pas que c'est à Dieu

c( corde la grâce, et c'est une preuve de sagesse qu'ils doivent la faculté même d'exhorter, de

a de savoir de qui vient ce don * ». La sagesse secouer les volontés paresseuses, d'enflammer
et la continence sont deux grands bienfaits, les volontés froides, de corriger celles qui sont

la sagesse qui nous forme à la connaissance dépravées, de convertir celles qui sont égarées,
de Dieu et la continence qui nous empêche de de pacifier celles qui sont révoltées et de les
nous conformer à ce siècle. Or, Dieu nous or- amener ainsi à embrasser les règles d'une vie
donne d'être sages et continents ; sans ces parfaite. Tel est le moyen pour eux de per-
biens nous ne pouvons être ni justes ni par- suader ce qu'ils prêchent. S'ils n'agissent pas
faits. Prions donc pour obtenir de son secours sur les volontés, que font-ils ? pourquoi par-
et de ses inspirations ce qu'il nous commande, lent-ils ? Qu'ils les abandonnent plutôt à leur
lui qui par son commandement et ses conseils libre arbitre. Maissupposons que leurs exhor-
nous apprend ce que nous devons vouloir. Ce tations aient tous les effets dont je viens de
qu'il nous a donné, prions-le de nous le con- parler, peut-on admettre que l'homme ait par
server ; ce qu'il ne nous a pas encore donné, la parole une sur l'homme et que
telle action

prions-le d'y suppléer; oui, prions et ren- Dieu n'y soit pour rien, ne prête aucun se-
dons grâces ; si nous nous montrons recon- cours ? Je suppose à un homme toute la faci-
naissants des biens que nous avons reçus, lité et toute l'éloquence possible, je veux que

soyons assurés de recevoir les autres dont par l'habileté et la douceur de sa parole, il
nous avons besoin. Celui qui a donné aux sème la vérité dans lavolonté humaine, qu'il
époux fidèles la force de s'abstenir de l'adul- y nourrisse la charité, 'qu'il déracine l'erreur
tère et de la fornication, a aussi accordé aux par ses enseignements et secoue la torpeur par
vierges et aux veuves pieuses la grâce de pra- ses exhortations, je dis toujours avec l'Apôtre :

tiquer l'intégrité et la continence proprement « Ce n'est ni celui qui plante ni celui qui ar-
dite. Dira-t-on que c'est de Dieu que nous rece- « rose, qui est quelque chose, mais celui qui

vons la continence, tandis que la sagesse vient «donne l'accroissement et celui-là c'est Dieu » ^

de nous? Que signifient alors ces paroles de l'A- C'est en vain qu'un ouvrier bâtirait extérieu-

pôtre saint Jacques: «Si quelqu'un d'entre vous rement, si le Créateur ne travaillait pas inté-
« désire la sagesse, qu'il la demande à Dieu, rieurement et d'une manière latente.
« qui donne à tous abondamment et sans re- En adressant cet écrit à votre Excellence,
« proche, et elle lui sera accordée * ? » Mais, j'espère que vous le communiquerez aux per-
autant que Dieu m'en a fait la grâce, j'ai déjà sonnes dont je parle, car c'est à leur intention
traité cette question dans d'autres de mes ou- que j'ai insisté sur certains détails. De plus,
vrages, et avec son secours je la traiterai en- vous et les autres veuves, qui lirez ces lignes,
core toutes les fois que j'en verrai l'opportu- ou qui les entendrez lire, vous n'oublierez
nité. jamais que pour aimer et conserver la grâce
CHAPITRE XVIIL de la continence, vos prières ont plus d'effica-
citéque nos exhortations. Si donc vous retirez
l'efficacité de l'exhortation vient de la
de cette lecture quelque utilité, si nos paroles
GRACE.
vous sont de quelque secours, rapportez-en
22. Maintenant je dois dire un mot pour tout le fruit à la grâce de Celui , « dans la
quelques-uns de nos frères bien-aimés qui, « main duquel nous sommes , nous et nos
« paroles ^ »
innocemment sans doute, se sont laissés sé-
duire par l'erreur. Adressent-ils quelque cha- CHAPITRE XIX.
leureuse exhortation à la piété et à la vertu, ils LA VEUVE DOIT TRAVAILLER A PLAIRE A DIEU.
s'imaginent que ces exhortations tirent toute
leur efficacité du déploiement des forces de 23. Si depuis votre veuvage vous n'aviez pas
encore vœu de continence, je vous enga-
l'homme et du libre arbitre de la volonté, et fait

non de la grâce de Dieu qui vient au secours gerais à le faire au plus tôt ; je me contente donc
' Sag. via, 21. — ' Jac. i, 5.
» 1 Cor. m, 7. — ' Sag. vu 16.
,

AVANTAGES DE LA VIDUITÉ. 161

(le vous exhorter à y persévérer. Toutefois 21. Que la vierge votre fille prête à ces
j'éprouve le besoin de m'adresser à celles qui paroles son oreille intérieure. De quelle supé-
auraient encore quelquesvelléités de se marier riorité jouira-t-elle sur vous dans le royaume
etde les amènera l'amour et à la pratique de de ce Roi? c'est une autre question. Je dis
cette continence. Ecoutons donc l'Apôtre : seulement que toutes deux, la mère et la fille,
« Celle qui n'est pas mariée », dit-il, « cher- vous avez trouvé le moyen de plaire à Jésus-
« che ce qui peut plaire à Dieu et la rendre Christ par les splendeurs de la chasteté elle ; ,

« sainte de corps et d'esprit tandis que celle ;


en renonçant absolument au mariage, et vous,
« qui est mariée s'occupe des choses du monde en méprisant les secondes noces. S'il s'agissait
« et veut plaire ta son mari » Il n'est pas dit '
. de plaire à des maris de la terre, vous auriez
de femme qu'elle s'occupe des choses du
la honte de partager les ornements de votre fille :

monde jusqu'à renoncer à la sainteté cepen- ;


maintenant ne rougissez pas de vous parer des
dant il est bien certain que cette sainteté con- mêmes ornements, car c'est pour vous non pas
jugale trouve dans cette préoccupation mon- un crime, mais une gloire d'aspirer à l'amour
daine de jouissances et de plaisirs, une cause de cet unique et divin Epoux. Fussiez-vous
d'imperfection. Cette application de l'esprit mariées, vous n'auriez recours à aucun orne-
dépensée pour plaire à un mari, se tourne ment faux et trompeur car vous croiriez vos ;

tout entière vers les choses de Dieu, dans la époux indignes d'être trompés et vous indi-
personne qui embrasse la continence cliré- gnes de les tromper. Faites de même à l'égard
tienne. Remarquezàquiale bonheur de plaire de ce Roi qui s'est épris des beautés de son
celle qui plaît au Seigneur; elle est d'autant unique épouse dont vous êtes les membres ;

plus heureuse qu'elle lui plaît davantage ,


offrez-lui des agréments véritables attachez- ,

tandisqu'elle lui plairait d'autant moins qu'elle vous à lui charmez-le, votre fille par l'intégrité
;

s'occuperait davantage des choses du monde. virginale, vous-même par la continence vi-
Mettez tous vos soins à plaire au plus beau duelle toutes deux par votre beauté spirituelle.
des enfants des hommes. Ce qui vous rend Cette beauté est aussi le partage de son
agréables à ses yeux, c'est la grâce qui est ré- aïeule, de votre belle-mère déjà très-avancée
pandue sur ses lèvres. Consacrez aussi à lui en âge. Mais la vieillesse ne fait point sentir
plaire cette partie de vos pensées qui s'occupe- de rides quand la charité étend, jusque sur
raitdu monde et de plaire à un mari. Rendez- le passé l'éclat d'une beauté solide. Ainsi
,

vous agréables à celui qui a voulu déplaire au vous pouvez consulter à toute heure cette
monde, afin que ceux qui lui plaisent soient sainte femme, qui vous est unie par la famille
délivrés du monde. Lui qui était le plus beau et en Jésus-Christ. S'agit-il de lutter contre
des enfants des hommes a été vu sur l'instru- telle ou telle tentation ? elle vous indique le
ment de son supplice, et « il n'avait ni forme moyen d'en triompher facilement et d'en em-
« ni beauté, son visage était abject et sa position pêcher le retour séducteur ; dans toutes ces
« difforme -». Toutefois de cette difformité de circonstances, elle vous instruit par sa longue
votre Rédempteur a découlé pour vous le prix expérience, par son amour bienveillant, par
de votre beauté, mais d'une beauté tout in- sa pieuse sollicitude, par la sécurité de son âge.
time. Car «toute la beauté de la fille du Roi Vous surtout, consultez-la dans toutes ces
est dans l'intérieur ^ ». Pour lui plaire, c'est
cf épreuves dont elle a fait, comme vous, l'expé-
cette beauté quevousdevezlui offrir, composez- rience. Quant à votre fille, elle chante le
la avec tous les soins et la sollicitude possible. cantique que l'Apocalypse ne place que sur
11 n'aime ni la feinte ni le déguisement : la les lèvres des vierges '. Votre belle-mère prie
vérité ne se complaît qu'en elle-même, et vous avec plus de sollicitude pour vous deux que
savez qu'il s'appelle lui-même la vérité. « Je pour elle-même ; toutefois ses plus constantes
a suis, dit-il, la voie, la vérité et la vie *
». préoccupations sont pour votre fille, à qui il

Courez à lui par lui-même pour lui plaire ; reste à courir une plus vaste carrière de ten-
empruntez ses propres agréments vivez avec ; tations et d'épreuves : pour vous, elle vous
lui, en lui, de lui. C'est par des affections voit plus rapprochée d'elle par l'âge que ne
vraies et une sainte chasteté que vous devez l'est votre fille; car avec celle-ci vous rougiriez
aimer à obtenir son amour. de devenir mère, si vous l'aviez vue convoler
« I Cor. VII, 34.— ' Is. LUI, 3.— ' P=. aliv, 3, 14.— *
Jean, xiv, 6. '
Ap. .\iv, 3, 4.

S. AuG. — Tome XII. il


16-2 AVANTAGES DE LA VIDIUTÉ.

à un mariage qui ne lui est plus permis et dont peu de temps après leurs maris les ont quittées
Dieu la détourne. Qu'avez-vous donc encore à pour entreprendre quelque long voyage en ;

traverser des dangers de la \'\e ? et si jamais attendant leur retour, elles ont vieilli, con-
vous ne devez être aïeule, c'est afin de par- danmées à une sorte de veuvage prématuré.
tager avec votre fille la fécondité des saintes Quedis-je ? il ne leur a pas été donné, parfois,
pensées et des œuvres méritoires. Mais c'est même dans la vieillesse.
de revoir leurs époux
avec raison que son aïeule éprouve pour elle Ainsi, grâceaux uîépris ou aux lenteurs de
une sollicitude que vous, sa mère, vous éprou- futurs époux et à l'absence des maris, on
vez vous-même ; sollicitude d'autant plus a pu enchaîner la concupiscence charnelle
grande que le vœu qu'elle a fait est plus saint pour repousser le crime ou l'adultère ;

et une plus grande mission à


qu'il lui reste pourquoi donc n'enchainerait-on pas cette
accomplir. Ali que Dieu exauce ses prières;
! même concupiscence quand il s'agit d'éviter

répondez dignement à ses mérites dans sa ; le sacrilège ? On


réprimée quand elle était
l'a

jeunesse elle a enfanté la chair de votre époux, dans toute son ardeur et qu'on ne la retenait
et, dans sa vieillesse, elle enfante le cœur de que pour quelque temps, et on ne le pourrait
votre fille. Toutes ensemble et dans l'union quand elle est refroidie et qu'on lui a ôté tout

la plus parfaite, rendez-vous agréables par espoir ? Est-ce que la passion n'est pas d'au-
une vie sainte, et offrez d'instantes prières à tant plus ardente qu'elle conserve plus d'es-
l'unique époux d'une épouse unique, dans le poir de se satisfaire ? En vouant à Dieu la

corps de laquelle vous vivez d'un seul esprit. chasteté perpétuelle on détruit cette espérance
qui est comme le foyer de l'amour. Voulez-
CHAPITRE XX. vous donc vous donner plus de facilité pour la
réprimer? ne lui laissez plus aucun espoir
MÉPRIS DES SÉDUCTIONS DU 3I0NDE.
capable de l'enflammer mais pour cela le ;

Un
jour écoulé ne revient plus, hier est
25. moyen le plus efficace, c'est la prière ; sans
remplacé par aujourd'hui, à aujourd'hui suc- elle , le désir du mal n'en devient que plus
cédera demain. Ainsi passe le temps et toutes ardent.
les choses temporelles, jusqu'à ce que vienne CHAPITRE XXI.
l'accomplissement éternel de celte promesse :

DÉLICES SPIRITUELLES DU VEUVAGE.


« Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera
« sauvé ^». Si le monde
pour qui donc
périt, 26. Aux jouissances charnelles faites donc
l'épouse enfante-t-clle ? Si elle ne doit enfanter succéder, dans la sainte chasteté, les délices
que par le cœur et non par la chair, pourquoi spirituelles; la lecture, l'oraison , les can-
se marie-t-elle ? iMais si le monde doit encore tiques, lesbonnes pensées, les bonnes œuvres
durer, pourquoi ne pas aimer davantage Celui fréquentes, l'espérance du ciel, l'élévation du
par qui le monde a été fait ? Si déjà les agré- cœur au-dessus des choses du temps, pour et,

ments du siècle s'évanouissent , le chrétien tous ces bienfaits, l'action de grâces rendue
peut-il les rechercher avec tantd'ardeur? Alors au Père des lumières de qui nous vient, selon
même devraient subsister encore, la
qu'ils l'Ecriture, toutdon parfait et excellent *. Si
sainteté suffirait pour nous les faire mépriser. on n'a renoncé aux jouissances conjugales que
Dans la première hypothèse, il ne reste aucune pour chercher un dédommagement dans d'au-
espérance à la passion ; dans la seconde, la tres délices charnelles, je ne |)uis dire tous les
charité trouveune augmentation de gloire. maux qui en résultent ; l'Apôtre les a résumés
Pendant combien d'années le corps conserve- en disant de la veuve qui vit dans les délices,
t-il la fleur de sa beauté et de sa force ? Telles que toute vivante qu'elle soit, elle est déjà
femmes pensent au mariage et y aspirent ar- morte *.
demment; ont-elles à subir pendant quelque Loin de vous, par conséquent, la pensée de
temps des mépris ou des délais? vite elles ont remplacer la cupidité du mariage par la cu-
vieilli, à tel point que la honte qu'elles éprou- pidité des richesses, et de faire succéder dans
veraient de se marier à cet âge, étoufferait le vos cœurs l'amour de l'argent à l'amour d'un
plaisir qui rayonne pour elles autour du ma- époux L'expérience de la vie humaine nous
!

riage. D'autres ont contracté mariage, mais a quelquefois montré l'avarice prenant la place
' Mal. X, 22. '
Jac. I, 17. l Tim. V, 6.
AVANTAGES DE LA VIDUITE. 163

de la volupté. En ce qui concerne les senseux- Dieu , et, forts de ce principe, ils méprisent
mêmes, on remarque que les aveugles ont non pas seulement avec imprudence, mais
l'ouïe plus fine et le tact plus développé que avec cruauté , l'estime et les pensées des
ne l'ont ceux qui jouissent de la vue d'où il ; hommes : c'est tuer souvent beaucoup d'âmes ;

suit que si la faculté de percevoir par les sens on donne aux uns occasion de blasphémer la
est privée de quelques-uns de ses organes, elle vertu et de prendre en horreur la vie des
développe les autres et y cherche une com- saints , quand elle est chaste en réalité, et
pensation à ce qui lui manque. De même, il que leurs soupçons la leur montrent comme
arrive souvent que la cupidité charnelle, privée honteuse et criminelle; les autres s'autorisent
des jouissances conjugales , retombe sur à faire le qu'ils ne font que
mal en prétendant
l'amour de l'argent avec plus d'ardeur et plus marcher sur les traces d'autrui ils imitent, ;

d'avidité. Qu'en vous au contraire l'amour des non pas ce qu'ils voient, mais ce qu'ils pensent.
richesses se refroidisse avec l'amour du ma- Eviter dans ses œuvres le crime et le péché,
riage ; faites servir votre fortune à accroître c'est travailler pour soi-même ajouter cela le : cà

vos délices spirituelles; déployez toute votre soin de se faire une bonne réputation, c'est se
libéralité à aider les pauvres plutôt qu'à en- rendre miséricordieux envers autrui. Ce qui
richir les avares. Le trésor céleste ne reçoit nous importe à nous-mêmes, c'est notre vie ;

point les dons faits par la cupidité, il se forme ce qui importe aux autres, c'est notre réputa-
des aumônes faites aux pauvres lesquelles , tion et remarquons qu'en aidant miséricor-
;

donnentunepuissanceimmenseauxprièresdes dieusement au salut des autres, nous faisons


veuves. Quand les jeûnes et les veilles, prati- une œuvre utile pour nous-mêmes.
qués sans troubler la santé, viennent se joindre Ecoutons l'Apôtre «Nous cherchons à faire :

à la prière, au chant, à la lecture et à la médi- « le bien, non-seulement devant Dieu, mais

tation des vérités divines ce qui d'abord


, etaussi devant les hommes ^ ». Ailleurs « Tâ- :

paraissait pénible se change bientôt en délices « chez de plaire à tous et en tout comme je le

spirituelles. Car^quand on aimeune chose, on « fais moi-même, ne cherchant pas ce qui

trouve non pas de la peine, mais du plaisir à « m'est utile à moi en particulier, mais ce qui

la faire voyez plutôt les chasseurs, les pê-


; « est utile à plusieurs pour leur salut ^ » Dans .

cheurs, les vendangeurs, les négociants, ceux le cours d'une exhortation il s'écrie « Enfin, :

qui jouent et se récréent. L'important donc est « mes frères , tout ce qui est véritable et
de savoir diriger son amour. Si l'on aime, on « sincère, tout ce qui est honnête, juste et
n'éprouve plus de peine, ou l'on aime cette « saint, tout ce qui peut vous rendre ai-
peine. Mais quelle honte de voir des hommes « niables, tout ce qui est d'édification et de
se faire un plaisir du travail qu'il faut accom- « bonne réputation, tout ce qui est vertueux
plir pour s'emparer d'un gibier, pour ven- « et louable, faites-en l'objet de vos pensées ;

danger pour moissonner, pour jouer à la


,
« pratiquez ce que vous avez appris et reçu de
balle, et n'éprouver que du dégoût quand il « moi, tout ce que vous avez entendu de mes
s'agit de conquérir Dieu lui-même? « lèvres et vu en moi ^ ». Vous voyez que dans
les détails de son exhortation, l'Apôtre n'a pas
CHAPITRE XXII. omis ce qui regarde la bonne réputation; puis
PRENDRE SOIN DE SA RÉPUTATION. il résume tout en deux mots « Ce qui est :

«vertueux et louable». 11 a désigné d'abord


Parmi les délices spirituelles que goûtent
27. ce qui est du ressort de la vertu quant à la ;

les personnes qui ne sont pas mariées, leur réputation, elle se confond avec ce qui est
vie sainte doit s'entourer de sages précautions; louable. Je crois cependant que l'Apôtre ne se
car il ne suffit pas qu'elles ne tombent dans préoccupait pas beaucoup de la louange des
aucun désordre, il leur faut encore ne com- hommes, car c'est lui qui a dit dans un autre
promettre leur réputation par aucune négli- passage « Peu m'importe d'être jugé par
:

gence. Nous entendonsquelquefoisdes hommes « vous ou par quelque homme que ce soit* » ;

vertueux et de saintes femmes, quand on leur et encore « Si je cherchais à plaire aux


:

reproche des négligences qui font naître au- « hommes, je ne serais pas le serviteur de Jé-

tour d'eux quelque mauvais soupçon, répli-


' II Cor. vm , 21. — M Cor. x, 33. — ' Pli.lipp. IV, 8 et 9. —
quer que leur conscience leur suffit devant * 1 Cor. IV, 3.
164 AVANTAGES DE LA VJDUITE.

« sus-Christ encore «Ce qui fait notre


'
» ; et : bord : Lors même que l'on aspirerait à enrô-
a gloire, témoignage de notre con-
c'est le ler tous les hommes sous la bannière de la
« science ^ ». De ces deux choses, la bonne \ie continence , il n'y en aurait qu'un petit
et la bonne réputation, en d'autres termes, la nombre pour entendre cet appel. « Tous, en
vertu et l'estime, c'est pour lui-même qu'il « effet,ne comprennent pas cette parole. —
s'attachait sagement à la première s'il s'oc- ; « Que comprendre, la corn-
celui qui peut la
cupait de la seconde, c'était par miséricorde etprenne ». Il n'y aura donc toujours pour
*

pour les autres. comprendre que celles qui le peuvent; et c'est


Cependant, quelque soin que nous appor- en vain qu'on déploierait toute l'éloquence
tions à celle-ci, nous ne pouvons échapper à possible auprès de celles qui ne le peuvent
tout mauvais soupçon quand donc nous au- ;
pas. Je dis ensuite Nous ne devons pas :

rons pour notre réputation tout ce que


fait craindre que tous saisissent cette parole, et
nous aurons pu faire avec justice; supposé que que la vie conjugale vienne à manquer dans
quelqu'un, par des inventions criminelles ou le corps mystique de Jésus-Christ. En effet, si
par une excessive crédulité, cherche à noircir tous recueillaient et réalisaient cette parole,
notre réputation, rassurons-nous sur le té- nous devrions en conclure que, dans les des-
moignage de notre conscience et réjouissons- seins de Dieu, le nombre prévu des mariages
nous môme, parce qu'une grande récompense a été réalisé par ceux d'entre nous qui ont
nous attend dans le ciel, récompense dont ne quitté cette vie. Et, supposé que tous em-
pourront nous priver ceux qui rassemblent brassent maintenant la continence, ce serait
toute sorte de calomnies contre nous, pourvu à tort que l'on soutiendrait qu'ils n'obtien-
toutefois que nous persévérions dans la justice dront pour récompense que le fruit trentième,
et dans la piété ^ car elle est le prix de ceux
; c'est-à-dire celui qu'ont obtenu les époux qui
qui combattent avec les armes de la justice : sont parvenus à la gloire; je parle toujours
peu importe qu'ils combattent à droite ou à dans l'hypothèse que ce fruit trentième s'ap-
gauche, c'est-à-dire par la gloire ou la honte, plique à l'état conjugal ^. Au ciel, tous ces
par l'infamie ou une bonne réputation \ membres auront leur place, lors môme
que
personne, ni homme ni femme, ne voudrait
CHAPITRE XXllI. plus se marier. Vous pouvez donc, en toute
ATTIRER A LA CHASTETÉ. CONCLUSION. sécurité, déployer tous les efforts possibles
pour vous créer des imitatrices. Priez avec
donc votre marche et courez
28. Poursuivez instance et ferveur pour obtenir que, soutenues
avec persévérance pour arriver au but. Par par la droite du Très-Haut et par l'abondance
vos bons exemples et par l'ardeur de vos ex- de la miséricorde divine, vous persévériez
hortations, appelez à votre suite toutes les dans votre heureux que vous hâtiez état et
personnes qui ne se montreront pas trop re- votre marche vers
but auquel vous tendez. le

belles. Dans cette noble entreprise, ne vous 29. Enfin, je vous en conjure par Celui de
laissez arrêter par aucun des sophismes que qui vous avez reçu ce don précieux, et de qui
pourront vous objecter des hommes vains; ils vous en espérez la récompense, donnez-moi
vous diront Si tous embrassent la continence,
: une part dans vos prières et dans celles de
comment se perpétuera le genre humain? votre famille. J'ai eu grandement raison d'a-
Comme si le monde subsistait dans un autre dresser à votre mère déjà âgée une lettre sur -M
"
but que pour donner au nombre prédestiné la prière; car sa mission est de prier pour
des saints le temps de s'achever car à peine ; vous et de s'oublier en votre faveur. D'un
le sera-t-il, que le monde cessera d'exister. autre côté, ce n'est pas à elle, mais à vous que
Dans l'accomplissement de votre mission, ne j'adresse cet opuscule sur la continence vi-
craignez pas davantage que l'on vous dise : duelle ; car la victoire que son âge a rempor-
Puisque le mariage est bon, comment y au- tée sur la concupiscence vous attend, mais
rait-il une diversité de membres dans le corps elle n'est pas encore remportée. Quanta votre
de Jésus-Christ, si tous aspiraient à la gloire et sainte fille, si dans sa profession elle désire
à l'amour de la continence? Je réponds d'a- profiter de quelques-uns de mes ouvrages,
elle a entre les mains le livre de la sainte vir-
• Gai. I, 10. — ' 11 Cor. 12. — ' Matt. V, Il , 12. 11 Cor.
Yi, 7, 8. '
Matt. XIX, U, 12. — ' Id. xiir, S.
AVANTAGES DE LA VinUlTÉ. 165

ginité ;
qu'elle le lise. Je vous ai conseillé cette gèrement certains points, et que j'en ai passé
lecture à vous-même; car ce renferme
livre sous silence une multitude d'autres. J'en ai
beaucoup de choses qui concernent à la fois parlé ailleurs assez longuement. Persévérez
la double chasteté virginale et viduelle c'est ; dans la grâce de Dieu.
pour cette raison qu'ici je n'ai touché que lé-

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX


DES UNIONS ADULTÈRES.

LIVRE PREMIER.
Pcur quel motif une femme peut-elle se séparer de son mari? —
Convient-il que l'époux chrétien quitte son épouse infidèle?

Baptême des catéchumènes en danger de mort.

CHAPITRE PREMIER. femmes à qui il


D'après vos principes, les
dans la continence pourraient
plairait de vivre
EN DEHORS DE TOUTE CAUSE DE FORNICATION, EST-
se passer du consentement de leurs époux, sans
IL PERMIS A UNE FEMME DE SE SÉPARER DE SON
tenir aucun compte du « précepte imposé à la
MARI, POUR VIVRE DANS LA CONTINENCE.
« femme de nepoint se séparer de son mari »;
1 . Pollentius, mon frère bien-aimé, la pre- puisqu'elles pourraient non pas adopter la con-
mière question que vous avez comme traitée tinence, mais se permettre un divorce qui les
dans votre lettre tout en me consultant, a , laisserait libres de contracter un
nouveau
pour objet ces paroles de l'Apôtre « Quant à : mariage ? Qu'il arrive à une femme de pren-
« ceux qui sont engagés dans le mariage, j'or- dre en dégoût le mariage et ses suites, il lui
« donne, non pas moi, mais le Seigneur, à la sera donc permis de se séparer de son mari
« femme de ne point se séparer de son mari ;
sans avoir à alléguer pour motif la fornication,
« si elle s'en sépare, qu'elle \ive dans la con- pourvu que, selon le précepte de l'Apôtre, elle
« tinence ou quelle se réconcilie avec son reste dans la continence ? De leur côté, car
« époux, et que Tbomme ne se sépare point leur sort ne peut pas être diO'érent, les hommes,
« de sa femme '. Doit-on interpréter ces paroles s'il leur plaît de se livrer à la continence ,

en ce sens que le mariage soit interdit à toute pourront quitter leur femme sans avoir
femme qui se sépare, sans que son mari puisse obtenu leur consentement pourvu qu'ils,

être convaincu de fornication? Vous répondez ne contractent pas un nouveau mariage ?


affirmativement. Quant à moi, dans mes Com- Si ce divorce avait pour cause la fornication,
mentaires du Sermon sur la montagne , tel vous soutenez qu'on pourrait contracter un
que le rapporte saint Mathieu, j'ai soutenu nouveau mariage. Quand cette cause n'existe
que cette défense d'un second mariage a été pas,il faut, selon vous, ou ne pas se séparer,

prononcée contre toute femme qui se sépare ou rester dans la continence, si l'on se sépare,
légitimement de son mari, c'est-à-dire pour ou renouer le premier mariage. Donc ,

cause de fornication. Vous dites que si une quand il n'existe pas de fornication, chaque
femme, sans y êtra forcée par la fornication époux peut choisir entre ces trois partis dif-
de son mari, se sépare de lui, elle doit s'in- férents ou bien ne pas se séparer, ou bien si
:

terdire un second mariage. Vous oubliez donc l'on se sépare rester dans la continence, ou
que si son mari ne se rend coupable d'aucune bien se réconcilier avec son premier époux ,

fornication, il est interdit absolument à celte sans en chercher un autre ?

femme de se séparer, et non-seulement de gar- CHAPITRE II.


der la continence car lorsqu'il est prescrit à
;

LA SÉPARATION n'EST PERMISE QUE POUR CAUSE DE


celle qui se sépare de rester dans la conti-
FORNICATION.
nence, ce n'est pas le pouvoir de se séj)arer
qu'on ui enlève, mais celui de contracter au que le même Apôtre ne défend pas
2. Est-ce
nouveau mariage. aux époux de se refuser le devoir conjugal, si
'
I Cor. VII, 10, 11. ce n'est que tous deux y consentent, lors même
LIVRE PREMIER. 167

que ce refus ne que pour un temps et


serait comme s'il était présent devant nous -.Pourquoi,
afinde se livrer à la prière? Autrement, que ô Apôtre, ces mots : « Si elle se sépare, qu'elle
deviendraient ces paroles « Pour éviter la : « demeure dans lacontinence ? » Est-il permis,
« fornication, que chaque homme conserve sa oui ou non, de se séparer ? Si cela n'est pas
« femme et chaque épouse son mari que ;
permis, pourquoi ordonner à celle qui se sé-
l'homme rende le devoir à sa femme et la pare de rester dans la continence ? Si cela est
«femme à son époux; le corps de l'épouse permis, cette permission doit assurément avoir
« n'appartient pas à elle, mais à son mari ;
quelque raison d'être. Quelle est cette raison?
c de même c'est à la femme qu'appartient le Je n'en trouveaucune autre que la raison for-
« corps du mari '
? » Pour que ces paroles mulée par le Sauveur, je veux dire la forni-
soient vraies, ne faut-il pas que l'un des époux cation. Quand donc l'Apôtre condamne h la
ne puisse, sans le consentement de l'autre, se continence la femme qui se sépare de son mari,
livrer à la continence ? En accordant à la femme il s'adresse évidemment à celle qui s'en sépare
lepouvoir de quitter son mari, et de rester pour le seul motif qui rend cette séparation
dans la continence, vous lui donnez tout pou- légitime. En effet voici le précepte « J'ordonne
:

voir sur son propre corps, à l'exclusion de son « à la femme de ne point se séparer si elle se ;

mari en dire autant de l'époux. Nous


; il faut «sépare, qu'elle reste dans lacontinence ».
lisons encore; «Celui quiseséparedesafemme, Cette défense doit être respectée par celle qui se
« excepté pour cause de fornication, la rend sépare; celle-ci doit donc rester dans la con-
« adultère ^ ». Dans ces paroles, peut-on voir tinence.S'il n'est pas ici question delà femme

autre chose qu'une défense faite à l'homme qui a pouvoir de se séparer (et elle n'a ce
le
d'abandonner sa femme, si aucune fornication pouvoir qu'en raison de la fornication de son
ne l'y autorise ? La raison de cette défense, mari) comment lui ordonner de
rester dans la
c'est qu'il rend sa femme adultère d'où il suit, ; continence si elle Ce serait mettre
se sépare ?
qu'en contractant un nouveau mariage, une sur les lèvres de rA|)ôlre ce langage absurde :

femme se rend coupable d'adultère, non pas si une femme se sépare de son mari sans que

seulement quand c'est elle-même qui s'est celui-ci se soit rendu coupable de fornication,
séparée, mais aussi quand elle a été renvoyée. qu'elle reste dans la continence, et cependant
C'est pour éviter un aussi grand mal, qu'il est il est absolument défendu à une femme de

défendu à l'homme de renvoyer sa femme, si quitter son mari quand il n'est point adultère !

ce n'est pour cause de fornication. Dans ce Je pense que vous comprenez maintenant
dernier cas, il la renvoie adultère, il ne l'expose combien votre interprétation est opposée au
pas à le Pouvons-nous regarder
devenir. lien conjugal, puisque le Seigneur n'autorisée
comme innocent celui qui nous dirait Je : les époux cà embrasser la continence, même
renvoie ma femme sans aucune cause de for- pour un temps, que quand tous deux y sont
nication, mais je resterai dans la continence? pleinement consentants.
Peut-on tenir ce langage quand on comprend
la volonté de Dieu clairement formulée dans CHAPITRE IV.
les paroles que nous avons citées ? Ne per-
mauvaise interprétation des paroles de
mettre le divorce que pour cause de fornica-
l'apôtre.
tion, c'était le refuser pour cause de continence.
4. Mais insistons encore d'avantage, pous-
CHAPITRE m. sons les choses jusqu'à la dernière évidence.
EXPLICATION DES PAROLES DE l'APÔTRE, RELATIVES Voici qu'une femme s'éprend d'amour pour
A LA FEMME QUI SE SÉPARE d'u>' MARI ADULTÈRE. la continence, tandis (jue le mari n'en veut
point. La femme se sépare, dans l'intention de
3. Revenons à ces paroles de l'Apôtre : rester chaste; en même temps, contre le pré-
« Quand à ceux qui sont dans le mariage, j'or- cepte formel du Sauveur, elle va rendre son
« donne, non pas moi, mais le Seigneur, à la mari adultère, car ne pouvant se contenir il
« femme nedcnepoint se séparer de son mari ;
cherchera une autre épouse. Quel langage
a si elle se sépare, qu'elle reste dans la con- tenir à cette femme, sinon celui-ci que l'Eglise
te tinence » . Qu'il nous permette de l'interroger lui adresse avec tant de sagesse Rendez le :

' I Cor. vu, 2-j. — ' Malt, v, 3'J. devoir à votre époux, de peur que cherchant
168 DES UiXIONS ADULTÈRES.

pour vous-même un plus haut degré de gloire, convaincre votre mari du crime de fornication,
vous ne lui fassiez trouver pour lui un sujet et vous pensez qu'en vous abstenant de con-

de condamnation ? C'est là aussi ce que nous tracter un nouveau mariage, vous justifiez
lui dirions à lui-même, si, contre votre con- pleinement votre séparation d'avec un mari
sentement, il voulait se livrer à la continence. qu'il vous est absolument défendu de quitter?
En effet ce n'est plus à vous que votre corps — En entendant notre réponse je pense bien que
appartient, mais à votre mari ; comme c'est vous ne souffrirez pas que cette femme nous
vous, et non pas lui, qui avez pouvoir sur son objecte, qu'elle demeure dans la continence,
propre corps. Ne vous refusez donc pas récipro- parce qu'elle s'est séparée de son mari, sans
quement le devoir, si ce n'est d'un consente- aucune cause de fornication car ce serait lui ;

ment mutuel. Et quand nous aurons fait ces donner le droit d'ajouter que si son mari eût
observations et d'autres encore, que penseriez- commis la fornication , non-seulement elle
vous de cette femme, si, s'appuyant sur votre aurait pu se séparer mais encore contracter un
interprétation, elle nous répondait : J'entends nouveau mariage.
TApôtre dire «J'ordonne à la femme de ne
:

« point se séparer de son mari si elle s'en ;


CHAPITRE VI.

« sépare, qu'elle reste dans la continence ou OPIXION DE POLLENTIDS SUR LE MARIAGE APRÈS
« qu'elle se réconcilie avec son époux » or je ;
DIVORCE.
me suis séparée, je ne veux pas me réconcilier
et je reste dans la continence ? En effet l'Apôtre Maissans doute qu'elle n'oserait pas porter
0.

ne dit pas : si elle se sépare, qu'elle reste dans jusque-là sa témérité, car vous avez rougi
lacontinence jusqu'à ce qu'elle se réconcilie vous-même de donner aux femmes cette auto-
avec son mari mais quelle reste, dit-il, dans
; risation. En effet, voici vos paroles : « Si un
lacontinence ou qu'elle se réconcilie avec son « homme se sépare de sa femme surprise en
mari. Qu'elle prenne l'un ou l'autre de ces « adultère, et en épouse une autre, toute la
deux partis; car elle a le choix entre les deux, « honte rejaillit sur la femme coupable. Mais
elle n'estpas obligée à l'un plutôt qu'à l'autre. « si une femme d'un mari adultère
se sépare
Donc je choisis la continence, et dès lors j'ac- (' et en épouse un autre, l'ignominie retombe
complis le précepte. Si je contracte un autre « à la fois sur elle et sur son premier époux».
mariage, corrigez-moi alors, prodiguez contre Vous donnez ensuite la raison suivante de
moi les reproches et les menaces, usez de toute votre sentiment : « En effet, ajoutez-vous, on
la sévérité qu'il vous plaira. « dira de cette femme qu'elle n'a quitté son
« mari que pour en épouser un autre, qui
CHAPITRE V.
« peut-être ne ressemblera que trop au pre-

RÉFUTATION». « mier; car la pente de l'adultère est si facile


« aux hommes Si donc elle abandonne le
!

5. Quelle autre réponse pourrai-je faire, « premier et en épouse un autre, on conclura

que celle-ci Vous ne saisissez pas bien le


: « de plus en plus qu'elle recherche la plura-
sens de l'Apôtre? En ordonnant à la femme, « lité des époux ». Puis vous concluez et vous

qui se sépare de son mari de rester dans la dites « Tout cela étant bien pesé et discuté,
:

continence, il s'adresse à la femme qui a le pou- « il faut que la femme tolère son mari ou

voir de s'en séparer ou qui s'en sépare légitime- « quelle reste dans la continence ». Quel bon
ment, pour cause de fornication.
c'est-à-dire conseil vous donnez aux femmes Vous leur î

Il est mentionne pasici ce motif,


vrai qu'il ne avez permis, si elles se séparent de maris adul-
mais c'est uniquement parce qu'il est trop tères, de contracter de nouveaux mariages,
connu. C'est là, en effet, la seule cause men- mais vous les en détournez pour leur épar-
tionnée par le Sauveur; quand il parlait de la gner la honte d'une telle conduite vous leur ;

séparation des époux, il laissa tirer la conclu- conseillez de tolérer la présence de leur mari
sion facile que le sort de la femme n'était pas adultère, plutôt que de paraître rechercher la
différent de celui du mari, puisque chacun pluralité des époux; car il leur serait difficile
des deux époux a cessé d'avoir droit sur son de ne pas s'exposer aux mêmes inconvénients,
propre corps, pour avoir droit sur le corps de puisque l'adultère est une maladie si com-
son époux. Voici donc que vous ne pouvez mune parmi les hommes.
LIVRE PREMIER. 169

Ainsi nous adressant à cette femme, qui se son incontinence ne lui soit point une cause
sépare d'un mari adultère, nous lui disons, de damnation de même la femme qui se sé-
;

nous, qu'un second mariage lui est défendu ;


pare de son mari, est obligée de rester dans
et vous, vous lui dites que ce mariage lui est la continence, afin que sa séparation ne lui
permis, mais ne lui est pas avantageux mal- ; devienne pas une occasion de crime. Or, c'est
gré la différence du motif, nous sommes un crime de se séparer d'un mari qui n'est
d'accord tous les deux pour lui dire qu'elle pas adiiltère, lors même qu'on resterait dans
ne doit point contracter un nouveau ma- la continence. C'est donc uniquement pour
riage. Cependant il est entre nous une grande celle qui se sépare d'un mari adultère qu'est
différence. En effet, quand les deux époux formulé le précepte de rester dans la conti-
sont chrétiens, nous déclarons à la femme nence. Donner au texte de l'Apôtre une inter-
dont le mari est coupable d'adultère, qu'elle prétation différente, ce serait dire aux fem-
peut se séparer de lui, mais qu'il lui est dé- mes Gardez-vous de vous séparer de vos
:

fendu d'en épouser un autre et à celle dont ; époux fidèles pourtant, si vous voulez vous
;

le mari n'est pas fornicateur qu'elle ne peut en séparer, prenez soin de rester dans la con-
pas le quitter. Vous, au contraire, vous per- tinence. Sur une telle proposition, toutes
mettez à une femme dont le mari n'est pas celles à qui la continence sourirait, sans at-
adultère de s'en séparer, mais en lui rappe- tendre aucun consentement de leurs époux, se
lant qu'un précepte lui défend de contracter croiraient autorisées à s'en séparer. Evidem-
un nouveau mariage et si son mari est adul-
;
ment ce serait là un crime ; d'où je conclus
tère, en lui reconnaissant le droit absolu de que le précepte imposé à celle qui se sépare, de
se remarier, vous le lui défendez non pas en rester dans la continence, s'applique unique-
vertu d'un précepte, mais au nom de l'oppro- ment directement à celle à qui seule la
et
bre dont elle se couvrirait. Donc, pourvu séparation est permise, en raison de l'infidé-
qu'une femme veuille rester dans la conti- litéde son époux. Professer une autre doc-
nence, vous lui permettez de se séparer de trine, ce serait jeter le trouble dans les
son mari, qu'il soit adultère on innocent, peu mariages chrétiens, sous prétexte de se livrer
importe. à la continence ; ce serait précipiter dans l'a-

CHAPITRE VII. dultère une foule d'hommes incontinents,


abandonnés, contre le précepte miséricor-
EN CAS DE SÉPARATION LÉGITIME, UN NOUVEAU
dieux du Seigneur, par leurs épouses conti-
MARIAGE EST DÉFENDU.
nentes, ou de femmes incontinentes, délais-
7. Or l'Apôtre, ou plutôt le Seigneur lui- sées par leurs maris capables de continence.
même, par l'organe de l'Apôtre, défend abso-
lument à une femme de se séparer de son CHAPITRE VIII.

mari, quand il n'est pas adultère. Reste à mon- SIMILITUDE DES CONDITIONS DE l'UOMME ET DE
trer que dans le casoù la séparationest permise,
LA FEMME.
un socond mariage est absolument défendu.
Cette démonstration est facile, car il est dit Nous lisons, non plus dans le sermon sur
8.
de celle qui se sépare qu'elle ne doit point se la montagne, mais dans un autre passage, les
remarier on ne lui permet de se séparer qu'à
;
paroles suivantes « Tout homme qui aban-
:

la condition qu'elle ne se remarie pas. Si « donne sa femme, à moins que ce ne soit

donc bien résolue à ne pas se rema-


elle est « pour cause de fornication, et en épouse une

rier, lien ne l'empêche de se séparer. C'est « autre, commet un adultère » Si on inter- ^


.

ainsi que l'on dit de celle qui ne peut pas res- prète ces paroles en ce sens que l'on peut
ter dans la continence, qu'elle peut se ma- abandonner sa femme pour cause de fornica-
rier il lui est permis de ne pas garder la
'
; tion et en épouser une autre sans se rendre
continence, mais à la condition qu'elle se coupable d'adultère, il devient nécessaire de
marie. Si donc il lui plaît de se marier, il n'y conclure que sur le même point la condition
a pas de raison pour la forcer à rester dans la de la femme de l'homme.
est inférieure à celle
continence. De même que l'on prescrit le ma- En effet,que la femme qui se sépare de
tandis
riage à celle qui est incontinente, afin que son mari pour cause de fornication et en
• I Cor. VII, 9, ' Matt. iix, 9.
170 DES UNIONS ADULTÈRES.

épouse un autre, commet un adultère, le mari commet l'adultère, de même quiconque con-
qui abandonne sa femme pour la même rai- naît le bien qu'il doit faire et ne le fait pas,

son, peut, sans se rendre coupable d'adultère, commet un péciié. Dira-t-on que celui qui
épouser une autre femme. Au contraire, si la ignore ce qu'il doit faire ne pèche point en ne
condition est la même
pour tous les deux^ le faisant pas? Comme
principe, cette propo-
tous les deux commettent l'adultère en con- sition est fausse, car y a des péchés commis
il

tractant un nouveau mariage, lors même que dans l'ignorance, quoiqu'ils soient moins cou-
la séparation aurait pour cause la fornica- pables que quand ils sont accompagnés d'une
tion. Or, l'apôtre saint Paul établit la simili- pleme connaissance. De même, il serait faux
tude parfaite de condition pour l'homme et de dire celui qui, pour cause de fornication,
:

pour la femme, dans ce passage que nous de- abandonne sa femme et en épouse une autre,
vrons citer très-souvent « La femme n'a : ne commet point l'adultère. En effet, l'adultère
« plus pouvoir sur son propre corps, ce pou- s'applique aussi à ceux qui épousent d'autres
a voir appartient au mari; de même le mari femmes, après avoir abandonné la première
« n'a plus pouvoir sur son propre corps, ce pour cause de fornication; toutefois cet adul-
« pouvoir appartient à la femme ». tère est en eux moins criminel qu'il ne l'est
pour ceux qui n'ont pas môme à alléguer
CHAPITRE IX. comme excuse la fornication de leur femme.
— RÉPONSE. De même donc que nous disons : « Celui qui
OBJECTION DE POLLENTIUS.
« sait le bien et qui no le fait pas, commet un
Mais pourquoi, me dites-vous, le Seigneur
9. « péché», nous disons celui qui renvoie
ainsi :

a-t-il mentionné spécialement la fornication, sa femme sans le motif de fornication et en

plutôt que de dire d'une manière générale : épouse une autre, commet un adultère.
tout homme qui se sépare de sa femme et en De même encore nous pouvons affirmer que
épouse une autre, se rend coupable d'adultère, celui (jui épouse une femme qui a été aban-

puisque c'est s'en rendre coupable que de donnée par sou mari véritable sans le motif de
contracter un nouveau mariage après avoir fornication commet un adultère, et en cela
renvoyé sa femme pour cause de fornication? nous sommes dans le vrai; mais ce n'est pas
Je réponds, le Seigneur a voulu exprimer le pour nous une raison de conclure que celui
cas du péché le plus grave. Comment nier, en qui épouse une femme abandonnée pour
effet, que l'adultère que l'on commet en ren- cause de fornication ne commet point d'adul-
voyant une femme innocente, pour en épouser tère; loin de là nous les déclarons tous les

une autre, ne soit pas frappé d'un caractère deux adultères. De même nous condamnons
plus profond d'indignité que celui que l'on comme adultère celui qui, sans cause de for-
commet en renvoyant une femme infidèle nication, se sépare de sa femme, et en épouse
pour en épouser une autre? Je ne dis pas que une autre; mais de là nous ne concluons pas
dans cette dernière hypothèse il n'y ait pas l'innocence de celui qui renvoie sa femme
d'adultère, je soutiens seulement qu'il est plus pour cause de fornication et en épouse une
excusable que dans la première supposition. autre. Tous deux, à nos yeux sont véritable- ,

L'apôtre saint Jacques emploie cà peu près cette ment adultères, quoique d'une culpabilité dif-
formule de langage quand il écrit : « Celui férente. Quelle absurdité n'y aurait-il pas à
« qui connaît le bien qu'il doit faire et ne le épouse une femme
justifier d'adultère celui qui

rend coupable de péché ». Est-


a fait pas, se
' abandonnée de sou mari pour cause de forni-
ce que nous regarderons comme innocent cation, tandis qu'on déclare adultère celui qui

celui qui, ne sachant pas faire le bien, ne le épouse une femme abandonnée sans cause de
fait pas? Assurément celui-là même est cou-
fornication Tous deux sont adultères, et celui
?

pable, mais il l'est moins que celui qui, le qui, après avoir abandonné sa femme sans
sachant, ne le fait pas; il n'y a qu'une diffé- cause de fornication, en épouse une autre, et
rence du plus au moins. Rapprochons main- celui qui après l'avoir abandonnée pour cause

tenant ces deux propositions De même que :


de fornication, contracte un nouveau mariage.

tout homme qui renvoie sa femme, sans le Quand nous parlons de l'un des deux, nous ne
motif de fornication, et en épouse une autre, voulons pas qu'on interprète nos paroles en
' Jacq. IV, 17.
ce sens, que l'accusation d'adulleie, que nous
LIVRE PREMIER. 171

portons contre l'un des deux soit une justifi- c( fornication » Sans aucune cause de
; là : «

cation de l'autre. « fornication » on lit dans les uns


; enfin :

Nous convenons que saint Matthieu, en


10. « Celui qui épousera une femme séparée de

ne mentionnant que l'une des deux espèces «son mari» et dans d'autres «Celui qui
; :

d'adultères, a enveloppé ce passage d'une cer- « épousera une femme renvoyée par son mari,
taine obscurité; mais les autres évangélisles^ «devient adultère». Pouvez-vous, je le de-
en traitant cette matière dans un sens plus mande, ne pas remarquer la similitude par-
général, en ont rendu l'application plus facile faite qui existe entre tous ces passages? Il faut
à chacun des deux cas particuliers. Nous li- avouer cependant que ce dernier texte « Celui :

sons dans saint Marc « Quiconque renvoie sa : « qui épouse une femme renvoyée par son
« femme et en épouse une autre, commet con- « mari devient adultère», tiré du sermon sur
« tre elle un adultère ; et si une femme se sé- la montagne^ ne se trouve pas dans un certain
« pare de son mari et en épouse un autre, elle nombre d'exemplaires grecs et latins. Mais
«commet un adultère* ». Saint Luc écrit : moins exposée
l'idée n'y est pas tout entière
« Tout homme qui renvoie sa femme et en dans ces mots qui précèdent a II la rend :

« épouse une autre, commet un adultère; et «adultère». Car comment la femme ren-
« celui qui épouse une femme abandonnée par voyée peut-elle, en se mariant de nouveau,
« son mari, commet aussi un adultère ^». Eh ! devenir adultère, sans que celui qui l'épouse
qui sommes-nous pour nous donner le droit de ne le devienne lui-même?
dire : de deux hommes qui abandonnent leur
femme et en épousent une autre, l'un est cou- CHAPITRE XI.
pable, l'autre ne quand l'Evangilel'est pas,
SAINT ftlATTHIEU EXPLIQUÉ PAR LES AUTRES
affirme que quiconque agit ainsi commet un
ÉVANGÉLISTES.
adultère? Si donc tout homme qui abandonne
sa femme et en épouse une autre commet un 12. Afin de prouver que celui qui, pour
adultère; sans aucun doute cette proposition cause de fornication, répudie sa femme et en
générale s'applique et à celui qui abandonne épouse une autre n'est pas coupable d'adul-
sa femme sans cause de fornication, et à celui tère, vous citez des paroles peu claires, et je
qui l'abandonne pour cause de fornication. ne m'étonne pas que le lecteur soit réduit à
Cette vérité découle des termes eux-mêmes : faire de grands efforts pour les comprendre.
«Quiconque, tout homme qui » Mais ces paroles ne se trouvent pas dans le
texte du sermon de la montagne, et c'est ce
CHAPITRE X.
texte que je commentais
et qui vous a ému.

ACCORD DE PLUSIEURS TEXTES. En Matthieu met ces paroles sur


effet, saint

les lèvres du Seigneur, non plus pendant le


41. Je ne sais pourquoi vous supposez que, sermon de la montagne, mais quand il lui fut
citant l'Evangile de saint Matthieu, j'ai passé demanelé par les Pharisiens s'il était permis
sous silence ces paroles: «Et épousera une de renvoyer sa femme pour toute sorte de
« autre femme» pour dire aussitôt «Il de-
; : cause. Or ce qui ne se comprend que difficile-
« vient adultère» . Il s'agissait d'expliquer alors ment dans saint Matthieu, devient d'une clarté
le texte du long discours du Seigneur sur la évidente dans les autres évangélistes. Ainsi
montagne. Or, on y lit exactement ce que j'ai nous lisons en saint Matthieu « Quiconque :

rapporté, savoir : « Quiconque renvoie sa « renvoie sa femme sans


motif de fornica-le
« femme, excepté pour cause de fornication, la « tion et en épouse une autre, se rend cou-
« fait tomber dans l'adultère; et celui qui épou^e « pable d'adultère »; n'allons pas en conclure
« une femme renvoyée par son mari devient aussitôt que celui qui répudie sa femme pour
« adultère». Je sais que certains exemplaires cause d'adultère et en épouse une autre, n'est
présentent une version un peu différente quant point adultère ; pour sortir de cette ambiguilé
aux termes, mais le sens est toujours le même. consultons les autres évangélistes. Qu'est-ce
Ainsi dans les uns on lit «Quiconque ren- : qui empêche de supposer que saint Matthieu,
« verra» dans d'autres « Tout homme qui
; :
sur le point qui nous occupe, n'a exprimé
« aura renvoyé » ici «Excepté pour cause de
; : qu'une partie de la vérité, de manière que
« Marc, X, 11, 12. — » Lmc, xvi, 18. cette partie suffit pour faire conclure le reste
172 DES UNIONS ADULTÈRES.

tandis que saint Marc et saint Luc, voulant appartient toujours à celui qui l'a renvoyée

exposer toute la vérité, ont formulé la pensée lors même que ce serait pour cause d'adul-
tout entière ? tère. Si elle avait cessé d'appartenir à son pre-

Après avoir reconnu l'absolue vérité de ces mier mari, par le fait même elle appartien-
paroles de saint Paul « Quiconque renverra
: drait au second, et alors ce dernier, loin d'être
« sa femme sans cause de fornication et en adultère, serait le mari légitime. Non, dit l'E-
« épousera une autre, devient adultère », de- criture, point mari mais adultère
il n'est :

mandons si le péché d'adultère ne frappe que n'est-ce pas dire en d'autres termes que cette
celui qui, après avoir renvoyé sa femme sans femme reste l'épouse de celui qui l'a ren-
cause d'adultère en épouse une autre ou
, ;
voyée ? Si elle reste sou épouse, elle est néces-
bien s'il frappe indistinctement tous ceux qui sairement adultère en s'unissant à un autre
renvoient leur femme
en épousent une et mari, et par là même celui-ci devient à son

autre, même quand première a été con-


la tour adultère.
vaincue de fornication. Or, voici que saint
pourquoi de-
CHAPITRE XIII.
Marc semble nous répondre :

mander lequel des deux est adultère, puisqu'il DU DIVORCE ENTRE ÉPOUX DONT l'uN EST CHRÉTIEN
est dit d'une manière générale « Quiconque :
ET l'autre infidèle.
« renvoie sa femme et en épouse une autre,
« commet un adultère ? » Saint Luc vient à Examinons maintenant ces autres pa-
li.

son tour nous dire pourquoi la moindre hé-


:
roles de l'Apôtre « Quant aux autres, je leur
:

sitation à admettre que celui qui renvoie sa « dis, moi, et non pas le Seigneur ». Il s'agit

femme pour cause de fornication et en épouse ici des mariages où les deux époux ne sont pas

une autre, devient adultère ? Lisez plutôt : chrétiens. Voici donc l'avertissement que l'A-

« Tout homme qui répudie sa femme et en pôtre me semble leur donner. La partie fidèle
« épouse une autre, est adultère ». Si donc il peut licitement répudier la partie infidèle ;

n'est pas permis de supposer que les évan- mais l'Apôtre et non pas le Seigneur lui con-
gélistes, tout en se servant sur le même sujet seille de ne pas user de son droit. En effet, ce

d'expressions différentes, n'avaient pas la que Dieu défend, ne peut jamais être permis.
même pensée et différaient d'opinionsne ; il L'Apôtre leur fait donc remarquer que les
nous reste plus qu'à conclure que saint Mat- époux fidèles en restant avec les époux infi-
thieu, tout en ne s'occupant que d'un cas en par- dèles, quoiqu'ils puissent s'en séparer, se pro-

ticulier, admettait comme hors de doute que curent l'occasion d'en gagner beaucoup d'entre
quiconque ré\)udic sa femme elen épouse une eux à Jésus-Christ. De votre côté, vous pré-
autre, devient adultère, sans que l'on puisse tendez que les époux chrétiens n'ont pas le
admettre de distinction entre la renvoyer sans droit de se séparer des époux infidèles, parce

ou pour cause de fornication. que l'Apôtre défend cette séparation et moi :

je soutiens qu'ils en ont le droit, parce que le


CHAPITRE XII. Seigneur ne le défend pas; mais j'ajoute que
d'après l'Apôtre il ne leur est pas expédient
UNE FEMME RÉPUDIÉE RESTE l'ÉPOUSE
d'en user, et voici la raison qu'il en donne :
DE SON PREMIER MARI.
« Eh savez-vous, ô femme, si vous ne sau-
!

Comment reconnaître la vérité de cette « verez pas votre mari et savez-vous, ô mari,
13. ;

Celui qui épouse une « si vous ne sauverez pas votre femme ? » Un


parole de saint Luc : «

« femme renvoyée par son mari devient adul- peu plus haut, il avait dit «Car le mari infi- :

«tère?» Comment devient-il adultère, si ce ft dèlc est sanctifié par la femme, et la femme
n'est parce que la femme qu'il a épousée reste
« infidèle est sanctifiée par son frère », c'est-à-

pour lui une femme étrangère, tout le temps dire par le mari chrétien; «autrement vosen-
que vit celui qui l'a renvoyée ? Si cette femme «fants seraient impurs, tandis que maintenant
en connaissant n'aurait « ils sont saints '
» Ainsi l'Apôtre appuie sou
lui appartenait, il .
la
dès avertissement sur l'espérance de gagner à
aucun commerce avec une étrangère, et
lors il ne serait point adultère cependant il ;
Jésus-Christ les époux et les enfants ; et sans

donc cette femme reste pour lui une doute que des exemples étaient là pour forti-
l'est ;

étrangère d'oi^i
;
il suit nécessairement qu'elle « T Cor. VII, 12-16.
.

LITRE PREMIER. 173

lier sa parole. Ainsi donc, nous trouvons for- « libre à l'égard de tous, je me suis rendu
mellement exprimée dans ce passage la raison « serviteur de tous, afin d'en gagner un plus
pour laquelle il n'est point avantageux que «grand nombre à Jésus-Christ ». Dans un
les époux chrétiens répudient les époux infi- autre endroit, parlant de ce qui regarde la

dèles. Il ne s'agit point sans doute de con- nourriture, il Tout m'est


s'exprime ainsi : «

server le lien conjugal, mais de gagner ces « permis, mais tout n'est point avantageux ;

époux à Jésus-Christ voilà pourquoi l'A- ;


« tout m'est permis, mais je ne me rendrai

pôtre défend de les renvoyer. « esclave de rien les viandes sont pour l'es-
;

« tomac et l'estomac pour les viandes mais ;

CHAPITRE XIV. « un jour Dieu détruira l'un et les autres » Il '


.

revient encore sur la même pensée « Tout


BEAUCOUP DE CHOSES, SANS ÊTRE PRESCRITES PAR :

« m'est permis, mais tout n'est point avanta-


LA LOI, DOIVENT ÊTRE FAITES PAR CHARITÉ.
a geux tout m'est permis, mais tout n'est pas
;

15. ne commande pas un grand nom-


La loi « édifiant. Que personne ne cherche ses inté-

bre d'actes que nous devons librement accom- « rèls, mais le bien des autres ». Pour mieux

plir par esprit de charité et ces œuvres vo- ;


préciser son idée il ajoute « Mangez de tout :

lontaires sont pour nous les plus méritoires « ce qui se vend à la boucherie, sans vous in-
;

nous sommes libres de ne point les accomplir, « former d'où cela vient, par scrupule de con-

etcependant nous les accomplissons par cha- « science ^ ». Et cependant il ne craint pas de

rité. dire ailleurs « Je ne mangerai jamais de


:

C'est ainsi que le Seigneur, après avoir « chair, pour ne pas scandaliser mon frère ^ o.
montré qu'il n'était point obligé de
payer le Ailleurs encore « Toutes les viandes sont
:

tribut, lepaya cependant pour ne point scan- « pures, mais un homme fait mal den manger

daliser ceux au salut desquels il s'était consa- «lorsque par là il scandalise ses frères*».
cré en se faisant homme K Ecoutons ensuite « Tout est permis », signifie ici « Toutes les :

l'Apôtre traitant le même sujet « Etant libre : « viandes sont pures » « Tout n'est point ;

« à l'égard de tous, je me suis rendu serviteur « avantageux» est synonyme de « un homme


;

« de tous, pour en gagner un plus grand nom- « fait mal d'en manger si par là il scandalise
« bre à Jésus-Christ». Un peu plus haut il « ses frères »

avait dit : « N'avons-nous pas le pouvoir de Dans tout ce qui précède, l'Apôlre prouve
«manger et de boire? N'avons-nous pas le donc clairement que beaucoup d'actions qui
« pouvoir de mener partout avec nous une ne sont l'objet d'aucun précepte de la loi,
« sœur, comme font les autres apôtres, les tombent directement sous les conseils de la
« frères du Seigneur et Céphas? Serions-nous charité. Et c'est la pensée exprimée dans la
« seuls, Barnabe et moi, qui n'aurions pas le parabole du blessé de Jéricho, que le Samari-
« pouvoir d'en user de la sorte ? Qui donc va tain confie à un maître d'hôtel, en lui disant
« jamais à la guerre à ses dépens? qui plante qu'il se chargedes dépenses qui seront jugées
« une vigne et n'en recueille pas les fruits ? nécessaires, en plus de ce qu'il a avancée On
« qui paît le troupeau et ne se nourrit point ditde ces actions qu'elles ne sont pas com-
« du lait du trou[)eau » ? Un peu plus loin il mandées par le Seigneur, mais en même temps
ajoute: « Si d'autres usent de ce pouvoir à on nous avertit de les lui offrir comme pour ;

votre égard, pourquoi n'en userions-nous nous montrer qu'elles lui sont d'autant plus
« pas de préférence ? Mais nous n'avons point agréables qu'elles sont plus libres de notre
« usé de ce pouvoir, et nous souffrons au con- part.
« traire toute sorted'incommodités, pour n'ap- CHAPITRE XV.
« porter aucun obstacle à l'Evangile de Jésus-
ŒLTRES PERMISES MAIS DÉSAVANTAGEUSES.
ce Christ ». Enfin il ajoute « Quelle est donc :

« ma récompense? c'est d'évangéliser gratui- 16. En parlant des œuvres permises, mais
« tement, afin de ne jamais abuser du pouvoir qui sont désavantageuses, on ne peut pas tou-
« que j'ai dans la prédication de l'Evangile -». jours dire Ceci est bien, mais cela est meil-
:

C'est alors qu'il prononce ces paroles par les- leur, comme dans ce passage de l'Apôtre :

quelles j'ai commencé cette citation : a Etant


— —
» I Cor. VI, 12, 13. = Id.
s, 22-25, • Id. viii, j3. — "
Rom.
'
Matt. xvii, 23-26. — -"
T Cor. lx, 4-19. XIV, 20. — ' Luc,
X, 33-35.
17-i DES UNIONS ADULTÈRES.

« Celui qui marie, fait bien; mais celui qui ne et que cependant l'on peut faire sans péché ?
« marie pas, fait encore mieux * ». En effet, Avec un peu de réflexion, on comprendra que
marier et ne pas marier sont deux choses l'absurdité ne se trouve que dans la forme du
permises, et tantôt c'est Tune qui est utile, langage. C'est ainsi qu'en parlant des animaux
tantôt l'autre. Pour ceux qui ne peuvent ob- sans raison nous disons qu'ils méritent d'être
server la continence, le mariage est utile, dès frappés quand ils pèchent ; cependant le pou-
lors le mariage leur est à la fois utile et permis; voir de pécher n'appartient qu'à l'être qui
quant aux personnes qui ont voué la conti- possède le libre arbitre, et parmi les animaux
nence, le mariage est à la fois défendu et mortels il n'y a que l'homme qui jouisse de
désavantageux. Or il est permis de se séparer cette prérogative. Dans le langage ordinaire il
d'un époux infidèle mais celte séparation
, faut donc distinguer le sens propre et le sens
est nuisible, tandis qu'il est à la fois et permis figuré.
et avantageux de cohabiter avec lui, s'il y CHAPITRE XVII.
consent ; si cette cohabitation n'était pas per-
CE QUI EST PERMIS SANS ÊTRE EXPÉDIENT , ET
mise, elle ne serait point avantageuse. Une
CE QUI n'est PAS EXPÉDIENT POUR n'ÈTRE PAS
chose peut donc être permise et ne pas être
PERMIS.
utile; mais ce qui n'est pas permis n'est jamais
avantageux. Ainsi, pour être racheté par le 18. Si je veux préciser cette différence, voici
sang de Jésus-Christ, il faut être homme, et ce que ma raison me dicte. Je regarde comme
cependant il n'est plus vrai de dire que tous étant permis, mais devant être évité, ce qu'au-
les hommes sont sauvés par le sang de Jésus- torise en soi la justice à l'égard de Dieu, mais
Christ. De même ce qui n'est pas permis n'est ce qui doit être évité dans la crainte de scan-
jamais avantageux mais il ne suffit pas qu'une
; daliser le prochain et de nuire au salut d'au-
chose soit désavantageuse pour en conclure trui. D'un autre côté, je regarde comme
qu'elle n'est point permise. Cary a réelle- il n'étant pas permis, et par conséquent comme
ment des choses permises qui ne sont point devant être absolument évité, ce que la justice

pour cela avantageuses, comme l'Apôtre vient même défend, d'une manière si rigoureuse,
de nous l'apprendre. que dans aucun cas cela ne soit ni bon, ni
digne d'éloge. D'où il suit que le Seigneur ne
CHAPITRE XVI. défend rien qui ne soit véritablement illicite;
quant à ce qui est licite sans être expédient,
CE QUI EST PERMIS ET CE QVl EST DÉSAVANTAGEUX
il doit être évité, non pas eu vertu d'une loi,

17. Il est très-difficile de préciser rigoureu- mais par l'inspiration libre d'une charité bien-
sement, dans une proportion générale, la dif- veillante.

férence qui existe entre ce qui, étant défendu, -19. Si donc il n'était pas permis de répudier
ne peut être avantageux, et ce qui, étant per- un époux infidèle, c'est que le Seigneur aurait

mis, n'est pas avantageux. Il est facile de faire, défendu cette répudiation, et alors l'Apôtre,
comme raisonnement
plusieurs le font, le la défendant à son tour, ne serait pas admis à
suivant Ce qu'il n'est pas avantageux de faire
:
dire: «Je dis, moi, mais non pas le Seigneur*».
est un péché, or tout péché est défendu, donc S'il est permis à l'homme de se séparer de son

ce qui n'est pas avantageux est défendu. Mais épouse à cause de la fornication de la chair,
s'il en est ainsi, comment l'Apôtre parle-t-il combien plus ne doit-on pas détester dans son
de certaines choses qu'il n'est pas expédient épouse la fornication de l'esprit, c'est-à-dire
de faire, (juoiqu'eiles ne soient pas défendues? l'infidélité ou l'idolâtrie dont il est dit: «Voici

D'un côté cependant nous n'oserions taxer « que ceux qui s'éloignent de nous périront;

saint Paul de mensonge, et de l'autre nous « vous perdez celui qui se rend coupable de

rougirions de dire qu'il y a des péchés permis. « fornication envers vous ^ ».

Il faut donc avouer qu'il y a des choses que


' I Cor. vu, 12. — ' Ps. LX.xu, 27.

l'on peut faire sans péché, quoiqu'il ne soit

pas expédient de les faire, et que dès lors on


doit éviter. Verra-t-on une absurdité à dire qu'il
y a des choses qu'il n'est pas expédient de faire
« I Cor. vu, 38.
LIVRE PREMIER. 175

CHAPITRE XYIIl. Si Tun d'eux seulement embrassait la foi, et


que la partie infidèle consentît à cohabiter, la
POURQUOI LES ISRAÉLITES NE POUVAIENT- ILS SE
partie fidèle ne trouvait aucune loi divine qui
MARIER AVEC LES INFIDÈLES, TANDIS QUE LES
lui défendît ou lui ordonnât de se séparer.
CHRÉTIENS LE PEUVENT.
Aucune défense d'abord car la justice per- ;

Toutefois cette répudiation ,


quoique per- met de se séparer en cas de fornication or le ;

mise, n'est point exjjédiente , car les hommes cœur de Ihomme infidèle est coupable de la
blesses de cette séparation des époux pouvaient plus grande fornication; et de plus on ne peut
prendre de là occasion de haïr la doctrine pas dire que ses relations avec son épouse sont
du salut, dans laquelle ce qui est illicite est vraiment pures, puisque « tout ce qui ne se
défendu; cequi les aurait exposés à s'aveugler « fait point selon la foi est péché ». Au con- ^

toujours davantage et à mourir dans leur infi- traire la partie fidèle trouve dans le mariage
délité. Voilà pourquoi l'Apôtre intervient, et une sainteté qui n'appartient pas à la partie
en avouant que cette séparation est permise, infidèle.Il suit de là qu'aucune loi ne pouvait

il la défend comme dangereuse. De cette ma- ordonner non plus aux époux chrétiens de se
nière, il est vrai de dire qu'il n'y a point de séparer des époux infidèles, puisque, dans le
loi divine qui interdise aux maris ou aux principe, leur mariage n'avait pas été contracté
femmes chrétiennes de se séparer de leurs contre les ordres de Dieu.
époux infidèles, comme il n'y a point de loi 21. C'est donc parce que le Seigneur n'a ni
qui leur ordonne cette séparation. Car si elle ordonné ni défendu à l'époux chrétien de se
était ordonnée par une loi, le conseil de l'A- séparer delà partie infidèle, que l'Apôtre dé-
pôtre serait inutile et coupable, puisque un clare que c'est lui et non le Seigneur qui leur
bon serviteur ne peut jamais défendre ce que défend de se séparer; et en cela il était animé
le Maître ordonne. de l'Esprit-Saint, par qui dès lors il pouvait
20. Autrefois, par l'organe du prophète donner un conseil sage et salutaire. Après
Esdras, le Seigneur commanda cette sépara- avoir dit de la femme dont le mari est mort :

tion, et elle se réalisa. Les Israélites qui avaient « Ellle sera plus heureuse si, selon mon con-
épousé des femmes étrangères durent les « seil, elle persévère dans la continence », il

renvoyer \ car elles étaient pour eux une ajoute aussitôt : « C'est là ma pensée, et en
tentation séduisante vers l'idolâtrie , tandis « cela je possède l'Esprit de Dieu », comme
qu'eux ne pouvaient rien pour gagner leurs s'il eût craint que le conseil qu'il donnait ne
femmes au vrai Dieu. Car, à cette époque, la parût venir de l'homme et non pas de Dieu,
grâce du Sauveur ne brillait pas encore dans et par là même
ne fût digne de mépris. Com-
tout son éclat; d'un autre côté la multitude prenons dès lors que quand, en dehors d'un
judaïque ne soupirait qu'après les promesses précepte formel de Dieu, son fidèle serviteur
temporelles contenues dans l'Ancien Testa- nous donne un conseil, il le donne d'après
ment; or ces Juifs, voyant que les idolâtres une ins|»iration réelle du Seigneur. Un catho-
étaient comblés de ces biens temporels qu'ils lique dira-t-il que quand l'Esprit-Saint con-
regardaient comme la plus grande récompense seille, ce n'est pas Dieu qui conseille ? Le
qu'ils pussent attendre du Seigneur, conser- Saint-Esprit cesse-t-il d'être Dieu, ou les œu-
vaient d'abord, grâce aux caresses de leurs vres de la Trinité ne sont-elles pas insépara-
femmes une grande crainte d'offenser les
, bles ? Or l'Apôtre nous dit : « Quant aux
dieux étrangers, puis ils se laissaient amener « vierges, je n'ai point reçu de précepte du
insensiblement à les adorer. Voilà pourquoi « Seigneur; je donne seulement un conseil ».
le Seigneur avait défendu à son peuple, par Et aussitôt, pour nous faire entendre que ce
l'organe de Moïse d'épouser des femmes
, conseil lui est inspiré par Dieu, il ajoute :

étrangères ^ Le Seigneur n'était donc que « Comme ayant obtenu moi-même miséri-
juste en leur ordonnant de quitter ces femmes « corde, afin que je fusse fidèle». C'est donc -

qu'ils avaient épousées malgré sa défense. Mais selon Dieu qu'il donne ce conseil fidèle dans
quand l'Evangile commença à se répandre le Saint-Esprit dont il dit « Or je pense que :

parmi les nations, il trouva naturellement des «je possède l'Esprit de Dieu. »
mariages où les deux époux étaient idolâtres. 22. Cependant autre chose est un comman-
' II Esù. X, 11, 12. — ' Dent, vu, 3. '
Rom. XIV, 23. —M Cor. vu, 40, 25.
J76 DES UNIONS ADULTÈRES.

dément formel de Dieu, autre chose nn conseil permis n'est pas expédient. Au contraire ,

donné par un de ses serviteurs, quand il suit quand il s'agit du mariage et de la virginité,

en cela Tinspiration de la charité, qui lui a ces deux états étant permis, aucun précepte du
été donnée par le Seigneur dans sa miséri- Seigneur n'oblige à l'un, à l'exclusion de
corde. On ne peut aller contre un précepte, l'autre bien plus, chacun de ces deux états
;

mais on peut résister à un conseil, en observant est expédient, l'un moins, l'autre plus, et c'est
toutefois que ce qui est permis est tantôt expé- à celui des deux qui l'emporte sur l'autre que
dient et tantôt ne l'est pas. Ce qui est licite est l'Apôtre nous invite par un conseil qu'il n'est
aussi expédient, quand non-seulement il est pas donné à tous de comprendre. Mais quand
permis par les règles de la justice divine, mais il s'agit de renvoyer ou de conserver une
encore quand il n'apporte aucun obstacle au épouse infidèle, si les deux alternatives sont
salut de nos frères. Tel est i)ar exemple le permises devant Dieu, qui n'a interdit ni l'une
conseil donné par l'Apôtre à une vierge de ne ni l'autre, elles sont loin d'être avantageuses,
pas s'engager dans le mariage; ce n'est qu'un à raison de l'infirmitéhumaine voilà pour- ;

conseil, car il avoue lui-même qu'il n'y a quoi l'Apôtre défend ce qui, à ses yeux, n'est
aucun précepte à ce sujet le mariage est ; pas expédient. De
en portant cette dé-
plus,
donc permis, c'est même un bien en soi, fense, l'Apôtre ne
qu'user de la liberté
faisait
quoique la virginité soit préférable et ce ; qu'il tenait du Seigneur, puisque Dieu ne
mariage permis en soi est môme expédient; défend pas ce que l'Apôtre conseille, et l'Apôtre
car il est permis de chercher dans un mariage ne défend pas ce que Dieu ordonne. Autre-
honnête à retenir l'inclination maladive de la ment l'Apôtre se fût abstenu de conseiller
chair vers des actes coupables et défendus, quoique ce soit contre la défense divine, et
sans nuire au salut de personne bien que ; de prohiber quoique ce soit contre l'ordre
d'un autre côté cependant il serait plus méri- divin.
toire à une vierge d'embrasser le conseil, là Enfin, dans le rapprochement de ces deux
où le précepte ne l'oblige pas. Au contraire, propositions, l'une regardant le mariage et la
ce qui est licite n'est pas expédient, quand, virginité, et l'autre regardant le renvoi ou la
quoique permis en soi, il devient par l'usage conservation d'un époux infidèle, nous trou-
qu'on en fait un obstacle au salut de nos vons des similitudes et des différences. « Je
frères. Telle est dans le sujet qui nous occupe « n'ai pas reçu de précepte de la part du Sei-
la séparation d'un époux chrétien d'avec son « gneur, c'est seulement un conseil que je
conjoint infidèle. Le Seigneur ne défend pas « donne » ces paroles ont pour pendant
;

cette séparation, parce que devant lui elle celles-ci « C'est moi qui le déclare, et non le
:

n'est pas une injustice mais l'Apôtre la dé-


; «Seigneur». En effet, c'est la même chose
fend au nom de la charité, parce qu'elle est un de dire « Je n'ai pas reçu de précepte du
:

obstacle au salut des infidèles. Ceux-ci efifec- « Seigneur, c'est nn conseil que je donne » ;

tivemenl en sont scandalisés et offensés ;


et de dire « Ce n'est pas le Seigneur qui le
:

ensuite ceux qui sont ainsi répudiés con- « déclare, c'est moi-même». Maintenant, voici

tractent ordinairement un nouveau mariage des différences en parlant du mariage ou de


:

du vivant de leur première épouse, et ces la virginité, on peut dire le premier est bon,:

unions adultères ne se rompent ensuite que la seconde est meilleure, puisque ces deux
très-difficilement. états sont expédients, l'un plus, l'autre moins;

CHAPITRE XIX.
mais quand il s'agit de renvoyer ou de con- I
server un époux infidèle, comme le second
RESTER VIERGE ET CONSERVER UNE ÉPOUSE parti seul est expédient, on ne peut pas dire :

INFIDÈLE. celui qui renvoie fait bien, mais celui qui ne


renvoie pas fait mieux ; on ne peut que lui
23. S'il est dit dans l'Ecriture : « Celui qui défendre de renvoyer, en raison même des
c( marie, fait bien, mais celui qui ne marie inconvénients qu'il y aurait à renvoyer l'époux
« pas, fait mieux » ;on ne peut pas dire de infidèle, quoiqu'en soi ce renvoi soit permis.
même : celui qui renvoie une partie infidèle, Nous pouvons donc dire qu'il est mieux de ne
fait bien, mais celui qui ne la renvoie pas, pas renvoyer la partie infidèle, quoiqu'à la

fait mieux ; la raison en est qu'ici ce qui est rigueur on ait le droit de le faire. Le mieux.
LIVRE PREMIER. \"

c'est donc aussi ce qui est tout à la fois permis CHAPITRE XXI.
et expédient, et non ce qui, étant permis, n'est
MARIAGES CONTRACTÉS ET MARIAGES A CONTRACTER
pas expédient.
AVEC DES INFIDÈLES.
CHAPITRE XX.
25. Mais vous êtes d'un avis différent, car
QUAND LES PAROLES DE l' APÔTRE NE RENFERMENT- vous soutenez que l'on doit s'interdire et re-
ELLES qu'un CONSEIL. garder comme aussi défendu ce que l'Apôtre
défend, que si Dieu lui-même l'eût défendu.
en expliquant le grand
24. Voilà pourquoi, Aussi, lorsque vous avez voulu expliquer le
sermon sur montagne, lorsque je fus arrivé
la sens de ces paroles de l'Apôtre, s'adressant
à la question du divorce et que j'eus invoqué aux fidèles mariés à des infidèles « C'est moi :

le témoignage de rApûtre, je déclarai que « qui vous le dis, et non le Seigneur » vous ;

saint Paul ne formulait qu'un conseil et non avez dit expressément : « C'est que le Sei-

pas un quand il s'écriait


précepte « C'est : « gneur mariage entre religions
a interdit le
« moi qui déclare et non pas le Seigneur », « différentes » citez ensuite ce témoi-
; vous
que ceux qui ont des époux infidèles ne gnage de l'Apôtre « Tu ne prendras point :

doivent pas les renvoyer s'ils consentent à la « pour ton fils une femme parmi les filles

que c'était là un conseil,


cohabitation. Je dis « étrangères^ de crainte qu'elle ne l'entraîne

non pas un précepte, parce que les choses « au culte de ses dieux et que son àme ne pé-

permises, quoiqu'elles ne soient pas avanta- « risse ». Vous ajoutez encore ces paroles du
'

geuses, ne peuvent pas être prohibées aussi même Apôtre « La femme est liée pendant
:

absolument que les choses illicites. Si dans « toute la vie de son époux. Si ce dernier vient
d'autres passages l'Apôtre semble n'exprimer a à mourir, la femme est libre de se marier de
qu'un conseil, là où il faudrait un ordre, c'est « nouveau, mais dans le Seigneur ^ », ce que
qu'il a voulu user d'indulgence à l'égard de vous expliquez en disant que ces mots :

la faiblesse humaine, plutôt que de préjuger « Dans le Seigneur », signifient à un chréUen.

par un commandement formel. Nous l'enten- Vous concluez ainsi :

dons s'écrier « Ce n'est pas pour vous con-


: « Tel est donc le précepte du Seigneur, soit

« fondre que je vous écris ces choses, mais je « dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testa-

« vous avertis comme des enfants bien-ai- « ment tes époux doivent avoir la même
:

« mes ». Est-ce dire


' « C'est moi qui décrète: «religion et la ir.ème foi ». Mais si dans
et non le Seigneur? » De même quand il l'Ancien comme dans le Nouveau Testament,
écrit aux Calâtes « Voici que moi, Paul, je
: c'est un précepte formel du Seigneur, claire-
« vous enseigne que si vous vous croyez encore ment enseigné par l'Apôtre, de fonder l'union
« tenus à la circoncision, le Christ ne sera du mariage sur l'unité de foi et de religion,
« plus pour vous d'aucune utilité ^ » ; est-ce comment donc, contrairement au précepte du
comme s'il disait « C'est moi qui vous le dé-
: Seigneur, contrairement à sa doctrine, con-
« clare et non le Seigneur? » Si donc l'Apôtre trairement à l'Ancien au Nouveau Testa-
et
ne formule qu'un avertissement là où le ment, l'Apôtre ordonne-t-il que les époux
Seigneur a formulé un ordre, pourquoi y qui ont une foi différente, restent cependant
chercher une contradiction? Eh ne pouvons- ! unis ? « C'est parce que, dites-vous, saint Paul,
nous avertir ceux qui nous sont chers d'ob- « prédicateur et apôtre des nations, s'adres-
server les préceptes ou les ordres de Dieu? « sant à ceux qui sont déjà dans le mariage,
Mais quand nous lisons « C'est moi qui vous : « non-seulement conseille, mais ordonne que,
« le dis, et non le Seigneur », nous voyons « si l'un des deux époux devient chrétien et

clau'ement que l'Apôtre défend ce que le Sei- « que l'autre reste païen, l'époux chrétien ne
gneur n'avait pas défendu or, le Seigneur ;
« doit pas user du divorce quand l'autre partie
l'aurait défendu si c'eût été illicite. De là je « consent à la cohabitation ». Ces paroles mon-
conclus, comme je l'ai déjà fait plus longue- trent évidemment que vous voyez ici une diffé-

ment, que la séparation est licite au point de rence importante. En effet, il s'agit d'abord des
vue de la justice, mais qu'elle ne l'est pas au mariages à contracter or, ils sont soumis à ;

point de vue d'une libre bienveillance. défend à chacune des deux parties
la loi qui
' I Cor. IV, 14. — ' Gai. v, 2. Deiit. vi[, .•?, 4. — ' I Cor. vit, 30.

S. AuG. — Tome XII. 12


178 DES UNIONS ADULTÈRES.

de s'unir à un époux de culte difiFérent ; « car, d'abord alléguée. Voyez donc si ce motif n'est
« dites-vous,y a sur ce sujet un précepte
il pas celui-là même que je vous ai signalé, et
« formel porté par Dieu, par l'Apôtre et par que je maintiens, quand j'affirme que le Sei-
«les deux Testaments ». Mais comment ne gneur parle lui-même, lorsqu'il énonce ce que
pas convenir que ce qui s'applique aux ma- prescrit à ses yeux l'inviolable justice, quand
riages à contracter ne peut pas s'appliquer aux il ordonne ou qu'il défend sans permettre
mariages déjà contractés ? Quand les deux d'agir jamais d'une manière ditférente lors- ;

époux se sont unis, ils étaient tous deux infi- que, au contraire, il laisse libre de faire ou de
dèles puis est venue la prédication de l'Evan-
; ne pas faire sans qu'il y ait prévarication, il
gile, l'un des deux s'est converti, l'autre est permet à ses serviteurs de conseiller ce qui
resté dans l'infidélité. Pourquoi donc le Sei- leur paraîtra le plus expédient.
gneur n'a-t-il pas ordonné, comme l'a fait
saint Paul, que l'époux fidèle demeurât avec CHAPITRE XXII.
la partie infidèle ? Ne serait-ce pas le lieu
DIVORCER, ET ÉPOUSER UNE AUTRE FEMME, POUR
d'appliquer ces paroles de l'Apôtre : «Voulez-
LA RENDRE CHRÉTIENNE, C'EST SE RENDRE COU-
« vous faire l'épreuve de celui qui parle en
PABLE d'adultère.
« moi, c'est-à-dire du Christ *
? » Or, le Christ
n'est -il pas le Seigneur? Comprenez-vous la 27. Le grand principe à suivre, c'est donc
portée de mes paroles? Dois-je m'expliqucr d'éviter ce qui est illicite. Mais quand deux
plus longuement? choses opposées sont l'une et l'autre permises,
26. Eh bien rendons cette vérité aussi sen-
! la règle à observer c'est de faire ce qui est ex-
sible et évidente que possible. Voici deux pédient ou le plus expédient. Lorsque le Sei-
époux, tous deux victimes d'une même infi- gneur parle comme maître souverain, en d'au-
délité ; ils en étaient là quand ils se sont unis. quelque chose
tres termes, lorsqu'il prescrit ,

Sur ce point, aucune difficulté, car il n'y avait non pas sous forme de conseil, mais avec
la
pas lieu de leur appliquer la défense portée l'empire de son autorité, il n'est pas permis de
par le Seigneur, la doctrine formulée par ne pas obéir ne pas obéir ne serait jamais
;

l'Apôtre, ni le précepte de l'Ancien et du Nou- avantageux. Or voici ce que le Seigneur pres-


veau Testament qui interdit à un époux fidèle crit « Que la femme ne se sépare pas de son
:

de s'unir à une épouse infidèle. Les voilà « mari si elle s'en sépare », même pour le
;

mariés et tous deux sont encore infidèles motif qui rend la séparation licite, « qu'elle
comme ils l'étaient avant leur mariage. Sur- « reste dans la continence, ou qu'elle se récon-
vient la prédication de l'Evangile; l'un des « cilié avec son époux ». En effet « la femme
'

deux embrasse la religion chrétienne, et la « est sous le joug de la loi à l'égard de son
partie restée infidèle consent àla cohabitation. « mari jusqu'à la mort de celui-ci, et pendant

Le Seigneur défend-il à l'époux chrétien de « la vie de son mari elle sera adultère si elle
quitter l'autre époux, ou n'y a-t il aucune dé- « connaît un autre homme ^ » parce que « la ;

fense? Si vous dites que le Seigneur le défend, « femme est liée tant que vit son mari ^ Si », —
l'Apôtre réclame « C'est moi, dit-il, qui le
: donc « une femme abandonne son mari et en
«déclare et non pas le Seigneur ». Si vous « épouse un autre, elle est adultère *; et celui
dites que le Seigneur ne le défend pas, j'en de- « femme abandonnée par son
qui épouse une
mande la raison. Vous ne donnerez pas celle « coupable aussi d'adultère ». En
mari est '^

que vous avez écrite dans vos lettres, à savoir vertu de ce même précepte du Seigneur :

que le Seigneur défend aux chrétiens d'épou- Que l'homme n'abandonne point sa femme^»,
«
ser des infidèles. Celle raison est ici sans va- car « celui qui, en dehors du motif de fornica-
leur, puisqu'il ne s'agit de mariages à pas « lion, abandonne sa femme, larend adultère'».
contracter, mais de mariages déjà contractés. Et s'il l'abandonne pour cause de fornication,
Il est possible que vous n'ayez pas trouvé la il doit lui-même vivre dans la continence, car
raison pour laquelle le Seigneur s'abstient de « quiconque abandonne sa femme et enépouse
défendre ce que défend l'Apôtre, mais tou- « une autre commet l'adultère^ ».
jours est-il que vous comprenez fort bien que
cette raison ne peut être celle que vous aviez '
I Cor. vu , 10, 11. ' Rom. —
vu, 2, 3. — ' I Cor. vu, 30. —
" Marc, X, 1. 2. —
' Matt. xix, 9. ' —
1 Cor. vu, 11. — ' Mau. v, 3>.
Il i-'or. xiii, 3. — ' Luc, XVI, 18.
,

LIVRE PREMIER. 179

Ce sont là tout autant de comnnandements tout homme, sans exception, qui renvoie sa
formulés par le Seigneur, on doit les observer femme et en épouse une autre, est adultère.
sans aucune restriction. Que les hommes ap-
prouvent que les hommes désapprouvent
,
CHAPITRE XXIII.
peu importe il suffit que la souveraine justice
:
ON NE SAURAIT, EN VUE DU BIEN, FAIRE LE MAL.
se soit prononcée, pour qu'on soit obligé de
les accomplir, dùt-on alléguer que les hommes 29. Admettons que le mari dont nous par-
en sont scandalisés, qu'ils y trouvent un pré- lons a répondu au tentateur qu'il lui est permis
texte pour refuser le salut que Jésus-Christ de renvoyer sa femme adultère, mais qu'il lui
leur apporte. Quel chrétien d'ailleurs oserait est défendu d'en épouser une autre. Voici le
dire : Pour ne pas offenser les hommes , ou tentateur qui lui réplique : Commets ce pé-
pour les gagner à Jésus-Christ, je rendrai ma ché, afin de gagner à Jésus-Christ l'âme de
femme adultère , ou je le deviendrai moi- cette femme encore ensevelie dans la mort de
même ? l'infidélité, mais qui est résolue à se faire chré-
28. 11 peut arriver qu'après avoir renvoyé tienne si tu l'épouses. A cela que répondre,
sa femme pour cause d'adultère, un chrétien sinon qu'une telle conduite lui attirerait toutes
se trouve épris du désir d'épouser une autre les rigueurs du jugement dont parle ainsi
femme encore païenne, mais qui, désireuse de l'Apôtre « N'en est-il pas qui disent
: faisons :

contracter ce mariage, lui promet sincèrement « le malafin qu'il en résulte du bien ils ; s'at-
de se faire chrétienne si cette union se réalise. « tirent par là un juste jugement* ? » Eh ! de
L'époux hésite peut-être, mais voici le ten- quoiservira-t-il à une femme d'être chrétienne,
tateur qui lui dit LeSeigneur a formulé cette
: si son mariage la rend adultère ?

sentence « Quiconque : ayant renvoyé sa ,

« femme sans le motif d'adultère, en épouse CHAPITRE XXIV.


« une autre, la rend coupable d'adultère » :
RIEN n'autorise AROMPRE LE VCEU DE CONTINENCE.
pour vous qui avez renvoyé la vôtre pour cause
d'adultère, vous ne serez pas coupable en con- 30. Il est donc bien établi que tout homme
tractant alliance avec une autre. A cette sug- qui renvoie sa femme et en épouse une autre,
gestion, il doit répondre avec une conviction se rend coupable d'adultère, lors même qu'il
inébranlable, que celui qui ayant renvoyé sa ne l'épouserait que dans l'intention de la ren-
femme, sans l'avoir convaincue d'adultère, en dre chrétienne. Bien plus, celui qui, resté
épouse une autre, se rend coupable d'un crime vierge, a voué à Dieu sa continence, doit être
plus grand mais que celui qui renvoie sa
, persuadé qu'il ne trouvera jamais aucune com-
femme adultère et en épouse une autre, n'en pensation au péché qu'il commettrait en se
est pas moins coupable d'adultère. De même mariant lors même qu'il n'aurait en cela
,

celui qui épouse une femme renvoyée sans d'autrebutquede rendre sa femme chrétienne,
aucun motif d'adultère, se rend certainement et qu'il en aurait déjà obtenu formellement la
coupable d'adultère, ce qui n'empêche pas que promesse. Avant son vœu, le mariage lui était
celui qui épouse une femme renvoyée pour permis il ne l'est plus depuis ce vœu. Nous
;

cause d'adultère ne soit coupable encore. Car supposons toutefoisque la matière de son vœu
si le passage de saint Matthieu est enveloppé est légitime. Mais il est permis de vouer la
d'une certaine obscurité, parce que la partie y virginité perpétuelle, ou même la continence,
est prise pour le tout, les autres évaugélistes, soit après la dissolution du mariage, soit par
en traitant cette question d'une manière géné- suite du consentement réciproque des deux
rale, n'ont laissé place à aucun doute. Ainsi époux qui s'engagent à vivre dans la chasteté;
nous lisons dans saint Marc « Quiconque : car ce vœu serait interdit, si les deux époux ne
« renvoie sa femme et en épouse une autre prenaient les mêmes engagements chacun de
« commet un adultère » et en saint Luc ; : son côté. Or toutes les foisqu'un vœu est revêtu
« Tout homme qui renvoie sa femme et en de toutes les conditions nécessaires, on ne doit
« épouse une autre, est adultère ». 11 n'y a pas plus le rompre pour quelque motif que ce
icià distinguer entre ceux qui sont adultères soit. Le Seigneur n'a-t-il pas dit « Vouez au :

etceux qui ne le sont pas la sentence est ab- ; « Seigneur votre Dieu et accomplissez vos en-

solue « quiconque renvoie sa femme» donc


:
;
\so DES UNIONS ADULTÈRES.

« gagements *
? » L'Apôtre parlant de certaines Cependant comme cette séparation n'est
femmes qui avaient voué la continence et qui l'objetd'aucune défense de la part du Sei-
après voulaient se marier : « Elles sont » , dit- gneur, elle est licite, mais on ne doit pas se la
il, «dans unde damnation, parce qu'elles
état permettre, puisqu'elle n'est pas avantageuse.
« ont viole leurs premiers engagements^ ». En effet, comme nous l'avons prononcé plus
31. Ce qui est illicite n'est donc jamais haut, l'Apôtre enseigne clairement que tout
avantageux, et tout ce que Dieu défend, est par ce qui est permis n'est pas pour cela avanta-
le fait même illicite. geux. Quel que soit donc
genre de fornica-
le
tion, que ce de la chair
soit la fornication
CHAPITRE XXV. par l'adultère, ou celle de l'esprit par l'infi-
délité, après avoir renvoyé son mari, il n'est
RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.
pas permis d'en épouser un autre, et après
Quant aux actions qui ne sont pas l'objet avoir renvoyé sa femme, il n'est pas permis
d'un précepte du Seigneur, et sur lesquelles d'en épouser une autre non plus, car le Sei-
nous conservons notre liberté, écoutons les gneur a dit sans restriction possible « Si :

avertissements de l'Apôtre qui, inspiré du « une femme renvoie son mari et en épouse

Saint-Esprit, nous conseille de tendre à ce qui « un autre elle, est adultère » et « quiconque
; :

est plus parfait ou d'éviter ce qui n'est pas « renvoie sa femme et en épouse une autre,

expédient. Ici il nous dit « Je n'ai point à : (( est adultère ».


« formuler un précepte du Seigneur, mais je
CHAPITRE XXVI.
« donne un conseil » et encore « C'est moi ; :

etqui parle et non le Seigneur ». Ailleurs in- BAPTÊME A CONFÉRER AUX CATÉCHUMÈNES
vitant à choisir le plus parfait: «Que celui EN DANGER DE JIORT.
« qui n'est pas marié ne cherche point d'é-
« pouse ; cependant en se mariant il ne pèche 32. Outre ces questions que j'ai traitées selon
« pas » ;
plus loin, il conseille de rester vierge : mon faible pouvoir, je n'ignore pas que la
« Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux, et matière des mariages est très-obscure et-très
« celui qui la marie fait bien ». En parlant de compliquée. Loin de prétendre avoir éclairci
la femme proclame
qui a perdu son mari, il toutes lesdifficultés qui l'entourent, soitdans cet
qu'elle sera plus heureuse en restant dans la ouvrage, soit dans tout autre, je n'oserais
continence cependant elle peut se marier,
; même affirmer que je pourrais les résoudre.
« pourvu que ce soit dans le Seigneur». Celte Maisil est une autre question que vous m'avez

dernière parole peut avoir ce double sens : proposée dans un autre billet je la résoudrais
;

que la femme susdite demeurera chrétienne, dans un ouvrage spécial si j'étais d'un autre
ou se mariera à un chrétien. En effet, je ne sentiment que vous mais comme nous
;

sache rien qui indique clairement, ni dans sommes parfaitement d'accord, je m'expri-
l'Evangile, ni dans les lettresapostoliques, que, merai en peu de mots.
depuis la promulgation de l'Evangile, le Sei- 33. Si donc des catéchumènes se trouvent
gneur ait défendu le mariage entre fidèle et in- en danger de mort et incapables, à raison de
fidèle, quoique saintCypriensoutienneouverte- la maladie ou d'un accident quelconque, de
ment que cette défense a été portée sous peine demander le baptême ou de répondre aux
de péché grave, et qu'il voie dans ce mariage un questions qui leur sont faites à ce sujet ; comme
acte qui prostitue aux gentils les membres de pendant leur catéchuménat ils ont donné des
Jésus-Christ. La question est différente quand preuves de leur foi et de leur volonté chré-
il s'agit des mariages déjà contractés à ce ; tienne, je dis qu'on peut les baptiser puisqu'on
sujet, écoutons encore ces paroles de l'Apô- baptise les enfants qui n'ont pu encore donner
tre « Si un de nos frères a une épouse
: aucun signe de volonté. Cependant nous ne
« païenne qui consent à habiter avec lui, qu'il devons pas condamner ceux qui agissent avec
« ne la renvoie pas et si une femme chré- ;
plus de réserve et de timidité que nous au- ;

« tienne a un mari infidèle qui consent à habi- trement on pourrait nous accuser de juger
« ter avec elle, qu'elle ne s'en sépare pas ^ », avec plus de sévérité que de prudence la con-
duite de nos frères à l'égard du dépôt qui leur
' Ps. LXxv, 12. — » I Tira. V, 12. —M Cor. Vil, 12, 13, 20, 27,
38, 39. est confié. C'est le lieu de nous rappeler cette
.

LIVRE PREMIER. 181

parole de l'Apôtre « Chacun de nous rendra


: avec une sorte de rage, ou ils la foulent aux
« compte à Dieu de lui-même ». Ne nous ' pieds avec mépris. Si donc le bienheureux
jugeons donc pas les uns les autres. Apôtre ne donnait aux enfants, quoique déjà
11 y a effectivement des hommes qui croient renouvelés en Jésus-Christ, que le lait de la
devoir observer dans ces circonstances et dans doctrine et non une nourriture solide « car :

d'autres, cette défense du Sauveur « Gardez- : « vous ne pouviez pas la supporter, dit-il, et
« vous de donner ce qui est saint aux chiens, « aujourd'hui encore, vous ne le pouvez pas '»;

«et de jeter vos perles aux pourceaux^». si le Sauveur lui-même dit à ses Apôtres, après

Appuyés sur ces paroles, ils n'osent baptiser leur élection « J'ai encore beaucoup d'autres
:

ceux qui ne peuvent répondre pour eux- c<choses à vous dire, mais pour le moment
mêmes, dans la crainte de faire violence à c<vous ne pouvez les entendre ^ » combien ;

leur libre arbitre. Ceci ne peut assurément moins l'esprit impur des impies peut-il sup-
s'appliquer aux enfants qui n'ont pas encore porter les enseignements de la lumière spiri-
l'usage de la raison. Mais refuser de baptiser tuelle 1

un catéchumène qui est en danger de mort,


CHAPITRE XXVIII.
n'est-ce pas une chose incroyable ? Admettons
même que nous ne sachions pas quelle est sa EN CAS DE MORT ON NE DOIT PAS REFUSER LE
volonté, est-ce qu'il n'est pas plus sage de BAPTÊME MÊME AUX CATÉCHUMÈNES QUI
,

donner le baptême à un homme qui le refuse, VIVENT DANS l'aDULTÈRE.


que de le refuser à un homme qui le désire,
quand on ne peut connaître ni le refus de l'un terminons plutôt par où nous avons
35. xMais
ni la volonté de l'autre, et que l'on a toutes commencé. Je dis donc qu'en danger de mort
les raisons possibles de croire qu'il veut rece- on ne doit pas refuser le baptême aux caté-
voir ces sacrements, dont il a appris à croire chumènes, fussent-ils engagés dans des ma-
qu'on doit les recevoir pour mourir ? riages adultères. Il en serait autrement s'ils
étaienten santé; mais si leur vie nous paraît en
CHAPITRE XXVII. grand danger, lors même qu'ils ne pourraient
CE QUE SIGNIFIE : « KE PAS JETER LES PERLES répondre pour eux-mêmes, je crois qu'on doit
« AUX POURCEAUX » les baptiser, afin que ce péché, comme les
autres, se trouve effacé dans le bain de la
34. Si ces paroles du Seigneur : « Gardez- régénération. Comment savoir, en effet, si ces
« vous de donner aux chiens ce qui est saint», malheureux n'avaient pas résolu de ne s'aban-
devaient être interprétées dans le sens de nos donner que jusqu'au baptême, aux séductions
adversaires, Jésus-Christ aurait-il donné la de la chair; si après avoir recouvré la santé,
communion à l'Apôtre qui le trahissait et pour ilsaccompliront leur résolution et si, avertisde
qui la communion devait être une cause de ce qui s'est passé, ils se rendront à leurs de-
ruine ? Il est certain cependant que le sacri- voirs, ou bien, contempteurs de la grâce reçue
lège de Juda ne peut retomber sur le Sauveur. ils comme on traite ceux qui se
seront traités
Il donc bien plus naturel de penser que,
est livrent au mal après leur baptême? Ce que
par ces paroles, le Seigneur voulait nous faire nous disons du baptême, nous devons le dire
entendre que les cœurs impurs sont impuis- de la réconciliation, quand la mort menace de
sants à porter la lumière spirituelle de l'intel- frapper un pénitent. Notre mère, la sainte
ligence. Supposez que celte lumière jaillisse Eglise, ne doit pas vouloir le laisser partir
à leurs yeux des lèvres d'un docteur, comme non plus, sans lui conférer le gage delà paix
ils ne peuvent la recevoir, ou ils la déchirent véritable.
» Rom. XIV, 12. — » Matt. vu, 6. I Cor. m, 2. — 2 Jean, xvr, 12.
DES UNIONS ADULTÈRES.

LIVRE SECOND.
liidissoliibililé du maringe, mciue après l'adwltère.

CHAPITRE PREMIER. posez que TApôtre parle d'un mari chaste;


voilà pourquoi, selon vous, il est prescrit à la
POURQUOI CE NOUVEAU LIVRE.
femme de rester dans la continence, afin de

l. Cher et pieux frère Pollenlius, en réponse pouvoir se réconcilier avec lui et de lui épar-
à votre lettre je vous ai adressé un assez gros gner le danger de l'incontinence et d'un se-
volume au sujet des mariages qui se contrac- cond mariage si sa femme légitime refusait de
tent du vivant d'un premier époux. Votre se réconcilier. Mais s'il s'agit d'un époux con-

charité en a pris connaissance, et aussitôt vous vaincu d'adultère, vous affirmez que sa femme
avez ajouté à votre travail certaines additions n'est plus tenue à rester dans la continence;
dans le but de provoquer une nouvelle ré- elle le peut si elle le désire, mais elle ne viole

ponse de ma part. Je me disposais à vous sa- aucun précepte en contractant un nouveau


tisfaire et à joindre mes observations à mon mariage. Vous en dites autant du mari; ainsi
premier pour n'en faire qu'un seul livre,
écrit vous lui défendez de quitter sa fenune si elle

quand j'appris, à mon grand étonnement, que, n'est pascoupable d'adultère; s'il s'en sépare,
sur les instances de nos frères, mon travail vous lui défendez un nouveau mariage afin
avait vu le jour sans que Ton soupçonnât qu'il qu'il puisse se réconcilier avec sa femme, à

fût nécessaire d'y rien ajouter. Je me vois donc moins toutefois que celle-ci ne préfère la con-
obligé de composer un nouveau volume en tinence. En refusant de se réconcilier avec une
réponse à vos additions. Souvenez-vous qu'au femme restée chaste, il la porterait à l'adultère,

lieu de les placer à la fin de votre volume, puisqu'il l'exposerait à épouser un second

vous les avez arbitrairement intercalées dans mari du vivant du premier; mais si le mari se
le texte primitif. sépare parce que sa femme est coupable d'a-
dultère, aucun précepte ne l'oblige à rester
CHAPITRE II. continent, et il ne sera nullement adultère en
épousant une seconde femme du vivant de la
POLLENTIUS CROIT QUE LE MARIAGE EST DISSOUS
première. L'Apôtre a dit « La femme est liée:

PAR l'adultère comme PAR LA MORT.


« pendant toute la vie de son mari si celui-ci ;

2.Lapremièredevosassertions, àlaquelleje « vient à mourir, elle recouvre sa liberté, et

crois devoir répondre, a pour objet ces paroles « peut se marier à qui elle veut'». Or, vous

de l'Apôtre «Quant aux autres je leur dis,


: pensez qu'on doit interj)réter ces ^paroles en
« moi et non pas le Seigneur, que la femme ce sens que si le mari viole la fidélité conju-
« ne doit pas se séparer de son mari; si elle gale il doit être regardé comme s'il était
« s'en sépare, qu'elle reste dans la continence mort et la femme comme si elle était morte;
«ou qu'elle se réconcilie avec son époux». dès lors si l'un des deux se rend coupable
Vous argumentez sur ces mots : a si elle s'en d'adultère, l'autre est aussi libre de contracter
« sépare»au lieu d'admettre qu'il s'agit ici
;
un second mariage que si la mort réelle était
d'un mari convaincu d'adultère, auquel cas survenue.
seulement la séparation est permise, vous sup- •
1 Cor. vu, 10, U, 39.
LIVRE SECOND. 183

CHAPITRE III. peut-être, il vit, mais il a cessé d'être son mari,


du moment que par la fornication sa femme
REFUTATION.
a brisé le lien conjugal. Mais alors comment
3. Telles sont les Idées que vous énoncez; « du vivant de son mari la femme sera-t-elle
maintenant je vous pose cette question Re- : « appelée adultère si elle s'unit à un autre
gardez-vous comme adultère Thomme qui « homme?» car, à vous en croire, il a cessé
épouse une femme devenue libre à l'égard de d'être son mari , et le lien conj ugal a été rom pu
son premier mari ? Je pense que vous ne portez par l'adultère. L'Esprit-Saint nous dit qu'elle
pas la sévérité jusque-là. Or, toute femme qui, sera adultère si elle s'unit à un autre homme,
« du vivant de son mari s'unira à un autre du vivant de son mari; de quel mari s'agit-il,
« hommCj sera appelée adultère, car elle est si ce n'est pas du sien? Mais s'il a
cessé de
«liée pendant toute la vie de son époux». l'être,ne disons donc plus qu'elle sera adul-
Otez ce lien qui l'unit à son mari vivant, et tère si du vivant de son mari elle s'unit à
un
sans aucun adultère elle pourra épouser un autre homme; puisqu'elle n'est plus mariée,
autre homme. Si donc
pendant
elle est liée qui peut l'empêcher de se marier légitime-
toute la vie de son mari, ce lien ne peut être ment? Ne voyez-vous pas que c'est là contre-
brisé que par la mort. Mais, dites-vous, la for- dire formellement la parole de l'Apôtre? Vous
nication de l'un ou de l'autre des deux époux ne voulez pas de cette contradiction, mais elle
place le coupable dans un état identique à la découle nécessairement de vos principes. Si
mort j'en conclus que la femme devient libre
;
donc vous voulezéchapperàlaconclusion, chan-
par cela même qu'elle commet l'adultère. gez les prémisses et ne dites plus que la forni-
Comment soutenir en effet que la femme est cation frappe de mort le mari ou la femme.
son mari, tandis que celui-ci est parfai-
liée à 4.. Voici donc l'enseignement véritable :

tement libre à son égard? Si 'donc par le fait « La femme


hée tant que vit son mari»,
est
même de la fornication elle a cessé d'appar- c'est-à-dire tant que son âme n'a pas quitté
tenir à son mari, celui qui l'épousera de nou- son corps; car «la femme, pendant la vie de
veau ne pourra être accusé d'adultère. « son mari, lui reste unie par la loi. Mais si
«son mari vient à mourir», c'est-à-dire se
CHAPITRE IV.
dépouille de son corps, «elle recouvre toute
SI l'on peut assimiler la fornication « sa liberté. Donc ,
pendant la vie de son
A LA MORT. « mari elle sera appelée adultère si elle s'unit
« un autre homme. Si son mari meurt, elle
à
Voyez quelle absurdité de soutenir que l'on «devient libre et elle ne sera pas adultère eu
peut, sans adultère, épouser une femme adul- «se mariant de nouveau'». Ces paroles de
tère. Une infamie plus grande encore, c'est l'Apôtre, si souvent répétées, sont la vérité, la
d'affirmer que la femme ne sera point adul- vie, la justice et la clarté même. Aucune
tère, puisqu'elle deviendra réellement l'é- femme ne peut devenir l'épouse d'un autre
pouse de son second mari. En effet, dès que homme qu'après que la mort véritable aura
l'adultère a rompu le premier lien conjugal, dissous le premier mariage; il ne s'agit pas

pourvu que le nouvel époux soit libre de son icide fornication. Ou peut donc licitement
côté, il ne pourra plus être question de ma- renvoyer une femme coupable d'adultère,
riage adultère, ce sera l'union de deux époux mais le lieu primitif subsiste dans toute sa
légitimes. Mais où sera donc la vérité de cette force; et tout homme qui épouserait une femme
parole « La femme est liée pendant toute la
: ainsi renvoyée pour cause de fornication, de-
« vie de son mari?» Direz-vous que son mari viendrait adultère par le fait même.
n'est plus en vie? Mais, d'un côté, son âme
a'esl point séparée de son corps, et de l'autre CHAPITRE V.
il est innocent de cette fornication que vous
LE MARIAGE n'eST ROMPU QUE PAR LA MORT.
assimilez à une mort véritable et cependant ;

sa femme a cessé d'être sa femme. Un tel lan- De même


que celui qui a reçu le baptême,
gage u'esl-il pas en opposition directe avec ce s'il rend coupable de quelque crime, est
se
mot de l'Apôtre : « La femme est liée tant (jue soumis aux rigueurs de l'excommunication
« vit son mari? » Sans doute, me direz-vous » Ror.i. VII, 2 et 3.
.

18i DES UNIONS ADULTERES.

et conserve le caractère du sacrement alors plus Pourquoi regarder encore comme


facile.

même qu'il jamais réconcilié avec


ne serait adultères ceux que le baptême a régénérés ou

Dieu de même une femme peut être ren-


;
que nous croyons guéris par la pénitence?
voyée pour cause de fornication, mais le lien Ces crimes pour l'expiation desquels la loi an-
conjugal n'en subsiste pas moins, et il sub- cienne n'avait point de sacrifices, sont main-
sisterait toujours lors même qu'aucune récon- tenant expiés par le sang du Nouveau Testa-
ciliation n'aurait jamais lieu; ce lien ne cesse ment; voilà pourquoi il était alors si rigou-
pour la femme que par la mort de son mari. reusement défendu à un homme de recevoir
Le fidèle frappé d'excommunication, dùt-il son épouse quand elle avait connu un autre
jamais ne se réconcilier, ne sera jamais dé- mari. Nous lisons cependant que la fille de
pouillé du sacrement de la régénération parce Saûl, donnée d'abord à David pour épouse et
que Dieu ne meurt point. Tenons-nous-en donc livrée ensuite par son père à un autre mari,
au véritable sens de l'Apùtre et gardons-nous fut reprise par David, qui en cela ne désobéis-
d'attribuer à l'adultère les effets de la mort sait à la loi ancienne que pour préfigurer le

corporelle, pour en conclure que sa femme Nouveau Testament K Maintenant, depuis que
peut contracter un nouveau mariage. 11 est Jésus-Christ a dit à la femme adultère « Ni :

vrai, l'adultère donne la mort non pas au corps « moi, je ne vous condamnerai pas, allez et
mais à l'àme, ce qui est pire; or, ce n'est pas « ne péchez plus à l'avenir», qui ne comprend

de la mort de l'àme que l'Apôtre parlait quand qu'en voyant le Seigneur pardonner, un mari
il disait « Si le mari est mort, la femme peut
: doit pardonner aussi et ne plus reprocher l'a-
« épouser qui elle voudra» il n'est ici ques-
;
dultère à celle qui en a fait pénitence et à qui
tion que de la mort physique et naturelle. Si la miséricorde divine a fait grâce ?

le lien conjugal était brisé par l'adultère de


l'épouse, il en résulterait cette infamie dont CHAPITRE VII.

j'ai montré toute l'horreur, que la femme se QUE SONT CES MARIS QUI SÉVISSENT CONTRE
trouverait libre par le seul fait de son crime ; LEURS FEM.MES ADULTÈRES ?
elle pourrait dès lors sans être adultère épouser
un autre mari, puisque son adultère aurait 6. Mais cette conduite du Sauveur soulève
rompu tous les liens qui l'unissaient à son pre- l'indignation des infidèles; on trouve môme
mier mari. Une telle conclusion révolte non- des chrétiens de peu de ou plutôt ennemis
foi

seulement un chrétien mais le sens commun, de la vraie foi, qui craignant Fimpunité pour
lequel proclame à sa manière la vérité de celte leurs femmes, arrachent des exemplaires sa-
parole La femme est liée tant que vit son
: « crés de l'indulgence accordée par
le récit
« mari » ou, pour parler plus clairement, tant
;
Jésus-Christ à la femme adultère. Mais a-t-il
que son mari est présent dans son corps. Il donné la permissionde pécher, Celui quiadit:
faut en dire autant du mari à l'égard de sa « Désormais ne péchez plus? » ou bien pour
femme. Veut-il donc la renvoyer? Qu'il se éviter le scandale de ces malades. Dieu, le
garde bien d'en épouser une autre s'il ne veut souverain médecin de nos âmes, devait-il re-
pas se rendre coupable du même crime que fuser de guérir cette femme en lui pardon-
sa femme. De même si la femme abandonne nant son péché? Gardons-nous de croire que
son mari pour cause d'adultère, qu'elle s'ab- ceux qui s'irritent de cette conduite du Sau-
stienne d'en épouser un autre, car elle est liée veur, soient eux-mêmes d'une pureté sans
pendant toute la vie de sou mari la mort seule ; tache et d'une austère chasteté mettons-les :

de ce dernier peut lui permettre d'épouser un plutôt au nombre de ceux à qui le Sauveur
autre homme sans se rendre coupable d'adul- adresse ces mots « Que celui d'entre vous qui
:

tère. « estsans péché lui jette la première pierre »


CHAPITRE M. Ceux qui entendaient ces paroles, sentant tout
à coup les tourments de la conscience, s'éloi-
DE LA RÉCONCILIATION ENTRE ÉPOUX
gnèrent et cessèrent de tenter le Sauveur et de
APRÈS l'adultère.
poursuivre cette femme adultère-. De nos jours
5. Il vous paraît dur qu'un époux puisse se au contraire nous en trouvons (jui sont ma-
réconcilier avec l'autre époux coupable d'a- lades et qui repoussent le médecin, qui, cou-
dultère ; supposez la foi vive et rien ne sera » II Roif, m, U. — ' Jean, vui, 7-U.
LIVRE SECOND. 185

pables d'atlultère sévissent contre leurs fem- pudeur que la femme; puisqu'on cette ma-
mes adultères. Si on leur disait, non pas seu- tière en particulier ils préfèrent obéir aux lois
lement en général « Que celui d'entre vous
: du monde plutôt qu'à celles de Jésus-Christ^
«qui est sans péché», mais d'une manière parce qu'à leurs yeux la législation civile
plus précise que celui qui est innocent de ce
: semble mettre une différence en matière
péché, « lui jette la première pierre» peut- ;
d'honnêteté entre l'homme et la femme, qu'ils
être cela leur donnerait-il à réfléchir et à re- lisent les décrets portés par l'empereur An-
connaître enfin qu'ils sont bien coupables de tonin, quoique païen; ils y trouveront qu'un
réclamer à grands cris la mort d'une femme mari qui, dans ses mœurs n'a pas donné
adultère, eux qui seraient morts depuis long- l'exemple de la chasteté, n'a aucun droit d'ac-
temps pour le même crime, si Dieu ne les cuser sa femme du crime d'adultère, et que
avait épargnés dans son infinie miséricorde. tous deux seront également punis s'ils sont
tous deux convaincus du même crime. Voici
CHAPITRE VIII. les paroles de cet empereur telles que Gré-
gorien nous les rapporte « Mes lettres
EN CAS d'adultère RÉCIPROQUE, l'hOMME :

« ne favoriseront aucun parti. Si vous êtes


EST PLUS COUPABLE QUE LA FEMME.
« cause de la rupture du mariage, et que la

7. Malgré ces sages paroles, ils s'obstinent « nouvelle union d'Aspasie votre femme soit

dans leur coupable sévérité ils vont même ; « conforme à la loi Julia, en vertu du présent

jusqu'à s'irriter contre la vérité et répondent «rescritelle ne sera pas condamnée pour cause
à peu près en ces termes : Mais nous sommes « d'adultère, à moins que le fait ne soit bien

des hommes de notre sexe ne se


; la dignité « constant. Les juges recherciieront avec soin
verrait-elle pas outragée, si le châtiment ré- « si par une vie chaste vous avez porté votre
servé aux femmes devait nous atteindre quand « femme à l'amour des bonnes mœurs. En
nous sortons des règles de la fidélité conju- « effet, je regarde comme une profonde ini-
gale? Puisqu'ils sont si fiers d'être hommes, « quité que l'homme exige de sa femme une
ne devraient-ils pas enchaîner plus virilement «retenue qu'il ne prati(|ue pas lui-même;
leurs concupiscences coupables? Puisqu'ils « une telle conduite peut attirer la condam-

sont hommes, ne doivent-ils pas se rendre « nation du mari sans faire cesser toute poiu^-
,

plus parfaitement les modèles de leurs fem- « suite, et, sous prétexte que le crime est
mes dans la pratique de cette vertu? Puis- « réciprocjue, sans établir une sorte de com-
qu'ils sont hommes, ne doivent-ils pas être « position entre les deux époux ».
plus forts pour résister à la passion ? Puisqu'ils l'honneur de la patrie terrestre exigeait
Si
sont hommes, enfin, ne doivent-ils pas éviter de règlements quelle chasteté plus grande
tels ;

avec plus de soin d'être les esclaves de la dé- encore ne doit pas exiger la cité céleste et la
bauche de la chair? Et cependant ils s'indi- société des Anges ? Concluons du moins que
gnent apprennent qu'on a infligé à des
s'ils loin d'être plus excusable dans les hommes,
hommes le châtiment réservé aux femmes l'impureté revêt en eux un caractère d'autant
adultères que n'avouent-ils plutôt que des
;
plus prononcé de malice et de honte, qu'ils se
châtiments plus sévères devraient frapper ceux gonflent de plus d'orgueil et qu'ils se vantent
qui ont plus de force pour vaincre et qui doi- avec plus de licence. Que les hommes cessent
vent conduire les femmes par l'exemple ? donc de s'indigner contre le pardon accordé
C'est aux chrétiens que je m'adresse, à ceux par Jésus-Christ à adultère que
la femme :

qui recueillent fidèlement cette parole : plutôt ils danger qui les me-
reconnaissent le
« L'homme est le chef de la femme ^ » ;
puis- nace et qu'ils viennent humblement chercher
qu'ils se croient les chefs, qu'ils n'imposent aux pieds du Sauveur le remède à la maladie
donc aux femmes que l'obligation de les sui- qui les travaille. Cequis'estfaitpourellene leur
vre, et dès lorsque dans leurs actions ils ne est pas moins nécessaire; puissent-ils recevoir
tracent pas une voie oi^i ils ne veulent pas être laguérison de leurs adultères, s'arracher*à ces
suivis par leurs femmes. crimes, louer la patience de Dieu à leur égard,
Mais enfin puisqu'il leur déplaît devoir que faire pénitence, accueillir le pardon, et ne plus
l'homme est astreint aux mêmes règles de réclamer le châtiment pour les femmes, et
» Eph. V, 23. pour eux l'impunité !
18G DES UNIONS ADULTÈRES.

CHAPITRE IX. CHAPITRE X.


LA RÉCONCILIATION OU LA CONTINENCE. VAINES RÉCLAMATIONS DE l'INCONTINENCE
CONTRE LA LOI.
8. Après avoir pesé toutes ces considéra-
tions, on est facilement convaincu que dans le 9. Vous me répondez :« Il n'est donné qu'à

mariage la condition est commune, le mal « un petit nombre de vivre dans la conti-
commun, le danger commun, la blessure « nence; voilà pourquoi ceux qui ont renvoyé
commune, le salut commun. Si cette convic- « leurs épouses adultères, et qui ne se sentent
tion engendre riuimilité, elle rend glorieuse « pas capables de se réconcilier, se voient ex-
et facile la réconciliation entre époux après « posés à de si grands dangers que la loi de
l'aveu et l'expiation de l'adultère, expiation « Jésus-Christ leur paraît non pas une loi hu-
fondée sur l'efficacité des clefs du royaume des « maine, mais une loi cruelle». mon —
cieux pour la rémission des péchés. Une fois frère, si vous me parlez des incontinents, je

réconciliée à Jésus-Christ, celle qui d'abord comprends qu'ils aient de longues plaintes à
avait été renvoyée comme adultère ne méri- exhaler et qu'ils trouvent la
loi de Jésus-Christ
tera même plus le nom d'adultère. plus cruelle qu'humaine. Devons-nous donc,
Mais aucun précepte n'oblige à cette récon- à cause d'eux, pervertir ou changer l'Evangile
ciliation ; le siècle peut même la condamner du Christ? Vous ému que
des plaintes
n'êtes
parce qu'il ne peut avoir l'idée de l'expiation de ceux qui renvoient leurs épouses convain-
des crimes par la vertu du sang innocent. cues d'adultère et n'ont pas le droit d'en épou-
Qu'on embrasse donc la continence à laquelle ser d'autres; et cela, dites-vous, parce que la
aucune loi ne peut s'opposer, etqu'on repousse continence n'est possible qu'à un petit nom-
la pensée de nouveaux adultères. Si, purifiée bre et qu'elle doit n'être l'objet que d'un con-
au moins par la miséricorde divine, la femme seil et non d'un précepte formel. De là vous
adultère ne peut obtenir la réconciliation avec concluez que si, après avoir renvoyé une
son mari pourvu qu'ils ne contractent aucun
; femme adultère, on n'a pas le droit d'en épou-
autre mariage qui serait un véritable adul- ser une autre, l'incontinence des hommes
tère, nous n'avons rien à opposer. Il nous n'aura que trop lieu de se plaindre.
suffit de sauver ce principe « La femme : Mais remarquez donc quel nombre d'adul-
« est liée tant que vit son mari». Conséquem- tères nous nous mettons dans la nécessité de
ment le mari est lié tant que vit sa femme. Ce laisser commettre, en accueillant ces mur-
lien est telque toute autre alliance serait un mures de l'incontinence. En eSet, que faire si
véritable adultère. Sidonc deuxépoux séparés frappée dans son corps d'une maladie longue
contractaient mariage chacun de son côté, les et incurable, une épouse se trouve impuissante
quatre époux seraient quatre adultères. En pour toute relation conjugale? que faire si la
effet, quoique le crime soit plus grand de ren- captivité ou toute autre force majeure sépare
voyer sa femme sans cause d'adultère et d'en les époux, le mari sachant que sa femme vit
épouser une autre —
c'est de ce genre d'adul- encore? Devra-t-on accueillir les murmures
tère que parle saint Matthieu on ne doit pas — de l'incontinence et permettre l'adultère ? Le
moins croire à la vérité de ces paroles de saint Sauveur interrogé sur le divorce n'a-t-il pas
Marc « Quiconque renvoie sa femme et en
: répouciu qu'il n'était point permis et que c'est
« épouse une autre commet contre elle un uniquement par égard pour la dureté de leur
« adultère et si la femme abandonne son
; cœur que Moïse avait autorisé chez les Juifs
« mari et en épouse un autre, elle est égalc- le libelle de répudiation et la séparation
« ment adultère'». Saint Luc n'est pas moins pour n'importe quel motif? Comment la loi
formel « Tout homme qui abandonne sa
: de Jésus-Christ ne dé|)lairait-elle pas à des
« femme et en épouse une autre est adultère, incontinents qui voudraient renvoyer leurs
« et celui qui épouse une femme renvoyée par femmes quand elles sont querelleuses , in-
« son mari est adultère ^ ». Dans le livre pré- solentes, impérieuses, fastidieuses et déso-
cédent nous avons suffisamment expliqué ces béissantes quand il s'agit du devoir con-
différents passages. jugal, et en épouser d'autres? Parce que
' Marc, X, 11, 12. — ' Luc, x\U 18. l'incontinence a horreur de la loi de Jésus-
Christ, faudra-t-il changer à leur gré cette loi ?
LIVRE SECOND. 187

De plus si une femme abandonne son mari, nence ; et voici que l'onm'accuse d'adultère
ou un mari sa femme non pas pour cause de parce que je me suis mariée Devant une 1

fornication mais pour cause de continence, et plainte aussi légitime, n'allons-nous pas con-
que la partie ainsi renvoyée soit victime de clure qu'il faut changer la loi divine, pour
l'incontinence ,
pourra-t-elle sans adultère soustraire cette femme à l'accusation d'adul-
contracter un nouveau mariage? Si elle le tère? Dieu nous en garde î Mais, direz-vous,
peut, que devient la vérité de ces paroles : on a eu tort de la renvoyer puisqu'elle n'avait
« Il a été dit Si quelqu'un renvoie sa femme,
: commis aucune fornication. Vous avez raison,
« qu'il lui donne un libelle de répudiation ;
et c'est pour caractériser le péché du mari que
« et moi je vous déclare que quiconque aban- le Seigneur a Celui qui abandonne sa
dit : «

« donne sa femme si ce n'est pour cause de « femme, pour cause de fornication,


si ce n'est
« fornication, la rend coupable d'adultère, et « la rend coupable d'adultère » Mais de ce que .

« celui qui l'épouse est également adultère'?» le mari a péché en la renvoyant, devons-nous

Cette femme a été renvoyée, ce n'est pas elle conclure qu'elle n'a pas péché en contractant
qui a rompu
le mariage et comme la conti-
; un nouveau mariage? Les plaintes de cette
nence donnée qu'à un petit nombre, elle
n'est femme incontinente contre la loi de Jésus-
cède à l'incontinence et se marie or ces deux ;
Christ ne serviront qu'à lui attirer encore le
nouveaux époux sont réellement adultères. châtiment de ses murmures.
Tous deux sont coupables, tous deux méritent CHAPITRE XI.
la réprobation, la femme pour s'être mariée
AUTRE OBJECTION DE POLLENTILS.
du vivant de son premier mari, et l'époux
pour s'être uni à une femme dont le mari était 11. Examinons maintenant cette nouvelle
vivant. Accusons-nous de barbarie cette loi du objection que vous avez glissée dans un autre
Sauveur qui fra})pe d'adultère et [)unit comme passage et à laquelle vous n'avez pas voulu
telle une femme que son mari a renvoyée sans répondre. Vous vous sentez tout ému et pris
aucune cause de fornication et qu'il a amsi de compassion pour cet homme qui se voit
réduite à contracter un nouveau mariage, par- dans la nécessité d'avoir des relations avec une
ce que la continence n'est le privilège que du adultère, non pas par incontinence, mais dans
petit nombre ? Pourquoi ne pas faire passer des vues de génération, s'il ne lui est pas per-
comme mort, au point de vue du mariage, mis de la renvoyer et d'en épouser une autre,
celui qui en renvoyant injustement sa femme pendant que la première sera encore vivante.
a ainsi rompu les liens du mariage? Comment Vos émotions seraient légitimes si le second
pouvez-vous soutenir que tel époux qui, tout mariage n'était pas un adultère, lors même
adultère qu'il soit n'a pas renvoyé sa femme, que la première femme encore vivante serait
a brisé le lien conjugal, tandis que ce même convaincue de fornication. Mais puisque ce
lien n'est pas brisé par cet autre qui a renvoyé second mariage est un véritable adultère,
sa femme demeurée chaste ? Moi j'affirme que comme nous l'avons prouvé plus haut, pour-
dans un cas comme dans l'autre le lien conju- quoi prétexter la génération? Avec ce prétexte
gal subsiste et lie la femme pendant toute la on en viendraità tolérer tous les crimes; doit-
vie de son mari, fùt-il chaste ou adultère. De on, pour s'épargner la honte de mourir sans
là je conclus que toute femme renvoyée par enfant, se priver de la vie éternelle? Les adul-
son mari, adultère ou continent, est coupable tères eux-mêmes ne peuvent que reculer de-
d'adultère si elle se marie, et celui qui l'épouse vant cette certitude de passer des bras de la
est lui-même coupable de ce crime car « la : mort naturelle dans les horreurs de la mort
femme est liée tant que vit son mari ». éternelle. En effet avec ce but de la génération,
Nous examinons les plaintes de l'inconti- on devrait renvoyer non-seulement les femmes
nence. Quoi déplus juste que la plainte de adultères mais les épouses les plus chastes si
cette femn;e qui nous dit j'ai été renvoyée,
: elles étaient stériles, etenépouserd'autres. Vous
ce n'est pas moi qui me suis séparée et comme ; repoussez vous-même une telle conséquence.
la continence n'est le privilège que d'un petit 12. donc le prétexte de l'incontinence
Si
nombre, ne me croyant pas de ce petit nombre, n'est pas une excuse à l'adultère, combien
je me suis mariée pour échapper à l'inconli- moins doit-on en trouver un dans le désir de
' Matt. V, 31, 32. se créer une postérité?
.

188 DES UNIONS ADULTÈRES.

CHAPITRE XII. Disons cependant que même dans le mariage


légitime cette fécondité n'est pas toujours à
LE DÉSIR DE LA MATERNITÉ, BUT UNIQUE
l'abri du désordre plusieurs en effet l'entra-
;
DU MARIAGE.
vent par de coupables actions. Ainsi agissait
A cette faiblesse que nous appelons l'incon- Onas, fils de Juda, et le Seigneur pour ce crime
tinence, l'Apôtre a opposé comme remède l'hon- le frappa de mort K C'est assez dire que la pro-

nêteté du mariage. Au lieu de dire : si elle n'a pagation des enfants doit être le but premier,
pas d'enfant, qu'elle se marie, il a dit : a Si naturel et légitime du mariage ceux donc
;

« elle ne peut garder la continence, qu'elle se qui cherchent dans cet état le remède à la
« marie ». Si d'un côté on cède à l'inconti-
*
concupiscence doivent faire en sorte de ne pas
nence en se mariant, de l'autre on trouve une voiler sous un extérieur légitime des désordres
sorte de compensation dans la génération des révoltants. C'est en parlant des incontinents
enfants. L'incontinence est un \ice, le mariage que l'Apôtre disait: «Je veux que les plus
n'en est point, et parce qu'il est un bien, il « jeunes se marient, qu'elles aient des enfants,
réduit l'incontinence à n'être qu'un mal vé- «qu'elles deviennent mères de famille, et
niel. Le but du mariage est donc la génération, « qu'elles ne donnent aucune prise sur elles à

c'est ce but que se proposaient les patriarches «l'ennemi de tout bien. Or quelques-unes
dans toutes leurs relations matrimoniales. De « sont retournées à Satan ^ ». En disant : « Je

leur temps la propagation du genre humain « veux que les jeunes se marient », l'Apôtre
était une nécessité, aujourd'hui ce n'en est plus se proposait de les prémunir contre les ruines
une; alors, comme parle l'Ecriture, «c'était entassées par la concupiscence. Voulantensuite
« le temps d'embrasser », aujourd'hui « c'est les détourner de ne penser qu'aux émotions
« le temps de s'éloigner des embrassements ^ » maladives de la concupiscence, rappeler le bien
C'est à notre époque que l'Apôtre faisait allu- propre du mariage et empêcher qu'il ne tombe
sion dans ces paroles : « Du reste, mes frères, sous les coups du mépris ou delà négligence,
« le temps est court, que ceux qui ont des il ajoute aussitôt « Je veux qu'elles aient des
:

« épouses soient comme n'en ayant point ^ ». « enfants et qu'elles soient mères de famille».
C'est donc aussi pour nous qu'il a été dit : Quant à celles qui choisissent la continence,
« Saisisse qui peut saisir * » ; mais que celui assurément elles choisissent la meilleure part;
qui ne peut garder la continence se marie. de quels soins dès lors ne doit-on pas l'entou-
Dans les premiers siècles du monde la conti- rer non-seulement pour se procurer ce bien
nence se prêtait aux devoirs du mariage pour supérieur au mariage, mais surtout pour évi-
facihter la propagation du genre humain ; ter l'adultère ? L'Apôtre avait dit : « Si elle ne
aujourd'hui le lien conjugal n'est qu'un re- « peut pas conserver la continence, qu'elle se
mède à l'incontinence de cette manière ceux ; « marie ; car il vaut mieux se marier que de
qui ne peuvent garder la continence trouvent « brûler * ». Il ne dit pas : il vaut mieux pro-
dans l'honnêteté du mariage un moyen d'é- faner son corps ([ue de brûler.
chapper à la honte du crime et d'aider à la
propagation des enfants. Pourquoi donc l'A- CHAPITRE Xin.
pôtre n'a-t-il pas dit si elle n'a pas d'enfant,
:
LA RÉCONCILIATION OU LA CONTINENCE.
qu'elle se marie? C'est parce que de nos jours
la propagation des enfants n'étant plus un 43. A ceux qui craignent de se réconcilier
besoin doit céder la place à la continence. avec leurs épouses adultères, mais guéries par
Et pourquoi a-t-il dit : « Si elle ne peut gar- la pénitence, nous n'avons qu'un avis à adres-
ce der la continence, qu'elle se marie? » C'est ser : qu'ils la continence. La femme
gardent
afin que l'incontinence ne la porte pasau crime. est liée tantque vit son mari, qu'il soit chaste
Si donc elle peut garder la continence, qu'elle ou impudique; il commet donc l'adultère s'il
ne se marie point et qu'elle renonce à la ma- en épouse une autre. Le lien subsiste lors
ternité. Dans le cas contraire le mariage sera même qu'une épouse serait répudiée par un
le remède licite qui rendra honnête sa fécon- époux chaste à plus forte raison si l'épouse,
;

dité, et la protégera contre des crimes plus sans en être séparée, se livre à la fornication.
graves. Une seule chose détruit le mariage, c'est la

» I Cor. vu, 9.— = Eccli. m, 5.— ' I Cor. vu, 29.— "Matt. XJX, 12, •
Gen. xxxviii, 8-10. — = I Tim, v, 11, 15. — " I Cor. vu, 9.
LIVRE SECOND. 189

mort corporelle et non la mort spirituelle par tes : « Je crois qu'un sens qui exclut la bonté
l'adultère. Si donc une femme se sépare d'un « et la piété ne peut être le sens à donner à
mari infidèle et refuse de se réconcilier avec «une A vous entendre on
parole divine ».
lui, elle doit s'abstenir de contracter un nou- dirait maris épargneraient leurs fem-
que les
veau mariage et si le mari s'est séparé de sa
;
mes adultères, s'il leur était permis d'en
femme infidèle et refuse de se réconcilier avec épouser d'autres, tandis qu'ils sont incapables
elle, même après qu'elle a fait pénitence, de ménagement parce que ce droit leur est
qu'il garde la continence; ne fùt-il pas dis- refusé. Je dis au contraire qu'ils doivent user
posé à embrasser par choix l'état le plus par- de miséricorde envers ces femmes pécheres-
fait, il est obligé de s'y soumettre pour échap- ses, s'ils veulent eux-mêmes obtenir miséri-
per au crime. C'est
le parti que je conseille- corde pour leurs propres péchés. Cette con-
rais, lors même
que l'épouse serait en proie à duite est plus nécessaire à ceux qui veulent,
une maladie longue et incurable, ou serait à après avoir renvoyé leurs femmes adultères,
une distance qui rendrait impossible toute re- vivre dans la continence. En effet, plus ils

lation conjugale ;
je le conseillerais enfin lors veulent être parfaits, plus ils doivent être mi-
même que la femme, voulant vivre dans la séricordieux ; et comme ils ont besoin du se-
continence, sans en avoir le droit, puisqu'elle cours de Dieu, la meilleure disposition pour
n'a pas le consentement mutuel, se séparerait obtenir ce secours, c'est de se montrer indul-
d'un mari resté fidèle. Car tout chrétien croit gents à l'égard de leurs femmes tombées dans
sans difficulté qu'un mari se rendrait coupa- l'iniquité. On ne saurait donc trop leur rap-
ble d'adultère, en formant des relations avec peler cette parole du Seigneur : « Que celui
une autre femme, parce que la sienne est trop « cjui est sans péché, lui jette la première
longtemps malade, trop longtemps absente, «pierre * ». Puisque nous parlons à des
ou quelle désire vivre dans la continence. La époux fidèles, nous ne leur disons pas que :

femme renvoyée, fùt-elle adultère, sou époux celui qui n'est pas adultère, mais d'une ma-
commet le même crime en épousant une au- nière plus générale : « Que celui qui est sans
tre femme, car c'est sans aucune distinction «péché»; dire qu'ils sont sans péché, ce serait
qu'il a été dit « Tout homme qui renvoie sa
: s'aveugler eux-mêmes et prouver que la vé-
« femme et en épouse une autre, est adul- rité n'est pas en eux *. Si donc ils ne s'aveu-
« tère '
». Si donc celui qui est libre du lien glent pas, et que la vérité soit en eux, ils se
conjugal ne se sent pas porté à imiter la vie garderont d'une sévérité exagérée. Dans l'in-
des saints, qu'il tremble du moins en face du time conviction qu'ils ne sont pas sans péché,
châtiment réservé aux adultères ; si son ils pardonnent afin qu'il leur soit pardonné,

amour n'est pas assez vif pour lui faire choi- et ils ne sont pas fermés à tout sentiment de
sir la continence, que la crainte lui aide à bonté et de piété. 11 en serait autrement si la
comprimer la concupiscence. En efi'et, si là où piété n'était excitée en eux que par la passion
ily a crainte il y a travail là où était le tra- ; et non par la charité, s'ils n'avaient, pour
vail, viendra l'amour. >'e nous confions pas à pardonner, d'autre motif que la liberté de
nos propres forces, mais joignons la prière à contracter un nouveau mariage et non le dé-
nos efforts, afin qu'en nous éloignant du mal sir de se rendre à eux-mêmes le Seigneur
nous soyons comblés de tous les biens. propice.
15. Afin de leur inspirer à l'égard de leurs
CHAPITRE XIV. épouses adultères un pardon plus large, plus
AUTRE OBJECTION. généreux et plus chrétien, rappelons-leur ces
paroles : «Pardonnez au prochain son injus-
14. Vous prétendez ensuite que refuser aux « tice et vos péchés vous seront remis. Un
maris l'autorisation de contracter un nouveau a homme peut-il conserver de la haiue contre
mariage du vivant de leurs femmes convain- « son frère et chercher sa guérison auprès de
cues d'adultère, c'est mettre ces maris dans la « Dieu ? Il ne veut user d'aucune miséricorde
nécessité d'exercer contre elles jusqu'aux der- « à l'égard de son semblable, et il crie merci
nières violences et même de vouloir leur « pour ses propres péchés ? Il n'est qu'une
mort. Et pour peindre cette cruauté vous di- « chair fragile, et il conserve de la colère ?
' Luc, XVI, 18. ' Jean, vm, 7. — "I Jean, i, S.
.

d90 DES UNIONS ADliLTÈRES.

a Qui donc prendra pitié de ses péchés ? » •


mais seulement de la renvoyer, qui oserait
Nous lisons également dans l'Evangile « Par- : pousser la démence jusqu'à lui dire : Faites ce
« donnez et il vous sera pardonné^ », afin qui ne vous est pas permis, afin de rendre li-
que vous puissiez dire a Pardonnez-nous : cite ce qui vous est défendu ? La loi de Jésus-
« nos offenses comme nous pardonnons les Christ défend tout à la fois et de tuer son
« offenses qui nous sont faites* ». L'Apôtre épouse adultère et d'épouser une autre femme
ajoute : « Ne rendant à personne le mal pour du vivant de la première; il faut donc s'ab-
« le mal* ». Enfin si les nombreux passages stenir à la fois de ce double crime et ne
de la sainte Ecriture sont impuissants à cal- pas faire ce qui estillicite pour se rendre

mer la haine et la vengeance, qu'on se rap- permis ce qui est défendu. Ayant à choisir
pelle seulement que l'on est chrétien. entre l'homicide et l'adultère, il vaudrait
mieux encore s'arrêter à l'adultère ce serait ;

CHAPITRE XV. un moindre crime de contracter un nouveau


LE PARDON FONDÉ SUR DES MOTIFS DE CHARITÉ.
mariage du vivant de sa première femme,
que de verser le sang humain. Mais puisque
C'est là le véritable langage que nous ce sont là deux crimes formels, ils doivent
devons tenir à quoi servirait-il de dire à
; être tous deux évités, sans qu'on s'arrête à
ces époux Contentez-vous de renvoyer ces
: commettre l'un pour l'autre.
femmes adultères et ne cherchez pas leur
mort; vous trouverez dans celles que vous CHAPITRE XVI.
allez épouser une noble consolation à vos
NOUVELLE OBJECTION.
douleurs passées si leur vie devait vous em- :

pêcher d'épouser d'autres femmes, vous au- 46. Je sais ce que l'incontinence va nous oppo-
riez quelque raison de désirer leur mort ;
ser : celui qui renvoie sa femme adultère, qui
mais puisqu'il vous est permis de contracter lui permet de vivre et de son vivant en
de nouveaux mariages, laissez vivre en paix épouse une autre, reste perpétuellement dans
vos premières femmes? Un tel langage, con- l'état d'adultère, et ne fait de son crime au-
fessez-le, n'aurait aucun des caractères de la cune pénitence efficace puisqu'il refuse de le
persuasion chrétienne ; d'abord parce qu'il est quitter; fùt-il catéchumène, il ne serait point
erroné, car, du vivant du premier époux, il admis au baptême, puisque sa volonté reste
n'est pointpermis de contracter un nouveau attachée au mal fùt-il pénitent, il ne pour-
;

mariage et ensuite parce que la compassion


; rait être réconcilié , tant qu'il n'aurait pas
que l'on parviendrait à soulever dans leur rompu avec mauvaise habitude. Supposez
sa
âme, aurait pour principe non point la charité au contraire qu'il l'ait tuée, son péché serait
chrétienne, mais la liberté de convoler à de un crime transitoire et accidentel, sa volonté
nouvelles noces. Enfin je vous demande si n'y resterait pas engagée le baptême dès lors ;

dans l'ancienne loi ou même dans le droit ro- l'en purifierait s'il est catéchumène ou, si ;

main vous trouverez quelque chose qui auto- l'homicide a été commis après le baptême, il
rise un mari chrétien à tuer sa femme adul- serait effacé par la pénitence et par la récon-
tère ? Eùt-il ce pouvoir, ce qu'il aurait encore ciliation. — Mais de là suit-il que ce qui au-
de mieux à ne pas user de
faire, ce serait de rait été un adultère n'est plus un adultère, ce
son droit de punir et de s'abstenir d'un nou- qu'il eût été assurément si le coupable avait
veau mariage qui pour lui serait illicite. Si contracté un nouveau mariage du vivant de
enfin il s'obstine à choisir l'un ou l'autre de sa première femme? Mettons de côté ce genre
ces deux partis, qu'il se borne à user de son d'adultère, et admettons d'abord que quicon-
droit, c'est-à-dire, de faire punir sa femme que épouse la femme d'un mari encore vi-
adultère, et qu'il s'abstienne de ce qui lui est vant, répudiée par lui, sans l'avoir mérité par
défendu, c'est-à-dire, de se rendre coupable aucune fornication, commet assurément un
d'adultère du vivant de sa femme. Mais si, et adultère. Jugez alors sa position : s'il est caté-
c'est la rigoureuse vérité, il n'est pas permis chumène, ne peut être admis au baptême
il ;

à un chrétien de tuer sa femm.e adultère. s'il est déjà baptisé, il ne peut obtenir son

— — pardon puisqu'il ne renonce pas à son pécbé ;


' Ecoli. s.wiil, 1?, 5. - Luc, V!, 3T. ' Malt, vi, lîJ. Rom
XII, 1^- il ne lui reste qu'une chose à faire, s'il le
LIVRE SECOND. 191

peut, c'est de tuer le mari de celle qu'il a ménager une vaine jalousie, devons-nous re-
épousée de celte manière son crime sera
;
noncer à défendre la vérité d'une parole
lavé par le baptême, ou effacé par la péni- divine ;ou bien devons-nous l'accuser de
tence on ne pourra Taccuser de persévérer
;
fausseté en soutenant qu'il ne peut y avoir
dans l'adultère, puisque la mort du mari adultère à épouser une femme qui a été répu-
aura rendu la liberté à la femme son crime ;
diée sans cause de fornication, car autrement
devient donc absolument transitoire , et il le second mari se verrait dans l'obligation de

peut l'expier par la pénitence ou en être puri- tuer son rival pour changer son adultère en
fié par la régénération. Voilà, il me semble, un mariage légitime? Je sais que cette seconde
la situation aussi bien dessinée que possible ;
opinion vous révolte et que vous ne souffrez
allez-vous donc en profiter pour accuser la point que pour ménager une vaine jalousie
loi de Jésus-Christ de porter les hommes à on accuse de dureté et de barbarie une loi
l'homicide, quand elle proclame qu'épouser portée par Jésus-Christ en toute justice et en
une femme du vivant de son mari et répudiée toute vérité.
par lui, sans cause de fornication, c'est com- Concluez donc aussi qu'il y a véritablement
mettre un adultère? adultère à épouser une femme renvoyée pour
17. Pour peu que nous pesions sérieuse- cause de fornication, sans vous préoccuper
ment nos paroles, nous pourrons encore en- aucunement de savoir si le second mari
chérir sur la gravité de votre objection. En n'aura pas la pensée de tuer son rival pour
effet, pour vous autoriser à croire que l'on légitimer son mariage. S'il en était autrement,
peut, sans être coupable d'adultère, épouser pourquoi les ennemis de la foi chrétienne ne
une femme renvoyée pour cause d'adultère, vous objecteraient-ils pas que votre doctrine
vous vous appuyez sur cette raison, « qu'en amène les hommes à tuer leurs épouses
« faisant de ces mariages autant d'adultères, quand elles sont d'un caractère difficile à sup-
« on place les maris dans la nécessité de tuer porter, en proie à une longue maladie et im-
« leurs femmes infidèles, car s'ils les laissent puissantes aux relations conjugales; quand
« vivre ne peuvent contracter de nouveaux
ils elles sont pauvres, stériles, difformes, et que
« mariages. Vous ajoutez Il ne me semble : de leur côté ils ont l'espoir d'en épouser
« pas. Père bien-aimé, qu'on puisse regarder d'autres, qui seront valides, riches, fécondes et
« comme divine une interprétation qui exclut belles? L'unique moyen pour eux de se tirer
« la bonté et la piété ». Mais un adversaire se d'embarras, n'est-ce pas la mort? car ils ne
lève contre vous et vous déclare qu'il ne peuvent renvoyer leur première femme que
croira jamais que ce soit un adultère d'épou- dans le cas de fornication ni en épouser une
ser une femme répudiée par son premier mari autre, sans se condamner à l'habitude de l'a-
sans aucune cause de fornication en voici, ;
dullère qui les privera infailliblement ou du
dit-il, la raison, c'est que par là on inspire baptême, ou de la justification par la péni-
aux hommes la pensée de l'homicide, on place tence. Pour épargner le scandale de tant
lesijouveaux maris dans, la nécessité de cher- d'homicides, dirons-nous que l'on peut, sans
cher des embûches, de soulever des calom- adultère, renvoyer sa femme sans cause de
nies, de recourir à toute sorte de crimes et fornication et en épouser une autre ?
d'accusations pour ôter la vie à leurs rivaux,
et rendre ainsi leurs mariages légitimes CHAPITRE XVII.
,

d'adultères qu'ils étaient. Il peut ajouter en


AUTRE INCOVÉNIENT DE L'OPIMON DE
s'adressant à vous Bien-aimé frère, je ne puis
:
POLLENTIUS.
regarder comme divine une inter[)rétation
qui non-seulement exclut foute bonté et toute 18. Vous prétendez qu'un homme peut, sans
piété, mais qui excite puissamment à une in- adultère, renvoyer sa femme pour cause de
digne méchanceté et à une impiété cruelle. fornication et en épouser une autre. Avez-
Car, que des maris tuent leurs femmes adul- vous pesé les conséquences de cette doctrine?
tères, c'est un crime bien plus léger et bien Ne voyez-vous pas que vous autorisez les
plus tolérable que de voir des maris adultères époux, quand ils ont des femmes qui leur
tuer des épouses légitimes. déplaisent pour une foule innombrable d'autres
Que pensez-vous de ce raisonnement? Pour raisons, à les faire tomber dans l'adultère, aûn
,

192 DES UNIONS ADULTÈRES.

de rompre par là, vous le croyez du moins, femme, lui-même coupable d'adul-
et qu'il est
le lien conjugal, et de se donner le droit de tère quoiqu'il n'ait contracté
mariage qu'après
contracter un nouveau mariage? Quant au la fornication de sa femme. Il n'aura donc
crime même qu'ils auront commis par cette retiré aucun avantage d'avoir cru à votre pa-
pression exercée sur leur femme, ils en ob- role plutôt qu'à la parole de Celui qui a dit
tiendront la remise par le baptême ou par la sans aucune exception « Quiconque répudie
:

pénitence, tandis qu'au contraire la grâce et « sa femme et en épouse une autre se rend
le remède leur seraient refusés si, après avoir « coupable d'adultère '
».
répudié sans cause de fornication, ils épou-
saient d'autres femmes. Mais, dira-t-on peut- CHAPITRE XVIII.
être, si une femme vraiment cbaste, toute
est
CHOISIR ENTRE LA CONTINENCE CONJUGALE ET LA
pression sera inutile pourlafaire tomber dans
CONTINENCE VIRGINALE.
le crime. S'il en est ainsi, que veulent donc

dire ces paroles du Sauveur « Tout homme :


ne reste plus à ceux qui
19. Cela posé, il

« qui renvoie sa femme sans cause de fornica- comprennent que de nous dire ce
ces paroles
« tion, la fait tomber dans l'adultère '? » Elle qui a été dit au Sauveur « Si tel est l'état du :

était chaste avec son mari, mais se trouvant « mariage, pourquoi donc se marier? » Notre
renvoyée, elle subit tous les assauts de l'incon- réponse sera aussi celle qui a déjà été faite :

tinence qui la pousse à un nouveau mariage « Tous ne saisissent pas cette parole, il faut en

et dès lors à l'adultère. « avoir reçu la grâce. En effet, il en est qui


Peut-être les choses n'en arriveront-elles « sont eunuques en sortant du sein de leur
pas à cette extrémité toujours est-il que le
; « mère, et il en est qui le sont par le fait des
mari a tout fait dans ce but, et le Seigneur lui « hommes ; il en est enfin qui se sont rendus
imputera ce péché, lors même que la femme tels pour le royaume des cieux. Saisisse qui
resterait chaste. Mais, hélas ne sait-on point 1 « peut saisirDonc, que celui qui le peut,
^ ».
combien sont rares les femmes qui montrent saisisse ce que tous ne peuvent saisir. Ce pou-
envers leurs maris assez de fidélité pour ne voir n'appartient qu'à ceux à qui Dieu l'a
point rechercher d'autres époux quand elles conféré dans les secrets de sa miséricorde
se trouvent répudiées ? Des femmes qui vivent toujours juste. Parmi ceux qui se sont con-
chastement dans le mariage, on en trouve un damnés à la continence pour le royaume des
très-grand nombre; mais se voient-elles ren- cieux, il en est de l'un et de l'autre sexe qui
voyées, elles ne diffèrent pas à contracter une n'ont jamais connu les œuvres de la chair; il
nouvelle union. Si donc on accepte l'infaillible en est d'autres qui après les avoir connues,
vérité de cette sentence « Quiconque renvoie
: soit licitement, soit illicitement, y ont renoncé
« sa femme sans motif de fornication la pré- avec courage. Parmi ceux qui en ont usé lici-

« cipite dans l'adultère


d'un autre côlé
» ; si tement, uns n'ont pas dépassé les règles
les
on vous croit sur parole quand vous affirmez divines et se sont bornés absolument au ma-
qu'un homme dont la femme est adultère peut riage d'autres, en usant d'un mariage légi-
;

en épouser une autre, on conclura que le time, ont encore cherché au dehors des satis-
moyen pour un homme de se débarrasser de factions à leur concupiscence. Après le ma-
sa femme qui l'importune, c'est de la faire riage, ceux-là se condamnent à la continence
tomber dans l'adullère en la renvoyant malgré pour le royaume des cieux, qui perdent leurs
l'honnêteté de ses mœurs il pourra, quand ; épouses par la mort, ou d'un mutuel consen-
elle sera devenue adultère, en épouser une tement professent la continence. D'autres
autre. Ensuite, le baptême ou la pénitence réduits à la nécessité du divorce, par respect
viendront le purifier de son premier crime, pour le commandement qui leur défend sous
et rien ne pourra empêcher sa justification, peine d'adultère de contracter un nouveau
puisqu'il n'aura contracté son second mariage mariage, se condamnent aussi à la continence,
qu'après la dissolution du premier. Mais je non pas précisément dans l'espérance i)lus
déclare hautement que de pareilles machina- belle d'une récompense au ciel, mais bien
tions sont formellement criminelles, que le pour éviter un crime qui leur en fermerait
mari est responsable du crime commis par sa l'entrée pour toujours. Car ceux qui sans
» Matt. V, 33. ' Luc, XVI, 18. — ' Matt. .\l.\-, 10-12.
LIVRE SECOND. 193

nécessité d'aucune sorte, mais seulement par non le choix libre de la volonté.
la nécessité et

amour pour la perfection se livrent à la con- que ceux qui l'ont embrassée volontaire-
Est-ce
tinence, pourraient jouir au ciel, même en ment ne s'en sont pas fait une véritable néces-
conservant la pudeur conjugale, d'une ré- sité ?Peuvent-ils y renoncer sans se précipiter
com[iense qui serait moindre que celle de la dans la damnation ? Que ceux donc pour qui
virginité, mais qui aura aussi sa grandeur. la continence est une nécessité, fassent de cette

Mais ceux qui embrassent la continence parce nécessité un acte libre, et pour cela qu'ils se
du vivant de leurs épouses,
qu'ils craignent, confient non pas eu eux-mêmes, mais en Celui
de contracter un nouveau mariage, doivent de qui procèdent tous les biens. Les uns ont

entourer leur salut d'une sollicitude plus embrassé la continence parce qu'elle est plus
grande que ne le font d'ordinaire ceux qui ont une gloire plus grande; les
parfaite et mérite
embrassé la continence avec un amour plus autres y ont trouvéun refuge et une dernière
volontaire et plus prononcé. Le ciel aussi leur planche de salut que les uns et les autres per-
;

est promis, s'ils évitent l'adultère; mais ils sévèrent dans cette voie, qu'ils y marchent
le commettront s'ils ne restent pas continents, jusqu'à la fin, qu'ils s'embrasent de zèle, qu'ils
car alors du vivant de leurs premières
,
multiplient leurs supplications, car là pour
épouses, ils s'uniront, non pas à d'autres eux est le salut, qu'ils tremblent donc de tom-
épouses, mais à des adultères. Et si le ciel leur ber ; les derniers enfin ne doivent pas déses-
est fermé, où seront-ils si ce n'est là où le sa- pérer de parvenir à la gloire, s'ils restent fidèles
lut n'est pas? par amour à cette continence que leur a imposée
CHAPITRE XIX. la nécessité. Il peut se faire, en effet, que par
ses menaces et ses exhortations, par ses épreu-
LA CONTINENCE POUR LES ÉPOUX SÉPARÉS.
ves et ses consolations, le Seigneur change en

20. Je m'adresse donc à eux, et leur rap- mieux humaines; que des époux
les affections

pelant ce qu'ils devraient faire si leurs épouses s'éprennent avec tant d'ardeur des charmes de
étaient en proie à une longue maladie ou ,
la continence, que quand le lien conjugal
placées à une distance infranchissable, ou in- vient à se briser par la mort de l'autre époux,
justement obstinées à garder la continence, je ils se refusent par vœu ce qui leur est permis

leur dishautementquec'estlàce qu'ils doivent par la loi, et ce qu'ils ont commencé par né-
faire si leurs épouses se déshonorent par l'a- cessité ils l'achèvent avec la plus parfaite cha-
dultère et s'attirent ainsi une trop juste répu- rité. Ils obtiendront sûrement la récompense
diation. Qu'ils rejettent tout autre mariage ,
réservée aux époux qui d'un mutuel consente-
car ce ne serait plus le mariage, ce serait ment ont voué la continence, ou à ceux qui
l'adultère. Je n'oublie pas qu'ici la condition en dehors du mariage ont choisi la virginité
est la même pour l'homme et pour la femme ;
comme étant plus parfaite. Mais
leur con- si

de même que « la femme sera flétrie par l'a- tinence n'exclut pas la pensée de contracter
« du vivant de son mari elle s'aban-
dultèresi un nouveau mariage quand la mort de l'autre
«donne à un autre homme », de même le *
époux les aura rendus libres, leurs dispositions
mari sera coupable d'adultère si du vivant de sont beaucoup moins parfaites et ils n'ont plus
sa femme il en connaît une autre. Sans nier que le mérite de la pudeur conjugale en vertu
que le divorce qui n'est pas motivé par la de laquelle ils s'abstiennent de ce qu'ils feraient
fornication soit plus coupable, il est ce[)endant s'ils étaient libres. Pratiquer la continence
toujours vrai de dire que « tout homme qui dans cette intention, c'est donc trop peu pour
« renvoie sa femme et en épouse une autre ,
obtenir les récompenses promises à la con-
« est adultère ». tinence volontaire, mais c'est assez pour éviter
Qu'on ne s'etîraie du fardeau de la
pas l'adultère.
continence ; il sera léger si on le porte pour CHAPITRE XX.
Jésus-Christ, et on le portera pour Jésus-Christ
LES HOMMES DOIVENT ÊTRE POUR LES FEMMES DES
si on s'inspire de la fui qui obtient de Celui
MODÈLES DE PUDEUR.
qui commande l'accomplissement de ce qu'il
ordonne. Qu'on ne se laisse point abattredevant 21. Mes paroles, VOUS le savez, s'adressent
cette pensée que la continence est le fruit de aux deux sexes à la fois cependant j'avais prin-
;

* Rom. vu, 3. cii)alement en vue les hommes qui s'appuyant

S. AuG. — Tome XII.


,

194 DES UNIONS ADULTÈRES.

sur leur supériorité à l'égard des femmes, se leur proposer la continence des clercs dont
croient facilement dispensés de les égaler en plusieurs sont soumis malgré eux à porter le
pudeur. Qu'ils se souviennent qu'ils sont les même fardeau de la continence et le portent
chefs et que lesfemmes ne doivent avoir besoin courageusement jusqu'à la fin avec le secours
que de suivre leurs exemples. Quand donc la de Dieu. Voici donc ce que nous leur disons :

loi défend Tadullère, chercher pour excuse à Que feriez-vous peuples usaient de vio-
si les

l'incontinence la faiblesse de la chair, c'est, lence et vous contraignaient à porter ce far-


sous d'une impunité mensongère ,
le prétexte deau ? N'accompliriez-vous pas avec chasteté
ouvrir la porte à bien des ruines. Quelle chair les fonctions qui vous seraient imposées ?
ont donc les femmes pour mériter que les n'auriez-vous pas la pensée de vous tourner
hommes leur refusent ce qu'ils se croient per- vers Dieu pour implorer son secours et des
mis à eux-mêmes parce qu'ils sont hommes? forces auxquelles jusque-là vous n'avez jamais
Gardons-nous de croire que le sexe le plus pensé ? Quant aux clercs, répondent-ils, ils

noble doive trouver dans l'honneur qui l'en- trouvent une abondante compensation dans
toure une compensation à ce qu'il perd en les honneurs dont comblés. Et la
ils sont
pudeur; l'honneur, s'il est juste, appartient à crainte, leur répliquons-nous, ne doit-elle pas
la vertu et non pas au vice. Les femmes n'ont être pour vous un frein plus puissant encore?

comme nous qu'une chair fragile, et voyez En effetsi beaucoup de ministres du Seigneur,
cependant à quelle épreuve des maris mettent appelés soudain à charger leurs épaules du
leur chasteté Ils voyagent quelquefois pen-
! fardeau redoutable, s'y sont soumis dans
dant de longues années loin de leurs femmes, l'espérance de briller un jour avec plus d'éclat
et cependant ils exigent qu'elles se privent de dans le royaume du Seigneur; avec combien
tout commerce illicite, et qu'elles résistent plus de raison ne devez-vous pas éviter l'adul-
pures et sans taches, à toutes les ardeurs de la tère et vivre dans la continence, vous qui êtes
jeunesse. C'est ce qui arrive en effet pour un pressés par la crainte,non pas de moins briller
grand nombre, surtout en Syrie, où des maris dans le royaume-de Dieu, mais de brûler dans
livrés àtouteslespréoccupationsdu commerce les flammes éternelles ?

abandonnent de jeunes épouses pour ne les Tel est à peu près le langage que nous es-
retrouver quelquefois que dans la vieillesse. sayons de tenir à ceux qui séparés de leurs
Que les maris conviennent donc que les obli- femmes, soit parce qu'elles les ont quittés, soit
gations qu'ils imposent à autrui ne sont évi- parcequ'ils les ontrenvoyées comme adultères,
demment pas impossibles. Si la faiblesse des veulent contracter un nouveau mariage, en
hommes était impuissante à les accomplir, alléguant contre la défense l'infirmité de la
que serait-ce de la faiblesse encore plus chair. Mais fermons ce livre, il en est temps ,

grande des femmes? et prions Dieu de les soustraire à la tentation


22. Quant à ceux qui ne font consister l'ex- de se séparer de leurs femmes ; ou si cette

cellence des hommes que dans la liberté de séparation s'opère, de leur faire trouver dans
pécher, lorsque nous faisons briller à leurs ce divorce, et dans la crainte de la damnation
yeux les terreurs de l'éternité pour les éloigner éternelle, une occasion de pratiquer la chasteté
des mariages adultères, notre habitude est de avec plus de constance et plus de perfection.

Traduction de M. l'abbé BURLERAVX.


DU MENSONGE.

En quoi consiste le mensonge ? Ptut-on quelquefois mentir ? Telles sont les questions que le saint Docteur se propose de
discuter. —Exemples à l'appui raisons pour et contre.
;

Huit espèces de mensonges. — Elles sont examinées tour à tour
et rejetées. — Conclusion : Il ne faut jamais mentir.

CHAPITRE PREMIER. nous sommes peu ou presque pas occupé du


choix des expressions.
DIFFICULTE DU SUJET.

une importante question que celle


1. C'est
CHAPITRE II.

du mensonge elle jette souvent le trouble


;
LES PLAISANTERIES NE SONT PAS DES MENSONGES.
dans notre conduite habituelle, et nous offre
ce double danger: ou de traiter inconsidéré- 2. Nous exceptons d'abord les plaisanteries,
ment de mensonge ce qui n'est pas mensonge, qui n'ont jamais passé pour des mensonges :

ou de nous persuader qu'on peut quelquefois car le ton même


dont on les prononce et l'af-
mentir pour un motif honorable, pour rendre fection de celui qui se les permet dénotent, de
service ou par pitié. Nous la traiterons donc la manière la plus évidente, qu'il n'y a là au-

avec tout le soin possible; nous nous propo- cune intention de tromper, bien qu'on ne dise
serons les difficultés que l'on soulève; nous pas la vérité. Mais les âmes parfaites doivent-
n'affirmerons rien au hasard et le lecteur at- ; elles employer les plaisanteries? C'est une
tentif saisira, dans le traité même, le résultat autre question que nous n'avons pas intention
de nos recherches, s'il y en a un car le sujet :
de traiter ici. Nous mettons donc les plaisante-
est obscur, plein, pour ainsi dire, d'anfrac- ries de côté, et nous commençons par ce point:
tuosités et d'antres ténébreux où souvent la Ne pas traiter de menteur celui qui nenient pas.
pensée de celui qui le traite s'emprisonne au ;
CHAPITRE III.
point que l'objet saisi échappe des mains,
puis reparaît, pour disparaître encore. A la fin qu'est-ce que le JIENSONGE? POUR MENTIR,
cependant, un examen attentif aboutira à un FAUT- IL AVOIR l'iNTENTION DE TROMPER ET
résultat certain. Que s'il s'y rencontre quel- cette intention SIFFIT-ELLE?
que erreur, comme la vérité délivre de toute 3. Il faut donc voir ce que c'est que le men-
erreur, tandis que le faux les entraîne toutes, songe. Car dire une chose fausse n'est pas
je me consolerai du moins en pensant que de mentir, quand on croit ou qu'on s'imagine
toutes les erreurs, la moins dangereuse est dire la vérité. Or, entre croire ou s'imaginer
celle que l'on commet par un amour excessif ily a cette ditférence que quelquefois celui
:

de la vérité et une haine exagérée du faux. qui croit, sent qu'il ne comprend pas ce
En effet, les censeurs austères disent : Il y a, qu'il croit, bien qu'il n'ait aucun doute
là, excès; et peut-être la vérité dirait-elle : Il sur la chose qu'il sait qu'il ne comprend
n'y a pas encore assez. En tout cas, lecteur, pas, si toutefois il la croit avec une pleine
qui que tu ne blâme pas avant d'avoir
sois, conviction ; tandis que celui qui s'ima-
tout lu, et tu trouveras moins à blâmer. Ne gine, pense savoir ce qu'il ignore complète-
fais point attention au style car nous nous ; ment. Or, quiconque énonce une chose qu'il
sommes beaucoup attaché au fond des choses, croit ou s'imagine être vraie, bien qu'elle soit
et nous avons cédé au besoind'acheverpromp- fausse ne ment pas. En effet, il a une
,

tement un ouvrage si nécessaire pour les be- telle confiance dans son énoncé qu'il ne veut
soins quotidiens de la vie: cequi fait que nous exprimer que ce qu'il a dans l'esprit, et qu'il
i9li DU MENSONGE.

l'exprime en Mais bien qu'il ne mente


effet. sait bien ne devoir pas y ajouter
foi ^ Si mentir
pas, il cependant point irréprochable,
n'est est énoncer une chose autrement qu'on la
s'il croit ce qu'il ne faut pas croire, ou s'il connaît ou qu'on la croit, cet homme ment,
pense savoir une chose qu'il ignore, quand dans le dessein de ne pas tromper; mais si le
même elle seraitvraie car il tient pour connue
: mensonge suppose nécessairement l'intention
une chose inconnue. Ainsi donc mentir, c'est de tromper., il ne ment pas, puisque, quoique
avoir une chose dans l'esprit, et en énoncer convaincu que ce qu'il dit est faux, il le dit
une autre soit en paroles, soit en signes quel- cependant pour que celui à qui il parle et qu'il
conques. C'est pourquoi on dit du menteur sait ou pense ne devoir pas le croire, précisé-
qu'il a le cœur double, c'est-à-dire une double ment ne le croie pas et ne soit pas trompé.
pensée la pensée de la chose qu'il sait ou
: Mais si, d'un côté, il semble possible que quel-
croit être vraie et qu'il n'exprime point, et qu'un dise une chose fausse exprès pour que
celle de la chose qu'il lui substitue, bien qu'il celui à qui il la dit ne la croie pas, de l'autre
la sache ou la croie fausse. D'où il résulte nous rencontrerons le cas contraire, celui où M
qu'on peut, sans mentir, dire une chose fausse, quelqu'un dira la vérité pour tromper. En effet w
quand on la croit telle qu'on la dit, bien celui qui dit la vérité précisément parce qu'il
qu'elle ne soit pas telle réellement; et qu'on pense qu'on ne le croira pas, la dit évidem-
peut mentir en disant la vérité, quand on croit ment pour tromper car il sait ou pense que
:

qu'une chose est fausse, et qu'on l'énonce ce qu'il dit pourra être réputé faux justement
comme vraie, quoiqu'elle soit réellement telle parce qu'il le dit. Ainsi donc en disant le vrai
qu'on l'énonce, car c'est d'après la disposition dans l'intention de le faire passer pour faux,
de l'âme, et non d'après la vérité ou la faus- il dit la vérité pour tromper. Il faut donc exa-

seté des choses mêmes, qu'on doit juger que miner lequel est le vrai menteur de celui qui :

l'homme ment ou ne ment pas. On peut donc dit le faux pour ne pas tromper, ou de celui
dire que celui qui énonce une chose fausse qui dit le vrai pour tromper; le premier sa-
comme mais qui la croit vraie se
vraie, , chant ou croyant qu'il dit une fausseté, et le
trompe ou imprudent; mais on ne peut
est second sachant ou croyant qu'il dit une chose
l'appeler menteur, parce qu'il n'a pas le cœur vraie. Car nous avons déjà dit que celui qui
double quand il parle, qu'il n'a pas intention énonce une chose fausse la croyant vraie, ne
de tromper, mais que seulement il se trompe. ment pas, mais que celui-là ment qui énonce
Le péché du menteur est le désir de tromper comme vraie une chose qu'il croit fausse, bien j

en énonçant soit qu'on ajoute foi à sa parole


: qu'elle soit vraie; parceque,dansrun et l'autre 1

exprimant une chose fausse soit qu'en réalité ; cas, c'est d'après la disposition de l'âme qu'il j

il ne trompe pas, ou parce qu'on ne le croit


'

faut juger.
pas, ou parce que la chose que l'on croit sur La question que nous avons posée est donc
sa parole se trouve vraie, bien qu'il la dise grave d'un côté, un homme qui sait ou croit
:

dans l'intention de tromper. Lorsque, dans ce qu'il dit une chose fausse et la dit pour ne
,

cas on ajoute foi à sa parole, il ne trompe pas, pas tromper par exemple quelqu'un sait qu'un
;

malgré son intention de tromper;ou du moins chemin est occupé par des voleurs craignant :

il ne trompe qu'en ce sens qu'on le croit ins- qu'un homme, à la vie duquel il s'intéresse,
truit ou persuadé de la chose qu'il exprime. ne s'y engage, persuadé d'ailleurs que cet
A. C'est du reste une question très-subtile homme ne croira pas à sa parole, il lui dit
que celle-ci En dehors de l'intention de
: qu'il n'y a pas de voleurs sur ce chemin, pré- |

tromper, n'y a-t-il jamais mensonge? cisément pour le détourner d'y passer, vu que
ce voyageur le regardant comme un menteur,
CHAPITRE IV.
croira que les voleurs sont là, justement parce

LE MENSONGE EST-IL QUELQUEFOIS UTILE que l'individu auquel il est bien décidé à ne
OU PERMIS. pas croire, lui a dit le contraire d'un autre ;

côté, un homme sachant ou pensant que ce


Que dire de celui qui sait qu'une chose est qu'il dit est vrai, et le disant dans l'intention
fausse et la dit cependant, parce qu'il sait qu'on de tromper; par exemple quelqu'un dit à un
ne le croira pas, et qu'il veut empêcher de homme, qui n'a point de foi en lui, qu'il y a
croire au mensonge celui à qui il la dit et qu'il des voleurs sur tel chemin où il sait réelle-
DU MENSONGE. i97

ment qu'il y en a, et cela pour que cet homme, c'est parler avec l'intention de tromper, ce
persuadé que ce qu'on lui dit est faux, préfère n'est point celui-ci qui aura menti, mais bien
ce chemin à tout autre et tombe ainsi entre les celui qui voulait tromper même en disant la
mains des voleurs. Lequel des deux est donc vérité. Enfin si mentir, c'est parler avec la vo-
le menteur? E>t-ce celui qui dit une chose lonté d'énoncer une chose fausse, tous les deux
fausse pour ne pas tromper, ou celui qui dit ont menti, parce que l'un a réellement voulu
le vrai pour tromper? Est-ce celui qui, en di- énoncer une chose fausse, et que l'autre a eu
sant une chose fausse, avait intention de mener l'intention de faire passer pour fausse la vérité
au vrai celui à qui il parlait ou celui qui, en ; qu'il exprimait. Que si mentir c'est énoncer
disant la vérité, se proposait de taire tomber une chose fausse sciemment et dans l'inten-
dans le faux l'bomme à qui il s'adressait? Ou tion de tromper, ni l'un ni l'autre n'a menti,
bien ont-ils menti tous les deux : l'un pour parce que l'un, en disant une chose fausse, a
avoir voulu dire une fausseté, l'autre pour eu l'intention d'en faire croire une vraie, et
avoir voulu tromper? Ou encore, aucun des que l'autre en a dit une vraie pour en faire
deux n'a-t-il menti l'un parce qu'il avait
: croire une fausse. Ainsi pour éviter absolu-
l'intention de ne pas tromper, l'autre parce ment toute témérité et tout mensonge, il faut
qu'il avait cellede dire la vérité? Car il ne énoncer, quand la circonstance l'exige, ce que
s'agit pas de savoir lequel des deux a péché, nous savons ou digne de foi, et vou-
être vrai
mais lequel des deux a menti. On croit en effet loir persuader ce que nous énonçons. Mais
voir du premier coup-d'œil que l'un a péché croire vrai ce qui est faux, tenir pour connu
en disant la vérité pour faire tomber un ce qui est inconnu, ajouter foi à ce qui ne mé-
homme aux mains des voleurs; et que l'autre rite pas foi, ou l'énoncer sans nécessité mais
n'a point péché, a peut-être même bien fait, sans autre intention que de persuader ce qu'on
en disant une chose fausse dans le but de exprime c'est encourir le reproche d'erreur
:

sauver quelqu'un de la mort. Mais on peut par imprudence, mais non de mensonge; car
tourner ces exemples dans un autre sens l'un ; on est à l'abri de tout reproche, quand on a
aura en vue un mal plus grave pour l'homme la conscience de n'énoncer que ce que l'on
qu'il ne veut pas voir tomber dans l'erreur, sait, pense ou croit être vrai, et de ne vouloir
car beaucoup se sont donné la mort pour pas faire croire autre chose que ce que l'on
avoir connu certaines choses vraies, qu'ils au- exprime.
raient dû ignorer; l'autre désirera procurer 5. Mais lemensonge est-il quelquefois utile?
quelque avantage à celui qu'il veut tromper; question beaucoup plus grave et beaucoup
car il est des hommes qui se seraient donné la plus importante. Ensuite y a-t-il mensonge
mort s'ils avaient connu certains malheurs quand un homme qui n'a pas la volonté de
réels arrivés à des personnes chères, et qui s'en tromper, qui agit même pour que celui à qui il
sont abstenus parce qu'ils n'ont pas cru ces parle ne soit pas trompé, sait cependant que
malheurs vrais; en sorte que l'erreur a été ce qu'il énonce est faux et cherche à le faire
utile à ceux-ci et |la vérité nuisible à ceux-là. passer pour vrai ou quand un homme énonce
;

Il ne s'agit pas ici de l'intention que l'un a eu une chose pour vraie, mais dans
qu'il connaît
d'être utile, en disant une chose fausse pour Tintention de tromper? On peut élever des
ne pas tromper, et l'autre de nuire en disant doutes là-dessus. Du reste personne ne con-
une chose vraie pour induire en erreur. Mais, teste qu'il y ait mensonge quand on énonce
mettant de côté les avantages ou les inconvé- sciemment une chose fausse dans l'intention
nients qui ont pu résulter pour ceux à qui ils de tromper; par conséquent tout énoncé d'une
ont parlé, et en ne s'attachant qu'au point de chose provenant de l'intention de tromper,
vue du vrai ou du faux, on demande lequel est évidemment un mensonge. Mais n'y a-t-il

des deux a menti, si l'un et l'autre ont menti, de mensonge que dans ce cas, c'est une autre
ou si ni l'un ni l'autre n'a menti. question.
En mentir est parler avec l'intention
effet si

d'exprimer une chose fausse, le menteur sera


plutôt celui qui a voulu dire une chose fausse,
et qui l'a réellement dite, bien qu'il Tait dite
pour ne pas tromper. Si, au contraire, mentir
198 DU MENSONGE.

CHAPITRE V. conteste pas cette explication,


que le faux té-
moignage renferme toute espèce de mensonge,
LES UNS PRÉTENDENT QU'iL FAUT QUELQUEFOIS
que répondre à cette autre sentence « La :
MENTIR. LES AUTRES LE NIENT. DISCUSSION.
« bouche qui ment, tue l'âme ? » Et si l'on '

EXEMPLES PRIS DANS l' ANCIEN TESTAMENT EN


suppose que ce texte laisse encore place à
FAVEUR DU MENSONGE. IL N'Y EN A PAS DANS LE
quelques exceptions qu'opposer à celui-ci :
NOUVEAU TESTAMENT. ON NE PEUT PAS PLUS ,

« Vous perdrez tous ceux qui jirofèrent le men-


JUSTIFIER LE MENSONGE PAR LES RÈGLES DE LA
« songe ^ ». Aussi le Seigneur lui-même a-t-il
VIE ORDINAIRE QUE PAR LES EXEMPLES DE l'É-
dit : «Que votre langage soit : oui, oui; non,
CRITURE.
« non ; car ce qui est de plus vient du mal *».

Mais sur même où tout le monde


le point Ce qui fait que l'Apôtre, parlant du dépouil-
est d'accord, faisonsune question. Est-il quel- lement du vieil homme mot sous lequel on —
quefois utile d'énoncer une chose fausse avec renferme toute espèce de péchés a soin de —
l'intention de tromper? Ceux qui sont pour dire en premier lieu «C'est pourquoi, quit- :

l'affirmative, appuient leur opinion sur des « tant le mensonge, dites la vérité*».

témoignages; ils rappellent que Sara ayant ri, 7. Quant aux exemples de mensonge tirés
soutint cependant aux anges qu'elle n'avait de l'ancien Testament, les partisans de cette
pas que Jacob, interrogé par son père,
ri ^; dernière opinion affirment qu'ils n'en sont
répondit qu'il était Esaû, son fils aîné^; que point ébranlés. Là, en effet, tous les faits,
les sages-femmes égyptiennes ont menti pour même peuvent se prendre dans le sens
réels,
sauver de la mort les enfants des Hébreux, et figuré or, tout ce qui se fait ou se dit eu
;

que Dieu a approuvé et récompensé leur con- figure, n'est pas mensonge. Car tout énoncé
duite^; et beaucoup d'autres exemples de ce doit se juger d'après le but pour lequel il se
genre empruntés à des personnages qu'on produit; et tout ce qui se fait ou se dit en
n'oserait blâmer; et cela, dans le but de dé- sens figuré énonce ce qu'il signifie pour ceux
montrer non-seulement que parfois le men- à l'intelligence de qui il est proposé. Il faut
songe n'est pas coui)able, mais qu'il est même donc croire que les personnages qui ont été
digne d'éloge. Outre cet argument destiné à entourés de considération dans les temps pro-
embarrasser ceux qui s'adonnent à la lecture phétiques, ont fait ou dit dans un but prophé-
des saints livres, ils invoquent encore l'opi- tique tout ce que l'on raconte d'eux dans l'Ecri-
nion générale et le sens commun, et disent : ture et que c'est aussi daus un sens prophé-
;

si un homme se sauvait chez toi et que tu tique que leur sont survenus tous les événe-
pusses l'arracher à la mort par un seul men- ments que le même Esprit de prophétie a jugés
songe, ne inentirais-tu |)as ? Si un malade te dignes d'être transmis par écrit à la postérité.
faisait une question dont la réponse pourrait Pour ce qui est des sages-femmes, comme on
lui être nuisible, ou que ton silence même ne peut dire qu'elles étaient animées de l'es-
pût aggraver son mal, oserais-tu dire la vérité prit prophétique, ni qu'elles songeassent à
au risque de le faire mourir, ou garder un révéler l'avenirquand elles disaient à Pha-
silence dangereux plutôt que de lui sauver la raon une chose pour une autre, bien que leur
vie par un mensonge honnête et inspiré par action eût une signification même à leur insu,
la compassion? Par ces raisonnements et d'au- on prétend du moins qu'elles ont été approu-
tres de ce genre ils croient démontrer sura- vées et récompensées de Dieu dans la propor-
bondamment qu'on doit mentir quelquefois tion de leur mérite. En effet c'est un grand
pour rendre service. progrès de mentir pour faire le bien, quand
G. Ceux qui soutiennent l'opinion contraire, on a l'habitude de mentir pour le mal. Mais
emploient à leur tour des arguments bien plus autre chose est de proposer une action comme
puissants encore. D'abord ils s'appuient sur ce louable en elle-même, autre chose de donner
qui est écrit dans le décalogue «Tu ne por- : la préférence à une action mauvaise sur une

« feras point de faux témoignages *» expres- : pire. Les félicitations que nous adressons à un
sion qui renferme toute espèce de mensonge : homme bien portant ne sont pas celles que
car quiconque énonce quelque chose, rend nous adressons à un malade qui va mieux.
témoignage à son àme. Mais pour qu'on ne Nous voyons même les Ecritures justifier
'Gon. .vviii, lô.- =
kl. .\xvii, 19.— 'Kx. i, 19, 20.— " Id. xx, IG. '
.Sji^. 1, 11. — '
Pî. V, 7. — • Malt. V, 37. — ' Eph. iv, 25.
.

DU MENSONGE. 199

Sodome par comparaison aux iniquités du ment contraints de rester fidèles chacun à
peuple d'Israël K Tous de les mensonges cités sa coutume. Sans doute si le juif jugeait
l'Ancien Testament, qui n'y sont point blâmés à propos de quitter, sans troubler personne,
et ne peuvent l'être, les défenseurs de cette les observations judaïques, l'Apôtre ne l'en
opinion les jugent d'après la règle suivante : empêcherait point; et s'il lui conseille d'y
ou ils sont justifiés par le caractère de ceux rester fidèle, c'est pour que des pratiques dé-
qui les prononcent et en qui ils attestent un sormais superflues, ne jettent point de trouble
progrès, et par les espérances qui en résul- parmi les Juifs et ne les détournent pas de ce
tent ; ou leur sens figuré ne permet pas de les qui est nécessaire au salut. Il n'empêcherait
appeler mensonges d'une manière absolue. pas davantage un païen qui voudrait se faire
8. Voilà pourquoi, à considérer la vie, les circoncire, uniquement pour prouver qu'il ne
mœurs, les actions et les paroles des saints rap- regarde point ce rite comme nuisible, mais
portées dans les livres du Nouveau Testament, bien comme un signe indifférent, dont l'uti-
eten dehors des instructions que le Seigneur a lité a disparu avec le temps ; car s'il n'y a

données en figures, on ne trouvera rien qui plus de salut à espérer de ce côté-là, il n'y a
provoque à mentir par imitation. Car la dissi- pas non plus de mort à en craindre. C'est pour
mulation de Pierre et de Barnabe n'y est pas cela que Timothée, appelé dans l'incirconci-
seulement rappelée, mais aussi blâmée et cor- sion, et cependant né d'une mère juive, a été
rigée ^ Ce n'est pas non plus, comme quel- circoncis par l'Apôtre * il devait prouver à;

(jues-uns le pensent, parce même principe de ses proches, pour les gagner, que la doctrine
dissimulation que Paul l'apôtre circoncit Timo- chrétienne ne lui avait point appris à détester
thée, ou pratiqua lui-même certaines cérémo- les sacrements de l'ancienne Loi et en même ;

nies d'après le rite judaïque^; mais bien en temps démontrer aux Juifs que si les Gentils
vertu du principequ'ilproclamait,àsavoir: que ne les recevaient pas, ce n'était pas parce qu'ils
la circoncision n'était ni utile aux Gentils, ni les trouvaient mauvais ni pour condamner la
nuisible aux Juifs; et que, selon lui, il ne conduite des Juifs d'autrefois, mais parce qu'ils
fallait pas plus astreindre les païens à cette cou- n'étaient plus nécessairesau salut, après l'avé-
tume juive, que faire un crime aux Juifs de nementdu grand mystère que toute l'ancienne
suivre en ce point les traditions de leurs pères. Ecriture avait enfanté pendant tant de siècles
C'était ce qui lui faisait dire Un circoncis
: « par des figures prophétiques. Et Paul eût cir-
« a-t-il été appelé ? Qu'il ne se donne point pour concis Tite lui-même sur la demande pressante
a incirconcis. Est-ce un incirconcis qui a été ap- des Juifs, de faux frères ne fussent survenus
si

« pelé ? qu'il ne se fasse point circoncire. La cir- pour l'exiger, dans le but de répandre le bruit
« concision n'est rien et l'incirconcision n'est que Paul avait cédé à l'évidence de leurs argu-
« rien; mais l'observation des commandements ments, de proclamer que l'espoir du salut
« de Dieu est tout. Que chacun persévère dans évangélique reposait sur la circoncision de la
« la vocation où il quand il a été appelé * »
était chair et des autres observances de ce genre,
Comment en effet se donner pour incirconcis et de prétendre que sans cela le Christ ne ser-
(juand on a été circoncis? qu'il ne « se donne vait de rien à personne ^ tandis qu'au con- ;

« point»,ditrApôtre,qu'ilne vive pas comme traire le Christ ne servait de rien à ceux qui
s'il se donnait pour incirconcis c'est-à-dire ; recevaient la circoncision comme une condi-
qu'il ne reprenne pas cette enveloppe de chair tion nécessaire au salut ce qui faisait dire à :

qu'il a dépouillée, comme s'il cessait d'être l'Apôtre « Voici que moi, Paul, je vous dis
:

où il a dit ailleurs
juif et dans le sens « Ta ;
« que si vous vous faites circoncire, le Christ
« une incirconcision ^ » Et, ce
circoncision est . « ne vous servira de rien ^ ». C'est donc en
langage, Paul ne le tient pas pour forcer les vertu de cette liberté que Paul est resté fidèle
Gentils à demeurer incirconcis, ou les Juifs à aux traditions paternelles, mais en prenant ses
conserver la pratique de leurs pères
mais ; précautions et en ayant soin de prêcher qu'on
pour faire entendre aux uns et aux autres que ne devait point croire qu'un chrétien ne pût
j
rien, au contraire, ne peut les obliger à chan- se sauver sans cela. Pierre au contraire, par
i
ger de situation, qu'ils sont libres, et nulle- sa dissimulation, forçait les Gentils à embras-
' Ez. XVI , 52. — » Gai. u , 12 , 13. — •
S. Jérûme , ep. T5, inler
ser le Judaïsme, comme si c'eût été la condi-
Augustiniuna, n. 9-11. — " 1 Cor. vu, 18-20. — '
Rom. ii, 25. ' Act. XVI, 1,3.— ^ Gai. li, 3, 4. — ^
Id. v, 2.'
200 DU MENSONGE.

tion du salut ; ainsi que le font voir ces paroles le verset suivant le sens du premier, sui-
de Paul : « Comment forces-tu les Gentils à vant l'usage de l'Ecriture, en sorte que, la si-
« judaïser '? » Or les Gentils n'y étaient forcés gnification du mot iniquité étant plus étendue,
que parce qu'ils voyaient Pierre pratiquer ces ilaura nommé le mensonge pour spécifier un
observances comme si elles eussent été néces- genre d'iniquité ou, s'il y a une différence,
;

saires aune faut donc pas comparer


salut. Il elle tournera contre le mensonge, qui l'em-
la dissimulation de Pierre à la liberté avec portera en gravité de toute la distance qui sé-
laquelle Paul agit. Par conséquent nous devons pare ces deux mots « vous haïssez » et « vous
aimer Pierre acceptant de bon cœur la répri- « perdrez ». Car il peut arriver que la haine

mande, et ne point invoquer en faveur du de Dieu soit mitigée jusqu'à ne point perdre
mensonge l'autorité de Paul qui a ramené celui qui en est l'objet mais celui qu'il perd, ;

publiquement Pierre dans le droit chemin, de il le hait d'autant plus violemment qu'il le
peur que son exemple ne forçât les Gentils à punit plus sévèrement. Or, il hait tous ceux
judaïser. Et comme il passait pour ennemi des qui commettent l'iniquité, mais il perd ceux
traditions paternelles, parce qu'il ne voulait qui profèrent le mensonge. Cela posé : qu'im-
pas les imposer aux païens, afin de confirmer porte aux défenseurs de cette opinion qu'on
sa doctrine par sa conduite, il n'a pas dédaigné leur propose cet exemple : si un homme se
de se conformer à ces mêmes traditions sui- sauvait chez toi, et que tu fiusses l'arracher à
vant l'usage du pays faisant assez voir par là ; la mort par un mensonge, que ferais-tu? Car,
que, par le fait de l'arrivée du Christ, ces lites cette mort que redoutent dans leur folie les
n'étaient ni nuisibles aux Juifs, ni nécessaires hommes qui ne craignent pas de pécher, ne
aux avantageux à personne.
Gentils, ni tue pas l'àme, mais le corps, comme le Sei-
9. Ainsi on ne peut justifier le mensonge gneur l'enseigne dans l'Evangile; aussi ne
d'après les livres de l'Ancien Testament, soit veut-il point qu'on la craigne tandis que ^
;

parce que tout ce qui se fait ou se dit en sens la bouche qui ment tue l'âme et non le corps.
figuré n'est pas mensonge, soit parce qu'on L'Ecriture dit en effet très-clairement « La :

ne propose pas à l'imitation des bons ce qui « bouche qui ment, tue ràme^» Quel crime n'y .

est chez les méchants un premier pas dans la a-t-il donc pas à dire qu'on doit donner la mort

voie du progrès, par comparaison à des actions à eon âme, pour sauver chez un autre la vie du
pires ; ni d'après les livres du Nouveau Testa- corps? Car enfin, l'amour qu'on doit au pro-
ment, parce que c'est la réprimande, et non la chain est liante par l'amour qu'on se doit à
dissimulation, qu'on nous y offre pour modèle ;
soi-même. « Tu aimeras », est-il dit, « ton

comme ailleurs c'est la douleur de Pierre, et « prochain comme toi-même ' ». Comment

non son reniement, qu'on y présente à notre donc aimerait-on son prochain comme soi-
imitation. même, si on perdait la vie éternelle pour lui
CHAPITRE VI. procurer la vie temporelle puisque sacrifier ;

sa propre vie temporelle pour sauver une vie

LE MENSONGE EST UNE INIQUITÉ IL DONNE LA ;


temporelle, ce n'est déjà plus aimer son pro-
MORT A l'AME ON NE PEUT DONC LE COM-
;
chain comme soi-même, mais plus que soi-
METTRE POUR SAUVER LA VIE TEMPORELLE A même : ce qui outre-passe les règles de la
QUI QUE CE SOIT. saine doctrine? A bien plus forte raison n'est-
ce pas aimer son prochain comme soi-même
Ces mêmes hommes prétendent, avec beau- que de perdre par un mensonge la vie éter-
coup plus d'assurance encore, qu'on ne doit nelle pour lui sauver la vie temporelle. Sans
avoir aucun égard aux exemples tirés de l'u- doute un chrétien n'hésitera pas à sacrifier la
sage général. Et d'abord, ils affirment que le vie du temps pour procurer la vie éternelle à
mensonge est une iniquité, et le prouvent par son prochain le Seigneur en a donné l'exemple
:

de nombreux textes des saintes Ecritures, et en mourant pour nous. Et c'est le sens de
celui-ci surtout : « Vous haïssez. Seigneur, tous ces paroles du Sauveur « Voici mon com- :

« ceux qui commettent l'iniquité, vous perdrez « mandement c'est que vous vous aimiez les
:

«tous ceux qui professent le mensonge^». « uns les autres, comme je vous aime. Per-
Ou le Psalmiste, disent ij^ ^i, LAphch^^par cesonne n'a un plus grand amour que celui qui
'
Gai. II, M. — ' Ps. V, 7. '
Matt. X, 28. — ' Sag. i, 11. — ' Lévu, x\x, 18 ; Ma». XXll, 39.
DU MENSONGE. 201

« donne amis » Car il n'y a per-


sa vie pour ses *
. CHAPITRE YII.
sonne d'assez insensé pour dire que le Sei-
IL NE FAUT PAS MÊME MENTIR POUR CONSERVER
gneur ait eu d'autre vue que le salut éternel
LA CHASTETÉ CORPORELLE. QU'eST-CE QUE LE
des hommes soit en faisant ce qu'il a com-
LIRERTINAGE ?
mandé, soit en commandant ce qu'il a fait.
Donc puisqu'en mentant on perd la vie éter- 10. Il s'agit de la chasteté du corps. Une per-
nelle, il n'est jamais permis de mentir pour sonne très-honorable se présente et demande
sauver la vie temporelle d'un autre. Quant à la permission de mentir, de mentir sans hési-
ceux qui s'irritent, qui s'indignent, si l'on re- tation, dans le cas où un homme veut lui
fuse de perdre son âme par un mensonge faire violence et lui infliger un déshonneur
pour procurer à un autre la prolongation de qu'elle pourrait éviter au moyen d'un men-
sa vie charnelle, que diront-ils dans le cas où, songe. La réponse est facile toute pudeur du :

par le vol, par l'adultère, nous pourrions éga- corps dépend de la pureté de Tàme ôtez la ;

lement sauver quelqu'un de la mort? Faudra- pureté de l'àme, celle du corps disparaît, bien
t-il voler, ou commettre l'adultère? Ils ne qu'elle semble intacte. Aussi ne doit-on pas
songent pas que la conséquence forcée de compter celle-ci parmi les biens temporels,
leur doctrine serait que, dans la supposition puisqu'on ne peut la perdre malgré soi. L'àme
où quelqu'un, tenant en main une corde, de- n'aura donc garde de se corrompre par
manderait à une femme le sacrifice de son le mensonge, pour sauver la pureté de son
honneur, sous la menace de se pendre si elle corps, qu'elle sait être intacte, tant que
n'acquiesçait pas à sa demande, cette femme la corruption ne provient pas d'elle-même.
serait obligée d'y consentir, pour sauver une En effet, ce que le corps subit par violence
âme, suivant rex[)ression qu'on emploie. Or, etsans les préliminaires de la passion, ne doit
sicette conséquence est absurde et criminelle, point s'appeler corruption , mais violence
pourquoi perdrait-on son àme par le men- tyrannique. Ou bien si toute Aiolence est
songe, pour conserver à un autre la vie du corruption, toute corruption n'est pas coupa-
corps, puisque livrer son corps au déshon- ble, à moins que la passion ne l'ait provoquée
neur, dans ce but, serait un acte honteux et ou n'y ait consenti. Or, plus l'àme l'emporte
universellement réprouvé? Il n'y a donc ici sur le corps, plus il est criminel de la souil-
qu'un seul point à considérer Le mensonge : ler. Le sanctuaire de la pudeur est donc là où
est-il une iniquité ? Et ce point étant démon- la corruption ne peut exister tant qu'elle
tré par les textes cités, demander s'il est per- n'est pas volontaire. Car, si un libertin atta-
mis de mentir pour sauver la vie de son pro- que corps violemment et qu'on ne puisse
le
chain, demander s'il faut commettre
c'est l'écarter, ni par la force, ni par le conseil, ni
l'iniquité pour sauver la vie de son prochain? par mensonge, nous sommes certainement
le
Or, si cela est absolument opposé au salut de obligés de convenir que la pudeur est hors de
l'âme, qui ne peut être sauvée que par la jus- l'atteinte d'une passion étrangère. Par consé-
tice, et qui veut être préférée, non-seulement quent, comme personne ne doute que l'âme
à la vie temporelle d'un autre, mais à la nô- l'emporte sur le corps, il faut préférer à la
tre propre comment pourrait-on hésiter le
: pureté du corps celle de l'àme que l'on peut
moins du monde à admettre qu'il ne faut ja- conserver à jamais. Or, qui oserait dire que
mais mentir ? Car on ne saurait nier que la l'àme du menteur est juste? On détînit avec
santé et la vie du corps soient les plus pré- raison la passion : une convoitise de l'àme qui
cieux et les plus chers de tous les biens tem- lui fait préférer les biens temporels aux biens
porels. Mais si on doit les sacrifier à la vérité, éternels. Donc personne ne pourra prouver
qu'objecteront ceux qui prétendent qu'il est permis de mentir sans
qu'il est quelquefois
quelquefois permis de mentir ? Quelle suppo- démontrer en même temps qu'on peut obte-
sition feront-ils qui puisse autoriser le men- nir quelque bien éternel par le mensonge.
songe ? Mais comme on s'éloigne de l'éternité à me-
'
Jean, xv,.12, 13. sure qu'on s'éloigne de la vérité, ce serait le
comble de l'absurdité de dire que l'on peut
arriver par là à quelque chose de bien ou :

s'il existe un genre de bien éternel qui n'em-


202 DU MENSONGE.

brasse pas la vérité, il n'est pas vrai ; et s'il une fois accepté, c'en est fait de tous les en-

n'est pas vrai, ce n'est plus un bien. Or, seignements de la foi et sans la foi, il est
;

comme il faut préférer l'âme au cor|)s, il faut impossible de parvenir à l'intelligence; car
aussi préférer la vérité à l'âme; il faut que c'est elle qui nourrit les petits enfants et les

l'âme tienne plus à la vérité qu'à son corps et prépare à comprendre ;


par conséquent, toute
plus qu'à elle-même. Elle sera en effet plus doctrine de vérité disparaît, pour faire place à
pure et plus cbaste par la possession de ce qui la licence effrénée de l'erreur, dès qu'on ou-
est immuable, qu'en s'appuyant sur sa propre vre, d'un côté ou de l'autre, la porte au men-
mobilité. Si Lotb qui était juste au point de songe même officieux. En effet, ou celui qui
mériter d'avoir des auges pour botes, livra ses ment préfère à la vérité des avantages tempo-
filles à l'infâme passion des habitants de So- rels, soit les siens propres, soit ceux d'autrui

domc, préférant voir le déshonneur tomber (et quel crime plus grand que celui-là?) ou, ;

sur des femmes que sur des hommes ^ com- ;


en cherchant à attirer quelqu'un à la vérité à
bien plus de zèle, combien plus de fermeté l'aide du mensonge, il ferme la porte à la vé-

doit-on mettre à maintenir la chasteté de l'âme rité elle-même : car, en voulant se rendre

dans la vérité, puisqu'il est bien plus con- apte à instruire en mentant, il fait que son
forme à la vérité de préférer l'âme au corps, autorité est douteuse quand il proclame la
qu'un corps d'homme à un corps de femme? vérité. Donc il ne faut pas croire aux gens de
bien, ou il faut croire à ceux que nous savons
CHAPITRE YIII. obligés de mentir quelquefois, ou il ne faut
pas croire que les gens de bien recourent
ON NE DOIT PAS MÊME MENTIR POUR PROCURER
quelquefois au mensonge. Dans le premier
AUX AUTRES LA VIE ÉTERNELLE.
cas, il y a un danger mortel; dans le second,

H.Si quelqu'un s'imagine qu'on peut mentir il y a folie ; il ne nous reste donc qu'à croire

pour un autre, afin de lui sauver la vie, ou de que les gens de bien ne mentent jamais.
lui épargner quelque blessure dans ses plus
chères affections, et de le faire ainsi parvenir,
CHAPITRE IX.

au moyen de l'instruction, à la vie éternelle ;


QUELQUES-UNS PENSENT QU'ON PEUT MENTIR POUR
celui-là ne fait pas attention qu'il n'est pas de SE SOUSTRAIRE A UN ATTENTAT CONTRE LA PU-
crime qu'on ne commettre dans
fût forcé de DEUR. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.
les mêmes conditions, comme nous l'avons
démontré plus haut, et, encore, que l'autorité 12. Bien que la question ait été examinée et

de la doctrine elle-même serait ébranlée et examinée des deux côtés, il ne faut cependant
sapée par la base, si ceux que nous cherchons pas se presser de donner la décision, mais
à y conduire, venaient à se persuader, jiar prêter une oreille attentive à ceux qui pré-
de notre mensonge, qu'il est quelquefois
l'effet tendent qu'il n'est pas de mal qu'on ne doive
permis de mentir. En effet, comme la doctrine commettre pour en éviter un plus grand, et
du salut se compose en partie de choses qu'il que l'homme est responsable, non-seulement
faut croire, en partie de choses qu'il faut com- de ce qu'il fait, mais de tout ce qu'il laisse
prendre, et qu'on ne peut parvenir à ce qu'il faire avec son consentement. Si un chrétien a

faut comprendre, sans croire préalablement à pu être autorisé à offrir de l'encens aux ido-
ce qu'il faut croire ; comment ajouter foi à celui les, pour éviter un attentat à sa pudeur dont

qui pense qu'on peut quelquefois mentir, com- un persécuteur le menaçait en cas de refus, les
ment ne pas craindre qu'il ne mente, préci- partisans de cette opinion se croient en droit de
sément quand il commande de croire ? Com- demander pourquoi on n'éviterait pas ce même
ment saura-t-on s'il n'a pas, à ce moment, déshonneur au prix d'un mensonge?Selon eux,
quelque prétendu motif de mentir officieu- le consentement qui ferait que l'on aimerait

sement, dans la pensée qu'un faux récit pourra mieux subir cet outrage que d'offrir de l'encens
effrayer quelqu'un, le préserver de l'entraîne- aux idoles, ne serait pas chose passive, mais un
ment de lu passion, et s'il ne s'imagine pas acte et pour éviter cet acte, on a mieux aimé sa-
;

l)Ourvoir ainsi, même en mentant, à des in- crifier aux idoles. Combien plus volontiers au-
térêts spirituels ? Ce procédé une fois admis, rait-on menti, si un mensonge avait pu épargner
' Gen. xis, 8. un si affreux déshonneur à un corps sanctifié?
DU MENSONGE. 203

13. Là-dessus, voici les points qui méritent cipant point à leur action, mais en la repous-
d'être examinés ; Un tel consentement peut-il sant et lacondamnant de toutes nos forces.
être considéré comme un acte? Y a-t-il con- 14. Maiscomment, dira-t-on, ce chrétien
sentement là où il n'y a pas approbation ? Est- ne partiel pe-t-il pas à une action qu'on ne
ce approbation que de dire Il vaut mieux su-
: commettrait pas, s'il en faisait une autre?
bir ceci que de faire cela ? Est-ce bien faire Alors nous sommes donc complices de l'effrac-
de sacrifier aux idoles plutôt que de subir un tion d'une porte, puisque le voleur ne la bri-
attentat contre la pudeur ? Et, le cas étant serait pas nous ne l'avions pas fermée nous
si ;

donné, vaudrait-il mieux mentir que d'offrir sommes donc complices de l'homicide, s'il
de l'encens aux idoles? Or, si un consente- nous arrive de savoir qu'il aura lieu, puisque
ment de ce genre doit être tenu pour un acte, nous ne tuons pas d'avance les brigands pour
il faut appeler homicides et même, ce qui est les empêcher de le commettre; ou encore, si
plus grave encore, suicides, ceux qui ont un homme nousavoue qu'il est dans l'intention
mieux aimé être tués que de rendre un faux de commettre un parricide, nous le commet-
témoignage. En efl'et, à ce taux-là, pourquoi ne tons donc avec lui, si, ne pouvant l'en détour-
dirait-on pas qu'ils se sont donné la mort, ner ni l'en empêcher par un autre moyen,
puisqu'ils ont mieux aimé la recevoir que de nous ne le tuons pas, quand nous le pouvons,
faire ce qu'on exigeait d'eux ?0u bien, si l'ho- avant qu'il s'en rende coupable ? On pourra
micide paraît plus coupable que le suicide, répéter exactement dans les mêmes termes :

que du cas où l'on proposerait au martyr


dire Vous êtes son complice car il n'eût pas fait
:

de rendre un faux témoignage du Christ et ceci, si vous eussiez fait cela. Pour moi, je

d'immoler aux démons, avec menace, s'il re- voudrais qu'aucune de ces fautes ne fût com-
fuse, de tuer sous ses yeux, non le premier mise; mais je ne puis éviter que celle qui dé-
venu, mais son i)ère, son propre père, qui le pend de ma volonté; quant à celle d'un autre,
supplie de ne pas lui doimer la mort en {)er- si je ne puis rem[)ècher autrement, je ne

sévéraiit dans sa résolution ? N'est-il pas évi- suis point obligé d'y mettre obstacle en faisant
dent que, s'il restait fidèle à rendre témoi- une mauvaise action. Ce n'est point approuver
gnage à la vérité, il ne serait point parricide, le mal, que de ne pas le commettre pour un

mais que ceux qui auraient tué son père mé- autre. Celui qui n'approuve ni l'une ni l'autre
riteraient le nom d'homicides? De même donc faute, voudrait que ni l'une ni l'autre faute
que ce martyr ne participerait en rien à ce n'eût lieu; seulement par le pouvoir qu'il en
crime odieux pour avoir mieux aimé voir son a, il ne commet point celle qui dépend de lui,
père, même coupable de sacrilège, son père et par la volonté seulement, il condamne celle
dont l'àme va être entraînée aux supplices, qui dépend de la volonté d'un autre.
mieux aimé, dis-je, le voir tuer par d'autres, Si donc à cette proposition Tu subiras :
tel
que d'outrager lui-même sa foi par un faux tourment, si tu n'otl'res de l'encens aux idoles,
témoignage ainsi l'autre chrétien serait in-
; le martyr répondait Je neveux ni l'un ni l'au-
:

nocent de l'attentat commis sur lui, s'il refu- tre, je déteste l'un et l'autre; cette réponse ou
sait de faire le mal, quelles que pussent être toute autre de ce genre, fondée sur la vérité,
les suites de sa résistance. Que disent, en ef- ferait voir qu'il n'y a chez lui aucun consente-
fet, les persécuteurs de ce genre, sinon Fais : ment, aucune approbation; et quelque traite-
lemal pour nous empêcher de le faire ? Et ment que lui infligeassent ses persécuteurs, il

quand cela serait vrai, nous ne devrions pas serait regardé comme victime et eux comme les
leur rendre de service en nous rendant nous- seuls coupables. Quoi, dira-t-on, devrait-il se
mêmes coupables. Mais comme ils fontlemal, résigner à subir une infamie plutôt qu'à offrir
mêiue quand ne tiennent pas ce langage,
ils de l'encens auxidoles ? Si tu demandes ce qu'il
pourquoi nous tiennent-ils ? Pourquoi ne
le doit faire, je réponds : Ni l'un ni l'autre, car
se livrent-ils pas tout seuls au crime et à la si je disais qu'il doit faire l'une de
ces deux
honte ? Car on ne peut pas parler ici de con- choses, j'approuverais cette chose, tandis que
sentement, puisque nous n'approuvons pas ce je les réi)rouve toutes les deux. Mais si on me
qu'ils font, (|ue nous désirons qu'ils ne le fas- demande laquelle de ces deux actions il doit
sent pas, que nous les en empêchons autant éviter de préférence, dans le cas où il n'en
qu'il est en nous, non-seulement en ne parti- pourrait éviter qu'une, je réponds : Il doit
204 DU MENSONGE.

éviter un péché personnel, même léger, plu- appelé péché dès qu'il a pour but d'empêcher
tôt que péché d'un autre, même plus grave.
le de telles souillures. Car tout ce qu'on serait
En admettant donc, sauf un examen plus ap- justement blâmé de ne pas faire cesse d'être un
profondi, que commettre la fornication soit un péché. Il en résulte que
la souillure dont il

plus grand mal que de sacrifier aux idoles, du est question ne doit pas même s'appeler ainsi,
moins ce dernier acle serait le sien, tandis quand on ne peut absolument l'éviier car ;

que le premier serait celui d'un autre, bien celui qui la subit a encore quelque chose de

qu'il le subît; or le péché retombe sur celui bien à faire : c'est de supporter avec patience
qui agit. En effet bien que l'homicide soit ce qu'il ne peut éviter. Jamais souillure cor-
plus coupable que le vol, il y a cependant porelle ne rendra immonde celui qui fait le
plus de mal à commettre le vol qu'à subir bien. Car tout homme injuste est immonde
l'homicide. Ainsi l'homme placé dans l'alter- devant le Seigneur. Donc tout homme juste
native de voler ou de laisser commettre sur est pur, sinon devant les hommes, au moins
lui un homicide, c'est-à-dire d'être tué, devrait devant Dieu, juge infaillible. Par conséquent
éviter son péché propre plutôt que celui d'un l'homme n'est point souillé parle contact cor-
autre. Et ce dernier ne pourrait lui être im- porel, même quand il aurait pu l'éviter; ce qui
puté par la raison qu'il aurait été commis le souillerait ce serait le péché qu'il aurait
contre lui et qu'il aurait pu l'éviter, en en commis pour éviter ce contact, mais qu'il n'a
commettant un lui-même. point voulu commettre, car tout ce qu'il aurait
15. Tout le nœud de la question se réduit pu pour échapper à ces souillures, n'au-
faire

donc à demander si l'on ne peut vous impu- rait pas été péché. Donc quiconque ment dans
ter aucun péché étranger, bien que commis ce but, ne pèche pas.
sur vous et quoique vous ayez pu l'empêcher 16. Faut-il encore excepter certains men-
par une faute plus légère et ne l'ayez pas songesqu'onnedoitpoint faire, même au risque
voulu, ou s'il faut faire une exception pour de subir ces violences? Si cela est, on ne saurait
une souillure corporelle. Car personne ne re- dire que rien de ce qu'on fait pour éviter ces
garde un homme comme souillé pour avoir souillures n'est péché, puisqu'il y aurait cer-
été tué, jeté en prison, enchaîné, flagellé, ou tains mensonges qu'on ne pourrait dire sans
affligé de douleurs et de tortures de toute espèce; se rendre plus coupable qu'un subissant les

ni pour avoir été proscrit, f)Our avoir subi outrages en question. En effet si on cherche
des pertes très-gravesjusqu'au dernier dénù- quelqu'un pour attenter à sa pudeur, et qu'il
ment, pour avoir été dépouillé des honneurs, soit possible de le cacher à l'aide d'un men-

OU accablé des plus sanglants affronts et d'in- songe, qui osera prétendre qu'on ne doive pas
jures de toute sorte; non, personne ne sera dire ce mensonge ?Mais s'il ne peut échapper
assez insensé pour appeler immonde celui qui qu'au prix d'un mensonge qui blesse la répu-
aura subi tout cela. J\lais si on le couvre de fu- tation d'un autre, qu'en accusant faussement

mier, ou si on lui introduit par force des or- un tiers du genre d'impureté qu'on veut faire
dures dans la bouche, ou si on le déshonore subir au premier; par exemple si on nomme
comme on déshonorerailunc femme ;ilinspire un homme chaste et étranger à toute espèce
une horreur à peu près universelle, et on l'ap- de crime de ce genre et qu'on dise adresse- :

pelle souillé d'ignominie et immonde. D'où il toi à lui, et il le procurera quelque chose de

faut conclure que quels que soient les péchés mieux pour assouvir ta passion, car c'est son
commis par d'autres, sauf ceux qui rendent goût et il s'y connaît, et que par là on puisse
immonde celui sur qui on les commet, on ne préserver celui qui était cherché en pre-
doit point les empêcher en péchant personnel- mier lieu je ne sais s'il serait permis de
:

lement, soit qu'il s'agisse de soi-même, soit blesser ainsi par un mensonge la réputa-
qu'il s'agisse d'un autre, mais qu'on doit s'y tion d'un homme pour sauver de l'outrage le
résigner et les supporter avec courage, et ne corps d'un autre homme. Jamais on ne doit
les prévenir par aucune espèce de péché, pas mentir en faveur de quelqu'un, quand c'est
même par un mensonge au contraire ceux ; au détriment d'un tiers, bien que le dommage
qui se commettent sur l'homme de manière à causé par le mensonge soit moindre que celui
le rendre immonde, il faut les éviter même au qu'on préviendrait en mentant. Une faut pas
prix du péché, qui du reste ne peut plus être prendre de force le pain d'un homme plus vi-
DU MENSONGE. 205

goureux pour donner à un plus faible, ni


le croit devoir passer sous silence; mais il ne
battre de verges un innocent malgré lui, pour peut jamais mentir, par conséquent jamais
faire éviter lamorlà un autre, lien serait au- rien cacher par un mensonge.
trement s'ils y consentaient; en ce cas_, on ne
leur ferait plus injure. CHAPITRE XI.

IL FAUT ÉVITER LES MENSONGES QUI NUISENT A UN


CHAPITRE X.
AUTRE ou A SOI-MÊME. DIFFÉRENCE ENTRE
IL NE FACT JAMAIS MENTIR EN MATIÈRE DE l'homme qui MENT ET LE MEM£LR.
RELIGION.
18. Ce point une fois solidement établi, on
Mais permis de détourner un attentat
est-il procède plus sûrement à l'étude des autres
honteux du corps d'un homme, en accusant espèces de mensonge. Mais on voit déjà clai-
faussement un autre du même crime, même rement qu'il faut s'interdire tous ceux qui
du consentement de celui-ci? c'est une grave blessent quelqu'un injustement car on ne :

question, et je ne sais s'il serait facile de prou- doit faire à personne un tort, même léger,
ver qu'il soit plus juste d'accuser faussement pour en éviter un plus grave à un tiers. Il ne
d'un tel crime celui qui consent à subir cette faut pas davantage se permettre ces men-
calomnie, que de faire subir ce déshonneur songes qui ne nuisent pas à un autre, mais ne
au corps d'un homme qui ne veut pas y con- profitent à personne et font tort à celui qui les
sentir. profère sans raison. C'est là proprement ce
17. Toutefois si l'on proposait à celui qui a qu'on appelle être menteur. Car il y a cette
mieux aimé de l'encens aux idoles que
offrir différence entre le mentant
menteur. Le
et le

d'être déshonoré dans son corps, si on lui pro- mentant est celui qui ment malgré lui; le
posait, dis-je, de se soustraire à la première menteur aime à mentir et goûte intérieure-
injonctionen proféranlun mensonge injurieux ment le plaisir de le faire. Mettons à la suite
à la mé(noire du Christ, il serait le plus insensé ceux qui mentent pour plaire aux hommes,
des hommes s'il y consentait. Je dis plus : il non dans le but de faire tort ou injure à quel-
serait encore plus insensé, pour se sous- si qu'un (nous avons déjà écarté celte catégorie)
traire à l'infâme passion d'un autre, pour mais pour donner de l'agrément à leurs con-
éviter un outrage absolument indépendant de versations. La différence qu'il y a entre ces
sa volonté, il altérait l'Evangile p ir de faux mentL'urs et ceux dont nous parlions tout à
éloges du Cbrist plus zélé a éviter un atten-
: l'heure, c'est que les premiers se plaisent à
tat contre son corps, qu'à ne pas corromfire, mentir^ éprouvant une jouissance à tromper,
qu'à respecter la doctrine qui sanctitie les tandis que ceux-ci ne cherchent que l'a-
âmes et les corps. Il faut donc absolument grément du langage, et qu'ils préféreraient
écarter toute espèce de mensonge de l'ensei- même l'emprunter à la vérité, mais à défaut
gnement de la religion, et de toutes les expli- de vérités qui puissent charmer les auditeurs,
cations, de tous les énoncés qui s'y rattachent ils aiii eut mieux mentir que de garder le si-
quand on travaille à l'instruction des autres lence. 11 leur est difficile cependant de fonder
ou à la sienne. Il est impossible d'imaginer tout uu récit sur le mensonge, alors ils mê-
un motif qui justifie le mensonge en tel cas; lent le vrai et le faux, dès que l'intérêt lan-
on ne le peut pas, même dans le but dattirer guit. Or ces deux espèces de mensonges ne
quelqu'un plus facilement à cette doctrine. font point de tort à ceux qui les écoutent,
En elfet, dès que la virile est détruite, ou parce qu'il ne s'agit ni de l'enseignement de
même légèrement atteinte, tout retumbe dans la religion etde la vérité, ni de rien qui touche
car on ne peut croire comme
l'incertitude : à leurs avantages ou à leurs intérêts, il leur
qu'on ne tient pas pour certain. Il est
vrai ce suffit de croire possible ce qu'on leur raconte,
donc permis à celui qui disserte ou discute et d'iijouter foi à un homme qu'ils ne doivent
sur les vérités éternelles et à celui qui les pas juger capable de mentir à tort et à tra-
prêche, à celui qui raconte ou explique des vers. En effet quel mal y a-t-il à regarder le
événements temporels qui tendent à l'édiOca- père ou le grand-père d'un tel comme un
tion religieuse et à la pieté, il lui est permis, homme de bien, quoiqu'il ne l'ait pas été, ou

dis-je, de taire dans l'occasion tout ce qu'il à croire qu'il a porté les armes jusqu'en Perse,
206 DU MENSONGE.
quand il n'est jamais sorti de Rome? Mais ces ne vous serait-il pas permis de mentir? Quoi !

mensonges sont très-nuisibles à ceux qui les vous le pourriez pour un autre, et non pour
disent; aux uns, parce qu'ils abandonnent vous qui êtes pauvre? Etes-vous obligé d'ai-
la vérité pour se complaire dans le mensonge; mer votre prochain plus que vous-même ?
aux autres, parce qu'ils aiment mieux plaire Donc dans les deux cas le mensonge est cou-
que de rester dans le vrai. pable et il faut l'éviter.
20. Peut-être fera-t-on ici une exception : les
CHAPITRE XII. mensonges, utiles à quelqu'un sans nuire à per-
sonne, seraient permis, mais non ceux que l'on
PEUT-ON MENTIR QUAND CELA EST UTILE A dirait pour cacher ou justifier un crime par ;

quelqu'un sans NUIRE A PERSONNE. LE MEN- exemple un mensonge qui, sans nuire à per-
SONGE n'eST-IL pas TOUJOURS UN FAUX TÉMOI- sonne, serait utile à un pauvre, mais dissimu-
GNAGE. lerait un vol, serait coupable mais si sans ;

nuire à personne, il rendait service à un pau-


-19. Après avoir condamné sans hésiter ces vre, et ne cachait ni ne justifiait aucun vol,
espèces de mensonge^ nous passons à un autre il ne le serait plus. Ainsi, quelqu'un cachera

qui semble comme un progrès vers le bien : son argent devant toi, dans la crainte qu'on
c'est celui qu'on attribue généralement à un ne le lui vole ou ne le lui enlève par force on ;

sentiment de bienveillance et de bonté, quand tequestionne là-dessus et tu mens, évidemment


celui qui ment^ non-seulement ne nuit à per- tu ne fais tort à personne, tu rends service au
sonne, mais rend même service à quelqu'un. propriétaire à qui le secret était nécessaire, et
Ici toute la question se réduit à savoir si c'est tu n'as dissimulé aucun péché par ton men-
se faire tort à soi-même que de rendre service songe : car il n'y a pas de péché à cacher son
à quelqu'un aux dépens de la vérité. Quand bien, quand on craint de le perdre. Mais si
môme le nom de vérité ne conviendrait qu'à l'on ne pèche pas en mentant, quand on ne
celle qui éclaire les intelligences de sa lumière couvre aucune faute, qu'on ne fait tort à per-
immuable, cependant le menteur
intérieure et sonne et qu'on rend service à quelqu'un, que
dont nous parlons agit du moins à rencontre ferons-nous du péché même de mensonge ?
d'une certaine vérité car bien que les sens
: Car dans l'endroit où l'on nous dit « Tu ne :

corporels soient sujets à la déception, c'est « voleras pas », on nous dit aussi « Tu ne ren- :

aller contre la vérité que de dire qu'une chose « dras pas de faux témoignage * ». Comme la

est telle ou n'est pas telle, quand ni l'intelli- défense s'applique à l'un et à l'autre séparé-
gence, ni les sens, ni l'imagination, ni la foi ment, pourquoi le faux témoignage est-il cou-
ne le lui disent. Celui qui rend de cette façon pable quand il couvre le vol ou tout autre
service à un autre, ne se nuit-il point à lui- péché, et ne l'est-il plus dès qu'il cesse de
même, ou le service qu'il rend compense-t- prêter un voile officieux au mal, alors que le
il le tort qu'il se fait ? c'est là une grave ques- vol et tous les autres péchés sont coupables
en est ainsi il faudra dire qu'il doit se
tion. S'il par eux-mêmes donc défendu de
? serait-il
rendre service à soi-même, en disant un men- cacher le péché le commettre ?
et permis de
songe qui ne nuit à personne, ftlais ces propo- 21. Mais si cela est absurde, que dire ? n'y
sitions s'enchaînent mutuellement et les con- aura-t-il faux témoignage que quand on ment
cessions mènent à des conséquences qui jet- pour calomnier quelqu'im ou pour dissi- ,

tent dans un grand trouble. En effet si on muler sa faute, ou pour l'opprimer devant les
demande quel tort éprouverait un homme tribunaux ? Car il semble que le juge a besoin
excessivement riche de la perte d'un boisseau de témoin pour connaître une cause. Mais si
de blé pris parmi des milliers et des milliers l'Ecriture n'entendait qu'en ces sens le mot
d'autres, quand ce boisseau peut sauver la vie de témoin, l'Apôtre n'eût pas dit « Nous nous :

à celui qui le vole on arrivera à dire qu'on


: « trouvons même être de faux témoins à l'é-

peut voler sans se rendre coupable et rendre un «gard de Dieu, puisque nous rendons ce té-
faux témoignage sans pécher. Or quelle erreur « moignage contre Dieu, qu'il a ressuscité le
plus criminelle que celle-là ? Mais si un autre « Christ, que pourtant il n'a pas ressuscité * ».
avait volé ce boisseau, que vous en eussiez Par là il fait voir que le mensonge est un
été témoin et qu'on vous questionnât là-dessus, 'Ex. x.v, \b, 16. - Cor. xv, 15.
= I
DU MENSONGE. 207

taux témoignage, même quand on le dit pour déclare aussi le traître détestable. Serait-ce
louer faussement quelqu'un. qu'on n'est pas un traître, quand on répond
la vérité aux questions d'un juge, et qu'on
CHAPITRE XIII. l'est quand on dénonce volontairement un

criminel condamné à mort ? Mais si tu con-


PEUT-ON MENTIR POUR NE PAS TRAHIR UN HOMI-
CIDE ou UN INNOCENT QU'ON CHERCHE POUR LE
nais la retraite d'un juste, d'un innocent,
FAIRE MOURIR ?
condamné à mort par une autorité supérieure,
et que tu sois interrogé là-dessus par un juge
Serait-ce que le faux témoignage consiste à qui n'a pas fait la loi , mais est chargé de
mentir pour calomnier quelqu'un ou pour l'exécuter, le mensonge que tu diras en faveur
dissimuler une faute, ou pour causer un pré- de cet innocent cessera-t-il d'être faux témoi-
judice quelconque ? Mais si le mensonge qui gnage, parce que celui qui t'interroge n'est
tend à ôter à quelqu'un la vie temporelle est pas ici le vrai juge, mais le simple exécuteur
détestable, à combien plus forte raison celui du jugement? Et si c'est l'auteur même de
qui porte atteinte à la vie éternelle ? Or tel est qui interroge, ou tout autre juge inique
la loi

le mensonge qui touche l'enseignement reli- qui veut faire périr un innocent? que feras-
gieux. pourquoi l'Apôtre qualifie de
Voilcà tu? seras-tu faux témoin, ou traître? Celui
faux témoignage un mensonge à l'égard du qui dénonce de lui-même à un juge juste la
Christ, quoique proféré sous l'apparence d'un retraite d'un homicide; et celui qui, interrogé
éloge. Mais si c'est un mensonge qui ne soit par un juge injuste indique la retraite d'un
point calomnieux, qui ne couvre aucun péché, iniiocent qu'on veut faire mourir et qui s'est
qui ne soit point dit sur la réquisition d'un confié à sa discrétion, ne l'est-il plus ? Balan-
juge, qui serve à quelqu'un sans nuire à per- ceras-tu, hésiteras-tu entre le crime de faux
sonne, faudra-t-il dire que ce n'est point un témoignage et celui de trahison ? Eviteras-
faux témoignage, ni un mensonge blâmable ? tu décidément l'un et l'autre en gardant le
22. Quoi donc si un homicide cherche
1 silence, ou en déclarant que tu ne diras rien ?
asile chez un chrétien, ou que celui-ci con- Et pourquoi alors ne pas le faire avant de
naisse le lieu de sa retraite et qu'il soit inter- paraître devant le juge, et éviter ainsi même
rogé par celui qui cherche le meurtrier pour le mensonge ? En mensonge, tu
évitant le
le mener au supplice: devra- t-il mentir ?Mais éviteras aussi le faux témoignage, soit que
alors le mensonge ne couvre-t-il pas un péché, tout mensonge soit faux témoignage ou non
;

puisque celui pour qui on ment a commis un mais en évitant le taux témoignage tel que tu
crime horrible? Dira-t-on qu'on ne s'informe l'entends, tu n'éviteras pas tout mensonge.
pas du péché, mais seulement de la retraite Combien n'y de force, plus de
a-t-il pas plus
du coupable? Alors ce serait un mal de ca- vertu à dire ne trahirai ni ne mentirai
: je I

cher un péché et non de cacher un pécheur ? 23. C'est ce que fit un jour un évêque de
Oui, sans doute, répondra-t-on : car ce n'est Thagaste, Firmus, ferme par le nom mais ,

pas en évitant le supplice, mais en le méritant plus encore par la volonté. Comme des licteurs
qu'on se rend coupable. Or c'est un point de envoyés par l'empereur réclamaient de lui un
doctrine qu'il ne faut désespérer de la conver- homme qui lui avait demandé asile et qu'il
sion de personne, ni fermer à qui que ce soit cachait avec le plus grand soin, il répondit
la voie du retour, soit : mais si tu es conduit qu'il ne pouvait ni mentir ni trahir personne,
devant le juge et qu'il te demande où le et les nombreux tourments qu'on lui fit subir
coupable s'est réfugié diras-tu Il n'est pas
; : (les empereurs n'étaient pas encore chrétiens)
là, où tu sais qu'il est ? diras-tu : Je n'en sais n'ébranlèrent pas sa résolution. Conduit de,
rien, je ne l'ai pas vu quand tu sais et que
,
vaut l'empereur, il se montra sous un jour si
lu as vu Rendras-tu un faux témoignage, et
? admirable, qu'il obtint sans difficulté la grâce
tueras-tu ton âme pour arracher un homicide de son protégé. Peut-on déployer plus de force,
à la mort ? Ou bien mentiras-tu jusqu'à ce plus de fermeté? Jlais, dira quelqu'un plus
qu'on te mène devant le juge, et diras-tu la timide, je puis être prêt à subir tous les tour-
vérité quand celui-ci t'interrogera, afin de ne ments, la mort même, pour éviter le péché
;
pas être faux témoin? Tu tueras donc un mais puisque ce n'est pas un péché de mentir
homme en trahissant sa retraite. Or l'Ecriture quand on ne nuit à personne, qu'on ne rend
208 DU MENSONGE.

pas de faux témoignage et qu'on est utile à pas à ce que tu me demandes, mais bien Je :

quelqu'un ce serait un acte de folie et un


: sais où il est et je ne le l'indiquerai jamais.
grand péché de s'exposer aux tourments de Car si on détermine un lieu et que tu te con-
gaîlé de cœur et sans raison, de livrer en pure tentes de répondre que tu ne diras rien, c'est
perte à la fureur des bourreaux une santé, une comme si tu montrais le lieu même du doigt,
vie qui peuvent être utiles. Etmoi je demande puisque tu fais naître un soupçon qui est bien
à cechrélien pourquoi il craint ce qui est écrit: près de la certitude. Mais si tu commences par
« Tu ne porteras point de faux témoignage *», avouer que tu connais l'endroit et que tu ne
et ne redoute pas ce que le Psalmiste dit à veux pas le dire, peut-être pourras-tu donner
Dieu « Vous perdrez ceux qui profèrent le
: le change, détourner les recherches et provo-
« mensonge? * ». —
Non pas toute espèce de quer des violences pourt'obliger àtrahircelui
mensonge, dira-t-il, cela n'est pas écrit car ; qu'on cherche. Dans ce cas, non-seulement tu
j'entends le texte, comme si on lisait Vous : ne mériteras point le blâme, mais tu seras
perdrez tous ceux qui portent un faux témoi- digne d'éloges, quoique tu puisses souffrir gé-
gnage? — Mais là non plus il n'est pas dit : néreusement par fidélité et par humanité, sauf
Toute espèce de faux témoignage. Soit, ré- — ces honteux outrages qui ne supposent pas la
pliquera-t-on, mais ce péché est rangé parmi force, mais l'impudicité dans celui qui les
ceux qui sont mauvais en tout sens. Quoi — 1 subit. Et c'est là la dernière espèce de men-
même celui-ci Tu ne tueras pas ' ? Si tuer
: « »> songe, que nous devons examiner avec plus
est un mal absolu, comment excuser les justes d'attention.
qui, même après la promulgation de la Loi, CHAPITRE XIV.
ont tué beaucoup de monde? Mais on répond
HUIT ESPÈCES DE MENSONGES.
que celui qui exécute un ordre juste n'est
plus homicide. Je comprends donc cette première espèce, l'espèce capitale, celle
25. La
crainte mais aussi je reconnais que ce ver-
;
avant tout, c'est le men-
qu'il faut éviter et fuir
tueux évêque, en ne voulant ni mentir ni trahir songe en matière d'enseignement religieux ;

un homme, a mieux compris les textes selon en aucun cas, on ne doits'y prêter. Le second,
moi , et y a courageusement conformé sa c'est celuiqui blesse injustement, celui qui
conduite. nuit à quelqu'un sans servir à personne. Le
24. Mais il s'agit de l'hypothèse où l'on ne troisième sert à l'un, nuit à l'autre, et n'em-
nous demande pas en quel lieu se trouve celui pêche point la souillure du corps. Le qua-
que l'on cherche pour le faire mourir, où nous trième n'a d'autre but que de dire faux et de
ne sommes pas obligés de le trahir, s'il est si tromper c'est le mensonge tout pur. Le
:

bien caché qu'il ne puisse facilement être dé- cinquième tend à plaire et à jeter de l'agré-
couvert sans être décelé mais où l'on nous ; ment dans le discours. Après ces cinq caté-
demande simplement s'il est là, oui ou non, gories qu'il faut absolument éviter et con-
ou n'y est pas. Si nous savons qu'il y est, nous damner, vient le sixième le mensonge qui
:

le trahissons en gardant le silence, ou en ré- sert à quelqu'un et ne nuit à personne ;

pondant que nous ne dirons ni oui ni non : comme par exemple quand quelqu'un con-
car on en conclura qu'il y est, puisque, s'il naissant le lieu où est cachée une somme qu'on
n'y était pas, il suffirait, pour ne pas mentir voudrait prendre injustement, répond à qui
ni trahir, de répondre qu'il n'y est pas. Ainsi s'en informe qu'il n'en sait rien. Le sixième
notre silence ou notre réponse évasive le trahit, ne nuit à personne et profite à quelqu'un,
puisque celui qui le cherche entrera, s'il en a avec la différence que l'on est interrogé par le
le pouvoir, et le découvrira, tandis qu'un juge comme par exemple si l'on ment pour
;

mensonge de notre paît aurait pu empêcher, ne pas trahir un homme destiné à la mort,
écarter ce résultat. Par conséquent, si tu ne non-seulement un homme juste et innocent,
sais pas où il est, tu n'as aucun motif de cacher mais un criminel, par la raison que c'est un
la vérité tu dois simplement avouer ton igno-
; point de la doctrine chrétienne qu'on ne doit
rance. Mais si tu sais où il est, que ce soit là, désespérer du salut de personne ni fermer à
ou ailleurs, à celte question Est-il là ou n'y : personne la voie du repentir. Nousavonstraité
est-il pas? tu ne dois pas dire Je ne réponds : assez longuement ces deux dernières espèces,
» Es. XX, 16, — ' Ps. V, 7. — • Ex. XX, 13. qui prêtent matière à de grandes controverses
DU MENSONGE. 209

et nous avons dit ce que nous en pensons, les conséquences fâcheuses qui peuvent ré-
dans le but d'encourager les forts, les fidèles, au contraire, nous
sulter de notre fidélité. Si,
les hommes et les femmes amis de la vérité, trouvons un moyen d'excuser le mensonge
à les éviter et à supporter avec générosité et dans le cas supposé, il ne faut pas nous l'in-
courage tous les inconvénients qui peuvent en terdire. C'est pour cela que les Saintes Ecri-
résulter. La huitième espèce est le mensonge tures ne contiennent pas seulement les com-
qui ne nuit à personne et sert à détourner de mandements de Dieu, mais aussi la vie et les
quelqu'un une souillure corporelle, mais seu- mœurs des justes, par lesquelles nous pou-
lement celle que nous avons indiquée plus vons interpréter ce qu'il pourrait y avoir d'ob-
haut. Car les Juifs regardaient comme une scur dans les commandements du Seigneur.
souillure de manger sans se laver les mains K Il faut pourtant excepter tous les faits, d'ail-

Que si on veut y en voir une, elle n'est cepen- leurs certains et indubitables, qui sont suscep-
dant pas telle qu'on doive mentir pour l'éviter. tibles d'un sens allégorique, comme sont
Mais si le mensonge est de nature à faire tort presque tous les faits rapportés dans les livres
à quelqu'un, dût-il d'ailleurs sauver un homme de l'Ancien Testament car qui oserait soutenir :

de ce genre de souillure que tout le monde qu'il y ait là quelque chose qui n'ait une si-
abhorre et déteste si on peut mentir quand
;
gnification figurée ? Quand l'Apôtre, par exem-
l'injure qu'il cause est autre que l'espèce d'im- ple, affirmeque les deux fils d'Abraham, qui
pureté dont il est question :c'est une autre nous semblent au premier abord nés simple-
affaire; car alors il ne s'agit plus du men- ment et selon l'ordre naturel pour former un
songe, mais bien de savoir s'il est permis, peuple (car enfin il n'y avait dans leur nais-
même en dehors de tout mensonge, de faire sance rien d'extraordinaire, rien de prodigieux,
tort à quelqu'un pour détourner d'un tiers ce qui forçât à y voir une figure), affirme, dis-je,
genre d'ignominie. Je ne le crois pas du tout, qu'ils représentent les deux Testaments ^ ;
même quand on ne parlerait que de torts peu quand il nous dit que le merveilleux bienfait
considérables, comme le vol d'un boisseau de accordé par Dieu au peuple d'Israël lorsqu'il
blé dont il a été parlé plus haut, et quoiqu'il le tira de l'odieuse servitude d'Egypte, ainsi
soit fort embarrassant de décider si nous ne que la vengeance qu'il exerça sur lui pendant
devrions pas causer un dommage de ce genre, le voyage à cause de ses infidélités; quand
dans le cas oîi il serait possible d'exempter à l'Apôtre nous dit que tout cela est arrivé en
ce prix d'un odieux attentat celui qui en serait figure pourrait-on trouver un seul fait qui
*
;

menacé. Mais, je le répète, c'est- là une autre déroge à cette règle et dont on ose dire qu'il
question. ne renferme aucun sens figuratif ? Mais, ces
CHAPITRE XV. faits mis à part, étudions dans le Nouveau Tes-

tament les actions des saints, qui nous sont


TÉMOIGNAGES DIVINS QUI DÉFENDENT LE MENSONGE.
évidemment proposées pour modèles de con-
PRÉCEPTES A INTERPRÉTER d'APRÉS LA CONDUITE
duite, et cherchons-y l'explication de la lettre
DES SAINTS.
des commandements.
Revenons maintenant au point que nous 27. Ainsi nous lisons dans l'Evangile :

voulions traiter, à savoir : s'il faut mentir G Quelqu'un te frappe sur une joue, présente-
lorsque le mensonge est la condition indispen- « lui encore fautre^». Or nous ne trouve-
sable pour nous sauver d'un attentat contre la rons nulle part un plus puissant, un plus par-
pudeur ou de quelque autre horrible souil- fait modèle de patience que le Seigneur lui-

lure, quand d'ailleurs ce mensonge ne fera de même. Eh bien ! ayant reçu un soufflet, il ne
tort à personne. dit pas : Voici l'autre joue : mais : « Si j'ai mal
26. Un premier moyen d'éclairer la ques- « parlé, rends témoignage du mal : mais si

tion, c'est de discuter avec soin les textes « j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu *
? »
divins qui défendent le mensonge s'ils nous : Par où il fait voir que c'est dans le cœur que
ferment toute issue, c'est en vain que nous en doit être la disposition à tendre l'autre joue.
chercherons une car il faut à tout prix ob-
; Et Paul l'apôtre le savait bien : car, souffleté
server le commandement divin, et accepter en présence du pontife, il ne dit pas : Frappe
avec courage la volonté de Dieu dans toutes
'Gai. IV, 22, 21. I Cor. X , 1-11. — » Matt. v, 39. — *
Jean,
' Malt. XV, 2, 20. XVIII, 23.

S. AuG. — Tome XII. 14


.

210 DU MENSONGE.

encore l'autre joue mais « Dieu te frappera, ; : procuraient des ressources abondantes pour
« muraille blanchie tu sièges pour me juger ; soulager la pauvreté de leurs frères, et ne son-
« selon la loi, et, contre la loi, tu ordonnes de geaient pas seulement au lendemain, mais
« me frapper ' » voyant, d'un coup-d'œil pé-
; prenaient des précautions en prévision d'une
nétrant, que le sacerdoce des Juifs n'avait plus longue famine, ainsi qu'on le voit dans les
qu'un lustre extérieur, qu'au fond il était dés- Actes des apôtres ; nous pouvons évidemment
'

honoré par de sales convoitises en pronon- ; conclure que les défenses du Seigneur doi-
çant ces mots, il prévoyait en esprit que la vent s'entendre en ce sens que dans toutes nos
vengeance du Seigneur allait y mettre fin et ; actions nous n'agissions jamais comme sous
cependant il avait le cœur disposé, non-seule- la pression de nécessité, soit par désir d'a-
ment à recevoir des soufflets, mais à endurer masser des biens temporels, soit par crainte de
toutes sortes de tourments pour la vérité, sans la pauvreté.
rien perdre de sa tendre affection pour ses per- 30. Le Seigneur a aussi recommandé aux
sécuteurs. apôtres de ne rien emporter avec eux en voyage
28. Il «Et moi je vous dis de
est aussi écrit : et de vivre de l'Evangile. Et il a indiqué quel-
«ne jurer en aucune façon». Et cependant que part le sens de ces paroles, en disant :

l'Apôtre a juré dans ses épîtres ^ Par la il nous « Car l'ouvrier mérite son salaire ^ » par où il :

montre en quel sens il faut entendre ces pa- fait assez voir que c'est une permission qu'il
roles «Je vous dis de ne jurer en aucune
: donne et non un ordre, pour que le prédica-
« façon» ;c'estque le Seigneur craint qu'on ne teur de la parole se persuade bien qu'il ne
contracte la facilité de jurer, que de la facilité fait rien d'illicite quand il reçoit, de ceux à qui
on ne passe à l'habitude, et que de l'habitude il prêche, les choses nécessaires à la vie.

on ne tombe dans le parjure. Aussi ne voit-on Mais qu'il puisse y avoir plus de mérite à ne
pasque l'Apôtre aitjuré autrement qu'en écri- pas le faire, c'est ce que Paul nous enseigne
vant, alors que la réflexion plus mûre modère suffisamment quand, après avoir dit : «Que
la précipitation delà langue. Or, cela vient du « celui que l'on catéchise par la parole, com-
mal, selon ce qui est écrit: «Ce qui est déplus « munique de tous ses biens à celui qui le ca-
« vient du mal ' » non du côté de Paul, mais : « téchise* » en beaucoup d'endroits
; et répété

du côté des faibles, avec qui il employait ce que c'était la louable coutume de ceux à qui il
moyen pour faire ajouter foi à sa parole. Car prêchait, il ajoute « Mais cependant je n'ai :

je ne sais si on trouverait dans l'Ecriture un « point usé de ce pouvoir * ». C'est donc un

seul cas où il ait juré de vive voix et autre- pouvoir que le Seigneur accordait, et non un
ment que par écrit. Et cependant le Seigneur ordre strict qu'il donnait. C'est ainsi que le
dit «de ne jurer en aucune façon », sans faire plus souvent, quand nous ne comprenons pas
d'exception pour le serment par écrit. Mais le sens des paroles, nous devons recourir aux
comme ce serait un crime d'accuser Paul d'a- exemples des saints pour saisir ce qui pour-
voir violé un commandement, surtout dans rait facilement, sans cela, s'interpréter autre-

des épîtres composées et publiées pour le bien ment.


peuples, il faut donc
spirituel et le salut des CHAPITRE XVI.
entendre que ce mot « en aucune façon » si-
DEUX BOUCHES, CELLE DE LA VOIX ET CELLE DU
gnifie que tu ne dois pas désirer, pas aimer de
CŒUR, n'y A-T-IL DE DÉFENDU QUE LE MENSONGE
jurer, que tu ne dois pas te com[)laire dans le
QUI FAIT TORT AU PROCHAIN ? TRIPLE SENS DU
serment, comme si c'était un bien.
PASSAGE DE l'eCCLÉSIASTIQUE.
39. Il en est de même de ces textes : « Ne
« soyez point inquiets du lendemain ; ne vous On demande de quelle bouche il est ques-
31
« inquiétez de ce que vous mangerez, de ce tion dans ce texte « La bouche qui ment tue
:

« que vous boirez, ni de quoi vous vous vc- « l'âme » .Car ordinairement par ce mot bouche,

« tirez*». Quand nous voyons que le Seigneur l'Ecriture entend le fond même du cœur, là
lui-même eut une bourse où était renfermé ce où ge conçoit et se forme tout ce qui s'énonce
qu'on lui donnait, pour s'en servir suivant le par la parole, quand nous disons la vérité en :

besoin * quand nous lisons que les apôtres se


;
sorte que celui à qui il plaît de mentir, mente
'
Act. xxiil, 3. — = Rom. IX, 1 ;
Philip. l, 8 ; Gai. I, 20. — Act. XI, 28-30. ' Luc, X, 4, 7 ; Matt. X, ]0. — * Gai. vi, tj.

» Matt. V, 34, 37. — ' Malt, vi, 34, 25. — ' Jean, xil, 6. ' I Cor. IX, 12.
DU MENSONGE. 211

en son cœur, à la différence de celui qui, pour dressent à ceux qui croient que les pensées et
éviter un plus grand mal^, exprime autre chose lesprojetsde leur cœur sont cachés et secrets.
que ce qu'il pense tout en sentant qu'il pèche, Et l'écrivain veut tellement faire comprendre
mais en desapprouvant et le mal qu'il veut que tout cela est parfaitement clair pour l'o-
empêcher et celui qu'il commet. Les partisans reille de Dieu, qu'il emploie cette expression :

de cette opinion prétendent qu'il faut entendre « bruit tumultueux ».


en ce sens la parole du psalmiste « Qui dit la : 32. Nous trouvons encore la bouche du cœur
« -vérité dans son cœur » parce qu'il faut ^
;
mentionnée en propres termes dans l'Evangile,
toujours dire la vérité dans son cœur, mais au point quele Seigneur nomme dans le même
non toujours de la bouche du corps, si, pour passage la bouche du corps et celle du cœur ,

éviter un plus grand mal, on est forcé de par- quand il dit « Et vous aussi, êtes-vous sans
:

ler autrement qu'on ne pense. Or qu'il y ait « intelligence ? Ne comprenez-vous point que

une bouche du cœur, ou peut le conclure de tout ce qui entre dans la bouche va au ven-
ce que le mot parler suppose une bouche, et » tre et est rejeté dans un lieu secret tandis ;

que par conséquent on ne pourrait raison- « que ce qui sort de la bouche vient du cœur

nablement dire « qui parle en son cœur », s'il « et que c'est là ce qui souille l'homme ? Car

n'y avait une bouche dans le cœur. Du reste du cœur viennent les mauvaises pensées ,

dans le passage même où il est écrit « La : c< les homicides, les adultères, les fornications,
a bouche qui ment tue l'âme », si on fait at- « les vols, les faux témoignages, les blasphè-
tention au contexte, on ne pourra l'entendre « mes ; l'homme ». Si
c'est là ce qui souille *

d'une autre bouche. En effet une parole est par bouche vous entendez ici uniquement la
secrète quand elle échappe aux hommes qui bouche du corps, comment expliquerez-vous
n'entendent la bouche du cœur que par l'en- ces mots: « ce qui sortdelabouche, vient du
tremise de la bouche du corps. Or ici l'E- « cœur », puisque les crachats et les vomisse-

criture parle d'une bouche qui parvient à ments partent aussi de la bouche ? A moins
l'oreille de l'Esprit du Seigneur, lequel remplit peut être que l'homme ne se souille pas en
l'univers ; et bien qu'on nomme tout à la fois mangeant quelque chose d'immonde, et ne se
les lèvres, la voix et la langue, cependant le souille en le vomissant. Or si c'est là une grande
sens ne|)ermel pas d'api)liquer ces expressions absurdité, il faut nécessairement admettre que

à une autre bouche que celle du cœur, puis- le Seigneur parle de la bouche du cœur, quand
qu'il est dit qu'elle n'échappe point au Sei- il dit: oCequisortdela bouche vientdu cœur».
gneur, tandis que la bouche dont le son frap[)e En effet le vol pouvant se commettre, et se
nos oreilles, n'échappe pas même à l'homme. commettant souvent, dans le silence de la voix
Voici le texte : « L'Esprit de sagesse est et de la bouche du corps, ce serait le comble
«bon, humain, mais il ne sauvera pas le de de s'imaginer qu'un voleur ne se
la folie
a médisant de la punition due à ses lèvres, souille que quand il avoue ou trahit son vol,
« parce que Dieu sonde ses reins, scrute son et reste pur quand il le commet en silence. Mais
« cœur et entend sa langue. Car l'Esprit du si ces paroles se rapportent vraiment à la

« Seigneur remplit l'univers et celui qui con- bouche du cœur, aucun péché ne peut se
« tient tout entend toute voix. C'est pourquoi commettre en secret, puisqu'il ne s'en com-
« l'homme qui profère l'iniquité ne peut se met point qui ne sorte de cette bouche inté-
« cacher, et il n'évitera pas le jugement qui le rieure.
« menace. L'impie sera interrogé sur ses pen- 33. Comme
on demande de quelle bouche le
« sées et ses discours monteront jusqu'à
; texte parle,quand il dit « La bouche qui ment :

« Dieu, pour le châtiment de ses iniquités. tue l'âme » on peut aussi demander de quels
c( ,

« Car l'oreille du Dieu jaloux entend tout ,


mensonges il parle. Il semble en effet désigner
« et le bruit tumultueux des murmures proprement le mensonge qui fait tort au pro-
« n'est pas ignoré. Gardez-vous donc du mur- chain puisqu'il dit
, : « Gardez-vous donc du
« mure qui ne sert à rien, ne prêtez pas votre « murmure qui ne sert à rien, et ne prêtez
« langue àladétraclion : caria parole secrète « pas votre langue à la détraction ». Or la dé-
« ne passera pas en vain etlabouchequi ment ; traction a pour principe la malveillance, quand
« tue l'âme * ». On voit que ces menaces s'a- on ne se contente pas de proférer de la bouche
' Ps. XIV, 3. - ^ Sag. I, 6-11. ' Matt. zv, 16 20.
^2\-2 DU MENSONGE.
etde la voix du corps l'invention forgée con- bitude et goût du mensonge. Car c'est là
le
trequelqu'un, mais qu'on désire secrètement qu'aboutirait certainement l'homme qui pous-
que le prochain soit cru tel qu'on le dit ce : serait l'abus jusqu'à se permettre toute espèce
qui est bien la détraction sortie de la bouche de mensonge (et il ne s'en abstiendrait pas
du cœur, laquelle, selon le texte, ne saurait même sur ce qui touche à la religion et à la
échappera Dieu. piété : ce qui est non-seulement le plus odieux
34. Car ce qui est écrit ailleurs : « Garde- des mensonges, mais le plus détestable des pé-
« toi de vouloir proférer aucune espèce de chés) ; oujusqu'à plier sa volonté à toute espèce
« mensonge » ne signifie pas, selon eux, qu'on
, de mensonge, même facile, môme innocent :

ne doit absolument pas mentir. Un autre pré- il en viendra à mentir, non plus pour éviter

tend que ce texte de l'Ecriture défend en géné- un plus grand mal, mais de gaîté de cœur et
ral toute espèce de mensonge, au point que la avec plaisir.
seule volonté de mentir est déjà condamnable, Il y a donc trois manières d'interpréter
même quand l'acte ne suit pas c'est pourquoi ; ce texte ou évite non-seulement toute es-
:

le texte ne porte pas ne profère aucune espèce : pèce de mensonge mais même la volonté ,

de mensonge mais « Garde-toi de vouloir


; de mentir ou abstiens-toi de la volonté de
;

« proférer aucune espèce de mensonge » , mentir, mais mens à regret , quand il faut
en sorte que personne ne doit se permettre, éviter un plus grand mal; ou, à part certains
non-seulement de mentir, mais même d'avoir mensonges, permets-toi les autres. La première
l'intention de mentir. de ces interprétations est pour ceux qui inter-
CHAPITRE XVII. disent le mensonge d'une manière absolue ;

les deux autres pour ceux qui pensent qu'on


LE VERSET 7* DU PSAUME V^ S' INTERPRÈTE AUSSI
peut mentir en certains cas. Quant à l'autre
DE TROIS FAÇONS. COMMENT IL FAUT ENTENDRE
partie du texte « Car l'habitude de mentir est
:

LA DÉFENSE DE PORTER UN FAUX TÉMOIGNAGE.


« funeste », je ne sais si elle est en faveur du

Un autre dit : « N'aie jamais la volonté de pro- premier de ces sentiments, à moins qu'on ne
« féreraucune espèce de mensonge » ce qui si- , l'explique ainsi c'est la loi des parfaits, non-
:

gnifie qu'il faut bannir et repousser delabouche seulement de ne jamais mentir, mais de ne
du cœur toute espèce de mensonge c'est-à- ;
jamais vouloir mentir, et l'habitude du men-
dire qu'il est certains mensonges qu'on doit songe ne peut être permise à ceux qui veulent
interdire à la bouche du corps, surtout ceux avancer dans la vertu. Et si, à cette loi de s'inter-
qui touchent à la doctrine religieuse, qu'il en dire absolument non-seulement le mensonge,
est d'autres qu'on ne doit point interdire à cette mais toute volonté de mentir, on opposait cer-
même bouche du corps, quand ils sont néces- tains exemples, dont quelques-uns sont appuyés
saires pour éviter un plus grand mal mais ; d'une grande autorité on répondrait que ,

qu'il faut absolument les interdire tous à la c'est là le fait d'hommes en voie de progrès,

bouche du cœur. Et ce serait là le sens de ces de se permettre des actes qui ont eu pour motif
mots a N'aie jamais la volonté ». Car la vo-
: un devoir quelconque d'humanité au point de
lonté est pour ainsi dire la bouche du cœur, vue des intérêts temporels mais que le men- ;

et cette bouche n'a point de part au mensonge songe en lui-même est tellement mauvais, que
que nous prononçons malgré nous pour évi- les hommesspirituels et parfaits doivent l'avoir

ter un plus grand mal. Il y a encore une troi- tellement en horreur, que son habitude ne
sième interprétation d'après laquelle ces ,
peut être permise à ceux même qui sont en
mots « toute espèce» laisseraient, sauf certains voie de progrès. En effet nous avons déjà dit
cas, la permission de mentir ce serait comme ; que le mensonge des sages-femmes égyptiennes
si l'on disait ne te fie point à tout homme ;
: n'a été approuvé que d'après leur caractère et
ce qui ne veut pas dire ne te fie à personne, : comme un premier pas vers le mieux car :

mais ne te fie pas à tout le monde, c'est-à-dire mentir par bonté d'âme et pour sauver la vie
fie-toi seulement à quelques-uns. Et la suite du temporelle de quelqu'un, c'est entrer dans le
texte « Car l'habitude du mensonge est
: chemin qui conduit à l'amour du véritable
« funeste », condamnerait non le mensonge,
' salut, du salut éternel '.

mais le mensonge fréquent, c'est-à-dire l'ha- 35. Sur le texte « Vous perdrez tous ceux
:

' Eccli. vu, U. ' Voir ci-dessus, cb. V, n. 5, 7.


DU MENSONGE. 213

«qui profèrent le mensonge », l'un prétend quand un homme t'interroge dans le but de
qu'aucun mensonge n'est excepté, que tous savoir de une chose qui ne le regarde pas,
toi

sont condamnés; suivant un autre, la condam- ou qu'il n'a aucun intérêt à connaître, ce n'est
nation se restreint à ceux qui mentent du cœur, plus un témoin, mais un traître qu'il cherche.
dans le sens expliqué plus haut car c'est dire : En lui répondant par un mensonge, tu échap-
la vérité dans son cœur que de subir a regret peras peut-être à la qualification de faux témoin,
la nécessité de mentir en la considérant , mais non à celle de menteur.
comme une peine attachée à cette vie mortelle.
Un troisième dit « Dieu perdra tous ceux qui
:
CHAPITRE XVIII.
« profèrent le mensonge », mais non toute es-
COMMENT IL FAUT ENTENDRE UN AUTRE PASSAGE
pèce de mensonge car il y en a une à laquelle le
;
DE l'Écriture, c'est une erreur de mesurer
prophète faisait alors allusion, et qui serapunie LE MAL SUR LA PASSION ET SUR l'iIABITUDE.
chez tous celle qui a lieu quand quelqu'un
:
notre double vie. peut- on commettre des
refusede confesser ses péchés, cherche mèmeà péchés légers pour conserver la pureté.
les excuser, et ne veut pas en faire pénitence,
quand ce n'est pas assez pour lui de faire Après avoir réservé qu'il n'est jamais per-
le mal, mais qu'il désire passer pour juste et mis de porter un faux témoignage, on de-
écarte le remède de la confession. Cette dis- mande s'il est quelquefois permis de mentir.
tinction se trouverait établie par ces paroles : Que si tout mensonge est un faux témoignage,
« Vous haïssez tous ceux qui opèrent l'ini- il faut voir s'il n'y aurait pas compensation,

quité*», mais vousne les perdrez point si,pleins par exemple, quand on le porte pour éviter un
repentir, ils disent la vérité dans un humble plus grand mal comme le précepte écrit dans
;

aveu en seconfessant pour arriver à la lumière la loi « Honore ton père et ta mère* », est
:

par la pratique de cette vérité, suivant le mot mis de côté quand il se trouve en présenc'e
de l'Evangile selon saint Jean : « Mais celui qui d'un devoir plus important. C'est ainsi que
« accomplit la vérité, vient à la lumière -. le Seigneur lui-même défend à celui qu'il ap-
a Vous perdrez donc tous ceux qui », non pelle à annoncer le royaume de Dieu, de rendre
seulement opèrent ce que vous haïssez, mais les honneurs de la sépulture à son père*.
aussi profèrent le mensonge » en se couvrant
c( , 37. Quant à ce qui est écrit « L'enfant qui :

du masque de la justice, et en refusant de con- « reçoit la parole s'éloignera de la perdition ;

fesser leurs pécbés en esprit de pénitence. « il pour lui et rien de faux ne sort de
la reçoit
36. Quant au faux témoignage, défendu par « sa bouche ^ », quelqu'un prétend que cette
le Décalogue, on ne saurait en aucune façon «parole que Tentant reçoit» n'est autre que
prétendre qu'on peut le porter devant celui à la parole de Dieu, c'est-à-dire la vérité. Par
qui Ton parle, pourvu que l'on garde en son conséquent cette sentence « L'enfant qui re- :

cœur l'amour de la vérité. En effet quand on « çoit la vérité s'éloignera de la perdition » , cor-
ne s'adresse qu'à Dieu, il suffit que le cœur respond à cette autre Vous perdez tous ceux: «

reste fidèle à la vérité mais quand on ; « qui profèrent le mensonge » Et qu'insinue la .

parle à l'homme, il faut que la bouche du suite du texte « il la reçoit pour lui », sinon
,

corps énonce aussi lavérité; parce que l'homme ce que dit l'Apôtre «Que chacun éprouve ses :

ne lit pas dans le cœur. Mais à ce sujet, il « propres œuvres, alors il trouvera sa gloire
n'est pas déraisonnable de demander devant « dans lui-même et non dans un autre * ?» En
qui se joue le rôle de témoins. Ce n'est pas effet celui qui reçoit la parole, c'est-à-dire la
devant tous ceux à qui nous parlons, mais vérité, non pour lui-même, mais pour plaire
devant ceux qui doivent utilement ou néces- aux hommes, ne la garde plus dèsqu'ilvoitqu'il
sairement connaître ou croire la vérité par peut plaire à ceux-ci par le mensonge. Mais
notre entremise comme le juge, par exemple,
: celui qui la reçoit pour lui, ne laisse rien de
qui doit éviter l'erreur dans ses jugements, ou faux sortir de sa bouche même quand le ;

celui qui reçoit l'enseignement religieux et mensonge pourrait plaire aux hommes, il ne
qui a à craindre soit de se tromper en ma- ment point, parce qu'il n'a pas reçu la vérité
tière de la foi, soit d'être livré au doute, en pour leur plaire mais pour plaire à Dieu. Ici il
vertu de l'autorité même de son maître. Mais
' Ex. XX, 16, 12. — ' Matt. viii, 22. — ' Prov. xxix, 27. —
'
Ps. V, 7. — ' Jean, m, 21. ' Gai. VI, 1.
,

214 DU MENSONGE.

n'y a plus moyen de dire « Il perdra tous ceux


: moindre pouren éviter un plus grand ; ce ne
«qui profèrent le mensonge», mais non toute sera plus d'après les règles de la vérité, mais
espèce de mensonge, puisque tous les men- d'après ses passions et ses habitudes que cha-
songes sont universellement exclus par ces cun mesurera le mal et le plus grand pour ;

mots «Et rien de faux ne sort de sa bouche».


: lui ne sera pas en réalité celui qui doit lui
Cependant un autre prétend qu'il en est ici inspirer le plus d'aversion, mais celui qu'il
comme pour le texte interprété par saint Paul: redoute davantage. Et ce défaut provient de la
« Et moi je vous dis de ne jurer en aucune fa- perversité des affections. Car, comme il existe
« çon ». Là, en efTet, tout serment est exclu,
*
pour nous deux vies, l'une éternelle que Dieu
mais seulement de la bouche du cœur il ne ; nous promet, l'autre temporelle où nous
doit jamais se faire de bon gré, mais par sommes maintenant; dès qu'on donne la pré-
égard pour Tinûrmité d'un autre, c'est-à-dire férence à celle-ci sur celle-là, on lui rapporte
provenir du mal d'un autre, à qui on ne peut toutes ses actions, et les péchés qu'on regarde
faire accepter sa parole qu'en l'appuyant d'un comme les plus graves sont ceux qui font tort
serment, ou provenir de notre mal propre, en à cette existence passagère, qui la privent in-
ce que revêtus de l'enveloppe de notre morta- justement de quelques-uns de ses avantages ou
lité, nous ne pouvons mettre notre cœur à la détruisent entièrement en lui donnant la
découvert, sans quoi nous n'aurions pas be- mort. Aussi déteste-t-on les voleurs, les bri-
soin de serments. Du reste, si dans l'ensemble gands, les insolents, les bourreaux, les assas-
ces paroles « L'enfant recevant la parole
: sins plus que les impudiques, les ivrognes,
«s'éloignera de la perdition», doivent s'en- les libertins, si ceux-ci n'incommodent per-
tendre de la Vérité par qui tout a été fait sonne. On ne comprend pas ou l'on ne veut
qui est immuable et éternelle comme la doc- ; pas voir l'injure que ces derniers font à Dieu,
trine religieuse a pour but de conduire à sa non certes à son détriment, mais pour leur
contemplation on pourrait croire que ces
, grand malheur, quand ils profanent en eux
mots « Et rien de faux ne sort de sa bouche »
: des dons même temporels, et parla se rendent
signiflent que rien de faux ne doit se mêler à indignes des biens éternels, surtout s'ils sont
cette doctrine genre de mensonge qu'aucune
: déjà devenus le temple de Dieu, suivant ces
compensation ne saurait autoriser et qu'il faut paroles que l'Apôtre adresse à tous les chré-
éviter absolument et avant tout. Que si ces tiens « Ne savez-vous pas que vous êtes le
:

mots «rien de faux », doivent, à moins d'ab-


: « temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite
surdité, s'entendre de toute espèce de men- « en vous ? Si donc quelqu'un profane le
songe celui qui pense qu'on peut mentir en
; « temple de Dieu Dieu le perdra. Car le
,

certain cas, entendra par «sa bouche» labouche « temple de Dieu est saint et vous êles ce
ducœursuivantl'explication donnée plushaut. « temple ' ».

38. Au milieu des divergences qui apparais- 39. Au soit ceux qui
fond tous ces péchés,
sent dans cette discussion, les uns soutenant privent prochain de quelques-uns des avan-
le
qu'il ne faut jamais mentir et appuyant leur tages de cette vie, soit ceux par lesquels les
opinion sur les témoignages divins les autres ; honmies se souillent eux-mêmes sans nuire au
aflîrmant le contraire et cherchant dans les prochain malgré lui tous ces péchés, même ;

paroles mêmes des textes sacrés, une place quand ils semblent procurer à cette vie tem-
pour le mensonge : personne du moins ne porelle une jouissance ou un profil, car c'est
peut dire qu'il trouvé dans les Ecritures
ait là le but et la lin qu'on s'y propose, sont ce-
un exemple ou un mot qui autorise à aimer pendant des entraves et des obstacles multi-
ou à ne pas haïr une espèce quelconque pliés dans le chemin qui mène à la vie
de mensonge; tout au plus verra- 1- on éternelle. Les uns ne gênent que ceux qui les
qu'on peut quelquefois faire en mentant une commettent, les autres nuisent à ceux sur qui
action qu'on hait pour en éviter une qu'on on les commet. En effet quand le malfaiteur
doit haïr davantage. Mais les hommes se enlève les biens qui appartiennent exclusive-
trompent en subordonnantce qu'il y a de mieux ment à la vie du temps, il se fait tort à
à ce qu'il y a de pire. En effet si vous accor- lui-même ; lui seul perd ses droits à la vie
dez qu'on peut quelquefois faire un mal éternelle et non ses victimes. Aussi en se lais-
' Matt. V, 3i. '
I Cor. m, 16, 17.
DU MENSONGE. 215

sant dépouiller de ses biens, soit pour ne pas quand nous aimons et convoitons ce que la
pécher, soit pour se soustraire aux plus grands vérité nous défend d'aimer et de convoiter.
inconvénients attachés à leur possession, non- 11 faut donc conserver le sincère amour de

seulement on ne pèche pas, mais on montre, Dieu et du prochain, qui sanctifie la chasteté
dans le premier cas, un courage digne d'éloge, de l'àme, et faire tout notre possible et par des
et dans le second, on reste innocent et on re- efforts et par d'humbles prières pour que ,

cueille un profit. Quant à tout ce qui tient quand on porte violemment atteinte à la pu-
à la pureté et à la religion si quelqu'un
, deur de notre corps, le sens intérieur de
cherche à nous en priver par la violence, il l'àme, lié aux émotions de la chair, n'éprouve
faut, si on nous pose cette condition et qu'on aucune délectation, ou si cela ne se peut,
nous en laisse la faculté, nous y soustraire par que l'àme conserve sa chasteté en refusant
des fautes moindres , pourvu toutefois qu'il tout consentement. Mais, avec la chasteté de
n'en résulte aucun tort pour le prochain. l'àme, il faut conserver aussi la probité et la
Mais dans ce cas, la faute commise pour éviter bienveillance, qui tiennent à l'amour du pro-
un plus grand mal, n'est plus péché. Comme chain, et la piété qui tient à l'amour de Dieu.
en matière d'intérêt, d'argent par exemple ou Par^la probité, nous ne faisons de tort à per-
de tout autre bien temporel, on n'appelle plus sonne la bienveillance, nous rendons les
;
par
perte ce que l'on sacrifie en vue d'un gain plus que nous pouvons rendre par la piété,
services ;

considérable ; ainsi, dans ce qui tient à la nous honorons Dieu. Or le mensonge seul
sainteté, on n'appelle plus péché ce que l'on blesse la vérité de la doctrine, de la religion
fait pour éviter un plus grand péché. Ou en- et de lapiété la vérité souveraine et substan-
:

core, si l'on veut appeler perte ce qu'on sacri- tielle, de qui cette doctrine dérive, étant hors
fie pour échappera une perte plus grande; de toute atteinte. Nous ne pourrons parvenir
qu'on appelle aussi péché ce que nous venons jusqu'à elle, nous y établir entièrement, nous
de dire, néanmoins que personne n'hésite aie y attacher solidement, que quand ce corps
faire pour éviter un plus grand mal, pas plus corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et
qu'on n'hésite à subir une perte moindre pour ce corps mortel, l'immortalité *. Mais ici-
se garantir d'une plus grande. bas toute piété est un mouvement une
,

tendance vers ce but, et que cet élan a pour


CHAPITRE XIX. guide la doctrine qui nous fait connaître et
LA SAINTETÉ EXIGE LE MAINTIEN DE TROIS CHOSES :
goûter la vérité elle-même, au moyen de la
LA PUDEUR DU CORPS, LA CHASTETÉ DE l'aME parole humaine et des signes visibles des sa-

ET LA VÉRITÉ DE LA DOCTRINE. crements voilà pourquoi il faut avant tout


:

maintenir pure celte doctrine, en la préservant


40. Voilà les trois choses qu'il faut conser- du mensonge qui peut la corrompre ; afin que
ver pour être saint : la pudeur du corps, la si la chasteté de l'àme a souff'ert quelque
chasteté de l'âme et la vérité de la doctrine. brèche, il y ait de quoi la réparer. Car, l'au-
Personne ne peut perdre la pudeur du corps, torilé de la doctrine une fois détruite, la chas-
sans la permission et le consentement de teté de l'àme ne saurait ni se maintenir ni se
l'àme. Car aucun attentat exercé contre notre restaurer.
corps par une force majeure ne peut être qua- CHAPITRE XX.
lifié d'impudicité, tant que nous n'en accor-
IL NE FAUT PAS MENTIR POUR SAUVER LA PUDEUR
dons pas la permission et que nous la subis-
DU CORPS. d'OU VIENT LE MOT DE FOI. CHAS-
sons malgré nous. Parfois il peut y avoir une
TETÉ DE l'aME.
raison de laisser faire, maisjamais de consen-
tir : car consentir, c'est approuver et vouloir, 41. De tout donc cette opinion,
cela résulte
tandis que l'on peut laisser faire malgré soi et que, pour sauver pudeur du corps, il fautla
pour se soustraire à quelque chose de plus proférer un mensonge qui ne blesse ni la
coupable. 11 est hors de doute que le consen- doctrine de la piété, ni la piété elle-même, ni
tement à une impudicité corporelle détruit la probité, ni la bienveillance. Et si quelqu'un
aussi la chasteté de l'àme. En effet la chas- portait l'amour de la vérité,
non pas seulement
teté de l'àme consiste dans la bonne vo- jusqu'à la contempler, mais jusqu'à dire tou-
lonté et l'amour sincère, qui ne se perd que « I Cor. XV, 53.
216 DU MENSONGE.

jours le vrai en tout et partout, à ne jamais la pudeur du corps. C'est pourquoi il faut,
proférer de la bouche du corps que ce qu'il a autant qu'il est en nous, les mettre l'une et
conçu et vu dans son esprit , à préférer la l'autre à l'abri de toute atteinte, en établissant
beauté de la foi, toujours véridique, non-seu- autour d'elles le rempart et la barrière des
lement à l'or, à l'argent, aux pierres pré- bonnes mœurs et d'une conduite sainte. Mais
cieuses, aux riches domaines, mais même à si l'on ne peut sauver l'une et l'autre, qui ne

la vie du temps et à tous les biens du corps ;


voit celle qu'il faut sacrifier de préférence
je ne sais si on pourrait raisonnablement l'ac- quand on qui doit l'emporter, de l'àme
sait ce
cuser d'erreur. Et s'il avait raison de préférer sur le corps, ou du corps sur l'âme, de la
ce bien à tous ses avantages temporels et de chasteté de l'àme sur la pudeur du corps, ou
l'estimer à plus haut prix, il aurait également de la pudeur du corps sur la chasteté de l'àme;
raison de le mettre au-dessus des biens tem- et ce qu'on doit le plutôt éviter, de permettre
porels des autres hommes, de ceux qu'il doit le péché d'un autre ou de commettre le péché
sauver et aider par probité et par bienveil- soi-même ?
lance. Car il aimerait la foi parfaite, non-seu- CHAPITRE XXI.
lement en croyant sincèrement à tout ce qui
CONCLUSION. IL FAUT S'iNTERDIRE LES HUIT ES-
lui serait intimé par une autorité supérieure
PÈCES DE MENSONGE ÉNUMÉRÉES PLUS HAUT.
et digne de confiance, mais encore en énon-
COMBIEN SONT AVEUGLES CEUX QUI AUTORISENT
çant fidèlement ce qu'il jugerait lui-même à
LE MENSONGE.
propos de dire et dirait réellement. En effet,

le mot latin fides^ foi, vient de /?o, parce que 42. De toute cette discussion, il résulte que
la chose qu'on dit se fait; évidem-
ce qui n'a le sens de ces témoignages de l'Ecriture est
ment pas lieu chez celui qui ment. Si la brèche qu'il ne faut jamais mentir, puisqu'on ne
est moins grande, quand le mensonge ne trouve dans la conduite et les actions des
cause ni inconvénient, ni préjudice à per- saints aucun exemple de mensonge qu'on
sonne, qu'il a même pour but de sauver la puisse imiter, au moins dans les parties de
vie ou la pudeur du corps, c'est néanmoins l'Ecriture qui ne contiennent pas de sens
une brèche, et une brèche faite à une chose figuré, comme par exemple les Actes des apô-
qui doit se garder dans la chasteté et la sain- tres. Car les paroles du Seigneur mentionnées
tetéde l'àme. Nous sommes donc forcés, non dans l'Evangile, et que les ignorants pour-
par l'opinion des hommes, qui est souvent raient prendre pour des mensonges, sont des
erronée, mais par la vérité elle-même, cette paroles figurées. Quant à ce que dit l'Apôtre :

puissance supérieure à tout et absolument « Je me suis fait tout à tous pour les sauver

invincible, de préférer la foi parfaite à la « tous B, cela n'indique aucune disposition


'

pudeur même du corps ; car la chasteté à mentir, mais un sentiment de compassion,


de l'àme est un amour bien réglé qui ne une charité si grande qu'elle le faisait agir avec
subordonne pas le plus au moins. Or tout ceux qu'il voulait sauver comme s'il eût lui-
ce qui tient au corps est moins que ce qui même souffert du mal dont ildésiraitles guérir.
touche à l'âme. A coup sûr celui qui ment Il ne faut donc pas mentir dans l'ensei-
pour garantir la pudeur de son corps, voit, gnement de la vérité car c'est un grand ;

dans l'attentat qu'on médite contre lui, la crime, la première espèce de mensonge et la
passion d'un autre et non la sienne il prend ; plus détestable. 11 ne faut pas mentir de la
cependant ses précautions pour ne point par- seconde manière, parce qu'il ne faut faire de
ticiper au crime en le permettant? Or, où tort à personne; ni de la troisième, parce qu'il
serait cette permission sinon dans l'âme. La ne faut pas rendre service à l'un au détriment
pudeur du corps ne se perd donc que dans de l'autre ni de la quatrième, parce que le
;

l'âme si l'âme ne donne ni consentement, ni


; plaisir de mentir est vicieux par lui-même ;

permission à quelque attentat que se porte


; ni de la cinquième, parce que, comme on ne
une passion étrangère, on ne saurait en au- doit pas même dire la vérité pour plaire aux
cune façon dire que la pudeur du corps a été hommes, encore bien moins doit-on proférer
atteinte. D'où il suit qu'il faut attacher beau- le mensonge qui est coupable par lui-même
coup plus d'importance à conserver la chas- parce qu'il est mensonge ; ni de la sixième,
teté de l'àme, puisqu'elle est la sauvegarde de » 1 Cor. I.V, 22.
DU MENSONGE. 217

car il n'est pas juste d'altérer la yérité du c'est se tromper grossièrement en se figu-
témoignage pour le bien temporel ou la vie rant qu'on peut honnêtement tromper les
de qui que ce soit. De plus on ne doit conduire autres.
personne au salut éternel à l'aide du men- 43. Les hommes sont tellement aveugles
songe il ne faut pas qu'un homme soit con-
;
que, nous leur accordions qu'il y a des
si

verti à la vertu par le vice de celui qui le mensonges exempts de péché, ils ne s'en con-
convertit, car, après sa conversion , il doit tenteraient pas, et voudraient que dans cer-
lui-même tenir à l'égard des autres la con- tains cas il y eût péché à ne pas mentir; ils
duite qu'on a tenue envers lui par conséquent ;
sont même allés si loin dans leur apologie du
ce n'est plus au bien, mais au mal qu'on le mensonge ,
qu'ils ont accusé l'apôtre saint
convertit, quand on lui donne à imiter après Paul d'en avoir première espèce,
dit un de la
sa conversion le modèle qu'on lui a présenté la Ils prétendent en
plus criminelle de toutes.
pour sa conversion. ïl ne faut pas mentir de la elîet que dans son épître aux Galates, écrite

septième manière, parce qu'on ne doit pas comme toutes les autres pour enseigner la
préférer l'avantage ou la vie temporelle de religion et la piété, il a menti, lorsqu'il a dit
quelqu'un à la perfection de la foi. Si nos de Pierre et de Barnabe « Quand je vis qu'ils :

bonnes actions faisaient une mauvaise im- a ne marchaient pas droit selon la vérité de

pression sur le prochain, jusqu'à le rendre « l'Evangile ». Tout en voulant justifier Pierre

pire et à l'éloigner de la piété, nous ne de- de son erreur et de la mauvaise voie où il


vrions cependant pas nous en abstenir pour était entré, ils ne tendent qu'à fausser la voie
autant, parce qu'il faut avant tout tenir soli- même de la religion, qui est pour tous celle
dement au point où nous devons appeler et du salut, en détruisant, en anéantissant l'au-
attirer ceux que nous aimons comme nous- torité des Ecritures. Ils ne s'aperçoivent pas
mêmes. Il faut se pénétrer vaillamment de que ce n'est pas un simple mensonge, mais
cette pensée de l'Apôtre « Nous sommes aux : un parjure, qu'ils reprochent à l'Apôtre en
« uns odeur de vie pour la vie, aux autres matière d'enseignement religieux, c'est-à-dire
« odeur de mort pour la mort or, qui est ;
dans une épître où il prêche l'Evangile car, ;

« capable d'un tel ministère ? » Enfin, il ne ' avant de raconter ce fait, il a dit « Ce que je :

faut pas mentir de la huitième manière, parce « vous écris, voici : devant Dieu, je ne mens
que la chasteté de l'âme, qui est la pudeur du « pas* ». Mais terminons ici cette discussion.
corps, compte parmi les biens ; et que, parmi Tout bien pesé, tout bien considéré, ce que
lesmaux, celui que nous faisons est plus grand nous devons surtout retenir, ce que nous de-
que celui que nous laissons faire. Or, dans vons principalement demander, c'est ce que
ces huit espèces de mensonges, on pèche d'au- le même apôtre exprime en ces termes « Dieu :

tant moins qu'on s'approche plus de la hui- « est fidèle, et il ne souffrira pas que vous

tième , et d'autant plus qu'on s'approche « soyez tentés par-dessus vos forces ; mais il

plus de la première. Mais s'imaginer qu'il « vous fera tirer profit de la tentation même,
peut y avoir un mensonge exempt de péché, « afin que vous puissiez persévérer "^
' II Cor. II, 16. ' Gai. II, 14; I, 20. — »
I Cor. x, 13.

Traduction de M. Vabbé DEVOILLE.


CONTRE LE MENSONGE.

A. OOTVSETVTIXJS.

Est-il permis de mentir pour découvrir des Priscillianistes qui se carhent sous le nom de catholiques ? On ne doit point —
rechercher des menteurs par le mensonge, ni des blasphémateurs par le blasphème. Réfutation de Dictinius. —
Les —
hommes religieux ne doivent pas mentir pour cacher leur foi. — Les textes et les exemples cités des saiuts Livres par Dic-

tinius,ou ne sont pas des mensonges, ou ne sont point proposés à l'imilalion, si ce sont des mensonges. S. Augustin ré- —
sout difliculté relative aux pécliés de compensation, et ne veut pas même que l'on mente, quand cela semblerait utile ou
!a

nécessaire pour sauver la vie temporelle ou éternelle du prochain. —


Enlin on ne doit jamais mentir, surtout en ce qui con-
cerne l'enseignement religieux ; c'est un devoir de soutenir ce point contre les hérétiques.

CITAPITRE PREMIER. la piste, sinonpour les surprendre, les amener


en plein jour, puis leur enseigner la vérité ou
NOUS NE DEVONS PAS, AU PRIX DU MENSONGE,
les empêcher, par l'éclat même de la vérité, de
DÉCOUVRIR CEUX QUI SE CACHENT A l'aIDE DU
nuire aux autres c'est-à-dire pour détruire ;

MENSONGE.
leur mensonge, ou tenir en garde contre lui
1. Tu m'as envoyé bien des écrits, Consen- et faire mieux briller la vérité divine? Com-

tius, mon frère, bien des choses à lire; et ment donc s'arroger le droit de poursuivre le
pendant que je préparais ma réponse, disirait mensonge à l'aide du mensonge? Faudra-t-il
par mille autres occupations pressantes, l'an- aussi poursuivre le brigandage par le brigan-

née s'est écoulée, et me voilà réduit aux abois dage, le sacrilège par le sacrilège, l'adultère par

et forcé d'écrired'une manière quelconque, l'adultère? « Si, par mon mensonge, la vérité

pour ne pas retenir plus longtemps le messa- «de Dieu a éclaté davantage», dirons-nous
ger pressé de parlir et de profiler d'un temps aussi : « Faisons le mal pour qu'il arrive du
favorable à la navigation. Après avoir donc « bien * ? » Tu vois jusqu'à quel point l'Apôtre
parcouru, lu en entier, puis pesé le plus mû- déteste ce procédé. Car mentirpour attirer à
rement possible tout ce que Léonos, le servi- des hérétiques menteurs, n'est-ce pas
la vérité

teur de Dieu, m'a apporté de ta pari, d'abord exactement dire « Faisons du mal pour qu'il :

au moment où je le recevais, et ensuite quand « en arrive du bien ? » Quoi 1 le mensonge est-

je disposais à répondre, j'ai singulièrement


me il parfois un bien, ou cesse-t-il parfois d'être

goûté ton style, ton langage, ta science des sain- un mal ? Pourquoi alors est-il écrit : « Vous
« haïssez. Seigneur, tous ceux qui commet-
tes Ecritures, la pénétration de ton esprit, la
douleur qui te dicte de vifs reproches aux ca- « tent vous perdrez tous ceux qui
l'iniquité,

tholiques tièdes et le zèle qui t'irrite contre « profèrent ^ ? le mensonge


» Le Psalmiste

n'excepte personne; son langage est précis, il


des hérétiques secrets.
Mais je ne suis pas convaincu que nous ne dit pas «Vous perdrez ceux qui profèrent
:

l'aide du mensonge découvrir « mensonge », comme pour laisser place à des


devions, à ,

qui se cachent sous le voile exceptions, mais il dit, d'une manière absolue,
des hommes
universelle: «Vous perdrez tous ceux qui pro-
du mensonge. A quoi bon, en effet, prenons-
« fèrent le mensonge » .Et parce qu'il ne dit pas
nous tant de peines, mettons-nous tant d'in-
:

térêt à les chercher, à] les suivre comme à '


Rom. m, 7, 8. — • Ps. V, 7.
CONTRE LE MENSONGE. 2i9

Vous perdrez ceux qui profèrent toute espèce ainsi parler, les membres du même corps.
de mensonge, ou qui profèrent un mensonge 3. Cette opinion déshonore les saints mar-
quelconque, permette d'ex-
faut-ii croire qu'il tyrs; elle fait même disparaître jusqu'à la
cepter certaine espèce de mensonge que Dieu ;
notion du martyre. D'après les Priscillianistes
ne perdrait point celui qui le proférerait; en effet, les martyrs eussent agi plus conve-
qu'il ne perdrait que ceux qui profèrent un nablement et plus sagement, en ne confessant
mensonge capable de faire tort au prochain, pas à leurs persécuteurs qu'ils étaient chré-
et non pas toutes sortes de mensonges, puis- tiens, et en leur évitant par là de devenir
qu'il s'en trouverait de justes, qu'il faudrait homicides en mentant, au contraire, et en
;

louer plutôt que blâmer ? reniant leur foi, ils eussent sauvé tout à la fois
leur corps et les bonnes dispositions de leur
CHAPITRE II.
cœur, et empêché leurs ennemis d'exécuter
ERREUR DES PRISCILLIANISTES QUI EMPLOIENT LE leur criminel dessein. Car enfin les païens

MENSONGE POUR SE CACHER. PAR LA, IL n'y n'étant pas leur prochain dans la foi chré-

AURAIT PLUS DE MARTYRS. tienne, ils n'étaient point obligés de leur dire
de bouche la vérité qu'ils professaient
dans
2. Ne combien cette discussion
vois-tu pas leur cœur; en eux des en-
ils voyaient même
favorise ceux que nous pourchassons et cher- nemis de cette vérité. Car si Jéhu, que ces
chons à prendre par nos mensonges? Car hérétiques semblent surtout se proposer
c'est là, tu l'as démontré toi-même, l'opinion comme le modèle d'un sage et habile men-
des Priscillianistes. Ils l'appuient sur des teur, se déclara faussement serviteur deBaal,
textes des Ecritures ; ils exhortent leurs afin de mettre à mort les serviteurs de celte
adeptes à mentir d'après les exemples des pa- idole; avec combien plus de raison, d'après
triarches, des prophètes , des apôtres , des cette opinion perverse, les serviteurs du
anges ; ils n'hésitent même pas à y ajouter Christ auraient-ils dû, dans le temps des per-
celui de Jésus-Christ ; ils ne croiraient pas sécutions, donner pour des esclaves des
se
pouvoir donner à leur mensonge l'apparence démons, d'empêcher les esclaves des dé-
afin
de la vérité, s'ils ne présentaient la Vérité elle- mons de mettre à mort les serviteurs du
même comme coupable de mensonge. Voilà Christ, et sacrifier aux idoles pour épargner
une opinion non à adopter nous
à réfuter et ; des meurtres comme Jéhu sacrifia à Baal
,

ne devons point partager avec les Priscillia- pour devenir homicide? Quel tort se seraient-
nistes une erreur qui les rejette visiblement ils fait, d'après cette belle doctrine de men-

au-dessous de tous les autres hérétiques. Car teurs, en se prêtant de corps au culte du dé-
ils du moins les premiers,
sont les seuls, ou mon, tandis que leur cœur fût resté fidèle au
à prêcher le mensonge pour cacher leur pré- culte de Dieu ? Mais ce n'est pas ainsi que les
tendue vérité, et à justifier cette erreur mons- vrais, que les saints martyrs du Christ ont
trueuse en disant qu'il faut conserver la vérité compris l'Apôtre. Ils avaient lu, ils avaient
dans son cœur, mais qu'il n'y a pas de péché retenu ce qui est écrit « On croit de cœur :

à dire des mensonges à des étrangers, et que « pour la justice, et on confesse de bouche
c'est là le sens de ces mots « Qui dit la vérité : « pour le salut », et encore « Dans leur
*
:

« dans son cœur ^ ; » comme si un mensonge « bouche il ne s'est point trouvé de men-

proféré de bouche était suffisamment justifié « songe ^ » ils s'en sont allés irréprochables
;

parce qu'il s'adresse à un étranger et non au là où ils n'auront plus à se tenir en garde
prochain C'est pour cela qu'ils prétendent
! contre les pièges des menteurs, parce que,
encore que l'Apôtre, après avoir dit : « Quit- dans leurs célestes demeures, il n'y aura plus
« tant le mensonge, que chacun dise la vé- de prochain ni d'étranger capables de mentir.
« rite » , s'empresse d'ajouter : « avec son Quand même l'Ecriture n'eût point dit ce que
« prochain, parce que nous sommes membres c'était que Jéhu, ils ne l'eussent point imité,
«les uns des autres ^». Par conséquent, il recherchant, au moyen d'un mensonge impie
seraitpermis et même ordonné de mentir avec et d'un sacrifice sacrilège, des impies et des
ceux qui ne sont point notre prochain dans la sacrilèges pour les mettre à mort. Mais puis-
profession de la vérité, qui ne sont point, pour qu'il est écrit qu'il n'avait point le cœur droit
' P». XIV, 3. — = Eph. IV, 25. ' Rom. X, 10. — ' Apoc. XIV, 5.
220 CONTRE LE MENSONGE.

devant Dieu, à quoi lui a servi de recevoir nions ainsi la mort à ceux qui nous croiraient,
une royauté temporelle , éphémère récom- et cela, dans le but de découvrir les ennemis
pense de l'obéissance qu'il mit à détruire en- de cette même doctrine et de les attirer à la
tièrement la maison d'Achab, dans des vues vérité pendant que nous nous en écartons ;

d'ambition personnelle ? Je t'engage plutôt,


' ou plutôt si, pour gagner des menteurs par
mon frère, à défendre la conduite des martyrs des mensonges, nous leur apprenions à men-
insjùrée par l'amour de la vérité, et à soute- tir d'une manière plus criminelle I

nir la vérité et non le mensonge contre les Autre chose en effet est ce qu'ils disent
docteurs du mensonge. Pèse mûrement ce que quand ils mentent, autre chose ce qu'ils disent
je viens de dire Je t'en prie, et tu verras com- quand on les trompe. Quand ils enseignent leur
bien ilfaut se défier d'un zèle, louable peut- hérésie, ils proclament l'erreur qu'on leur a
être,mais cependant imprudent, qui enseigne enseignée mais quand ils disent qu'ils pensent
;

un tel moyen pour découvrir et corriger les ce qu'ils ne pensent pas, ou qu'ils ne pensent
impies, ou du moins tenir en garde contre eux. pas ce qu'ils pensent, ils profèrent un men-
CHAPITRE 111.
songe. En ajoutant foi à leur parole, on ne les
gagne mais du moins on ne périt pas
pas,
IL Y AURAIT PLUS DE MAL A U>' CATHOLIQUE DE
avec eux. Car ce n'est pas s'écarter de
la doc-
MENTIR POUR PRENDRE DES EÉRÉTIQUES QU'a
trine catholique que de croire catholique un
UN HÉRÉTIQUE DE MENTIR POUR ÉCHAPPER AUX
hérétique qui professe les dogmes catholiques
CATHOLIQUES. PREUVE DE FAIT. VOULOIR SUR-
sans y croire par conséquent, on n'en souffre
:

PRENDRE LES PRISCILLIANISTES PAR LE MEN-


pas, parce que si on se trompe dans la secrète
SONGE, c'est se PERDRE AVEC EUX.
pensée d'un homme dont on ne peut juger,
y a bien des espèces de mensonges, et
4. Il on ne se trompe pas du moins sur la loi de
nous devons tous les détester sans exception. Dieu qu'on doit garder en son cœur. Mais
Car il n'y en a point qui ne soit contraire à la quand ils enseignent leur hérésie, celui qui
vérité. La vérité et le mensonge sont opposés l'admet et croit que c'est la vérité, participe
comme la lumière et les ténèbres, la piété et à leur erreur et à leur condamnation. De là
l'impiété, la justice et l'injustice, une bonne il résulte que quiconque croit aux dogmes
et une mauvaise action, la santé et la maladie, pervers, dont l'erreur mortelle les a séduits,
mort. Autant nous aimons la vé-
la vie et la périt; et que quand nous prêchons la doc-
rité, autant nous devons haïr le mensonge. trine catholique, par laquelle nous possé-
Cependant, il y a des mensonges qui ne sont dons la vraie foi, si un de ces hérétiques y
point dangereux à croire toutefois, celui qui; croit, il est arraché à la mort. Quand donc,
les profère dans l'intention de romper, se quoique priscillianistes ils se disent faus- ,

fait tort à lui-même, mais non à celui qui le sement des nôtres, pour cacher leur venin,
croit. Par exemple, si ce serviteur de Dieu, celui d'entre nous qui croit à cette affir-
Fronto, eût mêlé quelques mensonges (ce qu'à mation menteuse, reste néanmoins catho-
Dieu ne plaise !) à tout ce qu'il a rapporté, il lique; mais si, au contraire, pour parvenir à
se fût sans doute nui à lui-même, mais non à les découvrir, nous nous déclarons faussement

toi qui aurais innocemment cru son récit priscillianistes, nous serons obligés d'approu-

entièrement vrai. Dans ce cas, que la chose ver leurs dogmes comme si c'étaient les nôtres,

se soit passée de telle façon ou de telle autre, etquiconque y ajoutera foi, ou sera confirmé
celui qui croit qu'elle a eu lieu ainsi, bien de plus en plus dans leur erreur, ou s'em-
qu'il en soit autrement, ne saurait être jugé pressera d'y passer. Qu'arrivera-t-il ensuite ?
digne de blâme d'après les règles de la vérité Sauverons-nous plus tard, en disant la vérité,
et la doctrine du salut éternel. Mais si le men- ceux qui ont été trompés par nos mensonges?
songe est de telle nature qu'on ne puisse le Voudront-ils écouter un maître qu'ils connaî-
croire sans se séparer de la doctrine du tront par expérience pour un menteur ? Cela
Christ, celui qui le profère est d'autant plus est-il sûr? Qui ne voit que cela ne l'est pas?

coupable, que celui qui le croit est plus mal- D'où je conclus qu'il est plus pernicieux,
heureux. Vois donc ce que c'en serait, si nous ou pour adoucir le terme, plus dangereux aux
mentions contre la doctrine du Christ et don- catholiques de mentir pour découvrir les hé-
rétiques, qu'aux hérétiques de mentir pour
CONTRE LE MENSONGE. 221

échapper aux catholiques. La raison en est que faire impunément. Et de quel front le blâme-
quiconque croit aux catholiques qui mentent rions-nous de mentir pour chercher à cacher
pour le sonder, ou devient hérétique, ou s'af- la vérité, quand nous lui en aurions donné la
fermit dans l'hérésie tandis que tout catho-
;
leçon ?

lique qui ajoute foi aux hérétiques, s'abritant 6. Il ne nous reste donc qu'à condamner

sous le voile du mensonge, ne cesse pas d'être sans hésitation et avec une piété sincère, tout
catholique. Pour mieux éclaircir la question, ce que les Priscillianistes, dans leur fausse et

faisons une supposition prise en grande par- criminelle hérésie, pensent de Dieu, de l'âme,
tie dans les écrits que tu m'as envoyés et du corps et d'autres sujets, et à admettre en
chargé de lire. commun avec eux (ce qu'à Dieu ne plaise î)

5. Voilà devant nous un habile explorateur. qu'il est permis de mentir pour cacher la
Il s'approche d'un individu qu'il soupçonne vérité ? Or, ce serait là un mal si grand que,
d'être priscillianiste. 11 commence par faire un quand même le mensonge par lequel nous
éloge menteur de l'évêque Dictinius, de sa chercherions à les gagner et à les changer,
conduite connu, de sa renommée s'il
s'il l'a obtiendrait un résultat complet, le profit
ne l'a pas connu. Jusque-là c'est supportable, ne compenserait pas que nous nousle tort
parce qu'on suppose que celui qui parle a été ferions ainsi qu'à eux, en nous pervertissant
catholique et qu'il a renoncé à cette religion pour les corriger. En effet, par ce mensonge,
erronée. Il parle ensuite avec respect de Pris- nous serions à demi pervertis, et eux à demi
ciilien (l'art de mentir veut cette gradation), corrigés, puisque nous ne détruirions pas chez
de cet impie, de cet abominable, condanmé eux l'opinion erronée qu'il faut mentir pour
pour ses crimes et sa noire scélératesse. Ces cacher la vérité, vu que nous la leur appren-
hommages rendus à une telle mémoire affir- drions, laleurenseignerions, laleurferionsvoir
meront à coup sûr dans cette doctrine le comme pour pouvoir parvenir à
nécessaire,
priscillianiste à qui on tend un piège, si par les corriger. Or nous ne corrigeons pas des
hasard il avait été chancelant jusque-là; avan- hommes que nous ne guérissons pas du pro-
çant ensuite dans son discours, il dira qu'il a cédé coupable par lequel ils croient pouvoir
pitiéde ceux que l'auteur des ténèbres a en- cacher la vérité, mais nous nous détériorons
veloppés d'une nuit si profonde qu'ils ne con- nous-mêmes, en cherchant à les gagner par
naissent pas même la dignité de leur âme et le même procédé nous nous ôtons tout
;

la noblesse de leur céleste origine. Après quoi moyen de croire à leur conversion, nous qui
il parlera de l'ouvrage de Dictinius, intitulé leur avons menti au temps de leur perversion;
la Livre^ (parce qu'il y explique douze ques- nous avons à craindre qu'ils ne fassent, quand
tions que l'on peut considérer comme des ils seront pris, ce qu'on a fait avec eux pour

onces) ; il en fera un magnifique éloge, et at- les prendre, d'abord par habitude, et ensuite
testera que cette Livre, ramas d'horribles par ce qu'en venant à nous, ils y trouveront
blasphèmes, est pour lui un trésor plus i)ré- établi ce qu'ils pratiquaient déjà-eux mêmes.
cieux que des milliers et des miUiers de livres
d'or. Evidemment un mensonge astucieux CHAPITRE IV.

donne à l'âme qui y croit le coup mortel, QUAND ON MENT SUR UN POINT, ON NE PEUT
ou si elle l'a déjà reçu, la plonge, l'enfonce
PLUS ÊTRE CRU SUR d'aUTRES.
dans les ombres de la mort. Mais dira- — ,

t-on, on l'en retirera ensuite. Et si cela — 7. Et, ce qu'il y a de plus misérable, c'est
n'arrive pas, soit par de quelque obs- l'effet qu'étant des nôtres, ils auront perdu tout
tacle qui survient et empêche le succès de motif de confiance en nous. En effet, s'ils
l'entreprise soit à cause de l'obstination
, viennent à soupçonner que nous faussons les
propre à l'hérétique qui rétracte ensuite les dogmes catholiques, pour leur cacher je ne
aveux qu'il avait commencé à faire ? Que saisquoi que nous croyons vrai, tu leur diras
faire alors ? Si l'hérétique s'aperçoit qu'on sans doute J'ai fait cela ci-devant, pour te
:

lui atendu un piège, il mettra d'autant plus gagner. Mais que répondras-tu quand on te
d'audace à cacher ses sentiments par des répliquera Eh que sais-je si tu ne le fais pas
: 1

mensonges que son tentateur lui aura mieux maintenant, pour que je ne le gagne pas
api»ris par son propre exemple qu'on peut le moi-même ? A qui persuadera-t-on que
222 CONTRE LE MENSONGE.

l'homme qui ment pour prendre, ne ment pas


pour n'être pas pris ? Vois-tu où ce mal tend ?
des deux est le plus coupable de celui qui
trompe un homme sans le savoir, ou de celui
i
Non-seulement à nous rendre suspects à eux qui blasphème Dieu avec connaissance de
et eux à nous, mais à faire que tout frère soit cause ? Evidemment
la réponse ne saurait
à juste titre suspect à son frère. El ainsi, en être douteuse pour quiconque, dans sa pieuse
chercliant par le mensonge à enseigner la foi, sollicitude, met Dieu au-dessus de l'homme.
on arrive à détruire toute espèce de foi. Car De plus, s'il faut blasphémer Dieu pour ame-
s'il est permis de parler contre Dieu en men- ner les hommes à le louer, il est hors de douleque
tant, où trouvera-t-on un mensonge tellement notre doctrine et notre exemple lesinvitent tout
criminel que nous devions l'éviter comme un à la fois à le louer et à le blasphémer puisque :

acte de scélératesse ? si nous réussissons, en blasphémant Dieu, à

les engager à louer Dieu, ils apprendront de


CHAPITRE V. nous, non-seulement à le louer, mais encore
à le blasphémer. Voilà le service que nous
LE PRFSCILLIANISTE EST MOINS COUPABLE DE
MENTIR POUR CACHER SON HÉRÉSIE, QUE LE rendons à ceux que nous arrachons à l'hérésie,
en blasphémant, non par ignorance, mais
I
CATHOLIQUE POUR CACHER LA VÉRITÉ. UN
CATHOLIQUE QUI SE DIT PRISCILLIANISTE FAIT sciemment. Et quand l'Apôtre livre des hom-
PLUS DE 3IAL QU'UN PRISCILLIANISTE QUI SE
mes à Satan pour qu'ils apprennent à ne point
DIT CATHOLIQUE. blasphémer nous nous efforçons d'arracher
'
;

des hommes à Satan pour apprendre à blas-


8. Vois maintenant combien le mensonge phémer, non plus par ignorance, mais avec
des Priscillianistes est moins coupable que le connaissance de cause ; et nous, leurs maîtres,
nôtre, quand ils savent qu'ils déguisent leur nous nous faisons ce tort immense de devenir
pensée, eux que nous prétendons délivrer par blasphémateurs de Dieu (ce qui est une chose
notre mensonge des erreurs dont ils sont certaine) pour gagner des hérétiques, afin de
séduits. Le priscillianiste dit que l'âme est une redevenir, pour les délivrer (ce qui est une
partie de Dieu, de même nature et de même chose incertaine) des prédicateurs de la vérité.

substance que lui. Voilà un grand, un abomi- 9. Mais pendant que nous apprenons aux
nable blasphème. Car il s'ensuivrait que la nôtres à blasphémer Dieu, pour faire croire
nature divine est enchaînée, jouée, trompée, aux Priscillianistes qu'ils sont des leurs, exami-
troublée, déshonorée, condamnée et livrée nons un peu quel mal font les Priscillianistes
aux supplices. Mais si celui qui veut, par le quand ils mentent pour que nous les croyions
mensonge, arracher un homme à une telle des nôtres. Ilsanathématisent Priscillien et lui
erreur en dit tout autant:voyons quelle jurent haine au gré de nos vœux; ils disent
différence il y aura entre ces deux blasphéma- que rame n'est pas une portion de Dieu, mais
teurs. — Une grande, dis-tu; car le priscillia- sa créature ; ils njettent avec horreur les

niste croit ce qu'il dit, et le catholique le dit faux martyres des Priscillianistes ; ils exaltent
sans le croire. — L'un blas|)hème donc à son les évoques catholiques qui ont mis à nu,
insu, et l'autre avec connaissance de cause; attaqué, abattu cette hérésie, et ainsi de suite.
l'un parle contre la science, l'autre contre sa Mais voilà que, tout en mentant, ils disent la
conscience ; l'un est assez aveugle pour croire vérité non qu'une chose puisse être vraie et
:

le faux, mais il a du moins l'intention de fausse en même temps mais en mentant à ;

dire le vrai ; l'autre connaît la vérité en secret, un certain point de vue, ils disent vrai d'autre
et exprime volontairement l'erreur. — Mais, part: car, s'ils mentent en se disant des nôtres,
dis-tu, le premier enseigne i)Our attirer des ils expriment la vérité en ce qui touche la foi

partisans à ses erreurs et à ses folies ; le second catholique. Ainsi pour ne pas paraître priscil-
emploie ce langage pour sauver les victimes lianistes, ils disent, en mentant, des choses
de l'erreur et de la folie. J'ai déjà montré — vraies ; et nous, pour démontrer (ju'ils le sont,
plus haut quel grand dommage résultera de non-seulement nous mentons })Our avoir l'air
ce dont on espère un profit. Mais à prendre la d'être des leurs, mais encore nous énonçons
question au point de vue du mul actuel (car des faussetés que nous savons faire partie de
lebien que le catholique se propose dans la leur hérésie. En résumé, quand ils veulent
conversion de l'hérétique est incertain), lequel « I Tim, I, 20.
CONTRE LE MENSONGE. -2-23

passer pour être des nôtres, ils mentent d'un It. Mais, diras-tu, c'est le seul moyen que
côté, etde l'autre disent la vérité car il est : nous ayons de découvrir les loups cachés ,
faux qu'ils soient avec nous et il est vrai que couverts de la peau des brebis et faisant de
l'âme n'est pas une partie de Dieu et nous, ;
secrets et terribles ravages dans le troupeau
quand nous voulons faire croire que nous du Seigneur. —
Comment donc a-t-on connu
sommes des leurs, nous mentons de tout point, les Priscillianistes, avant l'invention de cette
en disant, d'une part, que nous sommes pris- chasse au mensonge ? Comment a-t-on péné-
cillianistes, et de l'autre, que l'àme est une par- tré dans le repaire de leur fondateur, qui
tie de Dieu. Ainsi, en voulant rester cachés, sans doute l'emportait sur eux en ruse et en
ils louent Dieu et ne le blasphèment point; habileté à se cacher ? Comment en a-t-on
et quand ils se découvrent et donnent de leur découvert et condamné en si grand nombre et
fond, ils blasphèment sans le savoir. Par con- de si importants ? Comment une foule d'autres
séquent, s'ils se convertissent à la foi catho- ont-ils été, les uns corrigés entièrement, les
lique, ils ont la consolation de se trouver avec autres corrigés à demi et reçus par compassion
l'Apôtre qui, après avoir dit, entre autres dans le sein de l'Eglise ? car Dieu, quand il est
chose: « Auparavant j'étais blasphémateur», touché de pitié, ouvre bien des chemins pour
ajoute ensuite : « Mais j'ai obtenu miséricorde, arriver à les découvrir, et deux plus sûrs que
« parce que j'ai agi par ignorance/ ». Nous, les autres les indications de ceux qu'ils ont
:

au contraire, si, pour qu'ils se découvrent à cherché à séduire, ou de ceux qu'ils ont déjà
nous, nous recourons à un mensonge qui a séduiis, mais qui viennent à récipisceoce et
une apparence de raison, dans le but de les se convertissent. Et l'œuvre est facilitée quand
tromper et de les gagner, nous déclarons on détruit leur ciiminelle erreur, non en les
évidemment que nous appartenons à la secte trompant par des mensonges, mais en discutant
des Priscillianistes blasphémateurs, et, pour le au flambeau de la vérité. C'est à des écrits
faire croire, nous blas[)hémons sans pouvoir de ce genre que tu dois consacrer tes loisirs,
prétexter d'ignorance. Car un catholique qui puisque Dieu t'en donne la faculté. Ces utiles
blasphème pour paraître hérétique, ne peut ouvrages, destinés à combattre des coupables
pas dire : « J'ai agi par ignorance ». folies, étantde plus en plus connus et propagés
de tous les côtés par les catholiques, par les
CHAPITRE VI. pontifes qui parlent aux peuples, par tous les
IL n'est jamais PEÎIMIS DE REMER LE CHRIST
hommes d'étude animés du zèle de la gloire

DEVANT LES HOMMES, MÊME PAR MENSONGE OU de Dieu, deviendront comme de saints filets,

PAR FICTION. OBJECTION. RÉPONSE. IL NE SUF- qui prendront par la vérité, au lieu de pêcher

FIT PAS DE CONFESSER LE CHRIST DE COEUR


par le mensonge. Pris de celle façon les héré-
IL ;

FAUT ENCORE NE LE POINT RENIER DE BOUCHE. ON tiques avoueront ce qu'ils ont été, et corri-
TOLÈRE CEUX QUI PRÊCHENT LA VÉRITÉ SANS geront avec bienveillance ou découvriront
Y CROIRE, MAIS NON CEUX QUI ANNONCENT LA par com|)assion ceux qu'ils sauront être
FAUSSETÉ. membres de cette secte malfaisante ou s'ils ;

leur en coûte trop de confesser ce qu'ils ont


10. Dans des questions de ce genre, il faut si longtemps caché, la main de Dieu saura
toujours, mon frère, se rappeler avec crainte leur appliquer le remède en secret et les
ces paroles : o Celui qui m'aura renié devant guérir.
« les hommes, moi
aussi je le renierai devant • 2. — Mais, diras-tu, nous pénétrerons bien
« mon Père qui
dans les cieux ' » Or celui-
est . plus facilement dans leurs retraites, en fei-
là ne renie-t-il pas le Christ devant les hom- gnant d'être ce qu'ils sont. Si cela était —
mes, qui le renie devant les Priscillianistes, permis ou expédient, le Christ aurait sans
pour les mettre à nu par un mensonge blas- doute ordonné à ses brebis de se revêtir de
phématoire et les gagner ensuite ? Qui donc, peaux de loups, et d'aller trouver les loups
je t'en prie, hésitera à reconnaître que le qu'elles découvriraient plus facilement à l'aide
Christ est renié, quand on affirme qu'il n'est de cette ruse mensongère. Mais il ne leur a
pas ce qu'if est réellement, et qu'on le dit tel point dit cela, pas même quand il leur annon-
que le prifcillianiste le croit ? çait qu'il les enverrait au milieu des loups '.

» I Tim. I, 13. — > Matt. x, 33, « Matt. X, 16.


.

224 CONTRE LE MENSONGE.


— Mais, poursuis-tu, il ne s'agissait point salut? Pourquoi, en disant la vérité dans son
alors de découvrir les loups, qui étaient par- cœur, a-t-il puni par des larmes si amères la

faitement connus, mais seulement de suppor- parole sortie de sa bouche, si ce n'est parce
ter leurs morsures et leur cruauté. — Et quand, qu'il se voyait grandement coupable de n'a-
prophétisant les temps qui devaient suivre, voir pas confessé de bouche pour le salut ce
il leur disait que les loups ravisseurs vien- qu'il croyait de cœur pour la justice?
draient sous des peaux de brebis, quoi 1 n'é- 4-4. Ainsi donc, ces paroles
«Qui dit la vé- :

tait-ce pas le cas de les avertir et de leur dire : « ritedans son cœur », ne doivent pas s'en-
Et vous, pour les découvrir, prenez des peaux tendre en ce sens que, pourvu qu'on conserve
de loups, tout en restant au fond des brebis? la vérité dans son cœur, on peut proférer de
Mais il ne leur tient point ce langage ; après bouche le mensonge. Elles signifient qu'il
avoir dit: «Beaucoup viendront à vous sous peut se faire qu'on profère de bouche la vérité I
« des vêtements de brebis, tandis qu'au de- sans profit, quand on n'y tient pas de cœur,
dans ce sont des loups ravisseurs », il n'a- c'est-à-dire quand on ne croit pas ce que l'on
joute pas: Vous les connaîtrez par vos men- exprime : comme le font les hérétiques, et
songes, mais a Vous les connaîtrez à leurs
: surtout les Priscillianistes, qui ne croient
« fruits Le mensonge doit être évité parla
^ ». point la vérité catholique et pourtant la pro-
vérité, gagné par la vérité, tué par la vérité. clament, afin de passer pour être des nôtres.
A Dieu ne plaise que nous triomphions, par Ilsdisent donc la vérité de bouche mais non ,

des blasphèmes volontaires, de blasphèmes de cœur. Voilà pourquoi il fallait les distinguer
involontaires A Dieu ne plaise que nous évi-
1 de l'homme « qui dit la vérité dans son.
tions les vices des trompeurs en les imitant 1 « cœur ». Or, comme le catholique dit cette
Et comment éviter des vices si, pour les vérité dans son cœur, parce qu'il y croit, ainsi
éviter, il faut les avoir? Si je blasphème doit-il la dire et la prêcher de bouche, ne
sciemment pour gagner un homme qui blas- mentir contre elle ni de cœur ni de bouche,
phème par ignorance, je fais plus de mal que de manière à croire de cœur pour la justice et
je n'en corrige. Si je renie sciemment le Christ, à confesser de bouche pour le salut. Car dans
pour attirer un homme qui le renie sans le ce même psaume où il est écrit: « Qui dit la
savoir, en entraînant cet homme à ma suite, « vérité dans son cœur », on ajoute immédia-
je leconduis à sa perte, puisque, dans le but tement : « Qui ne cache point d'artifice dans
de gagner, je me donne la mort le premier.
le « ses paroles '
»

i3. Serait-ce que celui qui cherche à attirer 15. Pour ce qui est de ce texte de l'Apôtre :

de cette manière les Priscillianistes, ne renie « Quittant le mensonge,


que chacun dise la
pas le Christ parce qu'il ne tire pas de son «vérité avec son prochain, parce que nous
cœur ce qu'il exprime de sa bouche ? Comme « sommes membres les uns des autres ^ », à

si, à ces paroles que j'ai déjà rapportées plus Dieu ne plaise que nous l'entendions en ce
haut : « On croit de cœur pour la justice», on sens que l'Apôtre nous permette de mentir
avait inutilement ajouté celles-ci «Et on con- ; avec ceux qui ne sont pas, comme nous, mem-
« fesse de bouche pour Est-ce que le salut ^ 1 » bres du corps du Christ ! Il veut seulement
presque tous ceux qui ont renié le Christ de- dire que chacun de nous doit considérer
vant les persécuteurs, ne conservaient pas comme étant des nôtres celui que nous dési-
dans leur cœur la foi en lui ? Et cependant, rons voir tel, bien qu'il ne le soit pas encore.
pour ne l'avoir pas confessé de bouche pour le C'est ainsi queSeigneur présente le Sama-
le

salut, ils ont péri, à moins qu'ils n'aient re- ritain étranger comme
le prochain de celui à

couvré la vie par la pénitence. Quel est qui il fait miséricorde ^ H faut donc regarder
rhomme assez insensé pour croire que Ta- comme prochain, et non comme étranger,
pôtre Pierre avait dans le cœur ce qu'il expri- celui avec qui l'on doit traiter de manière à
mait de bouche, quand il reniait le Christ ? ce qu'il cesse d'être étranger ; et s'il faut lui

Assurément, dans celte circonstance, son cœur cacher certaines vérités parce qu'il ne partage
bouche proférait
restait fidèle à la vérité, et sa pas encore notre foi et ne participe point au
lemensonge. Pourquoi donc a-t-il pleuré ce sacrement, du moins ne faut-il pas lui dire
mensonge % si la foi du cœur suffisait au de faussetés.
' Malt. VII, ITj, 16. — » Rom. x, 10. — ' Matt. x.wi, 69-75. ' Ps. XIV, 3. — Eph. IV, 25. — « Luc, X, 30-37.
CONTRE LE MENSONGE. 95?

16.y avait déjà, du temps des Apôtres, des


Il pas acheter un tel profit à un tel prix? Pour-
hommes qui ne prêchaient pas la vérité avec quoi donc ne pas découvrir et attirer des hé-
vérité, c'est-à-dire avec un cœur sincère. L'A- rétiques par un adultère charnel, et croire que
pôtre dit d'eux qu'ils ne prêchent pas le Christ cela soit permis au moyen de l'adultère du
sincèrement, mais par envie et par esprit de blasphème? Ou l'on justifiera au même titre
contention. On tolérait certains d'entre eux, ces deux actes, sous prétexte qu'ils ne sont
bien qu'ils ne prêchassent point la vérité avec plus criminels dès qu'ils ont pour but de dé-
un cœur sincère ; mais on n'en louait aucun couvrir des criminels ou si la saine doctrine
;

pour avoir annoncé le mensonge même en défend d'avoir commerce, au moins de corps,
gardant leur âme pure. C'est d'eux que l'A- sinon d'esprit, avec desfemmes impudiques,
pôtre dit : « Ou par occasion, ou par un vrai même pour découvrir des hérétiques, elle
« zèle, le Christ soit annoncé
pourvu que » *
;
nous interdit également de professer dans le
mais il aucun prix Que le Christ
n'eût dit à : même but, sinon de cœur, au moins de bou-
soit renié d'abord, pourvu qu'il soit annoncé che, une immonde hérésie, ou de blasphémer
ensuite. la chaste religion catholique. Car l'àme elle-

17. Il y a du reste bien des moyens de dé- même, mouve-


cette souveraine à qui tous les

couvrir les hérétiques cachés, sans outrager la ments inférieurs doivent obéir chez l'homme,
foi catholique ni approuver l'impiété héré- subit toujours un grave outrage, quand un
tique. membre ou la voix se prêtent à un acte cou-
CHAPITRE VIL pable. Du reste, ce qui se fait par la parole, se
fait un membre, puisque la langue, ins-
par
ON NE DOIT JAMAIS MENTIR SOUS PRÉTEXTE d'uNE
trument de la parole, est un membre; et aucun
bonne intention. il y — a des actions
de nos membres n'accomplit un acte qui n'ait
bonnes ou mauvaises suivant le but qu'on se
d'abord été conçu dans le cœur; ou plutôt
propose; mais il y en a qui sont mauvaises
l'acte déjà enfanté au dedans par la pensée et
par elles-mêmes et qu'on ne peut jamais
le consentement, ne fait que paraître au dehors
faire a bonne intention.
par l'entremise du membre. L'àme n'est donc
Mais impossible d'arracher à des
s'il était point excusée d'un action quand on dit que
ténèbres l'impiété hérétique, sans faire dévier cette action ne vient pas du cœur car elle :

la langue catholique du chemin de la vérité, n'aurait pas eu lieu, si le cœur ne l'avait


mieux vaudrait laisser celle-là dans son ob- décidé.
que de compromettre celle-ci mieux
scurité, ;
18. Sans doute il importe souvent de savoir
vaudrait voir les renards cachés dans leurs pour quelle cause, dans quelle fin, avec
terriers, que les chasseurs tomber à leur pour- quelle intention une chose se fait mais ;

suite dans le fossé du blasphème ; voir la per- tout ce qui est certainement péché, ne peut
fidie des Priscillianistes se couvrir du voile de jamais se faire sous prétexte de cause juste, de
la vérité, que la foi des catholiques reniée par bonne fin, d'intention droite. Les actions hu-
des croyants, pour être louée par des héréti- maines qui ne sont point par elles-mêmes
ques menteurs. En
effet, si des mensonges, péchés, sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises,
non pas ordinaires,mais blasphématoires, sont selon qu'elles ont un motif bon ou mauvais ;

licites, justes parce qu'on les emploie pour par exemple, donner à manger aux pauvres est
découvrir des hérétiques cachés, l'adultère une bonne œuvre, si on le fait par esprit de
pourra aussi devenir chaste si on le commet compassion et avec une foi saine, comme aussi
dans la même intention. Par exemple: qu'une l'acte conjugal, quand il a pour but de pro-
femme, une Priscillianiste impudique, jette créer des enfants, qu'on l'accomplit avec foi
lesyeux sur quelque Joseph catholique et et dans l'intention de régénérer (par le bap-
s'engage à lui découvrir les retraites des mem- tême) les enfants à naître. Ces actes, et d'au-
bres de la secte s'il consent à commettre le
, tres de ce genre, sont bons ou mauvais sui-
crime avec elle, et qu'il soit certain qu^elle vant leurs motifs une mauvaise intention les
;

tiendra sa promesse si on lui accorde ce qu'elle change en péchés, comme par exemple si on
demande quoi penserons-nous qu'il faille
: I nourrit un pauvre par ostentation, si on cher-
accepter? ne sentirons-nous pas qu'on ne peut •
che dans le mariage l'assouvissement de la
' Philip. I, 15-18. passion, si on met au monde des enfants pour
S. AuG. — Tome XII. 15
226 CONTRE LE MENSONGE.
lesdonner au démon et non à Dieu. Mais même digne de récompense si une fois nous ;

quand l'action est coupable par elle-même, accordons que, dans toutes les mauvaises ac-
comme le vol, la fornication, le blasphème et tions des hommes, il ne s'agit pas de ce qui
autres de ce genre, qui osera dire qu'on peut se fait,mais du but pour lequel on le fait, en
la faire pour de bons motifs, en sorte qu'elle sorte que tout acte inspiré par un bon motif,
cesse d'être péché, ou, ce qui est plus absurde, soit pour cela môm.e déclaré innocent? Mais si
qu'elle devienne un péché juste? Qui osera la justice a raison de punir le voleur, même
dire Volons les riches pour avoir de quoi
: quand il affirme et démontre qu'il a enlevé le
donner aux pauvres ou Rendons de faux té- ; : superflu aux riches pour donner le nécessaire
moignages à prix d'argent, surtout si un inno- aux pauvres si elle a raison de punir le faus-
;

cent ne doit point en pàtir, ou si par là nous saire, même quand il prouve qu'il a changé un
pouvons soustraire un coupable au juge qui testament pour que l'héritage passe à un hom-
va le condamner? En effet, il en résultera me qui saura en faire d'abondantes aumônes,
deux biens nous recevrons de l'argent pour
: et non à celui qui n'en ferait point ; si elle a
nourrir les pauvres, et on trompera le juge raison de punir l'adultère, même quand il fait
pour l'empêcher de condanmer un homme. voir qu'il a commis le crime par compassion,
Et pourquoi ne pas aussi détruire les testa- pour délivrer quelqu'un de la mort au moyen
ments vrais et leur en substituer de faux, de celle avec qui il a péché; et enfin, pour
pour que les héritages et les legs n'aillent mieux entrer dans notre sujet, si elle a raison
point à des personnages indignes, qui ne sa- de punir celui qui a commis l'adultère avec
vent pas en user pour le bien mais qu'ils ; une femme priscillianiste, dansle but de péné-
passent à des gens qui donnent à manger à trer les secrets de la secte de grâce, après que
:

ceux qui ont faim, revêtent ceux qui sont nus, l'Apôtre a dit « N'abandonnez point vos mem-
:

donnent l'hospitalité aux voyageurs, rachè- «bres au péché, comme des instruments d'ini-
tent les captifs, construisent des églises? Pour- « quité * », et que nous ne devons par consé-
quoi ne pas faire le mal pour de si bonnes quent pas prêter au crime les mains, les parties
fins, quand de si bonnes fins l'empêchent sexuelles, ni aucun autre membre, pour pou-
d'être mal? Et si certaines femmes impudi- voir découvrir des Priscillianistes : de grâce,
ques et riches paraissent disposées à enrichir quel mal nous a fait notre langue, notre bou-
leurs amants, les auteurs mêmes de leur dés- che tout entière, notre voix, pour les abandon-
honneur, pourquoi un homme compatissant ner au péché comme des instruments, et à un
ne se tournerait-il pas de ce côté, n'emploie- péché aussi monstrueux que de blasphémer
rait-il pas ce moyen, puisqu'il aurait l'excel- notre Dieu, sans pouvoir prétexter d'ignorance,
lente intention de se procurer de quoi donner et cela pour découvrir des PrisciUianistes et
aux pauvres, au mépris, il est vrai, de ce que les empêcher de blasphémer sans le savoir ?
dit l'Apôtre : « Que celui qui dérobait ne dé-
« robe plus, mais plutôt qu'il s'occupe, en tra- CHAPITRE VllI.

ct vaillant de ses mains, à ce qui est bon, pour


l'intention établit des différences entre les
« avoir de quoi donner à qui souffre du be- péchés; cependant on ne doit pas commettre
« soin Car alors, non-seulement le vol,
^ ? »
une faute comparativement plus légère ;

mais aussi le faux témoignage, l'adultère et SOUVENT elle EST PLUS GRAVE QU'UN PÉCHÉ
toute action mauvaise cessera d'être mauvaise,
d'une autre ESPÈCE.
deviendra même bonne, si on la commet
dans le but de se procurer de quoi faire 19. Mais, dira-t-ou, faut-il donc mettre un
le bien. Qui osera dire cela, à moins de voleur quelconque au niveau de celui qui vole
vouloir mettre sens dessus dessous l'hu- dans l'intention de faire du bien ? Personne ne
manité tout entière, et les mœurs et les lois? dit cela. Mais l'un n'est pas bon, parce que
En effet, quel attentat si horrible, quel crime l'autre est pire. Celui qui vole par cupidité est
si odieux, révoltant, quel sacrilège si impie plus coupable que celui qui vole par compas-
qu'on ne puisse déclarer bon et juste, non-seu- sion ; mais si tout vol est péché, il faut s'abs-
lement irapunissable, mais même glorieux; tenir de tout vol. Car qui osera dire qu'on
non-seulement à l'abri de tout châtiment, mais peut pécher, bien qu'il y ait des autes mor-
• Eph. IV, 28. ' Rem. VI, 13.
CONTRE LE MENSONGE. -227

telles et des fautes vénielles? Pour le moment « gers ; car ils sont venus sous l'ombre de mon
la question est de savoir, non si telle action « toit '
». Que dire à cela? N'éprouvons-nous
est plus ou moins coupable, mais s'il y a, oui pas une telle horreur pour le crime que les
ou non, péché à la faire. Le vol, par exemple, Sodomites voulaient commettre sur les hôtes
est moins puni par la loi que l'adultère; ce- de cet homme juste, que nous regarderions
pendant ce sont deux péchés, l'un plus léger, comme permis tout ce qui pourrait l'empê-
Tautre plus grave, tellement que le vol inspiré cher? Mais ce qui attire surtout ici l'attention,
par la cupidité est tenu pour moins criminel c'est la qualité même du personnage : un
que l'adultère commis dans des vues de bien- homme à qui sa vertu a mérité d'être sauvé
faisance. Dans la même espèce, les péchés qui du désastre de Sodome ; et comme un attentat
semblent commisavec bonne intention devien- contre pudeur est moins grave commis sur
la
nent moins graves que d'autres de même la femme que sur l'homme, on peut dire que
nature; mais ils sont jugés plus graves que c'est encore par un motif de vertu qu'il a
d'autres d'une espèce ditierente, naturellement mieux aimé le voir infligé à ses filles qu'à ses
plus légers. En effet, il y a plus de mal à voler hôtes, non-seulement en y consentant de cœur,
par convoitise que par compassion l'adultère ; mais en les offrant de vive voix et disposé à
qui a le libertinage pour motif estplus coupa- remplir sa parole si sa proposition était accep-
ble que celui qui se commet dans des vues de nous ouvrons la brèche aux péchés,
tée. Or, si
bienfaisance ;et cefiendunt il y a un plus grand en admettant qu'on peut en commettre de
mal à commettre l'adultère dans des vues de moindres pour en é|)argner de plus graves au
bienfaisance qu'à voler par convoitise. Mais, prochain, bientôt la voie s'élargira, les limites
encore une fois, ne s'agit point ici de savoir
il mêmes disparaîtront, toutes les bornes seront
quel péché est plus ou moins grave, mais si arrachées et dispersées et le péché entrera et
telle chose est péché ou non. Car personne régnera au loin et au large. Car une fois qu'il
n'oserait dire qu'il faut commettre une action sera décidé qu'un homme peutcommettre un
dès qu'elle est reconnue pour certainement péché moindre pour en épargner à un autre
mauvaise; nous pouvons dire toutefois que la un plus grand, immédiatement nous empê-
faute doit être excusée dans telle ou telle cherons l'adultère par le vol, l'inceste par l'a-
circonstance, et ne peut pas l'être dans telle dultère; et quelque crime nous paraît plus
si

ou telle autre. grave que nous prétendrons encore


l'inceste,
CHAPITRE IX. que l'inceste nous est permis, pour mettre
un obstacle à ce crime; ensuite dans cha-
ON NE DOIT POINT COMMETTRE DE PÉCHÉS DE
que espèce de péchés, nous nous croirons
COMPENSATION, LOTH OFFRANT SES FILLES A LA
autorisés à opposer vol à vol, adultère à adul-
PASSION DES SODOMITESNEDOIT PAS ÊTRE IMITÉ;
tère, inceste à inceste, sacrilège à sacrilège,
NI DAVID JURANT PAR COLÈRE. ON NE DOIT PAS
fautes personnelles à fautes étrangères,
non-
FAIRE PASSER DANS LA PRATIQUE TOUTES LES
seulement moins graves pour plus graves,
ACTIONS DES SAINTS.
mais quand on en sera venu au faîte et au
20. Avouons- le, cependant il y a certains
: dernier excès, moins nombreuses pour plus
péchés de compensation qui troublent telle- nombreuses, dans le cas où les choses tourne-
ment les idées humaines, qu'on les regarde raient de façon à ce que nous ne vissions pas
comme dignes d'éloges, ou plutôt qu'on n'y d'autre moyen de retenir le prochain que de
voit plus de mal. En effet, qui hésitera à dire pécher nous-même, mais plus rarement.
qu'un père commet une monstrueuse iniquité, En ce cas, si un ennemi, qui en aurait le
en livrant ses filles à la prostitution et en les pouvoir, venait nous dire Si tu ne consens à :

abandonnant à des impies? Et cependant un être scélérat, je le serai davantage,


ou si tu ne :

homme juste crut un jour devoir le faire, commets telcrime, commettrai de tels en
j'en
quand les Sodomites, poussés par une passion plus grand nombre,nous nous croirions coupa-
furieuse, voulaient user de violence contre des bles de ne pas commettre le mal qu'on exigerait
hôtes. Il leur dit en effet « J'ai deux filles qui
: de nous. Est-ce là de la sagesse? N'est-ce pas
«sont encore vierges, je vous les amènerai, et de la déraison, ou plutôt de la folie? C'est ma
« vous ferez d'elles ce qu'il vous plaira, pourvu propre iniquité, et non celle d'un autre, com-
« que vous ne fassiez aucun mal à ces étran- * Gen. XIX, 8.
228 CONTRE LE MENSONGE.

mise contre moi ou hors de moi, qui doit me se fâcher, même contre un ingrat qui rendait
faire craindre la condamnation, car « l'âme le mal pour le bien ; et à supposer que la
« quia péché, c'est celle-là qui mourra* ». colère l'eût gagné puisqu'il était homme,
21. Si donc il est hors de doute que nous ne qu'elle ne devait pas néanmoins lui faire pro-
devons pas pécher pour empêcher les autres noncer un serment qu'il ne pouvait accomplir
de commettre des fautes plus graves contre sans cruauté ni violer sans parjure. Mais pour
nous ou contre qui que ce soit, il faut exami- ce juste placé au milieu des fureurs impudi-
ner si l'exemple de Loth est à imiter. Ce qu'il ques des habitants de Sodome, qui aurait eu
faut surtout considérer et remarquer, c'est que lecourage de lui dire Quand même tes hôtes,
:

voyant la criminelle impiété des Sodomites des étrangers que tu as forcés à entrer chez
menacer ses hôtes d'un monstrueux attentat toipar un excès d'humanité, seraient saisis
qu'il désirait et ne pouvait détourner, l'esprit par ces impudiques et subiraient des violences
de ce juste a pu être tellement troublé qu'il qui ne s'infligent qu'à des femmes, ne crains
s'est résolu à faire ce que nous défendrait à rien, ne t'inquiète pas, ne t'effraie pas, ne fré-
grands cris, non la timidité humaine agitée par mis ne tremble pas ? Quel homme, fût-ce
pas,
la tempête, mais le droit divin si nous le con- même le complice de ces vils débauchés, eût
sultions dans une calme sérénité. 11 nous fera osé tenir ce langage à ce pieux observateur des
même une loi d'éviter le péché pour notre lois de l'hospitalité ? Mais on aurait eu évidem-
propre compte, sans nous laisser ébranler par ment toute raison de lui dire : Fais ton possi-
la crainte de péchés tout à fait étrangers. Cet ble pour éviter un mal que tu dois réellement
homme juste, redoutant le péché d'autrui qui craindre mais que la crainte ne te domine pas
;

ne souille que quand on y consent, n'a pas vu jusqu'à mettre dans l'alternative d'être ou
te
dans son trouble la faute qu'il commettait lui- l'auteur du crime que tes filles commettront
même en abandonnant ses filles à la passion de si elles consentent aux vues des Sodomites ou ;

ces impies. Quand nous lisons de tels faits dans l'auteur de la violence qu'elles subiront, si

les Ecritures, ne nous figurons pas qu'ils sont, consentent pas. Ne commets pas toi-
elles n'y
par cela même, proposés à notre imitation; même un grand péché, pour en éviter un plus
ne violons pasles préceptes, pour suivre étour- grand de la part des autres, car quelque dis-
diment les exemples. Quoi! parce que David tance qu'il y ait entre ton péché et le leur,
avait juré qu'il tuerait Nabal et que, cédant à l'un est le tien et l'autre t'est étranger.
un sentiment de clémence plus réfléchi, il ne A moins que pour disculper ce juste, on ne se
tint pas sa parole dirons-nous qu'il faut
-, mette dans l'embarras et qu'on ne dise Comme :

l'imiter et jurer au hasard de faire ce que nous il vaut mieux souffrir l'injure que de la faire et

verrons plus tard qu'il ne faut pas faire? Mais que ces étrangers l'eussent subie, et non com-
comme la crainte poussa Loth à consentir à la mise cet homme juste, en vertu de son droit
;

prostitution de ses filles, ainsi la colère troubla paternel, a mieux aimé voir l'outrage retomber
David jusqu'à lui faire faire un serment sans sur ses filles que sur ses hôtes; il savait qu'en
réflexion. Enfin, s'il nous était permis de les ce cas elles ne pécheraient pas, parce qu'elles
interroger l'un et l'autre et de leur demander subiraient, sans pécher elles-mêmes, un péché
quel motif les faisait agir, l'un pourrait répon- auquel elles ne donneraient aucun consente-
dre « La crainte et
: tremblement se sont le ment. Ensuite ce ne sont pas elles qui se sont
« emparés de moi, et
ténèbres m'ont envi- les offertes au déshonneur, elles femmes, en place
«ronné^ », et l'autre pourrait dire: « La d'hommes, de ces hôtes elles eussent craint
;

« colère a troublé mon regard S) et nous ne ; de se rendre coupables, non en subissant pas-
serions plus étonnés que celui-là, au milieu sivement une violence étrangère, mais en y
des ténèbres de la crainte, celui-ci, avec un donnant un consentement volontaire. Le père
regard troublé par la colère, n'aient pas vu non plus n'a point permis sur sa propre per-
ce qu'il fallait faire pour éviter ce qu'il ne fal- sonne l'outrage de la part de ceux auxquels il
lait pas faire. ne voulait point livrer ses hôtes, quoique le
22. Quant au saint roi David, on pourrait crime eût été moindre sur un que sur deux;
dire avec plus de raison qu'il n'aurait pas dii mais il résistait de tout son pouvoir, pour ne
— point se souiller lui-même par aucune espèce
' Ezech. XVIII, 4. • I Rois, xxv, 22-35. * Ps. uv, 6. —
* Ps. VI, 8. de consentement, et si la passion furieuse l'eût
CONTRE LE MENSONGE. 229

emporté sur ses forces physiques^ cependant à être trompé, ou pour empêcher le prochain
en refusant son assentiment, il fût resté inno- de faire un mal qui ne peut être évité autre-
cent du péché d'antrui. Et si ses filles eussent ment. Pour justifier ces sortes de mensonges,
résisté, il n'eût point été coupable en elles, on beaucoup d'exemples de TEcriture et
cite
parce qu'il n'eût été cause que d'une violence l'on croit y voir une approbation. Mais cacher
passive de leur part et non d'une faute volon- la vérité n'est pas la môme chose que mentir.
taire ; à peu près comme s'il eût offert à ces Car bien que celui qui ment veuille cacher la
scélérats de tuer ses serviteurs au lieu de ses vérité, cependant quiconque veut cacher la
hôtes. Du reste, un maître a-t-il de tels droits vérité ne ment pas pour cela. En effet le plus
sur son serviteur qu'il puisse le livrer à la souvent c'est par le silence, et non par le men-
mort, quoiqu'innocent, pour épargner à son songe, que nous cachons la vérité. Et certes le
ami, également innocent et devenu son hôte, Seigneur ne mentait pas, quand il disait :

les mauvais traitements de quelques malfai- « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire,

teurs ? c'est une question que


je ne discuterai « mais vous ne les pouvez porter à présent ». Il *

pas, parce qu'elledemanderait de trop longs a tu des choses vraies, il n^en a point dit de
développements. Mais du moins on peut dire fausses. Il ne croyait pas les apôtres capables

en toute assurance que David ne devait point d'entendre toutes les vérités s'il ne l'eût pas ;

jurer de faire ce qu'il devait plus tard recon- indiqué, c'est-à-dire s'il ne leur eût pas dit
naître illicite. D'où il résulte que nous ne de- qu'ils ne pouvaient pas porter ce qu'il ne vou-
vons pas imiter tout ce que nous lisons de la lait il n'en eût pas moins caché
pas leur dire,
conduite des saints et des justes; et nous pou- certaines vérités mais nous aurions peut-être
;

vons voir quelle étendue et quelle portée ont ignoré que cela peut se faire, ou du moins
ces paroles de l'Apôtre « Mes frères, si un
: nous n'y serions pas autorisés par un si grand
« homme est tombé par surprise dans quelque exemple. Ainsi donc ceux qui pensent qu'on
« faute, vous qui êtes spirituels, instruisez-le peut mentir quelquefois, ont tort de citer en
« en esprit de douceur, regardant à toi-même, preuve Abraham disant que Sara était sa sceur.
« de peur que toi aussi tu ne sois tenté ». Or ' Car il n'a pas dit Elle n'est pas ma femme
:
;

ces chutes par surprise ont lieu quand on ne mais seulement « C'est ma sœur » et elle l'é-
: ,

voit pas sur l'heure même ce qu'il faut faire, tait réellement, puisqu'elle était sa parente si

ou qu'on le voit et qu'on succombe, en sorte rapprochée qu'on pouvait sans mensonge l'ap-
que le péché se commet faute devoir la vérité, peler sa sœur. C'est ce qu'il affirma lui-même
ou par l'effet de la faiblesse humaine. quand il répondit à celui qui la lui avait prise
et qui la lui rendait « Elle est vraiment mu:

CHAPITRE X. « sœur de père,mais non de mère^ » c'est-à-dire ;

AUTRE CHOSE EST DE CACHER LA VÉRITÉ, AUTRE du côté paternel, et non du côté maternel. Il

CHOSE EST DE MENTIR. ABRAHAM ET ISAAC a donc tu une partie de la vérité,


mais il n'a
rien énoncé de faux, quand il a caché qu'elle
JUSTIFIÉS, l'action DE JACOB N'ÉTAIT PAS UN
était sa femme pour dire qu'elle était sa sœur.
MENSONGE. LA MÉTAPHORE. l'aNTIPHRASE.
Isaacjson fils, en afait autant car nous savons
pourquoi IL y a des TROPES dans la SAINTE :

qu'il a épousé aussi une proche parente ^ Le


ECRITURE.
mensonge ne consiste donc pas à taire ce qui
23. Ce qui trouble le plus les gens de bien est vrai, mais à exprimer ce qui est faux.
dans tous leurs actes, ce sont les péchés où les 24. Quant à l'action de Jacob qui, sur le
raisons se balancent de telle sorte qu'ils ne conseil sa mère, semble tromper son père, si
sont plus considérés comme péchés si on les on l'examine attentivement et au flambeau de
fait pour tels ou tels motifs, et qu'on croirait la foi, on y découvre un mystère et non un
même plutôt mal faire si on ne les commettait mensonge. Autrement, il faudrait traiter de
pas. C'est surtout pour le mensonge que cette mensonges toutes les paraboles , toutes les
opinion a prévalu parmi les hommes car on ; figures, qui ne peuvent se prendre à la lettre,
ne regarde plus comme péchés, on estime mais renfermant un sens mystérieux et sym-
même comme bonnes actions ceux que l'on bolique ce qui ne peut s'admettre. Celui qui
:

profère en faveur de quelqu'un qui a intérêt penserait ainsi, pourrait en dire autant de
» Gai. VI, 1. » Jean, xvi, 12. — ' Gen. sx, 2, 12. — ' Id. xxvi, 7, xsiv.
230 CONTRE LE MENSONGE.

toutes les locutions figurées la métaphore elle- ; sans nuages. Et quand nous tirons de leur
même, qui consiste à transporter un mot de mystérieuse obscurité des faits qui nous sont
la signification propre à un sens qui lui est manifestés ailleurs clairement et ouvertement,
étranger, devrait, pour cela même, s'appeler la connaissance s'en renouvelle pour ainsi dire,
mensonge. En quand nous disons que les
elTet en nous, et ce renouvellement a ses cliarmes.
moissons ondoient, que les vignes poussent des Si on les cache ainsi, ce n'est point pour en
bourgeons [gemmare *), quand nous parlons priver les fidèles, mais pour en augmenter le
de la fleur de la jeunesse, de chevelure de prix à leurs yeux, afin qu'en les dérobant à
neige, évidemment, comme on ne trouve là ni demi à l'ardeur de leurs désirs, on rende plus
flots, ni perles [getmnas), ni fleurs, ni neige, vif le plaisir de lestrouver. Cependant on les
mais que ces expressions sont empruntées à un appelle vérités et non mensonges car ce sont :

autre ordre d'idées, les partisans de ce système des choses vraies, et non des choses fausses,
devront y voir autant de mensonges. Et le qui sont exprimées ainsi en parole ou en
Clirist qui est la pierre *
; et le cœur de pierre action ; on leur donne même le nom des
des Juifs % et le Christ qui est lion *, et le diable choses qu'elles figurent. Or on ne les regarde
qui est lion ^ et une multitude d'autres locu- comme des mensonges, que parce qu'on ne
tions de ce genre seront aussi des mensonges. les considère pas par rapport aux vérités
Et que dira-t-on de cette forme detropequi qu'elles signifient ; mais qu'on s'attache aux
va jusqu'à ce qu'on appelle l'antiphrase, mots mêmes, qui sont réellement faux.
quand on prête l'abondance à ce qui n'existe Pour éclaircir tout cela par des exemples,
pas, la douceur à ce qui est aigre, qui tire examine un peu ce qu'a fait Jacob. Il est certain
Lucus bois sacré de lucere (luire) Parques
[ ) ; qu'il s'est couvert d'une peau de chevreau;
(qui épargnent) de Parco (épargner), préci- au premier abord, nous taxerons cela de men-
sément parce que le bois est obscur et que les songe, car son intention était d'être pris pour
Parques n'épargnent personne? C'est ainsi ce qu'il n'était pas. Mais si nous faisons atten-
qu'on lit dans l'Ecriture ces paroles que le tion au Dut figuré auquel le fait se rapportait
démon adresse à Dieu, à propos du saint réellement, nous trouverons que la peau de
homme Job « Et vous verrez s'il ne vous bénit
: chevreau et celui qui s'en est revêtu, représen-
«pas en face S), pour s'il ne vous maudit pas. : taient celui qui a porté des péchés qui n'étaient
C'est encore le même terme qu'emjdoient les pas les siens, des iniquités qui lui étaient étran-
calomniateurs de Naboth, quand ils l'accusent gères. Une signification vraie ne peut donc en
d'avoir béni le roi ^ c'est-à-dire maudit. Or aucune façon être appelée mensonge. Or il en
toutes ces formes de langage seront regardées est des actions comme des paroles. Quand Isaac
comme des mensonges, si une parole ou une demanda à Jacob : « Qui es-tu, mon fils ? » il

action figurée est réputée mensonge. Mais s'il répondit : « Je suis Esaù, votre premier-né* ».
n'y a pas mensonge, quand la métaphore a A ne considérer que les deux jumeaux, c'était
pour but de figurer une vérité, à coup sûr ni un mensonge mais si ces paroles et ces actions
;

ce que Jacob a fait ou dit à son père pour atti- sont prises dans leur sens figuré, on retrou-
rer sa bénédiction, ni ce que Joseph a dit à ses vera dans son corps, qui est l'Eglise, Celui qui
frères comme pour les induire en erreur % ni a dit, par allusion à cet événement : « Quand
la folie simulée de David % ni les autres faits « vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous
de ce genre ne doivent être regardés comme « les Prophètes dans le royaume de Dieu et
des mensonges, mais bien comme des paroles « vous chassés dehors. Et il en viendra de
ou des actions prophétiques qu'il faut rappor- « l'orient et de l'occident, et de l'aquilon et du
ter à quelques vérités proposées à l'intelli- « midi, et ils auront place au festin dans le
gence; ce sont comme des voiles figuratifs « royaume de Dieu et ce sont les derniers
;

sous lesquels on enveloppe celles-ci, pour exer- « qui seront les premiers, et ce sont les pre-
cer l'âme pieuse et ne pas diminuer leur prix, « miers qui seront les derniers ^ ». C'est ainsi
en les exposant à ses yeux immédiatement et que le plus jeune a en quelque sorte enlevé la
primogénilure et l'a transportée sur sa tête.
* La pensée du Saint repose ici sur le double sens du mot latin
gemma qui signifie tout à la fois bourgeon et pierre précieuse : ce Quand donc le sens est si clair et si vrai, pour-
que la traduction française ne sauraa readre. — Cor. v, ' I 4. — quoi chercher ici un mensonge dans la parole
' Ez. XXXVI, 26. — * Ap. V, 5. — M Pierre, v, — Job, 8. ' ii, 5. —
' III Rois, x.\i, 13. — • Gen. xlu. — Rois, xxi, 13.
' I 'Gen. xxvii, 16-19. — ' Luc, xill, 28-30.
CONTRE LE MENSONGE. 231

ou dans l'action ? Lorsque les choses signifiées jamais mentir en tout ce qui touche à la reli-
sont, non pas en dehors de la vérité, mais ou gion. C'est ainsi qu'en détruisant leurs sub-
passées, ou présentes, ou futures, évidemment terfuges, on les anéantit complètement; il en
la signification est vraie,et il n'y a pas de résulte loin de les suivre, on se met
que bien
mensonges. 11 serait trop long de tout étudier d'autant mieux en garde contre eux, qu'ils
en détail, au point de vue prophétique mais ; professent eux-mêmes qu'ils mentent pour
partout la vérité triomphe, parce que l'événe- cacher leur hérésie. C'est sur ce terrain d'abord
ment a fait clairement ressortir tout ce que la qu'il faut les battre ; c'est là le premier retran-
figure avait annoncé. chement à attaquer et à renverser par la force
de la vérité. ne faut pas leur fournir un
11
CHAPITRE XL autre refuge qu'ils n'avaient pas encore; il ne

TROIS MANIÈRES DE DISCUTER CONTRE CEUX QUI faut pas que, quand ils seront trahis par ceux
qu'ils cherchent à séduire, ils puissent dire
CHERCHENT DANS LES ÉCRITURES UN MOYEN DE :

JUSTIFIER LEURS MENSONGES.


nous avons voulu les éprouver, puisque des
sages catholiques enseignent qu'il faut em-
25. Je n'ai point entrepris ici la tâche qui ployer ce moyen pour découvrir les hérétiques.
t'incombe particulièrement, à toi qui as décou- Mais je dois insister avec quelque détail
vert les secrets des Pricillianistes, en ce qui et expliquer pourquoi je dis qu'il y a trois
concerne leurs dogmes menteurs et pervers; manières de discuter avec ceux qui cherchent
il ne faut pas que tes recherches aient l'air à justifier leurs mensonges par le témoignage
d'aboutir à enseigner cette doctrine, et non à des saintes Ecritures. Nousdevonsdoncd'abord
la réfuter. Travaille donc au contraire de plus faire voir que souvent ce que l'on croit men-
belle à la combattre et à lui donner le coup de songe ne quand on le prend dans son
l'est pas,

la mort, comme tu as su la démasquer et la véritable sens secondement que s'il y a évi-


;

mettre au grand jour. Qu'en cherchant à péné- demment mensonge, on doit se garder de
trer les ruses de ces sectaires, nous ne laissions l'itniter ; et en troisième lieu, à rencontre de
pas croire que leurs mensonges sont irréfu- toutes les opinions qui permettent à l'homme
tables, alors que notre devoir est plutôt de dé- de bien de mentir en certains cas, nous devons
truire les erreurs dans le cœur de ceux qui se établir comme un point incontestable, qu'il
cachent, que de découvrir les menteurs en n'est jamais permis de mentir en matière de
ménageant leurs erreurs. Or parmi leurs religion. Ce sont là en effet les trois points que
dogmes à détruire, en voici un qu'ils procla- je t'ai signalés tout à l'heure en t'imposant,
ment ouvertement que c'est un devoir pour
: en quelque sorte, l'obligation de les traiter.
les hommes pieux de mentir pour cacher leur
religion, et de mentir, non-seulement en ma- CHAPITRE XII.

tières étrangères et qui ne tiennent point à ON TROUVE RÉELLEMENT QUELQUES EXEMPLES DE


l'enseignement religieux, mais même sur la
MENSONGE DANS l'aNCIEN TESTAMENT, MAIS
religion, dans le but de la cacher aux étran- AUCUN DANS LE NOUVEAU. PAUL BLAMANT LA
gers, en sorte qu'un chrétien doit renier le DISSIMULATION DE PIERRE ET DE BARNABE.
Christ, pour rester chrétien en secret parmi QU'EST-CE QUE LE MENSONGE ?
des ennemis. Détruis, je t'en conjure, ce prin-
cipe impie et criminel, à l'appui duquel ils 26. Pour prouver donc que ce que l'on croit
argumentent et citent des témoignages des mensonge danscertains passages des Ecritures,
Ecritures qui sembleraient présenter le men- n'en est réellement pas si on sait en saisir le
songe , non-seulement comme excusable ou véritable sens, tu as à ta disposition un argu-
tolérable, maiscomme honorable. Atoi revient ment qui n'est pas sans valeur c'est que :

la tâche, quand tu réfutes cette secte détes- tous les exemples que l'on cite sont tirés des
table, de démontrer que ces témoignages de écrits des prophètes, et aucun de ceux des
l'Ecriture doivent être interprétés , de faire apôtres. En effet tous les cas de mensonges
voir ou que ce ne sont pas des mensonges, si qu'on désigne spécialement se trouvent dans
on les prend dans leur vrai sens, ou qu'il ne ces Livres où sont consignés, non-seulement
faut pas les imiter, si ce sont réellement des des paroles, mais une multitude de faits si-
mensonges, ou tout au moins qu'on ne doit gnificatifs, et qui se sont réellement produits
232 CONTRE LE MENSONGE.

comme figures. Or ce qui semble mensonge d'admettre par peur et ce que Paul blâmait
dans une figure, se trou\e vérité quand on en toute liberté. Et s'il dit « Je me suis :

le comprend bien. Mais le langage des Apô- « fait tout à tous pour les sauver tous » , il

tres dans leurs épîtres a été tout autre; c'est un sentiment de compassion, et
faut voir là
dans un genre bien différent que sont écrits non un mensonge. En effet on se fait comme
les actes des apôtres; vu que le Nouveau quand on
celui à qui l'on veut prêter secours,
Testament, annoncé sous le voile des figures est pour rendre à un
assez miséricordieux
prophétiques, était enfin révélé. En résumé, autre le service que l'on voudrait soi-même
dans tant de lettres des apôtres, et dans ce recevoir, si l'on se trouvait dans le même
livre si important où leurs actes sont racontés état d'infortune. On se fait comme lui, non
par une autorité authentiquement reconnue, pour le tromper, mais parce qu'on se figure
on ne trouve pas un seul personnage qui ait être à sa place. C'est ce qui dicte à l'apôtre ces
proféré un mensonge dont puissent s'autori- paroles que j'ai déjà citées plus haut : « Mes
ser ceux qui soutiennent qu'il est permis de « frères, si un homme est tombé par surprise
mentir. Car la dissimulation de Pierre et de « dans quelque faute, vous qui êtes spirituels,
Barnabe obligeant les gentils à judaïser, a été « instruisez-leen esprit de douceur, regar-
justement blâmée et corrigée soit pour , « dant à toi-même, de peur que toi aussi tu ne
obvier au mal qu'elle pouvait produire alors, « sois tenté ^ ». Et si pour avoir dit : « Je me
soit pour qu'on ne pût s'en prévaloir dans la « suis fait comme juif avec les Juifs, pour ga-
suite. En effet l'apôtre Paul voyant qu'ils ne « gner les Juifs; et avec ceux qui sont sous la
marchaient pas droit selon la vérité de l'E- « loi, comme si j'avais été sous la loi ^
», Paul
vangile, dit à Pierre devant tous : « Si toi, doit être soupçonné de n'avoir pratiqué que
« étant juif, tu vis à la manière des Gentils, par mensonge les sacrements de l'ancienne loi,

c< et non en juif, comment forces-tu les Gen- il faudra aussi dire qu'il a embrassé par
« tils à judaïser ^? » mensonge l'idolâtrie des gentils, parce qu'il
Quanta lui, si pour faire voir qu'il n'était ajoute qu'il s'est fait, avec ceux qui étaient
point l'ennemi de la loi et des prophètes, il a sans loi, comme s'il eût été sans loi, afin
conservé et pratiqué certaines observances lé- de les crime qu'il n'a certaine-
sauver :

gales, gardons-nous de croire qu'il ait menti en ment, pas commis. Car nulle part il n'a sa-
cela. On sait assez quelle était sa pensée là- crifié aux idoles, ni ne les a adorées; il les a
dessus et le décret qui s'ensuivit Qu'on : bien plutôt dénoncées comme des objets dé-
ne contrarierait point les Juifs restés fidèles testables et dignes de toute aversion, avec la
aux traditions de leurs pères, et qu'on n'im- liberté d'un martyr du Christ. On ne cite donc
poserait point ces traditions aux gentils de- aucun exemple de mensonge à imiter dans
venus chrétiens ; afin que d'une part, on ne les actes et les paroles des apôtres.
se crût point obligé d'éviter comme sacri- Quant aux faits ou aux paroles prophétiques
lèges, des prescriptions qui étaient certaine- nos adversaires se croient autorisés à les invo-
ment venues de Dieu; que, de l'autre, on
et quer, parce qu'ils prennent les figures prophé-
ne les regardât point, après la révélation du tiques, pour des mensonges, vu qu'elles en ont
nouveau Testament, comme nécessaires, en l'air quand on les rapporte
quelquefois. Mais
ce sens que ceux qui seraient convertis à aux choses qu'elles avaient pour but d'annon-
Dieu ne pussent se sauver sans elles. Car il y cer soit en actions, soit en paroles, on trouve
avait des hommes qui le pensaient et le prê- que ce sont de vraies prophéties, et point du
chaient, même après la réception de l'Evan- tout des mensonges. Car mentir c'est expri-
gile, et Pierre et Barnabe les approuvaient mer une fausseté avec intention de tromper.
par dissimulation; voilà pourquoi ils forçaient Or il n'y a point de fausseté là où, bien
les gentils à judaïser.Car c'était les forcer que qu'une chose soit exprimée au moyen d'une
de proclamerces observances comme tellement autre, la signification se trouve cependant
nécessaires que, sans elles, il n'y eût pas de vraie si on sait exactement la saisir.
salut dans le Christ après la réception de l'E- ' Gai. VI, \. — 'l Cor, ix, 20-22.
vangile. Voilà ce que quelques-uns croyaient
par erreur, ce que Pierre faisait semblant
« Gai. II, 13, 14.
.

COiNTRE LE MENSONGE. 233

CHAPITRE XIII. et dont le plus jeune s'en va dans une contrée


lointaine^ Dans ce genre de fiction on a même
EXAMEN DES PASSAGES DE l'ÉVANGILE QUI SEM-
prêté les actes et la parole de l'homme à des
BLENT AUTORISER LE MENSONGE.
animaux privés de raison et à des objets ina-
27. II y a des dans
traits de ce genre même nimés, pour rendre plus sensible la pensée
l'Evangile du Sauveur, parce que
Dieu lui, le que l'on voulait exprimer, à l'aide de récits
des Prophètes, a aussi daigné être Prophète. fictifs, il est vrai, mais d'une signification con-

Telle est la question qu'il fait, à l'occasion forme à la vérité. Non-seulement cola se ren-
de la femme qui souffrait d'un flux de sang : contre chez les auteurs profanes, dans Horace,
« Qui m'a touché ^
? » Et cette autre, en par- par exemple, où le rat parle au rat, la belette
lant de Lazare? o Où l'avez-vous mis ^ ? » Il au renard, pour faire ressortir d'un récit ima-
interroge, comme s'il ignorait ce qu'il sait. ginaire le but que Fauteur se propose ^ et ;

Mais cette feinte ignorance a une autre signi- aussi dans Esope dont les fables ont la même
fication, et comme cette signification est portée, sans que personne, pas même le plus
vraie, il n'y a pas de mensonge. Cette femm.e ignorant, soit tenté de les appeler mensonges;
souffrant d'un flux de sang, ce mort de quatre mais on en trouve aussi dans les Livres saints,
jours, figuraient ceux qui, en un certain sens, comme dans le livre des Juges, par exemple,
n'étaient pointconnus de Celui qui connaissait où les arbres veulent se donner un roi et par-
tout. Car cette femme était la figure du peuple lent à l'ohvier, au figuier, à la vigne et au
des gentils, de ce peuple dont le Prophète buisson \ Pure fiction, dont le but est d'ame-
avait dit : a Un peuple que je ne connaissais ner à l'objet que l'on en a vue, par une nar-
a pas, m'a servi * » ; et Lazare, effacé du ration supposée, mais exempte de mensonge,
nombre des vivants, représente, dans le tom- et d'une signification vraie. Tout ceci soit dit

beau où il est couché, celui qui a tenu ce à l'occasion de ce que nous lisons de Jésus :

langage : « J'ai été rejeté loin de vos yeux * » «Et il feignit d'aller plus loin », pour que
C'est donc en figure que le Christ interroge, personne, voulant comme les Priscillianistes,
comme s'il ignorait quelle est cette femme^ se permettre le mensonge, ne conclue de ce
où l'on a mis ce mort ; et la vérité de la signi- mot que le Christ lui-même a menti. Or pour
fication fait disparaître tout mensonge. saisir le sens figuré de cette feinte, il faut voir
28. Il en est de même de ce passage qu'ils ce que Jésus fit ensuite. Il est en effet allé plus

objectent, dis-tu, et où il est raconté que le loin, au-delà de tous les cieux, sans cependant
Seigneur Jésus, après sa résurrection, fit route abandonner ses disciples. Son humanité feint
avec deux disciples, et que, comme ils appro- dans présent, pour prophétiser en figure
le

chaient du village où ils allaient, Jésus feignit ce que sa divinité fera dans l'avenir. Et la si-
d'aller plus loin, car l'Evangéliste en disant gnification de la feinte est vraie, parce que la
expressément « 11 feignit d'aller plus loin ^»,
: vérité du départ s'en est suivie. Que celui-là
emploie le verbe particulièrement cher aux donc prétende que le Christ a menti en fei-
menteurs et à l'abri duquel ils cachent leurs gnant, qui nie qu'il ait réeUement accompli
mensonges comme si toute feinte était un
: ce qu'il avait donné à entendre.
mensonge, tandis qu'on feint si souvent pour
donner à entendre une chose par une autre. CHAPITRE XIV.
Si donc Jésus n'avait pas eu d'autre intention
VÉRITABLES MENSONGES RAPPELÉS DANS l'aNCIEN
en feignant d'aller plus loin, on pourrait dire TESTAMENT. IL NE FAUT PAS PLUS IMITER LE
qu'il y a eu mensonge; mais si on saisit bien
MENSONGE DE THAMAR QUE LA FORNICATION DE
le véritable sens, si on se reporte à l'objet
JUDA.
qu'il voulait indiquer, on trouvera qu'il y a
eu mystère. Autrement il faudrait traiter de 29. Les hérétiques menteurs ne trouvant
mensonges tous les récits de faits allégoriques donc dansle Nouveau Testament aucun men-
de faits qui ne sont pas réels comme par ; songe à proposer pour exemple, se croient
exemple cette longue parabole de l'homme néanmoins parfaitement autorisés dans leur
qui a deux fils dont l'aîné reste chez son père. opinion par une multitude de passages des
' Luc, viu, 45. —
• Jean, xi, 34. — • Ps. xvii, 45. » Ps. XXX, » Luc, XV, 11-32. — ^ Hor. Sat. liv. n, sat. 6 Epitres,
23, — » Luc, XXIV, 28.
ép. 7. — ' Juges,
IX, 8-15.
; liv. i,
234 CONTRE LE MENSONGE.

livres prophétiques, où ils croient voir des porte, non-seulement à toute espèce de péchés
mensonges, parce que le sens figuré et le but véniels, mais à tous les crimes. Car il n'y a pas
des paroles ou des actions ne sont compris un forfait, pas un attentat, pas un sacrilège
que d'un petit nombre. Mais dans leur ardeur auquel on ne puisse trouver quelque motif
à trouver des exemples pour se disculper de qui en ferait une bonne action, le cas échéant :

l'art de tromper, ils se trompent eux-mêmes, opinion qui saperait par la base tous les fon-
et leur iniquité se ment à elle-même K Si les dements de la société.
personnages sur qui on ne doit pas reconnaître
l'intention de prophétiser ont feint en action
ou CHAPITRE XV.
en paroles dans l'intention de tromper, il faut LE MENSONGE EST TOUJOURS INJUSTE, PUISQUE C'eST
direqu'ilsontmenti,en cequidépendaitd'eux,
UN PÉCHÉ ET qu'il EST CONTRAIRE A LA VÉRITÉ.
quand même on pourrait extraire de leurs ac- CE n'est PAS LE MENSONGE, MAIS LA BONNE
tions ou de leurs paroles quelque signification
VOLONTÉ, QUI A ÉTÉ RÉCOMPENSÉE DANS LES
prophétique, déposée là et comme semée en
SAGES-FEMMES EGYPTIENNES ET DANS RAHAB.
germe par la toute-puissance de Celui qui sait
tourner à bien les péchés des hommes. Mais il Ce n'est rien dire que d'avancer qu'il y a
31.
ne faut pas pour cela donner ces exemples à des mensonges justes, si on n'entend pas par là

imiter, bien que ces personnages soient à juste affirmer qu'il y a des péchés justes, c'est-à-dire
titre nommés saints et hommes de Dieu par des choses injustes qui sont justes ce qui est le :

les livres sacrés. Car l'Ecriture contient les comble de l'absurdité. Car pourquoi le péché
mauvaises actions des hommes aussi bien que est-il péché, sinon parce qu'il est contraire à la
les bonnes celles-là pour que nous les évi-
: justice ? Qu'on dise donc
y a des péchés qu'il
tions, celles-ci pour que nous les imitions; graves, des péchés légers, on sera dans le vrai:
quelques-unes de celles-là déjà condamnées, car il ne faut pas écouter les stoïciens qui
les autres, pour des raisons mystérieuses, veulent que tous les péchés soient égaux; mais
abandonnées à notre propre jugement parce ;
prétendre qu'il y a des péchés injustes et des
que notre intelligence ne doit pas seulement péchés justes, qu'est-ce autre chose que dédire
être nourrie de vérités évidentes, mais aussi qu'il y a des iniquités injustes et des iniquités
exercée par l'investigation des choses obs- justes; quand l'Apôtre saint Jean nous dit:
cures. « Quiconque commet le péché commet l'ini-
30. Mais pourquoi les hérétiques se permet- « quité, car le péché est l'iniquité * ? » le pé-
tent-ils d'imiter le mensonge de Thamar, et ché ne peut donc pas être juste, à moins que
non la fornication de Juda ^ ? Les deux faits se nous n'appliquions le mot de péché à la cir-
lisent cependant, et l'Ecriture ne les blâme ni constance où quelqu'un,sans pécher lui-même,
ne les loue elle
: se contente de les raconter et fait ou subit quelque chose pour le péché.

de les livrera notre jugement ; il serait toutefois En effet on a donné le nom de péchés aux
bien étonnant qu'elle laissât croire qu'on peut sacrifices expiatoires, offerts pour le péché, et
les imiter impunément. Nous savons que quelquefois même à la peine du péché. Ici évi-

Thamar ne mentit point par des vues de li- demment on peut parler de péchés justes, puis-
bertinage, mais dans le désir d'être mère. Or qu'il s'agit de sacrifices justes et de justes pu-
la fornication peut (à la différence de celle de nitions. Mais rien de ce qui se fait contre la loi

Juda) être le fait d'un homme qui veut dé- de Dieu ne peut être juste. Or on dit à Dieu :

livrer quelqu'un , comme


mensonge de le «Votre loi estPar conséquent ce qui
vérité' ».
Thamar était inspiré par le désir d'être mère: est contre la vérité, ne peut être juste. Mais qui
faudra-t-il donc commettre la fornication peut douterque toute espèce de mensongessoit
dans le premier cas, si le mensonge est déclaré contre la vérité ? Il ne peut donc y avoir de
permis dans le second ? Ainsi ce n'est pas mensonge juste. En outre qui ne voit claire-
seulement à propos du mensonge qu'il faut ment que c'est par la vérité que toute chose
bien peser la décisionque nous devons rendre, juste est juste? Saint Jean dit encore: «Aucun
mais au sujet de tous les actes humains où se «mensonge ne vient de la vérité^ ». Donc
rencontrent des fautes que l'on peut appeler aucun mensonge n'est juste. Par conséquent,
de compensation afin de ne pas ouvrir la
; dans tous les exemples qu'on nous objecte des
'
Ps. XXVI, 12. — ' Gen. xxxviii, 14-18. ' 1 Jean, m, 4. — ' Ps. cxvm, 142. — ' I Jean, ii, 21.
,.

CONTRE LE MENSONGE. 235

saintes Ecritures, ou il n'y a pas de mensonge humanité et de leur compassion, mais une ré-
réel, mais seulement des mensonges jugés tels compense temporelle, et qui cependant avait,
faute d'intelligence ou, s'il y en a, on ne doit ; à leur insu, une signification prophétique et
point les imiter parce qu'ils ne sauraient être relative à quelque chose d'éternel. Mais la
justes. question de savoir faut, le cas échéants'il ,

32. nous lisons que Dieu récompensa


Si mentir pour sauver la vie de quelqu'un, cette
les sages-femmes juives' et Rahab, la pros- question dont la solution embarrasse les hom-
tituée de Jéricho % il ne faut pas croire mes les plus savants, dépassait de beaucoup la
que ce soit à cause de leurs mensonges, portée d'esprit de ces pauvres femmes vivant
mais bien à cause de leur cœur compatissant. au milieu de tels peuples, et habituées à un tel
Ce n'est pas la supercherie, mais la bienveil- genre de vie. Dieu avait donc égard à leur
lance, qui a été récompensée en elles; c'est la ignorance sur ce point, comme sur tant d'autres
bontéducœur, etnonl'injustice du mensonge. qu'elles ignoraient également, et que doivent
En effet, comme il ne serait ni étonnant ni ab- connaître non les enfants du siècle présent
surde que Dieu leur eût pardonné les péchés mais ceux du siècle avenir. Et il leur accorda
antérieurs en considération de bonnes œuvres néanmoins, àcause de labienveillance qu'elles
qui auraient suivi ainsi ne doit-on pas être ; témoignèrent à sesserviteurs, des récompenses
surpris que dans le même moment, dans la terrestres, mais qui renfermaient une signifi-
même circonstance, voyant les deux choses à cation céleste. Rahab, sauvée du sac de Jéricho,
la fois, c'esl-à-dire l'acte de compassion et l'acte fut incorporée au peuple de Dieu, où elle put
de mensonge, il ait récompensé le bien et par- faire des progrès et parvenir aux biens éternels
donné le mal en considération du bien, car si et im.mortels, qui ne sauraient s'acquérir au
des péchés inspirés par la concupiscence de la prix de mensonge.
chair, etnon par l'esprit de compassion, sont
remis en vue d'œuvres de miséricorde qui se CHAPITRE XVL
feront plus tard pourquoi des péchés inspirés
;
l'homme de bien peut-il mentir quelquefois
par l'esprit de miséricorde ne seraient-ils pas pour sauver son prochain ?
pardonnes en considération d'œuvres de misé-
ricorde ? Un péché commis dans l'intention de Mais quand Rahab rendait aux explorateurs
nuire est plus grave qu'un péché commis Israélites un service si grand et si méritoire ,

dans le but de venir en aide. Or si celui-là est à condition qu'on lui laisserait la vie, elle n'é-
effacé par une œuvre de miséricorde qui vient tait point encore assez avancée pour qu'on

après, pourquoi celui-ci, qui est plus léger, ne exigeât d'elle ce que demande le Seigneur :

serait-il pas effacé par le sentiment de com- . « Que votre langage soit oui oui, non, non » : , >

passion qui l'a inspiré d'abord, et accompagné Quant aux sages-femmes, bien qu'elles fussent
ensuite ? On peut certainement le croire. juives, si elles n'ont eu que le sens charnel, à
Néanmoins autre chose est de dire : J'ai eu quoi leur aura servi une récompense tem-
tort de pécher, mais je ferai des œuvres de mi- porelle ; et de s'être élevé des maisons, si elles
séricorde pour effacer mes fautes passées, autre n'ont pas su faire des progrès pour appartenir
chose de dire : Je dois pécher, parce que je ne ;; maison dont on dit au Seigneur sur le
cette
saurais autrement exercer ma compassion. ton de la joie a Heureux ceux qui habitent
:

Autre chose, encore une fois, est de dire Puis- : « dans votre maison ils chanteront voslouan-;

que nous avons péché, faisons le bien autre ; « ges pendant les siècles des siècles-? » Il faut
chose de dire Péchons pour faire le bien. Là
: du reste convenir que c'est un grand pas vers
c'est dire Faisons le bien parce que nous avons
: la justice etun acte digne d'éloge, non en lui-
fait le mal ; ici c'est dire : « Faisons le mal même mais à cause de Fesiiérance qu'il
,

« pour qu'il en arrive du bien ^ ». Là on cher- donne et du caractère qu'il suppose, que de
che à épuiser la sentine du péché ici on a à se ; ne mentir que pour rendre service et non
tenir en garde contre la doctrine du mal. pour faire tort. Mais quand nous posons cette
33. Il nous reste donc à comprendre qu'une question Est-il de l'homme de bien de
:

récompense a été accordée à des femmes mentir quelquefois, nous ne parlons pas d'un
en Egypte et à Jéricho à raison de leur , homme appartenant à l'Egypte, à Jéricho, à
» Ex. I, 17-20. — - Jos. II, VI, 25. — '
Rom. m, 8. ' Matt. V, 37. — ' Ps. Lxxxiii, 5.
.

236 CONTRE LE MENSONGE.

la Babylonie, ou à cette Jérusalem terrestre qui tard le devenir en passant dans la cité de Dieu
est esclave avec ses enfants; mais des ci- par l'effet de la divine miséricorde. Mais, —
toyens de mère libre et
la cité d'en haut, notre répliques-tu, sur une pareille réponse on l'eût
éternelle qui est aux cieux K Et on nous ré- mise à mort, on eût fouillé sa maison. — Au-
pond « Aucun mensonge ne vient de la
: rait-on, pour cela, nécessairement trouvé ceux
« vérité ». Or les enfants de cette cité sont les qu'elle avait si soigneusement cachés? Car cette
fils de la vérité. C'est des enfants de cette cité femme très-prudente avait tout prévu, et elle
qu'il est écrit : « Et, dans leurs bouches, il ne les avait placés en un endroit où ils auraient
« s'est point trouvé de mensonge ^ ». C'est en- pu n'être pas découverts quand même on
, I
core d'un enfant de cette cité qu'il est écrit : n'aurait pas ajouté foi à son mensonge. Quant
« L'enfant qui reçoit la parole, s'éloignera de à elle, si ses concitoyens l'eussent tuée pour
a la perdition ; en la pour son
recevant, il agit son œuvre de miséricorde, elle eût terminé, par
« profit, et rien de faux ne sort de sa bouche ^ » une mort précieuse devant Dieu *, une vie qui
Et s'il arrive parfois à ces enfants de la Jé- devaitnécessairement finir, et le service qu'elle
rusalem d'en haut, de la sainte et éternelle cité, aurait rendu n'eût pas été perdu. Mais, pour- —
de mentir par surprise et par l'effet de la suis-tu , si ceux qui cherchaient fussent par-
faiblesse humaine, ils en demandent humble- venus, en fouillant tout, à l'endroit où elle
ment pardon, bien loin d'en tirer vanité. avait caché ses hôtes ? —
On pourrait dire avec
autant de raison Et si on n'avait pas voulu
:

CHAPITRE XVIL une femme déshonorée, dégradée, non-


croire à

LES SAGES-FEMMES JUIVES ET RAHAB AURAIENT- seulement disant un mensonge, mais proférant
ELLES MIEUX FAIT DE NE PAS MENTIR ? RÈGLE un parjure ? Ce qu'elle redoutait et écartait
A SUIVRE A l'occasion DES EXEMPLES TIRÉS par un mensonge serait également arrivé.
DE l'ECRITURE en FAVEUR DES MENSONGES. Que faisons-nous d'ailleurs de la volonté et
delà puissance de Dieu? ne pouvait-il pas pré-
Si. Mais, quoi 1 dira-t-on, ces sages-femmes server de tout mal et cette femme qui se fût
et Rahab eussent-elles mieux fait d'être sans gardée de mentir à ses concitoyens et de livrer
pitié et de ne pas mentir ? Oui. Bien plus, si des hommes de Dieu, et ces envoyés qui lui ap-
ces sages-femmes juives eussent été ce que le partenaient ? Car celui qui les protégea après
supposerait noire question : Est-il permis de le mensonge de la femme, aurait pu les proté-

mentir quelquefois ? elles n'eussent rien dit ger sans qu'elle eût menti. A moins que nous
de faux, et en même temps elles eussent rejeté n'oublions ce qui s'est passé à Sodome, où des
avec une généreuse liberté la dégoûtante com- hommes brûlés du désir d'exercer sur d'autres
mission de tuer des enfants. Mais, diras-tu, elles hommes un honteux attentat, ne purent pas
seraient mortes elles-mêmes ? Soit mais vois ; même trouver la porte de la maison où étaient
les conséquences. Elles seraient mortes, mais ceuxqu'ils cherchaient, alors qu'un juste, dans
elles auraient reçu, dans le séjour céleste, une un cas absolument semblable, ne voulait pas
récompense incomparablement plus grande prononcer un mensonge en faveur de ses hôtes
que les maisons qu'elles ont pu élever en ; qu'il ne savait pas être des anges et pour qui il
souffrant la mort pour la plus innocente vérité, redoutait un outrage pire que la mort. A coup
elles seraient mortes pour jouir de la félicité sûr il pouvait répondre comme la femme de
éternelle. Mais la femme de Jéricho ? Le Jéricho, à ceux qui le questionnaient. Mais cet
pouvait-elle aussi ? Si elle n'eût trompé ses homme juste ne voulut point souiller son âme
concitoyens par un mensonge et détourné par un mensonge pour épargner les corps de
;

leurs recherches, neût-elle pas, en disant la ses hôtes, il aima mieux que les corps de ses
vérité, trahi ses hôtes qu'elle cachait? Pouvait- filles fussent victimes d'une passionétrangère -.

ellerépondre à ceux qui la questionnaient Je : Ainsi donc que l'homme fasse tout ce
saisoù ils sont, mais je crains Dieu, et je ne qu'il peut pour le bien temporel de son pro-
veux pas les trahir ? Oui sans doute, si elle — chain mais quand il en est à ce point pré-
;

eût déjà été une véritable Israélite en qui il n'y cis où il ne le peut sans pécher, s'il ne voit
eût pas eu d'artifice* ; comme elle devait plus aucun autre moyen légitime pour atteindre
son but, qu'il se considère comme à bout de
' Gai. IV, 25, 26. — ' Apoc. xiv, 5. — • Prov. sxix, 7. —
* Jean, i, 47. '
Ps, cxv, 15. — • Gen. xix, 5-11.
,

CONTRE LE MENSONGE. 237

ressources. Par conséquent Rahab de Jéricho, lade, et qui n'a déjà plus la force d'appren-
pour avoir donné l'hospitalité à des étrangers, dre la mort d'un fils unique ettrès-aimé. Il te

à des hommes de Dieu, pour avoir couru des demande si cet enfant vit encore et tu sais
dangers à cette occasion, pour avoir cru à leur qu'il n'est plus. Que lui répondras-tu quand,
Dieu, pour les avoir cachés du mieux qu'elle des trois réponses que tu peux faire : Il est
a pu, pour leur avoir fidèlement indiqué le mort, ou il vit, ou je n'en sais rien, il n'y en
chemin qu'ils devaient prendre pour s'en a qu'une qu'il n'interprétera pas en ce sens
retourner pour toutes ces raisons, dis-je
; ,
que son fils est mort, que tu le sais, que tu
Rahab mérite d'être louée et offerte en exem- crains de le dire et que tu ne veux pas mentir?
ple même aux citoyens de la Jérusalem d'en Et quand tu garderais le silence, le résultat
haut. Mais son mensonge, bien que renfer- serait le même. Or de ces trois réponses, deux
mant un sens prophétique, ne saurait être sont fausses, à savoir : Il vit, et : Tu n'en sais
proposé à l'imitation, quoique Dieu ait, d'une rien. Or tu ne peux les faire sans mentir. Mais
part, dignement honoré le bien qu'elle a fait si tu fais la troisième, la seule vraie : Il est
et, de l'autre, pardonné avec bonté la faute mort, malade au point de
et qu'elle trouble le

qu'elle a commise. lui donner le coup mortel, on t'accusera haute-


35. Cela étant, comme il serait trop long de ment de l'avoir tué. Et qui pourrait supporter
discuter tous les exemples de mensonge que d'entendre les hommes démontrer, à travers
Dictinius, dans sa Livre ,
présente comme mille exagérations, combien on est coupable
modèles, il me semble que ces exemples ,
de se refuser à un mensonge qui peut donner
comme tous ceux que l'on pourrait citer de la vie, pour s'attacher à la vérité qui peut

ce genre, peuvent se ramener à cette règle : donner la mort? —


Ces objections m'ébranlent
démontrer, ou que ce que l'on regarde comme vivement, mais je m'étonnerais que cette émo-
un mensonge, n'en est pas un ou que taire la
;
tion fût raisonable, sage. En effet, quand je
vérité n'est pasmentir ou qu'il y a là un sens
; mets, d'une façon quelconque, sous les yeux
métaphorique, ce qui est le propre des paroles de mon âme, cette beauté intellectuelle, dont
et des actions figurées qui abondent dans les la bouche ne profère jamais rien de faux, bien
livres prophétiques ; ou que s'il y a évidem- que l'éclat toujours croissant des rayons de la
ment mensonge, on nele propose point à notre vérité éblouisse ma faiblesse et me force à
imitation, et que si parfois ce péché nous baisser la paupière cependant je suis telle-
;

échappe comme tout autre, par surprise, nous ment enflammé d'ardeur pour cette splendeur
ne devons pas le justifier, mais en demander magnifique, que je rejette avec mépris tous les
pardon, "Voilà ma manière de voir, et c'est la motifs humains qui pourraient m'en éloigner.
conclusion nécessaire delà discussion qui pré- Mais c'est beaucoup que cette affection soit
cède. assez durable pour résister à la tentation.
Or, quand contemple cette bonté lumi-
je
CHAPITRE XVIII.
neuse, où le mensonge ne jette pas les moin-
FAUT -IL MENTIR POUR CACHER A UM 3IALADE CE dres ténèbres, peu m'importe qu'on appelle la
QUI LUI CAUSERAIT LA MORT? SI ON PERMETTAIT vérité homicide, parce que j e ne veux pas mentir

LE MENSONGE EN CE CAS, IL SERAIT DIFFICILE et que ma réponse vraie occasionnera la mort

DE LUI ASSIGNER DES LIMITES ET DE l'eMPÊCHER d'un homme. Quoi, si unefemnie impudique
d'aller jusqu'au PARJURE ET AU BLASPHÈME. te sollicite au déshonneur, quetu refuses et que

TRAIT VIF A l'adresse DES DOCTEURS DE MEN- le trouble de sa folle passion cause sa mort

SONGE. quoi dira-t-on aussi que la chasteté est homi-


1

cide ? Et quand nous lisons « Nous sommes :

36.Cependant,commenoussommeshommes, « une bonne odeur du Christ en tout lieu, à

que nous vivons parmi les hommes, et que je « l'égard de ceux qui se sauvent, et à l'égard
ne suis pas encore, j'en fais Taveu, du nom- « de ceux qui périssent aux uns odeur de vie
;

bre de ceux qui n'ont pas de scrupules à l'en- « pour la vie, mais aux autres odeur de mort
droitdu péché de compensation souvent je
: « pour la mort»; quand nous lisons cela, appel-
suis dominé par la sensibilité propre à notre lerons-nous aussi homicide l'odeur du Christ?
nature, et j'ai peine à me tenir ferme quand Mais parce que nous sommes hommes, et que
on me dit Voilà un homme gravement ma-
: dans les questions et les épreuves de ce genre,
238 CONTRE LE MENSONGE.

nous sommes le plus souvent troublés et do- en enseignant qu'il faut mentir; comment ce
minés par le sens humain, l'apôtre s'écrie aus- mensonge quand l'a-
viendra-t-il de la vérité,
sitôt: «Orquiestcapable d'un tel ministère'?» pôtre saint Jean nous crie «Aucun mensonge :

37. Ajoutons, chose plus déplorable encore, « ne vient de la vérité ^?»I1 n'est donc pas vrai

que si une fois nous accordons qu'il soit per- qu'il faille mentir quelquefois, et ce qui n'est
mis de sauver ce malade par un mensonge à pas vrai ne doit être conseillé à personne.
l'occasion de son fils, le mal va croître peu à
CHAPITRE XIX.
peu, insensiblement et par de faibles degrés
montagne de mensonges SI ON NE PEUT COMMETTRE UN CRIME CONTRE LA
s'élever à une telle
moyen PUDEUR POUR VENIR EN AIDE A QUELQU'UN, ON
criminels, qu'il n'y aura plus d'opposer
un obstacle à un désastre, devenu immense NE PEUT PAS PLUS PROFÉRER UN MENSONGE. EN
I
QUOI DIFFÉRENT LE PARJURE ET LE RLASPHÉME ?
par une suite d'additions successives. Aussi
est-ce avec une grande sagesse qu'il est écrit : 38. Mais l'infirmité humaine joue ici son
« Celui qui dédaigne les petites choses, tom- rôle, et, aux applaudissements de la multitude,
« bera peu à peu ^ ». Mais quoi ces hommes ! elle proclame qu'elle a une raison irréfutable.

si attachés à la vie présente jusques là qu'ils Elle fait donc opposition et dit Comment vien- :

n'hésitent pas à la préférer à la vérité, ne veu- drions-nous en aide aux hommes qui sont en
lent-ils déjà pas nous obliger, non-seulement à danger et à qui un mensonge épargnera évi-
mentir, pour empêcher un homme de mourir demment leur perte ou celle d'un autre, si
c'est-à-dire pour retarder une mort inévitable, nous ne cédons au penchant de l'humanité qui
mais encore à nous parjurer, à prendre en nous porte à mentir ? Si la multitude des —
vain le nom du Seigneur notre Dieu, pour pro- mortels, si la multitude des faibles, veut bien
longer un instant une vaine existence ? Et il y m'écouter patiemment, je répondrai quelque
a parmi eux des savants qui don nent des règles, chose dans l'intérêt de la vérité. Il est certain
fixent des bornes et déterminent les cas où l'on que la chasteté n'est pieuse, n'est vraie, n'est
doitou ne doit pas se parjurer. fontaines de sainte que par la vérité, et quiconque agit
larmes, où ètes-vous ? Que ferons-nous ? Où contre elle a^it contre la vérité. Pourquoi
irons-nous? où nous déroberons nous au cour- donc, quand il n'y a pas d'autre moyen de tirer
roux de la vérité, si non-seulement nous tenons quelqu'un de danger, ne commeltrai-je point
peu de compte du mensonge, mais si nous la fornication qui n'est contraire à la chasteté,
osons enseigner le parjure ? Que les partisans que parce qu'elle l'est à la vérité,etproférerai-je
et les docteurs de mensonge avisent à voir le mensonge qui est diamétralement opposé à
quelle espèce ou quelles espèces de mensonge celle même vérité ? En quoi la chasteté a-t-
il leur plaît d'autoriser; mais qu'au moins ils elle tant mérité, et la vérité tant démérité ,

accordent qu'il n'est pas permis de mentir en ce quand toute chasteté vient de la vérité, quand
qui touche au culte de Dieu; qu'ils s'interdisent la vérité est la chasteté, non du corps mais de
au moins les parjures et les blasphèmes: quand l'àme, et que la chasteté du corps elle-même
le nom de Dieu est invoqué, quand on le prend réside dans l'àme ? Enfin comme je l'ai déjàdit
àtémoin, quand on jure par lui, qu'au moins tout à l'heure et le répète encore, que dit donc
personne ne mente, personne n'applaudisse, mon contradicteur, que dit tout partisan, tout
personne n'enseigne et ne commande le men- apologiste du mensonge, s'il ne dit pas la vé-
songe, personne ne dise qu'il est juste. Quant rité ? Or s'il faut l'écouter parce qu'il dit la
aux autres genres de mensonge, que chacun vérité, comment dit-il la vérité pour faire de
choisisse celui qui lui paraît le plus humain, le moi un menteur ? Comment le mensonge in-
plus innocent, ainsi que les personnes à qui il voque-t-il l'appui de la vérité ? serait-ce qu'elle
devra l'adresser ce que je sais c'est que celui
: fait triompher son ennemi, afin de s'anéan-
même qui enseigne qu'il faut mentir, veut pas- tir ellemênie ? Qui pourrait supporter une
ser pour enseigner la vérité. En etfet si ce qu'il telle absurdité ? Gardons-nous donc bien de
enseigne est faux, qui voudra s'attacher à une dire que ceux qui prétendent qu'on doit quel-
doctrine, où le maître trompe, où le disciple quefois mentir, sont dans le vrai en le disant:
est trompé ? Mais si pour trouver quelques pour ne pas tomber dans les excès de déraison
disciples, il affirme qu'il enseigne la vérité ,
et la folie de croire que la vérité nous apprend
» U Cor. 11, 15, 16. — ''
Eccli, xix, 1. ' I Jean, ii, 21.
CONTRE LE MENSONGE. 239

à mentir. Quoi la chasteté nous apprend à ne


! le pouvons autrement: par exemple un homme
jamais commettre l'adultère, la piété à ne à baptiser est au pouvoir des impies et des in-
jamais olïenser Dieu, la charité à ne faire de fidèles, et on ne peut parvenir jusqu'à lui pour

tort à personne, et la vérité nous apprendrait le purifierpar le bain de la régénération qu'en


à mentir ? Or si la \érité ne nous enseigne pas trompant les gardes par un mensonge. Pour
cela, cela n'est pas vrai : si cela n'est pas vrai, échapper à ce cri de l'envie, qui veut nous
il ne faut pas l'apprendre s'il ne faut pas : forcer à mentir, non plus pour sauver les ri-
l'apprendre, il ne faut donc jamais mentir. chesses ou les honneurs éphémères de cette
39. « Mais », dira-t-on, « c'est pour les par- vie, mais pour le salut éternel du prochain,
« faits qu'est la nourriture ». On permet en '
à qui recourrai-je sinon à toi, ô Vérité ? C'est
effet aux infirmes bien des choses qui ne sont en ton nom qu'on me propose d'être chaste.
pas du goût de la pure vérité. Permis de — Quoi ! si l'on pouvait obtenir de ces gardes, au
dire cela, à celui qui ne redoute point les con- prix d'une fornication, la permission d'aller
séquences de la moindre concession faite au baptiser cet homme, nous ne voudrions point
mensonge. Cependant on ne peut en aucun commettre cette faute contre la chasteté et si ;

cas permettre que le mensonge aille jusqu'au nous pouvions les tromper par un mensonge,
parjure et au blasphème il n'y a pas de pré- ; nous pécherions contre la vérité ? Mais il est
texte possible pour s'autoriser à commettre le incontestable que personne n'aimerait la chas-
parjure, ou, ce qui est plus affreux encore, à teté et ne lui resterait fidèle, si elle n'était
blasphémer Dieu. Car, pour blasphémer en commandée par la Vérité. Qu'on trompe donc
mentant, on n'en blasphème pas moins. Au- les gardes pour par\enir à cet homme, si la
trement on pourrait dire que le parjure Vérité l'exige. Mais comment la Vérité exigera-
n'existe pas, puisqu'il n'y a pas de parjure t-elle qu'on mente pour baptiser un homme,
sans mensonge. En effet, comment se parjurer si la chasteté n'exige pas qu'on commette l'a-
en disant la vérité? De même personne ne dultère pour obtenir le même résultat? Et
peut blasphémer par la vérité. Sans doute le pourquoi la chasteté ne l'exige-t-elle pas,
faux serment est moins répréhensible quand sinon parce que la vérité ne l'enseigne pas ?
on ignore que ce que l'on jure est faux et Si donc nous ne devons faire que ce que la
qu'on le croit vrai comme Saul était plus ex-
; Vérité enseigne, et si la Vérité nous enseigne
cusable de blaspliémer, parce qu'il le faisait que nous ne devons pas violer la chasteté,
par ignorance ^ Si le blasphème est pire que même dans le but de baptiser un homme ;

le parjure, c'est que par


parjure on prend le comment cette même Vérité nous apprendra-
Dieu à témoin d'une chose fausse et par , t-elle que nous devons, dans le cas susdit,
le blasphème on dit une chose fausse de faire ce qui lui est directement contraire?
Dieu lui-même. Or le parjure et le blasphème Mais comme lesyeuxtrop faibles pour con-
sont d'autant moins excusables qu'on sait templer le soleil, regardent avec plaisir les
mieux, qu'on est mieux convaincu que ce que objets que le soleil éclaire; ainsi les âmes qui
l'on affirme par le parjure ou par le blas- peuvent déjà goûter la beauté de la chasteté,
phème est faux. Donc celui qui prétend qu'on ne sont cependant pas capables pour autant
doit mentir pour le salut ou la vie temporelle de contempler en elle-même la vérité dont la
d'un homme, est à une grande distance du chasteté emprunte son éclat, jusqu'au point
chemin du salut et de la vie éternelle, s'il va de rejeter avec horreur dans l'occasion tout
jusqu'à dire qu'on peut, dans ce cas, jurer par ce qui pourrait la blesser, comme ils repous-
Dieu ou blasphémer Dieu. sent avec indignation tout ce qu'on lui pro-
pose de contraire à la chasteté. Mais l'enfant
CHAPITRE XX. que sa fidélité à garder la parole éloigne de la

EST-IL AU MOINS PERMIS DE MENTIR POUR perdition et dont la bouche ne profère rien de
LE SALUT ÉTERNEL d'uN HOMME ? faux S ne se croit pas plus permis de venir en
aide à son prochain par le mensonge, que
40. On nous oppose aussi quelquefois le par un crime contre la chasteté. Or le Père
danger du salut éternel qu'il faut, nous crie- exauce sa prière et fait qu'il puisse aider sans
t-on, écarter par notre mensonge, si nous ne mensonge celui à qui lui-même, dans ses
« Hébr. V, 14. — U Tim. i, 13. ' Prov. XXIX, 27.
.

240 CONTRE LE MENSONGE.

impénétrables jugements, veut que le secours crimes plus grands ou au moins aussi grands
soit porté. Cet enfant se garde du mensonge que les attentats contre la pudeur. Qu'on se
comme d'un péché car quelquefois on em- ; souvienne que très-souvent les hommes exi-
ploie lemot de mensonge pour désigner le gent le serment de leurs femmes quand ils les
péché, comme dans ce passage du psaume : soupçonnent d'adultère ce qu'ils ne feraient
:

« homme est menteur » ce qui revient


Tout *
; pas s'ils n'étaient convaincus qu'une femme
à dire tout homme est pécheur. Et encore
: qui ne craint pas de commettre l'adultère,
dans ce texte de l'Apôtre « Mais si, par mon : peut reculer devant le parjure. En effet, cer-
« mensonge, la vérité de Dieu a éclaté davan- taines femmes impudiques qui n'avaient pas
« tage ^ ». Ainsi en mentant comme homme, craint de tromper leurs maris par un com-
on pèche comme homme, et c'est le sens de merce adultère, ont eu peur de prendre Dieu
ces mots « Tout homme est menteur », et de
: à témoin de leur innocence devant ces mêmes
ceux-ci « Si nous disons que nous n'avons
: maris qu'elles avaient trompés. Pourquoi
« pas de péché, nous nous trompons nous- donc un homme chaste et religieux refuserait-
« mêmes et la vérité n'est pas en nous ^ » il de procurer le baptême à quelqu'un au prix

Mais quand rien de faux ne sort de la bouche, d'un adultère, et y consentirait-il moyennant
on en est à ce degré de grâce dont il est dit : un parjure, quand le parjure effraie ordinai-
« Quiconque est né de Dieu, ne pèche pas * ». rement même les adultères? Or si, dans ce
S'il n'y avait en nous que cette sorte de nais- cas, on ne peut recourir au parjure, bien
sance, personne ne pécherait et quand elle ; moins encore peut-on se permettre le blas-
existera personne ne péchera plus.
seule , phème. Donc à Dieu ne plaise qu'un chrétien
Maintenant, hélas! nous traînons encore la renie et blasphème le Christ, pour pouvoir
corruption dans laquelle nous sommes nés ; faire un chrétien; qu'il périsse, pour chercher
quoique, en tant que régénérés, nous soyons et trouver celui qu'il perdrait après l'avoir
renouvelés intérieurement de jour en jour ^, trouvé, s'il lui enseignait une telle doctrine !

si nous marchons droit. Mais quand ce corps Par conséquent tu dois réfuter, réduire au
corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, la néant l'ouvrage intitulé La Livre ; couper la
vie l'absorbera tout entier et l'aiguillon de la tête à l'erreur qui prétend qu'on peut mentir
mort n'existera plus. Or, l'aiguillon de la pour cacher sa religion démontrer que les
;

mort, c'est le péché ^ témoignages que ces hérétiques empruntent


aux saints Livres pour tâcher d'étayer leurs
CHAPITRE XXI. mensonges, ou ne sont pas des mensonges, ou
CONCLUSION. ne doivent point être imités s'ils en sont et si ;

la faiblesse humaine est telle qu'il faille lui


41. Il faut donc ou éviter le mensonge par faire quelques légères concessions aux dépens
une bonne conduite, ou le confesser en esprit de la vérité, soutiens néanmoins et établis,
de pénitence et non le rendre fréquent par
; comme un qu'on ne doit
point incontestable :

une vie irrégulière et le multiplier encore en jamais mentir en matière de religion que ;

l'enseignant publiquement. Que celui qui comme on ne peut chercher à découvrir les
croit permis de mentir pour le salut spirituel adultères par l'adultère, les homicides par
ou temporel d'un homme, choisisse quel genre l'homicide, les auteurs de maléfices parle ma-
de mensonge il lui plaira; obtenons du moins léfice, ainsi il n'est pas permis de rechercher
des partisans de cette opinion l'aveu qu'aucun les menteurs à l'aide du mensonge, ni les
motif ne doit jamais nous autoriser à nous blasphémateurs au moyen du blasphème.
parjurer ou à blasphémer. Estimons ces Voilà la conclusion de cette longue disserta-
tion, que nous n'avons pas amenée sans peine
Ps. cxv, 11. — ' Rom. m, 7. — ' I Jean, l, 8. — ' Id. m, 9. —
' Il Cor. IV, 16. — • I Cor. xv, 53-56. jusqu'ici, au terme que nous lui avions fixé.

Traduction de M. l'abbé DEVOILLE.


DU TRAVAIL DES MOINES.

Les moines d'Afrique s'étaient divisés sur la question du travail prescrit par ces paroles de l'Apôtre : « Celui qui ne veut pas
« travailler ne doit pas manger ». La plupart y voyaient ce qu'y a vu l'illustre patiiarche des moiues d'Occident, saint Benoit :
l'obligation du travail des mains. Quelques-uns voulaient, au contraire, entendre ce texte d'un travail purement spirituel, sans
se croire même tenus aux labeurs de la prédication ; les seuls exercices de la vie monastique suffisant, disaient-ils, à titre de
labeurs spirituels ; ainsi, d'ailleurs, prétendaient-ils « Considérez les oiseaux
observer plus littéralement
le texte de l'Evangile :

« du ne sèment point, etc.; les lys des campagnes, ils ne filent point ».
ciel, ils

Consulté par Aurèle, évèque de Carthage, saint Augustin démontre le sens des paroles de l'Apôtre, d'après le contexte d'abord ;
puis, d'après de nombreux passages de ses autres Epitres, appuyés d'ailleurs de son exemple. Saint Paul a commandé et pra-
tiqué le travail des mains, bien que ce commandement soufire exception en faveur des prédicateurs de TEvaugile. La compa-
raison des oiseaux et des lys ne défend que l'inquiétude au sujet du vivre et du vêtir, mais n'autorise pas la paresse. Il cen-
sure énergiquement certains moines fainéants et vagabonds, qui exploitaient la piété publique. Il rappelle à d'autres religieux,
bien moins blâmables d'ailleurs, l'obligatioa de porter les cbeveux rasés, et base celte obligation sur le précepte de saint Paul.

CHAPITRE PREMIER. a ne veut pas travailler, ne doit pas manger ».


L'Apôtre ne peut contredire l'Evangile où
ARGUMENTS DES MOINES OPPOSANTS. TEXTES — Seigneur lui-même se prononce en ces termes
le

DE l'Évangile et de saint paul sur le tr.\-


« C'est pourquoi je vous dis Ne vous in- :

VAIL.
« quiétez point où vous trouverez de quoi

1. II m'a fallu, saint frère Aurele, obtem- « manger pour le soutien de votre vie, ni d'où

pérer d'autant plus religieusement à votre a vous aurez des vêtements, pour couvrir votre

ordre, que j'ai vu plus clairement de qui il me « corps ; la vie n'est-elle pas plus que la nour-
venait par votre pieux organe. Hôte divin de « riture, et le corps plus que le vêtement ?
votre cœur, inspirateur en ceci de votre cha- Considérez les oiseaux du ciel ils ne sèment :

rité de père et de frère, Xotre-Seigntur Jésus- « point, ne moissonnent point, et ils n'a-
ils

Christ me commande par vous de traiter cette « massent point dans des greniers mais votre ;

question : Faut-il laisser à certains moines, « Père céleste les nourrit : n'êtes-vous pas
nos fils et nos ne
frères, la triste liberté de a beaucoup plus qu'eux? Quel est d'ailleurs
point obéir à ces paroles de l'apôtre saint Paul : « celui d'entre vous qui puisse avec tous ses
« Celui qui ne veut pas travailler, ne doit pas « soins ajouter à sa taille la hauteur d'une

a manger ? » ' —
Puisque le Seigneur, em- «coudée? Pourquoi aussi vous inquiétez-
pruntant vos désirs et votre voix pour son « vous pour le vêtement ? Considérez com-

œuvre, veut que je vous adresse à ce sujet une « ment croissent les lys des champs : ils ne
réponse écrite, puisse-t-il aussi m'aider à « travaillent point, ils ne filent point ; et ce-
obéir, et me faire comprendre au fruit que , a pendant je vous déclare que Salomon même
mon œuvre produira, que, par sa grâce, j'o- a dans toute sa gloire n'a jamais été vêtu
béis à lui-même !
« comme l'un d'eux. Si donc Dieu a soin de
Le premier point à examiner, c'est Lar-
2. « vêtir de cette sorte une herbe des champs
gumentation des individus de cette profession «qui est aujourd'hui debout et qui sera dé-
qui refusent de travailler le second, c'est ce ; fimain jetée dans le four, combien plus 3k«ra-
qu'il faut dire pour les corriger, si nous trou- « t-il soin de vous, hommes de peu de foi ?
vons qu'en ceci leurs sentiments soient con- « Ne vous inquiétez donc point en disant :

traires à la loi. « Que mangerons-nous, ou que boirons-nous,


D'après eux, ce n'est pas le travail corporel «ou de quoi nous vêtirons-nous? Comme
où se fatiguent le laboureur et l'ouvrier, que « font les païens qui cherchent toutes ces
l'Apôtre a prescrit quand il disait : « Celui qui 8 choses ; car votre Père sait que vous en avez
• U Thess. m. 10. « besoin. Cherchez donc premièrement le

S. AuG. — Tome XII. 16


.

242 DU TRAVAIL DES MOINES.

« royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces de l'Apôtre : « Qui ne veut pas travailler, ne
« choses vous seront données par surcroît, «doit pas manger».
a C'est pourquoi ne soyez pas inquiets pour le Ainsi ces hommes prétendent obéir à la fois
« lendemain car le lendemain aura soin de
; à l'Evangile et à saint Paul, s'imaginant que
« lui-même, à chaque jour suffit son mal * ». l'Evangile a commandé de ne pas s'inquiéter
Voilà bien, s'écrient-ils, un texte où le Sei- des besoins corporels et temporels de cette vie,
gneur nous ordonne d'être sans inquiétude du tandisque saint Paul n'a voulu parler que de
vivre et du couvert comment donc l'Apôtre ;
nourriture et de travail spirituels dans ce
serait-il d'un avis contraire à son maître, en texte « Qui ne veut pas travailler ne doit pas
:

nous commandant même de nous inquiéter «manger».


au sujet du manger, du boire et du vêtir, jus- CHAPITRE II.

qu'au point de nous imposer des métiers, des


ennuis, des travaux d'ouvriers ? Aussi bien
RÉFUTATION. — IL FAUT EXPLIQUER LES PAROLES
DU SEIGNEUR LES UNES PAR LES AUTRES; DE
sa maxime « Qui ne veut pas travailler, ne
:

MÊME, LES TEXTES DE L'APÔTRE.


c< manger » ne peut, selon nous, s'en-
doit pas ,

tendre que de ces travaux spirituels, dont lui- ne s'aperçoivent pas qu'ils s'exposent
3. Ils

même dit ailleurs : « Chacun opère selon le à une rétorsion en effet, on pourrait leur dire,
;

« don de Dieu j'ai planté Apollon a arrosé


; ; ;
avec tout autant de raison, que dans le texte
« mais Dieu a donné l'accroissement » et ; évangélique, le Seigneur usant de paraboles et
quelques lignes après « Chacun d'après son : de comparaisons n'entend parler que de l'ali-
« travail recevra son salaire. Car nous sommes ment et du vêtement spirituels, au sujet des-
« les collaborateurs de Dieu : vous êtes le quels il défend l'inquiétude à ses serviteurs,
« champ que Dieu vous êtes l'édifice
cultive ; comme fait dans cet autre texte
il « Quand :

« que Dieu bâtit. Pour moi, selon la grâce que « on vous traînera devant les tribunaux, ne
« Dieu m'a donnée, j'ai jeté le fondement « pensez pas à ce que vous devrez dire car ce ;

a comme un sage architecte - » « que vous devrez dire vous sera donné à
Ainsi l'Apôtre travaille en plantant, en ar- « l'heure même, puisque ce n'est pas vous qui
rosant, en bâtissant, en jetant les fondements. « parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle
En ce sens, qui ne veut pas travailler, ne doit « en vous ». La parole de sagesse, en effet,
^

pas manger. Que sert, en effet, à un homme est toute spirituelle, et c'est celle-là qu'il ne
de se nourrir spirituellement de la parole de veut pas que les fidèles préméditent et dont il
Dieu, s'il ne procure aussi par là l'édification promet de les munir, sans qu'ils aient besoin
des autres ? Que servit-il, par exemple, au ser- de s'en inquiéter. En revanche, continuerait-
viteur paresseux de recevoir un talent et de on, l'Apôtre discute plus clairement, selon la
l'enfouir, sans travailler au profit de son coutume apostolique ; il parle simplement plu-
maître ? N'y gagna-t-il pas de se faire enlever tôt qu'en termes figurés, comme le prouve
à la fin ce talent et de se faire jeter lui- la manière habituelle et presque exclusive des
même dans les ténèbres extérieures ^ ? épîtres apostoliques ; et par suite c'est, à la
— Aussi, continuent les adversaires, voici lettre, du travail manuel et de la nourriture

comment nous agissons, nous nous faisons : corporelle qu'il a dit « Celui qui ne veut pas :

de saintes lectures avec ceux qui nous arrivent « travaillerne doit pas manger ». Cette ré- —
fatigués des orages du siècle et qui viennent torsion rendrait douteuse à leurs propres yeux
chercher auprès de nous le repos dans la pa- l'opinion de nos adversaires, à moins que n'en-
role de Dieu, dans la prière, les psaumes, les visageant tout le contexte de l'Evangile, ils n'y
hymnes et les cantiques spirituels. Nous leur découvrissent quelque parole du Seigneur qui
donnons allocutions, consolations, exhorta- leur servît à prouver que, vraiment, c'est de
tions, sujets d'édification appropriés aux be- la nourriture et du vêtement corporels qu'il
soins que nous constatons dans le genre dévie nous interdit le souci, quand il dit «Ne soyez :

auquel ils sont appelés. En ne travaillant pas « donc pas inquiets de ce que vous mangerez,

à ces sortes d'oeuvres, nous ne pourrions sans « de ce que vous boirez, de ce qu'il faudra
péril recevoir du Seigneur les aliments même « pour vous vêtir ». Si par exemple ils réflé-

spirituels. C'est, en effet, le sens de ces mots chissaient aux paroles qui suivent : « Les païens
'
Matt. VI, 25-34. — " I Cor. m, 5-10. — '
Matt. XXV, 24-30. • Matt. X, 10, 20.
.

DU TRAVAIL DES MOINES. 243

« s'occupent de ces choses », ils auraient la « avons travaillé jour et nuit avec peine et
preuve que du Sauveur portaient sur
les avis « fatigue, pour n'être à charge à aucun de
les besoins du corps et du temps. De même si « vous. Ce n'est pas que nous n'en eussions le
saint Paul s'était contenté de dire « Qui ne : « pouvoir ; mais c'est que nous avons voulu
« veut pas travailler, ne doit pas manger », on « nous donner nous-mêmes pour modèle, afin
pourrait détourner ce texte de son vrai sens. « que vous nous imitiez. Aussi, lorsque nous
Mais comme il explique très-clairement, en « étions avec vous, nous vous déclarions que
maints autres endroits de ses épîtres, dans « celui qui ne veut point travailler, ne doit
quel sens il entend cette maxime, les adver- « point manger. Car nous apprenons qu'il y
saires font des efforts superflus pour soulever « en a parmi vous qui se conduisent d'une
des nuages à leurs propres yeux et aux yeux « manière déréglée, qui ne travaillent point,
des autres non-seulement jusqu'à refuser de
;
« qui agissent en curieux. Or, nous ordonnons
pratiquer le précepte énoncé par la charité « à ces personnes, et nous les conjurons par
apostolique, mais jusqu'à ne pas vouloir, sur « Notre-Seigneur Jésus-Christ, de manger leur

ce point, que la lumière se fasse pour eux ni «pain en travaillant en silence ». *

pour personne) ne redoutant point ce qui est Que répondre à ces paroles, surtout que
écrit « Il n'a pas voulu s'instruire pour faire
: pour ne laisser à personne le droit de les in-
« le bien * » terpréter arbitrairement, et non comme une
CHAPITRE m. loide charité, l'Apôtre a montré par son
exemple le sens de son précepte ? En effet ,
SAINT PAUL FAIT UN PRÉCEPTE DU TRAVAIL
comme de l'Evangile
l'Apôtre prédicateur ,
CORPOREL.
comme ministre de Jésus-Christ, planteur de
4. Ainsi, nous avons à démontrer tout d'a- sa vigne, pasteur de son troupeau, il tenait du
bord que saint Paul a prescrit aux serviteurs Seigneur même le droit de vivre de l'Evan-
de Dieu les travaux corporels, que devrait gile et cependant, pour s'offrir comme mo-
;

d'ailleurs couronner un jour une grande ré- dèle à ceux qui voulaient exiger un salaire
compense spirituelle ; et que, d'après son inten- non dû, il n'a pas exigé le salaire qui lui était
tion, loin d'avoir besoin de personne pour dû. Ecoutez ce qu'il dit aux Corinthiens «Qui :

vivre et pour se vêtir, doivent se procurer ils « fait jamais la guerre à ses dépens ? Qui plante

le nécessaire par leurs propres mains. Nous « une vigne, sans en manger le fruit? Qui mène
avons à faire voir ensuite que les préceptes de a paître un troupeau
sans en recueillir le ,

l'Evangile à l'ombre desquels plusieurs vou- « lait^ ?» — Ainsi,


ne voulut pas recevoir il

draient couvrir, non-seulement leur paresse, ce qu'on lui devait, afin de réprimer, par son
mais leur orgueil, ne sont pas contraires au exemple, ceux qui, sans avoir un rang pareil
commandement ni à l'exemple de rAj)ôtre. dans l'Eglise, prétendraient avoir droit à pa-
Examinons donc, d'abord, par quelle suite reille créance. N'est-ce pas bien ce qu'il dit ?
d'idées l'Apôtre est arrivé à cette maxime : « Et nous n'avons mangé gratuitement le pain
« Qui ne veut pas travailler ne doit pas man- « de personne ; mais nous avons travaillé jour
« ger »; voyons ensuite comment il continue « et nuit avec peine et fatigue, pour n'être à
à raisonner, après l'avoir écrite, afin que cette « charge à aucun de vous. Ce n'est pas que
lecture des antécédents et des conséquents, « nous n'en eussions pas le pouvoir mais c'est ;

nous accuse bien clairement sa pensée. « que nous avons voulu nous donner nous-
« Nous vous ordonnons, mes frères, au nom « même pour modèle afin que vous nous ,

« de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de vous re- « imitiez ».


« tirer d'avec tous ceux d'entre vos frères qui Qu'ils entendent donc ces paroles, ceux que
«se conduisent d'une manière déréglée, et le précepte de l'Apôtre regarde ; c'est-à-dire,
« non selon la tradition qu'ils, ont reçue de ceux qui n'ont certes point la puissance qu'il
« nous. Car vous savez vous-mêmes ce qu'il avait, mais qui voudraient, se bornant aux
« faut faire pour nous imiter, puisqu'il n'y a œuvres spirituelles, manger leur pain sans l'a-
« rien eu de déréglé dans lamanière dont nous cheter par le travail corporel Et puisque î

« avons vécu parmi vous. Nous n'avons mangé saint Paul prononce « Nous leur ordonnons :

« gratuitement le pain de personne; maisnous « et nous les conjurons, en Jésus-Christ, de


' Psal. XXXV, 4. ' Il Thess. m, 6-12. — = I Cor. ix, 7.
2i4 DU TRAVAIL DES MOINES.

a manger leur pain en travaillant, et en si- dans ce texte « N'avons-nous pas le droit de
:

« lence », qu'ils se gardent de disputer contre « conduire partout avec nous une femme-

le plus évident des textes apostoliques ; c'est « sœur » ont traduit non pas une femme notre
,

une du
partie silence qu'ils doivent observer sœur, mais une épouse. L'erreur vient du
en mangeant le pain du travail. sens double du mot grec, parce que dans cette
langue le même mot signifie épouse et femme.
CHAPITRE IV.
Et cependant l'xVpôtre l'a employé de manière
LE VRAI SENS DE SAINT PAUL s'eXPLIQUE d'APRÈS a rendre cette erreur impossible, disant non
SES AUTRES ÉPITRES. pas simplement une femme, mais une femme-
5. Je donnerais à ce long texte un dévelop- sœur; et parlant non pas de l'épouser, mais de
pement plus soigné et plus approfondi, si je s'en faire suivre partout. Mais cette équivoque
n'avais à citer d'autres endroits de ses Epîtres n'a point trompé les autres interprètes, qui
bien plus claires encore ; en lescoUationuant;, tous ont traduit <:«
une femme » , et non pas
ma première citation gagnera en évidence et ; « une épouse ».
ce premier texte fût-il anéanti, les nouveaux CHAPITRE V.
témoignages suffiraient à la preuve. Voici, en
l'exemple DE JÉSUS-CHRIST PROUVE QUE LES
effet, ce qu'il dit sur le môme sujet, écrivant
APÔTRES ONT EU LA PERMISSION DE SE FAIRE
aux Corinthiens « Ne suis-je pas libre ? Ne
:

ACCOMPAGNER ET SERVIR PAR DES FEMMES.


« suis-je Apôtre ? N'ai-je pas vu Jésus-Christ,
«notre Seigneur?Netes-vous pas vous-mêmes 6. quelqu'un pensait que les Apôtres
Si
« mon ouvrage en notre Seigneur*? Quand je n'ont pu agir ainsi, ni se laisser suivre par des
« ne serais pas apôtre à l'égard des autres, je femmes de sainte vie qui les accompagnaient
« le suis au moins à votre égard car vous êtes ; dans tous les lieux où ils prêchaient eux-mêmes
« le sceau de mon apostolat en notre Seigneur. l'Evangile, afin de les pourvoir du nécessaire cà
« Voici ma défense contre ceux qui me repren- leurs frais, je l'inviterais à consulter l'Evangile
« nent N'avons-nous pas le droit de manger et
: même et à se convaincre qu'en cela les dis-
« de boire ? N'avons-nous pas le pouvoir de con- ciples suivaient l'exemple du Maître. Notre-
« duire partout avec nous une femme d'entre Seigneur, en effet, compatissant à nos faibles-
« nos sœurs, comme font les autres Apôtres, ses, selon la de sa miséricorde, et bien qu'il
loi

« et les frères du Seigneur, et Céphas ? » ' pût se faire servir par les Anges, possédait lui-
Remarquez comme il montre d'abord son même une bourse destinée à recevoir l'argent
droit, et son droit à titre d'Apôtre c'est de là ; que ne manquaient pas de lui offrir les fidèles
qu'il part en effet « Ne suis-je pas libre? Ne
: vertueux pour la subsistance nécessaire de
« suis-je pas Apôtre ?» Et il prouve son titre ses disciples. Cette bourse, il l'avait confiée à
d'Apôtre en ajoutant « N'ai-je pas vu Notre- : Judas pour nous apprendre à supporter les
,

« Seigneur Jésus-Christ ?N'èles-vouspas vous- voleurs dans l'Eglise, si nous ne pouvons les
« mêmes mon ouvrage en notre Seigneur ? » éviter: car, d'après l'Ecriture-Sainte, ce misé-
Ce point prouvé il montre qu'il a droit,
, rable volait ce qu'on y mettait *. En outre,
autant que les autres Apôtres, de ne pas tra- Jésus voulut se faire suivre par les femmes qui
vailler de ses mains, mais de vivre de l'Evan- lui devaient préparer et fournir le nécessaire,
gile comme le Seigneur Ta réglé , et il
, montrant ainsi qu'à l'égard de l'armée des
continue à en donner la preuve très-évidente. prédicateurs de l'Evangile et des ministres de
En effet, si des femmes fidèles et bien pourvues Dieu, le peuple avait une dette à payer, comme
d'ailleurs des biens de la terre, accompagnaient les provinces aux années de l'Empire ; et

les Apôtres, si elles les aidaient de leur for- qu'ainsi, lorsqu'un Apôtre, à l'instar de saint
tune, c'était pour leur procurer les choses Paul, refuserait d'user de son droit et de re-
nécessaires à la vie. Saint Paul démontre qu'il cevoir son dû, c'est qu'il serait plus généreux
a le droit de suivre en ceci l'exemple de tous envers l'Eglise, en n'exigeant pas son très-juste
les Apôtres, mais il rappelle aussitôt qu'il n'a salaire, et gagnantpar son travail sa nourriture

point voulu user de ce pouvoir. Quelques-uns, de chaque jour. Car l'hôtelier auquel on avait
» —
ryvatxx ci.où.'fr,j r.spixyzi-J, littéralement
1-7. conduit le blessé du chemin de Jéricho, avait
I Cor. IX ,

conduire partout avec nous une femme-sœur. Les Protestants qui ont reçu cette promesse « Si vous dépensez da-
:

employé contre le célibat des prêtres ce teste de saint Paul , reçoi-


vent, par avance, une réfutation sans réplique dans saint Augustin.
' Joan, XII, 6.
UU TRAVAIL DES MOINES. 245

(( vantage, je vous le rembourserai à mon re- « liers et ne saluez personne dans le chemin.
a tour * ». Paul était ainsi celui qui dépensait « En quelque lieu que vous entriez, dites
davantage, puisque d'après ses paroles mêmes, « d'abord Que la paix soit dans cette mai-
:

il portait les armes à ses frais ^ — Or, voici « son 1 Et s'il s'y trouve quelque enfant de
ce qu'on lit dans l'Evangile : et paix, votre paix reposera sur lui; sinon, elle
« Ensuite Jésus lui-même faisait route par « retournera sur vous. Demeurez dans la
« les villes et bourgades évan- ,
prêchant et « même maison, mangeant et buvant de ce
« gélisant le royaume de. Dieu et les douze ; « qu'il y aura chez eux car l'ouvrier est ;

« l'accompagnaient, ainsi que plusieurs fem- « digne de son salaire ^ ».


« mes qui avaient été délivrées de malins esprits Ces paroles indiquent clairement non pas
« ou de maladies, comme Marie surnommée des prescriptions, mais des permissions. Ainsi,
« Madelaine, de laquelle sept démons étaient tel voulant en profiter, pouvait user des droits
« sortis, et Jeanne, de Chuza, intendant d'Hé- que lui créait ce règlement du Seigneur;
« rode, et Suzanne, et plusieurs autres qui tel autre n'en voulant point user, n'agissait
« l'aidaient de leurs biens' ». A l'exemple du pas contre un précepte , mais simplement
Seigneur, les Apôtres recevaient la nourriture cédait de son droit, et déployait ainsi une
qu'on leur devait, et Seigneur en parle ainsi
le charité plus grande et plus de travail encore
très-expressément « Allez, dit-il, prêchez en
: dans cette propagation de l'Evangile, en re-
« disant que le royaume des cieux est proche ;
tour de laquelle un salaire lui était dû sans
« guérissez les malades, ressuscitez les morts, qu'il voulût le recevoir. Que si le règlement
« purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous du Seigneur vous paraît un ordre, dites alor"S
« avez reçu gratuitement ; donnez gratuite- que l'Apôtre aurait péché contre un pré-
« ment. Gardez- vous de posséder or, argent, ni cepte, puisqu'après avoir lui-même prouvé
« monnaie dans vos ceintures, ni manteau pour son droit, il ajoute « Quant à moi, cepen- :

« la route, ni double tunique, ni chaussures, ni « dant, je n'ai point usé de ce pouvoir ^ ».


« bâton. Car l'ouvrier mérite sa nourriture * ».

Voilà le texte où le Seigneur établit le règle- CHAPITRE VII.

ment que rappelle l'Apôtre. Caren Icurrecom- LA FACULTÉ DE NE POINT TRAVAILLER, ACCORDÉE
mandant de ne rien porter avec eux de toutes AUX APÔTRES, DOIT S'ENTENDRE DU TRAVAIL
ces provisions, le Seigneur voulait que, selon
CORPOREL.
leurs besoins, ils dussent recevoir des mains
de ceux auxquels ils annonçaient l'Evangile. 8. Mais revenons plutôt à la suite de ses
idées ; étudions avez soin tout le passage de
CHAPITRE VI.
son épître :

CE n'est pas aux seuls apôtres , 31AIS BiEiN « N'avons-nous pas, dit-il, la permission de
AUSSI A d'autres QUE LE CHRIST A PERMIS DE « manger et de boire ? N'avons-nous pas la
VIVRE DE l'Évangile. M permission de mener partout avec nous une
« femme-sœur^? » De quelle permission parle
Et pour qu'on n'aille pas croire que ce
7. l'Apôtre ? N'est-ce pas uniquement de celle
droit n'ait été octroyé qu'aux douze Apôtres, que le Seigneur a octroyée à ceux qu'il envoie
écoutons le récit de saint Luc : prêcher royaume des cieux, quand il leur
le
« Ensuite le Seigneur choisit encore soi- dit « Mangez de ce qu'il y a chez eux
: car ;

« xante et douze autres disciples, qu'il envoya « l'ouvrier mérite son salaire », et quand il se
«devant deux, dans toutes les
lui, délix à propose lui-même comme exemple dans
« villes et dans tous
les lieux où lui-même l'exercice de ce droit, puisque des femmes
« devait aller. Et il leur disait La moisson : très-pieuses aidaient de leur fortune à lui pro-
« est grande, mais il y a peu d'ouvriers. Priez curer le nécessaire * ?
« donc le maître de la moisson qu'il envoie Saint Paul a fait plus
; il démontre, par
a des ouvriers dans sa moisson. Allez, je vous la pratique de ses collègues dans l'apostolat,
« envoie comme des brebis au milieu des la réalité de cette permission accordée par le
« loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sou- Seigneur. Car s'il ajoute « Ainsi agissent et :

Luc, X, 35. — M Cor. ix, 7-15 « tous les autres apôtres, et les frères du Sei-
'
; II Cor. xi, ' Luc, vin, 1-3.
— "Matt. X, 7-10. ' Luc, X, 1-7. — » I Cor. ix, 12. — >
Ibid. 5. — '
Luc, vin, 3.
246 DU TRAVAIL DES MOINES.
« gneur et Céplias ^ » ; ce n'est pas pour les «dépens? qui est-ce qui plante une vigne et
blâmer, mais pour faire voir que lui-même a «n'en mange point le fruit? ou qui est-ce
refusé ce qu'il lui était permis d'accepter ; « qui mène paître un troupeau, et n'en mange
l'usage contraire de ses compagnons dans la « point le lait? Ce que je dis qu'un ici n'est-il
sainte milice en est une preuve, a Est-ce que « raisonnement humain? La loi même ne le
« seuls, Barnabe et moi, nous n'avons pas le « dit-elle pas aussi ? Car il est écrit dans la loi
« pouvoir de ne pas travailler ? » Voilà une « de 31oïse Vous ne tiendrez point la bouche
:

réflexion qui ne laisse pas le moindre doute « liée au bœuf qui foule les grains. Dieu se
.

aux esprits même les plus bornés, sur l'usage « met-il en peine de ce qui regarde les bœufs?
dont il veut parler. Car pourquoi dit-il : « Et n'est-ce pas plutôt pour nous-mêmes
« Est-ce que seuls Barnabe et moi nous , , « qu'ila faitcetteprdonnance?Oui, sans doute,
« n'avons pas le droit de ne pas travailler? »si- « c'est pour nous que cela a été écrit. En effet,
non parce que tous les prédicateurs de l'Evan- « celui qui laboure doit labourer avec espé-
gile et les ministres delà parole de Dieu avaient « rance de 'participer aux fruits de la terre :
un droit et le tenaient du Seigneur même, « et aussi celui qui bat le grain doit le faire
oui, le droit de ne point travailler de leurs « avec espérance d'y avoir part ». '

mains, mais de vivre de l'Evangile même, en Ces réflexions prouvent assez la pensée de
s'occupant exclusivement du travail spirituel saint Paul. D'après lui, ses collègues n'ont
que leur imposait la prédication du royaume point exigé plus que leur dû, en se dispensant
des cieux, et l'établissement du pacifique em- des travaux corporels qui leur auraient pro-
pire de l'Eglise? curé le nécessaire de la vie présente. Au con-
Dira-t-on que le seul travail spirituel est traire, conformément à la règle de Jésus-
désigné par ces paroles de l'Apôtre : « Seuls, Christ, ils ont vécu de l'Evangile et mangé
«Barnabe et moi, n'aurions-nous pas le droit gratuitement le pain de ceux auxquels ils dis-
«de ne pas travailler? » Non car tous les ; pensaient gratuitement la grâce divine. Sol-
autres apôtres avaient ce même pouvoir de ne dats, ils touchaient leur solde ; vignerons, ils

pas travailler ; par suite, vous, si ingénieux à cueillaient librement, autant qu'il leur en fal-
corrompre et à pervertir les maximes aposto- lait, des fruits de la vigne plantée par leurs

liques au profit de votre opinion, dites, oui, mains; le troupeau par eux nourri leur épan-
dites, si vous l'osez, que tous les ministres de chait son lait ; la gerbe foulée par eux leur
l'Evangile avaient reçu du Seigneur le pouvoir procurait le pain.
de ne pas prêcher l'Evangile 1

Que si une assertion i>areille n'est qu'un CHAPITRE Vin.


trait de souveraine absurdité et de haute folie,
IL EST ÉVIDENT QUE l'APÔTRE PARLE DU
pourquoi refusez- vous de comprendre ce qui TRAVAIL MANUEL.
saute aux yeux de tous, à savoir que le pouvoir
accordé aux apôtres de ne pas travailler, s'en- 9. Plus clairement encore l'Apôtre enchaîne
tend seulement des travaux corporels néces- les affirmations qui vont suivre, et d'avance il
saires à leur subsistance; parce que, d'après clôt absolument tous les faux-fuyants du
l'Evangile : «L'ouvrier mérite son salaire». doute. « Si nous avons jeté parmi vous, dit-
Donc, Paul et Barnabe n'étaient pas les seuls « il, les semences des choses spirituelles, est-
qui eussent la permission de ne pas travailler; « ce donc merveille que nous recueillions de
ce pouvoir appartenait à tous leurs collègues ;
« vos biens charnels ^ ? » Or, quelles sont les
seulement eux-mêmes n'en usaient point, dé- choses spirituelles semées par l'Apôtre, sinon
pensant ainsi pour l'Eglise une surabondance la parole et le saint mystère du royaume des
de dévouement et se mettant à la portée des cieux? Et quels sont les biens charnels qu'il
faibles d'après la connaissance des lieux où prétend avoir droit de moissonner, sinon ces
ils prêchaient l'Evangile. biens corporels que le ciel nous accorde pour
Aussi bien, afin de ne pas paraître blâmer notre vie présente et les besoins de notre chair?
ses collègues dans l'apostolat, saint Paul s'em- Oui, voilà son dû, et voilà aussi ce qu'il dé-
presse d'ajouter : clare n'avoir ni demandé ni accejjté des Co-
« Qui est-ce qui va jamais à la guerre à ses rinthiens, de peur de créer quelque obstacle à
' I Cor. IX, 5. '
I Cor. li, :-10. — ' I Cor. ix, 11.
. .

DU TRAVAIL DES MOINES. 247

l'Evangile de Jésus-Christ. En faut-il davan- « donner nous-mêmes pour modèle, afin que
tage pour nous convaincre que, s'il a travaillé « vous nous imitassiez * ». « Car nous suppor-
pour gagner sa nourriture, ce travail fut vrai- « tons tout, ajoute-t-il, pour ne point créer
ment un ouvrage corporel^ visiblement exé- « d'obstacle à l'Evangile de Jésus-Christ * ».

cuté par les mains de son corps ? En effet, s'il


n'avait demandé qu'au travail spirituel le
CHAPITRE IX.

vivre et le couvert, je veux dire, s'il avaitreçu LA SUITE DU TEXTE REND LA PENSÉE
le nécessaire par les offrandes de ses chers PLUS ÉVIDENTE.
prosélytes, il aurait bien mauvaise grâce à
leur dire : « Si d'autres usent de ce pouvoir à 10. En effet, l'Apôtre revient volontiers et
c< votre égard, pourquoi ne pourrions-nous de toute manière, et bien souvent, à rappeler
c( pas en user qu'eux ? Mais nous plutôt à la fois et son droit, et le sacrifice qu'il en
«n'avons point usé de ce pouvoir; au con- fait :

c<traire, nous préférons tout endurer pour « Ne savez-vous pas, dit-il, que les minis-
«n'apporter aucun obstacle à l'Evangile de « très du temple mangent de ce qui est offert
«Jésus-Christ^». Quel est ce pouvoir dont « dans le temple ? que ceux qui servent à
l'Apôtre affirme n'avoir point usé, sinon le « l'autel ont part aux oblations de l'autel ?
droit que Dieu lui avait accordé sur les fi- « Ainsi le Seigneur a réglé que ceux qui an-
dèles, de recueillir une part de leurs biens « noncent l'Evangile vivraient de l'Evangile.
charnels pour entretenir en lui cette vie « Mais pour moi, je n'ai usé d'aucun de ces
même que nous passons dans notre chair? «droits^ ».
Ce pouvoir, d'ailleurs, n'appartenait pas ex- Peut-on être plus affirmatif, plus clair ? Je
clusivement à ceux qui furent les premiers à crains vraiment qu'en voulant disserter sur ce
leur annoncer l'Evangile; il s'étendait aussi texte pour l'expliquer, je n'obscurcisse un point
aux prédicateurs qui visitèrent plus tard leur par lui-même évident et lumineux. Car ceux
église et y prêchèrent. Aussi, après avoir dit : qui ne comprennent point ou qui font sem-
« Si nous avons jeté chez vous les semences blant de ne pas comprendre de telles paroles
« des biens spirituels, est-ce donc merveille à de l'Apôtre, bien moins encore comprendront,
«nous de recueillir vos biens charnels?» ou voudront avouer qu'ils comprennent les
L'Aj)ôtre ajoute usent de ce: « Si d'autres miennes; à moins toutefois qu'ils n'aient,
« pouvoir à votre égard, pourquoi pas nous, pour me comprendre facilement, une raison
« plutôt qu'eux? » Et après avoir indiqué la que voici c'est qu'il leur est permis de com-
:

nature de ce pouvoir donné à tous, il conti- prendre mes raisonnements et de s'en mo-
nue :« Mais nous n'avons point usé de ce pou- quer, tandis qu'ils n'ont pas la même permis-
« voir ; et nous préférons tout endurer pour sion pour les paroles de l'Apôtre. Aussi bien,
« n'apporter aucun obstacle à l'Evangile de quand ils ne peuvent interpréter celles-ci au
« Jésus-Christ ^ » gré de leur opinion, le texte apostolique fût-il
Maintenant, que nos adversaires nous expli- clair et évident, ils répondent qu'il est obscur
quent comment l'Apôtre trouvait sa subsis- et incertain, n'osant pas dire qu'il exprime
tance corporelle dans ses seuls travaux spiri- l'erreur et le mal. L'homme de Dieu leur crie :

tuels, lorsqu'il déclare lui-même hautement « Le Seigneur a réglé que ceux qui annon-
n'avoir point usé de ce pouvoir! Mais aussi, — « cent l'Evangile, vivraient de l'Evangile ;

dès qu'il ne gagnait point sa vie par les tra- « mais moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits»;
vaux spirituels, il reste à avouer qu'il se la et la chair et le sang viennent essayer de cor-
gagnait par les travaux corporels, et qu'il a rompre la rectitude même, d'obstruer l'évi-
pu dire en conséquence « Et nous n'avons : dence, d'obscurcir A les entendre,
la lumière.
« mangé gratuitement le pain de personne Paul faisait l'œuvre spirituelle et vivait de cette
;

« mais nous avons travaillé jour et nuit avec œuvre. Si celaest vrai, il vivait donc de l'Evan-
« peine et avec fatigue, pour n'être à charge à Pourquoidès lors a-t-il dit «Le Seigneur a
gile. :

c(aucun de vous » «réglé que ceux qui annoncent l'Evangile vi-


« Ce n'est pas que nous n'e/î eussions le pou- «vraient de l'Evangile, mais moi je n'ai usé
« voir; mais c'est que nous avons voulu nous «d'aucun de ces droits?» — Voudrait-on enten-
* I Cor. IX, 12. — M Thess. m, 8, 9. ' II Thess. III, 8, 9. —M Cor. i.\, 12. — ' 1 Cor. i.v, 13, J5.
.

248 DU TRAVAIL DES MOINES.

dre ce mot, vivre^ au sens spirituel? Alors l'A- éternelle auprès de Dieu. « Mais si je n'agis
pôtre ne se gardait auprès de Dieu aucune espé- « qu'à regret, continue-t-il, je dispense seule-
rance, puisqu'il ne vivait pas de l'Evangile, et «ment ce qui m'a été confié» ; c'est-à-dire si
en disant «Je n'ai usé de rien
qu'il l'avouait : la seule nécessitéde pourvoir aux besoins de
«de semblable ». Evidemment, au con- — la vie présente me force à prêcher, je ne fais
traire, pour s'assurer l'espérance de l'éter- que dispenser ce qui m'a été confié. C'est
nelle vie, l'Apôtre bien certainement vivait comme s'il disait: En remplissant un mandat

spirituellement de l'Evangile. Donc, en ces rigoureux, j'annonce Jésus-Christ cependant,


paroles «Je n'ai usé de rien de pareil », lui-
: je prêche la vérité ; quoique je n'agisse que par
même ombre de doute nous fait enten-
et sans occasion, qu'avec la recherche de mes inté-
dre qu'il s'agit de la vie de notre chair. Car rêts, et sous la pression du besoin d'un émolu-
l'Apôtre a dit que le règlement du Seigneur ment terrestre qui m'est indispensable. Dans
autorise les prédicateurs de l'Evangile à tirer que les autres profitent de mes ef-
ce cas, bien
leur vie de l'Evangile, c'est-à-dire, cette vie moi, au contraire, je n'aurai point au-
forts,
qui a besoin d'aliments et de vêtements. L'A- près de Dieu cette récompense glorieuse et
pôtre, encore, a dit précédemment de ses col- éternelle. «Quelle sera donc ma récompense?»
lègues dans l'Apostolat qu'ils ont usé de ce ajoute-t-il.
droit. C'est en ce sens que Notre-Seigneur a Puisque saint Paul se pose une question,
déclaré : que V ouvrier méiite sa nourriture ; différons de prononcer jusqu'à ce que lui-
que l'ouvrier mérite son salaire. Et telle est même y réponde. Et pour mieux saisir sa pen-
bien aussi la nourriture, et tel le salaire des- sée, supposons que nous l'interrogeons nous-
tiné à sustenter la vie des ministres de l'Evan- mêmes. —
Dites, grand Apôtre, quelle sera
gile, et qui leur est dû certainement, bien que votre récompense, puisque vous refusez cette
l'Apôtre ne l'ait pas reçu de ceux qu'il évan- récompense terrestre, qui est due même aux
gélisait, disant avec vérité « Je n'ai usé d'au-
: dignes prédicateurs de l'Evangile , celle qui
« cun droit semblable » n'est point le mobile de leur prédication, mais
qui la suit toutefois, et qu'ils acceptent quand
CHAPITRE X.
on la leur offre, d'après la règle du Seigneur?
POURQUOI SAINT PAUL NE VIT PAS DE l'ÉVANGILE. Quelle sera votre récompense, à vous? Ecoutez
sa réponse: « Je veux en évangélisant établir
11. Il insiste, et il ajoute, de peur qu'on ne « l'Evangile sans frais pour personne » ; c'est-
suppose qu'il n'a rien reçu parce qu'on ne lui à-dire je veux que l'Evangile ne coûte rien à
a rien offert « Je ne vous ai point écrit ceci
: ceux qui l'embrassent, pour leur ôter cette
« pour qu'on en use ainsi envers moi puis- ; idée que la prédication puisse paraître dans
ceque j'aimerais mieux mourir que de souffrir ses ministres un honteux marché. Et tou-—
« que quelqu'un me fît perdre cette gloire ». tefois il vient et revient encore sur cette autre
Quelle gloire, sinon celle qu'il a voulu avoir pensée que le droit du Seigneur Jésus lui
devant Dieu, par cette condescendance si chré- confère un pouvoir, bien qu'il n'en use pas :

tienne envers les faibles? Au reste, il s'expli- « Pour ne pas mésuser, dit-il, du pouvoir qui
que aussitôt avec la dernière évidence : « Car « m'appartient en prêchant l'Evangile ».
« si je prêche, dit-il, je n'ai pas lieu d'en tirer
or ma gloire; puisque j'y suis tenu rigoureuse- CHAPITRE XI.

« ment » ; il y va de ma vie même physique ;


ICI, COMME AILLEURS, PAUL OBÉIT A UN SENTIMENT
« car, malheur à moi si je n'évangélise pas » !
DE COMMISÉRATION POUR LES FAIBLES. IL —
c'est-à-dire, bien mal m'en adviendra, puisque
CRAINT, EN VIVANT DE l'ÉVANGILE, QUE LES
je serai torturé par la faim et que je n'aurai
FAIBLES NE s'iMAGINENT QUE L'ÉVANGILE SE
pas de quoi vivre. — Il poursuit et ajoute :
VEND.
« Si je prêche en vrai volontaire, j'en aurai la
« récompense ». Il s'appelle un volontaire de 12. En preuve, toutefois, qu'il n'agissait
la prédication, dans le cas oîi il s'y livrera ainsi que par condescendance pour l'humaine
sans y être poussé par aucune nécessité de faiblesse, écoutons ce qui suit « Car étant,
:

soutenir son existence car, alors, il se promet ; « dit-il, libre à l'égard de tous, je me suis
une récompense, celle sans doute d'une gloire « rendu serviteur de tous, pour gagner à Dieu
.

DU TRAVAIL DES MOINES. 249

« plus de personnes. J'ai vécu avec ceux qui Admettons donc trois états à l'égard de la
« sont sous la loi, comme si j'avais encore été loi : l'homme a été sous elle, en elle, et sans
« sous la bien que je n'y fusse plus assu-
loi, elle. Sous la loi, vous trouvez les Juifs char-
« jéti, pour gagner ceux qui sont sous la loi ; nels. Dans la loi, les Juifs spirituels et les
« avec ceux qui n'avaient pas la loi, comme si Chrétiens d'où l'on voitque ceux-ci gardèrent
;

«je n'en eusse pas en moi-même (bien que j'en ces prescriptions de leurs pères, mais sans
« eusse une à l'égard de Dieu, ayant celle de prétendre imposer aux païens convertis cet in-
« Jésus-Christ), pourgagner ceux qui n'avaient supportable fardeau; et c'est pour cela qu'eux-
« pas la loi » mêmes étaient circoncis. Enfin, sans la loi vi-
La ruse ni la feinte n'inspiraient point ici sa vaient les Gentils qui n'avaient pas encore
conduite, mais bien la condescendance et la embrassé la foi. L'Apôtre déclare s'être con-
miséricorde. Je veux dire qu'il ne voulait pas formé à eux par une condescendance miséri-
se faire passer pour juif, comme quelques- cordieuse, et non par une métamorphose
uns l'ont conclu^ de ce qu'à Jérusalem il obser- odieuse et hypocrite. Comprenons donc qu'il
vait les rites de l'ancienne loi. Il agit alors, en venait en aide au juif charnel et au païen dans
effet, d'après cette maxime que lui-même a la mesure où lui-même aurait voulu être aidé
franchement et hautement formulée « Quel- : s'il avait été païen ou juif; heureux de porter

cequ'un est-il appelé étant déjà circoncis? Qu'il par miséricorde les dehors de leurs faiblesses,
a ne prétende pas au prépuce^ », c'est-à-dire sans pour cela les séduire par des évolutions
qu'il se garde de vivre comme s'il était entré mensongères. Aussi a-t-il le droit de pour-
avec le prépuce, comme s'il avait réparé le suivre et de dire aussitôt : « Je me suis fait
dépouillement de sa chair. En ce cas, en effet, « faible avec pour gagner les fai-
les faibles,
et TApôtre le déclare en un autre endroit : « blés à Dieu ». Il partait de ce principe, pour

« Votre circoncision est devenue prépuce ' ». énoncer toutes les autres maximes que nous
Saint Paul était donc conséquent avec cette venons d'entendre. Se faire faible pour les
maxime bien arrêtée qui lui faisait dire : « Un faibles, n'était point mentir de même, tous :

« circoncis est-il appelé? Qu'il ne prétende ses actes énoncés plus haut n'étaient pas des
« plus au prépuce. Un autre est-il appelé sans mensonges.
« circoncision ? Qu'il ne se fasse point circon- Car, en particulier, quelle faiblesse avoue-
« cire ». Par suite, il a tenu franchement la t-il avoir commise en faveur des faibles ? Au-

conduite qui parut une feinte aux yeux d'hom- cune mais, par condescendance pour eux et
;

mes sans attention ou sans connaissance de seulement pour n'avoir pas l'air de vendre
son état. Car il était Juif et déjà circoncis, quand l'Evangile, craignant même d'encourir de fâ-
il fut appelé à la foi ne voulut donc pas se
; il cheux soupçons qui auraient empêché le pro-
couvrir du prépuce, c'est-à-dire, il se garda de grès de la parole sainte chez ces hommes igno-
vivre comme s'il n'avait jamais été circoncis, rants des choses, l'Apôtre ne voulut pas
bien qu'il eût le droit dès lors de tenir cette même accepter ce qui lui était dû d'après le
conduite. —
Il n'était pas sans doute sous la droit fondé par Jésus-Christ. L'eùt-il voulu
loi, comme ceux qui l'observaient servilement recevoir, qu'il n'eût trompé personne, puisque
;

mais toutefois il était assujéti à la loi de Dieu c'étaitune dette il n'a pas trompé davantage
;

et de Jésus-Christ. Car la loi n'était pas autre en refusant de l'accepter. Car il n'a pas nié
chose que la loi de Dieu même, bien que les l'existence de cette créance; il l'a même prou-
Manichéens pervers aient coutume de faire vée comme certaine tout eu déclarant qu'il
cette distinction. Autrement, et si, d'après eux, n'en avait point usé, et qu'il ne voulait point
l'Apôtre doit passer pour avoir simulé le Ju- en user. Voilà, en déûnitive, en quoi il s'est
daïsme quand il en observa les rites, il faut fait faible : il a refusé d'user de son droit, tant
dire qu'il a simulé aussi le paganisme et sa- il se revotait d'amour et de miséricorde, ne
crifié aux idoles, puisqu'il avoue s'être affran- pensant qu'aux procédés dont il aurait voulu

chi de la loi avec ceux qui n'avaient pas la loi, qu'on se servît envers lui, s'il avait été lui-
désignant ainsi évidemment les gentils, que même assez faible pour soupçonner de mer-
nous appelons les païens. cantilisme les prédicateurs de l'Evangile, en
les voyant accepter leur salaire.
' Voir S. Jérôme.
Lettre LXXV, inter Augustinianas. — ^
1 Cor.
vu, 18. — =
Rom. u, 25.
250 DU TRAVAIL DES MOINES.

CHAPITRE XII. soins. C'est, qu'en effet, il paraît que l'Apôtre


était réduit chez les Corinthiens à un tel excès
EFFRAYÉ DES DANGERS QUE COURAIENT LES FAI-
d'indigence, que d'autres églises éloignées lui
BLES, l'apôtre aima 3IIEUX TRAVAILLER, QUE
envoyaient le nécessaire, tandis qu'il refusait
DE MYRE DE l'ÉVANGILE. d'accepter rien de pareil de ceux qu'il évangé-
13. C'est de cette faiblesse qu'il dit en un lisait alors. Ecoutons-le que j'ai fait : « Est-ce

autre passage Nous nous sommes faits


: « « une vous relever, je me
faute, lorsqu'afin de
« comme de petits enfants au milieu de tous; « suis rabaissé moi-même, en vous prêchant
« nous avons agi comme la mère nourrice qui « gratuitement le royaume de Dieu? J'ai dé-
a a soin de ses enfants ». Le contexte de tout « pouillé les autres églises en recevant d'elles
ce morceau explique mieux encore sa pensée « l'assistance dont j'avais besoin pour vous
dans ce sens. «Car nous n'avons usé, poursuit- « servir. Et lorsque je demeurais parmi vous,
« il, d'aucune flatterie, comme vous le savez « et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à
« vous-mêmes nous n'avons point cherché
;
« charge à personne mais nos frères qui ;

« l'occasion de satisfaire la cupidité. Dieu nous « étaient venus de Macédoine ont suppléé aux

« en est témoin ni la gloire qui vient des


;
«besoins que je pouvais avoir; et j'ai pris
« hommes, de vous ni d'autres et quoique ; « garde de ne vous être à charge en quoi que

« nous eussions pu, comme les apôtres de « ce soit, comme je le ferai encore à l'avenir.
« Jésus-Christ, vous charger de notre subsis- « Je vous assure, par la vérité de Jésus-Christ
« tance, nous nous sommes faits parmi vous « qui est en moi, qu'on ne me ravira point
a semblables aux petits enfants et pareils à la « cette grâce dans toute l'Achaïe. Et pourquoi ?
« nourrice qui a soin de ses enfants *
». « Est-ce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait.

Ainsi cette affirmation, qu'il fait aux Corin- « Mais je fais cela, et je le ferai encore, afin de
thiens, du droit attaché à son apostolat et « retrancher une occasion de se glorifier à
qu'il partage avec les autres apôtres tout en « ceux qui cherchent, en voulant paraître
la

déclarant qu'il n'en a point usé, cette affirma- « tout à semblables à nous, pour trouver
fait

tion de son droit, il la répète dans ce passage « en cela un sujet de gloire ^ ».


de l'épître aux Thessaloniciens, dans ces mots L'occasion qu'il déclare retrancher ici se
surtout « Quoique nous eussions pu vous
: trouve donc être exactement la même qu'il a

« être à charge, comme les apôtres de Jésus- indiquée dans l'autre passage, en disant :

« Christ » d'après la parole même du Seigneur


, : c(Nous gardant. Dieu le sait, de toute cupi-
« Que l'ouvrier inérite son salaire». « dité^». —
Et cette déclaration de sa seconde
Que saint Paul parle ainsi toujours sous épître aux Corinthiens « Je me suis abaissé :

l'inspiration de la même idée, le texte précité « pour vous faire grandir'», revient à celle

nous en donne la preuve : « Nous n'avons pas qu'il leur a faite dans sa première épître :

« pris occasion, dit-il, de satisfaire notre cupi- « Je me suis fait faible avec les faibles » ; et

ot Dieu nous en est témoin » En effet, le


dite ;
. c'est, enfin, ce qu'il écrit aux Thessaloniciens:
règlement du Seigneur établissait une dette en a Je me .suis fait comme un petit enfant au
faveur des dignes prédicateurs de l'Evangile ;
« milieu de vous ; et tout pareil à la nourrice
et ceux-ci, en prêchant, ne cherchaient point c< qui prend soin de ses enfants * ».

ce profit, mais seulement les intérêts du règne Aussi, faites attention à la suite de ce der-
de Dieu, en retour duquel on leur offrait le nier texte :

nécessaire. Mais d'autres prédicateurs trou- « Voilà l'affection que nous


comment, dans
vaient l'occasion que saint Paul nous révèle : « ressentions pour vous, nous aurions sou-
«Ceux-là, dit-il, ne servent point Dieu, mais « haité de vous donner non-seulement lacon-
« leur ventre - ». Pour retrancher à ces misé- « naissance de l'Evangile de Dieu, mais aussi
rables cette occasion de vénalité, l'Apôtre allait « notre propre vie, tant était grand l'amour
jusqu'à abandonner le recouvrement d'une « que nous vous portions. Car vous n'avez pas
dette très-légitime. « oublié, mes Frères, quelle peine et quelle
Cette pensée n'est pas moins évidente dans « fatigue nous avons souffertes, et comme
la seconde aux Corinthiens, où l'Apôtre dé- « nous vous avons prêché l'Evangile de Dieu,
clare que d'autres éghses ont suppléé à ses be- « en travaillant jour et nuit, pour n'être à
» I Thess. II, 5-7. — ' Rom. xvi, IS. '
U Cor. ïi, 7-12, — ' Loc. jam cit. — ' Ibid. — ' Ibid.
DU TRAVAIL DES MOINES. 251

« charge à aucun de vous ». En effet, il avait '


adresse ni par effraction, ni par brigandage; il

dit plus haut « Nous pouvions cependant


: n'était ni conducteur de chars, ni veneur, ni
« vous donner cette charge, comme les apô- histrion, ni voué à des gains infâmes. Il tra-
« trèsde Jésus-Christ». Mais le danger des fai- vaillait, en toute vertu et honneur, à quelque

bles,mais la crainte que des soupçons calom- métier utile à la société, comme sont les pro-
nieux ne leur fissent haïr l'Evangile pour une fessions où l'on manie le fer ou le bois, la pierre
apparence de vénalité frappent d'épouvante , ou le cuir, les travaux des gens de la campagne
les entrailles paternelles, maternelles même ou tout autre métier semblable. Car l'honneur
de l'Apôtre, et lui dictent cette conduite. ne condamne pas certains ouvrages que con-
Tel est encore son langage dans les Actes damne l'orgueil de certaines gens qui aiment
des Apôtres, lorsqu'étant à Milet, il envoie à à s'appeler hommes d'honneur et n'aiment
Ephèse pour faire venir les prêtres de cette pas à l'être en effet. —
Non, l'Apôtre ne dédai-
église, et leur dit entr'autres choses : « Je n'ai gnerait pas, lui, de mettre la main à quelque
« désiré de personne ni argent, ni or, ni vête- ouvrage rustique ni de s'appliquer à un tra-
« ments et vous savez vous-mêmes que ces
; vail d'ouvrier. Il a dit « Soyez sans repro-
:

« mains, que vous voyez, ont fourni àmoi et à « che en face des Juifs, des Grecs et de l'Eglise
« tous ceux qui étaient avec moi, tout ce qui « de Dieu » et ici il n'a lui-même à craindre
*
;

« nous était nécessaire. Je vous aj montré en le blâme d'aucun d'eux. Produirez-vous contre
« toute manière qu'il faut soutenir ainsi les lui les Juifs ? Leurs patriarches gardaient les
« faibles en travaillant, et se souvenir de ces troupeaux. Les Grecs, que nous appelons aussi
« paroles que le Seigneur Jésus lui-même a les païens ? Les ouvriers en cuir leur ont
« dites : Qu'il y a plus de bonheur à donner fourni des philosophes même très-honorables.
« qu'à recevoir ^ ». L'Eglise de Dieu ? Mais un homme si juste
qu'il a été choisi pour témoin d'une virginité
CHAPITRE XIII.
inviolable dans le mariage même, oui, l'époux
QUEL ÉTAIT LE TRAVAIL MANUEL DE L'APÔTRE. de la Vierge Marie, Mère du Christ, était un
ENUMÉRATION DES OCCUPATIONS HONNÊTES AU artisan. Concluez donc que tout travail
MOYEN DESQUELLES ON GAGNE SA VIE. d'homme en ce genre est bon, pourvu qu'il
soit innocent et sans fraude condition su- ;

14. Ici, Ton me demandera peut-être : sup- prême d'ailleurs, prévue et recommandée par
posé que l'Apôtre se livrât, pour gagner sa vie, l'Apôtre qui, craignant que la nécessité de
à des travaux corporels, quelle occupation gagner sa vie ne jette le travailleur en quel-
choisissait-il ? quelles heures donnait-il au que œuvre mauvaise, a soin de dire « Que :

travail, et à quelles heures prêchait-il ? Je — « celui qui était voleur, ne vole plus; mais qu'il

réponds Mettons que je l'ignore ; il n'en sera


: « travaille davantage et honnêtement de ses

pas moins vrai qu'il a travaillé de son corps « mains, afin d'avoir même à donner à celui

et gagné sa vie ainsi, sans vouloir user du droit, « qui aurait besoin^ ». Un seul point est donc

accordé par Notre - Seigneur aux ministres nécessaire à savoir c'est que , dans ses tra-
:

évangéliques, de vivre de l'Evangile voilà : vaux corporels , l'Apôtre faisait encore le


des faits que les textes précédents mettent ab- bien.
solument hors de doute car ce n'est pas une ; CHAPITRE XIV.
affirmation que l'Apôtre ait prononcée une fois
QUELLES HEURES l'apÔTRE CONSACRAIT-IL AU
et en passant et la funeste habileté de l'es-
;
TRAVAIL ? OISIVETÉ DES MOINES.
prit le plus subtil et le plus fourbe ne peut la
détourner de son sens, ni la plier au service Mais quelles étaient habituellement
15.
d'une autre idée. les heures de son travail ou bien encore ,

L'opposition de nos contradicteurs venant quelle en étai! la durée, calculée de façon à


donc se briser contre cette masse de textes si ne pas nuire à sa prédication ? La réponse est-
forts et si nombreux, pourquoi me deman- elle possible ?Rien sûr, il travaillait pendant
dent-ils quel genre de profession exerçait l'A- lejour et pendant la nuit, lui-môme ne nous
pôtre et en quel temps il l'exerçait ? Je ne sais a pas laissé ignorer cette circonstance ^ Nos
qu'une chose. Il n'était point voleur, ni par gens, au contraire, si inquiets en apparence et
' I Thess. II, 8, 9. — ' Act. XX, 33-35. « I Cor. X, 32.- " I Ephes. iv, 28.— » I Thess. il, 9 ; II Thess. m, 8.
.

252 DU TRAVAIL DES MOINES.

si affairés temps l'Apôtre don-


de savoir (luel ajoute aussitôt : « Que nos frères apprennent

nait au travail, eux-mêmes que font-ils? Sont- « aussi à être toujours les premiers à pratiquer

ils donc de ceux qui ont rempli du saintEvan-


« les bonnes œuvres, lorsque la nécessité le

gile les contrées qui s'étendent au large dans « demande, atinqu'ils nedemeurent point sté-
le parcours de Jérusalem à llUyrie ? Ont-ils « rites et sans fruit ^ ».

entrepris de visiter tout ce (jui reste encore de Il a des précautionssemblablespour Timo-


nations l)arbares et de les gagner au pacifique thée, qu'il appelle son plus aimé fils. Il le savait

empire de l'Eglise ?.... Ah lorsque nous sa- 1 faible comme il le prouve assez en
de santé,
vons de ces gens qu'ils se réunissent dans une l'avertissant dene pas boire d'eau, mais d'u-
oisiveté entière en une sainte communauté, ser d'un peu de vin à cause de son estomac et

volontiers nous avouons que Paul a tenu une de ses fréquentes maladies ^ Timothée ne
conduite merveilleuse. En effet, chargé de pouvait donc se livrer à un travail corporel ;

la sollicitude immense de toutes les églises et ne voulant sans doute pas dépendre, pour
déjà créées ou encore en formation * et sa subsistance quotidienne, de ceux auxquels il

dont le soin et le labeur reposaient sur dispensait la parole évangélique peut-être ,

lui, Paul encore de ses propres


travaillait cherchait-il quelque autre occupation où il

mains grâce à ce travail, il ne tut à charge à exerçât plutôt ses facultés intellectuelles. Car
;

aucun des fidèles chez lesquels il demeurait autre chose est de se réserver, en travaillant,
à Corinthe, bien qu'il y ait eu vraiment besoin, toute sa liberté d'esprit, comme fait l'ouvrier

mais tout ce qui lui manquait fut suppléé par ordinaire, quand il n'est ni frauduleux ni

les frères qui vinrent de Macédoine ^ avare, ni tourmenté du désir de s'enrichir ;

autre chose est d'occuper son esprit même à


CHAPITRE XV. certains calculs, pénibles en dehors même du
travail matériel, dans le but de faire ainsi de
EN RECOMMANDANT LE TRAVAIL AUX SERVITEURS
l'argent , comme c'est la profession par
DE DIEU, PAUL VEUT NÉANMOINS QUE LES FIDÈLES
,

exemple, des négociants, des courtiers, des


POURVOIENT A LEURS BESOINS. LE TRAVAIL QUE
loueurs. Ces gens mènent les affaires par leurs
LES SERVITEURS DE DIEU DOIVENT PRÉFÉRER EST
soins, sans toutefois travailler de leurs mains, et
CELUI QUI n'engendre PAS DE SOUCIS ET s'EXERCE
ils occupent ainsi leur intelligence même par
SANS CUPIDITÉ.
le désir inquietde s'enrichir. Timothée pouvait

16. EnPaul a prévu cette sorte de né-


effet, se jeterdans de pareilles occupations, puisque
cessité où pourraient se trouver les saints. sa faiblesse physique lui rendait impossible le
travail des mains. Paul, dans cette appréhen-
Ceux-ci, tout en obéissant à sa maxime de
manger en silence le pain du travail, sont ex- sion, lui prodigue en ces termes les avis, les

posés cependant, pour maintes causes, à man- encouragements, les consolations : « Travail-

quer d'un supplément nécessaire à leur subsis- c( lez comme un bon soldat de Jésus-Christ.
« Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne
tance. Aussi, après les avoir instruits et pré-
venus en ces termes « Quant à ceux qui en :
«s'embarrasse point dans les affaires sécuHères,
« sont là, nous leur commandons et nous les « il ne veut plaire qu'à celui qu'il sert en vo-
« conjurons en Jésus-Christ Notre-Seigneur de ce lontaire. Celui qui prend part aux combats
« manger en silence leur pain par le travail», « couronné qu'après avoir légi-
publics, n'est

l'Apôtre craint que les chrétiens plus aisés, « timement combattu ^ ». Et de peur que son
ceux qui ont de quoi fournir le nécessaire aux disciple, réduit à l'extrémité, ne lui dise «Je :

serviteurs de Dieu, ne prennent occasion de « ne puis travailler la terre, et je rougis de


là pour se et par précaution, il
ralentir ,
« mendier* », l'Apôtre ajoute « Un labou- :

ajoute aussitôt Vous, au contraire, mes


: « « reur qui travaille, doit le premier récolter
« frères, gardez-vous de faiblir à» bien faire »
^ « des fruits » dans le même sens qu'il avait
*
;

Et quand il écrit à Tite « Faites prendre : dit aux Corinthiens « Qui donc alla jamais à
:

« les devants à Zéuas, docteur de la loi, et à « la guerre à ses dépens ? qui est-ce qui plante

« Apollon, en prenant bien garde qu'il ne leur « la vigne et ne mange point de son fruit? Qui

« manque rien » , il veut aussi montrer le « est-ce qui fait paître le troupeau et ne boit

moyen qui les préservera de tout besoin, et '


Tu. m, 13, 14. —M Tini. V, 2, 3. — ' 11 Tim. II, 3 et seq.
»
Rom. xv, 19. — ' II Cor. xi, 9. — MI Thess. m, 12, 13. Luc, XVI, 3. — MI Tim. li, 6,
.

DU TRAVAIL DES MOINES. 253

« point de son lait? » C'est ainsi que saint — « de Jérusalem qui sont pauvres. Oui, elles
Paul rassure pleinement ce chaste prédicateur « l'ont résolu, et, de fait, elles leur sont rede-
de l'Evangile, qui ne l'enseignait pas pour en « vables. Car, si les Gentils ont participé cà

faire marché, mais qui ne pouvait cependant « leurs richesses spirituelles, elles doivent
gagner de ses mains le nécessaire de sa vie. « aussi leur faire part de leurs biens tempo-
Il veut lui faire comprendre qu'en prenant « rels * »

sou nécessaire sur des fidèles, qu'il servait Ce passage ressemble à celui où il dit aux
comme l'armée sert une province, qu'il cul- Corinthiens « Si nous avons jeté chez vous
:

tivait comme une vigne, qu'il paissait comme « les semences des biens spirituels, est-ce
un troupeau, ce n'était pas mendier, c'était « donc merveille que nous moissonnions vos
exercer un droit. « biens charnels '
? »
Et de même dans la seconde épître aux mê-
CHAPITRE XVI. mes Corinthiens :

c'est exercer u>' ministère a l'égard des saints « Mais il faut, mes frères, que je vous fasse
QUE DE LELR fournir LES CHOSES NÉCESSAIRES « savoir la grâce de Dieu envers les églises

A LA VIE CORPORELLE EN RETOUR DES BIENS « de Macédoine. C'est que leur joie s'est d'au-
SPIRITUELS. —
QUE LES SERVITEURS DE DIEU
« tant plus redoublée, qu'ils ont été éprouvés

OBÉISSENT A PAUL EN TRAVAILLANT


« par de plus grandes afflictions et que leur
ET LES ;
;

BONS CHRÉTIENS AUSSI, EN POURVOYANT A LEURS


« profonde pauvreté a répandu avec abon-
BESOINS.
« dance les richesses de leur charité sincère.
« Car, je leur rends ce témoignage, qu'ils se
17. Ainsi, tenant compte soit des occupa- « sont portés d'eux-mêmes à donner autant
tions des serviteurs de Dieu, soit des infirmi- « qu'ils pouvaient, et même au-delà de ce
tés corporelles dont ils ne peuvent être abso- « qu'ils pouvaient ; nous conjurant, avec
lument exempts, FApôtre non-seulement per- « beaucoup de prières, de recevoir
l'aumône
met, mais conseille fort à propos aux vrais « qu'ils offraient pour prendre part a l'assis-
fidèles de suppléer à tous leurs besoins. « tance destinée aux saints. Et ils n'ont pas
Ne parlons plus, en effet, de ce droit dont « fait seulement en cela ce que nous avions

l'Apôtre témoigne n'avoir point usé, mais dont « espéré d'eux, mais ils se sont donnés eux-
il impose la charge aux fidèles, en disant : a mêmes premièrement au Seigneur et puis
« Que celui qui reçoit la sainte instruction de « à nous par la volonté de Dieu. C'est ce qui
« la parole, assiste en tout bien celui qui l'ins- « nous a porté à sup{)lier Tite que, comme il
« truit Non, ne parlons plus de ce droit
* ». « a déjà commencé, il achève aussi de vous
tant de fois invoqué par saint Paul au profit « rendre parfaits en cette grâce, et que,
des prédicateurs de l'Evangile, sur ceux qui « comme vous êtes riches en toutes choses,
reçoivent la prédication. « en foi, en paroles, en science, en toutes
Il s'agit maintenant des saints de l'église de a sortes de soins, et en l'affection que vous
Jérusalem, de ces fidèles qui avaient vendu et « nous portez, vous le soyez aussi en cette
distribué tous leurs biens, et qui dès lors « sorte de grâce. Ce que je ne vous dis pas
* habitaient cette cité dans une sainte commu- a néanmoins pour vous imposer une loi, mais
nauté de vie, sans jamais plus parler de pro- et seulement pour vous porter, par l'exemple
priété privée, n'ayant plus en Dieu qu'un seul de l'ardeur des autres, à donner des preu-
cœur et une seule àme -. C'est pour ces « ves de votre charité sincère. Car vous savez
simples fidèles que saint Paul réclame le né- c( quelle a été la bonté de Notre-Seigneur
cessaire c'est leur cause qu'il plaide auprès
; « Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu
des églises des Gentils. Tel est le sens de ce « pauvre pour V amour de vous, afin que
passage de TEpître aux Romains : « vous devinssiez riches par sa pauvreté.
« Maintenant je m'en vais à Jérusalem por- « C'est ici un conseil que je vous donne,
« ter aux saints quelques aumônes. Car les « parce que cela vous est utile, et que vous
« églises de Macédoine et d'Achaïe ont résolu « n'avez pas seulement commencé les pre-
« avec beaucoup d'affection de faire quelque « miers à faire cette charité, mais que vous
« part de leurs biens à ceux d'entre les saints « en avez de vous-mêmes formé le dessein dès
' Galat. VI, 6. — '
Act. ii, 41 et iv, 32. ' Rom. sv, 5, 27. — M Cor. ix, 11.
.

254 DU TRAVAIL DES MOINES.

« l'année passée. Achevez donc maintenant ter que comme supplément à un état nécessi-
« ce (jue vous avez commencé de faire dès teux et non comme un encouragement à la
« lors^ afin que comme vous avez une si paresse. — Mais ces paroles, aussi, nous révè-
« prompte volonté d'assister vos frères^ vous lent la sollicitude personnelle à saint Paul,
« les assistiez aussi effectivement de ce que son scrupule dans ce ministère de charité.
« vous avez. Car lorsqu'un homme a une Non content d'envoyer cette offrande par Tite,
« grande volonté de donner^ Dieu la reçoit, ne il rappelle que lui-même veut avoir un com-

« demandant de lui que ce qu'il peut, et non pagnon de ses voyages, choisi pour ce minis-
« ce qu'il ne peut pas. Ainsi je n'entends pas tère par les Eghses, un homme de probité re-
« que les autres soient soulagés, et que vous connue, un homme de Dieu dont la
et

tf soyez surchargés; mais que, pour ôter l'in- « louange en l'Evangile, ajoute-t-il, retentit
« égalité votre abondance supplée mainte-
, « dans toutes les Eglises » Et il s'est fait choi-
.

« nant à leur pauvreté, afin que votre pau- sir ce compagnon, dit-il, pour éviter la criti-

a vreté soit soulagée un jour par leur abon- que des hommes qui, sans ce témoignage de
« dance, et (\Vi ainsi tout soit réduit à l'égalité, ses saints coassociés dans ce ministère, pour-
« selon ce qui est écrit de la manne : celui raient le faire passer aux yeux des faibles et
« qui e)i recueillit beaucoup n'en eut pas plus des impies comme recevant pour son propre
« que les autres ; et celui qui en recueillit compte, comme s'attribuant personnellement
« peu n'en eut pas moins. Or, je rends grâces ce qu'il recevait pour suppléer aux nécessités
a à Dieu de ce qu'il a mis au cœur de Tite des saints, au lieu de le porter et de le distri-
a la même sollicitude que j'ai pour vous. Car buer aux indigents.
« non-seulement il a bien reçu la prière que 18. 11 dit un peu plus loin « 11 serait su-
:

« je lui ai faite mais s'y étant porté avec en-


;
ce perflu de vous écrire davantage touchant
« core plus d'affection par lui-même, il est « cette assistance qui se prépare pour les

« parli de son propre mouvement pour vous « saints de Jérusalem. Car je sais avec quelle
« aller voir. Nous avons envoyé aussi avec « affection vous vous y portez et c'est aussi
;

« lui notre frère, qui est devenu célèbre par « ce qui me donne lieu de me glorifier de

« l'Evangile dans toutes les églises; et qui ,de « vous devant les Macédoniens, leur disant
« plus, a été choisi par les églises pour nous « que la province d'Achaïe était disposée à
« accompagner dans nos voyages, et prendre « faire cette charité dès l'année passée ; et
« part au soin que nous avons de procurer « votre exemple a excité le même zèle dans
« celte assistance à nos frères, pour la gloire « l'esprit de plusieurs. C'est pourquoi j'ai en-
« du Seigneur, et pour seconder notre bonne ce voyé nos frères vers vous, afin que ce ne
« volonté; et notre dessein en cela a été d'é- « soit pas en vain que je me sois loué de vous

« viter que personne ne puisse nous rien re- « en ce point, et qu'on vous trouve tout prêts,
« procher sur cette aumône abondante dont , « selon l'assurance que j'en ai donnée de ;

« nous sommes les dispensateurs. Car nous « peur que si ceux de Macédoine, qui vien-
« tâchons de faire le bien avec tant de circons- « dront avec moi, trouvaient que vous n'eus-
c( pection, qu'il soit approuvé non-seulement c< siez rien préparé, ce ne fût à nous, pour ne
« de Dieu, mais aussi des hommes * » « pas dire à vous-mêmes, un sujet de confu- •
Ces paroles nous montrent, d'abord jusqu'à « sion dans cette conjoncture, de nous être
l'évidence, combien l'Apôtre voulait imposer « loués de vous. C'est ce qui m'a fait juger
aux saintes populations une large sollicitude a nécessaire de prier nos frères d'aller vous
en faveur des dignes serviteurs de Dieu et as- « trouver avant moi, afin qu'ils aient soin
surer à ceux-ci le nécessaire. C'est un simple « que la charité, que vous avez promis de
conseil qu'il donne, parce que cette charité c( faire, soit toute prête, avant notre arri-
profite plus à ceux qui la font qu'à ceux qui c( vée; mais de telle sorte que ce soit un don
la reçoivent. Et cependant, ces derniers ont c( olîert par la charité, et non arraché à l'ava-
d'autres avantages de leur côté ainsi, un : « rice. Or, je vous avertis, 77ies frères, que
saint usage de ce don généreux de leurs frè- c< celui qui sème peu moissonnera peu et ;

res, l'attention à ne point servir Dieu en vue « que celui qui sème avec abondance mois-
de cette aumône, la précaution de ne l'accep- ce sonnera aussi avec abondance. Ainsi que
' Il Cor. VIII, IX, 1. « chacun donne ce qu'il aura résolu en lui-
DU TRAVAIL DES MOINES. 255

« même de donner^ non avec tristesse, ni rang de sainteté, auraient brisé tous les liens
« comme par force car Dieu aime celui qui ; des espérances du siècle, et consacré à la mi-
« donne avec joie '. Et Dieu est ïow^puissanl lice de Dieu leur âme désormais affranchie.
« pour vous combler de toute grâce afin ;
— Par contre, les hommes ainsi voués obéiront
« qu'ayant en tout temps et en toutes choses aussi aux leçons de saint Paul il leur impose :

« tout ce qui suffit pour votre subsistance^ la compassion pour les faibles le devoir de ;

« vous ayez abondamment de quoi exercer briser avec l'amour du bien personnel pour
« toutes sortes de bonnes œuvres, selon ce travailler de leurs mains au bien commun,
« qui est écrit Le juste distribue son bien;
: et l'obéissance sans murmure à leurs supé-
« il donne aux pauvres; sa justice demeure rieurs. Enfin, dans les offrandes des fidèles
« éternellement ^ Dieu qui donne la semence vertueux, ils ne verront qu'un supplément à
« à celui qui sème vous donnera le pain dont leur propre travail, aux labeurs qu'ils s'impo-
a vous avez besoin pour vivre, et multipliera seront pour gagner leur vie ; car il peut leur
« ce que vous aurez semé, et fera croître de rester des besoins encore, à raison des fai-
« plus en plus les fruits de votre justice afin ; blesses physiques de quelques-uns d'entr'eux,
« que vous soyez riches en tout, pour exercer ou bien à cause de leurs occupations ecclésias-
« avec un cœur simple toutes sortes de chari- tiques et de l'étude nécessaire des saintes doc-
« tés ce qui nous donne sujet de rendre à
; trines.
« Dieu de grandes actions de grâces. Car cette CHAPITRE XVII.
« oblation, dont nous sommes les ministres, ne
OBJECTION DES PARESSEUX : ILS VAQUENT A l'ORAI-
c(supplée pas seulement aux besoins des saints,
SON, A LA PSALMODIE, A LA LECTURE, A LA
« mais elle est riche et abondante par le grand

« nombre à' diCXiou?, àGgxkcQiqu' elle fait rendre


PAROLE DE DIEU. —
IL EST PERMIS DE CHANTER

« à Dieu ; parce que ces saints^ recevant ces


DES PSAUMES EN TRAVAILLANT. LA LECTURE —
NE SERT DE RIEN, SI ON NE LA MET EN PRA-
« preuves de votre libéralité, par notre minis-
TIQUE.
« tère, se portent à glorifier Dieu de la soumis-
« sion que vous témoignez à l'Evangile de 20. Je voudrais savoir ce que font, à quoi
<iJésus- Christ ; ç,i de la bonté avec laquelle s'occupent ceux qui se refusent aux travaux
« vous faites part de vos biens, soit à eux, soit corporels. — A prier, répondent-ils, à psalmo-
« à tous les autres : et de plus elle est riche et dier, à lire, à prêcher la parole de Dieu. —
a abondante par les prières qu'ils font pour Sainte vie assurément, vie louable et embellie
« vous, et parTamour qu'ils vous gardent à de la suavité de Jésus Mais s'il n'est pas per-
1

« cause des grâces éminentes que vous avez mis de quitter de telles occupations, on ne
« reçues de Dieu. Dieu soit loué de sonineffa- doit non plus manger, ni préparer chaque
ni
« ble don ^ ». jour les aliments,pour pouvoir ensuite les
Quelle pleine onction de sainte allégresse servir et s'en nourrir. Or, si les serviteurs de
parfume le cœur de l'Apôtre, lorsqu'il parle Dieu sont forcés, parles besoins impérieux de
de cet échange de secours par lesquels l'armée la faiblesse physique, d'employer à ces détails
du Christ et son peuple pourvoient à leurs mu- un temps déterminé, pourquoi ne pas assi-
tuels besoins, se renvoyant l'une à l'autre les gner aussi certaines fractions du temps à l'ob-
biens du corps et les biens de l'âme 1 Avec servation des préceptes de l'Apôtre ? Car, enfin,
quelle force éclate le cri de joies saintes, dans une seule prière de l'obéissance respectueuse
ces paroles : c Grâces soient rendues à Dieu se fait exaucer plus vile que dix mille oraisons
« pour ce don inénarrable ». du mépris désobéissant.
19. Ainsi, d'abord, l'Apôtre, disons mieux, D'ailleurs, tout en travaillant des mains,
l'Esprit-Saint qui possédait, remplissait et di- on peut chanter les divins cantiques et alléger
rigeait son cœur, n'a pas cessé d'adresser aux son travail même par un appel à Dieu. Ne sa-
chrétiens qui jouiraient de quelque aisance vons-nous pas à quelles vanités et le plus sou-
dans monde, une pressante exhortation.
le vent même à quelles obscénités empruntées
C'est de ne laisser jamais manquer de néces- aux fables de la scène, tous les ouvriers adon-
saire ceux d'entre les serviteurs de Dieu qui, nent et leurs cœurs et leurs voix, sans que
voulant occuper dans l'Eglise un plus haut leurs mains quittent l'ouvrage? Qui empêche
» Eccli. XXXV, 11. — » Psal. CXT, 9. — « II Cor. ix, 1-15. donc qu'un serviteur de Dieu, tout en travail-
.

256 DU TRAVAIL DES MOINES.

lant des mains, médite la loi du Seigneur et A Troade, par exemple, l'Apôtre se trouvait
chante le nom du Seigneur Tout-Puissant' ? pressé par l'approche
imminente du jour fixé
Sans doute il se réservera un temps spécial pour son départ. Aussi quand, le lendemain
pour apprendre les choses saintes que sa mé- du sabbat, les frères se réunirent pour rompre
moire doit rappeler. Et c'est pourquoi pré-
lui le pain, telle fut l'ardeur et l'importance des
cisément bonnes œuvres sont prescrites
les entretiens sacrés, qu'ils se prolongèrent jus-
aux fidèles, qui ont à suppléer aux nécessités qu'à minuit, comme si chacun avait oublié
matérielles du religieux. Ainsi le temps qu'il que ce n'était pas un jour de jeûne *. — Au
emploiera à perfectionner son âme, ces heures contraire , quand l'Apôtre habitait quelque
où les travaux du corps lui deviennent impos- temps une y enseignait chaque
localité et qu'il
sibles, ne lui apporteront pas une indigence jour ,
peut-on
douter qu'il n'eût certaines
accablante. heures spécialement consacrées à remplir ce
Comment, en vérité, ceux qui prétendent devoir ? Ainsi pendant son séjour dans
,

s'occuper de la lecture n'y trouvent-ils pas le Athènes, trouvant en cette ville les plus em-
précepte de l'Apôtre ? Quelle étrange perver- })ressés chercheurs de toutes choses, il suivit
sité, de ne vouloir pas suivre ce que prescrit la ligne de conduite que nous indique l'Ecri-
cette lecturemême, tout en voulant y vaquer; ture :« Avec les Juifs, il discutait dans la sy-

etde ne pas vouloir pratiquer ce qu'on lit, « nagogue avec les Gentils, habitants de la
;

sous le prétexte de lire plus longlemi)S ce qui « cité, il parlait en place publique et pendant

est bon ? que nous profitons d'au-


Qui ne sait « tout le jour, s'adressant à tous ceux qui s'y
tant plus vite d'une bonne lecture, que plus a trouvaient ^». En effet, la synagogue ne l'ap-
vite nous mettons cette lecture en action? pelait pas tous les jours, puisque la coutume
n'y imposait de prédication que le sabbat;
CHAPITRE XYIII. tandis qu' « en place publique, dit le texte
« sacré, il prêchait tous les jours», sans doute
AUTRE OBJECTION RÉFUTÉE LA NÉCESSITÉ DE :

DISPENSER LA PAROLE DE DIEU. PAUL AVAIT DIS- à cause des habitudes des Athéniens. Car ,

continue le texte sacré, quelques-uns des phi-


TRIBUÉ SON TEMPS ENTRE LA PRÉDICATION ET LE
TRAVAIL. — LA 3IEILLEURE ADMINISTRATION EST losophes Epicuriens et Stoïciens conféraient

CELLE OU TOUT SE FAIT AVEC ORDRE.


avec lui. Et un peu
Or les Athé-
plus bas : «

« niens et tous les étrangers qui demeuraient

21. Supposons toutefois qu'il faille charger « dans leur ville, ne passaient tout leur temps

tel moine en particulier du ministère de la « qu'à dire ou à entendre quelque chose de

parole, et qu'il y soit assez occupé i)Our n'a- « nouveau »

voir plus le temps de travailler s'ensuil-il : Supposons que l'Apôtre n'a pu travailler des
que tous les autres habitants du monastère mains durant tout le séjour qu'il fit à Athènes ;

puissent, comme lui, quand viennent leurs c'est pour cela que les frères de Macédoine

frères de condition séculière, leur expliquer suppléaient alors à ses besoins, comme il le

ou élucider une question quel-


les textes sacrés dit dans la seconde épître aux Corinthiens ;

conque ? Quand bien même tous les moines quoique après tout il ait pu travailler encore
auraient ce talent, chacun devrait n'en user à d'autres heures et pendant les nuits, parce
qu'à tour de rôle, non-seulement pour laisser que sa force de corps et d'âme pouvait y suf-

aux autres la facilité de s'occuper des travaux fire.

nécessaires, mais aussi parce qu'il suffit qu'un Mais une fois sorti d'Athènes, que dit de lui
seul parle, même quand plusieurs écoutent. l'Ecriture? « Il prêchait dans la synagogue
L'Apôtre lui-même aurait-il eu le temps de « tous les jours de sabbat ^ ». Ceci se passait à

travailler de ses mains, s'il n'avait fixé des Corinthe. Toutefois, lorsqu'à Troade la néces-
heures spéciales pour dispenser aux peuples sitéd'un prochain départ le força de prolon-
la parole divine? Dieu lui-môme n'a pas voulu ger l'entretien jusqu'à minuit, c'était le len-
nous laisser ignorer cette règle de saint Paul ;
demain du sabbat, que nous appelons le di-
nous savons par l'Ecriture sainte quel métier manche \ Cette circonstance nous apprend
il exerçait, et quel temps aussi il employait à qu'il se trouvait alors non plus avec les Juifs,

la prédication de l'Evangile. mais avec les chrétiens, d'autant plus que


• Psal, I, 2 et XII, 6.
'
Act. XX, 7.— Mb, X vu, 17.— » Ib 18, 21,4.—* Ib. XX, 7.
. .

DU TRAVAIL DES MOLNES. 257

l'historien lui-même nous dit qu'ils


sacré mieux, qu'avec cette force on est plus heureux
étaient réunis pour la fraction du pain. qu'eux-mêmes.
Voilà, en effet, la plus sage manière de se En effet, alléguer contre la loi de vérita-
gouverner c'est de distribuer ainsi toutes
;
bles infirmités corporelles ou même en pré-
choses en leur temps, et de faire chacune à texter d'imaginaires, ce n'est pas s'abuser ou
son tour on évite par là une confusion, un
; abuser les autres jusqu'au point de faire

tumulte d'affaires qui jette l'esprit humain croire que la perfection dans les religieux

dans un trouble inextricable. sera d'autant plus grande ,


que la paresse
régnera chez eux davantage , après qu'on
CHAPITRE XIX. aura trompé leur simplicité. Oui, traitons
LE TRAVAIL DE SAINT PAUL ÉTAIT VRAIMENT UN
humainement celui qui éprouve une véritable
TRAVAIL MANUEL. faiblesse de corps abandonnons à la justice
;

de Dieu celui qui la met en avant, sans pou-


22. Le même passage nous apprend encore voir être convaincu de mensonge; mais disons
quel métier exerçait l'Apôtre. « Après cela, que du moins ni l'un ni l'autre n'accrédite
« est-il dit, Paul étant parti d'Athènes, vint à une règle pernicieuse. En effet, dans le pre-
« Corinthe. Et ayant trouvé un juif nommé mier cas, le loyal serviteur de Dieu se met au
« Aquilas, originaire du Pont, qui était non- service de son frère véritablement infirme ;

ce vellement venu d'Italie avec Priscille, sa dans le second cas, i)lacé en face du menteur,
« femme, parce que l'empereur Claude avait ou bien il le croit, parce qu'il ne le regarde
« ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome, pas comme un pervers, mais il n'imite point
« il se joignit à eux. Et parce que leur métier pourtant sa perversité ou bien il ne le croit
;

« était de faire des tentes, et que c'était aussi pas et le juge un trompeur, et alors il ne
« le sien, il demeurait chez eux et y travail- l'imite pas davantage. Vienne, au contraire,
« lait '
» un frère qui dise « Voici la vraie perfection
:
;

Car nos contradicteurs essaient d'entendre


si « c'est de ne faire aucun ouvrage corporel, à

ce texte dans un sens allégorique, ils font voir « l'imitation des oiseaux du ciel, et quiconque
où en sont leurs progrès dans les lettres « travaille de ses mains agit contre l'Evan-
ecclésiastiques, qu'ils se vantent pourtant d'é- « gile ». Tout individu faible d'esprit qui
tudier. telles maximes, est bien
écoute et qui croit de
Au reste, qu'ils se rappellent les textes déjà non pas comme fainéant dès lors,
à plaindre,
cités. « Seuls, Barnabe et moi, n'aurions-nous mais comme indignement trompé.
« pas pouvoir de ne pas travailler ^ ? » Mais,
le
ajoute-t-il, « nous n'avons pas usé de ce pou- CHAPITRE XX.
ce voir ^ ». Ainsi encore : « Nous pouvions
« vous être à charge comme les Apôtres de DIFFICULTÉ : LES AUTRES APOTRES QUI ONT VÉCU
«Jésus-Christ'^ », mais au contraire, dit-il, DE sans travailler ont - ils
l'Évangile
c( nous avons travaillé jour et nuit pour n'être PÉCHÉ ? RÉPONSE— LE PRÉCEPTE DU:

à charge à aucun de vous * » Ainsi, enfin . — : travail REGARDE CEUX QUI n'ÉVANGÉLISENT
c< Le Seigneur a réglé que ceux qui annon- PAS.
« cent l'Evangile , vivraient de l'Evangile ;

« mais moi ,
je n'ai usé d'aucun de ces 23. Une difficulté s'élève ici . Quoi donc dira-!

« droits ® » t-on peut-être, en ne travaillant pas, les autres


Ces textes et les autres semblables, nos ad- apôtres, les frères du Seigneur et Céphas ont-
versaires n'ont qu'à les expliquer encore à ilspéché, ou bien ont-ils créé des obstacles
contre-sens ; ou bien, s'ils sont vaincus par à l'Evangile? Car saint Paul déclare, lui,
l'éclat tout-puissant de la lumière et de la vé- n'avoir point usé de son droit pour ne pas
rité, ils n'ont plus qu'à les comprendre et à entraver la propagation de la foi. Dites-vous
obéir; ou, enfin, ou la volonté leur si la force qu'ils ont péché en ne travaillant pas? Vous —
manque pour s'y soumettre, ils ont à recon- niez alors qu'ils aient pouvoir de
reçu le
naître du moins qu'avec cette volonté on vaut vivre de l'Evangile et sans le travail des mains.
Dites-vous qu'ils avaient reçu le droit de
• Aet. xvra, 1^1. _ « I Cor. ix, 6. —
» Ibid. 12. — ' I Thess. n,
7. — ' I Tbess.
m, 8. — ' I Cor. ix, 14, 15. ne pas travailler ? Maintenez-vous la règle
S. AuG. — Tome XIL i7
258 DU TRAVAIL DES MOINES.
du Seigneur, que «les prédicateurs de rEvan- mollement que personne, ne peuvent d'ordi-
« gile peuvent vivre de l'Evangile», et même, naire endurer la fatigue des travaux corporels.
en général, « que l'ouvrier mérite son sa- Peut-être cette classe d'hommes était nom-
« laire », tout en remarquant que saint Paul
'
breuse dans Jérusalem et c'est d'eux qu'il est
;

n'a pas voulu profiter de ce droit et qu'il a fait écrit qu'ils vendaient leurs propriétés et en
pour l'Eglise plus que son devoir ? C'est dire — apportaient aux pieds des Apôtres, pour •
le prix
que les Apôtres n'ont pas péché. Mais s'ils n'ont les distribuer entre les fidèles selon les be-
pas péché, c'est qu'ils n'ont point suscité d'ob- soins de chacun *. Ces Juifs vinrent de près,
stacles à l'œuvre de Dieu; car entraver les et ils rendirent de grands services aux Gen-
progrès de l'Evangile, c'est bien certainement tils que Dieu appelait de loin et arrachait

un péché. Concluons, ajoutent nos adver- au culte des idoles; leur charité contribuait à
saires que , les choses étant ainsi
, nous , accomplir cette parole de l'Ecriture « La loi : _
pouvons en toute liberté, nous aussi, user ou « sortira de Sion et la parole du Seigneur
; m
ne point user de ce pouvoir. « viendra de Jérusalem ^ ». En retour de ce
24. Pour résoudre brièvement cette diffi- service éminent, les chrétiens convertis de la
culté, je n'aurais qu'un mot à dire, et je le gentilité, devinrent, selon l'Apôtre, débiteurs
dirais en toute raison Croyez absolument à :
de ces Israélites. « Oui, dit-il, ils sont leurs
saint Paul. — 11 savait, lui, pourquoi chez les « débiteurs », et il déclare à quel titre : « Car
(iglises de la gentilité, il fallait porter l'Evan- « si, continue-t-il, les Gentils ont eu part à
gile sans ombre de vénalité. Aussi, sans blâ- « leurs biens spirituels, ainsi doivent-ils les
mer les apôtres ses collègues, il prouvait le « aider de leurs biens charnels ' ».

caractère spécial de son ministère. En effet,


les Apôtres, assistés certainement par le Saint-
CHAPITRE XXII.
Esprit, s'étaient partagé pour le monde entier CONTRE LES MOINES OISIFS ET BAVARDS, DONT
les fonctions évangéliques Paul avec Barnabe
; l'exemple ET LA PAROLE DÉTOURNENT LES AU-
(levaient s'adresser plutôt aux Gentils
% et leurs TRES DU TRAVAIL.
collègues plutôt aux circoncis ^ Mais que l'A-
pôtre ait commandé le travail à tous ceux qui De nos jours, au contraire, le plus souvent,
n'avaient pas reçu le droit que vous savez, on voit se consacrer à Dieu des gens de con-
voilà un
fait évident, et tout ce que nous avons dition servile, parfois aussi des affranchis ou
dit leprouve surabondamment. Or, nos pau- des esclaves à qui leurs maîtres ont donné ou i

vres frères s'arrogent bien témérairement, ce sont prêts à donner la liberté tout exprès dans
j

me semble, ce droit exceptionnel. Ils l'ont, je ce but ; des individus enlevés à la vie des
lavoue, s'ils annoncent l'Evangile; et, comme champs ou à des métiers d'artisan et à des tra-
ministres de l'autel et dispensateurs des sacre- vaux plébéiens; des hommes enfin dont l'édu-
ments, ils ne se l'arrogent pas, ils le réclament cation première est d'autant plus heureuse
à juste titre. qu'elle a été plus ferme et plus rude. Si le
couvent les refuse, c'est une faute grave car ;

de leurs rangs déjà l'on a vu sortir des per-


CHAPITRE XXÏ.
sonnages vraiment grands et exemplaires. Car
CEUX QUI VEULENT ÊTRE OISIFS SONT, POUR LA « Dieu a choisi ce qu'il y a de plus faible, pour

PLUPART, DES CONVERTIS QUI MENAIENT AUPA- «confondre ce qu'il y a de plus fort; il a
« choisi ce qu'il y a d'insensé dans le monde,
RAVANT UNE VIE PAUVRE ET LABORIEUSE.
« pour confondre les sages ce qu'il y a dans ;

25. Si, du moins, ils étaient de ceux qui, « le monde de plus méprisé, ce qui paraît
dans le siècle, possédaient assez de fortune « même pour anéan-
n'être rien absolument,

pour vivre en ce monde sans travail manuel, « tir ce qui est, afin qu'aucun homme ne se

mais qui, s'étant convertis à Dieu, l'ont dis- « glorifie devant lui * ». Telle est donc aussi la

tribuée aux pauvres, il faudrait croire à leur sainte et pieuse pensée qui fait admettre des
infirmité, et la supporter. De tels hommes, en hommes mêmes qui n'apportent encore au-
ne dirai pas, avec le vulgaire,
effet, élevés, je cune preuve certaine que leur vie soit décidé-

plus soigneusement, mais, à dire vrai, plus »


Act. II, 45 et IV, 34. — • Isaï. Il, 3. — ' Rom. XV, 27. — » I Cor.
' Matt. X, 10. — ' Act. xiil, 2. — » Galat. ii, 9. I, 27-29.
DU TRAVAIL DES MOINES. 259

ment changée et amendée. Car, sont-ils venus l'Evangile. —


Et cependant, ménager la
par suite d'une résolution ferme de servir bonne réputation des serviteurs de Dieu, c'est
Dieu? Ou, au contraire, échappés vides et exercer la miséricorde envers les âmes fai-
pauvres à une vie indigente et laborieuse, ne bles, mieux encore qu'on n'exerce la charité

cherchent-ils qu'à être nourris, vêtus, et en envers les corps souffrants, lorsqu'on partage
outre même honorés par ceux qui avaient ha- son pain avec les indigents. Aussi, plût au ciel
bitude jusqu'alors de les mépriser et de les ac- que ces gens si portés à ménager leurs mains,
cabler? On ne saurait prononcer. ménageassent aussi tout à fait leurs langues !

Pour eux, du moins, dans la question du Car s'ils donnaient l'exemple du silence autant
travail, ilsne peuvent s'excuser par la raison que celui de la paresse, ils entraîneraient
de faiblesse physique; les habitudes de leur moins de victimes dans leurs errements.
vie antérieure les condamneraient. Aussi
cherchent-ils à se couvrir à l'ombre d'une
CHAPITRE XXIII.

discipline perverse, et par une interprétation LES PARESSEDX ENTENDENT MAL l'ÉVANGILE. —
misérable d'un texte évangélique, ils vou- l'auteur les plaisante.— MOINES QUI S'EN-
draient renverser les maximes apostoliques. FERMENT, POUR n'ÊTRE VUS DE PERSONNE DU-
Véritables oiseaux du ciel, en vérité, mais par RANT PLUSIEURS JOURS. — LE PRÉCEPTE ÉVAN-
l'orgueil qui leur fait essayer un vol témé- GÉLIQUE DE NE PAS SONGER AU LENDEMAIN EST
raire; herbe des champs, oui, mais par leur EN ACCORD AVEC LE TEXTE DE L' APÔTRE.
terre à terre déplorable et charnel 1

26. Il leur arrive, en effet, ce que le même 27. Voici maintenant qu'à rencontre d'un
saint Paul reprochait aux jeunes veuves ou- Apôtre de Jésus-Christ, les adversaires nous
blieuses des saintes règles : « Mais, de plus, citent TEvangile de Jésus-Christ. Admirable
« elles s'apprennent à être oisives,
et non-seu- travail de paresseux, qui voudraient empêcher
« lement mais curieuses et bavardes,
oisives, au nom de l'Evangile, une conduite que saint
« et causant de choses dont elles ne devraient Paul nous prescrit et qu'il a tenue lui-même
« pas s'entretenir * ». Ainsi parlait-il de fem- pour ne pas créer d'empêchements à l'Evan-
mes coupables ainsi parlons-nous avec dou-
; gile Et cependant si nous voulions les forcer
1

leur et gémissement de ces hommes coupa- de vivre selon la lettre de l'Evangile inter-
bles aussi, qui bavards autant qu'oisifs, se prétée même encore d'après leur manière, ils
permettent le langage le plus inconvenant seraient les premiers à s'efforcer de nous con-
contre l'Apôtre même, dans les Epîtres duquel vaincre qu'il ne faut point entendre ces textes
nous lisons ce passage. Sans doute, il en est au sens qu'eux-mêmes leur donnent. La rai-
dans leurs rangs qui ont embrassé la sainte son, en effet, la seule raison qui leur fasse
milice avec l'unique et ferme volonté de plaire dire qu'ils ne doivent point travailler, c'est
à Celui au service duquel ils se sont enrôlés-. que les oiseaux du ciel ne sèment point, ne
Un tempérament fort et une santé parfaite moissonnent point, et que le Seigneur nous a
leur permettraient certainement, non-seule- proposé leur exemple pour ne pas penser à
ment d'étudier et de s'instruire, mais encore ces sortes de besoins. Pourquoi donc ne pas
de travailler des mains comme le veut saint étudier dans le même sens la suite du texte ?
Paul. 3Iais ils accueillent les discours de ces Il n'est pas seulement dit que les oiseaux ne

hommes oisifs et corrompus, sans pouvoir, sèment ni ne moissonnent; le livre saint ajoute
novices inhabiles, en apprécier la fausseté et ; encore « qu'ils n'amassent point dans des
:

lacontagion pestilentielle les pervertit et leur « apothèques ». Or, cette expression peut se
'

communique la même corruption. Dès lors, traduire par greniers, ou même littéralement,
non contents de ne point imiter l'obéissance par dépôts de réserve. Pourquoi donc nos
des saints qui travaillent en silence et des mo- gens veulent-ils avoir mains oisives et pleins
nastères qui vivent, selon la règle apostolique, greniers? Pourquoi amasser et conserver ce
sous une discipline très-salutaire, ils insulte- qu'ils reçoivent du travail d'autrui, afin d'y
ront aux plus parfaits ; ils vanteront la paresse puiser chaque jour? Pourquoi faire moudre
comme observance évangélique, ils accuseront le grain et cuire les aliments ? Les oiseaux du
la miséricorde comme prévarication contre ciel ne font rien de semblable. — D'ailleurs,
Tim. V, 13. —
• I Tim. " II Ii, 4. » Matt. VI, 26.
260 DU TRAVAIL DES MOINES.
s'il se trouve des obligeants qui se laissent la chasse, comme à des étourneaux ! En cas
persuader de faire faire pour nos moines tous pareil, celui-là imiterait l'oiseau autant que
ces ouvrages, jusqu'à leur apporter jour par possible, qui pourrait ne jamais se laisser
jour les aliments tout préparés, du moins est- prendre par le chasseur.
ce par eux-mêmes qu'ils vont chercher l'eau à Eh bien que tous octroient aux serviteurs
!

la fontaine,ou la prendre aux puits et citernes de Dieu, sortie parfaitement libre et à leur gré
pour leur usage immédiat autant de choses : sur tous les champs, avec droit d'en revenir
que ne font point les oiseaux. en toute sûreté après réfection convenable.
Après tout même, si l'on veut, admettons Ainsi une loi avait- elle prescrit au peuple
que de bons fidèles, des sujets tout dévoués au d'Israël que personne n'arrêterait dans son
Roi immortel des siècles, s'empressent de se champ aucun individu comme voleur , sauf
mettre au service des plus vaillants soldats de celui qui voudrait emporter avec lui quelque
Dieu, jusqu'à leur épargner la peine même de objet '
;
qu'on laissât aller par conséquent libre
remplir une urne d'eau. Ainsi ferait-on peut- et impuni l'homme qui n'aurait touché que ce
nos moines, par un degré inouï de per-
être, si qu'il aurait mangé. D'après ce principe, quand
premiers chrétiens
fection, avaient surpassé les les disciples du Seigneur prirent quelques
de Jérusalem. En effet, quand ceux-ci furent épis, les Juifs les accusèrent de violer le sabbat
menacés d'une famine déjà prédite par les et non d'être voleurs^. Mais comment faire
prophètes de leur Eglise S les bons fidèles de aux époques de l'année oîi l'on ne trouve pas
la Grèce leur envoyèrent du grain, dont je dans les champs la nourriture toute prête à
suppose qu'à Jérusalem on fit ou fit faire du manger? Essayez donc d'emporter chez vous
pain encore un soin que ne prennent pas les
: des aliments que vous devez faire cuire et ap-
oiseaux. prêter; on vous dira, en vous appliquant dans
Enfin, admettons ce que j'ai commencé à votre sens même un texte de l'Evangile : Lais-
déclarer déjà; admettons que nos gens ont sez ; les oiseaux du ciel ne font point comme
surpassé d'un degré quelconque de perfection vous !

les chrétiens héroïques de Jérusalem. Si, pour encore une concession. L'on
29. Faisons
tout ce qui a trait aux besoins les plus élé- pourra, durant toute l'année, trouver dans les
mentaires de la vie, ils font comme les oi- champs, soit sur les arbres, soit dans les her-
seaux, ils ont à démontrer encore que les bages, soit parmi les racines, des aliments
hommes servent les oiseaux comme eux-mê- susceptibles d'être mangés sans cuisson préa-
mes voudraient être servis. Or, l'on ne traite lable. On se donnera d'ailleurs assez d'exer-
ainsi que les oiseaux captifs et renfermés aux- cice et de mouvement, pour que les mets qui
quels on ne se fie pas et dont on craint qu'ils d'ordinaire veulent être cuits, se mangent
ne s'envolent pour ne plus revenir. Encore crus sans inconvénient. Il sera possible aussi
ceux-ci préfèrent-ils jouir de leur liberté et de sortir pour trouver sa pâture, même pen-
prendre leur nécessaire dans les champs, plu- dant les plus grandes rigueurs de l'hiver.
tôtque de le recevoir tout servi et préparé de Ainsi n'aura-t-on besoin ni d'enlever un ali-
la main des hommes. ment pour aller le préparer, ni de rien réser-
28. Poursuivons. —
Nos gens se verront ver pour le lendemain.
surpassés par un nouveau et plus sublime degré Voilà encore unrégimedevie impraticable à
de perfection. D'autres, en effet, se feront une des hommes qui s'isolent de la société pendant
règle de sortir tous les jours dans nos campa- de longs jours, sans permettre d'ailleurs qu'on
gnes, comme le bétail au pâturage, afin d'y entre chez eux, et qui s'enferment ainsi pour
ramasser ce qu'ils trouveront pendant un vivre dans une plus grande ferveur d'oraison.
temps convenable, et de ne rentrer que ras- Ils ont l'habitude, en effet, d'enfermer avec
sasiés et repus. Qu'il serait bien aussi toute- eux des provisions vulgaires et de peu de prix,
fois, qu'à cause des gardes, le Seigneur dai- mais suffisantes toutefois pour tout le temps
gnât accorder des ailes à ces serviteurs de Dieu, où ils ont résolu de se cacher à tout regard
puisqu'on les trouvant ainsi dans les pro- humain. Encore une chose que ne font point
priétés particulières, on pourrait bien non pas les oiseaux.
les arrêter comme voleurs, mais leur donner Lorsqu'ils s'abandonnent, au reste , à ces
* Act. XI, 28-30. « Deut. XXIII, 24, 25. — ' Malt, xii, 1, 2.j
,

DU TRAVAIL DES MOINES. 261

pieux exercices d'un admirable recueillement, l'Evangile, de ne rien mettre en réserve pour
ayant d'ailleurs tous les loisirs de s'y livrer, et le lendemain, ils ont contre vous d'excellentes
qu'ils nous appellent, non par une orgueil- réponses.
leuse enflure mais par une sainteté charitable, Pourquoi donc le Seigneur même eut-il
à suivre leurs exemples, je suis si loin de les une bourse, pour y serrer l'argent qu'il rece-
• blâmer, que j'avoue ne pouvoir les louer vait '
? Pourquoi si longtempsavant la famine
comme ils le méritent. Mais que dirons-nous prédite envoya-t-on du grain à nos pères dans
de ces hommes, cependant, si d'après leur la foi ^ ? Pourquoi les Apôtres procurèrent-ils
sens même nous invoquons l'Evangile ?
, à l'indigence des saints le nécessaire en telle
Oserons-nous leur déclarer que plus ils sont abondance qu'il ne leur manqua rien de long-
saints, moins ils ressemblent aux oiseaux ? temps, de sorte que notre bienheureux Paul
Car, à moins de mettre en réserve la nour- put écrire dans sa lettre aux Corinthiens :

riture de plusieurs jours, ils ne pourront « Quant aux aumônes qu'on recueille pour les

comme ils le font, s'astreindre à la clôture. Et « saints, faites la même chose que j'aiordonnée

il leur faut, comme nous, entendre cette pa- « aux églises de Galatie. Que chacun de vous

role évangélique : « Ne pensez pas au len- « mette à part chez soi, le premier jour de la
« demain ^
». 8 semaine, ce qu'il voudra, l'amassant peu à

30. Disons, pour nous résumer en quelques « peu selon sa bonne volonté, afin qu'on n'at-

mots : « tende pas mon arrivée pour recueillir les

Ceux qui s'essaient à renverser les maximes « aumônes. Etlorsqueje serai arrivé, j'enver-
si évidentes de l'Apôtre en leur opposant un a rai avec des lettres de recommandation ceux

texte mal compris de l'Evangile, devraient


si « que vous aurez jugés propres pour porter

aussi ou ne point penser au lendemain, à l'i- « vos charités à Jérusalem. Si la chose mérite
mitation des oiseaux du ciel, ou se soumettre « que j'y moi-même, ils viendront avec
aille
à saint Paul, comme des fils bien-aimés; je dis « moi ^ » nous allèguent ces faits et plu-
. Ils

mieux, ils devraient faire l'un et l'autre, parce sieurs autres encore, avec autant d'abondance
que deux recommandations concordent.
les que de vérité.
Non, Paul, serviteur de Jésus-Christ ^, ne pour- Nous répondons à notre tour Vous voyez :

rait donner un conseil contraire à celui de donc que, malgré la parole du Seigneur « Ne :

son Maître. « pensez pas au lendemain » , vous n'êtes


Voici donc ce que nous leur dirons haute- point forcés par ce texte à ne rien épargner
ment : votre manière d'entendre
Si, d'après pour le lendemain pourquoi prétendez-vous :

les oiseaux du ciel dans l'Evangile, vous ne alors que ce texte vous oblige à ne rien faire ?
voulez pas vous procurer par le travail de vos Pourquoi n'acceptez-vous pas l'exemple îles
mains la nourriture et le vêtement, gardez- oiseauxpour ne rien mettre en réserve, tandis
vous aussi de rien mettre en réserve pour le que vous voulez, à leur exemple, vous dispen-
lendemain, car les oiseaux ne font point de ser de tout travail ?
réserves pareilles. Si, au contraire, on peut —
se permettre des provisions pour le lendemain CHAPITRE XXV.
sans aller contre le texte de l'Evangile où il
A QUOI SERT-IL d'aVOIR ABANDONNÉ SES OCCU-
est dit : « Considérez les oiseaux du ciel; ils
PATIONS ANTÉRIEURES, S'iL FAUT REVENIR AU
« ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent TRAVAIL ? —
LA CHARITÉ DANS LA VIE COM-
« point dans les greniers ^ » on peut aussi ,
MUNE. —
IL CONVIENT QUE CEUX MÊMES QUI
n'aller ni contre l'Evangile ni contre l'exemple
SORTENTD'uNE CONDITION SUPÉRIEURE, TRAVAIL-
des oiseaux, en gagnant cette vie charnelle LENT APRÈS LEUR CONVERSION A PLUS FORTE ;

par le travail du corps. RAISON CEUX QUI ONT QUITTÉ UN GENRE DE VIE
PLUS HUMBLE. .
CHAPITRE XXIV.
FAIRE DES RÉSERVES POUR LE LENDEMAIN N'EST 32. On dira Que sert donc à un soldat de
:

PAS CHOSE DÉFENDUE PAR l'ÉVANGILE. Dieu d'avoir abandonné les affaires qui l'oc-
cupaient dans le siècle pour se tourner tout
31. En effet, si vous les pressez, d'après entier vers la sainte milice et la vie spirituelle,
' Malt. VI, 34. — ^
Ibid. — '
Rom. i, 1. ' Joan. xu, 6. — ' Act. xi, 28-30. — '
I Cor. xvi, 1-1.
.

262 DU TRAVAIL DES MOINES.

s'il lui faut encore, comme un ouvrier, s'oc- eux, Scipion ce triomphateur de l'Afrique
,

cuper à des travaux vulgaires ? domptée, lequel n'aurait pu rien donner en


Mais est-il donc facile aussi d'expliquer en mariage à sa fille, si un décret du sénat ne
théorie à quoi sert l'oracle rendu par le Sei- l'avait dotée aux frais du trésor public K
gneur à un riche qui lui demandait le moyen Quel cœur et quel dévouement ne doit donc
d'acquérir la vie éternelle ? Jésus-Christ lui pas avoir pour sa chère république, le citoyen
dit ce qu'il faut faire pour être parfait : Vendre de la cité éternelle, de la Jérusalem céleste ?
ce qu'il avait, distribuer tout pour le soulage- N'est-ce pas le moins pour lui, que de laisser en
nent des pauvres, et puis le suivre '. Eh bien ! commun tout le fruit du travail de ses mains
quel homme à suivi Notre-Seigneur d'un pas pour son frère bien-aimé, et, si celui-ci man-
plus vif et plus libre, que celui qui a dit : « Je que de quelque chose, d'y suppléer par ces
« n'ai pas couru en vain; je n'ai pas non plus en fonds de communauté, heureux de dire avec
a vain travaillé '-? »
Or il a prescrit ces travaux celui dont il a suivi le précepte et l'exemple :

et il a mis lui-même son précepteen pratique. « Nous semblons ne rien avoir et nous possé-

Instruitsetformés par cette imposante autorité, « dons tout * ? »

nous y trouvons assez de motifs pour suivre 33. Redisons-le donc, d'abord, à ces hommes
l'exemple de l'abandon de nos biens matériels qui ont abandonné ou distribué aux pauvres un
et de l'acceptation du travail corporel. ample patrimoine ou une certaine quantité de
Toutefois, aidés par le Seigneur lui-même ,
biens, et que leur humilité pieuse et salutaire
peut-être il nous est donné de savoir quelque détermine à demander place parmi les pauvres
peu ce que gagnent les serviteurs de Dieu à de Jésus-Christ. Ils ont donné ainsi une grande
délaisser les affaires du siècle, même à la con- preuve décourage; ils ont de plus contribué
dition de travailler ensuite de leurs mains. largement, ou dans une certaine mesure du
Voilà un homme qui, de riche qu'il était, se moins, à pourvoir de leurs biens aux besoins de
convertit à cette vie austère, sans avoiraucune la communauté ; et par suite, les fonds de
infirmité qui le condamne au repos. Avons- celle-ci et la charité fraternelle leur devraient

nous assez perdu la saveur sainte de Jésus- en retour la subsistance gratuite. Toutefois,
Christ pour ne pas comprendre quelle plaie s'ils sont assez forts et qu'on ne les emploie
de vieil orgueil il vient ainsi guérir quand ,
pas aux travaux spirituels de l'Eglise, qu'ils
après s'être retranché les superfluités qui en- s'occupent, eux aussi, de travaux manuels
tretenaient dans son cœur des ardeurs mortel- pour ôler toute excuse à certains paresseux ,

les, pousse l'humilité jusqu'à accepter la


il venus d'un milieu plus humble , et parlant
tâche d'un ouvrier pour gagner le modique plus endurcis à la peine. une
Ils feront ainsi
salaire de la vie naturelle ? œuvre de miséricorde plus que belle encore
Supposons au contraire , la conversion
,
lorsqu'ils ont distribué tous leurs biens aux
d'un indigent à la vie monastique. Quelles indigents. — Au
reste, s'ils s'y refusent, qui

devront être ses vues Lui aussi cessera d'a- ? oserait lesy forcer ? Néanmoins , il faudra
gir comme il agissait; il renoncera à tout désir trouver pour eux dans le monastère certains
d'augmenter le peu qu'il avait; il ne cherchera travaux qui les affranchissent davantage de la
plus ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ* ; fatigue du corps, mais qui réclament le soin
il embrassera la charité qui caractérise la vie d'administrateurs vigilants, afin qu'eux-mêmes
commune , décidé à vivre dans la société ne mangent pas non plus gratuitement leur
d'hommes qui n'ont en Dieu qu'un cœur et pain, puisque ce pain désormais appartient à
qu'une àme, dans un état où « personne ne la communauté. Et l'on ne devra pas faire at-

« considère ce qu'il possède comme lui appar- tention à quels monastères ou dans quel en-
tenant en propre, mais où tout est commun droit chacun aura fait à ses frères indigents
« à tous * » l'abandon de ce qu'il possédait. Car la républi-
Les anciens chefs de la république terrestre que chrétienne une et pour cette raison,
est ;

sont ordinairement loués en termes magnifi- tout chrétien qui donne ses biens pour subve-
ques par leurs pour avoir préféré
littérateurs, nir aux uécessités du prochain en quelque lieu
à leurs intérêts prives l'intérêtcommun de que ce soit, doit recevoir du trésor de Jésus-
tout un peuple de concitoyens. Tel fut, parmi Christ en n'importe quel lieu, et y retrouver
* Matth. XIX, 21. — ' Philip, i, 16. — ' Philip, ii, 21. — •
Act. iv, 32. ' Scipion, dans Valerius, liv. iv, c. 4. — * II Cor. ii, 10.
DU TRAVAIL DES MOINES. 263

son nécessaire. Car partout où lui-même a sure du besoin et par des moyens honnêtes ;
donné à ses frères qui donc a reçu sinon , , mais il ne permet pas qu'on en fasse son but,
Jésus-Christ ? qu'on travaille pour cet objet, surtout dans les
Un mot maintenant ceux qui, en dehors à œuvresqu'impose la prédication de l'Evangile.
de gagnaient leur vie par
la sainte association, 11 s'agit donc de l'intention et, ce mobile ;

le travail. Ils forment le grand nombre de ceux de nos œuvres, Jésus-Christ l'appelle notre
qui entrent dans les monastères, par la rai- œil. Aussi, pour arriver à la conséquence qui
son qu'ils forment aussi le grand nombre dans nous occupe, il avait commencé par poser ce
le genre humain. S'ils ne veulent pas travail- principe « Votre œil est la lampe de votre
:

ler, qu'ils ne mangent point. Si les riches « corps ; si votre œil est simple, tout votre
viennent dans la milice chrétienne chercher « corps sera lumineux ; mais si votre œil est
l'humiliation par piété, ce n'est pas pour que « mauvais, tout votre corps sera ténébreux ».
les pauvres trouvent l'élévation par l'orgueil. Autrement telle est l'intention qui détermine
:

Il serait souverainement indécent qu'un genre votre acte, tel est lui-même. aussi votre acte
de vie qui fait avec des sénateurs des hommes — Pour en venir à cette maxime, Seigneur le
de travail, fît avec des ouvriers des hommes avait fait précédemment en ces termes le pré-
de loisir, et qu'un lieu où se rendent des pro- cepte de l'aumône « Gardez-vous d'enfouir :

priétaires de grands domaines après avoir re- « vos trésors dans la terre, où la rouille et les

noncé à leursdélices, fût habité par des paysans « vers les dévorent, où les voleurs les déterrent
vivant dans la mollesse. « et les dérobent. Amassez-vous plutôt des tré-

«sors dans le ciel, où ni la rouille ni les vers


CHAPITRE XXVI. « ne les mangent, où les voleurs ne les déter-

COMMENT FAUT ENTENDRE LA MAXIME « rent ni ne les dérobent. Car où est votre tré-
IL : NE PAS
« sor, là aussi est votre cœur». Et c'est immé-
s'inquiéter de la nourriture du VÊTE-
ni
MENT. — EN QUEL SENS FAUT-IL PRENDRE
diatement qu'il ajoute « Votre œil est le :

« flambeau de votre corps », sans doute afin


l'exemple DES OISEAUX DU CIEL ET DES LIS
DES CHAMPS. que ceux qui font l'aumône ne la fassent pas
dans l'intention de plaire aux hommes, ou de
34. On réplique : Le Seigneur a pourtant retrouver sur la terre le bien qu'ils ont fait.

dit : « Ne soyez point inquiets, pour votre vie, De là encore, l'Apôtre, en commandant à Ti-
« de ce que vous mangerez ni, pour votre ; motliée de donner des avis aux riches, lui dit :

« corps, comment vous le vêtirez ^ ». « Qu'ils donnent facilement, qu'ils fassent part

Sans doute et c'est parce qu'il avait dit d'a-


; « de leurs biens, qu'ils se préparent un trésor
bord « Vous ne pouvez servir Dieu et l'ar-
: « qui soit un fondement solide pour l'avenir
« gent », —
En effet, celui qui prêche l'Evan- « afin d'arriver à la véritable vie ' d.
gile dans l'unique but d'avoir de quoi manger Ainsi, Dieu a voulu élever vers la vie future
et de quoi sevêtir, doit se croire tout ensemble et la céleste récompense l'œil de ceux qui font
au service de Dieu, dont il prêche la parole ; des aumônes, afin que leur œil étant simple,
et au service de l'argent, puisqu'il prêche pour toutes leurs actions soient lu mineuses. C'est ce
gagner ce nécessaire voilà l'œuvre double que : suprême salaire qu'il désigne encore quand il
le Seigneur déclare impossible. Dès lors, celui dit ailleurs : « Celui qui vous reçoit, me reçoit ;

qui prêche l'Evangile pour ce motif, est con- « et celui qui me reçoit, reçoit Celui qui m'a
vaincu de servir, non pas Dieu, mais l'argent, « envoyé. Celui qui reçoit un prophète en sa
bien que Dieu se serve de lui, à son insu, pour « qualité de prophète, recevra la récompense
le progrès spirituel du prochain. Telle est la « du prophète ; et celui qui reçoit un juste en
maxime principale que Notre-Seigneur fait « qualité de juste, recevra la récompense du
suivre de celle-ci pourquoi je vous
: « Et c'est ajuste; et quiconque aura donné seulement
« dis ne soyez pas inquiets, pour votre vie,
: « un verre d'eau froide à boire à l'un de ces plus
« de ce que vous mangerez ni, pour votre ;

« petits, comme étant un de mes disciples, je
M corps, comment vous le vêtirez » 11 ne défend . « vous le dis en vérité, il ne perdra pas sa ré-
pas qu'on se procure ces choses dans la me- « compense ^ ».
Ainsi le Seigneur craint que l'on ne trompe
* s. Matt. chap. VI. S. Augustin eu explique plusieurs versets
consécutifs. • I Tim. VI, 18, 19. — ' Matt. x, 40-12.
261 DU TRAVAIL DES MOINES.

et surprenne de ceux qui donnent le


l'œil suite, comme il avait sauvé les enfants du
nécessaire aux pauvres qu'on trouve parmi milieu des flammes ^ Le Seigneur lui- —
les prophètes, les justes et les disciples de même a pu dire « Si l'on vous persécute dans
:

Jésus et que l'œil, aussi, de ceux qui sont


; aune ville, fuyez dans une autre ^ », sans
l'objet de ces bienfaits, ne se gâte à son tour, contredire cet autre oracle qu'il a également
en ce sens qu'ils auraient la volonté de servir prononcé « Si vous demandez quelque chose
:

Jésus-Christ dans le but de se les attirer. C'est « à mon Père en mon nom, il vous le don-

pour cela qu'il dit « Non, personne ne peut


: « nera ^ ». — Rappelez-vous, enfin, les disci-
«servir deux maîtres »; et bientôt après: ples de Jésus-Christ fuyant la persécution, et
« Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent », et supposez qu'on leur eût posé des questions
aussitôt, enfin, comme conclusion inévitable : comme celles-ci Pourquoi ne pas plutôt af-
:

« C'est pourquoi je vous dis ne soyez pas in- : fronter les persécuteurs? Pourquoi ne pas in-
« quiets, pour votre vie, de ce que vous man- voquer le Seigneur votre Dieu et attendre qu'il
te gérez, ni, pour votre corps, comme vous le vous délivre par des prodiges, comme il fit
« couvrirez ^». pour Daniel jeté aux lions et pour saint Pierre
35. Quant à la maxime suivante qui a trait enchaîné ? Les disciples répondraient Il n'est :

aux oiseaux et aux lis des champs, Notre-Sei- point permis de tenter Dieu; c'est à lui d'agir,
gneur la prononce pour que personne au s'il lui plaît, de cette façon merveilleuse, quand

monde ne tombe dans cette erreur funeste, de nous aurons épuisé tout expédient, mais tant
croire notre Dieu indifférent aux besoins in- qu'il nous laissera la faculté de nous enfuir, si
dispensables de ses serviteurs. Puisqu'au con- la fuite nous sauve, c'est encore lui qui nous
traire sa Providence s'étend jusqu'à créer et aura sauvés.
protéger des créatures aussi chétives, combien Par analogie, quand les serviteurs de Dieu
moins refusera-t-il de nourrir et de vêtir les ont le temps et la force en suffisance pour sui-
hommes qui travaillent de leurs mains 1
— vre le précepte et l'exemple de l'Apôtre et pour
Toutefois, pour éviter que ses serviteurs ne gagner leur vie par le travail de leurs mains,
rabaissent leur sainte milice à la seule ambi- si l'on vient à soulever contre eux l'objection

tion de ces choses matérielles, le Seigneur leur des oiseaux du ciel qui ne sèment, ni ne mois-
donne un avis important. C'est qu'en payant sonnent, ni n'amassent dans des greniers ou ;

la noble dette de notre enrôlement sacré sous bien encore des lis qui ne travaillent ni ne
sa bannière, notre intention se dirige non pas filent, la réponse leur sera facile ; ils diront :

vers ce but terrestre, mais vers son royaume Si une infirmité ou une occupation nous
et sa justice. A cette condition, le reste nous empêchait de travailler, Dieu nous donnerait
sera donné, soit que le travail de nos mains y la nourriture et le vêtement, comme aux
suffise, soit môme que nos infirmités physiques oiseaux, comme aux lys, qui n'ont point de
nous empêchent d'y pourvoir, soit encore que labeurs semblables aux nôtres; mais nous ne
sa sainte milice nous enchaîne à des labeurs devons point tenter notre Dieu, quand nous
qui ne nous permettent aucune autre occupa- pouvons travailler nous-mêmes ce pouvoir ;

tion. que nous avons, nous ne l'avons que de sa


CHAPITRE XXVII. bonté, et si nous vivons par ce moyen, c'est
par un don de Dieu que nous vivons, puisqu'il
IL FAUT UTILISER NOS MOYENS, SOUS PEINE
nous a donné de le pouvoir. Et c'est pourquoi
DE TENTER DIEU.
nous sommes sans inquiétude des biens néces-
Une remarque essentielle Dieu a dit certai- : saires à la vie. Tant que nous pouvons travail-
nement « Invoque-moi au jour de la tribu-
: ler, nous sommes nourris et vêtus par ce
a lation, je te délivrerai ; et tu me glorifie- même Dieu qui donne aux hommes l'aliment
c< ras ^ promesse n'obligea cependant
». Cette et le vêtement et quand le travail nous est
;

point saint Paul à ne pas fuir, à ne pas se impossible, nous sommes encore nourris et
laisser descendre dans une corbeille le long -vêtus par ce même Dieu qui donne aux oiseaux
d'un mur pour échapper aux mains d'un per- leur pâture et aux lys leur parure, parce que
sécuteur ' il ne crut pas devoir plutôt atten-
; nous valons bien mieux qu'eux. Ainsi, dans
dre qu'on l'arrêtât et que Dieu le délivrât en- notre sainte milice, nous ne pensons pas au
• Matt. VI, 24. — ' Psal. XLIX, 15. — ' Act. ix, 25. Dan. m, 50. —
' Matt. x, 23. —
' Jean, xvi, 23.*
DU TRAVAIL DES MOINES. 265

lendemain parce que les biens temporels où


;
nous voudrions voir se propager dans l'Afri-
le lendemain est compté pour beaucoup, n'ont que tout entière comme dans le reste du
point été le but de notre saint enrôlement; nous monde N'êtes-vous donc pas enflammés du
!

n'avons eu en vue que les biens éternels, où zèle de Dieu ? Ne sentez-vous pas votre cœur
l'on ne connaît qu'un aujourd'hui sans fin ;
brûler au dedans de vous-mêmes, et le feu
de sorte qu'affranchis des affaires du siècle, vous consumer dans vos méditations ? Ne '

c'est à Dieu seul que nous voulons plaire K voulez-vous pas accabler de vos saintes œu-
vres leurs œuvres si mauvaises, et leur re-
CHAPITRE XXVIII. trancher l'occasion de ces marchés honteux,
TABLEAU FRAPPANT DES MOINES OISIFS si blessants pour votre considération même,
ET VAGABONDS.
si féconds en scandales pour les faibles? Ayez
pitié de vous-mêmes et compassion du pro-
36. Les choses étant ainsi, veuillez, saint chain prouvez à tous les hommes que vous
;

frère Aurèle, puisque par vous le Seigneur me ne cherchez pas dans le loisir une subsistance
donne cette grande confiance, veuillez me facile, mais bien au contraire le royaume de

permettre d'adresser quelques mots à nos bien- Dieu par la voie étroite et rude de vos saintes
aimés fils eux-mêmes, à nos très-chers frères ;
institutions. Vous avez la même raison qu'a-
car je sais avec quel amour vous les enfantez, vait l'Apôtre : celle de retrancher l'occasion à
ainsi que je les engendre moi-même, jusqu'à ceux qui cherchent l'occasion^ et de rappeler ;

ce que se forme en eux la discipline apostoli- à la vie par votre bonne odeur, ceux que suf-
que. foquent déjà leurs poisons infects.
serviteurs de Dieu et soldats de Jésus-
Christ, pouvez-vous à ce point vous cacher à CHAPITRE XXIX.
vous-mêmes les ruses du plus redoutable en- OCCUPATIONS DE SAINT AUGUSTIN. IL PRÉFÉRE- —
nemi? Hostile à votre réputation, à cette odeur RAIT TRAVAILLER COMME LES MOINES, A DES
si bonne et si pure de Jésus-Christ; heureux HEURES DÉTERMINÉES.
d'empêcher que les âmes droites ne disent au
Seigneur « Nous courrons à l'odeur de vos
: Nous ne lions pas des fardeaux pe-
37.
« parfums ^
», et n'échappent ainsi à ses pièges sants nous ne les plaçons sur vos épaules
;

sataniques; il ne veut, lui, qu'étouffer ces sans vouloir nous-mêmes y toucher du doigt ^
parfums sacrés sous ses poisons infects; et Etudiez-nous, et convenez que nos occupations
voilà pourquoi il a dispersé partout un si sont pénibles, que plusieurs parmi nous por-
grand nombre d'hypocrites sous l'habit mo- tent un corps malade et affaibli, qu'enfin les
nastique, les promenant dans toutes les pro- églises dont nous sommes les serviteurs oni
vinces, sans avoir ici plus qu'ailleurs mission certains usages, qui ne nous permettent pas
ni fixité, sans vouloir nulle part ni s'arrêter ni de vaquer aux travaux que nous vous exhor-
résider. Les uns vendent habituellement des tons de pratiquer.
ossements de martyrs, plus ou moins authen- Sans doute nous serions en droit de dire :

tiques; les autres font parade de leurs franges « Qui est-ce qui jamais servit sous les dra-
et de leurs manteaux d'autres prétendront ; « peaux à ses frais? Qui donc plante une vigne

avec mensonge avoir appris que leurs père et « sans manger de son fruit ? Qui donc mène
mère ou proches parents vivent en tel ou tel « un troupeau sans en boire le lait *? » Et —
'oays, et ils se disent en voyage pour les aller cependant j'ose sur mon âme prendre Jésus à
rejoindre. Et tous demandent, tous exigent les témoin, parce qu'ici je parle en son nom avec
dépens de leur indigence lucrative, ou le sa- toute sécurité ne consultais que mon
: Si je
laire d'une sainteté d'emprunt. Et de temps à avantage personnel, combien j'aimerais cha-
autre, et un peu partout, ils se fout arrêter en que jour, à des heures déterminées, comme
flagrant délit de manœuvres coupables, ou c'est la règle dans les monastères bien gou-
bien ils sont reconnus par un hasard quel- vernés, m'imposer quelque travail des mains,
conque. Alors, sous le nom général de moines, et avoir tout le reste de mon temps libre et
on blasphème votre genre de vie, si bon, si disponible pour lire, pour prier, pour m'oc-
saint, que, pour l'honneur de Jésus-Christ,
' Psal. XXXVIII, 4.- ' II Cor. }(i, 12.— ' Matt. xxin, 4.— * I Cor.
'
II Tim. n, 4. — ' Cantic. l, 4. .7.
DU TRAVAIL DES MOINES.

cuper de quelque point d'Ecriture sainte ! effet, puisqu'il connaît nos cœurs oui, si l'é- :

Quelle douce vie, en regard de celle où Ton change nous était possible sans faillir à notre
doit subir les embarras si bouleversants de devoir, nous aimerions mieux embrasser les
causes qui vous sont étrangères et suscitées œuvres à la pratique desquelles nous vous
uniquement à propos d'affaires séculières, exhortons, que celles dont l'accomplissement
qu'il faut trancher par un jugement ou pré- nous est imposé. Sans doute, tous sans excep-
venir par une sage intervention. tion, vous comme nous, en travaillant chacun
Voilà un genre d'ennuis auquel l'Apôtre dans notre rang et notre devoir, nous mar-
nous a enchaînés, non par son décret sans chons dans la voie étroite, dans la peine et la
doute, mais par celui du Maître qui dictait ses souflrance mais les joies de l'espérance nous
;

paroles. Et toutefois, nous ne lisons pas que rendent aussi le joug du Seigneur bien doux
l'Apôtre lui-même ait subi cette sorte d'em- et son fardeau bien léger; c'est lui, en effet,
barras : son apostolat l'entraînait cà de tout au- qui nous convie au repos, après avoir lui-
tres labeurs. Il n'a pas dit : « Si donc vous même traversé la vallée de larmes où il n'a
« avez des différends entre vous pour les af- point vécu non plus sans douleur.
«fairesdu siècle», soumettez-nous les causes, Si donc vous êtes et nos frères, et nos fils,
ou étabhssez-nous vos juges mais bien ; : et les coserviteurs d'un même maître ou plu- ;

« Prenez pour arbitres les hommes les plus tôt, si nous sommes vos serviteurs en Jésus-

« bas placés dans l'Eglise. Ou plutôt, car je Christ, écoutez nos avis, reconnaissez nos pré-
« parle pour vous faire honte, n'y a-t-il donc ceptes, acceptez notre doctrine. Si, au con-
G point parmi vous une seule personne sage, traire, nouveaux Pharisiens, nous lions des
« qui puisse être juge entre ses frères ? Faut-il fardeaux pesants pour les placer sur vos épau-
« au contraire qu'un frère plaide contre son les, faites ce que nous vous disons, tout en

« frère, et encore devant les inlidèles ? » ^ — blâmant ce que nous faisons K Nous nous in-
C'est donc parmi les simples fidèles fixés dans quiétons fort peu, au reste, d'être jugés par
la localité même et d'ailleurs remarquables vous ou par toute autre puissance humaine \
par leur sagesse, ce n'est pas parmi les prédi- La pureté de l'amour qui nous inspire cet in-
cateurs obligés de courir çà et là pour l'Evan- térêt pour vous, est sous l'œil de Dieu. Qu'il
gile, que saint Paul a voulu faire choisir les en juge, puisqu'il nous a inspiré les idées
examinateurs d'affaires semblables. Aussi n'a- mêmes que nous plaçons maintenant sous ses
t-il jamais été écrit de lui qu'il se soit occupé yeux. Enfin,, pensez de nous ce que vous vou-
de choses de ce genre tandis que nous ne ;
drez. Seulement, l'apôtre saint Paul vous
pouvons nous excuser à cetendroit, nous, per- commande et vous conjure dans le Seigneur
sonnages si misérables pourtant; car, à défaut de manger votre pain en travaillant en silence,
de sages, l'Apôtre veut des juges même de ce c'est-à-dire paisiblement et sous la règle de
peu de valeur, plutôt que de laisser porter au l'obéissance '. Or, je le crois, vous n'avez
barreau profane les affaires des chrétiens. contre l'Apôtre aucun soupçon mauvais, vous
Nous acceptons toutefois ce rude travail, en- avez même une foi parfaite en Celui qui parle
couragés par les consolations d'en-haut, ani- par celte bouche inspirée.
més par l'espérance de la vie éternelle, vou-
lant enfin porter du fruit par la patience.
CHAPITRE XXX.
Serviteurs de l'Eglise de Dieu, nous nous de- IL EST A CRAINDRE QUE LA PARESSE DES MAUVAIS
vons surtout à ses membres les plus infirmes, NE RALENTISSE ET NE GATE LES BONS.
bien que dans cet admirable corps nous ne
soyons que des membres sans mérite. Je passe 38. Mon très-cher Aurèle, vénéré frère dans
sous silence d'autres soucis innombrables de les entraillesde Jésus-Christ, vous avez main-
l'ordre spirituel, que nul peut-être ne sou[)- tenant ma
pensée sur le travail des moines,
çonne s'il n'en a pas fait l'expérience, et je re- aussi bien traitée que me l'a permis Celui qui,
viens à dire Non, nous ne lions point de
: par votre bouche, m'a commandé de l'écrire.
lourds fardeaux nous ne les plaçons pas sur
; Je n'ai pas tardé à prendre la plume, parce
vos épaules, sans vouloir nous-mêmes y tou- qu'une crainte surtout me préoccupait celle :

cher du doigt. Dieu voit notre disposition, eu que des frères vertueux et fidèles a obéir aux
« I Cor. VI, 4-6. Matt. xsiu, 3. — I Cor. iv, 3, — Ml Thess. lu, 12.
' '
. .

DU TRAVAIL DES MOINES. 267

préceptes apostoliques ne s'entendissent jeter qu'en ce point l'on ne cherche pas l'habileté
le nom de prévaricateurs de l'Evangile, par des de ses raisonnements, mais qu'on n'ait d'at-
êtres paresseux et désobéissants je voulais ;
tention que pour son autorité de Maître.
que ceux qui ne travaillent pas ne pussent Au reste, dans quel but ,
je le demande,
douter du moins de leur infériorité absolue entretenir ainsi de longs cheveux contre le
auprès de ceux qui travaillent. Est-ce chose précepte si évident de l'Apôtre ? Doit-on pousser
supportable, en effet, que des hommes en ré- du travail jusqu'à interdire celui
l'abstention
volte obstinée contre les avis les plus salu- du perruquier? La prétention d'imiter les
taires de l'Apôtre, ne soient pas simplement oiseaux de l'Evangile fait-elle redouter à ces
tolérés à raison de leur infirmité spirituelle, religieux une façon d'être déplumés qui ren-
et qu'on les exalte même comme plus par- drait le vol impossible?
faits? Faut-il que des monastères basés sur Je crains de m'étendre sur ce travers, parce
des principes plus purs se laissent corrompre que parmi nos frères chevelus, il en est tels

à leur tour par ce double appât d'un droit qui, à part ceci, méritent à bien des égards et
absolu autant que lâche à la paresse, et d'un m.ême presque en tout notre vénération. Mais,
faux renom de sainteté ? plus nous les aimons en Jésus-Christ, plus nous
Et vous autres aussi, simples fidèles, nos avons de sollicitude à les avertir. Car nous ne
frères et fils, qui prenez habitude de pencher craignons pas que leur humilité méprise notre
de ce côté et de défendre par ignorance leurs admonition, puisque nous désirons trouver
prétentions téméraires, sachez que vous avez des moniteurs comme eux quand il nous arrive
à vous corriger vous-mêmes pour rendre leur de chanceler ou de nous égarer.
correction possible, sans que, pour cela, vous Nous avertissons donc ces saints religieux
faiblissiez dans la pratique de la bienfaisance. de ne point s'ébranler aux discours de vains
Oui, subvenez promptement et avec joie aux raisonneurs, et de ne jamais suivre dans un
nécessités des serviteurs de Dieu : loin de vous abus condamnable des gens auxquels, dans
blâmer, nous serons très-heureux de vous tout le reste, ils sont si loin de ressembler.
bénir ; mais craignez, par une pitié très-mal- Heureux de promener leur hypocrisie et leur
heureuse, de nuire au bien éternel de ces pau- vénalité, ceux-ci craignent qu'une sainteté à
vres gens, plus encore que vous n'aideriez à cheveux ras soit moins prisée qu'à longue che-
leur bien temporel. velure; aux hommes qui les contemplent, ils
39. En effet, Dieu est moins offensé, quand veulent rappeler l'idée de ces antiques pro-
du moins le pécheur n'est point « loué dans phètes de l'Ecriture, des Samuel et des autres
« les désirs coupables de son âme et que l'au- personnages qui se refusaient au rasoir. Ils ne
« teur d'iniquités ne reçoit pas encore de bé- réfléchissent pas à la dilTérence de ce voile
« nédictions ' » prophétique des anciens, et de ce dévoilement
inscrit dans l'Evangile dont saint Paul a dit :

CHAPITRE XXXI. « Quand vous serez convertis au Seigneur,


« alors le voile sera ôté * » . En effet, la cheve-
CONTRE LES MOINES A LONGUE CHEVELURE. lure des saints, pendant ces temps antiques,
avait le même sens symbolique que le voile
Or, est-il une iniquité plus grande que de jeté entre la face de Moïse et les regards du
prétendre aux services respectueux de ses in- peuple d'Israël. Et, que la chevelure soit un
férieurs, quand on refuse soi-même respect voile, c'est encore le même saint Paul qui le
et soumission aux supérieurs ? — Je désigne déclare, avec une autorité qui accable ici nos
ici l'Apôtre et non pas nous-mêmes ; c'est à lui adversaires , car il dit expressément : « Si un
que ces gens désobéissent jusqu'à laisser croî- « homme laisse croître ses cheveux, c'est une
tre leur chevelure; et voilà pourtant un point « honte à lui ^ »
sur lequel n'admet pas même la contradic-
il Cette honte , disent- ils , nous l'acceptons
tion, car il a dit « Si quelqu'un aime à con-
: comme juste expiation
nos péchés. de —
« tester, il nous suffit de répondre que ce n'est Voilà bien faire tomber le rideau d'une hypo-
« point là notre coutume ni celle de l'Eglise. crite humilité pour abriter sous son ombre
a Or, cela, je vous le prescris ^ ». II veut donc l'orgueil et la vénalité ! Est-ce donc que l'A-
» Psal. iz, 24, 3. — » I Cor. xi, 14, 16. » U Cor. ui, 16. — " I Cor. xi, 4-16.
.

268 DU TRAVAIL DES MOINES.

pôtre nous donnerait une leçon d'orgueil, comme tel, mais en faisant l'aveu qu'il l'est

quand il dit : a Tout homme qui prie ou qui toujours. Voici ses paroles : « Quand j'étais

« prophétise ayant la tête couverte, déshonore « enfant, je parlais comme un enfant, j'avais
a sa tête » et plus bas «L'homme ne doit
;
: « les goûts de l'enfant et les pensées de l'en-
« point se voiler la tête, parce qu'il est l'image « fant; mais quand je suis devenu homme, je

« et la gloire deDieu ? » Oser dire a l'homme ^


:
« me suis défait de tout ce qui tenait de l'en-

« ne doit pas » Il ne sait sans doute enseigner


! « fant * » . — Mais que rappelé-je l'Apôtre,
l'humilité —
Toutefois, si le symbole de l'ère
! puisque nos contradicteurs prouvent par leur
prophétique, devenu une honte sous le règne langage qu'à l'endroit même de Notre-Seigneur
de l'Evangile, si le voile plaît tant à leur hu- et sauveur Jésus-Christ, ils ne savent que pen-
milité, eh bien qu'ils se tondent et qu'ils se ! ser? Car est-ce d'un autre que lui qu'il est
voilent la tête avec un cihce Mais non car ! : dit : « Jusqu'à ce que nous parvenions tous à
leur tête n'aurait plus cet extérieur qui attire « l'unité d'une même foi et d'une même
l'argent et puis Samson ne se voilait pas d'un
;
« connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un
cilice, mais bien de sa chevelure ^. « homme parfait et à la mesure de l'âge et de
« la plénitude de Jésus-Christ, afin que nous

CHAPITRE XXXII. « ne soyons plus comme des enfants qui flot-


« tent et se emporter à tout vent de
laissent

MAUVAISE 3IANIÈRE DONT LES MOINES CHEVELUS « doctrine, par la tromperie des hommes et

INTERPRÈTENT l'ÉCRITURE. l'APÔTRE SAINT — « par leur adresse à machiner l'erreur ^ ? »

PAUL A FAIT PROFESSION d'UNE CHASTETÉ PAR- Telles sont, en effet, les tromperies qui leur

FAITE. —
PRÉCEPTE FAIT AUX HOMMES DE NE servent à duper les inhabiles; telle est l'a-
POINT SE VOILER LA TÈTE. — l'AME FIGURÉE dresse et telles sont les machinations de l'en-
PAR l'homme et la CONCUPISCENCE PAR LA nemi qui les emportent eux-mêmes au hasard ;

FEMME. et dans ces évolutions malheureuses ils entraî-


nent et forcent aussi à évoluer tristement les
Pour défendre leur chevelure, nos gens
40. âmes des faibles qui s'attachent à leurs doc-
ont inventé encore un argument presque ,
trines, de sorte qu'elles ne savent plus où elles

impossible à redire, et déplorable autant que en sont.


ridicule. —
L'homme, avouent-ils, a reçu de Ainsi, encore, ils ont ouï ou ils ont lu ce texte

l'Apôtre défense de porter longue chevelure; de l'Ecriture : «Vous tous qui avez été bapti-
mais «ceux qui se sont faits eunuques pour « ses en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de
royaume des cieux*», ne sont plus des
« le « Jésus-Christ ici donc il n'y a plus juif, ni gen-
;

hommes. « til; esclave ni libre; homme ni femme *» ;

Etrange folie 1 vraiment : parler ainsi c'est et ilsne comprennent pas que cela est dit uni-
emprunter contre les oracles les plus évidents quement au point de vue de la concupiscence
de l'Ecriture les armes et l'esprit de la plus charnelle des sexes; parce que, dans cet homme
détestable impiété; c'est persévérer dans une intérieur dont nous prenons la nature nou-
voie tortueuse ; c'est tenter d'introduire une velle par le renouvellement de notre âme *, le

doctrine empoisonnée; ce n'est plus être cet sexe ainsi entendu s'efface et n'est plus. Qu'ils —
« homme heureux qui n'est point allé dans ne renient donc point leur qualité d'hommes,
« l'assemblée des impies, qui ne s'est point sous prétexte qu'ils ne font point les fonctions
« arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s'est de leur sexe viril. Quand des chrétiens mariés
«point assis dans la chaire de pestilence *» les remplissent, ils ne sont pas chrétiens sans

En effet, celui qui méditerait jour et nuit sur doute à cause des fonctions qui leur sont com-
la loi de Dieu, y trouverait saint Paul lui- munes avec tous autres gens même non chré-
même qui, professant certainement la chasteté tiens, avec les animaux mêmes. Autre chose
parfaite, a pu dire «Je voudrais que tous les
: est l'actionpermise à l'humaine faiblesse, ou
«hommes vécussent comme moi-même^». la dette payée à la propagation physique de
Et cependant, vierge, il veut être et se mon- l'espèce autre chose est un signe adopté par
;

trer homme aussi , non-seulement en vivant la profession de chrétien et dans le but de ga-

• I Cor. XI, 4, 7. —
» Judic. xvi, 17. ' Matt. XIX, 12. - ' Psal. » ICor. XIII, 11. — =
Ephes. IV, 13, 11. — » Gatat. m, 27, 28.

I, 1. — ' I Cor. vu, 7. U Cor. IV, 16.


DU TRAVAIL DES MOINES. 26»

gner une vie éternelle et incorruptible. Par d'incorruptibilité et d'immortalité; et, dès
suite, ce précepte qui défend aux hommes de lors, la mort est ensevelie dans sa victoire '.

se voiler la tête reçoit figurément son appli-


cation dans notre corps, mais réellement il CHAPITRE XXXÏIJ.
s'accomplit dans notre âme où se trouve l'i-
mageetlagloiredeDieu,commele prouvent les CERTAINS MOINES CHEVELUS, SAINTS HOMMES
paroles mêmes qui le formulent «L'homme, : d'ailleurs, invités a SE DÉPOUILLER DE LEUR
« est-il dit^ ne doit pas se couvrir la tête, parce CHEVELURE.
« qu'il est l'image et la gloire de Dieu». Et,

où se trouve cette image de Dieu, saint Paul Que désormais donc ceux qui ne veulent
41.
encore nous le révèle en disant «N'usez point : pas agir avec droiture, cessent du moins d'en-
« de mensonge les uns envers les autres; dé- seigner l'erreur. A d'autres, toutefois, s'adresse
« pouillez le vieil homme avec ses œuvres, et le blâme que nous formulons ici il ne tombe :

« revêtez- vous du nouveau, qui se renouvelle pas sur ceux qui ont uniquement le travers
« pour connaître Dieu selon l'image de celui de porter longue chevelure, bien que cette
« qui l'a créé' ». violation d'un précepte apostolique malédiûe
Peut-on douter que ce renouvellement s'o- et trouble grandement l'Eglise. En effet, telles

père dans l'àme? Si l'on en doutait encore, personnes ne voulant pas penser le moindre
qu'on écoute un oracle encore plus exprès : mal au sujet de ces religieux, sont forcées de
« Selon la vérité de Jésus vous devez déposer , plier dans un sens mauvais les paroles si
« le vieil homme quant à son ancienne con- claires de l'Apôtre ; telles autres préfèrent
(Iduite, l'homme qui se corrompt suivant ses avant tout défendre la saine interprétation des
et passions d'erreur. Au contraire, rcnouvelez- Ecritures, plutôt que de flatter n'importe quels
« vous dans Tintérieur de votre âme, et revêtez- hommes. De là naissent entre des frères, les
« vous de l'homme nouveau qui a été créé uns plus faibles, les autres plus fermes, des
« selon Dieu ^ » . —
Eh quoi, les femmes n'ont- disputes bien amères et bien dangereuses. Je
elles rien à prétendre à ce renouvellement de n'en doute pas : ceux de nos religieux qu'en
l'âme, de cette partie où se trouve l'image de tout le reste nous admirons et nous aimons,
Dieu? Qui oserait le dire? Toutefois leur sexe s'ils connaissaient cet état des esprits, s'em-
physique ne porte point le trait et le signe de presseraient d'y porter remède. Non, notre
cette image aussi on leur commande d'être
: blâme ne tombe pas sur eux.
voilées. Elles sont femmes, et par là même, Mais plutôt nous les prions et les supplions
elles représentent plutôt cette partie de nous- par la divinité et par l'humanité de Jésus-
mêmes qu'on peut appeler concupiscentielle, Christ et par la charité du Saint-Esprit; qu'ils
qui doit être sous l'empire de l'âme, comme cessent désormais de donner ce scandale à ces
celle-ci doit être elle-même soumise à Dieu faibles,pour lesquels Jésus-Christ est mort!
dans toute vie parfaite et bien réglée. qu'ils ne portent point à cet excès la douleur
Ainsi, dans un seul et même homme, il va et le tourment dans notre cœur Car une pen- !

l'âme et la concupiscence l'une qui conduit, ;


sée nous afflige des hommes pervers pour-
:

l'autre qui est conduite l'une qui commande, ; raient imiter cet abus pour tromperie public;
l'autre qui obéit la différence des sexes en
: ils le feraient d'autant plus volontiers qu'ils
deux personnes humaines, l'homme et la aperçoivent ce travers en des personnes que
femme, reproduit aussi ce double trait. Tel est tant d'autres vertus nous commandent d'ho-
le mystère qui fait dire à l'Apôtre que l'homme norer par les témoignages les plus légitimes
ne doit point se voiler la tête, et que la femme de l'amour chrétien. Toutefois si après cet avis
doit porter le voile. Car l'âme s'élève avec ou plutôt cette prière de notre part, ils croient
d'autant plus de gloire vers les régions supé- devoir persévérer dans leur habitude, nous ne
rieures, que vous mettez plus de force à arra- voudrons que gémir et pleurer. Il suffit qu'ils
cher la concupiscence loin des basses régions; sachent nos vœux sont les serviteurs de
; s'ils

et un jour arrive enfin où l'homme tout entier; Dieu, ils se montreront miséricordieux; s'ils
avec ce corps même aujourd'hui mortel et si oublient la miséricorde, je ne veux rien leur
fragile, se revêt, par la résurrection dernière, dire de plus sévère.
' Coloss. m, 9, 10. — » Ephes. iv, 21-24. » I Cor. XV, 54.
«â70
DU TRAVAIL DES MOINES.

mettraient vos occupations ' ""'"' «""""ire en retran-


et les miennes ^
rhlr !n
fa,.es-,es
connaître à nos frères et
Ms, en fa-' de
d'e Votr?B
-S ^ 1?.^'^:
\otre Béatitude me l'apprendra.
'^ ^^^«^

Traduction de M. l'abbé
COLLERY.
DE LA DIVINATION DES DÉMONS

Dieu permet que les démons devinent , et qu'il leur soit rendu un certain culte : mais il ne suit pas de là que ces divinations
et ce culte soient dans l'ordre. —D'où viennent les des démons.
divinations — Pourquoi elles sont quelquefois vraies, et
pourquoi elles sont fausses la plupart du temps.

CHAPITRE PREMIER. sant et infiniment juste les permet, ce n'est


pas, ce semble, une raison pour les déclarer
A QUELLE OCCASION FDT ÉCRIT CE TRAITÉ. — CE
conformes à la justice. Rien d'autres faits sont
QUE DIEU PERMET n'eST PAS POUR CELA TOUJOURS
manifestement injustes, tels que les homi-
SELON LA LOI.
cides, les adultères, les vols, les rapines et
1. Un matin, pendant nos saints jours d'oc- tous les autres crimes semblables ; bien que
taves *, unnombre de nos frères laï-
certain certainement ils déplaisent à ce Dieu juste au
ques se trouvaient chez moi réunis au lieu seul titre de leur injustice, ils n'en arrivent pas
habituel de nos séances, quand la conversa- moins avec sa permission, par un décret in-
tion tomba sur notre sainte religion comparée failliblede sa haute sagesse, qui certes ne
à cette science si présomptueuse des païens, leur garantit point l'impunité, mais au con-
qu'on nous présente comme étonnante et traire prononce la damnation de ceux dont le
vraiment sérieuse. J'ai cru devoir rédiger par crime offense sa souveraine justice.
écrit et même compléter les souvenirs que 3. Une objection m'attendait : La toute-
cette conversation m'a laissés. Je tairai cepen- puissance et la justice de Dieu sont hors de
dant le nom de mes honorables contradicteurs, doute mais ces sortes de péchés sont pure-
;

bien qu'ils fussent de vrais chrétiens, et que ment humains, puisqu'ils ne s'attaquent qu'à
leurs objections eussent plutôt pour but d'ar- humaine; Dieu n'y attache donc pas
la société
river à mieux connaître ce qu'il faut répondre d'importance au moment où ils se commet-
aux païens. tent, et c'est pour cela qu'ils peuvent être
On traitait donc de la divination des dé- commis ; car évidemment ils seraient impos-
mons, et l'on prétendait que je ne sais quel sibles, sans la tolérance du Tout-Puissant.
individu avait prédit la destruction du temple Quant à ces au contraire, qui blesseraient
faits,

de Sérapis, qui réellement eut lieu dans la directement la religion même, on ne croira
ville d'Alexandrie. —
Rien d'étonnant, répon- jamais que Dieu les méprise. Par suite, ils ne
dis-je, que les démons aient pu savoir et pré- peuvent arriver, si Dieu ne ies approuve, et
dire le renversement de leur temple et de leur l'on ne peut les regarder comme mauvais.
idole, ainsi que maints autres faits ils l'ont ; A cette difficulté, j'ai répondu Dites donc :

pu dans la mesure où il leur est permis de plutôt qu'il les désapprouve aujourd'hui,
connaître l'avenir et de l'annoncer. puisque nous voyons tomber temples et idoles,
2. Ainsi, me fut-il aussitôt répliqué, ainsi et que les sacrifices qui ont lieu aujourd'hui,
les divinations de ce genre ne sont point un sont punis aussitôt. En effet, comme vous pré-
mal, Dieu ne les réprouve point; si elles
et tendez qu'autrefois il leur a fallu l'approba-
étaient coupables et mauvaises, ni sa toute- tion de Dieu pour pouvoir se produire, et que
puissance ni sa justice ne les permettraient. par suite ils sont légitimes puisque la souve-
Je répondis De ce qu'un Dieu tout-puis-
: raine Justice les agrée, ainsi peut-on dire que,
s'ils ne lui déplaisaient point, ils n'auraient
' Ecrit entre l'an 40G et l'an 411. — ' D'autres passages du saint pas subi cette proscription, cette abolition, ce
Docteur font mention des octaves solennelles de Pâques, Voir le ser-
mon CCLX. châtiment. Ainsi, enfin, supposé qu'autrefois
272 DE LA DIVINATION DES DÉMONS.

ils étaient irrépréhensibles, par la raison Pourquoi donc, répliquai-je aussitôt, pour-
qu'ils plaisaient au Dieu souverainement juste, quoi des actes semblables s'opèrent-ils en
avouez que maintenant ils seraient coupables, secret, de nos jours mêmes, tantôt cachés à
puisque Dieu, ordonnant ou permettant qu'on tout jamais, tantôt surpris et châtiés, s'il —
les abolisse, c'est une preuve qu'ils lui déplai- est vrai que le Tout-Puissant ne
permette
sent. aucun acte de ce genre qui ne plaise à sa sou-
CHAPITRE II. veraine justice ? Car une chose injuste ne
peut jamais plaire à Celui qui est juste par
DIEU A PERMIS, COMME TOUT-PUISSANT, CE QU'lL
DÉSAPPROUVAIT COMME INFINIMENT JUSTE. — excellence.
On me répondit en niant absolument l'exis-
LIVRES PONTIFICAUX QUI RÉGLAIENT LES CÉRÉ-
MONIES PROFANES. RÉSUMÉ ET ÉNONCÉ. — tence d'actes semblables à notre époque. Les
rites décrits dans les livres Pontificaux ne
4. On me que de nos jours ces
répliquait s'accomplissent plus aujourd'hui, me dit-on ;

actes sont injustes, mais non point mauvais alors, au contraire, ils avaient lieu légiti-
cependant injustes, puisqu'ils attaquent une
; mement ; alors ils plaisaient évidemment à
loi qui les proscrit non point mauvais tou- ;
Dieu, par cela seul que, tout-puissant et juste,
tefois, puisque un mal, ils n'au-
s'ils étaient il laissait tout faire. Que si maintenant quel-

raient jamais dû
Dieu et que s'ils
plaire à ; ques-uns de ces sacrifices défendus se font
lui avaient toujours déplu, jamais ils n'au- clandestinement et contrairement aux lois,
raient existé , car ils n'aifraient pas été to- ils ne peuvent être comparés avec ces rites Pon-

lérés par Celui qui peut tout^ par Celui qui tificaux des cérémonies sacrées ; bien plus, il
ne méprisera jamais des faits pareils, assez faut les ranger parmi les rites nocturnes et ;

importants et assez graves pour attaquer la toutes ces opérations illicites sont proscrites et
religion même et le culte de Dieu, s'ils sont condamnées par les livres Pontificaux eux-
coupables. mêmes.
Eh bien 1 dis-je alors, si vous n'y voyez Ma réponse fut : Pourquoi Dieu permet-il
aucun mal sous prétexte que le Tout-Puissant, même ces faits irréguliers, s'il est vrai qu'il
en laissant faire^ montre assez qu'il approuve, ne méprise aucun des actes attentatoires à la

comment sera-t-il permis et bon de les religion ? Ces faits eux-mêmes doivent in-
interdire et de les abolir ? Car, s'il n'est pas quiéter le ciel ; c'est un aveu que sont forcés
bien d'abolir ce qui plaît à Dieu, sa toute- de faire ceux-là surtout qui estiment les livres
puissance ne devrait pas permettre cette abo- Pontificaux jusqu'au point de regarder comme
lition. En détruisant ainsi ce qui plaît à Dieu, défendu de Dieu ce que ces livres défendent.
les hommes, en effet, attentent au culte qui A quel titre, dès lors, Dieu les défend-il, sinon
honore le vrai Dieu. Or, si sa toute-puissance comme lui étant désagréables ? Et sa défense
laisse s'accomplir cette abolition supposée ne montre-t-elle pas non-seulement qu'il les
coupable, vous ne devez donc pas justifier les désapprouve, mais encore qu'il en a souci,
faits eux-mêmes, sous le prétexte que le Tout- loin de les couvrir d'un mépris absolu ? Con-
Puissant les permet. cluez plutôt que certains faits sont condamnés
5. On me dit alors qu'il fallait bien accorder par sa justice, bien que permis par sa toute-
que ces faits sont maintenant coupables. On puissance.
alla plus loin ; ils ont cessé de se produire, 6. Après ces explications, on m'accorda
me dit-on, parce qu'ils déplaisent maintenant qu'il ne fallait pas juger une œuvre, en gé-
au Tout-Puissant ; mais ils lui ont agréé à néral, comme juste et bonne, par la seule rai-
l'époque où ils se produisaient. Nous ne son que le Tout-Puissant la laissait passer,
savons pas pourquoi ils lui étaient alors bien qu'elle lui déplaise. On convint même
agréables, pourquoi ils lui déplaisent
et d'avouer que les œuvres détestables qui atta-
aujourd'hui mais une chose est certaine du
; quent directement le culte de Dieu, se trouvent
moins c'est que jadis ils n'auraient point eu
: tout ensemble et désapprouvées par la Sou-
lieu, s'ils n'avaient point agréé au Tout- veraine Justice et permises par la Toute-Puis-
Puissant, et qu'ils n'auraient point fini de nos sance en considération du jugement à venir.
jours, s'ils n'avaient point cessé de plaire à sa On demanda dès lors à traiter un point nou-
toute- puissance. veau ; à savoir d'où viennent les divinations
,

DE LA DIVLXATION DES DEMONS. 273

prophétiques des démons, ou de ces êtres, participation doit les rendre heureux. Partant
quels qu'ils soient^ que les païens appellent de là, ils commencent par se convaincre que,
leurs dieux. Il importait, disait-on, d'examiner pour être doués de sens plus pénétrants qu'ils
si ces faits sont légitimes, non plus parce que doivent uniquement à leur substance aérienne,
la Toute-Puissance les autorise, mais parce à l'élément plus subtil de leur corps, les dé-
qu'en eux-mêmes ils sont tellement sérieux, mons ne possèdent pour cela sur l'homme
qu'on ne peut les attribuer qu'au pouvoir aucune supériorité véritable. En effet, en se
même de Dieu. — Je promis de répondre à ces comparant avec des corps terrestres, ils n'iront
diCFérentes questions,mais plus tard seulement, pas se placer au-dessous des bêtes, bien que
parce que me pressait pour une
l'heure chez elles les sens soient tout autrement pé-
réunion des fidèles; et, dès que je trouvai le nétrants que chez nous. Ainsi, la sagacité du
temps d'écrire, je ne différai point de rédiger chien sait découvrir, grâce à son flair exquis,
notre première conversation, et d'y ajouter ce le gibier qui se cache, et c'est l'animal même
qui suit. qui sert comme de guide à l'homme pour s'en
saisir; non certes qu'il ait une âme plus que
CHAPITRE III.
la nôtre développée et intelligente, mais seu-
LA DIVINATION DES DÉMONS s'EXPLIQUE P.Ul
lement un sens physique plus pénétrant.
TROIS CAUSES.
Ainsi, encore, le vautour se précipite à tire
7. Telle est la nature des démons, que leur d'ailes vers le cadavre le plus éloigné. Ainsi
corps aérien jouit d'une sensibilité bien su- l'aigle planant dans le ciel aperçoit, dit-on, de
périeure à celle des corps terrestres ; et que cette grande hauteur, le poisson qui nage sous
ce même corps aérien est doué d'une grande
si les flots; et, tombant brusquement sur les
de mouvement, que sa
facilité rapidité non-seu- eaux, déployant et ses jambes et ses serres, il
lement surpasse celle des hommes et des ani- se saisit de sa proie. Ainsi, enfin, nombre
maux sauvages, mais qu'elle remporte incom- d'autres animaux rencontrent sous
leurs pas
parablement sur le vol des oiseaux mêmes. errants des herbes nuisibles semées au hasard
Grâce à ces deux facultés inhérentes à ce corps dans leurs pâturages, et ne touchent à aucune
aérien, c'est-à-dire, grâce à ces sens plus de ces plantes dangereuses, tandis qu'à grand'
exquis et à ces mouvements plus rapides, ils peine l'expérience instruit l'homme à les évi-
savent avant nous bien des choses qu'ils pré- redoute bien des aliments inno-
ter, et qu'il
disent ou révèlent, au grand étonnement des cents, parce qu'il ne les a pas essayés. De là
hommes, dont le sens tout terrestre est bien ilest aisé de conjecturer combien plus vifs
plus alourdi. Ajoutez que les démons, à la encore doivent être les sens de corps aérienf
faveur de la durée si longue de leur vie tou- sans que pour cela jamais homme sage n'as-
jours persévérante, ont acquis l'expérience signe aux démons la supériorité sur les gens
des choses, bien plus que ne peuvent la pos- de bien. — Je pourrais dire la même chose à
séder les humains dont la vie est si courte. l'endroit de la vitesse des corps en cette fa- :

Aidés de ces forces propres à la nature de leur culté, les hommes sont tellement inférieurs,
corps aérien, les démons non-seulement pré- non-seulement aux oiseaux, mais à un grand
disent plusieurs événements futurs, mais ils nombre de quadrupèdes, qu'on nous jugerait
opèrent maintes œuvres merveilleuses. Et lourds comme le plomb en comparaison de
comme humains sont incapables de telles
les leur rapidité. Et toutefois nul ne se placera
prédictions et de telles opérations, il se voit au-dessous de ces races d'animaux pour cette
des gens qui regardent les démons comme mince raison ; nul n'oubliera que, pour les
dignes d'être servis, et de recevoir même les prendre, les apprivoiser, les plier à notre usage
honneurs divins et ces gens obéissent surtout
; ou à notre caprice, la raison et non la force
à l'instigation de ce vice de la curiosité qui physique suffit à notre entreprise.
leur fait aimer un bonheur faux et terrestre et
une supériorité mondaine. CHAPITRE lY.
Quant aux hommes qui se maintiennent
BIEN QUE LES DÉMONS FASSENT CERTAINES CHOSES
purs de ces mauvaises passions, loin de se lais
ÉTONNANTES, IL FAUT LES .MÉPRISER.
serabuseretcaptiverparelles,ils ne cherchent,
ils n'aiment que le bien immuable et dont la Quant à la troisième faculté des démons, à
S. Adg. — Tome XII. 18
274 DE LA DIVINATION DES DÉMONS.

cette longue expérience qui leur a fait ap- force et par la souplesse du plus subtil des
prendre mille choses dont ils ont la prescience corps, je veux dire, de leur substance aérienne ;
et font la prédiction, c'est un avantage que bien que la dépravation de leur volonté et
méprise quiconque s'étudie soigneusement à surtout leur étalage d'orgueil et la noirceur
tout juger d'après les pures lumières de la de leur jalousie les constituent toujours esprits
vérité. Dans ces conditions un jeune ado- , impurs et immondes —
Il serait trop long de
1

lescent, vraiment honnête, ne se croira pas démontrer quelle puissance cet air, cause de
inférieur à un déteslable vieillard qui, pour leur force corporelle, possède pour agir invi-
avoir beaucoup expérimenté, aura l'air d'en siblementsur maintes choses visibles, pour les
savoir plus que luij et quand même des mé- mouvoir, les changer, les bouleverser. Je
decins , des navigateurs , des agronomes se pense, d'ailleurs, qu'après un instant de ré-
mettraient en parallèle avec lui, s'ils ont une flexion, il est facile de se l'imaginer.
âme dépravée et des mœurs coupables, le jeune
homme sage ne les préférerait pas à lui-même, CHAPITRE V.
pour ce motif que les maladies, les orages, la d'où vient que les démons annoncent
science des arbustes ou des plantes leur
l'avenir.
donnent lieu de faire de telles prédictions que,
vu son inexpérience de ces choses, ils posent 9. Les choses étant ainsi, il faut savoir tout
en prophètes devant lui. d'abord, en cette question de la divination par
8. Or, comme les démons ne se contentent lesdémons, que le plus souvent ils prédisent
pas de prédire quelques faits à venir; comme ce qu'eux-mêmes doivent faire. Car souvent
ils opèrent encore certains actes étonnants, ils reçoivent le pouvoir d'envoyer les maladies,
grâce sans doute à la perfection de leur corps, de rendre l'air malsain en l'infectant, de con-
faut-il moins pour cela qu'un homme sage seiller le mal aux hommes déjà pervertis ou
les méprise, lui qui voit tant d'individus per- trop amis des avantages terrestres, et dont les
vers et misérables exercer à tel point leurs tristes mœurs leur donnent la certitude d'un
membres, déployer tant d'habileté dans leurs consentement absolu à leurs perfides conseils.
différentes professions, que ceux qui n'y sont Et ces suggestions, ils les produisent par mille
point initiés ou n'en ont pas été témoins peu- procédés aussi étonnants qu'invisibles, en pé-
vent à peine croire aux faits qu'on en raconte? nétrant par leurs corps si subtils dans les corps
Quelles merveilles n'ont point exécutées les deshommes qui ne s'en doutent point, en se
funambules et les artistes de théâtre 1 Quels mêlant à leurs pensées par des images et des fan-
prodiges sortent des mains d'ouvriers et sur- tômes dans l'état de veille ou dans le sommeil.
tout de mécaniciens Sont-ils pour cela meil-
1 Quelquefois aussi leur prédiction n'a pas
leurs que les gens de bien, en qui reluisent la pour objet ce qu'ils font eux-mêmes, mais ce
sainteté et la piété ? dont ils présagent l'avenir d'après certains si-
J'ai rappelé ces exemples, afin que l'obser- gnes naturels, signes que nos sens humains ne
vateur qui les étudiera sans prévention opi- peuvent percevoir. On ne regardera pas comme
niâtre ni vain esprit de dispute et de contra- un devin, par exemple, le médecin qui pré-
diction, arrive de lui-même à faire le raison- voit certains faits que ne voit point d'avance
nement suivant Des matières infimes etgros-
: l'homme étranger à son art. Or, faut-il s'éton-
sières, telles que le corps humain, ou telles ner que comme
médecin prévoit d'après
le

que la terre et l'eau, les pierres, les bois, les une perturbation ou d'après une amélioration
divers métaux, peuvent enfanter des prodiges du tempérament humain, notre santé à venir,
dans mains de certains hommes, à ce point
les bonne ou mauvaise ainsi le démon, d'après
;

que gens incapables d'en faire de pareils,


les certaine disposition ou règle de l'air qu'il
pénétrés de stupeur, les appelleront divins, en connaît, lui, et qui nous échappe, prévoie les
les comparant avec eux-mêmes. Malgré cela, variations du temps ?
toujours les uns gardent leur supériorité pro- Parfois même, les démons apprennent très-

fessionnelle, tandis que les autres conservent facilement les dispositions intimes des hom-
la supériorité de leurs vertus. Combien donc mes S non-seulement quand notre langue
de merveilles, et plus difficiles et plus éton-
'
Voir 2e livre des Rétractations, chap. XXX. Consultez aussi le
nantes, les démons pourront-ils exécuter par la 1er livre contre les Académiciens, chap. vi et VU, n. 16-21.
DE LA DIVINATION DES DÉMONS. 275

les déclare, mais même quand notre pensée ne devoir pas être entravées par leurs supé-
les a simplement conçues, si toutefois certains rieurs, et qu'ils s'engagent ainsi à réaliser, il

signes de notre corps les ont exprimées et tra- arrive,au contraire, que ceux-ci, aux mains
hies hors de notre esprit. De là, bien des pré- desquels est le pouvoir principal, empêchent
dictions de choses à venir, étonnantes pour tout à coup par un ordre suprême le fait déjà
d'autres personnes qui ne connaissent pas ces arrangé et préparé. Us sont trompés, encore,
dispositions secrètes. En effet, comme un mou- lorsque, comme nos médecins, nos naviga-
vement trop vif de notre àme se reflète sur teurs, nos agriculteurs, et même avec une sa-
notre visage, de façon que nos semblables re- gacité et une pénétration beaucoup plus ha-
connaîtront à ces traits extérieurs ce qui se biles etplus subtiles, puisque leur nature
passe en notre intérieur; ainsi ne doit-il pas jouit de sens plus fins et plus exercés, ils pré-
paraître incroyable que des pensées même disent certains événements d'après la science
plus calmes donnent sur notre corps certains de leurs causes naturelles ces événements,
;

signes que le sens moins délicat des hommes en effet, sont changés d'une façon soudaine et
ne peut saisir, tandis qu'il peut l'être par le imprévue et subissent une disposition nou-
sens bien plus pénétrant des démons. inconnue aux démons, par le minis-
velle et
tère des anges, pieux serviteurs du Dieu su-
CHAPITRE VI. prême. Ainsi un accident extérieur vient frap-
QUE, LE PLUS SOUVENT, LES DÉMONS SONT
per de mort un malade auquel un médecin
avait promis la vie, d'après certains symptômes
TROMPÉS ET TROMPEURS.
antérieurs et vraiment favorables. Ainsi en-
iO. Avec cette faculté si puissante, les dé- core, prévoyant l'état de l'atmosphère, quel-
mons font quelques prédictions, sans jamais que navigateur avait pu prédire une longue
approcher, même de loin, de cette hauteur durée à ce vent d'orage auquelNotre-Seigneur,
prophétique à laquelle Dieu élève ses saints embarqué avec ses disciples, commanda de
anges et ses prophètes. Car si les malins esprits s'apaiser, « et un grand calme régna sur-le-
annoncent d'avance quelque chose des des- « champ ^ ». C'est enfin comme si un agricul-
seins de Dieu, c'est qu'ils l'ont entendu pour teur garantissait pour telle année la fécondité
l'annoncer et quands ils prédisent ainsi ce
; heureuse d'une vigne, d'après la connaissance
qu'ils entendent par cette voie, ils ne sont ni qu'il a de la nature du terrain et de la quan-
trompés ni trompeurs, puisque les oracles an- tité des bourgeons; et que cependant, cette

géliques ou prophétiques sont infaillibles. On année même, la vigne fût desséchée par l'état
aurait tort, au surplus, de trouver inconve- imprévu d'un ciel inclément ou arrachée par
nantes ces quelques prédictions qu'il est donné ordre supérieur. Pareillement nombre de faits
aux démons d'entendre et de nous répéter : sont soumis à la prescience des démons et
une chose qu'on dit pour la faire savoir à tous, peuvent être prédits par eux, parce que des
peut, sans inconvenance, passer parla bouche causes d'un ordre inférieur et ordinaire per-
non-seulement des bons, mais des méchants mettent de les prévoir dans l'avenir mais ces ;

eux-mêmes. Ne voyons-nous pas, dans la so- mêmes faits sont empêchés et changés par des
ciété, les hommes pervers aussi bien que les causes majeures et plus secrètes.
justes célébrer les maximes de la saine mo- D'autre part, les démons nous trompent
rale? Et, loin de perdre son prestige sur les aussi, pour le seul plaisir de tromper, et par
lèvres de gens qui la contredisent par leurs cet esprit d'envie qui les fait se réjouir de nos
mœurs dépravées, la vérité y gagne dêtre plus erreurs. Mais pour ne pas perdre auprès de
connue, plus en renom, quand ils disent ce leurs sectaires leur crédit et leur autorité, ils

qu'ils en savent. —
Dans leurs autres prédic- font en sorte que la faute, quand ils sont trom-
tions, au contraire, les démons, la plupart du pés ou qu'ils ont menti, soit attribuée à leurs
temps, sont trompés et trompeurs. Ils sont interprètes et à ceux qui font métier de con-
trompés, parce qu'au moment où ils révèlent jecturer d'après leurs signes.
leurs intentions, un ordre imprévu partd'en- il. Où donc est la merveille, si à l'heure
haut qui bouleverse tous leurs desseins. C'est imminente, et d'ailleurs depuis si longtemps
ainsique quand des subalternes méchants prédite par les prophètes du vrai Dieu, où de-
prennent certaines dispositions qu'ils espèrent Matt. viu, 26.
276 DE LA DIVINATION DES DÉMONS.

vaient tomber les temples et les idoles, le dé- Cette Junon, que l'on aime à nommer chez
mon Sérapis a fait connaître l'événement tout eux la puissance de l'air, parle ainsi dans Vir-
prochain quelqu'un de ses adorateurs, pour
cà gile Aujourd'hui un bien rude coup me-
: «

recommander ainsi son fantôme de divinité, « nace innocente de Turnus; ce coup,


la tête

au moment même de sa retraite ou de sa fuite ? « je le vois venir, ou je m'abuse. Ah puissé- !

« je être le jouet de vaines alarmes Et vous, !

CHAPITRE VIL « qui le |)ouvez, que ne changez-vous en l'a-

POURQUOI LES DÉMONS TANTÔT SE TAISENT SUR « doucissant un arrêt si rigoureux* » Je dis ! —
LEURS PROPRES MALHEURS, ET TANTÔT LES PU- donc Ou bien ces prédictions, qu'ils savaient
:

BLIENT.
avoir été faites par les prophètes, les démons,
ces puissances aériennes, doutant de leur ac-
Ils sont chassés, en effet, lui et ses pareils; complissement, les regardaient comme sim-
ou bien, par les ordres suprêmes, ils sont en- plement possibles, et, par suite, ils ne voulu-
chaînés et arrachés des lieux mêmes de leur rent point en publier l'oracle ; et ce — si-

domaine, que sur afin les choses sujettes jus- lence donne la mesure de leur caractère;
qu'alors à leur empire el servant à leur culte, 2° Ou bien, au contraire, sachant à n'en
désormais s'accomplisse la volonté de Dieu, point douter qu'elles se réaliseraient, ils se
qui, depuis tant de siècles, a prédit cette ré- sont tus dans leurs temples pour cette raison
volution comme devant s'opérer chez tous les même, de peur de se voir dès lors abandonnés
peuples et qui a même commandé qu'elle et méprisés par les hommes intelligents, puis-
s'exécutât par la main de ses fidèles. Or, pour- que le renversement de leurs temples et de
quoi le démon n'aurait-il pas eu la permission leurs idoles eût été attesté par les prophètes
de prédire un coup dont il se savait déjà me- mêmes qui défendaient de les honorer.
nacé? En effet cette prédiction de sa ruine Mais, de nos jours, le temps était venu où
était attestée par les Prophètes qui l'avaient déjàs'accomplissaient les oracles des prophètes
écrite tout au long Dieu d'ailleurs, l'avait
; de ce Dieu unique, qui déclare les démons
donnée à pressentir aux hommes sages en autant de faux dieux et interdit très-sévère-
leur recommandant de se garer des fourberies ment leur culte : pourquoi, dès lors, con-
des démons et de fuir leur culte. Ces malins naissant le décret de leur ruine, les démons
esprits, après avoir, pendant de longs siècles, n'auraient-ils pas reçu la permission de la pré-
gardé le silence dans leurs temples sur des dire etde montrer ainsi avec évidence ou qu'ils
faits dont ils ne pouvaient ignorer la prédic- n'y ont point cru auparavant, ou qu'ils ont
tion par les Prophètes, comprirent leur pro- craintdel'annonceràleurs adorateurs? Et cette
chain accomplissement et voulurent se donner prédiction, enfin, dans leur intention, ne prou-
l'air de les prédire, de peur de passer pour des vait-elle pas que n'ayant désormais rien à
ignorants et des vaincus. Cette ruine avait donc faire de mieux, ils ont voulu du moins se
été depuis longtemps et prédite et écrite; et montrer devins habiles, et à l'heure même où
pour n'en point donner d'autres preuves, je ne les faits venaient les convaincre d'avoir long-

citerai que ces paroles du prophète Sophronie : temps usurpé les honneurs divins?
« Dieu prévaudra contre eux, il exterminera
CHAPITRE VIH.
« tous les dieux des nations de la terre, et lui-
« même sera adoré par chacun dans son pays, LES DÉMONS ONT PU FAIRE QUELQUES PRÉDICTIONS
« par toutes les îles des nations * ».
VRAIES, d'après LEURS CONNAISSANCES DES
Or, de deux choses, l'une :
ORACLES DES PROPHÈTES ; MAIS ILS n'ONT JA-
1° Vénérés dans les temples des Gentils, MAIS OSÉ RIEN DIRE CONTRE LE VRAI DIEU.
peut-être les démons ne croyaient-ils pas à
l'accomplissement de ces oracles, et c'est pour 12. Toutefois les adorateurs qui leur res-

cela qu'ils ne voulurent pas les publier par tent encore prétendent que certains de leurs
leurs devins et leurs illuminés fanatiques. livres contiennent ces prédictions. On aurait
est vrai, qu'elles ont été fa-
C'est ainsi qu'un de leurs poètes nous montre droit de croire, il

Junon n'ayant point une foi absolue à ce que briquées d'après événements mêmes, puis-
les

Jupiter avait prédit sur le mont de Turnus. que, si elles étaient authentiques, leurs tem-
'
Enéide, liv. x, 630-632 et suiv.
' Sophon. II, 1.
DE LA DIVINATION DES DÉMONS. 277

pies auraient dû, depuis si longtemps, les recevoir le culte des nations, heureuses de
faire connaître à leurs peuples. Ainsi agit-on, bannir les fausses divinités qu'elles hono-
en effet, non-seulement dans nos églises, à raient auparavant, c'est un fait prédit par les
nous; mais, ce qui est un témoignage plus pro[)hètes, comme je l'ai rappelé déjà et
écrasant encore, contre tous nos ennemis, ainsi comme j'aime à le redire encore : « Le Sei-
agissent les synagogues des Juifs, qui les don- « gneur prévaudra contre eux, est-il dit; il
nent à lire de toute antiquité et en toute « exterminera les dieux des nations de la terre,
clarté. Cependant les quelques pauvres pré- qui sera adoré par chacun dans
« et c'est lui

dictions que l'on produit si rarement et à la « son pays, par toutes les îles des nations » *
.

dérobée, ne nous doivent point étonner, sup- Ce ne seront pas les îles seulement, maistoutes
posât-on qu'on ait pu extorquer de quelque les nations si bien au complet que toutes
démon un aveu fait à ses adorateurs, un se- leurs îles mêmes voudront l'adorer ; d'autant
cret que lui-même avait appris par les prédi- plus qu'en un autre ne
livre sacré, l'Ecriture
cations des prophètes ou par les oracles des mentionne pas mais le monde habité
les îles,
anges. Pourquoi ce fait serait-il impossible, tout entier : « La terre dans toute son étendue
puisqu'il n'attaque pas et qu'il atteste au con- « sesouviendra de ces choses et se convertira
Un seul oracle leur doit être
traire la vérité? «au Seigneur; et tous les peuples différents
demandé comme valide contre nous mais ils ; « des nations seront dans l'adoration en sa
nel'ont jamais produit; mais ils n'essaieront « présence, parce que la vraie royauté appar-
jamais de le produire à moins de le fabri- au Seigneur; à lui reviendra l'empire
« tient

quer : c'est de nous montrer leurs dieux «sur toutes les nations ^ ». L'accomplisse-
comme ayant osé rien prédire ou dire même ment de ces prophéties par Jésus-Christ était
par leurs devins contre le Dieu d'Israël. Ce annoncé assez évidemment par d'autres té-
Dieu, leurs écrivains les plus savants, qui ont moignages encore, et spécialement par ce
pu tout lire et demandé qui il
connaître, ont même psaume auquel j'emprunte ces paroles.
était, plutôt qu'ils n'ont eu
pouvoir de nier le En effet, après nous avoir entretenus de sa
sa divinité. Or, au contraire, ce Dieu dont au- Passion à venir, en disant par le Prophète
cun d'eux n'a osé nier le titre de Dieu véri- dans les versets précédents : « Ils ont percé
table, et qu'une négation si hardie n'empê- « mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous
cherait pas de les punir comme ils le méritent, « mes os ils ; se sont plu à me regarder et à
outre que des faits certains la convaincraient « mecontempler ils ont partagé mes vête- ;

de mensonge; ce Dieu, oui, dont aucun d'eux, « ments entre eux, et ils ont jeté ma robe au
Dieu véri-
je l'ai dit, n'a osé nier qu'il fût le «sort», presque aussitôt après ces plaintes,
table, les a traitésde divinités fausses qu'on le Seigneur ajoute les paroles que j'ai citées :

doitabandonner; temples, idoles, culte, il veut, « La terre dans toute son étendue se souvien-
par ses vrais devins, c'est-à-dire par ses Pro- « dra de ces choses et se convertira ».
phètes, que tout s'écroule; son arrêt publique- D'ailleurs, le texte que
j'ai cité en premier
ment l'a prédit; sa puissance publiquement lieu, où vous lisez Le Seigneur prévaudra
: «
l'a commandé ; sa vérité publiquement l'a ac- « contre eux, il exterminera tous les dieux de
compli. Aussi, quel homme sera désormais « la terre » , ce texte, par ce seul mot « il pré-
donner tout son culte de pré-
fou, j usqu'à ne pas « vaudra » , est déjà une prophétie d'un double
férenceàCelui que les dieux mêmes qu'il hono- fait, à savoir : des combats que les païens de-
rait ne lui défendent point d'honorer? Et, dès vaient livrer à l'Eglise, de ces persécutions
qu'il commencera à lui porter son hommage, à outrance contre le nom chrétien, pour l'ef-
il le refusera bien certainement à ceux qu'un facer entièrement de ce monde, s'il eût été
Dieu qu'il honore lui défend d'honorer. possible; —
puis de la victoire que le Sei-
gneur remporterait sur eux par la patience
CHAPITRE IX.
de ses martyrs et la grandeur des miracles
LES PROPHÈTES OM PRÉDIT QUE LE CULTE DES DÉ- qui amèneraient enfln tous les peuples à la
MOjSS DISPARAITRA POUR FAIRE PLACE AU CULTE vraie foi. C'est le sens de l'expression « Le :

d'un SEUL PIEU. « Seigneur prévaudra contre eux ». Il ne se-


rait point dit que Dieu dût prévaloir contre
13. Que lui-même, au contraire, dût enfin » sophon. u, i. - ^
Psai. xxi, 28-29, 17-19.
278 DE LA DIVINATION DES DÉMONS.

eux, si eux-mêmes n'avaient pas dû lui résis- surpris de cette accusation, puisque nous
y
ter en l'attaquant. Aussi le Psalmiste l'avait voyons se réaliser une prophétie de plus.
ainsi prophétisé : En effet, cette inhabileté, cette folie des
« Pourquoi les nations ont-elles frémi, et chrétiens, où se dévoile la plus haute, la seule
G pourquoi les peuples ont-ils formé de vains véritable sagesse aux yeux des humbles et des
« complots ? Les rois de la terre se sont levés, saints, qui l'étudient avec amour : oui, c'est
« et les princes se sont assemblés contre le prétendue folie des chrétiens
elle, c'est cette
« Seigneur et contre son Christ ». — Mais il qui a réduit leurs adversaires à n'être plus
ajoute bientôt : « Le Seigneur m'a dit Vous : qu'une infime minorité, parce que, selon le
« êtes mon fils; je vous ai engendré aujour- mot de l'Apôtre : « Dieu a rendu insensée la
« d'hui. Demandez-moi, et je vous donnerai « sagesse de ce monde » ; aussi ajoute-t-il un
a les nations pour votre héritage et j'étendrai trait admirable à qui comprendre,
sait le
« votre empire jusqu'aux extrémités de la quand il poursuit « En effet. Dieu voyant
:

« terre '
qui dictait déjà les paroles
». C'est ce crque le monde avec la sagesse humaine, ne
précitées d'un autre psaume « La terre dans : « l'avait point connu dans les ouvrages de sa
« toute son étendue se souviendra de ces a sagesse divine, il lui a plu de sauver par la
« choses et se convertira au Seigneur » .
— a folie de la prédication ceux qui croiraient
Ce§ prophéties majestueuses annonçaient évi- « en lui. Car les Juifs demandent des mira-
demment un fait réalisé par Jésus-Christ, à « clés et les gentils cherchent la sagesse ; et
savoir, que
Dieu d'Israël, par nous reconnu
le « nous nous prêchons Jésus-Christ crucifié,
,

comme le seul vrai Dieu, serait honoré bien- « lequel est un scandale pour les Juifs, et une
tôt non pas seulement dans cette unique na- « folie pour les Gentils mais il est la force ;

tion qui s'est appelée Israël, mais par tous les « de Dieu et la sagesse de Dieu pour ceux qui
peuples, et que tous les faux dieux des nations « sont appelés, soit Juifs, soit Gentils; parce
seraient par lui arrachés et de leurs temples, « que ce qui paraît en Dieu une folie, est plus
et des cœurs mêmes de leurs adorateurs. « sage que la sagesse des hommes, et ce qui
« paraît en Dieu une faiblesse, est plus fort
CHAPITRE X. « que toute la force des hommes ^ ».
LES TRISTES RESTES DES PAÏENS VANTENT EN VAIN moquent donc, et de tout leur pos-
Qu'ils se

LEDR SCIENCE ET LEUR SAGESSE. sible, de notre prétendue ignorance et de


notre folie et qu'ils vantent leur science et
,

viennent maintenant, ces vaincus;


iA. Qu'ils leur sagesse. Ce que je sais, c'est que nos in-
et qu'en face de la religion chrétienne et contre sulteurs sont déjà moins nombreux cette
le culte du vrai Dieu, ils osent batailler encore année qu'ils ne l'étaient l'an dernier. Car de-
en faveur de veilleries puériles, afin de périr puis l'époijue où les nations ont frémi, et où
sans doute avec quelque bruit. Car le psaume les peuples ont vainement comploté contre le

leur prédit encore ce sort misérable, et voici Seigneur et contre son Christ, alors qu'ils
les paroles du Prophète : versaient sang des saints et qu'ils rava-
le

« Vous vous êtes assis sur votre trône, vous geaient l'Eglise,jusqu'au temps présent et
w qui jugez selon la justice. Vous avez con- dans les âges qui suivront, ils diminueront
« damné les nations, et l'impie a péri; vous en nombre de jour en jour. Quant à nous,
et avez effacé leur nom pour toute l'éternité et nous sommes fortifiés à l'infini contre leurs
« pour les siècles des siècles. Les armes de opprobres moqueries superbes, parles
et leurs

a l'ennemi ont perdu leur force pour toujours oracles de notre Dieu, que nous voyons sur ce
« et vous avez détruit leurs villes. Leur mé- point même, que nous sommes heureux de
cr moire a péri avec grand bruit; mais le Sei- voir se vérifier toujours. Car c'est à nous qu'il
« gneur demeure éternellement-». Il faut déclare par son Prophète :

absolument que tout cela s'accomplisse et si ;


« Ecoutez-moi, vous qui connaissez la jus-

ce petit nombre d'ennemis qui survivent «tice; vous, mon peuple, qui avez ma loi
osent encore vanter leurs doctrines gonflées « gravée dans vos cœurs; ne craignez point
de vent, et se moquer des chrétiens comme « les opprobres des hommes; ne vous laissez

d'ignorants inhabiles, nous ne devons pas être « pas vaincre par leurs outrages ; et s'ils vous
Psal. u, 1, 2, Ps. IX, 5-8. » I Cor. I, 20-25.
DE LA DIVINATION DES DÉMONS. 279

a méprisent aujourd'hui, ne faites pas grand cependant nos réflexions, s'ils


Qu'ils lisent
« cas de leur mépris. Car, comme les vête- daignent nous entendre et quand leurs
;

« ments, ils seront usés par le temps; et comme objections arriveront à nos oreilles, autant
« la laine, ils serontdévoréspar les vers; mais que Dieu nous aidera, nous espérons y ré-
« ma justice subsiste éternellement • ». pondre.
' Isaï. u, 7, 8.

Traduction de M. Cabbé COLLERY.


DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS ".

Ce traité fut écrit pour répondre à évêque de Noie, qu' avait demandé à l'auteur si la sépulture dans les églises
saint Paulin,

des martyrs est de quelque aux âmes des morts.


utilité —
Les morts eux-mêmes ne souffrent pas lorsque leurs corps sont
privés de sépulture. —
Le lieu où in les ensevelit ne leur est pas utile par lui-même, mais seulement par occasion en ce ,

que le souvenir de ce lieu excite et augmente l'affection de ceux qui prient pour les morts. —
Le soin d'ensevelir les morts
vient du sentiment naturel d'affection que l'homme éprouve pour sa chair, et les saints martyrs n'y furent pas sensibles,
parce qu'il est indifférent au bonheur ou au malheur. —
Dissertation incidente sur les apparitions des morts aux vivants, pour
réclamer la sépulture. —
Plusieurs exemples de ces visions, pour montrer de quelle manière elles ont lieu. Dernière —
question les morts interviennent-ils dans les affaires des vivants ?
:

CHAPITRE PREMIER. réclame pour lui le secours des saints.


2. Cela posé, vous vous objectez ce que dit
EST-IL UTILE A UN MORT d'ÊTRE ENSEVELI AUPRÈS
l'Apôtre Nous comparaîtrons tous devant le
: «
DU TOMBEAU d' UN MARTYR?
« du Christ, pour être traités chacun
tribunal
d. Je suis votre débiteur depuis longtemps, « selon ce que nous aurons fait dans notre

cher collègue dans l'épiscopat vénérable , « corps, de bien ou de mal » et vous dites
;

Paulin car il y a longtemps que vous m'avez


; que vous ne voyez pas bien comment ce texte
fait remettre une lettre par les gens de notre peut s'accorder avec notre opinion. Car cette
très-religieuse fille Flora, pour me demander sentence de l'Apôtre nous avertit que ce qui
s'il est utile à quelqu'un qui est mort que son peut être utile après la mort doit être fait
corps soit enseveli auprès du tombeau d'un avant la mort, et non pas alors que le moment

saint. La veuve susnommée vous avait fait sera venu de recevoir en proportion de ce
une demande de ce genre pour son fils décédé que nous aurons fait avant de mourir. Mais
dans votre pays et vous lui avez répondu par
;
voici la solution c'est qu'il est une manière
:

une lettre de consolation, lui annonçant en de vivre par laquelle on mérite, durant la vie
même temps que le vœu de sa piété et de son du corps, que les soins donnés aux morts leur
amour maternel était accompli et que le , soient utiles et c'est en ce sens que les actes
;

cadavre du fidèle jeune homme Cynégius était religieux qu'on fait pour eux après la vie du
déposé dans la basilique du bienheureux con- corps, les aident selon ce qu'ils ont fait durant
fesseur Félix. cette viedu corps. Car il en est qui ne retirent
A vous m'avez écrit à moi-
cette occasion aucune aide de ce qu'on fait pour eux savoir ;

même, par les messagers porteurs de la lettre ceux qui ont fait tant de mal qu'ils sont indignes
destinée à la veuve. En me soumettant la d'être ainsi secourus, et ceux qui ont fait tant
question, vous me demandez de vous faire de bien qu'ils n'ont plus besoin de cette sorte
connaître mon opinion, sans me taire la vôtre. de secours. Ainsi le genre de vie que chacun
A votre avis, ce ne sont pas de vains senti- a mené durant la vie du corps, est la cause de
ments qui portent les âmes religieuses et l'utilité ou de l'inutilité de tous les pieux de-
fidèles à rendre ces sortes de soins à leurs voirs qu'on peut leur rendre après cette vie.
morts. Vous ajoutez de plus qu'on ne peut En effet, s'ils n'ont acquis en-deçà du tombeau
taxer de vaine pratique la coutume universelle aucun mérite en vertu duquel ces devoirs
dans l'Eglise d'adresser des supplications pour peuvent leur être utiles, vous ne leur en trou-
les défunts; et vous croyez pouvoir aussi con- verez pas davantage au delà.
clure de là qu'il est utile à un homme, après Donc, d'une part, ni l'Eglise, ni les familles
la mort, que la piété de ses proches pourvoie ne font une chose vaine en entourant les
à l'inhumation de son corps en choisissant un défunts de tant de soins religieux; et d'un
lieu de sépulture tel, qu'li apparaisse qu'on autre côté, chacun n'en est pas moins traité
selon ce qu'il a fait de bien ou de mal durant
' Ecrit vers l'an de J.-C. 421. — Voir le deuxième livre des
Rélractalions, chapitre LXtV. la vie du corps, et le Seigneur rend à chacun
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 281

selon ses œuvres. Car si les soins pieux sont des ravages des barbares, et en particulier du
utiles à quelqu'un après la mort, c'est qu'il l'a saccage récent de Rome, objectaient encore
mérité durant cette vie. aux chrétiens que le Christ ne leur était point
3. Cette courte solution pourrait suffire pour venu en aide dans cette affliction. Lorsqu'on
répondre à votre demande. Mais je réclame leur répondait que le Christ avait recueilli les
quelque temps votre attention pour traiter âmes des fidèles en considération des mérites
Nous lisons
d'autres questions qu'elle soulève. de leur foi, ils se rejetaient sur les cadavres
dans les livres des Machabées qu'un sacrifice laissés sans sépulture, et en faisaient le thème
fut offert pour les morts ^ Mais lors même de leurs déclamations. Voici le texte entier de
qu'on ne lirait rien de semblable dans les ma réponse sur cette question delà sépulture.
anciennes Ecritures, nous avons sur ce point 4. a ...Mais dans cet immense massacre les ca-
l'autorité si grave de l'Eglise universelle, évi- davres ne purent même être ensevelis ! — La
demment constatée par la coutume, puisque piété des fidèles ne s'effraie pas plus que de
la recommandation des morts a sa place dans raison à cette pensée, parce qu'ils savent que
les prières que le prêtre adresse au Seigneur les corps même dévorés par les bêtes farouches
Dieu à son autel. n'en ressusciteront pas moins, et qu'un cheveu
de leur tête ne peut périr. En vain la Vérité
CHAPITRE II.
dirait : « Ne craignez pas ceux qui peuvent
DE QUELLE UTILITÉ SONT LES HONNEURS DE LA « tuer le corps, mais qui ne peuvent tuer
SÉPULTURE. LE DÉFAUT DE SÉPULTURE NE NUIT « l'âme * » ; si tous les mauvais traitements pos-

PAS AUX MORTS CHRÉTIENS. sibles exercés par les méchants sur les corps
de ceux qu'ils ont tués pouvaient nuire tant
Examinons avec plus de soin s'il est de quel- soit peu à la vie future. Se trouvera-t-il un
que utilité à l'âme d'un mort que son corps esprit assez absurde pour prétendre, au sujet
soit enseveli. Et d'abord le défaut de sépulture de ceux qui tuent le corps, qu'il ne faut pas
des corps caused'une souffrance ou d'une
est-il les craindre avant la mort, parce qu'il importe
augmentation de souffrance pour les âmes des peu qu'ils tuent le corps mais qu'il faut les ;

hommes après cette vie? C'est ce que nous craindre après la mort, de peur qu'ils ne lais-
allons rechercher non pas en consultant l'opi- sent les corps des tués sans sépulture? Alors
nion vulgaire générale, mais à la lumière
et le Christ aurait donc erré endisant: «Ceuxqui
des saints livres de notre religion. Il n'est point tuent le corps, et qui eiisuite n'ont plus aucun
à croire, en effet, comme on le lit dans Virgile, pouvoir ? » Car ils eu auraient encore beaucoup
que ceux qui meurent sans sépulture sont re- dans ce cas, en maltraitant les cadavres. Loin de
poussés de la barque sur laquelle on passe le nouslapenséequecequela Vérité a dit soit ure
fleuve infernal : fausseté. Elle a dit en effet qu'ils ont du pou-
voir lorsqu'ils tuent, parce que le sentiment
Nec ripas datur horrendas, nec rauca fluenfa existe corps que l'on tue; mais ils n'en
dans le
Transportare prius, quam sedibus ossa quierunt ^.
ont plus ensuite, parce que le corps tué est
complètement privé de sentiment. Aussi, bien
Quel cœur de chrétien pourrait sentir de des cadavres de chrétiens sont restés gisants,
Tattrait pour ces imaginations de la poésie et c la terre ne les a pas recouverts. Mais per-
t

de la fable, quand nous voyons le Seigneur sonne au monde n'a pu en tirer un seul du
Jésus, pour rassurer les chrétiens qui devaient ciel ni delà terre; de la terre, que remplit tout
tomber entre les mains de leurs ennemis, et entière de sa présence Celui qui sait com-
laisser en mourant leurs corps à la merci des ment ressusciter ce qu'il a lui-même créé. II
bourreaux^ leur dire qu'un clieveu de leur est vrai qu'on lit dans les Psaumes « Ils ont:

tête ne peut périr, et les exhorter à ne pas « livré les dépouilles mortelles de vos servi-
craindre ceux qui, après avoir tué le corps, « teurs en nourriture aux oiseaux du ciel, et les
n'ont plus ensuite aucun pouvoir? Aussi, je « chairs de vos saints aux bêles de la terre; ils
crois en avoir assez dit, dans le premier livre « ont répandu leur sang de l'eau au- comme
de la Cité de Dieu^ pour fermer la bouche à « tour de Jérusalem et il n'y avait personne ;

ceux qui rendant l'ère chrétienne responsable (( pour donner la sépulture ^» Mais ces paroles .

» Il Mach. XII, 43. — 'Eaéid., liv. vi, 327, 328. '


Malt, s, 28, 30 ; Luc, xn, 4,7. — ' Ps. LXSVlll, 2, 3.
282 DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

témoignent éloquemment de la cruauté de défunts, surtout ceux des justes et des fidèles,
ceux qui ont commis ces forfaits, plutôt que qui ont été comme les instruments et les vases

du malheur de ceuxqui en ont été les victimes. dont l'âme s'est saintement servie pour opérer
Aux yeux des hommes, ces scènes paraissent toutes sortes de bonnes œuvres. Le vêtement
affreuses et barbares, mais « aux yeux de Dieu et l'anneau d'un père, ou tout autre souvenir
cr mort de ses saints est précieuse ».
la * semblable sont d'autant plus chers à ses en-
Concluons donc que tous ces devoirs rendus fants que leur affection pour lui fut plus vive:

aux morts, les soins funèbres, la manière d'en- à quel titre mépriserait-on les corps mêmes,
sevelir, la pompe des obsèques, sont plutôt des qui nous sont unis bien plus étroitement que
consolations pour les vivants, que des bien- n'importe quel vêtement ? Le corps ne nous a
faits pour les morts. Si une sépulture distin- pas été donné comme un ornement ou un aide
guée est de quelque utilité pour l'impie, extérieur, il appartient à la nature même de
l'homme pieux pâtira donc d'un humble en- l'homme. De là vient qu'une piété attentive
terrement ou même d'un manque de sépul- s'est empressée de rendre aux anciens justes
ture ? Mais voici que la foule de ses serviteurs les soins funèbres, de célébrer leurs obsèques,
a fait au riche vêtu de pourpre des funérailles et de pourvoir à leur sépulture et tandis qu'ils ;

splendides aux yeux des hommes; et cepen- vivaient, ils ont eux-mêmes prescrit à leurs
dant celles que les anges firent au pauvre cou- enfants d'ensevelir leurs corps et parfois aussi
vert d'ulcères le furent bien autrement aux de les transporter d'un lieu en un autre *. C'est

yeux du Seigneur. Ils ne l'ont pas descendu en ensevelissant les morts que Tobie a mérité
dans un tombeau de marbre, mais ils l'ont les faveurs de Dieu c'est à ce titre qu'il est
:

transporté dans le sein d'Abraham '^ Ils rient loué, et un ange même en rend témoignage^.
de ce que nous disons, ceux contre qui nous Le Seigneur lui-même, qui devait pourtant
avons entrepris de défendre la Cité de Dieu ; et ressusciter le troisième jour, pubUe et recom-
pourtant leurs philosophes eux-mêmes ont fait mande de publier la bonne œuvre de cette
peu de cas du soin de leur sépulture souvent ; femme pieuse qui avait répandu une huile
des armées entières se sont fort peu souciées parfumée sur ses membres, et parce qu'elle
du lieu où elles demeureraient gisantes, des l'avait fait en vue de sa sépulture*. L'Evangile

bêtes de la terre dont elles seraient la pâture ;


mentionne encore avec éloge ceux qui prirent
ont pu exprimer ces
et leurs poètes faits par soin de recueillir son corps sur la croix, de le
ce langage non dépourvu de raison : couvrir avec un soin pieux et de l'ensevelir
avec honneur *. Toutefois ces faits autorisés
Le ciel recouvre aiasi ceux à qui l'unie manque.
ne signifient pas qu'il reste aucun sentiment
A combien plus forte raison doivent-ils dans les cadavres; mais ils nous montrent que
s'abstenir de prendre le défaut de sépulture les corps mêmes des morts ne sont pas
des corps pour thème de leurs déclamations étrangers à la Providence de Dieu, qui a
contre les chrétiens, à qui en outre cette pour agréables ces pieux devoirs, parce qu'ils
grande promesse est faite : cette même chair servent à établir la foi en la résurrection. Il y
et tous ces membres
reformeront un jour
se ;
a là aussi un enseignement salutaire et nous ;

en un instant, ils reprendront non-seulement pouvons y voir combien sont nécessaires les
à la terre, mais dans les entrailles les plus œuvres de miséricorde pratiquées à l'égard
profondes des autres éléments, les parcelles des vivants qui en sentent les effets, puisque
dispersées et subtilisées de leurs cadavres, et Dieu ne laisse pas sans récompense les devoirs
leur forme première leur sera rendue, com- et les soins rendus aux membres glacés des

plète et indestructible. mortels. Il y a encore d'autres dispositions


des saints patriarches sur leur sépulture ou le
CHAPITRE III.
transport de leurs corps, et auquel ils ont
attaché un sens prophétique ^ Mais ce n'est
POURQUOI LE SOIN DES FUNÉRAILLES ET DE LA
SÉPULTURE EST LOUABLE. pas ici le lieu d'en disserter, et les traits que
nous venons de citer suffisent. Reprenons, et

5. « Toutefois ce n'est point là un motif de


mépriser et de jeter à la voirie les corps des
' Gen. xxiii, XXV, 9, 10, et xlvu, 30. — ' Tob. u, 9, et xu, 12.
— « Matt. XXVI, 7-13. — ' Joan. XIX, 38. — ' Gen. jxvu, 30,
'
Ps. cxv, 15. — ' Luc, ivi, 19-22. et L, 24.
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 283

faisons une réflexion sur les choses nécessaires effet, ils le rappellent à notre souvenir, et ils

poursustenterlesvivants, telles quelevêtement nous avertissent de penser à eux. C'est ce que


et la nourriture. La privation ne s'en fait pas fait voir très-clairement le nom même de Mé-
sentir sans une grande affliction, et pourtant moire, aussi bien que celui de Monument,
loin de briser la vertu dans les bons, je dis la [demonere ?nentem) qui signifie avertissement.
patience courageuse qui s'y soumet, loin de Aussi les Grecs appellent-ils
avr,(i=Tov, ce que
déraciner la piété de leurs âmes, elle l'exerce nous appelons Mémoire ou Monument, parce
au contraire, et la rend plus féconde. A plus que dans leur langue la mémoire ou la faculté
forte raison, la privation des funérailles et de de se souvenir se dit wn.u.r,. Lors donc que le
la sépulture ordinaire ne peut-elle rendre mal- cœur se porte vers l'endroit où repose le corps
heureux ceux qui habitent déjà dans la paix les d'une personne bien chère, et que le lieu véné-
demeures invisibles des Justes. Par conséquent, rable qui porte le nom du martyr se présente en
lorsque dans la dévastation de cette grande même tempsàl'esprit, celui quimêle la prière
ville et des autres, les cadavres des chrétiens au souvenir du cœur recommande affectueu-
furent privés de ces honneurs, il n'en résulta sement l'âme bien-aimée à ce saint martyr.
ni une faute pour les vivants qui ne purent les Or il n'est pas douteux que cet acte de la vive
leur rendre, ni une punition pour les morts charité des fidèles pour les défunts, ne soit
qui ne purent en rien sentir ». *
utile à ceux d'entre eux qui ont mérité, tan-
Voilà comment j'ai raisonné cette matière dis qu'ils vivaient, de recevoir ce soulagement
de la sépulture, et tel est mon sentiment for- après leur mort.
mulé ailleurs. Je l'ai transcrit ici, parce qu'il Toutefois, lorsque, pour un motif grave et
m'était plus facile de le copier, que de l'ex- impérieux, il est impossible ou d'inhumer les
primer de nouveau d'une autre manière. corps, ou de les inhumer dans ces lieux, on ne
doit pas pour cela omettre les supplications
CHAPITRE IV.
pour les esprits des morts. L'Eglise a pris à
LE LIEU DE LA SÉPULTURE d'uN MORT NE LUI tâche de les faire en général pour tous ceux
EST PAS UTILE PAR LUI-MÊME, M4IS PARCE QC'iL qui sont morts dans la société chrétienne et
EXCITE A PRIER POUR LE DÉFUNT. catholique,même sans les nommer, ainsi, à
défaut de parents, d'enfants, de proches ou
6. S'il en est ainsi, c'est évidemment une d'amis, cette tendre Mère, unique et uni-
œuvre de pieuse affection pour les morts, que verselle, leur rend ce pieux devojr. Que si ces
de choisir leur lieu de sépulture auprès des supplications offertes pour les morts par une
tombeaux des saints. Car si c'est un acte de foi et une piété légitimes venaient à manquer,
religion de les ensevelir, c'en sera un aussi, je suis d'avis qu'il ne servirait de rien à leurs
on le sent, de s'occuper du choix du lieu. Mais âmes de déposer leurs corps privés de vie dans
en examinant ces soins que les vivants rendent n'importe quels lieux saints.
aux morts pour se consoler, et qui révèlent
en même temps leur pieuse affection pour CHAPITRE V.
leurs proches, il faut voir quel profit peuvent
EN QUELLE MESURE LE LIEU DE LA SÉPULTURE
en morts eux-mêmes. Je n'en vois
retirer les
EST UTILE AUX MORTS.
qu'un. C'est qu'en se rappelant le lieu où ces
corps chéris reposent, les vivants les recom- 7. Lorsque la fidèle mère d'un fils défunt a
mandent à ces mêmes saints comme à des désiré voir le corps déposé dans la basilique
patrons à qui ils les ont confiés pour les aider du martyr, elle s'est persuadée certainement
par leurs prières auprès de Dieu. Or on pour- que mérites du martyr viendraient en aide
les
rait en agir ainsi, lors même qu'il ne serait à l'âme. Or cette persuasion équivalait à une
pas possible d'inhumer les morts dans ces lieux supplication ; c'est là ce qui fut utile au mort,
choisis. Maispourquoi appelle-t-on Mémoires et rien autre chose. Elle va maintenant par la
ou Monuments ces tombeaux remarquables pensée visiter ce tombeau, et elle recommande
que l'on construit aux défunts, sinon pour de plus en plus son fils dans ses prières :

soustraire à l'oubli du cœur ceux que la comment, en cela, l'esprit du mort est-il aidé?
mort a soustraits aux yeux des vivants? En est-ce le lieu où est le corps mort qui l'aide ?
* Cité de Dieu, liv. I, ch. xn, xni. Non ;
c'est le vivant amour de sa mère qu'ex-
,

DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

cite le souvenir du lieu. Car elle pense à la vivre, et il en a emporté


en en sortant,
la vie
fois et à celui qu'elle recommande, et à celui comme il la lui rapportera en y rentrant. Non,
à qui elle le recommande ; et ce double sou- ce n'est pas la chair qui mérite pour l'esprit
venir n'émeut pas en vain cette âme reli- c'est l'esprit qui mérite pour la chair jusqu'à

gieuse. la résurrection elle-même, et c'est lui qui la

En effet, ceux qui prient font avec les mem- fera revivre soit pour le châtiment, soit pour

bres de leurs corps des gestes en harmonie la gloire.

avec la supplication ils ploient les genoux,


;
CHAPITRE VI.

ils étendent les mains, ils se prosternent sur CORPS DE MARTYRS BRÛLÉS, ET LEURS CENDRES
le sol, et d'autres mouvements visibles sem- JETÉES DANS LE ROÔNE.
blables, quoique leur volonté invisible et l'in-
8. Nous lisons le fait suivant dans l'Histoire
tention cachée au fond de leur cœur soient
ecclésiastique, écrite en grec par Eusèbe, et
connues de Dieu, et qu'il n'ait pas besoin de traduite en latin par Ruffîn. Dans la Gaule
ces signes pour lire dans l'àme humaine comme des corps de martyrs furent jetés aux chiens ;

dans un livre ouvert. Cependant c'est ainsi ce que les chiens en laissèrent fut jeté dans
que l'homme s'excite lui-même à prier et à les flammes avec les os et entièrement con-
gémir avec plus d'humilité et de ferveur. Et, sumé; et les cendres jetées à leur tour dans le
je ne sais comment cela se fait, mais, quoique fleuve du Rhône, atîn qu'il n'en restât aucun
ces mouvements du corps ne puissent avoir lieu souvenir. Nous devons croire que Dieu n'eut
sans qu'un mouvement de l'âme les ait précé- pas d'autre dessein, en permettant ces incroya-
dés, il n'en arrive pas moins que ces signes bles sévices, que d'apprendre aux chrétiens
visibles eux-mêmes rendent à leur tour plus qui méprisent la vie présente en confessant
puissant le mouvement intérieur qui les a le Christ, àmépriser à plus forte raison la sé-
causés et ainsi le sentiment d'affection qui a
; pulture. Car si de pareils traitements exercés
dû les précéder pour qu'ils pussent se produire, sur les corps des martyrs étaient un obstacle
s'accroît parce qu'ils se sont produits. Toute- au bienheureux repos de leurs âmes victo-
fois, si était empêché, lié même,
quelqu'un rieuses, assurément Dieu ne le permettrait
de ne pût faire cet usage de
telle sorte qu'il pas. Le sens des paroles du Seigneur est donc
ses membres, l'homme intérieur ne laisserait éclairci par le fait même. Lorsqu'il a dit : « Ne
pas de prier en lui, et de se prosterner devant « craignez pas ceux qui tuent le corps, et qui
Dieu dans ces profondeurs cachées où habite « ensuite n'ont plus aucun pouvoir », il n'a pas
la componction. De même, celui qui adresse à voulu dire qu'il ne leur laisserait aucun pou-
Dieu des supplications pour l'âme d'un des voir sur les corps des morts, mais bien que, quoi
siens qui est mort, s'intéresse vivement au qu'ils fissent, la félicité des chrétiens défunts
lieu où il déposera le corps un premier sen- ; n'en serait aucunement amoindrie, que les
timent d'affection choisit un lieu sanctilié, et sens de ceux qui sont pleins de vie après la
lorsque le corps y est déposé, le souvenir du mort n'en seraient nullement affectés, et que
lieu sanctifié renouvelle et augmente à
,
leurs corpseux-mêmes n'en souffriraient au-
son tour ce sentiment d'amour qui a pré- cun dommage, au moins en ce qui regarde
cédé et produit le choix de la sépulture. l'intégrité de leur résurrection.
Mais lors même que cette âme religieuse ne
CHAPITRE VII.
peut inhumer celui qu'elle aime, dans le lieu
qu'elle préfère, elle n'en doit pas moins conti- LE SOIN DE LA SÉPULTURE VIENT DU SENTIMENT
d'affection que l'homme ÉPROUVE POUR SON
nuer les supplications nécessaires et ne pas
PROPRE CORPS.
cesser de lerecommander. Peu importe le
lieu où gît ou ne gît pas la chair du défunt : 9. Cependant, il est un vif sentiment dans le

c'est à son esprit qu'il faut procurer le repos. cœur de l'homme, c'est celui en vertu duquel
Lorsque l'esprit est sorti de la chair, il a jamais personne n'a haï sa propre chair \
emporté avec lui le sentiment, par lequel seul Aussi, si les hommes viennent à savoir que,

il est possible de s'intéresser au


sort heureux après leur mort, leurs corps seront privés de

ou malheureux de quelqu'un. Ce n'est donc quelqu'un de ces soins que comporte la solen-
nité de la sépulture en usage dans leur famille
pas de cette chair qu'il attend d'être aidé pour
vivre ;
parce que c'est lui-même qui la faisait » Ephes. V, 29.
,

DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 285

ou dans leur patrie, ils s'en attristent en leur « jugions nous-mêmes, nous ne serions pasju-
qualité d'hommes; et ils craignent pour leurs « gés de Dieu. Et s'il arrive qu'il nous juge,
corps avant la mort, ce qui leur est indifférent « c'est pour nous corriger, afin que nous ne
après la mort. C'est pour cela que Dieu, comme « soyons pas damnés avec le monde » Celui qui '
.

nous voyons dans les livres des Règnes


le avait trompé le prophète dont nous parlons
menace un prophète par un autre prophète l'ensevelit honorablement dans son propre
de ne point laisser ensevelir son cadavre dans sépulcre, et il voulut à son tour être enseveli

le sépulcre de ses pères, parce qu'il avait trans- auprès de lui. Il espérait ainsi que ses propres
gressé ses ordres. L'Ecriture rapporte le fait ossements seraient épargnés, lorsque s'accom-
en ces termes «Voici ce que dit le Seigneur
: : plirait la prophétie de cet homme de Dieu ,

« Parce que tu as désobéi à la parole du Sei- comme arriva au temps où Josias roi de
il

« gneur, et que tu n'as pas observé le com- Juda déterra en ce pays les ossements d'un
« mandement qu'il t'avait fait, parce que tu grand nombre de morts, et s'en servit pour
« es revenu sur tes pas, que tu as mangé du polluer les autels sacrilégement élevés aux
« pain et bu de l'eau dans un lieu où il t'avait idoles. Josias épargna en effet ce monument
« commandé de ne pas manger de pain ni où reposait le prophète qui plus de trois cents
« boire de l'eau, ton cadavre ne sera pas porté ans à l'avance avait prédit ces événements; et
« dans le sépulcre de tes pères *
». à cause de lui, la sépulture de celui qui l'avait
Si nous pesons la valeur de cette punition trompé fut elle-même respectée ^ Et celui qui
au poids de l'Evangile, nous trouverons qu'elle avait donné la mort à son àme par le men-
n'en mérite même pas le nom car nous ve- ; songe avait ainsi pourvu au soin de son ca-
nons de voir que lorsque le corps est tué il n'y davre, stimulé par ce sentiment en vertu du-
a absolument aucune souffrance à craindre quel personne n'a jamais haï sa propre chair.
pour les membres privés de vie. Mais si nous C'est donc à cause de cette affection naturelle
considérons l'affection naturelle de l'homme que nous avons tous pour notre chair, que
pour sa propre chair, nous comprenons qu'il l'un se sentit puni en apprenant que son corps
peut pendant sa vie éprouver terreur et crainte ne serait pas porté au sépulcre de ses ancêtres,
en vue de choses auxquelles il sera insensible et que l'autre prit soin d'épargner à ses os-
après la mort. Et telle fut cette peine que le sements la profanation, en se faisant ensevelir
cœur du prophète souffrait de ce qui devait auprès de celui dont le sépulcre ne devait
arriver à son corps, bien qu'il ne dût pas en point être violé.
souffrir alors que l'événement aurait lieu.
C'est dans cette mesure que le Seigneur voulut
CHAPITRE VIII.

punir son serviteur qui n'avait pas méprisé LES MARTYRS ONT DÉDAIGNÉ LE SOIN DE LEUR
par orgueil le précepte divin, mais qui avait SÉPULTURE.
cru obéir en désobéissant , et s'était laissé
tromper par la fourberie d'autrui. En effet, 10. Les martyrs combattant pour la vérité
lorsque la dent d'une bête féroce lui donna la du Christ ont triomphé de ce sentiment natu-
mort, cette mort ne fut pas de celles qui pré- rel. Il n'est en cela rien d'étonnant. Comment
cipitent l'àme dans les supplices de l'enfer; auraient-ils tenu compte de ce qu'ils ne de-
on doit le croire, quand on voit le lion qui vaient pas ressentir après la mort,, ceux que
l'avait tué garder son corps même, laisser in- ne purent vaincre les tourments qu'ils ressen-
tacte sa monture, et celle-ci assister sans trem- taient étant en vie ? Sans doute Dieu pouvait
bler avec cette terrible bête féroce aux funé- disposer autrement de leurs restes, lui qui
raillesde son maître. A ce signe extraordinaire, permit au lion de tuer le prophète, et ne lui
on reconnaît que cet homme de Dieu fut frappé permit pas de toucher ensuite à son cadavre ,

d'une peine temporaire jusqu'à sa mort , et qui fit de ce bourreau le gardien du sup-
plutôt que d'avoir été puni après sa mort. plicié. Dieu avait mille ressources pour éloi-
L'Apôtre a des paroles qui se rai)portent à gner les chiens des cadavres de ses fidèles,
notre sujet; après avoir rappelé les maladies pour effrayer la cruauté des hommes mêmes,
et la mort de plusieurs comme punition de et les empêcher d'oser brûler les cadavres et
certaines offenses, il ajoute « Si nous nous
;
' Cor. XI
I , 31 , 32. — ' III Reg. xili , 24-32 , et IV Reg. xxnr '
' III Reg. liil, 24-32. 16-18.
286 DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

de jeter leurs cendres dans les flots. Mais il du fleuve infernal est prohibé aux morts sans
entrait dans ses desseins que cette épreuve ne sépulture *? La foi chrétienne y répugne; et
fût pas épargnée à ceux qui devaient passer s'il en était ainsi, cette immense multitude de

par toutes les épreuves. martyrs dont les corps furent privés de sépul-
Il ne devait pas être dit que le courage des ture, auraient été indignement traités et la ;

confesseurs , intrépide en face des cruels vérité se serait trompée en disant « Ne crai-
:

tourments qui devaientleur arracher la vie du c<gnez pas ceux qui tuent le corps, et qui ensuite
corps, pâlirait devant la crainte d'être privés « n'ont plus aucun pouvoir
» car ils en auraient ;

de l'honneur d'une sépulture ; ni que leur foi eu un bien funeste sur les martyrs qu'ils au-
en la résurrection redouterait de voir leurs raient ainsi empêchés de parvenir aux de-
corps consumés par les flammes. Enfin, il
y meures désirées. Cette opinion est donc évi-
avait encore une raison de permettre tant demment fausse; et le refus de sépulture ne
d'horribles excès, qui firent ressortir tant de nuit pas plus aux fidèles, que la sépulture
gloire. Les martyrs ardents à confesser le n'est utile aux infidèles. Pourquoi donc alors
Christ rendirent témoignage à cette
ainsi est-il dit que ceux qui ont enseveli Saûl et son
Vérité qui leur avait appris que ceux qui fils ont fait une œuvre de miséricorde, et
tueraient leurs corps n'auraient plus ensuite pourquoi un saint roi les a-t-il bénis? En
aucun pouvoir; que tout ce qu'ils essaieraient voici la raison le sentiment naturel en vertu
:

contre les corps morts ne serait rien, puisque duquel personne n'a jamais haï sa propre
l'âme sortie d'une chair privée de vie ne pour- chair est cause que nous désirons qu'on prenne
rait en rien sentir, ni le Créateur de cette soin de la sépulture de nos corps. C'est donc
chair en rien perdre. Mais tandis que les faire preuve d'un bon cœur et d'une compas-
martyrs souffraient avec un grand courage, sion louable, que de gémir de voir le corps
sans rien craindre de ces sévices exercés sur d'autrui traité comme nous ne voudrions pas
les corps de ceux qui déjà avaient été tués, un qu'on traitât le nôtre, et de rendre aux autres
deuil immense attristait leurs frères, impuis- hommes des soins auxquels ils sont insensibles
sants à leur rendre les derniers devoirs, et à sans doute, mais auxquels nous sommes sen-
soustraire la moindre partie de leurs restes siblespour eux, parce que nous désirons qu'on
à la vigilance de cruels gardiens. Ainsi l'atteste nous les rende à nous-mêmes, lorsque nous y
la même histoire K Mais voyez : en vain on serons insensibles à notre tour.
lacérait les membres des suppliciés, en vain
on brûlait leurs os, en vain on dispersait leurs CHAPITRE X.
cendres, aucune douleur ne les atteignait. Et DES APPARITIONS DE MORTS QUI DEMANDENT
en même temps un grand sentiment de pitié LA SÉPULTURE.
affligeait le cœur de ceux qui ne pouvaient les
ensevehr. Ils sentaient, pour ainsi dire, en 12. Certaines visions que l'on rapporte sou-
ceux qui n'avaient plus aucun sentiment et ; lèvent une question qu'il me paraît utile de
la compassion s'inclinait vers ceux qui déjà ne pas négliger dans cette discussion. On ra-
étaient exempts de la souffrance. conte que plus d'une fois des morts laissés sans
sépulture ont apparu à des vivants qui l'igno-
CHAPITRE IX. raient, leur ont fait connaître les lieux où
gisaient leurs corps, en leur disant de prendre
POURQUOI l'Écriture loue les soins donnés
soin de leur donner la sépulture dont ils
AUX MORTS.
avaient été privés. Répondre que ce sont de
II. A cause de ce sentiment de pitié com- fausses apparitions, contre le sentiment de plu-
patissante, l'Ecriture loue, le roi David bénit sieurs fidèles qui ont écrit sur ce sujet, contre
ces hommes qui ont fait aux ossements arides lapersuasion de ceux qui affirment avoir eu
de Saûl et de Jonathas la miséricordieuse au- de ces visions, ce serait faire preuve de peu de
mône de la sépulture ^ Mais enfin, quelle sorte mesure. Il vaut mieux donner une autre ré-

de miséricorde exerce-t-on à l'égard de ceux ponse. De ce que les morts paraissent en songe
qui sont privés de sentir? Devons-nous en s'occuper d'entretiens, d'indications, de de-
revenir à l'opinion qui prétend que le passage mandes à propos de leur sépulture, il ne s'en-

*Euseb. Hist. eccl. liv. V, ch. 1. — MI Reg. il, 5. • Enéide, lib. VI, 327, 328.
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 287

suit pas qu'ils sentent qu'ils en sont privés. CHAPITRE XL


Car les vivants aussi apparaissent quelquefois
UN PÈRE MORT APPARAÎT A SON FILS. AUGUSTIN
à des vivants endormis, sans savoir qu'ils leur
APPARAÎT EN SONGE AU RHÉTEUR EULOGE, ET
apparaissent; et ce sont ceux-ci qui leur ra-
LUI EXPLIQUE UN PASSAGE DE CICÉRON.
content ce qu'ils ont rêvé d'eux, et leur disent
qu'ils le ont vus faire ou dire une chose ou 13. Telle est la faiblesse humaine, que lors-
une autre. Voilà donc quelqu'un qui me voit qu'on voit un mort en songe, on s'imagine
en songe lui montrer une chose qui a eu lieu, voir son âme tandis que, si l'on voit de
;

ou même lui prédire ce qui doit arriver et ; même en songe un homme vivant, on croit
moi je l'ignore absolument; et je ne m'occupe sans hésiter que ce n'est ni son âme ni son
même pas de savoir non-seulement ce qu'il corps, mais simplement sa ressemblance qui
rêve, mais même s'il veille pendant que je nous a apparu. Comme s'il ne pouvait pas en
dors ou s'il dort tandis que je veille, ou si nous être ainsi des hommes morts qui ne s'en aper-
dormons ou veillons tous deux dans le même çoivent pas davantage, et dont la ressemblance
temps et lui voit un songe et il me voit dans
;
et non l'âme apparaît à ceux qui dorment.
ce songe. Faut-il alors s'étonner que les morts Dans le temps que j'étais à Milan, j'appris le
sans le savoir et sans s'en apercevoir, soient fait suivant. Un homme vint réclamer le paie-

vus en songe par les vivants et leur disent des ment d'une dette au fils d'un père décédé, en
choses que ceux-ci reconnaissent pour vraies produisant le billet de celui-ci. Le fils ne
à leur réveil? Je suis porté à attribuer ces savait pas que son père avait payé avant de
apparitions aux opérations angéliques , et à mourir; mais il conçut un profond chagrin,
croire que ces phénomènes se produisent soit et s'étonnait de ce que son père, qui avait fait

par la permission, soit par l'ordre d'en-haut, un testament au moment de sa mort, ne lui
puisque ceux à qui appartiennent ces corps avait pas parlé de cette dette. Tandis qu'il
l'ignorent complètement. était dans cette anxiété, son père lui apparut

Or ces visions sont parfois utiles, soit pour en songe, et lui indiqua l'endroit où se trou-
procurer quelque consolation aux vivants vait un écrit qui annulait le billet. Le jeune
par la vue en songe des images de leurs morts homme trouva l'écrit, le produisit, et se fit

chéris, soit pour recommander au genre hu- rendre le billet de son père, que celui-ci avait
main par ces avertissements, d'accomplir un négligé de redemander lorsqu'il avait payé sa
devoir d'humanité en ensevelissant les morts. en ce pays que c'est l'âme
dette. Aussi croit-on
Car si la sépulture n'est d'aucun secours aux de cet homme qui a pris soin de son fils, est ve-
défunts, elle ne peut pourtant être négligée nue vers lui pendant qu'il dormait, lui a ap-
par les vivants sans offenser la religion. Par- pris ce qu'il ne savait pas, et l'a ainsi délivré
fois aussi de fausses visions jettent les hommes d'une grande peine.
dans de graves erreurs, non sans qu'ils le mé- Mais presque dans le même temps où j'en-
ritent. Telle serait l'apparition qui reprodui- tendis ce fait , et tandis que encore à
j'étais
raitcelle que la fiction poétique attribue à Milan, j'appris cet autre
trait. Euloge, rhéteur
Enée descendu aux enfers. L'image d'un de Carlhage, qui apprit cet art à mon école,
homme privé de sépulture apparaît, parle un me le raconta lui-même lorsque je fus revenu
langage semblable à celui que tint Palinure', en Afrique. Euloge qui expliquait alors à ses
indique où est son corps, demande et prie disciples les livres de la rhétorique de Cicéron,
qu'on le cherche et qu'on l'ensevelisse. Au préparant un jour la leçon qu'il devait donner
réveil, celui qui a eu la vision trouve le corps lelendemain, tomba sur un passage obscur :
sans sépulture au lieu indiqué, et il va con- n'ayant pu parvenir à le comprendre, il se
clure, de la vérité de l'indication, qu'on ense- coucha tout préoccupé, eut de la peine à s'en-
velit les morts pour que les âmes puissent pé- dormir. Or, cette même nuit je lui expliquai
nétrer dans les lieux d'où sont repoussées les en songe le passage qu'il ne comprenait pas.
âmes de ceux qui restent sans sépulture, en Mais non ce n'était pas moi, ce n'était qu'une
,

vertu de je ne sais quelle loi des enfers qu'il a image de moi-même, à mon insu, tandis que
rêvée. La croyance à de pareilles fables ne l'en- je faisais tout autre chose, ou que je rêvais
traîne-t-elle pas bien loin du sentier de la vérité? d'autres rêves, sans songer, à coup sûr, à me
* Enéide, liv. VI, 337-383. préoccuper de ce qui pouvait tracasser Euloge.
288 DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

Comment ont lieu ces visions, je l'ignore mais : seveli comme privé de vie, sans un léger souffle
qu'importe ? et qui nous empêche de croire si faible qu'à peine le saisissait-on en appro-
que les choses se passent de la même manière chant main de ses narines. Il ne remuait
la
quand ce sont des morts qui apparaissent, que aucun membre, ne prenait aucun aliment ;

lorsque ce sont des vivants, c'est-à-dire que ni on avait beau le piquer, ni ses yeux ni aucun
les uns ni les autres n'ont ni connaissance ni des sens de son corps n'en était affecté.
souci de ceux qui voient leurs images en rêve, Toutefoisil avait des visions pareilles à
ni du temps, ni du lieu de ces rêves? celles qu'on éprouve en dormant; et après
plusieurs jours, étant sorti de cet état, il se
CHAPITRE XII. mita les raconter. Et d'abord au moment où il
VISIONS DES FRÉNÉTIQUES. — VISION DE COURMA
ouvrit les yeux, il se mit à dire Qu'on aille
tout de suite chez Courma le forgeron, voir
:

LE CURIAL.
ce qui s'y passe. On y court et on trouve cet

14. Les visions qui ont lieu pendant la autre Courma mort au moment même où le
comme chez les frénétiques et les autres
veille, premier avait repris ses sens, et venait en
hommes atteints de toute espèce de folie qui quelque sorte de ressusciter. Alors il apprit à
trouble les sens, ne sont pas différentes des l'assistance attentive que l'autre avait reçu
visions du sommeil. En effet, ceux-ci parlent l'ordre de comparaître au moment où lui-
seuls comme s'ils avaient affaire à des personnes même avait été congédié, et qu'il avait en-
présentes, ils adressent la parole aussi bien aux tendu dire dans ce lieu d'où il revenait Ce :

personnes absentes qu'aux 'ersonnes pré- n'est pas Courma le curial, mais Courma le

sentes, mortes ou vivantes qu'ils voient en forgeron qu'on a ordonné d'amener en ce sé-
imagination. Or, les vivants ne savent pas jour des morts. Dans sa vision, semblable à un
qu'ils apparaissent à ces insensés, ni qu'ils songe, il vit aussi les morts traités suivant la
causent avec eux. Et en réalité ils ne sont pas diversité de leurs mérites, et il en reconnut
près d'eux, et ne causent pas avec eux ce
ils ;
plusieurs qu'il avait connus vivants. Etaient-
sont les sens troublés de ces hommes qui leur ce vraiment des morts qu'il voyait? Je le croi-
procurent ces visions imaginaires. Eh bien! il rais peut-être s'il n'avait pas aussi vu dans cette

en est de même des morts. Ceux qui ont es|)èce de songe plusieurs personnes qui vivent

quitté cette vie paraissent présents aux per- encore, savoir, plusieurs clercs de son pays et
sonnes ainsi prédisposées, tandis qu'en réa- leur prêtre; il entendit au même lieu celui-
lité ils sont absents et qu'ils ignorent complè- ci lui dire de venir à Hippone se faire baptiser
tement si quelqu'un les voit en imagination. par moi ; ce qui fut fait, ajoutait-il. Dans cette

15. Il existe un autre phénomène semblable même vision où il vit plus tard des morts, il

à celui-ci : c'est celui qui se produit dans cer- avaitdonc vu aussi un prêtre, des clercs, et
taines personnes que la vie des sens aban- moi-même qui ne sommes certainement pas
donne dans des moments donnés, plus complè- morts. Or, pourquoi ne croirait-on pas qu'il a
tement encore que pendant le sommeil, et qui vu des morts absents comme nous, et à leur
éprouvent alors des visions semblables. Elles insu comme il nous a vus à notre insu; et par
aussi voient apparaître les images des morts conséquent, qu'il n'a pas vu les morts eux-
et des vivants. Or, lorsqu'elles reviennent à mêmes, mais leurs images, comme il a vu
elles-mêmes, et qu'elles racontent qu'elles ont aussi des images de lieux. En effet, il vit en-
vu tel ou tel mort, on croit qu'elles se sont core le champ où était ce prêtre avec les clercs,
trouvées vraiment avec eux. Ceux qui les et Hippone où il crut être baptisé par moi.

écoutent ne remarquent pas qu'elles ont vu Or, il n'était certainement pas présent en ces
aussi des images de personnes vivantes, ab- lieux quand ils'y voyait être. Car il n'a pas su

sentes, et qui n'en savent rien. Il y avait dans ce qui s'y passait en ce moment; et il l'auraitsu

le municipe de Tullinus, près d'Hippone, un sans doute, vraiment trouvé là. Ce


s'il s'était

pauvre curial du nom de Courma c'était un ;


qu'on voit dans cet état, ce n'est donc pas la
paysan des plus simples et qui aurait pu diffi- présence réelle des choses telles qu'elles sont
cilement faire un décemvir. Etant devenu ma- en elles-mêmes, mais comme une ombre et

lade il tomba en syncope et parut comme une représentation imagée des objets.
mort durant plusieurs jours. On l'aurait en- Enfin, après bien d'autres visions,cet homme
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 289

raconta qu'il avait été introduit dans le paradis, On prendra comme on voudra ce que je
et qu'on lui avait dit au moment où on le ren- vais dire. S'il était vrai que les âmes des morts
voyait vers les siens : Va te faire baptiser, si s'intéressent aux affaires dés vivants, et que
tu veux être un jour dans ce séjour des bien- ce fussent elles-mêmes qui apparaissent en
heureux. Puis, comme on l'avertissait de se songe, ma tendre mère, pour ne parler que
faire baptiser par moi, il répondit que la chose de moi, ne me délaisserait jamais durant mon
était faite. Mais celui qui lui parlait répliqua : sommeil, elle qui m'a suivi, pendant sa vie,
Va te faire baptiser en réalité ; car tu ne t'es et sur terre et sur mer. Loin de moi la pensée
vu baptiser qu'en songe. Plus tard cet homme qu'une vie meilleure l'ait rendue cruelle, au
guérit, et vint à Hippone. Pâques était proche; point de ne pas venir consoler la tristesse de
il se fit inscrire avec les autres parmi les pos- son fils quand quelque chagrin lui serre le
,

tulants^ étant inconnu de moi comme beau- cœur, son ûls, qu'elle aima uniquement, et
coup d'autres et il ne raconta sa vision ni à
; qu'elle ne voulut jamais voir affligé Mais le !

moi ni à aucun des miens. Il fut baptisé, et psaume sacré fait retentir un chant plein de
après les saints jours, il retourna chez lui. Ce vérité dans ces paroles « Le Seigneur m'a re- :

ne fut qu'après deux ans ou même plus que « cueilli, parce que mon père et ma mère m'ont

toutes ces choses vinrent à ma connaissance. « délaissé^». Si nos parents nous ont délaissés,

Le premier qui m'en parla fut un de mes comment donc s'intéressent-ils à nos peines et
amis qui était aussi celui de Courma, un jour à nos affaires? Et si nos parents ne s'y intéres-
que la conversation, à table, roulait sur ces sent pas, qui sont, parmi les morts, ceux qui
matières. J'insistai ensuite pour le voir et en- savent ce que nous faisons ou ce que nous
tendre le récit de sa propre bouche, en pré- souffrons. Le prophète Isaïe dit «C'est Vous :

sence d'hommes honorables, ses concitoyens, « qui êtes notre père car Abraham ne sait plus
;

qui attestèrent tout, et sa maladie étonnante « qui nous sommes, et Israël a cessé de nous

durant laquelle il était resté plusieurs jours «connaître^». Si ces grands patriarches ont
comme mort, et la mort de cet autre Courma ignoré le sort de ce peuple sorti d'eux, de cette
le forgeron dont j'ai parlé plus haut, et tous postérité qui leur fut promise comme une ré-
les détails qu'il me donnait et que les témoins compense de leur foi, comment peut-on dire en-
se rappelaient et assuraient lui avoir entendu core que les morts interviennent dans les affai-
raconter alors. res et les actions des vivants pour les connaître
Pour conclure,il a donc vu son baptême, et et y participer? Et en quel sens avancer qu'il
moi-même, Hippone, et la basilique, et le
et est heureux de mourir avant que viennent les
baptistère non dans leur réalité, mais dans
, maux futurs, si l'on est encore sensible après
certaines ressemblances des choses; il a vu la mort à toutes les calamités humaines? Ou
de même plusieurs autres hommes vivants, à bien est-ce une erreur, et devons-nous croire
l'insu de ces vivants. Pourquoi donc n'aurait-il à la parfaite quiétude de ceux que tourmente
pas vu de même les morts, à l'insu de ces morts ? la vie inquiète des vivants? Pourquoi donc
Dieu a-t-il promis au très-pieux roi Josias,
CHAPITRE XllI.
comme un grand bienfait, de le retirer du
LES AMES DES MORTS n'INTERVIENNENT PAS
monde avant que viennent fondre sur le peu-
DANS LES AFFAIRES DES VIVANTS.
ple et la contrée les maux dont il les menaçait?
16. Mais pourquoi ne verrions-nous pas là Le Seigneur s'exprime en ces termes :

des opérations angéliques , et l'économie de a Voici ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël :

laProvidence de Dieu faisant ainsi un bon « Les paroles que j'ai prononcées sur ce lieu
emploi du ministère des bons et des mauvais « et sur ceux qui l'habitent, disant qu'il de-
anges selon l'insondable profondeur de ses ce viendra désert maudit, t'ont pénétré de
et
jugements? Ainsi les esprits mortels seraient « crainte en ma présence
tu as déchiré tes ;

éclairés ou illusionnés, consolés ou effrayés « vêtements, tu as pleuré devant moi; et je


dans la mesure de miséricorde ou de punition « t'ai écouté, dit le Seigneur des armées il :

méritée par chacun et fixée par Celui à qui « n'en sera point ainsi ; voici que je te réuni-
l'Eglise n'attribue pas en vain dans ses chants c< rai à tes pères, et tu seras enseveli en paix ;
la miséricorde et la justice ^ « et tes yeux ne verront pas tous ces maux que
' Ps. C, 1. ' Ps. XXVI, 10. — ^
Isaïe, Lxm, 16.

S. AuG. — Tome XH. 19


290 DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

« je feraifondre sur ce lieu et sur ceux qui lices, et lepauvre Lazare dans les peines et
« l'habitent'», Efifrayédes menaces de Dieu, les douleurs. Car
il dit encore au premier :

ce roi avait pleuré, il avait déchiré ses vête- Souviens-toi, mon fils, que tu as eu des biens
ments, et le voilà rassuré contre les maux à durant ta vie, et que Lazare n'a eu que des
venir par l'annonce d'une mort prématurée; maux. Voilà donc un fait qui s'é-
qu'il savait
il reposera dans la paix, de telle sorte qu'il ne tait non chez les morts.
passé chez les vivants et
verra aucun de ces maux. Ainsi les morts sont Mais il ne l'avait pas su au moment où il avait
dans un lieu où ils ne voient pas ce qui se lieu chez les vivants il avait pu l'apprendre
;

passe ni ce qui arrive aux hommes en cette par Lazare qui l'avait fait connaître aux morts;
vie. Comment donc peuvent -ils voir leurs voilà ce qu'il faut dire pour ne pas faire mentir
tombeaux, ou leurs corps, comment peuvent- le prophète qui a écrit «Abraham ne nous
:

ils voir sont ensevelis ou s'ils sont gisants


s'ils « connaît plus».
sans sépulture? Comment peuvent-ils prendre
part aux misères des vivants? Car, ou bien ils
CHAPITRE XV.
subissent eux-mêmes leurs propres châti- COMMENT LES MORTS PEUVENT SAVOIR CE QUI
ments, en ont mérité; ou bien, suivant
s'ils
SE PASSE ICI-BAS.
la promesse faite à ce Josias, ils reposent en
paix, dans ces lieux où ils n'endurent aucune 18. Il faut donc le reconnaître : les morts ne
souffrance ni en eux-mêmes ni par les autres, savent pas les choses d'ici-bas, au moins dans
parce qu'ils sont délivrés de ces maux qu'ils le moment où elles se font; plus tard, ils peu-
enduraient en eux-mêmes et dans les autres vent apprendre de ceux qui en mourant
les
durant cette vie terrestre. s'en vont d'ici pour aller les rejoindre. Appren-
nent-ils tout de cette manière ? Non, mais seu-
CHAPITRE XIV. lement les choses que ceux-ci peuvent se rap-
OBJECTION. peler et par conséquent leur apprendre, et
qu'il est nécessaire que les autres sachent. Les
17. Mais, dira quelqu'un, morts n'ont
si les morts peuvent encore savoir quelque chose de
aucun souci des vivants, comment se fait-il que ce qui se passe ici-bas par les anges qui y sont
ce mauvais riche tourmenté dans les enfers pria présents et ils l'apprennent d'eux dans la me-
;

le patriarche Abraham d'envoyer Lazare à ses sure jugée convenable par Celui à qui tout est
cinq frères encore vivants, pour les prévenir, soumis. Car si les anges ne pouvaient être pré-
aflnqu'ils ne vinssent pas à leur tour dans ce lieu sents dans les lieux habités par les vivants
de tourments?— Mais, répond rai-je, suit-il des et par les morts, le Seigneur Jésus aurait-il pu
paroles du mauvais riche qu'il sut ce que ses dire « Il arriva que le pauvre mourut, et que
:

frères faisaient ou souffraient au même mo- « son corps fut porté par les anges dans le sein
ment? 11 s'intéressait des vivants, quoiqu'il « d'Abraham ?» Ils pouvaient donc être tantôt
'

ignoràtce qui se passait parmi eux, tout comme ici- bas et tantôt là, ceux qui transportèrent
nous nous intéressons aux morts, sans con- Lazare selon l'ordre de Dieu. Les morts ont
naître ce qu'ils font. En effet, si nous ne pre- encore un autre moyen de savoir quelques-
nions aucun intérêt aux morts, à coup sûr nous unes des choses d'ici-bas, qu'il est nécessaire
n'adresserions pas pour eux à Dieu des supplica- à eux ou aux autres qu'ils sachent; c'est la
tions. Enfin Abraham n'envoya pas Lazare aux révélation du Saint-Es[)rit. Par elle, ils peu-
vivants; ilrépondit au contraire, qu'ils avaient vent connaître non-seulement le passé et le
Moïse et les prophètes, et qu'ils eussent à les présent, mais encore l'avenir. Ainsi en a-t-il
écouter pour être préservés des supplices. été non de tous les hommes, mais des seuls
Ici nous nous demanderons de nouveau prophètes tandis qu'ils vivaient ici-bas; toute-
comment le patriarche Abraham ignorait ce foisils ne connaissaient pas toutes choses,
qui se passait ici- bas; il savait que Moïse et les mais seulement celles que la divine Provi-
prophètes, c'est-à-dire leurs livres y étaient, et dence jugeait bon de leur révéler.
qu'en obéissant à leurs prescriptions on évi- Il peut aussi arriver que les morts soient
tait les tourments de l'enfer; il savait enfin envoyés chez les vivants, comme en un sens
que le mauvais riche avait vécu dans les dé- inverse, saint Paul du milieu des vivants fut
IV Reg. ïill, 18-20. '
Luc, XVI, 22-29.
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 291

ravi au ciel'. Les divines Ecritures en rendent qui sont éveillés? Autres sont les limites des
témoignage. En effet, le prophète Samuel, dé- choses humaines, autres les signes des vertus
funt, prédit l'avenir au roi Saùl, vivante Selon de Dieu : autre ce qui se fait naturellement,
plusieurs, je le sais, le prophète en personne autre ce qui s'opère miraculeusement ;
bien
ne put être évoqué par l'art magique, et ce que Dieu soit présent à la nature quand elle

fut quelque malin esprit complice des œuvres opère, et que la nature ne soit pas absente,
perverses du roi, qui fit apparaître une image quand le miracle opère à son tour. Ainsi, de
du prophète. Mais le livre de l'Ecclésiastique, ce que les martyrs interviennent auprès de
qu'on dit avoir été écrit par Jésus, fils de Si- quelques personnes, pour les guérir ou les se-
rach, et que plusieurs attribuent à Salomon, courir, il ne s'ensuit pas que tous les morts
àcause d'une certaine ressemblance de style, puissentintervenir dans les affaires des vivants.
rapporte, parmi les louanges des anciens pères, Au contraire, puisque les morts ne peuvent
que Samuel prophétisa même après sa morf*. ainsi intervenir en vertu de leur propre na-
Veut-on contester l'autorité de ce livre parce ture, ces faits nous donnent à comprendre que
qu'il n'est pas dans le canon des Hébreux? c'est à la puissance divine qu'il faut attribuer
Alors qu'objectera-t-on contre le faitdeMoîse, l'action des martyrs sur les affaires des vivants.
qui meurt certainement dans le Deutéro- 20. De quelle manière a lieu cette interven-
nome *, et qui dans l'Evangile apparaît aux tion dont on ne peut douter? comment les
vivants, avec Elie, qui n'est pas mort ^ ? martyrs viennent-ils en aide à ceux qui sont
certainement l'objet de leur protection ? voilà
CHAPITRE XVI. une question qui surpasse les forces de mon
COMMENT LES MARTYRS VIENNENT A NOTRE intelligence. Sont-ils eux-mêmes présents, en

SECOURS. personne, au même moment, dans des lieux


si divers et si éloignés les uns des autres, au-
d9. Nous avons ainsi les éléments nécessaires près de leurs monuments, et partout ailleurs,

pour résoudre ce problème Puisque, en thèse : où leur intervention se fait sentir? Ou bien
générale, les morts ignorent ce que font les restent-ils dans ces demeures préparées à leurs
vivants, comment les martyrs interviennent- mérites, loin de tout commerce humain, priant
ils dans les affaires humaines, ainsi que le en général pour tous les besoins des suppliants
prouvent leurs bienfaits à l'égard de ceux qui (comme nous prions nous-mêmes pour les
les invoquent? En effet, le confesseur Félix, morts, sans être auprès d'eux, sans savoir où
dont vous entourez le tombeau au milieu de ils sont ni ce qu'ils font), et pendant ce temps-

vous d'une si pieuse affection, a non-seulement là le Dieu tout-puissant, présent partout, sans
son intervention par des bienfaits
fait sentir être circonscrit en nous ni éloigné de nous,
maisil aapparu aux yeux des hommes
réels, exauce-t-il les prières des martyrs, et par le
eux-mêmes, lorsque Noie était assiégée par ministèredesangesqui pénètrent en tous lieux,
les barbares : nous l'avons appris, non par des distribue-t-il ces sortes de soulagements à ceux
bruits incertains, mais de témoins irrécusa- d'entre les hommes qu'il en juge dignes dans
bles. Il faut le reconnaître, ces phénomènes cette vallée de larmes ? Est-ce de cette manière
divins se produisent tout à fait en dehors de que par son admirable puissance et son ineffa-
l'ordre accoutumé qui régit chaque espèce ble bonté, il exalte les mérites de ses martyrs,
de créatures. L'eau fut changée en vin, au où il veut, quand il veut, et comme il veut,
momentoù le Seigneur le voulut® est-ce une : mais surtout, ainsi que nous le voyons par
raison pour nous d'apprécier les propriétés de leurs tombeaux, parce qu'il sait que cela nous
l'eau et la place qu'elle occupe dans l'ordre est expédientpourexalter lafoi de Jésus-Christ
des éléments d'après ce rare ou plutôt cet qu'ils ont confessée en souffrant? Voilà, je le
unique miracle? Lazare est ressuscité s'en-
"^
: répète, une question, un pour
sujet trop élevé
suit-il que tout mort ressuscite quand il lui que je puisse y atteindre, trop
obscur pour
plaît ou que ceuxqui dorment dans le tombeau que je puisse l'approfondir. En un mot, y a-
peuvent être réveillés par les vivants, comme t-il présence des martyrs ? ou les anges vien-

ceux qui dorment dans leur lit le sont par ceux nent-ils se substituer à eux? Lequel des deux?

« I Cor. XII , 2. — = I Reg. xsviii , 7-9. — » Eccli xlvi 23. — Ou est-ce tous les deux, c'est-à-dire tantôt l'un,
* Deuter. Xixiv, 5.— ' Matt. xvii, 3 — '
Jean, ii, 9 ' Id. xi, 44,
,

tantôt l'autre ? Voilà ce que je n'ose pas déci-


,

292 DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.

der; je préférerais interroger ceux qui le taittrès-patiemment toutes les questions qu'on
savent. Car quelqu'un le mais ce n'est sait, lui faisait, et y répondait avec une sagesse
pas celui qui croit le savoir et qui l'ignore en exquise, je l'aurais interrogea monteur, et
effet. Il s'agit ici des dons de Dieu, et Dieu les lui aurais posé une question analogue à celle
distribue comme il lui plaît, selon ce que dit qui nous occupe. Etait-ce lui-même qui avait
l'Apôtre en parlant de la manière dont l'Esprit- apparu à cette femme durant son sommeil,
Saint se manifeste à chacun pour l'utilité de c'est-à-dire était-ce son esprit avec l'image de
tous « A l'un est donné par l'Esprit le lan-
: son corps, comme
nous nous voyons nous-
« gage de la sagesse à l'autre est donné par le
; mêmes en songe ou bien cette vision eut-elle
;

« même Esprit le langage de la science un Heu tandis qu'il veillait, occupé à autre chose,
« autre reçoit la foi par le môme Esprit
;

; un ou, s'il dormait, rêvant d'autre chose ou bien ;


1
« autre la grâce de guérir les maladies ; un tût-ce par un ange, ou de quelque autre ma-
« autre le don de faire des miracles un autre ; nière? Enfin avait-il su le lait à l'avance, par
« le don de prophétie un autre le discerne- ; une révélation de l'Esprit prophétique, et jus-
« ment des esprits; un autre le don de parler qu'à pouvoir en donner l'assurance ?
« diverses langues; un autre le don d'interpré- En effet, s'il apparut lui-même en songe à
« ter les discours. Or, c'est l'unique et même la personne, il ne le put certainement que par
« Esprit qui opère toutes ces choses en tous, une grâce miraculeuse, et non pas naturelle-
« leur distribuant à chacun son propre don, ment en vertu du don de Dieu, et non pas
;

« selon sa volonté '


». Parmi tous ces dons de son propre pouvoir. Si la femme l'a vu en
spirituels, énuniérés par l'Apôtre, se trouve songe pendant qu'il était occupé d'autre chose,
donc le discernement des esprits quiconque ;
ou endormi et ayant d'autres rêves, ce fait a
l'a reçu , celui-là sait les choses dont nous son pendant dans les Actes des Apôtres. C'est
parlons comme il faut les savoir. de cette manière, en etfet, que le Seigneur
Jésus, parlant de Saul à Ananie, lui fit con-
CHAPITRE XVII. naître que Saul l'avait vu en songe venir vers

LE MOINE JEAN. lui tandis qu'Ananie lui-même n'en savait


,

rien'. Quelque solution que l'homme de Dieu


21. Tel fut, croyez-le, ce moine du nom de m'eût donnée, je l'eusse incontinent interrogé
Jean, que consulta Théodose l'Ancien sur l'issue sur les martyrs. Apparaissent-ils en personne
de la guerre civile; car il avait aussi le don dans les songes, ou bien de toute autre manière
de prophétie. Je ne doute pas, pour moi, que à ceux qui les voient, sous la forme qu'il leur
chacun ne puisse recevoir quelqu'un de ces plaît de prendre, notamment quand les démons
dons, et même qu'un seul n'en puisse avoir dont les hommes sont possédés confessent
plusieurs. Or, voici ce qui arriva au moine qu'ils sont tourmentés par eux et leur deman-
Jean. Une femme très-religieuse était tour- dent merci? Ou bien ces apparitions se font-
mentée d'un vif désir de le voir, et elle lui elles à un signe de la volonté divine par les
faisait demander cette faveur par son mari. puissances angéliques, pour l'honneur et la
Jean refusait, parce qu'il n'avait jamais permis considération des saints et pour l'utilité des
aux femmes de le visiter. Le mari insistait hommes, tandis que les martyrs, jouissant du
vivement. Va, dit le moine, va dire à ta femme souverain repos, vaquentà des contemplations
qu'elle me verra la nuit prochaine, mais pen- bien plus hautes et meilleures , séparés de
dant son sommeil. C'est ce qui eut lieu; et il nous tout en priant pour nous? A Milan, au-
lui donna tous les avis qui convenaient à une près des saints martyrs Gervais et Protais, les
fidèle épouse. Lorsqu'elle fut éveillée, elle dé- démons appelaient Ambroise par son nom
peignit à son mari l'homme qu'elle avait vu, aussi bien que ces saints morts, Ambroise
et il était bien tel que celui-ci le connais- évêque, encore vivant, et lui criaient merci,
sait: elle lui raconta en outre tout ce qu'il tandis qu'il était occupé ailleurs et ne savait
lui avait dit. Je tiens le fait
de quelqu'un qui ce qui se passait. Enfin je demanderais à Jean
l'a su d'eux-mêmes, grave et noble, homme si certaines apparitions ont lieu par la pré-
et parfaitement digne de foi. Mais si j'avais vu sence même des martyrs et d'autres par celle
moi-même le saint moine, qui, dit-on, écou- des anges puis, si nous pouvons, et à quels
;

' I Cor. XII, 7-11. '


Act. IX, 10-15.
DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS. 293

signes, distinguer les unes des autres ou bien, ; acquitter envers ses proches avec d'autant
si ceux-là seuls peuvent les reconnaître et les plus de soin qu'on en agit de même à son
discerner, qui ont reçu cedon de l'Esprit de égard. Quant aux soins de la sépulture du
Dieu qui attribue à chacun ce qu'il lui plaît. ils ne sont d'aucun
corps, quels qu'ils soient,
Jean, c'est ma pensée, traiterait toutes ces secours pour le salut mais c'est un devoir
;

questions comme je le désire ; et alors, ou je d'humanité, fondé sur ce sentiment en vertu


serais instruit par sa parole de maître, et j'au- duquel personne ne haitsa propre chair. Aussi
rais la connaissance et la certitude des vérités doit-on, autant qu'on le peut, prendre ce soin
qu'il m'apprendrait; ou je croirais, sur sa pa- de la chair de nos semblables lorsqu'ils l'ont
role de savant, ce qui ne pourrait devenir délaissée.Ceux qui ne croient pas à la résur-
l'objet de ma science. Que s'il venait à me rection de la chair, ne manquent pas à ce
répondre par le texte de l'Ecriture « Ne : devoir ; à plus forte raison les fidèles doivent-
« cherche pas des vérités trop hautes pour ta ils le remplir à l'égard d'un corps, mort il est

« petitesse, ne te mesure pas avec des vérités vrai,mais destiné à la résurrection et à une
a trop fortes pour ta faiblesse, et contente-toi durée éternelle. N'attesteront-ils pas ainsi en
« d'occuper toutes tes pensées de la méditation outre cette foi Quant à
à la résurrection?
« des commandements du Seigneur ' » , je ensevelir les corps auprès des mémoires ou
lui rendrais grâce encore. Car lorsqu'il s'agit monuments des martyrs, je ne vois pas, pour
de choses obscures et incertaines que nous ne moi, que les défunts puissent en retirer d'autre
pouvons pas saisir, ce n'est pas un mince secours que celui de la pieuse affection qui les
avantage d'acquérir la certitude évidente de recommande au patronage des martyrs et ,

l'inutilité de nos recherches , et de savoir qui, à cette occasion, supplie pour eux avec
qu'une chose qu'on croyait utile à connaître plus de ferveur.
et qu'on voulait apprendre, peut être ignorée 23. Telle est la réponse qu'il a été en mon
sans inconvénient. pouvoir de faire à la question que vous avez
cru devoir me poser. Si elle a été plus longue
CHAPITRE XVIII. qu'il ne convient, pardonnez-le-moi j'en ai ;

CONCLUSION. ainsi agi parce que j'étais heureux de causer


plus longtemps avec vous. Ecrivez-moi, je
22. Concluons. Soyons assurés que nous vous prie, afin que je sache quel accueil votre
n'atteindrons les morts auxquels nous rendons dilection, vénérable frère, aura fait à ce livre.
des devoirs que par l'autel, la prière et l'au- Du reste, je n'en doute pas, il vous agréera
mône. Voilà les supplications solennelles et mieux en considération de celui qui vous le
les sacrifices qui leur sont utiles. Sans doute porte, je veux dire notre frère et notre com-
ils ne profitent pas à tous mais à ceux-là , prêtre Candidien que votre lettre m'a fait
,

seulement qui ont mérité d'être ainsi secourus connaître je l'ai accueilli de tout mon cœur,
;

tandis qu'ils vivaient. Or, comme nous ne et je ne le laisse aller qu'à regret. Car il nous
sommes pas à même de faire cette distinction, a beaucoup consolés dans la charité du Christ
nous devons nous acquitter de ces devoirs tandis qu'il était auprès de nous, et, je vous
envers tous ceux qui ont été régénérés, de l'avouerai, c'est à ses instances que vous devez
peur d'omettre quelqu'un à qui ils peuvent et d'avoir été obéi.Mon cœur est agité par de si
doivent être utiles. Il vaut mieux les rendre graves préoccupations que, sans ses recom-
inutilement à ceux à qui ils ne peuvent ni mandations assidues ma mémoire aurait
,

nuire, ni profiter, que d'en laisser manquer et vous n'auriez sans doute pas reçu la
failli,

ceux qui en profiteraient. Chacun doit s'en réponse à votre question.


» Eccli. m, 22.

Traduction de M. DEFOURNY.
DE LA PATIENCE.

Différence entre la vraie patience et la fausse. — Exhortation à pratiquer la vraie patience, par laquelle nous supportons les
maux en vue de la vie éternelle et par le motif de l'amour de Dieu. — Celte vertu n'est pas l'œuvre des forces de notre libre

arbitre, mais bien de la grâce de Dieu.

CHAPITRE PREMIER. qui enfante l'iniquité, ne nous fasse aban-


donner les biens spirituels qui sont pour nous
DE LA PATIENCE DE DIEU.
les moyens de parvenir aux biens supérieurs.
4. La force d'âme, la vertu qui porte le nom H que les impatients, en refusant de
suit de là

de patience, est un bien grand don de la mu- souffrir les maux, ne parviennent pas à s'en

nificence divine, puisqu'on exalte en Dieu exempter, mais plutôt à se procurer des maux
même cette patience avec laquelle ilattend les plus grands. Les patients, au contraire, qui
méchants jusqu'à ce qu'ils se corrigent. Dieu aiment mieux supporter le mal sans le com-
ne peut souffrir, ne peut pâtir ; le mot de pa- mettre, que de le commettre en ne le suppor-
tience vient précisément de pa^z>; et cepen- tant pas , font un double gain ils rendent :

dant Dieu est patient une de ces vérités


; c'est là plus légers les maux qu'ils souffrent par la
que nous croyonsd'un cœur fidèle et que nous patience, et ils échappentaux maux plus graves

confessons de bouche pour le salut. Mais dans lesquels ils tomberaient par l'impatience.
quelle est la nature, quelle est la grandeur de De plus ils évitent la perte des grands biens de
cette patience d'un Dieu qui ne pâtit pas et l'éternité, en ne succombant pas sous le poids
qui n'est pas impatient, qui au contraire est des maux
passagers du temps. Car « les souf-
la patience même? C'est ce qu'il est impos- « frances de ce temps, comme le dit l'Apôtre,
sible d'expliquer par le langage humain. Sa « ne sont pas à comparer à la gloire à venir qui
patience est donc ineffable, comme son zèle ,
« sera manifestée en nous ^ » et encore « Les ; :

comme sa colère, et ses autres sentiments du Cl tribulations temporelles qui sont en même
même genre. Car ils ne sont nullement en lui «temps légères, produisent pour nous un
tels qu'ils sont en nous; et ce n'est pas ainsi « poids immense et éternel de gloire ^ ».

qu'il faut les imaginer. De même que son zèle


est jaloux sans aucun mélange d'envie, sa CHAPITRE III.

colère sans aucun trouble , sa pitié sans


. GRANDEUR DE LA PATIENCE DES MÉCHANTS.
aucune douleur, son repentir sans réparation
d'aucune faute qu'il ait pu commettre, ainsi 3. Considérons, mes très-chers frères, tout
il est patient sans souffrir. Mais venons à la ce que les hommes endurent de travaux et de
patience humaine, cette vertu que nous de- douleurs pour les objets de leurs passions vi-
vons comprendre et pratiquer exposons en ; cieuses, pour des choses qu'on est d'autant
quoi elle consiste, autant que Dieu nous don- plus malheureux de désirer, qu'on s'imagine
nera de le faire, et que le permettra la brièveté être plus heureux en les possédant. A quels
de ce discours. dangers ils s'exposent pour les fausses riches-
CHAPITRE II.
ses Quelles amertumes ils dévorent pour les
!

vains honneurs Quelle incroyable patience1

EN QUOI CONSISTE LA VRAIE PATIENCE. SON UTILITÉ. pourdessatisfaclionspuérileslAvidesd'argent,


2. La patience de l'homme, je dis la patience de gloire, de débauches, rien ne leur coûte
vraie, louable , celle qui mérite le nom de pour se procurer ce qu'ils désirent, et con-
vertu, consiste à supporter les maux avec éga-
lité d'âme, de peur que l'inégalité de l'âme '
Rom. VIII, 18. — " Cor. iv, 17.
DE LA PATIENCE. 295

server ce qu'ils ont acquis. Le soleil et la pluie, veilles, dans une mesure qui surpasse toute

la glace, les vagues mugissantes, la mer en imagination K Que dire des voleurs de grand
furie, le métier de la guerre, si dur et si plein chemin? Pour dresser des embûches aux
d'incertitudes, des coups, des plaies affreuses, vovageurs, tous passent des nuits sans som-
des blessures horribles, ils supportent tout meil, et pour saisir l'innocent au passage, ils

sans y être contraints par la loi de la nécessité ;


tiennent attentif leur esprit criminel et leur
ils affrontent tout comme à plaisir, et pour corps immobile, sous les cieux les plus inclé-
suivre leurs désirs coupables. Et l'on croit ments ! Plusieurs d'entre eux, à ce que l'on
que toutes ces folies sont comme permises ! raconte, vont jusqu'à se donner la torture les
uns aux autres, afin de se préparer au sup-
CHAPITRE lY.
plice par un exercice qui n'en diffère pas.
LES HOMMES VAIKS LOCEM CETTE PATIENCE. Peut-être, en effet, le juge les tourmente-t-il
moins cruellement pour leur arracher la vé-
En effet, l'avarice, l'ambition, la luxure, et
rité par les douleurs de la question, que leurs
tout le cortège des vains amusements sont ré-
compagnons eux-mêmes lorsqu'ils veulent
putés choses innocentes, dès qu'on ne se les pro-
s'assurer que le supplice ne les rendra pas
cure pas par quelque crime ou forfait défendu
traîtres. Et cependant la patience de tous ces
par les lois humaines. II y a plus dès qu'on :

hommes peut provoquer l'admiration, mais


ne fait tort à personne, celui-ci peut acquérir
non pas la louange. Eh ! qu'ai-je dit ? Non, ni
une fortune ou augmenter la sienne, celui-là
l'une ni l'autre ; la patience n'existe pas ici.
ambitionner les honneurs et se maintenir au
Admirez l'obstination, niez la patience ; car
faîte, cet autrelutter dans l'arène ou s'adonner
il n'y a là rien qui mérite d'être loué, rien
à des choses dangereuses, cet autre encore re-
d'utile à imiter. Et vous jugerez avec raison
chercher les applaudissements sur la scène ,
qu'une âme mérite un châtiment d'autant
et tous pour atteindre leur but endureront
plus grand, qu'elle fait servir davantage aux
peines et fatigues detoutes sortes : le populaire,
vices les instruments des vertus. La patience
ami des vanités, se garde bien de leur infliger
est la compagne de la sagesse, et non la ser-
le moindre blâme; loin de là. il les élève jus-
vante de la concupiscence. La patience est
qu'aux nues. Et ainsi, selon la parole de l'E-
l'amie de la bonne conscience, et non Tenne-
criture, le pécheur est loué à cause des désirs
mie de l'innocence.
« de son âme » La violence de ces désirs fait
.

supporter les travaux et les douleurs; et en CHAPITRE VI.


effet, personne ne subit volontiers des tour-
L.\ CAUSE POUR LAQUELLE ON SOUFFRE CONSTITUE
ments, sinon pour arriver au plaisir. Mais, LA DIFFÉRENCE ENTRE LA VRAIE ET LA FAUSSr.
comme je le disais, ces passions que veulent PATIENCE.
satisfaireceux qui en sont dévorés au prix ,

o. Lorsque vous voyez quelqu'un souffrir


de tant de fatigues et d'amertumes endurées
patiemment, ne vous empressez pas de louer
avec tant de patience, sont regardées comme
sa patience, que peut seule vous révéler la
permises et tolérées par les lois.
cause pour laquelle il souffre. Si la cause est
CHAPITRE V. bonne, la patience est vraie si cette cause ;

n'est pas souillée par quelque passion, vous


EXEMPLES DE PATIENCE ÉTONNANTE :

pouvez dire que la patience n'est pas fausse.


CATILINA ET LES VOLEURS.
Mais lorsque le vice caractérise la
première,
4. Que dirons-nous encore? Ne voi1-on pas vous serez dans l'erreur en caractérisant la se-
des hommes se soumettre aux plus rudes la- conde par son nom. De même que tous ceux
beurs à l'occasion des crimes les plus évidents, qui savent, ne sont pas pour cela des adeptes
Don pas pour les punir, mais pour les com- de la science ainsi tous ceux qui savent
;

mettre ? Lisez, dans les auteurs profanes, la souffrir, ne sont pas pour cela des adeptes de
vie d'un parricide bourreau de sa patrie, de Les hommes qui savent user de la
la patience.
la première noblesse ils vous disent qu'il sa-
; souffrance pour la vertu, voila ceux qui mé-
vait supporter la faim, la soif, le froid, et que, ritent vraiment le nom de patients, et la cou-
par une patience invincible, il avait endurci ronne rémunératrice de la patience.
son corps aux privations, a la souffrance, aux ' Sali. Caiil. v.
296 DE LA PATIENCE.

CHAPITRE VII. CHAPITRE VIII.

LES MÉCHANTS SAVENT TOUT SOUFFRIR POUR LA UTILITÉ DE LA PATIENCE POUR l'AME ET
VIE TEMPORELLE. l'AME NE PROFITE PAS SEULE POUR LE CORPS.
DE LA MORT ET DES DOULEURS PATIEMMENT
maux nous tourmentent
Ainsi, lorsque des
SUPPORTÉES LE CORPS EN A SA PART.
;
sans que ces tourments parviennent à nous
6. Toutefois cette étonnante persévérance faire commettre des œuvres mauvaises, ce

des hommes à souffrir tant de maux horri- n'est pas seulement notre âme que nous pos-

bles pour leurs passions, et même pour des sédons par la patience. Mais lorsque notre
crimes, nous avertit assez de tout ce que corps même est affligé pour un temps, et
nous devons supporter nous-mêmes pour me- même lorsque nous le perdons dans l'exercice
ner une vie vertueuse, afin qu'elle puisse de- de la patience, nous le regagnons pour l'éter-
venir une vie éternelle, assurée du vrai bon- nité, nous lui procurons la stabilité et le salut

heur contre les limites du temps et contre éternel, et par la douleur et la mort, nous lui
tout amoindrissement des éléments de sa fé- acquérons la santé indéfectible et l'heureuse
licité. Le Seigneur l'a dit o C'est par votre :
immortalité. Aussi le Seigneur Jésus, exhortant
« patience que vous posséderez vos âmes ^ ». Il ses martyrs à la patience, leur promet l'inté-

n'a pas dit vos fermes, vos honneurs, vos


:
grité future du corps même, et les rassure con-
plaisirs coupables mais, vos âmes. Si donc ;
tre la perte, je ne dis pas d'un membre, mais
l'âme sait tant souffrir pour posséder ce qui même d'un cheveu. « Je vous le dis en vérité,
la fait périr, combien ne doit-elle pas endurer « un cheveu de votre tête ne périra pas ». Et *

pour éviter de périr? Et pour citer en exem- parce que personne, selon l'expression de l'A-
ple un fait qui ne renferme rien de criminel, pôtre, n'a jamais haï sa propre chair, il arrive
si l'âme sait tant souffrir pour sauver sa chair ainsique l'homme fidèle pourvoit plus sûre-
entre les mains des médecins armés du fer et du ment aux intérêts de sa chair par la patience
feu, combien ne doit-elle pas souffrir pour son que par l'impatience, et trouve dans le gain
propre salut, au milieu des attaques furieuses inappréciable de l'incorruptibilité future une
de tous ses ennemis ? Car les médecins sauvent compensation aux dommages du présent,
le corps de la mort en le faisant souffrir, et les quels qu'ils soient.
ennemis du salut menacent le corps de la 8. La patience est une vertu de l'âme ;

souffrance de la mort, pour précipiter dans la néanmoins l'âme l'exerce tantôt en elle-même
mort éternelle et l'âme et le corps '. tantôt en son corps. Elle l'exerce en elle-même,
7. Il y a mieux on veille plus efficacement
: quand l'épreuve ne blesse ni n'offense le corps;
aux intérêts du corps lui-même, lorsqu'on quand ce sont des actes hostiles ou des paroles
méprise, pour la justice, sa santé temporelle, déshonorantes qui la froissent et l'excitent

lorsque pour la justice, on le livre aux tour- elle-même à des actions ou à des paroles in-
ments et même à la mort. Car c'est de la ré- opportunes ou contraires au bien, et qu'alors
demption finale du corps même que l'Apôtre elle supporte toutes sortes de maux sans com-

parle, quand il dit « Nous poussons des gé- : mettre elle-même aucun mal, soit en paroles,
« missements intérieurs, en attendant Tadop- soit en œuvres.

« lion qui fera de nous des enfants de Dieu, CHAPITRE IX.


« et qui sera la rédemption de notre corps ».
LA PATIENCE DE l'AME.
Et il ajoute « C'est par l'espérance que nous
:

« sommes sauvés. 3Iais l'espérance des choses C'est en vertu de cette patience que, fussions-
'<
que l'on voit n'est pas une espérance. Car nous pleins de santé, nous nous résignons à
« dès que l'on voit une chose, l'espcre-t-on voir différer notre béatitude et à vivre au mi-
« encore ? Si donc nous espérons les choses lieu des scandales de ce siècle. Et tel est le sens
« que nous ne voyons pas, c'est par la pa- du «Si nous espérons
texte cité tout à l'heure :

« tience que nous les attendons ». « que nous ne voyons pas encore, nous l'at-
ce
' Luc, XXI, 19. — » Rom. vin, 23-25. « tendons en patience ». C'est cette patience

qui fit supporter au saint roi David les oppro-


bres et les insultes, lui interdit la vengeance
Luc, XXI, 18.
DE LA PATIENCE. 297

alors qu'elle lui était facile le porta à con-


; fraient ainsi dans leur chair tout ce que peut
tenir lui-même la colère d'un des siens qui inventerla cruauté la plus raffinée, ils tenaient
partageait sa peine •, et à user du pouvoir royal leur âme soumise à Dieu dans un amour iné-
pour empêcher la vengeance plutôt que de branlable.
l'exercer. Or à ce moment son corps n'était , 9. Mais il est pour la patience un combat
tourmenté d'aucune maladie ni atteint d'au- plus grand encore. C'est quand on cesse d'a-
cune blessure mais c'était le temps d'être
; voir affaire à un ennemi visible qui, par ses
humilié, et il le reconnut et il porta le poids ; persécutions ouvertes et ses violences, vous
de la volonté de Dieu d'un cœur soumis et pousse au mal et vous fournit l'occasion de
d'une âme patiente et il but le calice amer ; lui résister au grand jour ei de remporter sur
de l'ignominie. Cette patience, le Seigneur lui la victoire : c'est quand le diable lui-môme,
l'enseigna, lorsqu'il vit les serviteurs irrités du tout en persécutant les fils de la lumière par
mélange de l'ivraie au bon grain, disposés à les fils de l'infidéliié ses or- qui sont comme
l'arracher, et qu'il leur fit connaître la réponse ganes, vous attaque secrètement lui-même, et
du père de famille : « Laissez croître l'un et vous presse par ses violences à faire quelque
« et l'autre ^ ». Car il faut
jusqu'à la moisson action ou dire quelques paroles contre Dieu.
souffriren patience ce qu'on ne doit pas se hâ-
ter d'empêcher. Enfin il donna lui-même un
CHAPITRE XI.

exemple et une démonstration de cette patience, PATIENCE DU SAINT HOMME JOB.


lorsqu'avant de souffrir sa passion dans son
corps,il supporta Judas voleur avant de le Telle fut l'expérience que fit Job le saint ;
convaincre de trahison ^ Avant de passer par tourmenté par l'une et l'autre de ces deux ten-
les liens, la croix et la mort, il ne refusa tations, il triompha de toutes les deux par les
pas le baiser de paix aux lèvres du fourbe. armes de la piété et la force inébranlable de
Tous ces traits, et les autres semblables, qu'il sa patience. En effet il perdit d'abord tout ce
serait troplong d'énumérer, appartiennent à qu'il possédait, avant que son corps fût touché ;
cette espèce de patience par laquelle l'âme ,
et cette tentation avait pour but de briser son
supporte courageusement non le poids de ses âme par la ruine de
, ces choses dont les
péchés, mais les maux extérieurs de toute sorte, hommes ont coutume de grand cas, et de faire
au dedans d'elle-même, sans que le corps soit l'amener à blasphémer contre Dieu, en voyant
atteint. lui échapper ces biens qu'on croyait être le
CHAPITRE X. mobile du culte qu'il lui rendait. Le second
coup qui le frappa ensuite fut la privation
LA PATIENCE DANS LES MAUX EXTÉRIEURS. — LES subite de tous ses enfants il les avait eus l'un ;
MARTYRS ONT EU l'UNE ET LAUTRE PATIENCE.
après l'autre, et les perdit tous
ensemble,
il

Il est une autre espèce de patience. Elle a en sorte que leur nombre, loin d'embellir sa
lieu lorsque l'âme supporte toutes sortes de vie heureuse, fut au contraire pour lui un
tourments et de peines dans son corps, non surcroît de malheur. Quand, après ces épreuves,
pas toutefois comme ou les font les insensés il demeura immobile dans la fidélité à son

méchants , pour se procurer des


c'est-à-dire Dieu, il s'attacha aussitôt à la volonté de Celui
choses vaines ou commettre des crimes, mais (] ne pouvait perdre que par sa propre vo-
l'il

comme Dieu lui-même l'a déterminé, c'est-à- lonté et en échange des biens qu'il avait
;

dire poz^r la justice *. Les martyrs ont soutenu perdus, il saisit Celui qui les lui avait ôtés, pour
l'un et l'autre combat. Car ils ont été rassasiés trouver en lui un bien qui ne pût jamais périr.
d'opprobres delà part des impies, et c'est ainsi Car en réalité ces biens ne lui furent pas ôtés
que l'âme, saine dans un corps sain endure ,
par celui qui avait la volonté de nuire, mais
en quelque sorte des maux qui lui sont pro- par Celui qui avait donné le pouvoir au mau-
pres; puis ils ont été tourmentés dans leurs vais.
corps, enchaînés, emprisonnés, en proie aux CHAPITRE Xn.
horreurs de la faim et delà soif, torturés, sciés,
LA PATIENCE DE JOB SUPÉRIEURE A CELLE d'adAM.
hachés, brûlés, égorgés. Et tandis qu'ils souf-
L'ennemis'attaqua alors au corps du saint, et
» II Reg. XVI, 5-12. — Matt. '
xiir, 30. — '
Jean, xil, 6; xill, 29.
— Matt. XXVI, 29. — Ib. v, 10.
'
il frappa cethomme non plus dans les choses
,

298 DE LA PATIENCE.

extérieures qui lui appartenaient, mais en lui- pour éviter les tourments, Job le saint se se-
même et dansde son être qu'il pou-
la partie rait tuélui-même, pour échapper à la cruauté
vait atteindre. Depuis les pieds jusqu'à la tête du démon et se dérober à tant de maux dans
"voilà le feu de la douleur qui le brûle, les ses biens,dans ses enfants, dans ses propres
vers qui fourmillent, le pus qui suinte; mais membres. Or, il ne le fit pas. Il était bien loin
dans ce corps en pourriture l'âme demeure de commettre contre sa propre personne un
intègre, les soufiFrances horribles d'une chair crime que sa femme elle-même ne lui suggéra
qui tombe en lambeaux n'entament pas sa pas. Etsi elle le lui avait suggéré, elle aurait

piété, ne lassent pas son incorruptible pa- bien vite entendu cette réponse qu'il lui flt I
tience. Une épouse est là, non pour porter quand elle lui suggérait de blasphémer : «Vous
aucun secours à son époux, mais au contraire « avez parlé comme une de ces femmes qui
pour lui suggérer le blasphème contre Dieu. « sont privées de sagesse. Si nous avons reçu
Car le diable, expert dans le métier de nuire, « les biens des mains de Dieu, pourquoi n'en
qui lui avait enlevé tous ses enfants, avait eu « recevrions-nous pas aussi les maux' ? »
soin de lui laisser sa femme ; le tentateur avait Aussi aurait-il été mis au rang de ceux dont
appris par Eve, combien elle lui était utile '. il est écrit: « Malheur à ceux qui perdent la
Mais ici il n'avait pas affaire à Adam,
un autre « patience^», l'avait perdue soit en blas-
s'il

pour pouvoir le prendre par une femme. Job phémant selon le conseil de sa femme, soit en
fut plus prudent au milieu des ardeurs de la se tuant, ce qu'elle n'osa lui conseiller; et par
douleur qu'Adam ne l'avait été sous les
,
là il aurait augmenté ses maux, bien loin de
frais ombrages du Paradis; celui-ci fut vaincu les finir, et aurait été dans les supplices jeté
dans les délices, et celui-là victorieux dans les destinés aux blasphémateurs, aux parricides
angoisses; le premier céda aux caresses, le se- et à ceux qui sont plus que parricides. Car si

cond ne céda point aux tourments. Des amis le meurtre des parricides est d'autant plus

aussi étaient là, non pour le consoler dans ses criminel,quecen'est pas seulementun homme,
maux, mais pour soupçonner le mal. Car ils mais un homme de leur sang qu'ils mettent à
ne voulaient pas croire innocent celui qui mort, et si entre les parricides mêmes le crime
souffrait tant, et leur langue indiscrète l'accu- se mesure par le degré de proximité de celui
sait de ce que sa conscience ne lui reprochait qu'on fait mourir celui qui se fait mourir ,

pas. Ainsi en proie aux souffrances atroces du lui-même est le plus coupable de tous, puis-
corps, son âme était encore en butte aux op- que [)crsonne ne nous est si proche que nous.
probres dont on le chargeait à tort. Et lui, Que pensez-vous donc faire, misérables
supportant dans sa chair ses propres douleurs, lorsqu'en vous ôtant la vie vous vous jetez
et dans son cœur les erreurs d'autrui, repre- dans les supplices éternels, dont Dieu punira
nait la sottise de son épouse, enseignait la sa- et l'impiété que vous commettez contre lui, et

gesse à ses amis , et gardait en tout la pa- la cruauté que vous exercez contre vous-
tience. mêmes ? Cependant vous prétendez aller de
CHAPITRE XIII. pair avec les martyrs, vous dont on pourrait
toujours dire « Malheur à ceux qui perdent
:

DÉFAUT DE PATIENCE DES DONATISTES. ILS PORTENT


« la patience ' » quand ce serait pour vous
,

SLR ELX-iMÈMES DES MAINS CRIMINELLES, QUAND


soustraire à la fureur des tyrans qui vous per-
LES CHRÉTIENS LES RECHERCHENT.
sécuteraient pour le nom de Jésus-Christ que
10. Qu'ils le considèrent, ceux-là qui se don- vous vous donneriez la mort. Car comment se
nent la mort quand on les recherche pour pourrait-il faire que l'impatience fût couron-
leur donner la vie, et renoncent à la vie fu- née aussi bien que la patience? et comment
ture en se privant de la vie présente Si on ! celui à qui il est commandé d'aimer son pro-
voulait les contraindre à renier le Christ, ou chain comme soi-même passera-t-il pour in-
à quelque action contraire à la justice, comme nocent, lorsqu'il aura commis contre lui-
les vrais martyrs,
devraient tout souffrir
ils même, ce qu'il lui est défendu de commettre
patiemment plutôt que de se donner la mort contre son prochain *.

par défaut de patience. Que si cela était permis ^ Job, I, 11, etc. — •
Eccli. ii, 16. — ° Ibid. Malt. XIX, 19.

Gen. III, 1-6.


.

DE LA PATIENCE. 299

CHAPITRE XIV. « êtes mon Dieu, vous n'avez que faire de


« mes biens *», de ce Dieu « de qui vient tout
LA PATIENCE DES JUSTES.
« don parfait et toute grâce excellente ^
», et à
11. Que les saints écoutent donc les pré- qui s'adressent « les cris du pauvre et de l'indi-

ceptes de patience que nous donne l'Ecriture : « gent qui loue son nom * » et qui « demande,
«Monlils, si tu veux entrer au service de « cherche et frappe à la porte *»
en disant , :

« Dieu, conserve-toi dans la justice, et dans « Mon Dieu, tirez-moi ies mains du méchant,
« la crainte, et prépare ton âme à la tentation. « des mains de l'injuste qui viole votre loi;
« Humilie ton cœur et tiens ferme, afin que ta « car vous êtes ma patience, Seigneur, vous
« vie se trouve pleine et abondante au dernier « êtes mon espérance dès mes plus tendres
« jour reçois tout ce qu'il plaira à Dieu de
;
« années *».
« l'envoyer ne te laisse pas abattre à la dou-
;
Mais ceux qui sont « riches à leurs propres
« leur, et conserve la patience lorsque tu seras etyeux * », et qui ne veulent pas reconnaître
a dans l'humiliation, car l'or et l'argent s'é- leur indigence devant le Seigneur, aimant
« prouvent par le feu, et les hommes rece- mieux se glorifier d'une fausse patience que
« vables, dans la fournaise de l'humiliation ». ' de lui demander la véritable, « se moquent
Et ailleurs « Mon fils, ne t'irrite pas con-
: « des pensées du pauvre, qui met son espè-
« tre le châtiment dont Dieu se sert pour cerance en Dieu », et ils ne prennent pas ''

« te corriger, et ne te laisse pas abattre, lors- garde qu'attribuer autant qu'ils font à leur
« qu'il te reprend car le Seigneur châtie
;
volonté, c'est-à-dire à la volonté de l'homme,
« celui qu'il aime, et il frappe de verges tous puisqu'ils sont hommes, c'est encourir « la

ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants '». « malédiction prononcée » par le Prophète
Ceux qu'il reçoit ainsi au nombre de ses « contre ceux qui mettent en l'homme leur
enfants sont ces hommes recevables dont il « espérance * ».
est parlé dans l'autre passage car il est juste ; que pour éviter de
Ainsi, lorsqu'il arrivera
qu'étant déchus de la félicité du Paradis par plus grands maux, ou de peur de déplaire
l'orgueil et par une ardeur désordonnée pour aux hommes, ou par la complaisance que
les i)laisirs, ce soit par l'humilité cl par la leur donnent pour eux-mêmes ces forces pré-
patience dans les maux que nous y soyons tendues de leur volonté superbe, ils souffri-
rétablis : mal que nous avons fait,
exilés par le ront avec fermeté des choses dures et fâcheu-
rappelés par ceux que nous souffrons, ayant ses, il faudra leur dire Aectiie fausse imtience^

alors péché contre la justice et souffrant ce que l'Apôtre saint Jacques dit de la fausse
maintenant pour la justice. sagesse, que « ce n'est pas là celle qui vient
« d'en haut », mais une patience « terrestre,
CHAPITRE XV. a animale, diabolique '». Car la patience des

SOURCE VRAIE DE LA PATIENCE. orgueilleux n'est pas plus véritable que leur sa-
gesse et c'est celui qui donne la vraie sagesse,
;

12. Mais il faut savoir d'où nous vient la qui donne aussi la véritable patience, selon
patience véritable et qui mérite d'être appe- que lui chantait un véritable pauvre d'esprit,
lée de cenom ; car il y en a qui l'attribuHnt l'orsqu'il disait: « Sois soumise à Dieu, ô mon
aux forces que la volonté humaine tire du « âme, car c'est de lui que vient ma patience ''»
fonds de sa liberté, au lieu de l'attribuer à
celles que lui donne la grâce de Dieu. Cette CHAPITRE XVI.
erreur vient de l'orgueil de Thomme, et ce OBJECTION.
sont là les pensées de ceux dont parle le psal-
miste quand il dit: « Nous avons été la risée 13. Mais, nous répondront-ils, si sans aucune
« de ceux qui sont riches à leurs propres yeux, grâce de Dieu, et par les seules forces du libre
a et le mépris des orgueilleux ^ ». arbitre, les hommes sont capables de suppor-
Cette sorte de patience n'est donc pas « la ter des maux si horribles, et dans l'esprit, et
« patience des pauvres», qui « ne périt point '•» dans le corps, pour arriver à la jouissance des
et qu'ils reçoivent de Celui qui est souveraine-
ment riche, et à qui le psalmiste a dit : « Vous ' Psal. XV, 2. — ' Jac. i, 17. — ' Psal. Lxxiir, 21. — '
Matt. vm,
7. — '
Psal. Lxx, 4,5.— Id. cxxii, 4.
' — '
Id. xiii, 6. — '
Jerem.
'Eccli.ii,l-5.— 'Prov.iii,!!, 12.— » Psal. cxxii, 4 « Id. ix, 19. xvii, 5. — ' Jac. m, 15. — Psal. lxi, 6.
300 DE LA PATIENCE.

bicDS de cette vie, etdes plaisirs même crimi- ment les uns et les autres, tous les maux qui
nels; pourquoi ne pourront-ils pas en souffrir leur peuvent arriver. Comme donc la vérita-
autant pour la justice et pour la vie éternelle ble j)atience dans les justes
vient de ce qui
par les mêmes forces du libre arbitre? La produit en eux l'amour de Dieu, la fausse pa-
nature ne lui en a-t-elle pas donné tout ce tience dans les méchants vient de ce qui pro-
qu'il faut pour cela, sans qu'il ait besoin d'un duit en eux l'amour du monde.
secours d'en baut? Quoi dira-t-on, la volonté ! C'est ce qui a fait dire à i'apôtre saint Jean :

des méchants sera capable, sans aucun secours « N'aimez point le monde ni ce qui est dans
de Dieu, de souffrir, pour l'iniquité, les tour- « le monde si quelqu'un aime le monde, l'a-
:

ments par lesquels ils se préparent à tenir « mour du Père n'est point en lui, car tout
bon contre ceux que les juges leur peuvent « ce qui est dans le monde n'est que concu-
faire endurer; lavolonté des scélérats qui clier- « piscence de la chair, ou concupiscence des

client à prolonger le cours de cette misérable « yeux, ou orgueil de la vie, ce qui ne vient

aucune assistance du
vie, sera assez forte, sans « pas du Père, mais du monde ^ ». Ainsi plus

ciel,pour persister, malgré la rigueur et la cette concupiscence qui ne vient pas du Père,
longueur des plus cruels tourments, à nier mais du monde, sera forte et ardente dans un
leurs crimes de peur qu'on ne les envoyât à homme, plus il sera capable de souffrir avec
la mort s'ils les avouaient ; et la volonté des fermeté, pour ce qu'il désire, toutes les peines
justes ne le sera pas assez, si elle n'est assistée et les douleurs qui pourront arriver. Cette
lui
d'en baut pour souiïrir quelques peines que sorte de patience, comme
nous avons déjà dit,
ce soit par la considération de ce qu'il y a n'est donc pas celle qui vient d'en haut c'est ;

d'aimable dans la justice, ou par l'amour de la patience des saints qui en vient, et qui est
la vie éternelle? un a don du Père des lumières ^ » l'une est :

terrestre, l'autre céleste l'une animale, l'au- ;

CHAPITRE XVII. tre spirituelle ; l'une diabolique, l'autre divine ;

RÉPONSE. parce que la cupidité qui que les mé- fait

chants se raidissent dans leurs maux, « vient


14. Mais ceux qui parlent ainsi ne savent pas a du monde * » et la charité qui fait que les
; ,

que comme la dureté avec laquelle les mé- saints souffrent les leurs avec force, « vient
chants supportent les maux, est proportionnée « de Dieu* ».
à la mesure de la cupidité et de l'amour du A'oilà ce qui fait que pour cette fausse pa-
monde qui est en eux ; de même la force des tience la volonté de l'homme suffit sans aucun
justes dans les soullrances n'est plus ou moins secours de Dieu, étant d'autant plus capable
grande qu'à proportion de leur charité et de de souffrir avec cette dureté, qu'elle a plus de
leur amour de Dieu. Or, au lieu que la cupi- cupidité. Mais pour la véritable patience, la
dité a la volonté pour principe, se fortifle volonté de l'homme ne suffit pas, si la grâce
dans le plaisir et se consomme dans la cou- ne l'aide et ne l'enflamme parce que le ;

tume la charité au contraire n'a que Dieu


;
Saint-Esprit est son feu, et qu'à moins d'en
pour principe, étant « répandue dans nos être embrasée jusqu'à aimer le bien souve-
a cœurs » non par nous-mêmes, mais « par
,
rain et impassible, elle ne saurait tenir bon
« le Saint-Esprit qui nous est donné ^ ». La pa- dans les maux qui lui arrivent.
tience des justes vient donc de Celui-là même
qui répand la charité dans leurs cœurs.
CHAPITRE XViïl.

Aussi voyons-nous que l'Apôtre fai?ant l'é- LA PATIENCE VIENT DE DIEU.


loge de la charité, entre les autres biens
qu'elle enferme, marque expressément qu' 15. Car, comme nous l'apprenons des saintes
« elle souffre tout. La charité », dit-il, « est Ecritures, « Dieu est charité, et celui qui de-
« patiente, et courageuse* », et un peu plus ce meure dans la charité, demeure en Dieu, et

bas : « Elle souffre tout * ». De sorte que, plus « Dieu en lui ^ qu'on peut
». Ainsi, soutenir

l'amour de Dieu est fort dans les justes, et avoir l'amour de Dieu sans le secours de Dieu,
l'amour du monde dans les méchants, plus c'est proprement soutenir qu'on peut avoir

ils souffrent avec fermeté, pour ce qu'ils ai- — —


U Je an, u, 15. — '
Jac. ni, 13. ' I Joan. ii, 16. • Ib. i, -17

Rom. V, 5. — ^
1. Cor. xm, 4, — " Ibid. 7. .^^"""^^^ nr—xirî^?^''*». 7.
. ,

DE LA PATIENCE. 301

Dieu sans Dieu. Or, je ne dis pas quel chré- amateurs du monde, ou ce qui est renfermé
tien,mais quel insensé oserait avancer une dans l'enceinte du ciel et de la terre, c'est-à-
telle extravagance ? dire toutes les créatures ;
parce que toute vo-
Voici donc, selon l'Apôtre, ce que la vérita- lonté de la créature qui ne vient point du
ble , la sainte et fidèle patience dit par la Créateur, vient du monde.
bouche des saints dans les transports de sa C'est pour cela que Jésus-Christ disait à des
joie : « Qui me séparera de l'amour de Jésus- amateurs du monde « Vous êtes d'ici-bas, et :

ce Christ? sera-ce l'affliction? les angoisses? « moi je suis d'en-haut vous êtes de ce ;

« la faim ou la nudité ? les


persécution ? la « monde, et moi je ne suis pas de ce monde » '
;

« périls, ou le fer et la violence ? car, selon tandis qu'il disait à ses Apôtres: «Si vous
« qu'il est écrit, nous sommes tous les jours « étiez du monde, le monde vous aimerait,
« égorgés pour l'amour de vous on nous re- ; « parce que vous seriez à lui H. De peur ce-
« garde comme des brebis destinées à la bou- pendant qu'ils ne s'attribuassent plus qu'il ne
« chérie. Mais dans tous ces maux nous de- leur appartenait, et qu'ils ne se crussent re-
« mourons victorieux par Celui qui nous a devables à la nature et non à la grâce de ce
« aimés * ». Ce n'est donc pas par nous-mêmes, qu'ils n'étaient pas du monde, Jésus-Christ
mais « par Celui qui nous a aimés ».El en- ajoute aussitôt Parce que vous n'êtes pas
: «

suite « Je suis assuré », ajoute ce grand Apô-


: « du monde, et que je vous ai choisis, séparés
tre, « que ni-la mort ni la vie, ni les anges, « du monde, c'est pour cela que le monde
« ni les principautés, ni les puissances, ni «vous hait * ». Ils n'étaient donc pas du
a les choses présentes, ni les futures, ni tout monde, il est vrai mais c'est qu'ils avaient ;

« ce qu'il y a au plus haut des cieux ou au été choisis et séparés du monde, pour n'en
«plus profond des enfers, ni enfin aucune être pas.
« créature ne pourra jamais nous séparer de CHAPITRE XX.
« l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Sei-
LA GRACE PRÉVENANTE.
« gneur ^ ». Voilà quel est cet amour de Dieu

qui est « répandu dans nos cœurs », non par 17. Or nous aprenons de l'Apôtre que ce
nous-mêmes, mais « par le Saint-Esprit qui choix n'est fondé sur aucun mérite de bonnes
« nous est donné * » au lieu que la cupi- ; œuvres faites auparavant , mais que c'est un
dité qui produit la fausse patience dans les choix et une élection de grâce. Ce saint Apôtre
méchants vient « du monde, et non pas du a dit formellement que « le petit nombre que
« Père* », comme dit l'apôtre saint Jean. « Dieu s'est réservé, est sauvé par une élection
« de grâce: que si c'est par grâce », ajoute-t-il,
CHAPITRE XIX. « ce n'est donc pas par les œuvres, autrement
AUTRE OBJECTION : RÉPONSE. « la grâce ne serait plus grâce * »

de grâce, c'est-à-dire ce
C'est cette élection
16. Mais, dira quelqu'un, si c'est du monde choix que Dieu fait des hommes par pure
que vient cette cupidité des méchants, qui grâce, qui prévient dans l'homme tout ce qui
leur fait souffrir avec fermeté tous les maux lui peut tenir lieu de quelque mérite car si ;

qui se rencontrent dans la poursuite de ce les hommes étaient choisis en considération


qu'ils aiment; comment peut-on dire qu'elle de quelque mérite, cette élection serait le
vient de leur volonté ? C'est qu'ils sont eux- paiement d'une dette, et non pas un présent
mêmes du monde et qu'ils appartiennent gratuit ; et par conséquent elle ne mériterait
au monde, parce qu'ils aiment le monde, pas le nom de grâce; « la récompense »,
jusqu'à abandonner Celui qui a fait le comme dit le même Apôtre, « n'étant pas re-
monde ; car « ils s'asservissent à la créa- « gardée comme une grâce, mais comme une
« ture, au lieu de servir le Créateur qui est « dette ^». Si au contraire elle est véritablement
«béni dans tous les siècles ^ ». Ainsi il est grâce, c'est-à-dire parfaitement gratuite, on
clairque la volonté des méchants vient tou- ne peutpasdire qu'elle trouve rien en l'homme
jours « du monde », soit que l'apôtre saint en considération de quoi elle lui soit donnée.
Jean ait voulu marquer par ce mot-là, les C'est ce que l'Ecriture nous déclare nettement,
Rom. viit, 35. — ^ Ibid. 39. — ' Rom. ix, 5. — ' I Jean, ir, 16. ' Joan. viir, 23. — '
Joan. xv, 19. — « Ibid. 20. — " Rom, xi
' Rom. I, 25. 5, 6. — ' Rom. IV, 4.
.

302 DE LA PATIENCE.

quand elle dit a Vous les sauverez pour rien »


:
* cette véritable justice que ce même Jésus-
C'estdonc la grâce qui donne tout mérite, Christ est à tous les justes. Ils ont cru les choses
bien loin d'être donnée au mérite c'est elle ; avant leur accomplissement, comme nous les
qui prévient toutes choses en nous, jusqu'à la croyons présentement qu'elles sont accom-
,

foi même qui est le principe et le commence- plies ; et ils sont sauvés « par grâce, par le
ment de toute bonne œuvre, puisque, comme « moyen de la foi, non par eux-mêmes, mais »
il de la foi ^ ».
est écrit, « le juste vit par un don de Dieu qui « ne venait i»oint de
Non-seulement donc la grâce aide et soutient « leurs bonnes œuvres, afin qu'ils n'eussent pas
le juste, mais c'est elle qui l'a fait juste, d'impie « sujet de se glorifier » comme si leurs bonnes '

qu'il était. Ainsi, lors même qu'elle l'aide, et œuvres avaient prévenu la miséricorde de Dieu
qu'il semble qu'elle soit la récompense de son au lieu qu'elles en étaient des suites et des
mérite, elle ne cesse pas pour cela d'être grâce, effets aussi bien que les nôtres.

car ce qu'elle aide en lui n'y est que par elle. Car non-seulement ils avaient appris, mais
Cette grâce qui prévient tout mérite dans ce sont eux-mêmes qui nous ont laissé par
les hommes, est l'effet et le prix de la mort écrit, longtemps avant que Jésus-Chi ist vînt

que Jésus-Christ a bien voulu souffrirnon- au monde, que Dieu aura pitié de qui il lui c<

seulementpar lamain des impies, mais même « plaira d'avoir pitié, et qu'il fera miséricorde
« pour des impies * ». Or, quand Jésus-Christ « à qui il lui plaira de la faire ^ » d'où saint ;

a choisi ses Apôtres, c'a été pour les rendre Paul a conclu longtemps après que «toutdé-
justes, et non pas pour lesavoir trouvés justes ;
« pend donc, non de celui (juiveut, ni de celui

car, après leur avoir dit qu'ils n'étaient pas du « qui court, mais de Dieu qui fait miséri-

monde, il ajouta incontinent, de peur qu'ils « corde ^ ». Ce sont eux encore qui ont dit,

ne s'imaginassent qu'ils n'en avaient jamais longtemps avant la venue de Jésus-Christ :

été, que « c'est lui qui les a choisis et séparés « Mon Dieu, votre miséricorde me prévien-
« du monde * ». C'est donc ce choix qui a fait « dra '^».

qu'ils n'ont pas été du monde. Or, comment n'auraient-ils pas été partici-
D'ailleurs, si ce choix n'avait pas été fait par pants de de Jésus-Christ, eux qui nous ont
la foi

pure grâce, mais en considération de quelque prophétisé Jésus-Christ, dans lafoi duquel per-
en eux, il ne serait pas vrai
justice qui eût été sonne n'est, ni ne sera, ni n'ajamais été juste?
de dire qu'ils ont été « choisis et séparés du Si donc les Apôtres étaient déjà justes quand
« monde » ; car dès avant ce choix même ils Jésus-Christ les a choisis , il faudrait qu'ils
n'eussent pas été du monde, puisqu'ils eussent l'eussent choisi les premiers, afin (ju'étant
été justes. De plus, s'ils ont été choisis parce justes par ce choix, sans lequel il n'y a point
qu'ils étaient justes, ils avaient donc déjà de justice, ils puissent mériter d'être choisis
choisi Dieu les premiers, car on n'est juste par lui. Mais il n'en a pas été ainsi, puisqu'il
qu'en choisissant la justice or, l'Ecriture nous ;
leur a dit lui-même « Ce n'est pas vous qu :

apprend que ^ « Jésus-Christ est la fin de la loi « m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai
« pour être la j ustice de tous ceux qui croient ;
« choisis S) et c'est ce qui a fait dire à l'apô-
;

« car il nous a été donné de Dieu pour être tre saint Jean « Ce n'est pas nous qui avons
:

« notre sagesse, notre justice, notre sanclifi- « aimé Dieu les premiers, mais c'est lui qui
« cation et notre rédemption; afin que, comme « le premier nous a aimés ® ».

« il est écrit, quiconque se glorifie, ne se glo-


« rifie que dans le Seigneur * » c'est donc ;
CHAPITRE XXII.
lui qui est notre justice. SANS LA GRACE POINT DE JUSTE.

CHAPITRE XXI. 19. Cela étant ainsi, un homme qui a l'usage

LA GRACE A FAIT LES ANCIENS JUSTES. de sa raison et de sa volonté, qu'est-il autre


chose avant que d'aimer Dieu, et de l'avoir
48. Aussi les saints qui ont vécu avant l'in- pris pour son partage, qu'un pécheur et un
carnation du Verbe n'ont-ils été justifiés comme impie? Que deviendra cette misérablecréature
nous, que par la foi en Jésus-Christ et par qui a quitté son Créateur, si ce Dieu de bonté

'
Psal. LV, 8. — ' Habac. il, 4. — *
Rom. v, 6. — ' Joan. xv, 19. '
Eph. II, 8,9. - " Exod. xxxiir, 19. — ' Rom. ix, 15, 16. — ' Psal,
— ' Rom. X, 4, — ' I Cor. l, 30, 31. Lvui, U. — ' Joan. XV, 16. — " I Joan. iv, 10.
DE LA PATIENCE. 303

n'en a pitié, si gratuitement il ne la choisit d'ici-bas, qui lui fasse supporter avec une fer-
et ne l'aime gratuitement ? Car à moins que meté surprenante les maux les plus insupporta-

Dieu ne guérisse et ne redresse l'homme, en bles ; ce n'est pas à dire pour cela qu'il ne

le prévenant par un choix et une bienveil- puisse y avoir de volonté mauvaise sans l'ins-
lance gratuite, l'homme n'est pas capable de tigation du démon, comme il n'y en peut avoir
se porter à choisir ni à aimer Dieu son aveu- ;
de bonne sans le secours du Saint-Esprit. Car
glement lui ôtant la vue de ce qu'il faut choi- il n'y a point de meilleur exem pie que le démon

sir, et sa langueur, le goût de ce qu'il faut même, pour faire voir que la volonté peut être
aimer. Mais, dira-t-on, comment se peut-il mauvaise sans qu'on soit séduit, ou sollicité
faire que Dieu choisisse, et aime le premier des par un esprit étranger puisque ce n'est pas ;

méchants et des impies pour les rendre justes, par l'instigation d'un autre démon, mais par
puisqu'il est écrit « Vous haïssez, Seigneur,
:
sa volonté propre qu'il est devenu démon.
« tous ceux qui commettent l'iniquité ? » 11 ' Ainsi la volonté mauvaise qui étant ou en-

y a là sans doute quelque chose d'inexplicable traînée par le désir, ou retenue par la crainte,
etd'incompréhensible. Ne concevons-nous pas ou dilatée par la joie, ou resserrée par la tris-
néanmoins qu'un médecin tendre et charitable tesse, méprise et supporte volontiers ce qu'il y
hait et aime son malade tout à la fois ? Il hait aurait de plus dur pour un autre et pour elle,

en lui ce qui le fait malade, et il l'aime poarle si elle n'était point agitée de ces mouvements,
guérir. suffitpourse séduire elle-même, sans qu'aucun
CHAPITRE XXIII. esprit étranger la pousse. Et à proportion
qu'étant vide des choses d'en-haut, el plongée
PATIENCE vraie; PATIENCE FAUSSE.
dans celles d'ici-bas, l'objet qu'elle désire pos-
20. Voilà ce que
cru devoir dire sur le
j'ai séder, ou qu'elle craint de perdre, ou dont la
sujet de la charité, sans laquelle il ne saurait possession lui donne de la joie, ou dont elle
y avoir en nous de véritable patience car c'est ;
regrette la perte, lui paraîtra doux ; elle portera

la charité qui supporte les maux dans les bons, avec d'autant plus de fermeté tous les maux
comme c'est la cupidité qui les supporte dans dont la souffrance ne sera pas capable de
les méchants. Or « cette charité n'est dans nous balancer le plaisir de la jouissance de ce
quepar leSaint-Espritqui nousestdonné^» ;
qu'elle aime. Or, ce qu'elle aime, quoi que
ainsi nous tenons la patience de Celui-là même ce puisse être, est du genre et de la nature
de qui nous tenons la charité. des choses créées. Car on sait que le plaisir des
Pour la cupidité, lorsqu'elle supporte avec créatures ne consiste qu'à suivre la pente que
fermeté le poids desmisèresdont ellesetrouve le commerce perpétuel qu'elles ont entre elles
accablée; elle se glorifie des forces de sa vo- leur donne les unes pour les autres, et qui
lonté propre, c'est-à-dire de l'ardeur de la ma- fait que la créature aimante s'attache à la créa-

ladie quelle prend pour


vigueur de sa santé. la ture aimée pour en goûter la douceur.
Il y a de la folie à se glorifier de cette sorte ;

et ce n'est pas être patient, mais insensé. Ce-


CHAPITRE XXV.
pendant cette volonté semble porter les maux DIEU SEUL REND LA VOLONTÉ BONNE.
avec d'autant plus de patience, qu'étant dé-
pourvue des biens du ciel, elle a plus d'avidité du Créateur, dont il est
22. Mais ce plaisir
pour ceux de la terre. écrit : « abreuverez au torrent de vos
Vous les

« délices », est bien d'un autre genre; car ce


'

CHAPITRE XXIV. n'est point une chose créée comme nous. Si ce


plaisir céleste ne produit donc en nous l'amour
VOLONTÉ MAUVAISE SANS l'iNSTIGATION DU DÉMON.
de Dieu, il n'y a rien qui nous le puisse donner;
21. Mais quoique le malin esprit redouble et ainsi la bonne volonté, celle par laquelle
souvent cette avidité par ses sollicitations im- on aime Dieu, ne saurait être que dans ceux
pures et parles images trompeuses qu'il forme « en qui Dieu opère le vouloir même "». 11 est
dans l'esprit, et que, conspirant avec la corru- donc clair que cette bonne volonté, c'est-à-
ption de l'homme, il porte sa volonté à un point dire celle qui est soumise à Dieu avec fidélité,
d'erreur, de folie ou d'ardeur, par les plaisirs celle qui brûle de la sainte ardeur qui vient
' Psal. V, 7. — » Rom. v, 3. '
Psal. XXXV, 9. — ' Phil. il, 15.
,

304 DE LA PATIENCE.

d'en haut, celle qui aime Dieu et le prochain Car nous ne pouvons pas dire que cet homme-
pour Tamour de Dieu, sous quelque forme que là eût mieux fait de renoncer à Jésus-Christ
ce soit qu'elle souffre les maux de cette vie, pour se garantir des maux qu'il a soufferts en
que ce soit sous la forme de cet amour exprimé confessant son nom. Mais ce que nous en
dans cette parole de saint Pierre à Jésus- devons penser, c'est que cela servira peut-être
Christ « Vous savez, Seigneur, que je vous
: à faire qu'il soit puni d'un moindre supplice,
« aime » ou de celte crainte dont parle saint
*
; que s'il avait renoncé à Jésus-Christ pour se
Paul, quand il dit « Opérez votre salut avec: délivrer de tous ces maux.
« crainte et tremblement ^ »; ou de cette joie Ainsi, lorsque l'Apôtre a dit « Quand on :

dont il parle ailleurs, quand il dit «Réjouis- : «livrerait mon corps pour être brûlé, si je
« sez-vous par l'espérance, et soyez patients « n'ai la charité, cela ne me sert de rien » il *
;

c dans les afflictions * » ; ou d'une «tristesse» faut entendre que cela ne sert de rien pour
comme celle « dont il avait le cœur si pressé gagner le royaume du ciel, mais non pas pour
« sur le sujet de ses frères * » ; il est clair, dis- diminuer quelque chose de la rigueur des
je, que c'est toujours cette même charité, dont supplices éternels.
il est dit qu'elle « souffre tout^», et quin'«est »
jamais «répandue dans nos cœurs» que « par CHAPITRE XXVII.
« le Saint-Esprit qui nous est donné *,».
EST-ELLE UN DON DE DIEU ?

CHAPITRE XXYI. 24. Mais on pourrait demander si c'est un

QUE PENSER DE LA PATIENCE DES SCHISMATIQUES? don de Dieu ou une chose qu'il faille attribuer
à la force de la volonté humaine, que la
Ainsi la piété ne nous permet pas de douter, patience par laquelle un homme séparé de
que la patience qui fait qu'on souffre chrétien- l'Eglise et craignant les peines éternelles
nement, ne soit un don de Dieu, aussi bien souffre des maux temporels non pour ; l'erreur
que la charité qui fait qu'on aime saintement. qui a fuit sa séparation, mais pour les vérités
Car l'Ecriture ne se trompe ni ne nous trompe, et lesmystères qui se conservent encore dans
quand elle dit, et dans l'ancien Testament, sa secte.Car si nous disons que cette sorte de
que « Dieu est notre patience'' », que « notre patience soit un don de Dieu, nous faisons
« patience vient de Dieu ^ », que « l'Esprit de participants de son royaume ceux en qui elle
« force nous est donné d'en haut® » et dans le ; se trouve si au contraire nous disons que ce
;

nouveau, qu'« il a été donné à quelques-uns, n'en est pas un, nous avouerons par là que
« non-seulement de croire en Jésus-Christ ,
sans le secours de Dieu, il peut y avoir quel-
« mais même de souffrir pour lui '" ». que bien dans la volonté de l'homme puis- ;

Que ce que nous savons avoir reçu, ne nous qu'on ne saurait nier que ce ne soit un bien
soit donc pas un sujet de nous élever, comme que de croire qu'on sera puni éternellement
si nous l'avions de nous-mêmes. si on renonce à Jésus-Christ, et de souffrir,

23. Parmi ceux qui sont dans le schisme, et plutôt que d'en venir là, tout ce que les hom-
par conséquent dépourvus de la charité, dont mes sont capables de faire souffrir. Ne nions
l'unité d'esprit et le lien de la paix qui unis- donc pas que cela même ne soit un don de
sent tous les membres de l'Eglise catholique Dieu mais comprenons en même temps que
;

sont des suites nécessaires, si l'on voit quel- les dons qu'il fait aux citoyens de la Jérusalem

qu'un souffrir, parla crainte du feu de l'enfer, céleste, de la femme libre dont nous sommes
les afflictions, les angoisses, la nudité, la per- les enfants, sont bien autres que ceux-là.
sécution, les périls, la prison, les chaînes, les
tortures, le fer, le feu, les ongles et les dents
CHAPITRE XXVIII.
des bêtes sauvages, et la croix même, plutôt DONS ET DONS.
que de renoncera Jésus-Christ, bien loin qu'on
l'en puisse blâmer, il y a quelque chose de 25. Ce sont ces dons qui composent l'héri-
louable, même dans cette sorte de patience. tage céleste, où nous sommes « héritiers de
« Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ* » pour ;

' Joan. XXI, 15. — ' Phil, ii, 12. — Rom. xil, 12. —
' ' Rom. ix,
les autres, ils peuvent être le partage « des
2. — 'I Cor. XIII, 7. — ' Rom. v, 5. — Psal. LXX, —
'
?. ' Id. LXi,
6 . — ' Isai. XI, 2. — " Phil. i, 29. ' I Cor. xui, 3. — ' Rom. viii, 17.
.

DE LA PATIENCE. 305

cr enfants même des concubines », c'est-à-dire crier de la sorte; et dans l'attente où nous
des juifs charnels, des hérétiques et des schis- sommes de l'héritage éternel, soyons animés
matiques. Car si d'un côté nous voyons que d'un amour libre, et non d'une crainte servile;
Dieu dit à Abraham « Chasse l'esclave avec : « crions » mais dans un esprit de patience, pen-
,

« son fils, parce que le fils de l'esclave ne sera dantquenoussommes pauvres ici-bas, jusques
« point héritier avec m(fh fils Isaac * » ; et à ce que nous soyons enrichis des biens de
ailleurs : Ce sera Isaac qui sera appelé ton
« cet héritage céleste. Nous en avons déjà des
« fils ^
» , c'est-à-dire « que ceux qui sont sortis
: gages et des assurances bien grandes, puisque
c( d'Abraham selon ne sont pas pour la chair, « Jésus-Christ s'est fait pauvre pour nous en-
« cela enfants de Dieu, mais que les enfants « richir *
qu'après son exaltation dans le
», et
« de la promesse sont réputés être la race d'A- ciel, le Saint-Esprit nous a été envoyé pour
« braliam *», comme l'Apôtre l'explique pour former de saints désirs dans nos cœurs.
nous faire entendre que «ce sont les enfants C'est de ces pauvres qui n'ont encore que
« issus d'Abraham en la ressemblance d'Isaac la foi, et non pas la claire vue, qui espèrent
« qui sont enfants de Dieu par Jésus-Christ*», mais qui ne jouissent pas, qui soupirent et
et qui sont ses membres et composent son qui désirent, bien loin d'être déjà régnants
corps, c'est-à-dire l'Eglise catholique, laquelle dans la souveraine félicité, qui ont faim et
est seule la véritable Eglise en qui se trouve soif de la justice, mais qui n'en sont pas en-
la foi qui qui agit non par
fait les saints, et core pleinement rassasiés; c'est de ceux-là
la crainte, ni par l'orgueil, mais par l'amour; qu'il est dit : « Leur patience ne périra
si, dis-je, nous voyons par là les enfants des « point ^ » ; non qu'ils aient encore besoin de
concubines exclus de l'héritage, nous voyons patience lorsqu'il n'y aura plus rien à souf-
aussi que lorsqu'Abraham les sépara d'avec frir, mais parce que leur patience n'aura pas
son fils Isaac, « il leur fit quelques gratifica- été infructueuse, et que pour dire «qu'elle ne
« tions '», non qu'il les reconnût pour ses hé- « périra point ^
», il suffit que la récompense
ritiers, mais afin de ne les pas laisser absolu- en soit éternelle. Car, quand on a travaillé en
ment dépourvus de tout. « Abraham », dit l'E- vain, et qu'on se trouve frustré dans son
criture, « donna tous ses biens à son fils Isaac, attente, on dit qu'on a perdu sa peine; et au
« et séparant de lui les enfants des concubines, contraire, lorsqu'on est arrivé à ce qu'on pré-
« il leur fit aussi quelques gratifications ® » tendait, on dit qu'on ne l'a pas perdue; ce qui
donc nous sommes enfants de la femme
Si ne signifie pas qu'elle demeure toujours, mais
libre, de Jérusalem, comprenons qu'autres qu'elle n'a pas été inutile.
sont les biens des héritiers, autres les grati- C'est ainsi que « la patience des pauvres * »
fications faites à ceux qui n'ont point de part de Jésus-Christ, qui doivent un jour être en-
à l'héritage. Or, les héritiers sont ceux à qui richis de l'héritage du même Jésus- Christ,
il est dit « L'esprit que vous avez reçu n'est
: «ne périra point ^
»; non que nous ayons
« point un esprit de servitude pour vous faire rien à souffrir dans la béatitude éternelle;
« vivre encore dans la crainte mais vous avez ; mais parce que nous y jouirons à jamais de
« reçu l'Esprit d'adoption des enfants, qui la récompense de ce que nous aurons souffert
« nous fait crier mon Père, mon Père ». :
''
ici-bas avec patience. Car celui qui donne à
la volonté, la patience dont nous avons besoin
CHAPITRE XXIX.
dans le temps, ne mettra point de fin à la fé-
ÉTERNELLE RÉCOMPENSE DE LA PATIENCE
licité que nous posséderons dans l'éternité;
VÉRITABLE.
couronnant par l'un et l'autre de ces dons,
26. Que l'esprit de charité nous fasse donc celui qu'il nous a fait de la charité.

* Gen. XXI, 10. — ' Gai. iv, 30. — » Gen. xxi, 12. — •
Rom. ix,
7, 8. — ' Gen. xxv, 5, 6. — ' Ibid.— '
Rom. viii, x, 14-17. ' II Cor, Yiii, 9. — » Psal, ix, 19. - •
Ibid. - « Ibid, — '
Ibid.

S. AuG. — Tome XII. 20


DU SYMBOLE.
Discours adressé» aux OatéctLlimèiies.

CHAPITRE PREMIER. mentir, se tromper, être trompé, faire le


mal, il ne serait pas tout-puissant ; car s'il
LE SYMBOLE, RÈGLE DE FOI.
était capable de tout cela il ne serait pas digne
1. Recevez, mes enfants, la règle de foi que d'être tout-puissant. Dès lors notre Père tout-
nous appelons symbole. Après l'avoir reçue, puissant ne peut pécher. Il peut faire tout ce
écrivez-la dans votre cœur et récitez-la chaque qu'il veut, c'est là sa toute-puissance. Il fait tout
jour avant de vous endormir, avant d'entre-
;
ce qu'il veut de bien et de juste mais il ne veut ;

prendre un voyage^ armez- vous de votre sym- rien de ce qui pourrait être mal. Personne ne
bole. Pour ne point l'exposer à être lu par peut résister au tout-puissant jusqu'à l'empê-
des yeux profanes, personne n'écrit le sym- cher de faire ce qu'il veut. C'est Dieu qui a créé
bole gravez-le donc profondément dans votre
;
le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils renfer-
mémoire, si vous voulez ne pas oublier ce ment, les choses invisibles et visibles. Les
que vous avez appris avec une si noble ardeur. choses invisibles, comme sont par exemple les
Vous devrez croire ce qui vous sera enseigné, trônes, les dominations, les principautés,
et ce que vous aurez cru vous le formulerez les puissances, les archanges, et les anges,
par la parole. L'Apôtre ne dit-il pas « C'est : dont nous deviendrons les concitoyens, nous
si

«parle cœur que Ton croit pour la justice, mais menons une vie sainte. Dieu a fait également
« c'est par la bouche que l'on confesse sa foi dans le ciel les choses visibles le : soleil, la lune,
«pour le salut ? » Voici donc le symbole que
^ les étoiles. Il a créé les animaux terrestres
vous apprendrez et que vous redirez. Toutes pour orner la terre ; dans l'air, il a lancé les
les paroles qui le composent se retrouvent en oiseaux ; sur le sol il a jeté les animaux mar-
différents endroits des divines Ecritures; c'est cbants et rampants, et dans la mer les poissons ;

là qu'elles ont été puisées pour ne former il a rempli chaque élément des créatures qui
qu'un seul tout, que la mémoire la plus lente lui sont propres. Enfin il a donné à l'homme
pût apprendre facilement. De cette manière, une àme créée à son image et à sa ressem-
tout homme peut fornmler et retenir ce qu'il blance; l'àme est donc l'image de Dieu, voilà
croit. Est-ce d'aujourd'hui seulement que vous pourquoi elle ne peut se comprendre elle-
entendez parler de la toute-puissance de Dieu? même, en tant qu'elle est l'image de Dieu.
Eh bien il deviendra votre père, dès que vous
1 Nous avons été créés pour commander à toutes
aurez reçu la naissance par l'Eglise votre mère. les autres mais nous sommes
créatures ;

2. Après ce que vous avez entendu, médité tombés par péché du premier homme, et,
le

et retenu, vous pouvez-dire « Je crois en Dieu : depuis ce moment, nous avons hérité de la
a le Père tout-puissant » Dieu est tout-puissant, . mort. Nous sommes devenus des hommes
et parce quil est tout-puissant il ne peut mortels, nous sommes remplis de craintes et
mourir, il ne peut être trompé, il ne peut d'erreurs ; c'est là l'œuvre du péché dont tout
mentir, et selon la parole de l'Apôtre, « il ne homme apporte en naissant la coulpe et le châ-
« peut se renier lui-même - ». Que de choses timent '. Voilà pourquoi vous voyez que l'on
il ne peut pas, quoiqu'il soit tout-puissant ou ; souffle sur les qu'on les
petits enfants, et

plutôt, il est tout-puissant parce qu'il ne peut exorcise , afin de chasser loin d'eux la puis-
pas toutes ces choses. S'il pouvait mourir, sance ennemie du démon qui n'a trompé les
il ne serait pas tout-puissant ; s'il pouvait hommes que pour en faire ses esclaves. Dans
'
Rom. I, 10. — ' II Tim. n, 13. ' Gen. r, m.
DU SYMBOLE. 307

les petits enfants ce n'est donc pas la créature veut, tandis que Dieu le Fils ne pourrait
même de Dieu que l'on exorcise et sur laquelle {)as faire ce qu'il veut ? Dans le Père et

on souffle^ c'est le démon sous le joug duquel le Fils il n'y a qu'une seule et même volonté,
nous naissons tous par le péché, car il est le puisqu'il n'y a qu'une seule et même nature.
prince des pécheurs. Et c'est ainsi que pour un La volonté du Fils ne peut donc en aucune
seul homme qui est tombé et qui a condamné manière être séparée de la volonté du Père.
à la mort toute sa postérité Dieu a envoyé ;
Le Père est Dieu, le Fils est Dieu tous ;

sur la terre Celui-là seul qui est sans péché deux ne font qu'un seul Dieu le Père est tout- ;

et qui délivre de leurs péchés et conduit à la puissant, le Fils est tout-puissant, tous deux
vie éternelle tous ceux qui croient en lui. ne sont qu'un seul tout-puissant.
4. Nous n'admettons pas deux dieux comme
CHAPITRE II. le font certains impies qui disent Dieu
le Père :

LE FILS DE DIEU, NOTRE-SEIGNEUR, EST VÉRITA-


et Dieu en sorte que Dieu le Père soit
le Fils,
plus grand, et Dieu le Fils plus petit. Que sont-
BLEMENT DIEU ET TOUT-PUISSANT.
ils tous deux? Deux dieux? Vous rougiriez de
3. Nous croyons donc également en Jésus- le dire ,rougissez donc de le croire. Vous
Christ Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, dites : le Seigneur Dieu le Père, et le Seigneur
Père tout-puissant. Quand vous entendez Dieu le Fils que le Fils lui-même
; et voici
parler du unique de Dieu, reconnaissez
Fils déclare « Personne ne peut servir deux
:

qu'il est Dieu. En


effet le Fils unique de Dieu « maîtres ». Dans la famille chrétienne
'
,

ne saurait ne pas être Dieu. Le Père engendre comme dans une grande maison où le père a
ce qu'il est, quoiqu'il ne soit pas celui qu'il un fils, nous serions donc obligés de dire :

engendre. Si donc la personne engendrée est Le grand maître et le petit maître ? Ayons
véritablement le Fils de Dieu, elle est ce qu'est horreur d'une semblable pensée. Si vous l'a-
le Père lui-même si elle n'était pas, quant
; viez conçue dans votre cœur, c'est à des idoles
à la nature, ce qu'est le Père lui-même, elle que vous auriez consacré votre âme. Brisez
ne serait pas le vrai Fils de Dieu. Jetez les immédiatement ces idoles. Croyez d'abord, et
yeux sur les créatures mortelles et terrestres ; ensuite comprenez. S'il arrive à quelqu'un de
toute créature engendre toujours ce qu'elle est. comprendre aussitôt qu'il croit, une telle fa-
L'homme n'engendre pas un bœuf; la brebis veur ne peut lui venir que de Dieu, la fragi-
n'engendre pas un chien, et réciproquement. lité humaine n'y est pour rien. Toutefois si
Tout être engendre donc toujours ce qu'il est. vous ne comprenez pas encore du moins ,

Aussi, croyez fortement, fermement, fidèle- croyez qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Dieu le
ment, que Dieu le Père engendre ce qu'il Père et Jésus-Christ son Fils. Tous deux que
est lui-même lui tout-puissant. Les créa-
, sont-ils ? Un seul Dieu. Et comment tous
tures mortelles engendrent par la corruption. deux ne sont-ils qu'un seul Dieu ? Comment?
Est-ce donc ainsi que Dieu engendre ? Un être Vous vous étonnez? Ne lisons-nous pas dans
mortel engendre ce qu'il est il en est de ; les Actes des Apôtres : « Et la multitude des
même de l'être immortel l'être corruptible ; « croyants n'avait qu'un cœur et qu'une
engendre un être corruptible et l'être in- ; « âme ^ ? » De toutes ces âmes , la foi n'en
corruptible engendre un être incorruptible. avait fait qu'une seule. y en avait plusieurs Il

L'être corruptible engendre par la corrup- milliers, mais elles s'aimaient et la charité
tion, l'être incorruptible engendre sans cor- n'en avait fait qu'une seule âme ; elles ai-
ruption et il engendre tellement ce qu'il
; maient Dieu dans le feu de la charité et cette
est ,
qu'étant un , son Fils est un aussi multitude offrait le spectacle d'une ravissante
et par conséquent Fils unique : Vous savez unité. Si la charité a pu ne faire qu'une seule
les termes dans lesquels je me suis exprimé âme de âmes que ne peut pas faire
toutes ces ;

et que j'ai imposés à votre foi, en formu- la charité en Dieu, car là du moins elle ne
lant devant vous le Symbole « Nous croyons : rencontre aucune diversité, mais une égalité
« en Dieu le Père tout-puissant et en Jé?us- parfaite ? Sur la terre et parmi les hommes,
« Christ son Fils unique » Puisque Jésus-Christ
. si la charité a pu s'élever au point de ne faire

est le Fils unique de Dieu, croyez donc qu'il qu'une seule âme de toutes ces âmes là où ;

est tout-puissant ; Dieu le Père ferait-il ce qu'il ' Matt. VI, 24. — * Act. iv, 32.
308 DU SYMBOLE.

le Père est essentiellement inséparable du quelque chose que n'ait pas le Fils? Les héré-
Fils et le Fils du Père, se peut-il que le Père tiques Ariens l'affirment dans leurs blasphè-
et le Fils ne soient pas un seul Dieu
? De ces mes, mais jesoutiens qu'ils sont dans l'erreur.
âmes dont nous on pouvait dire
parlons J'ajoute que si le Père a quelque chose que
qu'elles étaient plusieurs âmes et une seule n'ait pas le Fils, le Fils nous trompe quand il
âme mais en Dieu il se trouve une union
; nous dit « Tout ce qui est à mon Père est à
:

ineffable et souveraine voilà pourquoi il ne


:
« moi On pourrait citer d'innombrables
^ » .

peut y avoir qu'un seul Dieu et non pas deux témoignages pour prouver que le vrai Fils de
dieux. Dieu est le Fils du Père, que Dieu le Père en-
Le Père fait ce qu'il veut, le Fils fait ce
5. gendre Dieu le Fils et que le Père et le Fils
qu'il veut. Gardez-vous de croire que le Père sont un seul Dieu.
soit tout-puissant et que le Fils ne soit pas
tout-puissant; ce serait là une grossière erreur, CHAPITRE III.

rejetez-la loin de vous, qu'elle ne laisse aucune LE FILS DE DIEU RECEVANT d'uNE VIERGE UNE
trace dans votre mémoire, qu'elle ne pénètre
NAISSANCE HUMAINE. SA PASSION.
point dans votre foi, et si déjà elle y avait pé-
nétré pour quelques-uns, rejetez-la avec dé- 6. Voyons dans ce unique de Dieu le Père
Fils
goût. Le Père est tout-puissant, le Fils est tout- tout-puissant, ce qu'il a fait
pour nous, ce qu'il
puissant. Si le tout-puissant n'a pas engendré a souffert pour nous. Il est né du Saint-Esprit
le tout-puissant, ce n'est pas son véritable Fils et de la Vierge Marie. Ce Dieu si grand, parfai-

qu'il a engendré. Disons-nous, mes Frères, tement égal à son Père, est né humble du
que le Père plus grand a engendré un Fils plus Saint-Esprit et de la Vierge Marie, afin de
petit? Que veut dire ce mot : il a engendré? guérir les orgueilleux. L'homme s'était enor-
Parmi nous, sans doute, le père qui engendre gueilli et étaittombé; Dieu s'est humilié et a
grand que le fils engendré mais en-
est plus ; été exalté. Qu'est-ce que cette humilité de
suite ne voyons-nous pas ce père décroître par Jésus-Christ? C'est la main que Dieu présente
la vieillesse et le fils grandir avec l'âge et par- à Thomme tombé. Nous sommes tombés, et
venir à grandeur de son père ? Or le Fils de
la Dieu est descendu; nous gisions à terre, et
Dieu ne croît pas, parce que Dieu ne peut Dieu s'est incliné vers nous. Saisissons celte
vieillir; il est engendré dans toute sa perfec- main libératrice et relevons-nous, si nous ne
tion. Puisqu'il ne grandit pas et qu'il n'est voulons pas irrévocablement tomber dans le
pas plus petit que le Père, il est donc engen- châtiment. Ainsi donc, voulant s'incliner vers
dré dans un état parfait et absolument égal à nous, Dieu est né du Saint-Esprit et de la
son Père. Pour mieux vous convaincre que le Vierge Marie. Et cette naissance humaine est
Père tout-puissant engendre un Fils tout-puis- tout à la fois un abîme d'humilité et de gran-
sant, écoutez celui qui est la Vérité même. Le deur. Comment un abîme d'humilité? Parce
témoignage que la Vérité rend d'elle-même ne que Dieu est né des hommes. Comment un
saurait être que véritable. Or que dit la Vérité? abîme de grandeur? Parce qu'il est né d'une
Que dit le Fils qui est la vérité? «Tout ce que Vierge. Une Vierge a conçu, une Vierge a en-
« fait le Père, le Fils le fait également^ ». En fanté, et pendant et après son enfantement elle
faisant tout ce qu'il veut, le Fils est donc tout- est restée Vierge.
puissant. Car si le Père fait quelque chose que 7. Et ensuite? Jésus-Christ a souffert sous
le Fils ne peut pas faire, le Fils nous a trompés Ponce-Pilate. Ce dernier exerçait la double
quand il a dit « Tout ce que fait le Père le
: , fonction de gouverneur et de juge ,
quand
« Fils le fait également». Si donc le Fils a dit Jésus-Christ souffrit les douleurs de sa Pas-
la vérité, croyez fermement que « tout ce que sion. Le nom du
juge Ponce-Pilate précise la
« fait le Père, le Fils le fait également», et en date de la passiondu Sauveur, de son cruci-
le croyant vous croyez que le Fils est tout- fiement, de sa mort et de sa sépulture. Qui a
puissant. Quoique cette parole ne soit pas for- souffert? Qu'a-t-il souffert? Pour qui a-t-il
mellement exprimée dans le symbole, cepen- souffert? Qui? Le Fils unique de Dieu Notre-
dant vous la formulez implicitement quand Seigneur. Quoi ? 11 a été crucifié, il est mort
vous croyez en un seul Dieu. Le Père a-t-il et a été enseveli. Pour qui? Pour les impies
' Jean, v, 19. • Jean, xvi, 15.
DU SYMBOLE. 309

et pour les pécheurs. bonté infinie! misé- un père coexistant à son fils et un fils coexis-
ricorde immense! «Que rendrai-je au Sei- tant à son père? Comment cela se peut-il?
« gneur pour toutes les grâces dont il m'a Eh bien! voici du feu; considérez le feu
« comblé ? » ^ comme père et la lumière comme fils, et aussitôt
8. Le Verbe a été engendré avant tous les vous trouvez un père et un fils coexistants. Dès
temps, avant tous les siècles. Il a été engendré que le feu existe, il engendre immédiatement la
avant. Avant quoi, puisqu'il n'y avait rien? lumière le feu n'est pas plus avant la lumière,
;

N'imaginez aucun temps antérieur à la nais- que la lumière n'est après le feu. Et si nous
sance du Fils de Dieu dans le sein de son Père; demandons quel est celui qui engendre , si
je parle de cette naissance en tant qu'il est le c'est le feu qui engendre la lumière, ou la
Fils unique du Dieu tout-puissant, Notre-Sei- lumière qui engendre le feu; aussitôt le bon
gneur. Telle est la naissance dont je parle d'a- sens naturel nous répond sans hésiter c'est :

bord. Avant tout il ne saurait y être question le feu qui engendre la lumière, et ce n'est pas
d'un commencement dans l'ordre temporel; la lumière qui engendre le feu. Nous trouvons
gardez-vous de croire qu'il y ait dans l'éter- là un père qui commence, et un fils qui existe
nité un moment où le Père était, sans que le simultanément à son père, sans qu'il puisse
y
Fils existât. Depuis que le Père est Père, le avoir ni antériorité ni postériorité. Le père
Fils est Fils. Pourquoi dire depuis, dès qu'il commence, commence en même
et le fils

n'y a pas commencement? Si donc le Père n'a temps. Puisque je vous ai montré un père qui
pas eu de commencement, le Fils n'en a pas commence et un fils qui commence en même
eu davantage. temps ; ne devez-vous pas croire à un Père
Mais, direz- vous, comment donc né s'il
est-il sans commencement et à un Fils également
n'a pas eu de commencement? Je réponds sans commencement
; l'un éternel l'autre ,

qu'il est éternellement coéternel à son Père. coéternel? Si vous êtes en progrès, vous com-
Jamais le Père n'a existé sans que le Fils existât, prenez; tâchez donc de faire des progrès. Vous
et cependant le Fils est engendré par le Père. naissez et vous devez croître car personne ne ;

Trouverai-je quelque part une comparaison débute par la perfection. Quant au Fils de Dieu,
pour rendre ma pensée? Nous appartenons il est né parfait parce qu'il n'est pas né dans
;

aux choses terrestres, à la créature visible. le temps, parce qu'il est coéternel à son
Père
Que la terre me fournisse une comparaison ;
et avant tous les temps, non point par
l'âge
elle ne m'en fournit point. La mer sera-t-elle mais par Feternité. —Or ce Fils coéternel au
plus heureuse? pas davantage. Et le genre Père, ce Fils dont la génération a arraché ce
animal? dans la même impuissance.
il est cri au prophète: «Qui racontera sa génér?-
L'animal engendre, et alors nous voyons et « tion
?» et qui est ne du Père éternellement,

celui qui engendre et celui qui est engendré; ce Fils est né d'une Vierge dans la plénitude
mais dans l'ordre du temps, le père est tou- des temps. De longs siècles avaient précédé
jours antérieur au fils. Cherchons la coexis- cette naissance.Quand le moment lui parut
tence, et nous croirons la coéternité. Si nous opportun, quand il le voulut, quand il le jugea
pouvons trouver un père coexistant à son fils convenable, le Verbe Fils de Dieu naquit hu-
et un fils coexistant à sou père, croyons que mainement, et cette naissance fut de sa part
Dieu le Père est coexistant à son Fils unique un acte de libre volonté. Personne d'entre
et que le Fils est coexistant à son Père. Sur la nous ne naît quand il veut et ne meurt quand
terre nous pouvons trouver deux êtres coexis- il veut au contraire Jésus-Christ naquit
; quand
tants, mais nous ne pouvons trouver deux il voulut et mourut quand il voulut; comme
êtres coéternels. Cependant la coexistence il l'avait voulu il naquit d'une Vierge; comme
nous facilitera la croyance à la coéternité. Je il l'avait voulu, il mourut sur une croix. 11
a
vous vois redoubler d'attention quand on vous faittout ce qu'il a voulu, parce que sous la
dit où peut-on trouver un père coexistant à
: forme extérieure de l'humanité, il cachait
son fils et un fils coexistant à son père? Le véritablement sa divinité sans cesser d'être ;

père n'engendre que parce qu'il est plus âgé, Dieu il se fit réellement homme, de telle sorte
et pour la même raison le fils est plus jeune que Jésus-Christ était en même temps Dieu et
que son père. Ne trouverons-nous donc pas honnne.
'
Ps. CiV, 12. '
Isaie, LiUj 8.
,

310 DU SYMBOLE.

9. Que dirai-je de sa croix ? Comment en du Seigneur ? Et cependant sa femme vou-


part
parler ? Il choisit le dernier genre de mort tromper par ses suggestions insidieuses,
lut le
afin qu'aucun genre de mort ne fût capable comme si elle eût été une forme nouvelle
de trembler les martyrs. Pendant sa vie
faire revêtue par ce même serpent qui, dans le para-
mortelle, il montrala sublimité de sa doctrine ; dis terrestre,trompa le premier homme à peine
sur la croix, il donna l'exemple d'une patience sorti des mains de Dieu \ et maintenant se flat-
sublime. Son martyre, ce fut le crucifiement ;
tait encore de tromper ce saint patriarche et

l'instrument de ce martyre, ce fut la croix ; la de faire entrer une pensée de blasphème dans
récompense, ce fut sa résurrection. Sur la son âme. Que ne souffrit-il pas, mes frères ?
croix, il nous a montré ce que nous devonssup- Qui peut avoir autant à souffrir dans ses biens,
porter dans sa résurrection il nous a montré
; dans sa famille, dans la personne de ses en-
ce que nous devons espérer. Semblable au fants, dans son corps, et enfin dans la personne
juge suprême qui décerne le prix de la lutte d'une femme qui semblait ne lui être laissée
il nous a dit Faites et recevez faites l'œuvre et
: ; que pour mettre le comble à ses épreuves ? Si
recevez-en la récompenee combattez dans la ; le démon lui avait conservé cette femme, c'est
lice et vous serez couronnés. Quelle est cette parce qu'il savait devoir trouver en elle une
œuvre ? L'obéissance. Quelle est la récom- aide très-efficace n'avait-il pas vaincu le
;

pense? La résurrection pour ne plus mourir. premier homme par la première femme ? voilà
Pourquoi ajouter pour ne plus mourir ?
: pourquoi il avait conservé cette Eve. Quelles
Parce que Lazare est ressuscité et est mort de souffrances Job eut donc à supporter II avait 1

nouveau Jésus-Christ est également ressuscité,


; perdu tout ce qu'il possédait sa maison s'é- ;

a mais il ne meurt plus, la mort n'exercera tait écroulée et en s'écroulant elle avait écrasé
« plus sur lui son empire ». * ses enfants. Pour juger de l'empire que la pa-
10. L'Ecriture nous dit « Vous avez appris : tience exerça sur lui, écoutez sa réponse :

« quelle a été la patience de Job, et vous avez «Le Seigneur m'a donné, Seigneur m'a le

«vu le terme qu'y a mis le Seigneur ^ ». « ôté il n'est


; arrivé que ce qui a plu au
A la lecture des souffrances de Job on ,
« Seigneur que son nom soit béni ». Il m'a
:

tremble, on frémit. Quelle a été sa récom- repris ce qu'il m'avait donné l'auteur de ;

pense ? Il a reçu le double de ce qu'il avait ces dons est-il mort ? Il m'a ôté ce qu'il m'a-
perdu. Remarquons ici que ce n'est pas en vait donné. Comme s'il disait : il m'a tout ôté,

vue de récompenses temporelles que l'homme qu'il me prive de tout, qu'il me laisse dans
doit pratiquer la patience ;
qu'il ne se dise pas : unecomplète nudité etqu'il me conserve pour
Je supporterai cette perte et Dieu me rendra lui. Que peut-il me manquer si je possède
le double d'enfants Job a reçu le double de ; mon Dieu ? ou à quoi tout le reste pourrait-il
ce qu'il avait perdu, etil n'engendra qu'autant me servir, si je ne possédais pas Dieu ?
de fils qu'il en avait. Il n'en eut donc pas le Puis vinrent les souffrances corporelles; son
double? Enréalité il en eut le double, puisque corps ne fut plus qu'une plaie depuis les pieds
ses premiers enfants vivaient encore pour lui. jusqu'à la tête; couvert de tumeurs et
il était

Qu'on ne dise pas davantage Je supporterai : rongé par malgré cet état, Job ne
les vers : et

tous les maux qui m'arriveront et Dieu fera laissait pas de s'attacher de plus en plus

pour moi ce qu'il a fait pour Job ; n'y aurait- étroitement à Dieu. Sa femme, se faisant non
il pas là, non plus de la patience, mais de l'a- pas la consolatrice de son mari, mais l'auxi-
varice? En effet, si ce saint patriarche n'avait liatrice du démon , tenta de lui inspirer la
pas eu la patience, il n'aurait pas supporté pensée du blasphème : «Jusques à quand, dil-

courageusement tous les maux qui venaient « elle, supporterez- vous toutes ces infortunes?
fondre sur lui ; et alors en quoi donc aurait-il « Lancez quelque parole contre le Seigneur,
mérité ces éloges que Dieu lui prodigue : « et mourez ». Puisqu'il était si profondément
« Avez-vous remarqué mon serviteur Job ? Il humilié, il méritait d'être glorifié. Et c'est en
« n'est personne qui lui ressemble sur la terre ;
effet ce que Dieu s'empressa de faire à son

« c'estunhommeparfait, un véritable serviteur égard, même sur la terre, en attendant qu'il


« de Dieu ». Quel plus beau témoignage, mes pût au ciel lui décerner une récompense in-
frères cet homme pouvait-il mériter de la
, finiment plus belle. Job s'était humilié et
' Rom. VI, 9. — ' Jacq. v, 11. '
Gea. m, 1-6.
,

DU SYMBOLE. 3H
Dieu l'exalta; le démon s'était élevé et Dieu la récompense qu'il n'espérait pas, afin de
l'abaissa, car « il humilie celui-ci et exalte nous apprendre qu'il ne l'abandonnait point
a celui-là^». Toutefois, mes frères, quand dans ses épreuves toute autre récompense ;

quelqu'un d'entre nous se trouve éprouvé par qu'il lui aurait accordée eût suffi à ce saint

quelques tribulations de ce genre, qu'il n'en homme, mais comme elle eût été invisible
attende point ici-bas la récompense par ;
pour nous, nous n'aurions pu y puiser aucun
exemple s'il subit quelques pertes, qu'il nedise enseignement salutaire. Quand donc la sainte
pas « Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur
: Ecriture nous exhorte à la patience et à l'es-
« me l'a ôté il n'est arrivé que ce qui a plu
; pérance des biens futurs, elle veut élever nos
8 au Seigneur, que son nom soit béni » qu'il ;
cœurs au-dessus des choses présentes. « Vous
ne tienne pas, dis-je, ce beau langage, dans « la patience de Job, et vous avez vu
avez appris
l'intention d'obtenir le double de c^ qu'il a « la findu Seigneur ». Pourquoi a la patience
perdu. Que ce soit la patience et non pas l'a- « de Job » et non pas la fin de Job lui-même ?

varice qui loue le Seigneur. Si vous cherchez Vous aspireriez aussitôt à une possession
à recevoir le double de ce que vous avez perdu, double de la première vous diriez, je rends ;

et si c'est dans ce but que vous louez le Sei- grlcesàDieu, je veux souffrir, et comme Job je
gneur, c'est la cupidité qui vous inspire et non reçois le double. « La patience de Job, la fin
la charité. N'invoquez pas en votre faveur « du Seigneur Nous connaissons la patience
».
l'exemple du saint homme Job ce serait une ; de Job et la fin du Seigneur. Quelle fin du Sei-
illusion de votre part. Quand Job supportait gneur ? « Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-
toutes ses douleurs, il n'espérait pas recevoir « vous abandonné ?» Ce sont là les paroles
*

le double de ce qu'il perdait. Vous pouvez en de Jésus-Christ sur la croix. Dieu l'avait aban-
trouver la preuve, si vous voulez étudier soit donné quant au bonheur présent, mais non
la première de ses épreuves quand il perdit quant à l'immortalité éternelle. C'est là la fin
tous ses biens et ses enfants, soit la seconde du Seigneur. Les Juifs se saisissent de lui, l'in-
quand son corps ne devint plus qu'une plaie. sultent, le chargent de chaînes, le couronnent
A la première épreuve il répond « Le Sei- : d'épines, le couvrent de crachats, le flagellent,
« gneur me l'a donné, le Seigneur me l'a ôté ; l'accablent d'opprobres, le clouent sur la croix,
« il n'est arrivé que ce qui a plu au Seigneur ;
le percent dune lance, enfin l'ensevelissent :

a que son nom soit béni ». 11 pouvait dire Le : il entièrementabandonné. Mais à qui donc ?
est
Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a repris, A ceux qui l'insultent. Eh bien donc prenez !

il peut me rendre ce qu'il m'a enlevé, il peut patience, afin que vous ressuscitiez et que
me rendre plus qu'il ne m'a enlevé. Tel n'est vous ne mouriez plus, à l'exemple du Sauveur.
point son louange, mais il n'est arrivé que ce : Nest-il pas écrit : « Jésus-Christ ressuscitant
qui a plu au Seigneur je veux que ce qui lui ; « d'entre les morts ne meurt plus *?»
plaît me plaise à moi-même ; ce qui plaît à
un bon Maître ne doit pas déplaire à un ser- CHAPITRE IV.

viteur fidèle ; ce qui plaît àun médecin ne ÊTRE ASSIS A LA DROITE DU PÈRE.
doit pas déplaire à un malade. Ecoutez sa se-
conde profession de foi « Vous avez parlé : U. Croyez que Jésus-Christ est monté au
a dit-il à sa femme, comme une personne in- ciel. Croyez qu'il est assis à la droite du Père.
a sensée. Puisque nous recevons tous les biens Le mot s'asseoir signifie habiter; comme nous
« de la main de Dieu, pourquoi ne supporte- disons d'un homme: il s'est assis dans cette pa-
« rions-nous pas les maux -? » 11 n'ajoute pas, trie pendant trois ans. L'Ecriture dit égale-
et il aurait pu en toute vérité
le faire
le : ment de personnage qu'il s'est assis pen-
tel
Seigneur est tout-puissant et il peut remettre dant longtemps dans cette cité \ Est-ce qu'il
ma chair dans son premier état, et nous ren- s'est assis sans jamais se lever? Voilà pourquoi
dre au centuple ce dont il nous a dépouillés il : l'on dit des hommes qu'ils siègent dans tel
aurait craint de laisser croire que sa patience lieu pour indiquer qu'ils y habitent. Mais
n'était qu'un calcul basé sur cette espérance. quoiqu'on ait son siège en tel endroit, s'en-
Ce ne fut point là son langage, ce n'est point suit-il que l'on est toujours assis ? Ne peut-on
là ce qu'il espérait. Or le Seigneur lui accorda pas se lever, marcher, se coucher? On le peut,
» Ps. LXiiv, 8.— ' Job, I, u. ' Ps. XXI, 2. — ' Rom. VI, 9, — » III Rois, u, 38, selon
les Sept.
.

312 DU SYMBOLE.

et cependant il est toujours vrai de dire qu'on charité. Voulez- vous savoir si le Saint-Esprit
a son siège en tel lieu. De même croyez que est Dieu
Recevez le baptême
? et vous devien-
Jésus-Christ habite à la droite de Dieu le Père; drez son temple. L'Apôtre ne dit-il pas : « Ne
c'est là son séjour. Ne demandez pas que : « savez-vous pas que vos corps sont le temple
fait-il ? Ne cherchez pas ce que vous ne devez « du que vous avez reçu de
Saint-Esprit,
pas trouver il est là, que cela vous suffise.
;
« Dieu a un temple car Salomon,
Dieu *? » :

Il est heureux de ce bonheur infini qui s'ap- roi et prophète, a reçu l'ordre de construire un
pelle la droite du Père. Loin de vous sur ce temple au Seigneur. S'il bâtissait un temple
point toute idée charnelle, car alors nous de- au soleil, à la lune, à une étoile ou à un ange
vrions dire que c'est à lagauche du Père que quelconque, est-ce que Dieu ne condamnerait
Jésus-Christ est assis. Et en effet pourrions- pas son entreprise ? Or, en bâtissant un temple
nous admettre que le Fils soit à droite tandis à Dieu, il s'est montré l'adorateur du Très-Haut.
que le Père serait à gauche? Au ciel la droite De quels matériaux s'est-il servi ? De bois et
est partout, car partout est le bonheur sans de pierres parce que Dieu a daigné recevoir
;

aucun mélange de misère. de son serviteur une demeure sur la terre,


12. De là il viendra juger les vivants et les
c( pour y recevoir à son tour nos prières et y
« morts » Les vivants qui survivront à la ruine
. recueillir nos adorations. De là ces paroles de
du monde les morts antérieurement frappés
; saint Etienne : « Salomon lui a construit une
par le trépas. On peut également dire que les « demeure, mais
Très-Haut n'habite point le
vivants ce sont les justes, tandis que les morts « dans les temples faits de mains d'hommes^».

ce sont les pécheurs. En effet Jésus-Christ ju- Si donc nos corps sont le temple du Saint-

gera les uns et les autres et rendra à chacun Esprit, quel est ce Dieu qui a construit un
selon ses œuvres. Dans ce jugement il sera dit temple au Saint-Esprit? C'est Dieu lui-même.
aux justes : « Venez, bénis de mon Père, Car si nos corps sont le temple du Saint-
« possédez le royaume qui vous a été préparé Esprit, celui qui a bâti nos corps, n'a-t-il
« depuis le commencement du monde » point par là même élevé un temple au Saint-
Rendez-vous dignes de cette récompense, es Esprit? Ecoutez l'Apôtre Dieu a mis un tel : <?

pérez-la, vivez, croyez et recevez le baptême « ordre dans tout le corps, qu'on honore da-
de telle sorte qu'il puisse vous être dit « vantage ce qui en soi était moins honora-
« Venez , bénis de mon Père ,
possédez le « ble ' » il parlait des divers membres dont
;

a royaume qui vous a été préparé depuis le l'organisation est telle qu'il n'y a aucune di-
« commencement du monde ». Et à ceux qui vision dans le corps. Dieu a créé notre corps.
seront à gauche, que sera-t-il dit ? « Allez au Si c'est Dieu qui a créé l'herbe des champs,
« feu éternel, qui a été préparé pour le démon qui donc a créé notre corps? Comment prou-
« et ses anges ^
». C'est ainsi que Jésus-Christ vons-nous que c'est Dieu qui a créé l'herbe
jugera les vivants et les morts. Nous avons des champs? Celui qui lui donne le vêtement,
parlé de la naissance éternelle du Fils de Dieu n'est-ce pas aussi celui qui la crée? Lisez l'E-
dans le sein de son Père ; de la naissance vangile : « Si Dieu revêt
ainsi l'herbe des
temporelle de Jésus-Christ fils d'une Vierge, « champs qui aujourd'hui et demain sera
est
de sa passionet du jugement dernier. C'est là « jetée dans la fournaise*». Celui qui la revêt,

tout ceque nous avions à dire deJésus-Christ, c'est donc celui qui la crée. Et l'Apôtre que dit-
Fils unique de Dieu, Noire-Seigneur; mais il? « ce que vous se-
Insensé que vous êtes !

nous ne connaissons pas encore toute la « inez ne reprend point de vie, s'il ne meurt
Trinité. « auparavant. Et quand vous semez, vous ne
CHAPITRE V. c( semez pas le corps de la plante qui doit
« naître, mais la graine seulement, comme du
LE SAINT-ESPRIT EST DIEU.
« blé ou de quelqu'autre chose. Mais Dieu lui
13. Le Symbole ajoute : « Et au Saint-Esprit » « donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne
Cette Trinité est un seul Dieu, une seule na- « à chaque semence le corps qui est propre à
ture,une seule substance, une seule puissance, « chaque plante ^ ». Si donc Dieu construit
une souveraine égalité, sans aucune division, nos corps et organise nos membres, et si nos
sans aucune différence, et avec une perpétuelle 19.— ' Act. vu, 47, 48.— ' Cor. xil 24.— ' Matt.
'
I Cor. vr, 1 ,

'
Matt. XXV, 34, 41, VI, 30.— ' I Cor. XV, 36-38.
,. ,

DU SYMBOLE. 313

corps sont le temple du Saint-Esprit, croyez tous ces péchés, nous avons le baptême et ;

fermement que le Saint-Esprit est Dieu. Et ne com.me remède à tous ces péchés véniels que
voyez pas en lui comme un troisième Dieu, nous ne pouvons toujours éviter, nous avons
car le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont la prière par excellence. Que renferme celte

qu'un seul Dieu. C'est là ce que vous devez prière ? « Pardonnez-nous nos offenses
croire. « comme nous pardonnons à ceux qui nous

CHAPITRE VI. «ont offensés ». Nous ne sommes purifiés


*

qu'une seule fois par le baptême, et chaque


DE LA SAINTE ÉGLISE.
jour nous nous purifions par la prière. Sur-
14. Après la Trinité vient la sainte Eglise. tout mettez-vous en garde contre ces péchés
Dieu nous a été montré en lui-même et dans qui vous sépareraient nécessairement du corps
son temple. « Car le temple de Dieu est saint » de Jésus-Christ; que Dieu vous préserve d'un
dit l'Apôtre, « et c'est vous qui êtes ce temple » ^ tel malheur Ces chrétiens que vous voyez
!

L'Eglise est sainte, une, véritable, catholique, condamnés à la pénitence publique, ce sont
toujours en lutte contre toutes les hérésies ;
ceux qui ont commis quelques grands crimes,
elle peut combattre, mais elle ne saurait être adultères ou autres ; voilà pourquoi ils font
vaincue. Toutes les hérésies sont sorties de pénitence. Si leurs péchés n'avaient été que
l'Eglise comme les sarments inutiles que l'on légers, ils auraient pu s'effacer par la prière
retranche du cep de la vigne quant à cette ;
quotidienne.
Eglise, elle demeure sur sa souche, sur son
cep, dans sa charité. Les portes de l'enfer ne CHAPITRE VIII.

prévaudront point contre elle ^ TROIS MOYENS DIFFÉRENTS d'OBTENIR LA RÉMISSION


DES PÉCHÉS.
CHAPITRE VII.

LES PÉCHÉS LES PLUS GRIEFS REMIS DANS LE BAP- IG. Dans l'Eglise, nous pouvons donc obte-
TÊME, ET LES PÉCHÉS VÉNIELS DANS l'ORAISON nir la rémission de nos péchés de trois ma-
DOMINICALE. nières différentes : dans
baptême, dans la le
prière et dans l'humilité plus grande de la
15. « La rémission des péchés ». Vous avez pénitence cependant Dieu n'accorde ce par-
;

en vous-mêmes le syiisbole dans toute sa per- don qu'à ceux qui ont été baptisés. La pre-
fection quand vous êtes baptisés. Que personne mière rémission qu'il accorde, c'est aux bapti-
ne dise Tel péché que j'ai commis ne m'est
: sés qu'il l'accorde. Quand donc ? Quand ils
peut-être pas pardonné. Quelle faute avez- reçoivent le baptême. Quant aux péchés qui
vous donc commise ? Quelle en était la gra- plus tard sont pardonnes à ceux qui prient et
vité ? Quel que soit votre péché, fût-il des plus à ceux qui font pénitence, ce n'est qu'après le
graves, des plus horribles, sa seule pensée baptême et à cause de ce sacrement qu'ils
dùt-elle vous faire rougir ;
quel qu'il soit, sont pardonnes. Ceux qui ne sont pas encore
avez-vous donc mis à mort Jésus- Christ? C'est nés, comment pourraient-ils dire « Notre :

ici, sans doute, le plus grand de tous les crimes, « Père ? » Tant que vous resteriez catéchu-
puisque rien n'est comparable à Jésus-Christ. mènes vos péchés resteraient dans votre
,

Quel crime que de mettre à mort Jésus-Christ ? àme. S'il en est ainsi des catéchumènes, à
Tel fut cependant le crime des Juifs, et nous combien plus forte raison doit-il en être ainsi
voyons que dans la suite beaucoup d'entre eux des païens, et surtout des hérétiques? Pour-
crurent à Jésus-Christ et burent son sang; et tant nous n'invalidons pas le baptême conféré
c'est alors péché qu'ils avaient commis
que le aux hérétiques. Pourquoi ? Parce qu'ils con-
leur fut pardonné. Quand vous aurez reçu le servent le baptême, comme un déserteur con-
baptême, suivez la voie sainte des préceptes du serve son caractère le baptême reste donc en
;

Seigneur, afin que vous conserviez ce sacre- eux,non pas comme un gage de récompense,
ment jusqu'à votre mort. Je ne vous dis point mais comme un titre de condamnation. Et
que vous vivrez ici-bas sans péché, car il est cependant si revenant à de
le déserteur ,

des péchés véniels dont on ne saurait rester meilleures dispositions, reprend le métier
exempt pendant cette vie. Comme remède à des armes, osera-t-on changer son caractère?
'
I Cor. m, 17. — = Matt. xvi, 18. ' Mdtt. VI, 12.
314 DU SYMBOLE.

CHAPITRE IX. monté au ciel ; là oii se trouve la tête, les


membres doivent également se trouver. Com-
DE LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR POUR LA VIE
ment s'opérera cette résurrection de la chair?
ÉTERNELLE.
Afin de nous faire comprendre que cette ré-
17. Nous croyons aussi la résurrection de la surrection ne sera pas pour nous ce qu'elle a
chair, devant se faire pour nous, comme elle été pour Lazare après sa première mort, le
s'est déjà pour Jésus-Christ le corps ne
faite ; symbole ajoute « La résurrection de la chair
:

doit-il pas espérer une transformation qui est « pour la vie éternelle ». Que Dieu vous régé-

déjà réalisée dans son chef? Jésus-Christ est nère, que Dieu vous conserve et vous pro-
la tête de l'Eglise l'Eglise est le corps de
;
tège, et qu'il vous réunisse à lui, car telle
Jésus-Christ K Notre chef est ressuscité, il est est pour nous la vie éternelle. Ainsi soit-il.

Ephes. V, 23.

Traduction de M. l'abbé BURLERAVX.


DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

CHAPITRE PREMIER. tôt;ceux qui ne ressemblent pas à ce champ


couvert d'épines dont l'épaisseur étouffe
SUJET DU DISCOURS.
bientôt les germes de la semence ceux enfin
;

Par l'organe de l'Ecriture, le Seigneur


1. qui se trouvent figurés par cette terre bonne,
vient de nous faire entendre sa voix et nous parfaitement préparée à recevoir la semence
adresse cette pressante exhortation « Rece- : et qui rapporte cent, ou soixante, ou trente
« vez la discipline dans la demeure de l'en- pour un, ceux-là recevront avec empresse-
« seignement ^ ». Le disciple est celui qui ment les enseignements qu'il plaira au Sei-
apprend, la demeure de la discipline c'est gneur de m'inspirer; du reste, n'oubliez pas,
l'Eglise de Jésus-Christ. Qu'y apprend-on ou vous que des raisons légitimes amènent
pourquoi y apprendre quelque chose ? Quels aujourd'hui autour de cette chaire d'ensei-
sont ceux qui apprennent et par qui l'ensei- gnement; n'oubliez pas que ce n'est pas sans
gnement leur est-il donné ? On apprend à raison que j'emprunte à l'Evangile ces tou-
bien vivre, et l'on apprend à bien vivre pour chantes paraboles. Puisque Jésus-Christ est
mériter le bonheur de vivre toujours. Les le divin semeur, que suis-je donc moi-même ?

disciples ce sont les chrétiens, le maître c'est A peine suis-je le panier qui renferme le
Jésus-Christ. Qu'est-ce que bien vivre? quelle grain. 11 veut bien déposer en moi la semence
est la récompense d'une vie sainte? quels sont qu'il va jeter dans vos cœurs. Ne vous arrêtez
les véritables chrétiens? enfm quel est notre pas à la bassesse du panier, mais soyez sen-
véritable maître? telles sont les questions sibles au prix de la semence et à la puissance
dont nous voulons vous dire quelques mots du semeur.
si Dieu nous en fait la grâce. CHAPITRE IL
Nous sommes tous dans la maison de la dis-
qu'est-ce que bien vivre.
cipline, mais plusieurs ne veulent pas avoir de
discipHne; et pour comble de perversité, c'est 2. Qu'est-ceque cet art de bien vivre que
dans la maison même de la discipline qu'ils ne nous apprenons ici ? La loi renferme une

veulent pas avoir de discipline. Ne devraient- multitude de préceptes qui sont comme les
ils pas y recevoir la discipline, afin de pouvoir règles, les lignes et l'alphabet d'une vie bonne.
la conserver jusque dans leurs propres demeu- Oui, ces préceptes sont nombreux et pour ainsi
res ? Mais non, comme si ce n'était point assez dire innombrables. A peine peut-on énumé-
pour eux d'être indisciplinés dans leurs pro- ror les pages dans lesquelles ces préceptes
pres demeures, ils prétendent rester tels jus- sont renfermés; que serait-ce s'il s'agissait
que dans la maison même delà discipline. Eh d'énumérer ces préceptes eux-mêmes ? Tou-
bien ceux qui ne rejettent pas la parole de
! tefois, afin de ne laisser à personne la res-
Dieu, mais lui prêtent à la fois Lattention de source de s'excuser, soit parce qu'on ne les
leur oreille et de leur cœur; ceux qui ne res- aurait pas lus, soit parce qu'on ne savait pas
semblent point à la voie publique sur laquelle lire, soit parce qu'on ne pouvait que difficile-

les oiseaux dévorent la semence aussitôt qu'elle ment les comprendre, le Seigneur, afin de
y est répandue; ceux qui ne ressemblent pas rendre cette excuse impossible au jugement
à ces terrains pierreux dans lesquels la se- dernier, a voulu résumer en une seule pa-
mence ne saurait prendre de profondes ra- role toute la loi, selon cette prédiction du
cines, croît un moment et se dessèche aussi- prophète Dieu jettera sur la terre une pa-
: «

'Eccli. Ll, 31, 36. «role qui condensera et résumera toutes les
316 DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

c< autres
*
». Cette parole est courte, mais ne je crains encore. Je veux vous dire : aimez
croyez pas qu'elle en soit plus obscure. Elle votre prochain comme vous vous aimez vous-
est courte, afin qu'il soit toujours possible de même; et je crains; en efîet, je veux voir
que personne n'ait
la lire; elle est claire, afin comment vous vous aimez vous-même. Point
le droit de dire pu la comprendre. : Je n'ai d'aigreur, je vous prie. Puisque votre pro-
Les saintes Ecritures forment comme un im- chain vous est confié, dois-je facilement vous
mense trésor, qui renferme en grand nombre quitter, et ne traiter avec vous que d'une ma-

d'admirables préceptes lesquels sont comme nière transitoire Vous ne formez qu'un seul
?

autant de perles précieuses et de vases d'un homme, et le prochain pour vous c'est la mul-
grand prix. Mais qui peut scruter cet immense titude des hommes. Ce n'est donc pas seule-
trésor, s'en servir, et en découvrir toutes les ment un frère, un parent, un allié. Non, car
richesses ? Dans l'Evangile le Sauveur emploie tout homme a pour prochain tous les hommes l
cette comparaison « Le royaume des cieux : à la fois. Le père et le fils, le beau-père et le
« est semblable à un trésor trouvé dans un gendre ont entre eux des liens très-étroits de
« champ » puis, comme s'il eût craint que
;
proximité. Or rien ne saurait être aussi pro-
quelqu'un répliquât qu'il était incapable de che que l'homme l'est de son semblable. Et
fouiller pour découvrir ce trésor, il eut im- si vous étiez tentés de croire qu'il n'y a de

médiatement recours à cette autre compa- proches entre eux que ceux qui sont nés des
raison Le royaume des cieux est semblable
: mêmes parents, rappelez-vous Adam et Eve
« à un négociant qui cherche de bonnes per- et vous comprendrez que nous sommes frères.
« les, en trouve une précieuse et, pour l'a- Nous sommes frères en notre simple qualité
« cheter, vend tout ce qu'il possédait - ». Vous d'hommes, à combien plus forte raison en
vous sentiez peut-être trop paresseux pour notre qualité de chrétiens Comme homme
!

fouiller le trésor ne le soyez pas jusqu'au ;


vous n'avez qu'un seul père, Adam, et qu'une
point de ne pouvoir porter une perle sous seule mère, Eve; comme chrétien, vous n'a-
votre langue et de vous donner ainsi le droit vez qu'un seul et même Père qui est Dieu, et
de marcher en toute sécurité. qu'une seule et même mère qui est l'Eglise.

CHAPITRE ni. CHAPITRE IV.

COMMANDEMENT d' AIMER DIEU ET LE PROCHAIN. COMMENT DOIT s'AIMER CELUI A QUI IL EST
ORDONNÉ d'aimer SON PROCHAIN COMME LUI-
3. Quelle est donc cette parole qui résume MÊME.
toutes les autres ? « Vous aimerez le Seigneur
c votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre 4. Voyez donc de quelle multitude d'hom-
« âme et de tout votre esprit_, et votre prochain mes chacun d'entre nous est le prochain. Tous
« comme vous-même. C'est dans ces deux les hommes que nous rencontrons, tous ceux

« préceptes que se trouvent toute la loi et les à qui nous pouvons nous unir sont notre pro-
« prophètes ^ » . Voilà ce que l'on apprend chain. Comment alors discuter de quel amour
dans la maison de la discipline : aimer Dieu, s'aime celui qui a pour prochain tant d'hom-
aimer le prochain; Dieu pour lui-même et le mes qu'il doit aimer comme lui-même ? Que
prochain comme vous-même. Trouverez-vous personne ne s'irrite s'il me voit examiner
quelqu'un que l'on puisse égaler à Dieu jus- comment il s'aime. A moi de discuter, à lui
qu'à vous dire aimez Dieu comme vous ai-
: de se reconnaître dans mes paroles. Pourquoi
mez telle créature? Quant au prochain, l'on a discuter ? puis-je trouver l'état d'âme de cha-
pu trouver une que vous êtes règle, parce cun ? Je discute, afin que chacun s'interroge,
égal à votre prochain. Vous cherchez comment afin que chacun se voie et se regarde sans
aimer le prochain ? Jetez les yeux sur vous- déguisement, afin qu'il se considère en face,
même, et aimez votre prochain du même afin qu'il se pose devant ses propres yeux,
amour que vous \ou6 aimez vous-même. sans se tourner le dos à lui-même. C'est là ce
L'erreur ici n'est point possible. Je veux donc qu'il doit faire pendant que je parle, c'est là

vous confier votre prochain, afin que vous ce qu'il doit faire à mon insu. Comment vous
l'aimiez comme vous-même; je le veux, mais aiinez-vous ? Vous qui m'entendez, ou plutôt
'
Isaïe, X, 23. — " Malt, xiii, U, IG. — • id. xxn, 37, 4U. qui entendez le Seigneur par ma bouche, pen-
DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENiNE. ai-

dant que vous êtes dans cette maison de la front fût tourné vers le ciel. Que votre cœur
discipline, rendez-vous compte à vous-même ne démente point votre visage. N'ayez point le
de la manière dont vous vous aimez. Que je front haut et le cœur rampant écoutez plutôt:

vous demande si vous vous aimez, vous me cette parole aussi belle que vraie Le cœur en :

répondez affirmativement. Et en effet, quel- haut ne mentez pas dans la maison de la dis-
;

qu'un peut-il se haïr ? Vous me répondrez cipline. Quand cette parole vous est adressée,
sans doute quelqu'un peut-il se haïr ? Si
: répondez mais que votre réponse ne soit point
;

vous vous aimez, vous n'aimez donc pas l'ini- un mensonge. C'est dans ce sens que vous
quité. Car si vous aimez Tiniquité, écoutez, devez vous aimer et alors vous aimerez votre
non pas ma parole, mais celle du Psalmiste : prochain comme vous-même. Qu'est-ce qu'a-
« Celui qui aime l'iniquité hait son âme ».Si ^ voir son cœur eu haut, si ce n'est réaliser cette
donc vous aimez l'iniquité, écoutez la vérité, première parole « Vous aimerez le Seigneur
:

non pas la vérité qui vous flatte, mais la vé- a votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre

rité qui vous dit : vous vous haïssez. Plus « âme et de tout votre esprit ? » Puisqu'il y a

vous ditesque vous vous aimez, plus vous deux préceptes, n'en formuler qu'un serait-il
vous haïssez, car « celui qui aime l'iniquité, suffisant ? Un seul suftit, pourvu qu'il soit bien
a hait son âme ». Que dirai-je de la chair qui compris. En effet nous trouvons dans l'Ecri-
est la partie la plus vile de nous-mêmes ? S'il ture ces paroles citées par saint Paul : « Vous
hait son âme, comment aime-t-il sa chair ? « ne commettrez point d'adultère, vousneserez
Ceux donc qui aiment l'iniquité, haïssent leur « point homicide, vous ne déroberezpoint, vous

âme, et couvrent leur chair de turpitude. « ne convoiterez point, et s'il y a quelqu'autre

Vous qui aimez l'iniquité, comment vouliez- « commandement ilse trouve résume dans cette
vous que l'on vous abandonnât le prochain, «parole Vous aimerez votre prochain comme
:

afin que vous l'aimassiez comme vous-même ? «vous-même. L'amour qu'on a pour son pro-
homme, pourquoi vous perdez-vous ? Si «chain ne souffre pas qu'on lui fasse aucun
vous vous aimez de manière à vous perdre, ne «mal, et ainsi l'amour est l'accomplissement
perdrez-vous pas celui que vous aimez comme «de la loi ». Qu'est-ce que la charité? La
*

vous-même ? Je vous défends donc d'aimer dilection. Sans paraître avoir rien dit de la
qui que ce soit; périssez du moins seul, si dilection envers Dieu, l'Apôtre laisse à enten-
vous voulez périr. Ou bien réformez votre dre que la dilection pour le prochain suflit à
amour, ou bien renoncez à toute société. l'accomplissement de la loi. Tout autre com-
mandement se trouve résumé, observé dans
CHAPITRE V. cette parole. Dans laquelle ? « Vous aimerez
AMOUR PERMCIEUX POUR LE PROCHAIN. « comme vous-même ». Voilà
votre prochain
un commandement pourtant nous avons dit
;

5. Vous me direz peut-être : J'aime mon qu'il y en a deux dans lesquels se résument
prochain comme moi-même. Je comprends toute la loi et les prophètes.
parfaitement. Vous voulez vous enivrer avec
celui que vous aimez comme vous-même. CHAPITRE VI.

Faisons-nous du bien aujourd'hui, buvons au- LE BONHEUR DE l'hOMME CONSISTE A AIMER DIEU.
tant que nous pouvons. Reconnaissez que c'est
ainsi que vous vous aimez, et qu'en attirant à Voyez comme la loi continue à se restrein-
vous votre prochain vous l'invitez à ce qui vous dre, et nous sommes encore négligents Voilà 1

plaît. Il est nécessaire que celui que vous que les deux préceptes dont nous parlions se
aimez, vous l'entraîniez à ce qui flatte l'amour résument en un seul. Aimez votre prochain,
que vous avez pour vous-même. Homme tout et cela suffit. Mais aimez-le comme vous vous

humain, ou plutôt homme cruel, d'aimer ce aimez vous-même, et non comme vous vous
qu'aiment les bêtes sauvages Dieu a courbé
1 haïssez vous-même. Aimez votre prochain
vers la terre la face des animaux pour y cher- comme vous-même, mais avant tout aimez-
cher leur nourriture pour vous il vous a
;
vous vous-même.
élevé au-dessus de cette terre que vous ne 6, Il vous reste à chercher comment vous

louchez que du pied. Il a voulu que votre vous aimez vous-même, et alors vous avez
'
Ps. X, 6. » Rom. xui, 9. 10.
,

318 DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

à entendre cette parole : «Vous aimerez le Sei- Que votre voisin commence à s'enrichir, qu'il
« gneiir votre Dieu de tout votre cœur, de commence à marcher sur vos traces,
s'élever, à
«toute votre âme et de tout votre esprit». ne craignez-vous pas qu'il vous suive, ne
L'homme qui n'a pu se créer lui-même, ne craignez-vous pas qu'il vous devance? Cer-
peut pas davantage se procurer à lui-même le tainement vous aimez votre prochain comme
bonheur. Une puissance essentiellement dis- vous-même. Mais je ne parle pas des victimes
tincte de l'homme a fait l'homme; une puis- de l'envie. Que Dieu préserve de cette triste
sance essentiellement distincte de lui le rendra maladie l'esprit de tous les hommes et surtout
heureux. Mais hélas comme il sent bien qu'il
1 des chrétiens; car c'est là un vice réellement
ne peut être heureux par lui-même, il se jette diabolique, dont le démon s'est rendu cou-
dans l'erreur quand il s'agit de choisir l'objet pable et éternellement coupable. En pronon-
dont l'amour pourrait le rendre heureux. Il çant contre le démon la sentence de condam-
aime ce qui lui paraît devoir lui procurer le nation, on ne lui a pas dit Vous avez commis :

bonheur. Et qu'aime-t-il donc dans ce but? l'adultère; vous avez usurpé le bien d'autrui ;

La richesse, l'or, l'argent, les possessions; ou il lui fut dit uniquement parce que vous étiez
:

pour tout dire en un mot, la richesse. Et en tombé vous avez porté envie à l'homme resté
effet ce nom désigne tout ce que les hommes debout. L'envie est donc un vice diabolique,
possèdent sur la terre, tout ce dont ils sont les mais il a une mère et cette mère c'est l'orgueil, f
maîtres. Qu'il s'agisse d'esclave, de vase, de C'est l'orgueil qui fait les envieux. Etouffez la
champ, de bois, de troupeau, tout cela s'ap- mère et il n'en naîtra aucune fille. Voilà pour-
pelle richesse. Les anciens ont désigné la ri- quoi Jésus-Christ enseigne avec tant de soin
chesse sous le nom de pécule, parce que les l'humilité. Ce n'est donc pas aux envieux que
troupeaux [pecits] étaient toute leur richesse. je m'adresse, mais à ceux qui forment de bons
Nous lisons que les anciens patriarches étaient désirs. Je parle à ceux qui veulent du bien à
riches en troupeaux. homme, vous aimez leurs amis et leur en souhaitent autant qu'ils A
donc vous la regardez pour vous
la richesse; en ont eux-mêmes. Par exemple ils désirent ï
comme un principe de bonheur et vous lui pour les pauvres une fortune aussi grande
prodiguez tout votre amour. Vous vouliez que la leur mais quant à leur donner une
;

aimer votre prochain comme vous-même partie de ce qu'ils possèdent, ils s'y refusent.
partagez donc avec lui vos richesses. Je cher- Vous vous vantez chrétien, de souhaiter
,

chais ce que vous étiez maintenant vous vous


; du bien aux autres? Mais le mendiant vous est ,

êtes vu, vous vous êtes regardé, considéré. supérieur, puisque n'ayant rien il en désire
j

Vous n'êtes pas disposé à partager vos richesses pour vous davantage. Vous daignez aller jus-
avec votre prochain. Mais que me répond la qu'à souhaiter du bien à celui qui ne reçoit
bienveillante avarice? Que me répond-elle? rien de vous donnez plutôt quelque chose à
:

Si je partage avec lui, ma part sera plus petite celui qui vous souhaite du bien. Si c'est une
et la sienne aussi ; ce que j'aime se trouvera bonne œuvre de désirer du bien aux autres,
diminué, ni lui ni moi ne posséderons tout ce donnez alors la récompense qu'on mérite. Le
trésor. Mais parce que je l'aime comme moi- pauvre vous souhaite du bien, pourquoi trem-
même, je lui souhaite autant de richesses que blez-vous? Je vais plus loin; vous êtes dans la
j'en possède; de cette manière je ne serai maison de la discipline. J'ajoute donc à ce que
privé de rien, et il possédera autant que moi. j'ai dit, donnez à celui qui vous désire du

bien, car il n'est autre que Jésus-Christ lui-


CHAPITRE VII. même. Celui qui vous demande, c'est celui-là
l'envie est un vice diabolique,
même qui vous a donné. Rougissez de honte.
ISSU de l'orgueil. Ce riche a voulu être pauvre afin que vous
ayez toujours des pauvres à qui vous puissie
7. Vous désirez de manière à ne rien perdre, donner. Donnez quelque chose à votre frère,
et plût à Dieu que votre parole fût sincère, ou donnez quelque chose à votre prochain, don-
que votre désir fût véritable En effet je crains ! nez quelque chose à votre compagnon. Vous
en vous la jalousie. Si le bonheur des autres êtes riche et il est pauvre. Cette vie, c'est la

vous inquiète et vous tourmente, comment voie véritable, ne refusez pas de la parcourir

votre félicité sera-t-elle la félicité commune ? ensemble.


.

DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE. 319

CHAPITRE VHI. reillede votre prochain; ce n'est pas là cepen-


dant ce que vous avez entendu, ce que vous
DIMINUER, PAR l' AUMÔNE, LE FARDEAU
avez appris dans cette maison de la discipline.
DES RICHESSES.

8. Vous me répondez peut-être : Je suis CHAPITRE IX.

riche, et il est pauvre. Marchez-vous ensem- ÉVITER LES PERNICIEUX DISCOURS DES AVARES.
ble, oui ou non? Je suis riche et il est pauvre ;

n'est-ce pas comme si vous disiez : Je suis Tel n'est point l'amour que je vous demande
chargé, et il n'a aucun fardeau ? Je suis riche pour votre prochain. Oh si je pouvais obtenir 1

et il est pauvre. Vous rappelez votre fardeau, de vous séparer à tout jamais de telles per-
vous louez le poids qui vous écrase. Ce qui est sonnes Car a les conversations mauvaises cor-
!

plus étonnant encore, c'est que vous vous êtes « rompent les bonnes mœurs » Mais je ne puis *
.

enchaîné à votre fardeau, voilà pourquoi vous espérer que jamais vous ne vous approcherez
ne pouvez tendre la main. Vous êtes chargé, de qui que ce soit, pour murmurer à son
vous êtes lié, de quoi donc vous vantez-vous? oreille ce honteux langage que vous ne voulez
pourquoi vous prodiguer des éloges? Rrisez pas désapprendre; et non-seulement vous ne
vos chaînes, allégez votre fardeau. En donnant voulez pas le désapprendre, mais vous affectez
à votre compagnon de voyage, vous lui aidez de le communiquer aux autres. Je le condamne
et vous vous soulagez. Pendant que vous faites hautement et je voudrais, mais en vain, mettre
de si pompeux éloges de votre fardeau j Jésus- entre vous et vos frères une barrière infran-
Christ est là vous demandant l'aumône et il ne chissable. Eh bien 1 je m'adresserai directe-
reçoit rien, et pour mieux déguiser la cruauté de ment aux autres, à ceux que vous désirez en-
vos refus, vous invoquez la tendresse paternelle tretenir, dont vous désirez souiller les oreilles,
et vous dites Ne dois-je}pas conserver pour mes
: et par leurs oreilles glisser le venin jusque
enfants? Je lui présente Jésus-Christ; il m'op- dans leur cœur. vous qui recevez la parole
pose ses enfants. La grande justice à vos yeux, de vie dans la maison de la discipline, «for-
c'est donc que vous puissiez voir vos enfants et mez une barrière d'épines autour de vos
dans une luxuriante abondance, et votre Sei- « oreilles^». — « Les conversations mauvaises
gneur dans la misère? «Ce que vous faites au « corrompent les bonnes mœurs formez;

« dernier de mes frères c'est à moi que vous , « une barrière d'épines autour de vos oreilles »
« le faites ». N'avez-vous jamais ni lu ni pesé Entourez-les, et entourez-les d'épines, afin
ces paroles « Ce que vous faites au dernier
: que celui qui tentera d'y pénétrer, soit non-
« de mes frères, c'est à moi que vous le faites ? h seulement repoussé mais encore blessé. Re-
Vous n'aviez pas lu, vous n'avez pas tremblé? poussez-le loin de vous. Dites-lui vous êtes :

Voilà celui qui est dans la détresse et vous chrétien, je suis chrétien; et ce n'est pas là ce
m'énumérez vos enfants? Soit, nombrez-les- que nous avons appris dans la maison de la
moi, mais ajoutez-en un à ce nombre, c'est discipline, dans cette école où nous sommes
votre Seigneur. Si vous en avez un, qu'il soit entrés gratuitement, dans l'enseignement de
le second; si vous en avez deux, qu'il soit le ce Maître dont la chaire est au ciel. Ne me
troisième si vous en avez trois, qu'il soit le
; parlez pas ainsi, ou ne vous approchez pas de
quatrième rien de tout cela ne vous agrée.
; moi. Telest en effet le sens de ces paroles :

Voilà comment vous aimez votre prochain, «Entourez vos oreilles d'une barrière d'é-
jusqu'à le rendre participant de votre perdi- c( pines».
tion. 10. Maintenant c'est à lui que je m'adresse.
9. Comment vous dire encore,que vous aimez Vous vous aimez l'argent voulez-
êtes avare, :

votre prochain? Homme avare, quelle parole vous être heureux ? Aimez le Seigneur votre
ferez-vous entendre à son oreille? Ne lui direz- Dieu. La richesse ne vous rend pas heureux;
vous pas flls, ou frère, ou père, le bonheur
: vous la rehaussez de toute votre grandeur,
pour nous ici-bas n'est-il pas d'être riche? mais elle ne vous rend pas heureux. Parce
Plus vous serez riche, plus vous serez grand que vous aimez beaucoup la richesse je vois ,

aux yeux des hommes. Brisez la lune et faites que vous allez partout où vous entraîne l'ar-
fortune. Voilà ce que vous murmurez à l'o- deur de vos désirs; paresseux, allez donc où la
'
Matt. XXV, 40, 45. ' I Cor. XV, 33. — ' Eccli. xxviii, 28.
320 DE LA DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE.
charité vous appelle regardez et voyez si notre
; C'est aux hommes
injustes et avares que je
Dieu n'est pas infiniment supérieur à la ri- m'adresse vous aimez l'argent rendez-moi
: ,

chesse. Ce soleil qui nous éclaire est plus beau le même amour. Sans doute je suis infiniment
que votre richesse, et cependant ce soleil n'est supérieur à la richesse mais je ne vous de-
,

pas votre Dieu. Si donc cette lumière est plus mande qu'un amour égal aimez-nioi autant;

belle que votre richesse^ combien n'est pas que vous aimez l'argent. Du moins rougissons
plus beau encore celui qui a créé cette lu- de honte, confessons notre crime et frappons-
mière? Youdriez-vous donc comparer votre nous la poitrine, au lieu d'étendre sur nos
argent à la lumière? Que le soleil disparaisse péchés un pavé de pierre ou de marbre. Celui
dans la nuit alors montrez-moi votre argent.
; qui frappe sa poitrine et ne se corrige pas, M
Il brille, mais seulement quand je déjoue la consolide ses péchés et ne les détruit pas. "
nuit par un flambeau; voilà que vous êtes Frappons notre poitrine, blessons-nous, corri-
riche, montrez-moi vos richesses si vous n'a- ; geons-nous nous-mêmes, si nous ne voulons
vez pas de lumière, si vos yeux sont plongés pas que celui qui est notre maître nous frappe
dans l'obscurité, montrez-moi donc où sont à son tour. Jusque-là nous avons dit ce que
vos richesses. nous devons apprendre disons maintenant
,

CHAPITRE X. pourquoi nous devons l'apprendre.

l'avecglemem des avares. CHAPITRE XI.


Les yeux ne peuvent sonder l'horrible pro- apprendre les lettres dans un rut temporel.
fondeur de l'avarice, mais l'esprit la mesure
en sûreté. Nous avons vu des avares aveugles; 42. Pourquoi êtes-vous allé à l'école? pour-
qu'on me dise ce qui les rend aveugles. Qu'il quoi avez-vous été frappé, conduit par vos pa-
possède ou qu'il ne possède pas, l'avare est un rents, recherché dans votre fuite, ramené par
aveugle. Pourquoi? Parce que, dès là qu'il force et appliqué à l'instrument de pénitence?
croit posséder il est aveugle. C'est sa croyance Pourquoi avez-vous été frappé ? pourquoi
qui le rend riche, il est donc riche parce qu'il toutes ces violences que vous avez dû subir
croit l'être et non parce qu'il le voit. Combien dans votre jeunesse? Pour vous forcer d'ap-
plus sûrement la foi nous élève vers Dieu ! prendre. Qu'appreniez-vous ? Les lettres. Pour-
Vous ne voyez pas ce que vous possédez, et quoi? pour acquérir des richesses, ou des
c'estDieu même que je vous prêche. Vous ne honneurs et parvenir aux plus hautes dignités.
voyez pas encore; aimez et vous verrez. Aveugle Voyez comme une sim|)le chose qui doit périr,
que vous êtes, vous aimez l'argent que vous ne doit entraîner également votre perdition ;

verrez jamais. Vous possédez en aveugle, vous combien de souffrances vous avez subies pour
mourrez en aveugle, et vous laisserez ici-bas apprendre une chose périssable, et pourtant
ce que vous y possédez. Même pendant votre vous étiez réellement aimé de celui qui vous
vie, vous ne possédiez pas, puisque vous ne soumettait à ces rudes épreuves; celui qui
voyiez pas ce que vous aviez. vous faisait frapper vous aimait, et l'on vous
11. Et sur Dieu, que vous est-il dit? Ecoutez frappait pour vous forcer à apprendre quoi ?
ce mot de la sagesse; aimez Dieu «comme les lettres. Les lettres sont-elles bonnes ? Sans
« l'argent ' ». C'est une infamie et un outrage aucun doute. Je sais que vous allez me dire :

de comparer la sagesse à l'argent : mais ici on vous autres, évêques, n'avez-vous pas lu les
se contente de comparer l'amour à l'amour. lettres ? ne traitez-vous pas maintenant des

En effet je vous vois épris d'un tel amour pour saintes Ecritures à l'aide de la littérature? As-
la richesse que sur son ordre vous entrepre- surément; mais ce n'est pas précisément dans
nez les travaux les plus pénibles, vous sup- ce but que nous avons appris les lettres. Nos
portez le jeûne, vous traversez la mer, vous parents, quand ils nous envoyaient à l'école,
vous confiez aux vents et aux flots. Je sais ce ne nous disaient pas Apprenez les lettres afin
:

que vous pourriez aimer, mais je ne sais pas que vous puissiez lire les lois du Seigneur.
ce que je pourrais ajouter à l'amour qui vous Même les chrétiens ne tiennent pas ce langage
possède. Aimez-moi de cette manière, je ne à leurs enfants. Que leur disent-ils? Apprenez
veux pas être aimé davantage, dit le Seigneur. les lettres. Pourquoi? Afin que vous soyez
' Prov. II, 4. hommes. Et pourquoi donc? Est-ce que je suis
DE LA DISCIPLINE CHRETIENNE. 321

un animal? Non, mais je vous dis d'apprendre de mal mourir. Oii plutôt ne le craignez pas, car
afin que vous deveniez homme, c'est-à-dire on ne peut mal mourir quand on a bien vécu.
afinque vous puissiez briller parmi les hommes. Je le répète ,
j'ose le dire, car « ayant
De là ce proverbe Plus vous aurez, plus vous
: « cru j'ai on ne peut mal mourir
parlé » :

serez grand. Ayez donc autant que les autres, quand on a bien vécu. Voici que vous vous
ou autant que le petit nombre plus que les ;
dites à vous-même beaucoup de justes n'ont-
:

autres ou plus que le petit nombre à ce prix ; ils pas péri dans les naufrages? On ne peut

vous obtiendrez des honneurs et des dignités. mourir mal, quand on a bien vécu ? Beau-
Et que deviendra tout cela quand la mort aura coup de justes ne sont-ils pas tombés sous
sonné son heure? La mort serait-elle un sti- le glaive des ennemis? On ne peut mourir
mulant, et cette crainte une puissante excita- mal, quand on a bien vécu? Beaucoup de justes
tion? Comment ce mot que je viens de pro- ne sont-ils pas tombés sous les coups des as-
noncer a-t-il le privilège de frapper tous les sassins, ou n'ont-ils pas été dévorés par les bêtes
cœurs ? Comment vos gémissements viennent- féroces? On ne peut mourir mal, quand on a
ils attester la crainte qui vous obsède? J'ai en- bien vécu? Je te réponds Périr dans un nau- :

tendu, parfaitement entendu; vous avez gémi, frage, être percé d'un glaive ou dévoré par les
vous craignez la mort. Si vous la craignez, bêtes féroces, est-ce donc là ce qui te paraît une
pourquoi ne l'évitez-vous pas? Vous craignez mort mauvaise? Ce genre de mort n'a-t-il
la mort; pourquoi craignez-vous? Elle vien- donc pas été souvent celui des martyrs dont
dra; que je la craigne, que je ne la craigne nous célébrons la naissance au ciel ? A quel
pas, elle viendra; tôt ou tard elle viendra. genre de mort n'ont-ils pas été condamnés? Et
Quoique vous la craigniez, vous ne ferez pas cependant si nous sommes chrétiens, si nous
que vous n'ayez plus rien à craindre. n'oublions pas que nous sommes dans la mai-
son de la discipline, si en sortant d'ici nous
CHAPITRE XII. n'oublions pas que nous y sommes venus, si

LA BONNE MORT PRÉPARÉE PAR UNE BONNE VIE. nous nous souvenons des vérités que nous y
avons entendues, est-ce que nous ne célébrons
13. Craignez plutôt ce qui ne dépend que de pas la mort des martyrs? Cherchez quelle fut
votre volonté. Quoi donc? Le péché. Craignez la mort des martyrs interrogez les yeux de
;

de pécher, parce que si vous aimez le péché la chair leur mort a été mauvaise. Mais in-
:

vous encourrez la mort éternelle, que vous terrogez les yeux de la foi « La mort des saints :

n'auriez pas à redouter si vous n'aimiez pas le « est précieuse devant Dieu ». Si donc vous '

péché. Mais telle est votre perversion que vous imitiez les saints, vous ne trouveriez plus rien
aimez mieux la mort que la vie. Dieu m'en à redouter dans la mort. Travaillez à mener
garde, dites-vous. Quel est donc l'homme qui une bonne vie; et dans quelque circonstance
aime plus la mort que la vie ? Peut-être vais-je que vous sortiez de ce corps, vous en sortez
vous convaincre que vous aimez plus la mort pour le repos, vous en sortez pour un bonheur
que la vie. Voici le moyen que j'emploie. Vous qui ne sera mêlé d'aucune crainte et n'aura
aimez votre tunique et par conséquent vous pas de fin. On aurait pu croire très-bonne la
voulez qu'elle soit bonne; vous aimez votre mort du mauvais riche expirant dans la pour-
villa et vous voulez qu'elle soit bonne vous ; pre et dans le lin mais quelle affreuse mort
;

aimez votre fils et vous voulez qu'il soit bon ; que celle d'un malheureux dévoré par la soif
vous aimez votre ami et vous voulez qu'il soit et demandant à grands cris une goutte d'eau,
bon vous aimez votre maison et vous voulez
; du sein de ses tourments On aurait pu croire !

qu'elle soit bonne. Que voulez-vous donc mauvaise la mort du pauvre Lazare expirant
quand vous désirez également que votre mort près de la porte du riche, léché par les chiens,
soit bonne? Comme vous devez mourir, cha- et désirant pour apaiser sa soif et sa faim les
que jour vous priez Dieu de vous donner une miettes qui tombaient de la table du riche ;

bonne mort et vous dites, que Dieu me pré-


; mort malheureuse, mort redoutable. Voyez la
serve d'une mort mauvaise. Vous aimez donc fin vous êtes chrétien, ouvrez les yeux de la
;

plus votre mort que votre vie. Vous craignez foi « Le pauvre mourut aussi et fut porté par
:

de mal mourir, et vous ne craignez pas de mal « les anges dans le sein d'Abraham » Au riche .

vivre. Abstenez-vous de mal vivre, et craignez ' Ps, cxv, 10, 15,

S. AuG. — Tome XII. 21


322 DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

dévoré de soif dans impor-


les enfers, que lui choit au siècle, et il fait des progrès vers
tait un tombeau de marbre ? Que au faisaient Dieu.
pauvre ses baillons et ses ulcères, pendant CHAPITRE XIV.
qu'il repose dans le sein d'Abraham? Le riche
QUEL EST LE VÉRITABLE MAITRE?
aperçut de loin, dans son repos, le pauvre qu'il
avait méprisé gisant à la porte de son palais \ 15. Quel est, en effet, le maître qui nous
Choisissez entre ces deux morts dites-moi ; enseigne? Ce n'est point tout homme, quel
quel est celui des deux qui a fait une bonne qu'il soit, mais un apôtre. Et encore, si c'est
mort, quel est celui qui en a fait une mau- l'Apôtre qui parle, ce n'est pas lui qui en-
vaise? Il me semble que la mort du pauvre seigne, Est-ce que vous voulez éprouver la
et

est de beaucoup préférable à celle du riche. « puissance de Jésus-Christ qui parle par ma
Tenez-vous à être enseveli dans les aromates, « bouche '
? » C'est Jésus-Christ qui enseigne,
et à sentir la soif vous dévorer en enfer? Non, et il a sa chaire au ciel, comme je le disais
me répondez-vous. Du moins je suppose que il n'y a qu'un instant. Son école est sur la
telle est votre réponse. Donc vous apprendrez terre, et cette école c'est son corps. La tête
à bien mourir si vous apprenez à bien vivre. instruit les membres,
langue parle aux la
La récompense d'une bonne vie est une ré- pieds. C'est Jésus-Christ qui enseigne écou- :

compense éternelle. tons, craignons, obéissons. Gardez-vous de


mépriser Jésus-Christ lui-même, car c'est
CHAPITRE XIII. pour vous qu'il est né dans la chair, se revê-
tant des haillons de notre mortalité; c'est
LES BONS ET LES MAUVAIS AUDITEURS.
pour vous qu'il a eu faim et soif, pour vous
\i. Ceux qui s'instruisent prouvent qu'ils qu'il s'est assis fatigué sur les bords du puits ;

sont chrétiens; ceux qui écoutent et ne s'in- pour vous que fatigué il s'est endormi dans la
struisent pas, quel intérêt inspirent-ils au se- barque pour vous qu'il a reçu des injures atro-
;

meur? Ni la dureté du chemin, ni les pierres, ces pour vous qu'il s'est laissé cracher au vi-
;

ni les épines n'effraient la main du semeur : sage pour vous qu'il a été souffleté; pour
;

qu'il jette ce qui lui appartient. Celui qui vous qu'il a été attaché sur la croix; pour vous
craint que la semence ne tombe sur une qu'il est mort, pour vous qu'il a été déposé
terre mauvaise, s'arrête avant d'arriver à la dans le tombeau. Serait-ce tout cela que vous
bonne terre. Nous, du moins, nous parlons, mépriseriez en Jésus-Christ? Voulez-vous sa-
nous jetons et dispersons la semence. Parmi voir qui il est? Rappelez-vous l'Evangile que
nos auditeurs il en est qui méprisent, il en vous avez entendu « Mon Père et moi nous ;

est qui se plaignent, il en est qui rient. Si « sommes un '*


».

nous craignons tous ces auditeurs, il ne nous Unis au Seigneur, prions-le pour nous-
16.
est plus possible de semer et nous devons nous mêmes et pour tout ce peuple réuni avec
attendre à mourir de faim à la moisson. Que nous dans la demeure du Tout-Puissant ;
la semence arrive doncjusqu'àla bonne terre. demandons qu'il daigne garder et protéger ce
Je sais que celui qui écoute et qui écoute sé- peuple, par son Fils Jésus-Christ Notre-Sei-
rieusement sent en lui quelque chose dcfaiUir gneur qui vit et règne avec lui dans les siècles
et quelque chose progresser il déchoit à l'i-
; des siècles. Ainsi soit-il.

niquité et il progresse dans la vérité ; il dé- • II Cor. XIII, 3. — ' Jean, x, 30.
'
Luc, XVI, 19-24.

Traduction de M. rabbé BURLERAUX.


,

DU CANTIQUE NOUVEAU
ET

TyvL retou-r à la céleste I^atrie.

CHAPITRE PREMIER. treen été et à décroître en hiver? Parmi les


mortels a-t-on cessé de mourir, a-t-on cessé de
PASSAGE DE L'ANCIENNE VIE A LA VIE NOUVELLE.
naître? Si donc tout se passe comme au com-
i. Quiconque désire le baptême de Jésus- mencement, si tout a conservé son mouvement
Christ désire une vie nouvelle. Qu'il quitte et sa fin,pourquoi vient-on nous dire « Tout :

donc ancienne pour parvenir à la vie


la vie « ce qui était ancien est passé, tout est devenu

nouvelle. N'y eut-il pas l'Ancien Testament, « nouveau? » Paul, répondez à celui qui nous

l'ancien cantique, l'homme ancien? aujour- pose cette question devant voussurtoutje sens
;

d'hui c'est le Testament nouveau, le cantique mon impuissance, répondez pour moi. Ecoutez
nouveau pour l'homme nouveau. Prouvons ce donc l'Apôtre. Auditeur charnel, pourquoi
que nous disons par les témoignages des cherchez-vous à tout voir par les yeux de la
saintes Ecritures. Nous lisons dans Jérémie : chair? Elevez plus haut votre esprit, afin que
« Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, vous puissiez comprendre cette parole «Tout :

« et j'accomplirai mon testament nouveau sur « ce qui était ancien est passé, tout est devenu
« la maison de Juda ». David dit également '
: «nouveau ». Quelles choses anciennes sont
« Dieu, je vous chanterai un cantique nou- passées, lesquelles sont devenues nouvelles?
« veau et encore «Chantez au Seigneur « Le premier homme est l'homme terrestre
'^
» ; :

« un cantique nouveau ^ ». L'apôtre saint Paul « formé de la terre et le second homme est ;

ajoute « Vous dépouilUant du vieil homme,


: « l'homme céleste descendu du ciel » Adam, •
.

« revêtez le nouveau * » ; et ailleurs ; « Tout l'homme ancien fait du limon de la terre, est
et ce qui était ancien est passé, tout est de- passé Jésus-Christ est venu, le Dieu homme
;

« venu nouveau ^ ». Quelles choses anciennes envoyé du ciel. La vétusté des esprits est passée ;

sont passées? lesquelles sont devenues nou- la nouveauté des croyants est venue la vie char- ;

velles? Si j'ai un auditeur spirituel, non- nelle est passée et remplacée par la vie spiri-
seulement il comprend, mais il voit ce qui est tuelle. Est-ce peu de chose que cette nouveauté
devenu nouveau. Si au contraire il est parmi démontrée par l'Homme-Dieu au point qu'en
vous un auditeur charnel qui juge tout par mourant il s'est chargé de votre vieillesse
les yeux de la chair et rien par l'esprit, il qu'en ressuscitant il a montré en lui votre jeu-
sourit et répond Je vous en prie, dites-moi
: nesse, et qu'en montant au ciel il a affermi votre
ce qui est devenu nouveau. Le ciel que je droit à la gloire? Les choses anciennes sont
vois n'est-ce pas celui que je contemplais au- passées ; quelles choses anciennes ? Celles qui
paravant, et les étoiles brillent-elles d'un nou- vous rendaient enfants d'Adam, enfants char-
vel éclat? Le soleil ne parcourt-il pas tou- nels. Quelles choses sont devenues nouvelles?
jours la même carrière pendant le jour, et la C'est que vous êtes devenus enfants de Dieu, en-
lune pendant la nuit? La mer a-t-elle rompu fants spirituels. Tout ce qui était ancien est
ses digues, ou la terre enfanté des productions passé vous étiez terre tout est devenu nou-
; :

nouvelles? Comme
au commencementle jour veau; vous êtes presque devenus célestes. Car
n'est-il plus de douze heures, sauf à s'accroî- «les cieux racontent la gloire de Dieu "-
».
' Jerem. xxxi, 31. — ' Ps. cxliii, 9. Ps. xcv, 1. — ' Coloss.
Vous paraît-il impossible de devenir des
m, 9, 10. — ' II Cor, V, 17. ' I Cor. XV, 47. — ^
Ps. xviii, 1.
3U DU CANTIQUE NOUVEAU.

hommes célestes, quand vous n'êtes encore travers les fissures et s'amoncelant dans la cale,
que des hommes terrestres? Celui qui a fait menace d'un semblable malheur, si l'on ne

de rien le ciel et la terre, ne peut-il pas de la s'empresse de la rejeter aussitôt. Hâtons-nous


terre faire le ciel ? Les choses anciennes sont donc de curer l'égoût et ne négligeons pas
passées vous adoriez des pierres
; tout est : la miséricorde, car l'aumône délivre de la
est devenu nouveau, vous adorez le vrai Dieu. mort, et purifie les péchés *. Que la grâce de
Les choses anciennes sont passées la mortalité ; Jésus-Christ soit notre appui , et redisons
n'est plus tout est devenu nouveau, l'immor-
: le cri des matelots, le doux chant Alléluia, afin
talité a été promise. Les choses anciennes que joyeux et en sûreté nous entrions promp-
sont passées ; toute chair avait péri par le tement dans l'éternelle et bienheureuse patrie.
péché de l'homme et de la femme : tout est Que notre âme ne craigne pas cette grande
devenu nouveau ; la chair a été renouvelée mer, c'est-à dire le siècle présent, dont les
par l'enfantement miraculeux d'une Vierge. puissances s'élèvent contre nous en flots pres-
Les choses anciennes sont passées la nation ; sés , en tourbillons immenses. Parce qu'ils
ancienne a disparu tout est devenu nouveau :
;
avaient mis toute leur espérance en Dieu, une
Jérusalem la cité céleste de la nouveauté a multitude innombrable de saints ont méprisé
surgi dans sa puissance. Vous désirez donc ces flots, les ont foulés aux pieds, et marchant
parvenir à cette cité nouvelle, vous qui avez sur les eaux sont arrivés sains et saufs dans
inscrit vos noms dans le livre de vie. l'éternelle patrie. Mais voici venir un vent
furieux, une violente tempête, et pour chacun
CHAPITRE II.
de nous, cette tempête c'est sa propre cupidité.
HATONS NOTRE MARCHE VERS LA PATRIE. La foi chancelle sur la mer, que Pierre s'écrie
aussitôt Seigneur, je péris et celui qui pour
: :

2. Mes vivement notre pro-


frères, désirons nous a daigné marcher sur les eaux, présente
pre patrie quant h cette terre d'exil qui nous
;
sa main au naufragé et ne permet pas qu'il
en sépare encore, souffrons-la, mais ne lui périsse ^ Voyez Paul, non-seulement montrant
donnons pas notre cœur hâtons-nous cepen- ; ce navire mais s'embarquant lui-même et ap-
dant. Qu'est-ce qui pourrait nous retenir ici ? pelant tous ses frères à sa suite. Quand il disait :

qu'est-ce que vous pourriez aimer dans ce «Puisque vous avez la nourriture et le vête-
siècle ? L'amour même que nous avons pour « ment, sachez vous en contenter * », ne vou-
nos parents, nos épouses, nos enfants, nos ri- lait-il pas nous montrer de quelles provisions

chesses, de combien de souffrance n'est-il pas nous devons nous munir ? Quand il disait :

suivi? quelle crainte il engendre ? il n'y a pas « Loin de moi de me glorifier si ce n'est dans

lieu de nous fixer ici. En nous hâtant nous « la croix de Notre-Seigneur Jésus- Christ, par

aspirons aux biens éternels, sans avoir à crain- a qui le monde est crucifié pour moi et par

dre que le siècle nous entraîne dans sa ruine. « qui je suis crucifié au monde *» ; il ne faisait
Préparons notre viatique, montons sur le vais- autre chose que de monter dans le navire.
seau de la foi et de la croix, prenons l'espérance Quand il disait : « En votre quahté d'élus de
pour ancre de notre salut, déployons pour « Dieu, revêtez-vous de bonté, d'humiUté, de
cordages nos diûerentes vertus, que la charité «longanimité, de mansuétude^», c'était là
nous serve de voiles, demandons pour notre pour lui tendre sescordages.Quand il disait :c' La
vent propice la parole de Dieu; purifions nos « foi, l'espérance, la charité demeurent, mais

âmes de tout péché, et notre conscience par « la plus grande des trois, c'est la charité * » ;

des aumônes. Que rien n'arrête la course de il rassemblait ses voiles. Quand il disait :

notre navire ; fatiguons nos mains à travailler. « Que la parole de Dieu habite en vous abon-
Il les fatiguait pour se purifier celui qui disait : « daminent ^ », il invoquait le vent propice.
« Mes mains se lèvent vers lui pendant la nuit Quand il disait « C'est pourquoi, pendant que
:

« et je ne me suis pas trompé '» Ne nous endor- . « nous en avons le temps, montrons-nous in-
mons pas sur nos péchés: ils sont légers, mais 8 fatigables pour faire du bien à tous * » ou ;

ils sont nombreux. Un flot puissant et en cour- encore «Travaillant de:


vos propres mains '
»,
roux se précipite sur le navire et le menace du
naufrage déjà même l'onde anière pénètre à '
Tob. IV, 11. — Malt. XIV, 25, 32. —
• ' I Tim. vi, 8. — * Gai.
;
VI, 14. — ' Coloss.m, 12. — Cor. xui,
' I 13. — ' Coloss. m, IC.
' Ps. LXXVI, 3. - • Gai. VI, 10. — Tliess. iv, 11.
' 1
DU CANTIQUE NOUVEAU. 325

n'ordonnait-il pas de vider la cale ? Quand il chez si vous aimez. Car ce n'est point en formant
disait Vous êtes sauvés par la grâce », il
: « * des pas, mais des affections que nous courons
invoquait une protection tutélaire. Quand il vers Dieu.
disait « Chantant des psaumes et des hymnes
: CHAPITRE IV.
« du fond de vos cœurs à la gloire du Sei-
DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VOYAGEURS.
« gneur •», il nous apprenait quel doit être le
"^

cri des matelots. Quand il disait o Nous avons : 4. La voie dont nous parlons cherche des
a été sauvés par l'espérance ^)), il jetait l'ancre voyageurs. Elle hait trois espèces d'hommes,
dans le cœur des fidèles. Quand il disait : ceux qui n'avancent pas, ceux qui retournent
« La Jérusalem d'en-hautest libre, et c'est elle en arrière, ceux qui s'égarent. Des hommes de
« qui est notre mère * », il nous montrait la cette sorte que Dieu nous préserve de les imi-
patrie. Quand il disait : « mort, où est ton ter et d'en souffrir dans nos rangs Tous 1

« aiguillon? Rendons grâces à Dieu qui nous a nous marchons, mais les uns marchent plus
« donné la victoire par Jésus-Christ Notre- lentement et les autres plus rapidement. On
« Seigneur ^», il n'était plus exposé aux périls doit aiguillonner l'activité de ceux qui restent
de la mer et goûtait toutes les joies de la pa- immobiles, on doit rappeler ceux qui retour-
trie. C'est là ce que vous avez enseigné, c'est nent en arrière, on doit ramener à la bonne
là ce que vous avez fait, ô excellent nautonier, voie ceux qui s'égarent, on doit exciter ceux
ô illustre maître et docteur; et si vous êtes qui vont trop lentement et imiter les plus
parvenu si promptement, c'est parce qu'avant agiles. Celui qui n'avance pas, reste sur la
de donner la leçon, vous aviez donné l'exem- voie ; renonce à ce qui était mieux
celui qui
ple. pour reprendre le pire, retourne en arrière ;

CHAPITRE III. celui qui abandonne la foi, s'écarte du boa


chemin. Ne considérons que ceux qui mar-
DE LA VOIE TERRESTRE VERS LA PATRIE.
chent, soit qu'ils marchent lentement, soit
3. Peut-être, comme il est assez ordinaire ,
qu'ils marchent rapidement. Quel est celui
tel homme a horreur du vaisseau et des flots qui n'avance pas? C'est celui qui croit déjà
de la mer ; il préfère donc se rendre par voie posséder la sagesse, celui qui se dit à lui-
de terre à la patrie, quoique celte voie soit même : Je suis bien comme je suis, et ne jette
plus longue. Eh bien 1 je lui indiquerai la voie, pas les yeux sur celui qui s'exprime en ces
ou plutôt elle s'impose d'elle-même. Le Sau- termes « Oubliant ce qui est derrière moi, et
:

veur ne s'écrie-t-il pas dans l'Evangile «Je : « m'avançant vers ce qui est devant moi, je
c<suis la Voie ^? » Voilà la voie, marchez donc, « cours incessamment vers le bout de la car-

mais cependant ne négligez pas de dompter « rière pour remporter la palme à laquelle

votre coursier, c'est-à-dire votre chair, car «Dieu nous appelle par Jésus-Christ^». II
c'est elle qui porte votre âme. Si le coursier marche en avant, il court il ne reste pas, il ;

qui vous porte menaçait de vous précipiter ne regarde pas en arrière pouvait-il se trom- ;

contre terre, est-ce que vous ne le dompteriez per, lui qui nous montrait la voie et nous ap-
pas par la faim, pour suppléer à ce que vous prenait à la suivre avec lui? Il nous invite à
ne pourriez faire par les rênes ? Notre chair, imiter sa célérité quand il nous dit « Soyez :

tel est notre coursier ; nous voyageons vers « mes imitateurs comme je le suis de Jésus-

Jérusalem et bien souvent cette chair tente de « Christ ^ ». Frères bien-aimés, regardez-nous
nous entraîner et de nous faire sortir de donc comme vos compagnons de voyage si ;

voie. Un tel coursier ne peut être modéré que nous allons trop lentement, précédez-nous ;

par le jeûne. Encore ici voyez Paul, cet illustre nous n'avons aucune jalousie, nous cherchons
voyageur, voyez-le domptant son coursier. des modèles que nous puissions suivre. Si
« Bien souvent exposé à la faim, à la soit et au vous croyez que nous allons assez rapide-
« jeûne ', je châtie mon corps et le réduis en ment, courez avec nous il n'y a pour nous ;

« servitude * » Vous aussi qui désirez marcher,


. tous qu'un seul et même but vers lequel nous
domptez votre chair et marchez. Vous mar- marchons, les uns plus lentement, les autres
plus rapidement. Quels sont ceux qui retour-
'
Ephes. Il, 8. — = Id. v, 19. — ' Rom. vili, 21. — ' Gai. iv, 26. nent en arrière? Ceux qui quittent la conti-
— ' I Cor. XV, 55 ,57. — ' Jean , xiv, 6. — ' II Cor. XI , 27. —
• I Cor, IX, 27. » Philipp. III, 13, 14. — M Cor. xi, 1.
326 DU CANTIQUE NOUVEAU.

nence pour revenir à l'impureté, ceux qui « soleil *


», c'est qu'il a voulu que son Eglise
après avoir embrassé la sainte et sublime car- fût visible partout et toujours. Considérez
rière de la virginité retournent aux hontes de donc celui qui vous prêche Jésus-Christ ,

la volupté et corrompent tout à la fois leur qu'il vous dise avant tout quel est le Christ

esprit et leur chair. C'est à eux que l'apôtre qu'il prêche.


saint Pierre adresse ce reproche « Il eût été : CHAPITRE VI.
« mieux pour eux de ne pas connaître la voie
ERREUR DES MANICHÉENS.
« du salut, que de regarder en arrière après

<f l'avoir connue* ». Regarder en arrière, quel 6. Voici l'hérétique manichéen qui par sa
crime et quel malheur La femme de Loth, ! doctrine promet de vous initier à la vérité et
arrachée à la ruine de Sodome, regarda en qui vous prêche un Christ faux et mensonger.
arrière malgré la défense qui lui en avait été Il n'avait point, dit-il, un corps véritable ; son
faite, et fut frappée du malheur auquel elle corps n'était qu'un fantôme, le Christ était

avait échappé. Et ce n'est pas sans un profond esprit. Point de corps en Jésus-Christ, telle est

dessein de la Providence qu'elle fut changée la doctrine de ce coupable manichéen. Mal-


en une statue de sel * n'était-ce pas pour que ;
heureux hérétique, tu refuses donc de croire
son exemple rendît sages un si grand nombre à la Vérité même quand elle s'écrie sans dé-
d'insensés? Quels sont ceux qui s'égarent? tour: « Palpez et comprenez qu'un esprit n'a
Tous les hérétiques qui, après avoir aban- « ni os ni chair, comme vous en voyez en

donné la voie de la vérité, s'en vont errants « moi ^». Si vous refusez de croire à la vérité,

dans le désert, se livrent au brigandage, en- croyez du moins au Juif qui le crucifie. Vous
traînent les âmes dans le péché et s'opposent dites que Jésus-Christ était Dieu et n'était pas
à ce que personne ne puisse parvenir à la patrie. homme; le juif réplique en même temps Il :

Ce sont des loups domestiques sous la peau de était homme, mais il n'était pas Dieu. L'Eglise

brebis, qui intérieurement ne sont pas moins catholique vous confond l'un et l'autre en
des loups rapaces; ils prêchent Jésus-Christ, la vous disant Je suis dans la vérité et je sou-
:

voie véritable, et ils conduisent à la mort ceux tiens que Jésus-Christ est tout à la fois Dieu et
qui marchent à leur suite. homme. Vous, Manichéen, sur quoi vous ap-
puyez-vous pour prouver que Jésus-Christ
CHAPITRE V. était esprit? C'est un esprit qui a reçu des

LA VRAIE ET LA FAUSSE PRÉDICATION.


soufflets? c'est un esprit qui a porté une cou-
ronne d'épines ? c'est un esprit qui a porté la
5.Quelqu'un me dira peut-être J'ignore : croix? S'il n'était qu'un esprit, de qui donc les
ce que je dois faire tel homme me prêche : vêtements tirés au sort par les soldats? S'il
Jésus-Christ, me prêche la voie du ciel, se dit n'était qu'un esprit, comment donc après avoir
le disciplede Jésus-Christ, se dit annoncer la rendu l'esprit, son corps est-il resté sans vie
vérité, pourquoi ne le suivrais-je pas? Je ré- et pendant plusieurs heures suspendu à la
ponds Sa langue est en contradiction avec sa
: croix? S'il n'était qu'un esprit, comment son

conscience. Comment le saurais-je, dites-vous? côté a-t-il été percé par une lance ? comment
est-ce que je puis sonder les replis de la con- Joseph l'a-t-il reçu dans ses bras pour l'ense-
science? Il me prêche Jésus-Christ; ce que velir? comment l'a-t-il déposé dans le tom-
j'entends, je le crois, je le conserve. Si vous beau? Tout cela peut-il se faire à l'égard d'un
êtes l'enfant de la vérité, ne vous laissez pas esprit? Tout ce qui avait été prédit par les
séduire par l'enfant du mensonge. Vous, chré- prophètes a été parfaitement accompli dans sa
tien, qui désirez Jésus-Christ, apprenez à en- personne. Vous êtes victime ou auteur d'une
tendre et à voir. Si quelqu'un vous prêche erreur grossière; la vérité vous confond en
Jésus-Christ , examinez sérieusement quel tous points. La Vérité même a-t-elle donc
Christ il vous prêche, et où vous
il le prêche. menti, et prêchez-vous le vrai? Et où donc
En effet, Jésus-Christ est la vérité ^ il est prêché prêchez-vous ? dans les ténè-
Dans le secret,

par les saintes Ecritures, non pas dans les bres. Si votre prédicationne proclame que la
lieux détournés, secrètement, mais publique- vérité, rendez votre enseignement public.
ment. Car a il a placé son tabernacle dans le Montrez-moi votre Eglise. Vous êtes trompés
' II Pierre, ii, 21. — - Ceii. XiX, 26 '
Jean, xiv, 6. ' Ps. xvui, 6. — ' Luc, XXLV, 39.
DU CANTIQUE NOU\'EAU. 327

et trompeurs et nous connaissons vos œuvres. Fils est Dieu, si le Père et le Fils sont éternels,

C'estvous que l'Apôtre dévoile quand il s'é- gardez-vous de soutenir que pour s'être fait
crie « On rougit de dire ce qui se fait par eux
: plus petit afin de vous racheter, le Fils, en vous
« en secret ^ ». Nous rougissons de le dire, créant, était inférieur à sou Père. Mais, ajoutez-
mais vous n'en continuez pas moins vos œu- vous, n'a-t-il pas dit lui-même : « Mon Père
vres. Votre ignominie est manifeste, votre « est plus grand que moi Sachez donc ^
? »

honte est mise à nu; vos professions de foi et qu'en parlant ainsi il parlait de son humanité,
vos écrits ont rendu pour tous votre doctrine ou comme Dieu et homme tout ensemble, et
à jamais tlétrie plaise à Dieu qu'un repentir
:
renoncez à votre erreur. En disant : « Mon
sincère vienne changer vos cœurs !
« Père est plus grand que moi », il ne faisait

que s'appliquer comme homme cette parole


CHAPITRE VU. du prophète « Vous l'avez un peu abaissé
:

«au-dessous des anges ^ ». Et vous, dites-


ERREUR DES ARIENS.
nous donc sous quel rapport vous le trouvez
7. D'autres hérétiques, les Ariens, soutien- plus petit? Selon la puissance? Mais « le Père
nent que Jésus-Christ, la voie pour aller au « ne juge personne, c'est le Fils qui juge
Père, n'est point égal à son Père quant à la «toutes choses^ ». Selon les œuvres? Mais
divinité. C'est pourtant lui qui a dit : « Mon « tout a été fait par le Fils ». Au point de vue

a Père et moi nous ne sommes qu'un ^ ». Les de la durée, diriez-vous de Dieu ce que vous
Ariens répondent : Puisque le Christ a été dites de vous-même, que vous êtes plus âgé
envoyé par Dieu, il est inférieur à Dieu, car que votre fils, et qu'il en est ainsi du fils de
celui qui envoie est plusgrand que celui qui Dieu? Que ce blasphème ne frappe jamais les
est envoyé. C'est làune argumentation toute oreilles des fidèles ;
quelle lionte d'avoir à
humaine, qui ne repose sur aucun oracle di- l'égard de Dieu de semblables idées ! Selon
vin. N'y a-t-il pas une opération propre à la la divinité, le Fils est le Verbe de Dieu, suivant
Trinité? mais cette opération te sera toujours cette parole de saint Jean « Au commence- :

inaccessible, à toi hérétique, qui ne juges des « ment Verbe, et le Verbe était en
était le

choses que charnellement. Tu n'as point le « Dieu, et le Verbe était Dieu * ». Direz-vous

cœur pur, comment donc arriverais-tu jusqu'à donc qu'il fut un temps où le Père était sans
Dieu? En tant qu'homme, Jésus-Christ a été le Verbe, ou qu'il y eut un commencement
réellement envoyé ; en tant que Dieu, il est avant le commencement même, car le Fils
égal à son Père. Et où donc le Père l'aurait-il se dit être le commencement? a Qui ètes-

envoyé, sans être lui-même et en même temps « vous », lui demandèrent les Juifs? « Je suis
avec son Fils? Où le Fils pouvait-il venir sans «le commencement», répondit-il '. Dès lois
qu'il fût en même temps avec son Père, lui cette parole de la Genèse « Dans lecommence- :

qui a dit a Je suis en mon Père et mon Père


:
« ment Dieu créa le ciel et la terre '^», doit être

« est en moi » ; et ailleurs : a Philippe, celui interprétée du Fils qui est le commencement.
« qui me voit, voit mou Père ^? » N'est-ce pas Par conséquent Dieu le Père a toujours
lui qui a dit par la bouche de son prophète :
été. Dieu le Fils a toujours été, sans qu'il ait

« Je remplis le ciel et la terre ^ » ; n'est-ce pas pu y avoir un seul instant où le Père n'ait pas
de lui que Salomon a dit « 11 atteint d'une : été le Père, où le Fils n'ait pas été le Fils. En
« extrémité à l'autre avec force, et il dispose engendrant son Fils, le Père ne se diminue
« toutes choses avec suavité; il atteint toutes en aucune manière, il engendre un autre lui-
« choses à cause de sa pureté ^? » même et demeure lui-même dans toute sou
Vous dites, hérétique, que celui qui envoie intégrité. Quant au Saint-Esprit, il ne précède

est plusgrand, et que celui qui est envoyé aucune des personnes dont il procède, dont
est plus petit, parce que vous ne pensez chacune reste dans son intégrité quoiqu'il en
qu'aux choses de la terre et du temps. Mais procède tout entier il ne leur procure ni di- ;

combien vous vous trompez de soumettre minution ni augmentation. Et ces trois per-
aux lois du temps Celui qui a créé tous les sonnes ne sont qu'un seul Dieu, selon cette
temps A vos yeux, si le Père est Dieu, si le
! parole du prophète : « Vous êtes le seul Dieu
'
Ephes. V, 12. — ' Jean, x , 30. — ' Id. xiv, 10, 9. — * Jerem. '
Jeaa, xiv, 28. — ' Ps. vm ,6. — ' Jean, v, 2:J. — *
id. i, o, 1.

XXlil, 24. — ' Sag. vm, 1, et vu, 24. — • id. vm, 25. — ' Geu. i, 1.
328 DU CANTIQUE NOUVEAU.

« grand Pour vous, hérétique, établissez


*
» .
que l'homme soit fait, ce qui aurait paru
des degrés, séparez la Trinité soutenez que ;
n'être qu'un ordre donné au Fils par qui tout

le Père est plus grand, que le Fils est plus a été fait; il n'est pas dit non plus: ils firent,
petit, et que le Saint-Esprit ne vient qu'au ce qui aurait pu s'interpréter en ce sens que
troisième degré de la gradation. J'ai prouvé chaque personne y apporta chacune son tra-
tout h riieure en peu de mots l'égalité abso- vail. Il est dit d'une manière absolue « Fai- :

lue du Père et du Fils; laissez-moi vous parler « sons l'homme à notre image et à notre res-

aussi du Saint-Esprit que vous supposez en- « semblance », comme pour mieux vous faire

core plus petit que le Père et le Fils. entendre que la Trinité n'est qu'un seul Dieu.
L'Esprit-Saint est réellement l'Esprit de Dieu. Et le texte ajoute aussitôt « Et Dieu fit l'homme :

Il est en même temps avec le Père et le Fils, et « et il le fit à son image ». Voilà comment '

partout tout entier; écoutez plutôt: «Dieu est les saintes Ecritures nous prouvent que laTri-

« Esprit »,dit saint Jean-.Le Fils vous dit parla nité n'est qu'un seul Dieu est-ce assez pour ;

bouche du Prophète : «L'Esprit de Dieu est sur convaincre et confondre l'hérétique arien ?

« moi h ; il ne dit pas : après moi, de manière Mais pour achever cette conviction, écoutez
à n'en faire qu'un être inférieur, une sorte de l'apôtre saint Paul nous parlant de Dieu le
serviteur qui suit son maître ; il dit formelle- Fils : « Comme forme et la nature
il avait la
ment: « moi». L'ange
L'Esprit de Dieu est sur « de Dieu, il n'a point cru que ce fût pour lui

Gabriel dit à Marie Le Saint-Esprit sur- : « « une usurpation d'être égala Dieu H. Paul ne

« viendra en vous* » David s'écrie également . : prêche-t-il pas l'égalité du Fils? et vous prê-
« Où irai-je pour échapper à votre Esprit, et chez son infériorité. Est-ce l'Apôtre ou vous
« pour me soustraire à votre face? Si je monte que je dois croire? vous que l'univers entier
« au vous y trouve; si je descends dans
ciel, je repousse avec dédain, ou l'Apôtre que tout
« l'abîme, je vous y rencontre^». Si donc, l'Es- le monde accueille et vénère ? Si tard que ce

prit de Dieu est au ciel, sur la terre et dans les soit, il en est temps encore, rougissez de votre

enfers avec celui qui dit: « Je remplis le ciel perversité confondue, car le monde entier pos-
«et la terre * », il est hors de doute que les sède la doctrine de l'Evangile et des Apôtres.
trois personnes de la Sainte Trinité ne sont
CHAPITRE VIII.
qu'un seul Dieu. Mais voici une autre preuve
HÉRÉSIE DES PÉLAGIENS.
de la même vérité. Nous avons déjà cité cette
première parole de la Genèse « Au commen- : 8. Mais je dois encore signaler une autre
« cément Dieu créa le ciel et la terre ». Nous caverne de voleurs , l'hérésie pélagienne ;

trouvons là désignées la première personne, le voici leur doctrine, mettez- vous


en garde
Père, et la seconde, le Fils,commencement ou contre elle. L'Ecriture avait dit « Maudit soit :

principe, selon la dénomination qu'il s'attri- « l'homme qui place son espérance dans

bue à lui-même. Si vous cherchez le Saint- « l'homme ' Que celui qui se
», et ailleurs : «

Esprit, le voici « L'Esprit de Dieu était porté


: « glorifie se glorifie Seigneur* ». Et dans le

« sur les eaux ». C'est après cela que nous li- voici que ces nouveaux hérétiques prétendent

sons « Dieu dit Que la lumière soit Dieu


: : ; que Ton peut, sans avoir à craindre cette ma-
« forma de la terre Dieu créa » ; toutes ces ; lédiction, compter uniquement sur soi-même,
paroles ne prouvent-elles pas que les œuvres et se glorifier en soi-même. Mais pourquoi les

de la Trinité sont inséparablement communes honorer d'une longue réfutation? Le démon,


aux trois personnes ? La suite le prouve encore leur père, n'a-t-il pas fait cette promesse au
plus clairement. premier homme «Non, vous ne mourrez pas,
:

En effet, quand il s'agit de la création de « mais vous serez comme des dieux ?» Et le

l'homme l'Ecriture s'exprime en ces ter-


, premier homme méprisa la défense divine,
mes « Et Dieu dit
: Faisons l'homme à : crut à la parole du serpent, et perdit tous les
« notre image et à notre ressemblance ». Il privilèges qu'il avait reçus. Puisque le premier
ne dit pas : je ferai l'homme à mon image et homme est tombé par son imprudence, que
à ma ressemblance ce qui n'aurait pu s'appli-
; ses descendants prennent garde et réfléchis-
quer qu'à la première personne ;il ne dit pas: sent. Dieu hait ceux qui présument de leurs
propres forces. Si vous voulez savoir ce que
'
Ps. Lxxxv, 10. — ' rr, 2i. — ' Isaïe, lxi, 1. — ' Luc, i, 35.—

Ps. cïxsviii; 7, 8. — ' Jerem. xxm, 24. '
Gen. I.— ^ Philipp. u, 6.— ' Jerem. xvii, 5.— * I Cor. i, 31.
DU CANTIQUE NOUVEAU. 329

peut le libre arbitre quand il n'est pas aidé un autre Evangile, qu'il soit anathème*. Ren-
par la grâce, premier homme. Il se
regardez le dez droits les chemins que vous foulez aux
suffit pour le mal mais pour le bien il a ab-
; pieds, ne vous détournez ni à droite par
solument besoin du secours de la grâce. Le présomption, ni à gauche par désespoir. Cou-
premier homme avait reçu le libre arbitre rez rapidement dans la voie droite c'est elle ;

dans toute sa rectitude originelle et, selon la seule qui vous conduit à la patrie, à cette pa-
parole de l'Ecriture, « Dieu plaça devant lui trie qui a pour concitoyens les anges, pour
« le feu et l'eau : étendez la main vers ce que temple Dieu lui-même pour splendeur le ,

«vous voudrez'». Adam choisit le feu et Fils pour charité le Saint - Esprit
,
cité ;

laissa l'eau. Admirez ici la justice divine. sainte, cité bienheureuse, cité qui ne perd au-
L'homme reçut ce qu'il avait choisi librement; cun de ses amis, et où ne pénètre aucun en-
il avait voulu le mal, le mal devint son par- nemi; où la mort n'est pas connue, parce que
tage. Mais voici qu'à la justice divine vient se la où la maladie
naissance y est ignorée ;

joindre l'infinie miséricorde. Voyant que pour règne que la joie


n'existe pas, parce qu'il n'y
avoir faitun mauvais usage de son libre ar- d'une santé éternelle. Quand nous y serons
bitre, l'homme était condamné avec toute sa réunis, nous ne connaîtrons plus ni la faim ni
race, le Verbe, sans y être obligé ni même la soif nous nous rassasierons de la vision
:

prié, descendit du ciel et par son humilité béatifique. Nous n'y dormirons pas, parce que
guérit l'homme des blessures mortelles que nous n'y travaillerons pas. Nous n'aurons
lui avait faites son orgueil ; ceux qui s'éga- besoin de rien pour réparer nos forces,
raient, il les ramena dans
bonne voie, et les la puisque nous n'y en perdrons aucune. Nous
exilés il les conduisit dans la patrie. Que la vivrons, nous régnerons, nous serons dans la
nature humaine ne se glorifie donc pas en joie. Si le simple bonheur d'en parler nous
elle-même, mais uniquement en Celui qui l'a transporte, que sera-ce d'en goûter la réalité?
créée. Voir Dieu, vivre avec Dieu, vivre de Dieu.
CHAPITRE IX. Notre vie sera de louer Dieu et de l'aimer
sans défaillance aucune. Car, dit le prophète,
RÉFUTATION DES HÉRÉSIES.
« bienheureux, Seigneur, ceux qui habitent
Quant aux autres sectes d'hérétiques qui a dans votre maison il vous loueront dans
;

toutes prêchent Jésus-Christ comme étant la « les siècles des siècles ^ ».


voie véritable, etnéanmoins s'en vont errant nous avons travaillé
Frères bien-aimés, si

bien loin de la voie du ciel je ne veux, pour ;


avec nous avons guidé les voya-
les matelots, si

les confondre toutes, que cette seule parole de geurs, si nous avons signalé avec soin les ca-
Celui qui est la voie véritable « Beaucoup : vernes détournées des voleurs, c'est-à-dire des
« me diront en ce jour Seigneur est-ce : , hérétiques, si déjà des yeux de votre cœur vous
« que nous n'avons pas prophétisé en votre apercevez clairement la patrie céleste;
rendez-
« nom? est-ce qu'en votre nom nous n'avons nous le fruit de notre travail. Rendez-nous-le,
« pas chassé les démons et accompli de nom- frères, rendez-nous-le, nous l'exigeons. La ré-
cebreux prodiges ? Et je leur répondrai Je ne : compense que nous attendons de vous est telle
« vous connais pas retirez-vous de moi :
, que nous n'avons pas à rougir de vous la de-
« vous tous artisans d'iniquité ^ ». Vous avez mander, et que vous ne devez pas hésiter de
commis l'iniquité, puisque vous avez déchiré nous l'accorder. En nous l'accordant, vous
l'unité de mon Eglise. serez vous-mêmes comblés de bienfaits, tandis

CHAPITRE X. qu'en nous la refusant vous auriez à subir des


pertes cruelles. Quelle est donc notre récom-
EXHORTATION AUX CATÉCHUMÈNES.
pense? Nous ne demandons ni votre or, ni votre
\0. Fuyez donc toutes les hérésies, vous argent, ni vos richesses, ni rien de tout ce que
tous qui êtes devenus la semence fidèle de vous possédez. Notre récompense, c'est que
notre mère TEglise catholique, répandue sur vous nous aidiez de vos prières quand vous serez
toute la terre. Si quelqu'un vous annonce descendus dans ces fonts sacrés du baptême.
' Eccli. XV, 17. — » Matt. VU, 22, 23. • Gai. T, 9. — - Ps. Lxxxui, 5.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


,

DE L'UTILITÉ DU JEUNE.

CHAPITRE PREMIER. quand le moment sera venu. Quoi donc ?


Est-ce que ceux qui sur ont faim et
la terre
LE JEUNE EST POUR LES HOMMES ET NON POUR
soif de la justice, n'en retirent ici-bas aucune
LES ANGES.
satisfaction ? Croyons bien
qu'ils en retirent ;

Nous sommes invités à dire un mot de


i. seulement autre chose est la satisfaction pour
l'utilité du jeûne, et cette incitation nous est ceux qui voyagent vers la patrie autre chose ;

faite d'abord par Dieu, et ensuite par la saison est la satisfaction pour les bienheureux qui la
dans laquelle nous nous trouvons. possèdent. Ecoutez l'Apôtre dévoré de cette
Cette observance, cette vertu de l'âme, cette faim et de cette soif de la justice, autant qu'on
privation imposée à la chair, ce bénéfice conquis peut en être dévoré sur la terre. Qui d'entre
par l'esprit, les anges n'ont pas à s'en acquitter nous oserait, non-seulement se préférer, mais
envers Dieu. Pour eux tout est abondance et même se comparer à cet Apôtre? Et que dit-il?
éternelle sécurité pour eux il ne saurait y
;
« Ce n'est pas que j'aie déjà reçu ce que

avoir de privation, parce qu'en eux tout est « je désire, ou que je sois déjà parfait ».

alTection ])our Dieu. Au ciel est le pain des Remarquez celui qui parle : c'est un vase d'é-
anges, et c'est pour donner à l'homme le lection, eten quelque sorte la dernière des
moyen de manger ce pain des anges, que franges du vêtement du Seigneur, mais pou-
Dieu s'est fait homme. Ici-bas toutes les vant encore guérir l'émorrhoïsse qui viendra
âmes portant une chair terrestre demandent la toucher avec foi; et cependant à ses yeux il
à la terre la nourriture de leurs corps ; au n'est que ledernier et le plus petit des Apôtres:
ciel les esprits célestes chargés de présider au « Je suis, dit-il , le moindre des Apôtres et
gouvernement des corps trouvent en Dieu « même je
ne suis pas digne d'être appelé
leur éternel aliment. Telle est la nourriture « Apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de

du ciel, telle n'est point celle de la terre; a Dieu. Mais c'est par la grâce de Dieu que je

celle-ci ne réconforte qu'en s'épuisant « suis ce que je suis, et sa grâce n'a point été

elle diminue à mesure qu'on la prend ;


a stérile en moi, car j'ai travaillé plus que tous

celle-là rassasie pleinement et demeure « les autres non pas moi toutefois, mais la
,

dans toute son intégrité. N'est-ce point de « grâce de Dieu avec moi ». A ce langage ne ^

cette nourriture surabondante que Jésus- vous semble-t-il pas entendre un homme
Christ a dit : « Bienheureux ceux qui ont rassasié et parfait? Maintenant écoutez les ac-
c faim et soif de la justice, parce qu'ils seront cents de la faim qui le presse « Ce n'est pas :

c( rassasiés ^ ?» Avoir faim et soif de la justice, « que j'aie déjà reçu ce que j'espère, ou que je

telle est la hommes pendant


condition des « sois déjà parfait, mais je poursuis ma course
cette vie mortelle;dans l'autre vie au con- « pour tâcher d'atteindre où Jésus-Christ
traire nous en serons pleinement rassasiés. « m'appelle. Non, mes frères, je ne pense pas

Tel est le pain, tel est le breuvage dont les « y être encore arrivé mais tout ce que je ;

anges jouissent en abondance quant aux ;


« fais maintenant, c'est qu'oubliant ce qui est
hommes, lorsqu'ils ont faim de la justice ils « derrière moi, et m'avançant vers ce qui est
ju-ennent de l'extension ; en prenant de l'ex- « devant moi, je cours incessamment vers le
tension ils se dilatent ; en se dilatant ils « bout de la carrière pour remporter la palme
deviennent capables de recevoir et, deve- ; « de la céleste vocation de Dieu en Jésus-
nus capables de recevoir, ils seront rassasiés ce Christ ^ ». L'Apôtre affirme qu'il n'est point
' Malt. V, 6. '
I Cor. iV, 8, 10. — = Philipp. 111, 12, 14.
DE L'LITILITE DU JEUNE. 331

encore parfait, qu'il n'a pas encore reçu, qu'il mourir. Si l'Apôtre eût été du nombre de ces
n'a pas encore saisi ce qu'il espère il ajoute ;
hommes, aurait-il pu dire « Je tends vers la :

qu'il se dilate et qu'il tend avec force vers la «palme de la céleste vocation ? »
palme de la céleste vocation. Il est encore dans Le jeûne doit donc entrer dans la direction à
l'exil, il a faim, il désire être rassasié; il s'ef- imprimer à notre vie. Les anges, je l'ai dit, sont
force, il brûle de parvenir; ce qu'il voudrait par nature étrangers à cette obligation les ;

voir arriver sans retard, ce serait de se dis- hommes qui se font les esclaves de leur chair
soudre et de se réunir à Jésus-Christ K ne s'en occupent pas davantage il en est au- ;

trement pour nous, qui vivons en dehors de


CHAPITRE II.
tout contactavec les infidèles et qui aspirons ar-
demment à nous réunir aux anges. Cette union
LE JEUNE NOUS PLACE ENTRE LES HOMMES
n'existe pas encore, mais nous y tendons nous ;
CHARNELS ET LES ANGES.
ne partageons pas encore leur joie, mais nous
2. Il y a donc, mes frères, une nourriture l'appelons de nos désirs. Mais enfin, à quoi nous
terrestre qui relève la faiblesse de la chair, et sert-il donc de nous abstenir un peu de la

une nourriture céleste qui satisfait à la piété nourriture et des joies de la chair? La chair
de l'esprit; du reste chacune de ces deux tend vers la terre ; l'esprit tend à s'élever, il

nourritures a sa vie propre : la vie de la pre- est entraîné par l'amour mais retardé par le

mière c'est la vie des hommes ; la vie de la se- poids du corps. De là cette parole de l'Ecri-
conde c'est la vie des anges. Mais il est entre ture : Le corps qui se corrompt appesantit
«

les hommes charnels et les anges une sorte « l'âme, et cette enveloppe terrestre que nous
d'intermédiaire oii se trouvent les hommes « habitons incline vers la terre l'intelligence
fidèles, déjà séparés de cœur de la foule des « et le flot donc la chair
de ses pensées '
». Si

infidèles, tendant vers Dieu, prêtant l'oreille à devient un poids pour l'âme par cela même
cette parole :Le cœur en haut, portant en eux- qu'elle tend vers la terre, si elle est un far-

mêmes une autre espérance, et sachant qu'ils deau qui ralentit le vol de l'esprit vers les
ne sont en ce monde que pour y accomplir un sphères supérieures, plus un homme trouve
pèlerinage. On ne saurait assurément leur ses délices dans la vie supérieure, plus il tra-
comparer tous ces hommes pour qui il n'y a vaille à se débarrasser du fardeau terrestre
d'autre bien que de jouir de toutes les délices qui l'accable. Voilà ce que nous faisons quand
terrestres mais on ne peut pas non plus les
;
nous nous livrons au jeûne.
assimiler à ces esprits bienheureux du ciel
qui ne trouvent de délices que dans le pain
CHAPITRE III.

qui les a créés. Ces hommes courbés vers la LE JEUNE NÉCESSAIRE POUR DOMPTER LA CHAIR.
terre, demandant à la chair toutes les salis-
factions et toutes les joies, ne sauraient être 3. Gardez-vous donc de ne voir dans le

com|)arés qu'aux animaux et laissent entre jeûne qu'une pratique vaine et superflue. Que
eux et les anges une distance presque infinie celui qui par respect pour l'usage de l'Eglise
par leur condition et par leurs mœurs ;
par s'y soumet encore, se garde bien de penser, de

leur condition puisqu'ils sont mortels; par se dire à lui-même ou d'écouter dans son âme
leurs mœurs puisqu'ils s'abandonnent à toute la voix séductrice qui lui crie : que faites-vous,
la dégradation des sens. Or, entre ce peuple pourquoi jeûnez-vous? Vous privez votre
du ciel et ce peuple de la terre, l'Apôtre tenait âme, vous ne lui donnez pas ce qui lui plaît ;

pour ainsi parler le milieu; de plus en plus il vous vous faites donc souffrir vous-même,
tendait vers le ciel ; de plus en plus il se dé- vous êtes à vous-même votre persécuteur,
tachait de la terre. Pourtant il n'était point votre propre bourreau. Dieu prend-il donc
encore du ciel, car il avouait qu'il n'était pas Sun plaisir à vous voir souffrir? N'est-il pas
encore parfait ; il n'était pas non plus du nom- cruel celui qui se délecte de vos souffrances ?
bre de ces hommes paresseux, engourdis, Répondez à ce tentateur je me punis moi- :

énervés, endormis, croyant qu'il n'y a rien même afin que Dieu me pardonne, afin qu'il
autre chose que ce qu'ils voient, que ce qui vienne à mon secours, que je plaise à ses yeux
passe ;
que tout pour eux consiste à naître et a et que je me délecte de sa suavité. N'imniole-
' Philipp. I, 23. » Sag. IX, 15.
332 DE L'UTILITÉ DU JEUNE.

t-on pas la victime avant de la placer sur ges que je viens de citer nous dépeint la lutte
l'autel? Je ne veux pas que ma chair exerce qui existe entre deux ennemis, la chair et
d'empire sur mon esprit. Vous adressant tou- l'esprit, car « la chair convoite contre l'esprit

jours à ce mauvais conseiller, à cet esclave de « et l'esprit contrôla chair». Le second est

l'estomac, répondez-lui par cette comparai- pour nous comme l'image de l'union conju-
son Si vous montiez une bête de somme, un
: gale Nul ne hait sa propre chair, mais il
:

cheval qui vous inspirerait la crainte fondée « la nourrit et l'entretient, comme Jésus-Christ
d'une chute malheureuse pour vous donner ;
« le fait à l'égard de son Eglise ». Comment
plus de garantie et de tranquillité ne sauriez- concilier ces deux maximes? Si elles sont con-
vous pas lui retrancher la nourriture et domp- tradictoires l'une à l'autre, laquelle prendre,
ter par la faim celui que vous n'auriez pu laquelle rejeter?Mais il n'y a entre elles aucune
dompter par le frein? Mon corps est ma bête contradiction. Que votre charité ne l'oublie
de somme je voyage vers la Jérusalem céleste
;
pas : je les accepte toutes les deux, et j'espère
et souvent cette monture m'entraîne et cherche vous prouver qu'on peut fort bien les concilier.
à me faire sortir de ma voie qui est Jésus-Christ; Vous, au contraire, qui faites de la chair
ne dois-je donc pas recourir à la faim pour et de l'esprit l'œuvre de deux principes op-
dompter ses emportements? Celui qui goûte posés, quel sens donnez-vous à ces paroles :

celte vérité éprouve par sa propre expérience « Nul ne hait sa propre chair, mais il la nour-
combien le jeûne est utile. Cette chair, au- « rit et l'entretient, comme Jésus-Christ le fait

jourd'hui domptée, le sera-t-elle toujours? « pour son Eglise ? » Vous n'êtes point effrayé
Pendant qu'elle sera dans cette vie tempo- de cette comparaison « Il la nourrit et l'en- :

relle, tant qu'elle subit la triste condition de « tretient, comme Jésus-Christ le fait pour son

notre mortalité, elle ressent ces commotions « Eglise». Vous regardez la chair comme une

aussi évidentes en elles-mêmes que dange- véritable chaîne et qui donc aime ses chaînes?
:

reuses pour notre esprit. Ici-bas notre chair Vous regardez la chair comme une prison, et
est toujours corruptible, car elle n'est point qui donc aime sa prison? « Nul ne hait sa
encore ressuscitée elle ressuscitera un jour,
; « propre chair». Qui ne hait ses liens, qui ne

mais en attendant, ses habitudes ne sont rien hait son châtiment? Et cependant: « Nul ne
moins que célestes et nous-mêmes nous som- « hait sa propre chair, mais il la nourrit et

mes encore loin d'égaler les anges. a l'entretient, comme Jésus-Christ le fait pour
« son Eglise ». Puisque vous donnez à lachair
CHAPITRE IV.
et à l'esprit deux principes opposés, vous les

ERREUR DES MAISICHÉENS SUR LA LUTTE donnez donc également à l'Eglise et à Jésus-
DE LA CHAIR ET DE l'eSPRIT. Christ; une telle doctrine n'est-elle pas la plus
grande absurdité? Ainsi donc chacun aime sa
4. Témoins attristés de la guerre entre la propre chair, et cette parole de l'Apôtre est
chair et l'esprit, gardez-vous d'en conclure confirmée par notre expérience individuelle.
que le créateur de l'une ne soit pas également Quelle que soit l'énergie que vous déployez à
le créateur de l'autre. Cette erreur en a séduit la dompter, quelle que soit la sévérité dont
plusieurs qui se laissant entraîner par la chair vous vous enflammez contre elle, cela vous
elle-même se sont honteusement égarés et ont empêche-t-il de fermer votre œil quand vous
supposé l'existence de deux principes créa- sentez que quelque coup va le frapper ?
teurs, l'un pour la chair et l'autre pour l'es- 5. 11 y a donc entre la chair et l'esprit une

prit. Ils ne craignent pas même d'invoquer en sorte de mariage. Mais alors pourquoi « la
leur faveur ce passage de saint Paul « La : « chair convoite-t-elle contre l'esprit, et l'es-

«chair convoite contre l'esprit, et l'esprit « prit contre la chair?» D'où vient ce châti-
a contre la chair ». Ce principe est hors de
^ ment, irrévocablement transmis par une gé-
doute, mais pourquoi donc fermez-vous les nération de mort? Pourquoi cette parole :

yeux sur ces autres paroles « Nul ne hait sa : « Tous meurent en Adam ?» Pourquoi ce mot '

« propre chair, mais il la nourrit et l'entre- de l'Apôtre «Autrefois nous aussi, comme
:

« tient, comme Jésus-Christ le fait à l'égard de « tous les autres, nous avons été par nature

« son Eglise ^ ? » Le premier de ces deux passa- « enfants de colère^?» Celui dont nous tenons

' Gai. V, 17. — = Ephes. v, 29. '


I Cor. XV, 22, — Ephes. it, 3.
DE L'UTILITÉ DU JEUNE. 333

notre origine a mérité la mort pour châtiment, viteur l'expiation de la désobéissance dont vous
et nous recevons de lui un véritable ennemi vous êtes rendu coupable à l'égard du Seigneur.
à dompter; voilà pourquoi nous convoitons
contre la chair afin de nous soumettre cette CHAPITRE V.
chair domptée, et de la réduire à une com- ON DOIT QUELQDEFOIS REFUSER A LA CHAIR
plète obéissance. Peut-on dire que nous la
DES PLAISIRS MÊME PERMIS.
haïssons, parce que nous voulons qu'elle nous
obéisse? Combien de maris, dans leur propre 6. Si vous me demandez quelle conclusion

famille, sont contraints d'user d'une certaine vous devez tirer, je vous réponds sans hésiter
rigueur à l'égard de leurs femmes, de les sub- qu'il vous faut refuser à la délectation de la
juguer pour ainsi dire malgré leurs résistances, chair tout ce qui est illicite, et quelquefois
sans qu'ils les regardent pour cela comme même ce qui en soi pourrait être permis. Ne
leurs ennemies? Vous domptez votre enfant rien lui refuser de tout ce qui est permis c'est
pour le réduire à l'obéissance est-ce que néan-
;
être bien près de lui accorder ce qui est défendu.
moins vous le regardez comme un ennemi? Le mariage est permis et l'adultère est illicite;
Vous aimez votre serviteur et pourtant vous
; et cependant, malgré la licite du devoir con-
le châtiez, et en le châtiant vous le rendez jugal on voit des époux tempérants se refuser
obéissant. Sur ce point encore l'Apôtre vous parfois ce qui leur est permis, afin d'éloigner
adresse une parole d'une parfaite évidence : de plus en plus tout danger de s'abandonner
« Pour moi je cours et je ne cours pas au ha- à l'adultère. Il est très-permis d'étancher sa
« sard je combats et je ne donne pas des coups
;
soif, mais
défendu de s'enivrer; eb bien
il est I

« en l'air. Mais je châtie mon corps et le réduis Ton voit des hommes, pour se soustraire plus
« en servitude, de peur qu'ayant prêché aux sûrement aux hontes de l'ivresse, se refuser
« autres, je ne sois réprouvé moi-même » En '
. même le plaisir que l'on trouve à étancher sa
vertu de sa condition mortelle la chair apporte soif. Faisons de même, mes
frères, armons-
donc avec elle certains appétits terrestres; nous d'une tempérance continuelle, et ce que
c'est contre ces appétits que vous êtes armé nous faisons, sachons pourquoi nous le fai-
d'un frein redoutable. Que votre supérieur sons. C'est en nous refusant les joies de la
domine en vous, afin que la partie inférieure chair que nous acquerrons celles de l'esprit.
vous reste soumise. Ce qui vous est inférieur 7. Le but principal de nos jeûnes, c'est le
c'est votre chair, votre supérieur c'est Dieu ;
voyage que nous avons à parcourir; voyons
sivous voulez (jue votre chair vous soit soumise, donc quel est ce voyage et le terme auquel
restez vous-même soumis à Dieu. Vous n'ou- nous aspirons. Les païens jeûnent quelquefois,
bliez pas ce qui est au-dessous de vous, faites et cependant ils ne connaissent pas le but que
de même pour ce qui est au-dessus. Vous nous poursuivons les Juifs jeûnent quelque-
;

n'avez d'autorité sur vos inférieurs que celle fois, etcependant ils se sont détournés de la
que vous avez reçue de votre supérieur. Vous voie que nous suivons. Ils ont fait ce que ferait
êtes un serviteur et vous avez un serviteur; le un cavalier qui, tout égaré qu'il serait de la
Seigneur en a donc deux en vous. Votre servi- bonne voie, ne laisserait pas de dompter en-
teur est plus à Dieu qu'il n'est à vous-même. core son coursier. Les hérétiques jeûnent; je
Vous voulez être obéi par votre chair; peut- vois bien ce qu'ils sont, mais je demande où
elle donc vous obéir en tout? LUe obéit en tout ils A qui donc cherchez-vous à plaire en
vont.
au Seigneur, mais à vous-même elle n'obéit jeûnant? A Dieu ré[)ondent-ils. Pensez-vous
,

pas en tout. Et comment donc, me direz-vous? qu'il agrée votre


offrande? Ecoutez plutôt
Vous marchez, vous remuez les pieds, elle ces paroles «Laissez votre présent, allez et
:

vous suit; mais ira-t-elle toujours comme vous « réconciliez-vous avec votre frère ^ » Pouvez- .

voudrez? Elle est animée par vous, est-ce aussi vous dompter légitimement vos membres,
longtemps que vous voulez? Est-ce que vous vous qui déchirez les membres de Jésus-Christ?
soutirez quand vous voulez? Est-ce que vous « On entend votre voix au milieu des cris vous ;

êtes en bonne santé quand vous voulez? Votre « stimulezceux qui sont sous votre joug, et vous
Maître se sert souvent de votre serviteur pour « les frappez à coups de poing. Ce n'est point là
vous éprouver, afin de vous procurer par ce ser- c( le jeûne qui me plaît, dit le Seigneur ^ » Votre .

' 1 Cor. IX, 26, 27. '


Matt. V, 24. — ' Isaïe, LViu, -1-5.
334 DE L'UTILITÉ DU JEUNE.
jeûne serait donc désapprouvé , si vous vous l'art. Pourquoi donc ne cherchez-vous pas pour
montriez d'une sévérité démesurée à l'égard vous-même une bonne guérison qui puisse
de votre serviteur; sera-t-il approuvé quand vous réintégrer dans l'unité des membres de
vous répudiez votre propre frère? Jésus-Christ, et qu'ainsi son corps et le vôtre
Je ne demande pas de quelle nourriture vous jouissent d'une parfaite ressemblance? Parmi
devez vous abstenir, mais quelle nourriture vos membres, les cheveux tiennent assuré-
vous devez aimer. Dites-moi quelle nourriture ment le dernier rang; quoi de plus vil, quoi
vous aimez, afin que je puisse approuver que de plus méprisable, quoi de plus abject? Et
vous vous en priviez. Aimez-vous la justice? cependant si ces cheveux étaient mal coupés,
Peut-être, dites-vous. Alors que votre justice vous vous irriteriez contre votre coiffeur,
s'affirme par des œuvres. Puisque votre infé- parce qu'il n'aurait pas gardé l'égalité dans
rieur vous obéit, je trouve qu'il serait juste votre chevelure; et vous ne conservez pas
que vous obéissiez à votre maître. En effet l'unité dans lesmembres de Jésus-Christ? Que
nous parlions de la chair qui est inférieure à sont donc et à quoi peuvent servir vos jeûnes?
l'esprit et que nous devons dompter et modérer Vous regardez comme indigne de Dieu qu'il
pour la rendre soumise. Vous la traitez dans soit servidans l'unité par tous ceux qui croient
ce but, et vous lui refusez la nourriture, parce en lui, et cette unité vous la voulez dans vos
que vous aimez qu'elle vous obéisse; ne mé- membres, dans votre corps et jusque dans vos
connaissez donc i)as votre maître, votre supé- cheveux. Vos entrailles, vos membres rendent
rieur, si vous voulez que votre inférieur ait contre vous un témoignage véridique, et vous
pour vous la soumission qu'il vous doit. en rendez un faux contre les membres de
Jésus-Christ.
CHAPITRE VI.
9. Vous répudiez le jeûne des païens, du

l'harmonie des membres du corps invite les moins vous le pensez et cela suffit pour vous
HÉIIÉTIQUES A RENTRER DANS l'UNITÉ. faire goûter une sécurité parfaite. Je jeûne ,

dites-vous, pour Jésus-Christ, tandis que les


Eh quoi I votre chair vous obéit, et vous n'o- païens jeûnent pour les idoles et pour les dé-
béissez pas à votre Dieu ? Une telle obéissance mons. Je vous crois sur parole et j'avouequ'en
de sa part u'est-elle pas votre condamnation clfet votre jeûne est différent du leur. Mais tout
manifeste? ne rend-elle pas contre vous le à l'heure en vous parlant de vos membres je
témoignage le plus écrasant? disais qu'ils rendent témoignage contre vous,
8. A quel supérieur doisje donc obéir? ré- et qu'il vous enseignent les relations d'unité
pond-il? Vous vous flattiez d'aimer la justice, que vous deviez avoir avec les membres de
écoutez donc celte parole de Jésus-Christ
«Je : Jésus-Christ; puisque nous parlons des païens,
« vous donne un commandement nouveau : dont jeûne n'a rien qui le rapproche du
le
«aimez-vous les uns les autres*». Ecoutez vôtre, jeveux qu'à leur manière ils vous rap-
notre Maître nous ordonnant à tous de nous pellent de quelle unité devrait briller le corps
aimer réciproquement. Nous sommes tous les de Jésus-Christ.
membres du môme corps dont le Sauveur veut
être seul la tète et voici que vous vous séparez
CHAPITRE Vn.
;

desmembresdeJésus-Christ; vous n'aimez donc UNITÉ DES païens DANS LE CULTE DES IDOLES.
pas l'unité. Ne seriez-vous pas etfrayé de trou-
ver dans vos membres une telle séparation ? Adorateurs d'une multitude de faux dieux,
Si votre doigt se trouvait tordu, ne vous em- lespaïens restent entre eux parfaitement unis ;
presseriez-vous pas de courir au médecin pour nous, chrétiens, nous ne connaissons que le
le redresser? Votre corps jouit d'une santé seul Dieu véritable, et sous un seul Dieu nous
florissante, quand une harmonie parfaite règne ne conservons pas l'unité. Pour eux de nom-
entre tous vos membres; et vous-même alors breuses et fausses divinités ;
pour nous un
vous êtes parfaitement sain, vous jouissez de seul Dieu véritable; sous ces nombreuses et
Au contraire, dès que l'un de
toutes vos forces. fausses divinitésles païens pratiquentl'unité de
vos membres se met en désaccord avec les culte, et de cruelles divisions régnent parmi
autres, vous invoquez aussitôt les secours de les adorateurs du vrai Dieu Et vous ne souf-
!

' Jean, Xiil, 34. frez pas, vous ne gémissez pas, vous ne rou-
DE L'UTILITÉ DU JEUNE. 335

gissez pas Ce n'est pas tout encore; nou-seu-


! qué d'adorateurs, ou ont-elles manqué à leurs
lement les païens adorent de nombreuses et adorateurs Toujours est-il que ces adorateurs
?

fausses divinités, mais ces divinités sont entre se sont retirés en grand nombre, et se retirent

elles ouvertement hostiles et ennemies. Sans les encore et renversent dans leurs cœurs les
énumérer toutes, nommons-en quelques-unes. temples des idoles. C'est \k pour nous un mo-
Hercule et Junon furent ennemis car ils tif de grande joie, car ces païens se rangent

ne furent que des hommes l'un était le ;


sous l'unité et non pas sous le schisme. Que
gendre, l'autre la belle-mère et cependant les : le païen ne trouve donc parmi nous aucune
païens leur ont construit des temples à l'un et occasion de repousser le christianisme. Soyons

à l'autre. Ils adorent Hercule, ils adorent Ju- unis, mes nous qui adorons un seul
frères,
non ; ils s'adressent à l'un, ils s'adressent à Dieu, et que notre union réciproque soit pour
l'autre ; sous des dieux ennemis, ils observent les païens une puissante exhortation à renon-

l'unité de culte. Vulcain et Mars sont deux en- cer au culte des faux dieux et à venir se ran-
nemis le droit était pour Vulcain, mais cher-
;
ger dans la paix et l'unité sous la bannière du
che/ un juge qui ose prononcer entre eux. Il seul Dieu véritable. S'ils se raidissent dans
se plaint amèrement de l'adultère de safemme; leur mépris, s'ils nous calomnient en nous
et cependant il n'ose défendre à ses adorateurs accusant, nous chrétiens, de ne pas posséder
d'aller sacrifier dans les temples de Mars. Tous l'unité, et s'ils trouvent là un prétexte de re-

deuxsontadoréssimultanément: et si les païens tarder leur conversion, je leur adresserai moi-


imitaient leurs dieux, la guerre dans leurs même la parole, et je vous apprendrai à vous-
rangs serait éternelle. Du temple de Mars ils mêmes ce que vous devez leur dire.
se rendent au temple de Vulcain quelle hor- ;
Qu'ils se gardent bien de se prévaloir contre
reur et cependant ils ne craignent pas de
! nous de leur prétendue concorde, qu'ils cessent
s'attirer la colère du mari malheureux en , de se complaire dans leur unité. Ils n'ont rien
sortant du temple de Mars adultère. Ils ont un à craindre de l'ennemi qui nous harcèle ils ;

cœur et ils savent que la pierre est privée de sont ses esclaves et nous sommes ses adver-
sentiment. Voilà donc des adorateurs de divi- saires. Il voit ces adorateurs des faux dieux ;

nités nombreuses, fausses, différentes, enne- il voit ces esclaves, esclaves des démons, qu'il
mies, et cependant ils conservent entre eux une a tout intérêt à conserver dans le repos, sans
certaine unité. Ai-je tort dédire que vous êtes soulever parmi eux ni lutte ni combat au sujet
condamné par le témoignage même de ces de leur culte. Et c'est à la faveur de cet accord
païens, dont les jeûnes vous paraissent indignes apparent qu'il reste maître de ces victimes de
d'être assimilés aux vôtres ? Frère, rentrez l'erreur etdu mensonge. Mais, voici qu'il est
donc dans l'unité. Nous adorons un seul Dieu ;
peu peu abandonné beaucoup d'idolâtres
à ;

nous ne voyons nulle part que le Père et le Fils accourent au vrai Dieu, renoncent aux céré-
se soient fait la guerre. D'un autre côté, que les monies sacrilèges du démon, renversent ses
païens ne s'irritent pas du langage que j'ai tenu temples, brisent ses idoles et interdisent ses
sur leurs divinités. Ce n'est pas contre mes sacrifices ; il a vu ses esclaves lui échapper, il

paroles, mais plutôt contre leurs propres écrits les a vus désertant sa famille, et s'initiantàla
qu'ils ont le droit de s'irriter. S'ils le peuvent, connaissance du vrai Dieu. Que faire ? quelles
et surtout s'ils le veulent, qu'ils lacèrent ces embûches dresser ? Il sait quil ne peut rien
écrits, et que les grammairiens n'aient plus à contre nous quand nous sommes unis, qu'il
jeter un voile sur de tels enseignements. Voici ne peut diviser pour nous le Dieu unique et
que ce langage irrite contre moi celui qui véritable, que nous avons horreur des faux
verse de largessommes pour mitier son fils à dieux. Il comprend que pour nous la charité
de semblables doctrines. c'est la vie, et que la dissension c'est la mort
;

aussi, parce qu'il ne peut fabriquer pour les


CHAPITRE VIII.
chrétiens de nombreuses divinités, il sème la
LA CHARITÉ C'EST LA VIE LA DISSENSION c'eST LA
;
division entre eux, il multiplie les sectes, il

MORT. répand l'erreur et fonde les hérésies. Ce qu'il


obtient, il ne l'obtient que de ceux qui forment
10. Telles sont donc, ou plutôt telles furent les la paille dans l'aire du père de famille. Et c'est
divinités païennes. Ces divinités ont-elles man- là ce qui fait notre sécurité malgré sa haine,
336 DE L'UTILITÉ DU JEUNE.

malgré ses embûches, malgré ces nombreuses son prophète le Seigneur nous annonce qu'il
dissensions qu'il sème parmi les chrétiens. Si enverra d'abord des pêcheurs, et ensuite des
nous connaissons notre Dieu, si nous conser- chasseurs K Des pêcheurs ont été envoyés,
vons l'unité, si nous nous attachons à la foi, maintenant ce sont des chasseurs qu'il envoie.
nous n'avons rien à craindre. Mes frères, ou Pourquoi des pêcheurs? pourquoi des chas-
bien le froment ne sort pas de Taire, ou il y seurs? Les esclaves de l'idolâtrie superstitieuse
rentre si le vent de la tentation emporte quel-
; ont été arrachés de l'abîme et des profondeurs
ques pailles, c'est pour nous une épreuve, mais de la mer dans les fllets de la foi. Mais les
ce n'est point une cause de ruine. Quelle quan- chasseurs pourquoi furent-ils envoyés? Pour
tité de paille reste encore dans l'aire, en atten- atteindre ces hérétiques qui erraient à travers
dant le triage suprême, après lequel cette paille les montagnes et les collines, c'est-à-dire dans
sera précipitée dans les flammes Pendant I les sentiers tortueux de l'orgueil. Une monta-
qu'il en est temps encore, faisons tous nos gne, c'est Donat une autre, c'est Arius; une
;

efforts, déployons tout le zèle possible, pour autre, Pliotin ; une autre, Novatus; telles sont
faire rentrer la paille, mais sans compromettre les montagnes à travers lesquelles erraient les
le bon grain. C'est à cette œuvre qu'on recon- hérétiques; leurs erreurs réclamaient la ré-
naîtra notre charité, c'est là l'œuvre la plus pression des chasseurs. Or c'est le but de
belle que l'on puisse proposer à notre vie. Si la mission aux pêcheurs et aux
conférée
personne n'avait de danger à courir, nous chasseurs ne viennent donc plus nous
;
qu'ils

ne saurions pas nous-mêmes combien nous dire pourquoi les apôtres n'onl-ils impor-
:

aimons nos frères si l'abîme de perdition


;
tuné, n'ont-ils contraint personne? Parce que
ne renfermait rien, on ne verrait pas l'amour le pêcheur lance son filet dans la mer et en

qui inspire nos recherches et nos investiga- retire ce qui se présente. Quant au chasseur, il

tions. parcourt les forêts, scrute tous les buissons et


ne précipite le gibier dans les rets qu'en jetant
CHAPITRE IX. partout la terreur et l'épouvante. Qu'il n'aille
point de ce côté, qu'il n'aille point de cet
RIEN n'est a négliger POUR RAMENER LES
autre pour cela venez ici, frappez là, jetez
HÉRÉTIQUES A l'UNITÉ. ;

l'alarme plus loin; qu'il ne s'échappe pas, qu'il


11. Travaillons sans relâche, au prix de ne prenne pas la fuite. Mais nos tilets, c'est
toutes nos fatigues et de toutes nos sueurs, et notre vie gardons seulement la charité. Ne
;

sous le souffle puissant de l'amour de Dieu, à craignez pas de lui paraître importun, prou-
bannir d'entre nous toute dissension nouvelle, vez-lui seulement que vous l'aimez. Quel

et mettons un terme au schisme qui les a sé- amour, dites-moi, si vous l'épargnez et qu'il
parés de nous. Avant tout, conservons iné- meure?
branlable la charité qui nous unit. Ils se sont CHAPITRE X.
glacés dans leurs iniquités ; comment pourriez-
ZÈLE PERSÉVÉRANT POUR LA CONVERSION
vous dissoudre cette glace d'iniquité, si vous DES HÉRÉTIQUES OBSTINÉS.
n'êtes pas embrasé du feu de la charité? Ne
craignons pas de leur paraître importuns par 12. Mes frères, laissez-moi vous proposer
nos instances rassurons-nous en voyant l'a-
;
une nouvelle comparaison, car on peut en
bîme auquel nous voulons les arracher, car faire plusieurs sur la même matière. Tout

c'est l'abîme de la mort éternelle. Cicatrisons homme apporte en naissant le désir et le be-
modestement, mais par tous les moyens pos- soin d'avoir pour successeurs ses propres en-
sibles, les plaies anciennes, et ne craignons pas que chacun désire etespère
fants; tel est l'ordre
que le malade succombe entre les mains du pour sa propre famille quand les pères dis-
;

médecin. Nous inquiéterons-nous de voir pleu- paraissent, les enfants doivent prendre leur
rer un enfant que l'on conduit à l'école? ou place. Or, je suppose que tel père déjà très-
de voir un malade repousser la main du mé- avancé en âge est tombé malade il a un fils ;

decin qui l'opère ? Les apôtres étaient pêcheurs auquel il destine son héritage, qu'il appelle à
et le Sauveur leur dit « Je ferai de vous des
: lui succéder et qu'il a engendré pour en faire

« pêcheurs d'hommes ». Or par la bouche de


'
son remplaçant quand la mort viendra le frap-
'
Matt. IX, 19. » JereiD. xvi, 16.
Dt LL'TILITE DU JEUNE. 337

per. Ce père est malade, déjà même sur le malgré lui? etje ne secouerais pas le sommeil
point de mourir, sans aucune espérance, et de son ancienne erreur, pour lui procurer la
n'ayant plus qu'à subir la triste condition de joie de goûter avec moi Ics douceursde lunité?
notre nature. Ce donnant un libre
fils est là, Je l'éveillerai certainement ;
je l'éveillerai, si

cours aux élans de sa piété filiale. Ue médecin je veille; et si je ne l'éveille pas. c'est que je
arrive, trouve le malade enseveli dans un suis moi-même prûiondément endormi.
sommeil nuisible et mortel, et se sent porté à
CHAPITRE XI.
laisser le vieillard exposé à mourir dans cet
état, puisqu'on toute hypothèse il ne peut plus
COTRE LES HÉRÉTIQCES QUI DÉCHIREM l'ÉGLISE.

avoir que quelques jours à Tivre. Le fils est 13. Le Seigneur, parlant à la foule, fut inter-

en proie aux plus vives alarmes sur le sort de rompu par un de ses auditeurs qui lui dit :

son père; il entend dire au médecin Cet : a Seigneur, dites à mon frère de partager avec
homme est tombé en léthargie et peut y mou- a moi son héritage». Le Sauveur lui répon-
rir, si le sommeil se prolonge ; si vous voulez dit : o homme, dites-moi donc par qui j'ai

qu'il vive encore, ne le laissez point dormir; vous votre hé-


été chargé de partager entre
car, quelque doux que soit pour lui ce somr eil, « ritage ? » Jésus-Christ ne rougissait pas de
'

toujours est-il qu'il est des plus dangereux. réprimer la cupidité, mais il refusait de s'in-
Ainsi prévenu par le médecin, le fils est là terposer comme juge dans un partage. Pour
plein d'anxiété ; sans se préoccuper de contra- nous, mes frères, nous ne l'invoquons pas
rier son père, il le frappe ; si le coup reste comme juge dans de semblables matières, car
sans effet, il le pince; et si c'est inutilement, il notre héritage n'est point de ce monde. Inter-
se décide à le piquer. 11 est certain qu'il con- pellons notre Sauveur, avec un front pur et
trarie son père ; et il serait impie s'il ne le une conscience que chacun de nous
droite, et
contrariait pas. Le père, qui se réjouit de mou- lui dise Seigneur, dites à mon frère, non pas
:

rir, lance sur son un regard de tristesse et


fils de partager, mais de posséder avec moi l'héri-
le reprend en ces termes: Xe trouble pas mon tage. Frère, que voukz-vous donc diviser? Ce
repos; pourquoi me tourmenter ainsi? Mais le que le Seigneur nous a laissé ne saurait être
médecin a déclaré que si vous continuez à partagé. Est-ce de l'or qu'il nous a laissé, de
dormir vous mourrez. Laisse-moi, je veux — manière à nous fournir encore la balance pour
mourir. Le vieillard s'écrie Je veux mourir :
; le partager? Est-ce de l'argent, sont-cedes ri-
impie s'il ne disait point Je ne
et le fils serait : chesses, des esclaves, des troupeaux, des ar-
veux pas. Pourtant il ne s'agit ici que de la vie bres, des champs? Tout cela peut être divisé,
temporelle qui ne saurait durer toujours ni mais voici quelque chose qui ne peut pas
pour ce père, qui se sent contrarié par les ef- l'être « Je vous donne ma paix, je vous laisse
:

forts que fait son fils afin de l'arracher à son a ma paix - ».


sommeil, ni pour ce fils lui-même, appelé à D'un autre côté , plus il y a de copar-
succéder à son père et à le remplacer. Pour tageants dans un héritage temporel , plus
l'un comme pour l'autre cette vie n'est qu'un la part de chacun devient petite supposez :

passage, ou plutôt un vol rapide, et cependant deux enfants dans une famille, tout ce que
ils seraient impies, s'ils ne pourvoyaient pas à
possède le père appartient au même titre à
cette vie temporelle, même au prix de contra- l'un et à l'autre. Demandez, à l'un ou à lautre,
riétés et de souffrances réciproques. à qui, par exem pie, appartient ce cheval ? C'est
Maintenant j'aperçois l'un de mes frères en- à nous, devra répondre l'un ou l'autre des
seveli dans le sommeil d'une mauvaise habi- deux frères. A qui cette terre, cet esclave ? Et
tude, et je ne l'éveillerais pas dans la crainte sur chaque matière il dira C'est a nous. Après :

d'être à charge à un malheureux qui dort et qui le partage, la réponse ne serait plus la même.
va trouver la mort dans son sommeil? Loin de A qui ce cheval ? A moi. A qui cet autre che-
moi une semblable conduite, lors même qu'en val? A mon frère. Voila ce qu'a produit la di-
continuant a vivre il devrait rendre mon héri- vision. Vous n'avez pas acquis un seul cheval,
tage plus restreint. Mais non,la récompensequi mais vous en avez perdu un. Si donc notre
nous attend ne saurait être divisée ; notre hé- héritage pouvait être partagé, nous ne devrions
ritage restera le même, malgré la multitude de même pas opérer ce partage, dans la crainte
nos cohéritiers : etje ne l'éveillerais pas, même "
Lut-, v;t, 13, 14. — » Jcin. ST. •>-.

S. ACG. — ToMt Xll. 22


338 DE L'UTILITÉ DU JEUNE.

de diminuer nos richesses. Et en effet, ce qui lui échoir, le vieillard s'écrie : Que faites-vous ?
doit le plus contrarier les enfants, c'est de vou- Je vis encore. Je mourrai bientôt, attendez
loir partager du vivant de leur père. S'ils jusque-là, et alors vous partagerez mes biens.
s'obstinent dans ce coupable projet; si par des Nous avons Dieu pour Père: pourquoi vouloir
procès et des plaidoyers chacun d'eux prétend partager? Pourquoi plaider? Attendons; s'il

revendiquer pour lui-même la part qui peut arrive que Dieu meure, nous partagerons.

Traduction de M. Vabbé BURLEMVX.


DE LA RUINE DE ROME.

CHAPITRE PREMIER. tribulation imminente pouvait encore les me-


nacer ? Mais Noé représente les bons pasteur
l'exemple de damel confessant ses péchés,
qui dirigent et gouvernent l'Eglise, comme
proposé a ceux dom la ruine de rome
Noé gouvernait l'arche sur les flots du dé-
soulève les murmures contre dieu.
luge. Daniel est la figure de tous ceux qui
1. Nous venons d'entendre le prophète Da- pratiquent la sainte continence ; et Job celle
niel adressant à Dieu sa prière, nous l'avons de tous époux qui vivent dans la justice et
les
admiré confessant non-seulement les crimes la sainteté. Telles sont en effet les trois clas-

de son peuple, mais encore ses propres pé- ses d'hommes que Dieu délivre de cette tribu-
chés méditons un instant ses paroles. En effet,
; lation.
si elles sont la formule d'une ardente prière, Assurément c'est une grande gloire pour
elles sont aussi l'expression de l'aveu et de la Daniel de se voir nommé avec ces deux
confession la plus humble. « Pendant que je saints personnages, et cependant il confesse
« priais, dit-il, et que je confessais au Sei- ses péchés. Devant une telle confession, quel
« gneur mes péchés et péchés de mon
les orgueil ne frémirait pas, quelle présomption
« peuple '
». En voyant Daniel confesser ses ne serait pas étouffée, et peut-il y avoir encore
péchés, qui donc oserait encore se proclamer place pour l'enflure et la témérité ? Qui se
sans péché ? A l'orgueilleux qui aurait cette flattera d'avoir le cœur assez pur, qui se glo-
témérité, s'adressent ces paroles du prophète rifiera d'être exempt de péché '
?
Ezéchiel ; « Etes-vous donc plus sage que Da-
« niel ^ ? » CHAPITRE II.

Parlant également de trois saints person-


POURQUOI DIEU N'a-T-IL PAS ÉPARGNÉ ROME, EN
nages, dans lesquels le Seigneur symbolise FAVEUR DES JUSTES QUI l'hABITAIENT ?
les trois classes d'hommes qu'il doit déli-
vrer, quand la suprême tribulation viendra Et pourtant voici que des hommes s'é-
s'abattre sur le genre humain, le même Ezé- tonnent et vont même jusqu'à blasphémer,
chiel nous cite Daniel et déclare qu'il n'y quand Dieu frappe le genre humain, quand
aura que trois hommes pour échapper à cette illui envoie des fléaux pour le punir, préve-
ruine universelle Noé, Daniel et Job ^ II : nant ainsi le jugement par les épreuves, et le
est évident que ces trois nous désignent trois plus souvent ne choisissant pas celui qu'il doit
classes d'hommes. En effet, ces trois personna- frapper, pour ne pas trouver celui qu'il de-
ges sont morts depuis longtemps, et ont rendu vrait condamner. En effet, il frappe en même
leuràme à Dieu et leur corps à la terre. Main- temps les justes et les pécheurs; encore si
tenant ils attendent la résurrection et la glori- l'on peut dire de quelqu'un qu'il est juste,
fication à la droite de Jésus-Christ, sans avoir quand on entend Daniel confesser ses propres
aucune tribulation ni à en espérer
à craindre péchés ?
aucune délivrance. Comment donc Noé, Da- y a quelques jours à peine, nous li-
2. Il

niel et Job seront-ils délivrés de cette tribu- sions dans la Genèse un passage qui, je
crois
lation ? Quand le prophète de la résurrection vous a vivement frappés, celui où Abraham'
s'exprimait ainsi, Daniel seul était eu vie, car demande au Seigneur s'il n'épargnerait pas
depuis longtemps Noé Job reposaient du et la ville en faveur de cinquante justes qui
sommeil de la mort à côté de leurs ancêtres. pourraient s'y trouver, ou s'il frapperait la
Puisqu'ils étaient délivrés de la chair, quelle ville avec eux. Et le Seigneur lui répondit
Dan. IX, 20. — Ezech. xxvm, 3. —
' ^
Id. xrv, 14. » ' Prov. XX, 9.
340 DE LA RUINE DE ROME.

(ju'il épargnerait la cilé s'il y trouvait cin- de Rome, combien en sont sortis et y re-
la ville
quante justes. Abraham insista en diminuant tourneront combien y sont restés et s'en
!

le nombre de cinq, et demanda au Seigneur échapperont! combien qui dans les lieux saints
s'il épargnerait la ville en faveur de quarante- n'ont soullèrt aucune violence 1 Mais, disent-
cinq justes qui s'y trouveraient. Le Seigneur ils, on y a une multitude de captifs. Daniel
fait

répondit qu'il l'épargnerait en faveur de qua- ne fut-il pas envoyé lui-même en captivité
rante-cinq justes. Mais pourquoi une plus non point pour être puni, mais pour devenir
longue énumération ? Abraham en vint à le ? Beaucoup, ajoute-
consolateur de ses frères M
proposer dix justes et demanda au Seigneur t-on, ont été mis à mort. C'est aussi le sort
s'il perdrait ces dix justes avec la multitude que subirent un si grand nombre de saints
des coupables, ou s'il épargnerait la ville tout proiihètes depuis le sangd'Abel jusqu'au sang
entière en leur faveur. Le S(;igneur répondit de Zacharie et tous les apôtres, et enfin le
' ,

qu'ilne détruirait pas la ville s'il s'y trouvait Seigneur même des prophètes et des apôtres.
seulement dix justes ^ Que disons-nous donc, Beaucoup, disent-ils, ontété victimes de tour-
mes frères ? Voici que des hommes qui lisent ments aussi atroces que variés. Pensons-nous
nos Ecritures avec des intentions hostiles et qu'aucun d'eux ait autant souffert que Job ?
non par esprit de piété, nous abordent hardi- 3. Quel horrible récit nous a été l'ait de ce

ment et nous disent, au sujet de la ruine de désastre ! la ruine, l'incendie, le pillage, le


Rome Il ne s'y trouvait donc pas seulement
: massacre, des barbaries de toute sorte. Nous
cinquante justes? Dans toute celte multitude avons reçu beaucoup de détails des plus na-
de chrétiens, de religieuses, de vierges, de vrants, nous avons gémi sur tous ces mal-
serviteurs et de servantes de Dieu, on n'aurait heurs, souvent nous avons versé des larmes,
donc pu trouver ni cinquante, ni quarante, sans vouloir aucune consolation dans nos dou-
ni trente, ni vingt, ni même dix justes ? Et si leurs. Oui, je l'avoue, de grands maux nous
cette supposition n'est point admissible, pour- ont été racontés, de grands malheurs sont ve-
(luoi Dieu n'a-t-il pas épargné la cilé en faveur nus fondre sur la ville de Rome.
de cinquante, ou même en faveur de dix
CHAPITRE III.
justes ?
LES MALHEURS DE JOIJ SURPASSENT ENCORE CEUX
ne trompe pas, pourvu que
L'Ecriture
DE LA VILLE DE ROME.
l'homme ne trompe pas lui-même. Quand
se
on parle de la justice. Dieu répond sur la Cependant, mes Frères, et j'appelle ici toute
justice, et ces justes qu'il cherche, ce sont votre attention, nous avons lu dans le livre
des justes selon la règle divine, et non selon de Job, qu'après avoir perdu toutes ses ri-

la règle humaine. Je réponds donc immédia- chesses, tous ses enfants, ce saint patriarche
tement ou bien il y a trouvé tous ces justes
: ne put même conserver sain et sauf son pro-
et alors il a épargné la cité; et s'il ne l'a pas pre corps, le seul bien qui lui restât. Couvert
épargnée, c'est qu'il n'a pas trouvé ces justes. d'ulcères depuis les pieds jusqu'à la tête, il se
Il est manifeste, me
que Dieu n'a pas
dit-on, tenait assis sur un fumier, où il voyait son
épargné la ville. Je réponds que pour moi corps tombant en pourriture, dévoré par les
cela n'est pas du tout manifeste. Est-ce que vers et en proie aux douleurs les plus atroces.
Home a été détruite, comme Sodome l'a été ? Si l'on venait nous annoncer que la cilé tout
Quand Abraham interrogea le Seigneur, il entière est ainsi assise, qu'il n'y a plus en elle
s'agissait de Sodome. Le Seigneur répondit : aucune partie saine, qu'elle n'est plus qu'une
Je ne détruirai pas la ville, mais ne dit pas
il : vaste et profonde blessure, que les vivants y
jene la punirai point. 11 n'a point épargné, sont rongés par les vers, comme les morts le
mais il a détruit Sodome; il la consuma sous sont par la pourriture de ces deux maux, ;

un déluge de feu, sans attendre ce terrible cet étatque je dépeins, ou la guerre que nous
jugement qu'il réserve à tous les autres pé- déplorons, lequel nous paraîtrait le plus
cheurs. Aucun habitant ne s'échappa de So- affreux? Il me semble que le corps hu-
dome; il n'y resta ni hommes, ni animaux, main a moins à craindre du glaive que des
ni maisons, tout fut dévoré par les flammes. vers; j'aimerais mieux voir le sang jaillir
Voilà comment Dieu détruisit la cité. Quant à d'une blessure, que la pourriture distiller la
'
Gci). xviii, 23, 32. '
Matt. X.vill, 35.
,

DE LA RUINE DE ROME. 341

corruption. Vous voyez un cadavre se cor- « douleur, et au temps de votre humiliation,


rompre, vous frémissez d'horreur, et pour-
et « conservez la patience ; car l'or et l'argent
tant ce spectacle est moins triste encore parce « s'épurent par le feu , mais les hommes
que vous savez que l'âme a disparu. Dans Job « agréables à Dieu s'éprouvent dans le creuset
au contraire l'àme était là pour sentir^ en- « de Fhumiliation ? » Avez-vous oublié ces
*

chaînée sans pouvoir fuir, esclave pour souf- autres paroles Le Seigneur corrige celui
: «

frir, broyée pour se plaindre. Or, ce patriarche «qu'il aime; il frappe de verges tous ceux
supporta cette grande épreuve, et sa patience « qu'il reçoit au nombre de ses enfants * ? »

fut pour lui le titre d'une justice éclatante.


Que l'homme ne considère donc pas ce qu'il
CHAPITRE IV.

souffre, mais ce qu'il fait. 11 n'est pas en votre LES SOUFFRANCES TEMPORELLES COMPARÉES
puissance de souffrir ou de ne souffrir pas; A l'enfer.
mais quant à vos actions, elles sont le fruit de
votre volonté bonne ou mauvaise. Job souf- 4. Résumez comme dans un seul tableau
frait et la seule personne qui lui restât^ c'était toutes les douleurs, foules les souffrances hu-
sa femme, qui au lieu de le consoler ne faisait maines, comparez-les à l'enfer et vous les trou-
qu'aggraver son épreuve; au lieu de le gué- verez légères. Ici la souffrance n'est que tem-
rir, elle le poussait au blasphème « Blasphé- : porelle, là elle est éternelle comme celui qui
« mez contre Dieu, lui disait-elle, et mourez ». l'inflige, comme celui qui la subit. Soufïrent-
Voyez combien il lui eût été avantageux de ils encore, ceux qui ont tant souffert pendant
mourir, et personne ne lui accordait ce bien- le sacde Rome ? Quant au mauvais riche, ses
fait. Mais dans tout ce qu'il avait à souQYir, tourments sont restés les mêmes en enfer ^ Il
sa patience s'exerçait , sa foi s'affermissait brûlait; il brûle, il brûlera, il vivra jusqu'au
sa femme restait confondue , et le démon jugement, et il retrouvera son corps, non pas
était vaincu. Quel spectacle, et comme sa pour son bonheur, mais pour son supplice.
vertu brille d'un vif éclat dans cette horrible Craignons ces peines éternelles, si nous crai-
corruption Son ennemi le consume inté-
! gnons Dieu. L'homme a tout gagné, si ses
rieuren^ent; le mal lui est ouvertement con- souffrances ici-bas ont amené sa conversion;
seillé par sa femme, devenue son ennemie ne se convertit pas, qu'il s'attende à une
et s'il
et le bras dévoué du démon. C'était une double damnation ici-bas les peines tempo-
:

nouvelle Eve, mais Job ne fut pas le vieil relles, après la mort les peines éternelles.
Adam « Blasphémez contre Dieu, et
: mou- Voici donc ce que je vous dis, mes frères :

rez ». blasphème ce que


Arrachez par le nous louons les saints martyrs, nous les glo-
vous n'avez pu obtenir par vos prières. «Vous rifions, nous les admirons; nous célébrons
etavez parlé, lui dit-il, comme une femme in- avec une pieuse solennité le jour de leur fête,
« sensée». Remarquezces paroles d'un croyant nous vénérons leurs mérites, et nous les imi-
courageux, d'un homme dont le corps toiu- tons si nous le pouvons. Grande est assurément
baiten pourriture, mais dont l'àme restait dans la gloire des martyrs; mais je ne sais si elle
toute son intégrité « Vous avez parlé comme
: surpasse celle de Job. Et cependant on ne lui
« une femme insensée. Si nous avons reçu disait pas Offrez de l'encens aux idoles, sa-
:

« les biens de la main du Seigneur, pourquoi crifiez aux faux dieux, renoncez à Jésus-Christ;
« ne supporterions-nous pas aussi l'adver- mais on lui disait Blasphémez contre Dieu.
:

« site ? » Dieu est un Père, ne l'aimerons-


*
En le lui disant, sa femme ne voulait pas lui
nous que quand il nous flatte, pour le mépri- faire entendre que s'il blasphémait, ses plaies
ser quand il nous corrige ? ^"'est-il pas un seraient cicatrisées, ni que la santé lui serait
Père qui promet la vie, et impose la disci- rendue; si vous blasphémez, lui disait cette
pline ? Avez-vous oublié ces paroles : « Mon femme inepte et grossière, vous mourrez et
« fils , lorsque vous entrez au service de en mourant vous serez délivré de tous vos
« Dieu, demeurez ferme dans la justice et tourments. Ignorait-elle donc que celui qui
« dans la crainte, et préparez votre àme à la meurt dans le blasphème, doit s'attendre aux
« tentation. Acceptez de bon cœur tout ce qui souffrances éternelles ? Cette femme insensée
« vous arrivera; demeurez en paix dans votre avait en horreur le spectacle cruel de la cor-
'
Job, 1 et u. 'Eccli. U, 1-5.— - Prov. m, 12; Hébr. xil, G.— "
Lac, xvi, 19, 26.
,

342 DE LA RUINE DE HOME.

niption présente, et ne pensait nullement aux à qui vous avez dit : « J'ai crié : Seigneur
flammes Job supportait le mal
éternelles. « ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce
présent, pour échapper au mal futur. 11 écar- « que j'ai péché contre vous ^
? » Si donc
tait de son cœur toute mauvaise pensée, et de votre âme est sans péché, c'est qu'elle a été
sa langue toute parole de blasphème; dans la parfaitement guérie et si votre âme a été
;

corruption de son corps il conservait toute parfaitement guérie, pourquoi pousser l'ingra-
l'intégrité de son âme. Il voyait quelles souf- titude à l'égard de votre médecin jusqu'à lui
frances il s'épargnait pour Tavenir: voilà pour- dire qu'il vous reste encore des blessures
quoi il supportait avec patience celles du mo- quand votre santé est parfaite ? Votre corps
ment. De môme, quand un chrétien souffre est languissant ou blessé
vous le montrez au ;

quelque douleur dans son corps, qu'il pense à médecin eu lui demandant de vous guérir il ;

l'enfer, il trouvera légères toutes les peines de vous exauce et vous rend une santé parfaite.
cette vie. Qu'il ne murmure pas contre Dieu ; Et vous oseriez lui dire Je ne suis pas guéri? :

qu'il ne dise pas Que vous ai-je donc fait, ô


: Mais ne serait-ce pas la plus noire ingratitude,
mon Dieu, pour m'aftliger de la sorte ? Qu'il voire même l'outrage le plus sanglant ? Voici
répète ce que disait Job malgré sa sainteté : que Dieu vous a guéri, et vous osez lui dire :

« Vous avez recherché tous mes péchés et vous Je porte encore une blessure? Ne craignez- vous
« les avez scellés comme dans un sac ». Lui '
pas qu'il vous réponde Je n'ai donc rien fait :

qui souffrait, non pas pour être puni, mais pour pour vous, ou tout ce que j'ai fait a été vain ;

être éprouvé, n'aurait pas osé dire qu'il était n'ai-je droit à aucune récompense, n'ai-je mé-
sans péché. Que celui qui souffre imite sou rité aucune louange ? Plaise à Dieu de nous
langage. soustraire à une semblable folie, à des raison-

CHAPITRE V.
nementsaussi mensongers Que Thommedise ! :

Je suis pécheur, quand il est pécheur; qu'il


ROME POSSÉDAIT-ELLE DES JUSTES QUI PUSSENT
dise : Je suis dans le péché, parce qu'il est dans
LUI MÉRITER SON SALUT ?
le péché. S'il était sans péché, il serait plus
5. Rome renfermait assurément cinquante sage que Daniel.
justes, etmême des milliers, si nous ne jugeons Permettez-moi, mes frères, derésoudre enfin
de leur justice que d'après nos idées humai- cette question. Si nous donnons le nom de jus-
nes; au contraire, si nous voulons leur appli- tes à tous ceux dont la vie ne soulève aucune
quer la règle de la perfection véritable, il ne plaintedelapart des hommes; certes ces justes
nous est plus possible d'y trouver un seul j uste. se trouvaient en grand nombre dans la ville
Tout Romain qui oserait se dire parfaitement de Rome, et c'est en leur considération que
juste, m'entendrait lui répondre « Etes-vous : Dieu en a épargné les habitants et a permis à
« donc plus sage que Daniel ^ ? » Ecoutez-le une nmltitude d'entre eux d'échapper à la
confessant ses propres péchés ^ Cette confes- mort. Quant à ceux qui sont morts. Dieu n'a
sion était-elle un mensonge de sa part ? Dans pas laissé que d'user de miséricorde à leur
ce cas, ce mensonge à lui seul aurait suffi égard. S'ils sont morts dans la grâce, dans la
pour rendre coupable. Cependant certains
le justice, dans la vraie foi, ils ont été pour tou-
hommes se permettent quelquefois ce singulier jours à l'abri des misères humaines, et sont
raisonnement l'homme juste doit se dire pé-
: parvenus dans le lieu du rafraîchissement et
cheur devant Dieu quoiqu'il sache qu'il est
; du repos. Ils sont morts après les tribulations,
sans péché, qu'il dise toujours à Dieu Je suis : comme ce pauvre de l'Evangile expirant à la
coupable de péché. Je m'étonnerais que l'on porte du mauvais riche. Mais ils ont souffert la
trouvât de la sagesse dans un semblable con- faim ? il l'avait soufferte également. Ils ont reçu
seil. Et qui donc vous a rendu sans péché ? des blessures ? il en avait reçu également et ;

N'est-ce pas Dieu qui seul a le pouvoir de gué- peut-être n'ont-ils pas vu comme lui des chiens
rir votre âme? Vous n'avez pas de péché, c'est léchant leurs cicatrices. Ils sont morts ? il est
possible. Cependant considérez-vous attentive- mort également; mais voyez de quelle mort :

ment, et A'ous trouverez, non pas un péché, « Ce pauvre mourut aussi, et il fut porté par
mais des péchés. Pourtant si vous êtes réel- « les anges dans le sein d'Abraham^ ».
lement sans péché, n'est-ce point grâce à celui *
Ps. XL, 5. - Luc, XVI, 20, 22.

» Job. XIV, 16, 17. — = Ezech. xxtui, 3. — » Dan. ix, 20.


.

DE LA RUINE DE ROME. 343

CHAPITRE VI. bientôt elle s'arrêta suspendue et couvrant la


ville tout entière. C'était comme une flamme
DANS QUEL SENS PEUT-ON DIRE QUE DIEU ÉPAR-
immense toute prête à tomber et exhalant une
GNA ROME, EN CONSIDÉRATION DES JUSTES.
odeur de souffre. Tous les habitants se réfu-
6. Plût à Dieu que nous puissions voir de nos gièrent dans le temple, et bientôt l'enceinte
propres yeux les âmes de ces saints qui sont sacrée ne fut plus suffisante, et chacun des
morts dans la guerre vous comprendrez
1 néophytes s'empressait de demander le bap-
alors comment Dieu épargna la ville. Des mil- tême à quiconque pouvait le lui conférer. L'eau
liersde saints placés aujourd'hui dans le séjour sainte coulait ainsi, non-seulement dans l'E-
de la joie et du repos chantent au Seigneur : glise, mais dans les rues etsur les places publi-
Soyez béni de nous avoir arrachés aux tribula- ques; tous cherchaient dans ce sacrement une
tions et aux tourments de la chair. Soyez béni, protection, non pas contre le malheur présent,
parce que nous n'avons plus à craindre ni les mais contre le malheur futur. Le trouble
barbares, ni les démons, ni la faim, ni la tem- était à son comble et Dieu avait suffisamment
pête, ni l'ennemi, ni le licteur, ni l'oppresseur; confirmé la vérité de ses paroles et de la révé-
nous sommes morts pour la terre, mais non lation qui en avait été faite par son serviteur.
pour vous, Seigneur; et, grâce, non point à nos Alors la nuée diminua comme elle avait grossi
mérites mais à vos largesses, nous goûtons les et se dissipa peu à peu. Le peuple commençait
joies du salut dans votre royaume. Quelle est à se rassurer, quand on vint lui dire qu'il fal-
donc cette cité qui fait retentir ces joyeux ac- lait prendre la luite parce que la ville périrait

cents ? Une cité n'est-elle quelque chose que le samedi suivant. Tous les habitants , l'em-
par ses murailles ? C'est dans ses habitants pereur à leur tête, s'enfuirent aussitôt toutes ;

qu'elle existe et non dans ses remparts. Si lesmaisons furent abandonnées sans que per-
Dieu disait auxSodomites Fuyez, parceque je : sonne en fermât les portes en s'éloignant de ;

vais brûler ce lieu, leurferions-nousun grand ces murailles, en jetant un dernier regard sur sa
mérite de fuir, avant que le feu tombant du demeure aimée, chacun lui adressait l'adieu
ciel eût dévoré leurs remparts et leurs murail- suprêmequ'élouffaienlbientôt les soupirs et les
les ? En leur permettant de fuir et d'échapper larmes. La foule tout entière s'était portée en
aux ravages de l'incendie. Dieu n'aurait-il pas un même quelques milles delà ville, et
lieu à
épargné la ville ? là elle adressait à Dieu les plus ferventes priè-
7 Je vais vous citer un fait dont peu d'années res, quand elle aperçut tout à coup une
nous séparent, que plusieurs de mes auditeurs épaisse et immense fumée. Il y eut alors de
connaissent, et dont peut-être ils ont été lesté- toutes les bouches à la fois un effroyable cri
moins. Sous l'empereur Arcadius, à Constan- lancé vers le ciel, et suivi d'un silence solennel
tinople. Dieu voulant effrayer la ville et en et profond. Quand l'heure annoncée pour le
l'effrayant la corriger, la convertir, la puritier, désastre se fut écoulée, des héraults furent
la changer, apparut à l'un de ses serviteurs envoyés pour constater l'état des choses, et
fidèles, à un soldat, dit-on, lui annonça que revinrent promptement, annonçantque la ville
bientôt le feu du ciel allait dévorer la cité , et était intacte , et les murailles et les maisons
le chargea d'en faire la révélation à l'évêque. parfaitement conservées. Avec quelle joie tous
Il obéit ; l'évêque reçut cet avertissement et les habitants opérèrent leur retour, chacun
en fit part à son peuple; aussitôt toute la ville retrouvant sa demeure, la porte restée ouverte
s'empressa de faire pénitence à l'exemple de et sans qu'aucun objet en eût disparu ^
l'antique Ninive K Cependant le jour prédit
CHAPITRE VII.
parle Seigneur arriva. Ne voulant pas que l'on
pût accuser de mensonge ou d'illusion l'auteur CONSTANTINOPLE ET ROME.
de cette prophétie, au moment où tous les ha- 8. Que dirons-nous donc? Etait-ce sa colère,
bitants frappés de crainte n'attendaient plus ou n'était-ce pas plutôt sa miséricorde que
que la mort , Dieu fit apparaître, au com- Dieu faisait éclater? Peut-on douter qu'en sa
mencement de la nuit, une nuée de feu du côté qualité de Père très-miséricordieux il ait voulu

de l'Orient; à mesure qu'elle approchait de la corriger et punir en effrayant et non en dé-


ville, elle prenait une extension gigantesque et
' Ce fait est rapporté par Baronius. Voir Edit. de Bar-le-Duc,
' Jonas, III, 5. tom. VI, pag. 199-200.
,

344 DE LA RUINE DE ROME.

tniisant, puisque le fléau suspendu sur leur Rome, pour purifier et délivrer l'homme juste,
tête ne porta aucune atteinte ni aux personnes, et pour y frapper l'impie du châtiment qu'il
ni aux maisons ni aux murailles de la ville? méritait, soit que la mort l'ait précipité dans
On voit parfois un père lever la main pour le goufTre des souiTrances éternelles, soit que

frapper son enfant coupable et lui pardonner dans la vie qui lui était conservée il n'ait trouvé
à cause de ses supplications et de son repentir; qu'une occasion de blasphémer avec plus d'au-
Dieu fit de même à l'égard de cette cité mal- dace, soit enfin que Dieu, dans son infinie
heureuse. Cependant, lorsque toute la popu- miséricorde, ait voulu purifier dans la péni-
lation se fut retirée, si le Seigneur avait frappé tence ceux qu'il prédestinait à jouir du bon-
la ville et l'avait détruite comme il a détruit heur du ciel. Que les souffrances des justes ne
Sodome; même alors pourrait-on douter de la soient point pour nous un sujet de scandale;
miséricorde de Dieu à l'égard des habitants elles ne sont pour eux qu'une épreuve, et non

qu'il auraitprévenus du désastre en les invi- point un signe de réprobation. Nous frémis-
tant à prendre la fuite? Eh bien! l'on ne doit sons d'horreur en voyant sur la terre le juste
pas douter davantage de la miséricorde exer- en proie aux tribulations de la calomnie et de
cée par Dieu à l'égard de la ville de Rome, la douleur, et nous oublions ce qu'eut à souf-

puisqu'avant l'incendie allumé par lesennemis frir le j uste par excellence et le Saint des saints.
il avait permis qu'une multitude de ses habi- Ce que Rome a souffert, un homme l'avait
tants en sortissent. On vit donc disparaître souffert avant elle. Et voyez quel estcet homme :

et ceux qui s'enfuirent et ceux que la mort « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ^ »

vint frapper; et môme parmi ceux qui restè- lié, garotté, flagellé, couvert de tous les ou-
rent il y en eut un grand nombre qui se ca- trages, suspendu cà une croix, et y rendant le
chèrent, et beaucoup d'autres qui trouvèrent dernier soupir. Crucifiez Rome avec Jésus-
dans les lieux saints un refuge assuré contre Christ; crucifiez toute la terre avec Jésus-
la mort. Le malheur qui est venu fondre sur Christ ; crucifiez le ciel et la terre avec Jésus-

Rome, n'est donc pas une destruction mais un Christ; quelle comparaison établir entre la

châtiment dont Dieu se servit pour la con- créature et le Créateur, entre l'œuvre et l'Ou-
vertir. N'est -il pas dit dans l'Evangile que le vrier ? «Tout a été fait par lui et rien n'a été
serviteur qui connaît la volonté de son maître, «fait sans lui*», et cependant il a été traité
et s'obstine cà faire le mal, sera frappé de comme un ver de terre par ses persécuteurs.
ver^'es ' ? Supportons donc ce que Dieu veut que nous
CHAPITRE VIII. supportions; n'est-il pas le bon médecin qui

connaît parfaitement quelle douleur pourra


UTILITÉ DES TRIBDLATIOîiS TEMPORELLES.
nous guérir? 11 est écrit « La patience est par- :

9. Que ce châtiment nous serve d'exemple; « faite dans ses œuvres'», quelle sera donc

que cet incendie à la clarté duquel le Seigneur l'œuvre de la patience, si nous n'avons rien à
nous montre si bien l'instabilité et la caducité souffrir? Pourquoi refusons-nous de souffrir

des vanités du monde, éteigne pour toujours les maux temporels ? Craignons-nous donc

dans la crainte la concupiscence mauvaise et d'arriver à la perfection? Prions avec ardeur


l'appétitdésordonné des voluptés coupables, dans gémissements et dans les larmes, con-
les

plutôt que de servir de prétexte à des mur- jurons Seigneur de réaliser à notre égard
le

mures blasphématoires contre Dieu. L'aire cette belle parole de l'Apôtre « Dieu est fidèle, :

n'éprouve-t-elle pas les déchirements du traî- « et il ne permettra pas que vous soyez tentés

neau quand on veut broyer l'épi et puriGer le « au-dessus de vos forces, mais il vous fera

grain la fournaise a besoin d'être chauffée pour


;
« tirer avantage de la tentation, afin que vous

réduire la paille en cendres et purifier l'or. De « puissiez persévérera).


même la tribulation est venue fondre sur * Apoc. .\l.v, 16.— ' Jean, i, 3.— ' Jacq. i, 1.— * 1 Cor. x, 13.

' Luc, xn, 47.

Traduction de M. l'abbé BLRLERAUX.


ŒUVRES DOGMATIQUES.

DE LA TRINITÉ.

Saint Augustin était encore jeune lorsqu'il commença ses livres sur la Trinité, laquelle est, dit-il, le
Dieu souverain et véritable. Mais il ne les lit paraître que dans sa
vieillesse, et vers l'an 417. Ce fut à
la prière d'Aurèle, évoque de Cartilage, auquel il les adressa avec une lettre qui peut leur servir de
préface. Cet ouvrage est divisé en quinze livres, et peut être regardé comme un traité complet sur cet
ineffable mystère. 11 est en effet tout ensemble dogmatique et moral. Saint Augustin
commence par
écarter toute idée de Dieu qui serait fausse et erronée qu'on s'en formerait en se le
: telle serait celle
représentant comme une substance corporelle ou un esprit limité et par conséquent imparfait. Car
Dieu, ajoule-t-il, est infini, immense et incompréhensible. Dans les trois premiers livres, il prouve
l'unité de l'essence divine, et la trinilé des personnes; le quatrième traite du mystère de rincarnalion.
et le cinquième est la réfutation des principaux sophismes des hérétiques. Dans les autres livres il
tâche d'expliquer le mystère de la Sainte Trinité, et se sert pour cela de comparaisons tirées de
l'homme. Quoique ces comparaisons soient en elles-mêmes très-imparfaites, .elles ne laissent pas
que de répandre quelques clartés sur un sujet si élevé au-dessus de toute intelligence créée.
Cet ouvrage de saint Augustin a toujours été cité avec éloge par toute l'antiquité chrétienne mais •

Cassiodore dit que sa lecture exige une forte application et une pénétration très-grande, parce qu'il
est d'une subtilité et d'une élévation singulières. On conçoit donc aisément toutes les difficultés d'une
bonne traduction. pourquoi en réclamant tout d'abord l'indulgence de mes lecteurs, je désavoue
C'est
par avance toute expression qui ne rendrait pas entièrement le sens du saint Docteur, ou qui pourrait
n'être pas d'une exactitude rigoureusement théologique. Car sur ce mystère, comme sur tous les
points de la doctrine chrétienne, je ne veux penser et parler que confoimément à la sainte Eglise
catholique, apostolique et romaine.

J. DICHASSAING.
,

DE LA TRINITÉ.

LIVRE PREMIER.
L'autorité de l'Ecriture établit l'unité de nature et l'égalité des personnes dans la Sainte Trinité. — Explication
de certains passages de l'Evangile qui semblent contredire la consubstantialité du Fils.

CHAPITRE PREMIER. les seconds un Dieu spirituel, mais créé, et le


comparent à notre âme; et les troisièmes, qui
TROIS SOURCES d'eRREURS. — NÉCESSITÉ DE PURI- ri'poussent également un Dieu matière et ,

FIER l'ame pour Étudier la trinité.


un Dieu créature spirituelle, professent eux
Le lecteur de ce traite doit tout d'abord
\ . aussi une doctrine entièrement erronnée. On
savoir que je me propose d'y réfuter les ca- peut même dire qu'ils s'éloignent d'autant
lomnies de ceux qui dédaignent de s'appuyer plus delà vérité, quêteurs sentiments contre-
sur les principes de la foi, et qui se trompent disent toutes les notions acquises sur les

ainsi et s'égarent en s'attacliant trop préma- corps, les esprits créés, et le Créateur lui-
turément aux lumières de la raison. Quel- même. Et en effet, celui qui donne à Dieu un
ques-uns yeulent appliquer aux substances corps blanc ou rouge, se trompe sans doute,
incorporelles et spirituelles les notions que et néanmoins ces accidents se rencontrent

leur donnent sur les êtres matériels l'expé- dans les corps. Celui encore qui attribue à
rience des -sens, ou la vivacité de l'esprit , ou Dieu les défauts et les qualités de la mémoire,
l'étude et l'observation, et même le secours ou de toute autre faculté de l'esprit humain
des arts. Bien plus, ils prétendent juger de s'égare sans doute, et néanmoins ces attributs

celles-là par les règles qui ne sont applicables se trouvent dans tout esprit créé. Mais, au con-
qu'à ceux-ci. D'autres transportent en Dieu, traire, celui qui affirme qu'il est de l'essence

si ils pensent à lui, les affections et


toutefois d'un Dieu tout- puissant de s'être engendré
les sentiments de l'homme, en sorte que cette lui-même, énonce une proposition fausse sous
première erreur ks amène, quand ils discu- tous les rapports. Car non-seulement cela n'est
tent des questions de théodicée, à avancer des point vrai de Dieu, mais ne saurait même
principes faux et erronnés. Enfin il en est qui l'être des esprits, ni des corps, puisque rien

s'élèvent au-dessus de toute créature, essen- de ce qui existe n'a pu se donner l'existence.
tiellement muable et inconstante, pour attein- 2. C'est pour nous prémunir contre toutes

dre l'être seul fixe et immuable, et arrivent ces erreurs que l'Ecriture sainte, s'accommo-
ainsi à la notion de Dieu. Mais, courbés sous dant à notre faiblesse, a daigné employer un
le poids de la faiblesse humaine, ils veulent langage tout humain, afin de familiariser notre
paraître savoir ce qu'ils ignorent, quoiqu'ils intelligence avec les attributs divins, et de
ne puissent savoir ce qu'ils veulent connaître. l'élever ensuite comme par degré aux plus su-
C'est pourquoi par la hardiesse et la présomption blimes mystères. Ainsi elle semble donner un
avec lesquelles ils soutiennent leurs opinions, corps à Dieu, quand elle met cette parole dans
ils se ferment les voies de la vérité, car ils la bouche du psalmiste «Seigneur, protégez-
:

préfèrent s'opiniàtrer dans leurs idées mau- « moi à l'ombre de vos ailes * ». Ainsi encore
vaises plutôt que d'embrasser la doctrine elle Dieu certaines passions qui
attribue à
contraire. Telles sont les trois sortes d'adver- n'appartiennent qu'à l'esprit humain. Ce n'est
saires que je me propose de combattre. pas que Dieu les ressente réellement, mais
Les premiers imaginent un Dieu corporel ;
• Ps. XVI, 8.
LIVRE PREMIER. — CONSUR STAîSTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES. 317

c'est que tout autre langage serait inintelli- de ces ineffables mystères, il est nécessaire
gible. «Je suis un Dieu jaloux, dit le Sei- qu'il soit purifié par la vision béatiflque; et
« gneur» ;etencore:«Jemerepensd'avoircréé parce que nous ne la possédons pas encore, la
« l'homme ». Quant aux choses qui n'exis-
* foi nous est donnée comme un guide qui
tent point, l'Ecriture s'abstient de leur em- nous conduit par des sentiers moins rudes et
prunter aucune notion dont elle pût tirer une moins escarpés, et qui nous rend ainsi aptes
parole,ou figurer un emblème. Ils s'évanouis- et habiles à atteindre le terme heureux du

sent donc en leurs vaines et criminelles pen- voyage. L'Apôtre savait bien qu'en Jésus-
sées, ces philosophes qui, sous ce troisième Christ sont renfermés tous les trésors de la
rapport, s'éloignent complètement de la vé- sagesse et de la science; et cependant il l'exalte
rité, supposent en Dieu ce qui ne peut
car ils aux yeux des nouveaux chrétiens, non en la
se rencontrer ni en lui, ni dans aucune créa- puissance qui le rend égal à son Père, mais en
ture. L'Ecriture procède différemment, et elle l'infirmité de la chair qui lui a fait soulfrir le
emploie les divers attributs des créatures, supplice de la croix. C'est que ces chrétiens,
comme des joujoux qu'elle nous présente, quoique régénérés en la grâce de Jésus-(^hrist,
pour se proportionner à notre faiblesse, et étaient encore des enfants faibles, charnels et
pour nous exciter à nous éloigner insensible- peu instruits dans les voies spirituelles. Aussi
ment de toute idée basse et terrestre, et nous saint Paul leur dit -il : « Je n'ai pas prétendu
élever jusqu'aux mystères les plus sublimes. « parmi vous savoir autre chose que Jésus-
Rarement aussi elle affirme de Dieu ce qui ne ce Christ, et Jésus-Christ crucifié : et j'ai été
se trouve dans aucune créature. Ainsi Dieu dit « au milieu de vous dans un état de faiblesse,
à Moïse « Je suis TEtre »
: et il lui ordonne ; « de crainte et de tremblement ». Et un peu

de dire aux Hébreux « C'est l'Etre qui : plus loin, il ajoute « Et moi, mes frères, je :

« m'a envoyé vers vous ^ ». 3Iais parce que « n'ai pu vous parler comme à des hommes

dans un sens tout corps et tout esprit possè- « spirituels mais comme à des personnes
,

dent l'être, cette façon de parler nous avertit « encore charnelles. Je ne vous ai nourris que

que Dieu est d'une manière qui lui est toute « de lait, comme étant des enfants en Jésus-

particulière. « A Dieu seul, dit l'Apôtre, ap- « Christ, et non pas de viandes solides, parce
a partient l'immortalité^ ». Et cependant il « que vous ne pouviez les supporter; et à pré-
est permis de dire de notre âme qu'elle est « sent même, vous ne le pouvez pas encore ». *

immortelle. C'est pourquoi saint l'aul en , Quelques-uns s'irritent d'un tel langage, et le
affirmant qu'à Dieu seul appartient l'immor- repoussent comme gravement injurieux. Ah!
talité, nous fait entendre qu'il parle de cette ils iiréfèreiit croire que nous ne parlons ainsi

vraie immortalité que ne peut posséder la que par ignorance et impérilie, plutôt que
créature et qui est l'attribut spécial de la divi- d'avouer qu'ils sont eux-mêmes incapables de
nité. Tel est aussi le sens de ces paroles de comprendre une parole plus élevée. Quelque
saint Jacques Toute grâce excellente et tout
: « fois aussi nous leur alléguons un raisonne-
« don descend du
parfait vient d'en-haut, et ment auquel ils ne s'attendaient point dans
« Père des lumières, en qui il n'y a ni chan- cette discussion; et quoiqu'ils ne puissent

« gement, ni ombre de vicissitude ». Le '^


toujours entièrement, et que nous-
le saisir

psalmiste dit également « Les cieux périront : ;


mêmes ne sachions l'expliquer ni le dévelop-
« vous les changerez et ils seront chan- , per dans toute sa force, il les contraint néan-
« gés mais pour vous, vous êtes éternellement
; moins combien ils sont peu
à- reconnaître
a le même ^ ». fondés à exiger de nous des démonstrations
3. Il nous est donc bien difficile de contem- qu'ils ne sauraient comprendre. Mais du mo-
pler et de connaître pleinement l'essence de ment que nous leur tenons un autre langage
ce Dieu qui, dans son immutabihté, crée les que celui qu'ils désiraient, ils nous regardent
créatures muables et changeantes, et qui, dans ou comme des gens rusés qui dissimulent
son éternité, ordonne et dirige les mouve- ainsi leur ignorance, ou comme des jaloux
ments du temps. Mais pour que l'œil de notre qui leur envient le don de la science. C'est
âme puisse arriver à l'ineffable contemplation pourquoi ils s'éloignent de nous, l'esprit

» Exod, XX, 5 Gen. yi, 7. — ' Exod. m, 14. — '


I Tim.
trouble et le cœur plein d'indignation.
; vi, 16.
— ' Jacq. I, 17. — ' Ps. ci, 27, 28. ' I Cor. II, 2, 3 ; m, 1, 2.
DE LA TRINITÉ.
348
1
CHAPITRE II. chercher avec moi, quand il hésitera, revenir
vers moi, quand il reconnaîtra son erreur, et
PLAN DE CET OLVKAGE.
me redresser moi-même, si je me trompe.
A. J'entreprends donc avec le secours du Sei- Nous marcherons ainsi d'un pas égal dans les
gneur, notre Dieu, d'exposer à mes adversaires, sentiers de la charité, et nous tendrons ensem-
selon leurs désirs, les diverses raisons qui nous ble vers Celui dont il est dit « Cherchez tou-
:

font dire, croire et comprendre comment en un « jours sa face '


». Tel est l'accord pieux et
seul et vrai Dieu existe la Trinilédes personnes, sincère queje propose, en présence du Seigneur
et comment ces trois personnes, le Père, le Fils notre Dieu, à tous ceux qui daigneront lire
et le Saint-Esprit, n'ont qu'une seule et même mes ouvrages, et principalement ce traité où
nature, une seule et même substance. Aureste, je défends l'unité des trois personnes divines,

je me propose bien moins de faire taire leurs le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De tous nos
froides plaisanteries que de les amener à
,
mystères, il n'en est pas où l'erreur soit i>lus

proclamer Texistence de cet Etre qui est sou- aisée et plus dangereuse, ni où le travail soit

verainement bon, et qui ne se révèle qu'aux plus difficile. Mais aussi, plus que tout autre,
âmes pures et dégagées des sens. S'ils ne peu- il est fécond en fruits de salut. S'il arrive que

vent donc ni le voir, ni le comprendre, c'est quelque lecteur, parcourant ce traité, s'écrie :

que l'œil de l'homme est trop faible pour sou- Voilà qui est mal dit, car je ne comprends pas ;

tenir par lui-même l'éclat de la lumière divine, je le prie d'accuser l'imperfection dema parole,
et qu'il a besoin d'être fortifié par l'exercice et non la sincérité de ma foi. Au reste la
de la foi et de la justice chrétienne. phrase eût pu être, parfois, plus claire et
Or il me faut en premier lieu prouver par plus précise mais à qui est-il donné de se
;

l'autorité des saintes Ecritures la certitude de faire comprendre de tous, et en toutes sortes de

notre foi ; et ensuite, avec l'aide et le secours sujets? Je prie donc mon censeur d'examiner

de Dieu, j'aborderai de front ces vains discou- s'ilsaisit mieux la pensée de ceux qui passent

reurs en qui l'orgueil est plus grand encore pour savants en ces matières et s'ils sont plus ;

intelligibles que moi, je consens à ce qu'il


que la science, et qui par là même n'en sont
que plus dangereusement malades. Puissé-je fei'me mon livre, et même à ce qu'il le rejette.

en les faisant convenir d'un principe certain Car il doit de préférence donner son temps et

et indubitable, les convaincre qu'à l'égard des son attention aux auteurs qu'il peut com-
difGcultés qu'ils ne peuvent résoudre, ils doi- prendre.

vent accuser bien plus la faiblesse de leur Toutefois, il y aurait injustice de sa part à dire
que j'eusse mieux fait de me taire, parce que
intelligence, que la vérité elle-même, ou notre
méthode de discussion Alors, s'il leur reste!
je n'ai jiu m'exprimer avec la même précision
quelque amour ou quelque crainte de Dieu, et la même lucidité que ses auteurs favoris.

se hâteront de revenir aux principes et Et en effet, tous ne lisent pas tous les ouvrages
ils

comprendront com- qui se publient. peut donc arriver que des


Il
aux règles de la foi, et ils
esprits capablesde me comprendre lisent
bien est salutaire l'enseignement de la sainte ,

incidemmentcelui-ci, et ne puissent néanmoins


Eglise. Et en effet, cet enseignement et les
pieux exercices de la religion sont comme un se procurer d'autres traités plus simples et

remède divin qui guérit la faiblesse de notre plus familiers. Ainsi que plusieurs il est utile
auteurs écrivent sur le môme sujet avec une
âme, et la rend capable de percevoir l'immua-
certaine différence de style, mais en unité de
ble vérité, sans redouter qu'une folle témé-
foi, afin qu'un plus grand nombre de lecteurs
rité la précipite en des opinions fausses et
s'éclairent et s'instruisent; car alors chacun
dangereuses. D'ailleurs, je suis tout disposé à
m'éclairer quand je douterai ; et jamais je ne peut choisir selon son goût et son inclination.

rougirai, si je m'égare, d'être ramené dans la Maisau contraire, simoncenseur atoujoursété


incapable de suivre sur c^smatières une discus-
bonne voie.
sion sévère et approfondie, fera beaucoup il
CHAPITRE m. développement
mieux de désirer et de hâter le
DANS QUELLES DISPOSITIONS ON DOIT LE LIRE. de son intelligence, que de m'engager au si-
Quiconque lira donc ce traité, doit avan-
5. lence par ses plaintes et ses critiques. Peul-
cer avec moi quand il se sentira ferme etassuré, ',Ps. CIV, 4.
LIVRE PREMIER, — COXSUBSTANTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES. 3-49

être aussi un lecteur dira-t-il : Je comprends enseigné ce que comdamne la vérité; et qu'il

cette proposition, mais me paraît fausse.


elle applaudit à une proposition qu'improuve éga-
Eh bien ! lui dirai-je à mon tour Etablissez : lement cette même vérité. Et maintenant, au
la vôtre, et renversez la mienne. S'il le fait en nom du Seigneur, j'aborde mon sujet.
toute charité, et en toute sincérité, et s'il dai- CHAPITRE IV.
gne, supposé que je vive encore, me communi-
QUEL EST SUR LA SAINTE TRINITÉ L'ENSEIGNEMENT
quer ses observations, ce présent travail me
DE l'Église.
deviendratrès-fructueux.Bien plus, à défaut de
communications avec moi je consens de ,
7. Tous les interprètes de nos livres sacrés,
grand cœur à ce qu'il en fasse part à tous ceux tant de l'ancien Testament que du nouveau que
qui voudront les entendre. Pour moi je con- j'ai lus, et qui ont écrit sur la Trinité, le Dieu
tinuerai à méditer la loi du Seigneur, si ce unique et véritable, se sont accordés à prouver
n'est le jour et la nuit, du moins pendant les par Tenseignement des Ecritures que le Père,
quelques instants que je dérobe à mes occupa- le Fils et TEsprit-Saintsont un en unité de na-
tions, et je confierai au papier mes pensées et ture, ou de substance, et parfaitement égaux
mes réflexions, de peur que je ne les oublie entre eux^ Ainsi ce ne sont pas trois dieux,
entièrement. J'espère aussi que la miséricorde mais un seul et même Dieu. Ainsi encore le
divine me fera persévérer dans une ferme adhé- Père a engendré le Fils, en sorte (jue le Fils
sion auxVérités qui me paraissent certaines, et n'est point le Père et de même le Père n'est :

que si je suis dans Terreur, elle me le fera point le Fils, puisqu'il Ta engendré. Quant à
connaître par de secrètes inspirations, ou par TEsprit-Saint, il n'est ni le Père, ni le Fils;
son enseignement public, ou même par les mais l'Esprit du Père et du Fils, égal au Père
bienveillants avis de mes frère?. Tels sont et au Fils, et complétant Tunité de la Trinité.
mes vœux et mes désirs; et je les dépose ici C'est le Fils seul, et non la Trinité entière, qui
dans le sein de Dieu qui peut et garder en moi est né de la vierge Marie, a été crucifié sous
le trésor de ses propres dons, et remphr à Ponce-Pilale, a été enseveli, est ressuscité le
mon égard ses consolantes promesses. troisième jour et est monté au ciel. C'est éga-
6. Je n'ignore point que quelques esprits lement le Saint-Esprit seul qui, au baptême
moins intelligents ne saisiront pas toujours le de Jésus-Christ, descendit sur lui en forme de
véritable -sens de mes paroles, et que même colombe, qui après l'Ascension, et le jour de
ils me prêteront des pensées que je n'aurai la Pentecôte, s'annonça par un grand bruit
pas eues. Mais qui ne sait que je ne dois pas venant du ciel et pareil a un vent violent, et
être responsable de leurs erreurs? Et en effet, qui se partageant en langues de feu, se reposi
est-ce ma ne peuvent me suivre, et
faute s'ils sur chacun des apôtres \ Enfin c'est le Père
s'ils s'égarent, lorsque je suis contraint d'a- seul et non la Trinité entière (jui se fit enten-
vancer par des sentiers obscurs et ténébreux? dre, soit au baptême de Jésus par Jean-Baptiste,
C'est ainsi que nul ne fait retomber sur les soit sur la montagne en présence des trois dis-
écrivains sacrés les nombreuses erreurs des ciples lorsque cette parole fut prononcée
, :

divers hérésiarques. Et cependant tous s'elTor- «Vous êtes mon Fils ». Et également ce fut la
cent de défendre et de soutenir leurs systèmes voix du Père qui retentit dans le temple, et
par l'autorité de l'Ecriture. La charité, qui est qui dit : « Je l'ai glorifié, et je le glorifierai
la loi de Jésus-Christ, m'avertit et m'ordonne «encore'». Néanmoins comme le Père, le
en toute douceur et suavité que si un lecteur Fils et TEsprit-Saint sont inséparables en unité
me prête, en parcourant mes ouvrages, une de nature, toute action extérieure leur est
proposition fausse qui n'est pas la mienne , et commune. Telle est ma croyance, parce que
que cette proposition fausse eu elle-même soit telle est la foi catholique.
rejetée [lar Tun et approuvée par Fautre, je
CHAPITRE V.
préfère la critique du premier aux louanges du
COMMENT TROIS PERSONNES NE FONT-ELLES
second Sans doute l'un me blâme injustement,
.

qu'un SEUL DIEU ?


puisque Terreur n'est pas la mienne, et néan-
moins en tant qu'erronnée la proposition est 8. Mais ici quelques-uns se troublent, quand
blâmable; mais l'approbation de Tautre n'est
' Matt. in , 16 ; Act. il , 2-4. — = Marc , l , 11 Matt. xvil , 5
pas moins injuste, puisqu'il me loue d'avoir Jean, xii, i:S.
;
;
3S0 DE LA TRINITÉ.

on leur dit qu'il y a trois personnes en Dieu, « leste vocation ^ ». Quelle distance ai-je donc
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que ces parcourue dans cette route? à quel point suis-je
trois personnes ne sont pas trois dieux, mais arrivé? et quel espace me reste-t-il encore à
un seul et même Dieu. Aussi demandent-elles franchir ? voilà les questions auxquelles on dé-
comment on peut comprendre un tel langage, sire une réponse nette et précise. Puis-je la
surtout si vous ajoutez que toute action exté- refuser à ceux qui la sollicitent, et dont la
rieure est commune à la Trinité entière, et que charité me rend l'humble serviteur? Mais je
néanmoins la voix du Père qui s'est fait en- prie aussi le Seigneur de faire qu'en voulant
tendre, n'est pas la voix du Fils, que l'Incar- instruire mes frères, je ne néghge point ma
nation n'appartient qu'au Fils qui a pris une propre perfection , et qu'en répondant à
chair, qui a souffert, qui est ressuscité et qui leurs questions, je trouve moi-même la solu-
est monté au ciel que seul l'Esprit-Saint
; et tion de tous mes doutes. J'entreprends donc
s'est montré sous la forme d'une colombe. Ces ce traité par l'ordre et avec le secours du Sei-
esprits curieux veulent donc comprendre com- gneur notre Dieu, et je me propose bien moins
ment la Trinité entière a pu parler par cette d'y soutenir d'un ton magistral des vérités
voix qui n'est que la voix du Père,' comment déjà connues, que d'approfondir ces mêmes
encore cette même Trinité a créé la chair que vérités en les examinant avec une religieuse
le Fils seul a prise dans le sein d'une Vierge, piété.
et enfin comment cette colombe sous laquelle CHAPITRE YI.
se montra seul l'Esprit-Suint a été l'œuvre de
CONSUBSTANTIALITÉ DES TROIS PERSONNES.
toute la Trinité. Car autrement, la Trinité n'a-
girait pas inséparablement, et le Père serait 9. Quelques-uns ont dit que Notre-Seigneur
une chose, le Fils une autre, et l'Esprit-Saint Jésus-Christ n'était pas Dieu, ou qu'il n'était
une autre. Si au contraire certaines actions pas vrai Dieu, ou qu'il n'était pas avec le Père
sont communes aux trois personnes, et cer- un seul et même Dieu, ou qu'il n'était pas
taines propres seulement à chacune
autres réellement immortel parce qu'il était sujet au

d'elles, l'onne peut plus dire que la Trinité changement. Mais il suffit pour les réfuter de
agisse inséparablement. Ils se tourmentent en- leur opposer les témoignages évidents et una-
core pour savoir comment l'Esprit-Saint fait nimes de nos saintes Ecritures. Ainsi saint
partie essentielle de la Trinité, puisqu'il n'est Jean nous dit « qu'au commencement était le
engendré ni du Père, ni du Fils, quoiqu'il « Verbe, que le Verbe était avec Dieu, et que

soit l'Esprit du Père et du Fils. « le Verbe était Dieu ». Or l'on ne peut nier

Telles sont les questions dont quelques per- que nous ne reconnaissions en ce Verbe qui
sonnes me poursuivent à satiété. C'est pour- est Dieu, le Fils unique de Dieu, celui dont le

quoi de leur répondre, autant


je vais essayer même Evangéliste dit ensuite, « qu'il s'est fait

que la grâce divine suppléera à mon im- « chair, et qu'il a habité parmi nous » . Ce qui
puissance, et en évittant de suivre les sen- arriva lorsque j)ar l'incarnation le Fils de Dieu
tiers d'une jalouse et maligne critique '. Et naquit dans le temps de la vierge Marie. Ob-
d'abord, que jamais je ne me préoc-
si je disais servons aussi que dans ce passage, saint Jean
cupe de ces mystérieuses questions, je menti- ne déclare pas seulement que le Verbe est
rais. J'avoue donc que j'y réfléchis souvent, Dieu, mais encore qu'il affirme sa consubstan-
parce que j'aime en toutes choses à découvrir tialité avec le Père. Car après avoir dit « que
la vérité, et d'un autre côté la charité me presse « le Verbe était Dieu », il ajoute « qu'au com-
de communiquer à mes frères le résultat de « mencemenl il était avec Dieu, que toutes
mes réflexions. Ce n'est point que j'aie atteint « choses ont été faites par lui, et que rien de
le terme, ou que je sois déjà parfait, car si « ce qui a été fait n'a été fait sans lui - » . Or,
l'apôtre saint Paul n'osait se rendre ce témoi- quand l'Evangéliste dit que tout a étépar fait

gnage, pourrais-je le faire, moi qui suis si le entend évidemment parler de tout
Verbe, il

éloigné de lui? «Mais oubliant, selon ma fai- ce qui a été créé et nous en tirons cette ri-
;

« blesse, ce qui est derrière moi, et m'avançant goureuse conséquence que le Verbe lui-même
«vers ce qui est devant moi, je m'efforce d'at- n'a pas été fait par Celui qui a fait toutes
«teindre le but pour remporter le prix de la cé- choses. Mais s'il n'a pas été fait, il n'est donc
» Sag. VI, 25.
' Philipp. lU, 12, 14. — ' Jean, i, )4, 2, 3.
. ,

LIVRE PREMIER. — CONSURSTANTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES. 351

pas créature, et s'il n'est pas créature, il est « saint Paul à Timothée, d'observer les pré-
donc de la même substance ou nature que le « ceptes que je vous donne, vous conservant
Père. Et en tout ce qui existe est créa-
effet, « sans tache et sans reproche jusqu'à l'avéne-
ture, s'il n'est Dieu et tout ce qui n'est pas ;
« mentdeNotre-Seigneur Jésus-Christ que doit
créature, est Dieu. De plus, si le Fils n'est pas « faire paraître, en son temps. Celui qui est
consubstantiel au Père, il a donc été créé; « souverainement heureux, le seul puissant,
mais s'il a été créé, tout n'a donc pas été fait « le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs ;

par cependant l'Evangéliste nous assure


lui, et « qui seul possède l'immortalité, qui habite
« que tout a été fait par lui ». Concluons donc « une lumière inaccessible, qu'aucun homme
et que le Fils est de la même substance ou na- « n'a pu ni ne peut voir, et à qui est l'hon-
ture que le Père, et que non-seulement il est « neur et la gloire aux siècles des siècles.

Dieu, mais le vrai Dieu. C'est ce que saint « Amen ». Remarquez bien que dans ce pas-
'

ean nous atteste expressément dans sa pre- sage l'Apôtre ne désigne personnellement ni
mière épître « Nous savons, dit-il, que le Fils
:
le Père, ni le Fils, ni l'Esprit-Saint, et qu'il
« de Dieu est venu, et qu'il nous a donné l'in- caractérise le seul vrai Dieu, c'est-à-dire la

« telligence, afin que nous connaissions le Trinité tout entière par ces mots : a Celui qui
« vrai Dieu, et que nous vivions en son vrai « est souverainement heureux, le seul puis-
« Fils qui est Jésus-Christ. C'est lui qui est le « sant, le Roi des rois, le Seigneur des sei-

« vrai Dieu et la vie éternelle ^ ». « gneurs »

10. Nous pouvons également affirmer que 11. Mais peut-être vous troublez-vous, parce
l'apôtre saint Paul parlait de la Trinité entière, que vous saisissez difficilement ce mot de
et non du Père exclusivement, lorsqu'il disait l'Apôtre « Qu'aucun homme n'a pu, ni ne
:

«que Dieu seul possède l'immortalité ^». Et, « Rassurez-vous


peut voir il s'agit ici de
». :

en effet, l'Etre éternel ne saurait être soumis la divinité de Jésus-Christ; et en effet, les
ni au changement, ni à la mortalité et par ; Juifs qui ne pouvaient voir en lui le Dieu
conséquent, dès là que le Fils de Dieu « est la ne laissèrent pas de crucifier l'homme qu'ils
« vie éternelle », on ne doit point le séparer voyaient. C'est qu'un œil mortel ne saurait
du Père quand on dit que celui-ci « possède contempler l'essence divine, et qu'elle n'est
«seul l'immortalité». C'est aussi parce que aperçue que de l'homme qui s'est élevé au-
l'homme entre en participation de cette vie dessus de l'humanité. Nous avons donc raison
éternelle, qu'il devient lui-même immortel. de rapporter à la sainte Trinité ces paroles :

Mais il y a une distance infinie entre celui qui « Le Dieu souverainement heureux et seul
est par essence la vie éternelle, et l'homme « puissant, qui fera paraître en son temps

qui n'est immortel qu'accidentellement, et « Notre-Seigneur Jésus-Christ». D'ailleurs,

parce qu'il participe à cette vie. Bien plus, ce si l'Apôtre dit ici que ce Dieu « possède seul

serait une erreur d'entendre séparément du « l'immortalité », le psalmiste n'avait-il pas


Fils et à l'exclusion du Père, ces autres paroles dit, « que seul il opère des prodiges ? ^ » Et
du même apôtre « Il le fera paraître en son : maintenant je demanderai à mes adversaires
« temps, Celui qui est souverainement heu- de qui ils entendent cette parole. Du Père seul ?
« reux, le seul puissant, le Roi des rois, et le mais alors comment sera-t-elle véritable cette
a Seigneur des seigneurs, qui seul possède affirmation du Fils «Tout ce que le Père fait,
:

« l'immortalité ». Nous voyons, en effet, que « le Fils le fait également? » De tous les mira-

le Fils lui-même parlant au nom de la Sa- cles? le plus grand est certainement la résur-
gesse, car « il est la Sagesse de Dieu ' », ne se rection d'un mort. Eh bien « Comme le Père, 1

sépare point du Père, quand il dit : « Seul, « dit Jésus-Christ, ressuscite les morts et les

« j'ai parcouru le cercle des cieux * ». A plus « vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu'il veut'».

forte raison, il n'est point nécessaire de rap- Comment donc le Père opèrerait-il seul des
porter exclusivement au Père et en dehors du prodiges? et comment pourrait-on expliquer
Fils, ce mot de l'Apôtre Qui seul possède
: « autrement ces paroles qu'en les rapportant
«l'immortalité ». D'ailleurs, l'ensemble du non au Père seul, ni au Fils, mais au seul
passage s'y oppose. « Je vous commande, dit vrai Dieu, c'est-à-dire au Père, au Fils et au
Saint-Esprit?
' I Jean , v, 20, — » I Tim. vi , 16. — ' I Cor. 1 , 24, — " Eccli.
XXIV, 8. '
I Tim. VI, 14, 15, 16, — » Ps. LSXI , 18. — ' Jean, v, 19, 21.
.

352 DE LA TRINITÉ.

12. L'apôtre saint Paul nous dit encore : lité du Père et du Fils, et la simultanéité des
« Il n'y a pour nous qu'un seul Dieu Père
, le opérations du Père et du Fils. Pressons encore
a d'où procèdent toutes choses, et qui nous a cet argument. Si le Père a fait le Fils qui lui-
« faits pour lui; et un seul Seigneur, Jésus- même n'a pas fait le Père, il n'est plus vrai
« Christ, par qui toutes choses ont été faites, que le Fils ait fait toutes choses. Et cependant
«et nous par lui ». Or, je le demande, tout a été fait par le Fils : donc il n'a pas été
l'apôtre, comme Tévangéliste, n'affîrme-t-il fait lui-même ; autrement il n'aurait pas fait
pas « que toutes choses ont été faites par le avec le Père tout ce qui a été fait. Au reste, le
« Verbe?» Et dans cet autre passage, n'est-ce mot lui-même se rencontre sous la plume de
pas aussi ce même Verbe qu'il désigne évi- l'Apôtre; car dans l'épître aux Phllippiens, il

demment? « Tout est de lui, tout est par lui, dit nettement Verbe ayant la nature « que le
« tout est en lui. A lui soit la gloire aux siècles « de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui

« des siècles. Amen ». Veut-on, au contraire, *


«une usurpation de s'égaler à Dieu ». Ici '

reconnaître ici la distinction des personnes, et saint Paul donne expressément au Père le
rapporter au Père ces mots : a Tout est de lui » ;
nom de Dieu> ainsi que dans cet autre pas-
au Fils, ceux-ci : c< Tout est par lui »; et au sage «Dieu est le Chef de Jésus-Christ * ».
:

Saint-Esprit, ces autres : « Tout est en lui ? » 13. Quant au Saint-Esprit, ceux qui avant
Il devient manifeste que le Père, le Fils et le moi ont écrit sur ces matières, ont également
Saint-Esprit sont un seul Dieu, puisque l'Apô- réuni d'abondants témoignages pour prouver
tre attribue à chacune des trois personnes qu'il est Dieu et non créature. Mais s'il n'est
celte même et unique doxologie : « Honneur pas créature, il est non-seulement Dieu dans

« et aux siècles des siècles. Amen ». Et


gloire le même sens que quelques hommes sont ap-
en nous reprenons ce passage de plus
effet, si pelés dieux ^; mais il est réellement le vrai
haut, nous verrons que l'Apôtre ne dit pas : Dieu. D'où je conclus qu'il est entièrement
« profondeur des richesses de la sagesse et égal au Père et au Fils, consubstantiel au Père
« de la science », du Père, ou du Fils, ou du et au Fils, coéternel avec eux, et complétant
Saint-Esprit, mais simplement, « de la sagesse l'unité de la nature dans la trinité des per-
« et de la science de Dieu Que ses jugements, 1 sonnes. D'ailleurs, le texte des saintes Ecri-
« ajoute-t-il, sont incompréhansibles, et ses tures qui atteste le plus évidemment que le
«voies impénétrables! car qui connaît les Saint-Esprit n'est pas créature, est ce pas-
« desseins de Dieu, ou qui est entré dans le sage de l'épître aux Romains, où l'Apôtre nous
« secret de ses conseils ? ou qui lui adonné le ordonne de servir non mais le la créature,
« premier pour en attendre la récompense? Créateur \ Et nous
ici saint Paul n'entend pas
« car tout est dé lui, tout est par lui, tout est prescrire ce service que la charité nous recom-
« en lui. A lui la gloire aux siècles des siècles. mande envers tous nos frères, et que les Grecs
« Amen - » nomment culte de dulie; mais il veut que ce
vous ne rapportez ces paroles qu'au
Mais si soit ce culte qui n'est dû qu'à Dieu seul, et
Père, en soutenant que seul il a fait toutes que les Grecs appellent culte de latrie. Aussi
choses, comme l'Apôtre l'affirme ici, je vous regardons-nous comme idolâtres tous ceux
demanderai de les concilier et avec ce passage qui rendent aux idoles ce culte de latrie, car
del'épître aux Corinthiens, où, parlant du Fils, c'est à ce culte que se rapporte ce précepte du
saint Paul dit « Nous n'avons qu'un seul
: Décalogue «Vous adorerez le Seigneur votre
:

« Seigneur, Jésus- Christ, par qui toutes choses «Dieu, et vous ne servirez que lui scul^».
« ont été faites », et avec ce témoignage de Au reste, le texte grec lève ici toute difficulté,
l'évangéhste saint Jean « Toutes choses ont : car il porte expressément : « Et vous lui ren-
« été faites par le Verbe ^ ». Et, en effet, sup- « drez le culte de latrie ».
posons que certaines choses aient été faites Or, si nous ne pouvons rendre à une créa-
par le Père, et d'autres par le Fils, il faudra ture ce culte de latrie, parce que le Décalogue
en conclure que ni l'un ni l'autre n'ont fait nous dit « Vous adorerez le Seigneur, votre
:

toutes choses. Admettez-vous, au contraire, « Dieu, et vous ne servirez que lui seul », et
que toutes choses ont été faites ensemble par si l'Apôtre condamne ceux qui ont servi la

le Père et par le Fils, vous en déduirez Téga-


'
Plù'.ipp. If, 6. — '
I Cor. XI, d. — ^ Ps. Lxxxi , 6. — ' Koin. i,

'
Hom. XI, :<6. — ' Rom. Xl, SJ-.iG. — ' 1 Cor. viii, G ; Jean, i, 2. 25. — * Deut. VI, 13.
.

LIVRE PREMIER. — CONSURSTANTIALITE DES PERSONNES DIVINES. 3o3

« créature plutôt que le Créateur», nous som- l'homme, les écrivains sacrés, il faut le re-
mes en droit de conclure que le Sainl-Esprrt connaître,, tantôt insinuent que le Père est

n'est pas une créature ,


puisque tous les plus grand que le Fils, et tantôt même le
chrétiens l'adorent et le servent. Et en disent ouvertement. De là l'erreur de ceux
effet, saint Paul dit « que nous ne sommes qui, par défaut d'une étude sérieuse des Ecri-
a point soumis à la circoncision, parce que tures, ne saisissent qu'imparfaitement l'en-
« nous servons l'Esprit de Dieu», c'est-à-dire, semble de leur doctrine , et attribuent ce
selon le terme grec, que nous lui rendons le qu'elles disent de Jésus-Christ comme homme,
culte de latrie '. Telle est la leçon que don- à Jésus-Christ comme Dieu ; or, qui ne sait
nent tous ou presque tous les manuscrits qu'en tant que Dieu il était avant l'Incarna-
grecs, et qui se trouve également dans plu- tion, de même qu'il sera éternellement ? C'est
sieurs exemplaires latins. Quelques-uns ce- ainsi que certains hérétiques soutiennent que
pendant portent nous servons Dieu en esprit,
: le Fils est inférieur au Père, parce que lui-

au lieu de lire: nous servons l'Esprit de Dieu. même a dit « Le Père est plus grand que
:

C'est pourquoi, sans me préoccuper de prou- « moi ». Mais ce raisonnement nous conduit
'

ver à mes adversaires l'authenticité d'un texte à dire que Jésus-Christ est au-dessous du Fils
dont ils récusent la valeur, je leur demande- de Dieu car n'est-il pas en effet descendu jus-
;

rai s'ils ont jamais rencontré la plus légère qu'à cet abaissement, « puisqu'il s'est anéanti
variante dans ce passage de la première épître « lui-même en prenant laforme d'esclave? »
aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que vos Toutefois, en prenant la forme d'esclave, il n'a
« corps sont temple du Saint-Esprit, que
le point perdu la nature de Dieu, et il est de-
« vous avez reçu de Dieu ? » Mais ne serait-ce meuré égal à son Père. Ainsi, en prenant la
point un blasphème et un sacrilège que d'oser forme d'esclave, il est resté Dieu, et il est tou-
dire que le chrétien, membre de Jésus-Christ, jours le Fils unique de Dieu, soit que nous le
est le temple d'une créature inférieure à Jésus- considérions sous celte forme d'esclave, soit
Christ? Or, l'Apôtre nous affirme, dans un au- en sa nature de Dieu. Sous ce dernier rapport,
tre endroit, «que nos corps sont les membres Jésus-Christ est égal à son Père, et sous le
« de Jésus-Christ ». Si donc ces mêmes corps, premier médiateur entre Dieu et les
il est
membres de Jésus-Christ, sont également les hommes. Mais ne comprend que
alors, qui
temples de l'Esprit-Saint, celui-ci ne saurait comme Dieu il soit plus grand que comme
être créature. Et, en etïet, dès là que notre Dieu homme et que même ayant pris la
,

corps devient le temple de l'Esprit-Saint, nous forme d'esclave, il soit inférieur à lui-même?
devons rendre à cet Esprit le culte qui n'est C'est pourquoi la sainte Ecriture dit avec
dû qu'à Dieu, et que les Grecs nomment culte raison, et que le Fils est égal au Père, et que
de latrie. Aussi saint Paul a-t-il raison d'ajou- le Père est plus grand que le Fils. Or, ces deux
ter : et Glorifiez donc Dieu dans votre corps -» pro|)Osilions sont vraies, si l'on entend la
première de Jésus-Christ en tant que Dieu, et
CHAPITRE VII.
la seconde de Jésus-Christ en tant qu'homme.

COMMENT LE FILS EST-IL IMÉRIELR AU PÈRE ET A Au reste, l'Apôtre exprime dans son épître aux
LUI-MÊME. Philippiens celte distinction, et nous la donne
comme la solution vraie et facile de toutes les

14. Ces divers textes de nos divines Ecri- difficultés de ce genre. Et en effet, quoi de
tures et plusieurs autres ont fourni, comme plus formel que ce [)assage :« Jésus-Christ ayant
je l'ai dit, à tous ceux qui ont déjà traité ce « la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût

sujet, d'abondantes preuves pour réfuter les a pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu ;

erreurs et les calomnies des hérétiques, et « et cependant ils'estanéantilui-mèmeen pre-


pour établir notre croyance en Dieu , un en « nant la forme d'esclave, en se rendant sem-
nature et triple en personnes. Mais lorsqu'il « blable aux hommes, etse faisant reconnaître
s'agit de l'incarnation du Verbe de Dieu, incar- « pour homme par tout ce qui a paru de lui -? »
nation par laquelle Jésus-Christ s'est fait homme Ainsi le Fils de Dieu, égal au Père par sa na-

afin d'opérer l'œuvre de noire rédemption, et ture divine, lui est inférieur par sa nature
de se porter comme médiateur entre Dieu et humaine. En prenant la forme d'esclave, il

' Phllipp. III, 3. — Cor. 19, 15, 20.


» I vi, ' Jean, xiv, 25. — ' Philipp. ii, 6, 7.

S. AuG. — Tome XII. 23


354 DE LA TRINITÉ.
s'estmis au-dessous du Père, mais il est resté ce fait irrécusable, à savoir que celte trans-
son égal comme Dieu, car il était Dieu avant formation n'avait point eu lieu quand Jésus-
que de se faire Homme-Dieu. Comme Dieu, il Christ disait « Mon Père est plus grand que
:

est ce Verbe dont saint Jean a dit que « toutes « moi » Car il a prononcé cette parole bien
.

« choses avaient été faites par lui * » ; et comme avant son Ascension, et môme avant sa mort
homme, « il a été formé d'une femme, et as- et sa résurrection.
« sujéti pour racheter ceux qui
à la loi , D'autres au contraire croient qu'un jour
a étaient sous la loi^». Comme Dieu, il a cette transformation de la nature humaine en
concouru à la création de l'homme, et il a été la nature divine aura lieu, et ils expliquent
fait homme lorS(iu'il a pris la forme d'esclave. ces mots : « Alors le Fils sera lui-même assu-
Et en effet, si le Père seul eût créé l'homme, «jéti à Celui qui lui aura assujéti toutes
l'Ecriture ne rapporterait pas ces paroles : « choses » comme si l'Apôtre disait qu'au
,

a Faisons l'homme à notre image et à notre jour du jugement général, et après qu'il aura
« ressemblance * ». Ainsi, parce qu'étant Dieu, remis son royaume entre les mains de son
le Verbe a pris la forme d'esclave, il est tout Père, le Verbe de Dieu lui-même et la nature
ensemble Dieu et homme. Il est Dieu parce humaine qu'il a prise, seront perdus et abîmés
qu'il conserve la nature divine, et il est homme en l'essence de Dieu le Père, qui a soumis
parce qu'il a pris la nature humaine. Mais en toutes choses à son Fils. Mais ici encore, et
Jésus-Christ, ces deux natures n'ont subi au- même dans cette seconde hypothèse, le Fils
cune altération ni aucun changement. La di- est inférieur au Père, en tant qu'il a pris dans
vinité ne s'est point abîmée en l'humanité, de le sein d'une Vierge la forme d'esclave. Enfin
telle sorte qu'elle eût cessé d'être la divinité, se présente un troisième ordre d'adversaires.
et l'humanité n'a point été absorbée par la Ils affirment qu'en Jésus-Christ l'humanité a

divinité, de telle sorte qu'elle eût cessé d'être été dès le principe absorbée par la divinité :

l'humanité. et toutefois ils ne peuvent nier que l'homme


CHAPITRE VIII. subsistait encore dans le Christ, lorsqu'il di-
sait avant sa passion « Le Père est plus :

PASSAGES DE l'ÉCRITURE RELATIFS A l'INFÉRIORITÉ


« grand que moi ». Il est donc véritablement
DU FILS.
impossible de ne pas interpréter cette parole
15. Il est vrai que l'Apôtre dit dans sa pre- dans ce sens que le Fils de Dieu, égal à son
mière épître aux Corinthiens, que « lorsque Père comme Dieu, lui est inférieur comme
« toutes choses auront été assujéties au Fils, homme.
« alors le Fils sera lui-même assujéti à Celui Il est vrai que l'Apôtre en disant « que tout
« qui lui aura assujéti toutes choses * ». Mais « est assujéti au Fils », excepte manifestement
ces paroles seulement qu'alors
signifient ,
« Celui qui lui a assujéti toutes choses ». Mais
même l'humanité que le Fils de Dieu a i)rise ce serait une erreur d'en conclure que le Père
en se faisant homme, ne sera point absorbée seul doit agir en cette circonstance, et que le
par la divinité, ou, pour parler plus exacte- Fils n'a point concouru à s'assujélir toutes
ment, par l'Etre divin. Car cet Etre n'est point choses. Au
reste saint Paul explique lui-même

créature, et il n'est autre que la Trinité, une sa pensée dans ce passage de l'épître aux Phi-
en nature, incorporelle et immuable, et dont lippiens « Nous vivons déjà dans le ciel; et
:

les personnes sont entre elles consubstantielles « c'est de là aussi que nous attendons le Sau-

et coéternelles. Voulez- vous même avec ,


a veur, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui clian-

quelques-uns, interpréter ces paroles : « Et le « géra notre corps misérable en le rendant con-

« Fils sera lui-même assujéti à Celui qui lui « forme à son corps glorieux par cette vertu

«aura assujéti toutes choses», dans le sens « efficace qui peut lui assujétir toutes choses*».

que cet assujétissement s'opérera par le chan- Le Père et le Fils agissent donc inséparable-
gement et la transformation de la nature hu- ment toutefois ce n'est pas le Père qui s'as-
:

maine en la nature et l'essence divine, en sujétit toutes choses, mais c'est le Fils qui lui
sorte que l'homme disparaîtra en Jésus-Christ, soumet toutes choses, qui lui remet son
et qu'il ne restera plus que le Dieu ? du royaume, et qui anéantit tout empire, toute
moins, vous ne pouvez pas ne point accepter domination et toute puissance. C'est en effet

' Jeau, I, 3.— = Gai. iv, 4, 5.— ' Gen. i, 26.— ' I Cor. xv, 28, •
Philipp. m, 20, 21.
.

LIVRE PPxEMIER. — CONSUBSTÂM'IALITE DES PERSONNES DIVINES. 3do

au Fils seul que se rapportent ces paroles de yeux des élus, parce qu'il détruira tout empire,
l'Apôtre : « Lorsqu'il aura remis son royaume toute domination et toute puissance. Mais il

« à Dieu son Père, et qu'il aura anéanti tout opérera lui-même cette destruction, et il n'y
a empire toute domination et toute puis-
, emploiera point le secours des esprits célestes,
ce sance ». Le Fils soumet donc toutes choses
*
les trônes, les vertus et les principautés. Aussi
à son Père dès là qu'il anéantit tout empire et peut-on appliquer au juste sur la terre ce pas-
toute puissance. sage du Cantique des cantiques où l'Epoux dit
Cependant il ne faut pas croire que le
16. à l'épouse : « Je te donnerai un miroir d'or
Fils s'ôte à lui-même son royaume parce qu'il « entrelacé d'argent, tandisque le Roi repose
le remet à son Père. Car quelques-uns ont « sur sa couche '
» . Or, ce roi est le Christ dont
poussé jusqu'à ce point l'aberration du lan- la vie est cachée en Dieu, selon cette parole de
gage. Il n'en est rien, et en remettant le l'Apôtre : « Votre vie est cachée en Dieu avec

royaume à Dieu le Père. Jésus-Christ n'abdique a Jésus-Christ; et lorsque Jésus-Christ, qui est
point sa royauté, puisqu'il est avec le Père un « votre vie, paraîtra, vous paraîtrez aussi avec
seul et même Dieu. Mais ce qui trompe ici ces a lui dans * ». Mais en attendant cet
la gloire
esprits qui n'étudient que légèrement nos heureux jour nous ne voyons Dieu que , «

saintes Ecritures, et qui se passionnent pour « comme dans un miroir et sous des images
de Taines disputes, est la couionciïon jusqu'à a obscures, mais alors nous le verrons face à
ce que. L'Apôtre dit en effet « Il faut que le : « face ^ »

« Christ règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous 17. C'est cette vision intuitive qui nous est
« ses ennemis sous ses pieds ^ ». Et de là nos montrée comme le but de toutes nos actions
adversaires concluent qu'alors il ne régnera et la perfection de notre bonheur. Car « nous
plus. Ils ne comprennent donc point qu'on « sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous
doit attacher ici au mot Jusque ce que le « serons un jour ne paraît pas encore. Nous
même sens que dans ce verset du psaume « savons seulement que, quand il viendra dans
cent onzième a Son cœur est affermi, et il ne
: « sa gloire, nous serons semblables à lui, parce
« se troublera point jusqu'à ce qu'il voie la « que nous le verrons tel qu'il est * ». Le Sei-
a ruine de ses ennemis ^ » ; c'est-à-dire qu'il gneur disait autrefois à Moïse, son serviteur :

ne sera plus sujet au trouble ni à la crainte, a Je suis celui qui est , et vous direz aux en-

parce qu'il aura vu la ruine de ses ennemis. cefants d'Israël Celui qui est m'a envoyé vers :

Eh quoi encore cette parole « Lorsque le


! : « TOUS * ». Eh bien la contemplation de cet 1

« Christ aura remis le royaume à Dieu le Etre suprême est réservée pour l'éternité. Le
«Père», signifie-t-elle que jusqu'à ce mo- Sauveur dit en effet « La vie éternelle, ô mon :

ment Dieu le Père n'aura point régné ? Non « Père, est de vous connaître, vous le seul Dieu

sans doute mais Jésus-Christ, qui est vrai


: a véritable, et Jésus-Christ que vous avez en-

Dieu et vrai homme, qui sest fait médiateur « voyé ^ ». Or ce mystère ne nous sera pleine-

entre Dieu et les hommes, et qui règne au- ment révélé, que lorsque le Seigneur vien- ce

jourd'hui par la foi sur les justes, les intro- « dra et qu'il éclairera ce qui est caché dans
,

duira alors dans cette vision intuitive, que ((les ténèbres ». Car alors nous dépouille- ''

l'Apôtre appelle «une vision face à face*». rons, pour ne plus les reprendre, les grossières
C'est pourquoi cette parole « Lorsque le Christ : enveloppes de la corruption et de la mortalité ;

« aura remis le royaume à Dieu le Père », et nous verrons luire cette aurore céleste dont
doit être entendue dans ce sens lorsque le : le psalmiste a dit : a Dès l'aurore je me pré-
Christ aura conduit les vrais croyants a la vi- B senterai devant vous, et je vous contemple-
sion claire et parfaite de Dieu le Père. Il a dit « rai * ». Je rapporte donc à cette ineffable con-
en effet lui-même « Toutes choses m'ont été : templation ces paroles de l'Apôtre « Lorsque :

a données par mon Père et nul ne connaît le ;


a le Fils aura remis son royaume à Dieu le

« Fils, si ce n'est le Père et nul ne connaît le ;


« Père » c'est-à-dire , lorsque Jésus-Christ
,

a Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils vrai Dieu et vrai homme, et médiateur entre
« aura voulu le révéler ' » . C'est donc alors Dieu et les hommes, aura conduit à la vision
que le Fils révélera pleinement le Père aux
» Gant. 1 , 11. — ' Colos. ni , 4. — • I Cor. sui , 12.— * I Jean ,
' I Cor. XV, 24. — ' Ibid. rv, 25. — ' Ps. CSI, 8. I Cor. xiiT, m, 2. — ' Exod. m, 14. — ' Jean, xvii , 3. — '
I Cor. iv, 5.
12. — ' Matt. il, 27. • Ps. V, 5.
.

356 DE LA TRINITÉ.

claire et parfaite de Dieu le Père, les justes en vée pour l'éternité, quand il met ces paroles
qui il vil aujourd'hui par la foi. dans la bouche de Dieu « Je le rassasierai de :

Si je me trompe dans celte interprétation, a la longueur du jour, et je lui ferai voir le

j'en accepte d'avance une plus heureuse. Mais 8 Sauveur que j'ai promis ». Il est donc in- '

pour le moment je n'en vois pas d'autre. Eh 1 différent de dire montrez-nous le Fils, ou
:

que pourrons-nous chercher encore, quand montrez-nous le Père; car l'un ne peut être
nous aurons été admis à la contemplation de vu sans l'autre, puisqu'ils sont un, selon
l'essence divine ? Sur la terre cette jouissance celte parole de Jésus-Christ « Le Père et moi :

nous est refusée, et toute notre joie est Tespé- 8 nous sommes un ^ ». C'est à cause de cette

rance d'y parvenir. « Or l'espérance qui verrait, inviolable unité que souvent nous nommons
a ne serait plus de l'espérance car com- , le Père seul, ou le Fils seul, comme devant

« ment espérer ce qu'on voit déjà? Nous espé- nous remplir de joie par la vue de son visage.
« rons donc ce que nous ne voyons pas en- 18. Mais ici encore on ne sépare point du
«core, et nous l'attendons par la patience, Père ni du Fils l'Esprit-Saint, qui est l'Esprit
a tandisque le Roi repose sur sa couche ». Car de l'un et de l'autre. 11 est, en effet, a cet Es-
alors se vérifiera pour nous cette parole du « prit de vérité (jue le monde ne peut rece-

psalmiste o La vue de votre visage merem-


: c( voir^ ». Ainsi notre joie sera véritablement
« plira de joie * ». Mais cette joie sera si pleine et parfaite par la vision intuitive de la
abondante qu'elle rassasiera tous nos désirs, sainte Trinité, à l'image de laquelle nous
et que nous ne saurions rien demander de avons été formés. Aussi disons-nous quelque-
plus. Et en effet, nous verrons Dieu le Père; fois que le Saint-Esprit seul suffira à notre
et cela ne nous sufûra-t-il pas ? L'apôtre Phi- béatitude ; et cette manière de parler est
lippe le comprenait bien quand il disait à Jé- vraie, parce que l'Esprit-Saint ne peut être
sus-Christ « Montrez-nous le Père, et cela
: séparédu Père ni du Fils. Il en est de même
8 nous suffira». Toutefois il n'en avait pas etdu Père, parce qu'il est inséparablement
une intelligence pleine et parfaite, car il eût uni au Fils et au Saint-Esprit, et du Fils,
pu dire également: Seigneur, montrez-vous à parce qu'il est inséparablement uni au Père
nous, et cela nous suffira. C'est ce que le Sau- et au Saint-Esprit. C'est ce qu'exprime for-
veur se proposa de lui faire entendre par cette mellement ce passage de l'Evangile « Si vous :

réponse: « Il y a si longtemps que je suis avec « m'aimez, dit Jésus-Christ, gardez mes com-
« vous, et vous ne me connaissez pas ? Phi- « mandements, et je prierai mon Père, et il

8 lippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père». 8 vous donnera un autre Consolateur, pour

Mais parce que Jésus-Christ voulait qu'avant 8 qu'il demeure éternellement avec vous, l'Es-
d'obtenir la vision intuitive du Père, cet « prit de vérité que le monde ne peut rece-
apôtre vécût d'une vie de foi, il ajouta : « Ne 8 voir » c'est-à-dire ceux qui aiment le
:

« croyez-vous pas que je suis en mon Père, et monde, car « l'homme animal ne perçoit pas
« que mon
Père est en moi ? ^ » a les choses qui sont de l'Esprit de Dieu* ».

« pendant que nous habitons dans


Eteneffet, Peut-être aussi voudrez-vous expliquer cette
« ce corps, nous marchons hors du Seigneur, parole : « Je jjrierai mon Père, et il vous en-
8 car nous n'allons à lui que par la foi et , a verra un autre Consolateur », dans ce sens
« nous ne le voyons pas encore à découvert^». que le Fils seul ne suffit pas à notre bon-
Or la vision intuitive sera la récompense de heur éternel ? Eh bien ! voici un passage où
notre foi ; et c'est cette foi qui purifie nos le dogme contraire est expressément énoncé.
cœurs, selon cette parole du livre des Actes : « Lorsque l'Esprit de vérité, dit Jésus-Cbrist,
aLe Seigneur purifie les cœurs par la foi ^ ». a sera venu, il vous enseignera toute vérité * »
Une autre preuve de celte véri;é, et i)reuve Est-ce qu'ici le Fils est séparé de l'Esprit-Saint,
bien convaincante , est la sixième béatitude comme s'il ne pouvait lui-même enseigner
qui est ainsi conçue
Bienheureux ceux qui : « toute vérité, et con)me si l'Esprit-Saint devait
«ont le cœur pur, parcequ'ils verront Dieu ^». sup[)léer à l'imperfection de son enseigne-
D'un autre côté le Psalmiste nousrappelle que ment? Ajoutez donc, si cela vous plaît, que
cette jouissance de la vision intuitive est réser- l'Esprit-Saint est plus grand que le Fils, quoi-

' Rom. vni , 2l, 25 ; Cant. i 11 ; Ps. xv, 11.


, * Jean — , iiv, 9, •
Ps. xc, 16. — ' Jean, x, 30. — * Jean, xiv, 17. — * Jean , xiv,
10. — ' II Cor. V, 6, 7. — ' Act. xy, 9. • Mat.-v, 8. 15, 17 ; l Cor. Il, 14. —' Jean, vi, 13.
LIVRE PREMIER. — CONSUBSTANTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES. 35'

que plus communément vous disiez qu'il lui « touchez point, parce que je ne suis pas encore
est inférieur. Est-ceencore parce que le texte «remonté vers mon Père ' ». Madeleine sem-
évangélique ne dit pas lui seul, ou nul autre : blait,en effet, par cette action, ne reconnaître
que lui ne vous enseignera toute vérité, que en Jésus-Christ que Thumanité; et c'est pour-
TOUS nous permettez du moins de croire que quoi le divin Sauveur ne voulait pas qu'un
le Fils enseigne conjointement avec l'Esprit- cœur qui lui était si dévoué, s'attachât exclu-
Saint? Mais l'Apôtre a donc exclu le Fils de sivement à l'extérieur de sa personne. Le
la science des choses de Dieu, quand il a dit : mystère de l'Ascension devait au contraire
« Personne ne connaît ce qui est en Dieu, prouver qu'en tant que Dieu il est égal au
a sinon l'Esprit de Dieu *? » Ainsi ces hommes Père, et que comme Celui-ci il suffit à la béa-
pervers pourront conclure de ce passage que titude des élus.
l'Esprit-Saint révèle au Fils lui-même les Au reste cette vérité est si assurée, que
choses de Dieu, et qu'il l'en instruit comme souvent nous disons que le Fils seul suffît au
un supérieur instruit son inférieur. Et cepen- bonheur de la vision intuitive, et qu'en lui
dant le Fils n'accorde à l'Esprit que d'annon- seul nous trouverons la récompense de notre
cer ce qu'il aura reçu de lui. « Parce que je amour et le rassasiement de nos désirs. Ne
« vous ai parlé de la sorte, dit Jésus-Christ à nous dit-il pas en effet lui-même « Celui qui :

« ses apôtres, votre cœur est rempli de tris- « a mes commandements, et qui les garde,

ce tesse. Mais je vous dis la vérité il vous est


: « c'est celui-là qui m'aime ? Or celui qui

« bon que je m'en aille, car si je ne m'en vais «m'aime sera aimé de mon Père je l'ai- ;

« point, le Consolateur ne viendra point à « merai aussi et je me manifesterai à lui^ ».


« vous^ ». Eh quoi parce que Jésus-Christ ne dit pas
1

CHAPITRE IX. ici je vous montrerai le Père, est-ce qu'il


:

s'en sépare? nullement. Mais parce que cette


IL FAUT SOUVENT APPLIQUER A TOUTES LES PER-
parole est vraie « Mon Père et moi nous :
SONNES CE QUE l'Écriture dit de l'une
« sommes un », le Père ne peut se manifester
d'entre ELLES.
sans manifester également le Fils qui est en
Mais en parlant ainsi, Jésus-Christ n'a point lui. Et de même, quand le Fils se manifeste,
voulu marquer quelque inégalité entre le il manifeste nécessairement le Père qui est en
Verbe de Dieu et l'Esprit-Saint. 11 s'est pro- lui. Aussi quand on dit que le Fils remettra
posé seulement d'avertir ses apôtres que la le royaume à Dieu son Père, nous ne devons
présence de sa sainte humanité au milieu pas entendre qu'alors il cessera lui-même de
d'eux, était un obstacle à la venue de cet Es- régner, car il est évident qu'en conduisant
prit consolateur, qui ne s'est point abaissé les élus à la vision intuitive du Père, il les
comme le Fils en prenant la forme d'esclave : conduira à la vision de lui même, puisqu'il
il devenait donc nécessaire que le Christ, en nous assure qu'il se manifestera à .eux. C'est
tant qu'homme, disparût aux regards des apô- pourquoi lorsque l'Apôtre Jude lui eût dit :

tres, parce que la vue de son humanité sainte « Seigneur, d'où ^ient que vous vous décou-

affaiblissait en eux la notion nette et précise « vrirez à nous, et non pas au monde ? » Jé-
de sa divinité. Aussi Jésus-Christ leur disait- sus-Christ lui répondit avec juste raison : « Si
il « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez
: quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et
«

« de ce que je vais à mon Père, parce que mon mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui,
«
« Père est plus grand que moi * » C'est comme . « et nous ferons en lui notre demeure ^ » Ainsi .

s'il leur eût dit il faut que je retourne à mon


: le Fils ne se manifeste pas seul à celui qui
Père car tandis que je suis corporellement
; l'aime, mais il vient à lui avec le Père, et tous
parmi vous, la vue de mon humanité vous deux font en lui leur demeure.
fait croire que je suis inférieur au Père. Aussi, 19. Mais peut-être penserez-vous que l'Es-
parce que vous êtes tout préoccupés des de- prit-Sainl est exclu de l'àme de ce juste, où
hors matériels et sensibles que vous aperce- habitent le Père et le Fils? Eh quoi! Jésus-
vez en moi, vous ne pouvez comprendre que Christ n'a-t-il pas dit précédemment du Saint-
comme Dieu je suis égal à mon Père. Tel est Esprit : « Le monde ne peut le recevoir, parce
également le sens de celte parole « Ne me : « qu'il ne le voit point; vous, au contraire,
' I Cor. II, 11. — ' Jean, xvi, 6, 7. — '
Jean, xiv, :i8. ' Jean, S.X, 17. — ' Id. xiv, 21. — *
Id. XIV, 22, 23.
.

358 DE LA TRINITÉ.

a VOUS le connaissez, parce qu'il demeure en loisir, tandis que Marie se reposait en la pa-
« vous, et qu'il est en vous* ». Comment donc role du divin Sauveur. Aussi quand Marthe se
soutenir que cet Esprit, dont il est dit qu'il plaignit de ce que sa sœur ne lui aidait pas,
demeure en nous, et qu'il est en nous, n'ha- Jésus-Christ lui répondit-il « Marie a choisi :

bite pas dans Tàme du juste? Enfin ce serait « la meilleure part, qui ne lui sera pas ôtée* »
une trop grossière absurdité que d'affirmer Il ne que la part de Marthe fût mau-
dit point

que la présence du Père et du Fils en l'âme de vaise, mais que celle de Marie était meil-
il dit

de celui qui les aime, met en fuite l'Esprit- leure , et il ajouta qu'elle ne lui serait pas
Saint, en sorte qu'il se retire à leur approche, ôtée. La première, qui a pour objet le soula-
comme un inférieur devant ses supérieurs. gement de notre indigence, cessera avec cette
Toutefois il suffit, pour renverser cette mons- indigence, et un éternel repos sera la récom-
trueuse erreur, de rappeler ces paroles du pense de son généreux dévouement. Mais la
Sauveur « Je prierai mon Père, et il vous
: seconde subsistera toujours, parce que dans
« donnera un autre Consolateur ,
pour qu'il la vision béatifique. Dieu sera toutes choses

« demeure éternellement avec vous- ». Ainsi en tous ses élus, en sorte qu'ils n'éprouveront
l'Esprit-Saint ne se retire point à l'approche aucun autre désir, et qu'en sa lumière ils
du Père et du Fils, et il doit, conjointement jouiront d'un parfait bonheur.
avec eux, demeurer éternellement dansl'àme C'est le bonheur que demandait le psalmiste,

des justes, car il n'y vient point sans eux, ni par ces gémissements ineffables que l'Esprit-
eux sans lui. Mais c'est en raison de la dis- Saint formait en lui, quand il s'écriait «J'ai :

tinction des personnes en la Trinité,que cer- « demandé une seule grâce au Seigneur, et je

taines choses sont dites séparément de chaque « la lui demanderai encore, celle d'habiter dans

personne et néanmoins ces mêmes choses se


; « la maison du Seigneur tous les jours de ma

rapportent également aux trois personnes « vie, pour y contempler la beauté du Sei-

divines, à cause de l'unité de nature qui fait « gneur * ». Nous verrons donc Dieu le Père,

qu'en la Trinité des personnes, le Père, le Fils Dieu leFils,etDieurEsprit-Saint, lorsque Jésus-
et le Saint-Esprit ne sont qu'un seul Dieu. Christ qui est établi médiateur entre Dieu et
les hommes, aura remis son royaume à Dieu
CHAPITRE. X. le Père. Alors le Verbe éternel qui est tout en-

DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LE FILS LIVRERA semble Fils de Dieu et Fils de l'homme, n'in-
LA SODVER-\INETÉ AU PÈRE. tercédera plus pour nous, comme notre mé-
diateur et notre pontife. Mais lui-même en
20. Lors donc que Notre-Seigneur Jésus- tant que pontife, et ayant pris la forme d'es-
Christ remettra son royaume à Dieu le Père, clave, sera assujéli à Celui qui lui a soumis
il le remettra également au Fils et au Saint- toutes choses, et auquel il a assujéti toutes
Esprit : et c'est alors qu'il introduira les élus choses; bien plus, en tant que Dieu il verra que
dans cette contemplation de Dieu, qui est le lui sontassujétis, ainsi qu'à son Père, tous ceux
terme de toutes leurs bonnes œuvres, et qui avec qui lui-même assujéti en qualité
il est
sera pour eux un repos éternel et une joie im- de pontife. C'est ainsi que le Fils étant Dieu et
mortelle. Telle est la promesse que renferment homme tout ensemble, la nature humaine
ces parolesdu Sauveur « Je vous verrai de : diffère en lui de la nature divine qu'il tient du
« nouveau, et votre cœur se réjouira, et nul Père. Et demême, quoique mon corps et mon
« ne vous ravira votre joie* ». Marie, assise âme soient d'une nature différente, ils ont en-
aux pieds de Jésus et écoutant sa parole, nous semble des rapports intimes que l'âme d'un
représente bien ce bonheur du ciel. Car, libre autre homme ne saurait avoir avec la mienne.
de toute action extérieure, et plongée dans la 21. Concluons donc que Jésus-Christ remet-
jouissance de la vérité suprême, autant du tant son royaume à Dieu le Père, fera entrer
moins qu'elle nous est donnée pendant cette dans la vision béatifique ceux qui sur la terre
vie, elle figurait excellemment l'état immuable croient en lui, et dont il est le pontife et le mé-
des élus. Marthe, au contraire, s'employait à diateur. Ici-bas nous appelons cette vision de
des occupations bonnes et utiles, mais j)assa- nos soupirs etdenosgémissements;maisquand
gères, et auxquelles devait succéder un doux le travail et la douleur auront cessé, Jésus-
• Jean, xiv, 17. — = Id. xiv, 16. — '
là. svi, 22. '
Luc, X, 42. — ' Ps. XXVI, 7.
U\\\E PREMIER. — CONSUBSTANTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES. 359

Christ n'intercédera plus pour nous, parce il dit : « Mon Père vous aime » : mais ici il

qu'il aura remis son royaume à Dieu le Père. rappelle ce que déjà j'ai observé, et fait re-

C'est ce qu'il prêchait à ses Apôtres lorsqu'il , marquer (jue quand on affirme une chose
leur disait « Je vous ai dit ces choses en figu-
: d'une seule des personnes de la sainte Tri-

« res; l'heure vient que je ne vous parlerai plus nité, les deux autres y sont comprises. Ainsi
« en figures, mais je vous parlerai ouverte- cette parole, « le Père vous aime » doit égale-
« ment de mon Père ». Et en effet il n'y aura ment s'entendre du FilsetduSaint-Esprit. Mais
plus ni voiles, ni figures dès lors que nous ver- est-ce que présentement le Père ne nous aime
rons Dieu face à face. Tel est le sens de cette pas ? Eh quoi 11 ne nous aimerait pas celui
1

parole « Je vous parlerai ouvertement de


: qui « n'a pas épargné son propre Fils, et qui
« mon Père » c'est-à-dire, je vous découvrirai
; « l'a livré à la mort pour nous tous*?» Toute-

manifestement mon Père. Toutefois il dit : fois Dieu nous aime moins tels que nous som-
« Je vous parlerai de mon Père » parce qu'il mes que tels que nous serons un jour, car
est son Verbe; et puis il ajoute « En ce jour : ceux qu'il aime présentement, il les conserve
« vous demanderez en mon nom, et je ne vous afin qu'ils jouissent d'un bonheur éternel.
« dis point que je prierai mon Père pour vous ;
C'est ce qui arrivera, lorsque le Fils aura
« car mon Père lui-même vous aime, parce remis la royaume à son Père ; et alors celui
« que vous m'avez aimé, et que vous avez cru qui maintenant intercède pour nous, cessera
« que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti de mon de prier son Père, parce que le Père lui-
« Père et je suis venu dans le monde je quitte ;
môme nous aime. Mais comment méritons-
« de nouveau le monde, et je vais à mon nous cetamour, si ce n'est par la foi qui nous
« Père ' ». Mais que signifie celte parole « Je : fait croire à une promesse dont nous ne voyons
a suis sorti de mon Père ? » C'est comme si pas encore l'accomplissement ? Oui, la foi qui
Jésus-Christ disait Restant toujours en tant
: nous conduira à la vision béatifique, fait que
que Dieu égal à son Père, j'ai paru inférieur dès à présent le Seigneur nous aime tels qu'il
à lui, en me faisant homme. Et encore « Je : aime que nous soyons un jour. Car il ne sau-
« suis venu dans le monde » c'est-à-dire, j'ai ; rait aimer les pécheurs tant qu'ils restent pé-
montré aux regards des pécheurs qui aiment cheurs, et c'est pourquoi il les presse de ne
le monde, l'humanité que j'avais prise, en pas demeurer éternellement dans ce triste
m'aÎ3aissant jusqu'à revêtir la forme d'esclave. état.
Mais voilà que « je quitte de nouveau le CHAPITRE XI.
« monde » que je soustrais mon
, c'est-à-dire,
DEUX NATURES DANS LA PERSONNE DU FILS.
humanité sainte aux yeux des amateurs du
monde. Et «je vais à mon Père » c'est-à-dire ; 22. Une règle essentielle à la bonne inter-
que j'instruis mes disciples à me considérer prétation des saintes Ecritures, est donc de dis-
comme égala mon Père. tinguer, par rapport au Fils de Dieu, ce qu'elles
ferme et sincère croyance qui
C'est cette affirment de lui comme Dieu et comme égal à
nous permettra de passer des ombres de la foi son Père, de ce qu'elles énoncent de lui comme
à la vue claire et nette des mystères divins, et ayant pris la forme d'esclave en laquelle il est
qui nous introduira dans la vision intuitive, inférieur à son Père. Mais aussi cette règle
lorsque le Fils remettra le royaume à son Père. une fois bien comprise, nous ne nous inquié-
Et en effet les élus que Jésus-Christ a rachetés terons point de contradictions qui ne sont
de son sang , et pour lesquels il intercède qu'apparentes. Et en effet, selon la nature di-
maintenant, forment son royaume; mais alors vine, le Fils et le Saint-Esprit sont égaux au
ilne priera plus son Père en leur faveur parce Père, parce que nulle des trois personnes de la
qu'il les aura réunis à lui dans le ciel, où il sainte Trinité n'est créature, ainsi que je l'ai
est égal à son Père. « Car monPère, dit-il, vous prouvé mais le Fils, en tant qu'il a pris la
;

« aime ». Jésus-Christ prie son Père, en tant la forme d'esclave, est inférieur au Père, selon
qu'il lui est inférieur, comme homme, et il ce qu'il a dit lui-même « Le Père est plus :

exauce lui-mêne sa prière conjointement « grand que moi ^ » En second lieu, il est in-
.

avec le Père, en tant qu'il lui est égal comme férieur à lui-même, parce que saint Paul a dit
Dieu. Il ne se sépare donc point du Père quand « qu'il s'était anéanti * ». Enfin il est encore
' Jean, xvi, 25, 28. ' Rom. viil, 32. — ' Jean, xiv, 28. — • Philipp, ii, 7.
.

360 DE LA TRINITÉ.

comme homme inférieur à l'Esprit-Saint, car Abraham maintenant que tu crains


: « Je sais

il s'est exprimé :« Quiconque parle contre


ainsi «Dieu », que cette épreuve m'a
c'est-à-dire
« le Fils de l'homme, le péché lui sera remis; prouvé que tu craignais Dieu ^ Au reste, Jésus-
« mais si quelqu'un parle contre le Sai nt- Esf)rit, Christ, se proposait de révéler en temps oppor-
« le péché ne lui sera pas remis' ». C'est aussi tun ce secret à ses apôtres, ainsi qu'il le leur
comme homme que Jésus-Christ rapporte ses insinue par ces paroles, où le passé est mis
miracles à l'opération de cet Esprit divin, n Si pour « Je ne vous appellerai plus
le futur :

«je chasse, dit-il, les démons par l'Esprit de « mais je vous donnerai le nom d'a-
serviteurs,
« Dieu, le royaume de Dieu est donc arrivé « mis. Car le serviteur ne sait pas ce que veut

«jusqu'à vous ^ ». On sait encore qu'ayant lu « faire son maître. Or je vous ai appelés mes

dans la synagogue de Nazareth le passage « amis, parce que je vous ai fait connaître

suivant d'Isaïe, il s'en fit à lui même l'appli- « tout ce que j'ai appris de mon Père M). Il

cation :«L'EspritduSeigneurestsurmoi; ilin'a ne l'avait pas encore fait, mais parce qu'il de-
« consacré par son onction pour évaogéliser vait certainement le faire, il en parle comme
G les pauvres, et annoncer aux captifs leur dé- d'une chose accomplie « J'ai encore, avait-il :

« livrance ' ». Ainsi Jésus-Christ ne se recon- « ajouté, beaucoup de choses à vous dire,

naît envoyé pour ces œuvres, que parce que « mais vous ne pouvez pas les porter à pré-

l'Esprit du Seigneur est sur lui. « sent * ». Parmi ces choses étaient sans doute

Comme Dieu il a fait toutes choses, et comme , compris le jour et l'heure du jugement.
homme, il a été formé d'une femme et assu- L'Apôtre écrit également aux Corintliiens :

jéti à la loi \ Comme Dieu, il est un avec le « Je n'ai pas prétendu parmi vous savoir autre

Père, et comme homme, il n'est pas venu faire « chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ cru-

sa volonté, mais la volonté de Celui qui l'a « cifié ». C'est qu'en effet il écrivait à des fi-

envoyé. Comme Dieu, « il lui a été donné d'a- dèles qui étaient incapables de s'élever jus-
« voir la vie en soi, ainsi que le Père a la vie qu'aux sublimes mystères de la divinité du
« en soi ' » et comme homme, il s'écrie au
;
Christ. Aussi leur dit-il peu après « Je n'ai :

jardin des Oliviers Mon âme est triste jus- : « « pu vous parler comme à des hommes spiri-

« qu'à la mort» et encore «Mon Père, s'il est ; : « tuels, mais comme à des personnes encore

« possible, que ce calice s'éloigne de moi ^ ». « charnelles * ». Il ne savait donc point pour

Comme Dieu, « il est lui-même le vrai Dieu les Corinthiens ce qu'il ne pouvait leur ap-
« et la vie éternelle », et comme homme, « il prendre, et il témoignait ne savoir que ce qu'il
« s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort était nécessaire qu'ils apprissent. Au reste il

« de la croix
''
» savait bien pour les parfaits ce qu'il ne savait
23. Enfin, comme Dieu, il possède tout ce pas pour les enfants, car ildit lui-même :

qui est au Père, selon ce qu'il a dit lui-même : «Nous prêchons la sagesse aux parfaits^».
« Mon Père, tout ce qui est à moi, est à vous ;
Ainsi on dit qu'un homme ne sait pas une
« et tout ce qui est à vous, esta moi »; comme chose, quand il doit la tenir cachée ; tout
homme, avoue que sa doctrine n'est pas de
il comme l'on affirme ne pas connaître le piège
lui, mais de Celui qui l'a envoyé ^ que l'on ne doit pas découvrir. Et en effet,
l'Ecriture s'accommode à notre langage ordi-
CHAPITRE XII. naire, parce qu'elle s'adresse à des hommes.
AUTRES PASSAGES RELATIFS AUX DEUX NATURES. 24. C'est comme Dieu que Jésus-Christ a dit :

«Le Seigneur m'aengendré avant les collines»,


Quant au jour et à l'heure du jugement c'est-à-dire avant toutes les créatures, même
dernier dont Jésus-Christ a dit que « nul ne les les plus excellentes; « et il m'a enfanté avant
«sait, non pas même les anges des cieux, ni le « l'aurore », c'est-à-dire avant tous les temps

« Fils, mais seulement le Père^), il faut obser- et tous les siècles ". Mais c'est comme homme
ver qu'il ne les savait pas, par rapport à ses qu'il a dit Le Seigneur m'a créé au com-
: «
disciples, puisqu'il ne devait point les leur « mencement de ses voies'' ». En tant que
faire connaître. C'est ainsi que l'Ange dit à Dieu, Jésus-Christ a dit : « Je suis la vérité »,
Matt.
» 32. — Luc, xr, 20. —
xiT, ' >
Isaïe, LXI, 1 ; Luc, iv, 18. —
* Jean, 3 Galat.
l, ;
— Jean, x, 30, iv, 4. '
vi, 38, v, 26. — >
Matt. » Gen. XXII, 12. — = Jean, xv, 15. —
' Id. xvi,
12. — ' I Cor. ii,

XXVI, 38, 39. — Jean, v, 20 Philipp.


' I ; ii, 8. - »
Jeau, xvi, 15, 2, m, 1. — '
I Cor. ii, 6. —
' Prov. viii, 25
; Ps. Cix, 3. — '
Prov.
XVII, 10, 16. — Marc,
vil, 32. ' xill, VIII, 22.
.

LIVRE PREMIER. — COXSURSTANTI ALITÉ DES PERSONNES DRINES. 361

en tant qu'homme, il a ajouté « Je suis la


et : endroit, il dit : « Je vous ai dit ces choses lors-
a voie ». Et en effet parce qu'il est « le pre-
' « que encore avec vous. Mais le Conso-
j'étais

« mier-né d'entre les morts - », il a tracé a son « lateur, l'Esprit-Saint que mon Père enverra
Eglise la route qui conduit au royaume de a en mon nom , vous enseignera toutes
Dieu et à la vie élernelle. Ainsi on dit avec « choses ^
» . Ne semble-t-il pas ici que le Père
raison que le Christ qui est le Chef du corps seul doit envoyer l'Esprit-Saint, et que le Fils

des élus et qui les introduit en la bienheu- n'y aura aucune part? Et de mênîe, au sujet
reuse immortalité, a été créé au commence- de la place qui est réservée dans le ciel à ceux
ment des voies et des œuvres du Seigneur. à qui le Père l'a préparée, Jésus-Christ veut
Comme Dieu, Jésus-Christ « est le commen- faire entendre que conjointement avec le Père
a cément, lui qui nous parle, et en qui au il a préparé et réservé cette place.
« commencement Dieu a fait le ciel et la 26. Mais peut-être m'objectera-l-on qu'en
« terre' » . Mais comme homme, « il est l'époux parlant de l'Esprit-Saint, il a bien dit qu'il
« qui s'élance de sa couche " ». Comme Dieu, l'enverrait, mais n'a pas nié que le Père ne
« il est né avant toutes les créatures il est ; puisse aussi l'envoyer, et qu'en afûrmant en-
avant tout, et toutes choses subsistent par suite la même chose du Père, il ne Ta pas niée
« lui » ; et comme homme. « il est le Chef du de lui-même, tandis qu'ici il reconnaît qu'il
« corps de l'Eglise '"
». Comme Dieu, « il est ne lui appartient pas de donner cttte place.
Seigneur de la gloire » et nous ne pouvons
« le , C'est pourquoi il dit avec raison qu'elle est
douter qu'il ne glorifie ses élus *, selon cette réservée à ceux à qui le Père l'a préparée. Je
parole de l'Apôtre « Ceux qu'il a prédestinés, : réponds, comme je l'ai déjà fait ailleurs, que
« il les a appelés ceux qu'il a appelés, il les
; dans cette circonstance Jésus-Christ s'exprime
« a justifiés ; ceux qu'il a justifiés, il les a glo- en tant qu'homme. « Il ne m'appartient pas,
« rifiés encore de lui, comme Dieu,
'
». C'est «dit-il, de donner cette place», c'est-à-dire
que le même
Apôtre dit « qu'il justifie limpie, que cela surpasse en moi la puissance de
g qu'il est le juste par excellence, et qu'il jus- l'homme. Mais c'est une raison pour que nous
« tifie le pécheur^ ». Et en effet celui qui comprenions qu'étant comme Dieu égal à son
glorifie ceux qu'il a justifiés, et qui les justifie Père, il la donne conjointement avec lui. Le
et les glorifie par lui-même, n'esl-il pas réel- sens de ces paroles est donc celui-ci Je ne :

lement, ainsi que je l'ai affirmé, le Seigneur puis comme homme donner cette place, et
de la gloire? Et cependant, comme homme, il elle est réservée à ceux à qui le Père l'a pré-
répondit à ses disciples qui l'interrogeaient l)arée toutefois, parce que « tout ce qui est
:

sur la récompense qu'il leur reservait a 11 : « au Père est à moi », vous devez comprendre

a n'est pas en mon pouvoir de vous donner que conjointement avec le Père j'ai préparé et
a une place à ma droite ou à ma gauche, elle réservé cette place -.

a appartient à ceux à qui mon Père l'a prépa- Et maintenant je demande à montrer com-
« rée ' » ment Jésus-Christ a pu dire a Si quelqu'un :

que le Père et le Fils ne sont


25. Mais parce « entend mes paroles et ne les garde pas, je
qu'un, ils concourent également à préparer «ne le juge pas». Est-ce comme homme
la même place. Et en effet j'ai déjà prouvé qu'il parle ici, et de la même manière qu'il
que par rapport à la Trinité ce que l'Ecriture avait dit précédemment
ne m'appartient : il

énonce d'une seule personne doit être entendu pas de donner cette place Non, sans doute, ?
de toutes trois en raison de l'unité de nature car il poursuit en ces termes « Je ne suis pas :

qui leur rend communes les œuvres exté- « venu pour juger le monde, mais pour sau-

rieures. C'est ainsi qu'eu parlant de l'Esprit- « ver le monde » et encore « Celui qui me ; :

Saint, Jésus-Christ dit : « Si je m'en vuis, je « méprise et qui ne reçoit pas ma parole, a un
« vous l'enverrai ^°
». Il ne dit pas Nous en-
: juge qui doit le juger ». Peut-être compren-
verrons, mais j'enverrai, cet Esprit comme si drions-nous qu'il veut parler de son Père, s'il
di\in ne devait recevoir sa mission que du n'iijoutait : « La parole que j'ai annoncée,
Fils, à l'exclusion du Père. Mais dans un autre « le j géra au dernier jour » Eh bien
.1 le Fils . I

ne jugera donc point, puisqu'il a déclaré qu'il


' Jean, xiv, 6. — ' Apoc. i, 5. — '
Jean , vin ,25 ; Gea. i, 1. — ne jugerait pas et le Père ne jugera point,
* Ps. XVIII, 6. — ' Colos. I, 15, 17, 18. — ' 1 Cor. ii, 8. — '
Rom.
;

VIII, 3u.— ' Rom. IV, 5, ju, 26.— '


Matt. XX, 23.— " Jean, ivi, 7. » Jean, iiv, 25, 26. — ' Id. svi, 15.
,

362 DE LA TRINITÉ.

puisque ce sera la parole que le Fils aura an- Dieu, et le Fils de Dieu est lui-même « le Dieu
noncée. Mais écoutez la suite de ce passage « Je : «véritable et la vie éternelle», ainsi que nous
« n'ai point parlé de moi-même mais mon : le ditsaint Jean dans sa première épître ^
a Père qui m'a envoyé, m'a prescrit lui-même Pourquoi donc ne pas reconnaître ici ce même
« ce que je dois dire, et comment je dois par- Verbe, dans « cette parole que Jésus-Christ a
« 1er. Et je sais que son commandement est «annoncée, et qui jugera le pécheur au dernier
« la vie éternelle. Or ce que je dis, je le dis se- «jour?» Au reste tantôt il se nomme lui-même
« Ion que mon Père m'a ordonné *
». Ainsi ce la paroledu Père, et tantôt le commandement
n'est pas le Fils qui juge, mais c'est la parole du Père, en ayant soin de nous avertir que ce
que le Fils a prononcée et cette parole n'est ; commandement est la vie éternelle. « Et je
elle-même investie de ce pouvoir que parce « sais, dit-il, que son commandement est la vie
que le Fils n'a point parlé de lui-même, mais « éternelle^ ».
selon l'ordre et le commandement de Celui 27. nous faut maintenant chercher en
Il

qui envoyé. Le jugement est donc réservé


l'a quel sens Jésus-Christ a dit «Je ne le ju- :

au Père dont le Fils nous a transmis la parole. « gérai point, mais la parole que j'ai annoncée
Or ce Verbe, ou cette parole du Père, n'est « le jugera». D'après le contexte de ce passage,
autre que le propre Fils de Dieu. Car il ne faut c'est comme si le Sauveur disait : je ne le ju-
point ici distinguer deux commandements, gerai point, mais ce sera le Verbe du Père qui
l'undu Père, et l'autre du Fils, et c'est uni- le jngera. Or le Verbe du Père n'est autre

quement le Fils qui est désigné par le terme que le Fils de Dieu, et par conséquent nous
de commandement ou de parole. devons comprendre que Jésus-Christ dit en
Mais examinons si par ces mots : « Je n'ai même temps je ne jugerai point et je :

«point parlé de moi-même »,J.-C. ne voudrait jugerai. Mais comment cela peut-il être
pas dire ne me suis pas donné l'être à moi-
: je vrai, dans ce sens je ne ju-
si ce n'est :

même. Et en effet quand le Verbe de Dieu gerai point parla puissance de l'homme, et en
s'énonce au dehors, il ne peut que s'énoncer tant que je suis Fils de l'homme, mais je juge-
lui-même, puisqu'il est le Verbe de Dieu. Aussi rai par la puissance du Verbe, et en tant que
dit-il souvent que « son Père lui a donné », je suis Fils de Dieu ? Si au contraire vous
pour nous faire entendre qu'il tire de lui sa ne voyez que répugnance et contradiction
génération éternelle. Car le Fils n'existait dans ces paroles je jugerai, et je ne jugerai :

point avant que le Père lui donnât, et le Père pas je vous demanderai dem'expliquer celles-
;

ne lui a pas donné parce qu'il manquait de ci Ma : « doctrine n'est pas ma doctrine * ».
quelque chose, mais il lui a, donné d'être, et Comment Jésus-Christ peut-il dire que sa doc-
en l'engendrant il lui a donné d'avoir toutes trine n'est pas sa doctrine ? car observez qu'il
c hoses. Il ne faut pas en effet raisonner ici du ne dit point : cette doctrine n'est pas une
Fils de Dieu, comme nous le faisons des créa- doctrine, mais : « Ma doctrine n'est pas ma
tures. Avant le mystère de l'Incarnation, et « doctrine » . Il affirme donc tout ensemble
avant qu'il eût pris la nature humaine, le Fils que sa doctrine est sienne, et qu'elle n'est
unique de Dieu, par qui tout a été fait, réunis- pas sienne. Or, cette proposition ne peut être
sait en lui l'être divin et la plénitude divine. vraie que si on en prend le premier membre

Il était, et parce qu'il était, il avait. C'est ce dans un sens, et le second dans un autre sens.
qu'exprime clairement ce passage de saint Comme Dieu la doctrine de Jésus-Christ est
Jean, si nous savons le comprendre « Comme : sienne , et comme homme elle n'est pas
« le Père, dit Jésus-Christ, a la vie en soi, ainsi sienne ; et c'est ainsi qu'en disant : « Ma
« a-t-il donné au Fils d'avoir en soi la vie ®». « doctrine n'est pas ma doctrine, mais elle est

Mais le Fils n'existait point avant qu'il eût reçu « la doctrine de Celui qui m'a envoyé », il fait

du Père d'avoir la vie en soi, puisque par cela remonter nos pensées jusqu'au Verbe lui-
seul qu'il est, il est la vie. Ainsi cette parole : même.
« Le Père a donné au Fils d'avoir la vie en soi » Je cite encore un autre passage qui tout d'a-
signifie que le Père a engendré un Fils qui est bord ne paraît pas moins difficile. « Celui, dit
la vie immuable et éternelle. Et en effet le «Jésus-Christ, qui croit en moi,necroitpasen
Verbe de Dieu n'est pas autre que le Fils de « moi * ». Comment croire en lui est-il ne pas

'
Jean, su, 47, 50. — ' Id. v, 26. '
1 Jean, v, 20. — ' Jean, xil, 50. — ' Id. 16. — " Id. xii, 44.
LIVRE PREMIER. — CONSUBSTANTULITÉ DES PERSONNES DIVINES. 363

croire en lui ? Et comment comprendre cette point dit des princes de ce monde que « s'ils

proposition en apparence si contradictoire : « l'avaient connu, ils n'auraient jamais cru-


a Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, « cifié le Seigneur de la gloire^ ». C'est en
« mais en Celui qui m'a envoyé ? » En Yoicile effet comme homme que Jésus-Christ a étécru-
sens Celui qui croit en moi, ne croit point
: néanmoins les juifs ont crucifié le Sei-
cifié, et

en ce qu'il voit^ autrement son espérance s'ap- gneur de la gloire. Car le mystère de l'Incar-
puierait sur la créature mais il croit en Celui ;
nation consiste en ce que Jésus-Christ est tout
qui a pris la forme humaine afin de se rendre ensemble Dieu-Homme, etHomme-Dieu. Mais
sensible aux yeux de l'homme. Et en efl'et le comment, et en quoi est-il Dieu et est-il ,

Fils de Dieu ne s'est fait homme que pour pu- homme ? Un lecteur prudent, pieux et atten-
rifier le cœur de l'homme, et l'amener par la tif comprendra aisément avec la grâce de
foi à le considérer comme égal à son Père. Dieu. Pour moi, j'ai déjà dit que comme Dieu

C'est pourquoi il élève jusqu'à son Père il glorifie ses élus, parce que comme Dieu il
la pensée de ceux qui croient en lui, et en di- est le Seigneur de la gloire. Toutefois il est
sant qu' «on ne croit pas en lui, mais en Celui vrai de dire que les juifs ont crucifié le Sei-
« qui l'a envoyé », il prouve ne se sépare
qu'il gneur de la gloire, puisqu'on peut dire que
point du Père qui l'a envoyé, et nous avertit
il Dieu même a été crucifié non en la vertu
de croire en lui, comme nous croyons au de la divinité mais en l'infirmité de la
,

Père auquel il est égal. C'est ce qu'il dit ou- chair ^ C'est aussi à Jésus-Christ comme
vertement dans cet autre passage « Croyez : Dieu qu'appartient le jugement, parce qu'il
« en Dieu, et croyez aussi en moi ^ » c'est-à- ; juge par l'autorité de sa divinité, et non
dire, croyez en moi de la même manière que par la puissance de son humanité. Néan-
vous croyez en Dieu, parce que le Père et moi moins il doit comme homme juger tous les
ne sommes qu'un seul et même Dieu. Ainsi hommes, de même qu'en lui le Seigneur de
lorsque Jésus-Christ dit que « celui qui croit la gloire a été crucifié. D'ailleurs il nous
« eu lui, ne croit pas en lui, mais en Celui qui l'affirme ouvertement par ces paroles « Quand :

« l'a envoyé » et dont il ne se sépare point, il


, « le Fils de l'homme, dit-il, viendra dans sa
transporte notre foi de sa personne à celle « majesté, et tous les anges avec lui, toutes les
de son Père. Et de même quand il dit « Il : « nations seront assemblées devant lui ' ».
« n'est pas en mon pouvoir de vous donner La suite du chapitre qui traite du jugement
« cette place et elle est réservée à ceux
, dernier confirme pleinement cette vérité.
« à qui mon Père l'a préparée », il s'ex- Les Juifs qui auront persévéré en leur
prime clairement selon le double sens que malice recevront en ce jugement la pu-
,

l'on attache à ses paroles. Cette observa- nition de leur crime, et


« ils tourneront leurs
tion s'applique également à cette autre parole: «regards vers Celui qu'ils auront percé*».
ce ne jugerai point ». Et en effet comment
Je Et en effet, puisque les bons et les mé-
serait-elle vraie puisque selon l'Apôtre
, ,
,
chants doivent également voir Jésus-Christ
Jésus-Christ doit juger les vivants et les comme Juge des vivants et des morts il est ,

morts - ? Mais parce qu'il n'exercera point ce certain que les pécheurs ne le verront qu'en
jugement comme homme, il en rapporte son humanité. Mais alors cette humanité
l'honneur et le pouvoir à la divinité, et il sera glorieuse, et non humiliée comme au
élève ainsi nos pensées jusqu'à ces mystères jour de sa passion. Au reste, les pécheurs ne
sublimes qui sont le but de son incarnation. verront point en Jésus-Christ la divinité selon
laquelle il est égal à son Père. Car ils n'ont
CHAPITRE XII. pas le cœur pur, et Jésus-Christ a dit « Bien- :

« heureux ceux qui ont le cœur pur, parce


DANS QUEL SENS LE PÈRE NE DOIT-IL PAS
JUGER. « qu'ils verront Dieu ^ ». Or, voir Dieu, c'est
« le voir face à face », comme dit l'Apôtre ®.

28. Si Jésus-Christ n'était tout ensemble Fils Et cette vision qui est la souveraine récom-
de l'homme parce qu'il a pris la forme d'es- pense des élus, n'aura lieu qu'au jour où
clave, et Fils de Dieu parce qu'il n'a point dé- Jésus-Christ remettra son royaume à Dieu le
pouillé la nature divine , saint Paul n'eût
' l Cor. ir,8.— * II Cor. xni, 4.— * Matt. ixv, 31, 32.— »
Zach.
' Jean, xiv, 1. — MI Tim. iv, 1. XII, 10. ~ ' Malt. V, 8. —
'I Cor. xm, 12.
364 DE LA TRINITÉ.

Père. C'est alors que toute créature étant sou- s'abaisser jusqu'à prendre la forme d'esclave,
mise à Dieu, l'humanité sainte que le Fils de et c'est en cette forme qu'il agit, qu'il souffre
Dieu a prise en se faisant homme lui sera , et qu'il reçoit la gloire. Pour s'en convaincre,
elle-même soumise. Et en effet, comme il suffit de lire ce passage de l'é|)ître aux Phi-
homme o le Fils sera lui-même assujéti à lippiens : « Le Christ s'est humilié, se rendant
« celui qui lui aura assujéti toutes choses, afin « obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la
« que Dieu soit tout en tous *». Mais si le Fils « croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé et lui a
de Dieu se montrait comme juge dans la « donné un nom qui est au-dessus de tout nom;
forme divine qui le rend égal à son Père, et « afin qu'au nom de Jésus tout genou flé-
s'il se montrait ainsi aux pécheurs, il n'aurait « chisse dans le ciel sur la terre et dans les
,

plus de raison de promettre à son fidèle et « enfers, et que toute langue confesse que le
bien-aimé disciple, comme bienfait inestima- « Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de
ble, « qu'il l'aimeraet qu'il se montrera à , « son Père ». Ce témoignage de l'Apôtre se
*

Concluons qu'au dernier jour le Fils de


« lui ^» . rapporte à Jésus-Christ comme homme, de
l'homme jugera tous les hommes en vertu de même que celte parole : « Le Père a donné
l'autorité qui lui appartient comme Dieu, et « tout jugement au Fils »; et l'on voit assez
non par la puissance de son
humanité. Et qu'on ne saurait l'interpréter dans le même
toutefois, il est vrai de dire que le Fils de Dieu sens que celle-ci « Le Père a donné au Fils :

jugera aussi tous les hommes seulement il : « d'avoir la vie en soi » autrement il serait :

n'apparaîtra point en la nature divine qui inexact de dire « que le Père ne juge per-
le rend égal au Père, mais en la nature hu- « sonne». Car en tant que le Père engendre un

maine qu'il a prise en devenant le Fils de Fils qui lui est égal, il juge conjointement avec
l'homme. donc affirmer qu'au jour du juge-
lui. Il faut
29. donc permis de dire et que le Fils
Il est ment général Jésus-Christ apparaîtra en son
de l'homme jugera, et que le Fils de l'homme humanité, et non en sa divinité. Ce n'est point
ne jugera pas. 11 jugera, puisqu'il a dit lui- que celui qui a donné tout jugement au Fils,
même Lorsque le Fils de l'homme viendra,
: ne doive aussi juger avec lui, puisque le Sau-
« toutes les nations seront assemblées devant veur a dit « Il en est un qui cherche ma
:

« lui ^ » et il ne jugera pas, afin que cette


; « gloire et qui juge » mais quand il a ajouté ;

parole soit accomplie «Je ne jugerai point» :


;
«que le Père ne juge personne, et qu'il a
et cette autre « Je ne cherche point ma gloire;
: « donné tout jugement au Fils», c'est comme
« il est quelqu'un qui la cherche et qui eût dit que dans ce jugement personne ne
s'il

«juge*». Bien plus, parce qu'au jour du juge- verra le Père, et que tous verront le Fils. Ë
ment général, Jésus-Christ apparaîtra comme en effet, parce que celui-ci est devenu Fils de
homme et non comme Dieu, il est vrai d'affir- l'homme, les pécheurs le verront, et ils tour-
mer que le Père ne jugera pas et c'est en ce ; neront leurs regards vers celui qu'ils auront
sens que Jésus-Christ a dit Le Père ne juge
: « percé.
« personne, mais il a donné tout jugement au 30. Mais peut-être m'accuserez-vous d'émet-
« Fils ^ ». tre ici une pure conjecture plutôt qu'une pro
Quant à cette autre parole que j'ai déjà position vraie et évidente. Eh bien 1 je vais
citée : « Le Père a donné au Fils d'avoir la vie m'appuyer sur témoignage certain et évi-
le

« en soi ®
», elle se rapporte à la divinité de dent de Jésus Christ lui-même. Pour vous
Jésus-Christ et à sa génération éternelle. On convaincre qu'en disant « que le Père ne juge
ne pourrait donc l'entendre de son humanité « personne, et qu'il a donné tout jugement au

dont l'Apôtre a dit « que Dieu l'a élevée, et « Fils», il a voulu expressément marquer que

« lui a donné un nom qui est au-dessus de comme juge il apparaîtra en la forme de Fils
«tout nom». Car évidemment l'Apôtre dé- de l'homme, forme qui n'appartient pas au
signe ici Jésus-Christ comme Fils de l'homme, Père, mais au Fils, forme en laquelle il n'est
puisque c'est seulement en cette qualité que pas égal, mais inférieur au Père, mais qui lui
le Fils de Dieu est ressuscité d'entre les morts. permettra d'être vu des bons et des méchants,
Egal comme Dieu à son Père, il a daigné ilsuflit de lire le passage suivant : « En vérité

— «je vous le dis, celui qui écoute ma pa-


'
I Cor. XV, 28. — ' Jean, xiv, 21. — ' Malt, xxv, 32. ' Jean,
JCii, 47, vni, 50. — ' Id. V, 22. — ' Id. v, 26. '
Philipp. Il, 6, U.
LIVRE PREMIER. — CONSUBSTANTIÂLITÉ DES PERSONNES DIVINES. 363

« rôle, et croit à celui qui m'a envoyé, a la vie « l'heure vient où tous ceux qui sont dans les
« éternelle et ne sera point condamné, mais il « sépulcres entendront la voix du Fils de
« passera de la mort à la vie ». Or, cette vie « Dieu, et ceux qui auront bien fait en sorti-

éternelle dont parle ici Jésus-Christ ne peut « ront pour la résurrection à la vie ; mais
être que la vision béatifique pécheursdont les « ceux qui auront mal fait, pour la résurrec-
sont exclus. « En vérité, en vérité, continue- « tion du jugement ^ ». Ainsi, il devient né-
« t-il. je vous dis que l'heure vient, et elle est cessaire que Jésus-Christ reçoive comme Fils
« déjà venue, où les morts entendront la voix de l'homme, le pouvoir de juger, afin que tous
8 du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront enten- les hommes puissent le voir en cette forme

« due, vivront ». Mais il n'appartient qu'aux


^ qui le rend visible à tous, mais aux uns pour
justes d'entendre cette voix, c'est-à-dire de la damnation, et aux autres pour la vie éter-

comprendre que par le mystère de l'incar- nelle. Qu'est - ce que la vie éternelle si ,

nation le Fils de Dieu ayant pris la forme , ce n'est cette vision béatifique dont les
d'esclave est devenu ainsi inférieur à son
, pécheurs sont exclus ? « Qu'ils vous con-
Père, et néanmoins de croire fermement que « naissent, dit le Sauveur, vous le seul Dieu

comme Dieu, il est égal au Père. Au reste, « véritable, et Jésus-Christ que vous avez en-

c'est ce que Jésus-Christ lui-même nous propose ce voye-». Mais cette connaissance de Jésus-
de croire, quand il ajoute : « Comme le Père a Christ ne saurait être que celle de sa divinité,
« la vie en soi, ainsi il a donné au Fils d'avoir en laquelle il se manifestera aux bons, et non
«en soi la vie». Puis il annonce qu'au jour du la connaissance de son humanité, en laquelle

jugement général, il se manifestera aux bons il sera vu même des méchants.

et aux méchants dans tout l'éclat de sa gloire. 31. Selon que Jésus-Christ apparaîtra comme
Car « le Père, dit-il, a donné au Fils le pou- Dieu à ceux qui ont le cœur pur, il est bon,
« voir de juger, parce qu'il est le Fils de car le Psalmiste s'écrie : « Que le Seigneur est
« l'homme * ». « bon à Israël, à ceux qui ont le cœur pur M »
Il me
semble que cette démonstration est Mais selon que les méchants le verront comme
évidente. Car Jésus-Christ étant comme Fils juge, ils ne sauraient le trouver bon, parce

de Dieu égal à son Père, n*a point reçu en que toutes les tribus de la terre, loin de se
cette qualité le pouvoir de juger, puisqu'il le réjouir en leurs cœurs, se frapperont la poitrine
possède intrinsèquement avec le Père. Mais il en le voyant *. C est aussi eu ce sens que Jé-
l'a reçu comme homme, et c'est en qualité de sus-Christ , étant appelé bon par un jeune
Fils de l'homme qu'il l'exercera, et qu'il sera homme qui l'interrogeait sur les moyens d'ac-
vu des bons et des méchants. Et en effet, les quérir la vie éternelle, lui répondit « Pour- :

méchants pourront bien voir la sainte huma- « quoi m'appelez-vous bon ? Dieu seul est
nité de Jésus-Christ, mais la vue de sa divi- «bon^». Sans doute, Jésus-Christ dans un
nité sera le privilège des bons qui auront le autre endroit reconnaît que l'homme lui-
cœur pur. Et voilà pourquoi le Sauveur leur même est bon, car « l'homme bon, dit-il, tire
promet qu'il récomfiensera leur amour en se « de bonnes choses du bon trésor de son cœur,
manifestant à eux. Aussi ajoute-t-il : « Ne « et du mauvais trésor de son cœur l'homme
« vous en étonnez pas ». Ah sans doute, nous ! « mauvais tire de mauvaises choses ^ » Mais .

ne devons nous étonner que de voir des gens le jeune homme dont j'ai parlé précédem-
qui ne veulent pas comprendre les paroles de ment, cherchait la vie éternelle. Or, la vie
Jésus-Christ lorsqu'il dit que son Père lui a éternelle est cette vision intuitive que Dieu
donne le pouvoir de juger parce qu'il est Fils n'accorde point aux méchants, et qu'il réserve
de l'homme. Selon eux, il eût dû dire, parce pour être la joie des bons. De plus, il n'avait
qu'il de Dieu. Mais Jésus-Christ
est le Fils pas une idée nette et précise de celui auquel
étant comme
Dieu égal a son Père, ne saurait il s'adressait, et il ne voyait en lui que le Fils

être vu des méchants en sa divinité, et toute- de l'homme. Aussi Jésus-Christ lui dit-il :

fois il faut que les bons et les méchants com- « Pourquoi m'appelez-vous bon? » C'est comme
paraissent devant lui, et qu'ils le reconnais- s'il lui eût dit : Pourquoi appelez-vous bon
sent pour Juge des vivants et des morts. C'est l'homme que vous voyez en moi, et (»ourquoi
pourquoi il dit: « Ne vous étonnez point;
' Jean, v, 28, 29. — ' Id. xvii, 3. — • Ps LXXU, 1. — * Apoc. I,
' Jean, v, 24, 25. — ' Id. v, 26, 27. . — * Matt. XIX, 17. — ' Malt, xu, 35.
366 DE LA TRINITÉ.

me bon maître ? En tant


qualifiez-vous de « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
qu'hommCj que vous me voyez, je me
et tel «parce qu'ils verront Dieu ^ ». Une lecture
manifesterai aux bons et aux méchants dans assidue de nos Ecritures et surtout le regard
le jugement général, mais pour les méchants, de l'amour nous fourniraient encore sur cette
cette manifestation ne sera qu'un premier vision béatifique mille textes cpars çà et là, et
supplice. Les bons au contraire seront admis non moins concluants mais j'en ai rapporté ;

à me voir en cette nature divine, en laquelle assez pour être en droit de conclure que cette
je n'ai pas cru que ce fût pour moi une usur- vision est le bien suprême de l'homme, et que
pation de m'égaler à Dieu, et que je n'ai point sa possession doit être le but et le terme de
quittée lorsqu'en m'anéanlissant moi-même, toutes nos bonnes œuvres.
j'ai forme d'esclave '.
pris la Quant à cette autre vision qui sera celle de
Concluons doue que le Dieu qui ne se ma- l'humanité sainte de Jésus-Christ, et qui aura
nifestera qu'aux justes, et qui les remplira lieu, lorsque toutes les nations seront rassem-
d'une joie que personne ne leur ôlera, est le blées devant lui, et que les pécheurs lui diront :

Dieu unique. Père, Fils et Saint-Esprit. C'est c( Seigneur, quand est-ce que nous vous avons
vers cette joie que soupirait le psalmiste quand « vu avoir faim ou soif?» il est certain qu'elle
il s'écriait « J'ai demandé une grâce au Sei-
: ne sera ni un bien pour les méchants condam-
« gneur, et je la lui demanderai encore, d'iia- nes aux flammes éternelles, ni le bien suprême
« biter dans la maison du Seigneur tous les pour les élus. Car le Juge souverain les appel-
« jours de ma vie, pour y contempler la mai- lera à prendre possession du royaume qui
« son du Seigneur * ». Ainsi Dieu seul est ex- leur a été préparé dès le commencement du
cellemment rètre bon, parce que sa vue, loin monde. au feu éternel »,
« Allez dira-t-il aux
de causer à l'âme quelque peine, ou quelque méchants. Et aux bons « Venez : les bénis de
douleur, lui est un principe de saluî et une « mon Père, possédez le royaume qui vous a
source de joie véritable. Dans ce sens, et selon « été préparé ^ ». Et alors, continue TEvangé-
sa divinité, Jésus-Christ pouvait réellement liste,« les méchants iront au feu éternel, et les
dire : Je suis bon. jeune Mais comme le « bons à la vie éternelle ». Or, la vie éternelle
homme qui l'interrogeait, ne considérait en consiste, selon l».paroledu Sauveur lui-même,
lui que l'humanité, il lui répondit avec non en ce « qu'ils vous connaissent, vous le seul
moins de raison Pourquoi m'appelez-vous : « Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez

bon? car si vous êtes du nombre de ceux dont « envoyé » mais Jésus-Christ vu en cette gloire,
,

un prophète a dit « qu'ils regarderont vers au sujet de laquelle il disait à son Père « Glo- :

« Celui qu'ils ont percé * », la vue de mon hu- « riûez-moi de la gloire que j'ai eue en vous

manité ne sera pour vous, comme pour eux, «avant que le monde fût*». Ce sera aussi j

qu'une douleur et un supplice. Cette parole alors que le Fils remettra le royaume à Dieu,
du Sauveur: «Pourquoi m'appelez-vous bon? son Père, et que le bon serviteur entrera dans
« Dieu seul est bon » et les autres textes que ; la joie de son Maître. Jésus-Christ cachera
j'ai cités, me semblent prouver que cette vi- donc les élus de Dieu dans le secret de sa face,
sion qui est exclusivement réservée aux élus, et il les [)rotégera contre le trouble et l'effroi
et qui fera que l'œil de l'homme contemplera des hommes, c'est-à-dire des méchants que la
l'essence divine, n'est pas différente de celle sentence du souverain Juge frappera de ter-
que saint Paul nomme « face à face * », et dont reur et de consternation. Mais le juste n'aura
Tapôtre saint Jean a dit « qu'elle nous rendra rien à craindre parceque caché dans l'inté-
«semblables à Dieu, parce que nous le verrons rieur du tabernacle, c'est-à-dire en la foi de
« tel qu'il est ^ ». C'est de celte vision que par- l'Eglise catholique, il sera à l'abri de la con-
lait le psalmiste quand il s'écriait : « J'ai de- tradiction des langues, c'est-à-dire des calom-
« mandé une grâce au Seigneur, de contem- nies des hérétiques.
« pler la beauté du Seigneur^ ». Et Jésus- permis d'expliquer autrement ces pa-
11 est L
Christ lui-même a dit : « Je l'aimerai, et je rôles « Pourquoi m'appelez-vous bon? et
: "
« me manifesterai à lui ''
» . Aussi devons-nous « Dieu seul est bon » et, on peut le faire en ;

purifier nos cœurs par la foi, car il est dit : toute sûreté, et de diverses manières, pourvu

— — — qu'on ne croie point que le Fils, en tant qu'il


« Philipp. II, 6, 7. ' Ps. XXVI, 4. » Zach. xii, 10. * I Cor.
xui, 12. — ' I Jeaii, III, 2. — ' Ps. xxvi, 7. — '
Jean, xiv, 21. '
Matt. V, 8. — ^ Matt. xxv, 37, 41. — • Jean, xvii, 3, 5.
LIVRE PREMIER. — CONSUBSTANTIALITE DES PERSONNES DIVINES. 3G7

est le Verbe par qui tout a été fait, est infé- des hérétiques, plus aussi vous les convain-
rieur au Père en bonté. Ainsi ne vous éloignez crez \ictorieusement de mensonge et d'erreur,
point de la doctrine orthodoxe, et plus vous Mais poursuivons ce sujet, en le considérant
multiplierez les moyens d'échapper aux pièges sous un autre aspect.
LIVRE DEUXIEME.
Encore de l'égalité et de l'unité de substance dans les trois personnes divines. — Celui qui est envoyé n'est point inférieur à
celui qui l'envoie. — Diverses apparitions de Dieu rapportées dans l'Ecriture. — La Sainte Trinité, immuable et invisible de
sa nature, est présente en tout lieu. — Il y a eu elle unité d'action dans la mission et dans l'apparition.

PREFACE. lontiers le doux regard de la colombe, et l'hu-


milité qui est sincère, évite avec soin d'em-
1. Ceux qui cherchent Dieu, et qui s'appli- ployer la dentdu dogue, même lorsqu'elle
quent, selon la faiblesse de l'esprit humain, prouve invinciblement la vérité. D'ailleurs,
à comprendre le mystère de la sainte Trinité, je préfère les observations de tout censeur ca-
entreprennent un travail laborieux et diffi- tholique aux louanges et aux flatteries d'un
cile. Car, d'un côté, l'intelligence elle-même hérétique. Car celui qui aime réellement la
s'émousse dans ses efforts pour fixer celle vérité, ne doit craindre aucune critique. Et en
lumière inaccessible, et de l'autre, l'Ecriture effet, c'estou un ennemi qui vous reprend,
renferme une foule d'exi)ressions dont il n'est ou un ami. Si c'est un ennemi qui vous in-
pas toujours bien facile de saisir le sens. Je sulte, il faut le supporter; si c'est un ami qui
crois que l'Esprit-Saint a permis ces difficul- s'égare, il faut le ramener en la bonne voie,
tés afin d'humilier notre raison, et de la rele- et s'il veut vous instruire, il faut l'écouter.
ver ensuite en la forçant de se laisser diriger Mais l'hérétique qui vous loue et qui vous
et éclairer par la grâce de Jésus-Christ. C'est flatte, ne fait que vous affermir dans votre

pourquoi, si vous parvenez en un tel sujet à erreur, et vous y enfoncer plus profondé-
découvrir la vérité pleine et entière, vous de- ment. « Que le juste me reprenne donc, et
vez être facilement indulgent pour ceux qui « me corrige avec charité, mais que l'huile

s'égareraient dans les profondeurs de cet im- « du pécheur ne se répande point sur ma
pénétrable mystère. Mais l'homme qui se « tête ' ».

trompe, doit se prémunir contre deux vices


CHAPITRE I.
qu'on lui pardonnerait difficilement. Le pre-
mier serait de se montrer présomptueux, RÈGLES d'interprétation.
avant que d'avoir saisi la vérité, et le second
serait de s'opiniàtrer à défendre une erreur 2. Tout chrétien qui veut parler de Notre-

prouvée et démontrée. Puisse le Seigneur Seigneur Jésus-Christ, doit s'attacher inviola-


exaucer ma prière, et me préserver de ces blement à la règle canonique qui est basée sur
deux vices également contraires à la recherche l'Ecriture et sur l'enseignement des docteurs
de la vérité, et à la saine interprétation des catlioli(jues. Or cette règle nous apprend à

saintes Ecritures ! Puisse-t-il aussi, comme je considérer le Fils de Dieu comme égal à son
l'espère, me couvrir du bouclier de sa bonne Père, selon la nature divine qu'il possède
volonté et de sa miséricorde, afin que je con- essentiellement, et inférieur au Père selon la

tinue avec une ardeur nouvelle à étudier, soit forme d'esclave qu'il a daigné prendre. En
dans l'Ecriture, soit dans la nature visible, la celte forme il est inférieur au Père, et à l'Es-

grande question de la nature divine. Au reste, prit-Saint. Quedis-je? il est inférieur à lui-
ces deux sources ne nous sont ouvertes que même, non certes en tant qu'il a été dans le
pour nous faciliter la recherche et l'amour de temps, mais en tant qu'il est; car en prenant la
Celui qui a inspiré l'une et créé l'autre. forme d'esclave, il n'a ()oint dépouillé la forme
Je n'hésiterai pas non plus à dire franche- de Dieu; et c'est ce que j'ai prouvé dans le livre
ment ma pensée, et toujours je rechercherai précédent par plusieurs citations dos saintes
l'approbation des gens judicieux, bien plus Ecritures. Cependant il faut reconnaître que
que je ne craindrai les critiques des méchants. nos livres sacrés renferment quelques passa-
Et en effet, la charité qui est la plus belle des ges dont le sens peut sembler douteux. Le lec-
vertus, est si modeste qu'elle emprunte vo- ' Ps. CXL, 5.
LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 369

teur hésite donc à les entendre du Fils qui, l'extravagance ? Le sens de ces paroles est donc
comme homme, au Père, ou du est inférieur d'abord ,
que la vie est immuable dans le Fils

Fils qui, comme Dieu, est égal an Père. C'est comme dans le Père, et que néanmoins le Fils
qu'en effet nous disons du Fils qu'il est Dieu est engendré du Père ensuite qu'il y a dans le
;

de Dieu, el lumière de lumière, tandis qu'en Père et le Fils unité d'opération, et que néan-
pariant du Père, nous disons simplement qu'il moins le Fils tient du Père qui l'a engendré,

est Dieu, et non, Dieu de Dieu. Il est en effet la puissance d'agir; et en troisième lieu que
évident que Dieu le Fils a un Père qui l'a en- le Fils voit le Père, mais dételle manière que
gendré, et dont il est le Fils. Le Père au con- de celte vue résulte le fait de sa génération.

traire ne doit rien au Fils, si ce n'est que par Et en pour le Fils, voir le Père, c'est être
effet,

lui il est le Père. Car tout fds tient de son du Père ou en être engendré et le voir agir, ;

père tout ce qu'il ne peut cesser d'être est, et il c'est agir également, mais non de lui-même,

son fils. Mais le père n'est point redevable l)arce qu'il ne s'est pas engendré lui-même.
à son fils de ce qu'il est, puisqu'il est son Aussi dit-il que « quelque chose que le Fils
père. « voie faire au Père, il le fait aussi », parce

3. Ainsi dans l'Ecriture certains passages qu'il est né du Père '.


marquent qu'entre le Père et le Fils il y a Mais ici il ne faut se représenter ni le
égalité et unité de nature. En voici quelques- peintre qui reproduit le tableau qu'il a sous
uns : « Mon Père et moi sommes un ». Et en- les yeux, ni la main qui fixe par l'écriture les
core : « Jésus-Christ ayant la nature de Dieu, pensées de l'esprit; c'est un ordre d'opération
« n'a pas cru que ce fûtpour lui une usurpation tout différent, car «quelque chose le Père que
«de s'égaler à Dieu '
». Il serait facile démulti- « fasse, le Fils le faitégalement comme lui ^ ».
plier des citations semblables. Mais d'un autre Ces derniers mots, également et comme lui,
côté plusieurs textes prouvent que le Fils est expriment qu'il y a unité d'( pération dans le
inférieur au Père en tant qu'il a pris la forme Père et le Fils, et ils indiquent en même temps
d'esclave , l'infirmité de
et qu'il a revêtu que le Fils agit par le Père. C'est pourquoi
la nature humaine.Le Père», dit Jésus- « « le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu'il

Christ, « est plus grand que moi » et encore ; : « ne le voie faire au Père ». Au reste, en par-

« Le Père ne juge personne, mais il a donné lant ainsi, lesécrivainssacrés n'ont point voulu
« au Fils la puissance de juger». Aussi aj ou te- affirmer que le Fils, comme Dieu, est inférieur
t-il comme conséquence de cette première
, au Père, et ils se sont seulement proposé de
parole, « que cette puissance de juger lui a été nous marquer sa génération éternelle. C'est
« donnée parce qu'il est Fils de l'homme - ». donc faussement que quelques-uns en con-
Enfin quelques autres passages se taisent sur cluent l'infériorité du Fils. Cette erreur provient
toute idée d'égalité, ou d'infériorité, et se en eux d'uneconnaissance peu ap[)rofondiede
bornent à exprimer ce que le Fils lient du nos livres saints, et parce que la saine raison
Père. Tels sont ceux-ci : « Comme le Père a la se refuse à interpréter ces divers passages du
«vie en soi, ainsi il a donné au Fils d'avoir en Fils de Dieu, comme homme, ils se troublent
« soi la vie... et le Fils ne peut rien faire par et s'égarent en leurs pensées. Voulons-nous
« lui-même, qu'il ne le voie faire au Père ^ ». éviter ce malheur? attachons-nous fortement
Si l'on rapportait ce dernier texte à Jésus- à la règle qui explique ces textes, non de l'infé-
Christ comme étant inférieur au Père, en tant riorité du Fils mais de sa génération
, et ,

(ju'il a pris la forme d'esclave, il s'ensuivrait voyons-y, non l'indice d'une inégalité quel-
que le Père a marché le premier sur les eaux, conque entre le Père et le Fils, mais le mode
qu'il a guéri avec de la salive et de la boue un de la naissance de celui-ci.
aveugle-né, et qu'il a opéré tous les miracles
que le Fils, comme homme, a faits parmi les CHAPITRE II.

hommes \ Autrement Jésus-Christ n'eût pu les DEUX SENS ÉGALEMENT VRAIS.


faire, ne peut rien faire par
puisque « le Fils

« lui-même, qu'il ne le voie faire au Père ». 4. Use rencontre donc dans l'Ecriture, comme
Mais qui porterait jusqu'à ce point le délire et je l'ai déjà observé, certains passages dont le
sens semble douteux. Et, en effet, ils peuvent
• Jean, x 30 , ;
Philipp. ii , 6. — = Jean, xiv, 28, v, 22, 27. —
' Jean, v, 26, 19. — ' Matt. xiv, 26, Jean, ix, 6, 7. ' Jean, v, 19. — - Ibid.

S. AuG. — Tome XII. 24


370 DE LA TRINITÉ.

ou que le Fils, en tant qu'homme,


signifier « Ma
doctrine n'est pas de moi, mais de celui
est inférieurau Père, ou affirmer que quoique « qui m'a envoyé », et en parlant de l'Esprit-
parfaitement égal au Père, il est sorti de son Saint « Il ne pailera pas de lui-même, mais
:

sein. Dans ce cas, et si la difficulté ne peut « il dira tout ce qu'il a entendu»


et encore ; :

être levée, je pense qu'on peut en toute sûreté « Il recevra de ce qui est à moi, et il vous
entendre ces passages de Jésus-Christ, et « l'annoncera ». Toutefois, parce que le Sau-
comme homme et comme Dieu. En voici un veur explique ainsi cette dernière parole « Il :

exemple : « Ma doctrine, dit Jésns-Christ, «recevra de ce qui est à moi», en disant:


a n'est pas de moi, mais de celui qui m'a en- «Tout ce qui est au Père est à moi, c'est pour-
« \oyé '
». Or, cette parole peut s'appliquer à « quoi je vous ai dit que l'Esprit recevra de

Jésus-Clirist comme homme, ainsi que je l'ai « moi, et vous l'annoncera », nous ne pou-

démontré dans le livre précédent *, et aussi à vons pas ne point comprendre que l'Esprit-
Jésus-Christ comme Dieu, et en cette qualité Saint recevra également du Père et du Fils.
égal au Père, quoiqu'il soit né du Père. Et, en Telle est, en effet, la conséquence rigoureuse
effet, en tant que Jésus-Christ est Dieu, il ne de ces paroles « Lorsque le Consolateur sera
:

faut pas distinguer en lui l'être et la vie, puis- « venu , cet Esprit de vérité qui procède du

qu'il est lui-même la vie; et de même on ne « Père, et que je vous enverrai de la part de

doit point séparer en lui la doctrine de la per- «mon Père, rendra témoignage de moi ». '

sonne, parce qu'il est lui-même la doctrine C'est donc comme procédant du Père que cet
céleste. Précédemment nous avons vu que Esprit de vérité ne parle pas de lui-même.
celte parole : «Le Père a donné au Fils d'avoir Mais ici il est utile de rappeler que le Fils
« la vie en soi », signifiait que le Père a en- n'est point inférieur au Père, parce qu'il a
gendré un Fils qui est lui-même la vie et ; dit «Le Fils ne peut rien faire par lui-même,
:

c'est ainsi que celte autre parole : « Ma doc- « qu'il ne le voie faire au Père ^ ». Car il a

« trine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a prononcé ces paroles non comme homme,
« envoyé », indique que le Père a engendré mais comme Dieu, ainsi que je l'ai prouvé,
un Fils qui est lui-même la doctrine céleste. et c'est pourquoi elles signifient, non que le
En formulant cette affirmation, Jésus-Clirist Fils est inférieur au Père, mais qu'il est en-
voulait dire Je ne me suis point moi-même
: gendré du Père. Et de même l'Esprit-Saint ne
donné l'être, mais je l'ai reçu de celui qui cesse point d'être égal au Père et au Fils, parce
m'a envoyé. que Jésus-Christ a dit « qu'il ne parlera pas
« de lui-même, mais qu'il dira tout ce qu'il
CHAPITRE m. « aura entendu ». Cette parole indique seule-

l'esprit-saint procède du père et du fils. ment que l'Esprit-Saint procède du Père. Mais
puisque le Fils est né du Père, et que l'Esprit-
5. Quant à l'Esprit-Saint, nous ne saurions Saint procède du Père, pourquoi ne les nom-
sans doute dire « qu'il s'est anéanti lui-même mons-nous pas tous deux fils, engendrés? Je
« en prenant la forme d'esclave ». El néan- me réserve de répondre plus tard à cette ques-
moins à son égard Jésus-Clirist s'exprime ainsi : tion, et de prouver, si le Seigneur m'en fait la
« Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous grâce, que le Fils est Fils uniiiue du Père, et

« enseignera toute vérité ne parlera pas ; car il que quoique procédant du Père,
l'Esprit-Saint,
« de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura n'en vient point par voie de filiation, ni de
vT entendu, et il vous annoncera les choses à génération *.

« venir. Il me glorifiera, parce qu'il recevra CHAPITRE IV.


« de ce qui est à moi » ^ Sauveur n'eût
. Si le
LE FILS GLORIFIÉ PAR LE PÈRE.
immédiatement ajouté Tout ce qui est à
: «

« mon Père, est à moi; c'est pourquoi je vous 6. Et maintenant secouez votre sommeil si ,

« ai dit que de ce qui est


l'Esprit recevra vous le pouvez, ô vous qui vous flattez d'ap-
a à moi , et vous l'annoncera » peut-être ,
puyer l'infériorité du Fils à l'égard du Père
eussions-nous cru que l'Esprit-Saint était né sur cette parole : « Père, glorifiez-moi '*
». Eh
du Fils, comme celui-ci est né du Père. Et, quoi I voilà que l'Esprit-Saint lui-même glo-

en effet, il avait dit en parlant de lui-même :


— — » Voyez livre XV, ch. xxv. —
'
Jean, XV, 26. Id. V, 19.
'
Jean, vu, 16. — ' Voyez Livre cbap. 2. —
i, Jeau, xvi, 13-15.
* '

Jean, xvii, 1.
LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 371

rifie le Fils mais est-ce une raison pour affir-


! voyé là où il est venu; mais si en sortant de
mer supérieur? Or, TEsprit-Saint
qu'il lui est son Père il est venu dans le monde, où il était

ne gloriGe le Fils que parce qu'il reçoit du déjà, donc été envoyé là où il était. Et, en
il a
Fils, et il n'en reçoit ce qu'il doit annoncer que effet, nous lisons dans les prophètes, que le

parce que le Fils lui-même a tout ce que pos- Seigneur dit; « Je remplis le ciel et la terre'».
sède le Père. Ainsi il est évident que tout ce Quel(iues interprètes attribuent même cette
qui est au Père, appartient non seulement au parole au Fils qui, selon eux, l'aurait ou inspi-
Fils, mais encore à l'Esprit-Saint, puisque ce rée au prophète, ou prononcée par sa houche.
dernier a le pouvoir de glorifier le même Fils Quoiqu'il en soit, le Fils n'a pu être envoyé
que le Père glorifie. Enfin, si mes adversaires que là où il était déjà. Car où n'est pas Celui
veulent absolument que celui qui glorifie soit qui a dit : « Je remplis le ciel et la terre » ?
plus grand que celui qui est glorifié, du moins Voulez-vous rapporter cette parole au Père ?
ne pourront-ils pas ne point reconnaître une J'y consens; mais où le Père peut-il être sans
égalité parfaite entre le Père et le Fils qui se son Verbe, et sans cette sagesse qui « atteint
glorifient réciproquement. Il est en effet écrit « d'une extrémité à l'autre avec force, et dis-

que le Fils glorifie le Père. « Père, dit Jésus- « pose toutes choses avec douceur ^
»? Bien
« Christ, je vous ai glorifié sur la terre* ». plus, où peut-il être sans son Esprit? aussi
Mais qu'ils évitent alors une nouvelle erreur, l'Esprit-Saint lui-même a-t-il été envoyé là
qui serait de croire l'Esprit-Saint supérieur où il était. C'est ce que nous fait comprendre
au Père et au Fils, parce que, d'un côté, il glo- le psalmiste, lorsque, voulant exprimer que
rifie le Fils que glorifie aussi le Père, et que, Dieu est présent en tous lieux, et qu'il ne
de l'autre, l'Ecriture ne dit nulle part qu'il pouvait se dérober à ses regards, il nommait
soit lui-même glorifié par le Père, ou par le tout d'abord l'Esprit-Saint, et s'écriait : « Sei-
Fils. « gneur, où irai-je de devant votre Esprit? où
CHAPITRE V. a fuir devant votre face? Si je monte vers les
« cieux, vous y êtes? Si je descends au fond
LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT ENVOYÉS PAR LE PÈRE.
c( des enfers, vous voilà * ».
Convaincus sur ce point, mes adversaires
7. 8. Mais puisque le Fils et l'Esprit-Saint sont
se retournent vers un autre, et disent Celui : envoyés là où ne nous reste
ils étaient déjà> il

qui envoie, est évidemment plus grand que plus qu'à expliquer le cette mission mode de
celui qui est envoyé. Le Père est donc plus du Fils et du Saint-Esprit car, pour le Père, :

grand que le Fils, puisque celui-ci ne cesse nous ne lisons nulle part qu'il soit envoyé. El
de se dire envoyé par le Père, et il est encore d'abord je transcris relativement au Fils ce , ,

plus grand que l'Esprit-Saint, puisque le Fils passage de l'Apôtre « Lorsque les temps fL- :

dit de ce dernier que « le Père l'enverra en « rent accomplis, Dieu envoya son Fils, formé
«son nom-». Quant à rEs|)rit-Saint, il est « d'une femme et assujéti à la loi pour in- ,

certainement infériBur au Père qui l'envoie, « cheter ceux qui étaient sous sa loi ^ » Cette .

comme je viens de le rappeler, et inférieur expression , « formé d'une femme », signifie


aussi au Fils qui disait à ses apôtres « Si je : pour tout catholique non que Marie perdit ,

« m'en vais, je vous l'enverrai». Voilà bien alors sa virginité, mais seulement, et selon
l'objection ; et pour la résoudre avec plus de une façon de parler qui est ordinaire aux Hé-
netteté, je demande tout d'abord d'où le Fils breux, qu'elle devint mère. Lors donc que
a-t-il été envoyé, et où est-il venu ? « Je suis l'Apôtre dit « que Dieu envoya son Fils
« sorti de mon Père, dit-il lui-même, et je suis «formé d'une femme », il indique évidem-
« venu dans le monde '
». Ainsi le Fils est en- ment que Dieu l'envoya là où il devait se faire
voyé, parce qu'il sort de son Père, et vient dans homme. Car, en tant
(lu'il est né de Dieu, le
le monde. Mais que signifie donc ce passage Fils était déjà dans le monde; mais en tant
du même évangéliste « Le Verbe était dans : qu'il est né de la Vierge Marie, il fut envoyé,
« le monde, et le monde a été fait par lui, et et il vint dans le monde. Au reste, il a été en-
« le monde ne l'a pas connu » et, ajoute-t-il, ; voyé conjointement par le Père et l'Esjirit-
« il est venu chez lui »? Ainsi le Fils a été en-
'*
Saint. Et, en effet, on ne saurait tout d'abord

' Jean , xvii ,4. — = Id. xiv, 20. " id. XVI, an, 2t. — ' Saj^, vui, 1. — ' 1'». cxixvui - ' Gai.
I, 10, 11. IV, i.
,

372 DE LA TRINITÉ.

comprendre que la naissance humaine du Cette manière d'élucider la question nous


Verbe ait pu avoir lieu sans le concours de fera comprendre plus facilement le sens de
l'Esprit-Saint; et puis l'Evangile nous l'af- celte assertion : Dieu le Père a envoyé son Fils,
firme ouvertement. La Vierge Marie dit à il lui a commandé de venir dans le monde, et
l'ange : « Comment cela se fera-t-il? » et soudain le Fils a obéi, et est venu. Mais le
l'ange lui répondit : « L'Esprit-Saint survien- Père simplement manifesté un désir,
a-t-il
« dra en vous, et la vertu du Très-Haut vous ou bien donné un ordre formel? Peu
a-t-il

«couvrira de son ombre». Aussi saint Mat- importe, puisque dans un cas, comme dans
thieu dit-il qu' «elle se trouva avoir conçu du l'autre, Père a déclaré sa volonté par sa
le
«Saint-Esprit^ ». Enfin, c'est de son futur parole. Or, la parole ou le Verbe de Dieu n'est
avènement en la chair que Jésus-Christ lui- autre que le Fils de Dieu. C'est pourquoi, dès
même a dit par la bouche d'Isaïe : « Le Sei- là que le Père a envoyé le Fils par sa parole,
« gneur et son Esprit m'ont envoyé -». on est en droit de conclure que cette mission
9. Peut-être aussi quelqu'un de mes adver- n'est pas moins l'œuvre du Fils que celle du
saires me pressera-t-il jusqu'à me faire dire Père. Le Père envoie le Fils, et le Fils s'en-
que envoyé lui-même. Et, en effet,
le Fils s'est voie lui-même, parce qu'il est le Verbe, ou la
la conception de Marie et son enfantement Parole du Père. Eh ! qui pourrait en effet pro-
sont une œuvre de la Trinité tout entière férer cet horrible blasphème, et dire que le
puisque les trois personnes divines coopèrent Père a prononcé une parole rapide et passa-
également à la création des êtres. Comment gère pour envoyer son Verbe éternel, et faire
donc, direz-vous, le Fils est-il envoyé par le que dans temps
il apparût en notre chair?
le

Père, s'il s'envoie lui-même? Avant toute ré- Mais qu'en Dieu était le Verbe,
la vérité est
ponse, je demande à mon tour qu'on m'expli- qu'au commencement le Verbe était avec
que comment le Père sanctifie le Fils, puisque Dieu, et qu'il était Dieu lui-même. Ainsi cette
celui-ci se sanctifie lui-même? Or, Jésus- sagesse divine qui n'est point bornée par le
Christ a expressément formulé cette double temps, a daigné dans le temps prendre la na-
vérité. 8 Moi, dit-il, que le Père a sanctifié et ture humaine. Et comme en dehors de tout
« envoyé au monde, vous dites que je blas- calcul de temps et de durée, le Verbe était au
phème, parce que j'ai dit Je suis Fils de : commencement, et que le Verbe était avec
« Dieu ^ », et dans un autre endroit, il dit : Dieu, et que Verbe était Dieu, éternelle-
le

«Je me sanctifie pour eux* ». Je demande ment aussi résidait dans le Verbe le décret ou
encore comment le Père a pu livrer sou Fils la parole qui réglait que dans le temps le
à la mort, puisqu'il s'y est livré lui-môme. Verbe se ferait chair, et qu'il habiterait parmi
C'est ce que nous enseigne l'Apôtre, quand il nous '. Lors donc que la plénitude des temps
nous dit que « Dieu n'a pas épargné son pro- fut arrivée, « Dieu envoya son Fils formé
« pre Fils, et qu'il l'a livré pour nous tous » ;
« d'une femme ^ » c'est-à-dire né dans le ,

et parlant ailleurs du Sauveur et de sa ré- temps, afin que son Verbe devînt homme et
demption, il écrit ces mois « Il m'a aimé, et : qu'il parût au milieu des hommes. Mais le
« il s'est livré pour moi ». Avec un peu de
'"
Verbe avait de toute éternité fixé en lui-même
science théologique on me répondra que , le moment où il se manifesterait dans le

dans le Père et le Fils il y a unité de volonté, temps. Car l'ordre des temps et la succession
non moins qu'unité d'opération. Comprenons des siècles sont éternels en la sagesse de
donc que si le mystère de l'Incarnation du Dieu.
Verbe et celui de sa naissance du sein de la Or, puisque nous reconnaissons que le dé-
Vierge Marie, nous révèlent qu'il a été envoyé cret qui réglait l'Incarnation appartient éga-
l)ar le Père, il n'est pas moins certain que ces lement au Père et au Fils, nous pouvons dire
deux mystères sont l'œuvre conjointe et uni- avec raison que celui des deux qui a paru en
que du Père et du Fils. Il faut aussi leur ad- notre chair, a été envoyé, et que l'autre qui
joindre l'Esprit - Saint , car l'Evangile dit ne s'est point manifesté, l'a envoyé. Car les
expressément que « Marie se trouva avoir œuvres extérieures qui paraissent à nos yeux,
« conçu du Saint-Esprit ». se réalisent en Dieu dans le secret de la Divini-
té, et c'est pourquoi on les dit envoyées 7nissa,
'
Luc T , 34 , 35 ; Matt. i, 18. — ' Isa. XLVni , 16. — ' Jean, x,
,

36. — '
,

Id. svii, 19. — ' Rom. vm, 32 ;


Galat. u, 20. '
Jean, l, 1, 2, 14, — ' Gai. iv, 4.
LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 373

Au reste, c'est la personne du Fils qui s'est CHAPITRE VI.


faite homme, et non celle du Père. Aussi di-
LE SAIM-ESPRIT NE S'eST PAS INCARNÉ
sons-nous que dans ce mystère le Père a en-
COMME LE FILS.
voyé le Fils, parce qu'étant, avec son Fils, Dieu
et invisible , que ce Fils s'est
il a fait rendu Nous observons aussi que nulle part
11.
visible. Mais en se rendant visible,
si le Fils, l'Ecriture ne dit que le Père est plus grand
eût cessé d'être invisible ainsi que le Père, que l'Esprit-Saint, ni que celui-ci soit infé-
c'est-à-dire si la nature invisible du Verbe se rieur au Père. La raison en est que FEsprit-
fût changée et transformée en une créature Saint ne s'est point uni hypostatiquement aux
visible, on comprendrait bien que le Père en- créatures dont il empruntait la forme pour
voie le Fils, quoique l'on ne puisse concevoir se rendre visible , comme le Verbe divin
aussi facilement que le Fils reçoive de lui- s'est uni à la nature humaine, et s'est ma-
même sa mission, ainsi qu'il la reçoit du nifesté en celte nature. Car en Jésus-Christ
Père. Mais parce que le Fils, en prenant la la divinité était unie à l'humanité d'une ma-
forme d'esclave, a conservé la forme divine nière bien plus excellente que dans les saints
en toute son intégrité, il est évident (jue le qui participent à la sainteté de Dieu, et si
Père et le Fils, par une opération secrète et comme homme il surpassait tous les hommes
invisible, ont fait que le Fils apparût parmi en sagesse, ce n'était point qu'il eût plusabon-
les hommes. En d'autres termes, le Père in- dannnent puisé dans la plénitude du Verbe,
visible et le Fils invisible ontenvoyé le Fils, mais c'était qu'en lui il n'y avait qu'une seule
afin qu'il se manifestât au monde. Pourquoi personne, la personne du Verbe. Et, en effet,
donc Jésus-Christ dit-il « Je ne suis point : il est bien différent d'affirmer que le Verbe
« venu de moi-même ? » C'est qu'il parlait en est dans la chair, ou que le Verbe est chair,
tant qu'homme; et c'est en ce même sens c'est-à-dire que le Verbe est dans l'homme,
qu'il ajoutait encore «Je ne juge personnel).
: ou que le V'erbe est homme. Au reste, ici, le
dO. Nous disons donc que Dieu le Fils a été mol chair signifie homme, comme dans ce
envoyé, parce qu'étant comme Dieu caché aux passage de l'Evangile Le Verbe s'est fait : «
regards des hommes, il s'est rendu visible « chair » ; et encore
Toute chair verra : «
comme homme. Et de même il est aisé de «également le salut de Dieu ». Car, qui *

comprendre que l'Esprit-Saint est également oserait dire que ces derniers mots désignent
envoyé. Car nous savons que cet Esprit divin une créature inanimée tt irraisonnable? Evi-
s'estmanifesté quelquefois sous une forme demment toute chair veut dire tout homme.
sensible et matérielle. Ainsi, au baptême de Il est donc vrai de dire que l'Esprit-Sairt
Jésus-Christ, il descendit sur lui sous la forme ne s'est point uni la créature dont il a em-
d'une colombe et au jour de la Pentecôte, il
; prunté la forme pour se manifester, de la
s'annonça d'abord par un vent violent, et les même manière que le Fils de Dieu s'est uni la
apôtres virent ensuite comme des langues de nature humaine, qu'il a prise dans le sein de
feu qui se partagèrent et se reposèrent sur la Vierge Marie. Car ce divin Esprit n'a point
chacun d'eux ^ C'est cette manifestation visi- béatifié la colombe, ni le vent, ni le feu, et il
ble de l'action secrète de l'Esjjrit- Saint que ne s'est joint à aucun de ces éléments en
nous appelons Mission. Sans doute, il n'appa- unité de personne et par une union éternelle.
rut pas en cette nature invisible et incommu- On serait également dans l'erreur, si l'on af-
nicable qui lui est commune avec le Père et le firmait que ces éléments n'étaient point de
Fils, mais voulut exciter, par ces signes
il simples créatures, et que l'Esprit-Saint, comme
sensibles, l'attention des hommes, afin que de s'il était niuable et changeant de sa nature

cette manifestation temporelle, ils s'élevassent s'était transformé en colombe, en souffle, ou


à la pensée de sa présence éternelle et invi- en feu, ainsi que l'eau se convertit en glace.
sible. La vérité est que ces diverses créatures se
'
Jean, vui, 42, 15. — ' Matt. m, 16 ; Act. li 2-4. montrèrent en temps opportun, se réjouissant
de servir leur Créateur, et obéissant à l'ordre
de Celui qui est par essence immuable et éter-
nel. C'est ainsi qu'elles symbolisèrent son
' Jean, i, 11 ; Luc, m, 6.
374 DE LA TRINITE.

opération divine, et qu'elles la manifestèrent dans le même sens que nous nommons Jésus-
aux hommes sous de mystérieux emblèmes. Christ la pierre, selon cette parole de l'Apô-
Sans doute, saint Matthieu nous dit que la tre : « Or, cette pierre était le Christ *
». Car
colombe représentait l'Esprit-Saint, et au li- cette pierre existait précédemment, et parce
vre des Actes saint Luc marque expressé- que son action symbolisait le Christ, elle en
ment qu'à la Pentecôte ce même Esprit parut reçut le nom. Il en est de même de la pierre que
sous la ligure de langues de feu. « Il parut », prit Jacob, sur laquelle il s'endormit, et qu'il
dit-il , « comme des langues de feu qui se oignit ensuite d'huile pour la consacrer au
« partagèrent, et se reposèrent sur chacun Seigneur. Enfin, Isaac lui-même était la figure
« d'eux. Et ils commencèrent à parler diver- de Jésus-Christ lorsqu'il portait le bois du sa-
« ses langues, selon que TEsprit-Saint les fai- crifice '\ Ici la pierre et le bois existaient an-
« sait parler* ». Toutefois, il nous est défendu térieurement, et ils ne symbolisèrent Jésus-

de dire que le Saint-Esprit était tout ensemble Christ que par une action extérieure et inter-
Dieu et colombe. Dieu et langues de fou, prétative. La colombe, au contraire, et le feu
comme nous disons du Dieu et
Fils qu'il est furent instantanément créés pour exprimer
honiDie, et même qu'il est l'Agneau de Dieu. l'opération du Saint-Esprit. C'est pourquoi je
Cette dernière expression se rapporte à cette les comparerais volontiers au buisson ardent
parole du saint précurseur : « Voici l'Agneau que vit Moïse à la colonne de , feu qui guidait
« de Dieu -
», et à la vision que saint Jean rap- les Israélites dans le désert, et aux éclats de la
porte dans son Apocalypse, et où il vit Jésus- foudre qui ébranlait le Sinai,lorsque Dieu y
Christ comme un agneau immolé ^ Et en promulgua sa loi \ Et en effet, il y avait là
effet,dans cette vision le prophète ne vit , une forme sensible et passagère qui annonçait
point des yeux du corps un agneau matériel la présence du Seigneur.
et sensible, et il aperçut seulement du regard
une forme idéale. Jean-Baptiste, au contraire, CHAPITRE VII.

et les apôtres virent réellement et de leurs


APPARITIONS DIVINES.
yeux une colombe et des langues de feu.
J'avoue néanmoins qu'au sujet de ces lan- donc par rapport à ces formes cor-
12. C'est
gues on peut demander, en interprétant rigou- porelles que nous disons que le Saint-Esprit a
reusement le texte de saint Luc, si les apôtres été envoyé car elles n'existèrent que pour
;

les virent des yeux du corps, ou du regard de symboliser son opération secrète, et pour la
l'esprit. Car l'évangéliste ne dit pas que les rendre temporellement sensible aux regards
Apôtres virent comme des langues de feu se des hommes. Toutefois, nous n'affirmons
partager, mais qu'il parut comme des langues point que le Saint-Esprit soit inférieur au
de feu. Or, nous ne disons pas dans le même Père, ainsi que nous le disons du Fils, en tant
sens il parut, et j'ai vu. Quand il s'agit de
: qu'il est homme. C'est que le Fils s'est uni la
formes corporelles qui se montrent en des vi- nature humaine eu unité de personne tandis ;

sions Imaginatives, nous disons également il ; que ces formes ne furent créées que pour
parut, et j'ai vu ; et quand il s'agit de corps signifier l'opération du Saint-Esprit, et qu'elles
réels et sensibles qui se présentent devant nos cessèrent ensuite d'exister. Mais pourquoi ne
yeux, nous ne disons point ordinairement : il disons-nous pas que le Père a été envoyé,
parut, mais donc permis de de-
j'ai vu. Il est quoiqu'il se soit moulié sous ces figures sen-
mander au sujet de ce feu, de quelle manière sibles et corporelles, telles que le buisson ar-
ila été vu. Les Apôtres le virent-ils par le dent, la colonne de feu et de nuée, et les
regard intérieur de l'âme, ou des yeux du éclats du tonnerre, quoiqu'il ait alors parlé à
corps? Je n'ose le décider. Mais pour ce qui nos que l'Ecriture nous l'atteste?
jières, ainsi
est de la colombe, comme l'Evangile dit Et en effet, Dieu le Père se révélait aux re-
qu'elle parut sousune forme sensible et cor- gards des hommes par ces formes corporelles
porelle, on ne peut douter qu'elle n'ait été et sensibles. Si, au contraire, c'était le Fils qui
vue des yeux du corps. ^ se manifestait ainsi, pourquoi n'est-il dit en-
Observons encore qu'il serait inexact de dire voyé par le Père que bien des siècles plus
que le Saint-Esprit était colombe, ou feu,
— — Exod. Ui,
'
1 Cor. X, 4. ' Gen. xxvili, 16, xili, 6. *
2, xui,
' Act. Il, 0,1.— ' Jean, i, 29. — '
Apoc. v, 6. 21, 22, XIX 16.
LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIOxNS. 375

tard, et seulement lorsqu'il a été formé d'une qu'également l'Esprit-Saint n'a été envoyé
femme? «Quand la plénitude des temps fut qu'au jour où il se montra visiblement sous la
a arrivée, dit l'Apôtre, Dieu envoya son Fils forme d'une colombe ou de langues de feu?
«formé d'une femme *
». Or, ce même Fils
n'avait pas été |)récédemment envoyé quand CHAPITRE VIII.
,

il parlait à nos pères sous ces formes mo- TOUTE LA TRINITÉ ÉGALEMENT INVISIBLE.
en admettant
biles et passagères. D'ailleurs,,
que l'on ne puisse véritablement dire du Fils 14. Mais d'abord je laisse de côté ceux qui,
qu'il a été envoyé, si l'on ne se reporte au ne s'inspirant que de la chair, disent que le
mystère de l'Incarnation ;
pourquoi le disons- Fils unique de Dieu, qui est son Verbe et sa
nous du Saint-Esprit, qui jamais ne s'est uni Sagesse, et qui, toujours immuable en lui-
à aucune créature? Enfin, voulez-vous ne même , renouvelle sans cesse toutes choses,
plus reconnaître en ces figures dont nous par- a été non-seulement soumis au changement,
lent la loi et les prophètes, ni le Père, ni le mais encore qu'il s'est rendu visible à nos
Fils, mais le Saint-Esprit? je vous deman- yeux. Leur erreur vient de ce qu'ils appli-
derai encore pourquoi ce n'est que dans quent à l'étude de la religion un esprit plus
l'Evangile que cet Esprit est dit envoyé, quoi- rempli de pensées basses et terrestres que de
qu'il soit évident qu'il l'ait été longtemps sentiments religieux. Et, en effet, considérons
auparavant, et de diverses manières? notre àme elle est une substance spirituelle,
:

13. Ces questions sont difûciles et per- et elle n'a pu recevoir l'être que de Celui par
plexes, et avant d'en aborder la solution ,
je qui toutes choses ont été faites et sans lequel
dois rechercher si sous ces formes corporelles rien n'a été que cette
fait. Eh bien ! je dis
personnes divines se ma-
et sensibles les trois àme, quoique au changement, n'est
sujette
nifestaient séparément, en sorte que, tantôt point visible. Pourquoi donc mes adversaires
ce fût le Père, tantôt le Fils, ou le Saint-Es- le croient- ils du Verbe, qui est la sagesse
prit, ou bien si c'était la Trinité entière sans même de Dieu et qui a créé notre àme? D'ail-
distinction de personnes, et comme n'étant leurs cette sagesse divine n'est pas seulement
qu'un seul et unique Dieu. En second lieu, invisible comme l'est notre àme, mais de plus
quel que soit le résultat de mes recherches, je elle est immuable, ce que notre àme ne sau-
demanderai encore si Dieu créa réellement rait jamais être. C'est cet attribut que pro-
alors la créature
il se servitdont
pour se clame l'Ecriture quand elle dit, en parlant de
montrer aux yeux des hommes, ou si les la sagesse divine, « qu'immuable en soi elle ,

anges qui existaient déjà, et qui étaient en- « renouvelle toutes choses que '
». Il est vrai
voyés pour parler au nom de Dieu, revêtaient pour étayer cette erreur sur le
témoignage
selon les besoins de leur ministère la forme des saintes Ecritures, on cite deux passages
d'une créature corporelle et sensible. Peut- de l'Apôtre. Mais on les prend dans un sens
être aussi, comme ils ne sont point soumis à faux, puisqu'on n'appli(|ue qu'à Dieu le Père,
leurs corps, mais qu'ils le régissent à leur gré, et non au Fils et au Saint-Esprit, ce que l'Apô-
ont-ils pu, en vertu de la puissance que le tre dit de la Trinité entière. Au reste, voici ces
Seigneur leur a donnée, transformer ce corps deux passages : « Au Roi des siècles, au Dieu
en la forme qu'ils jugeaient la plus convena- « qui est l'immortel, l'invisible, l'unique, hon-
ble à leur mission. Enfin, j'examinerai, et « neur et gloire dans les siècles des siècles...
c'est là le point culminant de la question, si «Celui qui est souverainement heureux, le
le Fils et l'Esprit-Sainl ont été envoyés avant « seul puissant, le Roi des rois, et le Seigneur

l'époque cjui est marquée dans l'Evangile, et « des seigneurs qui seul possède l'immorta-
;

s'ilsFont été, quelle différence existe entre « lité qui habite une lumière inaccessible,
;

cette mission première et celle queles évan- « et homme n'a vu et ne peut


qu'aucun
gélistes nous racontent, ou bien faut-il dire « voir Et maintenant, pour ce qui est du
^ ».
que le Fils n'a été envoyé qu'au moment où il véritable sens de ces passages, je crois en avoir
s'incarna dans le sein de la Vierge Marie, et déjà suffisamment donné l'exjdication.
'
Gai. IV, i. ' ïJag. Vil, -7. — - I Tim. i, 17, vi, lô, 16.
. , ,

376 DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE IX. disent-ils , tout changement notable peut être


appelé une mort. Ainsi nous disons que notre
OBJECTIONS : REPONSES.
âme meurt non certes en ce sens qu'elle se
,

15. Je reviensdonc à ceux qui veulent les transforme en notre corps ou en toute autre ,

entendre séparément de Dieu le Père, et se substance matérielle, mais en ce sens que


refusent à les appliquer au Fils et au Saint- restant immuablement ce qu'elle est , elle
Esprit. Ils affirment, en conséquence que le , passe d'un état à un autre et cesse , d'être
Fils s'est rendu visible bien des siècles avant
son incarnation dans le ?ein de la Vierge
affectée aujourd'hui
Or, ce sont ces variations d'état et d'alfections
comme elle l'était hier.
^

Marie. Car, disent-ils, il a apparu aux patriar- qu'on nomme la mort de l'âme. Avant donc
ches. Mais, leur répondrai-je, si le Fils est vi- poursuivent-ils, que le Fils de Dieu fût né de
sible de sa nature , il est également mortel de la Vierge Marie , il a apparu aux patriarches ,

sa nature, puisque, selon vous, c'est unique- non une seule fois et sous une seule forme,
ment au Père que se rapporte celte parole : mais plusieurs fois et sous plusieurs formes.
«Qui seul possède l'immorlalilé ». Si, au C'est pourquoi il est visible de sa nature, puis-
contraire, le Fils n'est mortel que parce qu'il qu'antérieurement au mystère de l'Incarna-
a pris la nature humaine , souffrez aussi qu'il tion il s'est rendu sensible aux regards de
,

n'ait été visible qu'en cette nature. Point du l'Iiomme, et il est également mortel, parce
tout, répli(iuent-ils de même que le Fils : qu'il a subi divers changements. On doit
était visible avant l'incarnation, il était éga- aussi appliquer ce raisonnement à l'Esprit-
lement mortel avant l'incarnation. Cette der- Saint, qui s'est montré tantôt sous la forme
nière assertion vous étonne mais si mes ad- ; d'une colombe, et tantôt sous celle de langues
versaires reconnaissaient que le Fils n'est de feu. Ainsi, concluent mes adversaires, ce
devenu mortel qu'en se faisant homme , ils n'est point à la Trinité entière, mais unique-
seraient forcés d'avouer immortel qu'il est ment et tout spécialement au Père que con-
comme le Père, car étant son Verbe, et celui viennent ces paroles de l'Apôtre « A Dieu :

par qui tout a été fait, il possède essentielle- « seul, l'immortel et l'invisible, honneur et

ment De plus, ils ne sauraient


l'immortalité. « gloire possède l'immortalité et ha-
; lui seul
dire qu'en prenant une chair mortelle le , bite une lumière inaccessible; nul homme
Fils a perdu ses droits à l'immortalité, puis- « ne l'a vu et ne peut le voir * ».

que notre âme elle-même n'est point soumise 16. Mais ,


je le répète ,
je laisse de côté ces ,

à la loi de mort qui frappe le corps. Car Jésus- adversaires qui ne sont pas même capables de I

Christ nous a dit « Ne craignez point ceux


: comprendre que notre âme est une substance
« qui tuent le corps et ne peuvent tuer spirituelle et invisible. Combien sont-ils donc
«l'âme * ». Quant à la personne de l'Esprit- plus incapables encore de pénétrer les mys- j

Saint elle est encore pour eux un sujet de


, tères de l'essence divine. Entendront-ils jamais
nouvelles perplexités. Et en effet, supposons , comment les trois personnes de l'auguste Tri-
que le Fils soit mortel parce qu'il a pris une ne sont
nité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
nature mortelle , comment peuvent-ils dire qu'un seul Dieu, vrai invisible, immuable ,
,

que Père seul, à l'exclusion du Fils et du


le comment la réunion de ces attributs les éta-
Saint-Esprit, possède l'immortalité, puisque blit dans une véritable et parfaite immorta-

le Saint-Esprit, qui ne s'est point incarné, lité? Pour moi je crois que nul homme n'a ,

seraitégalement mortel? 11 faut donc en con- contemplé de ses yeux l'essence divine, et par
clure que si le Fils est mortel, ce n'est point conséquent qu'il n'a pu voir ni le Père, ni le
uniquement parce qu'il s'est fait homme. Fils, ni l'Esprit-Saint, si ce n'est par l'in-
D'un autre côté si l'Esprit-Saint est immor-
, termédiaire d'une créature sensible et corpo-
tel, ce n'est donc plus seulement du Père qu'il relle. Mais lorsqu'antérieurement à l'incarna-
a été dit « que Dieu seul possède l'iramorta- tion du Verbe, le Seigneur a daigné apparaîtie
« lité » à nos pères est-ce la Trinité entière qui s'est
,

Pour d'embarras mes adversaires


se tirer ,
manifestée, ou seulement une des trois per-
affirment qu'avant le mystère de l'Incarnation sonnes divines en sorte que chacune d'elles
,

le Fils était de lui-même mortel parce que ,


se soit montrée successivement? Telle est la
' Matt. X, 2S.
'
1 Tiui. I, 17, VI, 15, 16.
,

LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 377

question que je me propose d'étudier avec la Fils unique. Mais si Dieu le Père a parlé au
paix de l'Eglise catholique et deen esprit premier homme, s'il s'est promené vers le
paix. Si je me trompe ,
j'accepte d'avance soir dans le paradis terrestre, et si Adam pé-
toutes les observations que mes frères m'a- cheur s'est caché de devant sa face dans les
dresseront par amour de la vérité et même , bosquets du jardin, pourquoi n'admettrions-
toutes les critiques de mes adver.^aires, quel- nous pas qu'il soit également apparu à Abra-
que mordantes qu'elles puissent être, pourvu ham, à Moï^e, et à plusieurs autres? Qui l'em-
qu'elles soient fondées et sincères. pêcbait en effet de le faire selon son bon plai-
sir, et par l'intermédiaire d'une créature mua-
CHAPITRE X. ble et visible, tandis que lui-même restait tou-

APPARITIONS DE DIEU A ADAM, A ABRAHAM. jours de sa nature immuable et invisible?


Toutefois, qui vous a dit, m'objecterez-vous,
Et d'abord nous lisons au livre de la
17. que l'écrivain sacré n'a point passé secrète-
Genèse^ que le Seigneur parla à l'homme qu'il ment d'une personne à une autre, et qu'après
avait formé du limon de la terre. Mais si nous nous avoir montré le Père créant par son
prenons ici les paroles de l'Ecriture dans leur Verbe la lumière et l'ensemble de l'univers, il
sens littéral et si nous en excluons toute si-
, n'indique pas ici le Fils, "comme étant la per-
gnification figurée, il semble que Dieu prit sonne divine qui parle à l'homme? Sans doute
une forme humaine pour converser avec il ne l'affirme pas expressément, mais il le
l'homme. Sans doute l'écrivain sacré ne l'af- propose à nos recherches et à notre inteUi-
firme point positivement, mais cela résulte de gence.'
l'ensemble de son récit , et spécialement de Que celui donc qui possède un œil assez
18.
certains détails bien circonstanciés. Ainsi vif pour pénétrer ce mystère, y applique son
Adam entendant
la voix de Dieu qui, vers le esprit, et qu'il chercbe à découvrir si par l'in-
soir, sepromenait dans le paradis terrestre termédiaire d'une créature sensible, le Père a
se cacba parmi les arbres qui étaient dans le pu se manifester aux regards des hommes, ou
jardin, et lorsque Dieu lui dit «Adam, où : bien si ces diverses apparitions doivent exclu-
«es- tu? » il lui répondit « J'ai entendu : sivement être rapportées au Fils et au Saint-
a votre voix et je me suis caché de votre face, Esprit. Je souhaite qu'il réussisse dans cette
« parce que j'étais nu ^ ». Or, je ne vois pas recherche, et qu'il lui soit donné d'éclaircir et
comment Dieu aurait pu , dans la rigueur des d'expliquer ce mystère. Pour moi, je m'en
termes marcher et parler, si ce n'est sous
, tiens au texte même de l'Ecriture, et je re-
une forme humaine. Et, en effet, l'on ne peut garde comme secrète et impénétrable la ma-
dire qu'Adam entendit seulement le son d'une nière dont le Seigneur a parlé à l'homme.
voix, puisque Moïse affirme que Dieu marcha. D'ailleurs ne me paraît pas évident
il qu'Adam
Et d'un autre côté, l'on ne peut soutenir qu'en et Eve aient aperçu Dieu des yuux du corps;
marchant Dieu ne se soit rendu visible, puis- et puis se présente cette grande question :

qu'il est dit qu'Adam de devant sa


se retira Comment leurs yeux s'ouvrirent-ils, dès qu'ils
face. Quelle était donc cette personne divine? eurent mangé du fruit défendu? est-ce qu'au-
Etait-ce le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit? paravant ils étaient fermés ? Cependant il ne ^

Ou bien la Trinité tout entière conversai l-elle me semble point téméraire de dire que l'Ecri-
avec l'homme sous une forme humaine ? ture, en mentionnant le jardin de délices
Mais l'usage de l'Ecriture n'est point de pas- comme un séjour terrestre, suppose par cela
ser brusquement d'une personne à l'autre, et même que Dieu ne pouvait s'y promener que
ainsi celle qui parle ici à Adam, paraît èlrela sous une forme humaine. Et en effet, l'on n'est
même qui avait dit : « Que la lumière soit; point admis à supposer que l'homme entendît
« que le firmament
^
», et qui se montra soit seulement une simple voix, sans voir une
dans les autres jours de la création. Or, nous figure quelconque, et bien qu'il soit expressé-
reconnaissons que celte personne est Dieu le ment marqué « qu'Adam se cacha de devant
Père, qui par sa parole créa le monde. 11 fit a la face du Seigneur », on ne doit pas con-
donc toutes choses par son Verbe, et la foi clure qu'il le voyait habituellement. Eh sans !

catholique nous apprend que ce Verbe est son pouvoir contempler Dieu, Adam ne craignait-
' Geii. 111,8, 10. — = Id. I, 3, 6. '
Gen. III, 7.
378 DE LA TRINITÉ.

il pas d'en être vu ,


parce qu'il avait entendu Père à cette prière du Sauveur Jésus : « Mon
sa voix, et qu'il avait senti sa présence dans «Père, glorifiez votre Fils Or Jésus ne pou- ».
le paradis terrestre? Caïn disait aussi au Sei- vait prier ainsi que son Père, et non l'Esprit-
gneur : « Voilà que je me cacherai de devant Saint dont il n'est point le Fils. Pourquoi
« votre face * ». Et néanmoins nous ne sommes donc n'entendrions-nous pas de la sainte
point forcés d'avouer que Caïn vit Dieu des Trinité cette parole de la Genèse : « Et le Sei-
yeux du corps, et sous une forme sensible, « gneur Dieu dit à Adam » ?
quoiqu'il entendît distinctement la voix qui 19. Nous lisons également dans l'Ecriture
lui parlait, et qui lui reprochait son crime. que Dieu dit à Abraham « Sors de ta terre :

Au reste, il est difficile d'expliquer com- «et de ta parenté, et de la maison de ton


ment Dieu faisait alors entendre sa voix aux « Père ». Mais il n'est point expressément
hommes, et principalement à Adam. D'ail- marqué si ce patriarche entendit seulement
leurs cette recherche est étrangère à mon su- un son et une voix, ou s'il fut en outre favo-
jet, et je me propose seulementcette question. risé de quelque apparition. Un peu après, il

S'il n'y avait dans ces apparitions de Dieu aux est vrai, l'écrivain sacré semble se prononcer
premiers hommes qu'une voix et un son qui plus ouvertement , car il ajoute « que le Sei-
leur rendit sa présence plus sensible, pour- « gneur apparut à Abraham et lui dit : Je
quoi n'y reconnaîtrais-je pas la personne du « donnerai cette terre à ta postérité ^ ». Tou-
Père? En vérité, je ne vois rien qui s'y op- tefois, même dansée passage. Moïse ne spécifie
pose. Car c'est le Père qui se manifeste et qui point le genre de vision dont jouit Abraham,
parle, lorsque sur la montagne Jésus est trans- et il ne détermine point laquelle des trois
figuré en la présence de trois de ses apôtres. personnes divines lui apparut. Mais peut-être
C'est lui encore qui se fait entendre, lorsqu'au croirez-vous qu'il ait voulu désigner le Fils,
baptême de Jésus, l'Esprit-Saint descend sur lui parce qu'il a dit « Le Seigneur apparut à :

en forme de colombe-, et qui, exauçant cette «Abraham », et non Dieu apparut. Et en effet
prière du même Jésus « Mon Père, glorifiez : dans quelques endroits des saintes Ecritures,
« votre Fils », dit: «Je l'ai glorifié et je le glo- ce mot, le Se/gnew\éès\gne particulièrement
« rifieraiencore ^». Ce n'est point, il est vrai, Dieu le Fils. Ainsi l'Apôtre écrit aux Corin-
qu'ici Dieu le Père agisse sans son Fils et thiens : « S'il est des êtres appelés dieux, soit
sans l'Esprit-Saint, puisque toute œuvre exté- « dans le ciel, soit sur la terre, en sorte qu'il y
rieure est commune aux trois personnes di- « ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs,
vines. Mais je veux dire que cette voix révé- «néanmoinsiln'y a pour nous qu'un seulDieu,
lait seulement la personne du Père, de même « le Père, de qui procèdenttoutes choses, et qui

que le mystère de l'Incarnation est l'ouvrage « nous a faits pour lui et un seul Seigneur, ;

de la Trinité entière, et que néanmoins la per- « Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été
sonne seule du Fils s'est incarnée. Et en effet, «faites, et noussommes par lui ^». Cependant
si la Trinité invisible nous a rendu visible Dieu le Père est lui-même appelé Seigneur
par l'Incarnation la seule personne du Fils, dans plusieurs passages de nos livres saints,
pourquoi ne verrions-nous pas dans la parole comme dans celui-ci « Le Seigneur a dit à :

que Dieu adresse à Adam et l'action de la Tri- «mon Seigneur Asseyez-vous à ma droite » :
;

nité entière, et la manifestation spéciale d'une et encore « Le Seigneur m'a dit Vous êtes mon
: :

des trois personnes divines? « Fils, et je vous ai engendré aujourd'hui ^ ».

D'ailleurs nous sommes contraints d'attri- Bien plus, l'Apôtre nomme aussi Seigneur
buer uniquementau Père cette parole « Celui- : l'Esprit-Saint, car il dit que « le Seigneur est
« ci est mon Fils bien-aimé * ». Car on ne « Esprit» pour qu'on ne puisse croire qu'il
; et
saurait dire, ni croire que Jésus-Christ est le désigne et ne l'appelle esprit que
ici le Fils,

Fils de l'Esprit-Saint, ou bien qu'il est lui- par rapport à son humanité, il ajoute immé-
même son })ropre Fils. N'est-ce pas encore le diatement que « là où est l'Esprit du Seigneur,
Père qui se déclare par cette voix venue du là est la liberté * ». Or, qui peut douter que
ciel : « Je l'ai glorifié, et je le glorifierai en- l'esprit du Seigneur ne soit TEsprit-Saint ? C'tst
« core » ? Elle n'est en effet que la réponse du |)Ourquoi l'on ne peut ni préciser laquelle

'
Oen. IV, M. — ' Matl. xvil, 5, lu, 17. — ^
Jean, xii, 28. - '
Gen. XH, 1, 7. — - I Cor. viii, 5, 6. — ^ Ps. cix, 1, H, 7, — ' 1

Matt. 111, 17. Cor. m, 17.


LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 379

(les troispersonnes divines apparut à Abra- liseque par l'enfantement de la Vierge Marie.
ham, déterminer si ce ne fut pas cette Tri-
ni Comment donc avant cet enfantement le Fils
nité entière, dont il est dit, comme n'étant de Dieu a-t-il pu apparaître comme homme ?
qu'un seul Dieu a Vous adorerez le Seigneur
: Mais il n'était pas réellement homme. Cette
« votre Dieu, et vous ne servirez que lui ». *
difficulté m'arrêterait, si un homme eût
seul
Sous le chêne de Mambré, Abraham vit apparu à Abraham , et si cet homme eût été
encore trois hommes, qu'il invita à venir se le Fils de Dieu. Mais puisque ce saint pa-
reposer sous sa tente, et auxquels il servit le triarche vit trois hommes, et puisque tous trois
repas de l'hospitalité. Mais au début de son ré- étaient égaux en beauté, en âge et en pouvoir,
cit Moïse dit que « le Seigneur apparut à pourquoi ne reconnaîtrions-nous pas en eux
et ce patriarche », et non que trois hommes une figure de l'auguste Trinité dont les trois ,

lui apparurent; et puis, entrant dans quelques personnes égales en toutes choses
, n'ont ,

détails au sujetde ces troishommes, ilobserve qu'une seule et même nature ?


qu'Abraham leur parla au nombre pluriel 21. Peut-être encore voudrions-nous con-
pour les inviter, et au nombre singulier pour jecturer que l'un des trois voyageurs était
les entretenir. C'est ce que nous remarquons supérieur aux deux autres, et qu'il représen-
lorsque l'un d'eux lui promit un fils de Sara ;
tait le Fils de Dieu, accompagné de ses anges,

et à cette occasion l'écrivain sacré répète cette parce qu'Abraham, voyant trois hommes, ne
expression: «Le Seigneurapparutà Abraham». parle qu'à un seul, et le nomme Seigneur.
Ainsi Abraham invite ces trois hôtes, leurlave Mais la sainte Ecriture prévient ces pensées
les pieds et les reconduit par honneur, comme tout au moins téméraires, quand elle dit peu
s'ils étaient trois hommes, et il leur parle après que deux anges vinrent trouver Loth,
comme ne s'adressait qu'au Seigneur, soit
s'il pour l'arracher à la destruction de Sodome, et
qu'ils lui promettent un fils, soit qu'ils lui que cet homme juste leur parla comme s'il

annoncent la prochaine destruction de So- eût parlé à Dieu. Et en effet elle s'exprime
dome *. ainsi « Le Seigneur disparut,
: Iors(ju'il eut
CHAPITRE XI. «cessé de parlera Abraham; et Abraham
« retourna dans sa demeure '
».
LE CHÈXE DE MAMBRÉ.

20. Mais ce passage delà Genèse mérite que CHAPITRE XII.


nous nous y arrêtions quelque temps. Et en APPARITION FAITE A LOTH.
effet, si un seul homme eût apparu au saint

patriarche, ceux qui affirment que le Fils «Or deux anges arrivèrent sur le soir à So-
était visible de sa nature, et avant son incar- « dôme ». Ici, la proposition que je veux éta-
nation dans le sein d'une Vierge, pourraient ici blir demande toute notre attention. Nous
jeter un cri de joie et de victoire, et soutenir avons vu qu'Abraham s'adressant à ses trois
avec raison que c'est du Père que l'Apôtre a hôtes, leur parlait comme à un seul qu'il ap-
dit « qu'il est seul le Dieu invisible ^». Toute- pelait son Seigneur; et de là on pourrait con-
fois il me serait permis de leur demander com- clure qu'il en reconnaissait un pour Dieu, et
ment, avant qu'il se fût fait homme, le «Fils les deux autres pour ses anges. .Mais comment
« de Dieu put être reconnu homme par tout ce accorder cette opinion avec la suite du récit?
qui parut en lui », car Abraham lui lava les « Le Seigneur disparut lorsqu'il eut cessé de
pieds, et le fit asseoir à sa table. Oui, comment « parler à Abraham, et Abraham retourna en
cela put-il se faire , lorsque « ce Fils ayant la c< demeure. Or deux anges arrivèrent sur le
sa
« nature de Dieu ne croyait point que ce fût « soir à Sodome ». Est-ce par hasard que celui
« pour lui une usurpation de s'égalera Dieu »; des trois que le saint patriarche reconnaissait
car « il ne s'était pas encore humilié en , comme Dieu, s'était alors retiré, se contentant
« prenant la forme d'esclave, en se rendant d'envoyer ses anges à Sodome Eh
? bien !

« semblable aux hommes, et se faisant recon- poursuivons la lecture du texte sacré Deux
: «
« naître pour homme par tout ce qui parais- « anges arrivèrent donc sur le soir à Sodome,
« sait en lui * »? Nous savons en effet que « et Loth était assis à la porte de la ville. Et
tout ce my^tère d'abaissement ne s'est réa- « dès qu'il les eut vus, il se leva et alla au de-
' Deat. Yi, 13.— ' Gea. xvui.— •
I ïim. i, 17.— * Ph;lipp. ir, 6, 7. ' Gen. xvm, 33.
380 DE LA TRINITÉ.

« vant d'eux, et il adora, s'inclinant vers la CHAPITRE XIII.


« terre, et vous prie, seigneurs, reti-
il dit; Je
LE BUISSON ARDENT.
a rez-vous en la maison de votre serviteur' ».

Ne ressort-il pas de ce récit que ces anges 23. Voici maintenant en quels termes le livre
étaient au nombre de deux, et que Loth les de l'Exode raconte l'apparition du Seigneur à
prenant pour des hommes, leur adressait la Moïse, lorsque celui-ci fut envoyé au peuple
parole au pluriel, les invitait à accepter ses d'Israël pour le faire sortir de l'Egypte,
offres d'hospitalité, et leur donnait par hon- a Moïse paissait les brebis de Jéthro, son beau-

neur le nom de seigneurs? ce père, prêtre de Madian; et, un jour qu'il


une nouvelle difficulté. Si
22. Mais voici « avait conduit le troupeau dans le fond du dé-
Loth n'eût reconnu en eux des anges, « il n'eût « sert, il vint à la montagne de Dieu,
à Horeb.
« point adoré, s'inclinant vers la terre» : etsi, «Etrange du Seigneur apparut dans la lui
d'autre part , il ne les eût pris pour des « flamme d'un feu qui sortait du milieu d'un
hommes, il ne leur eût point olTert la table et « buisson et JMoïse voyait que le buisson brû-
;

le logement. Cette difficulté, je l'avoue, ne « lait et ne se consumait point. Moïse dit donc:
laisse pas que d'être sérieuse, et néanmoins ,
c( J'irai et je verrai cette grande vision, pour-
sans la résoudre, je poursuis mon raisonne- « le buisson ne se consume point. Mais
quoi
ment. L'Ecriture raconte donc tout d'abord « le Seigneur voyant qu'il venait pour regar-
que deux anges arrivèrent à Sodome, que Loth <?der, l'appela du milieu du buisson et lui
les vit, qu'il leur offrit l'hospitalité, et qu'il « dit Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'A-
:

leur parla au pluriel jusqu'à ce qu'il eût (juitté « braham, d'isaac et de Jacob », Ici le per- '

la ville; puis elle continue en ces termes : sonnage qui apparaît, est d'abord nommé
« Et après qu'ils l'eurent emmené hors de la ange, et puis Dieu. Est-ce qu'un auge peut être
« ville, ils lui dirent Sauve ta vie ne regarde : ;
le Dieu d'Abraham, d'isaac et de Jacob ? Non

« point derrière toi, et dans ne t'arrête point sans doute aussi peut-on reconnaître dans
;

a cette mais sauve-toi sur la monta-


contrée : cet ange le Sauveur Jésus, dont TApôtre a
« gne, de peur que tu ne périsses avec les au- dit c( qu'il est sorti des patriarches selon la
« très. Et Loth leur répondit Mon Seigneur, : chair, et qu'il est le Dieu au-dessus de toutes
« j.e vous prie, puisque votre serviteur a trouvé « choses, et béni dansions les siècles^». Celui
« grâce devant vous», et le reste*. Pourquoi donc qui est le Dieu béni dans tous les siècles,

donc Loth dit-il aux deux anges « Je vous : peut bien, sans difficulté aucune, se nommer
« prie. Seigneur », si celui qui était Dieu s'é- le Dieu d'Abraham, d'isaac et de Jacob.
tait déjà retiré et n'avait laissé que ses anges ? Mais pourquoi l'écrivain sacré parle-t-il d'un
Pourtiuoi encore ce mot Seigneur, au sin- , ange, lorsque la flamme du buisson apparut
gulier, et non au pluriel ? Direz-vous qu'il à Moïse? C'est que peut-être un esprit céleste
ne s'adressait qu'à un seul? mais alors pour- représentait effectivementla personne deDieu;
quoi l'Ecriture s'exprime-t-elle ainsi « Loth : ou bien était-ce une créature quelconque qui
« leur répondit Mon Seigneur, je vous prie,
: se montrait visiblement, et se faisait entendre
« puisque votre serviteur a trouvé grâce de- distinctement, afinde manifester par ces signes
cevant vous » ? Evidemment, il est ici question sensibles la présence invisible du Seigneur?
de deux personnes et Loth qui leur parle ; Mais si c'était un ange, qui pourrait sans té-
comme à un seul, reconnaît en elles l'unité de mérité affirmer qu'il représentait la personne
nature, et confesse (ju'elies ne sont qu'un seul du Fils à l'exclusion de celle du Saint-Esprit,
Dieu. Mais quelles sont ces deux personnes ? ou du Père? ou plutôt n'était-ce pas cette Tri-
Le Père et le Fils, ou le Père et l'Esprit-Saint, nité, qui est un seul Dieu, qui disait Je suis : ce

ou plutôt le Fils et l'Esprit-Saint ? Celte der- « leDieu d'Abraham, le Dieu d'isaac et le Dieu
nière hypothèse me paraît la plus vraisembla- « de Jacob ?» Et en effet, celui qui ne serait

ble. Car ces deux anges se disent envoyés, ce pas Dieu, ne saurait être le Dieu de ces illus-
que nous disons également du Fils et du Saint- tres patriarches. Mais ce n'est pas seulement
Esprit, tandis que jamais l'Ecriture ne l'af- le Père qui est Dieu, comme en conviennent
firme du Père. tous les hérétiques, c'est encore le Fils dont
'
Gen. SIX, 1, 2. — ' Gen. xix, 1-19. ils sont forcés, bon gré, mal gré, de recon-
'
Exod. ni, 1-6. — ' Rom. ix, 5.
.

LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 381

naître la divinité, puisque l'Apôtre dit « qu'il peut même tirer à cet égard aucune lumière
« est le Dieu au-dessus de toutes choses, et du passage où il est dit que « la gloire du Sei-
« béni dans tous les siècles ». Enfin le Saint- « gneur a[)parut dans la nuée, et que le Sei-

Esprit est Dieu, car le même Apôtre écrit aux « gneur pailant à Moïse, lui dit J'ai entendu :

Corinthiens Ne savez-vous pas que votre


: « « les murmures des enfants d'Israël ^ »

« corps est le temple du Saint-Esprit, qui réside

« en vous, et que vous avez reçu de Dieu ?


CHAPITRE XV.
« glorifiez donc Dieu en votre corps ». '
LE MONT S IN AÏ.
Or, comme ces trois personnes, ainsi que
nous l'enseigne la foi catholique, ns sont qu'un 25. Quant aux prodiges qui éclatèrent sur
seul Dieu, il n'est pas facile de déterminer le mont Sinaï, l'on connaît assez la nuée lumi-
laquelle des trois représentait cet ange ni , neuse, les éclats de la foudre, le bruit des voix
même de décider s'il ne figurait point la Tri- et des trompettes, et les tourbillons de fumée.
nité entière. Mais voulez-vous ne voir ici que D'ailleurs, voici livre de
le texte même du
l'union passagère à une créature formée pour l'Exode Tout le mont Sinaï fumait parce
: « ,

la circonstance présente rendue capable de , « que le Seigneur y était descendu au mi-


frapper l'œil et l'oreille de Moïse , et portant « lieu du feu, et la fumée de ce feu montait
les noms d'ange du Seigneur, et même de « comme d'une fournaise; tout le peuple fut
Dieu et ne sauriez dire
de Seigneur, vous « grandement épouvanté, et le son de la trom-
qu'elle représentait le Père mais seulement ,
a pette augmentait de plus en plus, et Moïse
le Fils ou l'Esprit- Saint. Cependant l'Ecri- « pailait, et Dieu lui répondait - ». L'écrivain
ture n'appelle nulle part l'Esprit-Saint l'Ange sacré dit encore, après avoir raconté la pro-
du Seigneur, quoique convienne à ce nom mulgation des dix commandements de la loi,
ses diverses opérations car d'un côté le , que a le peuple voyait les éclairs et la fumée
Sauveur a dit de lui « qu'il annoncerait ce « de la montagne, et qu'il entendait le ton-

« qui doit arriver ^ », et de l'autre le mot « nerre et le son de la trompette. Il se tint

ange signifie envoyé. Quant à Jésus-Christ, «donc au loin, ajoute-t-il un peu plus bas;
le Prophète le nomme expressément « l'xVnge « mais Moïse entra dans la nuée où était Dieu,

du grand conseil * ». Au reste c'est un ar- « et Dieu parla à Moïse ^ ». Que dirai-je ici?

ticle de foi que l'Esprit-Saint et le Fils sont


,
Mais d'abord qui serait assez insensé pour
comme Dieu au-dessus des anges. croire que la fumée, le feu, la nuée, et les
autres prodiges étaient la substance même du
CHAPITRE XIV. Saint-Esprit, ou la personne du Verbe divin
que nous nommons le Christ et la Sagesse de
LA COLONNE DE FEU. Dieu? Quant à y voir Dieu le Père, les Ariens
eux-mêmes n'ont jamais osé le dire. Ainsi tous
24. Nous lisons encore que lorsque les Hé- ces prodiges se réalisèrent par l'intermédiaire
breux sortirent de rEgy[)te, « le Seigneur les de différentes créatures qui, soumises au Créa-
« précédait durant le jour en une colonne de teur, en rendaient la présence sensible aux
« nuée, pour leur montrer la voie, et durant yeux des Israélites. Néanmoins, parce qu'il est
« la nuit, en une colonne de feu. Et jamais, dit « que Moïse entra dans la nuée où était
« ajoute l'écrivain sacré, la colonne de nuée « Dieu », quelques-uns croient qu'il vit réel-
« ne cessa de paraître devant le peuple durant lement de ses propres yeux la substance du
« lejour, ni la colonne de feu durant la nuit S). Fils, tandis que le peuple n'apercevait que la

Qui pourrait ici douter que Dieu n'ait alors nuée. Mais ce n'est ici qu'une folle imagina-
apparu aux yeux des Israélites par l'intermé- tion des hérétiques.
diaire d'une créature sensible et corporelle, et Eh quoi Moïse aurait vu de ses propres yeux
!

non pointensapropresubstance? Mais était-ce la substance du Verbe éternel, que nous nom-
le Père, ou le Fils, ou l'Esprit-Saint, ou bien mons le Christ et la Sagesse de Dieu, lorsque
n'était-ce pas la Trinité tout entière? C'est ce nous ne pouvons même voir l'àme d'un sage,
qu'on ne saurait affirmer. Selon moi, on ne ni de tout autre homme Sans doute il est I

écrit des vieillards d'Israël, « qu'ils virent le


» I Cor. V!, 19, 20. Jean, xvi ,13, — ' Isa. ix, 6. — ' Exod.
XUI, 21, 22. ' Exod. XVI, 10-12. — ' Id. XIX, 18, 19. — ' Id. xx, 18, 21.
. ,

38^2 DE LA TRINITÉ.

« Dieu d'Israël, et sous ses pieds comme un « yeux des enfants d'Israël ^
» . Peut-être aussi
« ouvrage de saphir, et comme le ciel lorsqu'il ces divers signes marquaient-ils seulement
(( est serein '
». Mais faut-il en conclure que le que le Saint-Esprit, qui devait écrire la loi
Verbe qui Sagesse de Dieu s'est circons-
est la apparaissait sur la montagne conjointement
crit substantiellement dans un certain espace, avec le Père et le Fils. Au reste, il est bien
lui qui « atteint d'une extrémité à l'autre avec entendu que Dieu, qui est de sa nature invi-
« force, et qui dispose toutes choses avec dou- sible et immuable, ne se montra alors que
ceceur ^». Ainsi le Verbe divin, par qui tout a sous les dehors d'une créature visible et ma-
été fait, serait soumis au changement, et selon térielle. Toutefois, je ne saurais à mon point

les circonstances se dilaterait et se resserre- de vue, préciser quelle fut celle des trois per-
rait! Ahl plaise au Seigneur de ne jamais sonnes divines qui apparut.
permettre que de telles pensées souillent le
cœur de ses enfants ! Mais, comme je l'ai dit CHAPITRE XVI.
souvent, tous ces dilîérents prodiges se réali-
sèrent au moyen de créatures visibles et sen- COMMENT MOÏSE A-T-IL VU DIEU.
sibles qui annonçaient la présence du Dieu
invisible et spirituel. Or, ce Dieu est la Trinité 27. Le passage suivant du même livre de
entière. Père, Fils et Saint-Esprit, Trinité «de 1Exode ne laisse pas aussi d'embarrasser
«laquelle, en laquelle et par laquelle sont quelques esprits «Le Seigneur parlait à Moïse
:

« toutes choses. Car les perfections invisibles « face à face, comme un homme parle à son
c« de Dieu, aussi bien que son éternelle puis- «ami». Et de son côté. Moïse lui disait :

ce sance, sont devenues visibles depuis la créa- « Maintenant donc, si j'ai trouvé grâce devant
« tion du monde par ce qui a été fait ^ ». « vous, faites que je vous voie et que je vous
en ce qui concerne la ques-
26. Cependant, « connaisse, et que je trouve grâce devant vos
tion qui nous occupe en ce moment, je ne « yeux, afin que je sache que cette multitude
saurais déterminer, si c'était la Trinité entière, « est votre peuple ». Peu après, il dit encore
ou bien une seule des trois personnes divines à Dieu : « Je vous supplie de me faire voir
qui se fit alors entendre au milieu des ef- « votre gloire - ». Eh quoi ! dans les diverses

frayants prodiges qui s'accomplissaient sur le apparitions que j'ai rapportées, quelques-uns
mont Sinaï. Néanmoins, il est permis de con- ont cru faussement que l'essence divine se
jecturer aNcc modestie et avec réserve, qu'ici rendait visible, et que le Fils de Dieu se ma-
l'action de l'Esprit-Saint se révèle tout spé- nifestait par lui-même et non par l'inter-

cialement. Car il est ditque le Seigneur écri- médiaire des créatures et quant à ce qui est
;

vit de son doigt la loi sur deux tables de pierre. dit de Moïse qu'il entra dans la nuée, ils l'ont

Or, dans l'Evangile, le Saint-Esprit est appelé expli(|ué en ce sens, qu'à l'extérieur le peuple
le doigt de Dieu*. De plus, cinquante jours n'apercevait qu'une nuée ténébreuse, tandis
sont comptés depuis l'immolation de l'agneau qu'au dedans de cette même nuée. Moïse con-
et la célébration de la pàijue jusqu'à la pro- templait la face du Seigneur et entendait sa
mulgation de la loi sur le Sinaï et de même ;
parole ? C'est le témoignage de l'écrivain sacré,
cinquante jours après la résurrection de Jésus- qui dit « que le Seigneur parla à Moïse face à
Christ, l'Esprit-Saint qu'il avait promis des- « face, et comme un ami parle à son ami »
,

cendit sur les apolres. Nous lisons encore au Mais voilà que ce même Moïse dit au Seigneur :

livre des Actes, que cet Esprit divin parut sous « Si j'ai trouvé grâce devant vous, faites que

la forme de langues de feu, qui se divisèrent « je vous voie manifestement ». 11 comprenait

et se reposèrent sur la tète de chacun des apô- donc qu'il n'avait sous les yeux qu'une image
tres ^ Mais n'est-ce pas aussi ce que nous ra- corporelle, et il désirait contempler l'Etre spi-
conte l'écrivain sacré? «Tout le mont Sinaï », rituel et invisible. Il est vrai que la parole du
dit-il, fumait, parce que le Seigneur y était
c( Seigneur était douce et familière comme celle
descendu au milieu du feu et l'aspect de : d'un ami qui parle à son ami. Mais jamais un
« la gloire du Seigneur était au sommet de la homme n'a vu des yeux du corps ni Dieu le
c( montagne comme un feu ardent devant les Père, ni le Verbe « qui au commencement
« était avec Dieu, qui était Dieu, et par qui
*
Exod. xxiv, 10. ' Sag. viii — , 1. — ' IUau. ,\1, 3G , I , -0. —
Exod. xxxi, 18 Luc, si, 10.
;
— ' Act. ii, 1-4. Exod. XIX, IS, XXI, IG. Exod. xxxni, 11, 13, 18.
.

LIVRE IT. — MISSIONS ET APPARITIONS. 383

« toutes choses ont été faites ^ » ;..ni l'Esprit- etencore, « que nul homme vivant ne se j ustifie
Quel est donc
Saint, qui est l'Esprit de sagesse? devant le Seigneur ». Dans cette vie, dit
c(
'

le sens de cette prière « Montrez-vous mani- : également l'apôtre saint Jean, « ce que nous
erfestemenl à moi, afin que je vous voie?» « serons un jour ne paraît pas encore, mais

Evidemment Moïse veut dire Seigneur, dé- : « nous savons que, quand le Christ viendra

couvrez-moi votre essence divine. Sans cette dans sa gloire, nous serons semblables à lui,
«

parole, on eût pu excuser la témérité de ceux parce que nous le verrons tel qu'il est - ».
«

qui soutiennent que Moïse contempla réelle- Or, qui ne comprend que l'Apôtre désigne ici
ment l'essence divine par l'intermédiaire des cet état heureux où la mort et la résurrection
divers prodiges qui s'accomplirent sur le doivent nous établir?
Sinaï. Mais quand nous l'entendons ici formu- J'observe en outre, qu'autant ici-bas nous
ler un désir qui ne doit pas être exaucé, ose- pénétrons en la connaissance de la sagesse
rions-nous encore affirmer que sous ces di- divine, qui a fait toutes choses, autant nous
verses formes, qui frappaient sensiblement ses mourons aux afï'eclions de la chair. Ainsi, de
regards, ce n'étaient point des créatures vi- jour en jour le monde meurt à tiotre égard,
sibles et matérielles qu'il apercevait, mais bien nous mourons au monde, en sorte que nous
et

l'essence divine. pouvons dire avec l'Apôtre « Le monde est :

28. Au de Dieu à
reste, les paroles suivantes « crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le

Moïse confirment ce raisonnement. « Tu ne « inonde ^ ». C'est encore de cette mort que

« pourras, lui dit-il, voir ma face; car l'homme le même Apôtre a dit « Si vous êtes morts :

« ne me verra point sans mourir. Et il ajouta : « avec Jésus-Christ pourquoi agissez-vous ,

« Voici un lieu près de moi tu te tiendras là, : 8 comme si vous viviez dans le monde * ? »

« sur ce rocher. Lorsque ma gloire passera, C'est aussi que nul homme ne peut voir, sans
«je te placerai dans un creux du rocher, et je mourir, la face , c'est-à-dire la manifestation
« te couvrirai de ma main jusqu'à ce que ma pleine et entière de la sagesse divine. Car c'est
« gloire soit passée. Ensuite je retirerai ma là cette vision beatifique, après laquelle soupire
« main, et tu me verras par derrière, mais il tout homme qui s'étudie a aimer Dieu de tout
« ne te sera point donné de voir ma face ^ » s m cœur, de toute son àme et de tout son es-
prit, et qui, aimant ses frères comme lui-
CHAPITRE XVII. même, s'eli'orce, autant qu'il est en lui, de les

VOIR DIEU PAR DERRIÈRE. amener au même


bonheur. Eh n'est-ce pas !

en ce double amour de Dieu et du prochain


Cette expression : « Tu me verras par der- que sont renfermés la loi et les prophètes ?
« rière», peut s'entendre très-convenablement Au reste Moïse nous en offre un bel
,

de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et marquer exemple; car, tout brûlant d'amour pour le


ainsi la chair en laquelle il est né de la vierge Seigneur, il dit d'abord : «Si j'ai trouvé grâce
Marie, est mort et est ressuscité. Et en eflet le « devant vous,
que je vous voie et que
faites
mystère de l'Incarnation, par lequel le Verbe «je vous connaisse, afin que je trouve grâce
homme, ne s'est accompli que vers
s'est fait « devant vos yeux » et puis il ajoute immé- ;

la fin des siècles, tandis que ce même Verbe, diatement, comme preuve de son amour pour
considéré comme la face de Dieu, existe de ses frères « Faites aussi que je connaisse
:

toute éternité. Mais en tant qu'il n'y a point « par là que toute cette multitude est votre

en lui usurpation de se dire l'égal de Dieu le « peuple ». Telle est cette vision beatifique qui
Père, jamais l'homme n'a pu le voir sans ravit toute âme du désir de la posséder. 3Iais
mourir. Si vous m'en demandez la
raison, je ce désir est d'autant plus ardent en nous que
vous répondrai tout d'abord qu'après cette notre vie est plus pure; et la pureté de celle-ci
vie où nous sommes éloignés du Seigneur, et s'augmente selon nos efforts pour nous élever
où le corps qui se corrompt appesantit l'âme, à la spiritualité, de même que nos progrès
nous le verrons « face à face », selon l'expres- dans cette dernière voie se mesurent sur notre
sion de l'Apôtre. C'est en parlant de cette vie mort, plus ou moins parfaite, aux affections de
mortelle et terrestre, que le psalmiste a dit la chair et du sang. Nous ne saurions donc,
que « tout homme vivant n'est que vanité »
;
' P?. xxxvrtl, 6, CXLII, 2. — ' I Jean, m ,
' Gai. VI, 14. —
' Jeau, I, 1,3.— =
Kxod. iixui, 20, 23. ' Coloss. I!, 20.
.

384 DE LA TRINITÉ.

tant que « nous sommes éloignés du Seigneur, intention particulière que le Seigneur dit à
G et que par la foi, sans
que nous n'allons à lui Moïse : « Voici un lieu près de moi ; tu te
etle voir encore à découvert », nous ne sau- '
« tiendras là sur ce rocher». Quel lieu ter-
rions voir le Christ que par derrière, c'est-à- restre est plus rapproché du Seigneur? Etre
dire en sa chair. Et même, pour ohtenir cette rapproché de lui, c'est le loucher spirituelle-
vision, il nous faut^ à l'exemple de Moïse, de- ment. Car, autrement, quel lieu n'est près du
meurer fermes sur le rocher de la foi, d'où Seigneur, puisqu'il atteint avec force d'une
nous la contemplerons comme d'un lieu sûr extrémité à l'autre, et qu'il dispose toutes cho-
et inexpugnable c'est-à-dire du sein de , sesavec douceur? N'est-ce pas encore de lui que
l'Eglise catholique, dont Jésus-Christ a dit le Prophète a dit que « le Ciel est sa demeure,
« qu'il l'établirait sur la pierre - ». Au reste, « et la terre l'escabeau de ses pieds » ? Et lui-
notre amour pour Jésus-Christ et notre désir même ne nous dit-il pas : « Quel palais pouvez-
de voir sa face sont d'autant plus grands en « vous me bâtir? et quel est le lieu de mon re-
nous, que nous connaissons mieux combien « pos? tout ce qui existe, ma main l'a fait '
»?
le nous a aimés en sa chair.
premier il Ainsi le lieu qui est tout spécialement près
29. J'ajoute que notre salut et notre justifi- du Seigneur, et dans lequel nous nous tenons
cation s'opèrent par la foi en sa résurrection sur la pierre ferme, est l'Eglise catholique.
selon cette même chair. Car, nous dit l'Apô- que celui qui croit à la résurrection
C'est là
tre « si vous croyez de cœur que Dieu a res-
,
de Jésus Christ contemple la pàque du Sei-
« suscité Jésus-Christ après sa mort, vous gneur, c'est-à-dire son passage, et il le voit
« serez sauvés » : et encore : « Jésus-Christ a lui-même par derrière, c'est-à-dire en la réa-
« été livré mort pour nos péchés, et il est
à la lité de son humanité. « Tu te tiendras là sur

«ressuscité pour notre justification^ ». Sa « ce rocher, dit le Seigneur à Moïse, lorsque


résurrection selon la chair est donc le mé- «ma gloire passera ». Et en effet, quand la
rite de notre foi. Et en effet, les Juifs croient gloire du Seigneur Jésus passa devant nos
bien qu'en cette chair il est mort sur la croix, yeux dans le mystère de la résurrection et
mais ils rejettent le dogme de sa résurrection. dans celui de l'ascension, nous fûmes solide-
Nous, au contraire, nous y adhérons ferme- ment établis sur la pierre. Pierre lui-même
ment, parce que nous sommes établis sur la fut confirmé dans la foi en sorte que désor- , ,

pierre ferme. C'est pourquoi « nous attendons mais, il prêcha courageusement celui qu'il
« d'une espérance certaine l'adoption des avait auparavant renié par crainte et par fai-
« enfants de Dieu, qui sera la délivrance de blesse. Sans doute, par le fait seul de sa voca-
« nos corps * ». Car cette plénitude de perfec- tion à l'apostolat, il avait été placé dans un
tion que la foi nous montre en Jésus-Christ, creux du rocher, mais le Seigneur le couvrait
qui est le Chef des élus doit aussi se réaliser , de sa main, et l'empêchait de voir. Certaine-
en nous qui sommes les membres de son ment, il devait un jour voir le Seigneur par
corps mystique. Aussi veut-il ne se montrer à derrière, mais plus tard, parce que Jésus-
nous par derrière, qu'au moment où sa gloire Christ n'était pas encore passé de la mort à la
passera, afin que nous croyions à sa résurrec- vie, et qu'il n'était pas encore entré eu posses-
tion. Le mot pàqiie signifie en hébreu pas- sion de la gloire de sa résurrection.
sage^ et c'est à ce sens que fait allusion l'évan- 31. Nous trouvons aussi un sens figuratif
géliste saint Jean, qu'avant la
lorsqu'il dit « dans les paroles suivantes du livre de l'Exode :

« fête de la pâque, Jésus-Christ sachant que « Je te couvrirai de ma


main, dit le Seigneur
« l'heure était venue de passer de ce monde à « à Moïse, jusqu'à ce que ma gloire soit pas-

« son Père ^ » a sée. Ensuite, je retirerai ma main, et tu me


30. Toutefois, il est important d'observer « verras par derrière ^ ». Nous savons, en effet,

que les hérétiques et les schismatiques qui que beaucoup d'entre les Juifs, figurés alors
professent ce dogme de la résurrection en par Moïse, crurent en Jésus-Christ après sa
dehors de l'Eglise catholique, ne voient point résurrection ; et ils le virent par derrière,
par derrière le Sauveur Jésus du lieu qui parce que le Seigneur avait retiré sa main de
est près de lui. Ce n'est pas, en effet, sans une devant leurs yeux. C'est ce qu'avait annoncé
le prophète Isaïe, dont l'évangéliste saint
II Cor. V, 6 , 7. — ' Matt. xvi , 18. — ' Rom. s , 9 , iv, 25. —
* Rom. viii, 23. — ' Jean, xiii, 1.
,

LIVRE II. — MISSIONS ET APPARITIONS. 385

Matthieu rapporte les paroles : « Le cœur de permis de dire que Notre-Seigneur Jésus-
« ce peuple, dit-il, s'est aveuglé ; ses oreilles Christ se montrait dans les différents prodi-
« sont appesanties, et ses yeux sont fermés^». ges qui sont racontés au livre de l'Exode;
On peut aussi , et non sans vraisemblance vous pouvez même soutenir, comme tout
appliquer à ce même peuple cet autre passage semble l'indiquer, que le Fils de Dieu parut
des psaumes : «Votre main s'est appesantie sur seul, ou présumer que ce fut le Saint-Esprit,
« moi jour et nuit ' ». Le jour ne signifierait- ainsi que je l'ai insinué; mais il serait témé-
il pas ici les miracles que Jésus-Christ faisait raire d'en conclure que jamais Dieu le Père
au public, et que
ne voulurent point
les Juifs ne s'est montré aux patriarches sous une
reconnaître? Et la nuit ne marquerait-elle forme sensible et matérielle. Et en effet,
point la passion du Sauveur, quand ces dans un grand nombre d'apparitions, l'on
mêmes Juifs le crurent véritablement mort ne saurait spécifier à laquelle des trois per-
comme un simple homme? Mais, lorsqu'il fut sonnes divines, le Père, ou le Fils, ou l'Es-
entré en sa gloire, ils le virent par derrière. prit-Saint, elles se rapportent. Néanmoins il
Car l'apôtre siint Pierre leur ayant annoncé existe à cet égard de telles probabilités ,
qu'il
qu'il fallait que le Christ souffrît et qu'il res- serait par trop téméraire d'affirmer que ja-
suscitàtj ils furent touchés de repentir et de mais Dieu le Père ne s'est montré aux pa-
componction. Ils demandèrent donc le ba- triarches ou aux prophètes sous une figure
ptême, et en le recevant ils virent se réaliser sensible. Cette opinion n'a été émise que par
pour eux cette parole du même psaume : ceux qui n'ont pu comprendre, qu'on doit ap-
« Heureux ceux auxquels leurs iniquités ont pliquer aux trois personnes en unité de na-
« été pardonnées et dont les péchés ont été
, ture ces paroles de l'Apôtre : « Au roi des
« couverts ». « siècles, au Dieu qui est l'immortel, l'invi-
Aussi ce même peuple , qui a dit en la per- « sible, l'unique, honneur et gloire ». Et en-

sonne du psalmiste « Seigneur, votre main : core « Aucun homme ne l'a vu, ni ne peut
:

« s'est appesantie sur moi jour et nuit», s'em- « le voir » Et en effet, la foi orthodoxe entend
'
.

presse-t-il, dès que le Seigneur a retiré sa ce passage de la substance divine ,


qui est
main, et qu'il l'a vu par derrière, de faire en- souverainement une et immuable, et en la-
tendre un cri de douleur et de repentir. Bien quelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont
plus, il réclame le pardon de ses péchés au qu'un seul et môme Dieu. C'est pourquoi lors-
nom et par les mérites de sa foi en la résur- que le Dieu invisible et immuable de sa nature
rection de Jésus-Christ. « Je me suis tourné a daigné employer la créature pour apparaître
« vers vous, dit-il, dans mon affliction, et sous des formes visibles et matérielles, il ne
« sous la pression de l'épine. Je vous ai dé- s'est point montré tel qu'il est; ces formes ont
« claré mon crime et je ne vous ai point , seulement révélé sa présence selon l'opportu-
« caché mon iniquité. J'ai dit je confesserai : nité des choses et des circonstances.
« contre moi mes prévarications au Seigneur,
« et vous m'avez remis l'impiété de mon CHAPITRE XVIII.
« cœur ^ ». Cependant nous ne devons pas nous
VISION DE DANIEL.
enfoncer si profondément dans les ténèbres
de la chair, que nous pensions que le même 33. Mais en vérité je ne sais comment mes
Dieu qui nous cache sa face, se laisse voir adversaires expliquent la vision où l'Ancien
|)ar derrière. Car nous l'avons vu de ces des jours apparut à Daniel. Car c'est de lui
deux manières, lorsqu'il s'est montré à nous que le Verbe divin, qui par amour pour nous
sous la forme d'esclave et quant au Verbe ; a daigné se faire fils de l'homme, a reçu le
divin qui est la sagesse de Dieu, ce serait un sceptre et la puissance, selon cette parole qu'il
blasphème de dire que, comme l'homme, il se lui adresse au psaume deuxième « Vous êtes :

présente tantôt de face, et tantôt par derrière, « mon vous ai engendré aujourd'hui.
Fils, je
ou d'affirmer qu'il change d'aspect et qu'il « Demandez-moi et je vous donnerai les na-

est soumis aux diverses influences du mouve- « lions pour héritage^ ». Aussi le psalmiste
ment, du lieu et du temps. dit-il dans un autre endroit, que « le Père a

32. C'est pourquoi il vous est sans doute «soumis toutes choses au Fils * ». Or, si
* Isa. Yi, 10. — ' Ps. xx-xi, 4. — " Ps. xixi, 1-5. » I Tim. I, 17, VI, 16. — = Pa. il, 7,8.-" Ps. viir, 8.

S. AuG. — Tome XII. 25


386 DE LA TRINITÉ.

Dieu le Père qui donne le royaume, et si Dieu l'état de veille, mais que Dieu
le Père ne peut
le Fils qui le reçoit, se sont montrés à Daniel leur apparaître que durant sommeil. Com- le
sous une forme corporelle, il n'est plus per- ment donc entendent-ils du Père seul cette
mis d'affirmer que le Père n'a jamais apparu parole de l'Apôtre « Aucun homme ne l'a
:

aux prophètes, et que c'est de lui seul, comme « vu, ni ne peut le voir? » Est-ce que l'homme
de l'unique invisible que l'Apôtre a dit cesse d être homme parce qu'il est endormi ?
« qu'aucun homme ne l'a \u, ni ne peut le Ou bien le même Dieu qui peut se montrer
«voir ». pendant le sommeil dans les fantômes d'un
Au reste, voici le récit de Daniel lui-même. rêve, ne pourrait-il donner à ces fantômes un
« Je regardais, dit-il, jusqu'à ce que les trônes corps et une réalité pour nous apparaître dans
« fussent placés, et l'Ancien des jours s'assit : l'état de veille ? Au reste l'essence divine, qui
«son vêtement était blanc comme la neige, est la nature même
de Dieu, ne saurait être
« ses cheveux, comme une laine brillante, son aperçue ni dans le sommeil sous une image
« trône, comme une flamme ardente, et les quelconque, ni dans l'état de veille sous une
« roues de ce trône, comme un feu brûlant. forme corporelle et sensible. Or, cela est vrai
« Et un fleuve de feu sortait rapidement de sa non-seulement du Père, mais encore du Fils
face. Mille millions d'anges le servaient, et et du Saint-Esprit.
« dix mille millions se tenaient devant lui. Et maintenant je m'adresse à ceux qui sou-
« Le jugement commença et les livres furent tiennent (jue dans l'état de veille, le Fils
donc », ajoute le pro-
« ouverts. Je regardais seul,ou l'Esprit-Saint, et non le Père se sont ,

phète « en la vision de la nuit


, et voici , montrés aux hommes sous une forme cor-
« comme le Fils de l'homme qui venait sur porelle. Je pourrais sans doute leur demander
« les nuées du ciel, et il s'avança jusqu'à l'An- comment, en présence des textes si larges et si

« cien des jours, et on en sa présence.


l'oflrit en face
explicites de nos saintes Ecritures, et
« Et il lui donna la puissance et l'honneur et des interprétations si multipliées qu'on en
« le royaume et tous les peuples de toute
: donne, ils osent raisonnablement affirmer que
« tribu et de toute langue le serviront. Sa jamais dans l'état de veille aucun homme n'a
« puissance est une puissance éternelle, qui vu le Père. 3Iais je laisse cette objection pour
« ne sera point transférée ; et son règne ne ne leur citer que l'exemple d'Abraham, notre
« sera point affaibli * ». Certes, voilà bien le père. Certes il était bien éveillé, et il vaquait
Père qui donne au Fils un royaume éternel, à ses travaux , lorsque l'Ecriture dit « que le
et le Fils qui le reçoit et fous deux se ; « Seigneur lui apparut ». Or, dans cette appa-
montrent visiblement aux regards du pro- rition il ne vit pas un ou deux anges, mais
phète. 11 nous est donc permis de conjecturer trois; et de ces trois nul n'affecta sur les deux
avec raison que Dieu le Père a pu, lui aussi, autres quelque prérogative de dignité, ni ne
apparaître aux hommes. réclama quelque distinction d'honneur ,

34. Mais peut-être dira-t-on encore que le ou quelque supériorité dans le commande-
Père est invisible, parce qu'il se montra au ment.
prophète pendant son sommeil, tandis que le 35. Je m'étais proposé de rechercher
dans ce
Fils et le Saint-Esprit sont visibles, parce que livre trois choses. La première, si le Père, le
Moïse les vit étant éveillé. Eh 1 peut-on croire Fils et le Saint-Esprit ont apparu simultané-
que Moïse ait vu des yeux du corps l'essence ment, et sous une forme corporelle aux pa-
même du Verbe qui est la sagesse de Dieu ? triarches et aux prophètes la seconde, si dans :

De plus, si nous ne pouvons voir ni l'âme qui CCS une seule des
diverses apparitions c'est
anime le corps de l'homme, ni ce souffle sen- trois personnes qui se montrée à l'exclu-
soit
sible et corporel qu'on appelle vent, combien sion des deux autres et la troisième, si dans
;

moins encore cet esprit de Dieu, qui par l'inef- quelques-unes de ces manifestations nous ne
fable prérogative de sa nature divine surpasse devons pas abandonner la distinction des per-
l'intelligence des anges et des hommes ! Car sonnes, et n'y voir que le Dieu unique, c'est-à-
je ne saurais supposer que mes adversaires dire la Trinité tout entière. Pour réussir dans
s'égarent jusqu'à dire, qu'à la vérité le Fils et cette triple recherche, j'ai étudié les divers
l'Esprit-Saint se montrent aux hommes dans passages de l'Ecriture qui se japportaient à
' Dan. VII, 9-14. mon sujet, et cette étude m'a convaincu, autant
LIVRE IL — MISSIONS ET APPARITIONS. 387

que le permet une modeste et saine apprécia- qui est de Dieu en tant qu'il est Dieu, quelque
tion des secrets divins, qu'onne saurait sans té- nom qu'on veuille lui donner, il est certain
mérité déterminer laquelle des trois personnes qu'il ne peut être vu corporellement. Mais on
de la sainte Trinité s'est montrée aux patriar- doit croire que le Père, non moins que le Fils
ches et aux prophètes, sous une forme cor- et l'Esprit-Sainf, a pu révéler sa présence aux
porelle, ou sous une image sensible, à moins hommes par l'action d'une forme corporelle
que l'ensemble du contexte ne nous fournisse ou d'une image sensible. C'est pourquoi crai-
à cet égard quelques notions bien précises. Car gnant d'allonger outre mesure ce second
pour ce qui est de la nature ou de l'essence
,
,
livre ,
je réserve pour les suivants les déve-
ou de la substance divine, c'est-à-dire pour ce loppements de ce sujet.
,

LIVRE TROISIÈME.
Dieu a-t-il formé des créatures pour apparailre ainsi aux hommes, ou ces apparitions ont-elles eu lieu par le ministère des
anges? Dans ce cas, ces esprits célestes, usant de la puissance que le Créateur leur a accordée, employaient les créatures de
la manière qui leur paraissait la plus propre à former ces apparitions. Mais quant à l'essence divine, considérée en elle-même,

jamais elle n'a été vue sur la terre.

PREFACE. d'esprits laborieux ou ignorants et je me ,

mets de ce nombre. C'est à l'aide des ouvrages


i . Je préfère de beaucoup le travail de la déjà composés sur la sainte Trinité, qui est le
lecture à celui de la composition ; et si quel- Dieu unique et souverainement bon, que j'ai
ques-uns de mes lecteurs ne le croient pas, je pu résoudre sur ce sujet plusieurs questions
les engage à en faire eux-mêmes l'expérience. et plusieurs difficultés ; et c'est également
Je les prie donc de noter dans leurs lectures avec secours du Seigneur que je vais pour-
le
les diverses solutions qu'on peut donner aux suivre mes recherches et mon travail. Si sous
difficultés que je propose, et les diverses répon- quelques rapports ce travail peut paraître
ses que je dois faire à mille questions qui me nouveau, il n'en sera que plus agréable à ceux
sont adressées de toutes parts. Eh ! n'est-ce pas qui voudront bien se donner la peine de le
làpour moi un véritable devoir, puisque je lire et de le comprendre ; si au contraire on
me suis consacré au service de Jésus-Christ le considère comme un abrégé des ouvrages
et puisque je brûle du zèle de défendre notre qui existent déjà sur le même sujet, il sera
foi contre les erreurs de certains hommes ter- utile encore, en épargnant à mes lecteurs de
restres et charnels. Au reste je suis assuré que nombreuses et pénibles recherches.
bientôt ces critiques auront reconnu avec quel trouver pour tous mes
2. Certes, je désire
empressement je me dispenserais de ce tra- ouvrages des lecteurs bienveillants, et surtout
vail, et avec quelle joie je déposerais la plume. des critiques libres et sincères. Mais ici princi-
Toutefois je continuerai à écrire, parce que les palement, je souhaite que les questions élevées
divers ouvrages que j'ai lus sur la Trinité ou quejetraite,rencontrentautant d'esprits qui les
n'existent pas en latin , ou sont presque in- comprennent, qu'elles se heurteront à d'obsti-
trouvables, comme me l'a prouvé la difficulté nés contradicteurs. Toutefois, de même que je
que j'ai eue à me les procurer. En outre, il est désavoue un lecteur qui me serait favorable
peu de personnes assez familiarisées avec la par une complaisante prévention, je repousse
langue grecque pour pouvoir aisément lire et également un critique qui d'avance me con-
comprendre des traités aussi profonds. Et né- damnerait par système et par préjugés. Le
anmoins ces traités, si j'en juge déjà par mes premier ne doit pas m'aimer plus que la foi
premiers extraits, renferment une foule de catholique, et le second ne doit pas s'aimer
choses utiles. lui-même plus que la vérité catholique. Ainsi
Je ne saurais donc résister aux désirs de mes Ne donnez point à mon ouvrage
je dis à l'un :

frères ,
qui sont eu droit de me demander ce l'autorité des livres canoniques; mais s'il vous
travail, me suis constitué leur très-
puisque je offre quelques nouveaux développements de
humble serviteur, et puisque je me suis en- nos dogmes sacrés, attachez-vous y avec em-
gagé en Nutre-Seigneur Jésus- Christ à les ser- pressement. Si au contraire quelques doutes
vir avec zèle de ma parole et de ma plume. Or, subsistent encore dans votre esprit, suspendez
la charité qui dirige en moi l'une et l'autre, toute adhésion, jusqu'à ce que ces doutes
comme deux coursiers pleins d'ardeur, me soient éclaircis. Mais je dis également à l'autre :

presse d'achever ma course. Je dois en outre Ne condamnez point mon travail d'après votre
avouer qu'en écrivant sur ce sujet, j'ai appris propre opinion, ou votre propre jugement, et
bien des choses que j'ignorais. C'est pourquoi prononcez seulement d'après la sainte Ecriture,
il n'est permis ni au paresseux ni au savant , ou la droite raison. Les principes vrais que
de considérer ce traité comme superflu, car renferme ce traité, ne m'appartiennent point,
je crois qu'il sera vraiment utile à beaucoup mais en les ai niant et en les comprenant, vous
LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 389

et moi, nous nous les approprierons. Quant aux le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, quelles rai-
erreurs qui pourraient s'y glisser, "vous devez sons avons-nous aujourd'hui de dire que le Fils
mêles attribuer, et toutefois éviter d'en l'aire, a été envoyé, puisque déjà il l'avait été sous ces
pour vous ou pour moi, une faute personnelle. formes diverses ? C'est pour traiter ces impor-
3. Je commence donc ce troisième livre tantes questions avec plus de lucidité, que j'ai
au point où le second s'est arrêté. Nous divisé ma réponse en trois parties. La pre-
voulions d'abord prouver deux cboses la ; mière a été l'objet du second livre et je ré- ,

première, que le Fils n'est pas inférieur au serve les deux autres pour le troisième. J'ai
Père, parce qu'il est envoyé par le Père et la ; donc prouvé que dans ces anciennes appari-
seconde, que l'Esprit-Saint qui, selon l'Evan- tions, et sous cesformes sensibles on peut in-
gile, est envoyé par le Père et par le Fils, n'est différemment reconnaître tantôt le Père, ou
inférieur ni à l'un ni à l'autre. C'est pourquoi le Fils ou le Saint-Esprit, et tanlôt la Trinité

j'ai dû examiner sous ses diverses faces cette entière, qui est le Dieu unique et véritable.
double question Comment le Fils a-t-il pu : C'est l'étude approfondie du contexte, qui peut
être envoyé là où il était déjà, car lorsqu'il seule déterminer à laquelle des
trois person-
est venu dans le monde, « il était déjà dans le nes divines on doit rapporter l'apparition.
« monde '
» ; et encore , comment l'Esprit-
Saint a-t-il, envoyé là où il était
lui aussi, été CHAPITRE PREMIER.
déjà, puisque le Sage nous dit que « l'Esprit du
QUESTIONS A EXAMINER.
« Seigneur remplit l'univers, et que celui qui
« contient tout, entend tout- »? Mais ici toute 4. J'aborde maintenant la seconde partie de
difficulté s'évanouit dès qu'on reconnaît que ma division, et ici trois questions se présentent.
le Fils de Dieu est envoyé, parce qu'il s'est au Dieu dans ces diverses apparitions, formé
a-t-il,

dehors revêtu de notre cbair, et que quittant tout exprès une créature pour se montrer aux
pour ainsi dire le sein de son Père, il s'est hommes de la manière qu'il jugerait la meil-
rendu visible aux yeux des hommes, en pre- leure ? ou bien
les anges qui existaient déjà,
nant la forme d'esclave. Et de même l'Esprit- et que Seigneur envoyait pour parler eu
le

Saint est dit envoyé, parce qu'il s'est montré son nom, choisissaient-ils parmi les créatures
sous la forme sensible d'une colombe, et d'un corporelles, celles ijui convenaient le mieux
globe de feu qui se divisa en langues. Le Fils à leur ministère ? ou enfin ces mêmes esprits,
et le Saint-Esprit sont donc envoyés, lorsque usant de puissance qu'ils ont reçue du
la
d'invisibles qu'ils sont, ils se montrent à nous Créateur, changaient-i!s leur propres corps,
sous une forme corporelle. Mais parce que le qu'ils plient et dirigent à leur gré, aux formes
Père n'a jamais apparu de la sorte, et qu'il a qu'ils croyaient les plus favorables à l'accom-
toujours envoyé le Fils, ou l'Esprit-Saint, on plissement de leur mission? Après avoir traité
dit qu'il n'a point de mission. ces trois questions avec toute la lucidité que le
En second lieu, j'ai recherché pourquoi l'on Seigneur me permettra d'y apporter, je pas-
parle ainsi du Père, quoiqu'il soit vrai qu'il serai à une quatrième que je m'étais déjà
s'estmontré dans les apparitions sensibles posée, à savoir si le Fils et le Saint-Esprit
dont les patriarches furent favorisés. De plus ont été envoyés par Père antérieurement
le
si le Fils se révélait dès lors, et se rendait vi- au mystère de l'Incarnation et dans le cas de,

sible sous une forme corporelle , pourquoi l'affirmative, en quoi cette première mission
n'est-il dit envoyé que bien des siècles après, peut différer de celle que l'Evangile nous
et lorsque dans la plénitude des temps il na- raconte. Ne vaut-il pas mieux, au contraire,
quit d'une femme ^? Voulez-vous, au contraire, soutenir que le Fils n'a été envoyé qu'en deve-
justifier cette expression en disant qu'il n'y eut, nant le Fils de la Vierge Marie, et TEsprit-Saint,
à l'égard du Verbe, de véritable mission qu'au qu'en se montrant sous la forme visible d'une
jour où il se fit chair? je vous demanderai colombe, ou d'un globe de feu ?
pourquoi vous dites également du Saint-Esprit 5. Mais j'avoue tout d'abord qu'il est au-
qu'il a été envoyé, quoiqu'il ne se soit jamais dessus de mes mon intention de
forces et de
incarné ? Enfin, si nous ne devons reconnaître rechercher anges, tout en conservant
si les

séparément dans ces anciennes, apparitions ni les propriétés spirituelles de leur corps, peuvent
' Jean, i, 10. — ' Sag. i, 7. — * Gai. iv, 4. secrètement s'adjoindre des éléments plus
,

390 DE LA TRINITÉ.

grossiers et les adopter comme un vêle- tain ordre naturel


que nous rapportons sans
ment extérieur. Dans
hypoUièse la forme cette doute à la volonté de Dieu,
mais que nous
qu'ils revêtiraient n'en serait pas moins vraie cessons d'admirer parce que lui-même ne cesse
et réelle, de même qu'aux noces de Cana l'eau de le reproduire. Je range en cette catégorie
fut véritablement changée en vin. On peut les divers phénomènes qui se succèdent rapi-
aussi supposer qu'ils transforment eux-mêmes dement, ou du moins à de courts intervalles,
leur corps, et le changent à leur gré selon l'exi- au ciel, sur la terre et sur la mer. Tels sont
gence de leur ministère. Au reste, quelque la naissance et la mort des plantes et des ani-
soitleur mode d'agir, cela ne fait rien à la maux, et l'aspect si varié et si mobile des
question présente. Toutefois, parce que je ne astres et de l'océan. Mais il est d'autres phé-
suis qu'un simple mortel, je ne saurais péné- nomènes qui sont soumis au même principe
trer ces secrets dont les anges seuls ont l'in- d'ordre, et qui néanmoins ne se produisent
telligence. C'est ainsi encore qu'ils compren- qu'assez rarement. Le vulgaire s'en étonne,
nent bien mieux que moi , comment l'affec- mais les savants les expliquent, et leur suc-
tion de la volonté peut amener pour le cessive répétition fait qu'on les admire d'au-
corps les divers changements que j'ai obser- tant moins qu'on les connaît mieux. Tels
vés en moi et dans les autres. Mais il est inu- sont les éclipses, l'apparition des comètes,
tile que l'Ecriture nous
de rechercher ici ce lestremblements de terre, la naissance des
permet de croire surce sujet, car je m'embar- monstres et autres accidents semblables, qui
rasserais dans une suite de discussions et de tous arrivent par la seule volonté de Dieu,
preuves qui m'écarteraient de mon but. mais dans lesquels le commun des hommes
6. Je me bornerai donc à examiner si les n'aperçoit pas cette volonté. C'est pourquoi
anges faisaient réellement mouvoir ces formes d'orgueilleux philosophes ont bien pu les rap-
corporelles qui apparaissaient aux yeux, et porter à d'autres causes. Quant à leurs théories,
s'ils articulaient les paroles qui étaient enten- quelquefois elles sont vraies, parce que, même
dues. Dans celte hypothèse, la créature obéis- à leur insu, elles se rapprochent de cette
sant aux ordres du Créateur se serait [)rêtée cause première et souveraine qu'ils ne décou-
aux diverses modifications que nécessitaient vraient pas, et qui n'est autre que la volonté
le temps et les circonstances, selon ce passage de Dieu, et quelquefois aussi elles sont fausses,
du livre de la Sagesse «Seigneur, la créature : parce qu'elles reposent bien plus sur leurs pré-
(f qui vous obéit comme à son Créateur, s'irrite jugés personnels et leurs erreurs, que sur une
«pour tournienler les méchants, et s'apaise étude approfondie des corps et du mouvement.
« pour le bien de ceux qui se confient en vous. 8. J'explique ma pensée par un exemple.
« Aussi la manne, prenant toutes les formes, Le corps de l'homme nous présente d'abord
« obéissait-elle à votre grâce qui est la nourri- une certaine masse de chair, et une certaine
« ture de tous, l'accommodant aux besoins de forme de beauté puis il nous offre des mem-
;

« ceux qui vous témoignaient leur indigence' ». bres distincts et coordonnés entre eux, et diffé-
Nous voyons par cet exemple comment la rentes humeurs dont le juste équilibre con-
puissance de la volonté divine emploie une stitue l'état de santé. Mais ce corps est régi par
créature spirituelle ,
pour produire les effets une âme qui lui a été adjointe, et qui est
visibles et sensibles des créatures corporelles. douée de raison. En outre cette âme, quoique
Et en effet quels obstacles arrêteraient l'action soumise au changement, peut entrer enparti-
de la sagesse divine, puisqu'elle atteint avec cij)ation de la sagesse immuable et divine.
force d'une extrémité à l'autre, et qu'elle C'est de cette sagesse que le psalmiste a dit
dispose toutes choses avec douceur ^ « que toutes ses parties sont dans une parfaite
«union entre »; parce que les saints,
elles
CHAPITRE II.
comme autant de pierres vivantes, entrent
TOUTE TRANSFORMATION CORPORELLE A POUR PRE- dans la construction de celte Jérusalem céleste
MIER PRINCIPE LA VOLONTÉ DE DIEU. EXEMPLE. qui est notre mère immortelle. Aussi le psal-

miste s'écrie-t-il : « Jérusalem 1 toi qui es


7. Au
nous trouvons d'abord dans le
reste « bâtie comme une ville dont toutes les parties
changement et lemouvementdescorpsuncer- « sont dans une parfaite union entre elles * ».
• Sag. XVI, 21, 25. — = Sag. viii, 1. ' Ps. cxxi, 3.
LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 391

Cette parfaite union désigne ici le bien souev- Bien plus , la nature de son travail exige l'ad-

rain et immuable, c'est-à-dire Dieu, sa sagesse jonction et le service de plusieurs bêtes de


et sa volonté; et c'est du même Dieu que le somme. Mais celles-ci étant des animaux sans
même psalmiste a dit dans un autre endroit : raison, ne sauraient, en lui prêtant leurs bons
a Seigneur, vous les changerez, et ils seront offices, avoir lamoindre idée du bien auquel
« changés, mais pour vous, vous êtes éternel- elles et elles n'agissent que par
coopèrent,
« lemeut le même '
». l'instinct du plaisir ou la crainte du châti-
ment. Enfin, ce même homme a besoin, pour
CHAPITRE. III.
achever son œuvre, d'employer des créatures

COXTIMATION DU MÊME SUJET. insensibles, comme le blé , le vin ,


l'huile, la
laine, l'argent, le papier et autres choses de
bien supposons maintenant un homme
Eh ! ce genre. Certes, dans tout le cours de cet ou-
sidoué de sagesse et de raison qu'il entre ,
vrage, ces diverses créatures, animées ou ina-
pour ainsi dire en participation de l'éternelle nimées, subissent, sous Tintluence des heux,
et immuable vérité. Certes, il consultera cette des temps et des circonstances mille altéra- ,

vérité dans toutes ses actions, et ne fera rien il tions successives. Elles se déplacent, s'usent
sans avoir auparavant connu à sa lumière, et se réparent; elles se brisent et se renou-

qu'il peut le faire. Il agira donc toujours avec vellent. Mais la cause première de tous ces
certitude, parce que toujours il lui sera soumis changements et de tous ces mouvements n'est
et obéissiut. Jesuppose encore que ce même autre que la volonté invisible et immuable du
homme, docile aux inspirations de la justice Seigneur. C'est celte sagesse suprême qui ré- ,

divine qui lui parle au fond du cœur, et qui sidant en l'âme de notre juste, comme en son
lui intime ses ordres dans le secret de l'àme, sanctuaire , emploie par son ministère les
s'applique à des œuvres de miséricorde pé- bons et les méchants, les animaux irraison-
nibles et fatigantes , en sorte qu'il y contracte nables et les créatures insensibles. Mais elle
une grave maladie. Alors deux médecins sont n'agit ainsi que parce qu'antérieurement elle
appelés: l'un affirme que la maladie a pour s'est rendue maîtresse de cette àme bonne et

cause l'appauvrissemeut des humeurs, et sainte en la soumettant au joug de la piété et


l'autre , leur trop grande abondance. Le pre- de la religion.

mier second se trompe, et toute-


dit vrai, et le CHAPITRE IV.
fois ils ne se prononcent tous deux que d'après
EMPIRE SOUVERAIN DE DIEU SUR TOUTE CRÉATURE.
les causes secondes c'est-à-dire d'après les
,

phénomènes pathologiques. Mais si l'on voulait 9. Cette parabole, où je fais agir un sage qui
remonter à la cause première, l'on arriverait porte encore le poids d'un corps mortel, et
à ce travail volontaire imposé par l'àme, qui a qui ne voit encore qu'imparfaitemeut l'éter-
douloureusement affecté le corps qu'elle égit. i nelle vérité, peut également s'appliquer à une
Cependant ce ne serait pas là, rigoureusement famille dont tous les membres seraient vrai-
parlant, la cause première de la maladie, car ment chrétiens, et à une ville, à un Etat où le
au-dessus nous découvronsTimmuable sagesse pouvoir et la direction des aifaires seraient
de Dieu. Et parce que cet houune a voulu en conliés à des hommes pieux, saints et soumis
toute charité suivre les ineffables inspirations à Dieu. Mais une si belle organisation ne se
de cette sagesse et obéir à ses ordres, il s'est rencontre point ici-bas : car sur cette terre
volontairement appliqué au travail où il a pris d'exilnous sommes soumis à l'épreuve et a la
son mal. Ainsi la cause réellement pre- mort, et nous devons par la patience et la
mière de celte maladie est la volonté de douceur vaincre le mal et surmonter l'afflic-
Dieu. tion. Aussi nos pensées s'élèvent d'elles-
Je suppose encore dans cette œuvre de mêmes vers cette patrie supérieure et céleste
charité et de miséricorde notre sage emploi dont nous sommes éloignés. C'est là, en effet,
des serviteurs qui , en concourant à cette que réside dans toute sa plénitude cette vo-
bonne œuvre, se proposent bien moins de lonté du Seigneur qui « rend ses anges aussi
servir Dieu que de s'assurer un gain tempo- « légers que les vents, et ses ministres aussi
rel ou d'éviter quelque dommage matériel.
, « ardents que les flammes ^
». Unis entre eux
' Ps. cr, 27, 28. « Ps. cm, 4.
, ,

392 DE LA TRINITÉ.

par les liens intimes de la paix et de la cha- «tion des enfants de Dieu, qui sera la déli-
rité , ces esprits célestes n'ont qu'une seule et cevrance de nos corps » Toutefois il a bien
^
.

même que le feu de l'amour


volonté, en sorte pu prêcher Jésus-Christ tantôt de vive voix
divin transforme leurs cœurs en un seul cœur. ou par écrit, et tantôt par le sacrement de son
Mais ce cœur est le trône sublime , saint et corps et de son sang. Mais
ici ces mots Sa- :

mystérieux , où la volonté du Seigneur siège crement du corps et du sang de Jésus-Christ,


comme dans son temple et son sanctuaire, et ne signifient sous ma plume ni la parole de
d'où elle meut dans tout l'univers, et avec un l'Apôtre, ni la langue qui était l'instrument
ordre et une sagesse suprêmes, l'ensemble des de cette parole. L'on ne doit point également
créatures, tant les esprits que les corps. Elle les entendre du papier ou de l'encre qui lui
les dirige toutes vers l'accomplissement de servaient pour écrire, ni des hvres qu'il prie
ses immuables décrets, et sait y employer Timothée de lui rapporter. Je veux expressé-
également les êtres spirituels et corporels, les ment marquer le pain et le vin qui sont des
animaux irraisonnables et les justes comme fruits de la terre, et que nous prenons comme
les impies. Seulement elle conduit les pre- nourriture spirituelle de nos âmes, après que
miers par sa grâce et contraint les autres par la prière du prêtre les a mystiquement consa-
son autorité. crés en souvenir de la passion du Sauveur
Mais de même que dans l'ordre physique Jésus. Quand l'action de l'homme
agit sur ces
les corps lourds et inférieurs reçoivent l'in- espèces visibles, elle n'en sacrement du fait le
fluence des corps plus légers et supérieurs corps et du sang de Jésus-Christ que par l'o-
ainsi dans Tordre moral tous les corps obéis- pération invisible de l'Esprit-Saint. Car tout
sent à l'action de l'esprit de vie. Dans l'ani- ce que l'homme fait au dehors dans cet inef-
mal irraisonnable, cet esprit de vie est soumis fable mystère, c'est Dieu qui l'opère secrète-
à celui de l'homme doué de raison et dans
; ment. Le premier il meut par des ressorts
l'homme, qui par le péché s'est éloigné de cachés soit l'àme de l'homme, soit la volonté
Dieu, ce môme esprit de vie est dirigé selon et l'obéissance des esprits invisibles. Est-il
l'avantage des justes et des élus. Enfin , ceux- donc étonnant que ce même Dieu emploie à
ci n'agissent eux-mêmes que sous la dépen- son gré, pour manifester sa présence, les créa-
dance de Dieu. Il nous est donc facile de com- tures corporelles et sensibles dont il a peuplé
prendre comment toutes les créatures obéis- le ciel et la terre, la mer et les airs ? Mais quant
sent en dernier ressort au Dieu qui leur a à son essence, nous nesaurionsjamaislavoir,
donné l'être, qui les a créées pour lui. Ainsi parce qu'elle est souverainement immuable,
la volonté de Dieu est la cause première et etqu'aucun esprit créé ne peut en sonder les
souveraine de toutes les formes que revêtent impénétrables mystères.
les créatures corporelles, et de tous les mouve-
ments qu'elles reçoivent. Et, en effet, l'en- CHAPITRE V.
semble de la création peut être considéré
CARACTÈRE DU MIRACLE.
comme un étal vaste et immense, où il ne se
produit aucun mouvement visible et sensible, 11. C'est par l'action de cette providence
sans que l'impulsion première ne parte du qui gouverne monde des esprits et des corps,
le
palais secret et invisible du Maître et du sou- que les eaux de la mer se condensent en va-
verain. Car c'est toujours lui qui tantôt com- peurs, et à certaines époques fixes de l'année,
mande et tantôt permet , selon que les arrêts se répandent sur la surface de la terre. 3Iais
de sa suprême justice distribuent les récom- la prière du saint prophète Elle frappa la Ju-
penses et les châtiments, les grâces et les fa- dée d'une si longue et si continue stérilité,
veurs. que les hommes mouraient de faim et de soif;
10. L'apôtre saint Paul, courbé sous le poids et lorsque ce serviteur de Dieu pria de nou-
d'un corps qui se corrompt et appesantit l'âme, veau pour obtenir la cessation de ce fléau,
ne voyait encore l'éternelle vérité qu'en partie l'atmosphère ne paraissait point humide, et
et comme sous des images obscures. Aussi dé- l'on n'apercevait à l'horizon aucun signe d'une
sirait-il d'être dégagé des liens du corps et pluie prochaine. C'est pourquoi la puissance
d'être avec Jésus-Christ; et « gémissant en du Seigneur se montra visiblement dans la
c( lui-même , il vivait dans l'attente de l'adop- ' Rom, vm, 23.
UVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 393

pluie qui soudain tomba par torrents et ce ; duit régulièrement, et que semblable à un
fut un évident miracle. Ainsi encore Dieu nous fleuve qui nous cache sa source et son em-
a comme accoutumés à voir briller les éclairs, bouchure, il ne laisse apercevoir que son
et entendre gronder foudre; mais sur le
la cours, les hommes le considèrent comme un
mont Sinaï tout s'accomplissait d'une manière effetpurement naturel. Quand il arrive, au
inusitée. Les roulements du tonnerre ne se contraire que Dieu, pour nous donner un sa-
répétaient point confusément, et l'on eût dit lutaire avertissement, dérange cet ordre, nous
qu'ils obéissaient à un signal donné. Aussi crions au miracle.
était-ce un vrai miracle. CHAPITRE MI.
Qui fait monter l'humidité du sol, de la ra-
LE MIRACLE ET LA MAGIE.
cine de la vigne jusqu'à la grappe du raisin,
et qui la transforme en un vin délicieux, si ce 12. Mais ici se présente une difficulté qui
n'est le Dieu dont saint Paul a dit, «que peut paraître grave à un esprit faible et borné :

« l'homme plante et arrose, mais que le Sei- Pourquoi de la magie reproduit-il ces
l'art

« gneur seul donne l'accroissement »? Tou- ^


mêmes miracles? L'Ecriture nous apprend,
tefois,lorsque la volonté du Sauveur Jésus en effet, que les magiciens de Pharaon imitè-
changea avec une étonnante rapidité l'eau en rent quelques-uns des prodiges qu'avait faits
vin, tous, et les plus incrédules eux-mêmes, y Moïse, et spécialement qu'ils changèrent leur
reconnurent l'œuvre de la puissance divine. verge en serpent. Maiscommentexpli(juerque
N'est-ce pas Dieu qui dans le cours ordinaire ce pouvoir des magiciens, qui avait pu pro-
de la nature revêt les arbres de feuilles et duire des serpents, se soit subitement arrêté
de fleurs ? Et toutefois lorsque la verge
, devant un insecte aussi petit que la mouche?
d'Aaron fleurit miraculeusement ne peut- , Car le moucheron n'est qu'une très-petite
on pas dire que la volonté du Seigneur espèce de mouche, et ce fut la troisième plaie
parla au doute de l'homme ? L'accroisse- qui frappa les superbes égyptiens. Mais alors
ment des végétaux et la reproduction des les magiciens s'avouèrent vaincus et ils s'é- ,

animaux sont également dus à la force pro- crièrent :Le doigt de Dieu est là
« ' ». Il nous
ductrice de la matière. Mais qui a donné à est ainsi facile de comprendre que si les anges
la terre cette force, si ce n'est le Dieu qui au rebelles, que l'Apôtre nomme les puissances
commencement lui commanda de produire de peuvent du sein des ténébreux ca-
l'air,

les plantes et les animaux, et qui par cette pa- chots, où ils ont été précipités des hauteurs
role créatrice en régla l'ordre, l'économie et célestes, opérer par la magie quebiues presti-
la conservation? Aussi, quand le Seigneur ges, ils ne le peuvent que dans l'étendue de
changea en serpent la verge de Moïse, ce fut la permission ([u'ils en reçoivent de Dieu. Or,
un miracle, parce que cette verge, quoique le Seigneur leur donna alors cette latitude,
susceptible en elle-même de transformation, soit pour permettre que les Egyptiens s'affer-
parut d'une manière subite et inaccoutumée, missent dans leurs erreurs, soit pour prépa-
changée en serpent. Or, celui qui donne la rer le triomphe de la vérité en la personne
vie à tout être qui vient au monde, est le des magiciens, qui s'étaient tout d'abord attiré
même Dieu qui montra sa puissance en com- par leurs prestiges l'admiration générale.
muniquant à ce serpent une éphémère exi- Mais on peut encore dire qu'en nous attestant
stence. ces opérations magiques, l'Ecriture veut nous
CHAPITRE VL faire comprendre que les fidèles ne doivent
point désirer beaucoup le don des miracles.
MÊME SUJET.
Elle veut aussi nous rappeler que ces mêmes
Lorsqu'à la voix d'Ezéchiel les morts re- prestiges sont à l'égard des justes un exercice
prirent la vie, qui anima de nouveau ces ca- pour leur vertu, et une épreuve de leur pa-
davres? Ce fut celui qui chaque jour anime tience. Ce fut, en effet, par suite de cette
l'enfant dans le sein de sa mère, et qui l'a- grande puissance du démon sur les éléments
mène à l'existence pour le conduire plus tard et sur les hommes, que Job perdit tous ses
au tombeau. Mais parce que ce double phé- biens et ses enfants, et qu'il fut frappé en son
nomène de la naissance et de la mort se pro- corps d'une plaie atlïeuse.
' I Cor. m, 7. » Exod. vu, vui.
394 DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE VIII. ment la terre produirait-elle mille plantes


dont les graines n'ont point été semées? Com-
A DIEU SEUL LE POUVOIR DE CRÉER.
ment encore la terre et l'eau enfanteraient-

13. Ce serait néanmoins une grave erreur elles en dehors de tout accouplement des
que de penser que les anges rebelles peuvent sexes tant d'animaux, dont la génération spon-
commander en maître aux créatures maté- tanée est contraire à toutes les lois connues,
rielles et sensibles. En réalité , ces créatures et qui néanmoins naissent, croissent et se
n'obéissent qu'à Dieu, puisque lui seul per- multiplient? On peut citer en preuve la fé-
met aux démons de s'en servir selon les arrêts condation des abeilles qui recueillent sur les
de sa souveraine justice et de son immuable fleurs la poussière séminale. Or, celui qui a
équité. C'est ainsi que par l'emploi de l'argent créé cette poussière est le Dieu qui a créé tout
les impies et les réprouvés semblent user à ce qui existe; et tous les êtres qui naissent
leur gré de l'eau, du feu et de la terre. Et sous nos yeux, reçoivent de cette fécondité
toutefois ils n'en usent que dans les limites première que possèdent les éléments, le germe
que Dieu leur a tracées. On ne saurait donc et le développement de leur existence. Aussi
attribuer aux mauvais anges un pouvoir vrai- les progrès de leur accroissement, et la va-
ment créateur, parce qu'ils tirent que les ma- riété de leurs formes sont-ils subordonnés aux
giciens de Pbaraon résistèrent au serviteur règles de leur primitive génération.
du vrai Dieu, et qu'ils produisirent également C'est pourquoi nous ne disons point que le
des serpents et des grenouilles : car ils ne les père et la mère soient les créateurs de leurs
créèrent point. Et, en effet, les germes de tous enfants, ni que les laboureurs soient les créa-
les corps qui existent reposent paisibles et teurs de leurs moissons, quoique au dehors
inaperçus dans les divers éléments de l'uni- Dieu emploie leur intermédiaire pour opérer
vers. Notre œil, il est vrai, peut en découvrir en secret par sa propre puissance la naissance
quel(iues-uns dans la fructification des plan- de l'enfant et la production des moissons. Et
tes et la reproduction des animaux. Mais tous de même, nous ne pouvons considérer comme
les autres nous sont entièrement inconnus et vraiment créateurs, ni les bons anges, ni les
premier de la création.
se rapportent à l'acte mauvais, lorsque, connaissant en raison de la
Aussi dans la Genèse que Dieu or-
est-il dit subtilité de leur intelligence et de leur corps,
donna d'abord aux eaux de produire les pois- les germes cachés des êtres, ils les dissémi-
sons qui nagent, et les oiseaux qui volent, et nent secrètement dans les milieux qui leur
puis à la terre d'enfanter les animaux, cbacun conviennent, et eu favorisent ainsi le rapide
selon son espèce, de même qu'elle avait pré- développement. Mais ici encore les bons anges
cédemment produit les plantes, chacune selon ne font le bien que selon les ordres du Seigneur,
son genre *. et les mauvais n'opèrent le mal que selon la
Au reste, cette puissance de fécondité, qui juste permission qu'il leur en donne. Car si

fut alors communiquée à l'eau et à la terre, le démon a par lui-même la volonté de faire
ne s'épuisa point en ces productions premiè- le mal. Dieu ne lui accorde que pour des rai-
res. Elles la conservent toujours; seulement sons justes et équitables le pouvoir de le faire.

le milieu propre à favoriser en elles de nou- Or, ces raisons sont de la part du Seigneur,
velles générations, leur fait souvent défaut. tantôt de châtier le démon ou le pécheur, et
Un sarment, par exemple, produit un cep de tantôt de punir l'impie et de glorifier le juste.
vigne, lorsqu'il est planté dans un terrain 14. C'est pourquoi l'Apôtre saint Paul sépa-
convenable. Mais ce sarment lui-même pro- rant l'action intérieure et secrète de Dieu de
vient d'un pépin qui contient en germe un l'action extérieure et visible de la créature,
cep nouveau. Justiue-là, nous pouvons saisir dit par analogie avec les travaux de l'agricul-
le phénomène de la reproduction mais vou- ;
ture : « J'ai planté, Apollo a arrosé, mais
lons-nous ensuite analyser ce pépin, nous se- « Dieu a donné l'accroissement ». Ainsi en- '

rons forcés d'y reconnaître une fécondité core dans l'homme, Dieu seul peut justifier
réelle, quoique si bien cachée qu'elle échappe Pâme, tandis que la prédication extérieure de
à toutes nos observations. Et, en effet sans , l'Evangile peut être le fait d'un vrai zèle, ou
cette fécondité inhérente et absolue, com- même par occasion d'une jalouse rivalité. Et
' Gen. I, 20-25. ' 1 Cor. ui, 6.
LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 395

de même, le Seigneur opère secrètement la et le revêtent de tel caractère plutôt que de


création des êtres visibles, et dirige Faction tel autre, dérivent de l'Etre suprême qui est
extérieure des anges bons ou mauvais des , par essence la vie intelligente et incommuni-
justes et des pécheurs , animaux
et tous les cable. Cet Etre premier et souverain domine
selon les décrets de sa sagesse, la mesure des tous les êtres, et il leà soumet tous, même les
forces qu'il a départies à chacun, et l'opportu- plus petits et les plus obscurs, à l'action de
nité des circonstances. En un mot, il agit sur ses lois. Je n'ai donc rappelé le fait des trou-
la nature par la création, comme l'homme peaux de Jacob que pour avoir occasion de
agit sur la terre par Tagriculture. D'où il suit dire que, malgré l'industrie avec laquelle il
qu'à l'aide de leurs opérations magiques les disposa ses baguettes, il ne fut point à l'égard
mauvais anges ne peuvent pas plus être con- des agneaux, ni des chevreaux, le créateur des
sidérés comme les créateurs des grenouilles variétés de leurs toisons. On ne peut non plus
et des serpents que les hom.mes pervers ne le le dire des mères qui agirent seulement selon
sont des moissons dues à leurs travaux. les lois de la nature, en maculant leurs fruits
15. Jacob avait placé des branches de cou- des taches dont leurs yeux avaient été cons-
leur variée dans les canaux où ses brebis ve- tamment frappés. Mais surtout, nous sommes
naient boire, afin qu'elles conçussent en les bien moins encore autorisés à soutenir que
regardant ; et néanmoins l'on ne peut dire les mauvais anges créèrent les serpents et les
qu'il créât en elles la variété des toisons. Bien grenouilles que firent paraître les magiciens
plus, ni les brebis, ni les béliers ne furent par de Pharaon.
rapport à leurs agneaux les créateurs de cette
CHAPITRE IX.
variété.Seulement l'impression qui se fit en
eux par la vue de ces diverses baguettes réagit TOUTES LES CAUSES ONT LEUR PRINCIPE EN DIEU.
nécessairement sur les fruits de leur repro-
duction, en sorte que les agneaux de la pre- Et en effet, autre est le pouvoir de créer
IG.
mière saison étaient seuls marqués de diffé- et de régir une créature quelconque, comme
rentes couleurs. Ce phénomène peut sans cause première et efficace de toute existence :

doute s'expliquer par la double réaction du or, ce pouvoir n'appartient qu'au Dieu qui a
cerveau sur les organes, et des organes sur créé toutes choses; et autre est la faculté d'agir
le cerveau mais en dernière analyse il faut
; au deliors dans la limite des forces et des
y reconnaître l'acte et la disposition de cette moyens qu'il nous donne, en sorte que nous
sagesse souveraine et éternelle, qui, par son fassions à notre gré paraître ou disparaître
immensité remplit tous les lieux, et qui, cet être que le Seigneur aura créé et que nous
immuable en son essence, n'abandonne aucun en changions la forme et les qualités. Et en
des êtres soumis au changement parce ,
effet, cet être existe originairement et primi-

qu'elle les a tous créés. Que les brebis de Jacob tivement dans l'ensemble des éléments, et il
produisissent des agneaux et non des verges, lui suffit de rencontrer un milieu favorable
ce fut le fait de cette sagesse immuable et pour qu'il se produise soudain. Ne disons-
cachée qui a créé toutes choses. Mais que la nous pas qu'une mère est enceinte de son
variété des verges influât sur la couleur des enfant? et de même, l'univers est plein d'em-
agneaux, ce fut au dehors le résultat de l'im- bryons qui ne demandent qu'à se développer,
pression que produisit sur le cerveau des bre- et dont la création est l'œuvre de cette essence
bis la vue de ces verges, et au dedans ce fut suprême sans laquelle rien ne saurait ni naître,
la conséquence du mode de conception qu'elles ni mourir, ni venir à l'existence, ni disparaître.
ont reçu de la puissance intime du Créateur. Mais il faut raisonner autrement de l'emploi
Au reste, il serait trop long et peu nécessaire extérieur des causes secondes. Quoique sou-
d'expliquer ici comment dans la mère les sen- vent miraculeuses , elles n'en suivent pas
sations du cerveau modifient la forme du moins les lois de la nature, en ce sens qu'elles
fœtus, et il suffit de dire qu'on ne saurait favorisent le développement rapide et soudain
aftirmer qu'elle crée le corps de son enfant. Et de certains êtres qui reposaient cachés et
en effet, l'origine première de tout être sensi- inconnus dans le sein de la nature. Or, nous
ble et corporel, non moins que le mode, la disons que ces êtres sont créés , parce qu'ils
raison et la disposition qui le tirent du néant, s'épanouissent au dehors par l'extension des
396 DE LA TRINITE.

forces vitales que leur a secrètement distribuées seul que reposent dès le commencement l'or-

avec poids, nombre et mesure, Celui qui dis- dre de la création, la sagesse de ses plans et
pose de toutes choses avec sagesse, justice et l'équilibre de ses forces. C'est encore lui seul
équité. Au reste, un tel emploi des causes qui veut bien communiquer aux anges quel-
secondes peut appartenir aux mauvais anges que extension de son ineffable pouvoir en ;

et aux pécheurs, ainsi que je l'ai prouvé par sorte qu'ils ne font que ce qu'il daigne leur
l'exemple de l'agriculture. permettre de faire, et qu'ils deviennent im-
17. Quant aux animaux, il nous semblerait puissants, dès qu'il leur retire cette permis-
tout d'abord assez difficile d'expliquer com- sion. Comment, en effet, expliquer autrement,
ment recherchent instinctivement ce qui
ils que les magiciens de Pharaon n'aient pu ras-
peut leur plaire, et évitent ce qui peut leur sembler des moucherons, après avoir produit
déplaire. Mais combien de savants ont étu- des grenouilles et des serpents? Certes, il faut ici
dié cette question , et peuvent nous dire reconnaître la défense absolue de Dieu et l'ac-

quelles plantes, quelles viandes, quelles tion immédiate de l'Esprit-Saint. Au reste, ils
combinaisons, et quelles affinités ou répul- l'avouèrent eux-mêmes, quand ils dirent: «Le
sions des fluides et des éléments donnent «doigt de Dieu est là' ». Mais que peuvent faire
naissance aux animaux? Et néanmoins, qui a les anges en vertu même de leur nature ? De

jamais considéré ces savants comme les créa- quoi sont-ils incapables sans une permission
teurs du règne animal? Au reste, si l'homme, expresse? et quelles opérations sont incompa-
même le plus impie, peut expliquer laforma- tibles avec leur condition d'êtres spirituels?

tion des vers et des mouches, est-il étonnant ce sont autant de questions qu'il est impossi-
que les mauvais anges aient connu, en raison ble à l'homme de résoudre,
moins qu'il n'ait à
de la subtibilité de leur esprit, en quels lieux reçu de Dieu ce don que l'Apôtre spécial
et en quels éléments reposaient les embryons nomme « le discernement des esprits » Nous '^
.

des grenouilles et des serpents. Ce sont ces savons en effet que l'homme possède la faculté
embryons qu'ils placèrent, il est vrai, dans de marcher, et qu'on peut lui en ôter l'exer-
des conditions si favorables qu'ils en accélé- cice mais nous n'ignorons point qu'il ne
:

rèrent le développement ; mais en réalité, ils pourrait voler, quand même on lui en donne-
ne les créèrent pas. Toutefois, cette œuvre rait la permission. Et de même les anges infé-
parut un véritable prodige, parce qu'elle était rieurs peuvent faire certaines choses,si Dieu

extraordinaire, car nous n'admirons point ce le leur permet par l'intermédiaire des anges
que nous faisons habituellement. supérieurs, et ils ne peuvent en faire quel-
Peut-être aussi vous étonnerez-vous d'un ques autres, même avec l'autorisation de
développement si prompt, et de ces éclosions ceux-ci, parce que le Seigneur a vouln li-
spontanées mais observez que même avec
; miter l'exercice de leur puissance. C'est que
des moyens purement humains, nous obte- souvent il ne permet pas aux esprits angéli-
nons de semblables résultats. D'où vient, en ques de faire tout ce qui serait dans le droit et

que les vers s'engendrent plus facile-


eflèt, les attributions de leur nature.
ment dans les cadavres l'été que l'hiver, et à 19. Au reste nous devons reconnaître l'ac-

une température chaude qu'à une exposition tion des anges dans les divers phénomènes
froide? Mais ici, la puissance de l'homme est qui accompagnent ordinairement le cours des
d'autant que son intelhgence est
]ilus faible saisons et l'ordre de la nature. Tels sont le le-
moins étendue, et que l'engourdissement de ver et le coucher des astres, la naissance et la

ses membres se prête plus difficilement au mort des hommes et des animaux, la repro-
rapide mouvement des corps. Au contraire, duction si variée des plantes et des arbres, les
plus il est facile aux anges, bons ou mauvais, nuées et les nuages, la neige et la pluie, la

d'agir sur les éléments et les causes secondes, foudre et le tonnerre, les éclairs et la grêle, le

plus aussi la célérité de leurs opérations nous vent et le feu, le froid et le chaud. Tels sont
paraît merveilleuse. encore quelques autres phénomènes qui ne se
Cependant le seul et unique Créateur
18. montrent que plus rarement, comme les
est leDieu qui forme le germe de tous ces éclipses, les comètes, les tremblements de
différents êtres, et qui ne partage avec per- terre, la naissance des monstres, et autres pro-

sonne sa puissance créatrice. Car c'est en lui ' Exod. vu, 12. — ' 1 Cor. xii, 10.
LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 397

diges de ce genre. J'observe néanmoins que térieux, consacre la pierre qu'il avait mise
la causepremière et souveraine de to us ces sous sa tête *. Tantôtaussi la main de l'homme
pliénomènes est la volonté de Dieu. Aussi le façonne à ce dessein un objet qui peut subsis-
psalmiste, après en avoir énuméré plusieurs, ter quelque temps, comme le serpent d'ai-
« le feu, la grêle, la neige, la gelée et le souffle rain, des caractères alphabétiques, ou qui
« des tempêtes » a-t-il soin d'ajouter « qu'ils se détruit par l'usage, comme le pain eucha-
« obéissent à la parole du Seigneur ^ ». Il pré- ristique par la communion.
vient ainsi l'erreur de ceux qui, en dehors de 20. Cependantparcequeces différents signes,
la volonté divine, les attribueraient soit au ou symboles, sont l'œuvre de l'homme, et que
hasard, soit à des causes purement physiques, nous les comprenons facilement, nous pou-
ou même à Taction unique des anges. vons bien les honorer religieusement, mais
nous ne saurions les admirer comme étant
CHAPITRE X. miraculeux. Plus au contraire l'action des
SIGNES SACRÉS. EUCHARISTIE.
anges nous paraît difficile et cachée, et plus
nous la trouvons surnaturelle; quoiqu'elle ne
Mais il est encore d'autres phénomènes qui, soit réellement pour eux que bien facile et

sans cesser de se produire par l'intermédiaire bien connue. Or, c'était un ange qui parlait
des créatures sensibles et matérielles, devien- au nom et en la persone du Seigneur, quand
nent à notre égard une nianifeslation plus il disait à I^Iuise : « Je suis le Dieu d'Abra-
spéciale de la puissance divine. Ce sont alors « ham , d'Isaac et de Jacob »; car l'Ecriture
de vrais miracles et de véritables prodiges et : avait dit précédemment : « L'ange du Sei-
néanmoins la personne même de Dieu ne s'y « gneur lui apparut ^ ». Mais c'était un homme
montre pas toujours. Mais lorsqu'elle nous y qui parlait au nom
personne du Sei-
et en la
apparaît, tantôt c'est par le ministère d'un ange, gneur, lorsque le psalmiste disait «Ecoute, :

et tantôt en la forme d'un être qui n'est point « mon peuple, etje vais te convaincre écoute, ;

un ange, quoiqu'il soit mu et dirigé par un « Israël, etje te rendrai témoignage je suis :

ange. Dans le second cas, cet être peut déjà « le Seigneur ton Dieu ^ ». La verge de Moïse

exister, et il suffit d'en altérer légèrement la était un signe de la puissance divine, et elle
forme pour qu'il nous soit un signe de la vo- fut changée en serpent par le pouvoir d'un
lonté du Seigneur. D'autres fois cet être est ange; mais Jacob, (jui ne pouvait opérer un
créé tout exprès et dès que sa mission est rem-
; semblable prodige, ne laissa pas de choisir une
plie, il rentre dans le néant. C'est ainsi que les pierre pour l'ériger comme un monument de
prophètes parlant au nom du Seigneur, em- la protection du Seigneur. Au reste, il y a une
ploient cette formule « Le Seigneur a dit », : grande diflerence entre l'action d'un ange et
ou bien « Le Seigneur a dit ces choses - ».
: celle d'un homme la première exerce notre
:

Mais il leur arrive aussi d'omettre cette pré- esprit et excite notre étonnement, la seconde
caution oratoire, et de parler, comme s'ils au contraire n'exige que notre attention. L'ob-
étaient la personne même du Seigneur. « Je jet auquel se rapportent ces deux actions peut
« te donnerai Tintelligence, dit le psalmiste, être le même, mais la manière de le signifier
« et je t'enseignerai la voie où tu dois mar- ou représenter, est bien différente. C'est comme
«cher ^ ». Quelquefois môme, ce n'est plus si l'on écrivait le nom de Dieu en lettres d'or,
en paroles, mais par des actes positifs que les ou avec de l'encre. L'un serait précieux, et
prophètes s'identifient avec Dieu, et qu'ils l'autre vil et commun, et toutefois ce serait
agissent en son nom. Nous le voyons dans le toujours le même nom.
prophète Ahias. Il déchira son manteau en La verge de Moïse et la pierre de Jacob
douze parts, et en donna dix à Jéroboam, offi- signifiaient donc également Jésus - Christ ;

cierdu roi Salomon qui devait fonder le ,


et même cette pierre le représentait bien
royaume d'Israël \ Tantôt encore un être mieux que les serpents que produisirent les
brut et insensible est choisi du milieu des magiciens de Pharaon. L'huile que Jacob ré-
corps terrestres pour symboliser la même si- pandit sur la pierre, symbolisait l'humanité
gnification. Ainsi Jacob, après un songe mys- du Christ. Car c'est en cette humanité sainte
qu'il «a été sacré d'une onction de joie qui l'é-
' Ps. CXLVIIT, 8. • ' Jerem. xxxi, 1, 2. — » Ps. xxxi, 8. 'III
Rois, SI, 30, 31. ' Geo. xxviir, 18. Exod. m, 6, 2. — » Ps. Lxxx, 9, 11.
,

308 DE LA TRINITÉ.

« lève au-dessus de tous ceux qui doivent la fice on mange ce pain mais il ne peut com- ;

« partager ' ». Ainsi encore la verge de Moïse prendre comment ce pain est changé au corps
changée en serpent, signifiait le même Jésus- de Jésus-Christ, et devient ainsi un sacrement.
Christ qui devait se faire obéissant jusqu'à la Supposons encore que cet enfant ne puisse
mort de la croix. Aussi nous dit-il, en son s'instruire ni par lui-màme, ni par le secours
Evangile : « Comme
le serpent au Moïse éleva d'aucun maître, etqu'il assiste néanmoins à la
a désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme célébration des divins mystères quand le ,

« soit élevé afin que celui qui croit en lui


, prêtre offre et distribue la sainte Eucharistie.
« ne périsse point, mais qu'il ait la vie éter- Si une personne de poids et d'autorité lui dit
« nelle ^ » . Et en effet, tous ceux qui dans le alors que le pain et le vin sont le corps et le
désert regardaient le serpent d'airain ne , sang de Jésus-Christ, il croira tout simplement
succombaient point aux morsures des ser- qu'autrefois Jésus-Christ s'est montré aux
pents, et de même « le vieil homme a été hommes sous la figure du pain, et que du vin a
« crucifié en nous avec le Christ, afin que le coulé de la blessure de son côté. C'est pourquoi
c corps du péché soit détruit ^ ». Car le ser- je n'ai gardé d'oublier ma faiblesse person-
pent signifie ici la mort, puisque ce fut lui nelle, et je prie aussi mes frères de se rappeler
qui l'introduisit dans le paradis terrestre. Au leur propre fragilité, afin que ni les uns, ni
reste, c'est une manière de parler assez com- les autres, nous ne soyons assez téméraires
mune que de prendre le nom de 4a cause ou pour franchir les bornes de l'infirmité hu-
de l'instrument pour l'efi'et qui en résulte. maine. Et en effet comment les anges opèrent-
Mais continuons ce parallèle. La verge de ils ces divers prodiges, ou plutôt, comment
Moïse fut changée en serpent, et Jésus- Christ Dieu les opère-t-il par ses anges ? Comment
est mort sur la croix. Ce serpent redevint en- encore y emploie-t-il quelquefois les mauvais
suite en sa première forme, et de môme au anges, soit qu'il laisse un libre cours à leur
jour de la résurrection Jésus-Christ reprit son malice, soit qu'il leur intime ses ordres et ses
corps tout entier, c'est-à-dire qu'il doit ras- volontés ? c'est là le secret du Très-Haut et du
sembler autour de lui tous ses élus. Mais cette Tout-Puissant. Pour moi ne saurais ni ,
je
réunion n'aura lieu qu'au dernier jour, pénétrer du regard ces profonds mystères, ni
comme l'indique la queue du serpent, que sai- les expliquer par les forces de la raison ou ,

sit Moïse pour qu'il redevînt une verge. D'un les comprendre par la perspicacité de l'esprit.
autre côté les serpents des magiciens nous re- Et toutefois je répondrai à toutes les questions
présentent les incrédules et les impies qui, qui me seront adressées sur ce sujet, avec non
s'ils ne croient en Jésus-Christ, sont destinés moins d'assurance que si j'étais un ange, un
à la mort éternelle, et ne partageront point la prophète ou un apôtre.
gloire de sa résurrection. Sans doute, comme D'ailleurs le Sage nous dit que a les pensées
je l'ai déjà observé, la pierre de Jacob avait a des hommes sont timides, et nos prévoyances
une bien plus haute signification que les ser- « incertaines. Car le corps qui se corrompt
pents des magiciens, et néanmoins le fait de « appesantit l'âme ; et cette habitation terrestre

ceux-ci dut paraître bien plus merveilleux. abat l'esprit capable des plus hautes pen-
Mais ici les circonstances extérieures ne peu- ce sées. Nous jugeons difficilement ce qui se
vent pas plus préjudicier au sens intrinsèque « passe sur la terre, et nous trouvons avec
des choses, que si l'on écrivait en lettres d'or « peine ce qui est sous nos yeux. Mais ce qui
le nom d'un homme, et celui de Dieu avec « estdans le ciel, qui le découvrira? qui aura
de l'encre. « donc votre pensée Seigneur, si vous ne
,

Quant à
21 . la manière dont les anges pro- « donnez la sagesse, et si vous n'envoyez votre

duisirent, ou firent paraître sur le Sinaï les « Esprit d'en haut '? » Ainsi je ne m'élève

feux et les nuées, soit que le Fils, ou l'Esprit- point jusqu'au ciel, et je ne cherche à con-
Saint se montrassent sous ces symboles, quel naître ni quelle est la dignité privée et person-

est l'homme qui se flatterait de le savoir? Ce nelle de la nature angélique, ni quelle action

secret nous est caché, comme l'est à l'enfant corporelle lui est propre et spéciale. Cepen-
le mystère eucharistique. 11 voit bien qu'on dant avec le secours de l'Esprit-Saint, que

place du pain sur l'autel, et qu'après le sacri- Dieu nous a envoyé d'en-haut, et sous l'inspi-

Ps. XLlV, 8. — ' Jean, lir, 14, 15. — ' Rom. vi, G.
'
Sag. IX, 14-17.
LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 399

ration de la grâce qu'il a épanchée dans mon « Quel est l'ange à qui le Seigneur ait jamais
âme, j'ose affirmer en toute assurance que ni « dit Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce
:

Dieu le Père, si son Verbe, ni l'Esprit-Saint, « que j'aie mis vos ennemis sous vos pieds?
qui sont un seul et môme
Dieu ne sont en , « Tous les anges ne sont-ils pas des esprits qui
eux-mêmes, et en leur substance sujets à un « servent le Seigneur, envoyés pour leur minis-
changement quelconque, et surtout qu'ils ne « tère en faveur de ceux qui hériteront du
peuvent être vus par l'homme en leur essence (« salut * ? »

divine. Et en effet, tout ce qui est muable et Peut-on désirer un témoignage plus formel
changeant n'est pas nécessairement visible, que tout se fît alors par le ministère des
comme dans l'homme la pensée, le souvenir anges, et pour nous, c'est-à-dire pour le peuple
et la volonté, et couime en dehors de cet uni- de Dieu auquel est promis l'héritage de la
vers toute créature incorporelle. Mais tout ce vie éternelle ? Aussi le même apôtre écrit-il
qui est visible, est nécessairement soumis aux aux Corinthiens « Toutes les choses qui :

lois du mouvement et du changement. «arrivaient aux Juifs étaient des figures; et


« elles ont été écrites pour nous instruire, nous
CHAPITRE XI. « qui nous trouvons à la fin des temps ^ ».

APPARITIONS DIVINES PRODUITES PAR LE MINISTÈRE Mais faut-il prouver que Dieu nous a parlé

DES ANGES. CONCLUSION DE CE LIVRE. par son Fils, tandis que sur le Sinaï, il parla
par ses anges? Saint Paul le fait dans le pas-
que la substance de Dieu,
22. Ainsi, parce sage suivant avec la dernière évidence. « C'est
OU, vous aimez mieux, l'essence divine,
si « pourqu(fi, dit-il, il faut garder plus fidèle-
c'est-à-dire, selon notre faible manière de ce ment ce que nous avons entendu, de peur
comprendre les choses, le Père, le Fils et le « que nous ne soyons comme l'eau qui s'écoule.
Saint-Esprit, est absolument immuable de sa « Car si la loi publiée par les anges est demeu-
nature, elle ne peut être visible par elle-même. « rée ferme, et si toute transgression et toute
C'estpourquoi toutes les apparitions dont le « désobéissance a reçu le juste châtiment
Seigneur daigna selon les temps et les cir-
, « qu'elle méritait ; comment l'éviterons-nous,
constances, favoriser les patriarches et les pro- « si nous négligeons une doctrine si salu-
phètes eurent lieu par l'intermédiaire des
, « taire?» Mais parce qu'ici vous pourriez
créatures. Sans doute je ne saurais expliquer demander quelle est cette doctrine, l'Apôtre
comment Dieu y employa ses anges, mais je prévient votre objection, et vous répond qu'elle
n'hésite pas à dire qu'ils opérèrent ces diverses est le Nouveau Testament, c'est-à-dire l'Evan-
apparitions. Et en parlant ainsi, je ne le fais gile révélé aux hommes par Dieu lui-même,
pas de moi-même, car je pourrais vous paraître et non par le ministère des anges. « Cette doc-
peu sensé, tandis que je m'efforce d'être « sage « trine, annoncée d'abord par le
continue-t-il,
« avec sobriété, et selon la mesure de la foi « Seigneur même, nous a été confirmée par
« que Dieu m'a départie ». Oui, comme dit ' « ceux qui l'avaient apprise de lui Dieu même ;

encore le même apôtre, « j'ai cru, et c'est « appuyant leur témoignage par les miracles,
a pourquoi j'ai parlé - ». Ici en elTet je m'appuie « par les prodiges, par les différents effets de
sur l'autorité des saintes Ecritures; et il n'es c( sa puissance, et par les dons du Saint-Esprit
point permis de rejeter ce fondement de la « distribués selon sa volonté ^ ».

révélation divine pour s'égarer dans de vaines 23. Mais pourquoi, direz-vous, lisons-nous
aberrations d'esprit, où nos sens ne peuvent dans l'Exode, cette parole : « Dieu dit à Moïse» ;

nous guider, où la raison ne saurait saisir


et et non point : l'ange dit à 3Ioïse? C'est que
les traits, ni le rayonnement de la vérité. Or dans l'arrêt judiciaire que récite l'huissier, il

dans répître aux Hébreux, l'Apôtre distingue n'est point écrit : l'huissier a dit; mais bien :

la promulgation de la loi nouvelle de la pro- lejuge a prononcé. Ainsi encore, quand un


mulgation de la loi ancienne; il marque les prophète parle au nom du Seigneur, quoique
convenances du temps et des siècles qui les nous disions Le prophète a dit, nous compre-
:

séparent, et il dit expressément que les pro- nons bien que c'est Dieu qui a parlé par sa
diges et les voix du Sinaï furent l'œuvre des bouche. Et de même quand nous disons Le :

anges. Au reste, voici comment il s'exprime : Seigneur a dit, nous n'excluons point la per-
' Kom. XII, 3. — MI Cor. iv, 13. '
Hébr. I, 13, 14. — M Cor. x, 11. — » Hebr. ii, 1-4.
,

400 DE LA TRINITÉ.

sonne du prophète, et nous rappelons seule- « gneur apparut à Abraham assis à l'entrée

ment quel est celui dont il est l'interprèle. «de sa tente, à l'heure de midi, et comme il
Au reste, souvent rEcrilure, pour nous mieux « levait les yeux, trois hommes parurent de-
faire connaître que l'ange dans ces circon- « bout près de lui * ». J'ai déjà parlé de ces
stances parle au nom et en la personne de trois hommes c'est pourquoi je ne poserai
;

Dieu, s'exprime ainsi Le Seigneur a dit. J'en : qu'une seule question à ceux qui s'attachent à
ai ci-dessus rapporté divers exemples. Mais la lettre du texte sacré sans en comprendre le
parce que plusieurs s'obstinent à voir dans sens, ou qui, tout en lecomj)renant, chicanent
l'ange que nomme ici l'Ecriture, le Fils de sur les mots. Je leur demanderai donc com-
Dieu , que les prophètes par l'ordre de son ment Dieu eût pu apparaître en la personne
Père, et par sa propre inspiration, ont appelé de ces trois hommes, s'ils n'eussent été des
l'Ange du grand conseil, voulu transcrire j'ai anges, comme le prouve la suite du récit ? Mais
ici le passage de l'épître aux Hébreux où parce qu'il n'est pas dit : un ange lui parla, ou
l'Apôtre dit expressément que la loi fut donnée lui apparut, oseront-ils dire qu'à la vérité
par les anges, et non par un ange. Moïse vit etentendit un ange, puisque l'Ecri-
21. Saint Etienne, dans le livre des Actes, ture le marque expressément, tandis qu'A-
ne s'exprime pas autrement que l'écrivain du braham vit réellement l'essence divine et en-
Pentateuque. « Ecoulez, dit-il, mes frères et tendit la voix de Dieu, puisque l'écrivain
« mes pères le Dieu de gloire apparut à notre
: sacré n'affirme pas le contraire? Eh bien!
«père Abraham quand il était eu Mésopota- est-il vrai que l'Ecriture ne fasse mention
« mie*». Et de peur qu'on ne s'imaginât qu'en d'aucun ange dans les diverses visions qu'eut
disant « le Dieu de gloire », il voulût affir-
: Abraham ? Lorsqu'elle raconte le sacrifice
mer qu'alors le Seigneur s'était montré en d'isaac, ne s'exprime-t-elle pas ainsi « Dieu :

son essence divine aux regards d'un homme, « éprouva Abraham , et lui dit Abraham :
,

il a bien soin d'ajouter ensuite que ce fut un « Abraham ? Abraham répondit : Me voici. Et
ange qui apparut à Moïse. « Moïse, dit-il, « Dieu Prends ton fils unique que tu
lui dit :

« s'enfuit à cette parole, et il devint étranger « chéris, Isaac, et va dans la terre de vision ;
« en la terre de Madian, où il eut deux lils. « et là tu l'offriras en holocauste sur une des

« Quarante ans accomplis, l'ange lui apparut « montagnes que je te montrerai ^ ».

« au désert de la montagne de Sina, dans la Certes, c'est bien de Dieu qu'il est ici parlé,
« flamme du feu d'un buisson. Et Moïse à cet et non d'un auge. Cependant, peu après, l'é-

8 aspect admira cette vision et connue il ;


crivain sacré continue en ces termes « Or, :

« approchait pour considérer, la voix du Sei- « Abraham étendant la main, saisit le glaive

« gneur se lit entendre à lui, disant Je suis le : « pour immoler son fils, et voilà qu'un ange

« Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, le 8 du Seigneur l'appela du haut des cieux, et

« Dieu d'isaac et le Dieu de Jacob. Et Moïse « lui dit Abraham, Abraham. Lequel répon-
:

« tremblant n'osait regarder. Or le Seigneur lui « dit Me voici. Et l'ange dit N'étends pas
: :

« dit : Délie ta chaussure, car le lieu où tu es, 8 la main sur l'enfant, et ne lui fais aucun

« est une terre sainte -«.Certes ici, comme dans « mal ». Qu'objecter contre un passage aussi
laGenèse, l'ange est appelé Seigneur, et même formel? Dira-ton que Dieu avait ordonné
Dieu d'Abraham, Dieu d'isaac et Dieu de Jacob. l'immolation d'isaac, et qu'un ange vint s'y
25. Direz-Yous peut-être qu'à la vérité Dieu opposer? Mais alors Abraham eût désobéi à
apparut à Moï^e en la personne d'un ange, l'ordre du Seigneur pour se conformer à la
mais qu'il se montra en son essence à Abra- défense de l'ange. N'est-ce pas tout ensemble
ham? Eh bien ! laissons de côté saint Etienne, risible et ridicule? Au reste, l'Ecriture ne

et interrogeons le livre d'où il a pris son ré- nous permet même pas cette grossière et ab-
cit. N'y lisons-nous pas «que le Seigneur Dieu surde interprétation, car elle ajoute aussitôt :

« dit à Abraham » ; et encore « que le Sei- : « Je sais maintenant que tu crains Dieu, puis-
«gneur Dieu apjiarut à Abraham * » ? Sans « que lu n'as pas épargné ton fils unique, à

doute, il n'est pas fait ici mention de plu- cause de moi » Or, ce mot, à cause de moi,
.

sieurs anges; mais allons un peu plus loin ;


indique la personne qui avait commandé le sa-
que nous dit l'écrivain sacré ? « Or, le Sei- crifice, et ainsi l'auge est le Dieu d'Abraham,


Act. VII , 2. — ' Act. VII ,
29-33. — ' Gen. xii xviii, I, 2. — = Gea. xsii, 1, 2.
,

LIVRE III. — COMMENT DIEU A-T-IL APPARU. 401

ou plutôt c'est Dieu en la personne de l'ange. tait soudain une difficulté inextricable en la
Mais poursuivons le récit sacré; il est bien personne des trois hommes que vit Abraham,
digne de notre attention, et nous y trouverons et au sujet desquels il est dit « que le Sei-

line mention expresse de l'ange. « Abraham « gneur apparut à Abraham », Mais peut-être

« levant les yeux, vit derrière lui un bélier n'étaient-ils pas des anges, parce que l'Ecri-
« embarrassé par les cornes dans un buisson ;
ture les appelle des hommes ? Eh ! lisez

« et il le prit, et l'offrit en holocauste pour son Daniel qui nous dit « Voilà que l'ange Ga- :

« fils. Et il appela ce lieu d'un nom qui signi- « briel m'apparut sous une forme humaine '».

« fie, le Seigneur voit. C'est pourquoi on dit 26. Mais que tardons-nous à contraindre
c<encore aujourd'hui Le Seigneur verra sur: nos adversaires à un silence absolu par un
« la montagne ». Et de même, un peu aupara- nouvel argument plus formel encore et plus
vant, le Seigneur avait dit par la bouche de grave? Car ici il ne s'agit plus d'un ange,
l'ange « Je sais maintenant que tu crains
: nommé séparément, ni de trois hommes pris
«Dieu». Ce n'est pas, toutefois, qu'il faille collectivement; mais ce sont des anges qu'on
par là entendre que jusqu'à ce moment Dieu nous représente comme les interprètes de
ignorât les dispositions d'Abraham. Seule- Dieu dans la promulgation solennelle de la
ment alors, Abraham eut conscience des senti- loi. Or, quel catholique ne sait que le Sei-

ments héroïques de son cœur, sentiments qui gneur donna cette loi à Moïse par le minis-
le portèrent jusqu'à immoler son fils unique. tère des anges, pour qu'il y assujétît les en-
Au reste, ce n'est ici qu'une manière de par- fants d'Israël ? Eh bien ! voici comme parle
ler, selon laquelle la cause est mise pour saint Etienne : « Hommes à la tête dure, incir-
l'effet. Ainsi nous disons que le froid est pa- « concis de cœur vous résistez
et d'oreilles,
resseux, pour signifier qu'il nous rend lents et « toujours au Saint-Esprit il en est de
; et
paresseux. Lors donc que l'Ecriture dit que « vous comme de vos pères. Lequel des pro-
le Seigneur connut, elle veut dire qu'il donna « phètes vos pères n'ont-ils point persécuté?
occasion à Abraham de connaître la fermeté « Ils ont tué ceux qui ont prédit l'avènement
de sa foi. Or, sans cette épreuve, il l'eût « du Juste que maintenant vous avez trahi et
,

ignorée. encore dans le même sens


C'est « mis à mort. Vous avez reçu sa loi par le
qu'Abraham « appela ce lieu d'un nom qui « ministère des anges, et vous ne l'avez point

« signifie, le Seigneur voit»; c'est-à-dire, où il « gardée - ». Où trouver un témoignage plus

se laisse en effet, Técrivain sacré


voir. Et évident, et une autorité plus péremptoire?La
ajoute qu'aujourd'hui encore on dit Le
, « : loi mosaïque a donc été donnée au peuple

« Seigneur verra sur la montagne ». Juif par le ministère des anges, mais elle an-
Pourquoi doncle même ange est-il nommé nonçait l'avènement du Sauveur Jésus, et y
le Seigneur, si ce n'est parce qu'il représen- préparait le monde. Aussi est-il vrai de dire

tait le Seigneur? Bien plus, dans les versets que Verbe de Dieu se faisait mystérieuse-
le
suivants, cet ange énonce une prophétie, et ment apercevoir en la personne des.anges qui
atteste ainsi que Dieu parlait par sa bouche : promulguaient cette loi. C'est pourquoi Jésus-
« Et l'ange du Seigneur appela une seconde Christ lui-même disait aux Juifs « Si vous :

« fois Abraham du haut du ciel, disant J'ai : « croyiez à Moïse, vous me croiriez aussi, car
«juré par moi-même, dit le Seigneur : parce « c'est de moi qu'il a écrit ^ ».

« que tu as fait cela, et que tu n'as pas épar- Ainsi le Seigneur déclarait ses volontés par
« gné ton fils unique à cause de moi, je te le ministère des anges; et c'est par ces mêmes
fl bénirai, et je multiplierai ta postérité comme anges que le Fils de Dieu, qui devait un jour
« les étoiles du cieP y a ici un
». Certes, il naître de la race d'Abraham , et se poser
rapport frappant entre l'ange qui parle au comme médiateur entre Dieu et les hommes
nom du Seigneur et les prophètes qui s'ex- disposait le monde à son avènement. Il se pré-

priment ainsi « Le Seigneur a dit ». Mais


: parait dès lors des âmes qui le recevraient
enfin pourquoi ne serait-ce pas Dieu le Fils en se reconnaissant coupables de n'avoir pas
qui dirait au nom de son Père « Le Sei- : observé la loi. Aussi l'Apôtre écrit-il aux Ca-
« gneur a dit » et qui serait son ange ou son
; lâtes « A quoi donc a servi la loi ? Elle a été
:

envoyé? Oui, sans doute, s'il ne se présen- « établie à cause des transgressions jusqu'à
* Gen. xxir, 15, 17. '
Dan. I.Y, 21,— ' Act. VU, 51-53. — =
Jean, v, 4G.

S. AuG. — Tome Xli. 26


402 DE LA TRINITÉ.
« l'avènement de Celui qui devait naître et patriarches et aux prophètes furent l'œuvre des
« que la promesse regardait. Et cette loi a été anges. Ce sont eux qui toujours se montrèrent
« donnée au moyen des anges par la main sous des formes corporelles, et qui parlèrent
«du Médiateur' ». C'est-à-dire que le Fils au nom du Seigneur. Quelquefois, comme
de Dieu l'a promulguée lui-même par l'en- nous le voyons fréquemment par les pro-
tremise des anges. Car l'incarnation du Verbe phètes, ils agissaient et parlaient immédiate-
n'est point une conséquence nécessaire de sa ment au nom en
la personne de Dieu, et
et
nature divine, mais un eflet de sa puissance. quelquefois aussi empruntaient le concours
ils
D'ailleurs, une preuve qu'ici l'Apôtre entend de créatures étrangères pour mieux signifier
,

par médiateur le Fils de Dieu en tant qu'il aux hommes la présence du Seigneur. Nos
a daigné se faire homme, c'est qu'il dit dans livres saintsnousattestentquece dernier mode
un autre endroit « 11 n'y a qu'un Dieu et : d'apparition ne fut pas inconnu aux prophètes.
8 un médiateur entre Dieu et les hommes, C'est pourquoi il convient de traiter mainte-
Jésus-Christ homme
nous est donc -
». Il nant des apparitions divines que nous raconte
permis de voir Jésus-Christ dans l'immolation le Nouveau Testament. Ainsi le Fils de Dieu
de l'agneau pascal, dans mille autres céré- et est né d'une Vierge, et l'Esprit-Saint s'est mon-
monies légales qui annonçaient sa naissance, tré sous la forme d'une colombe au baptême
sa passion et sa résurrection. Or, la loi qui de Jésus-Christ, de même qu'aprèsl'ascension,
les prescrivait, avait été donnée par les anges, et au jour de il s'annonça par un
la Pentecôte,
et ces anges eux-mêmes représentaient tantôt grand vent, et parut sous l'emblème de lan-
la Trinité entière, le Père, le Fils et le Saint- gues de feu. Néanmoins, constatons tout d'a-
Esprit, sans distinction aucune des personnes, bord que le Verbe de Dieu ne s'est point mon-
et tantôt Père séparément, ou le Fils,
le tré à nous en cette essence divine qui le rend
ou le Saint-Esprit. Au reste en se montrant égal et coéternel à son Père. Il faut en dire
visiblement sous ces formes sensibles , et autant de l'Esprit-Saint, qui par sa nature est
en la personne de ses créatures, Dieu ne se égal et coéternel au Père et au Fils. Mais l'un
révélait point en son essence. Car cette vision et l'autre se sont montrés par l'intermédiaire
est réservée pour le ciel, et sur la terre nous d'une créature qui a été créée et formée tout
nous efforçons seulement de la mériter par exprès pour frapper nos regards et nos sens.
tout ce qui frappe nos yeux et nos oreilles. Toutefois il existe une grande différence entre
27. Mais il me semble que j'ai suffisamment les apparitions anciennes du Fils et du Saint-
développé et prouvé la question qui faisait le Esprit, et les propriétés qui se manifestenten
sujet de ce livre. Ainsi il demeure démontré eux dans le nouveau testament, quoique les
par le raisonnement seul, du moins selon moi, unes et les autres aient eu lieu au moyen
et par l'autorité de l'Ecriture, dont j'ai cité d'une créature corporelle et visible. Or, c'est
plusieurs passages, qu'avant l'incarnation du à expliquer celte différence que je consacre
Sauveur,,les diverses apparitions de Dieu aux le livre suivant.
' Gai. III, 19. — » I Tim. ii, 5.
LIVRE QUATRIÈME.
Mystère de l'Incarnation. — Comment le Verbe fait chair dissipe nos ténèbres, nous fait connaître la vérité , rend la vie à notre
âme et à notre corps. — Digression sur le nombre six, qui, multiplié par quarante-six, exprime celui des jours que le Sau-
veur demeura dans le sein de sa mère. — Tous les fidèles ne forment en Jésus-Christ qu'un seul corps; comment Jésus-
Christ leur a mérité la gloire éternelle. Au reste, quoique le Verbe ait été envoyé par le Père, et qu'il lui soit inférieur
comme homme, il n'en reste pas moins, selon sa nature divine, égal, coéternel et consubslantiel à son Père. Il faut en dire
autant du Saint-Esprit, qui est Dieu comme le Père et le Fils.

PREFACE. Et moi aussi, Seigneur, mon Dieu, je suis


comme ce chrétien, serviteur de votre Christ,
1. La science que les hommes estiment le et comme gémis au milieu des pauvres
lui je
plus, est celle qui a pour objet le ciel et la qui vous tendent la main. Donnez-moi donc
terre ; mais une autre science bien plus esti- quelques miettes de votre science, afin que je
mable connaissance de soi-même. Oui,
est la puisse satisfaire aux demandes de ceux qui
l'homme qui connaît sa propre faiblesse, mé- n'ont point faim et soif de la justice, mais qui
rite d'être loué au-dessus du philosophe qui, sont pleins et rassasiés de leurs propres méri-
tout bouffi d'orgueil, étudie le cours des astres tes. C'est l'orgueil qui les rassasie, et non

ou pour y faire des découvertes nouvelles, ou votre vérité, qu'ils repoussent dédaigneuse-
pour vérifier les anciennes. Hélas il ignore 1 ment. Aussi tout en voulant s'élever, retom-
quelle route peut le conduire au salut et àTé- bent-ils dans l'abîme de leur vanité. Certes,
lernel bonheur. Au contraire le vrai chrétien je n'ignore pas de combien d'illusions le cœur
dont l'âme s'élève vers Dieu, s'embrase facile- de l'homme est le jouet Et qu'est-ce que mon
!

ment au contact des feux de l'Esprit-Saint. cœur sinon le cœur de l'homme? C'est pour-
Parce qu'il aime leSeigneur, il devient humble quoi je prie le Dieu de mon cœurdene point per-
à ses propres yeux; et parce qu'il veut s'en ap- mettre que Terreur se glisse sous ma plume ,

procher, et qu'il en est empêché, il sonde sa et qu'au contraire je donne à la vérité en cet
conscience à la lueur des splendeurs célestes. ouvrage tout le développement dont je serai
Il rend donc compte de son état, et il recon-
se capable. Sans doute, je suis éloigné des regards
naît que son âme est trop souillée pour qu'elle du Seigneur, mais je m'efforce de revenir à
puisse réfiéchir l'éclat de la pureté divine. lui quoique de bien loin , et je suis la voie
,

C'est pourquoi ce chrétien répand devant le que nous a tracée son Fils unique qui s'est fait
Seigneur de douces larmes, et le conjure d'a- homme pour notre salut. Aussi ai-je confiance
voir de plus en plus compassion de lui, jus- que sa vérité suprême daignera m'éclairer. Je
qu'à ce qu'enfin délivré du poids de ses misères la reçois, il est vrai, dans un esprit muable et
il puisse le prier avec une entière confiance, et changeant , et toutefois je n'aperçois en
trouver l'assurance de son salut dans la mé- elle rien qui soit comme les corps, soumis
diation du Verbe éternel, qui est venu éclairer aux lois de la durée et de l'espace. Bien plus,
et sauver tous les hommes. Or toute science elle est, plus encore que notre pensée, indé-
qui réunit ainsi la componction à l'étude, n'est pendante du temps et des lieux, et semblable
point la science qui enfle, mais la charité qui à certains raisonnements de notre intelligence
édifie. Et en effet celui qui la possède a fait un elle s'affranchit complètement de tout calcul
choix judicieux et il a préféré connaître sa numérique, non moins que de toute image
propre faiblesse, plutôt que de mesurer l'éten- locale. C'est qu'elle repose en l'essence divine,
due de l'univers, les profondeurs de la terre et qui est souverainement immuable dans son
lahauteurs des cieux. Mais surtout il est digne éternité comme dans sa véracité et sa volonté.
d'éloges, parce qu'à cette science il joint la Car en Dieu la vérité est éternelle de même ,

componction du cœur, c'est-à-dire la tristesse que l'amour est éternel; en lui tout ensemble
de Texil et le regret d'être éloigné de la patrie l'amour est vérité, et l'éternité est vérité ;

céleste , et séparé du Dieu souverainement l'éternité est amour, et la vérité est amour.
heureux.
,

404 DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE PREMIER. pour qu'il ne devînt pas le jouet de l'orgueil.


Au reste, c'est ce qu'explique très-bien ce pas-
IL EST BON DE CONNAÎTRE SES DÉFAUTS.
sage de l'épître aux Romains : « Dieu a fait
2. L'homme par le péché s'est éloigné de la « éclater son amour envers nous , en ce que
joie suprême et incommunicable : et toutefois « lorsque nous étions encore pécheurs, Jésus-
il n'a pas entièrement brisé avec elle tout rap- « Christ est mort pour nous. Maintenant donc
jiort et toute relation. Aussi parmi toutes les « que nous sommes justifiés par son sang, nous
vicissitudes des temps et des lieux, cherche-t-il « serons délivrés par lui de la colère de Dieu.
toujours l'éternité bonheur. , la vérité et le « Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu,

Eh quel est l'homme qui voudrait mourir,


! « nous avons été réconciliés avec lui par la mort
être trompé, ou être malheureux? C'est pour- « de son Fils, à plus forte raison, réconciliés,
quoi le Seigneur, condescendant aux besoins « serons-nous sauvés par la vie de ce même
de notre exil, nous a révélé certaines véri- « Fils » Après cela que dirons-nous ? « Si Dieu
.

tés qui nous avertissent que la terre ne peut « est pour nous, qui sera contre nous? S'il n'a
nous donner ce que nous cherchons, et que « pas épargné son propre Fils, et s'il l'a livré à
pour le trouver, il faut remonter au ciel. Mais c(la mort pour nous tous, que ne nous dou-
si nous n'étions tombés du ciel, nous n'y cher- cenera-t-il point, après nous l'avoir donné* ?»
cherions pas le souverain bonheur. Au reste C'est cette rédemption qui était montrée de
il fallait d'abord nous convaincre que Dieu loin aux anciens justes, afin que par la
nous aimait bien tendrement, car sans cela croyance au Messie futur ils fussent tout
nous n'eussions osé nous rapprocher de lui. ensemble humbles et faibles, forts et affermis.
Mais il n'était pas moins nécessaire qu'il nous 3. Mais parce que le Fils de Dieu est unique,
démontrât toute la gratuité de son amour, que ce Verbe divin a fait toutes choses, et
de peur que l'orgueil ne nous fît attribuer ses qu'il est la Vérité suprême et immuable, nous
grâces à nos propres mérites, et que par là devons le considérer comme le principe pre-
nous éloignant encore plus de lui, nous ne mier et nécessaire de tous les êtres qui exis-
fussions faibles en notre force. C'est pourquoi tent actuellement dans le monde, et même de
Dieu a agi envers nous avec tant de ménage- ceux qui ont été et qui seront. Toutefois dans
ment, que nous ne pouvons attribuer nos suc- le Verbe rien n'a été, ni ne sera, mais tout est ;

cès qu'à son appui et à son concours. Mais alors en lui encore tout est vie, et toutes choses
notre amour se fortilie dans la même propor- sont un, ou plutôt il est seul l'unité parfaite
tion, que notre faiblesse se reconnaît humble et la vie parfaite. Car si tout a été fait par lui,
et impuissante. Aussi le psalmiste s'écrie-t-il : il suit qu'il possède par lui-même la plénitude
«Vous séparâtes, ô Dieu pour votre héritage ! de la vie, et ne l'a point reçue. Aussi
qu'il
« une pluie toute volontaire il était affaibli, : l'évangéliste ne nous dit-il pas que le Verbe
« mais vous l'avez fortifié ^ ». Or cette pluie a été fait au commencement, mais «qu'au
volontaire désigne la grâce divine, et on la « commencement le Verbe était avec Dieu, que
nomme grâce, parce qu'elle n'est point un sa- « le Verbe était Dieu et que toutes choses ont
laire qui nous soit dû, mais un don entière- « été faites par lui * ». Or, comment le Verbe

ment gratuit. Et eu effet, Dieu nous la donne eût-il fait toutes choses, si lui-même n'eût
par sa pure bonté et non en vertu de nos mé-
, existé avant toutes choses, c'est-à-dire s'il n'é-
rites. tait inciéé et éternel? Et même les êtres bruts
Convaincus de cette vérité, nous nous dé- et insensibles n'eussent point été faits par
fions de nous-mêmes, et en cela nous sommes lui, si avant d'exister, ils n'eussent possédé
faibles. Mais Dieu nous fortifiera selon cette en lui la vie et le mouvement.
parole qui fut dite à l'Apôtre « 3Ia grâce te : Et en effet, tout ce quia été fait était déjà vie
« suffit, caria force se perfectionne dans la fai- dans le Verbe ; mais non une vie quelconque.
« blesse *
donc prouver d'abord à
». Il fallait Car il y a d'abord l'âme ou la vie des corps, qui
l'homme combien Dieu l'aimait, et ensuite en est soumise aux lois du changement par cela
quel état le trouvait cet amour. La première seul qu'elle a été faite. Eh par qui
! a-t-elleété
chose était nécessaire pour que Thomme ne ce n'est par le Verbe de Dieu, qui est
faite, si
tombât pas dans le désespoir, et la seconde, immuable de sa nature? Oui, « tout a été fait
* Ps. Lxvn, 10. — = II Cor, XII, 9. '
Rom. V, 8, 10, VIII, 31, 32. — ' Jean, I, J, 3.
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 405

« par lui, de ce qui a été fait, n'a été


et rien participant de notre mortalité, il nous a faits

« fait faut donc en conclure que


sans lui ». Il participants de sa divinité.
tout ce qui a été fait, était vie dans le Verbe. La mort que méritait le pécheur et qu'il

Mais ce n'était point une vie quelconque, devait nécessairement subir, a donc été rem-
puisque « cette vie était la lumière des hom- placée par la mort du juste qui s'y est volon-
« mes » c'est-à-dire la lumière des êtres doués
, tairement offert, et qui parce seul acte a payé

de raison. C'est en effet la raison seule qui la double dette de l'homme. Et en effet, quel
élève riiomme au-dessus de l'animal, et qui n'est pas en toutes choses le prix de la conve-
le constitue un homme. Cette lumière n'est nance, du rapport, de la consonnance et de la
donc point la lumière matérielle et sensible jonction qui unit deux objets entre eux? C'est
qui nous luit des hauteurs du ciel, ou qui se ce que les Grecs, si je rends bien ma pensée,
produit par les feux de la terre, lumière qui nomment harmonie. Au reste, ce n'est pas ici
éclaire tout ensemble l'homme l'animal et , le lieude prouver combien est agréable cette
l'insecte. Tous jouissent indistinctement de relation de l'unité à la dualité. 11 suffit dédire
cette lumière, tandis que la vie qui est dans que sentiment de cette harmonie est essen-
le
le Verbe, est exclusivement la lumière des tiellement inné en nous, et qu'il ne peut nous
hommes, et cette « lumière n'est pas loin de venir que du Dieu qui nous a créés. Aussi
« chacun de nous, car en elle nous avons la ceux-mêmes qui sont étrangers à toute science
« vie, le mouvement et l'être ^
». musicale, ne laissent pas que d'y être sensi-
entendent chanter, soit qu'ils
bles, soit qu'ils
CHAPITRE II.
chantent eux-mêmes. C'est en effet l'harmonie
l'incarnation nous dispose a connaître qui fait concorder entre eux les divers tons de
la musique, en sorte que notre oreille, bien
la vérité.
plus que l'art que plusieurs ignorent, est sou-
4. Il est cependant des esprits qui ne reçoi- dain grièvement offensée lorsque ses règles
vent pas cette lumière, parce qu'ils sont aveu- sont violées. Mais cette démonstration m'en-
glés par l'erreur ou la passion, et c'est pour traînerait trop loin, et d'ailleurs j'en aban-
les guérir et les sauver que le Verbe, « par qui donne dévelopi)emcnt à quiconque possède
le
« toutes choses ont été faites, s'est fait chair, la théorie et la pratique du diapason.
«et qu'il a habité parmi nous'». Nous ne
pouvons en effet venir à la lumière qu'autant CHAPITRE ni.

que nous entrerons en participation de cette l'utilité de LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION


vie du Verbe qui est la lumière des hommes. DE JÉSUS-CHRIST.
Or, la tache du péché nous rendait impropres
et inhabiles à cette participation. Il fallait donc 5. Ce qui m'importe en ce moment, c'est
tout d'abord efl'acer cette tache. Mais le sang d'expliquer, du moins autant que Dieu m'en
du juste et l'humiliation d'un Dieu pouvaient fera la grâce, comment Jésus-Christ Notre-Sei-
seuls purifier Thomme pécheur et orgueil- gneur Sauveur, étant une seule per-
et notre
leux. C'est pourquoi le Verbe s'est fait homme sonne, a pu se mettre en rapport avec la dua-
comme nous, à l'exception du péché, afin de lité humaine, et comment il a pu ainsi opérer

nous mériter la vision intuitive de Dieu dont notre salut. Et d'abord nul catholique ne
notre nature nous distingue. Carriiomme n'est révoque en doute que nous ne soyons soumis
point un Dieu par sa nature, mais seulement à la mort de l'^meet à celle du corps. La pre-
un homme ; et parce qu'il a péché, il n'est mière est un effet du péché, et la seconde est
point juste. Mais en se faisant homme , le la peine de ce même péché, qui devient ainsi
Verbe demeure le juste par excellence; aussi l'auteur de cette double mort. Il fallait donc
intercède-t-il auprès de Dieu pour l'homme que l'homme dans son ensemble, c'est-à-dire
pécheur. Et en effet, si le pécheur ne peut s'ap- en son âme et en son corps, s'appliquât un
procher du juste, l'homme peut s'approcher remède de vie et d'immortalité, afin que tout
de l'homme. Ainsi, le Verbe en prenant la ce qui avait été détérioré en lui, fut renouvelé.
ressemblance de notre nature, a affacé la dis- Or, la mort de l'àme est le péché mortel et ,

semblance de notre péché et en se faisant , la mort du corps est la corruption qui sépare
' Act. XVII, 27, 28. — ' Jean, i, 1 1. rànic d'avec le corps. Ainsi, lorsque Dieu s'é-
•I
406 DE LA TRINITÉ.

loigne de l'âme, elle meurt, et lorsqu'elle- par sa séparation d'avec l'âme mais en tant ;

même s'éloigne du meurt. Dans le


corps, il qu'il coopère aux œuvres de la chair et du
premier cas, l'âme devient insensée et dans ; sang, l'Apôtre dit dans son épître aux Romains
le second, le corps devient cadavre. Mais l'âme qu'il est mort. Voici ses paroles « Si Jésus- :

ressuscite à la grâce par la pénitence, et elle « Christ est en vous, quoique le corps soit
reprend dans un corps encore soumis à la « mort à cause du péché, l'esprit est vivant à
mortalité, une vie qui commence par la foi, a cause de la justice ». Or, cette vie n'est autre
parce qu'elle croit en celui qui justifie l'im- que la vie de la foi, puisque, selon le même
pie, et qui s'augmente et se fortifie chaque Apôtre, « le juste vit de la foi' ». Ensuite il

jour par la pratique des vertus et le renouvel- continue ainsi : de celui qui
« Mais si l'esprit

lement de plus en plus parfait de l'homme « a ressuscité Jésus, habite en vous, celui qui
intérieur. « a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie
Quant à l'homme extérieur c'est-à-dire , « à vos corps mortels, à cause de son esprit
quant au corps, plus son existence se prolonge, « qui habite en vous^ ».
et plus il se corrompt par l'âge, les maladies 0. C'est donc de cette double mort que le

et les diverses épreuves de la vie, jusqu'à ce Sauveur Jésus nous a rachetés en mourant
qu'il arrive à cette dernière que nous ap|)elons une seule fois. Aussi nous a-t-il laissé dans sa
la mort. Mais sa résurrection est diflérée jus- propre mort le mystère et l'exemple de notre
qu'au dernier jour, parce qu'alors seulement double résurrection. Et en effet, comme il
l'œuvre de notre justification sera pleinement était le Juste par excellence, il n'a pu ni mou-

consommée. Car « nous serons semblables à rir à la grâce, ni avoir besoin de renouveler
« Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il en lui-même l'homme intérieur, ni être
a est' ». Aujourd'hui au contraire, tandis que obligé de revenir par la pénitence à la vie de
le corps qui se corrompt, appesantit l'âme, et la justice. Mais parce qu'il avait pris une chair
que sur la terre notre vie est une tentation passible et mortelle, il est mort, et est ressus-

continuelle, nul homme vivant ne peut obte- citéen tant qu'homme et il nous offre ainsi ;

nir devant le Seigneur cette plénitude de jus- en sa personne le mystère de notre résurre-
tice qui nous rendra égaux aux anges, et qui ction spirituelle et l'exemple de notre résurre-
sera comme l'apogée de notre gloire. Au reste, ction corporelle. C'est à la première, qui sup-
il de prouver longue-
serait ici bien inutile pose la mort de l'âme, que se rapportent ces
ment que nous devons distinguer la mort de paroles du Psalmiste, paroles (jue Jésus-Christ
l'âme de la mort du corps. Car le Sauveur lui- a prononcées sur la croix : a Mon Dieu, mon
même a nettement établi cette distinction « Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? ' »

dans cette maxime évangélique « Laissez les : De son côté , l'Apôtre semble commenter ces
«morts ensevelir leurs morls* ». Un cadavre mêmes paroles, quand il nous dit «que notre
doit être enseveli qui ne le comprend? c'est
;
« vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ,
pourquoi en parlant de ceux qui s'occupaient « afin que le corps du péché soit détruit, et
de ce triste ministère, Jésus-Christ s'est pro- «que désormais nous ne soyons plus esclaves
posé de nous désigner ces hommes dont l'âme «du péché ». Et en effet, le pécheur est cru-
est morte par le péché, et que l'Apôtre veut cifié en son âme par la douleur de la contri-

ressusciter à la grâce, quand il leur dit: « Le- tion , et il l'est encore en son corps par les

« vez-vous, vous qui dormez : sortez d'entre rigueurs d'une mortification salutaire. Mais
« les morts, et Jésus-Christ vous éclairera ^ ». en laissant le pécheur sous cette double pres-
Dans un autre passage le même Apôtre si- ,
sion Dieu lui facilite les moyens de faire
,

gnale encore avec douleur ce même genre de mourir en lui le péché. Voilà donc la croix
mort, lorsqu'il dit de la veuve frivole et mon- où expire le corps du péché, afin que nous

daine que « vivant dans les délices, elle est «n'abandonnions plus nos membres au péché
« morte, quoiqu'elle paraisse vivante ». Ainsi « comme des intruments d'iniquité ». ''
*

on dit de l'âme qui a perdu la grâce, que D'un autre côté, s'il est vrai que l'homme
revenant à la justice qui agit par la foi, elle intérieur se renouvelle en nous de jour en
ressuscite et reprend une nouvelle vie. Le jour, on ne saurait nier que d'abord il n'ait élé
corps, au contraire, ne meurt réellement que —

Rom. 1, 17. - ' Rom. vin, 10, 11. ' Ps. xxi, 1 ; Matt. xxvii,
' 1 Jean, m, 2.— ' Matt. viil, 22.— ' Eph. v, H.— ' I Tien. V, 6. 46, — * Rom. VI, 6, 13.
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 407

le vieil homme. C'est en effet en l'intérieur toucher avant son ascension? C'est qu'il avait
de l'àmeque s'accomplit cette parole de TApô- en vue dans la première circonstance le
, ,

tre : « Dépouillez-vous du vieil homme, et mystère de notre résurrection spirituelle, et


«revêtez-vous de l'homme nouveau ». Ce dans la seconde, celui de notre résurrection
qu'il explique en disant que « nous devons corporelle. Il serait, en effet, par trop absurde
a renoncer au mensonge , et parler selon la et ridicule de soutenir avec quelques-uns
« vérité ^ ». Or, n'est-ce pas dans le secret de qu'avant son ascension Jésus-Christ permit
son âme que renonce au mensonge,
le juste aux hommes de le toucher, et aux femmes,
afin que disant la vérité dans son cœur, il seulement après.
habite sur la montagne sainte du Seigneur? Au reste, l'Apôtre voyait en la résurrection
Bien plus, le mystère de cette résurrection du Christ le type et le modèle de la nôtre,
spirituelle est renfermé dans celui de la résur- quand il disait : « Chacun à son rang, Jésus-
rection corporelle de Jésus-Christ et il nous ;
« Christ d'abord, puis ceux qui sont à Jésus-
en avertit lui-même, lorsqu'il dit à Madeleine : « Christ ' B ; d'ailleurs , le contexte de ce pas-
a Ne me touchez pas, car je ne suis pas en- sage prouve qu'il s'agit ici de cette résurrec-
tecore remonté vers mon Père -». C'est aussi tion des corps au sujet de laquelle le même
à ce même mystère que se rapportent ces pa- Apôtre a dit que « Jésus- Christ changera
roles de l'Af ôtre « Si vous êtes ressuscites : « notre corps misérable, en le rendant con-
a avec Jésus-Cbrist, recherchez les choses du <xforme à son corps glorieux * » Ainsi , Jésus- .

« ciel, oîi Jésus-Christ est assis à la droite de Christ en mourant une seule fois, a remédié
« Dieu ;de goût que pour les choses
et n'ayez à la double mort de l'homme et en ressus- ;

a d'en-haut Et en effet, ne point toucher


' ». citant une seule fols, il est devenu pour nous
le Christ avant qu'il soit remonté vers son le divin exemplaire d'une double résurrec-

Père, c'est ne se permettre à son égard aucune tion. Et en effet, son humanité sainte nous
pensée basse et terrestre. présente dans sa mort et dans sa résurrection
Quant à mort corporelle que Jésus-Christ
la le type sacré et le modèle salutaire de notre

a daigné subir comme homme, elle nous est résurrection spirituelle et corporelle.
un exemple de celle que nous devons souffrir
en notre chair. Car ses souffrances sont pour CHAPITRE IV.
tous ses disciples une puissante exhortation à LE NOMBRE SIX.
ne pas craindre o ceux qui tuent le corps, et
« qui ne peuvent tuer l'àme * ». Aussi l'Apôtre Ce rapport de l'unité à la dualité nous
7.

dit-il dans le même sens « qu'il accomplit en ramène au nombre trois, puisque deux et un
« sa chair ce qui manque à la passion de font trois. Mais ce dernier nombre multiplié
«Jésus-Christ ' ». Nous trouvons également par lui-même nous donne six, car un, plus
dans la réalité de sa résurrection corporelle le deux, et plus trois font six. Or, ce nombre six
modèle et la certitude de notre propre résur- est dit un nombre parfait, parce qu'il est
rection, puisqu'il a dit à ses apôtres : « Tou- complet en toutes ses subdivisions, savoir:
« chez et voyez, car un esprit n'a ni chair ni l'unité, le tiers et la moitié; sans qu'on puisse
a os, comme
vous voyez que j'en ai S). Bien le concevoir sous quelque autre rapport. Ainsi

plus, ce ne fut qu'après avoir touché ses plaies, l'unité donne six, le tiers, deux, et la moitié,
que l'un d'entre eux s'écria « Mon Seigneur : trois. un plus deux, et plus trois
Pareillement,
« et mon Dieu
'
» Or, cette réalité si évi- ! font six. L'Ecriture elle-même nous indique
dente de la résurrection du Sauveur devenait cette perfection numérique, quand elle nous dit
pour les apôtres la démonstration de cette que Dieu acheva l'œuvre de la création en six
parole « Pas un seul cheveu de votre tète jours, et qu'au soir du sixième jour
:
il créa
« ne périra*" » Pourquoi donc disait-il à Made-
. l'homme à son image \ Nous voyons égale-
leine « Ne me touchez point, car je ne suis
: ment que le Fils de Dieu s'est incarné au
« pas encore remonté vers mon Père », tandis sixième âge du monde, et qu'il devint alors
qu'il permettait ensuite à ses apôtres de le Fils de l'homme pour réformer l'homme
selon l'image et la ressemblance du Créateur.
• Eph. IV, 22-25. — » Jean, xi, 17. — • Coloss. m, 1,2.— Nous vivons en effet dans le sixième âge, soit
* Matt. X, 28. —
' Coloss.
i, 24. — » Luc, xxn, 39. — '
Jean, ix,
28. —» Luc, Xït, 18.
I Cor. V, 25. —
» Pbilipp. m, 21. —
'
Gen. 27. *
i,
,

408 DE LA TRINITÉ.

que l'on distribue les siècles écoulés par pé- soixante plus quarante font cent, en sorte que
riode millénaire, soit qu'on les divise par les soixante est la sixième partie de l'année.
grands événements de l'histoire sainte. Ainsi, Car nous multiplions ensuite soixante par
si

le premier âge s'étend d'Adam à Noé le ; six ,nous obtiendrons trois cent soixante
second, de Noé à Abraham le troisième, en ; c'est-à-dire douze mois de trente jours. Tou-
suivant l'ordre établi par saint Matthieu, tefois, si le cycle lunaire détermine le nombre
d'Abraham à David; le quatrième, de David des mois, le cours du soleil règle celui de l'an-
à la captivité de Babylone et le cinquième, ; née. Or, il reste en plus cinq jours et un quart
du retour de la captivité à l'enfantement de la pour que le soleil et l'année terminent égale-
Vierge Marie. En admettant cette division ment leur révolution mais parce que ce quart ;

chronologique, on trouve que le sixième âge a multiplié par quatre, donne un jour entier,
commencé à la naissance de Jésus-Christ pour on l'intercale chaque cinquième année, et de
se continuer jusqu'à ce jour qui nous est là vient le nom de bis-sextile qui lui est affecté.
inconnu, et après lequel il n'y aura plus de Enfin ces cinq jours et quart nous offrent
temps. d'intimes relations avec le nombre six. D'a-
Sous un autre rapport, ce nombre six nous bord, si nous voulons compter par nombres
représente dans sa triple division, celle des ronds, nous trouverons six jours plutôt que
siècles écoulés.Car nous comptons l'ère d'avant cinq en prenant le quart pour un jour entier.
la loi, l'ère de de la grâce. C'est
la loi, et l'ère De plus ces cinq jours forment le sixième du
en cette dernière que l'homme a reçu le sa- mois, de mêmeheures nous donnent
que six
crement de la réconciliation, afin que la ré- le quart du jour. Et en effet un jour entier,
surrection générale coïncidant avec le dernier c'est-à-dire le jour et la nuit se compose de ,

jour de l'univers il soit alors entièrement


, vingt-quatre heures, dont le quart est six.
renouvelé en la beauté de son âme, et l'infir- Telle est la corrélation du cours de Tannée
mité de son corps. Nous pouvons donc recon- civile avec le nombre six.
naître une figure de l'Eglise en la personne
de cette femme que Jésus-Christ guérit de CHAPITRE V.
l'infirmité par laquelle Satan la tenait cour-
LE NOMBRE SIX ET LE TEMPLE DE JÉRUSALEM.
bée ^ Car, c'est de ce genre d'ennemis cachés
et secrets que se plaint le psalmiste, quand il 9. On peut encore, et avec raison, appliquer
dit : « Ils ont courbé mon âme - ». Or, cette ce même nombre à la résurrection du Sauveur.
femme était infirme depuis dix-huit ans, c'est- Car il a dit lui-même, en faisant allusion au
De plus le
à-dire depuis trois fois six ans. , temple de Jérusalem « Détruisez ce temple, :

nombre des mois qui composent cette pé- « et je le rebâtirai en trois jours ». Mais ici le

riode, depuis dix-huit ans, forme un total jour est pris pour l'année, selon que lui répon-
de deux cent seize et ce total lui-même
; dirent les Juifs « On a mis quarante-six ans
:

est le produit de six multiplié par trente- « à bâtir ce temple ». Or, quarante-six fois
'

six. Nous également dans l'Evangile


lisons six font deux cent soixante-seize, c'est-à-dire
que depuis trois ans le figuier stérile ne neuf mois, et six jours qui sont eux-mêmes
portait point de fruits, et que le jardinier ob- comptés pour un mois entier. C'est ainsi que
tint pour lui le délai d'une année après la- , nous disons que la mère porte l'enfant dans
quelle il devait être coupé, s'il restait encore son sein pendant dix mois, quoique ce ne soit
infructueux ^ Mais ici ces trois années se rap- réellement que neuf mois et quelques jours.
portent aux trois périodes que j'ai signalées, Tous les enfants en effet ne naissent point
et le nombre des mois forme le carré de six, exactement au bout de neuf mois et six jours;
c'est-à-dire six fois six. mais cela arriva pour le divin Sauveur,
8. L'année civile elle-même avec son cycle comme nous l'atteste la tradition que l'Eglise
de douze mois, qui comprennent chacun trente a sanctionnée. 11 fut donc conçu et il mourut
jours, selon que les anciens en avaient réglé le huit des calendes d'avril, en sorte que le
le cours sur celui de la lune, l'année, dis-je, sépulcre neuf où il fut enseveli, et où per-
n'est qu'un multiple du nombre six. Et en sonne n'avait été mis et qui depuis ne reçut ,

effet, de même que six plus quatre font dix, personne, est en parfait rapport avec le sein
Luc, xui, 16. — ' Ps. LVI, 7. — ^ Luc, xiii, 6-17. » Jean, ii, 19, 20.
.

LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 409

qui l'avait porté, et qui toujours resta vierge. se placera le troisième jour. Ainsi leDieu qui
On s'accorde également à mettre la naissance a dit lumière de jaillir des ténèbres
à la
de Jésus-Christ au huit des calendes de jan- et qui a voulu qu'en participant à la grâce du

vier, ce quinous donne à partir de sa concep- nouveau Testament, et à la résurrection de


tion le nombre de deux cent soixante-seize Jésus-Christ, nous pussions entendre dire :

jours, nombre où six est répété quarante-six « ayant été autrefois ténèbres, nous sommes

fois. Qui ne voit maintenant le rapport de ce « maintenant lumière en notre Seigneur », '

nombre avec les années que l'on mit à bâtir nous fait en quelque sorte entendre parla que
le temple, puisqiie ce fut pendant un égal le jour commence à la nuit.
espace de jours que se forma dans le sein de Nous voyons encore par la Genèse qu'en ,

Marie ce corps du Sauveur Jésus qui devait prévision de la chute de l'homme, les jours
mourir sur la croix et puis ressusciter le furent d'abord comptés du matin au soir, et
troisième jour ? Car l'évangéliste saint Jean de même ici, par allusion àsa rédemption, ils
observe expressément que « Jésus-Christ par- sont comptés du soir au matin. De plus, ob-
« lait du temple de son corps ». Nous enten- ^
servons que Je nombre des heures, y compris
dons encore dans saint Matthieu le divin Sau- la neuvième, qui s'écoulèrent depuis la mort
veur s'exprimer avec non moins de force et du Sauveur jusqu'à sa résurrection, est de
d'évidence, quand il dit : « Comme Jonas fut quarante. Or, c'est également pendant qua-
« trois jours et trois nuits dans le ventre de la rante jours qu'il resta sur la terre après sa ré-
« baleine, ainsi le Fils de l'homme sera trois surrection ; et dans l'Ecriture ce nombre qua-
« jours et trois nuits dans le sein de la terre -
» rante désigne souvent, par son rapport avec les
quatre éléments du monde, l'idée d'une per-
CHAPITRE VI.
fection absolue. Dix est en effet un nombre

LES TROIS JOURS QUI PRÉCÉDÈRENT parfait, et quatre fois dix font quarante. D'un
LA RÉSURRECTION. autre côté nous comptons trente-six heures
depuis le soir de la sépulture du Sauveur Jé-
10. encore nous ne trouvons point,
Mais ici sus, jusqu'au matin de sa résurrection, c'est-
selon le récit évangélique, trois jours pleins à-dire six fois six. Au reste le rapport de l'u-
et complets. Car le premier et le dernier nité à la dualité est le principe delà plus belle
sont comptés chacun pour un jour entier, harmonie ; ajoutez donc douze heures à vingt-
et toutefois l'un ne commença que vers le soir, quatre, et vous aurez trente-six, c'est-à-dire
et l'autre n'embrassa que quelques heures de toutun jour de vingt-quatre heures, et douze
la matinée. Le second seul fut complet, et dura heures de nuit, ce qui ne laisse pas, comme
vingt-quatre heures, douze de nuit, et douze je l'ai déjà observé, d'être un calcul mysté-
de jour. Et en effet, Jésus-Christ fut condamné rieux. Car il nous est bien permis de considé-
à mort, sur la demande des Juifs, le sixième rer le jour comme symbole de l'âme, et la
jour de la semaine, et à la troisième heure nuit comme symbole du corps, puisque dans
du jour. Il fut crucifié le même jour à la samort et dans sa résurrection, la sainte hu-
sixième heure, et rendit le dernier soupir à manité du Sauveur figurait la mort et la ré-
la neuvième. Mais « il était déjà tard », lors- surrection de notre âme et de notre corps.
qu'il fut enseveli ; et cette expression de l'é- . Tel est donc dans le nombre trente-six le
vangéliste saint Marc signifie que la sépulture rapport de l'unité à la dualité, puisque douze
eut lieu au déclin du jour ^ Ainsi, quand ajouté à vingt-quatre nous donne trente-six.
même vous suivriez le calcul de saint Jean ,
Au reste chacun peut rechercher les motifs
qui marque le crucifiement à la troisième qui ont conduit les écrivains sacrés à
mention-
heure, vous ne trouveriez point un jour entier, ner ces divers nombres. J'en ai donné quel-
et toujours vous seriez obligé de n'y compren- ques raisons, mais d'autres peuvent en appor-
dre que quelques heures du soir, de même ter ou de meilleures, ou d'équivalentes. Seu-
que le dernier ne renfermera que quelques lement bien ignorant serait celui qui ne vou-
heures de la matinée. Et en effet, entre le soir drait voir dans ces nombres aucune raison
du second jour jusqu'au malin de celui qui secrète et mystique. Pour moi, j'ai exposé
vit s'accomplir la résurrection du Sauveur, celles que m'ont fournies la tradition et l'au-
' Jean, ii, 21. — » Matt. xu, 40. — ' Marc, xv, 42^5. » II Cor. IV, 6 ; Eph. v, 8.
410 DE LA TRINITÉ.

torilé de l'Eglise, le témoignage des saintes Christ, nous lui serons unis, nous jouirons de
Ecritures et la constante harmonie des nom- lui, et nous demeurerons éternellement avec
bres. Au reste, nul n'est sage s'il contredit la lui.
raison, nul n'est chrétien s'il rejette l'Ecriture, CHAPITRE VIII.
et nul n'est ami de la paix s'il combat l'Eglise.
LE CHRIST VEOT CETTE UNION.
CHAPITRE VII.
12. Telle est l'ineffable unité que dans le
UNION DES FIDÈLES. discours après la Cène, le Sauveur demandait
pour nous à son Père, lui le Fils de Dieu, le
Nous reconnaissons donc en ces nombres
11. Verbe de Dieu qui, devenu Fils de l'homme,
mystérieux, non moins que dans le sacrifice du s'est constitué notre médiateur auprès de Dieu,

Calvaire, le prêtre et le Dieu, qui avant de et qui, égal à son Père en unité de nature
paraître parmi nous et de naître de la femme, divine, est notre frère par ressemblance de la
a voulu s'annoncer mystiquement à nos pères. nature humaine. Voici donc ces paroles où
Et en effet ces diverses apparitions d'anges , Jésus-Christ prie comme homme, mais où il
dont ils ont été favorisés, et les divers prodiges rappelle aussi que comme Dieu il est un avec
qu'opérèrent ces esprits célestes ne furent , son Père « Je ne prie pas pour eux seulement,
:

que l'ombre et la figure du grand mystère de « mais encore pour ceux qui doivent croire

l'Incarnation. C'est ainsi que toute créature « en moi par leur parole, afin que tous ils

prédisait à sa manière le futur avènement de a soient un, comme vous, mon Père, en moi,

celui qui devait être l'unique Sauveur des « et moi en vous; qu'ils soient de même un

hommes. Le péché nous avait séparés du Dieu « en nous, afin que le monde croie que vous

suprême,unique et véritable; et, entraînés sur c(m'avez envoyé. Et je leur ai donné la gloire
sa pente fatale, nous nous étions éloignés des « que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient

principes de la vie. Nous nous étions ainsi « un, comme nous sommes un ». ^

évanouis en nos pensées, et brisant les liens


qui nous rattachaient au ciel, nous étions de-
CHAPITRE IX.

venus les captifs volontaires du monde et du MÊME SUJET.


démon. Il fallait donc, selon les conseils elles
décrets d'un Dieu plein de miséricorde, que Observonsque Jésus-Christ ne dit pas
ici :

toutes les créatures proclamassent l'arrivée de Je prie, afin qu'eux et moi soyons un, quoi-
notre unique Rédempteur ,
qu'il vint lui- qu'en qualité de chef du corps qui est l'Eglise,
même appelé par les cris et les soupirs de il eût pu le dire, parce qu'en effet l'Eglise ne

toute rhumanité, et qu'au ciel comme sur la forme qu'un seul corps avec Jésus-Christ, qui
terre tout attestât son heureux avènement. Il en est le chef. Mais il veut nous montrer sa
fallait encore que Thomme délivré de ses nom- consubstantialité avec son Père ; aussi de même
breux ennemis, se jetât aux pieds de son uni- que dans un autre endroit il avait dit :

que Libérateur, et que souillé de mille péchés « Le Père et moi sommes un-», c'est-à-dire

qui avaient donné la mort à son àme, et même qu'il y a entre nous une parfaite égalité de
à son corps, il en vînt à aimer Celui qui seul nature, il prie ici pour que ses disciples soient
pur ,saint et immaculé a voulu mourir
, un en lui. Et en effet, ceux-ci ne pouvaient être
comme homme,pour racheter l'homme. Enfin, un en eux-mêmes, parce que les passions, les
il fallait que, croyant en sa résurrection, nous plaisirscoupablesetle péché les éloignaient les
puissions par la foi ressusciter avec lui en uns des autres. C'est pourquoi Jésus, notre
esprit, et être justifiés en celui qui est le juste divin médiateur, nous purifie d'abord de nos
par excellence. Nous ressusciterons donc nous- souillures, et puis nous fait un en lui-même.
mêmes en notre chair, puisque celui qui est la Mais cette admirable unité n'est point seule-
tête du corps dont nous sommes les membres, ment une unité de nature qui rendrait tous
est ressuscité le premier. C'est par la foi en ce les hommes égaux entre eux, ainsi que dans
divin Rédempteur qu'aujourd'hui nous som- anges sont égaux elle est surtout
le ciel, les ;

mes purifiés j maisalors, contîrmésen grâce par une unité de volonté qui réunit comme en
la vision béatifique, et réconciliés avec le Sei- un faisceau toutes les volontés, et les fait con-
gneur notre Dieu, par la médiation de Jésus- ' Jean, xvii, 20, 22. — ' Id. x, 30.
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 411

verger toutes ensemble vers la possession du giques, en sorte que tout ensemble il trompe
même bonheur, parce qu'un seul et même les esprits, les précipite dans l'illusion et les
Esprit embrase tous les cœurs des feux du tient captifs et assujétis. Quelquefois aussi, se
même amour. Ainsi se réalise cette parole du transformant en ange de lumière, il promet à
Sauveur « Père, qu'ils soient un, comme vous
: l'homme le pardon de ses fautes au moyen de
« et moi sommes un ». Et en effet, de môme certaines expiations, et fait briller à ses yeux
que le Père et le Fils sont un par égalité de le faux éclat de prestiges mensongers.
nature et conformité de volonté, les Chrétiens
qui reconnaissent pour leur médiateur auprès CHAPITRE XI.

de Dieu le Père, Jésus-Christ, Fils de Dieu QUE PENSER DES PRODIGES OPÉRÉS PAR LE DÉMON
, ?
doivent être unis entre eux bien moins parles
liens de la chair et du sang que par les rap- 14. certainement facile aux esprits
Il est
ports de la charité. Au reste le Sauveur nous mauvais de produire à l'aide des corps aériens
indique lui-même cet heureux effet de sa mé- bien des effets qui étonnent même les meil-
diation divine et de notre réconciliation avec leurs esprits, parce qu'ils sont unis à une chair
le Seigneur, quand il dit : « Je suis en eux, et qui les affaiblit. C'est ainsi que sur nos théâ-
« vous en moi, afin qu'ils soient consommés tres l'art et l'habileté des jongleurs exécutent
« dans l'unité ^ ». avec des corps terrestres et matériels des choses
sisurprenantes, qu'il faut les avoir vues pour
CHAPITRE X.
y croire. Esl-il donc étonnant que Satan et ses
LA VIE ET LA MORT. anges opèrent, au moyen des éléments qu'ils
mettent en jeu par leurs corps aériens, des
13. Notre véritable paix, et notre alliance prestiges capables de tromper les hommes?
forte et assurée avec le Seigneur, reposent donc Bien plus, ils nous présentent mille fantômes
sur l'acte d'expiation et de réconciliation que et mille imaginations qui font illusion à nos
Jésus, médiateur de vie et de grâce, a dai- sens, et qui, soit pendant notre sommeil, ou
gné accomplir. Et de même un médiateur de dans l'état nous fascinent et nous
de veille,
péché et de mort nous avait ravi l'innocence, rendent furieux. Mais de même qu'un homme
et nous tenait éloignés de Dieu. Car le démon juste et honnête se permet de regarder de vils
superbe et orgueilleux n'avait rempli le pre- histrions qui dansent sur la corde, ou qui
mier homme d'orgueil et de présomption que exécutent des tours incroyables de prestidigi-
pour conduire à la mort, tandis que Jésus-
le tation, sans qu'il ait en lui-même le moindre
Christ, humble et humilié, l'a ramené à la vie désir de les imiter, ni qu'il les croie meilleurs
par l'humilité et l'obéissance. Le démon vain que lui ainsi le chrétien pieux et fidèle qui
;

et téméraire est tombé lui-même, et a entraîné est témoin des prestiges que produisent les
l'homme qui consentit librement à ses sug- démons, et qui même par suite de la faiblesse
gestions. Mais Jésus-Christ en s'humiliant a humaine, les admire, ne leur envie point un
mérité d'être exalté, et il a relevé avec lui le tel pouvoir, et ne se juge point inférieurs à eux.
fidèle qui croît en lui. Sans doute Satan n'avait Eh comment pourrait-il le faire, puisqu'il
1

point été assujéti à la mort du corps, puisqu'il appartient à cette société de saints qui com-
n'a point de corps, et que son péché n'était prend les hommes justes et les bons anges, et
qu'un péché de pensée; mais il n'en paraît puisque ceux-ci, parla puissance souveraine
pas moins à l'homme le prince de ces légions du Seigneur, à qui toutes choses sont sou-
infernales qu'il emploie pour régner sur le mises, opèrent de véritables miracles, et des
monde par le mensonge et Terreur. C'est par prodiges bien plus surprenants?
leur concours que tantôt il au
enorgueillit
moyen d'une fausse philosophie l'homme qui CHAPITRE XII.

n'est déjà de lui-même que trop superbe, et PRINCIPE DE VIE ET PRINCIPE DE MORT.
qui ambitionne le pouvoir, bien plus qu'il

n'aime la justice. Tantôt aussi il flatte sa cu- 15. donc impossible qu'aucune céré-
Il est
riosité non moins que son orgueil par l'ap- monie non plus que nulle initia-
sacrilège,
pareil d'un culte sacrilège et de pratiques ma- tion impie, ou expiation magique puisse puri-
* Jean, xvir, 23. fier l'àme et la réconcilier avec Dieu. Et en
412 DE LA TRINITÉ.

effet, ledémon qui se pose ici en faux média- le juge envoie un criminel au supplice, et
teur, ne saurait élever l'homme vers ses hautes que la cause de ce supplice n'est point l'équité
destinées, el il ne cherche même qu'à l'arrê- du juge, mais la faute du coupable. Le démon
ter dans le noble essor qui l'y fait aspirer. nous a donc soumis à la mort du corps, sans
C'est pourquoi il corrompt ses affections, et y participer lui-même mais par une secrète ;

il les rend d'autant plus perverses qu'il le disposition, et une profonde justice du Sei-
remplit lui-même de plus d'orgueil et de va- gneur, cette même mort que Jésus-Christ
nité. 3Iais alors ces affections ainsi corrompues, quoique innocent a bien voulu subir, nous est
loin de favoriser en nous les sublimes élans de devenue un remède de vie et d'immortalité.
la vertu, nous entraînent vers l'abîme parce ,
Et en effet, « comme c'est par un homme
qu'elles doublent le poids de nos vices. Ainsi « que la mort est venue, c'est aussi par un

la gravité de notre chute est en rapport avec « homme que vient la résurrection ». Mais *

la hauteur d'où nous sommes précipités. La les hommes s'attachent bien plus à éloigner la
prudence nous conseille donc d'imiter les mort du corps que celle de l'àme, quoique la
mages qu'une étoile conduisit au berceau de première soit inévitable, et ils montrent ainsi
l'Enfant-Dicu, et que les anges instruisirent qu'ils sont du
plus sensibles au châtiment
par un songe mystérieux. A leur exemple péché, qu'à du péché. Eh ne
la malice même !

nous ne devons point revenir en notre patrie les voyons-nous pas chaque jour s'appliquer
par la même route que nous en sommes sor- bien peu, et même nullement à éviter le péché,
tis, mais suivre cet autre chemin que nous a au lieu qu'ils s'épuisent pour prévenir une
tracé Jésus, ce Roi doux et humble, et sur le- mort qu'ils ne peuvent éviter? C'est pourquoi
quel Satan, son superbe ennemi, ne peut que Jésus-Christ, le vrai médiateur de la vie, a
nous tendre d'inutiles embûches. D'ailleurs voulu nous prouver ne faut point crain-
qu'il
les cieux eux-mêmes nous invitent à adorer dre la mort du corps qui
une condition de est

le Dieu humble et caché dont ils racontent la notre nature, mais bien plutôt le péché qui
gloire et dont ils proclament la grandeur
, donne la mort à notre âme, et que nous pou-
dans l'univers entier et jusqu'aux extrémités vons ne point commettre avec le secours de la
de la terre K foi. Il a donc atteint lui-même la fin commune
Quant à la mort, elle a été introduite dans à tous les hommes, quoique par une voie bien
le monde par le péché d'Adam, selon cette différente. Car nous sommes venus à la mort
parole de l'Apôtre « Le péché est entré dans
: par le péché, et lui par la justice et l'inno-
« le monde par un seul homme, et la mort cence. Aussi, de même qu'en nous la mort est
« par le péché. Ainsi la mort a passé à tous les la peine du péché, elle a été en Jésus-Christ
« hommes par ce seul homme en qui tous ont l'expiation du péché.
c péché - ». Ornous a ouvert cette
celui qui
triste voie, c'est le démon qui, en nous persua-
CHAPITRE XIII.

dant de commettre le péché, nous a précipités MORT VOLONTAIRE DE JÉSUS-CHRIST.


dans la mort. Mais cette mort qui est double
dans l'homme correspond en Satan à la perte IC. L'âme qui est préposée au corps de
unique de la grâce. Et en effet, il était mort l'homme, meurt à la grâce, quand elle se sé-
selon l'esprit i)ar suite de sa révolte, et non pare de Dieu et le corps lui-même meurt,
,

point selon la chair, tandis qu'en nous entraî- quand l'âme l'abandonne. Mais parce que cette
nant dans son impiété, il nous a soumis à la dernière mort est un châtiment, il est juste
mort de Fàme et à celle du corps. Il semblait que l'âme qui s'est volontairement éloignée
à l'homme qu'il ne s'exposait qu'à la première de Dieu, quitte même involontairement le

en se laissant criminellement séduire, et voilà corps auquel elle est unie. Ainsi la mort que
qu'il s'est attiré la seconde par une juste con- nous subissons malgré nous, est la peine du
damnation. Aussi l'Ecriture nous dit-elle que péché que nous avons librement commis. Car
« Dieu n'a point fait la mort » parce qu'il n'en ,
pour que l'âme quitte volontairement le corps,
est ni l'auteur, ni le principe. Toutefois il a il faut qu'elle-même lui fasse violence et lui

pu mort au pécheur comme un


infliger la donne un coup mortel. Or, Jésus-Christ notre
châtiment juste et bien mérité. C'est ainsi que divin médiateur a voulu subir librement la
' Ps. xviii, 2, 5. — = Rom. v, 12. • I Cor. XV, 21.
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 413

mort pour nous prouver combien, en la su- vais le tentât, afin de nous venir en aide pour
bissant, il était exempt de péché. Il est donc surmonter par sa grâce et par son
la tentation,

mort parce qu'il l'a voulu, quand il l'a voulu, exemple. C'était vainement que d'abord il
et de la manière dont il l'a voulu. Et en avait cherché à le vaincre par des tentations
effet, c'est en tant qu'uni au Verbe de Dieu intérieures, quand Jésus-Christ après son bap-
qu'il a dit comme homme « J'ai pou- : le tême dans le désert, et que le dé-
se fut retiré
voir de donner ma vie et j'ai le pouvoir , mon lui tendit les plus captieuses embûches.
« de la reprendre. Nul ne me l'ôte,
mais je Sans doute cet esprit mort à la grâce n'eut au-
« la donne moi-même, et je la reprends de cune prise sur celui qui était vivant de la vie de
« nouveau * ». Aussi voyons-nous par le ré- l'Esprit-Saint; mais acharné à frapper l'homme
cit des évangélistes, que tous ceux qui furent de la mort du péché, il essaya contre le Christ
présents à la mort de Jésus-Christ, s'étonnè- toute sa malice, et l'attaqua, autant qu'il lui fut
rent de l'entendre pousser ce grand cri qui permis, dans cette chair par laquelle le média-
annonçait que notre péché était effacé, et qui teur vivant et immortel était devenu comme
précéda immédiatement son dernier soupir. nous faible et mortel. Toutefois
il ne réussit

Car d'ordinaire le supplice de la croix amenait alors en aucune de ses diverses suggestions ;
une longue agonie, comme le prouvent les et lorsque, usant du pouvoir qu'il avait reçu
deux voleurs auxquels il fallut rompre les du dehors, il eut fait attacher le Sauveur
bras et les jambes afin de hâter leur mort, et à la croix, il perdit tous ses droits à la domi-
pour que les corps ne restassent pas exposés le nation intérieure qui lui assujétissait nos
jour du sabbat. La mort de Jésus fut donc une âmes.
sorte de miracle, et Pilate eu jugea ainsi, quand Et, la mort de Jésus-Christ, qui
en effet,

on vint lui demander la permission de rendre n'avait été en lui précédée d'aucun péché,
au corps du Sauveur les honneurs de la sépul- brisa soudain les chaînes multipliées des nom-
ture ^ breux péchés de l'homme. Ainsi le Sauveur,
17. Mais cet esprit de mensonge qui a été en souffrant pour nous la mort qui ne lui était
pour l'homme un médiateur de mort, vou- point due, a fait que celle que nous subissons
drait en vain nous fermer les sources de la justement, ne puisse nous nuire. Au reste,
vie par ses prétendues exi)iations, et ces céré- personne n'avait le pouvoir de lui ôter la vie,
monies impies et sacrilèges, avec lesquelles il et lui-même il s'en est dépouillé volontaire-
sejoue de notre orgueil. Exempt de la mort ment. Car, puisqu'il pouvait ne [)oint mourir,
du corps, mais condamné aussi à ne jamais s'il l'eût voulu, il est certain que la mort a été

recouvrer la vie de l'àme, il n'a été que trop en lui un acte libre et spontané. Aussi 1'.* pô-
heureux d'avoir pu, n'étant lui-même blessé tre nous dit-il que Jésus-Christ « a exposé en
à mort que dans l'âme, nous frapper de mort « spectacle avec une pleine autorité les prin-
dans l'âme et dans le corps. Quant au miracle « cipautés et les puissances, après avoir triom-
de la résurrection, il passe évidemment son « phé d'elles en lui-même » Sa mort a été, '
.

pouvoir, puisqu'il est tout ensemble le sacre- en effet, un vrai sacrifice, dont les mérites
ment de notre régénération, et le modèle de nous sont appliqués, et qui a racheté, expié et
la résurrection qui doit s'accomplir au dernier effacé entièrement nos péchés, en sorte que
jour. Au contraire, le vrai médiateur de la vie les principautés et les puissances
de l'enfer ne
qui est toujours vivant en son âme, est ressus- peuvent plus réclamer notre condamnation.
cité en cette même chair qui avait subi la mort, Et de plus, sa résurrection est pour nous le
et il combat pour nous contre le démon. De modèle de cette vie nouvelle à laquelle « il a
son côté, cet esprit rebelle, mort lui-même à la «appelé ceux qu'il a prédestinés; or, ceux
grâce, et auteur de la double mort qui frappe « qu'il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu'il
l'homme, s'efforce d'affermir son règne dans « a justifiés, il les L'homme, en
a glorifiés - ».

le cœur de
tous ceux qui croient en lui. Mais consentant librement aux séductions du dé-
le Sauveur Jésus le chasse de ce royaume in- mon , était en toute justice devenu sou es-
térieur, et ne lui permet que d'exercer au de- clave; et cet esprit mauvais, afi'ranchi lui-
hors sa rage et ses efforts impuissants. même de la corruption de la chair et du sang,
11 voulut même souffrir que cet esprit mau- s'enorgueillissait de la victoire que lui avait
'
Jean, x, 18. — ' Marc, xv, 37 ; Jean, xix, 30. * Coloss. H, 15. — ' Rom. viir, 30.
AU DE LA TRINITÉ.

procurée sur un être faible et infirme la fra- , plus ils abandonnent le démon pour accourir
d'une chair mortelle. Il se complaisait
gilité vers le divin Rédempteur. C'est qu'à l'insu
donc en ses richesses et sa puissance, et insul- même de cet esprit mauvais, la sagesse divine
tait insolemment à notre misère et notre mal- saitexcellemment faire servir sa fureur et ses
heur. Mais voilà que soudain la mort de pièges au salut des fidèles. Et en effet elle
l'Homme-Dieu est venue détruire sa domina- atteint avec force de l'extrémité supérieure
lion. Car s'il n'a point suivi le pécheur dans qui est la création de l'âme, à l'extrémité
l'abîme où il l'avait précipité, il n'a point inférieure qui est la mort du corps, et elle
laissé d'y pousser celui qui devait être le Ré- dispose toutes choses avec douceur. Or, elle
dempteur du monde. atteint ainsi d'une extrémité à l'autre à cause
C'est ainsi qu'en se soumettant comme nous de sa pureté, et parce que rien de souillé n'est
à la mort, le Fis de Dieu a daigné se faire en elle^
notre ami, tandis que notre superbe ennemi, en Mais si le démon peut se glorifier de ne
évitant cette même mort, croyait assurer au- point être assujéti à la mort du corps, et s'il
dessus de nous sa grandeur et sa prééminence. s'en fait un
d'honneur et de vanité, il ne
litre

N'est-ce pas en effet ce divin Rédempteur saurait éviter cette autre mort qui lui est
qui a dit « Personne ne peut témoigner un
: réservée dans les flammes éternelles de l'en-
« plus grand amour qu'en donnant sa vie fer. Car ces flammes ont la propriété et de

« pour ses amis* » ? Aussi le démon se crut-il torturer les âmes, et de faire souffrir tous les
lui-même supérieur à Jésus-Christ, parce que corps terrestres et aériens. Quant à ces hom-
celui-ci parut dans sa passion lui céder la mes orgueilleux qui méprisent Jésus-Christ
victoire, et parce qu'alors s'accomplit en lui parce qu'il a été crucifié, quoique ce supplice
cette parole du psalmiste : « Vous l'avez pour soit le prix inestimable dont il a payé notre
« un peu de temps abaissé au-dessous des rançon, ils n'éviteront point cette première
a anges ^ ». Mais le Christ innocent qui a été , mort qui par suite du péché originel est de-
injustement mis à mort, a vaincu justement venue le triste apanage de notre nature, et
l'esprit mauvais qui nous tenait sous sa légi- de plus ils seront précipités avec le démon
time domination. Il nous a donc délivrés de dans la seconde mort des enfers. Ils préfèrent
la captivité où le péché nous avait plongés, à Jésus-Christ cet esprit mauvais
qui les a
et chargée elle-même de fers. En un
il l'a perfidement soumis à une mort dont la na-
mot, le sang du juste qui a été injustement ture le préservait, et à laquelle le divin Sau-
répandu, a effacé le décret de notre condam- veur a daigné s'assujétir par un effet de sa
nation, et il a mérité aux pécheurs la grâce grande miséricorde à notre égard. Cepen-
du salut et de la rédemption. dant ces mêmes hommes ne font aucune
18. Cependant cette mort elle-même du difficulté de se croire meilleurs que les dé-
Christ sert aujourd'hui encore au démon mons, et ils ne cessent de les détester et de
pour tromper ses adeptes. Car jouant le rôle les poursuivre de leurs malédictions, quoi-
de faux médiateur, il leur persuade qu'il les qu'ils sachent que ces esprits mauvais n'ont
purifiera de leurs péchés au moyen de certains jamais subi ce supplice de la croix, qui est le
rites qui n'ont d'autre efficacité que de les principe et le motif de tous leurs mépris envers
plonger plus profondément. Et néanmoins Jésus-Christ. C'est qu'ils ne veulent point consi-
l'orgueil pousse alors ces malheureux à dé- dérer que le Verbe de Dieu, tout en restant ce
verser tout d'abord l'ironie et le mépris sur qu'il est par sa divinité, c'est-à-dire immuable
la mort de Jésus-Christ, et puis à exalter au- en son essence, a bien pu souffrir en l'infé-
dessus de lui la sainteté et la divinité de riorité de la nature humaine, qu'il avait dai-
l'esprit mauvais, parce qu'il ne s'est point sou- gné prendre une mort dont l'esprit impur
,

mis au supplice de la croix. Mais le démon ne est à l'abri, parce qu'il n'a point un corps ter-

compte plus qu'un petit nombre d'adhérents, restre et mortel. Ainsi, malgré leur évidente
parce que de toutes parts les gentils ouvrent supériorité sur les démons, la chair qu'ils
les yeux, et qu'ils viennent humblement boire portent les soumet à la mort; et de même les

aux sources du salut. Plus leur confiance au démons qui n'ont point un corps composé de
Christ rédempteur s'accroît et s'affermit, et sang et de chair, sont exempts de la mort.
' Jean, xv, 13. — ^ Ps. viii, 6. '
Sag. VIII, 1, vu, 24, Hd.
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 415

Mais ces hommes peuvent-ils raisonnablement avec Dieu notre paix et notre réconciliation.
attendre quelque résultat efficace de diverses Car il est Dieu comme celui à qui il l'offre, il
expiations auxquelles ils s'assujétissent? Car ne fait qu'un avec ceux pour qui il l'offre, et

ou ils ignorent qu'ils offrent ces sacrifices à il est tout ensemble le prêtre qui l'offre et la

des esprits trompeurs et orgueilleux, ou s'ils victime qui est offerte.


le savent, comment se persuadent-ils qu'ils
feront utilement alliance avec des êtres per-
CHAPITRE XV.
dont toute l'occupation
fides et envieux, est de PRÉSOMPTION ET AVEUGLEMENT.
ruiner l'œuvre de notre salut?
20. Cependant il est des hommes qui pen-
CHAPITRE XIV. sent arriver par eux-mêmes à un tel degré de
pureté qu'ils pourront voir Dieu et s'unir en-
LE CHRIST EST LA PLUS PCRE VICTIME.
tièrement à lui. Hélas! ce grand orgueil ne
19. J'observe en outre à l'égard de ces mê- fait que les souiller davantage. Car il n'est

mes hommes qu'ils devraient bien comprendre point de péché qui soit plus opposé à la loi

que malgré tout leur orgueil, les démons ne divine, et qui affermisse mieux à notre égard
pourraient prendre aucun plaisir aux sacrifices la cruelle domination du démon. Ce superbe
qui leur sont offerts, si un vrai sacrifice n'était tyran ne cherche qu'à nous fermer le ciel, et

dû au Dieu véritable, dont ils usurpent l'hon- à nous précipiter dans l'enfer. C'est pourquoi
neur et l'adoration. Or, d'abord ce sacrifice ne nous devons éviter ses embûches secrètes, et
peut être légitimement offert que par un nous détourner de la voie qu'il nous trace. Car,
prêtre juste et saint, et puis il est nécessaire nouvel Amalec, ou il attaque de front un peuple
que le Dieu auquel il est présenté, le reçoive, abattu et découragé, ou il contrarie et retarde
et en applique les mérites à ceux qui le lui l'entrée de ce même peuple dans la terre pro-

font offrir. Il faut enfin que la victime soit mise. Mais voulons-nous le vaincre, appuyons-
elle-même pure et immaculée, afin qu'elle nous sur la croix du Sauveur Jésus? croix que
puisse purifier l'homme de tout péché. Certes, figurait Moïse en étendant les mains. Au reste

tel est le but que se proposent tous ceux qui les orgueilleux dont je parle ne présument,

font offrir un sacrifice au Seigneur. Mais est-il acquérir par eux-mêmes une entière et par-
un prêtre plus juste et plus saint que le Fils faiteinnocence que parce que le génie de quel-
unique de Dieu, qui n'a nul besoin de sacri- ques sages a pu planer au-dessus de ce monde
fier pour l'expiation de ses propres péchés, grossier et terrestre, et percevoir un faible

puisqu'en lui ne se trouve ni la faute origi- rayon de l'incommunicable vérité. Aussi "e
nelle, ni celles que nous commettons chaque plaisent-ils à prendre en pitié ces nombreux

jour ? De plus quelle victime plus parfaite


,
chrétiens qui se contentent de croire, et qui
l'homme pouvait-il choisir que sa propre n'essaient pas même de s'élever à ces hauteurs.
chair? et quelle chair plus propre à être im- Mais à quoi sert au sage orgueilleux, d'aper-
molée qu'une chair mortelle ? quelle victime cevojrde loin, et au-delà des mers, les rivages
pouvait encore en raison même de sa pureté de la patrie, s'il rougit par orgueil de monter
mieux purifier l'homme de toutes ses souil- sur le navire qui pourrait l'y conduire? Et
lures, que la chair qui par un miracle de quel dommage au contraire reçoit l'humble
chasteté a été formée dans le sein d'une Vierge, chrétien dont le regard est beaucoup moins
est née de ses chastes entrailles? enfin quel étendu, mais qui se confiant à ce même navire,
sacrifice serait plus agréable au Seigneur et arrive heureusement au port ?
plus propitiatoire à notre égard, que celui où
CHAPITRE XVI.
la victime n'est autre que le propre corps de
notre pontife? Ainsi l'on doit considérer quatre ETROITESSE DE l'ENSEIGNEMENT DES PHILOSOPHES.
choses dans tout sacrifice celui à qui il est :

offert, celui qui l'offre, celui qui s'immole, 21. S'agit-il de la résurrection de la chair?
et celui au nom de qui il immolé. Or, ces
est ces mêmes philosophes se moquent de notre
quatre choses se rencontrent excellemment croyance, et affirment que nous devons nous
en Jésus-Christ, qui est notre seul et véritable ranger à leur opinion. Sans doute, ils ont pu
médiateur, et qui par son sacrifice a ménagé par le spectacle de ce monde visible s'élever
416 DE LA TRINITÉ.

jusqu'à la connaissance de l'Etre suprême et et plusieursen ont consigné par écrit les ré-
immuable *
; mais est-ce une raison pour que sultats heureux. Ainsi encore le laboureur et
nous les consultions exclusivement sur les le matelot énoncent diverses prédictions, qui
modifications diverses que peuvent subir des même, en raisoffdulong intervalle qui les voit
créatures mobiles et changeantes, et sur l'ordre se réaliser, passent pour de véritables prophé-
et la durée des siècles? Sans doute encore ils ties. En second répandus dans
lieu, les esprits
raisonnent logiquement, et prouvent évidem- l'air, pressentent pour ainsi dire les événements

ment que le monde est l'ouvrage d'un être qui doivent prochainement s'accomplir; et la
éternel. Mais peuvent-ils par les seules lu- subtilité de leur intelligence leur permet de les
mières de la raison découvrir et expliquer tous découvrir de loin, en sorte qu'ils semblent les
les mystères de la nature la création pre- : prédire. C'est à peu près comme si du sommet
mière des animaux et leurs espèces si nom- d'une montagne apercevant un voyageur,
,

breuses la conservation des genres et la


; je l'annonçais aux personnes qui stationne-
multiplication des individus; les divers phé- raient dans la plaine. Mais ici tantôt c'est aux
nomènes de leur reproduction, de leur vie et saints anges que le Seigneur révèle ces évé-
de leur mort, de leurs instincts,
et la sûreté nements par son Verbe, ou sa Sagesse, en qui
en sorte que chacun cherche ce qui lui est réside le passé et l'avenir ; et alors ils les dé-
utile, et repousse ce qui lui serait nuisible? couvrent eux-mêmes aux hommes, ou bien ils
Cependant, sans tenir aucun compte de la n'en instruisent qu'un petit nombre, qui à leur
sagesse immuable d'un Dieu créateur, ils tâ- tour en répandent et en divulguent la connais-
chent de tout expliquer par l'influence des sance. Tantôt au contraire l'intelligence de
climats, et la durée des siècles, et ils donnent l'homme, sans l'intermédiaire des anges, est
une entière adhésion à tout ce que d'autres élevée par l'Esprit-Saint à un tel ravissement,
ont avant eux observé et écrit. 11 n'est donc qu'elle contemple la cause et l'origine des
pas étonnant que leur regard n'ait pu percer futurs contingents dans la source et le prin-
la nuit et la révolution des temps, ni se fixer cipe de toutes choses. Quant aux esprits de
sur ce laps de siècles qui semblable à un fleuve malice, qui sont répandus dans l'air, ils ne
rapide entraîne le genre humain, et porte connaissent ces divers événements que par la
chaque individu vers sa fin particulière. Car prédiction qu'en font les anges et les hommes,
ici l'histoire nous fait complètement défaut, ne les connaissent même qu'autant que
et ils
puisque nul ne saurait connaître, ni révéler lepermet Celui qui est le souverain Seigneur
les secrets de l'avenir. Les sages du paga- de tous les êtres. Enfin il peut arriver qu'un
nisme, quoique bien supérieurs au vulgaire, homme prophétise même à son insu, et par
n'ont pu eux-mêmes pénétrer ces secrets par une inspiration secrète du Saint-Esprit. Ainsi
l'effort de leur génie, ni les lire dans leurs Caïphe prophétisa, ne parlant point de lui-
sublimes conceptions de l'être suprême et même, mais parce qu'il était grand-prêtre \
éternel. Autrement, loin de s'attacher, comme 23. Nous ne saurions donc touchant la suite
les historiens, 'aux faits passés, ils ne se fus- des siècles et la résurrection des morts, nous
sent occupés que de l'avenir. C'est ce qu'ont en rapporter exclusivement même à ceux des
fait ceux que les païens nomment devins, et philosophes païens qui, autant qu'ils l'ont pu,
que les chrétiens appellent prophètes. ont reconnu le Dieu éternel et créateur en qui
nous avons le mouvement et la vie -. Car ayant
CHAPITRE XVII. connu Dieu par tout ce qui a été fait, ils ne
l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont
LES PHILOSOPHES ET LA RÉSURRECTION.
point rendu grâces. Mais en se disant sages,
22. Néanmoins il faut avouer que le nom ils sont devenus fous ^ C'est pourquoi ces phi-

de prophètes n'était pas entièrement inconnu losophes n'ont jamais pu contempler l'être
aux païens. Mais quand il s'agit de prophéties, spirituel, immuable et éternel, d'un regard qui
il important d'établir plusieurs distinctions.
est pénétrât jusque dans le sanctuaire secret de
Et d'abord on peut conjecturer l'avenir par la la sagesse et de la providence où sont contenus

connaissance du passé. Ainsi l'expérience aide les divers événements que doit amener la suite
beaucoup les médecins dans leurs prévisions, des siècles. Là par rapport à Dieu, ces événe-
Rom. I, 20. ' Jean, Xl, 51. — ' Act. xvii, 28. — ' Uom. I, 21, 22.
. ,

LIVRE IV. — INCARNATION DU VERRE. 417

ments sont tout ensemble présents, passés et l'opposé de la maladie néanmoins nul ;

cteuégardàriiomme,
futurs; maissurla terre, ne peut amener la guérison, s'il ne se met en
ils sont seulement futurs et contingents. De rapport avec la maladie elle-même. C'est
plus, ces mêmes philosophes étaient égale- ainsi que les mêmes préoccupations du temps

ment incai)ables d'apprécier les résultats heu- et de qui amusent l'homme faible et
la terre

reux par lesquels toutes choses coopèrent au malade, quand elles sont inutiles, le disposent
bien et à la perfection de l'homme, en son cà un meilleur état, quand elles sont utiles, et

corps comme en son àme. le conduisent enfin aux pensées éternelles,


Pour suppléer en eux à cette impuissance quand il est entièrement guéri. Or, si notre
personnelle de percevoir l'avenir, il eût fallu âme, une fois purifiée, doit s'adonner à la

que les saintsanges vinssent les en instruire. méditation des vérités éternelles, ne peut elle

Mais Dieu lésa jugés indignes de cette faveur, cependant obtenir cette purification que par
et les esprits célestes ne leur ont rien fait con- des moyens temporels. Aussi un des sages de
naître soit par des signes extérieurs et sensi- la Grèce a-t-il dit «que la vérité est à la foi ce
bles, soit par des visions Imaginatives ou intel- cr que l'éternité est à la création ».
lectuelles. Nos pères au contraire, les patriar- Et cette sentence est bien vraie, puisque ce
ches et les prophètes, ont mérité par l'ex- philosophe entend par création tout ce qui est
cellence de leur piété, de recevoir la révélation soumis à l'action du temps. Mais n'est-ce point
de l'avenir et par des miracles opérés en
: là le véritable état de l'homme ? et n'est-il
preuve de leur inspiration, ou par la réalisa- point sujet au changement en son àme comme
tion des prophéties peu après accomplies, ils en son corps ? on ne saurait en effet nommer
ont donné à leurs prédictions d'événements éternel rien de ce qui est tant soit peu mobile
éloignéset lointains une autorité qui subsistera et changeant. C'est pourquoi moins l'homme
jusqu'à la fin du monde. Quant aux esprits de est fixe et stable, moins il est éternel. Toute-
malice, répandus dans l'air, esprits orgueil- fois on nous promet de nous conduire par
leux et trompeurs, ils ont bien pu par la la vérité à la vie éternelle mais notre foi s'é- ;

bouche de leurs prêtres répéter sur la société loigne autant de cette vérité que notre morta-
sainte des élus et sur le vrai Médiateur plu- lité est distante de l'éternité. Il faut donc que

sieurs des choses qu'ils en avaient entendu l'homme embrasse fermement la croyance
dire aux anges, ou aux prophètes. Leur but en des mystères qui pour lui ont été opérés dans
cela était d'entraîner dans l'erreur, s'ilsle pou- le temps, afin que par cette croyance il soit
vaient, les serviteurs de Dieu, en les séduisant purifié de la tache du péché. Et puis, lors-
par renonciation de quelques vérités. Mais le qu'il sera parvenu à la vision intuitive, îa
Seigneur, même à leur insu, a réalisé parmi vérité succédera à la foi, et l'éternité à la
eux un tout autre dessein, et il a fait ainsi mortalité. Ainsi notre foi deviendra vérité
publier en tous lieux la vérité, afin de fortifier quand nous posséderons
pleine et enUère,
les adorateurs et de confondre les impies. nous est promise et
cette vision parfaite qui ;

de même on nous promet une vie éternelle.


CHAPITRE XVIII. Car la Vérité non la vérité qui grandira
,

BUT DE l'incarnation. la foi , mais la Vérité qui est souveraine


et infaillible ,
parce qu'elle est éternelle
24. Ainsi l'homme est incapable de s'élever la Vérité La vie éternelle est de
a dit : «

par lui-même jusqu'aux choses éternelles. « vous connaître vous le seul Dieu véri- ,

Car son esprit est courbé sous le poids du table, et Jésus-Christ que vous avez en-
péché, et enchaîné par l'amour des biens de la « voyé » *

terre, de même que son corps est assujéti à la Ainsi lorsque notre foi deviendra "érité par
mort par suite de la souillure originelle. Il a notre corps mortel sera
la vision béatifique,
donc besoin Or cette purifica-
d'être purifié. transformé et rendu immortel. Mais en atten-
tion, qui doit nous mettre en communication dant ces merveilleuses opérations delà grâce,
avec les choses éternelles ne peut s'effectuer
, et même pour les réaliser, nous devons don-
qu'au moyen des mêmes affections terrestres ner l'assentiment de notre foi aux mystères
qui captivent nos sens et obscurcissent notre qui se sont accomplis dans le temps, de même
intelligence. Et en effet, la santé est tout '
Jean, xvit, 3.

S. AcG. — Tome XH. 27


,

418 DE LA TRINITÉ.

que nous espérons en posséder un jour dans quels maux la vérité pouvait-elle les délivrer, si
l'éternitéla vision pure et distincte. C'est ce n'est de la mort, de la corruption et de l'insta-
pourquoi le Fils de Dieu, qui est la vérité bilité? car d'une part le propre de la vérité est
suprême et qui est co-élernel au Père a
, , d'être immortelle, incorruptible et immuable,
daigné venir parmi nous, afln d'unir dans un et de l'autre la véritable
immortalité, la véri-
rapport ineffable la foi qui est l'exercice de table incorruptibilité et l'immutabilité vérita-
notre vie mortelle qui sera Tapa-
, et la vérité ble ne sont que l'éternité.
nage de notre vie immortelle. Et en effet, il
est venu se faisant Fils de l'homme, et s'il de- CHAPITRE XIX.
mande que nous ayons foi en lui c'est pour ,
ÉGALITÉ DU FILS DE DIEU AVEC SON PÈRB.
que cette foi nous conduise à la possession de
sa vérité propre et substantielle. Car en pre- 25. Voilà quel est l'objet de la mission du
nant l'infirmité de notre chair mortelle, il n'a Fils de Dieu, ou plutôt quelle est la mission
point dépouillé son éternité. La vérité estdonc du Fils de Dieu. Et en effet tous les mystères
,

à la foi ce que l'éternité est à la création et ; de la grâce n'ont pour but que d'affermir notre
l'œuvre de notre purification exigeait que le foi, et par cette foi de nous purifier de nos
Dieu qui est éternel, parût dans le temps, afin péchés, afin de nous conduire à la contempla-
que notre foi n'eût point un objet différent de tion de la vérité. Mais tous ces mystères, soit
celui qu'elle verra un jour dans tout l'éclat de que nous les considérions arrêtés en Dieu de
la vérité. toute éternité, pour se produire dans le temps,
Néanmoins l'homme faible et mortel ne soit que nous les étudiions réalisés dans le
pourrait jamais arriver par lui-même à l'éter- temps et par rapport à l'éternité, ne se produi-
nité, sile Fils de Dieu, en prenant notre mor- sent devant nos yeux que comme autant de faits
talité, ne nous eût attiré à son éternité propre. qui rendent témoignage à cette mission du
Mais aujourd'hui notre foi pénètre dans les Fils de Dieu ou plutôt qui sont cette mission
,

cieux à la suite de Jésus-Christ, en qui elle elle-même. De plus, ces faits se divisent en deux
croit fermement, qui est né, qui est mort, est classes ceux qui ont annoncé l'avénement du
:

ressuscité , et De ces
est monté aux cieux. Christ en la chair, et ceux qui prouvent que
quatre faits, nous savons bien que deux se cet avènement a eu lieu. Il convenait en effet
réalisent à notre égard, car qui ignore que que Celui par qui toute créature a été faite,
l'homme naît et meurt? Quant aux deux der- eût toutes les créatures pour témoins de sa
niers, c'est-cà-dire la résurrection et l'ascension, naissance mortelle etsi le Rédempteurunique
;

ils sont l'objet de notre espérance ,


parce que du genre humain n'eût été annoncé par un
nous croyons en Celui en qui ils se sont accom- grand nombre d'envoyés, comment eût-il seul
plis.La nature humaine a pris en Jésus-Christ brisé les fers d'un si grand nombre de captifs
possession de l'éternité ; c'est pourquoi notre et d'esclaves ? Ajoutons encore que s'il ne s'était
corps lui-même participera à cette éternité entouré de témoignages qui par leur évidence
lorsque notre foi sera transformée en la pléni- et leur sublimité subjuguent nos esprits faibles
tude de la vérité. C'est ce que nous enseigne et infirmes, nous ne croirions pas en lui. Mais
la parole suivante de Jésus-Christ. Comme il parce que nous y croyons, celui qui est grand
voulait affermir ses apôtres en la foi, afin de nous élève jusqu'à sa propre grandeur; et
les amener à la vérité, et parla vérité les déli- c'est lemême Dieu qui s'est fait petitpour des-
vrer de la mort et les conduire cà l'éternité cendre jusqu'à la petitesse de l'homme. Sans
bienheureuse, il leur disait « Si vous persé- : doute le ciel, la terre et toutes les créatures
« vérez en ma parole, vous seree vraiment mes qui sont l'ouvrage du Fils de Dieu, rendent
« disciples». Et puis il ajouta, comme s'ils lui à sa puissance un témoignage évidemment
eussent demandé quel serait le fruit de cette supérieur à celui des signes et des miracles
persévérance : « Vous connaîtrez la vérité ». qui ont prédit ou qui ont attesté son avène-
Mais parce qu'ils pouvaient encore se dire à ment; et toutefois les hommes faibles et petits
eux-mêmes eh quel besoin un : ! homme a-t-il n'ont considéré ce premier témoignage comme
delà vérité ? le divin Sauveur conclut par ces véritablement grand, qu'en estimant le second
^mots: « Et la vérité vous délivrera '
», Or de grand dans son infériorité.
'Jean, viii, 31, 32. :2(). « Lors donc que la plénitude des temps
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 410

« fut arrivée, Dieu envoya son Fils formé d'une que l'un est Père et que l'autre est Fils rien ,

« femme, et assujéti à la loi *


». Ainsi le Fils ne peut s'opposer à ce que nous reconnais-
de Dieu s'est abaissé jusqu'cà être formée et il sions le Fils consubstantiel et coéternel au
a été envoyé dans le monde, puisqu'?7 a été Père, quoiqu'il en ait reçu sa mission. Dans le
assujéti à la loi. Mais s'il n'appartient qu'à dogme catholique le Père n'est point supé-
un supérieur d'envoyer un inférieur, nous de- rieur au Fils, et le Fils n'est point inférieur au
vons ici avouer que le Fils de Dieu est infé- Père ; mais l'un est principe générateur et
rieur à Dieu le Père. Il lui est même d'autant l'autre est engendré le Fils est envoyé par
;

plus inférieur qu'il a été formé d'une femme Celui qui l'engendre, et le Père envoie Celui
et qu'il a été assujéti à la loi. Oui, ce Fils que à qui il communique l'être. Et en effet, le Fils
Dieu a qui a été formé (Tune femme,
envsoyé., et procède du Père, non le Père du Fils. Aussi
et
est le même par qui toutes choses ont été est-il facile de comprendre qu'on puisse dire
faites. Il existait avant que d'être envoyé et que le Fils a été envoyé, non parce que le
formé d'une femme et nous le reconnais-
, Verbe s'est fait chair, mais pour qu'il se fît

sons égal au Père qui Fenvoie. Toutefois sous chair, et qu'en prenant la nature accomplît il

ce dernier rapport nous n'hésitons pas à dire les oracles de l'Ecriture. Dans ce sens le Fils
qu'il lui est inférieur. de Dieu n'est pas seulement envoyé comme
Mais comment les patriarches et les prophè- homme, le Verbe même est envoyé pour se faire
pu le voir par le ministère des anges
tes ont-ils homme. En effet le Fils est dit envoyé, non
avant que fût arrivée cette plénitude des parce qu'ilest inférieur au Père en puissance
temps où il devait être envoyé, puisque même eten nature, ou parce qu'il lui est inégal en
après son avènement en la chair, il n'était point quelque chose, mais parce que comme Fils il
connu comme égal à son Père? Et en effet est engendré du Père, tandis que le Père ne
saint Philippe, comme tous les autres, et procède point du Fils.
comme les bourreaux eux-mêmes qui cruci- Au reste le Verbe ou
de Dieu est le Fils
fièrent Jésus-Christ , le voyait en sa chair, et aussi appelé sa Sagesse, Est-il donc étonnant
néanmoins il dit à ses apôtres « Il y a si long- : qu'il soit envoyé non comme inégal au Père,
cetemps que je suis avec vous, et vous ne me mais comme « une parfaite émanation de la
« connaissez pas ? Philippe, celui qui me voit, « clarté du Tout-Puissant »? Or ici le rayon *

a voit aussi mon Père


de Dieu était
». Le Fils qui émane et le foyer d'où il se répand sont
donc vu, et il n'était pas vu. Il était vu entant de la même nature car ce n'est point une
,

qu'il était envoyé et formé d'une femme, et il source d'eau vive qui jaillit des veines de la
n'était pas vu en tant qu'il était le Verbe par qui terre, ou des flancs d'un rocher, mais une lu
toutes choses ont été faites. Il disait encore : mière qui s'échappe du sein de la lumière.
« Celui qui a mes commandements et qui les Aussi lorsque nous disons que le Verbe « est
« garde, c'est celui-là qui m'aime. Or celui « la splendeur de la lumière éternelle », vou-
c( qui m'aime sera aimé de mon Père ; je Faime- lons-nous signiûer qu'il est lumière de lu-
« rai aussi, et je me manifesterai à lui ^ » . Mais mière éternelle. Car la splendeur de la
comment eût-il pu tenir ce langage lorsqu'il lumière n'est pas autre que la lumière elle-
se montrait comme homme à tous les regards, même. C'est pourquoi elle est coéternelle à la
si sous les dehors de la chair il n'eût présenté lumière dont elle est la splendeur. Seulement
à la foi ce même Verbe qui dans la plénitude Fauteur sacré a dit plutôt splendeur de lu-
des temps avait été formé de la femme ? Quant mière que lumière de lumière, afin qu'on ne
à la divinité de ce Verbe par qui toutes choses crût pas qu'il supposait quelque infériorité en-
ont été faites , il la réserve pour être dans tre la lumière et le rayon qui s'en échappe.
l'éternité la vision de Fàme purifiée par la Et en effet, dès que celui-ci est la splendeur de
foi. la lumière, ildevient plus facile d'admettre
CHAPITRE XX. qu'il lui doit son éclat que de supposer qu'il
lui soit inférieur.
MISSION DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT.
Cependant il n'était pas à craindre que l'on
27. Et maintenant, nous voulons dire que
si en vînt à regarder la lumière comme moin-
le Fils a été envoyé par le Père, en ce sens dre que le rayon qu'elle engendre, carjus-
'
Gai. IV, 1. — Jean, xiv, 9, 21. '
Sag. VII, 25.
420 DE LA TRINITÉ.

qu'ici aucun hérétique n'a avancé un tel para- converser avec les hommes, ni s'épancher en
doxe, et il probable que jamais on n'osera
est eux , comme
déjà elle l'avait fait à l'égard
le faire. Mais parce que nous pourrions peut- des patriarches et des prophètes mais c'était ;

être penser que le rayon est moins éclatant pour prendre la nature humaine, en sorte que
que la lumière qui le produit, l'Ecriture pré- le Verbe divin devînt Fils de l'homme. Tel est

vient cette objection, et dissipe tous nos doutes ce mystère de l'Incarnation dont la révélation,
en disant que le Verbe est la splendeur du avant même qu'elle se réalisât dans le sein vir-
Père^ c'est-à-dire de la lumière éternelle. Elle ginal de Marie, a été le principe du salut pour
affirme ainsi l'égalité parfaite du Père et du les saints et les justes qui ont vécu sous l'An-

Fils. Supposons en que le rayon soit in- effet cien Testament, et qui sont nés de la femme;
férieur à la lumière, il en sera l'obscurcisse- Et aujourd'hui encore ce même mystère ac-
ment et non la splendeur. Si au contraire il compli et publié dans l'univers entier, est la
lui est supérieur, comment pourrait-il en être sanctification de tous ceux qui en font l'objet
la production, puisqu'alors l'effet serait plus de leur foi, de leur espérance et de leur
grand que la cause? Mais parce que le Verbe amour. Il est en effet « ce grand sacrement
est le rayon qui émane de la lumière éter- « d'amour qui s'est montré dans la chair, qui

nelle, il ne lui est pas supérieur, et parce «a été autorisé par l'Esprit, manifesté aux
qu'il en est la splendeur et non l'obscurcisse- « anges prêché aux nations , cru dans le
,

ment, il ne lui est pas inférieur; donc il lui « monde


et élevé dans la gloire ». '

est égal. Au reste, ne nous troublons point en Le Verbe de Dieu est donc envoyé par
28.
lisant quedivine est « une éma-
la sagesse Celui dont il est le Verbe ; et le Fils est
« du Tout-Puissant», car
nation de la clarté envoyé par le Père qui l'a engendré ainsi ;

presque immédiatement il est dit a qu'elle est encore le Père qui engendre, envoie, et le
« unique et qu'elle peut tout '
». Or, qui est le Fils qui est engendré, est envoyé. Bien plus,
Tout-Puissant, si ce n'est Celui «jui peut tout? ce même Verbe est envoyé à tout homme qui
Ainsi la Sagesse divine est envoyée par le le connaît et qui le comprend, du moins, au-
Père de qui elle émane. C'est ce que recon- tant que notre esprit peut le connaître et le
naît Salomon dans la prière suivante qu'il comprendre en raison de ses progrès et de
adressait au Seigneur. Epris d'amour pour son avancement dans les voies spirituelles.
cette Sagesse, et désireux de la posséder, il Il ne serait pas exact de dire que le Fils est en-

s'écriait Envoyez-là du ciel, votre sanc-


: « voyé, en tant qu'il est engendré du Père, mais
« tuaire, et du trône de votre grandeur, afin en tant qu'il a paru dans le monde revêtu de
«qu'elle soit avec moi, et qu'elle agisse avec la nature humaine. C'est en ce sens qu'il a dit
« moi ^ ». C'est-à-dire afin qu'elle m'enseigne lui-même « Je suis sorti de mon Père, et je
:

à travailler utilement, car sans elle les travaux « suis venu dans le monde S). On peut aussi

de l'homme sont stériles et infructueux, tan- affirmer que le Verbe multiplie dans le temps
dis qu'avec elle deviennent féconds en ver-
ils sa mission céleste, toutes les fois que notre
tus et en bonnes œuvres. Toutefois l'envoi esprit le perçoit selon cette parole de Salo-
,

ou la mission de la Sagesse divine est bien mon Envoyez, Seigneur, votre Sagesse,
: «

différente selon qu'elle est envoyée à l'homme « afin qu'elle soit avec moi et qu'elle travaille
ou qu'elle-même se fait homme. C'est elle en « avec moi ».
effet qui « se répand dans les âmes saintes, Car le Verbe qui est engendré de toute éter-
c( qui fait les amis de Dieu et les prophètes'*», nité, est lui-même éternel, puisqu'il est « la
qui remplit les esprits célestes, et qui les em- a splendeur de lumière éternelle ». la

ploie de la manière la plus convenable à l'exé- Nous disons au contraire qu'il est envoyé
cution de ses volontés. Mais quand la pléni- dans le temps, parce qu'il s'est fait connaître
tude des temps fut arrivée, cette même Sagesse aux hommes; aussi celte mission du Fils de
descendit sur la terre, non pour remplir les Dieu ne s'est-elle véritablement réalisée que
anges, ni devenir elle-même un ange, si ce le jour où, dans la plénitude des temps, il
n'est en ce sens que le Verbe nous a révélé les naquit de la femme et se montra en la nature
conseils éternels du Père, qui sont aussi ses humaine. « En effet, le monde avec sa propre
jiropres conseils. Ce n'était pas non plus pour « sagesse n'ayant pu connaître la sagesse de

' Sag. VII, 25-27, — ' Id. ix, 10. — ' Id. vit, 27. '
I Tim, m, 16. — » Jean, XVI, 28.

LIVRE IV. — INCARNATION DU VERRE. 421

« Dieu, parce que la lumière luit dans les té- «Recevez le Saint-Esprit^ ». Car ce souffle
« nèbres, et que les ténèbres ne la reçoivent matériel et sensible qui des lèvres du Sauveur
« pas, il a plu à Dieu de sauver par la folie de se répandit sur le visage des apôtres, n'était
« la prédication ceux qui croiraient en lui ». point la personne même du Saint-Esprit ; et
C'est pourquoi « le Verbe s'est fait chair et a nous ne devons y voir qu'un signe exprimant
« habité parmi nous^ ». Cependant lorsque ce que cet Esprit divin procède également du
même Verbe est perçu dans le temps par notre Fils, comme du Père.
lutelligence, on peut bien dire tout ensemble Et en effet, qui serait assez insensé pour
qu'il est envoyé, et qu'il n'est pas envoyé dans avancer que l'Esprit-Saint, qu'ici Jésus-Christ
le monde, car il ne se montre point à nous sous donne en soufflant sur ses apôtres, n'est pas
une forme sensible; c'est-à-dire qu'il n'est point le même que celui qu'il leur envoya après son
aperçu des yeux du corps. C'est ainsi que nous- ascension? Car il n'y a qu'un seul Esprit de
mêmes ne sommes plus en quelque sorte Dieu, qui est l'Esprit du Père et du Fils et ;

dans le monde, quand notre intelligence s'a- c'est cet Esprit divin qui opère toutes choses
bîme, autant qu'elle le peut, dans les profon- en tous ^. Quant au mystère de ces deux mis-
deurs de l'élernité. C'est encore dans le môme sions, j'en dirai plus tard quelque chose, se- ,

sens que les justes ici-bas, quoique vivant en Ion que Dieu me l'inspirera mais pour le :

la chair, ne sont plus du monde, parce que moment, il suffit d'observer que Jésus-Christ,
leur esprit est tout absorbé dans les choses di- en disant «L'Esprit que je vous enverrai delà :

vines. Cependaot, nous ne disons point que le « part du Père ^ », veut prouver à ses apôtres
Père soit envoyé, quoique dans le temps il se que cet Esprit procède du Fils non moins que
révèle aux hommes. La raison est qu'il est à du Père. Précédemment il leur avait dit que
lui-même son propre principe, et qu'il ne « le Père l'enverrait au nom du Fils * ». Mais

procède d'aucune autre personne divine. Tout il n'avait point dit que ce serait de la part du

au contraire la Sagesse, ou le Verbe dit « Je Fils, comn'e il avait dit qu'il l'enverrait, lui,
:

« suis sorti de la bouche du Très-Haut » et « de la part du Père ». Ainsi faisait-il enten-


;

il est dit de l'Esprit-Saint « qu'il procède du dre que le Père est dans les deux autres per-
« Père - ». Mais le Père ne procède d'aucune sonnes divines le principe de la divinité, ou,
de ces deux personnes. si Ton aime mieux, de la déité.

29. Ainsi le Père engendre et le Fils est en- Ainsi l'Esprit-Saint, qui procède du Père et
gendré et de même le Père envoie et le Fils
; du Fils, a pour principe le Père par qui le
est envoyé. Mais ici celui qui engendre et Fils est engendré et quant à cette parole de :

celui qui est engendré, celui qui envoie et l'Evangéliste « Le Saint-Esprit n'était pac :

celui qui est envoyé ne sont qu'un, parce que « encore donné parce que Jésus n'était pas ,

le Père et le Fils ne sont qu'un K Ainsi en- «encore glorifié^», elle signifie seulement
core le Saint-Esprit est un avec le Père et le que cette mission, ou envoi de l'Esprit-Saint,
Fils, parce que les trois personnes divines ne qui s'opérerait après la glorification du Christ,
sont qu'un seul et même Dieu. Nous disons serait plus éclatante que celles qui déjà avaient
également que le Fils est né du Père, parce eu lieu. Et en effet, l'Esprit-Saint avant cette
qu'il a été engendré du Père, et qu'il a été solennelle effusion, était souvent communiqué
envoyé par le Père, parce qu'il nous a fait aux hommes, mais non de la même manière.
connaître le Père de même le propre de ; Car, dites-moi au nom de qui les prophètes
l'Esprit-Saint est qu'il procède du Père , et il ont-ils parlé, s'ils n'ont point reçu ce divin
est dit envoyé par le Père, lorsqu'il nous fait Esprit? Aussi, l'Ecriture dit souvent et expres-
connaître celui dont il procède. Toutefois il sément qu'ils ont parlé par l'inspiration du
serait inexact d'affirmer que l'Esi)rit-Saint ne Saint-Esprit. Elle l'assure spécialement de
procède point du Fils, puisqu'il est appelé Jean-Raptiste, dont elle dit « qu'il sera rempli
dans l'Ecriture l'Esprit du Fils, non moins que du Saint-Esprit dès le sein de sa mère » et Cl
;

l'Esprit du Père. C'est d'ailleurs ce que Jésus- parce que Zacharie, son père, fut également
Christ lui-même voulut nous faire entendre, rempli du même Esprit, il prophétisa l'avenir
quand il souffla sur ses apôtres, leur disant : du saint précurseur. C'est encore par l'inspi-

' 1 Cor. I, 21
; Jean, l, 5, 11.— ' Eccli. iiiv, 5 ; JedJ, xv, 26. ' Jean, iX, 22. — = 1 Cor. xil, 6. — '
Jeau, xv, 26. — *
Id. xiv '
' Jean, s, 30. 26. — ' Id. VII, 39.
.

422 DE LA TRINITÉ.

ration du Saint-Esprit, que Marie glorifia le mer qu'avant le baptême de Jésus-Christ et


Dieu qu'elle portait en son sein, et que le le jour de Pentecôte de semblables appari-
la
vieillard Siméon et Anne la propbétesse recon- tions n'aient pu avoir lieu. Mais je dis en toute
nurent le divin Enfant et en publièrent les assurance que le Père, le Fils et l'Esprit-Saint
grandeurs ^ n'ont qu'une seule et même nature, qu'il n'y
Comment donc révangéliste a-t-il pu dire a qu'un seul Dieu créateur, et que les œuvres
que « l'Esprit-Saint n'était pas encore donné, de la toute-puissance divine appartiennent in-
« parce que Jésus n'était pas encore glorifié », séparablement aux trois personnes de la Sainte
si ce n'est dans le sens qu'il devait, au jour Trinité. Toutefois ce mystère ne saurait être
de la Pentecôte, se répandre et se donner avec invinciblement démontré par aucun des signes
une effusion et une solennité inconnues jus- ou figures que nous empruntons aux créatures
qu'alors? Et en effet l'Ecriture ne dit nulle , sensibles et matérielles, tant celles-ci s'éloi-
part qu'avant ce jour, l'Esprit-Saint ait com- gnent de Dieu et lui sont inférieures.
muniqué le don des langues. Mais il le fit à Cette même impuissance se fait encore remar-
regard des apôtres, afin de leur donner un quer dans notre langage. Car la parole, qui fait
signe sensible de sa venue ; il voulut aussi entendre un son matériel ne peut nommer que
montrer par là que tous les peuples, quoique séparément le Père le Fils et le Saint-Esprit
,
;

divisés de langage et de nationalité, devaient et elle est ainsi forcée de mettre comme quel-
tous croire en Jésus-Cbrist [)ar la grâce de que inégalité entre les trois personnes divines,
l'Esprit-Saint. Au reste, c'est cette unité en la puisqu'elle n'en prononce le nom que succes-
loi qu'avait annoncée le psalmiste, quand il sivement, et à des intervalles plus ou moins
s'écriait « Il n'est point de langues ni d'idiô-
:
rapprochés. Cependant, parce que le Père, le
« mes dans lesquels on n'entende la voix du Fils n'ont qu'une seule et
et l'Esprit-Saint
« Seigneur. Son éclat s'est répandu dans tout même nature, ne sont qu'un seul Dieu, et
ils
« l'univers, et elle a retenti jusqu'aux extré- ne peuvent avoir avec les créatures aucun
« mités de la terre ^ » rapport de mobilité, ni d'espace ni de durée.
CHAPITRE XXI. Les trois personnes divines existent de toute

RÉVÉLATIONS SENSIBLES DU SAINT-ESPRIT. — éternité, et elles existeront éternellement, car


en Dieu l'éternité ne saurait se concevoir sans
RÉSUMÉ.
la vérité et sans l'amour. Lorsqu'au contraire
30. y a donc eu dans le Verbe comme
Il
je nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit, je
mélange et fusion de la nature divine et de
les nomme séparément, et quand j'écris ces
la nature bumaine pour former une seule trois noms, je suis contraint de les écrire sé-
personne et ce mystère s'est accompli lors-
:
parément. Au reste la même difficulté se pré-
que dans la plénitude des temps le Fils de sente au sujet des facultés de notre âme. Et
Dieu fut envoyé, afin que naissant de la femme, en effet, si je nomme la mémoire, l'intelli-
il devînt pour le salut des bommes fils de gence et la volonté, je rapporte chacun de ces
l'bomme. Sans doute l'ange a bien pu avant noms à une faculté spéciale de mon âme,
l'Incarnation annoncer et représenter ce divin quoiqu'on réalité cette âme soit une et indi-
Sauveur, mais il ne lui a jamais été permis de visible. Sans doute dans le langage, on dis-
se substituer à sa personne. Et maintenant tingue la mémoire, l'inteUigence et la volonté ;

que dire de la colombe


des langues de et mais dans l'opération, ou action extérieure,
feu qui signalèrent la présence de l'Esprit- on reconnaît que tout est commun à ces
Saint ? Ce n'étaient que des symboles puis- trois facultés. Ainsi en est-il de la sainte Tri-
qu'il existe entre le Père, le Fils et l'Esprit- nité. Elle a parlé tout entière par le Père,
Saint une entière égalité de nature, et une s'est incarnée par montrée dans
le Fils, et s'est
même éternité. La créature se montra alors le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe.
docile et obéissante pour représenter i)ar ses Toutefois nous ne laissons pas que de rappor-
mouvements et ses formes cet Esprit divin et ter individuellement à chaque personne ces
immuable, mais elle ne lui fut point unie, différentes actions. Cette explication peut en
comme dans l'Incarnation la nature humaine quelque sorte nous faire comprendre com-
l'a été au Verbe fait chair. Je n'ose donc affir- ment les trois personnes de la sainte Trinité,
' Luc, I, )5-38, II, 25, 41-79. — -
Ps. .sviiî, 1, 5. quoique réellement inséparables, peuvent
LIVRE IV. — INCARNATION DU VERBE. 423

néanmoins agir séparément par l'intermé- n'y aurait point eu unité de personne, comme
diaire des créatures visibles, et comment en- dans le Verbe né d'une Vierge. Car qui oserait
core la même action, qui au dehors se rapporte dire que la créature, quelle qu'elle fût, qui re-
spécialement au Père, au Fils, ou au Saint- produisait la voix du Père, fût Dieu le Père, et
Esprit, est cependant l'action commune et in- que la colombe ou les langues de feu qui
divisiblede la Trinité entière. symbolisèrent la présence de l'Esprit-Saint,
31. Si vous me demandez maintenant quel fussent cet Esprit lui-même ? En toute hypo-
fut avant l'Incarnation l'agent qui mettait en thèse, il ne s'agit ici que d'une figure et d'un
mouvement les paroles, les figures et les sym- signe que Dieu dirigeait selon son bon plaisir.
boles qui annonçaient ce mystère, je vous di- Au reste, il me paraît également difficile d'as-
rai que Dieu y employait le ministère des signer à ce miracle une meilleure explication,
anges, comme je pense l'avoir suffisamment et téméraire d'affirmer qu'on ne peut lui en
prouvé par divers passages des saintes Ecri- trouver une autre. Toutefois je m'abstiens en
tures. Mais comment s'est accomplie l'Incar- ce moment de prouver mon sentiment, et je le
nation ? Je réponds à cette seconde question ferai plus tard, autant que Dieu m'en donnera
en affirmant que le Verbe de Dieu s'est fait la force; car je dois auparavant discuter et ré-
chair, c'est-à-dire qu'il s'est fait homme. Tou- que les hérétiques
futer les diverses objections
tefois la nature divine n'a point été changée, tirent non pas de nos livres saints mais du ,

ni transformée en la nature humaine mais ; raisonnement humain, et par lesquelles ils


l'une et l'autre subsistent en une seule per- accommodent à leurs erreurs les témoignages
sonne, qui est tout ensemble Fils de Dieu et des Ecritures qui établissent la divinité du
fils de l'homme. Comme tous les hommes, le Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Verbe incarné a réellement un corps, et 32. Quant à l'égalité des trois personnes,
il possède une âme raisonnable; et nous le je crois avoir suffisamment prouvé que pour
nommons Dieu en raison de sa nature divine, avoir été envoyé par le Père, le Fils n'est point
et homme en raison de sa nature humaine. inférieur au Père, et que l'Esprit-Saint n'est
Vous est-il difficile de comprendre ce mystère? inférieur ni au Père, niau Fils, quoiqu'il soit
purifiez votre esprit par la foi, par la fuite du envoyé par le Père et par le Fils. Ce terme de
péché et par le soin des bonnes œuvres joi- ;
mission ou d'envoi doit s'entendre du corps
gnez-y encore la prière et les saints désirs de humain qu'a pris le Verbe, et de la créature
la piété, et bientôt, soutenu parle secours di- sous laquelle l'Esprit- Saints'est montré ou :

vin de la grâce, vous arriverez à l'amoureuse plutôt nous rappelle que le Père est le
il

intelligence de ces hautes vérités. principe des deux autres personnes, et il ne


Mais après l'Incarnation, comment la voix désigne dans la Trinité aucune inégalité de
du Père s'est-elle fait comment
entendre, et nature, ni aucune différence de perfection.
montré sous une forme
l'Esprit-Saint s'est-il Et en etîet, supposons que Dieu le Père ait
corporelle Tout d'abord j'affirme que ce pro-
? voulu se faire voir sous une forme corporelle,
dige s'est opéré à l'aide d'une créature. Ce- il n'en sera pas moins absurde de dire qu'il a

pendant je n'ose assurer ni que cette créature été envoyé par le Fils qu'il a engendré, ou
fut seulement un corps matériel, ni qu'elle par l'Esprit-Saint qui procède de lui. Je ter-
n'était point mise en mouvement par cet mine donc ici ce quatrième livre, et dans les
agent spirituel que les Grecs nomment esprit, suivants, avec la grâce de Dieu, je me propose
et qui sans être une âme, serait doué d'intelli- d'exposer et de réfuter les subtils arguments
gence et de raison. Mais même en ce sens, il de mes adversaires.
LIVRE CINQUIÈME.
Réfutation des Ariens. — Rapportant à la substance de Dieu tout ce que l'Ecriture affirme de la relation es personnes ils en
concluaient que le Fils étant engendré par le Père, lui était par cela seul inférieur. — Saint Auirustin leur répond que les
relations diverses qui existent entre les personnes divines, n'altèrent aucunement en
la substance, ou nature, et qu'il
elles
règne entre elles une égalité parfaite. —
11 prouve sa thèse par Pexplication de divers passages de l'Ecriture et aussi par ,

quelques comparaisons ou similitudes qu'il emprunte aux créatures, et il termine en avouant combien est grande l'impuis-
sance du langage humain quand il s'agit d'expliquer le mystère de la Sainte Trinité.

CHAPITRE PREMIER. sant à lui-même, ne saurait s'apprécier par


aucune comparaison avec les créatures visi-
DIEU EST IMMUABLE ET INCORPOREL.
bles et changeantes, mortelles et indigentes.
1. J'aborde un sujet où le langage chez tout Ne nous en étonnons point, puisque dans l'é-
homme, et principalement chez moi, ne saurait tude des phénomènes du corps et des sens, et
rendre exactement la pensée. Bien plus, cette dans l'exphcation de ceux de la conscience, la
pensée elle-même, quand elle se fixe sur le science de l'homme se fatigue beaucoup et
mystère de la Sainte Trinité, sent tout d'abord avance peu. Cependant les recherches aux-
combien elle est au-dessous de Dieu, et com- quelles se livre la piété chrétienne touchant ks
bien encore elle est impuissante à le compren- choses divines et surnaturelles, ne sauraient
dre tel qu'il est. Et en effet nul homme, fùt-il être vaines et inutiles, si elle évite de s'appuyer
l'égal du grand Apôtre, ne peut voir Dieu que orgueilleusement sur ses propres forces, et si
« comme dans un miroir, et sous des formes elle se laisse diriger et conduire par la grâce

«obscures * ». Cependant nous devons tou- du Dieu qui est tout ensemble le créateur et
jours diriger nos pensées vers ce Dieu qui est le sauveur de l'homme. Et eu effet, comuient
notre Seigneur et maître quoique nous ne ,
pourrions-nous comprendre Dieu, nous qui
puissions jamais avoir de pensées dignes de lui, ne nous comprenons pas nous-mêmes ? Toute-
etnous devons en tous les temps le bénir et le fois nous avons à cet égard une connaissance

louer, quoique nous ne puissions jamais ni le suffisante pour savoir que notre âme est par
louer, ni le bénir dignement. C'est pourquoi l'intelligence bien au-dessus de toutes les créa-
j'implore ici son secours pour bien saisir moi- tures. Mais pouvons-nous saisir dans cette
même mon sujet, et pour en donner à mes âme quelques linéaments de formes, quelques
lecteurs une facile explication. Je les prie aussi émanations d'odeur, quelque étendue d'espace,
de me pardonner les fautes qui viendraient à quelque division de parties, quelque fraction
m'échapper car si d'un côté la pureté de mes
; de quantité, et enfin quelque distance de lieu
intentions peut me rassurer, de l'autre le sen- ou de locomotion ? Certainement nous ne
timent de ma propre faiblesse me remplit de trouvons rien de semblable dans cette âme in-
crainte. Que mes lecteurs me soient donc in- telligente qui est le chef-d'œuvre de la créa-
dulgents, s'ils remarquent que mes paroles ne tion et qui selon notre capacité, nous fait
,

répondent pas toujours à ma bonne volonté, comprendre les secrets de la sagesse divine.
soit parce qu'ils comprendront mieux que moi Or, ce qui ne se rencontre point dans la plus
les choses divines, soit parce que je n'aurai noble partie de l'homme, devons-nous le cher-
pas su me bien exprimer. Quant à moi, je leur cher en Dieu, qui est infiniment meilleur que
pardonne de grand cœur si la difficulté prove- tout ce qui est en nous bon et excellent ? C'est

nait en eux d'ignorance ou de la faiblesse , pourquoi concevons Dieu, autant que nous le
d'esprit. pourrons, comme étant bon sans aucun attri-
2. Au
reste, un moyen facile de pratiquer but de bonté, grand sans aucun degré de
cettemutuelle et réciproque bienveillance, est grandeur, créateur sans aucun besoin des êtres,
de s'attacher fortement a ce principe que tout immense sans aucune dépendance des lieux
ce que l'on peut dire du Dieu immuable et ni de l'espace renfermant l'univers en lui-
,

invisible , existant par lui-même et se suffl- même sans aucun circuit ni enceinte, présent
'
1 Cor. XUI, 12. partout sans aucune déhmilation de présence.
,

LIVRE V. — RÉFUTATIOiN DES ARIENS. 425

aucun assujétissement au temps


éternel sans aux accidents, mais à la substance même. Or,
ni à la durée, auteurdu mouvement et du le Père est non-engendré selon sa substance
changement des créatures sans aucune inter- et le Fils est engendré selon la sienne car ,

ruption de sa propre immutabilité, enfin im- n'être pas engendré, et être engendré sont deux
passible et supérieur à tout accident. Penser choses toutes différentes. Donc le Père et le Fils
ainsi de Dieu, ce n'est pas, il est vrai, en com- ne peuvent être consubstantiels. Je reprends —
prendre parfaitement la nature mais c'est , cet argument, et je dis Tout ce qui s'affirme
:

pieusement éviter à cet égard tout langage er- de Dieu, s'affirme de la substance donc cette :

roné. parole « Le Père et moi sommes un », doit


:

CHAPITRE II. s'entendre de la substance ^ Donc encore le


Père et le Fils sont consubstantiels. Voulez-
DE l'essence divine.
vous au contraire ne pas rapporter cette parole
Cependant on ne saurait douter que Dieu
3. à la substance ? j'y consens, mais avouez qu'on
ne une substance, ou essence, ce que les
soit peut énoncer quelque chose de Dieu sans le
Grecs nomment hypostase. Et en effet, de même rapporter formellement àla substance. Et alors
que le mot sagesse dérive du verbe sapere, dis- qui nous force d'entendre de la substance les
cerner, et le mot science du verbe savoir, l'es- mots engendré et non-engendré ? L'Apôtre af-
sence suppose un être qui existe par lui-même. firme également du Fils de Dieu, qu'il «n'a
Or, quel est l'èlre qui réalise le mieux celte « pas cru que ce fût pour lui une usurpation

condition, si ce n'est celui qui disait à Moïse « de s'égaler à Dieu-». Or, en quoi est-il égal

son serviteur : « Je suis celui qui suis »; et en- à Dieu ? Si ce n'est pas selon la substance, il
core : c Celui qui est m'envoie vers vous * »? faut admettre, et qu'on peut parler de Dieu sous
xMais en dehors de Dieu, toute essence, ou toute d'autres rap{)orts que ceux de la substance, et
substance est soumise à divers accidents qui que rien n'oblige à entendre de la substance
l'assujélissent à une plus ou moins grande les mots engendré et non-engendré. Vous
y
mutabilité. Dieu au contraire ne saurait refusez-vous, parce que tout ce qui est énoncé
éprouver rien de semblable. Et c'est pourquoi de Dieu se rapporte forcément à la substance?
il est seul l'être souverainement immuable. je suis alors en droit d'affirmer (jue le Père et
Aussi, par cela seul qu'il ne tient l'être d'au- le Fils sont consubstantiels.
cun autre que de lui-même, le nom d'essence
lui convient parfaitement. Car on ne peut CHAPITRE IV.

dire que l'être qui est sujet au changement, TOUT ACCIDENT SUPPOSE DANS LE SUJET QUELQUE
soit toujours le même, puisque, lors même CHANGE3iENT.
qu'il n'en éprouverait aucun, la seule possibi-
litéd'y être soumis fait qu'il cesse d'être sou- 5. On appelle accident tout ce qu'un sujet
verainement immuable. Mais s'agit-il de Dieu, peut perdre par changement, ou par altéra-
j'affirme que loin d'éprouver aucun cbange- tion. Quelques accidents, il est vrai, sont in-
ment, il ne peut en aucune manière y être séparables du sujet; c'est pourquoi les Grecs
assujéti. Aussi son immutabilité est-elle une les nomment intrinsèques. Ainsi la couleur
vérité incontestable. noire est intrinsèque à la plume du corbeau.
Toutefois celle-ci cesse d'être noire du mo-
CHAPITRE III.
ment qu'elle n'est plus une plume de corbeau.
C'est que la matière elle-même est sujette au
CONSI'BSTANTIALITÉ DU PÈRE ET DU FILS.
changement; et ainsi dans l'exemple que j'ai

4. J'aborde maintenant l'objection que nos corbeau ou la plume, ou même tous


cité, le

adversairestirentde l'impuissance où nous som- deux éprouvent tantôt un changement partiel


mes de toujours exprimer parfaitement notre une transformation entière, en sorte
et tantôt

pensée, et de toujours connaître parfaitement que ni l'un ni l'autre ne retiennent plus la


la vérité. Ainsi un des sophismes les plus sub- couleur noire. D'autres accidents sont dits 5e-
tiles que les Ariens opposent à la doctrine ca- paraOles, quoiqu'en réalitéils ne soient dans le

que tout ce qui se peut


tholique, est de dire sujet qu'un simple changement, ou une pure
énoncer, ou penser de Dieu, se rapporte non altération. Ainsi les cheveux de rhomme sont
» Ex. m, 14. '
Jean, x, 30. — • PMipp. u, 6.
426 DE LA TRINITÉ.

naturellement noirs mais parce qu'ils peu-


; Cependant ce mot, éternellement, ne doit
vent blancliir tant qu'ils adhèrent à la tête, pas être pris dans ce sens que le Fils étant une
on ditqu'en eux la noirceur est un accident fois engendré, ne peut pas plus cesser d'être
séparable. Cependant avec un peu de réflexion, Fils que le Père d'être Père, mais en ce sens

il est facile de voir que dans ce cas rien n'é- que la génération du Fils a toujours existé, et
migre au dehors, et que le noir de nos che- que jamais elle n'a commencé. Et en effet, si
veux ne se retire point, je ne sais où, pour la génération du Fils avait eu un commence-

faire place à la blancheur. Ici les cheveux ment, ou si elle pouvait avoir une fin, elle ne
n'éprouvent qu'un changement de couleur. serait en qu'un accident. De même en-
lui

Mais il n'y a en Dieu aucun accident, parce core, Père était dit Père par rapporta lui-
si le

qu'en lui il n'y a riendemuable, rien d'amis- même, et non par rapport au Fils, et si le
sible. On peut aussi nommer accident l'inten- Fils était dit Fils en excluant toute relation de

sité, ou la diminution d'une qualité que le paternité et de filiation, l'affirmation tombe-


sujet ne saurait perdre. Ainsi notre âme est rait sur la substance. Mais il n'en est pas
immortelle, en sorte qu'elle vivra tant qu'elle ainsi, parce que le Père n'est Père qu'au-
existera; mais parce qu'elle existera toujours, tant qu'il a un Fils , et que le Fils n'est
elle vivra toujours. Néanmoins le développe- Fils qu'autant qu'il a un Père
pourquoi : c'est

ment ou l'affaiblissement de la raison fait que ces expressions, Père et Fils, n'expriment en
cette âme , sans cesser de vivre , reçoit une eux qu'une relation de personne à personne ;

communication plus ou moins abondante de et toutefois cette relation n'est pas eh eux un

la vie. C'est le phénomène de la folie qui nous accident parce que dans le Père et le Fils la
,

ôte le bon sens, et nous laisse la vie. Mais on paternité et la filiation sont éternelles et im-
ne peut rien concevoir de semblable en Dieu, muables. Sans doute autre chose est d'être
parce qu'il est souverainement immuable. Père et d'être Fils ; cependant cette diversité
d'action n'affecte point en Dieu la substance,
CHAPITRE V. parce qu'elle s'affirme uniquement de la rela-
tion entre les personnes divines. Mais d'autre
DES RELATIONS DIVINES.
part, cette relation n'est point en Dieu un pur
6. Nous venons de voir qu'aucune notion accident, parce qu'elle est immuable.
d'accident ne peut convenir à Dieu, parce qu'il
soumis à aucun changement et cepen-
CHAPITRE VI.
n'est ;

dant il ne faut pas en conclure que tout ce qui cuiCANES DES ARIENS SUR LES MOTS engendré ET
s'énonce de lui se rapporte à la substance. non-engendré.
Sans doute, quand il s'agit des créature smua-
bles et changeantes, ce qui ne se dit pas de la 7. Ici les Ariens élèvent contre ce langage
substance, se dit de l'accident, car en elles tout une difficulté qu'ils croient péremptoire, et

est accidentel, la grandeur et les autres qua- ils raisonnent ainsi : Il est vrai que le Père
lités,puisque ces qualités sont susceptibles de Père par rapport au Fils, comme le Fils
est dit

plus et de moins. Ce principe est général et il par rapport au Père, ce qui n'em-
est dit Fils

s'applique aux diverses relations de l'amitié ,


pêche pas que les termes non-engendré et ,

de la famille et de la domesticité , non moins engendré, doivent s'affirmer en eux de la sub-


qu'à celles de la ressemblance et de l'égalité. stance et non de la relation, car père et non-
On le retrouve même
dans la position et le engendré ne sont point synonymes, puisqu'on
maintien du corps, dans l'espace et la durée, supposant que le Père n'eût pas engendré de
dans l'action et la passion. Mais en Dieu il n'y fils, il n'en serait pas moins lui-même non-en-

a rien d'accidentel, parce qu'il est souverai- gendré, à l'opposé de ce qui arrive dans le
nement immuable, et néanmoins tout ce qui monde où nous voyons que le père qui en-
s'énonce de lui ne s'énonce point de la sub-
, gendre un fils, ne peut se dire lui-même non
stance. Ainsi nous distinguons en Dieu le Père engendré, parce que toute la race humaine ne
d'avec le Fils, et le Fils d'avec le Père ; et tou- se produit et ne se propage que par la gé-
tefois nous ne disons pas qu'en eux cette dis- nération. —
Résumons ce raisonnement les :

tinction soit accidentelle, parce qu'éternelle- mots père supposent une relation entre
et fils

ment l'un est Père, et l'autre est Fils. les personnes divines, tandis que ceux de
,,

LIVRE V. — RÉFUTATION DES ARIENS. 427

non-engendré et d'engendré tombent sur la on dit qu'il y a entre eux égalité de senti-
personnalité elle-même, et s'entendent de la ments. De même entre voisins , ce sont des
substance. Or être engendré et n'être pas en- relations de bienveillance ; et quand cette
gendré sont deux choses absolument différen- bienveillance est réciproque, on dit qu'il y a
tes; donc en Dieu il y a diversité de sub- entre eux égalité de bons rapports. Mais ici le
stance. Fils n'est point Fils parce qu'il est Dieu, mais
Voilà bien le langage des Ariens mais en ; parce qu'il est engendré du Père, en sorte que
parlant ainsi, ne comprennent point qu'ils
ils ne pouvant en raison même de
lui être égal
énoncent ici sur le Père une proposition à cette filiation, ne saurait l'être qu'en na-
il

laquelle ils devraient réfléchir avec plus de ture. Or, tout ce qui se dit de la nature, s'af-
soin , car, même sur la terre tout homme firme de la substance donc le Fils est con-
:

n'est point père parce qu'il n'est point engen- substantiel au Père. Observons aussi qu'en
dré, ni non-engendré, parce qu'il est père. disant que le Père n'est pas engendré, nous
Ainsi le terme de non-engendré n'est pas un disons bien moins ce qu'il est que ce qu'il
terme de relation tandis qu'il y a relation
, n'est pas; et remarquons encore qu'en Dieu
mais ils sont trop aveuglés pour le voir, à la négation d'une relation quelconque n'at-
être engendré. Et en effet si l'on est fils , teint point la substance, parce que ces deux
c'est qu'on a été engendré, et on a été engen- choses sont entièrement distinctes.
dré parce qu'on est fils. Or, c'est cette double
relation de la paternité et de la filiation qui
CHAPITRE VII.

dans la Trinité relie le Père au Fils et le EXPLICATION DE CETTE DOCTRINE.


Fils au Père c'est-à-dire la personne qui
;

engendre à la personne qui est engendrée.


, 8. Je m'explique par quelques exemples.
Aussi concevons-nous sous deux idées diffé- Et d'abord j'affirme que les mots, fils et engen-
rentes que le Père engendre et que lui- , dré, n'ont qu'une seule et même signification.
même n'est point engendré. Toutefois nous ne Car en Dieu, le Verbe est Fils parce qu'il est
l'affirmons de Dieu le Père que par relation engendré, et il est engendré parce qu'il est
avec le Fils; ce que nient nos adversaires qui Fils. Lors donc que nous affirmons du Père
veulent que la propriété d'être non-engendré qu'il n'est pas engendré, nous disons simple-
tombe sur la personnalité même du Père. Ils ment qu'il n'est pas fils. Mais les mots engen-
disent donc Une chose s'affirme du Père, et
: dré et non-engendré sont d'un usage plus
ne peut s'affirmer du Fils, et cette chose af- facile , parce que la langue latine, qui admet
fecte directementla substance divine. Et en le mot fils, rejette celui de non-fils. Cej)endant
effet lePère possède personnellement la pro- la pensée est indépendante de cet usage, et
priété de n'être point engendré, tandis que le elle comprend le mot non-fils de même qu'elle
Fils en est privé; donc il est non-engendré entend celui de non-engendré qu'on emploie
selon sa substance, et parce qu'on ne saurait quelquefois pour inengendré. Ainsi encore les
le dire également du Fils, celui-ci n'est pas mots, voisin et ami, ont leurs corrélatifs dans
consubstantiel au Père. notre esprit, quoique la langue qui dit en-
Il me suffit, pour répondre à cette chicane, nemi, ne dise point invoisin. Il est donc bien
de presser mes adversaires de nous dire en utile dans toute discussion dogmatique de con-
quoi le Fils est égal au Père, est-ce par identité sidérer moins ce que nous permet, ou nous
de nature, ou bien seulement par relation de refuse le sens habituel des mots, que les idées
personne à personne? La seconde proposition mêmes qu'ils renferment.
n'est pas admissible, parce qu'elle confondrait Ainsi nous ne dirons pas que le Père est
en Dieu toute notion de paternité et de filia- inengendré, quoiqu'à la rigueur le génie de
tion, etque de plus la même personne divine notre langue nous le permette, mais nous
n'est point tout ensemble Père et Fils. Au dirons dans le même sens qu'il n'est pas en-

reste dans la Trinité le Père et le Fils ne gendré, c'est-à-dire qu'il n'est pas le Fils; car
sont point entre eux comme sur la terre
, l'eifet de toute particule négative n'est point

sont les am.is et les voisins. L'amitié n'existe de faire retomber sur la substance même de
d'homme à homme que par relation et si ; l'être ce qu'elle ne nie en lui que relative-
deux amis s'aiment avec la même cordialité. ment. Ici donc, comme dans tous les autres
428 DE LA TRINITÉ.

attributs, nous nions seulement ce qui sans la les relations de personne à personne. Car le
négation serait vrai. Prenons pour exemple qualificatif inengendré est absolument syno-
cette proposition : voilà un homme ; en l'é- nyme de non-engendré. Concluons donc en-
nonçant je marque la substance de l'être core qu'en disant qu'il est inengendré nous ,

auquel je la rapporte ; et quand je dis : ce n'est ne lui appliquons que par relation cet attribut
pas un homme, je me borne à nier dans le négatif. Et en effet, en disant du Fils qu'il est
d'homme, mais je ne lui appli-
sujet la qualité engendré, nous faisons abstraction de la sub-
que aucun autre attribut. Lors donc que je stance ou nature divine et nous affirmons,

dis voilà un honune, l'affirmation tombe sur


: seulement qu'il procède du Père et de même, :

la substance ; et pareillement, lorsque je dis : quand nous disons du Père qu'il est non-en-
ce n'est pasun homme, la négation tombe sur gendré, nous ne prétendons prouver qu'une
la substance. Si vous me demandez ensuite seule chose, à savoir qu'il n'a point de père.
combien un être a de pieds, et si je vous ré- Il est vrai qu'ici l'attribut relatif offre une
ponds quatre, j'énonce seulement le nombre
: double signification, mais parce qu'il est tou-
de ses pieds, de mêmequ'en-disant qu'il n'est jours pris dans un sens relatif, il ne tombe
point quadrupède, je ne prétends nier en lui jamais sur la substance. Ainsi, quoique ce soit
qu'une seule chose, à savoir qu'il n'a pas qua- deux choses bien différentes que d'être engen-
tre pieds. dré, et de n'être pas engendré, ces deux qua-
C'est encore dans le même sens tour à tour lificatifs n'indiquent point diversité de sub-
affirmatif et négatif que selon couleur je la stance. Car comme le mot Fils se réfère au mot
dis : il est blanc, et il n'est pas blanc ; que se- Père, et le mot non-Fils au mot non-Père ,

lon la relation, je dis : il est proehe, et il est ainsi devons-nous rapporter le terme engen-
éloigné ;
que selon la position, je dis : il est dré au terme générateur, et le terme non-en-
couché, et il est levé ; et qu'enfin selon l'ex- gendré au terme non-générateur.
térieur et les dehors je dis il est armé, et il :
CHAPITRE VIII.
est désarmé, c'est-à-dire qu'il n'a pointd'armes.
TOUT CE QUI SE DIT DE LA NATURE DIVINE, EST
Pareillement par rai)port au calcul du temps,
PROPRE AUX TROIS PERSONNES DE LA SAINTE
je dis aujourd'hui et hier par rapport à la
:
;
TRINITÉ.
distance des lieux, je dis : il est à Rome, et il

n'est pas à Rome ; et par rapport à l'action, je 9. C'est pourquoi nous posons en principe

dis : il frappe, ou bien, il ne frappe pas, énon- que tout ce qui se dit de la nature, s'affirme
çant seulement par là qu'il ne fait f)as l'action de la substance même de Dieu, et que tout ce
de frapper. Et de même, quand je dis : il est qui se dit des relations, ne tombe que sur la
frappé ,
j'affirme, que le sujet souffre l'action personne, et non sur l'essence de l'Etre divin.
marquée par le verbe frapper, ce qui est le con- Rien plus, l'unité de substance est si forte dans
traire, quand je dis il n'est point frappé. C'est : le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, que nous ex-
qu'en effet il n'est point d'attribut ou de qua- primons au singulier tous les attributs collec-

lificatif que nous ne puissions détruire soudain qui leur conviennent. Ainsi nous disons
tifs

en le faisant précéder d'une particule négative. que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, et
D'après ces principes, si j'appliquais le mot que le Saint Esprit est Dieu, expression qui ne

Fils à la substance divine, je nierais cette sub- peut s'entendre que de la substance divine.
stance en disant : Noîi-Fils. Mais comme je Toutefois nous ne disons pas que les trois
n'affirme dans le Verbe la filiation que relative- personnesde l'auguste Trinité sont trois Dieux,
ment au Père; de même ne nie dans le Père je mais un seul et même Dieu. Autant le Père est
cette même filiation que par relation au Fils, grand, autant le Fils est grand, autant le Suint-
en sorte que je veux seulement prouver qu'il Esprit est grand et cependant ce ne sont pas
;

est à lui-même son propre principe. Concluons trois Dieux souverainement grands, mais un
donc que puisque le mot Fils, ainsi que je l'ai seul Dieu souverainement grand. Car ce n'est
même sens que le mot en-
dit ci-dessus, a le point du Père seul, comme les Ariens le soûl ien-
gendré, l'expression non-engejidré, équivaut à nent malignement, mais du Père, du Fils et
celle-ci : il que nous
n'est pas Fils. Ainsi, soit du Saint-Esprit qu'il est écrit au livre des Psau-
disions ou non-engendré, la né-
: Non-Fils , mes « Vous êtes le seul grand Dieu ».
:
*

gation ne tombe, dans notre pensée, que sur » Ps. LXXXV, 10.
.

LIVRE V. — RÉFUTATION DES ARIENS. 429

Pareillement le Père est bon, le Fils est bon CHAPITRE IX.


et TEsprit-Saint est bon. Toutefois ce ne sont
DES PERSONNES D1VI>"ES.
point trois Dieux bons, mais le Dieu unique
dont Jésus-Cbrist a dit o Nul n'est bon que :
10. J'emploie ici le mot essence ,
qui est
« Dieu seul » Observez en effet que si cette
.
un terme de langue grecque, et qui ré-
la

expression a Bon Maître» ne s'adressait, dans


:
pond dans la nôtre à celui de substance. Les
l'intention du jeune homme dont parle saint Grecs disent également hypostase mais ;

Luc, qu'à Jésus-Cbrist comme homme, celui- quelle différence mettent-ils entre l'essence
ci Youlut par sa réponse élever ses pensées et l'hypostase? Ceux qui ont écrit en grec
jusqu'à sa divinité. C'est pourquoi il ne lui sur la Trinité disent communément une seule
dit pas Nul n'est bon que le Père, mais
: ,
essence et trois hypostases, expressions qui
Nul n'est bon que Dieu seul ^ ». S'il eût dit signifient eu latin une essence et trois sub-

le Père, il n'eût en réalité nommé que le Père, stances. Quoi qu'il en soit, l'usage a prévalu

mais en disant Dieu seul, il nommait le Père, parmi nous d'attacher au mot essence le sens
le Fils et le Saint-Esprit, parce que ces trois du mot substance; aussi n'oserai-je point dire
personnes ne sont qu'un seul et même Dieu. une seule essence et trois substances mais ,

S'agit-il au contraire de termes qui exitriment une seule essence ou substance et trois per-
la position et le vêlement du corps, le temps et sonnes. Ce langage est celui qu'ont adopté
le lieu? ils ne doivent s'entendre de Dieu que plusieurs auteurs latins bien recommanda-
par métaphore et non dans le sens propre et bles; et employé n'en trouvant pas
ils l'ont ,

direct. C'est ainsi que par rapport à la position de meilleur pour exprimer par la parole ce
et au vêtement , le psalmiste nous dit que qu'ils comprenaient sans le secours de la pa-

« Dieu est assis sur les chérubins, et (jue l'a- role. Et, en effet, puisque le Père n'est pas
ce bîme Tenveloppe comme un vêtement*». le Fils, que le Fils n'est pas le Père, et que
Il également par rapport au temps et au
dit le Saint-Esprit qui est aussi appelé le don de
lieu « Seigneur
: vos années ne finiront ,
Dieu, n'est ni le Père, ni le Fils, il faut né-
« jamais»; et, « si je m'élève vers le ciel, vous cessairement reconnaître trois personnes en
« y êtes * » un seul Dieu. C'est pourquoi Jésus Christ a dit
Mais tout ce qui se rapporte à la puissance au pluriel : « Le Père et moi nous sommes
d'action se dit vraisemblablement de Dieu « un *
Les Sabelliens traduisent au singu-
».

seul. Car Dieu seul agit ou n'agit pas, et en lier : Le Père et moi est un ; tandis que le
tant qu'il est Dieu, il est indépendant de toute Sauveur a dit « Nous sommes un : p. Il y a
passivité. C'est pourquoi le Père est tout-puis- donc trois personnes en Dieu. Mais s'agit-il

sant, le Fils est tout-puissant et le Saint-Esprit de définir ce qu'est une personne divine, sou-
est tout-puissant. Toutefois ce ne sont pas dain toute parole humaine devient impuis-
trois Dieux également tout-puissants, mais un sante. Aussi disons-nous trois personnes, moins

seul Dieu tout-puissant , et « tout est de lui, pour dire quelque chose que pour ne pas gar-
« tout est par lui , tout est en lui " ». Ainsi der un silence absolu.

tout ce qui atteint directement la nature de


au nombre singulier de
CHAPITRE X.
l'Etre divin se dit
chacune des trois personnes, le Père, le Fils
TOUT CE QUI SE RAPPORTE A LA NATURE DIVINE,
et le Saint-Esprit; et c'est encore en ce même SE DIT AU SINGULIER DES TROIS PERSONNES.
nombre singulier, et non au pluriel ,
que
nous appliquons les mêmes expressions à la même donc que nous ne disons point
1 1. De
Trinité entière. Et, en effet, être et être grand qu'il y a en Dieu trois essences, nous ne re-
ne sont pas en Dieu deux choses, mais une connaissons pas en lui trois grandeurs, ni trois
seule et même chose. Aussi ,
par la même êtres souverainement grands. Car dans les

raison que nous ne reconnaissons pas en lui choses qui ne sont grandes que relativement,
trois essences, nous ne lui attribuons pas trois il faut distinguer la grandeur, de la chose elle-

grandeurs. même. C'est ainsi que nous disons une grande


maison, une grande montagne et un grand
'
Luc, XVIII , 18 , 19. — ' Ps. Lxxis, 2 ; cm , 6. — » Ps. CI 28 ;

cxxxviii, 8. — * Rom. xi, 36.


esprit. Mais dans ces trois exemples la gran-
» Jean, x, 30.
.

430 DE LA TRINITÉ.

deur n'est pas la chose môme qui est grande, sence divine. Ainsi nous disons des trois per-
en sorte que la maison, si grande qu'elle soit, sonnes de la sainte Trinité qu'elles ne sont
n'est pas la grandeur elle-même. Nous conce- qu'un seul et même Dieu, et que ce Dieu
vons en effet la grandeur comme indépen- unique est grand, bon, éternel et tout-puis-
dante soit de la maison, ou de la montagne sant. Nous ajoutons encore qu'il est à lui-
que nous nommons grandes, soit de tout autre même le principe de la divinité, non moins
objet auquel nous appliquons une idée et une que sa propre grandeur, sa propre bonté, sa
relation de grandeur. Ainsi la grandeur est propre éternité et sa propre puissance. Mais
autre que les objets qui lui empruntent leur on ne peut donner à la Trinité entière le nom
grandeur et cette grandeur, principe premier
; de Père, si ce n'est peut-être dans un sens
de toute grandeur, surpasse excellemment relatifaux créatures et à cause de notre adop-
tous les sujets sur lesquels elle se réfléchit. tion divine. Et en effet, cette parole de l'Ecri-
Or, Dieu n'est point grand d'une grandeur ture « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu
:

qui ne lui appartienne point en propre, en etest seul Seigneur », ne doit point s'enten- '

sorte qu'il soit obligé de lui emprunter celle dre du Père à l'exclusion du Fils et du Saint-
dont il jouit. Autrement nous concevrions Esprit. Cependant nous pouvons avec raison
la grandeur comme étant au-dessus de Dieu, appeler Père ce Dieu unique, parce qu'il nous
tandis qu'il est l'Etre premier et souverain.. engendre par sa grâce à la vie spirituelle.
Donc Dieu grand que parce qu'il pos-
n'est Mais on ne saurait dans aucun sens nommer
sède par lui-même toute grandeur. C'est la sainte Trinité Dieu le Fils. Quantàl'Esprit-
pourquoi nous ne disons point qu'il y a en lui Saint, comme il est écrit que «Dieu est Es-
trois grandeurs, pas plus que nous n'affirmons « prit ^ », il est permis de le faire du moins

en lui trois substances. Car Dieu est grand dans un sens général car le Père est Esprit, ;

par cela seul qu'il est Dieu. Et de même nous le Fils est Esprit, et également, le Père est
ne disons point que les trois personnes divines saint , et le Fils est saint. Ainsi parce que le

sont trois êtres souverainement grands, mais Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un
un seul et même Dieu souverainement grand, seul et même Dieu, et que ce Dieu est tout
parce que Dieu n'est point grand d'une gran- ensemble on peut désigner la
saint et Esprit,
deur étrangère et empruntée, mais qu'il est Trinité tout entière par le mot Esprit-Samt.
grand par lui-même, et qu'il est lui-même Néanmoins quand il s'agit spécialement de
le principe unique de sa grandeur. Nous te- l'Esprit-Saint comme troisième personne de la
nons également le même langage quand nous sainte Trinité, et non de la Trinité tout en-
parlons de la bonté, de l'éternité et de la toute- tière, nous le nommons Esprit-Saint dans un

puissance de Dieu, et en général de tous les at- sens relatif, et par rapport au Père et au Fils,
tributs qui se rapportent à la nature divine, et car il est l'Esprit et du Père et du Fils. Cepen-
qui sont exprimés dans un sens propre et di- dant il est vrai de dire que ce nom n'exprime
rect, etnon point dans un sens accommodatif point ces relations divines, et qu'elles semon-
et métaphorique. Mais que peut exprimer la trentbien mieux dans celui « de don de Dieu ^ »

parole de l'homme, lorsqu'elle veut expliquer Il est don du Père, puisque, selon
en effet le

l'essence même de Dieu ? la parole du Sauveur, « il procède du Père» :

et il est également le don du Fils, puisque


CHAPITRE XI.
l'Apôtre nous dit que « celui qui n'a pas l'Es-

DES RELATIONS DIVINES. « prit de Jésus-Christ n'est point à lui * » . C'est


donc relativement aux deux premières per-
12. S'agit-il au contraire des opérations sonnes de la sainte Trinité que nous nommons
propres à chacune des trois personnes divines, la troisième Don de Dieu quoiqu'elle ne soit ,

nous disons qu'ici ces opérations ne touchent pas elle-même étrangère à cette donation. Car
pas à la nature même de Dieu, et qu'elles nous la considérons comme l'union ineffable
n'affectent que les relations des trois personnes du Père et du Fils et peut-être n'est-elle ap- ;

entre elles, ou leurs rapports avec les créa- pelée Esprit-Saint que parce que ce même
tures. C'est pourquoi il est évident que tout nom convient au Père et au Fils. Ainsi le mot
ce qui s'affirme alors de Dieu tombe sur les - Jean, iv, 21. — Act. 20. — ' Jean, xv,
'
Dont. VI ,
-1. ' Vill ,

relations divines, et non sur la nature ou es- 2G ; Rom. vni, 9.


LIVRE V. — RÉFUTATION DES ARIENS. i31

Esprit-Saint désigne spécialement la troisième donateur du don, parce qu'ici nous trouvons
personne de la sainte Trinité, mais il s'ap- un terme usité, ce qui n'existe pas dans le
plique aussi aux deux autres, car le Père et le premier cas.
Fils sont tous deux Esprits et tous deux saints. CHAPITRE Xm.
L'Esprit-Saint est donc nommé le Don mutuel
DANS QUEL SENS LE MOT PRINCIPE SE DIT
du Père et du Fils, afin que ce nom qui con-
DE LA TRINITÉ.
vient à l'un et à l'autre, explique par lui-même
que dans la Trinité cet Esprit est l'union des 14. C'est dans un sens relatif que la pre-
deux premières personnes. Mais cette Trinité mière personne de la sainte Trinité est
de personnes ne forme qu'un seul Dieu qui nommée Père et principe mais elle est ;

est unique, bon, grand, éternel et tout-puis- Père par rapport au Fils, et principe par rap-
sant; et qui est à lui-même son unité, sa di- port à toutes les créatures. Le même terme
vinité, sa grandeur, sa bonté, son éternité et s'affirme également du Fils, et en outre ceux
sa toute-puissance. de Verbe et d'image et parce qu'ils expriment
;

tous la relation du Fils avec le Père, ils ne


CHAPITRE XII. peuvent s'appliquer à celui-ci. Au reste, que
le Fils soit principe, c'est ce qu'il nous apprend
PAUVRETÉ DU LANGAGE HUMAIN POUR EXPLIQUER
LES RELATIONS DIVINES.
lui-même. Car comme les juifs lui disaient :

Qui êtes-vous?» il répondit « Je suis le prin- :

Cependant nous ne devons point nous


d3. « cipe, moi qui vous parle » Mais est-ce qu'il
'
.

troubler parce que nous ne donnons que dans serait le principe du Père? non sans doute et :

un sens relatif, le nom d'Esprit-Saint à la il ne se dit principe que dans ce sens qu'il est

troisième personne de la sainte Trinité , et créateur au même titre que le Père. Et en


que nous le refusons dans un sens propre et effet celui-ci est appelé principe, parce qu'il est
direct à la Trinité entière. C'est que ce nom le créateur de tout ce qui existe. Or le terme
n'a point de corrélatif dans la langue théolo- de créateur a pour corrélatif celui de créature,
gique. Et en effet, nous disons bien le servi- de même que le mot maître implique celui
teur du maître, et le maître du serviteur, le de serviteur. Toutefois, quoique nous nom-
Fils du Père et le Père du Fils, parce que ces mions le Père principe, et le Fils principe,
expressions expriment des relations person- nous ne reconnaissons pas dans la création
nelles. Mais ici un tel langage serait erroné
,
;
deux principes différents, parce que le Père et
nous disons, il est vrai, l'Esprit-Saint du Père, le Fils ne sont à cet égard qu'un seul principe,
mais nous ne disons pas le Père de TEsprit- de même qu'ils sont un seul Créateur et un
Saint dans la crainte qu'on entende par là
, seul Dieu.
que l'Esprit-Saint est le Fils du Père. C'est ici Mais comme il est vrai que tout être qui,
encore que nous disons l'Esprit-Saint du Fils, tout en restant ce qu'il est, enfante ou produit
et non le Fils de l'Esprit-Saint, pour éviter au dehors quelque chose, est dit le principe
qu'on ne croie cet Esprit Père du Fils. de cette œuvre, nous ne pouvons nier que
Au reste dans un grand nombre de sub-
, ce titre n'appartienne également à l'Esprit-
stantifs relatifs, le terme corrélatif manque Saint. Et en effet nous l'appelons Créateur, et
absolument. Ainsi quoi de plus clair que le il est dit de lui qu'il opère au dehors sans alté-

mot gage? il implique toujours l'idée de celui ration aucune de sa substance, car il ne s'é-
qui le donne et toujours il est la garantie
, panche, ni ne s'incarne dans les œuvres qu'il
de la chose à donner. Or, de ce que nous di- produit. Eh que produit-il donc? Ecoutez
I

sons que l'Esprit-Saint est le gage du Père l'Apôtre « Les dons du Saint-Esprit, dit-il,
:

et du Fils *, s'ensuit-il que nous puissions « sont distribués à chacun pour l'utilité de

dire le Père du gage et le Fils du gage ? Non, « l'Eglise. L'unreçoitduSaint-Espritledon de


sans doute. Lorsque au contraire, nous afûr- « parler avec sagesse l'autre reçoit du même
;

mons que ce même Esprit est le don du Père « Esprit le don de parler avec science. Un autre
et du Fils, nous nous interdisons ces autres « reçoit le don de la foi par le même Esprit; un
termes. Père du don, et Fils du don, et nous « autre reçoit du même Esprit le don de guérir
nous bornons à dire le don du donateur et le « les maladies un autre le don des miracles
;
;

• Cor. V, ô ; Epb. i, U. ' Jean, vui, 25.


,

432 DE LA TRINITÉ.

« nn autre, le don de prophétie un autre, le ;


Cependant l'Esprit-Saint n'est point en nous
« don de parler diverses langues. Or, c'est un l'esprit,ou le souffle de la vie, et il n'est dans
« seul et même Esprit qui opère toutes ces l'homme que d'une manière toute spirituelle.
« choses, distribuant à chacun ses dons, selon Aussi ne l'appelons-nous yiôde que dans le
« qu'il lui plaît » , c'est-à-dire , agissant en même sens que nous disons à Dieu «Donnez- :

Dieu, car qui pourrait produire ces merveilles, « nous notre pain ». Nous reconnaissons *

s'il n'était Dieu? Aussi l'Apôtre affirme-t-il toutefois que nous ne nous sommes point
que « c'est un seul et même Dieu qui opère donné l'esprit ouïe souffle de la vie, puisque
« toutes ces choses en tous * ». l'Apôtre nous dit « Qu'avez-vous que vous :

« n'ayez reçu * ? » Mais autre est l'esprit que


CHAPITRE XIV. nous avons reçu pour vivre, et autre l'Esprit
que nous recevons pour devenir des saints.
le père et le fils sont le principe de
C'est pourquoi, lorsque l'évangéliste saint Luc
l'esprit-saint.
dit de Jean-Baptiste qu'il devait venir en

i 5. la personne qui engendre


Dans la Trinité l'Esprit et la vertu d'Elie, nous devons enten-
est dite principe par rapport à la personne qui dre ces mots de l'Esprit-Saint qu'Elie avait
est engendrée. C'est ainsi que le Père est prin- reçu K Tel est également le sens de cette parole
cipe du Fils, parce qu'il l'engendre. Mais sou- du Seigneur à Moïse « Je prendrai de votre :

dain se présente une grave et difficile ques- cf Esprit, et je le leur donnerai », c'est-à-dire
tion, à savoir si le Père « de qui procède que je leur ferai part de l'Esprit-Saint que je
« l'Esprit-Saint », est le principe de cet Esprit. vous ai donné *. Si donc l'Esprit-Saint qui est
Si je réponds affirmativement il s'ensuit , donné, a pour principe celui qui le donne,
qu'on doit nommer principe, non-seulement parce qu'il ne procède que de lui, il faut avouer
celui qui produit et enfante quelque œuvre, qu'à l'égard de ce divin Esprit le Père et le
mais encore celui qui fait un don quelconque. Fils sont un seul et unique principe, et non
Mais ici rappelons tout d'abord ,
et comme deux principes. Et en effet, comme le Père et
pouvant nous donner quelque lumière, que le Fils ne sont qu'un seul et même Dieu, ils

point le Saint-Esprit, quoique cet


le Fils n'est ne sont également, par rapport aux créatures,
Esprit soit sorti du Père, ainsi qu'il est dit qu'un seul et même Seigneur, un seul et
dans l'Evangile -. Je sais bien que cette asser- même Et de même à l'égard de
Créateur.
tion préoccnpe plusieurs esprits et néanmoins ;
lEsprit-Saint, ne sont qu'un seul et unique
ils

il est vrai de dire que l'Espril-Saint dilfèredu princi|)e. S'agit-il au contraire d'exprimer les

Fils parce qu'il est sorti du Père, non comme rapports de la Trinité avec la création ? le Père,
Fils, mais comme don. Nous ne saurions donc le Fils et l'Esprit-Saint sont un seul principe,
le nommer Fils, puisqu'il n'est point né comme un seul Créateur et un seul Seigneur.
Fils unique du Père, qu'en outre, il n'est
point, comme l'homme, venu au monde pour
CHAPITRE XV.
recevoir la grâce de l'adoption divine. Quand l'esprit-saint était-il un don avant MÊME
nous disons que le Fils est né du Père, nous qu'il fût donné ?
n'avons égard qu'à sa génération éternelle, et
nullement à sa génération temporelle. Aussi 16. Si nous voulons approfondir ce sujet
n'est-il point Fils du Père dans le même sens nous rencontrons la question suivante. De
qu'il est fils de l'homme. S'agit-il au contraire même que le Fils est essentiellement Fils, et
de l'Esprit qui est donné, nous le rapportons en dehors de sa naissance temporelle, l'Esprit-
également et à celui qui le donne, et à ceux Saint est-il par lui-même le don de Dieu, et ab-
auxquels il est donné. Ainsi l'Espril-Saint straction faite de toute effusion sur l'homme?
n'est pas seulement l'Esprit du Père et du Fils En termes
d'autres rEs[)rit-Saint existait :

qui nous l'ont donné, mais il est encore avant qu'il fût donné, mais il n'était pas encore
l'Esprit de nous tous qui le recevons. Et de le don de Dieu ou bien, parce que Dieu devait
;

mèine nous disons que Dieu est ?iotre salut \ un jour le donner, il était déjà le don de Dieu
parce qu'il en est l'auteur et le principe, et quoiqu'il n'eût pas encore été donné. Voici ma
que nous le recevons de sa bonté. réponse: Si l'Espril-Saint ne procède du Père

I Cor. XII, 6, 11. — ' Jean, xv, 26. — ' Ps. m, 9. «
Matt. VI, 1 1 .— ' I Cor. iv, 7.— » Luc, i, 17.— ° Nomb. xi, 17.
LIVRE V. — RÉFUTATION DES ARIENS. 433

et du Fils qu'au moment où il est donné, et si Mais peut-être direz-vous qu'à la vérité Dieu
cette procession n'est point antérieure à est éternel, tandis que le temps est essentiel-

l'homme auquel il devait être donné, com- lement fini et limité, en raison même de sa
ment pouvait -il exister personnellement et mobilité et de ses variations. Rien plus, comme
de toute éternité ,
puisque selon vous il le temps n'a point précédé le cours des siècles,
n'est que parce qu'il est donné ? Vous recon- puisqu'ils ont commencé simultanément, vous
naissez que le Fils est Fils bien moins par re- vous croirez autorisé à dire que Dieu, même
lation de paternité et de filiation que par na- en qualité de Maître, n'est point soumis au
ture et essence et pourquoi n'avouerez-vous
: temps, parce que de toute éternité il est le
pas aussi que l'Esprit-Saint procède du Père Maître des siècles, qui ont donné au temps sa
et du de toute éter-
Fils avant tous les siècles et valeur et son existence. Mais que répondrez-
nité mais qu'il en procède comme devant
, vous au sujet de l'homme qui a été créé dans
en être le don ? Ainsi il était le don de Dieu le temps, et dont le Seigneur ne pouvait se dire

avantmême que fût créé l'homme auquel il de- le maître avant qu'il ne l'eût créé ? certaine-

vait être donné. On peut en effet le considérer ment ce n'est que dans le temps que Dieu est
comme étant le don de Dieu, et comme étant devenu le maître de l'homme; et pour parler
donnéde Dieu. Souslepremierrapport l'Esprit- plus clairement encore, j'affirme que Dieu n'a
Saint existe avant que d'être donné mais le ; pu que successivement devenir votre maître
second ne peut s'affirmer de lui s'il n'a été et le mien , puisque votre naissance et la
réellement donné. mienne appartiennent aux périodes successi-
ves des siècles et des âges. Cette question vous
CHAPITRE XVI. paraît-elle obscure, parce que celle de l'éter-

TOUT CE QUI SE DIT DE DIEU PAR RAPPORT AU nité des âmes est encore douteuse? je m'expli-

TEMPS SE DIT DES RELATIONS ET NON DE LA que en l'appliquant au peuple d'Israël. Com-
SUBSTANCE. ment Jéhovah est-il devenu le Dieu d'Israël ?
car en supposant même ce que je ne discute
17. Quoique l'Esprit-Saint soit coéternel au pas en ce moment, à savoir que l'âme de ce
Père et au Fils^ nous disons néanmoins de lui peuple fût déjà créée , il n'en est pas moins
des choses qui n'ont existé que dans le temps, vrai que ce même peuple n'existait point
comme d'avoir été donné. Mais ce langage ne encore comme peuple, puisque nous ne con-
doit pointnous surprendre;, car si l'Esprit-Saint, naissons pas la date de son origine.
en tant que don de Dieu, est éternel, il n'a été Selon le même
ordre d'idées, j'affirme que
donnéquedansle temps. Etdemêmeunhomme le souverain domaine de Dieu sur les arbres
n'est appelé maître que du jour où il a un ser- et les moissons est soumis au temps. Et en
viteur. C'est ce que nous disons également de eiîet les arbres et les moissons n'ont qu'une
Dieu par rapporta l'acte de la création qui n'a existence bien récente. Mais direz-vous : ils

été accompli que dans le temps. Car si Dieu est existaient en germes dès vous
la création. Je
de toute éternité le maître de la créature, celle- l'accorde , et néanmoins vous m'avouerez
ci n'est pas éternelle. Comment donc expliquer qu'autre est la souveraineté qui s'exerce sur
qu'en Dieu ces relations ne tombent point sur une matière brute et inerte, et autre celle qui
la substance, parce que son immutabilité s'op- régit la même matière polie et organisée. C'est
pose, comme je l'ai prouvé au commencement ainsi qu'à des intervalles différents, je possède
de ce traité, à ce qu'il soit soumis aux in- d'abord une pièce de bois, et puis, le coffre
fluences du temps et dés lieux ? Non nous
, qu'elle a servi à confectionner. Car peut-on
n'osons affirmer que Dieu est de toute éter- nier que le coffre n'existait pas encore, quand
nité le Maître de la créature, de peur que nous déjàjepossédais le bois? Commentdonc serons-
ne soyons contraints de dire que la créature nous en droit d'assurer qu'aucun accident
elle-même est éternelle. Car Dieu ne peut de n'atteint la substance divine ? Ce sera en di-
toute éternité commander à la créature, si de sant que Dieu est essentiellement immuable ,

toute éternité celle-ci ne lui estassujétie. C'est et que tout ce qui tient à la mutabilité du
ainsi qu'on ne saurait être serviteur si l'on n'a temps, des heux et des créatures, ne s'affirme
pas un maître, ni maître, si l'on n'a pas un de lui qu'indirectement et par relation. C'est
serviteur. dans ce même sens que je dis d'un homme qu'il
S. AuG. — Tome XII. 28
434 DE LA TRINITÉ.

estmon ami Car il n'a commencé de l'être que


. meilleur par le fait de son adoption divine ;

du jour où il a commencé de m'aimer; en sorte Seigneur commence alors à devenir son


et si le
que ce titre d'ami implique en lui un certain Père, cela n'implique aucun changement en sa
changement de volonté. S'agit-il d'une pièce de nature.
monnaie avec laquelle je paie ? C'est sans Je me résume, et je dis que tout ce qui s'af-
changer et dans un sens relatif qu'elle devient firme de Dieu comme ayant commencé en lui
ou un prix ou un gage ou toute autre chose. à une date précise, et comme n'existant pas
Ainsi une pièce de monnaie peut prendre auparavant ne s'affirme que relativement.
,

bien des noms perdre sans que sa valeur


et les Gardons-nous cependant de croire qu'en lui la
substantielle et intrinsèque en soit altérée. Mais substance divine soit modifiée par ces relations
combien plus facilement dirons-nous du Dieu accidentelles , car elles n'atteignent que le
immuable et éternel que tout ce qui se pro- sujet auquel nous les rapportons. L'homme
duit dans le temps et par rapport aux créatu- devient juste en devenant l'ami de Dieu, et
res, ne tombe point sur sa substance, et ne se ainsi il change. Mais on ne saurait assigner
dit de lui que relativement à la créature! «Sei- une date à Famour de Dieu pour cet homme,
« gneur, dit le psalmisle, vous êtes devenu comme s'il ressentait présentement pour lui
« notre refuge '
». Mais ici ce mot refuge ne un amour qui soit nouveau, et qui n'existait
s'applique à Dieu que relativement, tandis pas auparavant. Un tel langage contredirait
qu'à notre égard prend dans un sens pré-
il se en Dieu cette vision qui lui montre le passé
cis et direct. Et en effet, de ce que Dieu devient comme toujours présent, et le futur comme
notre refuge, lorsque nous avons recours à lui, étant déjà passé. Et en effet, avant toute créa-
pouvons-nous conclure qu'il éprouve dans sa tion Dieu a aimé ses élus,et il les a prédestinés à
nature, ou substance, une modification quel- la gloire. Mais lorsque ceux-ci se tournent
conque, modification qui n'existait pas avant vers lui, et qu'ils le trouvent, nousdisonsqu'il
que nous n'eussions recours à lui ? Non, sans commence à les aimer. Du reste nous ne par-
doute, et c'est en nous seulement qu'il s'opère lons ainsi que pour nous faire comprendre ,

quelque changement, puisque de mauvais que et pour suppléer à l'imperfection de tout lan-
nous étions précédemment , nous devenons gage humain. Et de même quand Dieu s'irrite
bonsen prenant le Seigneur pour notre refuge. contre les méchants, et qu'il se montre bien-
L'homme change mais Dieu demeure im- , veillant envers les bons, ce sont eux qui chan-
muable. Ainsi encore le Seigneur commence gent, tandis que lui-même reste immuable.
à devenir notre Père lorsque nous sommes ré- C'est le phénomène de la lumière qui offense
générés par sa grâce, car « il nous a donné ,
un œil malade etréjouitun œil sain. Certes la
dit saint Jean, « le pouvoir de devenir enfants lumière est toujours la même, et notre œil
a de Dieu * » . C'est donc l'homme qui devient seul a changé.
'
Ps. LXXilX, 1. '
Jean, i, 12.

Les cinq premiers livres de la Trinité ont été traduits par M, l'abbé DUCHASSAING.
LIVRE sixie:me.
Après posé cette question
s'être Comment l'Apôtre appelle-t-il le Christ Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu '/ Saint Au-
:

gustin demande
si le Père n'est pas lai-même Sagesse, mais seulement Père de la Sagesse. —
Remettant à plus tard la solu-
tion de cette question, il prouve l'unité et l'égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il démontre que Dieu n'est pas triple,
mais Triuifé.— En dernier lieu, il explique la parole de saint Hilaire « Eternité dans le Père, Beauté dans l'Image, Usage
:

« dans le Don ».

CHAPITRE PREMIER. temps où Dieu n'eut ni vertu ni sagesse, se-


rait un trait de folie
donc il n'y a jamais eu
;

LE FILS EST LA VERTU ET LA SAGESSE DE DIEU de temps où le Fils de Dieu n'existât pas.
LE PÈRE. DIFFICULTÉ DE SAVOIR SI LE PÈRE ^. Ce raisonnement nous mènerait néces-

n'est pas LUI-MÊME SAGESSE^ MAIS SEULEMENT sairement à dire que Dieu le Père n'est sage
PÈRE DE LA SAGESSE. que de la sagesse qu'il a engendrée , et n'est
point sagesse par lui-même. Or, en est s'il

Quelques-uns voient une difficulté à ad-


1. Père n'est point lui-même sagesse,
ainsi, si le
mettre l'égalité du Père, du Fils et du Saint- mais seulement Père de la sagesse, il reste à
Esprit, parce qu'il est écrit que le « Christ est savoir comment, le Fils étant appelé Dieu de
« la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu » eu ; Dieu, lumière de lumière, on pourra aussi
sorte que l'égalité cesserait d'exister parce que l'appeler sagesse de sagesse. Dans cette hypo-
le Père ne serait point vertu et sagesse, mais thèse, pourquoi le Père ne serait-il pas aussi
Père de la vertu et de la sagesse. Au fond, on appelé le Père de sa grandeur, de sa bonté,
n'attache pas d'ordinaire une médiocre impor- de son éternité, de sa toute-puissance, de sorte
tance à savoir comment Dieu peut être appelé qu'il ne serait pas lui-même sa propre gran-
Père de la vertu et de la sagesse. L'Apôtre dit deur, sa bonté, son éternité, sa toute-puis-
en effet que «le Christ est la vertu de Dieu et sance, mais qu'il serait simplement grand de
«la sagesse de Dieu'». De là quelques-uns la grandeur, bon de la bonté, éternel de l'é-
des nôtres ont déduit le raisonnement suivant ternité , tout-puissant de la toute-puissance
contre ceux des Ariens qui ont les premiers qui est née de lui, absolument comme il ne
attaqué la loi catholique. Arius aurait dit, à serait point sage de sa sagesse, mais de la sa-
ce qu'on rapporte : S'il est Fils, il est né; s'il gesse qui est née de lui ? Dans ce cas, si réelle-

est né, il y a eu un temps où il n'était pas Fils : ment Dieu est seulement le Père de sa gran-
ne comprenant pas qu'être né de Dieu c'est deur, de sa bonté, de son éternité, de sa toute-
être éternel, en sorte que le Fils est coéternel puissance, il ne faudrait pas reculer devant la
au Père, comme la lumière produite et répan- nécessité d'admettre, en dehors de Fadoption
due par le feu, naît en même temps que lui, de beaucoup de fils de Dieu coé-
la créature,
et lui serait coéternelle si le feu était éternel. ternels au Père.
Aussi plus tard quelques Ariens ont rejeté A cette objection on répond sans peine que,
cette opinion, et ont reconnu que le Fils de nommer beaucoup d'attributs divins, ce n'est
Dieu n'a pas commencé dans le temps. Mais pas supposer que Dieu soit le père de beau-
dans les discussions que les nôtres soutenaient coup de fils coéternels, pas plus qu'on ne sup-
contre ceux qui disaient Il fut un temps où : pose qu'il est doublement Père, quand on dit
le Fils n'était pas, quelques-uns faisaient ce que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse
raisonnement Si le Fils de Dieu est la vertu
: de Dieu car la vertu est la même chose" que
:

et la sagesse de Dieu et que Dieu n'ait jamais la sagesse, et la sagesse la même chose que la
été sans vertu et sans sagesse, le Fils est donc vertu. On peut doncdire aussi que la «^ran-
coéternel à Dieu le Père. Or, l'Apôtre dit que deui et tous les autres attributs que
nous
« le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de avons mentionnés et ceux que l'on peut men-
« Dieu»; et d'autre part, affirmer qu'il fut un tionner encore, sont la même chose que la
' I Cor. I, 24. vertu.
436 DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE II. et le corps? On peut dire cependant L'âme :

était chez l'homme, c'est-à-dire dans l'homme,


CE QUI PEUT OU NE PEUT PAS SE DIRE
bien que l'àme ne soit pas corps et que l'homme
DU PÈRE ET DU FILS.
soit tout à la foisâme et corps. Ce qui se lit
3. on ne dit du Père considéré en
Mais si ensuite Verbe était Dieu », doit s'en-
: « Et le '

lui-même que ce qu'il est par rapport à son tendre ainsi Le Verbe, qui n'est pas le Père,
:

Fils, c'est-à-dire son Père, son Générateur, était Dieu avec le Père. Dirons-nous donc que

son Principe, si de plus, il est principede ce le Père engendre sa grandeur, c'est-à-dire en-

qu'il engendre de lui-même : si d'autre part, gendre sa vertu ou engendre sa sagesse; que
toutes les com-
autres expressions lui sont le Fils est grandeur, vertu et sagesse, mais
munes avec son ou plutôt dans son Fils,
Fils, que les deux ensemble sont le Dieu grand,
soit qu'on le dise grand de la grandeur qu'il tout -puissant, sage? Mais alors comment
a engendrée, ou bon de la bonté qu'il a en- expliquerons-nous « Dieu de Dieu
: , lumière
gendrée, ou puissant de la puissance ou vertu « de lumière? » Car le Père et le Fils ne sont
qu'il a engendrée, ou sage de la sagesse qu'il pas tous deux Dieu de Dieu, le Fils seul est
a engendrée; en sorte que le Père n'est point Dieu de Dieu, du Père tous deux ne sont pas ;

appelé la grandeur même, mais le générateur non plus lumière de lumière, mais le Fils
de la grandeur; à son tour, si le Fils qui consi- seul, engendré du Père qui est lumière, ne
déré en lui-même est appelé Fils non conjoin- pourrait-on pas dire que pour indiquer briè-
tement avec son Père, mais relativement à vement et bien faire comprendre que le Fils
son Père, n'est point dit grand en lui-même, est coéternel au Père on a employé ces ,

mais avec le Père dont il est la grandeur, sage expressions : « Dieu de Dieu et lumière de lu-

avec le Père dont il est la sagesse comme le , « mière », au que le Fils


lieu de celles-ci : ce
Père est dit sage avec le Fils, parce qu'il est n'est pas sans le Père, vient de ce que le Père
sage de la sagesse qu'il a engendrée; il en ré- n'est pas sans le Fils, c'est-à-dire Lumière qui :

sulte que dans tout ce qui se dit d'eux d'une n'est pas lumière sans le Père vient de lumière

manière absolue, c'est-à-dire dans tout ce qui qui est le Père, lequel ne serait pas lumière
exprime la substance, on ne sépare point l'un sans le Fils afin que quand on dit Dieu
; ce :

de l'autre, les qualifications leur sont com- que le Fils n'est pas sans le Père de Dieu , —
munes. Or, s'il en est ainsi, le Père n'est donc — ce que le Père n'est pas sans le Fils —
pas Dieu sans le Fils, ni le Fils Dieu sans le il soit parfaitement entendu que celui qui

Père, mais les deux ensemble sont Dieu. Et engendre n'est point antérieur à celui qui est
quand on dit: «Dans le principe était le Verbe», engendré. Cela posé, le seul cas où l'expres-
cela veut dire : Le Verbe était dans le Père, sion est exclusivement apphcable àl'un d'eux,
ou si ces mots : «Dans le principe», veulent c'estquand ils ne sont pas tous les deux la
dire avant toutes choses, dans les paroles
: chose que cette expression désigne. Ainsi on
suivantes « Et le Verbe était en Dieu » le mot
: , ne peut dire Verbe de Verbe, parce que tous
Verbe ne s'entend que du Fils seul, et non du les deux ne sont pas Verbe, mais le Fils seu-
Père et du Fils, comme si les deux étaient un lement; ni image d'image, parce qu'ils ne
seul Verbe. En effet. Verbe a ici le sens d'i- sont pas tous les deux image ni Fils de Fils, ; :

mage; or Père et le Fils ne sauraient être


le parce qu'ils ne sont pas fils tous les deux, d'a-
tous les deux images; mais le Fils seul est près cette parole « Moi et mon Père nous :

image du Père, comme seul il est son Fils : «sommes un ^ ». En effet: «Nous sommes
car ne sont pas fils tous les deux.
ils « un », signifie : Ce qu'est mon Père quant
Quant à ce qui suit « Et le Verbe était en : à l'essence, je le suis aussi, mais nonce qu'il

« Dieu », il y a de fortes raisons de l'entendre est au point de vue relatif.

ainsi : « Le Verbe » — Fils seul


et le est Verbe
CHAPITRE
— « était en Dieu », — Père n'est
et le pas le
111.

seul qui soit Dieu, — mais Père le et le Fils l'unité d'essence du PÈRE ET DU FILS.

sont Dieu ensemble. Et comment s'étonner de 4. Je ne sais si on trouverait nulle part dans
cela, quand le même
raisonnement peut s'ap- l'Ecriture ces expressions «êtreun» appliquées
pliquer à des choses de nature différente? à des objets de différente nature. Si plusieurs
Quoi de plus diiférent, par exemple, que l'àme Jean, i, 1. — ' Id. x, 30.
. .,

LIVRE VI. — ÉGALITÉ DES PERSONNES. 437

êtres sont de même nature et pensent diver- Grand, un seul Sage, comme nous l'avons dit.
sement, ils ne sont pas un par le seul fait qu'ils 5. Comment donc le Père serait-il plus

ne pensent pas l'un comme l'autre. Par exem- grand? S'il était plus grand, ce ne pourrait
ple, s'il suffisait aux hommes d'être hommes être que par la grandeur. Or, le Fils étant la
pour en recommandant ses
être un, le Christ, grandeur du Père, et ne pouvant évidemment
disciples à son Père, n'aurait pas exprimé ce être plus grand que celui qui l'a engendré ;

vœu «Afin qu'ils soient un, comme nous *».


: d'autre part, le Père ne pouvant être plus
Maiscomme Paul etApoUo étaient deux hommes grand que la grandeur qui le fait grand, le
et pensaient de la même manière, l'apôtre a pu Fils lui est donc égal. Et comment le Fils est-
dire : « Celui qui plante et celui qui arrose sont il égal, sinon par celui qui le fait être, et en

« une seule chose ^» . Quand donc on parle d'une qui l'être et la grandeur sont la même chose?
seule chose sans spécifier quelle est cette seule Que si le Père était plus grand par l'éternité
chose et qu'il s'agit de plusieurs êtres, cela le Fils ne lui serait donc point égal en toute
signifie identité de nature, identité d'essence chose. Comment, en effet, lui serait-il égal ?
sans diversité d'opinions ni de sentiments. Si vous dites que c'est par la grandeur, une
Mais quand on désigne cette unité , cela peut grandeur à qui l'éternité manque, n'est plus
s'entendre de plusieurs substances diverses égale. Sera-t-il égal en vertu et non en sa-
ne formant qu'un tout. Ainsi l'âme et le corps gesse? Mais comment la vertu qui est moins
ne sont certainement pas une seule chose : sage sera-t-elle égale ? Ou bien sera-t-il égal
— qu'y a-t-il même de plus différent ? à — en sagesse, et non en puissance ? Mais comment
moins qu'on n'ajoute ou ne sous-entende l'es- une sagesse moins puissante sera-t-elle égale?
pèce d'unité, c'est-à-dire un homme, ou un Il reste donc à dire que si l'égalité manque

animal. en quelque chose, elle manque en tout. Or,


Voilà pourquoi l'Apôtre dit : « Celui qui l'Ecriture nous crie que ce
: « Il n'a pas cru
« s'unit à une prostituée, devient un même une usurpation de se faire égal à Dieu »
« fût ^

« corps avec elle » . Il ne dit pas ; ils sont une Donc tout ennemi de la vérité, pourvu qu'il
même chose, ou : c'est une même chose; mais n'ait pas rejeté l'autorité
de l'Apôtre, est forcé
il ajoute le mot
pour indiquer l'u- « corps », de reconnaître que le Fils est égal à Dieu, au
nité formée par l'union de deux objets diffé- moins sur un point quelconque. Qu'il choi-
rents un corps d'homme et un corps de
, sisse donc quel attribut il voudra; il suffira
femme. Et quand il dit « Celui qui s'unit au : d'un pour lui prouver que le Fils est égal en
« Seigneur est un seul esprit avec lui ^ », il tout ce qui tient à sa substance.
ne dit pas celui qui s'attache au Seigneur
:

CHAPITRE IV.
est un, ou ils sont une seule chose; mais il
:

ajoute « esprit ». Car l'esprit de Dieu et l'es-


:
SUITE DU MÊME SUJET.
prit de l'homme sont de nature différente; 6. C'est ainsi que les vertus de l'âme humaine,
mais, en s'unissant, ils forment un esprit de dans quelque sens qu'on les entende et qu'on
deux éléments divers, sauf que l'esprit de les distingue, ne sauraient être séparées
en ;

Dieu est heureux et parfait sans l'esprit de sorte que ceux qui sont égaux en force,
par
l'homme, tandis que l'esprit de l'homme n'est exemple, le sont aussi en prudence, en tem-
heureux qu'avec l'esprit de Dieu. Ce n'est pas pérance et en justice. En effet, si vous
dites
sans raison je pense que dans l'Evangile
, , que deux hommes sont égaux en force, mais
selon saint Jean, le Seigneur disant de si que l'un l'emporte sur l'autre par la pru-
grandes choses et parlant si souvent de l'u- dence, il s'ensuit que la force de cet autre
est
nité, soitde celle qui existe entre lui et son moins prudente; par conséquent, ils ne sont
Père, soit de celle qui existe entre nous, n'a plus égaux en force, puisque la force de
l'un
jamais dit nulle part afin que nous et eux :
est plus prudente que celle de l'autre. Et
ainsi
soyions une seule chose mais bien « Afin , :
en sera-t-il des autres vertus, si vous les exa-
« qu'ils soient un, comme nous sommes un * » minez en détail. Car il ne s'agit pas des forces
Donc le Père et le Fils sont un selon l'unité de du corps, mais de celles de l'âme. A combien
substance, et il n'y a qu'un seul Dieu, un seul plus forte raison en est-il de même dans cette
' Jean, xvii, 11. — ' I Cor. m, 8. — ' Id. vi , 16, 17. — '
Jean,
immuable et éternelle substance, incompara-
XVI], 11. ' Phii. Il, 6.
438 DE LA TRINITÉ.

blement plus simple que rame humaine? En estproposé à notre imitation avec l'aide de ,

effet, pour l'àme humaine, ce n'est pas une la grâce, et vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de
même chose d'exister et d'être forte, pru- nous toute la loi et les prophètes se rattachant
:

dente, juste ou tempérante ; car l'âme peut à ces deux commandements \ Ainsi ces trois
exister et n'avoir aucune de ces vertus. Mais, personnes sont un Dieu unique, seul, grand,
pour Dieu, exister c'est être fort, juste, sage, sage, saint, heureux. Pour nous, c'est de lui,
c'estposséder tout ce que l'on peut dire de la par lui et en lui que nous sommes heureux,
multiplicité simple ou de la simplicité multi- parce qu'il nous donne d'être une seule chose
ple, pour exprimer sa substance. Ainsi, quand entre nous, et un seul esprit avec lui, vu que
on dit Dieu de Dieu, cela veut dire que le nom notre âme s'attache à lui. Et il nous est avan-
de Dieu convient à l'un et à l'autre, de ma- tageux de nous attacher à Dieu, car il perdra
nière à ce qu'il n'y ait qu'un seul Dieu, et tous ceux qui l'abandonnent K L'Esprit-Saint
non plusieurs Dieux. Car ils sont unis l'un à est donc, quel qu'il au Père et
soit, commun
l'autre, comme cela arrive même pour des au Fils. Mais cette communauté
consub- est

substances hétérogènes, ainsi le témoigne stantielle et coéternelle. Qu'on l'appelle ami-


l'Apôtre. Dieu pris en lui-même est
En effet, tié, si on juge l'expression convenable; mais

esprit; l'esprit de l'homme considéré en lui- celle de charité vaut mieux. C'est aussi une

même est aussi esprit et cependant, s'il s'at-


;
substance, parce que Dieu est substance et
tache à Dieu, c( il est un seul esprit avec lui » ; que « Dieu est charité », ainsi qu'il est écrit ^
à combien plus forte raison cela peut-il se Or, comme cette substance est avec le Père et
dire là où l'union est indissoluble et éternelle ! le Fils, elle est aussi, avec le Père et le Fils,

à moins de tomber dans l'absurdité d'enten- grande, bonne, sainte, et tout ce qui est dans
dre par Fils de Dieu, fils des deux ce qui : la nature divine car exister, en Dieu, n'est
:

arriverait si le mot Dieu ou tout ce qui ex- pas autre chose qu'être grand, bon, etc., ainsi

prime la substance divine, ne s'appliquait pas que nous l'avons démontré plus haut. Si, en
aux deux et même à la Trinité tout entière. elîet la charité était là moins grande que la
,

Quoi qu'il en soit (et ce sujet demande une sagesse, la sagesse ne serait pas aimée tout

discussion plus approfondie) , le point qui entière; elle est donc égale, et la sagesse

nous occupe est assez clair, savoir que le :


est aimée dans toute son étendue. Or, la

Fils n'est en aucune façon égal au Père, s'il sagesse est égale au Père, comme nous
ne lui est égal en tout ce qui tient à la sub- l'avons expliqué plus haut; donc le Saint-

stance divine, comme nous l'avons déjà Esprit lui est égal aussi; et s'il lui est égal, il

prouvé. Or, l'Apôtre le dit égal. Donc le Fils l'est en tout, à cause de la parfaite simplicité

est égal au Père en tout, et d'une seule et qui caractérise cette substance. Voilà pour-
même substance avec lui. quoi il n'y a rien en Dieu de plus que trois :

l'un aimant celui qui est de lui ; l'autre ai-


CHAPITRE V. mant il est, et leur amour même.
celui de qui
Or, si amour
cet n'existe pas, comment «Dieu
LE SAINT-ESPRIT ÉGAL EN TOUT AU PÈRE
« est-il amour ? » Et s'il n'est pas substance,
ET AU FILS.
comment Dieu est-il substance ?
7. C'est pourquoi le Saint-Esprit a aussi la
CHAPITRE VI.
même unité de substance et la même égalité.
En effet, qu'il soit l'unité ou la sainteté, ou la COMMENT DIEU EST UNE SUBSTANCE SIMPLE
charité des deux, ou l'unité par la charité, ou ET MULTIPLE.
la charité par l'unité, il est clair qu'aucun des
deux n'est ce qui les unit, ce par quoi celui qui 8. Si l'on demande comment cette substance
est engendré aime celui qui l'engendre et en estsimple et multiple, il faut d'abord exami-

est aimé à son tour, et qui fait qu'ils conser- ner pourquoi la créature est multiple et ja-

vent l'unité d'esprit par le lien de la paix *, mais vraiment simple. En premier lieu, tout
non en vertu d'une communication, mais par corps est composé de parties, de telle sorte
leur propre essence,non parla grâce d'un être que l'une est phis grande, l'autre plus petite,
supérieur, mais par eux-mêmes. Modèle qui et que toute partie , quelle qu'elle soit et si
» Eph. IV, 3.
'
Malt, xxil, 37-10. — ' Ps. L.x.wii, 28, 27. - •"•

1 Jean, iv, 16.


, ,

LIVRE VI. — EGALITE DES PERSONNES. 439

grande qu'elle soit, est moindre que le tout. sagesse et sa grandeur, et sa vérité est la
En effet, le ciel et la terre sont des parties de même chose que tout cela : car en lui, être
l'univers; la terre en particulier, le ciel en heureux n'est pas autre chose qu'être grand,
particulier sont composés de parties innom- être sage, ou vrai, ou bon, être enfin ce qu'il
brables, et moindres dans le tiers que dans le est.
reste, dans la moitié que dans le tout; et l'u-
CHAPITRE VII.
nivers entier, vulgairement désigné par ces
deux parties, le ciel et la terre, est évidem- DIED EST TRINITÉ, MAIS n'EST POINT TRIPLE.
ment plus grand que le ciel seul ou que la
9. il ne faut pas
Et parce qu'il est trinité,
terre seule. Et dans chaque corps, autre chose
est la grandeur, autre chose la couleur ou la
s'imaginer qu'il autrement le Père
soit triple :

seul, ou le Fils seul, seraient moindres que le


figure. En effet, la même couleur et la même
Père et le Fils réunis. Du reste on ne voit pas
figure peuvent subsister, grandeurquand la
diminue; la couleur peut changer, bien que comment on pourrait dire le Père seul, ou le
la figure et la grandeur restent les mêmes, et
Fils seul, puisque le Père est toujours et insé-
la figure peut aussi varier sans que la gran-
parablement avec le Fils et le Fils avec le Père,
deur et la couleur subissent des changements. non pour être tous les deux Père ou tous les
Ainsi toutes les propriétés qui s'affirment
deux Fils, mais parce qu'ils sont toujours en-
si-

multanément d'un corps, peuvent changer semble et jamais séparés. Néanmoins comme
soit ensemble, soit les unes sans les autres. nous disons Dieu seul, en parlant de la Trinité,
Preuve évidente que la nature du corps est bien que Dieu soit toujours avec les esprits et les

multiple et jamais simple. La créature spiri- âmes des saints et que nous l'appelons seul
,

tuelle, l'àme par exemple, est sans doute plus


parce que ces esprits ne sont point Dieu avec
lui ainsi nous disons le Père seul, non parce
simple comparativement au corps; mais prise ;

qu'il est séparé de son Fils, mais parce qu'ils


en elle-même et sans comparaison avec le
corps, elle est multiple aussi, et nullement ne sont pas Père tous les deux.
simple. En effet, elle est plus simple que le
corps, parce qu'elle n'occupe pas de place
CHAPITRE VÏIl.

dans l'étendue locale, mais qu'elle est dans RIEN NE s'ajoute A LA NATURE DIVINE.
chaque corps, tout entière dans le tout et
aussi dans chaque partie; en sorte que quand Ainsi donc le Père seul, ou le Fils seul, ou
une du corps, même la plus exiguë
partie le Saint-Esprit seul étant aussi grand que le
éprouve une sensation, l'àme tout entière en Père, le Fils et le Saint-Esprit réunis,on ne
est affectée, et rien en échappe, bien que
ne lui peut en aucune façon dire que Dieu est triple.
cette sensation ne s'étende pas au corps en- En effet les corps augmentent par adjonction.
tier. Cependant, comme dans la nature de Quoique celui qui s'unit à sa femme ne soit
l'âme, autre chose est l'activité, autre chose qu'un seul corps ce corps avec elle, est néan-
;

la paresse, ou la finesse, ou la mémoire, ou moins plus grand que celui de l'homme seul
le désir, ou la crainte, ou la joie, ou la tris- ou de la femme seule. Mais, dans les choses
tesse, ou d'autres affections sans nombre, et spirituelles, quand le moindre s'unit au plus

que ces affections peuvent subsister les unes grand, comme la créature au (Créateur, c'est
sans les autres et sont susceptibles de plus ou celle-là qui s'agrandit, et non celui-ci. En effet,
de moins il est de toute évidence que cette
: dans tout ce qui n'est pas matériel c'est ,

nature n'est pas simple, mais multiple. Car s'agrandir que de devenir meilleur. Or, l'espri t
rien de simple n'est sujet à changement; or d'une créature devient meilleur en s'unissant
toute créature est changeante. au Créateur qu'en ne s'y unissant pas, et, en
On se sert d'expressions multiples pour dire devenant meilleur, il devient plus grand.
que Dieu est grand, bon, sage, heureux, vrai, Donc « celui qui s'unit au Seigneur est un seul
pour désigner tous les attributs qui sont dignes « esprit avec lui » et cependant le Seigneur
'
;

de lui mais sa grandeur est la même chose


; ne devient pas plus grand, parce que celui
que sa sagesse; car ce n'est pas par l'étendue qui s'unit à lui le devient davantage. Par con-
matérielle, mais par sa vertu qu'il est grand. séquent, dans Dieu lui-même, .le Fils égal
Sa bonté est également la uième chose que sa '
I Cor. vt. 17.
DE LA TRINITÉ.

étant uni au Père égal, elle Saint-Esprit, aussi deux ne fassent qu'un, ce lien de paix est par
égal, étant uni au Père et au Fils, Dieu n'est là même exprimé sans , être expressément
pas plus grand que chacune de ces trois per- nommé ? En effet l'Apôtre semble aussi passer
sonnes, parce que sa perfection ne saurait en quelque sorte l'Esprit sous silence, bien
s'augmenter. Or le Père est parfait, le Fils est que sa présence soit sensible, dans ce passage
parfait, le Saint-Esprit est parfait, et le Père, où il dit «Tout est à vous, mais vous êtes au
:

le Fils et le Saint-Esprit sont Dieu parfait; « Christ, et le Christ à Dieu * » et dans cet :

donc Dieu est Trinité sans être triple. autre « Le chef de la femme est l'homme,
:

« le chef de l'homme est le Christ, et le chef


CHAPITRE IX. « du Dieu ^ ». Mais, encore une fois,
Christ|est
s'il n'y a de Dieu que les trois ensemble,
EST-CE UNE SEULE PERSONNE OU LES TROIS PER-
SONNES ENSEMBLE QUE l'ON APPELLE UN SEUL
comment Dieu est il le chef du Christ, c'est-
DIEU?
à-dire comment la Trinité est-elle le chef du
Christ, alors que le Christ doit être dans la
10. Après avoir démontré que le Père seul Trinité pour qu'elle soit Trinité? Serait-ce que
peut être appelé Père, parce qu'il n'y a de ce que le Père est avec le Fils, est le chef de
Père que lui, il faut examiner l'opinion qui ce que le Fils est seul? En effet le Père est
prétend que le seul vrai Dieu n'est pas le Dieu avec le Fils , et le Fils seul est Christ ;

Père seul, mais le Père, le Fils et le Saint- d'autant plus que celui qui parle ici est le

Esprit réunis. En effet, si l'on demande : le Verbe fait chair, abaissement qui le rend
Père seul est-il Dieu? peut-on répondre que inférieur au Père, selon ce qu'il dit lui-

non, à moins de dire que le Père est vraiment « même : Parce que mon Père est plus
Dieu, mais non le seul Dieu, et que le seul « grand que moi '». Ainsi l'être divin, qui lui

Dieu c'est le Père, le Fils et le Saint-Esprit? est commun avec le Père, est le chef de
Mais alors que ferons-nous du témoignage l'homme médiateur, qu'il est seul *. Car si

même du Seigneur? Après avoir nommé son nous avons raison d'appeler l'âme la partie
Père et lui adressant la parole, il lui disait : principale de l'homme, c'est-à-dire comme le
aOr, la vie éternelle, c'est qu'ils vous con- chef de la substance humaine , quoique
« naissent, vous seul vrai Dieu ^ ? » Paroles l'homme soit avec son esprit ; à combien plus
que Ariens interprètent en ce sens que
les juste titre le Verbe, qui est Dieu avec le Père,
le Fils n'est pas vrai Dieu. Mais laissant \k sera-t-il le chef du Christ, bien que le Christ
les Ariens, nous avons à voir si par ces pa- fait homme ne se puisse comprendre en dehors
roles : vous connaissent, vous
« C'est qu'ils du Verbe qui s'est fait chair ? Mais tout cela,
seul vrai «Dieu», nous sommes
forcés de nous l'avons dit, sera étudié plus spéciale-
croire que le Christ a voulu insinuer que le ment dans la suite. Pour le moment, nous
Père seul est vrai Dieu, en ce sens qu'il n'y avons démontré, le plus brièvement possible,
a de Dieu que les trois réunis. Père, Fils et l'égalité et l'unité de substance dans la Trinité,

Saint-Esprit. Devons-nous conclure de ce en sorte que cette question, que nous nous
témoignage du Christ que le Père seul est réservons d'approfondir plus tard, ne peut en
vrai Dieu, que le Fils seul est vrai Dieu, que aucune façon, en quelque sens qu'elle soit ré-
le Saint-Esprit seul est vrai Dieu, c'est-à-dire solue, nous empêcher de reconnaître la par-
que la Trinité même, dans son ensemble est faite égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

le seul vrai Dieu, et non trois vrais dieux ? Et


quand le Sauveur ajoute : « Et celui que vous
CHAPITRE X.

« avez envoyé, Jésus-Christ », faut-il sous-en- ATTRIBUTS DE CHAQUE PERSONNE d' APRÈS SAINT
tendre : c< est seul vrai Dieu », en sorte que le HILAIRE. LA TRINITÉ REPRÉSENTÉE.
sens des paroles serait : c'est qu'ils connaissent
que en vous et dans celui que vous avez envoyé, 11. Un écrivain, voulant d'un mot désigner
Jésus-Christ, le seul vrai Dieu? Pourquoi alors dans les créatures les attributs de chacune des
passe-t-il le Saint-Esprit sous silence ? Est-ce personnes de la Trinité, a dit « L'Eternité dans :

parce que, quand on nomme une chose unie « le Père, la Beauté dans l'Image, l'Usage dans

à une autre par un lien de paix tel que les


'
I Cor. III, 22, 23. — =
Id. XI , 3. — • Jean, xiv, 28, — ' I Tim.
' Jean, xtii, 3. Il, 5.
,

LIVRE VI. — ÉGALITÉ DES PERSONNES. 441

« le Don» Et comme Hilaire (car c'est lui qui a


. seul mot. Usage , c'est-à-dire : l'Esprit- Saint

écrit cela dans ses livres: Delà Trinité,\i\.'2)esi dans la Trinité , non engendré
mais doux ,

un auteur de grande autorité en fait de com- lien de celui qui engendre et de celui qui est
mentaires sur les Ecritures et de défense de la engendré, se répandant avec générosité et
foi, après avoir cherché de toutes mes forces à abondance sur toutes les créatures dans la
pénétrer le sens caché de ces mots : Père, mesure de leur capacité, afin que chacune
Image, Don, éternité, beauté, usage, je pense soit dans l'ordre et se tienne à sa place

qu'il a simplement entendu dire par le mot 12. Aussi lousces êtres, créés par l'artdivin, [

d'éternité, que le Père n'a point de père de portent en eux un certain cachet d'unité, de
'

qui il soit né, mais que le Fils tient l'être du beauté et d'ordre. En effet, chacun d'eux est
Père et lui est coéternel. En eifet si l'image , une espèce d'unité, comme par exemple, les
reproduit parfaitement l'objet dont elle est natures des corps et les facultés des âmes;
l'image, c'est elle qui lui est coégale,etnonlui possède un genre de beauté, comme les figures
à elle. Hilaire a nommé cette image beauté, à ou les propriétés des corps, les connaissances
cause, je pense, de la beauté qui résulte de ou les talents des âmes ; et tend à un certain
cette^Xfaite convenance , de cette première ordre ou s'y tient, comme le poids ou les situa-
égalité, de cette première similitude, où il n'y tions du corps , et les affections ou les plaisirs
a aucune différence, aucune inégalité, aucune des ùmes. Il faut donc voir et comprendre le
dissemblance, mais où tout répond identique- Créateur par ses ouvrages ^
et retrouver dans
ment à l'être dont elle est l'image où est la ; chaque créature, dans une certaine proportion,
vie première et souveraine pour qui vivre et
,
les traces de la Trinité. Car c'est dans cette
être ne sont pas choses différentes mais , souveraine Trinité qu'est l'origine première
une seule et même chose; où est l'intel- de toutes choses, la beauté la plus parfaite, le
ligence première et parfaite pour qui vi-,
bonheur le plus complet. Ainsi ces trois per-
vre et comprendre ne sont pas chose dif- sonnes semblent se déterminer mutuellement
férentes, mais où comprendre, vivre et être et sont infinies en elles-mêmes. Mais, ici-bas,
ne sont qu'une seule et même chose Verbe : dans les objets corporels, une chose n'est pas au-
ne manque; moyen d'action,
parfait, à qui rien tant que trois, et deux sont plus qu'un, taudis
pour ainsi dire, du Dieu tout-puissant et sage, que dans cette souveraine Trinité une personne
contenant dans sa plénitude la raison immu- est autant que trois ensemble, et deux ne sont
able de tous les êtres vivants en qui tous ; pas plus qu'une. Et elles sont infinies en elles-
sont une seule chose, comme elle-même est mêmes. Ainsi chacune est dans chacune, et
une seule chose d'une seule chose, avec qui toutes sont dans chacune, et chacune est dans
elle ne fait qu'un. Là Dieu connaît tout ce
, toutes, et toutes sont dans toutes, et toutes ne
qu'il a fait par elle, en sorte que quand les font qu'un. Que celui qui voit cela même
temps passent et se succèdent, rien ne passe imparfaitement, même à travers un miroir et
ni ne se succède dans la science de Dieu. Car en énigme % se réjouisse de connaître Dieu,
ce n'est pas parce que les choses créées sont l'honore comme Dieu et lui rende grâces ;

faites que Dieu les connaît; mais plutôt elles que celui qui ne voit pas, cherche pieusement
sont faites et changeantes, parce que Dieu en a à voir, et non à rester aveugle pour blasphé-
la connaissance immuable. Cette ineffable mer. Car Dieu est un, et pourtant Trinité.
union du Père et de son Image n'est donc pas Entendons sans confusion ce texte « De qui :

sans jouissance, sans amour, sans joie. Et c'est « par qui et en qui sont toutes choses; à lui »,
cet amour, cette délectation, cette félicité ou et non à plusieurs dieux « gloire dans les ,

béatitude, —
si aucune de ces expressions « siècles des siècles. Ainsi soit-il ^ ».
humaines est digne —
qu'Hilaire appelle d'un ' Rom, j, 20. — • I Cor. xm, 12. — » Bom. xi, 36.
LIVRE SEPTIEME.
Dieu le Père, qui a engendré le Fils, ou la vertu et la sagesse, non-seulement est le Père delà vertu et de la sagesse, mais est
lui-même vertu et sagesse, et également le Saint-Esprit, Cependant il n'y a pas trois vertus ou trois sagesses, mais une seule
vertu et une seule sagesse , comme il n'y a qu'un Dieu et une essence. Pourquoi les Latins disent-ils une essence et trois
personnes, et les Grecs une essence et trois substances ou hypostases? Ces expressions sont nécessaires pour signifier d'une
manière quelconque ce que sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

CHAPITRE PREMIER. entendre un son et passe, mais de celle dont


il est dit que le Verbe était en Dieu, que le
CHACUNE DES TROIS PERSONNES DE LA TRINITÉ
Verbe était Dieu et que par lui tout a été fait';
EST-ELLE SAGESSE PAR ELLE-MÊME ? DIFFICULTÉ
Verbe égal à lui et par lequel il s'exprime lui-
DE CETTE QUESTION ; MOYEN DE LA RÉSOUDRE. même toujours et sans changement. Car il

1. Approfondissons maintenant davantage ,


n'est pas Verbe lui-même, pas plus qu'il n'est
autant que Dieu nous le donnera, la question Fils, ni image. Or, quand il parle, nous —
dont nous avons dilTéré la solution tout à exceptons ici le langage temporel que Dieu a
l'heure, à savoir chacunedestroispersonnes
: si fait entendre à la créature, langage qui bruit et
de la Trinité peut, en elle-même, indépen- passe ;
quand il parle, dis-je, par ce Verbe coéter-
damment des autres , être appelée Dieu ,
uel, ne doit pas être supposé seul, mais bien
il

grand, sage, vrai, tout-puissant, juste, possé- avec Verbe lui-même, sans lequel il ne par-
le

dant tous les attributs essentiels et non rela- lerait certainement pas. Mais est-il sage seu-

tifs ou si ces expressions ne doivent s'em-


;
lement parce qu'il parle, de manière à être
ployer que quand ou parle de la Trinité tout sagesse comme son Verbe ? Et être Verbe, et
entière. Cette question est soulevée par ces être sagesse, est-ce la même chose ? En peut-

mois de l'Apôtre « Le Christ vertu de Dieu et: on dire autant de la vertu, tellement que
« sagesse de Dieu » Dieu est-il le Père de sa pro-
'
. vertu, sagesse et Verbe soient la même chose,
pre sagesse et desa propre vertu, demanièreà etque ces expressions soient seulement rela-
être sage de la sagesse qu'il a engendrée, et puis- tives, comme les mots Fils et image de sorte ;

sant de la vertu qu'il a engendrée vertu et : que le Père pris en particulier, ne soit pas
sagesse qu'il a toujours engendrées, puisqu'il puissant ou sage, mais seulement avec la vertu
est toujours puissant et sage ? Car, disions- et la sagesse qu'il a engendrées, tout comme il

nous, en est ainsi, pourquoi ne serait-il


s'il ne parle pas seul, mais par le Verbe et avec le
pas le Père de la grandeur par laquelle il est Verbe qu'il a engendré et ainsi n'est-il grand;

grand, de la bonté par laquelle il est bon, de que de la grandeur et avec la grandeur qu'il a
la justice par laquelle il est juste, et ainsi des engendrée ? et s'il n'est pas grand par autre
autres attributs ? Que si toutes ces choses expri- raison qu'il est Dieu, s'il n'est grand que parce
mées par des noms divers sont renfermées qu'il est Dieu, vu que être grand et être Dieu

dans la même sagesse et la même vertu, en sont pour lui la même chose; il s'ensuit que,
sorte que la grandeur soit la même chose que pris en particulier, il n'est pas Dieu, mais seu-

la vertu, labontélamème chose que la sagesse, lement par et avec la divinité qu'il a engen-
et aussi la sagesse chose que la vertu, la même drée, de telle sorte que le Fils est la divinité
comme nous l'avons déjà dit, souvenons-nous du Père, comme il est la sagesse et la vertu du
alors que, quand nousnommonsundecesattri- Père, comme il est le Verbe et l'image du Père.
buts, c'est comme si nous les nommions Et comme être et être Dieu sont pour lui la
tous. même chose, ainsi le Fils est aussi l'essence du
On demande donc si le Père, pris en parti- Père, comme il est son Verbe et son image. Par
culier, est sage, s'il est à lui-même sa propre conséquent encore, excepté sa qualité de Père,
sagesse, ou s'il est sage seulement quand il le Père n'est quelque chose que parce qu'il aun

parle : car il parle par le Verbe qu'il a engen- Fils, en sorte que non-seulement en tant que

dré, non d'une parole qui se prononce, fait Père, —


et il est évident qu'il ne l'est point par
• I Cor. I, 24. ' Jean, I, 1, 3.
LIVRE VII. UNITE DE SUBSTANCE. 443

rapport à lui-même, mais par rapport à son dira-t-on que non-seulement il


du Père seul
Fils, puisqu'il n'est Père que parce qu'il a un n'est Père, mais que par rap-
qu'il n'est rien
Fils, — mais encore d'une manière absolue et port à son Fils, tandis qu'on dira du Fils qu'il
par sa nature même, il n'existe que parce est par lui-même? Si cela est, comment nom-
qu'il a engendré sa propre essence. En effet, mera-t-onle Fils en lui-même ?rappellera-t-on
comme il n'est grand que par la grandeur essence ? mais le Fils est l'essence du Père,
qu'il a engendrée, ainsi il n'existe que par comme il est la vertu et la sagesse du Père,
l'essence qu'il a engendrée, puisque être et comme il est le Verbe du Père et l'image du
être grand sont en lui une même chose. Est-il Père.
donc le Père de son essence, comme il est le Ou si l'on dit que le Fils est essence parlui-
Père de sa grandeur, comme il est le Père de même, tandis que le Père n'est point essence,
sa vertu et de sa sagesse ? car sa grandeur est mais qu'il a engendré l'essence ;
qu'il n'existe
la même chose que sa vertu, et son essence la point par lui-même, mais par l'essence qu'il a
même chose que sa grandeur. engendrée, comme il est grand par la gran-
2. Celte discussion est occasionnée par ces deur qu'il a engendrée: donc le Filsseraaussi
paroles : « Le Christ est la vertu de Dieu et la par lui-même la grandeur, donc il sera aussi
« sagesse de Dieu pourquoi voulant
» . C'est , par lui-même la vertu, la sagesse, le Verbe et
traiter des choses insondables, nous sommes l'image. Or, quoi de plus absurde que de dire
arrêtés à celte difficulté ou de dire que le
:
qu'une image est sa propre image ? Ou bien si
Christ n'est pas la vertu de Dieu et la sagesse l'image et le Verbe ne sont pas la même chose
de Dieu ce qui serait la négation insolente et
, que la vertu et la sagesse, que ces deux pre-
impie des paroles de l'Apôtre; ou de recon- — miers termes s'entendent dans le sens relatif,
naître que le Christ est bien la vertu de Dieu et ces deux derniers dans le sens absolu voilà :

et la sagesse de Dieu, mais que son Père n'est que le Père ne sera plus sage de la sagesse
point le Père de sa propre vertu et de sa pro- qu'il a engendrée, puisqu'il ne peut pas être
pre sagesse, —impiété qui ne serait pas moin- dit sagesse par rapport à elle, ni elle par
dre, puisqu'il ne serait pas le Père du Christ, vu rapport à lui. En effet , tout rapport suppose
que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de denx termes. Reste donc à dire que le Fils est
Dieu ou que le Père n'est pas puissant par
; essence par rapport au Père ; d'où ce résultat
sa propre vertu, ni sage par sa propre sagesse bien inattendu que l'essencii n'est pas l'essence,
:

— et qui oserait proférer ce blasphème ? ; ou ou du moins que quand on dit essence, on


que, dans le Père, autre chose est d'être, autre entend dire rapport. Donnons un exemple:
chose d'être sage, en sorte qu'il ne serait pas L'expression « maître » indique non une
sage par le seul fuit qu'il existe ce qui est vrai — essence, mais un rapport vis-à-vis d'un servi-
de l'âme humaine, laquelle est tantôt insensée, teur mais quand on dit «homme » ou quelque
:

tantôt sage, parce qu'elle est de nature chan- autre chose de ce genre, on in dique une essence
geante et ne possède pas la simplicité absolue et non une relation. Ainsi quand on dit d'un
et parfaite ; ou que le Père n'est point par lui- homme qu'il est maître, le mot «homme» dési-
même, et que non-seulement sa qualité de gne l'essence, le mot «maître» larelation car ;

Père, mais son existence même, est relative à l'homme est homme en lui-même, et maître
à son Fils, — comment donc le Fils sera-t-il de par rapport à son serviteur de : et la raison
même essence que le Père, si le Père par lui-
la ce langage est que si l'essence est
dans prise
même n'est pas l'essence, qu'il n'existe point le sens relatif, elle n'est plus proprement
par lui-même, mais ne possède l'être que par essence. Ajoutons que toute essence prise dans
rapport à son Fils? Mais, dira-t-on, il faut bien le sens relatif est encore quelque chose en
plutôt dire qu'il est d'une seule et même dehors de ce relatif; ainsi l'homme maître,
essence, puisque le Père ne sont
et le Fils l'homme serviteur, le cheval animal de somme,
qu'une seule et même essence; vu
que le Père la pièce de monnaie arrhes, sont homme, che-
n'est pas par lui-même mais seulement par
, val, pièce de monnaie en eux-mêmes, et sont
rapport au Fils qu'il a engendré comme essence, des substances ou des essences et ce n'est que ;

essence par laquelle il est tout ce qu'il est. Donc dans le sens relatif qu'on les appelle maître,
ni l'un ni rautren'estparsoi,ettouslesdeuxne serviteur, animal de somme, arrhes. Mais si
sont que relativement l'un à l'autre; ou bien, l'homme n'existait pas, c'est-à-dire n'était pas
44,4 DE LA TRINITÉ.

une substance, on ne pourrait le nommer qui a engendré la sagesse est sage par elle, et
maître relativement si le cheval n'était pas
; que, pour lui, être ne soit pas être sage, dès
une essence, on ne pourrait lui donner la qua- lors son Fils est sa qualité et non plus son
lification relative d'animal de somme et si ; Fils; la simplicité a cessé d'être parfaite. Mais
la piècede monnaie n'était pas une substance, loin de nous cette pensée car là l'essence est 1

on ne pourrait l'appeler relativement arrhes. vraiment et souverainement simple, et l'exis-


Si donc le Père n'est pas quelque chose en lui- tence et la sagesse y sont une même chose.
même, il estabsolument impossible de lui attri- Or, si être et être sage y sont une même chose,
buer un rapport. 11 n'en est pas ici comme le Père n'est donc pas sage par la sagesse qu'il
d'un objet coloré auquel la couleur se rap-
, a engendrée ; autrement il ne l'engendrerait
porte, cette couleur n'existant point par elle- pas, mais ce serait elle qui l'engendrerait lui-
même, mais appartenant toujours à l'objet oc- même. En qu'eutendons-nous quand
effet ,

loré, tandis que l'objet lui-même, bien qu'on nous disons que être et être sage sont pour lui
ne l'appelle coloré que par rapport à sa cou- la même chose, sinon qu'il existe par ce qui
leur, est cependant corps en lui-même. Il ne le fait sage? Donc, la raison pour laquelle il
faut donc pas s'imaginer que le Père n'est est sage, est aussi la raison pour laquelle il

point dans un sens absolu, mais simplement existe ; et, par conséquent, si la sagesse qu'il
par rapport à son Fils ; tandis que ce même a engendrée pour laquelle il est
est la raison

Fils aurait tout à la fois une existence propre sage, elle est aussi la raisonpour laquelle il
et une existence relative à son Père : étant existe ce qui ne peut avoir lieu que si elle
:

appelé par lui-même grandeur vraie et vertu l'engendre ou le crée. Or, personne n'a jamais
puissante, et de plus grandeur et vertu du Père dit que la sagesse ait engendré ou créé le Père

grand et puissant, par laquelle le Père est en aucune façon. Ne serait-ce pas là la plus
grand et puissant. Non, il n'en est pas ainsi : grande des folies ? Donc, le Père lui-même est
mais l'un et l'autre sont substance, et l'un et aussi sagesse ; et le Fils est appelé sagesse du
l'autre sont la même substance. Père, comme il est appelé lumière du Père ;

Or, comme absurde de dire que la


il est c'est-à-dire que, comme
lumière de lu- il est
blancheur n'est pas blanche, de même il est mière et que les deux ne sont qu'une même
absurde de dire que la sagesse n'est pas sage; lumière, ainsi doit-on entendre qu'il est sa-
et comme la blancheur est dite blanche par gesse de sagesse et que tous les deux sont une
elle-même, ainsi la sagesse est dite sage par même sagesse, et, par conséquent, une seule
elle-même. Mais la blancheur du corps n'est essence, puisque là, être et être sage c'est la
pas une essence, puisque c'est le corps lui- même chose. En effet, s'il est de la sagesse

même qui est essence, et la blancheur sa qua- d'être sage, de la puissance de pouvoir, de
lité : qualité qui le fait nommer corps blanc, l'éternité d'être éternelle, de la justice d'être

bien que pour lui exister et être blanc ne soient juste, de la grandeur d'être grande, il est de
pas la même chose. Car là, autre chose est l'essence d'exister. Et comme, dans cette sim-
la forme , autre chose la couleur ; et ni l'une plicité, la sagesse n'est pas autre chose que
ni l'autre n'existent par elles-mêmes, mais l'être, la sagesse n'est pas non plus autre chose
seulement dans un corps quelconque lequel , que l'essence.
corps n'est ni forme, ni couleur, mais seule- CHAPITRE II.

ment formé et coloré. La vraie sagesse est


LE PÈRE ET LE FILS SONT ENSEMBLE UNE SEULE
sage et elle est sage par elle-même. Et comme
SAGESSE , COMME UNE SEULE ESSENCE , BIEN
toute âme devient sage par participation à la
qu'ils ne SOIENT PAS ENSEMBLE UN SEUL
sagesse, si cette âme redevient insensée, la
VERBE.
sagesse n'en subsiste pas moins en elle-même :

ellene change pas, parce que l'âme a changé 3. Le Père et le Fils sont donc ensemble une
en passant à la folie. Mais il n'en est pas de seule essence, une seule grandeur, une seule
même de celui qui devient sage par elle, vérité, une seule sagesse mais le Père et le ;

comme le corps devient blanc par la blan- Fils ne sont pas ensemble un seul Verbe,
cheur. En effet, quand ce corps prend une parce qu'ils ne sont pas tous les deux un seul
autre couleur, la blancheur ne subsiste plus, Fils. En effet, comme le Fils est Fils relative-

elle a tout à fait cessé d'être. Que si le Père ment au Père, et non relativement à lui-
LÏVRE VII. — UNITÉ DE SUBSTANCE. 445

même ; ainsi le Verbe^ quand on le nomme la montrer engendrée ou créée de Dieu ?

ainsi, se rapporte à celui dont il est le Verbe. Sagesse engendrée par qui tout a été fait ;

Car il est Fils par même qu'il est Verbe, et


là sagesse créée ou faite dans les hommes, par
il est Verbe par là même qu'il est Fils. Donc, exemple, quand ils se tournent vers la sagesse
puisque Père et le Fils ensemble ne sont
le qui n'a pas été créée ou faite, mais engendrée,
évidemment pas un seul Fils, il s'ensuit que et qu'ils en reçoivent la lumière; car alors il
le Père et le Fils ensemble ne sont pas un seul se forme en eux quelque chose qui s'appelle
Verbe des deux. Voilà pourquoi le Verbe n'est leur sagesse ce que les Ecritures elles-mêmes
:

pas Verbe parce qu'il est sagesse, puisqu'il est prédisent ou racontent quand elles disent que
nommé Verbe, non par rapport à lui-même, « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi

mais seulement par rapport à celui dont il est « nous » le Christ étant devenu sagesse en de-
'
,

le Verbe, comme il est nommé Fils par rap- venant homme. Et si la sagesse ne parle pas dans
port à son Père, tandis qu'il est sagesse parce ces livres, ou si on n'y parle d'elle que pour
qu'il est essence. Et comme l'essence est une, montrer qu'elle est née ou créée de Dieu,
la sagesse est une. Or, comme le Verbe est quoique le Père lui-même soit sagesse, ne
sagesse, mais n'est pas Verbe parce qu'il est serait-ce pas pour nous recommander et pro-
sagesse — car il est Verbe relativement, et sa- poser à notre imitation cette sagesse même,
gesse essentiellement — entendons, quand on sur modèle de laquelle nous sommes for-
le

dit Verbe, qu'on parle de la sagesse née pour més? Car le Père la nomme pour qu'elle soit
quand on prononce ces
être Fils et image. Et son Verbe, non ce verbe qui sort de la bouche,
deux mots «sagesse née», entendons, dans s'exprime par un son et demande de la ré-
l'un, « née », et le Verbe, et l'image, elle Fils; flexion prononcé
avant verbe qui
d'être ,

toutefois, dans ces trois expressions, ne cber- appartient à l'espace et au temps, tandis que
chons pas l'essence, parce qu'elles sont rela- l'autre est éternel, et, en nous éclairant, nous
tives. Mais dans l'autre, «sagesse», qui est dit, et de lui-même et de son Père, ce qu'il

une expression absolue, puisque la sagesse est faut dire aux hommes. Aussi le Christ a-t-il
sage elle-même
par entendons l'essence ,
dit « Et nul ne connaît le Fils si ce n'est le
:

même, pour qui être et être sage sont une « Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le

même chose. Par conséquent, le Père et le « Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le

Fils sont ensemble une seule sagesse, parce « révéler ^ » parce que le Père révèle par son
;

qu'ils sont une seule essence, et, en particu- Fils, c'est-à-dire par son Verbe. Si en effet la

lier, sagesse de sagesse , comme essence d'es- parole temporelle et transitoire que nous pro-
sence. Ainsi, quoique le Père ne soit pas le nonçons, tout à la fois se manifeste elle-même
Fils, ni le Fils le Père, quoique l'un ne soit et fait connaître l'objet dont nous parlons, à

pas engendré et que l'autre le soit, ils n'en combien plus forte raison le Verbe de Dieu,
sont pas moins une seule essence : car les par qui tout a été fait! Il révèle le Père en
noms de Père et de Fils ne sont que relatifs. tant que Père, parce qu'il est la même chose,
Mais l'un et l'autre sont ensemble une seule qu'il est ce qu'est le Père, eu tant qu'il est
sagesse et une seule essence, pour laquelle sagesse et essence. Car, en tant que Verbe, il
être et être sage sont une même chose mais ; n'est point ce qu'est le Père, parce que le
ils ne sont pas tous les deux ensemble Verbe Père n'est pas Verbe, parce qu'il n'est lui-
ou Fils, parce que être et être Verbe ou Fils même appelé Verbe ou Fils que dans le sens
ne sont pas la même chose : ces expressions relatif, ce que le Père n'est certainement
n'étant que relatives, comme nous l'avons point. Et le Christ est appelé vertu et sagesse
déjà suffisamment démontré. de Dieu, parce qu'il est lui-même vertu et sa-

gesse du Père, qui est vertu et sagesse comme il ;

CHAPITRE m. est lumière du Père qui est lumière, et source


de vie en Dieu le Père qui est certainement
POURQUOI LES ÉCRITURES ATTRIBUENT PARTICU-
source de vie. Il est écrit : « Parce que la
LIÈREMENT AU FILS LA SAGESSE, BIEN QUE LE
« source de vie est en vous, et que nous ver-
PÈRE ET LE SAINT-ESPRIT SOIENT AUSSI SAGESSE.
« rons la .iimière dans votre lumière * » ; et

4. Pourquoi donc les Ecritures ne parlent- encore : « Car comme le Père a la vie en lui-
elles presque jamais de la sagesse que pour ' Jean, i, 11. — '
Mavt= xi, 27. Ps. XXXV, 10.
446 DE LA TRINITÉ.

« même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui- être,par sa divinité, notre demeure éternelle.
ct même la vie * » ; et ailleurs : « Il était la Etant dans la forme de Dieu égal à Dieu et
« vraie lumière qui éclaire tout homme venant Dieu lui-même, il offre un modèle aux esprits
« au monde » et « le Verbe, cette lumière, : purs, qui ne sont point tombés par orgueil ;
a était en Dieu» de plus « le Verbe était ; : puis pour procurer encore dans son exemple
Dieu-». Or «Dieuestlumièreetiln'y apoint une voie de retour à l'homme déchu qui, à
« de ténèbres en lui *» ; mais c'est une lumière raison de la tache du péché et des châtiments
spirituelle et non corporelle spirituelle, non ; infligés à sa condition mortelle, ne pouvait
dans le sens d'illumination, comme quand plus voir Dieu, « il s'est anéanti lui-même »,
le Christ dit aux apôtres « Vous êtes la : non en changeant rien à sa divinité, mais en
«jlumière du monde *»; mais « la lumière revêtant notre nature changeante, « et pre-
« qui éclaire tout homme », la sagesse essen- « nant la forme d'esclave \ il est venu » à nous
tielle et souveraine qui est Dieu et par laquelle « en ce monde % et il était dans ce monde »,
nous agissons donc sagesseici-bas. Le Fils est parce que « le monde a été fait par lui » il ;

du Père qui est lumière


est sagesse, comme il est venu, dis-je, pour donner l'exemple à
de lumière et Dieu de Dieu, en sorte que le ceux qui voient en haut sa divinité, à ceux qui
Père est lumière en lui-même, et le Fils lumière admirent en bas son humanité, à ceux qui se
en lui-même que le Père est Dieu en lui-môme
; portent bien, pour conserver leur santé, aux
et le Fils Dieu en lui-même par conséquent ; malades, pour les guérir, aux mourants pour
le Père est en lui-même sagesse, et le Fils en bannir la crainte, aux morts pour leur donner
lui-même sagessse. Et comme les deux en- le gage de la résurrection, « gardant en tout,
semble sont une seule lumière et un seul « lui-même, la primauté*» afin que l'homme ;

Dieu, ainsi les deux ne sont qu'une seule qui ne devait chercher le bonheur qu'en Dieu et
sagesse. Mais « Dieu a fait le Fils notre sa- ne pouvait sentir Dieu, pût, sur les pas du Dieu
« gesse, notre justice et notre sanctification ^ fait homme, suivre celui qu'il pouvait sentir
parce que nous nous tournons vers lui tem- et qu'il devait suivre. Aimons-le donc et atta-
porellement , c'est-à-dire pendant quelque chons-nous à lui, au moyen de la charité
temps, afin de demeurer avec lui dans l'éter- répandue en nos cœurs par l'Esprit-Saint qui
nité. Et « le Verbe » lui-môme, aussi dans le nous a été donnée Ainsi il n'est pas étonnant,
temps, « a été fait chair et a habité parmi après que l'image égale au Père s'est donnée
« nous ^ ». à nous pour modèle afin de nous réformer à
5.Voilà pourquoi, lorsque lesEcritures disent l'image de Dieu, il n'est pas étonnant, dis-je,
ou racontent quelque chose de la sagesse, soit que quand l'Ecriture parle de la sagesse, elle
qu'elle parle elle-même ou qu'on parle d'elle, parle du Fils que nous suivons en vivant
c'est surtout du Fils qu'il s'agit. A l'exemple sagement, bien que le Père aussi soit sagesse,
de cette image, ne nous éloignons pas de Dieu, comme il est lumière et Dieu.
puisque nous sommes aussi l'image de Dieu, 6. Et l'Esprit-Saint aussi, soit qu'on voie en
non une image égale et née du Père comme lui la souveraine charité qui unit le Père et le
celle-là, mais créée du Père par le Fils. De Fils et nous unit à eux, — sentiment qui n'est
plus, nous sommes éclairés par la lumière, point indigne de lui, puisqu'il est écrit : « Dieu
tandis qu'elle est la lumière qui éclaire; voilà « est amour '^
» , et comment ne serait-il pas
pourquoi elle nous sert de modèle, sans en aussi sagesse, puisqu'il est lumière, Dieu «

avoir elle-même. En effet, elle n'est point « étant lumière? » soit qu'on désigne son —
formée sur quelque autre image antérieure essence d'une autre manière et par un mot
du Père, de .qui elle est absolument insépa- spécial, l'Esprit-Saint, dis-je, est aussi lu-
rable, étant la même chose que celui de qui mière, puisqu'il est Dieu , et, étant lumière,
elle est. Pour nous, nous nous efforçons d'i- il est évidemment sagesse. Or, que l'Esprit-
miter celui qui est permanent, de suivre celui Saint existe, c'est ce que l'Ecriture nous crie
qui est immuable, et de marcher en lui pour par la bouche de l'Apôtre, qui nous dit : « Ne
tendre à lui parce que, par son abaissement,
; « savez-vous pas que vous êtes le temple de
il est devenu notre voie dans le temps, pour «Dieu?» Puis il ajoute aussitôt: « Et que

• Jean, v, 26. - ' Id. i, 9, 1. I Jean, i, 5. — ' Matt. v, 14.— ' Philipp. ir, 7. — = I Tim. i, 15. — ' Col. i, 18. — ' Rom. v, 5.
I Cor. I, 30. — ' Jean, i, 14. - ' I Jean, iv, 8.
LIVRE Vil. — LNITÉ DE SUBSTANCE.

« TEsprit de Dieu habite en vous '? » En effet, rencontrons pas, parce que l'excellence infi-
Dieu habite dans son temple. Et ce n'est pas nie de la Divinité est au-dessus de tout lan-
comme ministre que l'Esprit de Dieu habite gage connu. En effet, quand il s'agit de Dieu,
dans le temple de Dieu car ailleurs l'Apôtre : lapensée approche plus de la réalité que le
nous dit en termes plus clairs « Ne savez- : langage, et la réalité est bien au-dessus de la
« vous pas que vos corps sont le temple de pensée. Quand nous disons que Jacob n'est
« l'Esprit-Saint qui est en vous, que vous avez pas Abraham, et qu'Isaac n'est ni Abraham
c<reçu de Dieu, et qu'ainsi vous n'êtes plus à ni Jacob nous reconnaissons qu'Abraham
, ,

«vous-mêmes? car vous avez été achetés à Isaac et Jacob sont trois êtres distincts. Et si

« haut prix glorifiez donc Dieu dans votre


: on nous demande ce que c'est que ces trois,
« corps ^ ». Or, qu'est-ce que la sagesse, sinon nous répondons que ce sont trois hommes,
une lumière spirituelle et immuable? Sans si nous voulons leur donner un nom spécial

doute le soleil aussi est une lumière, mais au pluriel; que ce sont trois êtres vivants, si
une lumière matérielle; la créature spiri- nous voulons leur donner un nom général car ;

tuelle est aussi une lumière, mais qui n'est l'homme, selon la définition des anciens est ,

point immuable. Donc le Père est lumière, le un être vivant doué de raison et sujet à la mort ;

Fils est lumière, le Saint-Esprit est lumière; ou, si nous voulons employer le langage de
et cependant tous ensemble ne sont point nos Ecritures, nous dirons que ce sont trois
trois lumières, mais une seule lumière. Voilà âmes, en donnant à l'homme entier, composé
pourquoi le Père est sagesse, le Fils est sa- d'un corps et d'une àme, le nom de l'àme, sa
gesse, le Saint-Esprit est sagesse; et tous en- meilleure partie. C'est ainsi qu'on lit que Ja-
semble ne sont point trois sagesses, mais une cob descendit en Egypte avec soixante-quinze
seule sagesse. Et comme là, être et être sage âmes, c'est-à-dire soixante-quinze personnes '.
sont une même chose, le Père, le Fils et le De même, quand nous disons Ton cheval :

Saint-Esprit ne sont qu'une seule essence. Là n'est pas le mien, et celui d'un tiers n'est ni
encore, être et être Dieu sont une même le mien ni le tien, nous reconnaissons que ce

chose donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit


; sont trois êtres et si on nous demande ce
:

ne sont qu'un seul Dieu. que c'est que ces trois êtres, nous répondrons,
par le nom spécial, que ce sont trois chevaux,
CHAPITRE IV.
ou, par le nom général, que ce sont trois ani-
POURQUOI LES GRECS ONT ÉTÉ OBLIGÉS DE DIRE maux. Et encore quand nous disons qu'un
:

TROIS HYPOSTASES ET LES LATIISS TROIS PER- bœuf n'est pas un cheval, et qu'un chien n'est
SONNES. ni un bœuf ni un cheval, nous parlons de tro'S
choses; et si on nous demande ce que c'est
7. En traitant de ces ineffables mystères, et que ces trois choses, nous ne répondons plus,
pour exprimer en quelque façon des choses par le nom spécial^ que ce sont trois chevaux,
qu'il n'est pas possible d'exprimer, les Grecs ou trois bœufs, ou trois chiens; mais, par le
ont dit une essence et trois substances; les nom général, que ce sont trois animaux, ou,
Latins une essence ou substance et trois per- par une expression plus étendue encore, que
sonnes; vu que, dans notre langue latine, ce sont trois substances, ou trois créatures, ou
comme nous l'avons déjà dit, essence signifie trois natures. Or, tout ce qui peut s'énoncer
substance '\ On a adopté ce langage afin de se au pluriel sous un seul mot spécial, peut aussi
faire comprendre au moins en énigme, et s'exprimer sous un seul mot général mais ;

pour répondre à ceux qui demandent ce que tout ce qui peut s'exprimer sous un seul mot
c'est que ces trois, que ia vraie foi distingue général, ne peut pas se désigner sous un seul
au nombre de trois, puisqu'elle ne dit point mot spécial. En effet, ce qui s'appelle, du nom
que le Père soit le Fils, ni que le Saint- spécial, trois chevaux, peut aussi s'appeler
Esprit, qui est le don de Dieu, soit le Père trois animaux; mais le cheval, le bœuf et le
ou le Fils. Quand donc on demande ce que chien ne peuvent se désigner que par un nom
c'est que ces trois tria vel tres^ nous nous général, animaux, substances, ou tout autre
efforçons de trouver une expression particu- de ce genre; l'on ne peut dire, par le mot
lière ou générale qui les renferme, et nous n'en spécial, que ce sont trois chevaux, trois bœufs
' I Cor. iir, 16. — ^ Id, vi, 19, 20, — • Liv. V, ch. ir, 8. ' Gen. XLYi, 27 ; Deut. x, 22.
448 DE LA TRINITE.

ou Car nous ne désignons sous un


trois chiens. nes aux trois parce que la qualité de personne
seul nom
au pluriel que les objets auxquels le leur est commune — autrement on ne pourrait
sens de ce nom peut s'appliquer en commun. les appeler ainsi, pas plus qu'on ne peut les
Or, ce qu'Abraham Isaac et Jacob ont de
, appeler trois fils, parce que la qualité de fils

commun^ c'est d'être homme ; voilà pourquoi ne leur est pas commune, pourquoi ne les —
on les hommes; ce que le cheval,
appelle trois appellerons-nous pas aussi trois dieux? Evi-
le bœuf et le chien ont de commun, c'est d'être demment, puisque le Père est personne, le
animal, voilà pourquoi on les appelle trois Fils personne, le Saint-Esprit personne, il y
animaux. De même peuvent
trois lauriers a trois personnes ;
par conséquent, puisque le

s'appeler trois lauriers ou trois arbres mais ; Père est Dieu, le Fils Dieu, le Saint-Esprit
le laurier le myrte et l'olivier ne peuvent
, Dieu, pourquoi n'y a-t-il pas trois dieux? Ou
s'appeler que trois arbres, ou trois substances, bien si, par leur ineffable union, les trois ne
ou trois natures. Ainsi trois pierres peuvent font qu'un Dieu, pourquoi ne font-ils pas
s'appeler trois pierres ou trois corps; mais la aussi une seule personne, en sorte que nous
pierre, le bois et le fer ne peuvent se désigner ne puissions pas plus dire trois personnes —
que sous le nom de trois corps ou sous quel- bien que nous donnions à chacun en particu-
que autre expression plus générale encore. lier le nom de personne —
que nous ne pou-
Si donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit vons dire trois Dieux, quoique nous donnions
sont trois, cherchons ce que sont ces trois et en particulier le nom de Dieu au Père, au Fils
ce qu'ils ont de commun. Ce qu'ils ont de et au Saint-Esprit? Est-ce parce que l'Ecriture

commun n'est pas le titre de Père, tellement ne parle pas de trois dieux ? Mais nulle part,
qu'ils soient pères les uns des autres, comme que nous sachions, cette même Ecriture ne
des amis par exemple dont on peut dire que parle de trois personnes. Serait-ce parce que,
ce sont trois amis, parce qu'ils le sont relati- si l'Ecriture ne parle ni d'une ni de trois per-

vement réciproquement. Ici cela n'a point


et sonnes —
nous y voyons, en effet, la personne
lieu, le Père seul y est Père; et Père,
puisque du Seigneur, nulle part le Seigneur nommé
non de deux fils, mais d'un Fils unique. Il personne —
on a dû, pour le langage et la dis-
n'y a pas non plus trois fils, puisque le Père cussion, parler de trois personnes, ce que l'E-
n'y est point fils, non plus que le Saint-Esprit. criture ne dit pas, mais ne contredit pas, tandis
11 n'y a pas davantage trois Esprits-Saints, que si nous parlions de trois dieux elle s'élève-
puisque l'Esprit-Saint étant appelé proprement rait contre nous, en disant « Ecoute, Israël le
: :

don de Dieu, n'est ni le Père ni le Fils. Qu'est- « Seigneur ton Dieu est un Dieu un ? » Pour- ^

ce donc que ces trois ? Si ce sont trois person- quoi alors ne serait-il pas permis de parler de
nes, c'est quede personne leur est
la qualité trois essences, ce que l'Ecriture ne dit pas non
commune; ce sera donc, d'après le langage plus, mais ne contredit pas davantage? Car si
usité, leur nom spécial ou général. Mais là essence est le nom spécial commun aux trois,
où il n'y a pas de ditïérence de nature, les pourquoi ne dit-on pas trois essences, comme
êtres renfermés sous une dénomination géné- on dit d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, que ce
rale peuvent aussi recevoir une dénomination sont trois hommes, parce que homme est le
spéciale. En elTet, la différence de nature fait nom spécial commun à tous les hommes ? Que
que le laurier, le myrte et l'olivier, ou le che- si le mot essence n'est pas un nom spécial,
val, le bœuf et le chien ne peuvent être appe- mais général, vu que l'homme, l'animal,
lés d'un nom spécial; ceux-là, trois lauriers; l'arbre, l'astre, l'ange sont appelés essence ;

ceux-ci, trois bœufs; mais seulement d'un pourquoi ne dit -on pas ici trois essences
nom général : trois arbres, trois animaux. comme on dit que trois chevaux sont trois
Or, où il n'y a pas de différence d'essence,
ici animaux , trois lauriers, trois arbres , et trois

il faut que les trois aient un nom spécial et pierres trois corps? Ou si, à cause de l'unité
nous n'en trouvons pas car le mot personne : de la Trinité, on ne dit pas trois essences,

est général, à tel point qu'il peut s'appliquer mais une essence, pourquoi, à raison de cette
même à l'homme, malgré la distance infinie même unité, ne dit-on pas une substance ou
qui sépare l'homme de Dieu. une personne, au lieu de trois substances ou
8. De plus, à nous en tenir à une expression de trois personnes? Car si le nom d'essence
générale, si nous donnons le nom de person- '
Deut. VI, 4.
LIVRE VII. — UNITÉ DE SUBSTANCE. 449

leur est commun, tellement que chacun en terme relatif au serviteur, le mot subsister —
particulier puisse être appelé essence, celui de seraitdonc aussi relatif, comme l'acte d'en-
substance ou personne leur est également gendrer ou de dominer. Alors la substance
commun. En effet, il faut comprendre que ce ne serait plus proprement substance, mais un
que nous avons dit des personnes d'après le rapport. Car comme le mot essence dérive de
génie de notre langue, les Grecs l'entendent être [esse], ainsi le mot substance dérive de
des substances, d'après le génie de la leur. subsister. Or, il est absurde de donner au mot
Ils donc trois substances et une essence,
disent substance un sens relatif : car tout être sub-
comme nous disons trois personnes et une sisteen lui-même ; à combien plus forte rai-
essence ou une substance. son Dieu ?
9. Que nous reste-t-il donc, sinon à avouer
CHAPITRE V.
que ces expressions nous ont été imposées par
la nécessité de parler, de soutenir de nom- EN DIEU, SUBSTANCE EST UN TERME ABUSIF,
breuses discussions contre les pièges ou les ESSENCE EST LE MOT PROPRE.
erreurs des hérétiques? En effet, l'indigence
humaine s'efforçant de mettre, parle langage, cependant que le mot sub-
10. Si tant est
à la portée des hommes, ce que l'esprit per- digne de Dieu, on comprend ce
sister soit
çoit, au fond de la pensée , du Seigneur Dieu mot quand il s'applique à des choses qui ser-
son Créateur, a craint, soit par un pieux sen- vent de sujets à d'autres, comme par exemple
timent de foi, soit par une vue quelconque de à la couleur ou à la forme, s'il s'agit d'un
l'intelligence, a craint de dire trois essences, corps. Car le corps subsiste, et c'est pour cela
de peur de laisser croire à quelque différence qu'on l'appelle substance mais la couleur et ;

dans cette parfaite égalité. D'autre part,- elle la forme appliquées à ce corps qui subsiste
ne pouvait se dispenser de reconnaître trois ne sont pas substances, mais seulement dans
choses, car c'est pour s'y être refusé (jue Sabel- une substance de ; telle sorte que, si elles ces-
lius est tombé dans l'hérésie. En effet, TEcri- sent d'être, n'empêchent pas le corps
elles
ture établit de la manière la plus certaine, et d'être corps, parce que, pour lui, être et avoir
l'esprit perçoit par une vue indubitable, cette telle couleur et telle forme ne sont pas la
pieuse croyance que le Père, le Fils et le même chose. Le mot substance s'applique
Saint-Esprit existent que le Fils n'est point le
; donc proprement aux choses changeantes et
même que le Père, ni le Saint-Esprit le même qui ne sont pas simples. Mais si Dieu subsiste
que le Père ou le Fils. Mais que sont ces en ce sens qu'on puisse justement l'appeler
trois? L'indigence humaine a cherché à substance, il y a donc en lui quelque choie
l'exprimer, et elle s'est servie de ces mots dont il n'est que le sujet; il n'est donc pas
hypostases ou personnes, entendant par là, simple ce n'est donc pas pour lui la même
;

non une mais une distinction, de


diversité, chose d'être et d'être tout ce qu'on peut dire
manière à laisser subsister, non-seulement de lui, grand, par exemple, tout-puissant, bon,
l'unité, puisqu'on ne parle que d'une seule et le reste. Or, c'est une impiété de dire que
essence, mais aussi la Trinité, puisqu'on dis- Dieu subsiste , c'est-à-dire qu'il est simple
tingue trois hypostases ou personnes. En sujet de sa bonté, que cette bonté n'est pas sa
être et subsister sont la même chose
effet, si substance m.ême ou plutôt son essence qu'il ;

en Dieu, on ne pouvait dire trois substances, n'est pas sa bonté même, mais que cette bonté
puisqu'on ne peut dire trois essences de ; est en lui comme en un sujet. Il est donc évi-
même que, être et être sage étant la même dent que le mot de substance est abusif pour
chose en Dieu, on ne peut pas plus dire trois désigner en Dieu ce qu'exprime le mot es-
sagesses que trois essences. Et encore, puisque sence, qui est plus usité et proprement et
pour lui être et être Dieu sont une seule chose, justement employé, à tel point que Dieu seul
il n'est pas plus permis de dire trois essences doit être appelé essence. En effet, il existe
que trois dieux. Mais si être et subsister ne vraiment seul , parce que seul il est im-
sont point pour Dieu la même chose, pas plus muable, et c'est en ce sens qu'il a révélé son
que être et être Père ou Seigneur
Dieu — nom à son serviteur Moïse, quand il lui a dit :

car être est un terme absolu, tandis que Père « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu
est un terme relatif au Fils, et Seigneur un « leur diras : Celui qui est m'a envoyé vers
S. AuG. — Tome XII. 29
, ,

450 DE LA TRINITE.

« vous ^ ». Cependant, soit qu'on l'appelle bon. sont pour lui la même chose, ainsi être
essence — ce qui est le mot propre, — soit et être personne sont aussi pour lui la même
qu'on le nomme substance ce qui est le — chose. Pourquoi donc n'appelons-nous pas ces
terme abusif ;

en tout cas on parle dans le trois choses une seule personne, comme nous
sens absolu, et non dans le sens relatif. Alors les appelons une seule essence et un seul Dieu
être et subsister seront la même chose en mais pourquoi disons-nous trois personnes,
Dieu, et si la Trinité n'estqu'une essence, elle quand nous ne disons pas trois dieux ou trois
ne sera non plus qu'une substance. Il est donc essences, sinon parce que nous voulons avoir
peut-être plus juste de dire trois personnes au moins un mot pour exprimer la Trinité,
que trois substances. et ne pas rester muets quand on nous de-
mande ce que c'est que ces trois, puisque nous
CHAPITRE VI. confessons qu'ils sont trois ? Que si essence
POURQUOI DANS LA TRINITÉ NE DIT-ON PAS UNE est le mot du genre, et substance ou personne
PERSONNE ET TROIS ESSENCES. l'HOMME EST le nom de l'espèce, comme le pensent quel-
FAIT A l'image ET EST l'iMAGE DE DIEU. ques-uns, je ne répéterai point ce que j'ai dit
plus haut, qu'il faudra parler de trois es-
11. Mais pour ne pas paraître parlial, étu- sences comme on parle de trois substances ou
dions encore ce point. Du reste, les Grecs de trois personnes, comme on parle de trois
pourraient, s'ils le voulaient, dire trois per- chevaux, qui sont trois animaux de la même
sonnes, roix irpo'ffUTTa, comme ils disent trois espèce cheval étant l'espèce, et animal, le
:

substances, Tfeï? ûiroaTaaeiç. Mais ils ont peut- genre. Car, là non plus, l'espèce n'est pas
être cru cette dernière expression plus con- au pluriel et
prise le genre au singulier,
forme au génie de leur langue. Car le raison- comme si on disait : trois chevaux sont un
nement est le même pour les personnes en : seul animal mais comme on dit trois che-
;

Dieu être ou être personne est absolument la vaux du nom de l'espèce, on dit trois ani-
même chose. En efTet, si le mot être est ab- maux du nom du genre. Et si l'on dit que le
solu et le mot personne relatif, il faudra donc mot substance ou personne ne désigne pas
dire des trois personnes. Père, Fils et Saint- l'espèce, mais quelque chose de particulier et
Esprit, ce que nous disons de trois amis, de d'individuel, en sorte qu'il ne se prendrait
trois proches ou de trois voisins qu'aucun : pas dans le sens du mot homme, qui est com-
d'eux ne l'est par rapport à lui-même, mais mun à tous les hommes, mais dans le sens de
seulement par rapport aux autres. Ainsi tel ou tel homme, Abraham, Isaac, Jacob, ou
chacun d'eux est l'ami, le parent ou le voisin tel individu qu'on peut indiquer du doigt;
des deux autres, puisque ces expressions ont dans ce sens, dis-je, on n'échapperait point
une signification relative. Quoi donc? dirons- encore au même raisonnement. En effet, dire
nous que le Père est la personne du Fils et du qu'Abraham, Isaac et Jacob sont trois indivi-
Saint-Esprit, ou que le Fils est la personne du dus, c'est dire aussi que ce sont trois hommes
Père et du Saint-Esprit, ou que le Saint-Es- et trois âmes. Pourquoi alors, si nous nous en
prit est la personne du Père et du Fils? Mais tenons à une notion sur le genre, l'espèce et
nulle part le mot de personne ne s'emploie l'individu, ne pas dire trois essences, aussi
en ce sens et quand, dans la Trinité, nous
; bien que trois substances ou trois personnes?
parlons de la personne du Père, nous n'en- Mais, comme je l'ai dit, je passe là-dessus, et
tendons pas autre chose que la substance me borne à dire que si essence est le genre,
môme du Père. C'est pourquoi, comme la une seule essence n'a pas plusieurs espèces,
substance du Père est le Père même, non en par exemple, si animal est le genre, un seul
tant qu'il est Père, mais en tant qu'il est, ainsi animal n'a pas plusieurs espèces. Donc le
la personne du Père n'est pas autre chose que Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas
le Père lui-même car c'est en lui-même : trois espèces d'une seule essence. Mais si l'es-
qu'il est dit personne, et non par rapport au sence est espèce, comme l'homme est espèce ;
Filsou au Saint-Esprit, tout comme c'est en ainsi les trois choses que nous appelons sub-
lui-même qu'il est dit Dieu, grand, bon, ou personnes ont la même espèce de
stances ,

juste, etc. Et comme être et être Dieu, grand, même qu'Abraham, Isaac et Jacob ont en
' Ex. III, U. commun l'espèce qui s'appelle homme. Ce-
,

LIVRE \ II. — UNITÉ DE SUBSTANCE. 451

pendant, si l'espèce homme se subdivise en même matière, quelques explications qui


Abraham, Isaac et Jacob, un seul homme ne aient pu données d'ailleurs. Car, hors
être
peut pas se subdiviser en plusieurs hommes ;
de cette Trinité, il n'y a rien qui soit de son
cela est tout à fait impossible ,
puisqu'un essence; pourtant nous disons que ces trois
seul homme est un homme indivisible. personnes sont de la même essence ou qu'elles
Pourquoi donc une seule essence se subdi- n'ont qu'une seule essence; mais nous ne di-
vise-t-elle en trois substances ou personnes ? sons pas cela en ce sens que l'essence soit
Car si l'essence est espèce, dans l'homme par autre chose que la personne, comme, par
exemple, il n'y a qu'une essence là où il n'y a exemple, pour trois statues faites du même
qu'un seul homme. Serait-ce que comme or, nous pouvons dire que c'est le même
nous disons de trois hommes ayant le même or, bien que autre chose soit d'être or,
sexe, le même tempérament, le même carac- autre chose d'être statue. Egalement quand
tère, qu'ils n'ont qu'une seule nature; >— en nous disons de trois hommes que c'est une
effet, ce sont trois hommes, et leur nature est seule nature, ou que ces trois hommes sont
une; — de même nous disons
que trois ici de la même nature, on peut dire aussi
substances sont une seule essence, ou que qu'ils sont faits de la même nature, puisque
trois personnes sont une seule substance ou en vertu de cette même nature, trois autres
essence? Sans doute il y a là une analogie hommes peuvent exister mais il n'en est pas
;

quelconque car les anciens auteurs latins


: de même de l'essence de la Trinité, puis-
ne connaissant pas ces mots d'essence ou de qu'aucune autre personne ne peut en être
substance, qui sont d'origine récente, y sub- formée. De plus, un homme seul n'est pas
stituaient celui de nature. Nous ne parlons autant que trois réunis, et deux sont plus
donc pas ici d'après le genre et les espèces, qu'un; dans des statues d'or égales, il y a plus
mais, pour ainsi dire, d'une matière com- d'or dans trois réunies que dans chacune
mune et identique. C'est ainsi que nous di- d'elles et moins d'or dans une que dans deux.
rions de trois statues faites du même or, que Mais en Dieu il n'en est pas ainsi : le Père, le
c'est le même or, sans exprimer que l'or est Fils et le Saint-Esprit réunis ne sont pas une
le genre, les statues les espèces, ni que l'or essence plus grande que le Père seul ou le
est espèce et les statues individus. Car aucune Fils seul ; mais ces trois substances ou per-
espèce ne sort des individus qui lui appar- sonnes, comme on voudra les appeler, réunies
tiennent, ni ne s'étend au delà. Quand j'ai dé- ensemble sont égales à chacune d'elles ce :

fini la nature de l'homme, qui est un nom que l'homme animal ne saurait comprendre ;
d'espèce , ma définition renferme tous les car il ne peut imaginer que des substancr>s
individus hommes et ne s'étend à rien qui ne matérielles et des espaces plus ou moins
soit pas homme. Mais quand je définis l'or, grands, à travers les fantômes qui voltigent
ce mot ne s'applique pas seulement aux dans sa tète sous des formes corporelles.
statues d'or, mais aux anneaux et à tout objet 12. En attendant qu'il soit dégagé de ces im-
fait de ce métal ma définition subsiste, même
; mondices, qu'il croie au Père, au Fils et au
si l'or n'est pas fabriqué, et les statues sont Saint-Esprit, en un Dieu unique, grand, tout-
encore statues, même quand elles ne sont pas jmissant, bon, juste, miséricordieux, créateur
d'or. De même aucune espèce ne
dépasse de toutes les choses visibles et invisibles ; qu'il
la définition du genre qui lui est propre. En croie tout ce que le langage humain peut
effet , quand j'ai défini l'animal le cheval , exprimer de digne et de vrai. Et quand il en-
étant une espèce de genre animal, tout che- tend dire que le Père est le seul Dieu, qu'il
val est animal; mais toute statue n'est pas n'en sépare point le Fils ni le Saint-Esprit;
or. Ainsi quand nous disons de trois statues car le seul Dieu est avec celui avec lequel il
d'or que c'est le même or, nous n'entendons ne fait qu'un Dieu puisque, quand nous en-
:

pas dire que l'or est le genre et les statues tendons dire du Fils aussi qu'il est le seul
des espèces. Donc, quand nous disons de la Dieu, nous ne pouvons en aucune façon le
Trinité qu'elle consiste en trois personnes ou séparer du Père ou du Saint-Esprit. Qu'il con-
substances, qu'elle est une seule essence et un fesse donc une seule et même essence, et ne
seul Dieu, nous n'entendons pas dire que ces une personne plus grande ou
se figure point
trois personnes soient en quelque sorte d'une meilleure qu'une autre, ni une différence
452 DE LA TRINITÉ.

quelconque entre elles. Non cependant que le réfute en disant « L'homme ne doit pas voiler
:

Père soit le Fils et le Saint-Esprit, ni que l'at- « sa tête, parce qu'il est l'image et la gloire de
tribut relatif de l'un soit celui de l'autre ; le «Dieu ne dit pas
*
à l'image, mais
». Il :

nom de Verbe par exemple, ne se donnant « l'image Pourtant, quand ailleurs on dit
».
qu'au Fils, et celui de Don qu'au Saint- « à l'image », il ne s'agit pas du Fils, qui est
Esprit. Et c'est pour cela qu'ils admettent l'image égale au Père autrement on ne dirait ;

le nombre comme on le voit dans


pluriel, pas : « à notre image ». Pourquoi « nôtre »,
l'Evangile « Moi et mon Père nous sommes
: quand le Fils est l'image du Père seul? Mais,
« un ». Jésus dit tout à la fois
'
« Un », et : : comme nous l'avons dit, à cause de l'imper-
« Nous sommes; » — a Un », quant à l'es- fection de la ressemblance, l'homme est dit
sence, parce que c'est le môme Dieu « Nous : fait à l'image », et on ajoute « notre
» pour
«sommes », au point de vue relatif, l'un que l'homme soit l'image de la Trinité non ,

étant le Père et l'autre le Fils. Parfois l'unité image égale à la Trinité, comme le Fils l'est
d'essence n'est point exprimée, et on ne men- au Père, mais ressemblante en certains points,
tionne que les relatifs au pluriel : « Moi et ainsi que nous l'avons expliqué. C'est ainsi
« mon
Père nous viendrons à, lui , et nous qu'entre des objets différents on signale un
«ferons notre demeure en lui ^ ». « Nous certain rapprochement non de lieu, mais ,

« viendrons et nous ferons notre demeure», d'imitation. En ce sens l'Apôtre a dit : «Réfor-
au pluriel ,
parce qu'il a d'abord dit « Moi : « mez-vous dans renouvellement de votre
le
« et mon Père », c'est-à-dire le Fils et le « esprit ^ » ; et encore « Soyez donc les imi-
:

Père, deux termes relatifs. D'autres fois le « tateurs de Dieu, comme enfants bien-
sens est entièrement couvert comme dans , « aimés en effet on s'adresse à l'homme
* ». Ici
ce passage de la Genèse : « Faisons l'homme nouveau « qui se renouvelle à la connais-
:

« à notre image et à notre ressemblance ' ». « sance, selon l'image de celui qui l'a créé * ».
— « Faisons, notre » pluriels et qui ne : Que si les besoins de la discussion exigent,
peuvent s'entendre que dans le sens relatif. même en dehors des noms relatifs, l'emploi
En effet il ne s'agit pas de dieux se pro-
, du nombre pluriel afin de pouvoir répondre
posant de faire l'homme à leur image et à par un seul mot à cette question : qu'est-ce
leur ressemblance; mais du Père, du Fils et que que l'on soit obligé de dire
les trois? et
du Saint-Esprit créant l'homme à l'image du trois substances ou trois personnes qu'au ;

Père, du Fils et du Saint-Esprit, afin que moins on écarte de son esprit toute idée de
l'homme soit l'image de Dieu. Or, Dieu est matière et d'espace, de différence quel-
Trinité. Mais comme celte image n'était nul- conque ou d'infériorité de l'un vis-à-vis de
lement l'égale de Dieu, qu'elle n'était point l'autre, à quelque mince degré ou de quelque
née de lui, mais créée par lui, on a voulu façon que ce soit en sorte qu'il n'y ait aucune :

exprimer cela en disant que c'était une image confusion dans les personnes, ni aucune dis-
faite à l'image, c'est-à-dire non pareille, mais tinction qui entraîne une inégalité. Et que la
ressemblante jusqu'à un certain point. Car ce foi maintienne ce que l'intelligence ne peut
n'est point par la distance locale, mais par la comprendre, jusqu'à ce que les cœurs soient
ressemblance ou la dissemblance qu'on s'ap- éclairés par celui qui a dit par son prophète :

proche ou qu'on s'éloigne de Dieu. « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez


Il en est qui établissent ici une distinction, « pas ^ ».
et veulent que le Fils soit l'image, et l'homme,
'
I Cor. SI, 7. — » Rom. xi(, 2.- * Eph. v, 1. • Col. III, 10.—
non l'image, mais fait à l'image. L'apôtre les ' Is. VII, 9.

' Jean, x, 30. — " Id. xiv, 23. — ' Gen. i, 26.
,

LIVRE HUITIEME.
Non-seulement Père n'est pas plus grand que le Fils, mais les deux ensemble ne sont pas plus grands que le Saint-Esprit.
le —
Quelle est la même de Dieu d'après l'idée de la vérité, la notion du souverain bien, et l'amour inné de la justice, qui
nature
fait aimer l'âme juste par l'âme qui n'est pas encore juste. —
On doit chercher la connaissance de Dieu par l'amour, puisque,
d'après les Ecritures, Dieu est amour, et que l'amour porte une certaine empreinte de la Trinité.

PROLOGUE. Nous avons dit cela, et si nous le répétons


si souvent, c'est pour en rendre la connais-
RÉSUMÉ DE CE A ÉTÉ DIT PLUS HAUT. RÈGLE A
QtJI
sance plus familière. Cependant il faut savoir
SUIVRE DANS LES QUESTIONS DE FOI TROP DIF-
se borner Dieu, avec la plus grande
et prier
FICILES.
ferveur, nous ouvre l'intelligence et
qu'il
1. Nous avons dit ailleurs que les attributs éloigne de nous l'esprit de contention, afin
qui déterminent les rapports des personnes de pouvoir saisir par la pensée l'essence de la
entre elles, sont ceux qui distinguent ces per- vérité immatérielle et immuable. Maintenant
sonnes dans la Trinité et leur appartiennent donc, avec l'aide du Créateur, si merveilleux
en propre, comme la qualité de Père, de Fils dans ses miséricordes , étudions ce même
et de présent des deux, qui est le Saint-Esprit : sujet, que nous approfondirons un peu plus
car le Père n'est pas la Trinité, ni le Fils la que ci-dessus sans nous départir de cette
,

Trinité, ni le Don la Trinité. Quant à ce qu'ils règle, que notre foi retiendra fermement ce que
sont en eux-mêmes, on ne l'exprime point au notre intelligence n'aura encore pu pénétrer.
pluriel, mais ils sont une seule chose, la
Trinité elle-même. Ainsi comme le Père est CHAPITRE PREMIER.
Dieu, comme le Fils est Dieu, comme le Saint- LA RAISON DÉMONTRE QU'EN DIEU LES TROIS PER-
Esprit est Dieu, de même le Père est bon, le SONNES NE SONT PAS PLUS GRANDES QU'UNE
Fils est bon, le Saint-Esprit est bon ; le Père
SEULE.
est tout-Puissant, le Fils est tout-puissant,
le Saint-Esprit est tout-puissant , et pour- Nousdisons donc que dans la Trinité, deux
2.
tant il n'y a pas trois dieux, trois bons, trois ou personnes ne sont pas plus grandes
trois
tout-puissants, mais un Dieu unique, bon, qu'une vérité que le sens charnel ne com-
:

tout-puissant, la Trinité même; qui est tout prend pas, parce qu'il ne saisit les réalités
ce que chaque personne en
l'on peut dire de dans Tordre de la création qu'autant qu'il le
elle-même, en dehors du sens relatif. Car
et peut, et ne saurait voir la vérité elle-même
tous ses attributs se rapportent à l'essence, par qui tout a été créé. Car s'il le pouvait, ce
puisque, là, c'est la même chose d'être et que nous venons de dire serait plus clair pour
d'être grand, d'être bon, d'être sage, et que lui que la lumière du soleil. En effet dans la
tout ce qu'on peut dire de chaque personne substance de la vérité, qui seule existe réelle-
en elle-même, on peut le dire de la Trinité. Si ment, être plus grand ce serait être plus vrai.
donc on parle de trois personnes ou de trois Or, dans tout ce qui est intelligible et immua-
substances, ce n'est pas pour introduire la ble, une chose ne saurait être moins vraie
moindre diversité dans l'essence, mais pour qu'une autre, puisqu'elle est également im-
répondre d'un seul mot à cette question : muable et éternelle et ce qu'il y a là de grand,
;

Qu'est-ce que les trois , très vel tria ? Du n'estgrand que parce qu'il existe vraiment.
reste l'égalité dans cette Trinité ,
est telle Par conséquent, là où la grandeur est la vérité
que non-seulement Père, au point de vue
le même, ce qui est plus grand doit nécessaire-
de la divinité n'est pas plus grand que le
, ment contenir plus de vérité, et tout ce qui ne
Fils, mais que le Père et le Fils ensemble contient pas plus de vérité, ne saurait être plus
ne sont pas plus grands que le Saint-Esprit grand. Or évidemment,, tout ce qui contient
et qu'aucune des personnes prises en par- plus de vérité, est plus vrai, comme tout ce
ticulier n'est en rien moindre que la Trinité qui contient plus de grandeur est plus grand;
elle-même. donc ici tout ce qui est plus vrai est plus
,

454 DE LA TRINITÉ.

grand. Mais le Père et le Fils ensemble ne pour Dieu. Quand, de la profondeur de notre
sont rien de plus vrai que le Père seul ou le misère, nous nous portons vers ces hauteurs,
Fils seul. Donc les deux ensemble ne sont rien une bonne partie de la tâche est déjà remplie
de plus grand que chacun d'eux. Et comme si,avant de pouvoir parvenir à savoir ce que
le Saint-Esprit est également vrai, le Père et Dieu est, nous venons à bout de savoir ce
le Fils ne sont rien de plus grand que lui, qu'il n'est pas. Or, il n'est certainement ni la
parce qu'ils ne sont rien de plus vrai. Et le terre, ni le ciel, ni rien qui ressemble à la
Père et le Saint-Esprit ensemble, ne l'empor- terre ou au ciel, ni rien de pareil à ce que
tant point — car
en vérité sur le Fils ils nous voyons dans le ciel ou que nous n'y
n'existent pas plus véritablement, — ne l'em- voyons pas et qui est peut-être. Quand vous
portent point non plus en grandeur. De même augmenteriez en imagination la lumière du
le Fils et le Saint-Esprit ensemble sont aussi soleil, son volume, sa clarté, mille fois ou

grands que le Père, parce qu'ils sont aussi une multitude innombrable de fois, ce ne
réellement que lui. La Trinité elle-même est serait pas encore Dieu. Quand vous vous figu-
donc aussi grande que chacune des personnes reriez les anges, ces esprits purs qui animent
qu'elle renferme. Car là où la vérité même est les corps célestes, les changent ou les dirigent

la grandeur, une personne qui n'est pas plus par leur volonté soumise à celle de Dieu,
vraie ne peut être plus grande. Etla raison en quand vous les réuniriez tous et ils sont des —
est que dans l'essence de la vérité, être et être milliers de miUiers * —
et que vous n'en for-

vrai sont la même chose ; être et être grand meriez qu'un seul être, cène serait pas encore
sont aussi la même chose par conséquent
: Dieu; pas même si vous vous imaginiez ces
être vrai, c'est être grand. Donc, là, ce qui mêmes esprits sans formes corporelles, ce qui
est également vrai, est nécessairement égale- est très-difficile à notre pensée charnelle.
ment grand. Comprends donc, si tu le peux, ô âme acca-
blée par un corps sujet à la corruption, et
CHAPITRE II.
obscurcie par une innombrable variété de
POUR COMPRENDRE COMMENT DIEU EST VÉRITÉ ,
pensées terrestres; comprends cela si tu le
IL FAUT ÉCARTER DE SON ESPRIT TOUTE IMAGE peux Dieu est vérité ^ Car il est écrit, « que
:

MATÉRIELLE. « Dieu est lumière ^ » non une lumière ;

3. Dans l'ordre matériel, il peut arriver que comme celle que nous voyons des yeux du
telor soit aussi vrai que tel autre , mais non corps, mais comme ton cœur la voit, quand
que l'un soit plus grand que l'autre, parce que, tu entends dire C'est la vérité. Ne cherche
:

là, la vérité n'est pas la grandeur, et que être pas à savoir ce que c'est que la vérité; car
or et être grand ne sont point la même chose. aussitôt les ombres des images corporelles et

De même, dans la nature de l'âme, la gran- les nuages des vains fantômes s'élèveront et

deur ne se mesure pas sur la vérité. En effet, troubleront la lueur sereine qui t'a d'abord
l'homme qui n'est pas magnanime a cepen- frappée, quand j'ai prononcé ce mot : vérité.

dant une âme vraie car l'essence du corps et


: Reste donc, si tu le peux, sous l'impression
de l'âme n'est pas l'essence même de la vé- de ce rapide éclair qui luit à tes yeux, quand
rité comme dans la Trinité
;
, où Dieu est un, on dit vérité. Mais tu ne le peux pas tu re-
: ;

unique, grand, vrai, vérace, vérité. Quand tombes dans les pensées terrestres qui te sont
nous cherchons à le comprendre, autant qu'il habituelles. Et quel est, je te le demande, le

le permet et l'accorde, écartons de notre es- poids qui t'entraîne, sinon celui des souillu-
prit toute idée de contact ou de rapproche- res contractées par l'attrait de la cupidité et
ment dans l'espace , comme s'il s'agissait de les égarements du pèlerinage ?

trois corps ; toute idée de structure corporelle,


nous en montre une dans
CHAPITRE m.
comme la fable
Géryon, le géant à trois corps; rejetons sans DIEU EST LE SOUVERAIN RIEN. l'aME NE DEVIENT
hésiter toute image où trois seraient plus RONNE qu'en SE TOURNANT VERS DIEU.
grands qu'un, où un serait moins que deux;
car c'est ainsi qu'on repousse toute idée cor- 4. Encore une fois, vois, si tu peux. Certai-
porelle. Et dans l'ordre spirituel, que rien de nement tu n'aimes que ce qui est bon : car
ce qui est sujet à changement ne soit pris '
Apoc. V, 11. — ' Sag. IX, 15. — ' l Jean, l, 5.
LIVRE VIII. — DE LA NATURE DE DIEU. 455

c'est bon, cette terre qui s'élève en montagnes, raison de dire qu'elle n'est point une âme
ou s'abaisse en collines et en plaines; ce do- bonne : car elle diffère de celle qui agit ainsi,
maine agréable et fertile; cette maison cons- et si celle-ci est digne d'éloges celle qui fait
,

truite en ailes régulières, vaste, inondée de autrement est nécessairement digne de blâme.
lumière; ces animaux, corps vivants; cette Mais quand elle agit dans l'intention de deve-
atmosphère tempérée etsalubre; cette nour- nir bonne, elle ne peut atteindre son but
riture savoureuse et saine; cette santé exempte qu'en se dirigeant vers un objet autre qu'elle-
de douleur et de fatigue; cette face humaine même. Or, où setournera-t-elle pour devenir
régulière dans ses traits, portant l'empreinte bonne, sinon vers le bien, en l'aimant, en le
de la gaieté et animée de vives couleurs ce ; désirant, en l'obtenant? Si donc elle s'en dé-
cœur d'ami aussi aimable dans sa condescen- tourne de nouveau et cesse d'être bonne, par
dance que fidèle dans son attachement; c'est le seul fait qu'elle se détourne du bien, à
bon, cet homme probe et juste; ces richesses moins de conserver en elle-même le bien dont
qui procurent tant d'aisance; ce ciel orné de elle se détourne, elle ne sait plus où se tour-
soleil, de lune et d'étoiles ces anges avec leur
; ner, si elle veut s'amender.
sainte docilité ; ce langage plein d'une douce 5. Il n'y aurait donc pas de biens chan-

instruction et de sages avertissements; cette geants, s'il n'y avait un bien immuable. Ainsi,
poésie au rythme si harmonieux, aux pensées quand vous entendez parler de telle et telle
si sérieuses. Que dire de plus? Oui, ceci est chose qui sont bonnes, et pourraient d'ail-
bon et cela mais ôte ceci et cela et
encore ; leurs ne l'être pas; si vous pouvez, en dehors
Tois-le bien en lui-même, si tu peux, et alors de ces choses qui ne sont bonnes que par par-
tu verras Dieu, bon, non par emprunt, mais ticipation au bien, entrevoir le bien même
bien de tout bien. Et dans tous ces biens que dont la participation les rend bonnes et vous —
j'ai énumérés, ou qui peuvent s'offrir à la vue en avez l'idée, dès qu'on vous parle de telle
et à la pensée, nous ne pourrions, en jugeant ou telle chose bonne —
si, dis-je, vous pouvez,

sainement, dire l'un supérieur à l'autre si en faisant abstraction de ces objets, entrevoir
nous n'avions, imprimée au-dedans de nous, le bien en lui-même, vous aurez entrevu
la notion du bien lui-même, d'après lequel Dieu. Et si vous vous attachez à lui par l'a-
nous déclarons une chose bonne et préférons mour, vous goûterez aussitôt le bonheur.
un bien à un autre. C'est ainsi qu'il faut ai- Mais quelle honte de s'attacher à des objets
mer Dieu; non pas tel ou tel bien, mais le qu'on n'aime que parce qu'ils sont bons et de
bien lui-même. Car il faut chercher le bien ne pas aimer le bien même qui les rend bons !

de l'àme, non un bien qu'elle effleure en pas- Et l'âme elle-même, qui, en tant qu'âme et
sant, mais auquel elle s'attache avec amour; avant de devenir bonne en se tournant vers
et quel est ce bien, sinon Dieu? L'àme n'est le bien immuable, mais simplement parce
pas bonne, l'ange n'est pas bon, le ciel n'est qu'elle est âme nous
, plait tellement que nous
pas bon; mais le bien seul est bon. Un exem- la préférons même à la lumière matérielle, si
ple fera peut-être mieux comprendre ce que nous avons le sens droit l'âme, dis-je, ne:

je veux dire. Quand j'entends parler d'une nous plait pas en elle-même, mais dans la
àme bonne, il y a là deux expressions, et à puissance qui l'a créée. Nous puisons notre
ces expressions se rattachent pour moi deux amour pour elle dans la source même dont
idées elle est âme, elle est bonne. Pour être
: nous voyons qu'elle est sortie. Voilà la vérité
âme, l'âme elle-même n'a rien fait car il n'y ; et lebien simple, qui n'est pas autre chose que
avait rien en elle qui pût faire qu'elle existât. le même et, par conséquent, le souverain
bien
Mais pour être âme bonne, je vois que sa vo- bien. Car un bien ne peut diminuer ou gran-
lonté a dû agir.Non que le seul fait d'être dir,que quand il n'est bien que par un autre
âme ne quelque chose de bon
soit déjà au- : — bien. Pour être bonne, l'âme se tourne donc
trement pourquoi la dirait-on, et avec toute vers ce qui l'a faite âme. C'est alors que la
raison, meilleure que le corps? mais cela — volonté s'unit à la nature pour perfectionner
ne suffit pas pour qu'on la dise âme bonne, l'âme dans le bien, quand cette volonté se
parce qu'il lui reste à agir par la volonté, tourne par amour vers le bien, d'où vient le
pour se rendre meilleure. Si elle n'en tire bien qui ne se perd pas même quand la vo-
point partie, on la blâme à juste titre, et on a lonté se détourne. En effet, en se détournant
— , ,

456 DE LA TRINITÉ.

du souverain bien, l'âme cesse d'être bonne espère et aime ce qu'elle croit? On aime donc
mais elle ne cesse pas d'être âme ce qui lui : même ce qu'on ignore, mais qu'on croit pour-
donne déjà l'avantage sur le corps la volonté ; tant. Toutefois il faut bien prendre garde que
perd donc ce que la volonté peut gagner. l'âme, en croyant ce qu'elle ne voit pas, ne se
Pour vouloir se tourner vers ce qui l'a fait être, figure ce qui n'est pas, et n'espère et n'aime
l'âme devait déjà exister mais avant d'exis- ; ce qui est faux. Dans ce cas, la charité ne
ter, elle n'était pas là pour le vouloir. Et voilà viendrait plus d'un cœur pur, d'une bonne
notre bien celui où nous voyons s'il a dû ou
: conscience et d'une foi non feinte, laquelle

doit être tout ce que nous comprenons qu'il est la fin des préceptes, comme dit le même
a dû ou doit être et où nous voyous égale-
, Apôtre ^
ment qu'il n'eût pas pu s'il ne l'eût dû être , , 7. Quand, dans la lecture ou la conversa-
tout ce que nous comprenons qu'il doit être, tion, il est question d'objets matériels que
bien que nous ne sachions pas comment il nous n'avons pas vus et que nous croyons,
l'est. Or, ce bien n'est pas loin de chacun de nécessairement sous des
l'esprit se les figure
nous car c'est eu lui que nous vivons, que
: traits et des formes corporelles, au gré de

nous nous mouvons et que nous sommes K l'imagination. Que l'on tombe à faux ou que
l'on tombe juste, ce dernier cas est très-rare,
CHAPITRE IV. cela importe peu ; il ne s'agit pas ici de croire
d'une foi ferme, mais de quelque but utile à
POUR POUVOIR AIMER DIEU, IL FAUT LE
CONNAITRE PAR LA VRAIE FOI.
atteindre par cette voie. En effet, parmi ceux
qui lisent ou entendent lire ce qu'a écrit l'a-

6. Mais il faut se tenir en lui et s'attacher à pôtre Paul ou ce qu'on a écrit de lui, qui ne
lui par l'amour, afin de jouir de la présence se figure le visage de l'apôtre lui-même et de
de celui par qui nous sommes et en dehors tous ceux dont il donne les noms? Et dans la

duquel nous ne pourrions pas même exister. multitude d'hommes à qui ces épîtres sont
Car comme « c'est par la foi que nous mar- connues et qui tous imaginent des traits et
« chons et non par une claire vue * », nous ne des figures différentes, on ne sait certaine-
voyons pas encore Dieu, comme dit le même ment pas quel est celui qui s'approche le plus
Apôtre, « face à face * » et pourtant, si nous ; de la vérité. Or, les formes corporelles de ces
ne l'aimons pas maintenant, nous ne le ver- personnages ne sont pas l'objet de notre foi ;

rons jamais. Mais peut-on aimer ce qu'on mais la vie qu'ils ont menée par la grâce de
ignore? On peut connaître quelque chose et Dieu et les actions que l'Ecriture sainte rap-
ne pas l'aimer mais je demande si l'on peut
; porte de chacun d'eux, voilà ce qu'il est utile
aimer ce que l'on ne connait pas; car, si on de croire^ ce qu'il faut désirer et ne pas dé-
ne le peut pas, personne n'aimera Dieu avant sespérer d'atteindre. La figure même de
de le connaître. Et qu'est-ce que connaître Notre-Seigneur est aussi l'objet de mille ima-
Dieu, sinon le voir des yeux de l'esprit et en ginations différentes : et pourtant ,
quelle
avoir la ferme perception ? Car ce n'est pas qu'elle fût , il n'en avait qu'une. Et dans ce
un corps qui puisse être cherché avec les yeux que nous croyons de Notre-Seigneur Jésus-
de la chair. Mais avant de pouvoir connaître Christ, la notion saine n'est pas celle que l'es-
et percevoir Dieu, autant qu'il peut être vu prit s'imagine, et qui est peut-être fort éloi-

et perçu, avantage réservé aux cœurs purs, gnée de la réalité, mais celle que nous en
car il est écrit « Heureux ceux qui ont le
: avons d'après l'espèce humaine; car nous
« cœur pur, parce qu'ils verront Dieu S) il — portons l'idée de la nature bumaine gravée
faut que le cœur soit purifié, pour devenir dans notre âme, à tel point que nous recon-
capable et digne de le voir, et il ne peut être naissons l'homme ou la forme humaine aussi-
purifié qu'en aimant par la foi. Car où sont tôt qu'elle frappe nos yeux.
ces trois vertus, que tous les efforts des Livres «
I Tim. I, 5.

divins tendent à produire dans notre âme


la Foi , l'Espérance et la Charité % sinon dans
l'âme qui croit ce qu'elle ne voit pas, qui

' Act. XVII, 27, 28. — ' II Cor. 7. — » I Cor. XIII, 12. —
V, 8.— ' I Cor. XIII, 13.
,

LIVRE VIII. — DE LA NATURE DE DIEU. 457

CHAPITRE V. Marie est-elle celle qui nous vient à l'esprit


quand nous parlons ou que nous nous souve-
COMMENT ON PEUT AIMER LA TRINITÉ
nons de ces faits? nous ne le savons et ne le
SANS LA CONNAITRE.
croyons en aucune façon. Il est donc permis
C'est sur celte notion que notre esprit se sans blesser la foi, de dire peut-être avait-elle
:

règle, quand nous croyons que Dieu s'est fait cette figure, peut-être ne l'avait-elle pas mais ;

homme pour nous afin de nous donner,


ce serait porter atteinte à la foi chrétienne que
l'exemple de l'humilité et nous faire voir l'a- de dire Peut-être le Christ est-il né d'une
:

mour que Dieu nous porte. Car il nous est Vierge.


utile de croire et de tenir pour principe cer- 8. C'est pourquoi, désirant comprendre, au-
tain et inébranlable que l'humilité qui a fait tant que possible l'éternité, l'égalité et l'unité
naître un Dieu d'une femme et l'a conduit à de la Trinité, nous devons d'abord croire avant
la mort au milieu de tant d'outrages de la de comprendre, et veiller à ce que notre foi
part des hommes, que cette humilité, dis-je, ne soit pas feinte. Car il faut jouir de cette
est le remède souverain à l'enflure de notre même Trinité, pour être heureux; or, si nous
orgueil, et le profond mystère qui brise le en croyons des choses fausses, notre espérance
lien du péché. Ainsi encore, sachant ce que sera vaine, notre charité ne sera pas pure.
c'est que la toute-puissance et convaincus que Comment donc pouvons-nous aimer par la
Dieu est tout-puissant nous croyons à la , foi la Trinité que nous ne connaissons pas?

vertu de ses miracles de sa résurrection, et


et Sera-ce comme nous aimons Paul l'apôtre,
nous raisonnons des de cette nature d'a-
faits d'après une notion particuhère ou générale?
près les notions, innées ou expérimentales, Si Paul n'a pas eu les traits que notre imagi-
des espèces et des genres, en sorte que notre nation lui prête —
chose que nous ignorons
foi n'est pas feinte. Car nous ne connaissons absolument —
nous savons du moins ce que
pas non plus la figure de la vierge Marie, c'est qu'un homme. Pour ne pas aller bien
cette mère qui n'a point connu d'homme, qui loin, nous sommes hommes, et il est clair que
est restéepure dans son enfantement et de Paul l'a été, que son àme a vécu unie à un
laquelle le Christ est né miraculeusement. corps selon les lois de l'humanité. Nous croyons
Nous n'avons pas davantage vu les traits de donc de lui ce que nous trouvons en nous-
Lazare, ni Béthanie , ni le sépulcre, ni la mêmes, selon l'espèce ouïe genre qui ren-
pierre que le Christ fit écarter pour ressusci- ferme au même degré toute nature humaine.
ter le mort , ni le sépulcre nouvellement Mais que savons-nous de cette souveraine
taillé dans le roc d'où il est ressuscité lui- Trinité, soit d'après l'espèce, soit d'après 'e
même, montagne des Oliviers d'où il
ni la genre? Y a-t-il donc beaucoup d'autres trini-
est monté au ciel et nous tous qui n'avons
; tés du même
genre, dont quelques-unes nous
point vu ces choses, nous ne savons pas si elles soient connues par expérience en sorte que
,

sont comme nous nous les figurons, nous nous puissions juger celle-ci par analogie,
penchons même à croire le contraire. En effet, d'après une notion d'espèce ou de genre, de
quand il nous arrive de voir de nos yeux un manière à l'aimer sans la connaître, comme
lieu, un homme, un corps quelconque tels nous en aimerions une autre à laquelle nous
que nous nous les étions figurés en esprit, la supposerions semblable? Evidemment non.
avant de les avoir vus, nous n'en sommes pas Ou bien pouvons-nous aimer par la foi cette
médiocrement surpris; cela arrive rarement Trinité que nous ne voyons pas et dont le type
ou presque jamais et cependant nous croyons
; ne nous apparaît nulle part comme nous
,

très-fermement à leur existence, parce que aimons, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa ré-


nous en jugeons d'après une notion particu- surrection d'entre les morts, bien que nous
lière ou générale, qui est pour nous une cer- n'ayons jamais vu personne ressusciter ainsi ?
titude. Nous croyons, par exemple, que Notre- Mais nous savons ce que c'est que mourir et ce
Seigneur Jésus-Christ né d'une Vierge qui
est que c'est que vivre car nous vivons et nous
:

s'appelait Marie. Ce que qu'une vierge, c'est avons vu parfois des morts et des mourants.
ce que c'est que naître, ce que c'est qu'un Or, qu'est-ce que ressusciter, sinon revivre,
nom propre, nous le savons parfaitement; ce c'est-à-dire revenir de la mort à la vie? Quand
n'est pas là un objet de foi. Mais la figure de donc nous disons et nous croyons que la Trinité
,

458 DE LA TRINITÉ.

existe, nous savons ce que c'est que la Trinité, ments que nous remarquons chez les autres.
parce que nous savons ce que c'est que trois En effet, quand un corps vivant se meurt,

choses, mais nous ne l'aimons pas pour au- nos yeux n'ont aucun moyen de voir l'âme
tant. Car nous avons le nombre trois quand qui est un objet invisible pour eux; mais
nous voulons, par exemple, pour n'en pas nous sentons que cette matière est animée
citer d'autres, en jouant à la mourre. Serait- par un principe semblable à celui qui anime
ce que nous n'aimons pas toute trinité mais , notre propre corps, c'est-à-dire la vie de l'âme.
seulement la Trinité qui est Dieu? Ce que Et ce n'est point ici quelque chose de propre
nous aimons dans la Trinité, c'est donc qu'elle à l'habileté humaine ou à la raison : car les
est Dieu. Mais nous n'avons pas vu d'autre bêtes aussi sentent la vie, non-seulement en
Dieu et nous n'en connaissons point, parce elles-mêmes, mais chez leurs semblables et
qu'il n'y a qu'un Dieu celui-là même que
: en nous. Ni elles non plus ne voient nos âmes,
nous n'avons jamais vu et que nous aimons mais elles s'aperçoivent de la vie par les mou-
par la foi. Or, la question est desavoir d'après vements du corps, sur le champ, avec la plus
quelle analogie ou quelle comparaison avec grande facilité et comme par un instinct natu-
des choses connues nous avons cette foi, par rel. Nous con naissons donc toute âme d'après la
laquelle nous aimons Dieu que nous ne con- nôtre, et d'après la nôtre encore, nous croyons
naissons pas encore. à l'existence de celle que nous ne connaissons
pas. Non-seulement nous nous apercevons de
CHAPITRE VI.
l'existence d'une àme, mais nous pouvons

COMMENT l'homme QUI n'eST PAS ENCORE JUSTE encore savoir ce qu'elle est par l'étude de la
CONNAIT LE JUSTE QU'iL AIME. nôtre, puisque nous en avons une.
Mais comment savons-nous ce que c'est que
9. Revenons donc sur nos pas, et examinons le juste ? Car nous avons que nous aimons
dit
pourquoi nous aimons l'Apôtre. Est-ce à cause l'Apôtre, uniquement parce que c'est une âme
de l'espèce humaine, qui nous est parfaite- juste. Nous savons donc ce que c'est que d'être
ment connue, et parce que nous croyons qu'il juste, aussi bien que nous savons ce que c'est
a été homme? Non assurément autrement :
qu'une âme. Or, commenous l'avons dit, c'est
nous ne pourrions plus l'aimer, puisqu'il n'est d'après nousquenous savons ce quec'estqu'une
plus homme ; car son àme a été séparée de âme puisque nous en avons une mais com-
, ;

son corps. Mais nous sommes persuadés que ment, sans êtrejustes, savons-nous ce que c'est
ce que nous aimons en lui vit encore car : qu'un juste ? Et si personne ne sait ce que c'est
nous aimons une àme juste. Et d'après quelle qu'un juste, sans être juste, personne n'ai-
règle générale ou spéciale, sinon parce que mera ce juste sans l'être soi-même. En effet, on
nous savons ce que c'est qu'une âme et ce que ne peut aimer celui qu'on croit juste, précisé-
c'est qu'un juste? Quant à la nature de l'àme, ment parce qu'on le croit j uste, quand on ne sait
nous avons toute raison de dire que nous la pas ce que c'est que d'être juste et nous avons
;

connaissons, puisque nous en avons une. Ce démontré plus haut que personne n'aime ce
n'est point sur le témoignage de nos yeux, qu'il croit etne voit pas, qu'en vertu de quel-
— car nous ne l'avons jamais vue, ni d'a- — que notion générale ou particulière. Donc si
près une notion générale ou spéciale tirée de le juste seul aime le juste, comment celui qui

l'analogie ou de la comparaison, que nous n'est pas juste désirera-t-il le devenir ? Per-
avons cette foi, mais bien plutôt, comme je sonne ne désire être ce qu'il n'aime pas. Mais
l'ai dit, parce que nous avons une àme. Et, pour devenir juste, celui qui ne l'est pas en-
en eflét, y a-t-il rien qui soit aussi intime- core, voudra certainement le devenir et dès ;

ment senti et qui sente aussi bien sa propre qu'il le veut, il aime le juste. Donc, même celui
existence, que le principe même par lequel qui n'est pas encore juste, aime le juste. Or,
tout le reste est senti, c'est-à-dire Tàme? Car celui qui ignore ce que c'est que le juste, ne
c'est d'après notre propre expérience que nous peut pas aimer le juste. Donc celui même qui
reconnaissons les mouvements des corps, qui n'est pas encore juste, saitdu moins ce que c'est
nous prouvent qu'il y a d'autres êtres vivants que de l'être. Mais comment le sait-il ? Est-ce
hors de nous; puisque vivant nous-mêmes, par le témoignage de ses yeux ? Y a-t-il un corps
nous imprimons à notre corps les mouve- juste, comme il y a un corps blanc ou noir,
LIVRE VIII. — DE LA NATURE DE DIEU. 459

carré ou rond ? Qui osera le dire ? Cependant monde à peu près. Et pourtant si je pouvais
les yeux ne voient que des corps. Et il n'y a de tirer de mon âme cette image et la montrer à
juste dans l'homme que l'âme; et quand on dit ceux qui connaissent Alexandrie, sans doute
d'un homme qu'il est juste , c'est de son âme tous diraient : Ce n'est pas elle ; ou s'ils di-

qu'on parle, et non de son corps. La .justic e saient : C'est elle, j'en serais fort étonné ;
puis
est en etîet une certaine beauté de l'âme, qui la considérant en moi-même c'est-à-dire son
,

rend beaux les hommes, même la plupart de image ou son portrait, je ne pourrais m'as-
ceux dont le corps est tordu et difforme. Et surer que c'est elle, mais je m'en rapporterais
comme yeux ne voient pas l'âme, ils ne
les à ceux qui l'ont vue.
voient pas davantage sa beauté comment , Or, il n'en est pas ainsi ,
quand
je cherche
donc celui qui n'est pas encore juste, connaît- ce que c'est que le juste ;
ne le trouve pas,
je
il le juste, et l'aime-t-il pour le devenir lui- je ne le vois pas de cette manière, quand j'en
même ? Y aurait-il, dans les mouvements du parle; ou ne tombe pas ainsi d'accord sur ce
corps, certain indice qui feraitvoir que tel ou que n'approuve pas non plus
j'en puis dire, je
tel homme est juste ? Mais s'il ignore absolu- tout ce que j'en entends dire, comme si j'avais
ment ce que c'est qu'un juste, comment devi- vu de mes yeux ou perçu par quelqu'un de
nera-t-il les signes qui trahissent l'âme juste? mes sens corporels quelque chose de ce genre,
Il connaît donc le juste. Mais comment le con- ou que j'en eusse entendu parler à d'autres
naissons-nous, même quand nous ne sommes qui l'avaient connu. En effet, quand je dis, et
pas justes? si nous puisons cette connaissance avec certitude de ce que j'avance L'âmejuste :

hors de nous, ce ne peut être que dans un est celle qui, réglant sa vie et ses mœurs par
corps. Or ce n'est point ici l'affaire d'un la science et la raison, rend à chacun ce qui
corps. Et quand je pose la question, je ne lui est dû; mon esprit ne se porte pas vers
peux en trouver la réponse qu'en moi-même. un objet absent, comme serait Carthage par
Si je demande à un autre ce que c'est que le exemple, ni il ne se forge pas une image arbi-
juste, il cherche également la réponse au de- traire, qui peut être vraie ou fausse, comme
dans de lui, et quiconque peut donner une serait celle d'Alexandrie mais je vois quelque ;

réponse vraie, ne la trouve pas ailleurs qu'en chose de présent, quelque chose qui est en
lui-même. Quand je veux parler de Carthage, moi, bien que ce ne soit pas moi, et beaucoup
je cherche en moi quelque chose à dire et j'y de ceux qui m'entendront seront de mon avis.
trouve une Carthage imaginaire; mais cette Et quiconque m'entend et m'approuve avec
image, je l'ai perçue parle corps, c'est-à-dire connaissance de cause, sciemment, en voit
par la sensation du corps, puisque j'ai été là autant en lui-même, bien qu'il ne soit paj
corporellement, que j'ai vu la ville, que j'en lui-même ce qu'il voit. Mais si c'est un juste
ai éprouvé une impression qui m'est restée qui parle, il voit et exprime ce qu'il est lui-
dans mémoire, tellement que j'ai trouvé en
la même. Et où le voit-il, sinon en lui ? En quoi
moi le mot pour en parler, quand il m'a plu il n'y a rien d'étonnant car où le verrait-il ,
:

de le faire. Car cette forme imaginaire, fixée si ce n'était en lui-même ? Le merveilleux


en ma mémoire, est le verbe même de Car- est que 1 ame voie en elle ce qu'elle n'a vu
thage, non pas en trois syllabes qu'on exprime nulle part ailleurs, qu'elle voie ce qui est vrai,
quand on nomme Carthage, ou même le nom qu'elle voie la véritable âme juste, qu'elle soit
qui traverse sans bruit l'espace du temps ;
une âme elle-même et ne soit pas l'âme juste
mais ce que je vois dans mon âme, quand je qu'elle voit en elle. Y a-t-il donc une autre
prononce ces trois syllabes, ou même avant que âme j uste dans l'âmequi n'est pas encore juste ?
je ne les prononce. Et si je veux parler d'Aleij Sinon, quelle âme voit-elle donc, quand elle
xandrie, que je n'ai jamais vue, vite aussi une voit et dit ce que c'est que l'âme juste, qu'elle
image se présente à mon esprit; ayant entendu n'en a point vu ailleurs qu'en elle-même, quoi-
beaucoup de personnes dire que c'est une qu'elle-même ne soit pas âme juste? Ce qu'elle
grande ville et les ayant crues sur parole, je voit est-il donc une vérité intérieure, présente
m'en suis fait une certaine idée, calquée, au- à l'âme qui peut la voir ? Car tous ne le peu-
tant que possible, sur leurs récits, et c'est là le vent pas, et ceux qui le peuvent ne sont pas
verbe que je trouve en moi avant de pronon- tous ce qu'ils voient , c'est-à-dire ne sont pas
cer les cinq syllabes, si connues de tout le eux-mèmesdes âmes justes, bien qu'ils puissent
460 DE LA TRINITÉ.

voir et dire ce que c'est qu'une âme juste. la connaissance de Dieu, qui nous occupe, le
Mais comment deviendront-ils justes, sinon point principal est de savoir ce que c'est que
en s'attachant au modèle qu'ils voient, pour le le véritable amour, ou
que c'est que même ce
reproduire eux-mêmes et devenir des âmes l'amour. donner le nom
On ne peut en effet I
justes ne se contentant pas de voir et de dire
: d'amour qu'au véritable amour, autrement
que l'âme juste est celle qui réglant sa vie et c'est la passion. C'est donc par abus qu'on

ses mœurs par le science et la raison, rend à donne à la passion le nom d'amour, et à l'a-
chacun ce qui lui est dû, mais réglant eux- mour le nom de passion. Or, ce véritable
mêmes leur vie et leurs mœurs sur la justice, amour consiste à s'attacher à la vérité pour
en rendant à chacun ce qui lui est dû, de ma- vivre selon la justice, et par conséquent à dé-
nière à ne devoir rien à personne, sinon de daigner toutes les choses passagères par amour
s'aimer mutuellement ? Et comment s'atta- '
pour hommes, par le désir de les
les voir vivre
che-t-on à ce modèle sinon par l'amour ? , selon la justice. Nous pourrons alors être prêts
Pourquoi donc aimons-nous un homme que à mourir utilement pour nos frères, suivant
nous croyons juste et n'aimons-nous pas le l'exemple que nous en a donné Notre-Seigneur
type môme par lequel nous voyons ce que c'est Jésus-Christ. En effet comme toute la loi et les
que l'âme juste, afin de devenir justes nous- prophètes se rattachent aux deux préceptes de
mêmes ? Serait-ce que si nous n'aimions pas ce l'amour de Dieu et de l'amour du prochain ',

type, nous n'aimerions pas celui que nous ai- ce n'est pas sans raison que l'Ecriture met
mons parce qu'il lui est conforme; et quêtant souvent l'un pour l'autre : tantôt elle ne men-
que nous ne sommes pas justes, nous n'aimons tionne que l'amour de Dieu , comme dans ce
pas assez ce type pour devenir justes nous- texte Nous savons que tout coopère au bien
: «

mêmes? L'homme que l'on croit juste est donc cr pour ceux qui aiment Dieu M) et encore ; :

aimé d'après le type et la vérité que celui qui « Si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu

l'aime voit et retrouve en son propre fond ; « de lui ^ » et ailleurs «Parce que la charité
; :

mais il n'est pas possible d'aimer ce type et a de Dieu est répandue en nos cœurs par l'Es-

cette vérité par un motif qui leur soit étranger. « prit-Saint qui nous a été donné », et dans '^

Hors d'eux, en effet, hors de leur connaissance, une foule d'autres passages la conséquence :

nous ne trouvons rien qui nous les fasse ai- étant que celui qui aime Dieu fait ce que Dieu
mer par la foi et par analogie à quelque autre commande, et s'aime dans la proportion où il
chose que nous connaissons. En effet tout ce , le fait et par conséquent aime le prochain
,
,

que nous verrons de semblable à ce type, c'est puisque Dieu en a donné l'ordre. Tantôt l'E-
ce type même, et rien ne lui ressemble parce criture ne parle que de l'amour du prochain,
que, seul, il est tel qu'il est. Donc celui qui comme ici « Portez les fardeaux les uns des
:

aime les hommes doit les aimer parce qu'ils « autres et c'est ainsi que vous accomplirez
,

sont justes, ou pour qu'ils le deviennent. Car « la loi du Christ ^ », et encore « Car toute :

il doit ainsi s'aimer lui-même de cette façon : « la loi est renfermée dans une seule pa-

ou parce qu'il est juste ou pour le devenir ; « rôle ; Tu aimeras ton prochain comme toi-
alors seulement il pourra sans danger aimer « même ® » ; et dans l'Evangile : « Tout ce
son prochain comme lui-même. Celui qui « que vous voulez que les hommes vous fas-
s'aime autrement, s'aime injustement, jmis- « sent , faites-le-leur aussi ; car c'est la loi

qu'il s'aime pour devenir injuste, par con- «et les prophètes Dans baucoup d'au- '^
».

séquent pour être mauvais; et par là même il tres passages de ce genre , nous voyons que

ne s'aime pas car « celui qui aime l'iniquité,


: les saintes lettres semblent ne rattacher la
« hait son âme * ». perfection qu'à l'amour du prochain, en pas-
"sant sous silence l'amour de Dieu, quoique
CHAPITRE VIÏ.
la loi et les prophètes se rattachent à ces

DU VÉRITABLE AMOUR PAR LE QUEL ON PARVIENT A deux préceptes. Mais la raison en est que
LA CONNAISSANCE DE LA TRINITÉ. IL FAUT CHER- celui qui aime son prochain, aime avant tout

CHER DIEU, EN IMITANT LA PIÉTÉ DES BONS ANGES. l'amour lui-même. « Or, Dieu est amour^
« et qui demeure dans l'amour demeure en

10. Ainsi, dans la question de la Trinité et de — Rom. 28. — * Cor. vin, 3. —



Matt. xxu, 37-40. ' viii , I

« Rom. Xlll, 8. - Ps. X, 6. *


Rom. V, 5. - ' Gai. vi, 2. — ' Id. v, 14. — ' Malt, vu, 12.
,

LIVRE VIII. — DE LA NATURE DE DIEU. 461

a Dieu et Dieu en lui ». Donc, en ce cas, c'est '


CHAPITRE VIII.
Dieu qu'on aime avant tout.
H. Par conséquent ceux qui cherchent Dieu AIMER SON FRÈRE, c'eST AIMER DIEU.
par rintermédiaire des puissances qui gouver-
nent le monde ou les parties du monde s'en , 12. Que personne ne dise Je ne sais quoi :

séparent et en sont jetés à une grande distance ;


aimer. Qu'il aime son frère et il aimera
distance, non de lieu, mais d'affection car, : l'amour même. En effet, il connaît mieux
ayant Dieu au dedans d'eux, ils le cherclient l'amour qui le fait aimer, que le frère qu'il
péniblement au dehors, en abandonnant leur aime. Il peut donc connaître Dieu mieux qu'il
intérieur. Ainsi quand même ils entendraient ne connaît son frère; beaucoup mieux, parce
une puissance sainte et céleste , ou se la que Dieu est plus présent; beaucoup mieux,
figureraient d'une manière quelconque, ce parce qu'il est plus intime beaucoup mieux, ;

qu'ils ambitionnent, c'est plutôt le pouvoir parce qu'il est plus certain. Embrasse le Dieu
de ces esprits, objet d'admiration pour la fai- amour, et tu embrasseras Dieu par l'amour.
blesse humaine, que l'imitation de leur piété, C'est cet amour qui unit tous les bons anges
principe du repos en Dieu. Ils aiment mieux, et tous les serviteurs de Dieu par le lien de la

par orgueil, pouvoir ce que peut un ange, que sainteté nous unit à eux et entre nous
, et ,

d'être, par dévotion, ce qu'est un ange. Car nous rattache tous à lui. Donc plus nous
ce n'est pas de lui-même qu'un saint tient son sommes exempts de la bouffissure de l'or-
pouvoir, mais de celui de qui vient tout pou- gueil, plus nous sommes remplis d'amour :

voir légitime; et il sait qu'être uni au Tout- et de quoi sinon de Dieu est rempli celui
, ,

Puissant par une pieuse volonté est ie signe qui est rempli d'amour? Mais, diras-tu, je —
d'une plus grande puissance, que de pouvoir, vois la charité, je la découvre autant que pos-
par sa volonté propre, produire des œuvres sible des yeux de l'esprit, et je crois à l'Ecri-
redoutables à ceux qui ne jouissent pas d'une ture qui me dit « Dieu est charité, et qui :

telle faculté. Aussi le Seigneur Jésus-Christ « demeure dans la charité demeure en Dieu » '
;

lui-même, tout en opérant de tels prodiges , mais si je vois la charité , je ne vois pas en
mais voulant donner de plus hautes leçons à elle la Trinité. — Eh bien ! tu vois la Trinité,
ceux qui l'admiraient et ramener aux choses si tu vois la charité. Je ferai mes efforts pour
éternelles et intérieures leurs esprits attentifs l'en convaincre ; seulement qu'elle daigne
et comme
suspendus à des miracles de l'ordre elle-même nous assister, afin que la charité
temporel, leur disait «Venez à moi, vous tous : nous mène à quelque bon résultat.
« qui prenez de la peine et qui êtes chargés ,
Quand nous aimons la charité, nous l'a'-
« et je vous soulagerai prenez mon joug sur ;
mons comme aimant quelque chose, précisé-
« vous ». Il ne leur dit pas apprenez de moi : ment parce qu'elle aime quelque chose.
que je ressuscite les morts de quatre jours ;
Qu'aime donc la charité pour pouvoir elle- ,

mais bien « Apprenez de moi que je suis


; même être aimée ? Car la charité qui n'aime
« doux et humble de cœur». En effet une hu- rien, n'est plus la charité. Or, si elle s'aime
milité inébranlable est plus puissante et plus elle-même, aime quelque chose,
il faut qu'elle
sûre qu'une hauteur bouffie d'orgueil. Aussi afin de s'aimer comme charité. De même que
ajoute-t-il : « Et vous trouverez du repos pour la parole s'indique elle-même en indiquant
« vos âmes - ». Car : « La charité ne s'enfle quelque chose, et ne s'indique pas comme
« pas ^Dieu est amour » et « Les
» ; et : «
''

; : parole si elle n'indique pas qu'elle indique


,

etfidèles lui obéiront avec amour ^ », étant quelque chose ainsi la charité s'aime sans
:

ramenés des bruits du dehors aux joies silen- doute elle-même , mais si elle ne s'aime pas
cieuses. Voilà que « Dieu est amour » pour- : comme aimant quelque chose elle ne s'aime ,

quoi donc aller et recourir, dans les hauteurs pas comme charité. Qu'aime donc la charité,
des cieux et dans les profondeurs de la terre sinon ce que nous aimons par elle? Or, ce
à la recherche de celui qui est en nous, si quelque chose, à prendre le prochain pour
nous voulons être en lui ? point de départ c'est notre frère. Et voyez
,

avec quel soin l'apôtre Jean recommande la


' I Jean, iv, 16. — • Matt. XI, 28, 29. — ' I Cor. xm , 4. —
Jean, iv, 8 ' Sag. ui, 9. charité fraternelle « Celui qui aime son frère :

' 1 Jean, iv, 16.


,

462 DE LA TRINITÉ.

« demeure dans la lumière et le scandale , n'a pas celui qui n'aime pas son frère? Et
<r en lui* ». Il est évident qu'il
n'est point qu'on ne demande pas combien d'amour nous
place la perfection dans l'amour du prochain: devons à un frère et combien à Dieu nous ;

car celui en qui le scandale n'existe pas est en devons incomparablement plus à Dieu
parfait. Néanmoins il semble passer l'amour qu'à nous et autant à un frère qu'à nous-
,

de Dieu sous silence ce qu'il ne ferait certai- : mêmes; mais nous nous aimons d'autant
nement pas, s'il ne renfermait Dieu lui-même plus nous-mêmes, que nous aimons Dieu da-
dans l'amour fraternel. Et la preuve c'est , vantage. C'est donc par un seul et même
qu'un peu plus bas dans la même épîire, il , amour que nous aimons Dieu et le prochain ;

nous dit en termes très-clairs « Mes bien- : mais nous aimons Dieu pour Dieu et nous- ,

« aimés, aimons-nous les uns les autres, parce mêmes et le prochain pour Dieu.
que la charité est de Dieu. Ainsi quiconque
flt

« aime est né de Dieu et connaît Dieu. Qui


, CHAPITRE IX.
« n'aime point n'aime pas Dieu parce que
,
,

« Dieu est charité » Ce contexte fait voir assez . l'amour du type immuable de la justice est le
clairement que selon cette autorité d'un si , PRINCIPE de KOTRE AMOUR POUR LES JUSTES.
grand poids la charité fraternelle , car la —
charité fraternelle est l'amour que nous nous 13. Qu'est-ce je vous demande que cette , ,

portons les uns aux autres non-seulement — flamme qui brûle en nous quand nous enten-
est de Dieu mais est Dieu même. Ainsi donc,
, dons ou lisons les paroles suivantes? «Voici
si notre amour pour notre frère vient de la « maintenant un temps favorable, voici main-

charité, il vient de Dieu; et il ne peut se faire cetenant un jour de salut. Ne donnant à per-
que nous n'aimions avant tout l'amour même cesonne aucun scandale , afin que notre mi-
qui nous fait aimer un frère. D'où il faut con- ce nistère ne soit point décrié , montrons-
clure que ces deux préceptes sont insépara- « nous, au contraire, en toutes choses, comme
bles. Car, puisque « Dieu est charité », celui « des ministres de Dieu, par une grande pa-
qui aime la charité aime certainement Dieu ;
« tience dans les tribulations, dans les néces-
or, celui qui aime son frère aime nécessaire- « sites , dans les angoisses, sous les coups,
ment la charité. Aussi l'Apôtre ajoute peu «dans les prisons, dans les séditions, dans
après « Celui qui n'aime point son frère
: « les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes ;
« qu'il voit, ne peut aimer Dieu qu'il ne voit « par la pureté ,
par la science ,
par la longa-
« point ^ »; et la raison pour laquelle il ne a nimité ,
par la mansuétude ,
par l'Esprit-
voit point Dieu c'est qu'il n'aime pas son, « une charité sincère, par la parole
Saint, par
frère. Car celui qui n'aime pas son frère n'est «de vérité, par les armes de la justice à
pas dans l'amour, et celui qui n'est pas dans « droite et à gauche dans la gloire et l'igno- ;

l'amour n'est pas en Dieu puisque Dieu est ,


« minie, dans la mauvaise et la bonne répu-

amour. Or, celui qui n'est pas en Dieu n'est « tation; comme séducteurs et cependant sin-
pas dans la lumière , puisque « Dieu est lu- « comme inconnus et toutefois très-
cères ;

« mière et qu'il n'y a point en lui de ténè- « connus; comme mourants, et voici que
« bres ^ ». Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce « nous vivons; comme châtiés, mais non mis
que celui qui n'est pas dans la lumière ne « à mort; comme tristes mais toujours dans ,

voie pas la lumière c'est-à-dire ne voie pas , « la joie comme pauvres mais enrichissant
; ,

Dieu, puisqu'il est dans les ténèbres? Seule- « beaucoup d'autres comme n'ayant rien et ;

ment il voit son frère des yeux du corps avec « possédant tout * ». Pourquoi cette lecture

lesquels on ne peut voir Dieu. Mais s'il aimait nous enflamme-t-elle d'amour pour l'apôtre
d'une charité spirituelle celui qu'il voit des Paul sinon parce que nous croyons qu'il a
,

yeux du corps, il verrait Dieu, qui est la cha- vécu selon le modèle qu'il trace? Or, que les
rité même, de cet œil intérieur par lequel on ministres de Dieu doivent vivre de la sorte
peut le voir. Comment donc celui qui n'aime ce n'est pas sur la parole des autres que nous
pas son frère qu'il voit, pourra-t-il aimer Dieu, le croyons mais nous le voyons en nous ou
; ,

qu'il ne voit pas, et qu'il ne voit pas précisé- plutôt au-dessus de nous, dans la vérité même.
ment parce que Dieu est amour, l'amour que C'est donc d'après ce que nous voyons que
• I Jean, ii, 10. — Id. iv, 7, 8, 20. — " Id. r, 5. > II Cor. VI, 2-10.
,

LIVRE VIII. — DE LA NATURE DE DIEU. 463

nous aimons celui que nous croyons avoir CHAPITRE X.


ainsi "vécu. El si nous n'aimions pas, avant
IL Y A, DANS LA CHARITÉ , TROIS CARACTÈRES QUI
tout, le type que nous savons permanent et
SO>T COMME UNE EMPREINTE DE LA TRINITÉ.
immuable nous n'aimerions point celui qui
,

y a conformé sa vie pendant qu'il était sur la 14. Or, qu'est-ce que la charité ou l'amour
terre, ainsi que nous le croyons fermement. tant loué, tant préconisé par l'Ecriture, sinon
Mais, je ne sais comment, nous sommes plus l'amour du bien ? Mais l'amour suppose quel-
vivement excités à aimer le type lui-même qu'un qui aime, et quelque objet qui est aimé.
précisément parce que nous croyons qu'un Voilà donc trois choses celui qui aime celui
: ,

homme y a conformé sa vie et nous ne per-


; qui est aimé, et l'amour. Qu'est-ce donc que
dons point du tout l'espérance nous qui , l'amour, sinon une certaine vie qui unit deux
sommes hommes d'y conformer aussi la
, objets ou tend à les unir à savoir un objet:

nôtre, précisément parce que quelques hom- aimant et un objet aimé? Il en est ainsi même
mes l'ont fait en sorte que notre désir en
, dans les amours extérieurs et charnels. Mais
devient plus ardent et notre prière plus fer- pour puiser à une source plus pure et plus
vente. Ainsi l'amour même du type nous fait limpide, foulons la chair aux pieds et montons
aimer que certains hommes ont menée,
la vie jusqu'à l'àme. Qu'est-ce que l'àme aime dans
et la certitude qu'ils l'ont menée augmente l'être aimé, sinon une âme ? Il y a donc là trois
encore notre amour pour le type et, par là ;
choses : le sujet de l'amour, l'objet de l'amour
il arrive que plus notre amour pour Dieu est et l'amour. Il nous reste à monter encore et à
ardent, plus notre vue acquiert de certitude retrouver tout cela dans un ordre plus élevé,
et de clarté parce que nous voyons en Dieu
;
autant que cela est donné à l'homme.
même le type immuable de justice selon le- Mais que notre attention se repose ici un
quel nous pensons que l'homme doit vivre. instant, pensée qu'elle a trouvé
non dans la

La foi peut donc nous procurer la connais- ce qu'elle cherche, mais comme il est d'usage
sance et l'amour de Dieu qui, dès lors n'est , de le faire quand on a trouvé le lieu où l'on
plus tout à fait inconnu ni soustrait à notre a quelque chose à chercher. Rien n'est trouvé
amour; elledevient un moyen de le connaî- encore mais nous savons où chercher. Que
,

tre plus clairement et de l'aimer plus solide- ceci suffise et serve comme d'exorde à ce que
ment. nous avons à dire ensuite.
,
,. ,

LIVRE NEUVIEME.
Il y a dans l'homme, qui est l'image de Dieu, une espèce de trinité , à savoir : l'âme, la connaissance que l'âme a d'elle-même
et l'amour qu'elle a pour elle-même et pour sa propre connaissance ; et ces trois choses sont égales entre elles et de la
même essence.

CHAPITRE PREMIER. vers lequel nous tendons et nous avançons


soit atteint. Mais cette intention ,
pour être
COMMENT IL FAUT CHERCHER A CONNAITRE
droite, doit partir de la foi. En effet, une foi
LA TRINITÉ.
solide est un commencement de connaissance;
i; Nous cherchons évidemment la Trinité ,
mais la connaissance ne sera certaine et par-
non une trinité quelconque ^ mais celle qui faite quand nous verrons
qu'après cette vie ,

est Dieu, le vrai, le


souverain et le seul Dieu. ^ Ayons donc ces sentiments, pour
face à face
Patience donc, qui que tu sois qui m'écoutes : bien comprendre qu'il y a plus de sécurité à
car nous cherchons encore et personne ne , désirer et à chercher la vérité qu'à prendre
peut raisonnablement blâmer celui qui se présomptueusement l'inconnu pour le connu.
livre à celte recherche pourvu qu'il s'y livre ,
Cherchons donc comme si nous devions
avec une foi inébranlable, dans un sujet si trouver, et trouvons dans l'intention de tou-
difficile à pénétrer ou à exprimer. Celui qui jours chercher. En efïet « quand l'homme a
,

voit le mieux ou
mieux s'em- s'explique le , «achevé, il commence seulement * ». Evi-
presse, et avec raison de blâmer celui qui , tons l'infidélité qui doute de ce qu'il faut
affirme. «Cherchez Dieu», est-il écrit, «et croire , et la témérité qui affirme ce qu'il faut
a votre âme vivra ^ ». Mais ,
pour réprimer la chercher; là il faut s'en tenir à l'autorité, et
joie du téméraire qui croirait avoir atteint ici chercher la vérité. Pour ce qui regarde la
le Psalmiste ajoute : « Cherchez sans cesse sa question présente croyons que le Père , , le
« face * ». Et l'Apôtre : « Si quelqu-un se per- Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu qui a
« suade savoir quelque chose, il ne sait pas créé et gouverne l'univers que le Père n'est ;

« encore comment il faut savoir. Mais si pas que le Saint-Esprit n'est ni le Père
le Fils,

« quelqu'un aime Dieu celui-là est connu de , ni le Fils; mais que la Trinité consiste dans
« lui * ». Il ne dit pas celui-là le connaît, : les rapports mutuels des personnes, et l'unité
ce qui serait une dangereuse présomption ;
dans l'égahté d'essence. Demandons l'intelli-
mais « est connu de lui ». Ailleurs encore
:
,
gence de ce mystère à Celui même que nous
après avoir dit « Maintenant que vous con- : voulons comprendre implorons son secours, ;

« naissez Dieu », il se reprend aussitôt et dit : dans le désir d'expliquer, autant qu'il le vou-
« Ou plutôt que vous êtes connus de Dieu ». ''
dra bien , ce que nous comprenons pleins ,

Il est exprès encore en ce passage « Non : d'attention et de pieuse sollicitude pour ne


« mes je ne pense pas l'avoir atteint.
frères ,
rien dire qui soit indigne de lui dans le cas ,

« Maisseulement , oubliant ce qui est en où nous commettrions une méprise. Ainsi


a arrière et m'avançant vers ce qui est de-
, par exemple si nous disons du Père quelque
,

« vaut, je tends au terme au prix de la voca- , chose qui ne convienne pas au Père, que cela
« tion céleste de Dieu dans le Christ Jésus. convienne au Fils ou au Saint-Esprit ou à la
« Ainsi, nous tous qui tant que nous sommes, Trinité elle-même; que, si nous disons du Fils
« sommes parfaits , ayons ce sentiment ^ » quelque chose qui ne puisse proprement s'ap-
Selon lui la perfection en cette vie consiste
, pliquer au Fils cela s'applique du moins au
,

uniquement à oublier ce qui est en arrière et Père ou au Saint-Esprit ou à la Trinité et


, ;

à s'avancer par l'intention vers ce qui est de- qu'enfin, si nous avançons, en parlant du
vant : l'intention de celui qui cherche offre Saint-Esprit quelque chose qui ne se rap-
,

une sécurité parfaite, jusqu'à ce que le but porte pas à sa personne on puisse du moins ,

le rapporter au Père ou au Fils ou à la Tri-


'
Ps. LXViil , 33. — ' Ps. CIV, 4. — ' I Cor. VIII ,2,3.— ' Gai.
,

,
9. — ' Phil. m, 13-15. » 1 Cor. XIII, 12. — ' Eccli. XVIU, 6.
LIVRE IX. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 405

nité, le Dieu unique. Ainsi nous désirons main- donc pas absolument nécessaire de voir trois
tenant savoir si le Saint-Esprit est vraiment choses partout où il y a amour. Ecartons
la souveraine charité ; eh bien s'il ne l'est
! ici tous les autres éléments qui constituent
pas, c'est le Père qui l'est, ou le Fils, ou la l'homme ;
pour éclaircir, autant que possible,
Trinitéelle-même : car nous ne pouvons le sujet qui nous occupe, ne voyons que notre
échapper à l'absolue certitude de la foi et à âme.
l'infaillible autorité de l'Ecriture qui nous Donc, quand l'àme s'aime, elle met deux
dit « Dieu est charité
: » Mais nous ne pou- *
. choses en évidence l'âme et l'amour. Or,
:

vons commettre la sacrilège erreur d'attri- qu'est-ce que s'aimer, sinon vouloir être à sa
buer à la Trinité ce qui ne conviendrait qu'à propre disposition pour jouir de soi? Et quand
la créature et non au Créateur, ni lui appli- ce vouloir est aussi étendu que l'être, la vo-
quer les vains rêves de l'imagination. lonté est égale à l'âme, et l'amour égal à ce
qui aime. Or, si l'amour est une substance, il
CHAPITRE II.
est esprit et non corps, comme l'âme n'est pas
EXAMEN DES TROIS ÉLÉMENTS QUI CONSTITUENT corps, mais esprit. Et cependant l'amour et
LA CHARITÉ. l'âme ne sont pas deux esprits, mais un seul
2. Cela posé, étudions les éléments que nous esprit ; deux essences, mais une seule et
ni ;

croyons avoir découverts. Nous ne sommes toutefois ces deux choses ce qui aime et :

pas encore dans la sphère supérieure, nous ne l'amour, ou, si vous le voulez, ce qui est
parlons pas encore du Père, du Fils du Saint-
et aimé et l'amour, sont une seule chose. Et
Esprit; il s'agit seulement de cette image im- ces deux expressions ont un sens relatif, car
parfaite —image pourtant — qui est l'homme; aimant se rapporte à amour, et amour à ai-
ce sujet d'étude sera peut-être plus familier mant. En effet, celui qui aime éprouve quelque
et plus facile pour notre raison infirme. amour, et l'amour appartient à quelqu'un qui
Quand donc, moi qui me livre à cette étude, aime. Or, les mots âme et esprit ne sont pas
j'aime quelque chose, je découvre trois termes : relatifs, mais indiquent une essence. Car l'âme
moi, la chose que j'aime et l'amour. En effet, et l'esprit ne sont pas âme et esprit parce
je n'aime pas l'amour si je ne l'aime pas qu'ils appartiennent à un homme. Abstraction
comme aimant car il n'y a pas d'amour là
; faite de l'homme, — titre qui suppose l'ad-
où rien n'est aimé. Il y a donc trois choses : jonction d'un corps, — abstraction faite du
celui qui aime, l'objet aimé et l'amour. Mais corps, l'âme et l'esprit restent ; mais abstraction
si je n'aime que moi-même, les trois choses faite de celui qui aime, l'amour disparaît, et
ne se réduisent-elles pas à deux moi et : en supprimant l'amour, on fait disparaître
l'amour? En effet, ce qui aime est la même celui qui aime. Ainsi donc, au point de vue
chose que ce qui est aimé quand on s'aime relatif, ce sont deux choses mais, : pris en eux-
soi-même, tout comme aimer et être aimé mêmes, ils sont, individuellement, esprit, et,
sont une chose unique quand on s'aime. C'est réunis, un seul esprit; individuellement, âme,
exprimer deux fois la même chose que de et réunis, une seule âme.
dire Il s'aime et il est aimé de lui-même.
: Ouest donc la Trinité? Redoublons d'atten-
Alors aimer et être aimé se confondent, comme tion et invoquons la lumière éternelle, afin
celui qui aime et celui qui est aim.é ne font qu'elle éclaire nos ténèbres et que nous
qu'un. Mais, même en ce cas, l'amour et ce voyions en nous, autant que possible, l'image
qui est aimé sont choses différentes car s'ai- : de Dieu.
mer soi-même, ce n'est pas l'amour, à moins CHAPITRE III.

que l'amour lui-même ne aimé. Or, autre soit


IMAGE DE LA TRI>"ITÉ DANS l'aME DE l'iIOMME
chose est de s'aimer, autre chose d'aimer son
QUI SE CONNAÎT ET s'aIME. L'aME SE CONNAÎT
amour. Car on n'aime l'amour qu'autant qu'il
ELLE-MÊME PAR ELLE-MÊME.
aime déjà quelque chose, puisqu'il n'y a pas
d'amour là où rien n'est aimé. Ainsi donc, L'âme ne peut s'aimer, si elle ne se con-
3.
quand quelqu'un s'aime, il y a deux choses : naît pas; carcomment aimer ce qu'on ignore?
l'amour et ce qui est aimé car alors ce qui ; Et si on dit que l'âme se croit telle d'après
aime et ce qui est aimé ne font qu'un. Il n'est une notion générale ou spéciale ou parce ,

' I Jean, iv, 16. qu'eUe sait par expérience que d'autres âmes
S. AUG. — TOMB XII. 30
466 DE LA TRINITÉ.

sont telles et que c'est pour cela qu'elle s'aime aime son corps autant qu'il faut aimer Dieu.
elle-mcme, on tient un langage qui touche à De même si la connaissance est moins étendue
la folie. Comment en effet connaîtrait-elle une que l'objet connu, etqui peut-être entièrement
autre âme, si elle ne se connaît pas elle-même? connu, cette connaissance n'est point parfaite.
On ne saurait dire que, de même que l'œil Mais si elle est plus grande, c'est que la nature
voit d'autres yeux et ne se voit pas lui-même, qui connaît est supérieure à celle qui est con-
ainsi l'âme connaît d'autres âmes et ne se nue, comme il arrive pour la connaissance du
connaît pas elle-même. Car nous voyons des corps, laquelle est plus grande que le corps,
corps par les yeux du corps, parce que nous objet de cette connaissance. En y a
effet, il
ne pouvons pas, sinon à l'aide du miroii;, une certaine vie dans la raison de celui qui
réfracter et ramener sur eux les rayons qui connaît, et le corps n'est pas vie. Et toute vie
partent d'eux-mêmes et se portent sur les est supérieure à un corps quelconque, non en
objets que nous voyons! Question, du reste, volume, mais en puissance. Mais quand l'âme
très-subtile et très-obscure, jusqu'à ce qu'il se connaît elle-même, elle n'est point supé-
soit prouvé clairement que cela est ou que rieure à elle-même par sa propre connaissance,
cela n'est pas. Mais quoi qu'il en soit de la puisque c'est elle-même qui connaît et elle-
puissance visuelle, que ce soit un rayon ou même qui est connue. Quand donc elle se
autre chose, il est certain que nous ne la connaît elle-même et rien du reste avec elle,
voyons pas nous la cherchons par l'âme et
; sa connaissance est égale à elle-même: puisque
c'est par l'âme que nous la comprenons si elle sa connaissance n'est pas d'une autre nature,
peut se comprendre. Donc l'âme perçoit, par vu que c'est elle-même qui se connaît. Et
les sens du
corps, les notions des objets cor- quand elle se connaît tout entière et rien de
porels , par elle-même l'idée des objets
et plus, sa connaissance est égale à elle-même ;
incorporels. Donc, puisqu'elle est incorporelle, car la connaissance qu'elle a d'elle-même
elle se connaît par elle-même. Et si elle ne se n'est pas d'une autre nature que la sienne. Et
connaît pas, elle ne s'aime pas. quand elle se connaît tout entière, sa connais-
sance n'est ni plus petite ni plus grande
CHAPITRE IV. qu'elle-même. Nous avons donc eu raison de
dire que quand ces trois choses sont parfaites,
l'ame elle-même, l'amour et la connaissance
elles sont nécessairement égales.
de soi , sont trois choses égales et qui
5. Nous avons en même temps le sentiment,
n'en FONT qu'une ; ELLES SONT A LA FOIS SUB-
ET RELATIONS INSÉPARABLES d'uNE si nous sommes capables de le voir, que ces
STANCE
choses existent dans l'âme, qu'elles y sont
MÊME ESSENCE.
comme enveloppées, et qu'elles se développent
A. Comme l'âme et l'amour de l'âme, quand de manière à être senties et spécifiées comme
elle s'aime, sont deux choses différentes, ainsi tenant à sa substance, ou, si je puis parler de
l'âme connaissance de l'âme, quand elle
et la la sorte, à son essence, et non comme acci-
se connaît, sont aussi deux choses distinctes. dents d'un sujet, ainsi qu'il en est de la cou-
Donc l'âme, son amour, sa connaissance, sont leur, de la figure d'un corps ou de toute autre
trois choses , et ces trois choses n'en font qualité ou quantité. Car tout ce qui est de
qu'une, et quand elles sont parfaites, elles cette espèce ne sort pas du sujet qu'il affecte.
sont égales. En effet, si l'âme ne s'aime pas En effet, la couleur ou la figure de tel corps
dans toute l'étendue de son être, par exemple, ne peuvent être celles de tel autre. Mais l'âme
si l'âme de l'homme limite son amour à l'a- peut aimer quelque autre chose qu'elle-même
mour du corps, bien qu'elle soit elle-même de l'amour même dont elle s'aime. De plus
plus que le corps, elle pèche et son amour elle ne se connaît pas seulement elle-même,

n'est pas parfait. De même si elle s'aime au mais elle connaît beaucoup d'autres choses
delà de l'étendue de son être, par exemple, si encore. Par conséquent, l'amour et la connais-
elle s'aime autant qu'il faut aimer Dieu, bien sance ne sont pas dans l'âme comme accidents
qu'elle soit incomparablement moins que Dieu, dans un sujet, mais ils sont substantiels comme
elle pèche aussi par excès et ne s'aime point l'âme elle-même et s'ils ont un sens relatif
;

d'un amour parfait. Mais la perversité et l'ini- l'un vis-à-vis de l'autre, ils n'en sont pas
quité sont plus grandes encore, quand elle moins substance, pris en eux-mêmes. Et ce
LIVRE IX. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 467

sens relatif n'est pas comme celui qui existe qui, ensemble, formeraient un tout? Mais ja-
entre la couleur et le corps coloré, la couleur mais partie ne renferme le tout dont elle est
étant dans le corps coloré dans un comme partie ; or, quand l'àme se connaît tout entière,
sujet, sans avoir de substance propre à elle; c'est-à-dire parfaitement, sa connaissance
puisque le corps coloré est lui-même sub- l'embrasse tout entière, et quand elle s'aime
stancC;, tandis que la couleur n'est que dans parfaitement elle s'aime tout entière, et son
une substance. — Mais ce rapport est comme amour s'étend à tout son être. Serait-ce
celui qui existe entre deux amis^ lesquels comme quand de vin, d'eau et de miel on
sont tous les deux hommes et par suite sub- forme une seule liqueur; que chacun de ces
stances : hommes dans le sens absolu, amis trois éléments se répand dans le tout, bien
dans le sens relatif. qu'il reste cependant trois choses ? En effet

Cependant quoique celui qui aime ou qui


6. il n'y a point de partie dans la potion qui
connaît soit substance, que la connaissance ne renferme ces trois choses : car elles ne
soit substance, que l'amour soit substance, et sont pas jointes comme le seraient de l'eau et
qu'il y ait entre celui qui aime et l'amour, entre de l'huile, mais tout à fait mêlées ; et toutes
celui qui connaît et la connaissance, un rap- les trois sont des substances, et la hqueur en-
port analogue à celui qui existe entre deux tière n'est qu'une seule substance composée
amis; quoique les mots àme ou esprit, pas de trois dis-je, que l'àme,
éléments; serait-ce,
plus que le mot homme, n'aient le sens rela- l'amour et la connaissance formeraient ensem-
tif : néanmoins celui qui aime et l'amour, ble quelque chose d'analogue ? Mais l'eau, le
celui qui connaît et la connaissance ne peu- vin et le miel ne sont pas de même substance,
vent pas être séparés l'un de l'autre, comme quoique leur mélange ne forme qu'une seule
deux hommes qui sont amis. Sans doute quand substance de liqueur. Là, au contraire, je
deux amis semblent séparés de corps, ils ne le ne vois pas comment les trois choses ne se-
sont point de cœur, en tant qu'ils sont amis. raient pas de même substance, puisque l'àme
Toutefois il peut arriver qu'un ami commence s'aime elle-même et se connaît elle-même, et
à avoir de l'aversion pour son ami et cesse que ces trois choses existent de telle sorte que
par là môme d'être son ami, à l'insu de celui- rame n'est aimée ni connue d'aucun être
ci qui continue à l'aimer. Mais si l'amour dont étranger. Elles sont donc nécessairement
l'àme s'aime vient à cesser, l'àme elle-même toutes les trois d'une seule et même essence;
cesse d'aimer. De même si la connaissance tellement que si elles n'étaient unies que par
que l'âme a d'elle-même cesse, l'àme cesse mélange, elles ne seraient trois en aucune
en même temps de se connaître. Ainsi la tête manière et n'auraient aucun rapport entre
d'un corps qui a une tète est évidemment elles. Ainsi, par exemple, si du mêmeorvous

tête, et il existe entre eux un sens relatif, bien faites trois anneaux semblables, quoique unis
qu'ils soient tous les deux substances car la : ensemble, ils ont entre eux un rapport, celui
tête est corps, et l'être qui a une tète est corps. de similitude, car tout semblable est sembla-
Néanmoins la séparation peut avoir lieu ici, ble à quelque chose il y a trinité d'anneaux
;

et là elle est impossible. et unité d'or. Mais si ou les mêle ensemble,


7. Que s'il y a des corps absolument indi- que la substance de chacun d'eux se confonde
visibles, ils sont cependant composés de par- dans toute la masse, alors la trinité disparaît
ties, sans quoi ils cesseraient d'être corps. complètement non-seulement on dira qu'il
:

Donc le mot de partie n'a de sens que relati- y a unité d'or, comme on le disait déjà des
vement à un tout, puisque toute partie est trois anneaux, mais on ne parlera plus de
partie d'un tout, et qu'un tout n'est tout que trois objets eu or.
par toutes ses parties. Mais comme la partie est
corps, et que le tout est corps, non-seulement CHAPITRE V.
ils ont un sens relatif, mais encore ils sont l'ame, l'amour et la connaissance de soi, sont
aussi substance. Serait-ce donc que l'àme est un en même temps distincts et tout entiers
tout, et que l'amour dont elle s'aime et la l'un dans l'autre.
connaissance qu'elle a d'elle-même seraient
comme ses deux parties, dont la réunion ferait 8. Mais ici, quand l'àme se connaît et s'aime,
d'elles un tout ? Seraient-ce trois parties égales, la trinité reste àme, amour, connaissance; il
:
468 DE LA TRINITÉ.

n'y a ni mélange ni confusion; bien que cha- CHAPITRE VI.


cune de ces clioses soit distincte en
elle-même,
CONNAITRE UNE CHOSE EN ELLE-MÊME ET LA
etquetoutessoientréciproquement dans toutes,
CONNAITRE DANS L'ÉTERNELLE VÉRITÉ. C'eST
soit chacune en deux, soit deux dans chacune.
d'après LES RÈGLES DE L'ÉTERNELLE VÉRITÉ
Ainsi toutes sont dans toutes. En effet, d'une
qu'il faut juger Même des choses corpo-
part, rame est certainement âme en elle-
relles.
même, puisqu'elle est appelée âme d'une ma-
nière absolue, bien que dans le sens relatif, on 9. Cependant, en se connaissant et en s'ai-
la dise connaissant, connue, susceptible d'être mant, l'âme humaine ne connaît et n'aime
connue par rapport à la connaissance qu'elle point une chose immuable et autre est la ;

peut avoir d'elle-même; et aussi, aimant, manière dont un homme, attentif à ce qui se
aimée, aimable, au point de vue de l'amour passe en lui, manifeste son âme, autre la ma-
dont elle s'aime. D'autre part, la connaissance nière dont il définit l'âme humaine d'après
quoique relative à l'âme connaissant ou une notion spéciale ou générale. Ainsi quand
connue, est aussi appelée en elle-même connue il me parle de son âme propre, qu'il me dit
et connaissant : car la connaissance, par la- comprendre ou ne pas comprendre ceci ou
quelle l'âme se connaît, ne s'ignore point elle- cela, vouloir ou ne pas vouloir ceci ou cela,
même. De même l'amour, bien que relatif à je le crois sur parole; mais quand il dit la vé-
l'âme qui aime et dont il est l'amour, est ce- rité sur l'âme humaine ou en particulier ou en
pendant amour pour lui-même et en lui- général, je reconnais la justesse de son lan-
même car l'amour est aimé, et ne peut être
: gage et je l'approuve. Il est donc claire
^
aimé d'un autre amour, c'est-à-dire que de qu'autre chose çst ce qu'il voit en soi, qu'il
lui-même. Ainsi chacune de ces choses sont peut exprimer et qu'un autre croira sur sa
en elles-mêmes. Elles sont aussi réciproque- parole sans le voir, autre chose ce qu'il voit
ment les unes dans les autres, puisque l'âme
qui aime est dans l'amour, que l'amour est
dans la
peut voir aussi
vérité
:
elle-même et qu'un
car l'un subira les change-
autre I
dans la connaissance de l'âme qui aime, et la ments que le temps amène et l'autre reste im-
connaissance dans l'âme qui connaît. Chacune muable dans l'éternité. Car ce n'est pas en
d'elles sont donc dans les deux autres, puisque voyant des yeux du corps une multitude d'es-
J'âme qui se connaît et s'aime, est dans son prits, que nous nous formons par analogie
amour et sa connaissance que l'amour de
; une notion générale ou spéciale de l'âme hu-
l'âme qui s'aime et se connaît, est dans l'âme maine mais nous voyons l'immuable vérité,
;

et dans la connaissance de l'âme et que la


; d'après laquelle nous établissons, aussi parfai-
connaissance de l'âme qui se connaît et s'aime, tement que cela nous est possible, non qu'elle
est dans l'âme et dans l'amour de l'âme, est l'âme de chaque homme, mais qu'elle
puisqu'elle s'aime et se connaît s'aimanl. Par doit être par des raisons éternelles.
conséquent encore, deux de ces choses sont en 40. Quant aux images des choses maté-
chacune d'elles, puisque l'âme qui se connaît rielles introduites par l'entremise des sens
et s'aime est avec sa connaissance dans son corporels, infusées en quelque sorte dans notre
amour, et avec son amour dans sa connais- mémoire, et d'après lesquelles nous nous fi-
sance; et que l'amour et la connaissance sont gurons d'une manière arbitraire les objets
aussi ensemble dans Fâme qui s'aime et se que nous n'avons pas vus, ou autrement qu'ils
connaît. Et comment toutes sont dans toutes, ne sont, ou, par pur hasard, tels qu'ils sont: il
nous l'avons déjà montré plus haut, puisque est démontré que quand nous les approuvons
l'âme s'aime tout entière, se connaît tout en- en nous-mêmes ou les désapprouvons, si notre
tière, connaît tout son amour, et aime toute jugement est juste , il a lieu en vertu
sa connaissance, quand ces trois choses sont d'autres règles également immuables et supé-
parfaites en elles-mêmes. Et par un merveil- rieures à notre âme. En effet, quand je me
leux procédé,ces trois choses sont inséparables, rappelle les murs de Carthage que j'ai vus,
et néanmoins chacune d'elles est substance, ou que je me figure ceux d'Alexandrie que je
et toutes ensemble sont une seule et même n'ai pas vus, et que je donne raisonnablement
substance ou essence, puisque leurs noms ne la préférence à certaines formes imaginaires
sont que l'indice de leurs rapports mutuels. sur d'autres : /le jugement de la vérité appa-
LIVRE IX. — LA TRINITE DANS L'HOMME. 469

raît et brille d'en haut, et appuie son droit muable éternité, la même lumière sur l'œil
sur les règles de l'impartialité la plus parfaite; de mon âme, de ma pure et incorruptible
et si les images corporelles essaient de soule- raison, et sur le brouillard de mou imagina-
ver comme une espèce de brouillard, il s'en tion, que je ne vois plus maintenant que de
dégage et ne s'y confond point. haut, quand le souvenir de ce même homme
ll.Maislaquestionestdesavoirsi jesuismoi- me De même, quand je me
revient à l'esprit.
mème enveloppé de ce brouillard et privé de rappelle un arc élégamment et régulièrement
la vue du ciel pur ou si, comme il arrive au
; tendu, que j'ai vu, par exemple, à Garlhage,
sommet des plus hautes montagnes, suspendu mon imagination me retrace un objet qui est
entre ciel et terre, je jouis de l'air libre, ne arrivé à mon âme par l'entremise des yeux,
voyant au-dessus de moi que la lumière sans et s'est fixédans ma mémoire. Mais ce que je
nuages, et au-dessous de moi que les plus vois et qui me plaît, est autre que l'objet même,
épaisses ténèbres. Par exemple, d'où vient en je le corrigerais, s'il me déplaisait. Nous ju-
fct

moi cette llamme d'amour fraternel, quand geons donc de tout cela d'après ce même type
j'entends dire d'un homme qu'il a souiî'ertles éternel, et nous voyons ce type par la lumière
plus cruels tourments pour soutenir la beauté de la raison. Quant aux objets corporels, ou nous
et la solidité de la foi? Et si on me l'indique les voyons i)résentement des yeux du corps,
du doigt, je désire m'unir à lui, le faire con- ou nous nous rappelons leurs images gravées
naître, former avec lui des liens d'amitié. Si en notre mémoire, ou nous nous les figurons
cela m'est possible, je m'en approche, je lui par analogie tels que nous les formerions
parle, je noue un entretien, je lui exprime nous-mêmes, si nous le voulions et le pou-
mon affection le mieux possible, je souhaite vions : d'une part, créant dans notre esprit
vivement qu'il me paie
de retour et me le dise; des images matérielles, ou voyaut des corps
par la foi, je m'efforce de l'embrasser en es- par l'intermédiaire de notre corps; d'autre
prit, ne pouvant si vile pénétrer dans sou in- part, saisissant, par le simple coup d'oeil de
térieur et y lire à fond. J'aime donc d'un î'inteUigence, les raisons et le type ineffable-
amour pur et fraternel un homme fidèle et ment beau de ces figures, lesquels dépassent
courageux. Mais si, dans le cours de notre le regard de notre âme.
conversation, il m'avoue ou me laisse impru-
demment entrevoir qu'il croit de Dieu des CHAPITRE VIL
choses indignes, qu'il cherche en lui quelque
>0US CONCEVONS ET ENGENDRONS LA PAROLE IN-
avantage charnel, et qu'il n'a subi des tour-
lÉRIELREMENT DAPRÈS DES TYPES VIS DANS LA
ments que pour soutenir telle ou telle erreur, VÉRITÉ ÉTERNELLE. LA PAROLE EST CONÇUE PAR
ou dans l'espoir de gagner de l'argent, ou par l'amour du CRÉATEUR OU DE LA CRÉATURE.
la stérile ambition de la louange humaine :

aussitôt mon amour pour lui, blessé, refoulé 12. C'est donc dans cette vérité éternelle,
pour ainsi dire, et retiré à un sujet indigne, se par qui tout a été fait dans le temps, que nous
maintient pourtant dans le type d'après lequel voyons, par les yeux de l'esprit, la forme d'après
j'aimais un homme que je lui croyais con- laquelle nous sommes, et d'après laquelle
forme; à m^oins peut-être que je neTaime en- nous agissons, ou en nous ou dans les corps,
core pour qu'il devienne tel, quand j'ai dé- selon la vraie et droite raison ; et cette con-
couvert qu'il ne l'est pas. Néanmoins dans cet naissance vraie des choses, elle est conçue en
homme rien n'est changé cependant il peut ; nous comme une parole que nous engendrons
changer pour devenir ce que je le croyais d'a- en parlant intérieurement, et qui, tout en
bord. Mais dans mon âme, l'opinion est entiè- naissant, ne se sépare point de nous. Mais
rement changée; elle n'est plus ce qu'elle quand nous parlons à d'autres, à la parole qui
était ; la même affection est passée du désir de reste en nous nous ajoutons le ministère de
jouir au désir d'être utile, en vertu d'un ordre la voix ou de quelque signe corporel, afin de
de la souveraine et immuable justice. Et ce produire par quelque moyen sensible, dans
type d'inébranlable et ferme vérité, d'après l'âme de l'auditeur, quelque chose de sem-
lequel j'aurais joui de cet homme en le blable à ce qui reste dans l'âme de celui qui
croyant bon^ et d'après lequel je travaille à le parle. Nous ne faisons donc rien par les mem-
rendre bon, ce type, dis-je, répand de son im- bres de notre corps ni en actions ni en pa-
470 DE LA TRINITÉ.

rôles, soil pour approuver, soit pour désap- les, il en est comme dans les enfantements
prouver la conduite des liommes, rien, dis-je, des animaux : autre est la conception de la
que nous n'ayons d'abord produit en nous par parole, autre son enfantement. En effet, ce qui
la parole intérieure. Car personne ne fait vo- se conçoit par le désir, naît par la réalisation.
lontairement que ce qu'il a d'abord dit dans Ainsi il ne suffit pas à l'avarice de connaître
son propre cœur. et d'aimer l'or, il faut qu'elle le possède ; ce
i 3. Or, cette parole est conçue ou par Tamour n'est pas assez de connaître et d'aimerla nour-
de la créature ou i)ar l'amour du Créateur, riture et l'union charnelle, si l'acte ne s'en-
c'est-à-dire de la nature changeante ou de l'im- suit ; ni de connaître et d'aimer les honneurs
muable vérité. et les charges, àmoins qu'on ne les obtienne.
Et quand tout cela est obtenu, cela ne suffit
CHAPITRE Vlll. pas encore. « Celui qui boira de cette eau», dit
Jésus-Christ, « aura encore soif* ». Aussi le
DIFFÉRENCE ENTRE LA CUPIDITÉ OU LA PASSION
psalmiste disait : « Il a conçu la douleur et
ET LA CHARITÉ.
« enfanté l'iniquité - ».I1 appelle concevoir la
On agit donc par passion ou par charité : douleur ou le travail, quand on conçoit des
non qu'il ne faille pas aimer la créature mais ; choses qu'il ne suffit pas de connaître et de
si cet amour se rapporte au Créateur, ce n'est vouloir, vu que l'âme brûle d'ardeur et souffre

plus passion, mais charité. Ainsi y a passion, il d'indigence, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue
quand on aime la créature pour soi. En ce cas à son but et qu'elle ait comme enfanté l'objet
elle n'est plus utile à celui qui en use, mais de ses désirs. Ce qui rend si justes ces mots
gâte celui qui en jouit. Ou la créature nous de langue latine
la « parla, reporta, com- :

est égale, ou elle nous est inférieure dans le ; « porta * » qui semblent tous dériver du mot

second cas, il faut en user pour Dieu, dans le « partusS).Car «la concupiscence, lorsqu'elle a

premier, en jouir en Dieu. En effet, de même « conçu, enfante le péché ^ ». Aussi le Seigneur

que lu dois jouir de toi-même, non en toi- s'écrie-t-il « Venez à moi, vous tous qui pre-
:

même, mais dans celui qui t'a fait ; ainsi en « nez de la peine et qui êtes chargés S), et

doit-il être vis-à-vis de celui que tu aimes ailleurs : « Malheur aux femmes enceintes et

comme toi-même. Jouissons donc de nous et « à celles qui nourriront en ces jours-là ». ''

de nos frères dans le Seigneur, et ne soyons Il dit encore, en rapportant à l'enfantement


pas assez téméraires pour nous abandonner de la parole toutes les actions bonnes ou mau-
nous-mêmes à nous-mêmes, et nous pencher vaises : « C'estpar ta bouche que tu seras jus-
pour ainsi dire, en bas. Or, la parole réfléchie ce tifié et par ta bouche que tu seras con-

et agréée, naît pour faire le bien ou le mal. « damné * » ; entendons ici par bouche, non
L'amour est donc comme un intermédiaire pas celle qui est visible, mais la bouche inté-
entre notre i)arole et l ame qui l'engendre, et rieure de la pensée et du cœur.
il s'unit à elles deux, lui troisième, par un
embrassemcnt spirituel, sans aucune confu- CHAPITRE X.
sion. LA CONNAISSANCE ACCOMPAGNÉE d'AMOUR EST-ELLE
CHAPITRE IX. SEULE LA PAROLE DE L'AME?

DANS l'amour des CHOSES SPIRITUELLES, LA PAROLE


15. On demande, et avec raison, si toute
NAIT EN MÊME TEMPS QU'eLLE EST CONÇUE. IL
connaissance est parole, ou seulement la con-
n'en EST PAS DE MÊME DES CHOSES CHARNELLES.
naissance accompagnée d'amour. Car nous
44. Or la conception et la naissance de la connaissons aussi ce que nous haïssons; mais
parole sont la même chose, quand la volonté on ne peut dire des choses qui nous déplaisent,
trouve son repos dans la connaissance, comme qu'elles soient conçues ou enfantées par l'àme.
il arrive dans l'amour des choses spirituelles. En effet, tout ce qui nous touche d'une ma-
Ainsi, par exemple, celui qui connaît et aime nière quelconque, n'est pas conçu pour autant;
parfaitement la justice est déjà juste, même il est des choses qui sont simplement connues
quand il n'y a pas nécessité d'agir selon la
justice, par im acte extérieur du corps. Mais
' — Ps.
Jean, 15. —
iv, 13. ' vii ,
' Acquis (et aussi enfanté),
— Enfantement
trouvé, découvert. ' {et aussi acfjiiis). — ' Jac. i, 15,

dans l'amour des choses charnelles et temporel- — Matt. XI, 28. — Id. XXIV, 19. —
<• ' • Id. xii, 3.
.

LIVRE IX. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. Ali

et ne s'appellent point des paroles ; telles sont CHAPITRE XI.


celles dont il s'agit maintenant. Car qu'on
l'image ol la parole engendrée de l'ame
appelle paroles les sons formés de syllabes
QUI SE connaît est ÉGALE A l'AME ELLE-
dans l'espace et dans le temps, soit qu'ils sor-
MÊME.
tent de la bouche, soit qu'ils restent dans l'es-
prit qu'on donne encore ce nom à tout ce qui
;
16. Mais toute connaissance spéciale est
est connu
et imprimé dans l'àme, tant qu'on semblable à la chose, objet de cette connais-
peut l'extraire de la mémoire, bien qu'on le sance. Car il y a une autre connaissance au
désapprouve; enfin qu'on applique ce mot à point de vue de la privation, que nous expri-
un objet conçu et approuvé par l'àme ce : mons quand nous désapprouvons. Et cette
sont là trois sens différents. C'est dans ce der- désapprobation de la privation est un éloge de
nier qu'il faut entendre ce passage de TApôtre : l'espèce, et c'est pour cela que nous l'approu-
« Personne ne peut dire. Seigneur Jésus, que vons. L'âme a donc une certaine ressemblance
« par l'Esprit-Saint » tandis qu'il faut en- ^
;
avec l'espèce qu'elle connaît, soit qu'elle ap-
tendre dans un autre sens le langage de ceux prouve cette espèce, soit qu'elle en désap-
dont parle le Seigneur « Ce ne sont pas tous : prouve la privation. Voilà pourquoi nous
« ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, : sommes semblables mesure où
à Dieu dans la
« qui entreront dans le royaume des cieux » - nous le connaissons; mais cette ressemblance
Cependant quand les objets qui nous déplai- ne va point jusqu'à l'égalité, parce que nous
sent nous inspirent une juste aversion et que ne le connaissons point dans toute l'étendue
celte aversion est justement approuvée, nous de son être. Et de même que quand nous
approuvons alors la désapprobation elle nous ;
nommons les corps par le sens corporel, il

une parole d'ailleurs, ce n'est point


plaît, c'est s'en forme dans notre âme une certaine res-
la connaissance du vice, mais le vice même, semblance, qui est un jeu de la mémoire; —
qui nous déplaît. Par exemple, j'ai du plaisir car les corps eux-mêmes ne sont nullement
à connaître et à définir l'intempérance ; voilà dans l'àme, lorsque nous y pensons mais ,

sa parole y a dans un art des


: c'est ainsi qu'il seulement leurs ressemblances tellement que ;

défauts connus, et dont la connaissance est l'erreur consiste à prendre leurs images pour
justement approuvée, quand le connaisseur eux, le propre de l'erreur étant d'approuver
distingue l'espèce et l'absence de qualité, une chose pour une autre ; et néanmoins la
comme on distingue le oui du non, l'être du représentation d'un corps dans l'âme l'em-
néant ; et pourtant manquer d'une qualité et porte sur le corps lui-même, puisqu'elle est
tomber dans un défaut, est chose blâmable. dans une substance supérieure, c'est-à-dire
Définir l'intempérance et en prononcer le nom, dans une substance vivante, qui est l'âme; —
est l'affaire de la morale
mais être intempé- ;
ainsi, dis-je,quand nous connaissons Dieu,
rant, voilà ce que la morale réprouve. De tout en devenant meilleurs que nous n'étions
même savoir ce que c'est qu'un solécisme et avant de le connaître, surtout quand cette
le définir, c'est l'affaire de la grammaire ;
connaissance agréée et dignement goûtée, de-
mais commettre un solécisme, c'est ce que la vient parole et nous donne quelque ressem-
grammaire réprouve comme une faute. Ainsi blance avec lui : cependant elle est inférieure
donc, pour nous en tenir à notre sujet et au à Dieu, parce qu'elle est dans une nature in-
but que nous nous proposons, la parole est la férieure, vu que l'àme est créature et que
connaissance accompagnée d'amour. Quand Dieu est créateur. D'où il faut conclure que
l'àme se connaît et s'aime, sa parole s'unit à quand l'àme se connaît et s'approuve elle-
elle par l'amour. Et comme elle aime sa con- même, sa connaissance devient sa parole,
naissance et connaît son amour, la parole est mais parole absolument pareille , égale et
dans l'amour l'amour dans la parole, et
et identique, puisqu'elle n'est pas la connais-
tous les deux sont en elle qui aime et qui sance d'une nature inférieure, comme serait
parle. celled'un corps, ni d'une nature supérieure,
* I Cor. XII, 3. — = Matt. vu, -'1. comme l'est celle de Dieu. Et la connaissance

ayant une ressemblance avec la chose même


qu'elle connaît, c'est-à-dire dont elle est la
connaissance, elle l'a ici, parfaite et égale à
47^2 DE LA TRINITÉ.

l'àme même, puisque par elle l'âme connaît sible de connaître ce qui n'est pas susceptible
et estconnue. Elle est donc image et parole de d'être connu. 11 fautdonc tirer cette conclusion
l'âme, puisqu'elle en est l'expression, qu'en évidente que tout ce que nous connaissons
:

connaissant elle lui est coégale, et que ce qui engendre en nous et avec nous sa connais-
est engendré est égal au principe qui en- sance. En effet, la connaissance est engendrée
gendre. tout à la fois par ce qui connaît et par ce qui
CHAPITRE XII. est connu. Donc, quand l'àme se connaît elle-
même, elle seule est le principe de sa con-
LA CONNAISSANCE EST ENGENDRÉE PAR l'AME ,
naissance : et elle en est tout à la fois objet et
l'amour ne l'est pas. l'AME qui se CONNAÎT
sujet. Or, même avant de se connaître, elle
ET s'aime est l'image DE LA TRINITÉ.
était susceptible d'être connue d'elle-même ;

n. Qu'est-ce donc que l'amour? N'esl-il mais, quand elle ne se connaissait pas, cette
point image? ni parole? ni engendré? Pour- connaissance de soi-même n'existait pas.
quoi, quand l'àme se connaît, engendre-t-elle Donc, en se connaissant, elle engendre une
sa connaissance, et quand elle s'aime, n'en- connaissance d'elle-même égale à elle-même,
gendre-t-elle pas son amour? Si elle est le car elle ne se connaît pas moindre qu'elle
principe de sa connaissance, parce qu'elle est n'est, et sa connaissance n'est pas d'une autre

susceptible d'être connue, elle doit aussi être essence qu'elle non-seulement parce que
,

le principe de son amour ,


puisqu'elle est c'est elle-même qui connaît, mais parce qu'elle
susceptible d'être aimée. Pourquoi donc n'en- se connaît elle-même, comme nous l'avons dit
gendre-telle pas l'un et l'autre ? Question plus haut.
difficile. Car on la soulève aussi à propos de Alors, que dirons-nous de l'amour? Pour-
du Dieu tout puissant
la très-sainte Trinité, quoi l'àme en s'aimant elle-même n'engen-
et créateur à l'image duquel l'homme a été drera-t-elle pas aussi son amour? Car elle
fait. Des hommes, que la vérité divine appelle était susceptible d'être aimée par elle-même :

à la foi par le langage humain, demandent et avant de s'aimer, elle pouvait s'aimer ; t<)ut

pourquoi le Saint-Esprit n'est pas cru, n'est comme elle était susceptible d'être connue
pas dit engendré par Dieu le Père et nommé d'elle-même, et pouvait se connaître, avant
aussi son Fils ? Ce problème, nous cherchons qu'elle ne se connaisse. En effet, si elle n'eût
à le résoudre autant que possible, dans l'àme pas été susceptible d'être connue par elle-
humaine; nous interrogeons en quelque sorte même, jamais elle n'eût pu se connaître ; par
une image inférieure, où notre propre nature, conséquent, si elle n'eût pas été susceptible

plus familière pour nous répond à notre


,
d'êtreaimée d'elle-même, jamais elle n'eût pu
question, afin d'exercer notre inteUigence et s'aimer. Pourquoi donc ne dit-on pas qu'elle a
de remonter d'une créature éclairée par em- engendré son amour en s'aimant, comme elle
prunt, à la lumière qui ne change jamais. Et a engendré sa connaissance en se connaissant ?
peut -être la vérité elle-même nous convaincra- Serait-ce que par là le principe même de
que l'Esprit-Saint est charité, comme le
t-clle l'amour est indiqué, la source d'où il procède;
Verbe de Dieu est Fils, selon la ferme croyance — car il procède de l'àme même, qui est sus-

de tout chrétien. Revenons donc à l'image, ceptible d'être aimée par elle-même, avant
qui est créature, c'est à-dire à l'àme raison- de s'aimer, et devient par conséquent le prin-
nable, pour mieux l'interroger là-dessus et cipe de l'amour dont elle s'aime; mais qu'on —
l'étudier avec plus d'attention. Là, certaine aurait tort de dire cet amour engendré par
connaissance de choses temporelles qui n'exis- elle, comme on de la connaissance par
le dit
taient pas d'abord, certain amour de choses qui laquelle elle se précisément parce
connaît,
jusque-là n'étaient point aimées, nous éclaire- que la connaissance a déjà trouvé l'objet
ront et nous dicteront une réponse; car le qu'on appelle enfanté ou mis au jour, partiim,
langage nous étant donné pour le cours du vel repertum\ et qui est souvent précédé de
temps, une chose renfermée dans l'ordre du l'enquête qui doit aboutir à ce terme? En
temps est plus facile à expliquer. effet, une enquête est le désir de trouver, ou,
18. Tout d'abord il est clair qu'une chose si tu l'aimes mieux, de mettre au jour. Or, ce
peut être susceptible d'être connue et cepen- que l'on découvre est comme enfanté, il y
dant n'être pas connue, mais qu'il est impos- ' Voir ci-dessus, ch. ix, p. 470.
LIVRE IX. - LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 473

il une espèce de fils, quœ reperhintiir quasi


là , conséquent l'enfantement de l'âme est pré-
parhintiir ; et où sinon dans la connaissance cédé d'un certain désir, en vertu duquel, en
elle-même? Car c'est là qu'a lieu la formation, cherchant et en trouvant ce que nous voulons
et, pour ainsi dire, l'expression des objets. En connaître, nous donnons naissance à un en-
effet, bien que les choses que nous cherchons fant, à la connaissance même. Par consé-
et que nous trouvons existent préalablement, quent, ce désir par lequel la connaissance est
cependant leur connaissance n'existe pas d'a- conçue et enfantée, ne peut être dit lui-même
bord, et elle nous apparaît comme un enfant conçu et enfanté. Et ce même désir qui pousse
qui vient au monde. vivement vers la chose à connaître, en devient
Or, ce désir qui pousse à chercher, procède l'amour dès qu'elle est connue il saisit, il
;

de l'être qui cherche, en dépend en une cer- embrasse cet enfant chéri, c'est-à-dire la con-
taine manière, et ne se désiste dubut auquelil naissance, et l'unit au principe qui l'a en-
tend, que quand cherché est trc^vé et
l'objet gendré.
uni à celui qui le cherche. Ce désir, c'est-à- Ainsi, voilà une certaine image de la Tri-
dire cette recherche, si elle ne paraît pas en- nité : l'âme, la connaissance qu'elle a d'elle-
core être l'amour par lequel on aime un objet même et qui est comme son enfant, comme le
connu — car il seulement ici de le
s'agit verbe enfanté par elle puis l'amour surve-

;

connaître est cependant quelque chose du nant en tiers trois choses qui ne sont qu'une
;

même genre. En effet, on peut déjà l'appeler chose et une seule substance. Et la connais-

volonté, puisque celui qui cherche veut trou- sance n'est pas moindre que l'âme, puisque
• ver; et si on cherche un objet à connaître, l'àme se connaît dans toute son étendue; et
quiconque le cherche veut le connaître. Et si l'amour non plus n'est pas moindre que
la volonté est ardente et persévérante, on l'ap- l'âme, puisque l'âme s'aime autant qu'elle se
pelle étude terme souvent employé dans la
; connaît, et dans toute son étendue.
poursuite et l'acquisition des sciences. Par
LIVRE DIXIEME.
Il y a , dans l'àrae de l'homme une autre Irinité qui se manifeste beaucoup plus sensiblement ; elle est dans la mémoircj
l'intelligence et la volonté.

CHAPITRE PREMIER. main, etque celui à qui on les adresse, en-


tendra, non avec ses oreilles, mais avec ses
l'amour de l'ame qui étudie , c'est-a-dire
yeux ; supposons que cet homme soit témoin
DÉSIRE DE SAVOIR n'EST POINT l' AMOUR DE
,
du est-ce que, dans son désir de possé-
fait :

CE qu'elle IGNORE.
der ce moyen, toute son étude ne se portera
1. Maintenant, pour expliquer plus claire- pas vers le but qu'il connaît déjà? Tel est le
ment le sujet, redoublons d'attention. Tout principe de l'ardeur des étudiants : car per-
d'abord, comme
personne ne peut aimer ce sonne ne peut aimer ce qu'il ignore entière-
qu'il ignore entièrement, il faut voir de quelle ment.
nature est l'amour de ceux qui étudient, c'est- 2. De même, en entendant quelque signe
à-dire de ceux qui ne possèdent pas encore inconnu, par exemple le son d'une parole
une science, mais qui désirent l'acquérir. dont on ignore complètement la signification,
Pour tous les autres sujets où le mot d'étude soit le mot temetum S il désire savoir ce que
n'est généralement pas employé, il existe cer- c'est, c'est-à-dire quel objet ce son a pour but

taines amours qui résultent de ce qu'on entend d'indiquer; et, comme il ne le sait pas, il le
dire la réputation d'une beauté quelconque
; demande. Mais il faut d'abord qu'il sache que
excite dans l'âme le désir de la voir et d'en c'est un signe, c'est-à-dire que ce mot n'est
jouir, parce que l'àme a une notion générale pas un vain bruit, mais renferme un sens.
de la beauté du corps, pour en avoir beaucoup D'autre part, ce trisyllabe lui est déjà connu,
vu, et qu'il y a en elle quelque cbose qui et son articulation, introduite par ses oreilles,
goûte ce qu'elle désire au dehors. Cela étant, s'est imprimée dans son âme. Que lui man-
l'amour qui s'éveille en elle n'est pas l'amour que-t-il donc pour le mieux connaître, quand
d'une chose absolument inconnue, puisqu'elle il en sait toutes les lettres, toute la longueur
en connaît le genre. Mais quand nous aimons compris en
et tous les sons, si ce n'est qu'il a
un homme de bien, que nous n'avons jamais même temps que ce mot est un signe, et qu'il
vu, nous l'aimons d'après la notion des vertus éprouve le désir de savoir quel objet ce signe
que nous avons puisée dans la vérité même. indique? Ainsi, plus le mot est connu, pourvu
Quant aux sciences, nous sommes ordinaire- qu'il ne le soit pas entièrement, plus l'âme est
mont déterminés à les étudier par les éloges avide de connaître ce qu'il en reste à savoir.
et les recommandations d'hommes graves et ; Si en effet, cet homme savait simplement que
néanmoins, si nous n'en avions pas déjà dans le mot existe et ignorait qu'il signifiât quel-
l'esprit une légère notion, nous n'éprouve- que chose, il ne s'en informerait pas davan-
rions pour leur étude aucun attrait. Qui donc, tage, et se contenterait d'en avoir perçu, au-
par exemple, consumerait son temps et sa tant que possible, le côté sensible. Mais comme
peine à étudier la rhétorique, s'il ne savait il que ce n'est pas seulement un son, mais
sait
d'abord qu'elle est l'art de parler ? Quelque- un signe, il veut le connaître à fond. Or, on
fois aussi, nous admirons les résultats de ces ne connaît parfaitement un signe que quand
sciences, ou pour en avoir ouï parler, ou pour on sait ce qu'il signifie. Mais peut-on dire que
en avoir été témoins nous-mêmes, et nous celui qui cherche vivement à savoir, et dont
sentons naître en nous une vive ardeur de les l'ardeur s'enflamme et persévère dans l'étude,
étudier, afln de parvenir au même but. Sup- est sans amour? Qu'aime-t-il donc? Car cer-
l)OSons qu'on dise à un homme qui ne sait pas tainement on ne peut aimer quelque chose
écrire, qu'il existe un art au moyen duquel sans le connaître. L'amour de cet homme,
on peut envoyer, même à de grandes dis- dont nous parlions tout à l'heure, ne porte
tnaces, des paroles formées en silence avec la * Vin, mot latin peu usité.
,

LIVRE X. — AUTRE TRINITE DANS L'HOMME. 475

évidemment pas sur ces trois syllabes qu'il il n'est cependant personne de si indifférent
connaît déjà. Peut-être ce qu'il aime en elles, sur ce point, qu'il ne désire savoir le sens
est-cede savoir qu'elles signifient quelque d'un mot inconnu qu'on prononce devant lui,
chose mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit,
; et ne s'en informe et ne l'apprenne, si cela lui
car ce n'est pas cela qu'il cherche à savoir est possible. En s'en informant, il cède évi-
maintenant. Et nous cherchons, nous, à savoir demment au désir de s'instruire et semble
ce qu'il aime dans l'objet qu'il désire étudier aimer une chose inconnue ce qui n'est pas,;

et qu'ilne connaît pas encore et nous nous ; pourtant. Son âme est touchée d'un genre de
étonnons de son amour, précisément parce beauté qu'il connaît, à laquelle il pense, où
que nous avons la certitude qu'on ne peut il voit briller l'art glorieux d'unir les âmes
absolument aimer que des choses connues. par la communication du langage; et cette
Pourquoi aime-t-il enfin, sinon parce qu'il beauté allume en lui de chercher ce
le désir
connaît et voit, dans les raisons des choses, la qu'il ignore, il mais qui est un
est vrai,
beauté d'une science qui renferme les notions moyen connu, vu et goûté de lui, pour par-
de tous les signes parce qu'il voit l'utilité
;
venir au but. Ainsi, par exemple, s'il demande
d'un art, qui relie les hommes entre eux en ce que veut dire temetum (c'est l'exemple
les mettant à même de secommuniquer leurs que j'avais choisi) et qu'on lui dise Qu'est-ce :

sentiments , et les empêche de dégénérer que cela te fait? il répondra Je n'aimerais :

dans l'espèce d'isolement où les placerait l'im- pas à entendre prononcer ce mot sans le com-
puissance de se manifester leurs pensées par prendre, ou à le lire quelque part sans savoir
le langage ? ce que l'écrivain a voulu dire. Et qui donc lui
L'âme voit donc, connaît et goûte cette répliquera Ne cherche pas à comprendre ce
:

science si belle et si utile et quiconque s'in-; que tu entends dire, ni à connaître ce que tu
forme du sens des mots qu'il ignore, cherche lis? Car presque toutes les âmes raisonnables
à la perfectionner en lui autant que possible. saisissent du premier coup d'œil la beauté
Mais autre chose est de la voir à la lumière de d'une science à l'aide de laquelle les hommes
la vérité, autre chose de la désirer pour soi. peuvent se communiquer leurs pensées par
On voit, en effet, à la lumière de la vérité l'émission de sons significatifs et c'est à cause
;

combien c'est une grande et bonne chose de de cette beauté connue —


et aimée parce

comprendre et de parler toutes les langues, qu'elle est connue —


qu'on s'informe du sens
de n'être étranger à personne et pour per- d'un mot inconnu. En entendant donc pro-
sonne. La pensée saisit déjà la beauté de cette noncer le mot àQ temetum et eu apprenant que
science, et, en l'aimant, c'est une chose con- c'est le nom que les anciens donnaient au
nue qu'on aime. Elle est si bien vue, elle vin, mais que pour nous ce mot a vieilli et
cnllamme tellement l'ardeur de ceux qui l'é- est tombé en désuétude, il pensera peut-être
tudient, qu'elle devient comme le pivot de que la connaissance lui en est nécessaire pour
leur existence, et qu'ils n'ont qu'elle pour but l'intelligence de quelques vieux livres. Et si
dans toutes les peines qu'ils prennent pour l'étude de ces livres lui semble inutile, peut-
acquérir une telle faculté et se mettre dans le être estimera-t-il ce mot peu digne d'être re-
cas d'appliquer en pratique ce qu'ils connais- tenu, parce qu'il ne lui verra aucun rapport
sent déjà par la raison. D'où il résulte que avec cette beauté qu'il connaît, qu'il voit et
plus on approche du terme auquel on aspire, aime par raison.
plus l'ardeur de l'amour augmente. En effet, 3. Ainsi tout amour chez celui qui étudie,
on se livre avec bien plus d'énergie à l'étude c'est-à-dire qui veutapprendre ce qu'il ignore,
des sciences qu'on ne désespère pas d'acqué- n'est pas l'amour de la chose qu'il ignore,
rir. Et si l'on n'a pas l'espoir d'atteindre le mais de celle qu'il connaît et en vue de la-
but, ou n'aime que faiblement, où l'on
l'on quelle il veut apprendre ce qu'il ne sait pas.
n'aime pas du tout la science dont cependant Ou s'il est tellement curieux qu'il soit en-
on entrevoit la beauté. Voilà pourquoi, comme traîné, non par un motif connu, mais par le
tout le monde à peu près désespère d'appren- seul désir d'apprendre l'inconnu, il faut sans
dre toutes les langues chacun s'attache sur-
,
doute ne pas le confondre avec l'homme vrai-
tout à connaître celle de son pays. Et si l'on ment studieux, et néanmoins on ne peut pas
se sent incapable de la connaître parfaitement, dire qu'il aime l'inconnu il serait plus juste,
;
,,
, ,
,

476 DE LA TRINITÉ.

au contraire , de dire qu'il hait l'inconnu voyons et nous aimons quelque chose dans la
puisqu'il cherche à le détruire, par son désir beauté de la raison éternelle et quand cette
;

de tout connaître. Et si Ton nous fait celte chose, reproduite par l'image d'un objet tem-
grave objection, que Thomme n'est pas plus porel, s'offre à notre foi et à notre amour
capable de haïr que d'aimer ce qu'il ignore ,
d'après les éloges de ceux qui en ont fait
nous conviendrons que cela est vrai; et ce- l'expérience, nous
n'aimons plus quelque
pendant ce n'est pas la même chose de dire : chose d'inconnu, ainsi que nous l'avons suffi-
Il aime à savoir l'inconnu, et de dire Il aime : samment prouvé plus haut ou encore nous
;

l'inconnu car il est possible d'aimer à ap-


: aimons quelque chose de connu, qui nous
prendre ce qu'on ignore, et il est impossible fait chercher quelque chose d'inconnu; et

d'aimer ce qu'on ignore. Le mot savoir a alors ce n'est point cet inconnu que nous ai-
ici son importance celui qui aime à savoir
: mons, mais le connu par lequel nous cher-
l'inconnu n'aime pas précisément l'inconnu,
, chons à savoir l'inconnu que nous ignorons
mais la science de l'inconnu. Et personne ainsi que je l'ai expliqué tout à l'heure à pro-
sans avoir une idée de cette science, ne pour- pos d'une parole dont le sens est ignoré; ou

rait assurer qu'il sait ou qu'il ignore quelque enfin on aime à savoir ce qui ne peut rester
chose. Car non-seulement celui qui dit Je : ignoré de quiconque désire s'instruire.
sais, et le dit avec vérité, doit savoir ce que Telles sont les raisons pour lesquelles on
c'est que savoir; mais celui qui dit avec cer- semble aimer l'inconnu quand on veut savoir
titude et vérité : Je ne sais pas , sait aussi ce ce que l'on ignore, et qu'un vif désir de s'ins-
que c'est que savoir ;
puisqu'il distingue celui truire ne permet pas de dire qu'on est exempt
qui sait et celui qui ne sait pas, alors que, se de cet amour. Mais je pense avoir convaincu
considérant lui-même, il dit en toute sincé- tous ceux qui voient la vérité, qu'il n'en est
rité : Je ne sais pas. Et s'il sait qu'il dit la vé- pas ainsi, et qu'il estimpossible d'aimer ce qui
rité, comment le sait-il, s'il ignore ce que est absolument inconnu. Toutefois, comme les
c'est que savoir? exemples que nous avons donnés ne concer-
nent que ceux qui désirent savoir autre chose
CHAPITRE II. que ce qu'ils sont eux-mêmes, voyons si la
question ne se présentera pas sous une autre
PERSONNE NE PEUT AIMER CE QU'iL IGNORE.
face, quand l'âme voudra se connaître elle-

4. Ainsi donc tout homme studieux, tout même.


homme curieux n'aime pas l'inconnu, même CHAPITRE III.

quand il est tourmente d'un ardent désir de


l'AME NE s'aime pas SANS SE CONNAITRE.
savoir ce qu'il ignore. En effet : ou il a déjà
une notion générale de ce qu'il aime et il dé- 5. Qu'est-ce que l'âme aime donc, quand

sire le connaître, soit sur un point particu- ne se connaissant pas elle-même, elle désire
lier, soit dans tous les sujets qu'on apprécie ardemment se connaître? La voilà qui se
devant lui et qu'il ignore, mais dont il se fait cherche elle-même pour se connaître et ce
une idée imaginaire qui l'excite à les aimer. but enflamme ses désirs. Elle aime donc :

Et de quoi se forme-t-il cette idée, sinon d'é- mais qu'aime-t-elle ? Elle-même? Mais com-
léments qu'il connaît déjà? Jusque-là, que si ment cela, puisqu'elle ne se connaît pas en-
le sujet dont on fait l'éloge devant lui lui core et que personne ne peut aimer ce qu'il
semble peu en rapport avec l'idée préconçue ne connaît pas ? Serait-ce que la renommée
et familière à son esprit, peut-être ne l'aimera- lui a fait l'éloge de sa beauté comme cela ar-
,

t-il pas ; et s'il l'aime, le principe de cet amour rive des absents? Peut-être ne s'aime-t-elle pas
estdans ce qu'il sait déjà car tout à l'heure : elle-même, mais certaine forme fantastique
l'image que son esprit se formait et qu'il ai- qui peut être tout autre qu'elle. Ou bien, si la
mait était tout autre. Et si la forme nouvelle forme qu'elle rêve lui ressemble, en l'aimant,
qu'on lui vante ressemble à cette première elle s'aime elle-même avant de se connaître,

de telle sorte qu'il puisse lui dire c'était toi : puisqu'elle aime sa propre ressemblance; elle
que j'aimais, on ne peut plus affirmer qu'il connaît donc d'autres âmes sur lesquelles elle
aimait une forme inconnue, puisqu'il la con- se forge un modèle, et, par là même, elle se
naissait dans sa ressemblance ou bien nous ; connaît déjà d'après les notions du genre.
, ,

LIM\E X. — AUTRE TRINITE DANS L'HOMME. 477

Mais comment doncconnait-elle d'autres âmes donc elle-même. Et en se cherchant pour se


et ne se connait-elle pas elle-même, quand connaître, elle sait qu'elle cherche. Elle se
rien ne peut lui être plus présent qu'elle- connaît donc déjà. Il n'est donc pas possible
même? Que s'il en est ici comme pour les qu'elle s'ignore absolument, elle qui, sachant
yeux du corps qui connaissent mieux les au- qu'elle ne se sait pas, se sait par là même.
tresyeux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, Que si elle ne peut
ignore qu'elle ignore, elle

l'àme peut se dispenser de se chercher car : se chercher pour se connaître. Donc, par le
elle ne se trouvera jamais. En effet, les yeux seul fait qu'elle se cherche, elle prouve plu-
ne se verront jamais eux-mêmes qu'à l'aide tôt qu'elle se connaît qu'elle ne prouve qu'elle

du miroir; et on ne peut supposer qu'il existe s'ignore. En effet, en se cherchant pour se


des procédés analogues pour les choses imma- connaître, elle connaît qu'elle se cherche et
térielles, et que l'âme puisse se connaître dans qu'elle s'ignore.
un miroir. Ou bien voit-elle, dans la raison
de l'éternelle vérité,combien il est beau de CHAPITRE IV.

se connaître soi-même; et aime-t-elle ce L'aME humaine ne se CONNAIT PAS EN PARTIE


qu'elle voit, et désire-t-elle le voir réalisé en MAIS TOUT entière.
elle? En ce cas, bien qu'elle ne se connaisse
pas, elle connaît du moins l'avantage qu'elle G.'Que dirons-nous donc? Sera-ce que l'àme
aurait à se connaître. Et c'est déjà quelque se connaît en partie et en partie s'ignore?
chose de bien étonnant de ne pas se connaître Mais il est absurde de dire que l'àme tout en-
encore et de savoir néanmoins combien il est tière ne sait sait. Je ne dis pas
pas ce qu'elle
beau de se connaître soi-même. Serait-ce en- qu'elle sait tout;mais ce qu'elle, sait, elle le
fin qu'elle découvre quelque but excellent, sait tout entière. Quand donc elle sait d'elle
c'est-a-dire sa sécurité et son bonheur, à l'aide quelque chose —
et elle ne peut le savoir que
de quelque secrète réminiscence qui ne l'a tout entière — elle se sait tout entière. Or,
point abandonnée dans ses lointaines péré- elle sait qu'elle sait quelque chose, et elle ne
grinations, et qu'elle sente qu'elle ne peut peut rien savoir que tout entière. Elle se sait
atteindre ce but sans se connaître elle-même? donc tout entière. D'ailleurs est-il rien qu'elle
Alors elle aime ce but, et en cherche le connaisse aussi bien que sa propre vie ? Or,
moyen; elle aime le but qu'elle connaît, et elle ne peut pas être àme et ne pas vivre ,

cherche, en vue de lui, ce qu'elle ne connaît quand, outre la vie, elle a encore l'intelli-
pas. Mais pourquoi le souvenir de son bon- gence car les âmes des bêtes ont la vie et
;

heur ne s'est-il point perdu, pendant que le non l'intelligence. De même donc que l'àme
souvenir d'elle-même s'effaçait? Pourquoi est âme tout entière , ainsi elle vit tout en-
elle qui veut parvenir au but, ne s'est-elle pas tière. Or, elle sait qu'elle vit. Donc elle se
aussi bien connue que le but auquel elle veut connaît tout entière. Enfin, quand l'âme cher-
parvenir ? Serait-ce que, quand elle aime à se che à se connaître , elle sait déjà qu'elle est
connaître, ce n'est pas elle-même, qu'elle ne âme autrement elle ne saurait pas si elle se
;

connaît pas mais sa propre connaissance


, cherche et elle pourrait chercher une chose
,

qu'elle aime, et qu'elle souffre de ne pas faire pour une autre. Il pourrait se faire qu'elle ne
partie elle-même de sa propre science qui fût pas àme elle-même , et qu'en cherchant à
veut tout embrasser? Mais elle sait ce que connaître une âme elle ne se cherchât pas
,

c'est que connaître, et tout en aimant ce elle-même. Donc quand l'âme cherche à
qu'elle connaît, elle désire aussi se connaître savoir ce que c'est que l'âme, elle sait qu'elle
elle-même. Or, où a-t-elle pris l'idée de sa se cherche, et par conséquent, qu'elle est
propre connaissance, si elle ne se connaît pas ? âme. Or, si elle reconnaît en elle-même
Car elle sait qu'elle connaît d'autres choses qu'elle est âme, et si elle est âme tout entière,
et qu'elle ne se connaît pas; c'est même par elle se connaît donc tout entière. Mais suppo-
là qu'elle connaît ce que
que connaître.
c'est sons qu'elle ne sait pas qu'elle est àme; du
Comment donc quelque
sait-elle qu'elle sait moins quand cherche, elle sait seule-
elle se
chose, elle qui s'ignore elle-même? En effet, ment qu'elle se cherche. Et si elle ne le sait
ce n'est pas d'une autre âme, mais d'elle- pas, elle peut chercher une chose pour une
même, qu'elle sait qu'elle sait. Elle se sait autre et pour ne pas se fourvoyer ainsi, elle
;
478 DE LA TRINITÉ.

sait sans doute ce qu'elle cherche. Or, si elle qui elle doit être gouvernée, au dessus des êtres
sait ce qu'elle cherche , et si elle se cherche qu'elle doit gouverner. Car elle fait bien des
elle-même, évidemment elle se connaît. Que choses par une coupable cupidité, comme si
cherche-t-elle donc de plus? Si elle se con- elles'oubliaitelle-même. En effet elle découvre,
naît seulement en partie, et se cherche encore d'une vue intérieure, certaines beautés dans
en partie, ce n'est pas elle-même, mais une une nature supérieure qui est Dieu et quand ;

partie d'elle-même qu'elle cherche. Car quand elle devrait se contenter d'en jouir, elle veut
on parle d'elle, on parle d'elle tout entière. se les approprier, devenir semblable à lui, non
De plus, dès l'instant qu'elle sait qu'elle ne par lui, mais par elle-même ; elle se détourne
s'est pas encore trouvée tout entière, c'est de tombe de plus bas en plus bas,
lui, s'agite et
qu'elle connaît toute son étendue. Elle cher- en croyant monter de plus haut en plus haut,
che donc ce qui lui manque, comme nous parce qu'elle ne se suffit pas à elle-même, et que
cherchons nous-mêmes à rappeler à notre rien ne lui suffit quand elle s'éloigne de celui
mémoire une chose oubliée mais non , entiè- qui peut seul suffire. Ainsi, par l'effet de son
rementeffacée, et où l'on reconnaîtra, si elle indigence et des difficultés qu'elle rencontre ,

se présente, ce que l'on cherchait. elle se livre avec une ardeur excessive à sa
Mais comment l'âme se rappellera-t-elle propre opération et aux inquiètes jouissances
l'àme , comme s'ilque l'àme ne
était possible qu'elle en recueille. Puis, par le désir d'acqué-
fût pas dans l'âme ? Ajoutons que si, s'étant rir au dehors des connaissances, dont elle con-
trouvée en partie , elle ne se cherche pas tout naît le genre, qu'elle aime, mais qu'elle sent
entière c'est du moins elle tout entière qui
, qu'on peut perdre, si on ne les maintient à
se cherche. Elle est donc tout entière présente force de travail, elle perd sa sécurité, et se né-
à elle-même , et il ne lui reste plus rien à glige elle-même d'autant plus qu'elle est plus
chercher car ce n'est pas elle qui cherche
;
,
assurée de ne pouvoir se perdre. Ainsi comme
mais l'objet de sa recherche qui fait défaut. autre chose est de ne pas se connaître, autre
Donc quand c'est elle tout entière qui se —
chose de ne pas pensera soi nous ne dirons pas
cherche il ne lui manque rien d'elle-même.
, en effet d'un homme très-instruit qu'il ignore
Ou si ce n'est pas elle tout entière qui cher- la grammaire, parce qu'il la néglige momenta-
che, mais qu'une partie déjà trouvée cherche nément pour s'occuper de la médecine —
la partie qui n'est pas encore trouvée ; ce comme, dis-je, autre chose est de ne pas se
n'est donc pas l'âme qui se cherche, puisque connaître, autre chose de ne pas penser à soi,
aucune partie ne se cherche. En effet, la partie la puissance de l'amour est telle que, même
déjà trouvée ne se cherche pas; la partie non quand l'âme rentre en quelque sorte chez elle
encore trouvée ne se cherche pas non plus, pour s'occuper d'elle-même, elle attire à elle
puisqu'elle est cherchée par la partie trouvée. les objets qu'elle a étudiés avec passion et aux-
Par conséquent, comme ce n'est pas l'âme quels elle s'est pour ainsi dire collée par la
tout entière qui se cherche , ni qu'aucune de glu du souci. Et comme les objets qu'elle a
ses parties ne se cherche, l'âme ne se cherche goûtés par les sens corporels et dans lesquels
en aucune façon. une longue familiarité l'a enchevêtrée, sont des
corps, et qu'elle ne peut, en rentrant chez elle,
CHAPITRE V.
introduire des corps dans une région immaté-
POURQUOI IL EST ORDONNÉ DE SE CONNAÎTRE, emporte avec elle leurs
rielle, elle recueille et

d'oU VIENNENT LES ERREURS DE l'AME SUR SA images, créées d'elle-même et en elle-même.

PROPRE SUBSTANCE. En effet elle leur communi(iue quelque chose


de sa propre substance, tout en perdant aussi
7. Pourquoi donc lui ordonne-t-on de se con- quelque chose pour porter un jugement libre
naître ? C'est, je crois, pour qu'elle pense à sur ces sortes d'images, et c'est là proprement
elle-même et pour qu'elle vive conformément l'âme, c'est à dire l'intelligence raisonnable
à sa nature, c'est-à-dire pour qu'elle désire qui se réserve pour juger. Car nous sentons
êlre réglée selon sa nature, au-dessous de celui que cette faculté de l'âme de conserver les
à qui elle doit être soumise, au dessus des êtres images des corps, nous est commune avec les
qu'elle doit dominer; au-dessous de celui par animaux.
,

LIVRE X. — AUTRE TRINITÉ DANS L'HOMME. 479

CHAPITRE VI. du corps, il est impossible qu'elle jouisse


d'une durée sans terme. Quant à ceux qui ont
JUGEMENT ERRONÉ DE l'aME SUR ELLE-MÊME.
vu dans sa substance un certain principe vital
8. Or, rame se trompe quand elle s'unit à
immatériel —
ils avaient découvert que tout
ces images avec tant de passion qu'elle s'ima- corps vivant possède un principe qui l'anime
gine être de même nature qu'elles. Elle s'y et le viviQe — ils ont cherché, conséquem-
assimile en quelque sorte, non réellement, ment à leur opinion, à prouver que l'âme est
mais par la pensée non qu'elle se croie une ;
immortelle, puisque la vie ne peut cesser de
image, mais elle se confond avec l'objet dont vivre.Quant à ce je ne sais quel cinquième
elle porte l'image en elle-même. Elle con-
corps, que quelques-uns ont ajouté aux quatre
serve cependant la faculté de juger et de dis- éléments si connus et dont ils ont voulu for-
cerner l'objet matériel qu'elle a laissé au de- mer l'âme, je ne pense pas que ce soit le cas
hors et l'image qu'elle en garde au dedans
d'en parler ici. En effet ou ils entendent
d'elle. Nous exceptons les cas où ces images
comme nous, par corps ce qui est contenu
sont aussi vives que si elles étaient, non plus
dans l'espace local et est moindre dans la par-
présentes seulement à la pensée, mais réelle-
tie que dans le tout, et alors il faut les ranger
ment senties au dehors, comme il arrive dans parmi ceux qui croient l'âme matérielle ou ;
le sommeil, dans la folie ou dans l'extase.
ils donnent le nom de corps à toute substance,

CHAPITRE VII. ou du moins à toute substance susceptible de


changement, bien qu'ils sachent qu'elle n'oc-
opinion des philosophes sur la substance de
cupe pas l'espace en longueur, en largeur et
l'ame.
en hauteur, et alors c'est une dispute de mots
9. Quand l'âme se croitquelque chose de dans laquelle nous n'avons pas à entrer.
ce genre , elle se prend pour un corps. Et 10. A travers toutes ces opinions, quiconque
comme elle sent fort bien qu'elle domine le voit que la nature de l'âme est une substance,
corps, il en est résulté que quelques-uns se et une substance immatérielle, c'est-à-dire
sont demandé quel est ce principe plus puis- qu'elle n'occupe pas une place plus ou moins
sant dans le corps, et ils ont cru que c'était grande dans l'espace par telle ou telle partie
ou plutôt l'âme tout entière. Les
l'intelligence, de son être : celui-là voit aussi nécessairemen t

uns ont opiné pour le sang, d'autres pour le que l'erreur de ces philosophes ne vient pas
cerveau, d'autres pour le cœur non pas — de ce qu'ils n'ont pas la notion de l'âme, mais
dans ce sens où l'Ecriture dit « Je vous loue- : de ce qu'ils y ajoutent des choses sans lesquel-
« rai, Seigneur, de toute l'étendue de mon les ilsne sauraient imaginer une nature quel-
H cœur» ; et encore : «Tu aimeras le Seigneur conque. En effet tout ce qu'on pourra offrir à
« ton Dieu de tout ton cœur où le * » : texte leur pensée en dehors des images des corps,
cœur pour l'âme, par catachrèse ou
est pris ils le regarderont comme pure chimère. Que
par métaphore mais ils ont réellement entendu l'âme ne se cherche donc pas, comme si elle
cette partie du corps que la dissection nous se faisait défaut à elle-même. Car quoi d'aussi
montre dans les entrailles humaines ;
— présent à la connaissance que ce qui est pré-
d'autres ont cru l'âme composée de molécules sent à l'âme ? Or, qu'y a-t-il d'aussi présent à
très-petites et indivisibles ,
qu'ils appellent l'âme que l'âme elle-même ? Et si l'on s'en
atomes, et qui se seraient unies et accrochées tient àl'étymologie, que signifie le mot inven-
ensemble. Il en est qui ont prétendu que sa tion, sinon arriver à ce que l'on cherche' ?
substance était de l'air ou du feu. D'autres, ne C'est pourquoi on ne dit pas des choses qui se
pouvant s'imaginer une substance imma- présentent naturellement à l'esprit qu'elles
térielle, et ne voyant pas que l'âme fût un sont trouvées ou inventées, quoiqu'on puisse
corps, ont affirmé qu'elle n'était pas une sub- dire qu'elles sont connuesla raison en est que ;

stance, mais la simple constitution de notre nous ne dirigeons pas notre attention à les cher-
corps, ou l'ensemble des éléments primor- cher pour arriver à elles, c'est-à-dire pour les
diaux qui relient ensemble ses parties char- trouver. Donc de même que, quand l'œil ou
nues. Mais tous ceux-là l'ont crue mortelle , tout autre sens du corps cherche quelque
puisque, qu'elle soit corps ou l'organisation chose, c'est l'âme elle-même qui cherche —
' Ps. IX, ex, cxxxvii ; Deut. vi, 5 ; Matt. xxti, 37. * In venii'e, venir dedans.
,

480 DE LA TRINITÉ.

car c'est elle qui dirige le sens charuel et qui riels extérieurs, de telle sorte que, même en
trouve, quand ce sens découvre l'objet de sa l'absence de ceux-ci, leurs images restent pré-
recherche — ainsi quand il s'agit de ce qu'elle sentes à la pensée. Qu'elle se connaisse donc
doit connaître par elle-même et sans l'inter- elle-même, qu'elle ne se cherche pas comme
vention des sens corporels, c'est elle qui arrive si elle était absente; mais qu'elle recueille

à l'objet qu'elle trouve : soit qu'elle le trouve dans son intérieur son attention et sa volonté
dans une substance supérieure qui est Dieu , vagabondes et s'occupe d'elle-même. Elle
soit qu'elle le découvre dans d'autres parties verra bientôt qu'elle s'est toujours aimée
de son être, comme quand elle porte un juge- qu'elle s'est toujours connue mais qu'en ;

ment sur les images des corps car elle les : aimant quelque autre chose avec elle, elle s'est
trouve imprimées en elle-même par l'entre- confondue avec cet élément étranger, elle s'est,
mise du corps. en quelque sorte, grossie et qu'en embras- ;

sant comme une seule chose des choses diffé-


CHAPITRE VIII.
rentes, elle a pris ces choses différentes pour

COMMENT l'AME DOIT SE CHERCHER ELLE-MÊME. une seule chose.


POCRQUOI ELLE SE TROMPE SLR SON PROPRE
CHAPITRE IX.
COMPTE.
l'AME se CONNAIT PAR LE SEUL FAIT QU'ELLE
11. Comment l'âme cherche et se trouve,
se CONNAIT l'ordre DE SE CONNAITRE.
où elle doit se diriger pour se chercher, où
elle doit arriver pour se trouver question : 12. Que l'àme ne cherche donc pas à se voir
étrange Car qu'y a-t-il de plus intime à l'àme
! comme absente, mais qu'elle s'attache à se
que rame? Mais comme elle est toute aux bien discerner comme présente. Qu'elle ne se
choses auxquelles elle aime à penser, que connaisse pas comme ne se connaissant pas,
l'habitude et l'affection lui ont rendu fami- mais qu'elle se distingue elle-même de tout
liers les objets sensibles , c'est-à-dire corpo- objet étranger qu'elle connaît.Comment en I
rels, elle ne peut rentrer en elle-même sans effet accomplira-t-elle cet ordre : Connais-toi
apporter avec elle leurs images. De là pro- toi-même, si elle ne sait pas ce que veut dire :

vient chez elle cette honteuse erreur qui fait Connais-toi, ni ce que signifie : Toi-même?
qu'elle ne peut se détacher elle-même des Mais si elle comprend
deux expressions, ces
images des choses sensibles, ni se voir seule. elle se connaît elle-même
car on ne lui dit ;

Ces images se sont attachées à elle d'une ma- pas Connais-toi toi-même, comme on lui di-
:

nière étonnante par la glû de l'amour; et rait Connais les Chérubins et les Séraphins,
:

voilà sa souillure, que quand elle cherche à lesquels sont absents et que nous croyons
se recueillir en elle-même, elle croit être ce des puissances célestes d'après ce qu'on nous
sans quoi elle ne peut plus s'imaginer qu'elle enseigne ni comme on lui dirait Connais la
; :

puisse être. Pour obéir à l'ordre de se recon- volonté de cet homme, volonté que nous ne
naître elle-même, elle n'a donc pas à se cher- pouvons ni sentir, ni comprendre, si elle ne se
cher comme si elle ne s'appartenait plus, mais manifeste par quelques signes corporels, et à
simplement à se dépouiller de tout élément laquelle, même alors, nous
croyons plutôt que
étranger. Car elle est plus près d'elle-même, nous ne comprenons; ni comme on dirait
la

non-seulement que les objets sensibles qui à un homme Regarde ton visage, ce qu'il ne
:

sont visiblement hors d'elle, mais même que peut faire que dans un miroir. En effet notre
leurs images imprimées dans une certaine visage est absent pour nos yeux, puisqu'ils ne
partie de l'àme qui nous est commune peuvent se diriger sur lui. 3Iais quand on dit
avec les bêtes, bien que celles-ci soient pri- à l'àme Connais-toi toi-même, par ce seul
:

vées de l'intelligence, signe distinctif de fait qu'elle comprend ce mot: Toi-même, elle

l'àme. Etant donc si près d'elle-même, elle se connaît elle-même, et cela uniquement
sorten quelque sorte de chez elle, quand elle parce qu'elle est présente à elle-même ce qui ;

prodigue son affection à ces vestiges de nom- n'a plus lieu, si elle ne comprend pas la parole
breuses occupations vestiges qui s'impriment
; qu'on lui adresse. On lui donne donc un ordre
dans la mémoire au contact des objets maté- qui est exécuté aussitôt que compris.
LIVRE X. — AUTRE TRINITÉ DANS L'HOMME. 481

CHAPITRE X. pour elle-même son repos et son plaisir et ;

nous usons de celles qui nous servent de moyen


IL EST TROIS CHOSES QUE l'AME SAIT d'ELLE- pour obtenir d'autres satisfactions. Et, pour
mème avec certitude qu'elle comprend,
: l'homme, le vice et le péché ne sont pas autre
qu'elle existe et qu'elle vit. chose qu'un mauvais usage et une mauvaise
jouissance. Mais ce n'est point là notre sujet.
-13. Qu'elle n'ajoute donc rien à ce qu'elle 14. Puis donc qu'il s'agit de la nature de
sait qu'elle est, quand on lui ordonne de se l'àme, écartons de notre pensée toutes les con-
connaître. Elle a en effet la certitude que c'est naissances qui nous viennent du dehors par
à elle qu'on parle : à elle qui est, qui vit et qui l'entremise des sens corporels, et examinons
comprend. Or, le cadavre est aussi, etraniinal plus attentivement ce que nous avons dit, que
vit; mais elle comprend qu'elle n'est ni cada- toutes les âmes elles-mêmes et
se connaissent

vre, ni animal. Elle sait donc qu'elle est et avec certitude. En effet, est-ce l'air qui a la
qu'elle vit, comme est et vit une intelligence. faculté de vivre, de se souvenir, de com-
Quand par exemple l'àme se croit air, elle prendre, de vouloir, de penser, de savoir? ou
pense que l'air a l'intelligence, mais elle sait est-ce le feu, la cervelle, le sang, les atomes, ou
qu'elle comprend. Or, elle pense seulement je ne sais quel cinquième élément ajouté aux
{{u'elle est air, mais elle ne le sait pas. Qu'elle quatre autres, ou l'ensemble et l'organisation
écarte donc ce qu'elle pense, qu'elle \oie ce de notre corps ? c'est une question sur laquelle
qu'elle sait; qu'il ne lui resteque ce qui a les opinions sont partagées, les uns adoptant
été admis sans hésitation, par ceux mêmes celle-ci et les autres celle-là. Et cependant per-
(jui ont cru que Tànie était telle ou telle es- sonne ne doute qu'il ait la faculté de vivre, de
pèce de corps. Car toute àme ne croit pas se souvenir, de comprendre, de vouloir, de
être air; mais, comme nous l'avons dit, les unes penser, de savoir et de juger. Bien plus, s'il
croient être feu, les autres cervelle, celles-ci doute, il vit s'il doute de l'origine de son
;

telle espèce de corps, celles-là telle autre : doute, il se souvient; s'il doute, il comprend
toutes cependant comprennent qu'elles ont qu'il doute : s'il doute, il veut être certain ;

Seulement elles
l'intelligence, l'être et la vie. s'il doute, il pense ; s'il doute, il sait qu'il ne
rattachent l'intelligence à ce qu'elles com- sait pas; s'il doute, il juge qu'il ne doit pas
prennent, et rapportent à elles-mêmes l'exis- croire au hasard. Quelle que soit donc d'ail-
tence et la vie. Et aucune ne doute qu'il est im- leurs la matière de son doute, voilà des choses
possible de comprendre sans vivre, et de vivre dont il ne doit pas douter car, sans elles, il ;

sans exister, par conséquent, que ce qui com- ne pourrait douter de rien.
prend est et vit, non comme le cadavre qui 15. Mais ces choses, ceux qui pensent que
ne vit pas, non comme Têtre auiraé qui vit et l'àme est un corps, ou l'arrangement et l'or-
ne comprend pas, mais d'une manière propre ganisation du corps, veulent les voir dans le
et bien su[)érieure. sujet, en sorte que la substance de l'àme se-
De même ces âmes savent qu'elles veulent, rait, selon eux, de l'air, du feu, ou un corps

et, en même temps, elles savent que personne quelconque, qu'ils prennent pour l'àme, tan-
ne peut vouloir, s'il n'est et ne vit; et elles rap- dis que l'intelligence ne serait dans ce corps
portent leur volonté à quelque chose qu'elles que comme une qualité sujet d'un côté, :

veulent de cette volonté même. Elles savent accident du sujet de l'autre; sujet, l'àme
aussi qu'elles se souviennent et, en même , qu'ils croient matérielle ; modification du su-
temps, que personne ne peut se souvenir, s'il jet, l'intelligence et toutes les facultés énumé-
n'est et ne vit; mais nous rapportons lamé- rées plus haut et dont nous avons la certitude.
moire à quelque chose dont nous nous souve- De cette opinion se rapproche beaucoup celle
nons par cette mémoire même. De ces trois qui prétend que Pâme n'est point un corps,
choses deux , la mémoire et rinlelligence,
, mais Pensemble ou l'organisation du corps.
renferment la connaissance et la science d'un La différence qu'il y a, c'est que ceux-là disent
grand nombre d'objets; et la volonté est le que Pâme est une substance tandis que ceux- ;

moyen par lequel nous en jouissons ou nous ci prétendent que Pâme est dans le sujet, c'est-
en usons. En effet, nous jouissons des choses à-dire dans le corps dont elle est Pensemble
connues, dans lesquelles la volonté cherche ou l'organisation. Et Pintelligence, où la pla-
S. AuG. ~ Tome XH. 31
482 DE LA TRINITÉ.

ceront-ils les uns et les autres, sinon dans le CHAPITRE XL


même sujet, le corps ?
DANS LA MÉMOIRE l'iNTELLIGENCE ET LA VO-
Mais ni les uns ni les autres ne s'aper-
16.
,

LONTÉ ON TROUVE L'ESPRrr, LA SCIENCE ET


çoivent que l'âme se connaît dès lors qu'elle
l'action. LA MÉMOIRE, l'iNTELLIGENCE ET LA
se cherche, comme
nous l'avons montré plus
VOLONTÉ SONT UNE SEULE CHOSE QUANT A
haut. Or on ne peut régulièrement dire qu'une
l'essence ET TROIS CHOSES RELATIVEMENT
,
chose est connue^ si on ignore quelle en est la
l'une a l'autre.
substance. Donc, dès que l'àme se connaît,
elle connaît sa substance ; et si elle est cer- 17. Laissons donc un moment de côté les
taine de son existence, elle l'est aussi de sa autres facultés que l'àine se reconnaît avec
substance. Or, elle est certaine d'elle-même, certitude, atlachons-nous surtout à étudier ces
comme nous l'avons prouvé plus haut; et elle trois choses : la mémoire, l'intelligence, la
n'est nullement certaine qu'elle soit air, feu, volonté. C'est par ces trois facultés en effet
ou corps ou partie d'un corps. Elle n'est donc qu'on discerne le naturel, même chez les en-
rien de cela et l'ordre de se connaître elle-
; fants.Plus la mémoire est facile et tenace chez
même, tend à lui donner la certitude qu'elle un enfant, plus il a de perspicacité dans l'in-
n'est aucune des choses dont elle est incer- telligence et d'ardeur à l'étude, plus aussi son
taine, et qu'elle ne doit tenir pour certain que génie promet. Mais quand il s'agit de l'ins-
d'être ce qu'elle sait certainement qu'elle est. truction de quelqu'un, on ne demande plus si

Elle pense au feu, par exemple, à l'air, à un sa mémoire est facile et solide, ni s'il a de la
corps quelconque eh bien ; il ne serait pas ! pénétration dans l'esprit; mais de quoi il se
possible qu'elle pensât à ce qu'elle est elle- souvient et comprend. Et comme l'es-
ce qu'il
même, comme elle pense à ce qu'elle n'est pas. time ne se fonde pas seulement sur la science,
En effet, c'est à l'aide de l'imagination qu'elle mais aussi sur la vertu, on ne se contente pas de
pense à toutes ces choses, au feu, à l'air, à tel savoir de quoi il se souvient et ce qu'il com-
de corps, à la cons-
et tel corps, à telle partie prend, mais aussi ce qu'il veut, et non encore
truction et à l'organisation du corps et on ne ; avec quelle ardeur il veut, mais ce qu'il veut
dit pas qu'elle soit toutes ces choses, mais d'abord et jusqu'à quel point il le veut. Car on
l'une d'elles seulement. Or, si elle était réelle- ne doit louer dans l'âme un amour ardent que
ment l'une d'elles, elle y penserait autrement quand l'objet qu'elle aime est digne d'être
qu'elle ne pense atout le reste, c'est-à-dire ardemment aimé. Quand donc on parle de
nonphisàl'aidederimagination commecela — ces trois choses : génie, science, usage, le
arrive pour les corps absents, avec les(iuels les premier point à examiner dans les trois, c'est
sens ont été en contact, soit qu'il s'agisse d'eux ce que peut chaque homme par la mémoire,
ou de quelques similaires, —
mais au moyen l'intelligence et la volonté. Le second, c'est ce
d'une présence intime, non imaginaire, mais qu'il possède dans sa mémoire et dans son
réelle — car rien n'est plus présent à elle- intelligence, et jusqu'où il est arrivé par l'ar-
même qu'elle-même — comme elle pense deur de la volonté. En troisième lieu vient
qu'elle vit, qu'elle se souvient, qu'elle com- l'usage que fait la volonté, quand elle repasse
prend et qu'elle veut. Car elle sait que ces ce qui est renfermé dans sa mémoire et son
facultés sont en elle : elle ne se les imagine intelligence, soit qu'elle le rapporte à un but,
pascomme des choses extérieures et sensibles, soit qu'elle s'y borne et y trouve son plaisir et
comme des objets matériels et palpables. Si son repos. En effet user, c'est mettre quelque
elle se dépouille de ces images étrangères et chose à la disposition de la volonté; et jouir,
ne se figure pas qu'elle soit quelque chose de c'est goûter la satisfaction, non plus de l'espé
ce genre, tout ce qui lui restera d'elle-même, rance, mais de la réalité. Par conséquent qui-
ce sera elle-même et rien qu'elle-même. conque jouit, use car il met quelque chose
:

au service de la volonté, avec la jouissance


pour but mais quiconque use, ne jouit pas^
;

si ce qu'il met ainsi à la disposition de la vo-

lonté, n'est pas la fin qu'il se propose, mais


un moyen pour atteindre un autre but.
18. Comme ces trois choses, la mémoire,
,

LIVRE X. — AUTRE TRINITE DANS L'HOMME. 483

l'intelligence, la volonté ne sont pas trois vies, me souviens et que je veux. Car ma volonté
mais une seule âmes, mais une
vie, ni trois embrasse toute mon inteUigence et toute ma
seule âme ; elles ne sont donc pas trois sub- mémoire, puisque j'use de tout ce que je com-
stances, mais une seule substance. En effet, la prends et de tout ce que je me rappelle. Donc
mémoire eu tant qu'elle est appelée vie
, puisque chacune de ces facultés comprend
àme, substance, se prend dans le sens absolu; toutes les autres, chacune d'elles est égale à
elle n'est proprement mémoire qu'autant chacune en particulier et à toutes ensemble;
qu'elle se rapporte à quelque chose. Il en et par conséquent les trois sont une seule vie,

faut dire autant de l'intelligence et de la vo- une seule âme et une seule essence.
lonté, qui ne s'appellent ainsi que dans un
sens relatif. Mais chacune d'elle est vie, âme,
CHAPITRE XII.

essence considérée en elle-même et dans le


,
LAME EST l'image DE LA TRINITÉ DANS SA MÉ-
sens absolu. Ces trois choses sont donc une MOIRE, SON INTELLIGENCE ET SA VOLONTÉ,
seule chose par le fait qu'elles sont une seule
vie, une seule âme, une seule essence; et monter maintenant, au-
19. Faut-il enfin
chaque qu'on nomme l'une d'elles en la
fois tant que permettront nos forces, à cette
le

prenant en elle-même, on lui donne un nom souveraine et sublime essence dont l'âme de
singulier et non pluriel, même quand elle est l'homme est l'image imparfaite, il est vrai,
réunie aux autres. Mais elles sont trois choses, mais enfin l'image? Ou bien faut-il encore
quand on les considère dans leurs rapports faire ressortir plus visiblement ces trois fa-
mutuels et si elles n'étaient pas égales, non-
;
cultés de l'âme, au moyen des objets exté-
seulement Tune vis-à-vis de l'autre, mais cha- rieurs perçus par les sens, instruments passa-
cune vis-à-vis de toutes, elles ne se contien- gers des impressions matérielles? En étudiant
draient évidemment pas mutuellem.ent. Or, l'âm.edans sa mémoire, son intelligence et sa
non-seulement, une contient l'autre, mais une volonté, nous avons trouvé que puisqu'elle
les contient toutes. En effet, je me souviens embrasse toujours sa propre connaissance et
que j'ai mémoire, l'intelligence et la vo-
la sa propre volonté, elle embrasse en même
lonté; je comprends que je comprends, que temps sa mémoire son intelligence et son
,

jeveuxetque je me souviens; je veux vou- amour, bien ne se croie pas toujours


qu'elle
loir, me souvenir et comprendre et je me ; dégagée d'éléments étrangers et que, par là,
souviens à la fois de toute ma mémoire, de il soit difficile de bien distinguer la mémoire

toute mon intelligence et de toute ma vo- etrintelligence qu'elle a d'elle-même. En effet,


lonté. Car les souvenirs ne me rap- que je il semble que ce ne soit pas là deux facultés,
pelle pas, ne sont plus dans ma mémoire. Or, mais une seule sous deux noms différerts :

rien n'est autant dans ma mémoire que ma comme on le voit dans le cas où elles sont
mémoire même. Je me souviens donc de réunies sans que l'une précède l'autre d'un
toute ma mémoire. De même je sais que je seul instant. Et l'amour non plus n'est pas
comprends tout ce que je comprends et , toujours senti quand le besoin ne le trahit
je sais que je veux tout ce que je veux. Or pas, parce que son objet est toujours présent.
je me souviens de tout ce que JQ sais. Je me Toutefois ces difficultés pourront s'éclaircir,
souviens donc de toute mon intelligence et même pour les moins intelligents quand ,

de toute ma volonté. Egalement quand je nous traiterons de l'action du temps sur l'âme,
comprends ces trois choses, je les comprends des accidents passagers qu'elle éprouve, alors
tout entières. Car ne comprends pas quel-
si je qu'elle se rappelle ce qu'elle ne se rappelait
que chose d'intelligible, c'est que je l'ignore. pas, qu'elle voit ce qu'elle ne voyait pas et
Or, ce que j'ignore et ne me rappelle pas, je qu'elle aime ce qu'elle n'aimait pas aupara-
ne le veux pas. Donc s'il est quelque chose vant. Mais cette dissertationdemande d'autres
d'intelligible que je ne comprenne pas, je ne préliminaires, d'après le plan adopté pour cet
puism'en souvenir ni le vouloir. Donc je ouvrage.
comprends tout objet intelligible, dont je
LIVRE ONZIEME.
n retrouve une image de la Trinité
même dans l'homme extérieur; d'abord dans ce qui se voit au dehors, k savoir dans le :

corps qui est vu , dans l'image qu'il


imprime dans l'œil , et dans la volonté qui les relie l'un à l'autre. Toutefois ces tr
trois

choses ne sont point égales entre elles, ni d'une même


substance. De plus dans l'àme elle-même , d'après les sensations qui

viennent du dehors, ou trouve une autre triuité qui s'est comme introduite chez elle, ou, si l'en veut, trois choses d'uue
lui
même substance : l'imagination du corps qui est dans la mémoire, puis l'information quand la pensée tourne là sou attention,
Irinité que nous rattachons à l'homme extérieur, parce qu'elle provient des corps exté-
et enfin la volonté qui les unit :

rieurs et sensibles.

CHAPITRE PREMIER. plus certaines et plus fermes, elle se rejette


vers les objets sensibles et cherche son repos
IL Y A MÊME DANS l'hOMME EXTÉRIEUR UN là même où elle a puisé sa faiblesse. Il faut
VESTIGE DE LA TRINITÉ.
avoir égard à cette infirmité; par conséquent,
Personne ne doute que l'homme exté-
{. si nous voulons discerner plus exactement et

rieur soit doué de la sensibilité du corps, faire mieux ressortir les choses intérieures

comme Thorame intérieur l'est de l'intelli- et spirituelles


, empruntons nos exemples et
gence. Cherchons donc, autant que nous le nos comparaisons aux choses extérieures et
pouvons, à trouver un vestige quelconque de matérielles.

la Trinité dans l'homme extérieur, bien


que L'homme extérieur et doué du sens cor-

ce ne soit pas en cela qu'il est l'image de la porel sent donc les corps. Or ce sens se subdi-
Trinité. L'Apôtre s'est clairement exprimé là- vise, comme chacun le sait, en cinq parties :

dessus, quand il déclare que l'homme inté- la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher.

rieur doit se renouveler dans la connaissance 11 serait long d'interroger ces cinq sens sur la

de Dieu ', selon l'image de Celui qui l'a créé ;


question qui nous occupe; mais cela n'est pas
et quand il dit ailleurs « Bien qu'en nous : nécessaire, car l'un |)arlera pour tous. Invo-

« l'homme extérieur se détruise , cependant quons donc de préférence le témoignage de


« l'homme intérieur se renouvelle de jour en nos yeux. C'est en effet le sens corporel le plus
«jour- Cherchons donc dans cet homme
». parfait et le plus rapproché, sauf la différence

qui se détruit quelque image de la Trinité, du genre, de la vue intellectuelle.

sinon plus exacte, du moins plus aisée à dis-


CHAPITRE II.
tinguer. Car ce n'est pas sans raison qu'on lui
donne le nom d'homme, puisqu'il a quelque IL Y A DANS LA VISION UNE SORTE DE TRINITÉ.
ressemblance avec l'homme intérieur. Et à ÉCLAIRCISSEMENT PAR UN EXEMPLE.
raison même de notre condition d'hommes
mortels et charnels, il nous est plus facile de 2. Quand nous voyons un corps, il y a trois

traiter des choses visibles que des choses invi- choses très-faciles à reconnaître et à distin-
sibles, puisqu'elles nous sont plus familières, guer. La première, c'est l'objet même que
les unes étant extérieures, les autres inté- nous voyons, soit pierre, ou flamme, ou toute
rieures, les unes étant sensibles pour le corps, autre chose visible aux yeux : objet qui pou-

les autres accessibles seulement h l'intelli- vait exister avant même d'être vu. La seconde,
gence. Or, nous ne sommes pas des âmes sen- c'est la wion qui n'existait pas avant que

sibles , c'est-à-dire matérielles, mais douées l'objet frappât notre sens. En troisième lieu,

d'intelligence parce que nous sommes vie. ce qui arrête le sens des yeux sur l'objet en
Néanmoius, comme je l'ai dit, nous contrac- vue tant qu'il est en vue, c'est-à-dire l'atten-

tons une avec les corps, que


telle familiarité tion de l'âme. Et non - seulement ces trois
notre attention se reporte vers eux en dehors choses sont distinctes, mais elles sont de na-
avec une étonnante facilité et que, qiuind elle ; ture différente. D'abord la nature de ce corps
s'est arrachée aux incertitudes du monde ma- visible est très-différente de celle du sens de

tériel, pour retrouver dans l'esprit des notions l'œil, par lequel la vision a lieu par rencontre.
« Col. m, 10. — ' II Cor. IV, 16. Et la vision elle-même, qu'est-ce autre chose
,

LIVRE XI. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 483

que la sensation déterminée par le corps qui la vision même, et l'intention qui les unit l'un
est senti? Bien (jumelle n'existe pas, si on sous- à l'autre, sont très-faciles à distinguer, non-
trait l'objet, et qu'il ne puisse y avoir vision seulement par leur caractère particulier, mais
sans un corps visible cependant le corps qui
;
par la différence de leurs natures.
détermine par son aspect la sensation des yeux, Quoique le sens ne procède pas du corps
3.

et la forme même qu'il imprime au sens et visible, mais du corps de l'être animé qui sent
qu'on ap[)elle vision ne sont nullement de la
, et auquel l'âme accommode son action d'une
même substance. En effet, le corps vu, est, de manière merveilleuse, cependant c'est du
sa nature, divisible tandis que le sens qui
; corps visible que la vision est engendrée, c'est-
existait déjà dans l'être animé avant de voir à-dire que le sens est formé non-seulement ;

ce qu'il pouvait voir dès qu'un corps visible le sens qui subsiste tout entier même dans les
s'offrirait à lui, ou si l'on veut, la vision qui ténèbres, tant qu'on a des yeux, mais encore
se forme dans le sens d'après le corps visible, le sens informé qui s'appelle vision. La vision

quand il est présent et qu'on le voit; que ce est donc engendrée par l'objet visible, mais
sens ou cette vision, dis-je, c'est-à-dire la non par lui seul car il faut un être pour voir.
;

sensation provenant du dehors, appartient à La vision est donc engendrée par l'objet visible
la nature de l'être animé, fort différente du et par l'être voyant; de telle sorte cependant
corps qui occasionne en nous la sensation par que le sens des yeux, l'attention qui consi-
son aspect sensation qui ne produit pas le
: dère et se fixe, appartiennent au voyant; que
sens, mais la vision. Car si le sens n'existait « l'information » du sens ,
qu'on appelle
pas en nous, même avant la présence d'un vision, soit imprimée uniquement par l'objet
objet sensible, nous ressemblerions aux aveu- qui est vu, c'est-à-dire par quelque chose de
gles, puisque nous ne voyons rien dans les visible et que cette vision supprimée, la forme
;

ténèbres ni les yeux fermés. Mais la différence imprimée au sens par la présence de l'objet
qu'il y a entre les aveugles et nous, c'est que, disparaisse, tandis que le sens qui existait
même quand nous ne voyonr> pas, nous avons avant de rien voir, subsiste; de môme que la
la faculté de voir, ce qu'on nomme sens fa- ; trace d'un corps dans l'eau subsiste tant que
culté qu'ils n'ont pas et c'est pourquoi on
, le corps est présent, et disparaît avec lui,
les appelle aveugles. Ensuite cette attention quoique l'eau qui existait avant de recevoir
de rame qui arrête le sens sur l'objet que l'image de ce corps, ne disparaisse pas pour
nous voyons et les unit tous les deux, ne dif- autant.
fère pas seulement de cet objet visible, puis- Nous ne pouvons donc pas dire que l'objet
qu'elle est esprit et qu'il est corps mais elle ; visible engendre le sens cependant il engen-
:

diffère même du sens et de la vision, parce dre sa propre forme ou ressemblance, qui a
qu'elle appartient à l'âme seule, tandis que le lieu dans le sens quand nous voyons et sen-
,

sens de la vue n'est appelé sens du corps que tons quelque chose. Mais la forme du corps
parce que les yeux sont des organes du corps. que nous voyon?, et la forme qui résulte de
Et bien qu'un cadavre ne sente pas, cepen- celle-là dans le sens de celui qui voit, nous
dant l'âme unie au corps sent par l'instru- ne les discernons pas par le même sens leur ;

ment du corps, et c'est cet instrument qui union est si étroite qu'il n'y a pas moyen de
s'appelle sens. Ce sens peut être intercepté et les distinguer.Mais la raison nous dit que
détruit par la lésion du corps, ce qui arrive nous n'aurions pas pu sentir s'il ne s'était
quand on est aveuglé , l'âme reste la même ;
formé dans notre sens quelque image du corps
mais, par la perte des yeux, son attention n'a aperçu. En effet quand on imprime un ca-
,

plus à sa disposition le sens corporel pour at- chet sur la cire, l'empreinte n'en existe pas
teindre au dehors l'objet visible, et y fixer sa moins, quoiqu'on ne la distingue que quand la
vue ; néanmoins, par ses efforts, elle fait
et> séparation a eu lieu. Mais comme après la
assez voir que, malgré la privation du sens séparation, l'empreinte reste sur la cire de
corporel, elle n'a pu périr ni diminuer. En manière à être visible, on n'a pas de peine à
effet le désir de voir subsiste tout entier
, croire que la forme était déjà imprimée avant
soit qu'il puisse, soit qu'il ne puisse pas être que le cachet fût séparé de la cire. Mais si
satisfait. l'on apposait ce cachet sur un corps liquide,
Ainsi donc ces trois choses : le corps visible, son empreinte disparaîtrait dès qu'il serait ôté ;
480 DE LA TRINITÉ.

néanmoins la raison saurait comprendre qu'a- et qu'il n'est pas nécessaire de discuter pour
vant la séparation, le liquide portait l'em- le moment. Qu'il nous pour le
suffise de dire
preinte de l'anneau, distincte de la forme de sujet qui nous occupe, que s'il ne s'était pas
l'anneau même; d'où il est résulté que l'une formé dans notre sens une image parfaitement
disparaissant avec la pression de l'anneau, semblable à l'objet aperçu, nos yeux ne ver-
celle de l'anneau lui-même, principe de l'au- raient pas une double apparence de flamme,
tre, est restée. Ainsi, de ce que l'œil n'a plus pour avoir adopté une manière de regarder
l'impression du corps, dès que ce corps cesse qui empêche le concours des deux rayons. En
d'être vu, il n'en faut pas conclure qu'il ne effet, de quelque manière qu'un œil puisse
l'avait pas quand le corps était présent. Voilà être dirigé, impressionné, tourné obliquement,
pourquoi il est très-difficile de persuader aux il ne lui est pas possible de voir double un
esprits peu intelligents que l'image d'une objet unique, si l'autre est fermé.
chose visible se forme dans notre sens, tant 5. Cela posé, souvenons-nous de quelle
que nous la voyons, et que cette forme même manière une sorte d'unité résulte de ces trois
est la vision. choses de nature différente, je veux dire :

A. Mais ce travail de l'esprit sera moins pé- l'espèce du cor[)S soumis au regard l'impres- ;

nible, si l'on fait attention à ce que je vais dire. sion qu'il produit dans le sens, et qui est la
Ordinairement quand nous avons tenu quelque vision ou l'information du sens; puisla volon-
temps nos yeux fixés sur un flambeau et que té de l'àme qui applique le sens à l'objet sen-
nous les fermons ensuite, nous semblons voir sible et y elle-même. La pre-
fixe la vision
des couleurs brillantes qui varient et alternent mière des la chose visible,
trois, c'est-à-dire
les unes avec les autres elles diminuent ; n'appartient pas à la nature animée, à moins
insensiblement jusqu'à ce qu'elles s'éteignent que nous ne voyions notre corps. La seconde
tout à fait. Eh bien ! il faut reconnaître là y appartient en ce sens qu'elle se passe dans le
les vertus forme qui s'était imprimée
de la corps, et par l'entremise du corps, dans
dans le sens au moment où les yeux voyaient l'âme elle a lieu en efTet dans le sens, lequel
:

le corps brillant : restes qui varient en cessant ne peut exister sans le corps et sans l'àme. La
peu à peu et pour ainsi dire graduellement. troisième appartient à l'âme seule, puisque
En effet, si par hasard nous avions regardé par c'est sa volonté. Malgré la différence de sub-
desfenètres,leursbarreaux nous apparaissaient stance, ces trois choses forment une telle
à travers ces couleurs : preuve que l'impres- unité, que les deux premières peuvent à peine
sion de notre sens était produite par l'aspect être discernées par le jugement de la raison :

de l'objet. Cette impression existait donc déjà j'entends parler de l'apparence du corps sou-
quand nous voyions, elle était même plus rais au regard, et de l'image qui s'en fait dans
claire et plus nette; mais elle était tellement le sens, c'est-à-dire de la vision. Et la volonté
unie à la forme de la chose que nous voyions, a une telle puissance pour les unir qu'elle
qu'il n'était pas possible de l'en discerner : applique le sens qui doit être informé à l'objet
c'était la vision. Bien plus, quand la flamme qui est vu, et l'y maintient quand il est formé.
d'une lanterne est comme doublée par la scin- Et si elle est tellement violente qu'on puisse
tillation des rayons de l'œil, il se forme deux l'appeler amour, cupidité, passion, elle affecte
visions, bien qu'il n'y ait qu'un seul objet vu. vivement tout le reste du corps de l'être animé,
C'est que les mêmes rayons partant isolément et s'assimile une espèce ou une couleur étran-
de chaque œil sont alfectés individuellement, gère, à moins qu'elle ne rencontre quelque
parce qu'ils ne peuvent plus se réunir pour aller résistance dans une matière trop inerte ou trop
de pair se fixer sur le même corps, de manière dure. Ainsi on peut voir le corps du caméléon
à ne former qu'un seul coup d'œil. Aussi en revêtir avec la plus grande facilité les cou-
fermant un œil nous ne verrons plus deux leurs qu'il a sous les yeux. Chez les autres
flammes, mais une seule, comme il n'y en a animaux, où le corps ne se prête pas aussi
réellement qu'nne. Mais pourquoi, l'œil gauche aisément à ces sortes de changements, souvent
étant fermé, l'œil droit cesse-t-il de voir ce les fruits trahissent les caprices des mères,
qu'il voyait, et, l'œil droit étantclos, l'image les objets qui les ont le plus charmées; car
qui apparaissait à l'œil gauche, s'efface-t-elle? plus les embryons sont tendres et susceptibles
c'est une question qui serait longue à traiter d'impressions pour ainsi dire plus ils sont,
,

LIVRE XI. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 48"

souples et dociles à subir la volonté de l'àme pour qu'il se forme d'après ce que celle-ci a
de la mère et l'impression qu'a laissée dans retenu, et qu'ainsi une vision semblable se
son imagination l'aspect du corps qu'elle a reproduise dans la pensée.
contemplé avec passion. On en pourrait citer Or, conmie la raison distinguait entre le
de nombreux exemples mais il suffit de rap-
;
corps visible qui formait le sens corporel, et
peler, d'après le témoignage de nos infail- laressemblance de ce corps qui avait lieu
libles Ecritures, ce que fit Jacob pour obtenir dans le sens informé et d'où résultait la vision
des agneaux et des chevreaux de diverses — deux choses tellement unies qu'on eût pu,
couleurs, en plaçant dans un abreuvoir des sans cela, les confondre — ; de même, quand
baguettes bigarrées, pour frapper les yeux des l'àme pense à l'espèce de corps qu'elle a vu
mères qui s'y désaltéraient au moment de la sou imagination formée de la ressemblance
conception *. du corps conservée par la mémoire et de celle
CHAPITRE III. qui en naît dans le regard de l'àme qui se sou-
vient, paraît cependant tellement une, telle-
IL SE FORME DA>"S LA PENSÉE UNE TRINITÉ DE
ment simple, que ses deux éléments ne peuvent
LA MÉMOIRE. DE LA VISÎOX INTÉRIEURE ET DE
être distingués que par un jugement de la
LA VOLONTÉ QUI LES UNIT.
raison, laquelle nous fait comprendre qu'autre
6. Mais l'àrae raisonnable se dégrade en chose est ce que la mémoire retient, même
vivant selon la trinité de l'homme extérieur, quand la pensée en vient d'ailleurs, et autre
c'est-à-dire quand elle applique aux choses chose ce qui se passe quand nous nous rappe-
du dehors qui forment le sens corporel, non lons, c'est-à-dire quand nous revenons à notre
une volonté droite qui ramène à un butles mémoire et y retrouvons la même apparence.
utile, mais une passion honteuse qui l'attache Si celle-ci n'y était nous dirions que
plus,
à un objet. Car même en l'absence de l'objet nous avons oublié de manière à ne pouvoir
sensible, il en reste dans la mémoire une res- plus nous souvenir. D'autre part, si le regard
semblance où la volonté fixe de nouveau son de celui qui se souvient n'était pas formé de
regard pour en prendre la forme intérieure- ce qui existe dans la mémoire, il n'y aurait
ment, comme le sens extérieur la prenait eu plus vision dans la pensée mais l'imion des ;

présence de l'objet lui-même. C'est ainsi que deux, c'est-à-dire de ce que la mémoire retient,
la trinité se forme de la mémoire, de la vision et de ce qui en résulte pour former le regard
intérieure, et de la volonté qui les unit. Et de la pensée, et leur parfaite ressemblance,
c'est de la réunion de ces trois choses en une, ontqu'on croitn'y voir qu'une seule etmême
que la pensée a pris son nom, coQitatio a coactu. chose. Puis, quand le regard de la pensée s'est

Mais dès lors elles ne sont plus de substance détourné et a cessé de voir ce qu'il voyait
différente. Enn'y a plus de corps
effet, la il dans la mémoire, il ne reste plus rien de la
sensible de la nature animée, ni
différent forme qui s'était imprimée en lui et il en ;

sens du corps informé pour produire la vision, prendra une autre, eu se tournant ailleurs,
ni volonté agissant pour appliquer le sens pour former une autre pensée. Cependant la
à informer sur l'objet sensible et l'y fixer en- mémoire conserve ce qu'il y a laissé, afin qu'il
suite ; mais à de cette espèce de corps
la place puisse s'y tourner encore quand le souvenir
qui était senti extérieurement, succède la nous en reviendra, s'y former de nouveau
mémoire qui conserve l'image dont l'àme et ne faire plus qu'un avec l'objet même dont
s'estpénétrée par l'entremise du sens corporel; il est formé.
et au lieu de cette vision qui avait lieu au dehors CHAPITRE IV.
quand le sens était informé par le corps exté-
COMMENT SE FAIT CETTE UNITÉ.
rieur, il reste dedans une vision semblable,
alors que la vue de Tàme se forme sur le sou- 7. Mais si la volonté, qui porte et reporte
venir de la mémoire et qu'elle pense à des de tout côté le regard à informer et l'unit à
corps absents. Et de même que la volonté son objet quand il est formé, si la volonté,
appliquait au dehors le sens à informer dis-je, se concentre tout entière dans l'image
sur le corps présent et les unissait, ainsi intérieure , détourne entièrement le regard
elle tourne le regard de l'àme vers la mémoire de l'esprit des corps qui environnent les sens
• Gen. XXI, 37-11. et des sens eux-mêmes, et s'attache unique-
,

488 DE LA TRINITE.

meut à l'image aperçue au dedans : la res- du corps gravée dans la mémoire l'est au
semblance du corps, tirée de la mémoire est regard de l'âme ; ce qu'est la vision de l'œil à
telle, qu'il n'est pas même possible à la raison l'espèce de corps dont elle est formée, la vi-
de distinguer si c'est le corps lui-même qu'on sion la pensée l'est à l'image du corps,
de
voit ou sa figure imaginaire. En effet, il arrive fixée dans la mémoire, de laquelle se forme
parfois que des hommes, séduits ou effrayés le regard de l'àme ce qu'est l'attention de la
;

pour avoir trop pensé à des choses visibles, volonté pour unir la vue du corps et la vision
prononcent subitement des paroles telles intérieure, former une certaine unité de trois
qu'ils en prononceraient s'ils faisaient telle choses, malgré la différence des natures,
action ou éprouvaient telle impression. Je me cette même attention de la volonté l'est pour
souviens même d'avoir ouï dire à un homme unir l'image du corps qui est dans la mé-
qu'il se représentait si vivement, si réelle- moire, et la vision de la pensée, c'est-à-dire
ment par la pensée un corps de femme, qu'il la forme que le regard de l'âme a prise en
croyait charnellement et en
s'unir à elle revenant à la mémoire; de sorte qu'ici encore
éprouvait les conséquences. Tant l'àme a il y a une certaine unité faite de trois choses,

d'empire sur son corps Tant la manière dont


1 qui ne sont plus de nature diverse, mais d'une
un vêtement va à celui qui le porte, offre de seule et même substance : parce que tout cela
facilité pour le retourner ou en changer la est intérieur, et que tout cela est une seule
quahté 1 âme.
Les jeux de l'imagination pendant le som- CHAPITRE V.
meil appartiennent encore à ce genre d'affec-
LA TRINITÉ DE l'HOMME EXTÉRIEUR IS'EST PAS
tion. Toutefois il importe de savoir si, quand
l'image de dieu, la ressemblance de dieu
l'attention de l'àme est forcément entraînée
se voit jusque dans le péché.
vers les images qui lui viennent ou de la mé-
moire, ou de quelque puissance occulte par 8. Mais de même que quand la forme et

certaines ingérences spirituelles d'une sub- l'apparence du corps ont disparu, la volonté ne
stance également spirituelle; desavoir, dis-je, peut reporter sur lui le sens de la vue; ainsi
si cela arrive lorsque les sens corporels sont quand l'image conservée par la mémoire a
assoupis, comme
dans le sommeil par exem- été effacée par l'oubli, la volonté ne saurait
ple, ou lorsqu'ils sont dans un état de pertur- fixer sur elle le regard de l'âme par le souve-

bation organique, comme dans la folie, ou nir. Toutefois, comme l'àme a le pouvoir de
arrachés en quelque sorte à eux-mêmes se figurer non-seulement les choses oubliées,
comme les devins et les prophètes; ou bien, mais celles dont elle n'a jamais eu la sensa-
si,comme cela arrive parfois à l'homme bien tion ni l'expérience, et d'augmenter, de dimi-
portant et éveillé, la volonté, s'emparant d'une nuer, de changer et de modifier à son gré
pensée, s'arrache à l'empire des sens, et forme souvent elle
celles qu'elle n'a point oubliées :

elle-même le regard de l'àme par différentes s'imagine comme réel un objet qu'elle sait ne
images de choses sensibles, comme si ces pas être tel qu'elle le fait, ou qu'elle ne con-
choses étaient réellement soumises aux sens. naît pas comme tel. Ici il faut prendre garde
Or, ces impressions d'images n'ont pas lieu qu'elle ne mente pour tromper, ou ne se fasse
seulement quand la volonté est portée là par illusion à elle-même. A part ces deux incon-
le désir; mais encore quand l'àme est entraî- vénients, les fantômes de l'imagination ne
née à considérer ces objets pour les éviter et sauraient lui nuire; comme les choses dont
se tenir en garde. D'où il suit que ce n'est pas elle a expérimenté la sensation et qu'elle a
seulement le désir, mais aussi la crainte, qui retenues dans la mémoire, ne lui portent au-
porte le sens vers les choses sensibles, ou le cun préjudice, si elle ne les recherche pas trop
regard de l'àme vers les images des choses avidement quand elles lui plaisent ni ne les
sensibles. Par conséciuent, plus la crainte ou évite honteusement quand elles lui déplaisent.

le désir sont violents, plus le regard est vif, Mais quand la volonté s'y vautre avec délices,
soitdans l'œil qui voit un corps présent, soit au détriment de biens meilleurs, elle devient
dans l'âme qui pense d'après l'image fixée impure; et il est dangereux d'y penser quand
dans la mémoire. Ainsi ce qu'est la présence elles sont présentes, et plus dangereux encore
d'un corps au sens corporel, la ressemblance quand elles sont absentes.
LIVRE XI. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 489

C'est donc pécher et se dégrader que de qui se reproduit dans le sens de celui qui
vivre selon la trinilé de l'homme extérieur, voit, puisque c'est d'elle que celle-ci provient.
parce que cette trinité, quoiqu'elle imagine Mais ce n'est point là un véritable père ; et la
à l'intérieur, imagine pourtant des choses vision n'est point un véritable fils, car elle n'en
extérieures et qu'elle a pour but l'usage des est pas uniquement engendrée, puisque, pour
choses sensibles et matérielles. En effet, per- la former, un autre objet doit être appliqué au
sonne ne pourrait user de celles-ci même corps, à savoir le sens du spectateur. Voilà
convenablement, si les images des objets sen- pourquoi se complaire là, c'est s'aliéner soi-
sibles n'étaient conservées par la mémoire; même ^ Aussi la volonté qui unit cette espèce
et à moins que la partie principale de la vo- de père et cette espèce de tils est plus spiri-
lonté ne se maintienne dans l'intérieur et tuelle qu'eux. En effet, le corps qui est vu,
dans une région plus élevée, à moins encore n'est en aucune façon spirituel. La vision qui
que la partie qui se prête soit aux corps à se forme dans le sens a quelque chose de spi-
l'extérieur, soit à leurs images à l'intérieur, rituel, puisqu'elle ne peut exister sans l'âme :

ne rapporte à une vie meilleure et plus vraie elle ne l'est cependant pas entièrement, puis-
tout ce qu'elle leur emprunte, et ne cherche que le sens informé est corporel. Par consé-
son repos dans la fln même en vue de laquelle quent, la volonté qui unit l'un à l'autre est
elle juge à propos de faire ces actions que : plus spirituelle, comme semble
je l'ai dit, et
serait-ce faire, sinon ce que l'Apôtre défend représenter dans cette trinité personne du
la
de faire, quand il dit « Ne vous conformez
: Saint-Esprit. Mais elle appartient plus au sens
« point à ce siècle *? » Ainsi donc cette tri- informé qu'à l'objet matériel qui l'informe.
nité n'est point l'image de Dieu car c'est de : Car le sens de l'être animé est aussi la vo-
ce qu'il y a de plus imparfait dans la création, lonté de l'àme, et non celle de la pierre ou
c'est-à-dire de la créature matérielle, bien d'un corps visible quelconque. Elle ne pro-
inférieure à l'àme, qu'elle se forme dans l'âme cède donc point de celui-ci comme d'un ,

elle-même par les sens du corps. Cependant père, ni de la vision ou forme qui est dans le
elle a quelques traits de ressemblance. Et sens, comme d'un fils. En effet, la volonté
quelle créature n'a pas, dans son genre et qui a appliqué à l'objet visible le sens à infor-
dans sa proportion , quelque ressemblance mer, existait déjà avant la vision; mais elle
avec Dieu, puisque Dieu a tout fait très-bon % n'y avait pas encore mis sa complaisance. Car
précisément parce qu'il est souverainement comment se complaire en ce qu'on n'a pas
bon ? Donc tout ce qui existe, en tant qu'il est encore vu? Or la complaisance, c'est la vo-
bon, a une ressemblance, quoique très-impar- lonté en repos. Nous ne pouvons donc pas
faite, avec le souverain bien ressemblance : appeler la volonté fils de la vision, puisqu'elle

juste, et bien ordonnée, si elle est conforme existait avant elle; ni son père, puisque ce
à la nature, mais honteuse et coupable, si elle n'est pas de la volonté, mais de l'objet visi-
est vicieuse. Car même dans leurs péchés, les ble, que la vision est formée et produite.
âmes offrent encore quelque ressemblance
avec Dieu, alors qu'elles usent d'une liberté CHAPITRE VI.

orgueilleuse, déplacée, et, pour ainsi dire,


COMMENT IL FAUT EXTENDRE LE REPOS ET LE
servile. On n'aurait pas même pu entraîner
TERME DE LA VOLONTÉ DANS LA VISION.
nos premiers parents au péché, si on ne leur
avait dit « Vous serez comme des dieux ^ ».
: 10. Nous pouvons peut-être appeler la vi-
Cependant on ne doit pas appeler image de sion terme et repos de la volonté, mais à ce
Dieu toute créature qui a quelque ressem- point de vue seulement. Car, parce que la
blance avec Dieu, mais seulement celle qui volonté voit quelque chose qu'elle voulait
n'est inférieure qu'à lui. Celle-là seule porte voir, ne s'ensuit pas qu'elle ne voudra plus
il

véritablement son empreinte, parce qu'il n'y autre chose. Ce n'est donc pas la volonté en-
a pas de nature intermédiaire entre elle et tière de l'homme, dont le bonheur est la fin,
lui. mais un acte accidentel de la volonté voulant
9. La forme du corps est donc comme le voir, qui a son terme dans cette vision, soit
père de cette vision, c'est-à-dire de la forme qu'elle la rapporte à autre chose, soit qu'elle
Rom. III, 2. — » Eccli. ïxxls, 21. — ' Gen. ui, 5. ^\o\î .1 Betract., ch. XV.
A90 DE LA TRINITÉ.
ne l'y rapporte pas. En effet, si elle ne rap- core la patrie du citoyen, mais le repos ou le
porte pas la vision à autre chose, mais qu'elle séjour du voyageur à rhôtellerie.
ait simplement voulu Toir, il n'est pas néces-
saire de démontrer que la vision est la fin de CHAPITRE VH.
la volonté : car la chose parle d'elle-même.
AUTRE TRINITÉ DANS LA JIÉMOIRE.
Si, au contraire, elle la rapporte à autre
chose , elle veut évidemment cette autre 11. H y a encore une autre trinité, plus
chose, et alors ce n'est plus la volonté de intérieure, il est vrai, que celle qui se forme
voir, ou tout au moins de voir ceci. C'est ainsi dans les choses sensibles et dans les sens,
que quelqu'un voudra voir une cicatrice, mais qui cependant y prend sa source c'est :

pour prouver qu'il y a eu blessure on veut ; quand le regard de l'àme est formé par la mé-
aussi voir une fenêtre pour examiner par là les moire, laquelle a conservé
le souvenir de l'ap-
passants. Toutes ces volontés et autres de ce parence du corps que nous avons senti exté-
genre ont leurs fins propres qui se rapportent rieurement apparence qui est dans la mé-
:

au but de cette volonté supérieure,


en vertu de moire, et que nous appelons comme le père
laquelle nous voulons vivre heureux, et par- de celle qui se forme dans l'imagination; elle
venir à la vie qui ne se rapporte plus à autre était dans notre mémoire même avant qu'on
chose, mais suffit par elle-même à l'amour. y pensât, comme le corps était dans l'espace,
La volonté de voir a donc la vision pour fin, mêmeavant qu'il occasionnât la sensation d'où
et la volonté de voir telle chose a la vision de est résultée la vision. Mais ,
par l'effet de la
cette chose pour terme. Ainsi la volonté de pensée, de l'image conservée par la mémoire
voir une cicatrice atteint sa fin, c'est-à-dire la il forme une autre image dans le regard de
se
vision de la cicatrice, et ne va pas au delà ; car celui qui pense et en suite de son souvenir, et
la volonté de prouver qu'il y a eu blessure, celle-ci est en quelque sorte le fils de celle
est une autre volonté, bien qu'elle se rattache que garde la mémoire. Cependant ni l'une
à celle-là, et ait aussi pour fin la preuve de la n'est vraiment père, ni l'autre vraiment fils.
blessure. De même la volonté de voir une fe- En effet, le regard de l'âme formé de la mé-
nêtre a pour tin la vision de la fenêtre ; mais il moire, alors que notre pensée réveille des sou-
y a une autre volonté qui se rattache à elle, celle venirs, ne procède pas de l'apparence que nous
de voir les passants, et qui a pour fin la vision nous souvenons d'avoir vue, puisque nous ne
des passants. Or, leurs volontés sont droites et pourrions pas nous souvenir si nous n'avions
toutes se relient ensemble, si celle à laquelle pas vu mais ce regard de l'âme formé par le
;

elles se rapportent toutes est bonne mais si ; souvenir existait déjà avant que nous eussions
elle est mauvaise, toutes sont mauvaises. Voilà vu le corps dont nous nous souvenons, et à
pourquoi l'entraînement des volontés droites bien plus forte raison avant que nous le gra-
estcomme le chemin par où l'on monte d'un vassions dans notre mémoire. Ainsi, bien que
pas ferme tandis que la série des mauvaises
; la forme qui se produit dans le regard de
volontés est comme le lien avec lequel le cou- l'âme qui se souvient, résulte de celle qui
pable sera jeté dans les ténèbres extérieures '. existe dans la mémoire, cependant ce regard
Heureux donc ceux qui chantent par leurs n'en vient pas et lui est même antérieur.
actions et leur conduite le cantique des degrés ;
Donc si l'une n'est pas vrai père, l'autre n'est
et malheur à ceux qui traînent leurs péchés, pas vrai fils. Mais cette espèce de père et cette
comme une longue chaîne ^
! Or, le repos de la espèce de nous fournissent une donnée,
fils

volonté que nous appelons sa fin, peut, s'il se pour décou\rir plus avant et plus sûrement
rapporte à autre chose, être comparé au repos des choses plus intimes et plus vraies.
du pied dans la marche, quand on le pose à -12. Il est d'abord plus difficile de distinguer
terre afin dedonner à l'autre le point d'appui si la volonté qui unit la vision à la mémoire
nécessaire pour continuer le chemin. Que si est père ou fils de l'une des deux ;
et ce qui
un objet plaît assez pour que la volonté s'y augmente la difficulté, c'est l'égalité et la si-
repose avec quelque satisfaction, ce n'est ce- militude de nature et de substance. En effet, il
pendant pas encore là le but où l'on tend, car n'en est pas comme dans l'autre cas, où il
ici
on le rapporte à autre chose ; ce n'est pas eu- était facile, comme nous l'avons assez prouvé,
JMatt. XXII, 13. — ' Is. V, 18, de discerner le sens informé du corps sensible,
LIVRE XI. — LA TRINITÉ DANS L'HOMiME. 491

et la volonté,de l'une et l'autre, on la diffé- çant sur ces objets sa pensée et ses souvenirs,
rence des trois natures. Bien que la trinité puis, que la volonté intervenant, une troisième,
dont il s'agit maintenant soit introduite du pour joindre ensemble ces deux unités, les
dehors dans l'àme, cependant elle s'opère à trois choses réunies ne formeraient qu'un seul
l'intérieur et n'est pas d'une autre nature tout?
que l'àme elle-même. Comment donc peut-on CHAPITRE VIII.
démontrer que la volonté n'est pas en quelque
DIVERSES MANIÈRES DE PENSER.
façon le père ou le de la ressem-
fils , soit

blance corporelle qui est contenue dans la Mais comme le regard de l'âme ne saurait
mémoire, soit de celle qui en est formée quand embrasser d'un seul coup d'œil tout ce que
nous avons un souvenir, puisqu'elle les unit contient la mémoire, les trinités des pensées
tellement par la pensée qu'elles semblent ne alternent et se succèdent, d'où résulte cette
faire qu'un et ne peuvent être discernées que trinité indéfiniment multiple, mais non infinie,
par la raison? Tout d'abord il faut voir qu'il tant qu'on ne s'élève pas au-dessus de la
ne peut y avoir volonté de se souvenir, si somme des choses renfermées dans la mé-
les replis de la mémoire ne contiennent, ou moire. En effet, s'il était possible d'additionner
en totalité ou en partie, ce dont nous voulons toutes les sensations que l'on a éprouvées de-
nous souvenir. En effet, on ne saurait vouloir puis que l'on est en relation avec le monde
se rappeler une chose oubliée en tout sens et matériel, voire même celles que l'on a ou-
complètement, puisqu'il faut déjà se souvenir bliées, la quantité en serait certainement fixe

que ce dont on veut se souvenir est ou a été et limitée, quoique innombrable. Nous don-
dans la mémoire. Par exemple, si je veux me nons le nom d'innombrable, non-seulement à
rappeler ce que nous avons mangé hier à l'infini, mais à toute quantité finie qui excède
souper, je me souviens ou de mon souper, ou nos calculs.
de quelque circonstance qui s'y rattache, tout 13, Mais voici en quoi on peut voir plus clai-

au moins du jour d'hier, de la partie du jour rement que ce qui est caché dans la mémoire
où l'on soupe d'ordinaire, et de ce que c'est que n'est pas ce qui se reproduit dans la pensée
souper. Si je ne me rappelais rien de ce genre, de celui qui se souvient, bien que ces deux
je ne pourrais vouloir me rappeler ce que j'ai choses soient tellement unies qu'elles sem-
mangé hier à souper d'où il faut conclure que
: blent n'en faire qu'une : c'est que, en fait d'i-

la volonté de se souvenir procède des choses mages corporelles, notre mémoire est limitée
renfermées dans la mémoire, et en outre de au nombre, à l'étendue, à la qualité des sen-
celles qui en sont tirées par le souvenir, c'est- sations éprouvées car l'àme ne les grave
:

à-dire par l'union qui s'opère entre l'objet dans sa mémoire que d'après la réalité; tan-
que nous nous rappelons et la vision qui en dis que les visions de la pensée occasionnées
dans le regard de la pensée, au
est résultée par ce que la mémoire contient, se multiplient
moment où nous nous sommes souvenus. et varient sans nombre et sans fin. Ainsi je ne

Mais la volonté elle-même qui opère cette me souviens que d'un soleil, parce que, en
union, exige aussi quelque autre chose qui réalité, je n'ai pu en voir qu'un mais, si je ;

est comme voisin et contigu à celui qui se le veux, j'en imaginerai deux, trois, autant

souvient. Il y a donc autant de trinités de qu'il me plaira; et cette vision multiple de


cette espèce qu'il y a de souvenirs, parce qu'il ma pensée est formée de cette même mé-
n'y a pas de souvenir où ne se rencontre ces moire qui ne se rappelle qu'un soleil. Et ma
trois choses : l'objet caché dans la mémoire mémoire se limite à ce que j'ai vu. En effet, si
même avant qu'on y pense ce qui se forme ; je me souviens d'un soleil plus grand ou
dans la pensée quand cet objet est vu, et la plus petit que celui que j'ai vu, je ne me sou-
volonté qui les unit l'un à l'autre, les com- viens pas de ce que j'ai vu, par conséquent je
plète et ne fait, qu'un tout
elle troisième, ne me souviens pas. Mais comme je me sou-
avec eux. Ou qu'une
bien serait-cetrinité de viens, je ne me souviens que dans la propor-
cette espèce consisterait en ceci que nous : tion où j'ai vu, et néanmoins je peux à vo-
appellerions généralement unité tout ce que lonté me figurer ce soleil plus grand ou plus
la mémoire renferme d'images corporelles, petit. Je me souviens donc de lui comme je
unité encore la vision générale de l'àme exer- l'ai vu ; mais je me le figure à mon gré, tra-
W i s \)ik\^j f)r,
4^¥\c>vj )t

492 DE LA TRINITÉ.

çant sa course, s'arrêtant où il me plaît, imagine, soit qu'il en-


tériels, soit qu'il se les

venant d'oîi je veux et se dirigeant où cela me tende ou lise môme de choses pas-
un récit
fait plaisir. Je puis même me le figurer carré, sées, recourt nécessairement à sa mémoire et

bien que ma mémoire le dise rond; je puis y trouve le mode et la mesure de toutes les
lui sorte de couleurs, bien que
donner toute formes qu'il voit par le regard de la pensée.
je ne jamais vu vert, et que par consé-
l'aie Car il est absolument impossible de penser à
quent, je ne puisse me souvenir de l'avoir vu une couleur ou à une forme de corps qu'on
tel. Or, ce que je dis du soleil s'applique à toute n'a jamais vue, à un son qu'on n'a jamais en-
autre chose. Mais comme ces formes de choses tendu, à une saveur qu'on n'a jamais goûtée,
sont corporelles et sensibles, l'àme se trompe à une odeur qu'on n'a jamais respirée, au
quand elle les croit au dehors telles qu'elle se contact d'un corps qu'on n'a jamais touché.
les figure au dedans d'elle, soit qu'elles aient Et s'il est vrai qu'on ne peut penser à rien de
cessé d'être alors que la mémoire les retient corporel qu'autant qu'on en a eu la sensation,

encore, soit qu'elles existent autrement que précisément parce qu'on ne peut se souvenir
nous nous les figurons, non plus en vertu de d'un objet matériel et qui n'a pas frappé les
la mémoire, mais par le jeu de l'imagination. sens, il s'ensuit que la pensée dépend de la
\A. Du reste, nous croyons très-souvent des mémoire, comme la sensation dépend du corps.
choses vraies sur la parole de ceux qui nous En efTet, le sens reçoit la forme du corps même
racontent ce qu'ils ont éprouvé par les sens. que nous sentons, la mémoire la reçoit du
Quand nous y pensons d'après ce qu'on nous sens, et le regard de la pensée l'emprunte de
dit, il ne paraît pas que la vue de l'àme se la mémoire.
tourne vers la mémoire, pour y former la vi- 15. Or, comme la volonté unit le sens au
sion. Ce n'est pas non plus en vertu de nos corps, ainsi elle unit la mémoire au sens, et le
souvenirs, mais sur le récit d'un autre, que regard de la pensée à la mémoire. Et cette
nous y pensons. Il semblerait donc qu'on ne même volonté qui rapproche ces choses et les
retrouve pas ici cette trinité qui se forme unit, les détache aussi et les sépare. Par un
quand l'image cachée dans la mémoire et la simple mouvement du corps elle sépare le sens
vision produite par le souvenir sont unies par de l'objet qui l'impressionne, ou pour éviter
un tiers, la volonté. En etl'et, quand on ra- la sensation ou pour la faire cesser. C'est ainsi
conte, ce n'est pas ce qui était caché dans une que nous détournons nos yeux d'un objet que
mémoire, mais ce que j'entends, qui éveille nous ne voulons pas voir, ou que nous les fer-
ma pensée. Ici je ne parle pas des mots mons. Et ainsi des oreilles pour les sons, ou
mêmes, ne voulant pas revenir sur cette tri- des narines pour les odeurs. Pour ce qui re-
nité qui se forme au dehors dans les choses garde le toucher, ou nous éloignons le corps
sensibles et dans les sens. Mais je pense aux que nous ne voulons pas toucher, ou, si nous
espèces de corps que le narrateur indique par le touchions déjà, nous l'écartons ou le repous-

des paroles et par des sons, et j'y pense, non sons. C'est ainsi que la volonté empêche par ,

à l'aide de ma mémoire, mais sur ce que j'en- un mouvement corporel, l'union des sens du
tends dire. corps aux objets sensibles. Elle fait cela autant
Néanmoins, si nous y regardons de près, ici qu'elle le peut; car quand, en agissant de la
encore on ne sort pas des limites de la mé- sorte, elleéprouve quelque difficulté par suite
moire. En effet, je ne comprendrais pas même de notre malheureuse condition d'esclaves
le narrateur, si ce qu'il dit, si les phrases mortels, il en résulte une souffrance contre
qu'ilforme frappaient pour la première fois laquelle il ne lui reste qu'une ressource la ,

mes que je ne me souvinsse pas de


oreilles et patience. Quant à la mémoire, la volonté la dé-
chaque chose en général. Par exemple, celui tourne des sens lorsque, se portant elle-même
qui me raconte qu'il a vu une montagne dé- d'unautrecôté, elle ne la laisse pas s'appli(iuer
pouillée de forêts et couverte d'oliviers, parle aux choses présentes. Phénomène facile à re-
à un homme qui se souvient de formes de marquer, quand, par exemple, ayant l'esprit
montagnes, de forêts, d'oliviers et qui, s'il occupé ailleurs, nous semblons ne pas enten-
les avait oubliées, ne saurait ce que l'on dit et dre celui qui parle devant nous. Or, cette ap-
ne pourrait en aucune façon y fixer sa pensée. parence est fausse nous avons bien entendu,
:

Ainsi donc, quiconque pense à des objets ma- mais nous ne nous souvenons pas, parce que
LIVRE XI. — LA TRINITÉ DANS L'HOMME. 493

le consentement de la volonté, qui grave ordi- y avoir vision de pensée, il faut que, de la vi-
nairement les choses dans la mémoire, était de sion de sensation, il se forme dans la mémoire
temps en temps devenu étranger aux mots qui quelque chose de semblable, où le regard de
s'introduisaient dans le sens de l'ouïe. Il serait l'àme puisse se tourner par la pensée, comme
plus vrai, en ce cas, de dire Je ne me souviens : leregard des yeux se tourne, pour voir, vers
pas, que de dire Je n'ai pas entendu. Car il
; pourquoi j'ai voulu in-
l'objet matériel. C'est
en est de même pour la lecture il m'est très- ; diquer deux trinités dans ce genre une , :

souvent arrivé, après avoir lu une page ou quand la vision de sensation est produite par
une lettre, de ne pas savoir ce que j'avais lu le corps, l'autre,quand la vision de pensée est
et de recommencer. La volonté ayant tourné formée de mémoire. Je n'ai pas voulu m'ar-
la
son attention ailleurs, la mémoire ne s'est pas rèter à celle du milieu, parce qu'on n'a pas
appliquée au sens du corps, comme le sens coutume d'appeler vision la forme qui se pro-
lui-même était appliqué aux lettres. C'est ainsi duit dans le sens corporel, quand elle est con-
que ceux qui marchent, si leur volonté se porte fiée à la mémoire. Cependant la volonté n'ap-
ailleurs, ne savent par où ils ont passé; pour- paraît en tout ceci que comme le lien qui unit
tant, s'ils ne l'avaient pas vu, ils n'eussent pas une sorte de père à son fils. Voilà pourquoi, de
marché, ou ils eussent marché avec plus de quelque côté qu'elle procède, on ne peut l'ap-
précaution et à tâtons, surtout s'il se fût agi de peler ni père ni fils.

traverser des lieux inconnus. Mais comme ils

marchaient sans difficulté, c'est qu'ils ont cer- CHAPITRE X.


tainement vu toutefois leur mémoire n'étant
:
l'imagination ajoute aux objets qu'elle n'a
pas unie au sens des yeux, comme le sens des
PAS vus CE qu'elle A VU DANS d'aUTRES.
yeux l'était aux lieux par où ils passaient, ils
ne peuvent en aucune façon se souvenir de ce 17. Or, si nous ne nous rappelons que ce que
qu'ils ont vu il n'y a qu'un instant. Or vouloir nous avons senti, et si nous ne pensons qu'à
détourner le regard de l'àme de ce qui est ce que nous nous rappelons pourquoi imagi- ,

dans la mémoire, c'est simplement ne pas y nons-nous ordinairement des choses fausses ,
penser. quand nous n'avons que des souvenirs vrais
CHAPITRE IX. des choses que nous avons senties, si ce n'est

LA FORME EST ENGENDRÉE PAR LA FORME.


parce que la volonté qui ici unit et sépare —
ainsi que j'ai mis tous mes soins à le démon-
d6. Dans cette série qui commence à la forme trer — dirige à son gré le regard de la pensée
du corps pour finir à celle qui se trouve dans qui doit se former, vers les replis de la mé-
leregard de la pensée, nous trouvons quatre moire, l'entraîne à se figurer des choses dont
formes qui sont nées graduellement l'une de on ne se souvient pas d'après celles dont on se
l'autre : la seconde de la première, la troisième souvient, à prendre ici un trait, là un autre ,

de la seconde, la quatrième de la troisième. pour tout réunir en une seule vision qu'on ap-
En etîet, de la forme du corps qui
est vu, naît pellera fausse, ou parce qu'elle n'est pas dans
la forme qui existe dans
de celui qui le sens la nature des choses extérieures et sensibles, ou
voit; de celle-ci vient celle qui est dans la mé- parce qu'elle n'est pas fidèlement produite de
moire, et celle qui est dans la mémoire, pro- lamémoire, puisqu'on ne se souvient pas d'a-
duit celle qui naît dans le regard de la pensée. voir rien connu de tel ? Par exemple, qui a
Ainsi la volonté unit trois fois une sorte de jamais vu un cygne noir ? Personne donc ne
père avec son fils : d'abord la forme du corps s'en souvient et pourtant chacun peut s'en
avec celle que celle-ci engendre dans le sens figurer un. Il est facile, en effet, de revêtir la
corporel; puis cette seconde avec celle qui se forme de cygne que nous connaissons, de la
produit dans la mémoire puis cette troisième
; couleur noire que nous avons vue dans d'autres
aNi'c celle regard de la pen-
qui en naît dans le corps et comme ici forme et couleur ont été
;

sée. Mais l'union moyenne, qui est la seconde, l'objet de nos sensations, l'une et l'autre sont
quoique plus voisine de la première, ne lui aussi l'objet de nos souvenirs. Ainsi encore, je
est pas aussi semblable que la troisième. Car n'ai pas souvenir d'un oiseau à quatre pieds ,

il y a deux visions une de celui qui sent, l'au-


: parce que je n'en ai mais je me
point vu ;

tre de celui qui pense ; mais pour qu'il puisse figure aisément cet être fantastique, en ajou-
.

494 DE LA TRINITÉ.

tant à quelque forme d'oiseau à moi connue , mémoire et le nombre à la vision; parce que,
deux autres pieds semblables à ceux que je lui bien que les visions de ce genre puissent se
ai vus '. multiplier en quantité innombrable, chacune
Voilà pourquoi quand nous réunissons
,
d'elles a cependant dans mémoire des limites
la
ainsi par la pensée des objets que uous n'a- qu'elle ne saurait dépasser. La mesure appar-
vons vus que séparés, il ne semble pas que tient donc à la mémoire et le nombre à la vi-
nous agissions d'après nos souvenirs; et cepen- sion. C'est ainsi que, dans les corps visibles, il

dant nous n'agissons que sous l'influence de existe une mesure déterminée, à laquelle le
la mémoire à qui nous empruntons les
, sens des spectateurs s'applique en très-grand
choses multiples et variées que nous arran- nombre, en sorte que, d'un seul corps visible,
geons à notre gré. Il n'est pas jusqu'aux di- beaucoup de personnes informent leur vue, et
mensions que nous n'avons jamais vues dans que même un seul homme, parce qu'il a deux
les corps, qui n'exigent aussi le secours de la yeux, voit souvent le même objet en double,
mémoire nous voulons les porter au plus
; si comme nous l'avons dit plus haut. Donc dans
haut degré, nous pouvons donner à quel corps tous les objets qui forment la vision, il y a une

il nous plaira autant d'étendue que notre re- mesure déterminée et c'est dans les visions
;

gard peut en embrasser dans l'univers. La mêmes qu'est le nombre. Or_, la volonté qui
raison va même plus loin encore mais l'ima- ; assemble et ordonne ces deux choses, qui les
gination ne peut la suivre. Ainsi par exemple joint par une certaine unité, et ne place libre-
bien que la raison affirme que les nombres ment le désir de sentir ou de penser que dans les
sont indéfinis, aucune vue de la pensée ne objets d'où les visions se forment, la volonté,
saurait matériellement se l'imaginer. La même dis-je,joue ici le rôle de poids. Voilà com-
raison nous dit encore que les corps les plus ment, pour le dire d'avance, la mesure, le nom-
minimes sont divisibles à l'infini néanmoins ; bre, le poids doivent se retrouver partout ail-
quand nous avons atteint la limite des objets leurs. Pour le moment ,
j'ai démontré autant
les plus tenus et les plus minces que nous nous que je l'ai pu et comme je l'ai pu, que la vo-
souvenions d'avoir vus_, notre imagination ne lonté qui unit l'objet visible et la vision —
saurait aller plus loin et décomposer davan- espèces de père et de fils — soit dans la sen-
tage, quoique la raison poursuive son tra- sation, soit dans la pensée,ne peut être appelée
vail et divise toujours. Far conséquent toute ni père ni temps m'avertit de cher-
fils. Mais le

image matérielle est nécessairement un sou- cher cette même trinité dans riiomme inté-
venir, ou formée d'après nos souvenirs. rieur, de laisser là l'homme animal et charnel,
qu'on appelle extérieur et dont j'ai tant parlé,
CHAPITRE XI. pour pénétrer au dedans. Là, je l'espère, nous
NOMBRE, POIDS ET MESURE. pourrons trouver dans certaine trinité l'image
de Dieu, avec l'aide de ce même Dieu qui bé-
18. Mais comme on peut multiplier les objets nira nos efforts : lui qui — la création le dé-
qui se sont gravés individuellement dans la montre et la sainte Ecriture l'atteste — a tout
mémoire , la mesure pourrait appartenir à la réglé avec mesure, avec nombre et avec poids '

• Reiract., liv. Il, ch. xv. ' Sag, i'i, 2\.


,

LIVRE DOUZIÈME.
Dislinction entre la Sagesse et la Science. —Trinité particulière dans la science proprement dite. —
Bien que cette Trinité
appartienne déjà à l'homme intérieur, cependant on ne doit pas l'appeler ni la croire l'image de Dieu.

CHAPITRE PREMIER. tenir, en réveiller le souvenir quand ils com-


mencent à tomber dans l'oubli, les imprimer
L'HOMME EXTÉRIEUR ET l'hOMME INTÉRIEUR.
de nouveau par la pensée, affermir par la
i Maintenant voyons où est l'espèce de li-
. pensée ce qui est dans la mémoire comme ,

mite qui sépare l'homme extérieur etl'liomrae la pensée elle-même se forme d'après la mé-
intérieur. Car tout ce que nous avons dans moire; composer des fictions imaginaires, en
l'àme de commun avec les animaux, est encore recueillant et cousant pour ainsi dire des sou-
avec raison attribué à l'homme extérieur. Ainsi venirs pris çà et voir comment_, dans cet
là;

rhomme extérieur ne consiste pas uniquement ordre de choses, vraisemblable se distingue


le
dans le corps, mais aussi dans ce principe vi- du vrai, non dans l'ordre spirituel, mais
tal qui anime son organisme physique et tous même dans le monde matériel ces opérations
:

ses sens à l'aide en communi-


duquel il est et autres de cette espèce, bien que se passant
cation avec le monde extérieur. Les images dans les choses sensibles et dans les images
même des objets sensibles, gravées dans la que l'âme y a puisées par le sens corporel, ne
mémoire et reproduites au regard de la pensée, peuvent cependant exister sans la raison et ne
appartiennent encore à l'homme extérieur. En sont point communes aux hommes etauxani-,
tout cela nous ne différons pas des animaux, maux. Mais il appartient à la raison plus
si ce n'est que notre corps est debout, et non élevée dejugerdeceschoses matérielles d'après
penché vers la terre. Avertissement donné par les raisons immatérielles et éternelles rai- :

le Créateur de ne pas ressembler, par la meil- sons qui ne seraient évidemment pas immua-
leure partie de nous-mêmes, c'est-à-dire bles, si elles n'étaient au-dessus de la raison
par noire âme, aux animaux dont nous dif- humaine, et d'après lesquelles nous ne pour-
férons par la nature. Ne prostituons pas même rions juger des objets matériels si nous ne

notre âme aux corps les plus sublimes car ; nous soumettions à elles. Or nous jugeons
chercher là le repos de la volonté, c'est dégra- des choses matérielles d'après la raison des
der son âme. Mais de même que notre corps dimensions et des figures, que notre âme sait
est naturellement tourné vers les corps les plus être permanente et immuable.
élevés, c'est-à-dire vers les corps célestes ; ainsi
l'âme, substance spirituelle, doit naturelle- CHAPITRE III.

ment se diriger vers ce qu'il y a de plus élevé LA RAISON SUPÉRIEURE QUI APPARTIENT A LA
dans l'ordre spirituel, non par un élan d'or- CONTEMPLATION ET LA RAISON INFÉRIEURE QUI
gueil, mais par amour pour la justice. APPARTIENT A L' ACTION SONT DANS LA MÊME
AME.
/// CHAPITRE II.

l'homme seul, parmi les animaux, découvre 3. Or ce principe qui agit en nous dans nos
les raisons éternelles des choses dans le rapports avec les objets matériels et tempo-
monde matériel. rels, sans toutefois nous être commun avec
les animaux, est raisonnable, il est vrai;
2. Les animaux peuvent aussi percevoir les mais il est comme dérivé de cette substance
objets extérieurs par les sens du corps, les raisonnable de notre âme qui nous reUe jus-
fixer dans leur mémoire, s'en souvenir, y qu'à un certain degré à la vérité intellectuelle
rechercher ce qui leur est avantageux, éviter et immuable, et délégué pour traiter et admi-
ce qui leur est nuisible. Mais les remarquer De même que,
nistrer les choses inférieures.
mémoire, non-seulement par
les confier à la dans genre animal, on n'a trouvé pour le
le
un coup d'œil rapide, mais à dessein les re- ; mâle une aide qui lui fût semblable qu'en la
496 DE LA TRINITÉ.

tirant de lui pour en former le couple conju- CHAPITRE V.


gal; ainsi, dans la partie de notre âme qui se
PEUT-ON VOIR l'image DE LA TRINITÉ DANS L'U-
porte vers la vérité supérieure et inférieure
NION DE l'HOMNE ET DE LA FEMME, ET LEUR
il ne point trouvé, dans ce qui nous est
s'est
PROGÉNITURE ?
commun avec les animaux, d'aide qui lui fût
semblable et apte à communiquer avec le 5. Je ne regarde donc point comme probable
monde matériel, dans la mesure des besoins l'opinion de ceux qui pensent que la nature
de la nature humaine. Voilà pourquoi cette humaine offre l'image de la Trinité d'un Dieu
fonction a été déférée à un certain principe en personnes, dans l'union conjugale de
trois
raisonnable, non pour briser l'unité par une l'homme et de la femme, complétée par leur
sorte de mais en vue de créer un
divorce, progéniture en sorte que l'homme représen-
:

auxiliaire et un associé. Et comme mâle et terait la personne du Père, l'enfant né de lui,


femelle ne sont qu'une seule chair, ainsi Tin- la personne du Fils, et la femme, celle du
telligence et l'action, le conseil et l'exécution, Saint-Esprit, vu qu'elle a procédé de l'homme
la raison et l'appétit raisonnable — soit qu'on sans être ni son fils ni sa fille', bien que l'en-

les désigne ainsi, soit qu'on trouve des expres- fant soit conçu et né d'elle. En effet le Sei-
sions plus justes — appartiennent à une seule gneur a dit du Saint-Esprit qu'il procède du

et même nature d'àme. Et de comme on a dit Père % et cependant il n'est pas son Fils. Dans
l'homme et de la femme « Us seront deux en : celte opinion erronée, il n'y a qu'une chose
a une seule chair '», ainsi doit-on dire de ces admissible ; c'est que, d'après l'origine de la
facultés : Elles sont deux en une seule âme. femme et le témoignage de la sainte Ecriture,
on ne peut pas appliquer le nom de fils à toute
CHAPITRE IV. personne procédant d'une autre personne,
])uisque la personne de la femme est sortie
LA TRINITÉ ET l'iMAGE DE DIEU NE SE TROUVENT
de celle de l'homme, sans qu'on l'ait pour cela
QIE DANS LA PARTIE DE L'AME QUI PEUT CON-
TEMPLER LES CHOSES ÉTERNELLES.
nommée sa fille. Mais tout le reste est telle-
ment absurde, tellement faux, qu'il est très-
4. Quand donc nous dissertons sur la nature facile de le réfuter. Et d'ailleurs je ne parle
de l'âme humaine, nous entendons ne parler l)asde ce qu'il y a d'étrange à regarder le Saint-
que d'une seule chose, et nous ne la dédou- Esprit comme la Mère du Fils de Dieu et l'E-
blons que par rapport aux fonctions dont nous pouse du Père ; car on me répondrait peut-
avons parlé. Ainsi quand nous cherchons la être que ces termes ne sont blessants que
trinité dans l'âme tout entière; nous ne sépa- quand ils s'appliquent à la conception et à
rons point l'action raisonnable dans le monde l'enfantement charnels; que du reste les
matériel de la contemplation des choses éter- hommes purs, pour qui tout est pur, pensent
nelles, comme si nous avions à chercher un à cela avec une chasteté parfaite; mais que
tiers pour compléter la trinité. Il faut que la pour impurs et les infidèles, qui ont l'âme
les

trinité se trouve dans la nature de l'âme prise et la conscience souillées ^ il est si vrai qu'il

dans son intégrité, tellement qu'en dehors de n'y a rien de pur qu'il répugne même à quel-
l'action dans les choses corporelles qui exige ques-uns d'entre eux que le Christ soit né d'une
un auxiliaire — fonction remplie par une Vierge selon la chair. Mais dans ces hauteurs
certaine partie de lame déléguée pour l'admi- spirituelles et sublimes, où rien n'est sujet à

nistration des choses inférieures — la trinité l'impureté ni à la corruption, où rien n'est


se retrouve dans l'âme une, non disséminée ;
né du temps, ni formé d'un être imparfait, si
puis , d'emplois étant faite
la distribution ,
l'on emploie le langage qui a servi de type

il faut qu'on retrouve dans la partie seule pour exprimer ce qui se passe, quoique à une
qui appartient à la contemplation des choses très-grande distance, dans l'ordre inférieur
éternelles, non-seulement la trinité mais , de la création, il ne faut pas qu'une timide
encore l'image de Dieu; et que si dans la sagesse s'en effarouche, de peur de tomber
partie déléguée pour l'action dans le monde dans une pernicieuse erreur, en cédant à une
temporel, il se trouve une trinité, du moins, crainte imaginaire. Qu'elle s'accoutume à
on n'y rencontre pas l'image de Dieu. trouver, dans les choses matérielles, un ves-
» Gen. 11, 24. 'Gen. II, Jean, xv, 26, — ' Tit. i, 15.
. ,

LIVRE XII. — TRINITE DANS LA SCIExXCE. 497

tige des choses spirituelles, de manière que, pas l'image du Père, mais du Fils, le Fils
quand il s'agira de monter sous la direction n'est donc pas semblable au Père. Si au con-
de la raison, pour parvenir à la vérité immua- traire la vraie foi enseigne — et elle l'ensei-
ble par qui tout a été fait, elle n'emporte pas gne — que semblable au Père
le Fils est
avec elle dans les régions supérieures ce qu'elle jusqu'à l'égalité d'essence, ce qui est fait à la
méprise dans les régions inférieures. Quel- ressemblance du Fils est nécessairement fait à
qu'un n'a pas rougi de choisir la sagesse pour la ressemblance du Père. Enfin, si le Père a
épouse, bien que ce mot d'épouse fasse naître faitl'homme, non à son image, mais à l'image
dans l'esprit la pensée d'une union charnelle de son Fils pourquoi n'a-t-il pas dit
,
Fai- :

en vue de la génération, et que la sagesse soit sons l'homme à ton image et à ta ressem-
supposée du sexe féminin, puisque le substan- blance, mais à la «nôtre? » N'est-ce pas
tif qui la désigne est féminin en latin et en parce que l'image de la Trinité se faisait dans
grec. l'homme, de manière à ce que l'homme fût
CHAPITRE VI. l'image du seul vrai Dieu, parce que la Tri-
nité elle-même est le seul vrai Dieu? Il y a
IL FAUT REJETER CETTE OPIMON.
une multitude de locutions de ce genre dans
6. Si nous rejetons cette opinion, ce n'est les Ecritures; il nous suffira de citer les sui-
donc pas parce que nous craignons de regar- vantes.
der la sainte, incorruptible et immuable cha- On dans les Psaumes « Le salut appar-
lit :

rité comme l'épouse du Père, et procédant de « tient au Seigneur, et votre bénédiction se


lui, et non comme une
fille destinée à engen- « répand sur votre peuple » comme si ou ^
;

drer Verbe par qui tout a été fait; mais


le parlait à un autre, et non à Celui dont on
parce qu'elle est formellement démontrée vient de dire : « Le salut appartient au Sei-
fausse par l'Ecriture. Dieu dit en effet «Fai- : « gneur ». Et ailleurs « C'est vous qui me
:

« sous l'homme à notre image et à notre res- « sauverez de la tentation et, plein d'espé-
« semblance » et ensuite peu après on lit
; : « rance en mon Dieu, je francliirai la mu-
« Et Dieu lit l'homme à l'image de Dieu ». '
« raille », comme si ces paroles
^
« C'est :

Evidemment le mot « notre », se rapportant « vous qui me sauverez de la tentation »


à un pluriel, ne serait plus juste si l'homme s'adressaient à un autre. Puis : « Les peuples
était fait à l'image d'une seule personne, soit « tomberont à vos pieds, contre le cœur des
le Père, soit le Fils, soit le Saint-Esprit; mais « ennemis du Roi ^ », ce qui équivaut à dire :

comme il est fait à l'image de la Trinité, contre le cœur de vos ennemis. En effet, le Pro-
voilà pourquoi on dit : «A notre image ». phète avait dit au Roi, c'est-à-dire à Notre-
D'autre part, de peur qu'on ne croie à trois Seigneur Jésus-Christ « Les peuples tornbe- :

dieux dans la Trinité, quand la Trinité n'est « ront à vos pieds », et c'est ce roi qu'il en-
qu'un seul Dieu, on ajoute : « Et Dieu fit tend, quand il ajoute : « Contre le cœur des
« l'homme à l'image de Dieu », ce qui équi- « ennemis du Roi »

vaut à dire à son image.


: Ces exemples sont plus rares dans les livres
7. Il dans les saintes lettres, certaines
y a, du Nouveau Testament. Cependant l'Apôtre
locutions auxquelles quelques-uns, quoique écrit aux Romains « Touchant son : Fils, qui
catholiques sincères, ne font pas assez atten- « lui est né de
race de David selon la chair,
la
tion. Ils pensent, par exemple, que ces mots : « qui a été prédestiné Fils de Dieu en puis-
«Dieu fit à l'image de Dieu », signifient le : « sance selon l'Esprit de sanctification, par la
Père fit à l'image du Fils. Par là ils veulent « résurrection d'entre les morts, de Jésus-
prouver que dans les saintes Ecritures, le Fils « Christ Notre-Seigneur * » : comme s'il se
est aussi appelé Dieu, comme s'il n'existait fût agi d'un autre plus haut. Qu'est-ce en effet
pas des passages très-solides et très-clairs où que le Fils de Dieu prédestiné par la résur-
le Fils est appelé non-seulement Dieu, mais rection d'entre les morts de Jésus - Christ,
vrai Dieu. En cherchant dans ce texte une sinon le même Jésus-Christ qui a été prédes-
autre solution, ils se jettent dans un embarras Dieu en puissance? Par consé-
tiné Fils de
inextricable. En effet, si le Père a créé à l'i- quent, quand nous entendons dire « Fils de :

mage du Fils, tellement que l'homme ne soit «Dieu en puissance de Jésus-Christ», ou


'Gen. I, 26, 27. » Ps. m, 9. — ' Ps. XVII, 30. — ' Ps. XLiv, 6,— ' Rom. i, 3, i.

S. AuG. — Tome XIL 32


498 DE LA TRINITÉ.
encore de Dieu par la résurrection
: « Fils mari. Ou bien la femme était-elle déjà créée,
«d'entre morts de Jésus-Christ», alors
les et l'Ecriture a-t-elle diten très-peu de mots
que l'Apôtre aurait pu dire, selon le langage ce qu'elle devait dire ensuite plus au long en
ordinaire : En
ou selon l'Es-
sa puissance, : expliiiuant la formation de la femme, tandis
prit de ou par sa résurrec-
sa sanctification, : que le fils n'aurait pu être mentionné, puis-
tion d'entre les morts, ou d'entre ses morts ;
qu'il n'était pas encore né? Comme si TEsprit-
quand nous lisons cela, dis-je, nous ne nous Saint n'aurait pas pu renfermer aussi l'idée
croyons point du tout obliges de su])poser une du fils dans ce peu de mots, en se réservant
autre personne, mais bien la seule et môme, de raconter plus tard sa naissance, ainsi qu'il
à savoir celle du Fils de Dieu, Notre-Seigneur a raconté un peu plus bas la manière dont la
Jésus-Christ. De même quand nous entendons femme de l'homme ', bien qu'il
a été tirée
dire «Dieu fit l'homme à l'image de Dieu »,
: n'ait pas omis de donner ici son nom I

bien qu'on aurait pu dire en termes plus con-


formes à l'usage à son image, nous ne som-:
CHAPITRE VII.

mes point obligés de chercher une autre COMMENT l'homme EST l'iMAGE DE DIEU. LA
personne dans la Trinité, mais nous n'y FEMME n'eST-ELLE PAS AUSSI l'iMAGE DE DIEU ?
voyons que la seule et même Trinité, qui est
un seul Dieu et à l'image de laquelle l'homme 9. Ainsi donc, quand on dit que l'homme a
a été fait. été créé à l'image de la souveraine Trinité,
8. Cela établi si nous devons chercher
, c'est-à-dire à l'image de Dieu, il ne faut pas
l'image de la Trinité non dans un seul
, rechercher cette image dans trois êtres hu-
homme, mais dans trois. Père, Mère et Fils, mains; surtout en présence de ce passage de
l'homme n'était donc pas fait à l'image de l'Apôtre où il dit que l'homme est l'image de
Dieu avant que sa femme fût formée et qu'ils Dieu, et lui défend pour cela de voiler sa tête,
eussent un fils, puisqu'il n'y avait pas trinité tandis qu'il veut (jue la femme voile la sienne.
jusqu'alors. Dira-t-on qu'il y avait déjà Tri- Voici ses paroles : «Pour l'homme, il ne doit
nité, puisquela femme, quoique encore privée « pas voiler sa tête parce qu'il est l'image et
de sa forme propre, était cependant contenue « la gloire de Dieu. Mais la femme est la gloire
virtuellement dans le flanc de son mari, « de l'homme ». Que dire à cela? Si la femme
comme le fils dans les entrailles du père? est nécessaire en personne pour compléter
Pourquoi alors l'Ecriture, après avoir dit : l'image de la Trinité, pourquoi après qu'elle
« Dieu fit l'homme à l'image de Dieu », ajoute- est tirée du flanc de l'homme, l'homme est-il
t-elle aussitôt « Dieu le créa; il les créa mâle
: encore appelé l'image de la Trinité? Ou si
«et femelle et il les bénit*?» Ou bien fau- une des trois personnes humaines peut
drait-il distinguer et dire en premier lieu « Et : être individuellement appelée image de Dieu,
«Dieu fit l'homme»; puis en second lieu : connue dans la souveraine Trinité elle-même
« 11 le fit à l'image de Dieu »; et en troisième chaque personne est Dieu, pourquoi la femme
lieu « Il les créa mâle et femelle? » Car quel-
: Dieu? Et cepen-
n'est-elle pas aussi l'image de
ques-uns ont eu peur de dire Il le fit mâle : dant on lui ordonne de voiler sa tête précisé-
et femelle, pour ne pas donner lieu de croire à ment parce que cela est défendu à l'homme
quelque chose de monstrueux conmie sont en qualité d'image de Dieu -.
les herma[)hrodites bien qu'on puisse en : 10. Mais il faut examiner comment l'Apôtre,
toute vérité comprendre les deux sexes en un en disant que c'est l'homme et non la femme
seulmot singulier, puisqu'il est dit « Deux : qui est l'image de Dieu, n'est pas en contra-
«dans une seule chair ». Pourquoi donc, diction avec ce texte de la Genèse : « Dieu fit

comme dans la nature


je le disais d'abord , « l'homme, il le fit à l'image de Dieu, il les
humaine faite à l'image de Dieu l'Ecriture , « créa mâle et femelle et les bénit ». Ici c'est la
ne mentionne-t-elle que mâle et femelle? Il nature humaine qui est dite créée à l'image de
semble que pour compléter l'image de la Tri- Dieu les deux sexes la forment, et en parlant
;

nité, il aurait fallu parler aussi du fils quoi- d'image de Dieu, le texte ajoute « Il le créa :

que encore renfermé dans les entrailles du « mâle et femelle», ou en distinguant plus spé-
père, comme la femme l'était dans le flanc du cialement: « Il les créa mâle et femelle » . Com-
• Gen. I, 27, 28. » Gen. Il, 24, 22. — U Cor. XI, 7, 5.
,,

LIVRE XIT. — TRINITÉ DANS LA SCIEMCE. A99

ment donc l'Apôtre nous que l'homme


dit-il et tombée dans la prévarication sera cependant
est l'image de Dieu et doit, pour cela, ne point sauvée par la génération des enfants et ,

voiler sa tète, et que la femme ne l'est pas et ajoute demeurent dans la foi, la cha-
: a S'ils
doit, pour cela, voiler la sienne? Peut-être, « rite et la sainteté jointe à la tempérance ^ » :

comme je le pense et comme je l'ai déjà dit comme s'il pouvait être nuisible à une veuve
en [)arlant de la nature de l'àme humaine, la fidèle ou de ne pas avoir eu d'enfants, ou de
femme avec son mari est-elle l'image de Dieu ce que ceux qu'elle a eus n'ont pas voulu
en ce sens que la substance humaine tout persévérer dans les bonnes œuvres. Mais
entière n'est qu'une seule image de Dieu, comme les œuvres qu'on appelle bonnes, sont
mais que quand la femme est considérée pour ainsi dire les enfants de notre vie, dans
connue aide —
qualification qui n'appartient le demande quelle vie chacun
sens où l'on
qu'à elle —
elle cesse d'être image de Dieu ;
mène, c'est-à-dire comment il fait ces œuvres
tandis que le mari même pris isolément est
, temporelles, — ce que Grecs appellent
les [îïcç

l'image de Dieu, aussi pleine, aussi entière, et non plus — que ces bonnes œuvres sont
^ur.

que quand la femme ne


fait qu'un avec lui. principalement lesœuvres de miséricorde
C'est l'explicationque nous avons donnée lesquelles sont sans profit pour les païens
sur la nature de l'âme humaine. Nous avons pour les Juifs, qui ne croient pas au Christ,
dit que quand elle est tout entière appliquée pour tous les hérétiques et les schismatiques,
à la contemplation de la vérité, elle est l'image chez qui l'on ne trouve ni la foi, ni la charité,
de Dieu; mais que, lorsqu'une partie d'elle- ni la sainteté jointe à la tempérance cela :

même est comme déléguée et détachée par la étant, dis-je, on voit clairement la pensée de
volonté pour agir dans le monde matériel, l'Apôtre ; c'est dans un sens figuré et mysti-
elle n'en reste pas moins l'image de Dieu dans que qu'il parle de voiler la tête de la femme,
la partie qui se porte vers la vérité entrevue, et ses paroles n'auraient plus de signification
tandis (ju'elle cesse de l'être dans la partie si elles ne se rapportaient à quelque mystère.
chargée de traiter des choses inférieures. Et 12. En effet, comme le déclarent, non-seu-
connue à mesure qu'elle s'étend vers les cho- lement l'infaillible raison, mais encore le
ses éternelles, elle reproduit plus fidèlement témoignage de l'Apôtre, c'est selon l'àme rai-
l'image de Dieu, et que de ce côté, on ne doit sonnable et non selon la forme du corps, que
ni la contenir, ni modérer son élan, voilà l'homme a été fait à l'image de Dieu. Car
pourquoi l'homme ne doit point voiler sa penser que Dieu est circonscrit et limité par
tête. Mais comme dans l'action raisonnable une certaine conformation de membres, c'est
qui s'exerce sur les choses matérielles et tem- une opinion misérable et sans fondement. Or
porelles, il y a un très-grand danger de des- le même bienheureux Apôtre ne dit-il [,as :

cendre trop bas, l'homme doit avoir l'empire Renouvelez-vous dans l'esprit de votre àme
sur sa tête, et c'est ce qu'indique l'ordre de la «et revêtez-vous de l'homme nouveau qui a
voiler atin de la contenir et de la sauvegarder. a été créé selon Dieu - » et ailleurs plus ou- ;

Interprétation pieuse et sacrée qui est agréable vertement « Dépouillez le vieil homme avec
:

aux saints anges. Car Dieu ne voit pas selon « ses œuvres, et revêtez le nouveau qui se re-
la mesure du temps; il n'y a rien de nouveau « nouvelle à la connaissance de Dieu selon
pour ses yeux et pour sa science, dans les « l'image de Celui qui l'a créé *?» Si donc
événements temporels et passagers comme , nous nous renouvelons dans l'esprit de notre
cela arrive pour les sens, charnels chez les âme, et si cet esprit est l'homme nouveau qui
honnnes et les animaux, célestes chez lesanges. se renouvelle à la connaissance de Dieu selon
il. La preuve que l'apôtre Paul veut figurer l'image de Celui qui l'a créé on ne peut dou-
:

un mystère plus profond dans la distinction ter que l'homme ait été fait à l'image de Celui
du sexe masculin et féniinin, c'est que, tandis qui l'a créé, non selon le corps, ni selon une
qu'il dit ailleurs que la femme qui est vrai- partie quelconque de son âme mais selon ,

ment veuve est délaisée, sans enfants ni petits- l'âme raisonnable, où peut seulement exister
enfants, et qu'elle doit cependant espérer au la connaissance de Dieu. Or, selon ce renou-
Seigneur et persister jour et nuit dans les vellement, nous devenons aussi enfants de
prières ^; ici il indique que la femme séduite Dieu par le baptême du Christ, et, en nous re-
» I Tim. V, 5. ' I Tim. II, 15. — » Eph. IV, 23, 24. — ' Col. m, 9, 10.
,

500 DE LA TRINITÉ.
vêtant de l'homme nouveau, nous nous revê- péché ni retenu par la partie qui est au poste
tons aussi du Christ par la foi. Qui donc ex- du conseil et joue en quelque sorte le rôle de
clura les femmes de cette participation, alors l'homme, il vieillit parmi ses ennemis ', parmi
qu'elles sont avec nous cohéritières de la les démons
jaloux de sa vertu avec le diable
grâce et que l'Apôtre dit ailleurs « Car vous : leur chef; et la vision des choses éternelles
« êtes tous enfants de Dieu par la foi qui est est enlevée au chef même
qui a mangé avec ,

« dans le Christ Jésus. Car vous tous qui avez sa femme du défendu, en sorte que la
fruit
« été baptisés dans le Christ, vous avez été lumière de ses yeux n'est plus avec lui^ Ainsi
« revêtus du Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni nus et privés tous les deux de l'illumination
« Grec ;
plus d'esclave , ni de libre ;
plus de la vérité , les yeux de leur conscience s'ou-
« d'homme, ni de femme ; car vous n'êtes tous vrant pour leur faire voir combien ils sont
« qu'une seule chose dans le Christ Jésus ^? » déshonorés et enlaidis, ils fabriquent un tissu
Des femmes fidèles ont-elles donc perdu leur de bonnes paroles sans le fruit des bonnes
sexe corporel? Non; mais comme elles sont œuvres, comme qui dirait des feuilles de
renouvelées à l'image de Dieu là où il n'y a fruits agréablesau goût, mais sans les fruits,
pas de sexe, l'homme aussi a été fait à l'image afin de couvrir sous un beau langage la honte
de Dieu là où il n'y a pas de sexe, c'est-à-dire de leur coupable conduite ^
dans l'esprit de son âme. Pourquoi donc
l'homme ne doit-il passe voiler la tête, parce CHAPITRE IX.
qu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis
que la femmedoitvoilerlasienne, parce qu'elle SUITE DU MÊME SUJET.
est la gloire de l'homme, comme si elle ne se

renouvelait pas dans l'esprit de son âme, 14. En efTet, l'âme éprise de sa propre puis-
lequel se renouvelle dans la connaissance de sance, quitte le rang qu'elle tient dans l'ordre
Dieu, selon l'image de Celui qui l'a créé? universel pour s'attacher à des intérêts privés.
C'est parce que son sexe la plaçant à distance Cédant à cet orgueil rebelle que l'Ecriture
de l'homme, le voile qui couvre son corps a appelle « le commencement de tout pé-
fort bien pu figurer cette partie de la raison «ché* », alors qu'elle aurait pu suivre, au
qui s'occupe du gouvernement des choses sein de la création, le Dieu qui gouverne
temporelles l'image de Dieu ne sub-
: ainsi l'univers et être parfaitement dirigée par des
siste que dans la partie où l'âme humaine ambitionné quelque chose de plus
lois, elle a
s'attache à contempler et à consulter les rai- que l'univers même qu'elle s'est efforcée d'as-
sons éternelles partie que les femmes ont
; sujétir à sa volonté ; et comme il n'y a rien de
évidemment aussi bien que les hommes. l)lus que l'univers, elle est refoulée dans un
coin de l'espace perd pour avoir trop désiré
et
CHAPITRE VIII.
ce qui a fait dire à l'Apôtre que l'avarice est
COMMENT s'efface l'IMAGE DE DIEU. « la racine de tous les maux S) ; et tout ce
qu'elle fait, quand elle agit par un motif
13. Donc on reconnaît que leurs âmes sont propre contre les lois qui régissent la créa-
de même nature
mais on retrouve dans leurs
; tion, elle le fait par l'entremise de son corps,
corps la différence des emplois d'une seule et qu'elle ne possède qu'en partie. Mettant ainsi
même âme. Aussi quand on monte intérieu- sa complaisance dans les formes et les mou-
rement de quelques degrés de contemplation vements des corps et ne les possédant pas en
à travers les parties de l'âme, dès que l'on elle-même, elle s'égare à travers leurs images
commence à rencontrer quelque chose qui ne fixées dans sa mémoire, se souille misérable-
nous soit plus commun avec les animaux, là ment par une fornication imaginaire, dirige
commence la raison, là on peut déjà recon- toutes ses fonctions vers ces fins, vers la re-
naître l'homme intérieur. Que si, entraîné par cherche curieuse des choses matérielles et
cette raison à qui est déléguée l'administra- temporelles au moyen de ses sens; ou, bouffie
tion des choses temporelles, il descend trop d'orgueil, elle aspire à s'élever au-dessus des
bas dans le monde extérieur, du consente- autres âmes, livrées comme elle à l'empire des
ment de sa tête, c'est-à-dire n'étant point em- ' Ps. VI, 8, — » Ps. xxxvit, 11. — ' Gen. m. — * Eccli. x, 15. —
• Gai. m, 26-28. ' I Tim. VI, 10.
,

LIVRE XII. — TRINITÉ DANS LA SCIENCE. 501

sens, ou enfin elle se plonge dans le sale bour- comme un Dieu et aboutit à rendre semblable
bier de la volupté charnelle. à l'animal. C'est ainsi que nos premiers pa-
rents, dépouillés de la robe primitive, furent
CHAPITRE X. condamnés à couvrir leurs corps mortels de

ON NE DESCEND QUE PAR DEGRÉS DANS l' ABIME


tuniques de peau ^ Car le véritable honneur
DU VICE. de l'homme c'est d'être à l'image et à là res-
semblance de Dieu image et ressemblance qui :

15. Quand Tàme, dans son intérêt ou dans ne se conservent qu'en se maintenant unies à
celui des autres, cherche avec bonne volonté Celui qui les a gravées. Ainsi, moins l'homme
les biens intérieurs et supérieurs, qui ne sont s'aime lui-même, plus il s'attache à Dieu. Mais

point le lot de quelques-uns, mais la propriété quand cède au désir d'essayer sa propre
il

commune de tous ceux qui les aiment, et dont puissance, il retombe, par l'effet de sa volonté,
on jouit avec unchaste amour,sans sollicitude sur lui-mêjne comme sur son centre. Ainsi
et sans jalousie; s'il lui arrive alors de se pour vouloir être comme Dieu, libre de tout
tromper par ignorance dans quelque opéra- joug, il déchoit, par punition, de sa position
tion relative aux choses passagères qu'elle moyenne, et est entraîné vers les choses infé-
administre dans le temps, et où elle n'a pas rieures, c'est-à-dire vers les jouissances des
su garder la juste mesure c'est là une tenta- , animaux. Son honneur étant de ressembler à
tion qui tient à l'humanité. Et c'est une grande Dieu, son déshonneur est de ressembler aux
chose de passer cette vie, qui n'est pour ainsi animaux « Placé dans une situation hono-
:

dire qu'une voie de retour, sans qu'il nous « rable, l'homme n'a pas compris sa grandeur;

survienne autre chose que des tentations qui «il s'est assimilé aux animaux privés de
tiennent à l'humanité ^ Car c'est là une faute « raison et leur est devenu semblable^». Or

hors du corps, qui n'est point réputée forni- comment, de si haut, tomberait-il si bas, sans
cation et par là même
pardonne très-facile-
se passer par lui-même? En effet, quand, aban-
ment. Mais quand l'àme fait quelque chose donnant l'amour de la sagesse qui reste tou-
pour acquérir ce qui excite les sensations du jours immuable, on ambitionne la science qui
corps, dans le désir de les expérimenter, d'y se fonde sur l'expérience des choses chan-
exceller, de les toucher et d'y trouver comme geantes et passagères, cette science enfle et
le terme de son bonheur, quoi qu'elle fasse n'édifie pas*; l'àme comme accablée de son
alors, elle pèche et se déshonore; elle commet propre poids est exclue de la béatitude, et,
la fornication en péchant contre son propre par l'expérience de sa propre médiocrité, elle
corps ^; puis important au dedans d'elle-même apprend à ses dépens quelle distance il y a
les simulacres trompeurs des objets corporels entre le bien qu'elle a perdu et le mal qu'elle
et bâtissant sur eux des rêves au point de ne a commis; et vu la dissémination et la perte
plus rien voir de divin hors d'eux, avare de ses forces, elle ne peut plus revenir si la
égoïste elle se remplit d'erreurs, et prodigue grâce de son Créateur ne l'appelle à la péni-
égoïste elle se dépouille des vertus ^ Elle ne tence et ne lui remet ses péchés. Car qui dé-
tombe pas tout d'un coup, il est vrai, dans livrera l'àme malheureuse du corps de cette
une si honteuse et si misérable fornication mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ
mais il est écrit « Celui qui méprise les pe-
: Notre- Seigneur*? Nous parlerons de cette
« tites choses, tombera peu à peu * ». grâce en temps et lieu, avec l'aide du Seigneur.

CHAPITRE XI. CHAPITRE XII.

l'image de l'animal DANS L'hOMME. IL SE FAIT UN CERTAIN MARIAGE MYSTÉRIEUX DANS


l'homme INTÉRIEUR. COMPLAISANCE DANS LES
16. De même
que le serpent ne marche pas PENSÉES ILLICITES.
à découvert, mais rampe par un jeu imper-
ceptible de ses anneaux ainsi le mouvement ; 17. Achevons maintenant, avec l'aide du
de déchéance commence par de faibles né- Seigneur, de traiter de cette partie de la raison
gligences, part d'une coupable ambition d'être à laquelle appartient la science, c'est-à-dire la
« 1 Cor. X, 13.— ' Id. VI, 18— • Retract., liv. II, ch. xv, n. 3.— ' Gen, m, 21. - ' Ps. xlvui, 13. — « I Cor. vm, 1. _ Rom

Eccli. XIX, 1. ,24, 25.


,

502 DE LA TRINITÉ.

connaissance des choses temporelles, acquise mal, mais qu'on passera à l'action, si la volonté
pour les opérations de celte \ie. De même que, de l'âme qui a le pouvoir de mettre les mem-
lorsdu mariage bien connu de nos premiers bres à l'œuvre ou de les empêcher d'agir, ne
parents, le serpent nemangea point du fruit consent pas et ne se prête pas à l'acte coupable.
défendu, mais détermina seulement à en man- 18. A coup sûr, par le seul fait que l'âme
ger; que, d'autre part, la femme n'en mangea se complaît par la pensée dans des choses illi-

pas seule, mais en donna à son mari et que tous cites, sans être décidée à les exécuter, mais
deux en mangèrent, bien que la femme ait retenant et méditant avec plaisir ce qu'elle
seule conversé avec le serpent et eût seule été devait repousser à la première apparition,
séduite par lui *; ainsi en est-il de ce qui se par cela seul, dis-je, on ne peut nier qu'il y
passe et se remarque dans l'homme seul; il ait péché, mais un péché beaucoup moins

est séparé de la raison de la sagesse par suite grave que s'il y avait parti pris de passer à
d'un secret mystérieux mariage avec le
et l'action. 11 faut donc demander pardon pour
mouvement de l'âme sensuelle, le mouve- des pensées de cette sorte, se frapper la poi-
ment charnel ou, pour ainsi dire, la ten- trine, en disant : « Pardonnez-nous nos offen-
dance vers les sens du corps qui nous est « ses», puis faire ce qui suit et ajouter dans la
commune avec les animaux. En efTet, c'est par prière : «Comme nous pardonnons à ceux qui
le sens du corps que les choses matérielles se « nous ont oflensés^ ». Car il n'en est pas ici,
font sentir, et c'est par la raison de la sagesse comme dans le cas de nos deux premiers pa-
que les choses spirituelles, éternelles et im- rents, où chacun ne répondait que pour sa
muables sont comprises. Or, le goût de la personne, tellement que si la femme seule eût
science est voisin de la raison puisque la , mangé du fruit défendu, elle eût certainement
science, qu'on appelle d'action, raisonne sur seule été punie de mort. On ne peut pas dire
les objets matériels qui se font sentir par le que si, dans l'iionime pris isolément, la pensée
sens du corps : et si elle en raisonne bien, seule se complaît dans des choses illicites dont
c'est pour rapporter cette science à la fin ulté- elle devait se détourner immédiatement, sans
rieure qui est le souverain bien; si elle en qu'ily ait d'ailleurs volonté d'exécuter le mal,
raisonne mal, c'est pour s'y délecter et y cher- mais seulement délectation causée par rémi-
cher le repos d'une félicité trompeuse. niscence, on ne peut pas, dis-je, prétendre que
Quant à cette intention de l'àme, raison- la pensée seule mérite punition, comme une
nant vivement et par besoin d'agir sur les femme sans mari -.non, gardons-nous de le
choses temporelles et matérielles, le sens char- croire. Car ici il n'y a qu'une personne, il n'y
nel ou animal insinue un certain attrait à a qu'un homme, et il sera condamné tout en-
jouir de soi, c'est-à-dire à user de soi comme tier, à moins que ces péchés commis par la
d'un bien propre non comme d'unet privé, et simple pensée, par la seule complaisance en
bien public et commun qui est le bien immua- des choses illicites, sans volonté de passer à
ble, alors c'est comme le serpent parlant à la l'exécution , ne soient remis par la grâce du
femme. Or céder à cet attrait, c'est manger du Médiateur.
fruit défendu que si ce consentement se borne
: 19. Ainsi cette discussion dont le but était
à la délectation de la pensée, et que l'autorité de chercher dans toute âme humaine un cer-
du conseil supérieur retienne les membres et tain mariage rationnel entre la contemplation
les empêche de s'abandonner au péché comme et l'action, avec distribution d'emplois, sans
des instruments d'iniquité-; ce sera comme nuire à l'unité de l'âme, cette discussion, dis-
si la femme mangeait seule du fruit défendu. je, à part ce que la divine Ecriture nous ra-
Mais si le consentement à mal user des choses conte en toute vérité des deux premiers hom-
qui se font sentir par le sens du corps, va jus- mes vivants, mari et femme, souche du genre
qu'à décider que tout péché sera, autant que humain, n'a pas d'autre but que d'expliquer
possible, complété par le corps, cette fois je comment l'Apôtre, en attribuant l'image de
me femme donnant à son mari le
figure la Dieu à l'homme et non à la femme a voulu, ,

fruit défendu pour qu'il en mange avec elle. dans la ditlerencemême du sexe, nous inviter
Car il n'est pas possible de décider qu'on ne se à chercher quelque chose qui fût propre à
contentera pas de se délecter dans la pensée du chaque être humain, pris isolément.
1 Gen. m, 1-6. — ' Rom. vi, 13. Matt. VI, 12.
LIVRE XII. — TRINITÉ DANS LA SCIENCE. 503

CHAPITRE XIII. sans lesquelles cette vie est impossible ; et


cela, non pour nous conformer à \ ce siècle
OPINION DE CEUX QUI ONT VOULU REPRÉSENTER
en établissant notre fin dans ces biens et en
LAME PAR l'homme ET LES SENS PAR LA
dirigeant vers eux le désir du bonheur, mais
FEMME.
pour agir en vue d'acquérir les biens éternels,
20. Je sais que, dans les temps qui nous dans tout ce que nous faisons de raisonnable
ont précédés, d'excellents défenseurs de la dans l'usage des biens temporels, prenant
foi catliolique et commentateurs des divines ceux-ci en passant et ne nous attachant qu'à
Ecritures , en cherchant ces deux principes ceux-là.
dans l'homme pris à part, et croyant voir une CHAPITRE XIV.
sorte de paradis dans son àme tout entière,
DIFFÉRENCE ENTRE LA SAGESSE ET LA SCIENCE. LE
ont pensé que l'homme représentait l'intelli-
CULTE DE DIEU CONSISTE DANS SON AMOUR. COM-
gence et la femme le sens du corps. En y réflé-
MENT LA SAGESSE DONNE LA CONNAISSANCE IN-
chissant sérieusement, tout semblerait s'ac-
TELLECTUELLE DES CHOSES ÉTERNELLES.
commoder parfaitement à cette hypothèse que
rhomme est l'intelligence et la femme le sens La science a aussi sa juste mesure: c'est
corporel ; si ce n'est qu'il est écrit que, parmi quand ce qui enfle ou a coutume d'enfler en
tous les animaux et tous les oiseaux, on ne elle est dominé par la charité éternelle qui,
trouva point d'aide semblable à l'homme, et elle, n'enfle pas, comme nous le savons, mais
qu'alors la femme fut tirée de son côté K Voilà édifie ^ Sans la science, en etlct, on ne saurait
pourquoi je n'admets |)as que la femme repré- acquérir les vertus qui font la bonne conduite
sente le sens corporel, puisque nous voyons et guident à travers cette misérable vie, du
qu'ilnous est commun avec les animaux; j'ai manière à atteindre la vie éternelle, qui est
cherché quelque chose qui manquât à ceux-ci, proprement la vie heureuse.
et j'ai préféré voir le sens corporel représenté 22. Cependant il y a une différence entre la
par le serpent qui nous est donné pour le contemplation des choses éternelles et l'action
plus rusé de toutes les bêtes de la terre-. En qui consiste dans l'usage des choses tempo-
effet, entre les biens naturels qui nous sont relles la première est attribuée à la sagesse,
:

comnmns avec les animaux privés de raison, la seconde à la science. Quoiqu'on puisse
il possède à un haut degré une certaine viva- aussi donner à la sagesse proprement dite le
cité de sens non pas ce sens dont il est parlé
; nom de science, dans le sens où l'Apôtre dit :

dans ce passage de l'épître aux Hébreux : « Maintenant je connais imparfaitement; mais


« C'est pour les parfaits qu'est la nourriture « alors je saurai aussi bien que je suiscDnnu
« solide, pour ceux qui ont habituellement « moi-mêmeH — et par science, il entend
« exercé leurs sens au discernement du bien ici évidemment la contemplation de Dieu, qui
« et du mal ^ » car ces sens de la nature rai-
; est la sublime récompense des saints cepen- ; —
sonnable appartiennent à l'intelligence mais ; dant quand le même Apôtre dit ailleurs « A :

ce sens quintuple, distribué en diverses par- « l'un est donnée par l'Esprit la parole de sa-

ties du corps, et à l'aide duquel, non-seule- « gesse, à un autre la parole de la science

ment l'homme, mais les animaux perçoivent « selon le même Esprit *


», il distingue sans
les figures et les mouvements. aucun doute entre ces deux choses, bien qu'il
21. Du reste, de quelque manière qu'on n'explique pas en quoi elles diffèrent ni à
interprète les paroles de l'Apôtre appelant quel signe on peut les reconnaître. Mais en
l'homme l'image et la gloire de Dieu, et la lisant et relisant les saintes Ecritures ,
j'ai
femme la gloire de l'homme*, il reste évident trouvé, dans le livre de Job, ces paroles attri-
que, quand nous vivons selon Dieu, notre buées au saint homme : « La piété, voilà la
àme, attentive à ses perfections invisibles, doit « sagesse ; la fuite du mal, voilà la science ^».
se former à son propre avantage sur son Cette distinction fait comprendre que la sa-
éternité, sa vérité, sa charité mais qu'une ; gesse appartient à contemplation
la et la
partie de notre attention rationnelle, c'est-à- science à l'action. Par piété. Job entend ici le
dire de notre àme , doit être appliquée à culte de Dieu , ce que les Grecs appellent
l'usage des choses changeantes et matérielles,
• Rom. XII, 2.- ' 1 Cor. vui, 1.— ' Id. xiu, 12.— • Id. xu, 8.—
• Gen. II, 20-22.— ' Id. m, 1.— ' Heb. v, 14.— ' I Cor. xi, 7. ' Job, xxvui, 28.
,
. ,

504 DE LA TRINITÉ.

; car c'est là le terme qui se lit dans les


esoaéêEia les sens du corps. Et non-seulement les rai-
exemplaires grecs. sons intellectuelles et immatérielles des choses
Mais, dans les choses éternelles, qu'y a-t-il sensibles occupant l'espace subsistent sans être
de plus grand que Dieu, dont la nature est la dans l'espace; mais les raisons mêmes des
seule immuable? Et qu'est-ce que son culte, mouvements passagers, intellectuelles, elles
sinon son amour, qui nous fait désirer de le aussi, et non sensibles, subsistent en dehors
voir, et croire et espérer le verrons? que nous du cours du temps. Il n'est donné qu'à un
Or, en proportion de nos progrès, « nous petit nombre de les atteindre par le regard de
a voyons maintenant à travers un miroir en l'âme; et quand on y parvient autant que —
« énigme, mais alors » nous le verrons dans cela est possible — l'esprit ne saurait s'y fixer;

sa manifestation. Car c'est ce que l'Apôtre veut son regard est comme ne peut
repoussé, il

dire par ces mots « face à face * » , et aussi ce songer qu'en passant à des choses qui ne pas-
qu'exprime saint Jean en ces termes « Mes : sent pas.
« bien-aimés, nous sommes maintenant en- Cependant cette pensée, en passant par les
ctfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce enseignements que l'âme reçoit, tombe dans
« que nous serons nous savons que lorsqu'il ;
le domaine de la mémoire, où elle pourra du

« apparaîtra, nous serons semblables à lui moins revenir, puisqu'elle ne peut pas s'y
« parce que nous le verrons tel qu'il est * » fixer. Et si elle ne revient pas à la mémoire,

Dans ces passages et dans tous ceux de ce pour y retrouver ce qu'elle lui avait confié
genre, me
semble qu'il est question de la
il alors, comme une ignorante, elle sera recon-
sagesse; tandis que la fuite du mal, que Job duite comme la première fois à la source où
appelle la science , appartient sans aucun elle avait d'abord puisé, dans la vérité imma-
doute à l'ordre temporel. Car c'est dans le térielle, type serait de nouveau im-
d'où le

temps que nous sommes sujets aux maux que primé dans la mémoire. Si par exemple la
nous de\ons éviter pour arriver aux biens raison d'un corps carré reste en elle-même
éternels. Par conséquent tout ce que nous immatérielle et immuable, la pensée de
faisons avec prudence, force, tempérance et l'homme ne saurait cependant à s'y fixer,

justice, appartient à cette science ou doctrine supposer qu'il puisse la concevoir en dehors
qui règle nos actions en vue d'éviter le mal de l'espace local. Ou encore si le rhythme d'un
et de nous procurer le bien. Il en est de même son produit par l'art de la musique, en pas-
de tous les exemples à rejeter ou à imiter et , sant à travers le temps, peut être saisi, on
de tous les documents propres à éclairer notre peut aussi, en dehors du temps, dans un in-
conduite qui nous sont fournis par la con-
,
time et profond silence, y penser au moins
naissance de l'histoire. tant qu'on peut l'entendre chanter; cependant
23. Il me semble donc que tout ce qu'on ce que le de l'âme en aura pris en
regard
dit là-dessus se rapporte à la science, et qu'il passant et comme
au vol, qu'elle aura ensuite
ne faut pas confondre ce langage avec celui savouré, digéré et mis en réserve dans sa mé-
qui a trait à la sagesse, à laciuelle appartient, moire, elle pourra le ruminer, pour ainsi
non ce qui a été ou ce qui sera, mais ce qui dire en souvenir et faire passer dans ses con-

est : toutes les choses qui sont dites passées, naissances acquises ce qu'elle aura ainsi ap-
présentes et futures à cause de l'éternité où pris. Que si l'oubli a tout effacé, l'enseigne-

elles existent, sans aucun changement dû au ment peut ramener de nouveau ce qui était

temps. Car elles n'ont pas été pour cesser entièrement perdu et le faire retrouver tel

ne laissent pas d'être à présent


d'être, ni elles qu'il était.

pour exister à l'avenir; mais l'être qu'elles CHAPITRE XV.


ont aujourd'hui elles l'ont toujours eu et
CONTRE LA RÉMINISCENCE DE PLATON ETDEPYTHA-
,

l'auront à jamais. Or, leur existence n'est


GORE. PYTHAGORE DE SAMOS. COMMENT IL FAUT
point locale, comme celle du corps; mais, CHERCHER LA TRINITÉ DANS LA SCIENCE DES
dans leur nature immatérielle elles sont ,
CHOSES TEMPORELLES.
aussi intelligibles et perceptibles pour le re-

gard de l'intelligence, que les objets qui oc-


cupent l'esprit sont visibles ou palpables pour
» 1 Cor. xm, 12. — » 1 Jean, ai, 2.
24. Platon, cet illustre philosophe, est parti
de ce point pour établir en principe que les
âmes des hommes ont vécu ici-bas avant même 1
LIVRE XII. — TRINITÉ DANS LA SCIENCE. 505

d'être unies à leurs corps ; d'où il concluait vées dans d'autres corps, tous, ou à peu près
qu'apprendre était moins acquérir une con- tous, les auraient, puisque, dans cette opinion,
naissance nouvelle que d'en rappeler une an- on suppose un passage perpétuel de la vie à la
cienne. Il apporte en preuve l'exemple de je mort et de la mort à la vie, comme de la veille
ne sais quel enfant, qui, interrogé sur la géo- au sommeil et du sommeil à la veille.
métrie répondit comme un homme con-
, 25. Si donc la vraie différence entre la sa-
sommé dans cette science. Questionné gra- gesse et la science consiste en ce que la con-
duellement et d'une manière capricieuse, il naissance des choses éternelles appartient à la
voyait ce qu'il fallait voir et disait ce qu'il avait première, tandis que la connaissance ration-
vu. Mais si ce n'était là qu'une réminiscence nelle des choses temporelles est du domaine
de choses autrefois connues, tous ni même le de la seconde, il n'est pas difficile de juger à
plus grand nombre ne seraient pas capables laquelle des deux il faut donner ou refuser la
de répondre à des interrogations de ce genre; préférence. Mais s'il faut chercher un autre
car tous n'ont pas été géomètres dans leur vie signe caractéristique pour discerner ces deux
antérieure, puisqu'il y a si peu de géomètres choses, entre lesquelles l'Apôtre reconnaît évi-
parmi les hommes qu'en trouver un est une demment une différence, quand il dit : « A l'un
rareté. Il faut plutôt croire que la nature de « est donnée par l'Esprit la parole de sa-
l'àme intelligente est telle que, d'après le des- « gesse ; à un autre la parole de science par le
sein du Créateur, découvre tout ce qui se
elle (I même Esprit » ; tout au moins entre les
rattache naturellement aux choses intellec- deux qui nous occupent la différence est par-
tuelles , au moyen d'une certaine lumière faitement claire: l'une est la connaissance
immatérielle spéciale, sid gêner is, de la même intellectuelle des choses éternelles; l'autre, la
manière que l'œil de la chair voit ce qui l'en- connaissance rationnelle des choses temporel-
toure à l'aide de cette lumière matérielle qu'il personne n'hésitera à mettre celle-là au-
les, et

peut recevoir et pour laquelle il a été orga- dessus de celle-ci. Ainsi donc quand, laissant
nisé. Car s'il n'a pas besoin de maître pour décote ce qui appartient à l'homme extérieur,
distinguer le blanc et le noir, ce n'est pas nous aspirons à nous élever intérieurement au-
parce qu'il les a connus avant d'être créé dessus de tout ce qui nous est commun avec
dans le corps. En outre, pourquoi est-ce seu- les animaux avant de parvenir à la connais-
:

lement dans les choses intellectuelles qu'il sance des choses intellectuelles et supérieures,
arrive de voir quelqu'un répondre conformé- qui sont éternelles, nous rencontrons la con-
ment à une science qu'il ignore? Pourquoi naissance rationnelle des choses temporelles.
personne ne le peut-il pour les choses sensi- Trouvons donc en celle-ci, si cela est possible,
bles, à moins de les avoir vues de ses pro- une espèce de trinité, comme nous en avons
pres yeux, ou de s'en rapporter à ceux qui les trouvé une dans les sens de notre corps et dans
ont connues et en ont écrit ou parlé ? les images qui s'introduisent par leur entre-

Car il ne faut pas en croire ceux qui racon- mise dans notre àme ou dans notre esprit :

tent quePythagore de Samos se rappelait cer- ainsi en place des objets matériels perçus
,

taines choses qu'il aurait éprouvées, lorsqu'il au dehors par le sens corporel, nous au-
habitait un autre corps sur cette terre ce : rons intérieurement des ressemblances de
qu'on rapporte aussi de quelques autres qui corps imprimées dans la mémoire, desquelles
auraient fait la même expérience. Ce sont là la pensée se formera à l'aide d'un tiers, de la

de fausses réminiscences, telles que nous en volonté qui saura les unir ; tout comme le re-
éprouvons dans les songes, quand il nous sem- gard des yeux est aussi formé par la volonté
ble nous souvenir d'avoir fait ou vu ce que qui l'apphque à l'objet visible pour produire
nous n'avons jamais fait ni vu. Ces sortes d'af- la vision, et les unit l'un à l'autre, en se posant
fections se produisent aussi, même en dehors elle-même en tiers.
du sommeil, sous Tintluence des esprits mé- Mais ne rattachons point à ce livre des idées
chants et trompeurs, qui s'attachent à afl'errair trop succinctes sur ce sujet. Réservons-nous,
ou à créer des idées fausses sur les émigra- siDieu nous aide, de donner à ces recherches
tions des âmes, afin de tromper les hommes. une étendue suffisante dans le livre suivant, et
Et la preuve est que si c'étaient là de vrais d'exposer le résultat de nos découvertes.
souvenirs se rattachant à des sensations éprou-
LIVRE TREIZIÈME.
Trinité dans la science.— Eloge de la foi chrétienne. —
Comment la foi des croyants est individuelle. — Tous désirent bon- le
heur, et cependant tous n'ont pas la foi qui conduit au bonheur. Or cette foi ne se trouve que dans leChrist qui ressus-
est
cité d'entre les morts ; lui seul peut délivrer de l'esclavage du démon par la rémis.^ion des péchés. — Ce n'est point par la

force, mais par la justice, que le Christ a dû vaincre le démon : quand les paroles de la foi sont confiées à mémoire, il se
la

forme dans l'âme une sorte de trinilé, puisque les sons des paroles sont dans la mémoire, même quand l'homme n'en forme
aucune pensée ; que^ quand il y pense, la vision de la mémoire prend naissancej et qu'enfin la volonté unit le souvenir
et la pensée.

CHAPITRE PREMIER. « bité parmi nous (et nous avons vu sa gloire


« comme la gloire qu'un fils unique reçoit de
LES ATTRIBUTIONS DE LA SAGESSE ET DE LA SCIENCE,
« son père) plein de grâce et de vérité '
».
d'après LES ÉCRITURES.
La première partie de ce texte de l'Evangile
1. Dans le livre précédent, le douzième de que j'ai cité en entier se rapporte à ce qui est
l'ouvrage, nous avons suffisamment cher- immuable et éternel et dont la contemplation
ché entre la fonction
à établir la diflerence nous rend heureux; dans ce qui suit, les
de l'âme raisonnable agissant dans les choses choses éternelles se trouvent mêlées aux
temporelles, qui ne renferme pas seulement choses temporelles. Par conséquent certaines
la connaissance, mais s'étend aussi à l'action ; choses y ont trait à la science, et d'autres à la
et l'autre fonction plus parfaite de la même sagesse, suivant la distinction établie dans le
âme consistant dans la contemplation des douzième livre. En effet ces paroles « Au :

choses éternelles et se bornant à la connais- « commencement était le Verbe, et le Verbe


sance. Il est à propos, ce me semble, de citer « était en Dieu et le Verbe était Dieu ; c'est lui

ici quelques passages des Ecritures, pour « qui au commencement était en Dieu. Toutes
rendre cette distinction plus sensible. « choses ont été faites par lui et sans lui rien
2. Saint Jean commence ainsi son évangile : « n'a été fait. Ce qui a été fait, en lui était
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe vie était la lumière des hommes,
« la vie, et la

« était en Dieu et le Verbe était Dieu. C'est lui « et la lumière luit dans les ténèbres, et les
« qui au commencement était en Dieu. Toutes « ténèbres ne l'ont pas comprise » ces paroles, ;

« choses ont été faites par lui, et sans lui rien dis-je, se rapportent à la vie contemplative et

« n'a été fait. Ce qui a été fait , en lui était présentent un objet qu'on ne peut voir que
« la vie, et la vie était la lumière des hommes, par l'âme intellectuelle. Et, là, il est hors de
« et lalumière luit dans les ténèbres et les , doute que plus on fera de progrès, plus on
« ténèbres ne l'ont pas comprise. 11 y eut un deviendra sage. Mais, d'après ce qui suit «La :

a homme envoyé de Dieu dont le nom était , « lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres

«Jean. Celui-ci vint comme témoin pour « ne l'ont pas comprise », la foi était évidem-

« rendre témoignage à la lumière, afin que ment nécessaire pour croire ce qu'on ne voyait
« tous crussent i)ar lui. 11 n'était pas la lumière, pas. Par ténèbres, l'évangéliste entend ici les

« mais il devait rendre témoignage à la lu- cœurs des hommes qui se détournent de cette
« mière. Celui-là était la vraie lumière, qui lumière et sont incapables de la voir; c'est
« illumine tout homme venant en ce monde. pourquoi il ajoute « Il y eut un homme en-
:

« 11 était dans le inonde , et le monde a été « voyé de Dieu, dont le nom était Jean; celui-

faitpar lui et le monde ne l'a pas connu. 11 « ci vint comme témoin pour rendre témoi-

« est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas « gnage à la lumière, afin que tous crussent

« reçu. Mais il a donné le pouvoir d'être faits « par lui ». Voici déjà qui s'est passé dans le

« enfants de Dieu, à tous ceux qui l'ont reçu, temps et appartient à la science que procure
«à ceux qui croient en son nom; qui ne sont la connaissance de l'histoire. Or, nous nous

«point nés du sang, ni de la volonté de la figurons Jean comme un homme, d'après la


« chair, ni de la volonté de l'homme, mais de notion de la nature humaine imprimée en
« Dieu. Et le Verbe a été fait chair, et il a ha- 'Jean, l, 1-14.
LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOI. 507

noire mémoire. En ceci croyants et incrédules rieures. est intérieure; parce que la foi aux
sont d'accord car tous savent ce que c'est
: que choses qui ne se voient pas, est visible, et

l'homme, dont ils ont connu la partie extérieure; qu'elle se le temps au cœur des
forme dans
c'est-tà-dire le corps, par les yeux du corps, et hommes en disparaît quand de fidèles ils
. et

la partie intérieure, c'est-à-dire l'àme, par deviennent infidèles. Mais quelquefois on croit
eux-mémf^s, puisqu'ils sont hommes connais- : à des choses fausses; il est même reçu dans
sance qui s'entretient par leurs rapports avec lelangage de dire On a ajouté foi à un tel,:

l'humanité, en sorte qu'ils peuvent saisir le etil a trompé. C'est avec raison que cette sorte

sens de ces expressions « Il y eut un homme : de foi —


si elle mérite ce nom disparaît du —
«dont le nom était Jean », puisqu'ils con- cœur, quand la vérité, une fois découverte,
naissent des noms pour en avoir entendu et l'en exfiulse. Or il est désirable que la foi aux
en avoir exprimé eux-mêmes. Quant à ce choses vraies devienne la réalité même. On
qu'on ajoute « Envoyé de Dieu » les croyants
: , ne peut pas dire en effetque la foi a dis-
l'admettent, les incrédules en doutent ou en paru, quand on voit ce que Ton croyait. Mais
rient. Néanmoins les uns et les autres, à moins peut-on encore lui ^conserver le nom de foi,

d'être du nombre de ces insensés extravagants, après la définition que donne l'Apôtre dans
qui disent en leur cœur : a II n'y a point de TEpître aux Hébreux , oii il dit que la foi

« Dieu *
en entendant ces paroles, ont
», tous est la conviction des choses qu'on ne voit
la même pensée, savent ce que c'est que Dieu, point '
?

ce que c'est que d'être envoyé par Dieu et ; i. Les paroles qui suivent : « Celui-ci vint
s'ils ne le savent pas exactement, ils en ont du « comme témoin pour rendre témoignage à
moins une idée quelconque. a la lumière, afin que tous crussent par lui»,
3. Or, cette foi que chacun voit en son cœur, se rapportent, comme
nous l'avons dit, à l'ac-
comme présente s'il est croyant, comme ab- tion temporelle. En
dans le temps effet, c'est

sente s'il est incrédule, nous la connaissons qu'on rend témoignage de la chose éternelle,
par un autre moyen que les sens. Il n'en est (jui est la lumière des intelligences. C'est pour

plus ici comme des corps que nous voyons de rendre témoignage de cette chose qu'est venu
nos yeux corporels, et auxquels nous pouvons Jean qui « n'était point la lumière, mais pour
penser en dehors de leur présence, ou au « rendre témoignage à la lumière ». Car l'E-

moyen de leurs images imprimées en notre vangéliste ajoute : « Celui-là était la vraie lu-
mémoire; ni comme
que nous des choses « mière. qui illumine tout homme venant en
n'avons pas vues, dont nous nous formons, «ce monde. Il était dans le monde, et le
d'après celles que nous avons vues, une idée « monde a été fait par lui, et le monde ne l'a
quelconque que nous confions à notre mé- « Il est venu chez lui, et les siens
pas connu.
moire pour y recourir à volonté, et voir ces « ne l'ont point reçu». Ceux qui savent notre
choses, ou plutôt pour voir en souvenir leurs langue comprennent toutes ces expressions
images que nous avons fixées plus ou moins d'après les choses qu'ils connaissent. De ces
exactement; ni comme d'un homme vivant, choses, les unes nous sont connues par les sens
dont l'àme, bien (jue nous ne la voyions pas, du corps, comme l'homme, par exemple,
nous est connue par la nôtre, dont les mou- comme le monde, dont nous voyons si claire-
vements corporels attestent la vie à nos yeux, ment l'étendue, comme tessons de ces paroles
et que nous pouvons encore revoir parla pen- mêmes, car l'ou'ie est aussi un sens; les autres
sée. Non ce n'est pas ainsi que la foi se fait
: ne sont comprises que par la raison de l'àme,
Toir dans le cœur où elle habite, par celui qui comme celles-ci par exemple : « Et les siens
la possède mais il la connaît d'une science
; « ne l'ont pas reçu ». Le sens est en eff'et : Ils
très-certaine et par le cri de sa conscience. Et n'ont pas cru en lui, et cette idée, ce n'est
bien que l'on nous ordonne de croire, préci- point par les sens du corps, mais par la rai-
sément parce que nous ne pouvons voir ce son de l'àme, qu'elle vient en nous. Quant aux
que l'on nous ordonne de croire, néanmoins paroles mêmes —
je ne parle pas des sons,
nous voyons cette foi en nous, (}uand elle y est : mais de leurs significations nous les avons —
parce que la foi aux choses même absentes, apprises en partie par le sens du corps, en partie
est présente parce que la foi aux choses exté-
;
par la raison de l'àme. Ce n'était pas pour la
• Ps. ÏIU, 1. « Héb. XI, 1.
508 DE LA TRINITÉ.

première fois que nous les entendions, mais vés de raison, appartient à l'homme intérieur,
celles que nous avions entendues, et non- — et on ne peut dire qu'il nous soit commun
seulement ces paroles, mais aussi leurs signi- avec les animaux privés de raison.
fications —
nous les connaissions, nous les
tenions dans notre mémoire, et nous n'avons CHAPITRE U.
lait que les reconnaître ici. Le dissyllabe
LA FOI VIEM DU CŒUR ET NON DU CORPS ELLE :

« monde », par exemple, en tant que son, est


EST EN MÊME TEMPS C0M3IUNE ET INDIVIDUELLE
une chose matérielle et se perçoit par le corps,
CHEZ TOUS LES CROYANTS.
c'est-à-dire par l'oreille ; mais ce qu'il signifie
est aussiconnu par le corps, c'est-à-dire par 5. Or la foi, dont notre raison sent le besoin
les yeux de la chair. En effet le monde, en de parler plus longuement dans ce livre, celle
tant qu'il est connu, est connu par la vue. dont la possession fait ce qu'on appelle les
Mais ce mot de quatre syllabes, credideriint fidèles, et la privation , les infidèles — les in-
(ils ont cru), en tant que son, est aussi connu fidèles, comme
ceux qui n'ont pas reçu le
par l'oreille de la chair, puisqu'il est maté- Fils de Dieu venant chez lui la foi, dis-je, —
riel ; seulement ce n'est plus le sens du corps, bien qu'elle nous vienne par tradition, n'ap-
mais la raison de l'àme, qui en fait connaître partient cependant pas à ce sens du corps
la signification. En
nous ne connais-
efl'et, si qu'on appelle l'ouïe, parce qu'elle n'est pas
sions pas par notre àme ce que signifie Ils : un son ni aux yeux de la chair, parce qu'elle
;

n'ont pas cru, nous ne saurions pas quelle est n'est ni une couleur, ni une forme de corps ;

la chose que n'ont pas voulu faire ceux dont ni au sens qu'on appelle le toucher, parce
on dit « Et les siens ne l'ont pas reçu ». Le
: qu'elle n'a rien de palpable ; ni enfin à aucun
son du mot frapi)e donc extérieurement les sens corporel, parce qu'elle est de une affaire
oreilles du corps, et atteint le sens qu'on ap- cœur, et non de corps. Elle n'est point non
pelle l'ouïe. La forme de l'homme est égale- plus en dehors de nous, mais au plus intime
ment une connaissance imprimée en nous- de notre être personne ne la voit chez un
;

mêmes, et extérieurement présente aux divers autre, mais chacun la voit en soi. Enfin elle
sens du corps aux yeux, quand on le voit
:
; peut n'exister qu'en apparence et être sup-
aux oreilles, quand on l'entend au toucher, ; posée là où elle n'est pas. Ainsi, chacun voit
quand on le tient et qu'on le touche notre ; en soi sa propre foi il la croit chez un autre
;

mémoire en garde même l'image, incorporelle sans la voir, et l'y croit avec d'autant plus
il est vrai , mais semblable à un corps. d'assurance, qu'il aperçoit mieux les fruits
Le monde enfin, cette merveilleuse beauté, qu'elle a coutume de produire par la charité '.
est aussi extérieurement présent et à nos C'est pourquoi elle est commune à tous ceux
yeux, el à ce sens qu'on appelle le toucher, dont l'Evangéliste parle, quand il ajoute :

quand nous en touchons quelque chose mais, ; « Mais il a donné le pouvoir d'être faits en-

au dedans de nous encore, notre mémoire en cefants de Dieu, à tous ceux qui l'ont reçu , à
garde l'image à laquelle nous recourons par la « ceux qui croient en son nom qui ne sont ;

pensée quand nous sommes renfermés entre


, « point nés du sang, ni de la volonté de la

des murailles ou plongés dans les ténèbres. Du « chair, ni de la volonté de l'homme, mais de

reste, nous nous sommes assez étendu, dans « Dieu ». Celte foi, dis-je, est commune, non

le onzième livre, sur ces images des choses pas à la manière d'une forme corporelle, vi-
matérielles, immatérielles elles-mêmes, mais sible pour tous les yeux, mais à peu près dans
semblables aux corps et appartenant à la vie le sens où l'on dit de la figure humaine qu'elle

de l'homme extérieur. Maintenant il s'agit de est commune à tous les hommes, bien que
l'homme intérieur et de sa science des choses chacun ait la sienne.
temporelles et Quand pour
changeantes. ,
C'est en effet, avec la plus parfaite vérité,
atteindre son but , emprunte
cette science que nous disons que la foi de ceux qui croient
quelque chose à ce qui appartient à l'homme la même chose provient d'une doctrine abso-
extérieur, ce doit être pour en tirer un ensei- lument une. Mais autre chose sont les objets

gnement à l'appui de la science rationnelle. de la foi, autre chose la foi elle-même. Ceux-là
C'est ainsi que l'usage rationnel de ce que consistent en des choses que l'on dit être ac-
nous avons de commun avec les animaux pri- » Gai. V, 6.
LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOI. 509

tuellement, ou avoir été, ou devoir être ; tan- représentation suivante ce que tous les spec-
dis que la foi est dans l'âme du croyant, vi- tateurs penseraient et désireraient, et au jour
sible seulement pour celui qui la possède, fixé, au milieu d'une foule plus nombreuse

quoiqu'elle existe aussi chez les autres, non que jamais, pendant que tous étaient silen-
pas elle précisément, mais une autre toute cieux et en suspens s'écria
, dit-on Vous
, :

semblable. Car c'est par le genre, et non par voulez tous acheter à bon marché et vendre
le nombre qu'elle est une et nous la disons ; cher. Cette plaisanterie de bouffon, imprévue
une plutôt que multiple, à cause de la res- et pourtant conforme à la vérité, rencontra
semblance et de l'absence de toute diversité. un écho dans toutes les consciences, et d'im-
Quand nous voyons deux hommes parfaite- menses applaudissements éclatèrent. Or ,

ment semblables nous disons qu'ils n'ont , pourquoi la promesse de manifester la volonté
qu'une figure pour les deux et nous en de tout le monde excita-t-elle une si vive cu-
sommes étonnés. Il serait plus juste de dire riosité, sinon parce que chacun ignore la vo-
qu'il y avait beaucoup d'âmes aies prendre — lonté des autres? Et pourtant ce comédien
chacune en particulier chez ceux dont il — ignorait-il celle-là ? Est-il personne qui
est dit aux Actes des Apôtres, qu'ils n'avaient l'ignore ? Et quelle en est la raison si ce ,

qu'une âme ', que de se hasarder à avancer n'est parce qu'on peut raisonnablement for-
qu'il y a autant de fois que de fidèles, quand mer certaines conjectures sur les autres
l'Apôtre dit : « Il y a une seule foi * ». Et ce- d'après soi-même, en vertu de l'uniformité
pendant celui qui a dit « femme, ta foi est : des affections et des tendances de nos défauts
« grande ^ » et à un autre ;« Homme de peu : ou de notre nature ? Mais autre chose est de
« de foi, pourquoi as-tu douté ^? » laisse assez voir sa propre volonté, autre chose d'établir
entendre que chacun a la sienne. Mais on dit des conjectures, môme les mieux fondées, sur
de la foi de ceux qui croient les mêmes choses, la volonté d'un autre. En fait de choses hu-
qu'elle est une, comme on le dit de la volonté maines, je ne suis pas plus certain de l'exis-
de ceux qui veulent les mêmes choses bien ;
tence de Rome que j'ai vue, que de celle de
que parmi ceux qui veulent les mêmes choses, Constantinople que je ne connais que sur le
chacun ne connaisse que sa volonté, et ignore témoignage d'autrui. Ce bouffon, soit en se
celle de son voisin, bien que celui-ci veuille considérant lui-même, soit par l'expérience
la même chose ; et si ce voisin manifeste sa des hommes , était convaincu que tout le

volonté par des signes, on croit encore à cette monde désire acheter à bon marché et vendre
volonté plutôt qu'on ne la voit. Assurément cher. Mais comme au fond c'est un défaut,
personne, ayant conscience de soi-même, ne chacun peut acquérir la justice à ce point de
s'approprie cette volonté; seulement il l'en- vue, ou tomber dans quelque autre défaut
trevoit clairement. opposé à celui-là, de manière à lui résister et
à le vaincre. J'ai connu un homme à qui on
CHAPITRE III. offrait un livre à acheter, et qui s'apercevant
au bon marché que le marchand en ignorait
CERTAINES VOLONTÉS ÉTANT LES MÊMES CHEZ la valeur, lui en donna, à son grand étonne-

TOUS , SONT CONNUES DE CHACUN EN PARTI- ment, le juste prix qui était bien plus consi-
CULIER. dérable. Et si un homme était descendu assez
bas dans le vice pour vendre à vil prix l'héri-
6. Il existe, dans une nature vivante et tage de ses parents, et acheter à tout prix la

douée de raison, une telle uniformité de ten- satisfaction de ses passions? Ce genre de luxe
dance, que, bien que l'on ne connaisse pas la n'est pas impossible, je pense ; si on cherchait
volonté de l'autre, il est cependant des volon- bien, on en trouverait des exemples, et même,
tés générales qui sont connues de chacun en sans chercher, on rencontrera peut-être des
particulier, tellement que l'individu, ignorant hommes qui, plus coupables que les person-
ce que veut tel autre individu, sait cependant nages de théâtre et dépassant tout ce qui se
ce que tous veulent sur certains points. De là débite et se représente sur la scène, achètent le
cette charmante facétie d'un comédien, qui déshonneur à grand prix, et vendent à vil
avait promis sur le théâtre de révéler dans la prix leurs domaines. J'ai aussi connu des
' Act. IV, 32.— » Eph. IT, 5.— ' Matt. XV, 28.— ' Id. XIV, 31. hommes qui, par générosité, achetaient des
510 DE LA TRINITÉ.

grains plus cher et les vendaient à meilleur viendrait la divergence d'opinions, à peu près
marché à leurs concitoyens. comme s'il s'agissait de trouver un lieu en
Ce que le vieux poëte Ennius a dit o Tous : ce monde où quiconque désire le bonheur
« les mortels aiment la louange», il l'a dit serait sûr de le trouver, et comme si on ne

d'après ce qu'il avait éprouvé de lui-mcmc et cherchait pas aussi bien où est le bonheur
de quelques autres, il l'a conjecturé de tous, qu'en (juoi il consiste.
et [)araît bien avoir exprimé un goût univer- En effet, s'il consiste dans la volupté du
sel. Si le bouffon eût dit vous aimez tous la : corps, celui qui jouit de celle volupté est
louange, personne de vous n'aime le blâme, heureux; s'il consiste dans la vertu de l'âme,
on pourrait encore affirmer qu'il aurait celui qui possède cette vertu, le possède, et
exprimé une Cependant il y
vérité générale. s'il consiste dans les deux, celui qui les réu-
a des hommes
qui détestent leurs propres dé- nit a trouvé le moyen d'être heureux. Quand
fauts, qui se déplaisent à eux-mêmes sous ce donc l'un dit : Jouir de la volupté du corps,
point de vue, ne désirent point être loués par c'est cire heureux; et l'autre : Jouir de la
les autres, et sont même reconnaissants des vertu de l'âme, c'est être heureux : n'est-ce
reproches qu'on leur adresse, quand ils sont ])as ou que tous les deux ignorent ce que
inspirés par la bienveillance et dans le but de c'est que le bonheur, ou qu'ils ne le savent
les corriger. Mais si le comédien eût dit : pas tous les deux? Comment donc tous les
Vous voulez tous être heureux, personne de deux l'aimcnt-ils, si personne ne peut aimer
vous ne veut être malheureux, celle fois il ce qu'il ignore? Serait-ce que le i)rincipe que
n'aurait rencontré que ce que cbacun découvre nous avons posé comme indubitable et cer-
au fond de sa volonté. Car quel que soit l'ob- tain, à savoir que tous veulent être heureux ,

jet des plus secrets désirs, il se rattache tou- n'est qu'une fausseté ? Car, par exemple, si le
jours à celte aspiration si connue de tous et bonheur consiste à vivre vertueux, comment
chez tous. celui qui ne veut pas être vertueux, veut-il
CHAPITRE IV. être heureux? Ne serait-il pas plus juste de
dire : Cet homme ne veut pas être heureux,
LE DÉSIR DU BONHEUR EXISTE CHEZ TOUS, MAIS
car il ne veut pas être vertueux, la vertu étant
LES VOLONTÉS VARIENT BEAUCOUP SUR LA
la condition obligée du bonheur? Or, si pour
NATURE DU BONHEUR.
être heureux il faut être vertueux, tous ne
7. Tous désirant obtenir et conserver le veulent pas être heureux, il y en a môme
bonheur, il est surprenant de voir combien bien peu, car beaucoup ne veulent pas être
les volontés sont diflérenles sur la nature du vertueux. Ainsi donc ce serait une erreur, le
bonheur. Non que tous ne le désirent, mais principe sur lequel Cicéron, l'académicien,
tous ne le connaissent pas. Si, en effet, tous n'a pas élevé le moindre doute (et pour les
le connaissaient, les uns ne le placeraient pas académiciens tout est douteux) lui qui , dans
dans la vertu de l'âme, les autres dans la son dialogue, appelé Hortensius, voulant éta-
volupté charnelle, ceux-ci dans l'une et l'au- blir sa discussion sur une base incontestée,
tre, ceux-là et ceux-là encore dans mille et débute par ces mots « Il est certain que nous
:

mille autres objets différents; car pour déter- « voulons tous être heureux ». Loin de nous

miner ce que c'est que la vie heureuse, cha- la pensée de le dire Mais quoi alors? Faudra-
1

cun n'a consulté que son attrait. Comment t-il dire que, quoique le bonheur ne soit pas

donc tous éprouvent-ils une telle ardeur pour autre chose qu'une vie vertueuse, on peut ce-
ce que tous ne connaissent pas? Peut on ai- pendant désirer d'être heureux et ne pas vou-
mer ce qu'on ne connaît pas? C'est une ques- loir être vertueux? Ce serait par trop absurde.
tion que j'ai déjà traitée dans les livres |)ré- Ce serait dire celui qui ne veut pas être heu-
:

cédents '. Pourquoi donc tous désirenl-ils le reux, veut être heureux. Peut-on entendre,
bonheur, et tous ne connaissent-ils pas le peut-on supporter une telle contradiction? Et
bonheur? Serait-ce que tous savent en quoi il cependant il le faut, s'il est vrai que tous veu-
consiste, mais non où il est, et que de là pro- lent être heureux et que tous ne veulent
'
Liv. VUI, ch. IV et suiv.; liv. x, ch. iv. pas la condition essentielle du bonheur.
LIVRE XIIÏ. — TRINITÉ DANS LA FOL 5il

CHAPITRE V. que tous leurs autres désirs se ramènent à


celui-là; puisque personne ne peut aimer ce
SUITE DU MÊME SUJET.
dont il ignore absolument la nature et la qua-
8. Ou bien nous tirerons-nous d'embarras lité, et qu'il ne peut ignorer la nature de

en disant que, chacun ayant placé le bonheur l'objet qu'il sait être le but de sa volonté il :

dans ce qui le charmait davantage, Epicure s'ensuit que tout le monde connaît la vie heu-
dans la volupté, Zenon dans la vertu, et d'au- reuse. Or, tous ceux qui sont heureux ont ce
tres dans d'autres choses, nous le ferons con- qu'ils désirent, bienque tous ceux qui ont ce
sister uniquement à vivre selon son attrait, qu'ils désirent ne soient pas pour cela heu-
en sorte qu'il sera toujours vrai d'affirmer reux; mais ceux-là sont nécessairement mal-
que chacun désire d'être heureux, puis(|ue heureux qui n'ont pas ce qu'ils désirent, ou qui
chacun veut vivre de la manière qui lui plaît possèdent ce qu'il ne convient pas de désirer.
davantage? Si cette proposition eût été énon- Il n'y a donc d'heureux que celui qui tout à

cée au théâtre, chacun l'aurait retrouvée au la fois possède tout ce qu'il désire et ne désire
fond de sa volonté. Mais Cicéron s'étant fait rien qu'il soit mauvais de posséder.
cette objection, y répond de manière à faire
rougir ceux qui pensent de la sorte. « Des CHAPITRE VI.

« hommes », dit-il, « qui ne sont point phi- POURQUOI, QUAND TOUS DÉSIRENT LE BONHEUR,
« losophes, mais qui sont toujours
il est vrai,
PRÉFÈRE-T ON CE QUI ÉLOIGNE DU BONHEUR.
« prêts à discuter, disent que tous ceux qui

«vivent à leur gré sont heureux», précisé- 9. Puisque la vie heureuse est à ces deux
ment ce que nous disions vivre selon son : conditions, puisque tous la connaissent, que
attrait. Puis il ajoute « C'est évidemment
: tous la désirent, pourquoi les hommes, quand
une erreur. Car vouloir ce qui ne convient ils ne peuvent réunir ces deux conditions,
« pas, est une chose très-misérable et c'est ; préfèrent-ils avoir tout ce qu'ils désirent,
« un moindre malheur de ne pas obtenir ce plutôt que de n'avoir que de bons désirs,
« qu'on désire que de désirer ce qu'on ne doit même sans la possession ? Est-ce donc par un
pas posséder ». Parole excellente et parfai- effet de la dépravation humaine, que les hom-
tement vraie. Quel est, en effet, l'homme mes, sachant qu'on ne peut être heureux
assez aveugle d'esprit, tellement étranger à quand on n'a pas ce que l'on désire, ni quand
tout sentiment d'honneur, tellement enve- on possède ce qu'on ne doit pas désirer, mais
loppé des ténèbres de l'opprobre, qu'il appelle seulement quand on possède tous les biens
heureux, parce qu'il vit à. son gré, celui qui qu'on désire et qu'on ne désire rien de mau-
vit dans le crime et la honte, assouvit ses vo- vais que sachant cela, dis-je, et ne pouvant
:

lontés les plus coupables et les plus dégra- réunir ces deux conditions nécessaires au
dantes, sans que personne s'y oppose, ou en bonheur, ils préfèrent ce qui éloigne du bon-
tire punition, ou ose seulement hasarder un heur —
car celui qui possède l'objet de cou-
reproche, peut-être même aux applaudisse- pables désirs en est bien plus éloigné que
ments de la foule, [>uisque, selon la divine celui qui ne possède point l'objet de ses dé-
Ecriture : a Le pécheur est gloriflé dans les sirs — tandis qu'on devrait bien [)lutôt choisir
«désirs de son àme, et celui qui commet et préférer le désir du bien, même sans la
« l'iniquité, reçoit des bénédictions '? » Cer- possession de l'objet désiré? Car celui-là est
tainement, si ce pécheur n'avait pu accomplir bien près du bonheur, qui ne veut absolu-
ses criminelles volontés, tout malheureux ment que le bien, que ce qui le rendra heu-
qu'il serait,il le serait moins qu'il ne l'est. reux quand il le possédera. Et certainement
Sans doute une mauvaise volonté suffit à elle ce n'est pas le mal, mais le bien, qui procure
seule pour rendre malheureux mais le pou- ; le bonheur, quand bonheur il y a; et c'est
voir de l'assouvir rend plus malheureux en- déjà un bien et un bien d'un grand prix,
core. d'avoir la bonne volonté, celle qui désire
Ainsi donc, puisqu'il est vrai que tous les jouir des biens dont la nature humaine est
hommes désirent d'être heureux, qu'ils y capable, et nullement du mal peut
qu'elle
tendent de toute l'ardeur de leurs vœux, et commettre ou posséder ;
qui ne recherche les
« Ps. IX, 3. biens de cette misérable vie qu'avec pru-
512 DE LA TRINITÉ.

dence, tempérance, force, esprit de justice, et soit qu'ils les aient désirés, soit qu'ils aient
les acquiert dans mesure de ses forces, de
la redouté de perdre ce qu'ils aimaient, tous sa-
manière à rester bonne au milieu des maux, vaient bien que ces maux seraient passagers.
et à atteindre un jour le bonheur, quand tous Beaucoup même tendaient courageusement,
les maux seront finis et tous les biens ac- à travers des épreuves éphémères, à des biens
complis. qui ne devaient pas finir. Et certainement
CHAPITRE VII. l'espérance rend heureux ceux qui souffrent
ainsi des maux passagers, par lesquels on
LA FOI EST NÉCESSAIRE A l'uOMME POUR PAR-
achète des biens qui dureront toujours. Mais
VENIR UN JOUR AU BONHEUR, CE QUI n'aURA
être heureux en espérance, ce n'est pas encore
LIEU QUE DANS LA VIE A VENIR. RIDICULE ET
être heureux puisque c'est attendre par la
,
MISÉRABLE BONHEUR DES ORGUEILLEUX PHILO-
patience un bonheur qu'on ne possède pas en-
SOPHES.
core. Or, celui qui n'a pas cette espérance, qui
iO. Conséquemment la foi en Dieu est sur- souffre sans attendre cette récompense, celui-là
tout nécessaire en cette vie si pleine d'erreurs a beau être patient il n'est pas véritablement
:

et de peines. Il n'est pas possible d'imaginer heureux, il n'est que courageusement mal-
d'où viendraient les biens, particulièrement heureux. Car il ne cesse pas d'être malheureux
ceux qui rendent bon et ceux qui rendront parce qu'il le serait davantage, s'il supportait
heureux, s'ils ne descendent pas de Dieu sur impatiemment son malheur.
l'homme pour l'enrichir. Mais quand, au sor- Mais quand même il ne souffrirait pas en
tir de cette vie, celui qui sera resté bon et fidèle son corps ce qu'il n'y veut pas souffrir, il ne

au milieu de ses misères, entrera dans la vie serait pas heureux pour autant, puisqu'il ne
heureuse, alors il lui arrivera ce qui est abso- vit pas comme il veut. En effet, pour ne pas
lument impossible ici -bas, de vivre selon parler d'autres maux qui atteignent l'âme sans
ses désirs. En au sein de cette félicité, il
effet, blesser le corps , dont nous voudrions être
ne voudra plus le mal, il ne voudra rien de ce exempts et qui sont sans nombre, assurément
qu'il n'aura pas, et il ne lui manquera rien il voudrait, s'il était possible de maintenir son
de ce qu'il désirera. Il aura tout ce qu'il ai- corps dans cet état de santé et d'intégrité, et
mera, et ne désirera rien de ce qu'il n'aura de n'en être jamais incommodé, il voudrait
pas. Tout ce qui sera là, sera bon, le Dieu sou- que cela dépendît de sa volonté, ou de l'incor-
verain sera le souverain bien et appartiendra ruptibilité du corps lui-même. Or cela n'étant
en jouissance à ceux qui l'aiment et, pour : pas ou restant fort précaire, il ne vit certaine-

comble de bonheur, on aura la certitude que ment pas comme il veut. En effet, bien qu'il
cela durera toujours. soit disposé à accepter et à supporter cou-
Sans doute, les philosophes se sont fait cer- rageusement tout ce qui peut lui arriver de
tains genres de bonheur, au gré de leurs ca- fâcheux, il aimerait cependant mieux qu'il ne
prices, comme s'il eussent pu, par leur vertu lui arrivât rien et il fait tout ce qu'il peut pour
propre, ce qui est impossible à la condition se garantir. Il est donc prêt à l'alternative il :

liumaine, vivre comme ils voudraient. Ils désire l'un, et il évite l'autre, autant que pos-
sentaient que pour être heureux, il faut ab- sible, et si ce qu'il évite lui arrive, il le sup-
solument posséder ce qu'on désire, et ne rien portera patiemment parce qu'il n'a pu obtenir
souffrir de ce qu'on ne veut pas souiîrir. Or, qui ce qu'il désirait. 11 fait donc effort pour ne pas
ne voudrait avoir à sa disposition le genre de être accablé, mais il voudrait être débarrassé
vie qui lui plaît et qu'il appelle le bonheur, de du fardeau. Peut-on dire alors qu'il vit comme
manière à le faire toujours durer ? Mais qui le il veut ? Serait-ce parce qu'il est disposé à sup-
peut? Quel homme désire, pour l'honneur de porter de bon cœur ce qu'il aurait voulu évi-
les supporter avec courage, même les incom- ter ? Alors c'est vouloir ce qu'on peut, quand
modités qu'il veut et peut supporter quand il on ne peut pas ce qu'on veut. Pourtant voilà
les éprouve ? Qui désire vivre dans les tour- tout le bonheur —
dirai-je ridicule ? dirai-je
ments, même parmi ceux qui sauraient y vivre misérable ? —
de ces fiers mortels qui se van-
vertueux à l'aide de la patience et sans s'écar- tent de vivre comme ils veulent, parce qu'ils
ter de la justice ? Tous ceux, justes ou pé- supportent volontiers et patiemment ce qu'ils
cheurs, qui ont enduré des maux de ce genre. voudraient bien pouvoir éviter. C'est là, disent-
,

LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOI. 513

ils, lesage avis que donne Térence « Si ce que : Et quoiqu'il n'ait plus le sentiment de ses
« tu veux est impossible, tâche de vouloir ce maux — car la vie heureuse ne cesse que
« que tu peux ». Excellent conseil, qui le
' parce que toute vie a disparu —
il est cepen-

nie ? Mais conseil donné à un malheureux ,


dant malheureux tant qu'il sent, parce qu'il
pour l'empêcher d'être malheureux. Quant à sait qu'il perd malgré lui ce pourquoi il aime

celui qui possède réellement le bonheur que aime par-dessus tout


tout le reste et ce qu'il
tout le monde désire, il ne serait ni vrai ni le reste.La vie ne peut donc tout à la fois être
juste de lui dire Ce que tu veux est impossi-
: heureuse et quitter quelqu'un malgré lui cai' :

ble. Car, heureux, tout ce qu'il veut est


s'il est personne n'est heureux malgré lui. Par con-
possible, puisqu'il ne veut rien d'impossible. séquent combien ne rend-elle pas plus mal-
Mais cette vie n'appartient pas à notre con- heureux l'homme qu'elle quitte malgré lui
dition mortelle elle n'est possible qu'au sein
;
elle qui le rendrait déjà malheureux si elle
de l'immortalité. Et si l'immortalité ne peut s'imposait à lui contre son sré ?
être le partage de l'homme, c'est en vain qu'il Que s'il consent à la perdre, comment l'ap-

cherche le bonheur car il n'y a pas de bon-


: pellera-t-on heureuse, quand celui qui la pos-
heur sans l'immortalité. sède désire la voir finir ? Reste le troisième
cas,rindifférence del'homme heureux : c'est-à-
CHAPITRE VIII. dire l'hypothèse où, toute vie lui faisant défaut,
la vie heureuse l'abandonne, sans qu'il le dé-
POINT DE BONHEUR SANS l'iMMORTALITÉ.
sire, sans qu'il s'y refuse, son cœurrestant pai-
11. Puisque tous les hommes désirent être sible et prêta tout. Mais ce n'est pas encore là la
heureux, si ce désir est sincère, ils veulent vie heureuse, puisqu'elle ne mérite pas même
aussi être immortels car sans cela ils ne :
l'amour de celui qu'elle rend heureux. Est-ce
pourraient être heureux. Du reste, quand on en effet une vie heureuse, celle que n'aime pas
les interroge sur l'immortalité, ils répondent, celui qui la possède ? Et comment aimerait-
comme pour le bonheur, qu'ils la désirent on une vie à la conservation ou à la perte de
tous. Mais c'est en cette vie qu'on cherche, ou laquelle on est indifférent ? A moins que les
plutôt qu'on rêve un bonheur quelconque ,
vertus mêmes que nous aimons en vue du
[dus nominal que réel, tandis qu'on désespère bonheur, n'aillent jusqu'à nous détourner de
de l'immortalité sans laquelle le vrai bonheur l'amour du bonheur. Dans ce cas, nous cessons
est impossible. En effet, comme nous l'avons de les aimer elles-mêmes, puisque nous n'ai-
dit et suftisammeut prouvé plus haut, celui-là mons plus la seule chose, pour laquelle nous
seul vit heureux qui vit comme il veut et les aimions. Ensuite quedeviendra cet axiome

ne veut rien de mauvais. Or, ce n'est pas si senti, si rétléchi, si clair, si certain, que tous

vouloir une chose mauvaise que de vouloir les hommes désirent être heureux, si ceux qui
l'immortalité, si, par la grâce de Dieu, l'àme sont heureux ne tiennent pas à l'être ? Que
humaine en est capable et si l'âme humaine ; s'ils y tiennent, comme la vérité le crie, comme
n'en est pas capable, elle ne l'est pas non plus l'exige impérieusement la nature eu qui le

du bonheur. Car pour que l'homme vive heu- Créateur souverainement bon et immuable-
reux, il faut qu'il vive. Or, comment la vie con- ment heureux en a mis le besoin, si, dis-je ,
tinuera- t-elle à être heureuse chez celui qui ceux qui sont heureux veulent être heureux ,
meurt et abandonne ? Mais quand
que la vie évidemment ils ne veulent pas que leur bon-
la vie l'abandonne, ou c'est malgré lui, ou il y heur s'use et périsse. Or, ils ne peuvent être
consent, ou il y est indifierent. Dans le pre- heureux qu'en vivant ils ne veulent donc pas
;

mier cas, comment appeler heureuse une vie que leur vie cesse. Donc tous ceux qui sont
à laquelle on tient et dont on n'est pas maître ? heureux ou veulent l'être, désirent être im-
Et si l'homme ne peut être heureux quand il mortels. Or on n'est pas heureux, si l'on n'a
désire sans posséder, à combien plus forte pas ce que l'on veut ; donc la vie ne peut ab-
raison ne pourra-t-il l'être quand il se verra solument être heureuse, si elle n'est immor-
privé, non des honneurs, ou des biens, ou de telle.
tout autre objet, mais de la vie heureuse elle-
même, puisque toute vie aura cessé pour lui ?
' Andr. act. II, se. l, v. 5, 6.

S. AuG. — Tome XII. 33


rw't DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE IX. l'homme par compassion pour les enfants des


hommes — et cela est, puisque «le Verbe a été
CE n'est pas le raisonnement humain, mais la
donne la certitude de l'immor-
FOI qui nous
« fait chair eta habité parmi nous » hommes —
combien n'est-il pas plus croyable que ceux
talité DANS le bonheur.
qui sont par nature enfants des hommes ,
La nature humaine est-elle capable de
42. soient faits enfants de Dieu par la grâce de Dieu,
bonheur qu'elle reconnaît comme si dési-
ce ethabitent en Dieu, en qui et par qui seul ils
rable*^ voilà une grave question. Mais si I'oq peuvent être heureux, en participant à son
consulte la foi qui anime ceux à qui Jésus a immortalité ? C'est pour nous convaincre de
donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, cette vérité que le Fils de Dieu a daigné revê-
tout doute disparaît. Parmi ceux qui ont es- tir notre nature mortelle.
sayé d'appuyer cette thèse sur des raisonne-
ments humains, un bien petit nombre, doués CHAPITRE X.
d'un grand génie, ayant beaucoup de loisirs , AUCUN MOYEN n'ÉTAIT PLUS CONVENABLE QUE
très-versés dans les subtihtés des sciences, ont l'incarnation DU VERBE POUR DÉLIVRER
pu parvenir à trouver des preuves de l'im- l'homme des MISÈRES DE CETTE VIE MORTELLE.
mortalité de l'àme seulement. Néanmoins ils NOS MÉRITES SONT DES DONS DE DIEU.
n'ont pu découvrir pour elle un bonheur per-
manent, c'est-à-dire véritable car ils ont pré- : 13. C'est peu de réfuter ceux qui disent :

tendu qu'après avoir goûté ce bonheur, elle Dieu n'avait-il donc pas d'autre moyen de
rentrait dans les misères de cette vie. Et ceux délivrer l'homme des misères de cette vie
qui n'ont pas osé partager cette opinion, mais mortelle, que d'exiger que son Fils unique,
qui ont cru que l'àme, une fois purifiée, joui- Dieu éternel comme lui, se fît homme, en
rait sans son corps d'un bonheur éternel, ont prenant une âme et un corps semblables aux
émis sur l'éternité du monde des idées tout à nôtres, devînt mortel et souffrît la mort? c'est
fait contradictoires à leur opinion sur l'àme. peu, dis-je, de leur répondre en affirmant que i
Il donner ici la preuve mais
serait long d'en ; ce moyenbon, que Dieu, en daignant
était
nous croyons nous être suffisamment étendu nous délivrer par Jésus-Christ homme et
sur ce sujet dans le douzième livre de la Cité Médiateur entre Dieu et les hommes , a agi
de Dieu \ d'une manière conforme à sa dignité. Il faut
Mais la foi chrétienne se fonde sur l'autorité aussi leur prouver que si Dieu, dont le domaine
de Dieu, et non sur le raisonnement humain, sur toutes choses est absolu ne manquait
,

pour promettre l'immortalité et par con- , pas d'autres moyens également possibles,
séquent le vrai bonheur, à l'homme tout en- il n'y en avait pas, et n'y en pouvait avoir
tier, à l'homme composé d'une âme et d'un de plus convenable pour guérir notre misère.
corps. Voilà pourquoi, après que l'évangéliste en effet, de plus nécessaire, pour
Etait-il rien,
a dit que Jésus a donné « le pouvoir d'être ranimer notre espérance, pour relever nos
«faits enfants de Dieu à ceux qui Tout reçu» âmes abattues sous le fardeau de notre con-
c'est-à-dire, comme l l'explique en peu de mots,
i dition empêcher de désespérer
mortlele, les
« à ceux qui croient en son nom » après — de l'immortalité, que de nous faire voir com-
avoir ajouté comment enfants de seront faits bien Dieu nous estimait, et combien il nous
Dieu ceux « qui ne sont point nés du sang, ni aimait ? Or, élait-il possible d'en donner une
« de la volonté de la chair, ni de la volonté de preuve plus claire, plus éclatante que celle-là :

« l'homme, mais de Dieu » pour ne pas nous : le Fils de Dieu, immuablement bon, restant
décourager par la comparaison d'une si haute ce qu'il était en lui-même, prenant de nous
dignité avec ce poids d'infirmité humaine que et pour nous ce qu'il n'était pas; daignant,
nous voyons et que nous portons^ il se hâte de sans rien perdre de sa propre nature, revêtir
dire « Et le Verbe a été fait chair et il a ha-
;
lanôtre ; portant le poids de nos péchés, sans
« bité parmi nous ^ » pour nous convain- ; eu avoir commis aucun; et aussitôt que nous
cre par le contraste, d'une chose qui eût
, croyons à l'étendue de son amour, et que
semblé incroyable. En effet, si Celui qui est nous rentrons dans nos espérances perdues,
par nature Fils de Dieu, est devenu fils de nous versant ses dons, par pure générosité,
' Ch. XX. — ' Jean, i, 12, 14, sans que nous les ayons mérités en rien par
LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOL r;i:i

des bonnes œuvres, après même que nous nous Dieu qui viennent ensuite, comme s'il eût
en sommes rendus indignes par nos fautes? voulu rapprocher l'infirmité et le péché, l'ini-

14. Car ce que nous appelons nos mérites, mitié de Dieu et l'impiété.
ne sont pas autre chose que ses dons. En effet,
pour que la foi agisse par la charité ', « la cha- CHAPITRE XI.

« rite de Dieu est répandue en nos cœurs par


DIFFICULTÉ COMMENT SOMMES-NOUS JUSTIFIÉS
:

« l'Esprit- Saint qui nous a été donné ^ ». Or


PAR LE SAXG DU FILS DE DIEU ?
l'Esprit nous a été donné après que Jésus a
été glorifié par sa résurrection. 11 avait promis 15. Mais qu'est-ce que cela veut dire : «Jus-
de l'envoyer alors^ et il l'a envoyé ^ parce ;
ce tifiés par son sang? » Quelle est donc, je
que c'était alors que s'était vérifié ce qui vous demande, la puissance de ce sang, pour
avait été écrit et prédit de lui « Jfontant au : que les croyants soient justifiés par lui? et que
il a conduit une captivité captive
« ciel, il a : signifient ces mots : « Réconciliés par la mort
« donné des dons aux hommes * ». Ces dons, « de son Fils ? » Serait-ce que Dieu le Père
ce sont nos mérites, à l'aide desquels nous irrita contre nous, aurait déposé sa colère en
parvenons au souverain bien, l'immortelle voyant son Fils mourir pour nous? serait-ce
félicité. Dieu », dit l'Apôtre, « témoigne son que son Fils était déjà si bien réconcilié avec
« amour pour nous en ce que, dans le temps nous, qu'il ait daigné mourir pour nous, tan-
« où nous étions encore pécheurs, le Christ est dis que le Père était encore irrité au point de
« mort pour nous. Maintenant donc, justifiés ne pardonner qu'à condition que son Fils
« par son sang, nous serons, à plus forte rai- mourrait pour nous? Et que signifie cet autre
«son, délivrés par lui de la colère ». Ceux passage du Docteur des nations « Que dirons- :

qu'il appelait d'abord pécheurs, il les appelle « nous donc après cela ? si Dieu est pour nous,

ensuite ennemis de Dieu ; ceux qu'il disait « qui sera contre nous ? lui qui n'a pas épar-

justifiés parle sang du Christ, il les dit ensuite « gné son propre Fils, mais qui l'a livré pour

réconciliés par la mort du Fils de Dieu ; ceux « nous tous, comment ne nous aurait-il pas

qu'il faisait voir délivrés par lui de la colère, « donné toutes choses avec lui ? » Est-ce que '

il montre ensuite déhvrés par sa vie. Ainsi,


les si lePère n'eût pas été déjà apaisé il aurait
avant d'avoir reçu cette grâce, nous n'étions livré son propre Fils pour nous, sans aucun
pas des pécheurs quelconques, mais pécheurs ménagement ? Tout cela n'a-t-il pas l'air de se

jusqu'à être ennemis de Dieu. Or, plus haut le contredire d'une part, le Fils meurt pour
?

même Apôtre nous avait appliqué, à nous nous, et par sa mort le Père se réconcilie
pécheurs et ennemis de Dieu, deux expres- avec nous d'autre part, comme si le Père
;

sions, dont l'une semble un terme radouci, eût été premier à nous aimer, par égard
le

mais dont l'autre est un terme effrayant, I)Our nous il n'épargne pas son Fils et le livre
quand il disait « En effet, le Christ, lorsque
: pour nous à la mort. Je vois même que le
« nous étions encore infirmes, est mort, au Père nous a aimés plus tôt encore, non-seule-
«temps marqué, pour des impies* ». Ces ment avant que son Fils mourût, mais même
infirmes, il les appelle impies. Sans doute l'in- avant de créer le monde, ainsi que l'Apôtre en
firmité est peu grave par elle-même mais elle ; rend témoignage en disant « Comme il nous :

peut aller jusqu'à s'appeler impiété. Or, s'il « a élus en lui avant la fondation du monde ^» .

n'y avait pas d'infirmité, il n'y aurait pas Et le Fils, que le Père ménage si peu, n'a pas
besoin de médecin ; et c'est le sens du mot été livré pour nous malgré lui car c'est de lui ;

hébreu « Jésus », en grec suTrp, en latin « Sal- qu'on a dit « Qui m'a aimé et s'est lui-même
:

« vator». La langue latine ne connaissait pas « livré pour moi ^». Donc le Père et le Fils et

ce mot; elle pouvait se le donner, et elle l'a leur Esprit commun font tout ensemble et
pris dès qu'elle l'a voulu. Mais ces mots de dans un parfait accord. Néanmoins nous avons
l'Apôtre « Lorsque nous étions encore infir-
: été justifiés par le sang du Christ, et nous
« mes, il est mort, au temps marqué, pour avons été réconciliés avec Dieu par la mort de
a des impies », se rattachent étroitement aux son Fils. C'est ce que je vais expliquer du
deux expressions de pécheurs et d'ennemis de mieux que je pourrai et autant que cela me
paraîtra nécessaire.
' Gai. y, 6. —Rom. v, 5.
» — • Jean, xx, 22, vu, 39, xv, 26. —
* Eph. IV, 8 ; Ps. Lxvii, 19. - ' Rom. v, 6-10. ' Rom. v;ii, 31, 32. — » Eph. I, 4. — » Gai. u, 20.
516 DE LA TRINITÉ.

CHAPITRE XII. de Dieu, mais seulement par sa permission,


juste pourtant. Dès qu'il a eu abandonné le
PAR LE PÉCHÉ d'aDAM, TOUS LES HOMMES 0>'T
pécheur, l'auteur du péché a fait irruption. Et
ÉTÉ LIVRÉS AU POUVOIR DU DÉMON.
encore Dieu n'a pas tellement abandonné sa
\6. En vertu d'un certain décret de la jus- créature qu'il n'ait continué à lui faire sentir
tice divine, legenre humain a été livré au son action créatrice et vivifiante, et qu'il n'ait
pouvoir du démon, le péclié du premier mélangéde beaucoup de biensles maux qui sont
homme se transmettant originellement chez lapeinedu péché :caril n'a pasenchaînésamisé-
tous ceux qui naissent de l'union de l'homme ricorde dans sa colère *. Et en permettant que

et de la femme, et la dette des premiers l'homme fût au pouvoir du démon, il n'a pas
parents engageant tous leurs descendants. pour cela perdu ses droits sur lui puisque le :

Cette tradition est consignée en premier lieu démon lui-même n'est pas soustrait au pouvoir
dans Genèse, où après avoir dit au serpent :
la du Tout-Puissant, pas même à sa bonté. Car
oTu mangeras de la terre «, Dieu a dit de qui les mauvais anges tiennent-ils leur
à l'homme « Tu es terre et tu retourneras en
: existence, quelle qu'elle soit, sinon de celui
« terre *
». Ces mots: « Tu retourneras en qui donne la vie à tout? Si donc, par un juste
« terre», contiennent mort contre un arrêt de effet de la colère de Dieu, l'acte du péché a
le corps, qui n'aurait pas dû mourir, si jeté l'homme sous l'empire du démon ;
par
l'homme eût persévéré dans l'état de justice la bienveillante réconciliation de ce même
où il avait été créé mais en disant à l'homme ; Dieu, la rémission des péchés arrache l'homme
vivant « Tu es terre »
: Dieu indique que , à l'esclavage du démon.
l'homme tout entier a subi une déchéance.
En etfet « Tu es terre », est l'équivalent de
: :
CHAPITRE XIII.

« Mon esprit ne demeurera pas dans ces hom-


CE n'est pas par un acte de puissance, 3IAIS
ct mes, parce qu'ils sont chair - ». Le Seigneur
PAR UN ACTE DE JUSTICE, QUE l'hOMME A DU
faisait que l'homme était livré
donc voir par là
ÊTRE ARRACHÉ AU POUVOIR DU DÉMON.
à celui à qui il avait été dit « Tu mangeras de :

« la terre ». C'est ce que l'Apôtre explique plus 17. Ce n'est pas par la puissance, mais par
clairement quand il dit « Et vous, il vous a :
la justice de Dieu que le démon a dû être
a vivifiés lorsque vous étiez morts par vos
, vaincu. Cependant qu'y a-t-il de plus puissant
«offenses et par vos péchés, dans lesquels que le Tout-Puissant ? quelle puissance créée
« autrefois vous avez marché, selon la coutume peut être com parée à la puissance du Créateur ?
« de ce monde, selon le prince des puissances Mais le démon, par Teffet de sa propre per-
« de l'air, de l'esprit qui agit efficacement à versité, étant devenu avide de pouvoir, et
« cette heure sur les fils de la défiance, parmi ayant abandonné et combattu la justice et ;

a lesquels nous tous aussi nous avons vécu, les humains suivant son exemple d'autant
« selon nos désirs charnels, faisant la volonté plus près qu'ils abandonnentou haïssent
«de de nos pensées; ainsi nous
la chair et davantage pour s'attacher au pou-
la justice,
«étions par nature enfants de colère comme voir, se réjouir de l'avoir acquis ou brûler du
« tous les autres ^ ». Les fils de défiance sont désir de l'obtenir: Dieu a pensé que pour
les infidèles : et qui ne l'a pas été avant d'être arracher l'homme au pouvoir du démon, il
fidèle ? C'est pourquoi tous les hommes sont fallait vaincre celui-ci, non par la puissance,
originellement sous le prince des puissances mais par la justice, hommes, à
afin que les

de l'air, « qui agit efficacement sur les de fils l'imitation du démon


Christ, vainquissent le
« défiance». Et quand je dis originellement, par la justice, et non par la puissance. Non
j'entre dans la pensée de l'Apôtre qui s'accuse qu'il faille rejeter la puissance comme un mal :

d'avoir été « par nature » comme les autres: mais il faut rester dans l'ordre, qui assigne à
par la nature dégradée par le péché, et non la justice le premier rang. Et au fait, quel
phis dans l'état de justice où elle avait été peut être le pouvoir des mortels ? qu'ils restent
créée. Quant à la manière dont l'homme a été fidèles à la justice tant qu'ils sont mortels le :

livré au pouvoir du démon, il ne faut pas pouvoir leur viendra quand ils seront immor-
entendre que ce soit par un acte ou un ordre tels. Comparé à celui-ci, le pouvoir des hommes

• Gen. m, 14, 19. — ' là. vi, 3. — • Eph. ii, 1, 3. • Ps. LXSVI, 10.
.

LIVRE XIII. — TRINITE DANS LA FOI. 517

qu'on appelle ici-bas des puissants, quelque que les hommes désirent être puissants, mais
grand qu'il puisse être, n'est qu'une faiblesse pour dominer leurs semblables. Et à quoi
ridicule et là où les méchants semblent pou-
; bon, sinon pour être de vrais vaincus et de
voir davantage, la fosse se creuse pour le faux vainqueurs; pour être réputés vain-
pécheur. Le juste au contraire chante et dit : queurs, sans l'être réellement? Que l'homme
M Heureux l'homme que vous instruisez, Sei- désire donc être prudent ,
qu'il désire être
« gneur, et que vous éclairez par votre loi. fort, tempérant, juste , et qu'il souhaite le
« Il sera en paix aux jours de l'infortune, quand pouvoir de le devenir sérieusement; qu'il
« la fosse se creusera pour le pécheur. Car le ambitionne d'être puissant en lui-même, et
« Seigneur ne rejettera pas son peuple, et il chose étrange! contre lui-même pour lui-
« ne délaissera pas son héritage jusqu'à ce ,
même. Quant aux autres avantages qu'il a
« que la justice revienne au jugement, et près raison de désirer, mais qu'il ne peut encore
« d'elle sont tous ceux qui ont le cœur posséder, comme l'immortalité, par exemple,
« droit ^ » et le bonheur véritable et parfait, qu'il ne
Ainsi donc, si l'époque où le peuple de Dieu cesse de les poursuivre de ses vœux et de les
sera puissant est encore différée Dieu « ne
, attendre avec patience.
« rejettera pas son peuple et il ne délaissera
« pas son héritage quelques rigueurs, quel- »,
CHAPITRE XIV.
ques indignités que celui-ci éprouve dans son LA MORT VOLONTAIRE DU CHRIST A SAUVÉ
humilité et dans sa faiblesse, « jusqu'à ce que LES HOMMES CONDAMNÉS A MORT.
« la justice », à laquelle les hommes pieux res"
tent fidèles dans leur infirmité, c< revienne au 18. Quelle est donc la justice qui a vaincu
«jugement », c'est-à-dire reçoive le pouvoir le démon? Pas d'autre que celle de Jésus-
de juger honneur réservé aux justes, quand
: Christ. Et comment le démon a-t-il été vaincu ?
la puissance succédera en son temps à la jus- Parce que ne trouvant rien en Jésus-Christ
tice qui l'aura précédée. En effet, la puissance qui méritât la mort, il l'a néanmoins fait
accordée à la justice, ou la justice appuyée mourir. Evidemment il est donc juste que les
sur la puissance, constitue le pouvoir judi- débiteurs qu'il encLaînait soient libérés,
ciaire. Or, la justice appartient à la bonne quand ils croient en Celui qu'il a
mourir fait
volonté ; ce qui a fait dire aux anges lors de quoiqu'il ne dût rien. Voilà en quel sens on
la naissance du Christ : c< Gloire à Dieu au dit que nous sommes justifiés par le sang du
« plus haut des cieux, et, sur la terre, paix Christ \ Ainsi ce sang innocent a été répandu
« aux hommes de bonne volonté - ». Mais la pour la rémission de nos péchés. Voilà aussi
puissance doit suivre la justice, et non la pré- pourquoi le Christ se dit, par la voix du Psal-
céder ; voilà pourquoi elle a sa place dans la miste, libre entre les morts \ Car seul il est
prospérité, [res secundœ, secundœ venant de mort affranchi de la dette de la mort. C'est ce
sequor). En effet, deux choses, comme nous qui lui fait dire dans un autre psaume « J'ai :

l'avons expliqué plus haut, constituent le « payé ce que je ne devais pas » et par dette ^^
:

bonheur : vouloir le bien et pouvoir ce que ici il entend le péché, espèce de rapine com-

l'on veut. Or, ce serait un désordre, et ce dé- mise contre la loi. Aussi a-t-il dit de sa propre
sordre est impossible, comme nous l'avons
si, bouche, d'après l'Evangile « Voilà que le :

également exposé, Fhomme avait le choix de « prince de ce monde est venu, et il n'a rien

pouvoir ce qu'il veut, sans s'inquiéter de ce « trouvé en moi », c'est-à-dire il n'y a trouvé

qu'il doit vouloir : tandis qu'au contraire il aucun péché « mais afin que tous sachent
;

doit d'abord avoir une bonne volonté et en- « que je fais la volonté de mon Père, levez-

suite un grand pouvoir. Or, une bonne vo- « vous, sortons d'ici * ». Et il s'en va à sa

lonté doit être exempte des vices dont l'effet passion, pour acquitter, lui qui ne devait
est, quand ils dominent l'homme, de l'en- rien, la dette que nous avions contractée. Ce
traîner à vouloir le mal. Alors que deviendrait droit si bien fondé sur l'équité aurait-il
sa bonne volonté ? Il faut donc désirer aussi triomphé du démon si le Christ eut voulu ,

le pouvoir, mais le pouvoir de triompher des agir en vertu de la puissance, et non par la
vices. Or, ce n'est pas pour vaincre leurs vices
' Rem. V, 9. — ' Ps. Lxxxvii, 6. — • Ps. Lxvm, 5. — '
Jean, xiv '
* Ps. xcm, 1:2-15. — ' Luc, ii, 11. 30,31.
.

518 DE LA TRINITÉ.

justice? Mais a rejeté au second rang ce


il CHAPITRE XV.
qu'il pouvait, pour mettre au premier rang
SUITE DU MEME SUJET.
ce qu'il fallait. Voilà pourquoi il fallait qu'il

fût homme et Dieu. S'il n'eût pas été homme, 19. 11 n'est pas difficile de voir que le dé-
il n'auraitpu être mis à mort s'il n'eût pas ; mon est vaincu, du moment que celui qu'il a
été Dieu, on n'aurait pas cru qu'il ne voulait tué est ressuscité. Il y a quelque chose déplus
pas ce qu'il pouvait, mais bien qu'il ne pou- grand, d'une raison plus profonde, à voir ce
vait pas ce qu'il voulait; nous ne croirions même démon vaincu , alors qu'il croyait te-
pas qu'il a préféré la justice à la puissance ,
nir la victoire, quand le Christ
c'est-à-dire
mais bien que la puissance lui aurait fait dé- étaitmis à mort. Car alors ce sang apparte- ,

faut. Mais maintenant il a enduré pour nous nant à un homme absolument innocent, était
des souffrances humaines, parce qu'il était répandu pour la rémission de nos péchés :

homme; et s'il ne l'eût pas voulu, il aurait en sorte que le démon était obligé de relâcher
pu ne pas souffrir, parce qu'il était Dieu. La ceux qu'il enchaînait à juste titre, les coupa-
justice a emprunté des charmes à l'abaisse- bles qu'il tenait sous l'empire de la mort, de
ment^ parce qu'il aurait pu, s'il l'eût voulu, les relâcher, dis-je, et à bon droit, par celui
ne pas supporter cet abaissement, en vertu du qu'il avait fait mourir qiioiqu'innocent de
pouvoir qui est si grand dans la divinité. tout péché. C'est par cette justice que le fort
C'est ainsi qu'en mourant, quoique armé a été vaincu, c'est par ce lien qu'il a été en-
d'une si grande puissance, il nous a fait ap- chaîné, afin qu'on pût ravir ce qu'il possé-
précier, à nous mortels impuissants, la jus- dait ', et changer en vases de miséricorde les
tice et la puissance qu'il nous a promises. Il vases de colère qui étaient chez le démon,
a fait l'un en mourant, et l'autre en ressusci- avec lui et avec ses anges^ Ce sont les paroles
tant. En eflet, qu'y a-t-il de plus juste que de mêmes que Notre-Seigneur Jésus-Christ fit
souffrir pour la justice jusqu'à la mort de la entendre à l'apôtre Paul, au premier moment
croix? Et qu'y a-t-il de plus puissant que de de sa vocation, d'après le récit de l'Apôtre lui-
ressusciter d'entre les morts et de monter au même. En effet, entre autres choses qu'il en-
ciel avec la chair même dans laquelle il a été tendit, voici ce qu'il rapporte « Je ne t'ai :

immolé? lia donc vaincu le démon d'abord « apparu que pour t'établir ministre et témoin
par la justice, ensuite par la puissance : par « des choses que je t'ai fait voir et de celles
la justice, puisqu'il était sans péché et que le « pour lesquelles je t'apparaîtrai encore, te
démon a commis une souveraine injustice en « délivrant des mains du peuple et de celles
le faisant mourir; par la puissance, puis- « des gentils vers lesquels je t'envoie mainte-
qu'étant mort, il est ressuscité pour ne plus ce nant, pour ouvrir les yeux des aveugles,
jamais mourir '. Cependant il aurait vaincu « afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la
le démon par la puissance, quand même il « lumière et de la puissance de Satan à Dieu ,

n'aurait pu être tué par lui quoique au : « et qu'ils reçoivent la rémission des péchés
fait c'est une plus grande preuve de puissance « et une part entre les saints par la foi en
de vaincre la mort même en ressuscitant, que «moi^». Voilà pourquoi le même Apôtre,
de l'éviter en vivant. Mais c'est pour une autre exhortant les fidèles à rendre grâces à Dieu le

raison que nous sommes justifiés par le sang Père, leur disait Qui nous a arrachés de
: «

du Christ, quand nous sommes arrachés au « la puissance des ténèbres et transférés dans

pouvoir du démon par la rémission des pé- « le royaume du Fils de sa dilection, en qui

chés et cette raison, c'est que le Christ a


: « nous avons la rédemption pour la rémis-

vaincu le démon par la justice, et non par la « sion des péchés * ». Dans cette rédemption

puissance. En efTet, en vertu de l'infir-


c'est le sang du Christ a été donné pour nous
mité qu'il a revêtue en prenant notre chair comme rançon, mais une rançon qui en-
mortelle, et non en vertu de sa puissance chaîne le démon au lieu de l'enrichir, telle-

immortelle, que le Christ a été crucifié. Et ment que nous sommes dégagés de ses chaî-
l'Apôtre dit de celte infirmité : « Ce qui est nes, et qu'il ne peut plus entraîner avec lui,
« faiblesse en Dieu est plus fort que les hom- dans le filet du péché, à l'abîme de la seconde
« mes ^ »
— xxvi —
» Marc, m, 27. ' Rom, IX, 22, 23. ' Act. , 16-18.
' Rom. \i, 9. — ' II Cor. i, 25. Col. I, 13, M.
LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOI. 519

mort, qui mort éternelle \ aucun de


est la afinde faire désirer plus vivement et chercher
ceux que le Christ, exempt de toute dette, a avec plus d'ardeur cette autre vie, où le bon-
rachetés au prix de son sang versé pour nous heur sera véritable et immortel. Mais là-des-
sans qu'il y fût obligé. Désormais ils meurent sus nous nous en tenons à ce que dit l'Apôtre :

dans la grâce du Christ à laquelle ils appar- a Or, nous savons que tout coopère au bien

tiennent, connus, prédestinés et élus avant la « pour ceux qui aiment Dieu, pour ceux qui ,

fondation du monde % puisque le Christ est « selon son décret, sont appelés à être saints.
mort pour eux de la mort de la chair seule- « Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il
ment, et non de celle de l'esprit. « les a aussi prédestinés à être conformes à
« l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même
CHAPITRE XYI. a le premier-né entre beaucoup de frères. Et
« ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés et ;
LA MORT ET LES MAUX DE CE MONDE TOURNENT
« ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ;
AU BIEN DES ÉLUS. COMBIEN ÉTAIT CONVENA-
« et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glori-
BLE LA MORT DU CHRIST POUR NOUS JUSTIFIER.
« fiés » De ces prédestinés pas un seul ne périra
.
CE QUE c'est que LA COLÈRE DE DIEU.
avec le démon pas un seul ne restera sous la
;

20. Bien que la mort de la chair ait pris puissance du démon jusqu'à la mort. Puis
son origine dans le péché du premier homme, l'Apôtre ajoute ce que j'ai déjà cité plus haut :

cependant son saint usage a fait de très-glo- « Que dirons-nous donc après cela ? Si Dieu

rieux martyrs. Voilà pourquoi non-seule- ,


« est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui

ment la mort, mais tous les maux de ce monde, « n'a pas épargné même son propre Fils, mais

les douleurs et les travaux des hommes, quoi- « qui l'a livré pour nous tous, comment ne

que résultant du péché, et surtout du péché « nous aurait-il pas donné toutes choses avec

originel, qui a enchaîné la vie à la mort, « lui 1


? »

ont dû subsister après la réinission des pé- 21 Pourquoi la mort du Christ n'aurait-elle
.

chés, pour donner à l'homme l'occasion de pas eu lieu ? Bien plus, pourquoi, parmi les
combattre pour pour exercer la
la vérité innombrables moyens que le Tout-Puissant
,

vertu des que le nouvel homme


fidèles, afin avait à sadisposition,pour nous délivrer, n'au-

se préparât par un nouveau testament à une rait-il pas donné la préférence à celui-ci ? Sa

vie nouvelle, à travers les maux de ce monde, divinité ne perdait rien, ne subissait aucun

en supportant courageusement la misère que changement. Et son Fils, en revêtant notre


lui a attirée une vie coupable, en se félicitant humanité procurait aux hommes cet im-
,

humblement delà voir bientôt finir, en atten- mense avantage, que la mort temporelle et
dant avec patience et fidélité le bonheur qui nullement due de celui qui était tout à la fois
sera le partage immortel de la vie future com- Fils éternel de Dieu et fils de l'homme, les dé-

plètement affranchie. livrerait de la mort éternelle qu'ils avaient mé-

Car le démon expulsé du domaine et des ritée. Le démon tenait nos péchés sous sa main,

cœurs dp;s fidèles sur lesquels il régnait à


,
et par eux nous clouait justement à la mort.

raisorx fje'lèur condamnation et de leur infidé- Celui qui n'en avait pas commis, les a pardon-
lité, quoique condamné lui-même, le démon, nés, et a été condamné à la mort par le démon

dis-je, n'a permission de les combattre que contre toute justice. Or, son sang a été d'un
durant- cette existence mortelle, et dans la me- tel prix, que celui même qui avait fait souffrir

sure où le juge utile à leurs intérêts Celui dont au Christ une mort temporelle et imméritée,
les saintes Ecritures nous disent hautement n'a pu retenir dans la mort éternelle aucun de

par la bouche de l'Apôtre « Dieu est fidèle et :


ceux qui l'avaient encourue, dès qu'ils ont été
« il ne souffrira pas que vous soyez tentés par- revêtus du Christ. « Ainsi, Dieu témoigne son
« amour pour nous, en ce que, dans le temps
cedessus vos forces mais il vous fera tirer
;

« profit de la tentation même, afin que vous « où nous étions encore pécheurs, le Christ est

« mort pour nous. Maintenant donc, justifiés


« puissiez persévérer^ ». Or, ces maux pieuse-
servent ou à ex- « par son sang, nous serons, à plus forte rai-
ment supportés par les fidèles
pier les péchés, ou à exercer éprouver la
et « son, délivrés par lui delà colère » . « Justifiés

vertu, ou à faire ressortir la misère de celte vie « par son sang », dit l'Apôtre; évidemment
Apoc. ixr, 8. — - J Pierre, l, 20. I Cor. X, 13.
'
Rom. vill, 28, 32.
.

o20 DE LA TRINITE.

en ce que nous sommes délivrés de tous les qu'il ne devait pas, nous aaifranchis des dettes
péchés; mais délivrés de tous les péchés parce de notre père et des nôtres. Et comme le dé-
que le Fils de Dieu, qui n'avait pas de péché ,
mon nous tenait tous sous son esclavage à
a été mis à mort pour nous. « Nous serons » cause du premier Adam qui nous avait engen-
donc « délivrés par lui de la colère ». Car la drés par sa concupiscence viciée et charnelle,
colère n'est paschez Dieu commechez l'homme, ilest juste qu'il nous laisse tous libres à cause

un trouble de l'àme. C'est la colère de celui à du second Adam qui nous a régénérés par sa
qui l'Ecriture sainte dit ailleurs: «Pour vous, grâce spirituelle et immaculée.
a Seigneur des vertus, vous jugez avec calme ^ »

Eh bien si c'est là le nom de la juste ven-


!
CHAPITRE XVII.

geance de Dieu, qu'est-ce que la vraie récon- AUTRES AVANTAGES DE l'iNCARNATION.


avec lui sinon la fin de ce courroux ?
ciliation
Nous étions ennemis de Dieu, exactement dans 22. 11 y a bien d'autres points de vue dignes
le même sens que les péchés sont ennemis de d'attention et de réflexion dans l'incarnation
la justice; ces péchés une fois remis, toutes du Christ, qui déplaît tant aux orgueilleux.
ces inimitiés disparaissent, et Dieu se récon- Par exemple, comprendre à l'homme
elle fait

cilie avec le juste qu'il justifie lui-même. Mais quelle place il tient parmi les êtres que Dieu
ces ennemis, il les aimait déjà puisqu'il : a créés, puisque la nature humaine a pu être
« n'a point épargné même son propre Fils ,
unie à Dieu si étroitement que deux substan-
« mais qu'il l'a livré pour nous tous », dans ces, et par là même, trois : Dieu, l'âme et la
le temps où nous étions encore pécheurs. chair, n'aient formé qu'une personne. Ainsi
L'Apôtre a donc raison d'ajouter ensuite : ces esprits orgueilleux et méchants, qui inter-
« Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, viennent, en apparence pour aider, en réalité
« nous avons été réconciliés avec lui par la pour tromper , n'osent plus se préférer à
« mort de son Fils », mort qui a procuré la l'homme par la raison qu'ils n'ont pas de
rémission des péchés, « à bien plus forte rai- corps ; surtout, le Fils de Dieu ayant daigné
ffson, réconciliés, serons-nous sauvés par sa mourir dans la chair, ils ne peuvent plus se
« vie » sauvés par sa vie, après avoir été récon-
:
adorer comme dieux par la raison qu'ils
faire

ciliés par sa mort. Qui peut, en effet, douter sont immortels. En outre, la grâce de Dieu,
qu'il donnera sa vie à ses amis, lui qui leur a accordée sans aucuns mérites antérieurs, éclate
donné sa mort quand ils étaient ses ennemis? visiblement dans le Christ fait l'homme car
:

« Non-seulement cela » continue l'Apôtre , ,


le Christ lui-même n'avait point mérité anté-
« mais nous nous glorifions en Dieu par Notre- rieurement d'être si étroitement uni au vrai
a Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant Dieu que le Fils de Dieu ne fît qu'une seule
a nous avons obtenu la réconciUation » « Non- . personne avec lui mais il n'a commencé à ;

ceseulement», dit-il, nousserons sauvés, «mais être Dieu que du moment où il a été homme :

« nous nous glorifions », non pas en nous , ce qui fait dire à l'évangéliste « Le Verbe a :

mais « en Dieu », ni par nous, mais « par « été fait chair * ». Autre avantage l'orgueil :

« Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui main- de l'homme, principal obstacle à son union
« tenant nous avons obtenu la réconciliation», avec Dieu, a pu être confondu et guéri par le
dans le sens que nous avons expliqué plus profond abaissement d'un Dieu. Par là encore
haut. Après quoi l'Apôtre ajoute: « C'est pour- l'homme mesure la distance qui le séparait de
« quoi, comme le péché est entré dans le monde Dieu, et peut apprécier ce que lui vaut le re-
« par un seul homme, et la mort par le péché, mède de la douleur, puisqu'il ne revient que
« mort a passé dans tous les hommes
ainsi la par l'entremise d'un médiateur, qui, comme
« par celui en qui tous ont péché - ». Et la Dieu, vient au secours des hommes, et, comme
suite du texte, où l'Apôtre parle plus au long homme, se rapproche d'eux par l'infirmité.
des deux hommes l'un, le premier Adam,
: Ensuite quel plus beau modèle d'obéissance ,
celui qui a transmis à sa postérité deux maux pour nous qui nous étions perdus par désobéis-
héréditaires, le péché et la mort ; l'autre, le sance, que celui de Dieu le Fils, obéissant à
second Adam, qui n'est pas homme seulement, i/ieu le Père jusqu'à la mort de la croix ^ ?
mais aussi Dieu, qui, en payant pour nous ce D'ailleurs où pouvait-on nous montrer une
'
Sas. X") IS- — ' Rom. v, 8-12. ' Jean, l, 14. — ' Phil. il, 8.
LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOL 521

plus belle récompense de Tobéissance que dans Mais telle que nous l'éprouvons maintenant,
la chair grand médiateur, ressuscité
d'un si elle combat, nous
le sentons, la loi de l'esprit,
pour la vie éternelle ? Enfin il était digne de ellestimule la passion charnelle, même en
la justice et de la bonté du Créateur que le dehors de l'union conjugale si on lui cède , ;

démon fût vaincu par cette même créature elle ne s'assouvit qu'en péchant ; si on lui ré-
raisonnable qu'il se flattait d'avoir vaincue, et siste, elle s'agite sous le frein : et peut-on
provenant de ce même genre humain que la douter que ces deux inconvénients aient été
faute d'un seul avait vicié dans son origine et inconnus dans le paradis à l'homme encore
livré à son pouvoir. innocent ? Car, là, l'innocence excluait tout
péché, et bonheur, tout trouble. Donc il
le
CHAPITRE XVIII. était nécessaire que cette concupiscence char-
nelle fût bannie, quand une Vierge concevait
POURQUOI LE FILS DE DIEU A PRIS SON HUMANITÉ
Celui en qui l'auteur de la mort ne devait
DANS LA RACE d'ADAM ET DANS LE SEIN d'UNE
rien trouver qui méritât la mort, bien qu'il
VIERGE.
dût la lui donner, pour être à son tour vaincu
23. Assurément Dieu pouvait prendre la na- par la mort de l'auteur de la vie lui le vain- :

ture humaine, qui devait servir de médiatrice queur du premier Adam et le maître du genre
entre Dieu et l'homme, ailleurs que dans la humain, vaincu par le second Adam et per-
race d'Adam, de celui qui avait souillé par son dant ses droits sur le peuple chrétien, lequel
péché tout le genre humain il avait bien créé ; est délivré, au milieu du genre humain, du
Adam lui-même, sans lui donner de parents. crime de l'humanité par celui qui était
Il pouvait donc, ou de cette manière, ou de exempt de crime, quoique membre de la race
toute autre, créer un autre Adam pour vain- humaine en sorte que le trompeur a été
:

cre celui qui avait vaincu le premier. Mais il vaincu par l'espèce qu'il avait vaincue par le
a jugé convenable de tirer de la race vaincue crime. Et tout cela s'est fait pour que l'homme
l'homme qui devait servir à vaincre Tennemi ne s'enfle pas d'orgueil, pour que « celui qui
du genre humain. Néanmoins, il a voulu le « se glorifie, se glorifie dans le Seigneur ^ ».
faire naître d'une Vierge, quel'Espritet non la En effet le vaincu n'était qu'un homme, et il
chair, la foi et non la passion, ont rendue fé- a été vaincu parce qu'il voulait être dieu,
condeMci point de cette concupiscence sen- tandis que le vainqueur était homme et Dieu ;

suelle, origine commune des esclaves du péché et le fils d'une Vierge a vaincu, parce que
originel; c'est bien au-dessus de ses atteintes, Dieu ne se contentait pas de le gouverner
par non par l'union charnelle, que la
la foi et comme les autres saints, mais s'était humble-
sainte virginité a été fécondée il fallait que ; ment revêtu de précieux dons de
lui. Or, ces
le fruit qui devait naître de la race du premier Dieu et tant d'autres qu'il serait trop long de
homme, tînt de lui son origine, et non son rechercher et d'exposer ici, n'eussent point
crime. En effet, ce qui naissait ici n'était plus existé, si le Verbe n'avait pas été fait chair.
une nature viciée par la contagion originelle,
mais un remède, l'unique remède à tous les CHAPITRE XIX.
vices de l'humanité. Ce qui naissait, dis-je, c'é-
QUELLE EST LA PART DE LA SCIENCE, ET QUELLE
tait un homme qui n'avait point de péché, qui
EST LA PART DE LA SAGESSE DANS LE VERBE
n'en pouvait jamais avoir, et qui devait rendre
INCARNÉ.
la vie,en les délivrant du péché, à ceux qui
ne pouvaient naître sans péché. Car, bien que 24, Pour revenir à la distinction qu'il s'agit
la chastetéconjugale dirige à bonne fin la d'établir, tout ce que le Verbe, fait chair pour
concupiscence charnelle dont le siège est dans nous, a fait et souffert dans le temps et dans
les parties sexuelles, toutefois cette concupis- l'espace, appartient à la science et non à la
cence a des mouvements involontaires qui sagesse. Quant au Verbe, considéré en dehors
prouvent assez ou qu'elle n'a pu exister dans du temps et de l'espace, coéternel au Père et
le paradis terrestre avant le péché, ou que, si partout tout entier, tout ce qu'on en peut dire
elle y existait, de nature à se
elle n'était pas de conforme à la vérité, est parole de sagesse :

soustraire parfois à l'empire de la volonté. par conséquent le Verbe fait chair, qui est le
' Luc, I, 26-3S. » II Cor. JC, 17.
F)22 DE LA TRINITÉ.

Christ Jésus, renferme tout à la fois les tré- nelles. Quant aux principaux philosophes
sors de la sagesse et de la science. C'est ce païens qui ont pu comprendre les perfections
que l'Apôtre écrit aux Colossiens « Car je : invisibles de Dieu par les choses qui ont été
« A^eux que vous sachiez quelle sollicitude faites, comme ils raisonnaient sans le Média-
«j'ai pour vous, pour ceux qui sont à Laodi- teur, rHomme-Christ, et
c'est-à-dire sans
« cée et pour tous ceux qui n'ont pas vu ma qu'ils n'ont cru ni aux prophètes qui annon-
,

«face dans la chair, afin que leurs cœurs çaient sa venue, ni aux apôtres qui le disaient
« soient consoles, et qu'ils soient unis eux- arrivé; ils ont retenu la vérité dans l'injustice,
« mêmes dans la charité ,
pour parvenir à ainsi qu'on l'a dit d'eux. En effet, vivant dans
« toutes les richesses d'une parfaite intelli- ce bas monde, ils n'ont pu que chercher quel-
« gence, et à la connaissance du mystère de ques moyens d'arriver aux objets sublimes
« Dieu, qui est le Christ Jésus, en qui tous les qu'ils avaient compris; et ils sont ainsi tom-
« trésors de la sagesse et de la science sont bés aux mains des démons menteurs, qui leur
« cachés * ». Et qui peut savoir jusqu'à quel ont fait changer la gloire du Dieu incorrupti-
point l'Apôtre connaissait ces trésors, jus- ble contre une image représentant des oiseaux,
qu'où y était entré et quelles grandes choses
il des quadrupèdes et des reptiles ^ Car c'est
il y avait découvertes? Pour moi, m'en tenant sous ces formes qu'ils ont créé ou adoré des
à ce qui est écrit : « Or, à chacun est donnée idoles. Donc le Christ est notre science et aussi
« la manifestation de l'Esprit pour l'utilité : notre sagesse. C'est lui qui nous donne la foi
« car à l'un est donnée par l'Esprit la parole aux choses temporelles c'est lui qui nous ap-
,

« de sagesse, à un autre la parole de science prend la vérité sur les choses éternelles. Par
« selon le même Esprit - » ; si la distance en- kii nous allons à lui, par la science nous ten-
tre la sagesse et la science consiste en ce que dons à la sagesse et cependant, nous ne nous
:

la première appartient aux choses divines et éloignons pas de ce seul et même Christ « en
la seconde aux choses humaines, pour moi, « qui tous les trésors de la sagesse et de la

dis-je, je les reconnais toutes les deux dans le « science sont cachés ».
Christ, et tout fidèle les y reconnaît avec moi. moment, nous ne parlons que
Mais, pour le
Et quand je lis « Le Verbe a été fait chair et
: de la science,nous réservant de parler plus
« il a habité parmi nous », dans le Verbe je tard de la sagesse, si Dieu nous en fait la grâce.
reconnais le vrai Fils de Dieu, dans la chair Toutefois ne donnons pas aux mots une ac-
je reconnais le vrai Fils de l'homme, et les ception si étroite, que nous nous interdisions
deux réunis, par une ineffable surabondance d'appeler sagesse la science des choses hu-
de grâce, en la personne unique du Dieu- maines, et science la sagesse qui s'occupe
Homme. Ce qui fait que TEvangéliste ajoute : des choses divines. L'usage, élargissant le
« Et nous avons vu sa gloire, comme celle sens des mots, applique souvent à l'une et à
« qu'un fils unique reçoit de son père, plein l'autre dénomination de sagesse ou de
la

« de grâce et de vérité ' ». Si nous rattachons science. Cependant l'Apôtre n'eût pas écrit :

la grâce à la science, la sagesse à la vérité, ce « A l'un est donnée la i)arole de sagesse, à un

ne sera pas nous écarter, je pense, de la dis- « autre la parole de science », si ces deux dé-

tinction que nous cherchons à établir entre nominations n'avaient chacune un sens parti-
ces deux choses. culier, suivant la distinction que nous établis-
En effet, dans l'ordre des choses qui se sont sons à cette heure.
faites dans le temps, le point culminant de la
grâce est l'union de l'homme à Dieu dans la
CHAPITRE XX.
même personne; et, dans l'ordre des choses RÉSUMÉ DE CE LrVRE. COMMENT NOUS SOMMES
éternelles, on attribue avec raison la souve- ARRIVÉS GRADUELLEMENT A DÉCOUVRIR UNE
raine vérité au Verbe de Dieu. Mais comme ce CERTAINE TRINITÉ DANS LA SCIENCE PR.\TIQUE
même Fils unique du Père est plein de grâce ET DANS LA VRAIE FOI.
et de vérité, il en résulte que dans ce qu'il a
fait pour nous dans le temps, il est celui en 25. Voyons enfin le résultat de cette longue
qui nous sommes purifiés par la foi, pour le discussion, à quoi elle conclut, où elle a
contempler à jamais dans les choses étcr- abouti. Tous les hommes désirent être heu-
• Col. Il, 1-3. — 1 Cor. Ali, 7, 8. — ' Jean, i, M. Rom. I, 20, la, 23.
, ,

LIVRE XIII. — TRINITÉ DANS LA FOI. 523

veux, et cependant tous n'ont pas la foi qui comme on retient, par exem-
la signification,

purifie le cœur conduit au bonheur. Ainsi


et ple, desmots grecs, ou latins ou de toute autre
donc c'est par cette foi, que tous ne veulent langue qu'on ignore cet homme n'a-t-il déjà :

paSj qu'il faut tendre au bonheur que per- pas en son âme une certaine trinité, à savoir :

sonne ne peut ne pas vouloir. Chacun voit le son des mots que sa mémoire conserve,

dans son cœur qu'il veut être heureux, et, sur même quand il n'y pense pas puis la pensée ;

ce point, l'accord est si universel, qu'on ne se qui naît du souvenir, quand il y songe, et en-
trompe jamais en jugeant de l'âme des au- fin la volonté qui unit le souvenir et la pen-
tres d'après la sienne; en deux mots, nous sée ? Cependant nous ne dirons pas que, dans
savons que c'est là le vœu de tous. Or, beau- cette opération, il agisse selon la trinité de
coup désespèrent d'être immortels, bien que, l'homme intérieur : c'est bien plutôt selon la
sans cela, ce qu'ils désirent, c'est-à-dire le trinité de l'homme extérieur, puisque le sou-

bonheur, soit impossible. Cependant ils vou- venir qu'il se rappelle, quand il le veut et
draient être immortels s'ils pouvaient l'être autant qu'il le veut, ne se rattache qu'au sens
mais ne croyant pas le pouvoir, ils ne vivent corporel qu'on appelle l'ouïe, et qu'il n'y a
pas de façon à pouvoir le mériter. La foi dans sa pensée autre chose que des images
est donc nécessaire pour parvenir au bon- d'objets matériels, c'est-à-dire de sons. Mais
heur, à la jouissance de tous les biens, soit de s'il sait et se rappelle le sens des paroles, c'est
l'âme, soit du corps. Or, que cette foi repose déjà une opération de l'homme intérieur;
sur le Christ qui est ressuscité d'entre les cependant on ne peut pas encore dire qu'il
morts dans sa chair, pour ne plus jamais vive selon la trinité de l'homme intérieur, à
mourir; que personne ne puisse être délivré moins qu'il n'aime les enseignements, les
que par lui de l'empire du démon au moyen préceptes, les promesses renfermés dans ces
delà rémission des péchés; que la vie soit paroles. Il peut même se les rappeler et y
nécessairement malheureuse avec le démon, penser, tout en les croyant faux et en cher-
et que cette vie, ou plutôt cette mort, soit chant à les réfuter. Ainsi la volonté qui unit
sans terme voilà encore ce que cette même
: le souvenir de la mémoire et l'impression qui

foi nous enseigne. J'en ai parlé dans ce livre en résulte dans le regard de la pensée, com-
comme je l'ai pu et aussi longtemps que je plète, elle troisième, une sorte de trinité;
l'ai pu et déjà j'en avais traité longuement
; mais on ne vit pas selon celte trinité quand
dans le quatrième livre de cet ouvrage \ on repousse comme fausses les impressions
mais dans un but différent là, pour faire : de la pensée. Mais quand on les croit vraies
voir pourquoi et comment
en- le Christ a été et qu'on aime ce qu'il y a à aimer, alors seu-

voyé par Père dans la plénitude du temps ^


le lement on vit selon la trinité de l'homme in-
et réfuter ceux qui prétendent que Celui qui térieur : car l'homme vit selon ce qu'il aime.
envoie et Celui qui est envoyé ne peuvent être Or comment aimer ce que l'on ignore
égaux en nature; ici, pour établir la distinc- mais que l'on croit? Nous avons déjà traité
tion entre la science active et la sagesse con- cette questiondans les livres précédents *, et
templative. prouvé que personne ne peut aimer ce qu'il
26. Nous avons cherché à découvrir dans ignore complètement, et que quand on est dit
Tune et dans l'autre, et en montant, pour aimer l'inconnu, c'est en vertu de quelque
ainsi dire, par degrés, une certaine trinité par- chose de connu. Maintenant nous disons,
ticulière [sid generis] appartenant à l'homme pour conclusion de ce livre, que le juste vit
intérieur, comme déjà nous en avions cher- de la foi -, de la foi qui agit par la charité *,
ché une dans l'homme extérieur. Notre but eu sorte que les vertus mêmes qui règlent la
était d'exercer notre intelligence sur des ob- vie, la prudence, la force, la tempérance et
jets d'un ordre inférieur, afin d'arriver dans la justice, se rapportent toutes à cette même
la mesure de nos forces, et si cela est possible, foi, sans quoi elles ne seraient pas de vérita-
à contempler au moins en énigme et à travers bles vertus. Du reste ,
quelle que soit leur
un miroir % la souveraine Trinité qui est valeur, elles ne peuvent en cette vie dispen-
Dieu. L'homme qui confie à sa mémoire les ser de la rémission de tous les péchés, et celle-
paroles de la foi, sans même en comprendre ' Liv, VllI, ch. VHlj et suiv.; Liv. X, ch. i, etc. — ' Rom, i, 17.
'
Gh. xix-ïXl. — ' Gai. IV, 4. — » I Cor. iin, 12. — * Gai. V, 6.
524'
BE LA TRINITÉ.

l'image de
Toutes lesconnaissances qui résultent ''''.'''" " """' ''"'"'""^ "'"'
decë te tùd ne '
fo, et de cette
conduite pour l'âme du ''' "'"'' "" ""' "^'^
ndel ! n eux dé no^tr „T;i' """"
quand elles sont contenues dans
vues par le regard de la
la mémoire où e^L e! ^ T ,
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"""''""' P"
pensée et accXs livr eu v n^'
'""""'•
'"^'^''
'" '"
parla volonté, forment une
certaine trinite

J
LIVRE QUATORZIEME.
L'iraage de Dieu ne se trouve pas dans la mémoire, l'intelligence et l'amour, quand ces facultés ont pour objet la foi aux choses
du temps, ou les opérations de l'âme sur elle-même , mais quand elles s'appliquent aux choses immuables. Elle est parfaite
quand l'âme est renouvelée à la connaissance de Celui qui a créé l'homme à son image, et qu'elle reçoit ainsi la Sagesse
où se trouve la contemplation des choses éternelles.

CHAPITRE PREMIER. est donc la souveraine sagesse ; et la sagesse de


l'homme, dont il est ici question, est le culte
qu'est-ce que la sagesse dont il est ici ques-
de Dieu. Car « la sagesse de ce siècle est folie
tion? d'où vient le nom de philosophe? ce
« devant Dieu '
». Et propos de cette
c'est à
QUI A ÉTÉ dit plus HAUT DE LA DISTINCTION
sagesse, qui est le culte de Dieu, que l'Ecri-
ENTRE LA SCIENCE ET LA SAGESSE.
ture sainte dit : « La multitude des sages est
Nous avons maintenant à traiter de la
1. « le salut du monde - ».

sagesse, non pas de la sagesse de Dieu qui est 2. Mais s'il n'appartient qu'aux sages de
Dieu même, puisque le Fils unique de Dieu parler de la sagesse, que ferons-nous ? Ose-
est appelé sagesse de Dieu ^
; mais de la sa- rons-nous, pour ne pas être accusés d'impu-
gesse de l'homme, de la vraie sagesse qui est dence, faire profession de sagesse ? Ne recu-
selon Dieu, qui forme son culte véritable et lerons-nous pas, à l'exemple de Pythagore qui
principal, ainsi que lesGrecs l'expriment par n'osa se dire sage, mais répondit simplement
un seul mot ôsoaîêcia. Les Latins voulant aussi, qu'il était philosophe, c'est-à-dire ami de la
comme nous l'avons déjà dit, renfermer l'idée sagesse? Formation de mots, qui fut tellement
sous une seule expression, lui ont donné le bien accueillie que tout
par la postérité ,

nom de piété, que les Grecs appellent ordinai- homme yeux ou


qui passait à ses propres
rement eiiffêêsia, mais faute de pouvoir rendre en aux yeux des autres pour exceller dans la
un seul mot le sens de ôecaeêEia, ils en emploient doctrine de la sagesse ne porta désormais ,

deux et disent le culte de Dieu Dei cultus. : plus d'autre nom que celui de philosophe.
Or, que cette sagesse de l'homme existe, cela Serait-ce qu'aucun de ces hommes n'osait se
est démontré, comme nous l'avons déjà posé déclarer sage, parce qu'ils croyaient que le
en principe au douzième livre de cet ouvrage % sage doit être exempt de tout péché ? Ce n'est
par le témoignage de la sainte Ecriture , au pas ce que nous dit l'Ecriture, où nous lisons :

livre du serviteur de Dieu, Job, où on lit que « Reprenez le sage et il vous aimera ^ ». Or,

la Sagesse divine dit à l'homme « La piété, : elle suppose coupable celui qu'elle conseille de
«voilà la sagesse; la fuite du mal, voilà la reprendre. Pour moi, je n'ose pas me dire sage
«science ' », ou la doctrine [disciplina]^ en ce sens. Il me
personne ne peutsuffit — et

comme quelques-uns traduisent le mot grec nier ceci —


qu'il appartienne au pliilosophe,
Èivt(jTTîu.Y) disciplina venant de disco
: ce qui ,
c'est-à-dire à l'ami de la sagesse, de discuter
permet de lui donner le nom de science. En sur la sagesse. C'est ce que n'ont pas laissé de
effet, on n'apprend que pour savoir. Sous un faire ceux qui se sont déclarés amis de la
autre point de vue, on appelle aussi discipline sagesse plutôt que sages.
les maux que le pécheur subit pour ses fautes 3. Or, dansleurs discussions sur ce sujet, ils

et en vue de sa correction. C'est en ce sens qu'on ont défini la sagesse La science des choses :

lit dans l'épître aux Hébreux « Car quel est le : humaines et divines. C'est ce qui m'a fait
«fils àqui son père ne donne pas la discipline?» dire plus haut qu'on peut appeler indiffé-
Et plus clairement encore un peu plus bas : remment sagesse ou science, la connaissance
« Tout châtiment [disciplina) paraît être dans des choses divines et humaines *. Mais d'a-
« le présent non de joie;
un sujet de tristesse et près la distinction établie par l'Apôtre : « A
« mais ensuite il produit pour ceux qu'il a exer- « l'un est donnée
parole de sagesse, à unla

« ces un fruit de justice plein de paix*». Dieu « autre la parole de science », il faut parta- '^

* Eccli. XXIV, 5 ; I Cor. I, 24. — « Ch. XIV. — • Job, xxvin, 28. « I C«r. m, 19, — ' Sag. VI
, 26. — » Prov. ix , 8. — "
Liv. XIII,
— » Héb. XII, 7, U. ch. I, XIX. — ' I Cor. xn, 8.
5-2G DE LA TRINITÉ.

ger la déûnilion, donner proprement le nom s'ensuit que tant que le juste vit de la foi ',
de sagesse à la science des choses divines, et bien qu'il vive selon l'homme intérieur et
réserver celui de science à la connaissance des qu'à Taide de la foi temporelle il tende à la
choses humaines. J'ai parlé de celle-ci dans le vérité et aux biens éternels, néanmoins l'es-
livre treizième, en lui attribuant, non tout ce pèce de trinité qui résulte du souvenir, de la
qu'on peut savoir en fait de choses humaines vue et de l'amour de la foi temporelle ne ,

— où une si grande part est faite aune vanité peut pas encore être appelée image de Dieu.
stérile et à une coupable curiosité mais — On serait exposé à fonder sur les choses du
seulement ce qui produit, entretient, défend temps ce qui ne peut être établi que sur
et fortifie cette foi si salutaire qui conduit au celles de l'éternité. En effet, l'àme humaine
vrai bonheur : science rare chez les fidèles, en voyant sa propre
foi, qui lui fait croire
même chez ceux qui sont pleins de foi. Eneflet, ce qu'elle ne voit pas ne voit point une ,

autre chose est de savoir simplement ce que chose éternelle. Car ce n'est point une chose
l'homme doit croire pour obtenir la vie heu- éternelle, celle qui cessera d'être, quand,
reuse ,
qui est nécessairement immortelle; au terme de ce pèlerinage où nous voyageons
autre chose de savoir comment ce que l'Apô- loin du Seigneur et où il faut marcher par
tre semble appeler proprement science est la foi, viendra cette claire vue où nous ver-
utile aux fidèles et doit être défendu contre rons face à face '^
; tout comme aujourd'hui,
les impies. En parlant de celle-ci plus haut, en croyant sans voir, nous méritons de voir
j'ai surtout insisté sur la foi elle-même, éta- et de nous réjouir de la claire vue où la foi
blissant en peu de mots la distinction entre nous aura conduits. Car là, la foi qui croit
les choses de l'éternité et celles du temps, et sans voir n'existera plus, mais bien la claire
ne m'occupant, là, que de ces dernières. Je vue qui fera voir ce qu'on croyait. Et alors le
me réservais de traiter dans le livre qua- souvenir de cette vie mortelle et de la foi aux
torzième des choses éternelles, et j'ai démon- choses que nous ne voyions pas, sera compté
tré *
que la foi même aux choses éternelles parmi les choses passées et éphémères, et
appartient au temps, qu'elle habite temporel- non parmi les choses présentes et immortelles.
lement dans le cœur des croyants et qu'elle Par conséquent la trinité qui consiste dans le
est cependant nécessaire pour obtenir le bon- souvenir, la vue et l'amour de cette foi qui
heur de l'éternité. J'ai également fait voir que subsiste présentement ici-bas, ne sera pas da-
pour parvenir à ce bonheur, il faut aussi vantage permanente, mais une chose à jamais
croire à tout ce que l'Eternel a fait et soufîert passée d'où il résulte que si cette trinité est
;

pour nous, sous la forme humaine qu'il a re- déjà une image de Dieu, il faut aussi considé-
vêtue dans le temps et qu'il a introduite dans rer cette image comme une chose transi-
la demeure éternelle en outre, que les vertus
; toire et non immortelle.
mêmes qui nous apprennent à bien vivre ici- A Dieu ne plaise que, la nature de l'âme étant
bas, la prudence, la force, la tempérance et immortelle et ne pouvant plus cesser d'être, dès
la justice, ne sont point de véritables vertus, qu'elle a commencé d'exister, ce qu'elle a de
si elles ne sont rattachées à cette même foi, meilleur ne partage pas son immortalité. Or,
qui, quoique propre au temps, conduit néan- qu'y a-t-il de meilleur dans sa nature que
moins à réternité ^ d'avoir été faite à l'image de son Créateur *?
Ce n'est donc pas dans le souvenir, la vue et
CHAPITRE II.
l'amour d'une foi passagère, mais dans ce qui
DANS LE SOUVENIR, LA VUE ET l'aMOUR DE LA FOI durera toujours qu'il faut trouver ce qu'on
TEMPORELLE, ON DÉCOUVRE UNE CERTAINE TRI- doit proprement appeler l'image de Dieu.

NITÉ QUI n'est CEPENDANT PAS ENCORE l'iMAGE


CHAPITRE m.
DE DIEU.
SOLUTION d'une OBJECTION.
4. Comme il Pendant que nous
est écrit : «

« sommes dans ce corps, nous voyageons loin 5. Pénétrerons-nous encore plus avant dans
« du Seigneur car c'est par la foi que nous
: cette question abstraite? On peut objecter en
« marchons, et non par une claire vue ^ », il effet que si la foi passe, cette trinité ne passe

Liv. XllI, ch. VII. — ' Id. ch. xz. — » II Cor. v, 6, 7. ' Rom. I, 17. — ' I Cor. xiii, 12. — ' Gen. i, 27.
LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. rj27

point avec elle : car, comme


nous la conser- l'image de cet objet nttitériel disparu reste
vons voyons par la pensée
par le souvenir, la dans la mémoire, que de image se forme
cette
et Taimons par la volonté, dans cette vie pré- le regard de la pensée au moyen du souvenir,
sente de même, dans l'autre vie, le souvenir
;
et que la volonté, elle troisième, les unit l'un
et la vue que nous en conservons, étant unis à l'autre, dira-t-on que c'est la même trinité
par la volonté se posant en tiers, ce sera tou- que celle qui existait quand le corps était
jours la même trinité. Et si elle n'avait laissé réellement présent? Non certes; il y a une
chez nous aucune trace en passant, nous n'en très-grande différence, au contraire; car ou-
aurions évidemment rien conservé dans notre tre que l'une que l'autre est
était extérieure et
mémoire à quoi pût se rattacher un souvenir, intérieure, celle-là avait pour principe la pré-
et la volonté ne pourrait en aucune façon for- sence de l'objet matériel, tandis que celle-ci
mer entre ces deux choses, à savoir ce
le lien est fondée sur l'image du passé. Ainsi en est-
qui était dans la mémoire quand nous n'y il dans le cas qui nous occupe, et pour l'éclair-

pensions pas, et la vue qui s'en forme quand cissement duquel nous avons produit cet
nous y pensons. exemple la foi qui est maintenant dans notre
;

Mais celui qui soulève cette difflculté ne àme, comme ce corps était dans l'espace ,

fait pas attention que la trinité qui se forme forme une espèce de trinité tant qu'elle est
actuellement quand nous conservons, voyons possédée, vue et aimée mais ce ne sera plus
;

et aimons en nous notre foi présente, n'est la même trinité, quand cette foi aura disparu
point celle qui se formera dans l'avenir, quand de notre âme, comme ce corps a disparu de
nous verrons par le souvenir, non plus la foi l'espace. Et celle que nous posséderons alors
elle-même, mais sa trace imaginaire, pour au souvenir de celle-ci, sera tout à fait diffé-
ainsi dire, renfermée dans la mémoire, et que rente. L'une en effet a pour principe une
nous unirons par la volonté ces deux choses : chose présente et fixée dans l'àme des croyants ;

ce qui existait dans la mémoire et l'impres- tandis que l'autre ne sera établie que sur le
sion qui en résulte dans le regard de la pen- souvenir d'une chose passée, représentée à
sée appliquée au souvenir. Pour rendre ceci l'imagination par la mémoire.
intelligible, prenons un exemple dans ces
mêmes choses matérielles dont j'ai parlé assez CHAPITRE IV.
longuement dans le onzième livre '. En efTet,
en montant des choses inférieures aux choses c'est dans l'immortalité de l'ame raisonna-
supérieures, ou en rentrant du dehors au de- ble qu'il faut chercher l'image de dieu.
dans, nous trouvons une première trinité dans COMMENT LA TRINITÉ SE FAIT VOIR DANS l'aME.
le corps qui est vu, dans l'impression que son

aspect produit dans l'œil de celui qui le voit 0. Ainsi donc la trinité qui n'est pas mainte-
et dans l'attention de la volonté qui les unit. nant l'image de Dieu, ne le sera pas davantage
Etablissons-en une analogie dont les termes unjour, et celle qui doit cesser un jour, ne l'est
seront la foi renfermée dans notre mémoire
: pas davantage :c'est dans l'àme de l'homme,
comme ce corps l'est dans l'espace; le regard c'est-à-dire dans l'àme raisonnable et intelli-
de la pensée qui se forme de la mémoire, gente, qu'il faut trouver l'imagedu Créateur :

comme l'impression de l'œil se forme du empreinte immortelle sur une substance im-
corps qui est vu; puis, pour compléter la tri- mortelle. Car, de même que l'immortalité de
nité, la volonté se posant en tiers afin d'unir l'âme doit s'entendre avec certaine restriction
et de lier la foi conservée dans la mémoire et — puisque l'âme a aussi son genre de mort,
son image imprimée dans le regard du sou- lorsqu'elle est privée de la vie bienheureuse
venir, comme elle unit, dans la trinité de la qui est sa véritable vie —
et que cependant
vision corporelle, la forme du corps visible et on immortelle parce que, quelle que
l'appelle
l'image ressemblante qui s'en forme dans soit sa vie,fùt-elle entièrement malheureuse,
l'œil du spectateur. elle ne cessera jamais de vivre ainsi quoique:

Supposons maintenant que ce corps visible la raison ou l'intelligence paraisse tantôt as-
a disparu et qu'il n'en reste rien nulle part à soupie, tantôt petite, tantôt grande, chez elle;
quoi le regard puisse recourir : parce que cependant elle ne laisse jamais d'être une
* Ch. u et suiv. âme raisonnable ou intelligente. Donc si elle
,

r>28 DE LA TRINITÉ.

a été faite à l'image de Dieu en ce sens qu'elle jugé à propos, et propres à établir cette vérité
peut user de sa raison ou de son intelligence avec toute certitude.
pour comprendre Dieu et le contempler, il est
évident que dès l'instant qu'elle a commencé CHAPITRE V.
à être cette grande et si merveilleuse na-
si
l'ame des enfants se connaît-elle?
ture, elle ne cessera pas de l'être, soit que
cette image soit affaiblie et presque réduite à Mais que dire de l'âme de l'enfant encore
rien, soit qu'elle s'obscurcisse ou se déforme, en bas âge et plongé dans cette profonde igno-
soit qu'elle reste pure et belle. C'est cette dif- rance de toutes choses qui inspire une si vive
formité et cette dégradation que l'Ecriture horreur à tout homme parvenu à un degré
déplore, quand elle dit « Quoique l'homme : quelconque de connaissance? Faut-il croire
« marche en image imagine)^ cependant [ni qu'elle se connaît, mais qu'absorbée par les
« il s'agite en vain,
amasse des trésors et ne
il impressions des sens d'autant plus vives
« sait qui les recueillera après lui ». Le psal- '
qu'elles sont plus nouvelles, si elle ne peut
miste n'attribuerait pas la vanité à l'image de s'ignorer du moins, elle n'est pas capable de
Dieu, s'il ne la voyait déformée. Et pourtant réfléchir? On peut conjecturer de la force qui
il laisse assez voir que cette difformité ne sau- l'entraîne vers les objets sensibles par le seul
rait lui ôter le caractère d'image de Dieu, fait de son avidité à voir la lumière : avidité
puisqu'il dit « Quoique l'homme marche en
: telle que si, par inattention ou par impré-
« image (m imagine) ». Ainsi des deux côtés voyance des suites, on place une lumière
la pensée est juste comme on a dit « Quoi-
: : pendant la nuit près du lit où repose un en-
« que l'homme marche en image, cependant fant, dans un endroit où il puisse jeter obhque-
« il s'agite en vain » ; de même on peut ment les yeux sans pouvoir tourner la tête, son
dire Quoique l'homme s'agite en vain, ce-
: regard s'y fixe avec tant de ténacité que quel-
pendant il marche en image. quefois il en contracte ce que nous appelons le
En elfet, quoique sa nature soit grande, elle strabisme, les yeux conservant la direction im-
a cependant pu être viciée, et quoiqu'elle ait primée par l'habitude à cet organe encore
pu être viciée parce qu'elle n'est pas la na- tendre et délicat. Ainsi en est-il des autres
ture souveraine, cependant, étant capable de sens ces jeunes âmes s'y portent avec toute
;

connaître la nature souveraine et d'y partici- l'impétuosité que permet leur âge, s'y concen-
per, elle est une grande nature. Cherchons trent, pour ainsi dire, n'ont de répulsion que
donc, dans cette image de Dieu, une cer- pour ce qui blesse la chair, d'attrait que pour
taine tri ni té propre {sui ge?ieris), avec l'aide ce qui la flatte. Quant à leur intérieur, elles
de Celui qui nous a faits à son image; car au- n'y songent pas, et de les
il n'est pas possible
trement nous ne pourrions entreprendre ces y faire songer car elles ne comprennent pas
:

recherches d'une manière utile, ni rien décou- encore la valeur d'un avertissement, puis-
vrir selon la sagesse qui vient de lui. Mais si qu'elles ignorent le sens des mots aussi bien
Je lecteur a bien retenu ce que nous avons que tout le reste, et que c'est surtout par des
dit de l'âme ou de l'intelligence humaine mots qu'un avertissement se manifeste. Du
dans les livres précédents, notamment dans reste, nous avons fait voir dans le livre pré-
le dixième ou s'il veut bien se reporter
, cité qu'il y a une différence entre ne pas se
*

à ces passages et les relire attentivement connaître et ne pas penser à soi.


le point qui nous occupe, malgré son im- 8. Mais laissons-là le jeune âge à qui on ne
portance, n'exigera pas de trop longs dévelop- peut demander compte de ce qui se passe en lui
pements. et dont nous avons nous-même complètement
7. Nous avons donc dit, entre autres choses, perdu le souvenir. Qu'il nous suffise de savoir
dans le livre dixième, que l'âme humaine se avec certitude que puisque l'homme peut ré-
connaît elle-même ^ En effet, l'âme ne con- fléchir sur la nature de son âme et découvrir
naît rien autant que ce qui lui est présent; or la vérité, ne la découvrira qu'en lui. Or, il
il

rien n'est plus présent à l'âme que l'âme découvrira, non ce qu'il ignorait, mais ce à
même. Nous avons encore donné d'autres quoi il ne pensait pas. Car que saurons-nous,
preuves, aussi nombreuses que nous l'avons si nous ne savons pas ce qui est dans notre

' Ps. xxxvin, 7. ~ " Ch. VII. ' Liv. X, ch. V.


LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMxME. 529

ame, puisque nous ne pouvons savoir que par avec une parfaite certitude le petit nombre de
que nous savons ?
elle tout ce ceux qui peuvent consulter la vérité sur ce
point.
CHAPITRE VI.
reste donc à dire que la vue d'elle-même
Il

COMMENT IL SE TROUVE UNE CERTAINE TRINITÉ est quelque chose qui appartient à sa nature
RÉFLÉCHIT SUR ELLE-MÊME. et qui, lorsqu'elle pense à elle-même, lui re-
DANS L'aME qui
QUEL ROLE LA PENSÉE JOUE DANS CETTE TRI- vient, non par un déplacement local, mais

NITÉ.
par un mouvement immatériel ; et cette vue,
lorsque l'âme ne pense pas à elle-même, ne
Telle est la puissance de la pensée, que l'âme lui est pas présente, ne devient pour elle le

n'est en sa propre présence que quand elle but d'aucun regard, bien qu'elle se recon-
pense à elle-même par conséquent il n'y a de ;
naisse encore et qu'elle soit en quelque sorte
présent à l'âme que cequ'elle pense, àtel point pour elle-même sa propre mémoire. C'est
que rame elle-même, par laquelle se pense ainsi que chez l'homme instruit dans beau-
tout ce qui se pense, ne peut être en sa propre coup de sciences, ce qu'il sait est renfermé
présence, que quand elle se replie sur elle- dans sa mémoire, et que rien cependant n'est
même par la pensée. Mais comment se fait-il présent à son âme que ce à quoi il pense, tout
que l'âme n'est pas en sa propre présence, à le reste est caché dans ce secret arsenal qui

moins de penser à elle-même, quand nous sa- s'appelle la mémoire. Or, pour former cette
vons qu'elle ne peut être sans elle-même, trinité, nous placions dans la mémoire ce qui

qu'il n'y a pas de dilîérence entre elle et sa forme le regard de la pensée, puis nous don-
propre présence? C'est là un mystère qui m'é- nions comme son image l'impression con-
chappe. Cela se comprend pour l'œil du forme qui en résulte, et en troisième lieu ve-
corps il occupe une place fixe dans le corps,
: nait l'amour ou la volonté pour unir ces deux
sa vue se dirige sur les objets extérieurs et choses. Donc, quand l'âme se voit par la
peut s'étendre jusqu'aux astres. Mais il n'est pensée, elle se comprend et se reconnaît; par
pas en sa propre présence, puisqu'il ne se voit conséquent elle engendre cette intelligence et
pas lui-même, sinon à l'aide d'un miroir, sa propre connaissance. En effet, comprendre
comme nous l'avons déjà dit ^
: ce qui n'a pas une chose immatérielle c'est la voir, et c'est
lieu quand l'âme se met en présence d'elle- en la comprenant qu'on la connaît. Et quand
même par la pensée. Serait-ce donc que, quand l'âme se comprend par la pensée et se voit,
elle se voit par la pensée, une partie d'elle- elle n'engendre pas sa propre connaissance
même verrait une autre partie d'elle-même, comme si auparavant elle ne s'était pas connue;
comme certains de nos organes, nos yeux par mais elle se connaissait, comme on connaît
exemple, voient d'autres de nos organes qui ce qui est enfermé dans la mémoire, alors
sont exposés à leur regard ? On ne saurait dire même qu'on n'y pense pas; dans le sens où nous
ni penser rien de plus absurde. A qui l'âme est- disons qu'un homme connaît les lettres alors
elle donc enlevée, sinon à elle-même? Et où se qu'il pense à toute autre chose qu'aux lettres.
met-elle en sa propre présence, sinon devant Or ces deux choses, ce qui engendre et ce qui
elle-même? Donc quand elle n'est plus en sa estengendré, sont unies par un tiers, l'amour,
propre présence, elle n'est plus où elle était : qui n'est pas autre chose que la volonté dési-
là, et elle en a été enlevée. Mais
car elle était rant posséder un objet ou le possédant déjà.
sil'âme à voir a émigré, où demeure-t-elle Voilà pourquoi nous avons cru pouvoir expri-
pour se voir? Est-elle double, de manière mer cette espèce de trinité par ces trois mots :
à être ici où elle puisse
et là, c'est-à-dire mémoire, intelligence, volonté.
voir et où vue en elle-même,
elle puisse être ; 9. 31ais, comme nous l'avons dit, vers la fin
pour voir, et devant elle, pour être vue? Si de ce même livre dix, l'âme se souvient tou-
nous consultons la vérité, elle ne nous ré- jours d'elle-même, elle se comprend et s'aime
pondra rien là-dessus; parce que cette façon toujours elle-même, quoiqu'elle ne pense pas
de penser repose sur des images matérielles toujours qu'elle est différente des êtres qui ne
que nous nous figurons et qui n'ont rien de sont pas ce qu'elle est. Il faut donc chercher
commun avec notre âme, comme le savent comment l'inteUigence appartient à la pensée,
' Liv. X, ch. m. tandis que nous disons que la connaissance
S. AuG. — Tome XI 1. 34
530 DE LA TRINITÉ.

d'un objet quelconque, qui est dans l'ùme, temps et auxquelles nous ne pourrions plus
même quand elle n'y pense pas, appartient penser si on ne nous les rappelait, je ne sais
exclusivement à la mémoire. Car, s'il en est par quel étrange mystère, nous ignorons que
ainsi, elle ne réunissait pas les trois conditions, nous les savions, si on peut parler ainsi. Du
se souvenir d'elle-même, se comprendre et reste, c'est avec raison que celui qui les rap-
s'aimer elle n'avait d'abord que le souvenir
: pelle dit à celui à qui il les rappelle : Tu sais
d'elle-même puis quand elle a commencé à
; , cela et tu ne sais pas que tu le sais je t'en
;

penser, elle s'est comprise et s'est aimée. ferai souvenir, et tu te convaincras que tu sais
ce que tu croyais ignorer. C'est là l'effet des
CHAPITRE VII.
livres écrits sur les choses dont le lecteur,

ÉCLAIRCISSEMEM PAR UN EXEMPLE. PROCÉDÉ guidé par la raison, reconnaît la vérité : non
POUR AmER l'intelligence du lecteur. pas la vérité qui se fonde sur la confiance en
celui qui écrit, comme
cela arrive pour l'his-
Examinons donc plus attentivement l'exem- toire, mais que lui-même découvre
la vérité
ple que nous avons cité pour montrer qu'au- ou en lui, ou dans la vérité qui est la lumière
tre chose est de ne pas connaître un objet, de l'esprit. Quant à l'homme qui, malgré
autre chose de n'y pas penser, et qu'un homme l'instruction qu'on lui donne, ne peut pas voir
peut fort bien connaître une chose à laquelle ces choses par suite d'un grand aveuglement
il ne pense pas, dans le moment où son esprit du cœur, il est plongé dans les ténèbres de la
est fixé ailleurs.Un homme donc versé dans plus profonde ignorance, et il a besoin d'un
deux sciences ou davantage, et qui ne pense prodige de grâce pour pouvoir parvenir à la
qu'à une, ne laisse pas pour cela de connaître véritable sagesse.
l'autre ou les autres, bien qu'il n'y pense 10. Voilà pourquoi j'ai voulu donner un
pas. Pouvons-nouscependant raisonnablement exemple quelconque, afin de démontrer com-
dire Ce musicien connaît la musique, il est
:
ment le regard de la pensée se forme d'après
vrai, mais maintenant il ne la comprend pas, ce que contient la mémoire, et comment il
car il n'y pense pas pour l'heure, au contraire, se produit dans l'homme qui pense quelque
il comprend actuellement la géométrie, puis- chose de semblable à ce qui existait déjà en lui
qu'il y pense actuellement ? C'est là, ce me avant qu'il pensât : vu qu'il est plus facile de
semble , un raisonnement absurde. Et que distinguer quand les choses arrivent successi-
sera-ce si nous disons Ce musicien connaît:
vement, et que le père a précédé le fils dans
certainement la musique mais il ne l'aime ,
l'ordre du temps. Car si nous nous rattachons
pas maintenant, puisqu'il n'y pense pas; pour à ces trois points : la mémoire intérieure de
le moment seulement aime la géométrie,il l'àme, qui fait qu'elle se souvient d'elle-même;
puisqu'il y pense ? Le raisonnement sera-t-il l'intelligence intérieure par laquelle elle se
moins absurde ? Ce sera au contraire avec la comprend , et la volonté intérieure par la-
plus grande raison que nous dirons Cet : quelle elle s'aime; si nous supposons que
homme que vous voyez disputer sur la géo- ces trois choses existent toujours, qu'elles
métrie, est aussi un parfait musicien ; car il n'ont jamais cessé d'être depuis qu'elles exis-
se souvient de cette science, il la comprend et tent, soit qu'on y pensât, soit qu'on n'y pensât
il l'aime ; mais quoiqu'il la connaisse et qu'il pas : cette image de la souveraine Trinité
l'aime, il n'y pense pas maintenant, occupé semblera d'abord n'appartenir qu'à la mé-
qu'il est à disputer sur la géométrie. moire. Mais comme la parole ne peut s'y sé-
Ceci nous fait voirqu'il existe, dans les replis parer de la pensée —
nous pensons en effet
de l'àme, certaines connaissances de certains tout ce que nous disons, même avec cette parole
objets, lesquelles se produisent en quelque intérieure qui n'appartient à aucune langue —
sorte et se mettent plus en évidence sous les on reconnaîtra que l'image de la Trinité con-
yeux de l'àme, quand elle y pense et qu'il ; siste plutôt dans ces trois choses: mémoire, in-
se trouve ainsi qu'elle se rappelle, qu'elle telligence, volonté. Par intelligence, j'entends
comprend et qu'elle aime des choses aux- ici celle par laquelle nous comprenons quand
quelles elle ne pensait même pas, parce que nous pensons, alors que notre pensée se forme
sa pensée était ailleurs. Quant aux choses aux- d'après les choses qui étaient présentes à la mé-
quelles nous n'avons pas pensé depuis long- moire, mais auxquelles nous ne pensions pas;
LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 531

et par volonté j'entends l'amour ou dilection que l'âme se souvient d'elle-même, qu'elle se
qui unit ce père et ce fils, et leur est en cer- comprend, qu'elle s'aime dès lors nous dé- :

taine façon commune à tous deux. Voilà com- couvrons une trinité, non pas Dieu encore,
ment j'ai pu, dans le onzième livre, venir en mais son image. La mémoire n'a pas tiré du
aide aux lecteurs peu intelligents, au moyen dehors ce qu'elle contient l'intelligence n'a ;

d'exemples tirés desobjets extérieurs etvisibles pas trouvé au dehors ce qu'elle voit, à l'instar
pour les yeux du corps. Puis je suis entré avec de l'œil du corps la volonté n'a pas uni au
;

eux chez l'homme intérieur, où règne cette dehors ces deux choses, comme cela arrive
faculté qui raisonne sur les choses temporelles, pour les objets matériels et l'impression qu'ils
mais en prenant soin d'y distinguer une partie produisent dans le regard du spectateur. Il
principale et dominante, qui s'applique à la ne non plus de l'image d'une chose
s'agit pas
contemplation des choses éternelles. C'a été la extérieure saisie au vol, cachée dans la mé-
matière de deux livres dans le douzième, j'ai: moire, que la pensée trouve quand elle se
établi la différence entre la partie supérieure tourne de ce côté-là, et d'où se forme le regard
et la partie inférieure, qui doit être soumise à du souvenir, image et regard que la volonté
l'autre ; dans le treizième, j'ai parlé le plus unit, elle troisième.Tout cela avait lieu dans
solidement et le plus brièvement possible de que nous avons décou-
ces espèces de trinités
la fonction de la partie inférieure, qui s'étend vertes dans les objets matériels, ou qui sont
à la science utile des choses humaines et nous violemment introduites par eux dans l'homme
apprend à user de cette vie passagère en vue intérieur au moyen des sens corporels, et dont
d'acquérir la vie éternelle : sujet compliqué, nous avons parlé dans le onzième livre '. Il
très-riche, illustré parles grands et nombreux n'est pas davantage question de ce qui se pas-
travaux d'une foule de grands hommes, mais sait ou semblait se passer quand nous par-
que j'ai dû resserrer en un seul livre, pour y lions de la science déjà établie sur les opéra-
faire voir une trinité qu'on ne peut cepen- tions de l'homme intérieur, mais distincte de
dant pas encore appeler l'image de Dieu. la sagesse : science qui renferme ce que l'âme
acquiert; soit par la connaissance de l'histoire,
CHAPITRE VIII.
comme les faits et les paroles qui ont pris

c'est dans la partie principale de l'ame place dans le temps en passant; soit ce qui
tient à la nature des choses dans des lieux et
qu'il faut chercher la TRINITÉ QUI EST
des pays particuliers soit ce qui prend nais-
l'image de DIEU. ;

sance dans l'homme lui-même, ou par un


M. Nous maintenant arrivé à ce point
voici enseignement étranger, ou en vertu de ses pro-
de la où nous devons, d'après
discussion, pres pensées, comme la foi par exemple dont —
notre plan, étudier la partie principale de nous avons beaucoup parlé dans le livre trei-
l'âme humaine, celle par laquelle elle connaît zième —
ou les vertus par lesquelles, si elles
Dieu ou peut le connaître, afin d'y découvrir sont vraies, cette vie mortelle est réglée de
l'image de Dieu. Car, bien que l'âme humaine manière à mériter l'immortalité bienheureuse
ne soit pas de même nature que Dieu, cepen- que Dieu nous a promise. Toutes ces choses
dant l'image de la plus parfaite de toutes les et d'autres du même genre ont leur place dans
natures doit se chercher et se trouver dans ce le temps, et nous ont aidé à voir plus claire-
qu'il y a de plus parfait dans notre nature. ment la trinité formée de la mémoire, de la
Mais d'abord, il faut considérer l'âme en elle- vision et de l'amour. En effet, quelques-unes
même, avant toute participation à la divinité d'entre elles existent avant d'être connues de
ety trouver l'image de Dieu. Nous avons dit ceux qui les ai)prennent, elles sont suscepti-
que, quoique privée par sa faute de l'amitié de bles d'être connues même avant d'être con-
Dieu, quoique dégradée et difforme, elle est nues, et elles engendrent leur propre connais-
cependant restée l'image de Dieu '. Elle est en sance chez ceux qui les apprennent. Les unes
elïetson image par le seul fait qu'elle est ca- sont dans un lieu fixe, les autres ont passé
pable de le connaître et de le posséder : avec le temps. Au fait celles qui ont passé
avantage immense qu'elle ne doit qu'à avec temps n'existent réellement plus il
le
;

l'honneur d'être l'image de Dieu. Voilà donc n'en reste que certains signes pour la vue ou
'
Ch. IV. ' cil. Il el suiv.
.

532 DE LA TRINITE.

pour l'ouïe et qui attestent qu'elles ont été et CHAPITUE IX.


qu'elles ne sont plus. Ces signes sont fixés ou
LA JUSTICE ET LES AUTRES VERTUS CESSENT-ELLES
dans un lieu, comme les monuments funé-
d'exister dans la VIE FUTURE ?
raires et autres de ce genre ; ou dans des écrits
dignes de foi, comme le sont les histoires 42. On demande si les vertus qui règlent
composées par des auteurs sérieux et recom- cette vie mortelle, qui prennent naissance
mandables ou dans l'âme de ceux qui les
; dans l'âme — puisque l'âme existait avant de
connaissent déjà. Connues des uns dans ce les avoir — cesseront d'exister, lorsqu'elles
dernier cas, elles sont susceptibles de l'être l'auront conduite au bonheur éternel? Quel-
pour d'autres , à la connaissance desquels ques-uns l'ont pensé, et leur opinion se com-
elles sont antérieures, mais qui peuvent les prend, s'il s'agit des trois vertus de prudence,
connaître d'après l'enseignement de ceux qui de force et de tempérance quant à la justice, ;

les connaissent. elle est immortelle, et dans le ciel elle se per-


Toutes ces choses, même quand on les ap- fectionnera en nous plutôt qu'elle ne cessera.
prend, forment une certaine trinité, par leur Voici cependant ce que le prince de l'élo-
nature même qui est susceptible d'être con- quence, Cicéron, a dit des quatre vertus dans
nue, même avant d'être connue puis par la , son dialogue intitulé Hortensius « S'il nous :

connaissance qu'en acquiert celui qui les ap- « est donné, au sortir de cette vie, de vivre
prend, laquelle commence au moment où il « immortels dans ^des îles fortunées, comme
les apprend, et enfin par la volonté qui sur- « la fable nous le dit, à quoi bon l'éloquence,
vient en tiers pour unir ces deux termes. Puis « puisqu'il n'y aura plus de tribunaux? A quoi
quand connues, il se forme de leur
elles sont « bon même les vertus ? En effet, nous n'aurons
souvenir, dans l'intérieur de l'âme, une autre « plus besoin de force là où il n'y aura [dus ni
trinité qui se compose de leurs images, :
« travail ni péril plus de justice, là où il n'y
;

imprimées dans la mémoire au moment où « aura plus de bien étranger à convoiter; plus
on les apprenait de l'impression qui en
; a besoin de tempérance pour modérer des pas-
résulte dans la pensée, quand le regard du « sions qui n'existeront plus ni enfin de pru- ;

souvenir se tourne vers elles, et de la volonté « dence, là où il n'y aura plus à choisir en-
qui vient en tiers unir ces deux choses. Quant « tre le bien et le mal. Nous serons heureux
à celles qui prennent leur origine dans l'âme « tous ensemble par la connaissance de la na-
même où jusqu'alors elles n'existaient pas, c( ture et la science, le seul privilège à recon-
comme la foi par exemple, et autres choses de « naître dans la vie même des dieux. Ce qui
ce genre, bien qu'elles semblent accidentelles « fait voir clairement que lui seul est désiré
comme venant par l'enseignement, elles ne a par la volonté, tandis que tout le reste tient
sont cependant point extérieures ni locales « à la nécessité »
comme les objets mêmes à l'existence desquels Ainsi ce grand orateur, en vantant la phi-
on croit ; mais elles ont leur origine au plus losophie, en rappelant ce qu'il avait appris
intime de l'âme. En effet, la foi n'est pas ce des philosophes et l'expliquant avec talent et
que l'on croit, mais ce par quoi l'on croit ;
modération, prétend que ces quatre vertus ne
l'objet de la foi est cru, la foi est vue. Cependant sont nécessaires que pour cette vie, oùles mi-
comme la foi est dans l'âme et que l'âme exis- sères et les douleurs abondent sous nos yeux,
tait avant que la foi y fût, celle-ci semble quel- et point du tout dans l'autre vie, s'il est donné
que chose d'accidentel, et sera rangée parmi d'y être heureux au sortir de celle-ci ; mais
les choses passées, quand elle aura disparu que les âmes vertueuses y trouveront le bon-
devant la claire vue. Maintenant elle forme heur uniquement dans la connaissance et
une trinité par sa présence, puisque elle est dans la science, c'est-à-dire dans la contem-
conservée dans lamémoire,vue et aimée. Dans plation de la nature la plus parfaite et la plus
l'autre vie, elle en formera une autre par cer- aimable, qui n'est autre que celle qui a créé
taines traces qu'elle aura laissées dans la mé- et établi toutes les autres natures. Or, si la
moire en passant, ainsi que nous l'avons déjà justice consiste à être soumis à son empire,
dit plus haut. évidemment immortelle elle ne
la justice est ;

cessera pas d'être au sein de cette félicité,


mais elle y atteindra son plus haut degré de
LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 533

perfection et de grandeur. Peut-être encore Mais les unes et les autres, soit antérieures à
les trois vertus y subsisteront-elles
autres la connaissance, soit simultanées, engendrent
aussi: la prudence, sans aucun danger d'er- leur connaissance et n'en sont point engen-
reur; la force, sans la nécessité de supporter drées. Et quand une fois connues et renfer-
les maux; tempérance. sans la lutte contre
la mées dans la mémoire, elles sont revues,
les passions. La prudence alors consisterait à qui ne voit que ce classement dans la mé-
ne préférer ou à n'égaler aucun bien à Dieu ;
moire est antérieur à la vision résultant du
la force, à s'attacher à lui a\ec une fermeté souvenir et à la réunion des deux, formée par
inébranlable tempérance, à ne se complaire
; la la volonté ? Mais dans l'àme
il n'en est pas

en rien de défectueux et de coupable. Mais ainsi : l'àme n'est pas accidentelle pour elle-
quant à la fonction propre de la justice, de ve- même, comme si elle par elle-même
était telle
nir au secours des malheureux à celle de la ; une autre elle-même
et qu'il lui vînt d'ailleurs

prudence, de se précautionner contre les em- qu'elle n'était pas d'abord ou du moins ,

bûches à celle de la force, de supporter les


; comme si, sans venir du dehors, illui naissait
événements fâcheux à celle de la tempérance^
; dans elle-même qu'elle était, une autre elle-
de réprimer les jouissances illicites, il n'en même qu'elle n'était pas. par exemple, comme
sera plus question là où tout mal sera in- la foi qui n'était pas dans l'àme, et naît dans
connu. Par conséquent, les opérations de ces l'àme qui était déjà àme auparavant ou ;

vertus, nécessaires pour cette vie mortelle, se- comme quand, postérieurement à la connais-
ront, comme la foi même à laquelle elles se sance qu'elle a d'elle-même, elle se voit, par
rattachent, rangées parmi les choses passées. le souvenir, établie en quelque sorte dans sa
Maintenant elles forment une trinité quand propre mémoire, comme si elle n'y eût pas été
elles sont présentes a notre que mémoire . avant de s'y connaître, bien que certainement
nous lesvoyons et que nous les aimons mais ; depuis qu'elle a commencé d'être, elle n'ait
elles en formeront une autre alors, quand, à jamais cessé de se souvenir d'elle-même, de se
l'aide de certaines traces qu'elles auront lais- comprendre et de s'aimer, ainsi que nous l'a-
sées chez nous en passant , nous verrons vons déjà fait voir. Par conséquent lorsqu'elle
qu'elles ne sont plus, mais qu'elles ont été : se tourne vers elle-même par la connaissance,
trinité qui se composera de ce vestige quel- il se forme une trinité où déjà on peut décou-

conque conservé dans la mémoire, de la con- vrir le verbe car il est forme de la pensée,
:

naissance exacte que nous en aurons et de la et la volonté les unit l'un à l'autre. C'est donc
volonté qui viendra en tiers unir ces deux la surtout qu'il faut reconnaître l'image que
choses entre elles. nous cherchons.
CHAPITRE X.

DANS l'aME QUI


CHAPITRE XI.
COMMENT LA TRIMTÉ SE FOIOIE

SE SOUVIENT d'elle-même. SE COMPREND ET


SE SOUVIENT-ON MÊME DES CHOSES PRÉSENTES ?
s'aime.

13. Parmi les choses temporelles dont nous li. Mais, dira-t-on, que Tàme se souvienne
avons parlé et qui fout l'objet de la science, d'elle-même alors qu'elle est toujours présente
il en est qui sont susceptibles d'être connues à elle-même, ce n'est pas de la mémoire. C'est
avant qu'on ne les connaisse comme, par ; au passé qu'appartient la mémoire, et non au
exemple, les choses sensibles qui existent en présent. En effet, ceux qui ont traité des vertus,
réalité avant qiuon en ait connaissance ou ; entre autres Cicéron,ont divise la prudence en
encore celles qui sont connues par l'histoire. trois parties : la mémoire, l'intelligence, la
11 en est d'autres qui commencent dans le mo- prévoyance, attribuant au passé la mémoire,
ment même, comme quand, pai' exemple, un au présent Tintelligence , et à l'avenir la pré-
objet visible qui n'existait pas du tout, surgit voyance qui n'est infaillible que chez ceux
tout à coup devant nos yeux, et n'est évidem- qui connaissent les choses futures : privilège
ment pas antérieur à la connaissance que refusé aux hommes,
moins qu'il ne leur
à
nous en avons ou encore quand un son se
; vienne d'en haut comme aux prophètes. Aussi
fait entendre, et commence et finit en même le sage, en parlant des hommes, a dit : « Les
temps que l'audition de celui qui lecoute. « pensées des hommes sont^ timides, et nos
,

534 DE LA TRINITE.

« prévoyances sont incertaines '


». Mais la mière souveraine et, là où elle sera immor- ;

mémoire est certaine du passé et l'intelligence régnera au sein du bonheur. Ainsi


telle, elle
du présent, du présent immatériel, bien en- entendue, la sagesse de l'homme n'est autre
tendu : car les objets corporels sont présents chose que la sagesse de Dieu. C'est alors seu-
aux yeux du corps. Quant à celui qui prétend lement qu'elle est vraie car la sagesse hu- ;

qu'on ne se souvient pas du présent, qu'il veuille maine que vanité. Mais ce n'est point
n'est
bien écouter ce qu'en ont dit les écrivains dans le même sens que Dieu est sage car il :

profanes eux-mêmes, plus occupés de la jus- ne l'est pas par participation à lui-même
tesse des expressions que de l'exactitude des comme l'âme l'est par participation à Dieu.
pensées : du style que de la vérité : « Ulysse Maiscomme on appelle justice de Dieu, non-
« ne peut souffrir de telles horreurs, et il ne seulement celle par laquelle il est juste, m.ais
« s'oublie point lui-même dans un danger si encore celle qu'il communique à l'homme
». En disant qu'Ulysse ne s'oublia
pressant -
quand il justifie l'impie celle dont parle l'A- —
pas lui-même, Virgile a-t-il entendu dire au- pôtre quand il dit, à propos de certains juifs :

tre chose sinon qu'il se souvint de lui-même? « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à
Et cependant, si la mémoire ne s'appliquait « étabhrla leur, ils ne se sont pas soumis à la
pas aux choses présentes, Ulysse n'aurait pu « justice de Dieu » ainsi peut-on dire de
^ —
se souvenir de lui, puisqu'il était toujours certains hommes Ignorant la sagesse de Dieu :

présent à lui-même. Ainsi donc, comme, par et cherchant à établir la leur, ils ne se sont
rapport au passé, on appelle mémoire la faculté pas soumis à la sagesse de Dieu.
d'y revenir par la pensée et de s'en souvenir ; 16. Il y a donc une nature incréée, qui a
de même, par rapport au présent ce que — créé toutes les natures grandes et petites, plus
l'àme est toujours pour elle-même on peut — parfaite, sans aucun doute, que tout ce qu'elle
avec raison appeler mémoire la faculté d'être a créé, et, par conséquent, que cette nature
présente à elle-même de manière à ce qu'elle raisonnable et intelligente dont nous parlons
puisse être comprise par sa propre pensée, et et qui est l'àme de l'homme, créée à l'image
à ce que ces deux choses soient unies entre de son auteur. Or, cette nature, plus parfaite
elles par l'amour qu'elles se portent. que toutes les autres c'est Dieu. Et « Dieu ,

« n'est pas loin de chacun de nous », comme


CHAPITRE XII.
dit l'Apôtre, qui ajoute aussitôt « car c'est :

LA TRINITÉ QUI SE FORME DANS l'AME EST L'IMAGE « en que nous vivons, que nous nous mou-
lui
DE DIEU QUAND l'aME SE SOUVIENT DE DIEU, cevous et que nous sommes ^ ». S'il s'agissait
LE COMPREND ET l'aIME CE QUI FORME PRO- :
ici du corps, on pourrait comprendre que

PREMENT LA SAGESSE. l'Apôtre parle du monde matériel Car là :

aussi notre corps vit, se meut et existe. C'est


15. Ce n'est pas parce que l'àme se souvient donc de l'àme faite à l'image de Dieu qu'il
d'elle-même, se comprend et s'aime elle- faut entendre ces paroles, dans un sens plus
même, que la trinité qu'elle renferme est l'i- digne, qui n'ait pas trait au monde visible,
mage de Dieu mais ; parce qu'elle peut aussi mais au monde invisible. Car est-il une créa-
se souvenir de Celui qui l'a créée, le compren- ture qui ne soit en Celui dont les divines Ecri-
dre et l'aimer. C'est par là qu'elle devient sage. tures nous disent «Puisque c'est de lui, et par
:

Si ellene le fait pas, elle a beau se souvenir « lui eten lui que sont toutes choses ^ ? » Or, si
d'elle-même, se comprendre et s'aimer elle- tout est en lui, en qui peut vivre ce qui vit, et
même, elle est insensée. Qu'elle se souvienne se mouvoir ce qui se meut, sinon en Celui en
donc du Dieu à l'image duquel elle a été faite, qui tout est ? Cependant tous les hommes ne
qu'elle le comprenne et qu'elle l'aime en ; sont pas avec lui comme y était celui qui lui
deux mots, qu'elle honore le Dieu incréé, qui disait « Je suis toujours avec vous * ». Ni lui-
:

l'a créée capable de le comprendre et qu'elle même n'est point avec tous dans le sens où nous
peut posséder. C'est pour cela qu'il est écrit : disons « Le Seigneur soit avec vous ». C'est
:

« Honorer le Seigneur, voilà la sagesse ^ ». Ce donc un grand malheur pour l'homme de ne pas
n'est point par sa propre lumière que l'àme être avec Celui sans lequel il ne peut être. Car
sera sage, mais par participation à cette lu-
* Rom. N. {. — =
Act. XVII, 27, 28. — '
Rom. xi, 36. — "
Ps.
' Sag. IX, 1 1.— '
Enéide, liv. m, v. 628, 629.— '
Job, xxvui, 2?. lxJlII, 23.
LIVRE XIV, — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 535

il ne peut évidemment être sans Celui en qui CHAPITRE XIV.


il est; et cependant s'il ne s'en souvient pas ,
l'aME, en S'aIMANT CONVENABLEMENT, AIME DIEU ;
s'il ne le comprend pas et ne l'aime pas, il
SI ELLE NE l'aime PAS, ON DOIT DIRE QU'ELLE
n'est pas avec lui. Or il n'est pas possible de
SE HAIT ELLE-MÊME. QU'ELLE SE TOURNE VERS
rappeler à quelqu'un ce qu'il a complètement
dieu pour se souvenir de lui, le comprendre,
oublié.
l'aimer, et, parla jième. Être heureuse.
CHAPITRE XIII.
Nous trouvons, dans les divines Ecritu-
18.
COMMENT ON PEUT OUBLIER DIEU ET s'EN SOU-
res, une multitude de textes sur l'amour de
VENIR.
Dieu. Là aussi on comprend parfaitement ces
17.Prenons un exemple dans le monde deux points que personne n'aime ce dont il
:

visible. Quelqu'un que tu ne reconnais pas te ne se souvient pas, ni ce qu'il ignore entière-
dit: Ta méconnais, et pour fixer ton esprit, il te ment. De là ce commandement principal et si
rappelle où, quand et comment tu l'as connu. connu « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ».
:
'

Si tu ne le reconnais pas après toutes les in- Telle est la nature de l'âme humaine, que tou-
dications propres à réveiller ta mémoire, c'est jours elle se souvient d'elle-même, que tou-
que tu l'as oublié au point que tout souvenir jours elle se comprend et s'aime elle-même.
en est elTacé dans ton esprit. Il ne te reste pas Mais comme celui qui hait quelqu'un cherche
autre chose à faire que de croire, sur sa parole, à lui nuire, ainsi a-t-on raison de dire que
que tu l'as réellement connu et encore faut- ; l'àme se hait quand elle se nuit. Elle se veut
il pour cela que celui qui te parle te paraisse du mal sans le savoir, ne pensant pas que ce
digne de foi. Mais si tu t'en souviens, tu ren- qu'elle veut lui est nuisible ; et cependant elle
tres immédiatement dans ta mémoire, et tu y se veut réellement du mal, quand elle veut ce
trouves ce que l'oubli n'avait pas encore en- qui lui nuit. Voilà pourquoi il est écrit : «Celui
tièrement effacé. a qui aime l'iniquité, hait son àme ^ ». Celui
Revenons maintenant au sujet que nous donc qui sait s'aimer, aime Dieu; mais celui
avons voulu éclaircir par cette comparaison ,
qui n'aime pas Dieu, s'aimàt-il d'ailleurs —
tirée de la société humaine. Entre autres cho- c'est l'instinct de la nature peut passer à —
ses, nous lisons dans le psaume neuvième : juste titre pour se haïr, puisqu'il agit contre
« Que les impies soient précipités dans l'enfer, son intérêt et se poursuit lui-même comme
« toutes les nations qui oublient Dieu '»; d'au- un ennemi. Erreur effrayante ! tous veulent
tre part on lit dans le psaume vingt et unième : ce qui leur est avantageux, et beaucoup ne font
a Tous les peuplesdelaterre se souviendront et que ce qui leur est le plus funeste Lepoë^e a !

« se tourneront vers le Seigneur ^ » Ces nations . décrit une maladie semblable chez les ani-
n'avaient donc pas oublié Dieu jusqu'au point maux muets « Grands Dieux, épargnez aux
:

qu'on ne pût en réveiller le souvenir chez elles. « bons et gardez aux méchants de pareilles

Mais en oubliant Dieu, comme si elles eussent « erreurs Ces malheureux se mordaient et se
!

oublié leur vie, elles s'étaient tournées vers la « déchiraient lesmembres d'une dent force-
mort, c'est-à-dire vers l'enfer. Puis, se souve- cenée ^ » Ce n'était là qu'une maladie du corps;
.

nant, elles se tournent vers le Seigneur, comme pourquoi le poète l'appelle-t-il une erreur,
si elles eussent revécu, en se rappelant leur vie sinon parce que tout animal est porté par la
qu'elles avaient oubliée. On lit encore dans le nature à se protéger autant qu'il le peut, et
psaume quatre-vingt-treizième : Comprenez
« que, sous l'empire de ce mal, ceux-là déchi-
« maintenant, vous qui êtes insensés au mi- raient les membres mêmes qu'ils auraient
« lieu du peuple hommes stupides, devenez
; voulu conserver ?

« donc enfin sages. Quoi Celui qui forma 1 Or, quand l'âme aime Dieu, et par consé-
« l'oreille, n'entendra pas * ? etc.... » Ceci s'a- quent, comme nous l'avons dit, se souvient de
dresse à ceux qui, faute de comprendre Dieu, lui, et le comprend, on lui donne avec raison
en disent des choses qui n'ont point de sens. comme soi-même.
l'ordre d'aimer son prochain
' l's. IX, 18. — - Ts. XXI, 2S. — ' Fb. xcili, 8, 9. Car ce n'est plus d'un amour vicieux, mais
raisonnable, qu'elle s'aime quand elle aime
Dieu : Dieu qui non-seulement l'a faite à son
' Deut. VI, 5. — ' Ps. X, 6. — ' Géorg. m, v. 513, 514.
,

53() DE LA TKINITÉ.

image, mais la renouvelle en détruisant le peut-on posséder des trésors autrement que
vieil homme, réforme quand elle était dé-
la par l'âme ? Si l'enfant au berceau, quoique né
formée, la rend heureuse de malheureuse au sein de l'opulence et maître de tout ce qui
qu'elle était. Eh bien qu'elle s'aime tellement
1 lui appartient de droit, ne possède rien parce
que, dans l'alternative, elle aimerait mieux que son âme est aux langes, comment quel-
perdre tout ce qui est au-dessous d'elle que de qu'un privé de son âme pourra-t-il rien pos-
périr elle-même, cependant en abandonnant séder ? Mais pourquoi parler de trésors que
Celui qui est au-dessus d'elle — pour qui seul tout le monde , dans l'alternative , aimera
elle pourraitconserver sa force afin de jouir mieux perdre que de perdre son âme ? Il n'est
de sa lumière, comme le chante le Psalmiste : personne qui les mette au dessus, personne
«Je conserverai ma force pour vous », et '
même qui les estime à l'égal des yeux du
ailleurs « Approchez-vous de lui
: et vous , corps qui ne sont pas une propriété rare
,

« serez éclairés ^ » en l'abandonnant, dis-je, — comme celle de l'or, mais en vertu desquels
elle est devenue si faible, si ténébreuse, que tout homme possède le ciel car, par les yeux :

descendant au-dessous d'elle-même à des cho- du corps, tout homme prend possession de
ses qui ne sont pas ce qu'elle est et auxquelles tout ce qui lui fait plaisir à voir. Qui donc
elle est supérieure, elle s'est misérablement dans le cas où il ne pourrait garder lesuns et
prostituée à des amours qu'elle ne peut vaincre les autres et serait obligé de perdre ses yeux
et à des erreurs dont elle ne sait plus se déga- ou ses trésors, ne sacrifierait ses trésors à ses
ger. Ce qui fait que, pénitente par l'effet de la yeux ? Et pourtant, s'il était placé dans la
compassion divine, elle s'écrie par la voix du même alternative pour ses yeux et son âme, qui
Psalmiste « Ma force m'a abandonné et la
: ne voit qu'il préférerait son âme à ses yeux ?
« lumière de mes yeux n'est plus avec moi H. L'âme sans les yeux est encore une âme hu-
19. Cependant au milieu de ces tristes suites maine, et sans l'âme les yeux de la chair sont
de l'infirmité et de l'erreur, elle n'a pu perdre des yeux de bête. Or qui n'aimerait mieux
ce que la nature lui a donné la faculté de se : être un homme privé de la vue, qu'un animal
souvenir de se comprendre et de s'aimer.
, doté de la vue ?
Voilà pourquoi le Psalmiste a pu dire ce que 20. Je dis tout ceci pour faire com prendre en
je citais plus haut « Quoique l'homme mar- : peu de mots aux personnes les moins intelli-
« che en image, cependant il s'agite en vain gentes qui pourraient lire ou entendre lire ces
;

« il amasse des trésors et il ne sait qui les re- pages, combien l'âme s'aime elle-même, en-
« cueillera*». Pourquoi en efTetamasse-t-il des core qu'elle soit faible et (ju'elle s'égare à
trésors, sinon parce que sa force l'a abandonné, aimer et à poursuivre à tort ce qui est au-des-
cette force par qui il possédait Dieu et n'avait sous d'elle. Or elle ne pourrait pas s'aimer si
besoin de rien? Et pourquoi ne sait-il pour elle s'ignorait absolument, c'est-à-dire si elle
qui il amasse, sinon parce que la lumière de ne se souvenait pas d'elle-même, et ne se com-
ses yeux n'est plus avec lui? C'est pourquoi il prenait pas et ce titre d'image de Dieu lui
;

ne voit pas ce que dit la vérité «Insensé, cette : donne une telle puissance qu'elle peut s'atta-
« nuit même on te redemandera ton âme cher à Celui dont elle est l'image. Car tel est
« et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il ^ ? » son rang, non dans l'espace local, mais dans
Cependant, comme cet homme marche encore la hiérarchie des natures, qu'elle n'a que Dieu
en image, et comme son àme conserve toujours au-dessus d'elle. Et quand elle lui est parfaite-
la mémoire, l'intelligence et l'amour de soi- ment unie, elle ne fait plus qu'un esprit avec
même si on lui disait qu'il ne peut tout gar-
:
lui, ainsi que l'atteste l'Apôtre, quand il dit :

der et qu'on le mît dans l'alternative ou de « Celui qui s'unit au Seigneur, est un seul
perdre les trésors qu'il a amassés, ou de per- « esprit avec lui ». En ce cas, elle s'élève
'

dre son âme, serait-il donc assez fou pour ne jusqu'à participera la nature, à la vérité et au
pas préférer son âme à ses trésors ? Les trésors bonheur de Dieu, sans que pour autant Dieu
trop souvent corrompent l'âme ; mais l'âme croisse en nature , en vérité et en bonheur.
que les trésors n'ont pas corrompue, vit plus Quand donc elle sera heureusement unie à
facilement et plus librement sans trésors. Et cette nature, elle vivra dans l'immutabilité, et
• Ps. LVIII 10. — ' Ps. XXXni — — tout ce qu'elle verra sera immuable pour elle.
, , 6. ' Ps. XASVII , 11. »
Ps.
•vxxviii, 7. — '
Luc, XII, 20. I Cor. VI, 17.
LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 537

C'est alors que, suivant la promesse de la di- porte là-dessus aux Ecritures de son Dieu, si

vine Ecriture, ses désirs seront rassasiés de dignes de foi, écrites par son prophète, racon-
bonheur \ eTà'un bonheur immuable, au sein tant la félicité du paradis, et exposant, d'après
de la Trinité, son Dieu, dont elle est l'image : la tradition historique, le premier bonheur et
et pour que cette image ne puisse plus être la première chute de l'homme. Seulement

cachée dans le secret de la


altérée, elle sera elle se souvient du Seigneur son Dieu car :

face divine% remplie par elle d'une telle


et celui-là est toujours; il n'a pas été pour ne
abondance qu^elle n'éprouvera plus jamais de plus être, il n'est pas pour cesser d'être un
plaisir à pécher. Mais, quand elle se
ici-bas, jour; mais comme jamais il ne cessera d'être,

voit, elle ne voit point une chose immuable. ainsi a-t-il toujours existé. Et il est tout entier

partout ; c'est pourquoi l'àme vit, se meut et


CHAPITRE XV. esten lui ^ , c'est pourquoi aussi elle peut se sou-

QUOIQUE l'aME espère LE BONHEUR, ELLE NE SE venir de lui. Non pour


qu'elle s'en souvienne
l'avoir connu dans Adam,
ou quelque autre part
SOUVIENT CEPENDANT PAS DE CELUI QU'eLLE A
PERDU, MAIS BIEN DE DIEU ET DES LOIS DE LA avant cette vie, ou quand il la formait pour

JUSTICE.
animer le corps non, elle ne se rappelle rien
:

de cela, tout cela est effacé par l'oubli.


L'àme ne met certainement pas en
21. Mais elle s'en souvient pour se tourner vers
doute qu'elle est malheureuse et qu'elle espère le Seigneur, comme
vers la lumière qui la
être heureuse, et elle n'espère le bonheur que frappait encore en un certain sens même
parce qu'elle est sujette au changement. Si quand elle se détournait de lui. Voilà com-
elle n'y était pas sujette, elle ne pourrait pas ment les impies eux-mêmes pensent à l'éter-
passer de la misère au bonheur, comme elle nité, et blâment et approuvent avec raison
tombe du bonheur dans la misère. Et qui au- bien des choses dans la conduite des hommes.
rait pu la rendre misérable sous un Dieu tout- Or, d'après quelles règles jugent-ils, sinon
puissant et bon, sinon son péché et la justice d'après celles qui enseignent à bien vivre,
de son Maître? Et qui peut la rendre heu- bien qu'eux-mêmes ne vivent pas comme ils

reuse, sinon son propre mérite et la récom- le devraient? Et où les voient-ils, ces règles?
pense de son Seigneur ? Mais son mérite est Ce n'est pas dans leur propre nature, puisque
l'elfet de la grâce de Celui-là même dont le évidemment ces sortes de choses se voient
bonheur sera sa récompense. Elle ne peut en par l'àme, et que leurs âmes sont sujettes à
effet se donner à elle-même la justice qu'elle changement, tandis que ces règles sont im-
a perdue et qu'elle n'a plus. L'homme l'avait muables, comme le voit quiconque est capa-
reçue au moment de sa création, et il l'a ble de le lire en elles-mêmes. Ce n'est point
perdue par son péché. Il la reçoit donc, pour non plus dans l'état de leur âme, puisque ce
mériter par elle de recevoir le bonheur. Ainsi sont des règles de justice et qu'il est constant
c'est en toute vérité que l'Apôtre dit à l'àme, que leurs âmes vivent dans l'injustice. Où ces
comme si elle commençait à se glorifier d'un règles sont-elles écrites? où l'homme injuste
avantage qui lui tut propre : « Et qu'as-tu reconnaît-il ce qui est juste ? Où voit-il qu'il

«que tu n'aies reçu? que si tu l'as reçu, faut avoir ce qu'il n'a pas ? Oui, où sont écri-
« pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu ne tes ces lois, sinon dans le livre de cette lu-
« l'avais pas reçu ^ ? o Mais quand elle se sou- mière qu'on appelle la vérité ? C'est de là que
vient bien de Dieu, après avoir reçu son Es- dérive toute loi juste et qu'elle se transporte
prit, elle sentparfaitement — car elle l'apprend dans le cœur de l'homme qui pratique la
par une communication intime du Maître — justice, non par déplacement, mais par une
qu'elle ne peut se releverque par un elîet gra- sorte d'empreinte, comme l'image de l'an-
tuit de son amour, et qu'elle n'a pu tomber neau passe dans la cire et ne la quitte plus.
que par l'abus de sa propre volonté. A coup Quant à celui qui ne pratique pas et voit ce-
sur, elle ne se souvient pas de son bonheur ;
pendant ce qu'il faut pratiquer, c'est lui qui
ce bonheur a été et n'est plus elle Ta com- ; se détourne de celte lumière et en reste néan-
plètement oublié, et voilà pourquoi le souve- moins frappé. Pour celui qui ne voit pas com-
nir ne peut en être réveillé. Mais elle s'enrap- ment il faut vivre, il est plus excusable de
' Ps. eu, 5. — ' Ps. XXX, 21. —M Cor. iv, 7. ' Act. xvu, 28.
, . ,

538 DE LA TRINITÉ.

pécher parce qu'il ne transgresse pas de loi mort corporelle eut heu par le départ de
connue; mais il est quelquefois atteint aussi l'âme. On parle encore de l'esprit de l'animal :

par l'éclat de cette vérité présente partout expression que le livre de Salomon, l'Ecclé-
quand on l'instruit et qu'il croit. siaste, emploie de la manière la plus formelle :

« Qui sait si l'esprit des enfants des hommes


CHAPITRE XVI. « monte en haut, et si l'esprit des bêtes des-
COMMENT l'image DE DIEU SE RÉFORME « cend en bas dans la terre ? » Il est aussi '

écrit dans la Genèse que toute chair « ayant


DANS l'H03IME.
« en elle un esprit de vie » périt dans le dé-

22. Or, ceux qui se souviennent de Dieu pour luge ^ Le vent, chose évidemment matérielle,
se tourner vers lui, et se détourner de la diffor- porte encore le nom d'esprit; car on lit dans
mité qui, au moyen des passions mondaines, les psaumes « Feu, grêle, neige, glace, es-
:

les rendait conformes à ce siècle, se réfor- « prit de tempête ^ »


ment sur ce point, en écoutant cette parole de Le mot esprit ayant donc tant de significa-
l'Apôtre : « Ne vous conformez point à ce siè- tions diverses, l'Apôtre entend ici par l'esprit
« de, mais réformez-vous par le renouvelle- de l'âme, l'esprit qui s'appelle l'âme. C'est
« ment de votre esprit » Dès lors l'image '
. dans un sens analogue que le même Apôtre
commence à être réformée par Celui qui l'a dit ailleurs : « Par le dépouillement de votre
formée. Car elle ne peut pas se réformer elle- « corps de chair * » ; non qu'il entende par là
même, comme elle a pu se déformer. L'Apô- deux choses différentes, comme si la chair était
tre dit encore ailleurs « Renouvelez-vous : distinctedu corps; mais le mol corps s'appli-
« dans l'esprit de votre àme, et revêtez-vous quant à une foule d'objets qui ne sont pas chair
a de l'homme nouveau qui a été créé selon — en dehors de la chair
y a beaucoup de il

« Dieu dans la justice et la sainteté de la corps célestes et terrestres il s'est servi de —


«vérité ^ ». Ces expressions «Créé selon : l'expression corps de chair, pour désigner le
« Dieu », ont le même sens que ce qui est dit corps qui est chair. C'est ainsi qu'il appelle
en un autre endroit « A l'image de Dieu *». : esprit de l'âme l'esprit qui est l'âme. En un
Mais, en péchant, l'homme a perdu la justice autre endroit, il a désigné l'image plus expres-
et la sainteté de la vérité; voilà pourquoi l'i- sément, prescrivant le même ordre en d'au-
mage a perdu sa forme et sa couleur: mais il tres termes : homme avec
« Dépouillez le vieil

la reprend, quand il est réformé et renouvelé. « ses œuvres, et revêtez l'homme nouveau
Quant à ces mots « L'esprit de votre âme »,: « qui se renouvelle par la connaissance de

on ne doit pas les entendre en ce sens qu'il y « Dieu, selon l'image de celui qui l'a créé ^ ».

ait ici deux choses distinctes, l'âme et l'esprit D'un côté on lit « Revêlez l'homme nouveau :

de l'âme; mais cela veut dire que si toute « qui a été créé selon Dieu » , de l'autre :

âme est esprit, tout esprit n'est pas âme. En « Revêtez l'homme nouveau qui se renou-
effet Dieu est aussi Esprit \ bien qu'il ne se
, « velle selon l'image de celui qui l'a créé».
renouvelle pas, puisqu'il ne peut vieillir. Il y Là, l'Apôtre dit : o Selon Dieu » ; ici : « Selon
a donc dans l'homme un esprit qui n'est pas « l'image de celui qui l'a créé ». Là encore :

l'âme, et auquel appartiennent les ressem- « Dans la justice et la sainteté de la vérité »,


blances imaginaires du corps. C'est de celui- et ici « Par la connaissance de Dieu». Ce
:

là que l'Apôtre dit aux Corinthiens « Car si : renouvellement a donc lieu par la réforma-
« je prie de la langue, mon esprit prie, mais tion de l'âme selon Dieu, ou selon l'image de
« mon âme est sans fruit ^ ». 11 parle ici de Dieu. Si l'Apôtre dit «selon Dieu », c'est pour
ce qu'on prononce sans le comprendre, et qui exclure l'idée qu'elle puisse être réformée se-
ne peut s'exprimer si les images des mots ma- lon une autre créature ; et s'il dit « selon l'i-
tériels n'ont produit d'abord la pensée de l'es- « mage de Dieu faire entendre » , c'est pour
prit, avant les sons de la bouche. L'âme de que renouvellement a lieu là où est l'image
le
l'homme s'appelle aussi esprit c'est pourquoi ; de Dieu, c'est-à-dire dans l'âme. C'est dans un
on lit dans l'Evangile « Et la tête inclinée :
,
sens analogue que nous disons mort selon le
« il rendit l'esprit ® » ; ce qui veut dire que la corps, et non selon l'esprit, le juste qui sort

Rom. XII, 2. — ' Eph. iv, 23, 24. — ^ Gen. i, 27. — " Jean, iv, ' Eccl. m, 21. — ' Gen. vu, 22. ' Ps. CiLVIlI, 8. — * Col. II,
24. — ' I Cor. XIV, 14. — ' Jean, xix, 20. U. - ' Id. m, 9, 10.
,,

LIVRE XIV. — IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 539

de son corps dans son état de fidélité. Et que de la vérité et fait des progrès de jour en jour,
veut dire mort selon le corps, sinon mort par reporte ses affections du temps à l'éternité,
le corps ou dans le corps, et non par l'âme ou du visible à l'invisible, des choses charnelles
dans l'àme ? Ou encore quand nous disons : aux choses spirituelles il met toute son ar- ;

Il beau selon le corps, ou fort selon le


est deur à réprimer et à afi'aiblir sa passion pour
corps, et non selon l'âme, qu'entendons-nous celles-là, à fortifier son amour pour celles-ci.
dire sinon Il est beau ou fort par le corps et
: Mais il ne réussit que dans la mesure où Dieu
non par l'âme ? Et ainsi d'une multitude de l'aide. Car le Sauveur lui-même l'a dit «Sans :

locutions de ce genre. Ainsi nous n'entendons « moi vous ne pouvez rien faire ». Quiconque *

pas ces expressions : « Selon l'image de celui sera surpris par le dernier jour de sa vie dans
« qui l'a créé » , en ce sens que l'image selon cette foi au Médiateur, dans ces progrès et ces
laquelle l'homme est renouvelé, soit différente succès, sera conduit au Dieu qu'il a honoré
de celle qui est renouvelée. pour recevoir de lui sa perfection, il sera
accueilli par les saints anges, et reprendra à
CHAPITRE XVII. la fin du monde son corps incorruptible, non
COMMENT l'image DE DIEU RENOUVELLE DANS SE pour le châtiment, mais pour la gloire. Alors
l'AME, en attendant que la RESSEMBLANCE la ressemblance de Dieu sera parfaite dans
DE DIEU SE PERFECTIONNE EN ELLE DANS LA cette image, puisque la vision de Dieu y sera
BÉATITUDE. parfaite. C'est de quoi parle l'Apôtre quand il
dit « Nous voyons maintenant à travers un
:

23. Sans doute ce second renouvellement « miroir en énigme, mais alors nous verrons

ne se fait pas immédiatement au moment « face à face » Et encore


-
. « Pour nous, :

même de la conversion, comme le premier « contemplant à face découverte la gloire du


s'opère sur-le-champ au moment du baptême « Seigneur, nous sommes transformés en la
par la rémission de tous les péchés, dont il « même image de clarté en clarté, comme par
ne reste rien qui ne soit remis. Mais comme du Seigneur * » et c'est ce qui ar-
« l'Esprit :

autre chose est d'être guéri de la fièvre, autre rivedans ceux qui font de jour en jour des
chose de recouvrer les forces abattues par la progrès dans le bien.
fièvre; ou, encore, autre chose de tirer le
trait du corps, autre chose de fermer la bles-
CHAPITRE XVIII.

sure qu'il a causée; de même le premier pas FAUT- IL, d'après LES PAROLES DE SAINT JEAN,
vers la guérison est d'écarter la cause du mal, VOIR AUSSI DANS L'iMMORTALITÉ DU CORPS,
ce qui s'obtient par la rémission de tous les NOTRE FUTURE RESSEMBLANCE AVEC LE FIi.S
péchés; et le second, de guérir la maladie DE DIEU?
elle-même, ce qui a lieu par le progrès insen-
sible dans le renouvellement de l'image. Le 24. L'apôtre Jean dit « Mes bien-aimés :

Psalmiste nous indique cette double opéra- «nous sommes maintenant enfants de Dieu •

tion quand il dit d'abord « Qui pardonne : « mais on ne voit pas encore ce que nous se-
« toutes les iniquités » — effet du baptême — «rons; nous savons que lorsqu'il apparaîtra
puis : « qui guérit toutes les langueurs '
», « nous serons semblables à lui, parce que

par des progrès quotidiens, pendant que l'i- « nous le verrons tel qu'il est ^ » D'après ce ,

mage se renouvelle. que l'Apôtre C'est ce texte, on voit que la ressemblance avec Dieu
exprime très-clairement en ces termes «Rien : sera parfaite dans son image, quand celle-ci
« qu'en nous l'homme extérieur se détruise, aura reçu la pleine vision de la divinité. Du
« cependant l'homme intérieur se renouvelle reste, ces paroles de l'apôtre Jean semblent
«de jour en jour*». Or, «il se renouvelle s'appliquer même
à l'immortalité du corps.
« par la connaissance de Dieu », c'est-à-dire Car nous serons semblables à Dieu
ici aussi
« dans la justice et la sainteté de la vérité », mais à Dieu le Fils seulement, puisque seul
d'après les textes mêmes de l'Apôtre que j'ai entre les personnes de la Trinité, il a pris un
cités plus haut. corps, dans lequel il est mort et ressuscité et
Celui donc qui se renouvelle par la con- qu'il a introduit dans le séjour éternel. Ce
naissance de Dieu, par la justice et la sainteté
' Jean, xv, b. — ' l Cor. xui, 12. — ' II Cor. m, 18. — ' 1
Jean,
Ps. cil, 3. — Ml Cor. IV, 16. 111,2.
,

540 DE LA TRINITÉ.

sera donc encore l'image de Dieu quand moignage de saint Paul « En un : clind'œil,
nous aurons comme lui un corps immortel, « au son de la dernière trompette, les morts
et que nous serons, sous ce point de vue, « ressusciteront incorruptibles, et nous, nous
conformes à l'image, non du Père ou du Saint- « serons changés ». En effet, en un clin
'

Esprit, mais du Fils seulement, puisque c'est d'œil, avant le jugement, ce corps animal qui
de lui seul qu'il est dit « Le Verbe a été fait : est semé maintenant dans l'infirmité, dans la
« chair '
», comme le maintient la foi ortho- corruption et l'abjection, ressuscitera spiri-
doxe. De là ces paroles de l'Apôtre : « Ceux tuel, dans dans l'incorruplibihté et
la force,
«qu'il a connus par sa prescience, il les a dans la gloire. Et l'image qui se renouvelle
« aussi prédestinés à être conformes à l'image de jour en jour, non extérieurement, mais
« de son Fils, afin qu'il fût lui-même le pre- intérieurement, dans l'esprit de l'âme par la
« mier-né entre beaucoup de frères ^ », c'est- connaissance de Dieu, sera perfectionnée par
à-dire « premier-né d'entre les morts», comme la vision, qui aura lieu alors, après le juge-

le dit le même Apôtre ^; par la mort, la chair ment, face à face, et (jui maintenant avance à
a été semée dans l'abjection, et est ressuscitée travers un miroir en énigme K C'est de cette
dans la gloire. Selon cette image du Fils, à perfection qu'il faut entendre ces paroles :

laquelle nous devenons conformes par l'im- « Nous serons semblables à lui parce que ,

mortalité de notre corps, nous faisons ce que « nous le verrons tel qu'il est ». Ce don nous

conseille encore l'Apôtre « Comme donc : sera fait quand on nous aura dit « Venez, :

« nous avons porté l'image du terrestre, por- «bénis de mon Père; possédez le royaume
« tons aussi l'image du céleste * » ; afin de « préparé pour vous * ». Alors l'impie dispa-

croire véritablement et d'espérer inébranla- raîtra, pour ne pas voir la gloire du Seigneur %

blement qu'après avoir été mortels selon quand ceux qui seront à gauche iront au sup-
Adam, nous serons immortels selon le Christ. plice éternel, et que ceux qui seront à droite
que nous pouvons porter la même
C'est ainsi entreront dans l'éternelle vie ^ Or, comme
image que lui, non encore dans la vision, l'a dit la vérité, « la vie éternelle, c'est qu'ils
mais dans la foi, non encore en réalité, mais «vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et
en espérance; car c'était de la résurrection « celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ^ ».

que l'Apôtre parlait en disant cela. 26. Cette sagesse contemplative — la même,
ce me
semble, que celle que les saintes Ecri-
CHAPITRE XIX. tures distinguent de la science sous le nom

c'est bien PLUTOT DE NOTRE PARFAITE RESSEM- de sagesse — n'appartient qu'à l'homme; mais
BLANCE AVEC LA TRINITÉ DANS LA VIE ÉTER-
l'homme ne l'a point de lui-même; il la tient

de celui dont la participation peut seule ren-


NELLE, qu'il faut ENTENDRE LES PAROLES DE
dre l'âme vraiment raisonnable et intelligente.
SAINT JEAN. LA SAGESSE EST PARFAITE AU SEIN
Cicéron la recommande en ces termes, à la fin
DE LA BÉATITUDE.
de son dialogue d'Hortensius «Nous qui mé- :

Quant à l'image dont il est dit « Fai-


25. : « ditons ces choses jour et nuit, qui exerçons

« sons l'homme à notre image et à notre res- « notre intelligence le regard de l'âme— et —
« semblance * », comme le texte ne dit pas à « veillons à ne point la laisser s'émousser,

mon image ni à ton image, nous croyons que « c'est-à-dire nous qui sommes philosophes,
l'homme a été fait à l'image de la Trinité et « nous avons grand espoir, que si ce que nous
nous avons mis toute la diligence possible à « sentons et ce que nous goûtons est mortel et
le bien comprendre. C'est donc plutôt en ce « périssable, du moins, au terme de notre car-

sens qu'il faut entendre ce que dit l'apôtre « rière mortelle, la mort nous sera agréable,

saint Jean : «Nous serons semblables à lui, « que l'anéantissement ne nous sera point
« quand nous le verrons tel qu'il est » parce ,
« pénible, mais sera plutôt le repos de notre
que ce mot « lui » se rapporte à celui dont il « vie ou si, selon l'opinion d'anciens philo-
;

a dit « Nous sommes les enfants de Dieu ^ ».


: « sophes, les plus grands et de beaucoup les
Et l'immortalité de la chair s'opérera au mo- « plus illustres, nous avons des âmes immor-
ment même de la résurrection, d'après le té- « telles et divines, il faut croire qu'elles mon-
* Jean , 1 , 14. — ' Rom. viii , 29. — * Col. i , 18. — "1 Cor. XV, » I Cor. XV, 52.— - Id. xui, 12.— ' Matt. xxv, 34.— ' Is. xxvi
43-49. — ' Gen. i, 26. — ' I Jean, m, 2. 10. — ' Matt. XXV, 46, — ' Jean, xvii, 3.
.

LIVRE XIV IMAGE DE DIEU DANS L'HOMME. 341

« teront et rentreront d'autant plus facilement l'anéantissement nous serait agréable. Mais il

« au auront mieux suivi leur car-


ciel qu'elles ne tenait point cette doctrine des philosophes
te rière, c'est-à-dire cédé à la raison et au désir dont il fait un si bel éloge; il l'avait emprun-
« de savoir, et qu'elles se seront moins mêlées tée à la nouvelle Académie où il avait appris
« et embarrassées dans les vices et les erreurs à douter des vérités les plus évidentes. Ce
« des hommes». Puis dans une courte con- qu'il tenait de ces philosophes « les plus
clusion , il répète encore la même pensée : « grands et de beaucoup les plus illustres »,
« Ainsi donc, pour terminer enfin cette dis- comme il en convient lui-même, c'est que les

« cussion, que nous désirions une mort


soit âmes sont immortelles. Or il est à propos
« paisible après une vie livrée à ces occupa- d'exciter par là des âmes immortelles à pour-
« tions, soit que nous devions passer immédia- suivre, jusqu'au terme de cette vie, la carrière
« tement de ce séjour à un autre bien préfé- de la raison, la recherche de la vérité, et à se
« rable, nous devons consacrer à ces études dégager le plus possible des vices et des er-
« tous nos travaux et tous nos soins » reurs des hommes,
afin de faciliter leur re-
m'étonne que cet homme, doué d'un
Ici je tour vers Dieu. Mais cette carrière, qui con-
si grand génie, promette, au terme de la car- sistedans l'amour et la recherche de la vérité,
rière mortelle une mort agréable à des phi-
, ne point à des malheureux, c'est-à-dire
suffît
losophes dont le bonheur est la contemplation à des hommes mortels aidés de leur seule
de la vérité, si ce que nous sentons et ce que raison et privés de la foi au Médiateur. C'est
nous goûtons est mortel et périssable comme : ce que je me suis efforcé de démontrer dans
s'il s'agissait de la mort et de la destruction les autres parties de cet ouvrage, particuliè-
de quelque chose que nous n'aimerions pas rement dans le quatrième et le treizième
ou que nous haïrions mortellement et dont livre.
,
,

LIVRE QUINZIEME.
Résumé de ce qui a été dit dans les quatorze livres précédents. —
Il faut chercher la Trinité dans les réahtés éternelles, imma-

térielles et immuables, dont la parfaite contemplation nous est promise comme le souverain bonheur. Nous ne découvrons —
ici-bas cette Trinité que comme à travers un miroir et en énigme , dans l'image de Dieu qui est en nous , comme une
ressemblance obscure et difûcile à saisir. C'est ainsi qu'on peut conjecturer et expliquer d'une manière quelconque la géné-
ration du Verbe divin par la parole de notre âme , mais avec difficulté , à cause de l'immense différence qui sépare les deux
verbes ; et aussi la procession du Saint-Esprit, par l'amour, lien produit par la volonté.

CHAPITRE PREMIER. que chercher toujours, c'est ne jamais trouver;


et comment le cœur de ceux qui cherchent
DIEU EST AU-DESSUS DE l'AME.
sans pouvoir trouver ne sera-t-il pas dans la
Notre dessein étant d'amener le lecteur à
1. tristesse plutôt que dans l'allégresse ? car le

reconnaître le Créateur dans ses créatures Psalmiste ne dit pas « que le cœur » de ceux :

nous sommes arrivé jusqu'à son image, qui qui trouvent, mais « de ceux qui cherchent le
est l'homme Thomme dans ce qui l'élève au-
;
Seigneur, soit dans l'allégresse ». Et d'autre
dessus de tous les animaux, c'est-à-dire dans part, le prophète Isaïe atteste qu'on peut trou-
ver Seigneur en le cherchant « Cherchez
sa raison ou son intelligence, dans tout ce le :

qu'on peut attribuer à une àme raisonnable « le Seigneur » dit-il, « et dès que vous l'au-
,

ou dans tout ce qui est propre à


intelligente, « rez trouvé , invoquez-le ;
puis quand il sera

cettechose qu'on appelle esprit ou âme. C'est «près de vous, que l'impie abandonne ses
par ce mot spécial mens, animus, que quel- « voies, et l'homme injuste ses pensées *». Or,

ques auteurs latins désignent la partie princi- si en le cherchant, on le trouve, pourquoi


pale de l'homme, refusée aux animaux^ pour nous dit-on « Cherchez sans cesse sa pré-
:

la distinguer de l'àme même des animaux « sence ? Serait-ce qu'il faut encore le cher-
ï>

anima. Si nous cherchons quelque chose^ et cher quand on l'a trouvé ? En effet, c'est ainsi
quelque chose de vrai, au-dessus de cette na- qu'il faut chercher les choses incompréhen-

ture, nous trouvons Dieu, c'est-à-dire la na- sibles, et ne pas s'imaginer qu'on n'a rien
ture incréée et créatrice. Que cette nature est trouvé ,
quand on a pu découvrir combien ce
que nous devons démontrer,
Trinité, c'est ce qu'on cherchait est incompréhensible. Pour-
non-seulement aux croyants par l'autorité de quoi cherche-t-on ce que l'on sait être incom-
la divine Ecriture, mais encore, si cela est préhensible, sinon parce qu'il ne faut jamais
possible, aux hommes intelligents par quel- cesser la recherche des choses incompréhen-

que argument tiré de la raison. La discussion sibles tanl qu'elle est profitable, et qu'on

elle-même fera voir dès le début pourquoi j'ai devient toujours meilleur en cherchant un
dit : si cela est possible. bien si grand, qui est toujours à trouver quand
on le cherche, et toujours à chercher quand
CHAPITRE II. on le trouve ? car on le cherche pour goûter
plus de joie à le trouver, et on le trouve pour
IL FAUT CHERCHER SANS CESSE LE DIEU INCOM-
avoir plus d'ardeur à le chercher. C'est ici
PRÉHENSIBLE. CE n'est PAS A TORT QU'ON CHER-
qu'on peut appliquer ce que le livre de l'Ec-
CHE DANS LA CRÉATURE LES TRACES DE LA
clésiastique dit de la sagesse : « Ceux qui me
TRINITÉ.
« mangent ont encore faim, ceux qui me boi-

2. Le Dieu même que nous cherchons nous « vent ont encore soif - ». On mange en effet

aidera, je l'espère, à tirer quelque fruit de et on boit parce qu'on trouve; et comme on a

notre travail et à bien comprendre cette pen- faim et soif, on cherche encore. La foi cherche,
sée du Psalmiste «Que le cœur de ceux qui
:
l'intelligence trouve ce qui fait dire au pro- ;

« cherchent Seigneur soit dans l'allégresse;


le phète vous ne croyez pas , vous ne coin-
: « Si

« cherchez le Seigneur et soyez forts cherchez ;


ceprendrez pas * ». Et, en retour, rinlelligence
« sans cesse sa présence ». En effet, il semble' cherche celui qu'elle a trouvé car comme :

'
Ps. Civ, 3, i.

Is. Lv, 6,7. — ' Eccli. XAMV, 29. — ' Is. vu, 9.
LIVRE XV. — LA TRINITE AU CIEL. 543

chante le Psalmiste : « Le Seigneur a jeté un antécédents, pour les faire oublier ; et si cela
regard sur les enfants des hommes, pour arrivait, un simple coup d'œil rétrospectif
« voir s'il en est un qui ait de Tintelligence et suffirait à rafraîchir la mémoire.
« qui cherche Dieu *
». C'est donc pour cher- 5. Dans le premier livre, l'unité et l'égalité
cher Dieu que l'homme doit avoir de l'intelli- de la souveraine Trinité ont été démontrées
gence. d'après les saintes Ecritures. Dans le second,
3. Nous nous sommes donc assez arrêté aux le troisième et le quatrième, même sujet, sauf
créatures pour y reconnaître le Créateur : «En qu'on y a spécialement traité de la mission du
« effet, ses perfections invisihles, rendues Fils et du Saint-Esprit, tout en prouvant que
« compréhensibles depuis la création du celui qui est envoyé n'est pas pour cela moin-
a monde par les choses qui ont été faites, sont dre que celui qui l'envoie, puisque la Trinité
a devenues visibles^ ». Aussi le livre de la est égale en tout, également immuable et invi-
Sagesse adresse-t-il des reproches à ceux qui, sible par sa nature, et qu'étant partout, elle
« à la vue des biens visibles, n'ont pu connaî- opère sans séparation. Dans le cinquième, en
« tre Celui en considérant les
qui est, ni, vue de ceux qui pensent que la substance du
« œuvres, reconnaître l'ouvrier mais qui ont ; Père et du Fils n'est pas la même, parce qu'ils
« regardé comme des dieux arbitres du monde, s'imaginent que tout ce qu'on dit de Dieu
« le feu, le vent, l'air agité, la multitude des regarde la substance, et qu'ainsi engendrer
« étoiles, les flambeaux du ciel. Que si séduits et être engendré, ou être engendré et non
« par leur beauté, ils les ont crus des dieux, engendré n'étant pas la même chose, ces termes
« qu'ils apprennent combien est plus beau supposent diversité de substances, il est
« leur Dominateur, puisque, source de la démontré que tout ce qu'on dit de Dieu ne
« beauté, il Et s'ils ont admiré la
les a créés. tombe pas sur la substance, comme s'il s'agis-
« force et la puissance de ces créatures, qu'ils sait,par exemple, de la bonté, de la grandeur
« comprennent, parla, combien est plus puis- ou de tout autre attribut essentiel mais qu'il ;

ce sant celui qui les a faites. Car, par la gran- y a aussi des termes relatifs, c'est-à-dire se
« deur et la beauté de la créature, il était rapportant non à Dieu même, mais à quelque
«possible de connaître le Créateur ^ ». J'ai chose qu'il n'est pas comme Père qui se rap- :

cité ce passage de la Sagesse pour qu'aucun porte à Fils, ou Seigneur à la créature qui lui
fidèle ne m'accuse d'avoir perdu mon temps et est soumise. Et s'il y a là un sens relatif, c'est-
ma peine à chercher dans les créatures certaines à-dire se rapportant à ce qui n'est pas la subs-
espèces de trinités, pour m'élever de là gra- tance, ce sens est de plus temporel, comme
duellement jusqu'à l'àme de l'homme, en quête quand on dit : « Seigneur vous êtes devenu
,

de vestiges de cette souveraine Trinité, que « notre refuge '


» ce qui ne suppose en Dieu
;

nous cherchons quand nous cherchons Dieu. aucun changement et le laisse permanent ,

et immuable dans sa nature ou son essence.


CHAPITRE m. Dans le sixième, on demande comment l'A-
pôtre a appelé le Christ vertu de Dieu et
COURT RÉSUMÉ DE TOUS LES LIVRES PRÉCÉDEMS.
sagesse de Dieu % tout en remettant à un exa-
4. Mais comme la nécessité de discuter et de men plus approfondi cette question : Celui par
raisonner nous a forcé de dire, dans les qua- qui le Christ est engendré n'est- il point sagesse,

torze livres précédents, une foule de choses mais seulement Père de sa sagesse, ou bien
que nous ne pouvons voir d'un seul trait pour la sagesse a-t-elle engendré la sagesse ? 3Iais
les ramener, par une pensée rapide, au but quoi qu'il en puisse être, on a vu dans ce
que nous voulons atteindre je ferai, avec ;
livre qu'il y a égahté dans la Trinité, que Dieu
l'aide du Seigneur, tous mes efforts pour résu- n'est point triple, mais Trinité que le Père ;

mer en peu de mots et sans discussion tout ce et le Fils ne sont point chose double vis-à-vis
que j'ai dit jusqu'ici, et pour placer comme du Saint-Esprit chose simple, et que là, trois ne
dans un tableau synoptique, non plus les rai- sont pas quelque chose de plus qu'un. On y a
sons qui ont déterminé les conclusions, mais discuté aussi le sens de ces paroles de l'évêque
les conclusions elles-mêmes. Par là les consé- Hilaire «Eternité dans le Père, beauté dans
:

quents ne seront pas assez éloignés de leurs « l'image, usage dans le don » Dans le sep- .

' Ps. XIII, 2. — ' Rom. I, 20. — '


Sag. xin, 1-5. ' Ps. Lxxxix, 1. — ' I Coi. i, 24.
544 DE LA TRINITÉ.

tième livre, on traite la question qui avait été ne pense pas à elle, et que, quand elle y pense,
différée eton explique que Dieu qui a engen- elle ne se sépare point par la pensée des objets
dré son Fils n'est pas seulement le Père de sa matériels nous avons différé de parler de la
:

vertu et de sa sagesse mais qu'il est lui-même , Trinité dont elle est l'image, aûn de décou-
vertu et sagesse ; et aussi le Saint-Esprit, sans vrir une trinité même dans les corps visibles
cependant qu'il y ait trois vertus et trois et d'exercer ainsi la sagacitédu lecteur. Dans
sagesses, mais une seule vertu et une seule le onzième nous avons choisi pour
livre ,

sagesse, comme il n'y a qu'un seul Dieu et sujet de nos raisonnements le sens de l'œil,
une seule essence. Puis on a demandé com- d'après lequel, sans autre explication, on peut
ment il se fait qu'on dise une essence, trois porter sur les quatre autres sens un jugement
personnes, ou selon certains Grecs, uneessence^ analogue; nous y avons vu la trinité de
et
trois substances et on a trouvé que le besoin
; l'homme extérieur les objets vus au dehors, :

de s'exprimer forçait à répondre par un seul soit par exemple un corps exposé au regard ;

mot à celte question : Qu'est-ce que les trois, puis la forme qui en résulte et s'imprime dans
ces trois que nous confessons en toute vérité, l'œil du spectateur, et ensuite la volonté qui
à savoir le Père, le Fils et le Sainl-Esprit ? les unit. Mais ces trois choses ne sont évidem-
Dans le buitième livre, on a prouvé par des ment point égales entre elles, ni de même
arguments sensibles pour les lecteurs intelli- substance. Puis dans l'àme elle-même, une
gents, que, dans la substance delà vérité, non- autre trinité est résultée des objets extérieurs
seulement le Père n'est pas plus grand que le et comme introduits par la porte des sens ;

Fils,mais que les deux ne sont rien de plus trinité composée de trois choses de même
grand que le Saint-Esprit, ou que deux per- substance l'image du corps restée dans
: la
sonnes, que les trois mêmes réunies, ne sont mémoire, l'information qui s'en fait quand la
rien de plus grand qu'une seule d'entre elles pensée y tourne son regard, et la volonté qui
prise en particulier. Ensuite, par la vérité que les unit l'une à l'autre. Mais cette trinité nous
l'intelligence découvre, par le souverain bien a paru appartenir à l'homme extérieur, puis-
de qui tout bien découle, par la justice en qu'elle est produite par des sensations venues
vertu de laquelle l'àme juste est aimée même du dehors. Dans le douzième, nous avons cru
de l'àme qui ne l'est pas, j'ai cbercbé autant , devoir distinguer la sagesse de la science, et
que je l'ai pu, à faire comprendre cette nature, chercher dans ce qu'on appelle proprement
non-seulement immatérielle, mais encore im- la science et qui est d'une dignité inférieure,
muable, qui est Dieu. Puis par la charité, qui une certaine trinité particulière {sui generis)
est le nom même de Dieu d'après les saintes , trinité qui appartient déjà, il est vrai, à
Ecritures ^
,
j'ai commencé
donner aux à l'homme intérieur, mais qu'on ne doit point
lecteurs intelligents une idée quelconque de encore appeler ni croire l'image de Dieu. C'est
la Trinité celui qui aime, celui qui est aimé
: là l'objet du treizième livre, où le sujet est
et l'amour qui les unit. Dans le neuvième, la traité à l'aide de la foi chrétienne. Dans le
discussion s'est établie sur l'image de Dieu, quatorzième, la discussion roule sur la vraie
qui est l'homme en tant qu'intelligence, et sagesse, c'est-à-dire celle qui est un don de
nous y avons trouvé une certaine Trinité : Dieu, une communication de Dieu, et est dis-
l'àme, la connaissance qu'elle a d'elle-même, tincte de la science ; et enfin on arrive à décou-
et l'amour qu'elle a pour elle-même et pour vrir la Trinité dans l'image de Dieu, c'est-à-
sa propre connaissance trois choses qui sont : dire dans l'àme humaine qui est renouvelée
démontrées égales et d'une seule essence. par la connaissance de Dieu selon l'image de
Dans le dixième, ce même sujet a été étudié Celui qui a créé l'homme * à son image % et
plus attentivement et plus à fond, et nous reçoit ainsi la sagesse là où se contemplent les
avons été amené à reconnaître dans l'àme une vérités éternelles.
trinité plus manifeste : sa mémoire, son intel-
ligence et sa volonté. Mais comme il est évi- CHAPITRE IV.

dent qu'il n'est pas possible à l'àme de ne pas


CE QUE TOUTE CRÉATURE NOUS APPREND DE DIEU.
se souvenir d'elle-même, de ne pas se com-
prendre et de ne pas s'aimer, même quand elle 6. Cherchons donc la Trinité qui est Dieu
* I Jean, iv, 16. ' Col. m, 10. — ' Gen. i, 27.
LIVRE XV. — LA TRINITE AU CIEL. 545

dans les réalités éternelles, immatérielles et à un petit nombre. Car ce qu'on appelle vie en
immuables, dans la parfaite contemplation Dieu, c'est son essence même et sa nature.
desquelles on nous promet la vie heureuse, Dieu ne vit donc que de sa vie, c'est-à-dire de
qui ne peut qu'être éternelle. L'existence de son essence propre. Or cette vie n'est point
Dieu ne repose pas seulement sur l'autorité celle de l'arbre, qui n'a ni intelligence ni sen-
des livres divins, mais tout ce qui nous envi- timent. Elle n'est point celle de l'animal qui ;

ronne, mais la nature entière à laquelle nous possède les cinq sens, il est vrai, mais est
appartenons, nous aussi, proclament l'Etre privé d'intelligence. La vie qui est Dieu con-
infiniment parfait qui les a créés, qui nous a naît et comprend tout; elle connaît par l'es-
donné une âme et une raison naturelle, en prit et non par le corps car Dieu est esprit '.
:

vertu de laquelle nous voyons qu'il faut pré- Dieu ne connaît pas par le corps, comme les
férer ce qui vit à ce qui ne vit pas, ce qui sent animaux qui ont un corps, car il n'est point
à ce qui ne sent pas, ce qui comprend à ce composé d'une âme et d'un corps par consé- ;

qui ne comprend pas, l'immortel au mortel, quent c'est une nature simple qui connaît
la puissance à l'impuissance, la justice à l'in- conune elle comprend et comprend comme
justice, la beauté à la laideur, le bien au mal, elle connaît : vu que connaître et comprendre
l'incorruptible au corruptible , ce qui ne sont pour elle la même chose. Et ce n'est
change pas à ce qui change, au l'invisible point à dire qu'il doive cesser un jour ou
visible, l'immatériel au matériel, le bonheur qu'il ait commencé : car il est immortel.
au malheur. Par conséquent, comme nous C'est avec raison qu'on a dit de lui qu'il pos-
mettons sans aucun doute le Créateur au-des- sède seul l'immortalité ^ : car celui-là seul est
sus des choses créées, il est nécessaire qu'il vraiment immortel, dont la nature n'est sujette
possède la vie à un plus haut degré, qu'il à aucun changement. Cette vraie éternité, qui
connaisse et comprenne tout; qu'il ne soit rend Dieu immuable, est sans commencement
sujet ni à la mort ni à la corruption, ni au et sans fin, et par conséquent incorruptible.
changement ;
qu'il ne soit point corps, mais Ainsi direque Dieu est éternel, ou immortel,
esprit, et le plus puissant, le [)lus juste, le ou incorruptible ou immuable , c'est dire
,

plus beau, le meilleur et le plus heureux de une seule et même chose; et affirmer qu'il est
tous les esprits. vivant ou intelligent, c'est-à-dire sage, c'est
encore tout un. Car il n'a pas reçu la sagesse
CHAPITRE V.
dont il est sage, mais est lui-même
il la sa-

COMBIEN IL EST DIFFICILE DE DÉMONTRER LA gesse. Et cette sagesse est sa vie|, et aussi

TRINITÉ PAR LA RAISON NATURELLE. lavertu ou puissance qui le rend puissant, et


labeauté qui le rend beau. Quoi en effet de
7. Tout ce que j'ai dit et tout ce que le lan- plus puissant et de plus beau que la sagesse
gage humain peut exprimer qui soit digne de qui atteint d'une extrémité à l'autre avec force
la Divinité, s'applique a toute la Trinité, qui et dispose toutes choses avec douceur ^ ? Et sa
est un seul Dieu, et à chacune des personnes bonté et sa justice se distinguent-elles dans
de cette même Trinité prise en particulier. sa nature comme dans ses œuvres ? Sont-elles
Qui oserait, en effet, affirmer soit de Dieu seul, deux qualités diverses, dont l'une s'appelle la
qui est la Trinité même, soit du Père, ou du bonté, et l'autre la justice? Pas le moins du
Fils ou du Saint-Esprit, qu'il ne vit pas, qu'il monde mais ; la justice est la même chose que
ne connaît ou ne comprend pas, ou que, dans la bonté, et la bonté la même chose que le
celte môme nature où l'on enseigne qu'ils bonheur, Or on dit que Dieu est immatériel
sont égaux, l'un d'eux est mortel, ou corrup- ou incorporel, pour faire comprendre et ad-
tible,ou sujet à changement, ou matériel? Ou mettre qu'il n'est point corps mais esprit.
bien qui osera dire que l'un d'eux n'est pas 8. Quand nous disons : éternel, immortel,
très-puissant, très-juste, très-beau, très-bon, incorruptible, immuable, vivant, sage, puis-
très-heureux? Si donc ces choses et toutes sant, beau, juste, bon, heureux, esprit, il sem-
celles de ce genre peuvent se dire de la Tri- blerait que cette dernière expression seule se
nité même et de chacune despersones en par- rapporte à la substance, et que les autres n'in-
ticulier, où et comment découvrirons-nous diquent que les qualités de cette substance;
la Trinité? Réduisons donc ces divers points .lean, iv, 24. —M Tiiii. vi, 6. — '
Sag. viir, 1.

S. AuG. — Tome XII. 35


.

oi6 DE LA TRINITÉ.

mais il n'eu est pas ainsi dans celte nature quoi éternité et sagesse, ou bonheur et sa-
ineffable et simple. Car tout ce qui semble, là, gesse, ne seraient-ils pas aussi une seule et
désigner une qualité, doit s'entendre de la même chose dans cette même nature divine?
substance ou essence. Gardons-nous de dire Par conséquent, comme il n'importait pas de
que Dieu est esprit quant à la substance, et dire douze attributs puisque nous ou trois,
bon quant à la qualité ; car ces deux choses avons réduit douze à trois il n'importe pas ;

tiennent à sa substance. Et ainsi des autres davantage de dire trois ou un, cet un auquel
attributsque j'ai cités tout à l'heure et dont nous avons fait voir qu'on peut réduire les
j'ai longuement parlé dans les livres
déjà trois. Mais quelle méthode de discussion,
précédents. Choisissons-en donc un parmi les quelle vigueur et quelle puissance d'intelli-
quatre premiers que j'ai mentionnés dans gence quelle vivacité de raison, quelle péné-
,

cet ordre : éternel, immortel, incorruptible, tration d'esprit nous démontrera — pour ne
immuable; puisque les quatre ne font qu'un, rien dire de plus — comment eet un, cette
commeje l'ai déjà dit. Pour ne pas fatiguer sagesse qui s'appelle Dieu, est Trinité? Car
l'attention du lecteur, prenons le premier des Dieu ne reçoit pas la sagesse d'un autre,
quatre : c'est-à-dire l'éternité. Appliquons le comme nous la recevons de lui; mais il est
même procédé aux quatre suivants vivant, : lui-même sa propre sagesse, puisque sa sa-
sage, puissant, beau. Et comme l'animal a gesse n'est pas autre chose que son essence,
une vie quelconque, mais point de sagesse; et qu'être et être sage sont pour lui la même
comme ces deux qualités, sagesse et puissance chose. Sans doute les Saintes-Ecriture appel-
sont ainsi rapprochées dans l'homme par la lent le Christ vertu de Dieu et sagesse de
divine Ecriture : « Le sage est meilleur que Dieu mais nous avons fait voir dans le
^
;

« le fort *
»; comme, d'autre part, on a l'usage septième livre - que ces paroles ne doivent
de dire de certains corps qu'ils sont beaux : pas s'entendre en ce sens que le Fils rend le
choisissons, dans ces quatre attributs, la sa- Père sage, et la raison va jusqu'à nous faire
gesse. Non qu'ils soient inégaux dans Dieu : voir que le Fils est sagesse de sagesse, comme
ce sont quatre noms, mais la chose est une. il est lumière de lumière, et Dieu de Dieu. Et,
Quant aux trois derniers, bien qu'en Dieu ce du Saint-Esprit, nous n'avons pu découvrir
soit la même chose d'être juste, bon, heu- autre chose sinon qu'il est aussi Sagesse , et
reux, la même chose d'être esprit, juste, bon que personnes ne sont qu'une seule
les trois
et heureux: cependant comme, dans l'homme, sagesse, comme elles ne sont qu'un seul Dieu
il peut y avoir un esprit qui ne soit pas heu- et une seule essence. Comment donc com-
reux que cet esprit peut être bon et juste
; prendre que cette sagesse, qui est Dieu, est
sans être heureux, et que celui qui est heureux aussi Trinité? Je n'ai pas dit : comment
est certainement un esprit juste et bon cboi- : croire? car c'est-là un point hors de toute
sissons entre les quatre ce qui suppose néces- question pour les fidèles : mais s'il est un
sairement les trois autres heureux. : moyen pour l'intelligence de voir ce que nous
croyons, quel est ce moyen ?
CHAPITRE VI. nous cherchons dans lequel de ces
10. Si

comment il y a trinité dans la simplicité livres la Trinité a commencé à nous appa-

même de dieu. la trinité divine se démon- raître, nous trouvons que c'est dans le hui-

tre-t-elle par les trinités trouvées dans tième. C'est là en effet que la discussion nous
l'homme et comment? a amené à tourner, autant que possible, l'at-
tention du lecteur vers cette parfaite et im-
9. Quand donc nous disons : éternel, sage, muable nature, qui n'est pas notre âme. Nous
heureux, ces trois choses sont-elles la Trinité la considérions alors comme étant proche de
qu'on appelle Dieu? Nous réduisons, il estvrai, nous et pourtant au - dessus de nous non ,

ces douze attributs à trois mais peut - être ; localement, mais par sa respectable et mer-
pouvons-nous réduire encore ces trois à un veilleuse présence, tellement qu'elle semblait
seul. Si, en effet, sagesse et puissance, ou vie être actuellement en nous par sa lumière. Ce-
et sagesse peuvent n'être qu'une seule et pendant nous n'y découvrions pas encore de
même chose dans la nature de Dieu pour- ;
trinité, parce que l'éblouissement ne nous
• Sag. V, ) ' I Cor. I, 24, — ' Ch. l, 3,
,

LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 547

permettait pas de fixer le regard de notre àme nous ne les croyons, et que nous croyons
pous la nous nous contentions de
chercher ; que Dieu est Trinité plutôt que nous ne le
voir d'une manière quelconque qu'il ne fal- voyons? S'il en est ainsi, ou les perfections
lait point supposer, là, une étendue matérielle invisibles de Dieu ne nous sont pas rendues
où deux ou trois fussent plus grands qu'un. intelligibles par les choses qui ont été faites,
Puis en arrivant à l'amour, comme l'Ecriture ou, si nous en voyons quelques-unes, nous
Sainte dit que Dieu est amour*, nous avons n'y découvrons pas la Trinité, en sorte qu'il y
commencé à entrevoir la Trinité, c'est-à-dire a des choses que nous voyons et d'autres que
celui qui aime, celui qui est aimé et l'amour. nous devons croire sans voir. Or, dans le livre
Mais comme cette ineffable lumière éblouissait huitième, nous avons démontré que nous
nos yeux et nous faisait sentir l'impuissance
, voyons le bien immuable, qui n'est pas nous,
de notre âme à sonder ce mystère, pour sou- et le quatorzième nous l'a rappelé, alors que
lager notre atteniion et nous reposer entre le nous parlions de la sagesse que Dieu donne à
début et le terme, nous nous sommes rabat- l'homme. Pourquoi donc n'y reconnaissons-
tus sur un sujet pUis à notre portée, sur l'é- nous pas la Trinité? Serait-ce que la sagesse
tude de notre âme, selon laquelle l'homme a qui s'appelle Dieu, ne se comprend pas, ne
été créé à l'image de Dieu '. Et afin que les s'aime pas elle-même? Qui osera le dire? Ou
perfections invisibles de Dieu, qui ont été faites qui ne voit que là où il n'y a pas de science,
par les choses, nous fussent rendues intel- il ne peuty avoir de sagesse? Ou bien devons-

ligibles % nous nous sommes arrêtés, du neu- nous croire que la sagesse qui est Dieu con-
vième au quatorzième livre, sur cette créa- naît d'autres choses et s'ignore elle-même, ou
ture qui est nous. Enfin après avoir autant et aime d'autres choses et ne s'aime pas elle-
plus qu'il ne fallait peut-être, exercé notre même? S'il est absurde et impie de dire ou
intelligence sur des objets mférieurs, nous de penser ces choses, voilà donc la Trinité,
désirons nous élever jusqu'à la contemplation c'est-à-dire la sagesse, la connaissance de soi,
de cette souveraine Trinité qui est Dieu, et etl'amour de soi. C'est en effet ainsi que nous
nous ne le pouvons pas. avons découvert une trinité dans l'homme :
En effet si nous voyons avec une certitude l'âme, la connaissance qu'elle a d'elle-même,
entière des trinités formées soit des corps , et l'amour dont elle s'aime.
extérieurs, soit de la pensée qui résulte de la
sensation qu'ils nous impriment ; ou quand CHAPITRE VII.

des impressions naissent dans l'âme , indé- IL n'est pas facile d'entrevoir la TRINITÉ
pendamment des sens corporels , comme la DIVINE d'après les TRINITÉS DONT NOUS AVONS
foi, comme les vertus destinées à régler notre PARLÉ.
vie,que la raison voit clairement et qui sont
du domaine de la science; ou quand l'âme H. Mais ces trois choses sont dans l'homme
elle-même, par laquelle nous connaissons tout et ne sont pas l'homme lui-même ; car
ce que nous disons avec vérité connaître, se l'homme , suivant la définition des anciens,
connaît elle-même, ou quand elle voit quel- est un animal doué de raison et sujet à la
que chose qu'elle n'est pas, quelque chose mort. Elles sont donc la meilleure partie de
d'éternel et d'immuable si, dis-je, nous : l'homme, mais ne sont pas l'homme. Et une
voyons là certaines trinités avec certitude seule personne c'est-à-dire chaque homme
,

parce qu'elles s'opèrent en nous, ou sont en pris en particulier, les possède toutes les trois
nous, quand nous nous rappelons, quand dans son âme Que si nous définissons
.

nous voyons ou voulons ces choses, voyons- l'homme une substance raisonnable com-
:

nous de la même manière la Trinité divine? posée d'une âme et d'un corps, il est évident
Voyons-nous par l'intellect Dieu parlant, puis que l'homme a une âme qui n'est pas corps,
son Verbe —
c'est-à-dire le Père et le Fils — et un corps qui n'est pas âme. Conséquem-
puis l'amour procédant de l'un et de l'autre, ment ces trois choses sont dans l'homme, ou à
commun à l'un et à l'autre, c'est-à-dire le Saint- l'homme, mais ne sont pas l'homme. Mainte-
Esprit? Serait-ce que nous voyons ces trinités nant, abstraction faite du corps et à considérer
propres à nos sens ou à nos âmes plutôt que l'âme seule, l'intelligence en est une partie,
' l Jean, iv, 16. — « Gen. i, 27. — ' Rom. i, 20. elle en est comme la tête si l'on veut, ou l'œil.
548 UE LA TRINITÉ.

ou la facemais il ne faut pas raisonner ici


; gendré la sagesse, mais il faudra dire que le
comme pour les corps. Ainsi donc l'intelli- Père est sage de la sagesse qu'il a engendrée.
gence n'est pas l'àme, mais la meilleure partie Car il ne peut y avoir de sagesse là où il n'y a
de rame. Or, pouvons-nous dire que la Trinité pas d'intelligence
par conséquent si le Père ;

est en Dieu comme quelque chose qui lui ap- ne comprend pas par lui-même, mais que le
partient, mais n'est pas Dieu ? Chaque homme, Fils comprenne pour le Père, c'est évidem-
qui est appelé l'image de Dieu par son àme ment le Fils qui communique la sagesse à son
seulement, et non par tout ce qui tient à sa Père. Et si, pour Dieu, être et être sage c'est
nature, est une personne et est par son âme la même chose, si son essence est la même
l'image de la Trmité; mais la Trinité, dont chose que la sagesse, le Fils ne sera plus du
cette âme est l'image, n'est pas autre chose Père comme l'enseigne la vérité
, mais le ;

que Dieu dans sa totalité, ni autre chose que Père tiendra son essence du Fils ce qui est :

la Trinité dans sa totalité. Rien n'appartient le comble de l'absurdité et de l'erreur. Nous


à la nature de Dieu qui n'appartienne aussi avons discuté, confondu, repoussé cette ab-
à cette Trinité, et les trois personnes sont une surdité dans le septième livre cela est très- *
:

seule essence, et non , comme l'homme, une certain. Dieu le Père est donc sage de sa pro-
seule personne. pre sagesse ; et le Fils, sagesse du Père, est
Une autre différence énorme, c'est que
12. donc de Père duquel il
la sagesse qui est le ,

quand nous parlons de l'âme dans l'homme, a été engendré. Par conséquent le Père est
de la connaissance qu'elle a d'elle-même et aussi intelhgent de sa propre intelligence ;

de l'amour qu'elle se porte ou de la mé- ; car il ne serait pas sage, s'il n'était pas intel-
moire, de l'intelligence et de la volonté, nous ligent;mais le Fils est l'intelligence du Père,
ne nous souvenons de l'âme elle-même que engendré de l'intelligence qui est le Père. Le
par la mémoire, nous ne la connaissons que même raisonnement peut s'appliquer à lamé-
par l'intelligence, et nous ne l'aimons que par moire. Comment en effet celui qui ne se sou-
la volonté. Mais, dans cette souveraine Tri- vient de rien
,
pas même de lui, serait -il
nité, qui oserait dire que le Père ne se con- sage Donc, puisque le Fils est sagesse parce
?
naît lui-même, ne connait le Fils et le Saint- que le Père est sagesse, le Fils se souvient
Esprit, que par le Fils, qu'il n'aime que par de lui-même, comme la Père se souvient de
le Saint-Esprit, mais qu'il se souvient seule- lui-même et comme c'est par sa propre mé-
;

ment par lui-même, de lui-même et du Fils et moire, et non par celle de son Fils, que le
du Saint-Esprit ? Que le Fils pareillement, ne Père se souvient de lui-même et de son Fils,
se souvient de lui-même ni de son Père que de même le Fils se souvient de lui-même et
par le Père, qu'il n'aime que par le Saint-Es- de son Père, non par la mémoire de son Père,
prit, et que par lui-même il ne peut que con- mais par la sienne propre.
naître le Père, se connaître lui-même et le 3Iais où il n'y a pas d'amour, peut-on dire
Saint-Esprit ? Que le Saint-Esprit à son tour qu'il y a sagesse ? Il faut donc conclure que le
se souvient, par le Père, etdu Père et du Fils Père est son propre amour, comme il est son
et de lui-même, qu'il connaît par le Fils et intelligence et sa mémoire. Donc dans cette
le Père et le Fils et lui-même, mais que par souveraine et immuable essence qui est Dieu,
lui-même il ne peut que s'aimer, et aimer le ces trois choses , la mémoire, l'inteUigence,
Père et le Fils? Comme si le Père était sa pro- l'amour, ne sont pas le Père, le Fils et le Saint-
pre mémoire et celle du Fils et du Saint-Es- Esprit, Père seul. Et comme le Fils
mais le
prit ; le Fils sa propre connaissance et celle est aussi sagesse engendrée de sagesse, que
du Père du Saint-Esprit et le Saint-Esprit
et ; ce n'est point le Père ni le Saint-Esprit qui
son propre amour, et l'amour du Pèreet|du comprennent pour lui, mais qu'il comprend
Fils Oui qui osera penser ou affirmer de pa-
! par lui-même ainsi ce n'est point le Père qui
;

reilles choses de cette Trinité ? se souvient pour lui, ni le Saint-Esprit qui


Car
si le Fils a seul de l'intelligence pour aime pour lui, mais il se souvient et aime par
lui, pour le Père et pour le Saint-Esprit, lui-même car il est sa propre mémoire, sa
;

on retombera dans cette absurde proposition propre intelligence, son propre amour ; né-
que le Père n'est pas sage par lui-même mais anmoins il tient tout cela du Père, de qui il est
par son Fils : alors la sagesse n'aura plus en- ' CL. I, 3.
LIVRE XV. LA TRINITÉ AU CIEL. 549

né. Egalement, comme l'Esprit-Saint est sa- ou par notre âme, nous le savons, nous en
gesse procédant de sagesse, il n'a pas le Père avons la servitude mais comment cela se ;

pour mémoire, le Fils pour intelligence etlui- fait-il ? Plus nous cherchons à le savoir, plus

mcme pour amour car il ne serait pas sage,


: la parole nous fait défaut, et notre attention
si un autre se souvenait pour lui, si un autre elle-même ne saurait se soutenir jusqu'à
comprenait pour lui, et qu'il n'eût à lui-même nous le faire, sinon exprimer, du moins com-
que son propre amour. Mais il possède lui- prendre. Pensons-nous que notre esprit si in-
même ces trois choses, et il les possède en ce infîrme puisse jamais comprendre que la
sens qu'elles sont lui. Toutefois il les tient Providence divine est la même chose que la
d'où il procède. mémoire son intelligence, cette Providence
et
13. Mais qui donc, parmi les hommes, peut qui ne pense pas en détail , mais embrasse
comprendre cette sagesse par laquelle Dieu tout l'objet de ses connaissances d'un regard
connaît toutes choses, de telle sorte que ce unique, éternel, immuable et au dessus de
que nous appelons passé n'est point passé pour toute expression? Au milieu de ces difficultés
lui, qu'il n'a point àattendre ce qui doit venir, et de ces angoisses, c'est le cas de crier au
mais que le passé et le futur sont pour lui la Dieu vivant: «Votre science est merveilleu-
même chose que le présent; qu'il ne voit pas « sèment élevée au-dessus de moi, et je n'y

les choses une à une que sa pensée ne passe « pourrai attiendre K » Je comprends, d'après
;

pas d'une chose à une autre, mais qu'il em- moi, combien est admirable et incompréhen-
brasse tout à la fois d'un seul regard quel : sible cette science par laquelle vous m'avez
homme, dis-je, comprend cette sagesse, qui créé, puisque je ne puis pas même me com-
est tout à la fois prévoyance et science, alors prendre, moi que vous avez fait. Cependant
que nous ne comprenons pas même la nôtre? mon cœur s'estenflammé dans ma méditation*,
Nous pouvons, il est vrai, voir d'une manière afin de chercher sans cesse votre présence ^.

quelconque ce qui est présent à nos sens ou CHAPITRE VIII.

à notre intelligence mais ce qui a cessé de


;
EN QUEL SENS l' APOTRE DIT QUE NOUS VOYONS
leur être présent, nous ne le connaissons plus
DIEU ICI-BAS A TRAVERS UN MIROIR.
que par la mémoire, si nous ne l'avons pas
oublié. Nous ne jugeons pas le passé par l'a- 44. Je sais que la sagesse est une substance
venir, mais nous conjecturons l'avenir d'a- immatérielle et une lumière dans laquelle on
près le passé, et encore d'une manière peu voit ce que ne voit pas l'œil charnel. Et ce-
sure. En effet, quand nous prévoyons certai- pendant cet homme si grand, si spirituel dit :

nes pensées, avec plus de clarté et plus de cer- « Nous voyons maintenant à travers un miroir

titude, parce qu'un avenir plus prochain les « en énigme, mais alors nous verrons face à

met, pour ainsi dire, sous nos yeux, nous ne « face * ». Si nous cherchons à savoir quel est

le pouvons, dans la mesure où nous le pou- ce miroir et ce qu'il est, aussitôt une pensée
vons, que par l'action de la mémoire, faculté nous frappe dans un miroir on ne voit
:

qui semble appartenir au passé plutôt qu'à qu'une image. Et voilà à quoi ont tendu nos
l'avenir. Nous en avons l'expérience dans les efforts à nous faire voir, d'une manière quel-
:

paroles ou dans les chants que nous reprodui- conque à travers l'image, qui n'est autre que
sons de mémoire dans leur enchaînement : nous-mêmes, comme à travers un miroir. Ce-
car nous n'en viendrions pas à bout, si nous lui par qui nous avons été faits. C'est encore

ne prévoyions en pensée ce qui doit suivre. Et là le sens de ce que dit ailleurs le même apôtre :

cette prévision, pourtant, n'est pas l'effet de la « Pour nous, contemplant à face découverte

prévoyance, mais bien de la mémoire puis- : « la gloire du Seigneur, nous sommes transfor-

que, jusqu'à la fin de ce que nous avons à dire « mes en la même image de clarté en clarté,

ou à chanter, tout sera prévu, aperça à l'a- « comme par l'Esprit du Seigneur ^ » Contem- .

vance. Cependant, dans ce cas, on ne dit pas plant, dit-il, spéculantes, c'est-à-dire voyant à
que nous parlons ou que nous chantons par travers un miroir, per spéculum, et non d'un
prévoyance, mais par mémoire et chez ceux ; point d'observation, de spécula. Le texte grec,
qui ont, sous ce rapport, une faculté extraor- duquel les lettres de l'Apôtre ont été traduites
dinaire, c'est la mémoire qu'on vante et non — — —
' Ps. cxxxviit, 6. ' Ps. xxxviii, 4. ' Ps. civ, 4. " I Cor.
la prévoyance. Tout cela se fait en notre âme j^i,,^ 12. — ' II Cor. m, 18.
.

o')0 DE LA TRINITÉ.

en latin, ne laisse aucun doute sur ce point. qui ne connaît pas ces espèces de locutions
Là, le miroir, spéculum^ qui reproduit les que les grecs appellent tropes, expression qui
images des choses, se rend par un mot très- est même passée de leur langue
dans la nôtre.
vue
différent de spécula, lieu élevé d'où notre Car comme nous disons plus souvent schemata
porte au loin ; et que l'Apôtre lire
il est véritable que figure^ ainsi employons-nous plus sou-
l'expression spéculantes de spéculum^ et non ven tJ'opi que modi. Mais exprimer en latin
de spécula. Quant à ces expressions « Nous : les noms }>articuliers des figures ou tropes
« sommes transformés en la même image », dans leur sens spécial, ce serait chose très-dif-

il est clair qu'il entend parler de l'image de ficile et tout à fait inusitée. De là, il est arrivé
Dieu qu'il appelle la même, c'est-à-dire celle- que quelques-uns de nos interprètes ne vou-
là même que nous contemplons, parce que lant pas traduire littéralement ces paroles de
cette image est aussi la gloire de Dieu, comme l'apôtre « Ce qui a été dit par allégorie *
: »,

il le dit en un autre endroit :« Pour l'homme, out eu recours à cette périphrase : « Ce qui
or il ne doit point voiler sa tète, parce qu'il est « donne à entendre une chose pour une autre»
« l'image et la gloire de Dieu » texte que *
: Or, il y a plusieurs espèces de ce trope qu'on

nous avons déjà discuté dans le livre douzième. appelle l'allégorie, et une entre autres qui a
« Nous sommes transformés » , ajoute-t-il, le nom d'énigme. Mais il est nécessaire que
nous quittons notre forme pour en prendre la définition du mot générique renferme toutes
une autre, nous passons de la forme obscure les espèces. Par conséquent, comme tout che-
à la forme lumineuse; parce que notre forme, val est animal, tandis que tout animal n'est
même obscure, est l'image de Dieu, et par là pas cheval de même toute énigme est allégo-
;

même, forme dans laquelle


sa gloire : cette rie, mais toute allégorie n'est pas énigme.

nous avons été créés hommes, supérieurs aux Qu'est-ce donc qu'une allégorie, sinon un
autres animaux. Car c'est de la nature hu- trope oiî l'on donne à entendre une chose pour
maine qu'il est dit :« Pour l'homme, il ne doit une autre, comme dans ce passage de l'épître
« point voiler sa têle, parce qu'il est l'image aux Thessaloniciens :« Ne dormons donc point
« et la gloire de Dieu ». Cette nature, la plus « comme tous les autres, mais veillons et

parfaiteparmi les choses créées, une fois pu- « soyons sobres. Car ceux qui dorment, dor-

rifiéede son impureté par son Créateur, passe « ment de nuit et ceux qui s'enivrent, s'eni-
;

d'une forme hideuse à une forme éclatante de « vrent de nuit mais nous qui sommes du
;

beauté. Au sein môme de son impiété, sa va- «jour, soyons sobres^?» Toutefois ici l'allé-
leur se laisse d'autant mieux voir que son vice gorie n'est point énigme car on en saisit la :

est plus condamnable. Voilà pourquoi l'Apôtre pensée, à moins d'un grand défaut d'intelli-
ajoute de clarté en clarté »; de la gloire de
: « gence. Mais l'énigme, pour le dire en peu de
la création à la gloire delà justification. Du mots, est une allégorie obscure, comme celle-

reste, ces expressions « de clarté en clarté », : ci, par exempleLa sangsue a trois filles ^ »,

peuvent aussi s'entendre autrement de la : et autres de ce genre. Toutefois une allégorie

gloire de la foi à la gloire de la claire vue de ; dont parle l'Apôtre n'est pas en paroles, mais en
la gloire d'être fils de Dieu à la gloire de fait il parle des deux fils d'Abraham, l'un né
:

devenir semblables à lui, quand nous le ver- de la servante, l'autre de la femme libre — ce
rons tel qu'il est-. Enfin par ces mots: «Comme qui n'est pas une parole, mais un fait — et
« par l'Esprit du Seigneur », l'Apôtre indique veut désigner par là les deux Testaments. Jus-
que c'est à la grâce de Dieu que nous devons qu'à cettte explication, le texte était obscur ;

l'avantage d'une si heureuse transformation. par conséquent, ce qui était allégorie — à s'en
tenir au nom générique — pouvait aussi être
CHAPITRE IX.
appelé énigme.

DE l'Énigme et des locutions figurées.


16. Mais comme les illettrés qui ne connais-
sent pas les tropes, ne sont pas les seuls à de-
Tout ceci se rapporte à ce que dit l'Apô-
15. mander ce qu'entend l'Apôtre quand il dit que
tre que nous voyons « à travers un miroir ».
: nous voyons en énigme, que les hommes ins-

Quant aux mots suivants « en énigme », ils : truits demandent aussi à savoir ce que c'est que
sont inintelligibles pour la multitude illettrée cette énigme dans laquelle nous voyons ici-bas,
Cor. XI, 7. — M Jean, m, 2.

1
' Gai. p-, 24. — U Thess. v, 6-8. Prov. XXX, 15.
.

LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 551

il faut trouver une solution unique à ce double l'une et l'autre appartiennent à la même àme
point de la question Nous voyons mainte-
: « et ne forment qu'une seule image de Dieu.
« nant à travers un miroir », et « en énigme »: Quand on s'occupe plus spécialement et ex-
Ilne doit en etfet avoir qu'une solution, puis- clusivement de celle qui est inférieure, on ne
que l'Apôtre dit tout d'un trait :« Nous voyons doit pas l'appeler image de Dieu, bien qu'on
« maintenant àtravers un miroir en énigme». y découvre quelque ressemblance avec la Tri-
Il me semble donc que, comme par miroir il nité souveraine, comme nous l'avons montré
entend une image, par énigme il entend une dans le livre treizième ^ Ici, nous parlons de
ressemblance obscure et difficile à saisir. Ainsi la science de l'homme dans son ensemble, de
par miroir et par énigme on peut supposer celle qui renferme tous les objets de connais-
que l'Apôtre indique des ressemblances quel- sance, lesquels sont vrais, puis qu'autrement
conques, les plus propres à nous faire con- ils ne seraient pas connus. En effet, personne

naître Dieu autant que possible et aucune de ; ne connaît ce qui est faux autrement que
ces ressemblances n'atteint mieux ce but parce qu'il sait que cela c'est faux, et cette
que celle de l'homme, qui est appelé à juste connnaissance est vraie, parce qu'il est vrai
titre l'image de Dieu. Qu'on ne s'étonne donc que cela est faux. Nous parlons donc des
pas de la difficulté que nous éprouvons à voir choses connues auxquelles nous pensons, et
d'une manière quelconque par le moyen qui connues même quand nous n'y pensons pas.
nous est accordé ici-bas, c'est-à-dire à travers A coup sur si nous voulons les exprimer,,

un miroir en énigme. Si nous pouvions voir nous ne le pouvons qu'après y avoir pensé.
facilement, le mot d'énigme n'aurait plus de Car bien qu'il n'y ait pas de sou de parole, ce-
sens. Et voilà la plus grande énigme que nous : lui qui pense parle certainement dans son
ne voyions pas ce qu'il nous est impossible de cœur. C'est pourquoi on dit au livre de la Sa-
ne pas voir. En effet qui ne Aoit pas sa pensée? gesse « Ils ont dit, pensant follement en eux-
:

Et pourtant qui voit sa pensée, je ne dis pas de « mêmes ^ ». Le sens de ces mots « Ils ont :

l'œil du corps, mais de l'œil intérieur? Qui « dit en eux-mêmes » est expliqué par cette ,

ne la voit pas et qui la voit ? Car la pensée est addition « Pensant ». Il y a quelque chose
:

une certaine vision de l'àme qui a lieu ou en d'analogue dans l'Evangile quand certains ,

présence des objets matériels qui frappent nos scribes entendant le Seigneur dire au paraly-
yeux, ou en leur absence, quand la pensée tique : « Mon fils, aie confiance , tes péchés te
voit leurs images, ou quand on songe à des « sont remis ; ils dirent en eux-mêmes: Celui-
objets qui ne sont ni corps, ni images de corps, « ci blasphème ». Or, que signifient ces mots :

comme les vertus ou les vices ou la pensée a Ils dirent en eux-mêmes », sinon ils dirent :

elle-même; ou quand on reçoit des doctrines dans leur pensée? Puisl'Evangéliste continue:
ou des sciences libérales, ou quand on s'élève « Mais comme Jésus avait vu leurs pensées, il
jusqu'aux causes et aux raisons supérieures « dit Pourquoi pensez-vous mal en vos
:

de toutes choses renfermées dans la nature « cœurs ^ ? » C'est saint Matthieu qui parle.

immuable, ou enfin quand on pense à des Saint Luc raconte le même fait en ces termes :

choses mauvaises, chimériques, fausses, avec « Les scribes et les pharisiens commencèrent
ou sans l'assentissement de la volonté. « à refléchir Quel est celui-ci qui
, disant :

« profère des blasphèmes? Qui peut remettre


CHAPITRE X. «les péchés, sinon Dieu seul? Mais dès que
« Jésus connut leurs pensées, il prit la parole
DE LA PAROLE DE l'aME DA>S LAQUELLE NOUS
,

« et leur dit Que pensez-vous en vos cœurs "?»


VOYONS LE VERBE DE DIEU COMME A TRAVERS :

UN MIROIR ET EN ÉNIGME. Ces expressions :« Ils réfléchirent en disant»,


ont le même du livre de la sens que celles
17. Maintenant, parlons des choses connues Sagesse ont dit pensant». Là comme
: « Ils

auxquelles nous pensons, et connues même ici on fait voir que l'homme parle en lui-

quand nous n'y pensons pas, soit qu'elles ap- même et dans son cœur, c'est-à-dire parle en
partiennent à la science contemplative, qui pensant. En ces pharisiens parlaient en
effet,

est proprement la sagesse, ou à la science ac- eux-mêmes on leur dit « Que pensez-
et :

tive, qui conserve le nom de science, d'après « vous? » Et à propos de ce riche dont les
la distinction que j'ai établie plus ijuut. Car '
Ch. I, 20.— = Sag. Il, ].— ' ilatt. IX, l'-l.— " Luc, v, 2\, 22.
iN<3 DE LA TRINITÉ.

champs produisaient des fruits abondants, le parole,non-seulement avant qu'elle résonne,


Seigneur lui-même dit : « Or, il pensait en mais avant même que la pensée se figure
« lui-même, disant * ». les images de ses sons et c'est ce qui —
dans le langage
18. Certaines pensées sont n'appartient à aucune des langues, de ces lan-
du cœur, où du reste le Sauveur lui-même gues qu'on appelle humaines et dont notre
nous fait voir qu'il existe une bouche, quand langue latine fait partie celui, dis-je, qui —
il dit « Ce n'est point ce qui entre dans la
: peut comprendre cela, peut déjà voir, à tra-
cr bouche, qui souille l'homme mais ce qui ; vers ce miroir et en cette énigme, quelque
« sort de la bouche , voilà ce qui souille ressemblance de ce Verbe suprême dont il est
« l'homme ». Dans cette seule phrase il sup- dit : « Au commencement était le Verbe, et
pose deux bouches à l'homme, une dans le « le Verbe était en Dieu et le Verbe était
corps et l'autre dans le cœur. Car ce que les « Dieu ». Il est nécessaire en effet, quand
*

Juifs regardaient comme souillant l'homme, nous disons la vérité, c'est-à-dire quand nous
entre dans la bouche du corps tandis que ; exprimons ce que nous savons, que la parole,
d'après le Seigneur, ce qui souille l'homme tirant son origine de la science conservée
sort de la bouche du cœur. Car il a lui-même dans la mémoire, soit absolument de même
expliqué le sens de ses paroles. En effet, un nature que la science même dont elle tire
instant après, reprenant la question avec ses son origine. Car la pensée, formée de la chose
disciples, il leur dit : « Et vous aussi êtes-vous que nous savons , est la parole que nous di-
« encore sans intelligence? Ne comprenez-vous sons dans notre cœur parole qui n'appartient
:

« point que tout ce qui entre dans la bouche ni au grec, ni au latin, nia aucune autre
« va au ventre et est rejeté en un lieu secret?» langue. Mais comme il faut qu'elle parvienne
Voilà qui s'applique indubitablement à la à la connaissance de ceux à qui nous parlons,
bouche du corps. Puis, parlant ensuite de la ou emploie quelque signe pour l'exprimer.
bouche du cœur, il ajoute o Mais ce qui sort : Le plus souvent c'est un son, quelquefois un
« de la bouche vient du cœur, et voilà ce qui mouvement de tête, l'un parlant aux oreilles,
« souille l'homme. Car du cœur viennent les l'autre aux yeux et ces signes corporels sont
:

« mauvaises pensées, etc. ^ » Quoi de plus clair les moyens de faire connaître aux sens du

que cette explication? Cependant bien que corps la parole que nous portons dans notre
nous disions que les pensées sont les paroles cœur. Car, qu'est-ce que faire un signe in- (

du cœur, il ne s'ensuit pas qu'elles ne soient nuere) sinon rendre en quelque façon la pa-
pas aussi quand elles sont vraies, des visions role visible ? L'Ecriture nous offre encore là-
formées des visions de la connaissance. En dessus son témoignage. Nous lisons en effet
effet, au moment ou elles se forment au de- dans l'Evangile selon saint Jean « En vérité, :

hors par l'entremise du corps, la parole et la « en vérité, je vous le dis, un de vous me

vision sont deux choses différentes mais ; « trahira. Les disciples donc se regardaient

quand nous pensons au dedans de nous, elles « les uns les autres, incertains de qui il par-

n'en font plus qu'une. C'est ainsi que l'audi- ce lait. Or un des disciples^ que Jésus aimait,
tion et la vision sont deux sensations très-dif- « reposait sur son sein. Simon Pierre lui fit

férentes dans les sens du corps mais dans ; « donc signe Quel est celui dont il
et lui dit :

l'âme, voir et entendre sont la même chose. « parle ^ ? » Pierre exprime par signe, ce qu'il
Voilà pourquoi, tandis que au dehors le lan- n'osait dire en parole. Ces signes corporels et
gage ne se voit pas, mais s'entend, l'Evangile autres de ce genre s'adressent aux oreilles ou
nous dit que le Seigneur vit les paroles inté- aux yeux de ceux à qui nous parlons et qui
rieures c'est-à-dire les pensées, mais non qu'il sont présents, mais les lettres ont été inven-
les entendit « Ils dirent en eux-mêmes
: Ce- : tées pour pouvoir converser avec les absents,
« lui-ci blasphème »; puis il ajoute : «Mais et elles sont les signes des mots, tandis que
« comme Jésus avait vu leurs pensées ». Il vit les mots eux-mêmes qui sortent de notre
donc ce qu'ils avaient dit par sa pensée ii ; bouche sont les signes des choses que nous
avait vu leurs pensées qu'ils croyaient seuls pensons.
voir. ' Jean, 1, l. — = Id. xui, 21, 24.

19. Ainsi , celui qui peut comprendre la


'
Luc, Xll, 17. - - Matt. XV, 10, 20,
LIVRE XV. — LA TRINITE AU CIEL. 553

CHAPITRE XI. « véritablement) comme la parole de Dieu* ».

Les Ecritures sont remplies de textes de ce


IL FAUT CHERCHER UNE IMAGE QUELCONQUE DU
genre relatifs à la parole de Dieu, à celle qui se
VERBE DIVIN DANS NOTRE VERBE INTÉRIEUR
répand dans les cœurs et sur les lèvres des
ET MENTAL. ÉNORME DIFFÉENCE ENTRE NOTRE
hommes, au moyen des sons de langes nom-
VERBE ET NOTRE SCIENCE, LE VERBE DIVIN ET LA
breuses et variées. Et on l'appelle parole de
SCIENCE DIVINE.
Dieu parce que l'enseignement qu'elle donne
résonne au dehors
20. Ainsi la parole qui est divin, et non humain. Mais le Verbe dont
est le signe de la parole qui luit au dedans et nous cherchons ici une image quelconque par
qu'il est plus juste d'appeler verbe. Car ce ressemblance, est celui dont il est dit « Le :

que la bouche du corps prononce est la voix « Verbe était Dieu » dont il est dit « Toutes
; :

du verbe et elle s'appelle verbe à cause de


; « choses ont été faites par lui » ; dont il est

son origine même. Par là, notre verbe devient dit « La source de la sagesse est le Verbe de
:

en quelque sorte la voix du corps, en s'en « Dieu dans les hauteurs du ciel * ». Il faut

revêtant pour se manifester aux sens des donc parvenir à ce verbe de l'homme, au
hommes comme le Verbe de Dieu a été fait
;
verbe de l'être animé et doué de raison, au
chair, en se revêtant de la chair pour se ma- verbe de l'image de Dieu qui n'est point née
nifester aux sens des hommes. Et comme de lui, mais qui a été faite à son image, au
notre verbe devient voix, sans se transformer verbe qui ne s'exprime pas par un son, qui
en voix, ainsi le Verbe de Dieu a été fait ne se présente pas à la pensée sous la forme
chair, mais ne s'est nullement transformé en d'un son —
nécessité imposée à toutes les lan-
chair. Car c'est en se revêtant et non en gues —
mais antérieur à tous les signes qui
s'absorbant, que notre verbe devient voix, le représentent, qui est engendré de la science
et que le Verbe divin a été fait chair. Ainsi, qui subsiste dans l'âme, quand cette science
que celui qui désire découvrir une image est exprimée intérieurement telle qu'elle est.
quelconque du Verbe divin , quoique avec Car la vision de la pensée est parfaitemt sem-
une multitude de différences, ne s'attache pas blable à la vision de la science tandis que ;

à considérer le verbe humain résonnant aux quand on s'exprime par son ou par quelque
oreilles, ni quand il est exprimé par la voix, signe du corps, on ne dit point la chose telle
ni quand il reste dans le silence de la pensée. qu'elle est, mais telle qu'elle peut être vue ou
Car on peut penser en silence aux paroles de entendue par l'entremise du corps. Quand
toutes langues, repasser dans son esprit des donc ce qui est dans la connaissance est aussi
pièces de poésie, sans rien exprimer; et non- dans la parole, alors c'est le véritable verbe, et
seulement les mesures des syllabes, mais aussi la vérité, telle qu'on peut l'attendre de
même les tons de la musique, étant maté- l'homme, puisque ce qui est dans la vérité est
riels et appartenant à ce sens du corps qu'on aussi dans le verbe, que ce qui n'est pas dans
appelle l'ouïe, se rendent présents, au moyen la vérité n'est pas dans le verbe. Ici on recon-
de certaines images immatérielles, à la pensée naît le : « Oui, oui, non, non '^
», de l'Evan-
de ceux qui les repassent dans leur mémoire gile.
quand leur bouche se tait. C'est ainsi que la ressemblance de l'image
Mais il faut s'élever au-dessus de tout cela créée se rapproche, autant que possible, de
pour parvenir à ce verbe humain où l'on l'image qui est née, en vertu de laquelle Dieu
verra, par une ressemblance quelconque et proclamé semblable à son Père sub-
le Fils est
comme Verbe divin, non pas
en énigme, le stantiellement et en tout.11 faut aussi remar-

celui qui a été adressé à tel prophète et dont quer dans cette énigme, un autre trait de
on a dit « La parole de Dieu croissait et se
: ressemblance avec le Verbe de Dieu c'est :

« multipliait * » ou encore « La foi donc


; : que, comme on dit du Verbe divin « Toutes :

« vient par l'audition , et l'audition par la « choses ont été faites par lui » ce qui té- ,

« parole du Christ ^
Ayant
» ; et ailleurs : « moigne que Dieu a tout fait par son Verbe
« reçu la parole de Dieu que vous avez ouïe de unique de même il n'y a pas d'oeuvre hu-
;

« nous, vous l'avez reçue non comme la pa- maine qui n'ait d'abord été dite dans le cœur,
« rôle des homme mais ainsi qu'elle l'est
, (
' I Thess. II, 13. — » Jean, i, 1, 3, 14. — • Eccli. — "
Matt.
' Act. V, 7. — ' Act. V, 17. V, 37.
,,

554 DE LA TRINITÉ.

comme le démontre ce texte : « La parole est CHAPITRE XII.


« le commencement de toute œuvre *
». Mais,
PHILOSOPHIE DE L'ACADÉMIE.
ici quand le verbe est vrai, que la
aussi, c'est
bonne œuvre commence. Or le verbe est vrai Tout d'abord cette science, dont notre pen-
quand il est engendré par la science du bien sée se forme d'après la vérité,quand nous
faire et qu'on y observe le : « Oui, oui, non, exprimons ce que nous savons, quelle est-elle
« non » ; tellement que si c'est « oui » dans la et dans quelle mesure peut-elle provenir à
science qui doit régler la vie, ce soit «oui» l'homme le plus habile et le plus savant que
aussi dans le verbe par lequel on doit agir : nous puissions supposer? Si nous exceptons
et « non » , si c'est « non » autrement le : ce qui arrive à l'âme par les sens du corps,
verbe sera le mensonge et non la vérité, et, ces choses qui sont si souvent autrement
par suite, il y aura péché, et non bonne œu- qu'elles ne paraissent, toutes ces vraisemblan-
vre. ces dont l'encombrement est parfois tel que
Il y a encore un autre raprochement entre l'insensé se croit sain d'esprit — ce qui a
notre verbe et le Verbe de Dieu c'est que : donné tant de vogue à la philosophie de l'aca-

notre verbe peut exister sans que l'action s'en démie qui s'est mise à douter de tout, folie

suive, et qu'il ne peut y avoir d'action qui ne cent fois plus misérable encore — excepté
soit précédée du verbe de même que le ;
dis-je, ce qui vient à l'âme par les sens du
Verbe de Dieu peut être sans qu'il existe au- corps, que nous reste-t-il en fait de connais-
cune créature, et qu'il ne peut y avoir aucune sances, dont nous soyons aussi assurés que de
créature que par celui par qui toutes choses notre existence? Ici, du moins, nous ne crai-
ont été faites. C'est pourquoi ce n'est pas Dieu gnons pas d'être trompés par la vraisem-
le Père, ni le Saint-Esprit, ni la Trinité elle- blance, puisque nous savons avec certitude
même, mais le Fils seul, c'est-à-dire le Verbe qu'on peut se tromper et vivre; et il ne s'agit
de Dieu, qui a été fait chair afin que, notre : pas d'un de ces objets visibles, placés hors de
verbe se conformant à son exemple, notre vie nous, où il arrive au regard de se tromper ,

fût régulière, c'est-à-dire afin qu'il n'y eût comme quand rame, vue à travers l'eau,
la

pas de mensonge dans la pensée ni dans les lui semble brisée, ou quand on est sur un
œuvres de notre verbe. Mais image de- cette vaisseau et qu'on croit voir des tours remuer,
viendra parfaite un jour. C'est pour atteindre ou dans mille autres circonstances de ce genre
cette perfection, que nous recevons d'un bon où les choses sont autrement qu'elles ne pa-
maître la foienseignements
chrétienne et les raissentcar ici ce n'est pas l'œil du corps qui
;

de la piété, découverte»,
afin que, « à face voit.Nous savons d'une science intime que
sans le voile de la Loi qui est l'ombre des nous \ivons; nn académicien ne peut pas
choses futures, « contemplant la gloire du même dire : Peut-être dors-tu sans le savoir
« Seigneur », c'est-à-dire regardant à travers et ne vois-tu qu'un rêve. Sans doute les rêves
un miroir, nous soyons transformés « en la de l'homme endormi ressemblent fort à ce
« même image, de clarté en clarté, comme que voit l'homme éveillé qui ne le sait? :

« par l'Esprit du Seigneur », suivant l'expU-


'^
Mais l'homme qui a la certitude de vivre, ne
cation que nous avons donnée de ces paroles. dit pas Je sais que je suis éveillé il dit Je
: ; :

21. Quand donc, par celte transformation, sais que je vis; et il vit, endormi ou éveillé.
l'image sera parfaitement renouvelée, alors Et là-dessus il ne peut pas être trompé par
nous serons semblables à Dieu, parce que nous des songes car pour dormir et voir en songe,
:

le verrons, non plus à travers un miroir, mais il faut vivre. Un académicien ne peut non
tel qu'il est ^ou, comme dit saint Paul, «face plus lui objecter ; Tu es peut-être fou sans le
« à face '*
». Mais maintenant, dans ce miroir, savoir ; les hallucinations des fous ressem-
dans cette énigme, dans cette ressemblance blent fort aux idées des hommes sains d'es-
quelconque, quelle immense différence Qui 1 prit : pour
car, être fou, il faut vivre. Et cet
pourrait l'expliquer ? J'essaierai cependant, homme ne répond pas aux académiciens Je :

autant qu'il me sera possible, d'en loucher sais que je ne suis pas fou, mais bien Je sais :

quelque chose qui puisse en donner une idée. que je vis. Ainsi donc on ne se trompe jamais
et l'on ne ment jamais à dire Je sais que je
' Eccli. XXXVII, 20. — • II Cor. m, 18. — » Jean, m, 2. — ' I Cor.
:

xiu, 12. vis. Qu'on oppose donc à cette affirmation


LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 555

mille exemples de déception dans les yeux ;


conversion, nous avons écrit trois livres con-
riiomme qui que je
dit : Je sais vis, n'a pas à tre les académiciens; celui qui pourra et vou-

s'en émouvoir, parce que pour tromper il


se dra les lire et les bien comprendre, ne se
faut vivre. Mais si la science humaine se borne laissera certainement point ébranler par les

à de telles certitudes, elle est bien petite; à nombreux arguments que l'on a imaginés

moins que ces certitudes ne soient si multi- pour contester la possibilité de percevoir la
pliées dans chaque ordre de choses, qu'elles vérité \ Car comme il y a deux espèces de
cessent d'être en petite quantité et qu'elles connaissances, celle des objets que l'âme per-
tendent même à un nombre indéfini. En effet, çoit par l'entremise des sens, et celle des
l'homme qui dit : Je sais que je vis , n'af- choses qu'elle perçoit par elle-même, ces phi-
firme qu'une chose; mais s'il dit : Je sais que losophes ont débité une foule de niaiseries
je saisque je vis, il en affirme déjà deux ; et contre les sens du corps; mais ils n'ont pu
à ces deux choses s'en joint une troisième , la révoquer en doute que l'âme perçoive par
connaissance qu'il en pourra y en ajou-
a. Il elle-même et en toute certitude certaines vé-
ter une quatrième, une cinquième et ainsi de rités, comme celle dont je parlais tout à

suite indéfiniment, s'il suffit à la tâche. Mais l'heure Je sais que je vis. Mais à Dieu ne
:

comme il ne peut ni embrasser une quantité plaise que nous doutions de la vérité des per-

innombrable par des additions de détail, ni ceptions acquises par les sens ! car c'est par

parler indéfiniment, il y a une chose qu'il com- eux que nous connaissons l'existence du ciel
prend et exprime en toute certitude, c'est que et de la terre, et tout ce que nous savons des

cela est vrai et que le nombre est tellement objets qu'ils renferment, dans la mesure où

au-dessus du calcul qu'il lui est impossible de l'a voulu Celui qui les a créés et nous a créés

comprendre et d'exprimer un nombre infini. nous-mêmes. Loin de nous également la pen-


On peut en dire autant des certitudes de la sée de nier ce que nous avons appris par le

volonté. Qui peut en efiet, sans effronterie, témoignage des autres Autrement nous
!

dire : Tu
te trompes, à l'homme qui dit Je :
ignorerions qu'il y a un Océan nous ne con- ;

désire être heureux ? Et s'il dit: Je sais que je naîtrions pas l'existence de certaines contrées,

le veux, et je sais que je le sais déjà à deux :


de certaines villes renommées; nous ne sau-
choses, il en ajoute une troisième, la con- rions rien des hommes d'autrefois, rien de
naissance qu'il a de ces deux choses puis une leurs actions mentionnées par l'histoire; nous
;

quatrième qu'il sait qu'il sait ces deux cho- resterions dans l'ignorance des nouvelles qui
;

ses, et ainsi de suite, indéfiniment. Egalement nous viennent chaque jour de tout côté, et

si quelqu'un dit Je ne veux, pas me tromper


:
dont la certitude repose sur des indices con-
;

soit qu'il se trompe, soit qu'il ne se trompe


cordants et dignes de foi enfin nous ne sau-
;

pas, ne toujours vrai qu'il ne veut


sera-t-il pas rions pas même où nous sommes, ni de qui

pas se tromper? Et qui portera l'insolence nous sommes nés, puisque nous avons appris
jusqu'à lui dire : Peut-être en cela te trompes- tout cela par le témoignage des autres. Or si ce

tu, puisque, quelle que puisse être son er- serait là le comble de l'absurdité, il faut donc

reur, ne se trompe pas dans la volonté de


il
reconnaître que la somme de nos connais-
ne pas se tromper? Et s'il dit qu'il sait cela, sances bien augmentée, non-seulement
s'est

il peut y ajouter une quantité quelconque de


par nos propres sens, mais par ceux des autres.
2-2. Ainsi ces diverses connaissances que
choses à lui connues, et bientôt il s'apercevra
que le nombre en est indéfini. En effet, celui l'âme perçoit ou par elle-même, ou par les
qui dit Je ne veux pas me tromper et je sais
:
sens du corps, ou par le témoignage des au-

que je ne le veux pas, et je sais que je sais tres, elle les renferme dans le trésor de sa

cela, indique par le fait un nombre indéfini, mémoire, et c'est de là qu'est engendré le
quoique difficile à exprimer. On pourrait en- verbe vrai, quand nous disons ce que nous
core opposer d'autres exemples aux académi- savons, mais verbe antérieur à tout son, à
ciens qui affirment que l'homme ne peut rien toute pensée de son. Alors le verbe est par-
savoir. faitement semblable à l'objet connu, qui en-
Mais nous devons nous borner, surtout gendre même son image, puisque la vision
parce que ce n'est point là le sujet de cet de la pensée nait de la vision de la science :

ouvrage. Dans le premier moment de notre > Voir lome 111.


, .

556 DE LA TRINITÉ.

verbe qui n'appartient à aucune langue ,


ne date pas du temps; mais il a su de toute
verbe vrai d'une chose vraie, n'ayant rien de éternité tout ce qui devait arriver dans le
lui-même, mais tenant tout de la science dont temps, et, en particulier, ce que nous lui de-
il naît. Peu importe le moment où celui qui manderions et quand nous le demanderions,
exprime ce qu'il sait , l'a appris ; quelquefois qui et pourquoi il exaucerait ou n'exaucerait
il parle aussitôt qu'il sait; l'essentiel est que pas. Et toutes ses créatures spirituelles et cor-
le verbe soit vrai , c'est-à-dire né de choses porelles, il ne les connaît pas parce qu'elles
connues. sont, mais elles sont parce qu'il les connaît.
CHAPITRE XIII. Car il n'ignorait pas ce qu'il devait créer. Il a
donc créé parce qu'il non connaissait, et
l'auteur revient sur la différence entre la
connu parce qu'il avait créé. 11 n'a pas connu
SCIENCE et le verbe DE NOTRE AME, ET LA
les choses créées d'autre manière que quand
SCIENCE ET LE VERBE DE DIEU.
elles étaient à créer ; elles n'ont rien ajouté à
Est-ce donc que Dieu le Pore, de qui est né sa sagesse; pendant qu'elles recevaient l'exis-
le Verbe, Dieu de Dieu, est-ce que Dieu le tence dans la mesure et dans le moment con-
Père, dans cette sagesse, qui n'est autre que venables, cette sagesse demeurait ce qu'elle
lui-même, aurait acquis certaines connais- était. Voilà pourquoi on lit dans le livre de
sances par les sens de son corps, et d'autres l'Ecclésiastique « Toutes choses lui étaient
:

par lui-même Qui osera le dire parmi tous


? « connues avant qu'elles fussent créées, et
ceux qui savent que Dieu n'est point un ani- « ainsi en est-il depuis qu'elles sont créées » *

mal raisonnable, qu'il est au-dessus de l'âme « Ainsi », mais non autrement « elles lui ,

douée de raison, et qui le conçoivent par la « étaient connues avant qu'elles fussent créées;
pensée, autant que cela est possible à des « ainsi encore depuis qu'elles sont créées ».
êtres qui le placent au-dessus de tous les ani- Notre science est donc bien différente de
maux et de toutes les âmes, bien qu'ils ne le celle-là. Or la science de Dieu, c'est sa sagesse,
voient encore qu'à travers un miroir en et sa sagesse c'est son essence même et sa
énigme et par conjecture, et non face à face substance. Dans la merveilleuse simplicité de
tel qu'il est? Est-ce que tout ce que Dieu le cette nature, être et être sage ne sont pas
Père connaît, non par son corps il n'en a — choses différentes mais être et être sage c'est
;

point —
mais par lui-même, il l'a puisé à une tout un, comme je l'ai dit bien des fois dans
autre source que lui-même? A-t-il eu besoin les livres précédents. Notre science, au con-
de messagers, ou de témoins pour le savoir ? traire, peut, en beaucoupde choses, se perdre
Non certainement sa propre perfection suffît
: et se recouvrer, parceque être et être savant
à savoir tout ce qu'il sait. Sans doute il a des ou sage ne sont point pour nous la même
messagers, les anges, mais ce n'est pas pour chose vu que nous pouvons être, et ne pas
:

en apprendre des nouvelles qu'il ignore car : savoir, et ne pas goûter ce que nous avons
il n'est rien qu'il ne sache l'avantage de ces ; Par conséquent, comme no-
d'ailleurs appris.
esprits est de consulter la vérité pour agir, et de la science de Dieu, ainsi
tre science dilïère
c'est en ce sens qu'ils sont censés lui annon- le verbe qui naît de notre science est diffé-
cer certaines choses, non pour l'instruire rent du Verbe de Dieu, né de l'essence du
mais pour en recevoir ses instructions par le Père, comme si je disais né de la science du :

moyen de son Verbe et sans aucun son maté- Père de la sagesse du Père, ou avec plus d'é-
;

riel. Envoyés par lui à ceux qu'il veut, ils lui nergie encore né du Père science, du Père
:

annoncent ce qu'il veut, et entendent tout de sagesse.


lui par son Verbe c'est-à-dire, ils voient dans
; CHAPITRE XIV.
sa vérité ce qu'ils doivent faire, ce qu'il faut
LE VERBE DE DIEU EST ÉGAL EN TOUT AU PÈRE
annoncer, à qui et quand il faut l'annoncer.
DE QUI IL EST.
Et nous-mêmes nous le prions, et pourtant
nous ne lui apprenons pas nos besoins. Son 23. Donc le Verbe de Dieu le Père, Fils uni-
Verbe nous l'a dit « Votre Père sait de quoi
: que, est semblable et égal au Père en tout.
« vous avez besoin, avant que vous le lui de- Dieu de Dieu lumière de lumière sagesse de
, ,

« mandiez * » . Et cette connaissance chez lui sagesse, essence d'essence ; il est absolument
' Matt. VI, 8. ' Eccli. xxill, 29.
LIVRE XV. LA TRINITÉ AU CIEL. 557

ce qu'est le Père, et cependant il n'est pas Père, ne rougissons point de faire voir, autant qu'il
puisque l'un est Fils et l'autre Père. Par con- nous sera possible, combien il en diffère.
séquent il connaît tout ce que le Père connait ;
mais il tient du Père la connaissance aussi CHAPITRE XV.
bien que l'Etre. Car, en Dieu, connaître et
COMBIEN GRANDE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE
être c'est la même chose. Le Père, comme en VERBE ET LE VERBE DIVIN.
s'exprimant lui-même, a engendré le Verbe
qui lui est égal en tout, et il ne se serait pas Notre verbe naît-il de notre science seule ?
exprimé lui-même entièrement et parfaite- Ne disons-nous pas bien des choses que nous
ment, s'il y avait en son Verbe quelque chose ignorons ? Nous les disons même sans hésiter,
de plus ou de moins qn'en lui. C'est ici qu'on mais les croyant vraies ; et si par hasard elles
reconnaît au souverain degré le « Oui, oui, : le sont, elles le sont dans les objets même dont
« Non, non * ». Voilà pourquoi ce Verbe est nous parlons, et non dans notre verbe, puisque
réellement la vérité, parceque tout ce qui est le verbe n'est vrai qu'autant qu'il engen- est
dans la science qui l'engendre est aussi en lui, dré de la chose même
donc que l'on sait. Ainsi
de ce qui n'y est pas. Ce Verbe
et qu'il n'a rien notre verbe est faux alors, non parce que nous
ne peut absolument rien avoir de faux parce ;
mentons, mais parce que nous sommes trom-
qu'il est immuablement ce qu'est Celui de qui pés. Quand nous doutons, le verbe n'est point
il est. Car « le Fils ne peut rien faire de lui- encore engendré de la chose dont nous dou-
« même, si ce n'est ce qu'il voit que le Père tons, mais du doute même. En effet, bien que
a fait ^ ». Il ne le peut absolument, et ce n'est nous ne sachions pas si la chose dont nous
point là faiblesse, mais force, la force qui fait doutons est vraie, nous savons du moins que
que ne peut être fausse. Dieu le Père
la vérité nous doutons par conséquent, quand nous le
;

connaît donc toutes choses en lui-même, il les disons, c'est un verbe vrai, puisque nous
connaît dans son Fils dans lui-même, comme ; savons ce que nous disons. Mais ne pouvons-
lui-même, dans le Fils comme son Verbe, qui nous pas mentir ? Dans ce cas, c'est volontai-
comprend tout ce qui est en lui. Le Fils con- rement et sciemment que nous avons un
naît également toutes choses en lui-même , : verbe faux le verbe vrai c'est que nous men-
;

comme choses nées de celles que le Père tons, car nous savons que nous mentons. Et
connaît en lui-même dans le Père, comme ; quand nous avouons que nous avons menti,
choses d'où sont nées celles que le Fils connaît nous disons la vérité, car nous disons ce que
en lui-même. Le Père et le Fils savent donc nous savons puisque nous savons que nous
;

réciproquement, mais l'un en engendrant, avons menti. Mais cela est impossible au Verbe
l'autre en naissant. Et chacun d'eux voit simul- qui est Dieu et plus puissant que nous. Car,
tanément tout ce qui est dans leur science « il ne peut rien faire si ce n'est ce qu'il voit

dans leur sagesse, dans leur essence ; non en « que le Père fait » il ne parle pas de lui- ;

particulier ou en détail, comme si leur vue même, mais tout ce qu'il dit lui vient du Père
alternait, passait là, revenait ici , se portait qui ne parle qu'à lui et c'est, chez le Verbe ;

d'un côté à un autre, dans l'impuissance de suprême, une grande puissance que de ne
voir ceci en même temps que cela ; mais, pouvoir mentir car, là, il ne peut y avoir:

comme je l'ai dit, chacun d'eux voit tout, tout « oui et non » , mais « Oui, oui. Non, non ».
^
:

à la fois et toujours. Sans doute on ne doit pas dire un mot qui n'est
24. Quant à notre verbe, qui n'a pas de son, pas vrai j'en suis tout à fait d'avis; mais même
;

qui ne pense point au son, mais seulement à la quand notre verbe est vrai et par conséquent
chose que nous exprimons intérieurement en mérite le nom de verbe, si on peut l'appeler
la voyant, qui, par conséquent, n'appartient vision de vision, ou science de science, peut-on
à aucune langue, et a quelque ombre de res- aussi l'appeler essence d'essence, comme on le
semblance en énigme avec le Verbe de Dieu dit et comme on doit le dire à juste titre du
qui est Dieu, puisqu'il nait de notre science Verbe de Dieu ? Non certes puisque être et :

comme le Verbe est né de la science du Père; connaître ne sont point pour nous une même
quant à ce verbe, dis-je, si nous lui trouvons chose. Car nous savons bien des choses qui ne
quelque ressemblance avec le V^erbe suprême, vivent en quelque sorte que par la mémoire et
'
Matt. V, 37. — '
Jean, v, 19. ' II Cor. I, 19.
558 DE LA TRINITE.

qui meurent pour ainsi dire par Toubli et ; arrive à ce que nous savons, en prend la forme
bien qu'elles ne soient plus à notre connais- et la parfaite ressemblance, en sorte que la

sance, nous existons encore ; et quand notre chose est pensée comme elle est connue, c'est-
science nous a complètement échappé, nous à-dire est exprimée dans le cœur, sans mot,
ne cesssons pas de vivre pour autant. sans le souvenir d'aucun mot appartenant à

25. Quant aux choses que nous savons de une langue quelconque. Que si pour faire —
manière à ne pouvoir les oublier, parce qu'elles cette concession et ne pas prolonger une dis-

nous sont présentes et qu'elles tiennent à la cussion de mots —


il faut donner le nom de

nature de l'àme, comme par exemple la cer- verbe à ce mouvement de notre âme qui peut
titude de notre existence —
certitude qui dure prendre la forme de notre science, avant même
autant que l'âme, et par conséquent toujours, qu'il ne l'ait, et précisément parce qu'il est,
puisque l'âme dure toujours -^ quant à ces pour me
servir de cette expression, susceptible
choses, dis-je, et autres de ce genre, où il faut de prendre qui ne voit combien il diffère
la :

surtout voir l'image de Dieu, bien qu'elles de ce Verbe de Dieu, qui est tellement dans la
soient toujours sûres, elles ne sont pas toujours forme de Dieu qu'il n'a pas été susceptible
sous le regard de la pensée comment donc : d'être formé avant d'être formé, qui ne peut
appeler éternel le verbe qui en naît, alors jamais être sans forme, qui est la forme même,
que c'est notre pensée qui exprime notre forme simple et simplement égale à Celui de
verbe ? question difficile à résoudre. En effet, qui elle est et à qui elle est merveilleusement
c'est toujours que l'âme vit, c'est toujours coéternelle ?

qu'elle sait qu'elle vit cependant ce


; et CHAPITRE XVI.
n'est pas toujours qu'elle pense à sa vie, ce
MÊME QUAND NOUS SERONS SEMBLABLES A DIEU,
n'est pas toujours qu'elle pense qu'elle sait
NOTRE VERBE NE POURRA JAMAIS ÊTRE ÉGALÉ
qu'elle vit: car, dès qu'elle pensera à telle
AU VERBE DIVIN.
ou telle autre chose, elle cessera de penser
à ceci, sans cependant cesser de le savoir. D'où Ainsi donc, quand on parle du Verbe de
il résulte que s'il peut y avoir dans l'âme une Dieu, on ne l'appelle pas la pensée de Dieu,
science sempiternelle, si d'ailleurs l'âme ne pour ne pas laisser croire qu'il y ait en Dieu
peut toujours penser à cette science, et si notre quelque chose de mobile, qui tantôt prenne,
verbe vrai, intérieur, n'est exprimé que par tantôt reçoive la forme de Verbe, qui puisse
notre pensée, il résulte, dis-je, que Dieu seul ensuite la perdre, rester sans forme, et subir
peut avoir un verbe qui dure toujours, un en quelque sorte des évolutions. Il connaissait
verbe qui lui soit coéternel. A moins qu'on bien la nature de la parole et la puissance de
ne dise, que la faculté même de penser, puis- — la pensée, le grand poète qui a dit « il roule :

qu'on a la faculté de penser à ce que l'on sait, « dans son esprit les diverses vicissitudes de

même quand on n'y pense pas —


est un verbe « la guerre * » c'est-à-dire il pense. Le Fils de

perpétuel comme la science elle-même. Mais Dieu ne s'appelle donc pas pensée de Dieu,
comment existe le Verbe qui n'est pas encore mais Verbe de Dieu. Car notre pensée parve-
formé par le regard de la pensée ? comment nue à ce que nous savons et en prenant sa
sera-t-il semblable à la science dont il naît, forme, devient notre verbe vrai. Et on doit
s'il n'en a pas la forme et si on ne le nomme
, entendre le Verbe de Dieu sans la pensée de
verbe que par ce qu'il peut l'avoir ? Ce serait Dieu, pour bien comprendre que c'est une
vraiment dire qu'il faut l'appeler verbe, parce forme simple, qui n'a rien qui soit à former
qu'il peut être verbe. Et quelle est donc cette ou qui puisse rester sans forme. On parle, il
chose qui peut être verbe, et mérite, par cela est vrai, dans les Saintes Ecritures, des pen-
même, d'en prendre le nom? quelle est, dis-je, sées de Dieu mais c'est dans le sens où l'on
;

cette chose susceptible d'être formée, et non dit aussi oubli de Dieu: expressions qui, dans
encore formée, sinon un je ne sais quoi de leur signification propre, ne sauraient s'ap-
notre âme que nous portons çà et là par un pliquer à Dieu.
mouvement rapide, quand nous pensons à 26. Cette énigme étant donc maintenant si
tel ou tel objet que nous découvrons ou ren- différente de Dieu et du Verbe de Dieu, malgré
controns au hasard ? Et le verbe devient vrai la faible ressemblance qu'on y découvre, il faut
quand ce mouvement rapide dont je parle, ' Virg. Enéide, cli. X, v. 159, IGÛ.
,

LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 559

encore reconnaître que, même « quand nous la charité même


une substance qui mériteest

« serons semblables à lui » alors que « nous le nom mais nous dirons au con-
de Dieu ;

« le verrons tel qu'il est '


» — et celui qui l'a traire que la charité est un don de Dieu,
ditne perdait certainement pas de vue la diffé- dans le sens où le Psalmiste lui dit Vous : et

rence —
qu'alors même, dis-je, nous ne serons « êtes ma patience » ce qui ne signifie pas ' :

point égaux à lui en nature. Car la nature que notre patience soit la substance de Dieu,
créée est toujours inférieure à celle qui l'a mais qu'elle nous vient de lui, comme le même
faite. Sans doute, notre verbe ne sera plus Psalmiste le dit ailleurs « Car ma patience :

faux, puisque nous ne mentirons plus et ne « vient de lui ^ ». Les paroles même de l'Ecri-

serons plus trompés; peut-être encore nos ture écartent donc cette interprétation. En
pensées ne seront-elles plus mobiles, passant et effet « vous êtes ma patience », équivaut à
: :

repassant d'un objet à un autre peut-être em- ;


« Seigneur, vous êtes mon espérance ' » ; ou
brasserons-nous d'un coup d'œil tous les objets à : « mon Dieu, ma miséricorde *
», et à beau-
de nos connaissances. Néanmoins , tout cela coup d'autres locutions de ce genre. Or, on ne
étant — si cela doit être — la créature qui était dit pas Seigneur, ma charité ni vous êtes ma
: ;

susceptible d'être formée aura été formée, pour charité ni Dieu ma charité ; mais
; : « Dieu :

qu'il ne lui manque rien de la forme à laquelle « est charité » comme on dit a Dieu est
, :

elle devait mais on ne pourra l'éga-


parvenir ;
« Esprit ^ » Que celui qui ne saisit pas ces
.

ler à cette simplicité,où rien de susceptible distinctions demande l'intelligence à Dieu ,

d'être formé n'a été formé où réformé et qui ; mais qu'il n'exige pas de nous d'autres expli-
n'étant ni sans forme ni formée, est, là, une cations car nous ne pouvons rien dire de
:

substance éternelle et immuable. plus clair.


28. Donc, « Dieu est charité ». Mais on de-
CHAPITRE XVII. mande s'il s'agit ici du Père, ou du
Fils, ou du

COMMENT l'esprit- SAINT EST APPELÉ CHARITÉ. Saint-Esprit, ou de la Trinité elle-même, puis-
qu'il n'y a qu'un seul Dieu et non trois dieux.
EST- IL SEUL CHARITÉ ? CHARITÉ EST LE NOM
Nous avons déjà dit plus haut, dans cet ou-
PROPRE QUE LES ECRITURES DONNENT A l'ESPRIT-
vrage, qu'il ne faut pas voir l'image de la
SAINT.
dans les trois choses que
Trinité, qui est Dieu,
27. Nous avons assez parlé du Père et du nous avons indiquées dans la trinité de notre
Fils, autant qu'il nous a été donné de voira âme, en ce sens que le Père serait la mémoire
travers ce miroir et en cette énigme. Mainte- des trois personnes, le Fils l'intelligence et le
nant, avec cette même aide de Dieu, nous Saint-Esprit la charité de ces trois mêmes per-
avons à parler du Saint-Esprit. D'après les sonnes, comme si le Père ne comprenait pas
saintes Ecritures, il n'est pas du Père seul, ni et n'aimait pas par lui-même, mais que le Fils

du Fils seul, mais des deux; et c'est pourquoi comprît pour lui, que le Saint-Esprit aimât
il éveille en nous l'idée de l'amour commun, pour lui, tandis que lui, le Père, serait simple-
par lequel le Père et le Fils s'aiment mutuel- ment sa mémoire et leur mémoire ;
que le

lement. Mais la divine parole ne nous offre Filsne se souviendrait et n'aimerait pas par
pas seulement des vérités faciles afin d'exer- ; lui-même, mais que le Père se souviendrait
cer notre intelligence et d'enflammer notre pour lui, que le Saint-Espritaimerait pour lui,
ardeur, elle nous oblige àaprofondirdescboses tandis qu'il serait sa propre intelligence et
obscures que le mystère enveloppe et qu'il leur intelligence ; et qu'enfin le Saint-Esprit
faut tirer du mystère. L'Ecriture ne dit donc ne se souviendrait ni ne comprendrait par
pastl'Esprit-Saint est charité. Si elle l'eût dit, lui-même, mais que le Père se souviendrait
elle eût déchiré en grande partie
le voile ;
pour lui, que le Fils comprendrait pour lui ,
mais elle dit : « Dieu
^ ». Elle
nous
est amour tandis qu'il serait son propre amour et leur
laisse donc dans l'incertitude et nous force à amour tout au contraire, on doit entendre
:

chercher si c'est Dieu le Père qui est charité que les trois personnes possèdent ces trois

ou Dieu le Fils, ou Dieu le Saint-Esprit, ou la choses et les ont chacune dans sa propre na-
Trinité Dieu. Car nous ne disons pas que si ture. De plus il n'y a point, là, de différence
Dieu est appelé charité, ce n'est pas parce que — — —
* Ps. LXX, 4. Ps. LXi, 6. ' Ps. xc, 9. ' Ps. LViii, 18.
' Jeaa, m, 2. — M Jean, iv, 16. ' Jean, iv, 24.
,

560 DE LA TRINITÉ.

comme chez nous , où la mémoire, Tintelli- «je tiendrai un autre langage à ce peuple ».
gence et l'amour ou la charité sont choses di- dit d'abord
est écrit dans la Loi :». Le
« Il *

verses ; tout n'y fait qu'un, comme la sagesse Seigneur a dit « Il est écrit dans la Loi Ils : :

elle-même, et tout est dans la nature de cha- « m'ont haï gratuitement - » bien que ces ,

que personne sous la forme de substance


, paroles soient du Psalmiste ^ D'autres fois, au
immuable et simple. Si donc tout cela a été contraire, ce mot s'applique proprement à la
bien compris, et nous avons réussi à en faire
si loidonnée par Moïse « La loi et les prophètes :

nous est permis


ressortir la vérité, autant qu'il «jusqu'à Jean S) «à ces deux commande- ;

de voir et de conjecturer dans un sujet si élevé, « ments se rattachent toute la loi et les Pro-
je ne vois pas pourquoi le Père, le Fils et le « phètes ^».
Ici c'est proprement la loi donnée
Saint-Esprit étant appelés sagesse — non trois au mont Sinaï. On renferme également les
sagesses, mais une seule sagesse — pourquoi, psaumes sous le nom des prophètes; et cepen-
dis-je, Père,
le Fils leSaint-Esprit ne
et le dant le Sauveur a dit ailleurs « Il fallait que :

seraient pas aussi appelés charité — non trois « fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans

charités, mais une seule charité. Car c'est ainsi « la Loi, dans les Prophètes et dans les Psau-

que le est Dieu, que le Fils est Dieu, que


Père « mes ^ ». On voit qu'il distingue les Psaumes
le Saint-Esprit est Dieu, et que les trois ne des Prophètes. Ainsi donc, tantôt le mot loi
font qu'un seul Dieu. renferme sans exception les Prophètes et les
29. Et cependant ce n'est pas sans raison psaumes, tantôt il s'apphque uniquement à la
que, dans cette souveraine Trinité, le nom de loi donnée par Moïse de même tantôt on ren- :

Verbe de Dieu n'est donné qu'au Fils, le nom ferme les psaumes sous le nom des Prophètes,
de don de Dieu n'est donné qu'au Saint-Esprit tantôt on les en distingue. Si ce n'était pour
et celui de Dieu le Père au principe dont le éviter des longueurs dans un sujet si clair ,

Verbe est engendré et dont procède en pre- nous pourrions prouver par beaucoup d'autres
mier lieu le Saint-Esprit. J'ai dit en premier : exemples qu'il est des expressions dont le sens
lieu , parce qu'on découvre que le Saint- est tantôt général, tantôt spécial. Je dis ceci,
Esprit procède aussi du Fils. Mais le Père a pour entendre qu'il n'y a aucun inconvé-
faire
donné cela au Fils, non en ce sens que le Fils nient à donner le nom de charité au Saint-

existât avant de l'avoir mais tout ce que le


; Esprit, bien que Dieu le Père et Dieu le Fils
Père a donné à son Verbe Fils unique, il le lui puissent aussi s'appeler charité.
a donné en l'engendrant. Il l'a donc engendré Donc, comme nous donnons proprement
31.
de manière à ce que le Don commun procédât le nom
de sagesse au Verbe unique de Dieu,
aussi de lui, et que l'Esprit-Saint tut l'Esprit quoique le Saint-Esprit et le Père soient aussi
des deux. Ce n'est donc pas rapidement et au sagesse; ainsi donnons-nous proprement le nom
vol, mais sérieusement qu'il faut considérer de charité au Saint-Esprit, bien que le Père et
cette distinction au sein de l'indivisible Trinité. le Fils soient aussi charité. Mais le Verbe de

Voilà pourquoi le Verbe de Dieu a été propre- Dieu, c'est-à-dire le Fils unique de Dieu, a été
ment appelé Sagesse de Dieu, bien qui le Père expressément appelé Sagesse de Dieu par l'A-
et le Saint-Esprit soient sagesse. Si donc le pôtre qui dit « Le Christ Vertu de Dieu et :

nom de Charité a pu être le nom propre d'une « Sagesse de Dieu


"
» Quant au Saint-Esprit .

des trois personnes, à qui convient-il mieux nous trouverons en quel endroit il a été appelé
qu'au Saint-Esprit ? En ce sens cependant que, charité, si nous étudions bien les paroles de
dans cette simpleet souveraine nature, la sub- l'Apôtre saint Jean; car, après avoir dit «Mes :

stance et la charité ne soient pas choses dif- « bien- aimés, aimons-nous les uns les autres,
férentes; mais que la substance elle-même « parce que la charité est de Dieu », il ajoute

soit charité, et la charité substance, soit dans aussitôt «Ainsi quiconque aimeestnédeDieu;
:

le Père, soit dans le Fils, soit dans le Saint- « qui n'aime point ne connaît pas Dieu parce
Esprit, bien que le nom de charité soit pro- « que Dieu est charité ». Ici il fait voir que la

prement attribué au Saint-Esprit. charité qu'il appelle Dieu est celle qu'il a dit
30. C'est ainsi L]ue sous le nom de Loi on être de Dieu. La charité est donc Dieu de Dieu,
renferme toutes les Ecritures de l'Ancien Tes-
tament. L'Apôtre, par exemple, citant ce pas-
'
Is. xxvni, 11 ; I Cor. xjv, 21. — ' Jean, sv, 25.— ' Ps. xxxiv,

19. — *
Matt. XI, 13. — ' Id. XXII, 40. — « Luc, xxiv, 44. —
sage d'Isaïe : «Je parlerai en d'autres langues. '
I Cor. I, 24.
.

LIVRE XV LA TRINITÉ AU CIEL. 561

Mais comme le Fils est né de Dieu le Père, et de Dieu et du prochain. Ce n'est qu'à ce point
que le Saint-Esprit procède de Dieu le Père ,
de vue de la charité que l'Esprit est propre-
il s'agit de savoir lequel des deux devra être ment appelé le Don. Celui qui ne l'a pas, parlàt-
appelé Dieu-charité, car le Père est Dieu par il les langues des hommes et des anges, est
lui-même non Dieu de Dieu donc la charité
et ;
comme un airain sonnant et une cymbale re-
qui est Dieu de Dieu, doit être le Fils ou le tentissante ; et quand il aurait le don de pro-
Saint-Esprit. phétie, qu'il connaîtrait tous les mystères et
Mais l'Apôtre, après avoir parlé de l'amour toute la science ;
quand il aurait toute la foi,

de Dieu, non pas de celui que nous avons pour au point de transporter montagnes, il n'est les
lui, mais de celui dont « il nous a aimés, lui rien, et quand il distribuerait tout son bien ,

« qui a envoyé son Fils, propitiation pour nos et qu'il livrerait son corps pour être brûlé ,

« péchés », et après nous avoir exhortés à nous cela ne lui servirait de rien K Qu'il est donc
aimer les uns les autres afin que Dieu de- grand ce bien, sans lequel de si grands biens ne
meure en nous ; saint Jean , dis-je , conti- sauraient conduire personne à la vie éternelle 1

nue, et comme il a appelé Dieu charité, il se Or, cet amour ou cette charité — deux ex-
hâte d'expliquer plus clairement sa pensée et pressions pour la même chose — même quand
dit : «Nous connaissons que nous demeurons celui qui le possède ne parle pas les langues,
« en lui et lui en nous, en cela qu'il nous a n'a pas ledon de prophétie, ne connaît pas tous
« donné de son Esprit ». Ainsi l'Esprit-Saint, les mystères et toute la science, ne distribue pas
dont Dieu nous a donné, fait que nous demeu- tout son bien aux pauvres soit parce qu'il —
rons en Dieu et Dieu en nous. Or c'est là , n'en a point à distribuer, soit parce que ses
l'efTet de l'amour. L'Esprit-Saint est donc le propres besoins s'y opposent ne livre pas —
Dieu-charité. Et un peu plus bas, après avoir son corps pour être brûlé, faute d'occasion
répété cela et avoir dit « Dieu est charité », : de subir ce supplice cet amour, dis-je, le con- ;

il ajoute aussitôt Qui demeure dans la cha-


: « duit au royaume éternel, et donne à la foi
« rite demeure en Dieu et Dieu en lui », ce même tout son prix. Car, sans la charité, la
qui lui avait fait dire plus haut «Nous con- : foi peut exister, mais non être utile. Ce qui
« naissons que nous demeurons en lui et lui fait dire à l'apôtre Paul : « Dans le Christ Jésus
« en nous, en cela qu'il nous a donné de son « ni la circoncision ni l'incirconcision ne
« Esprit ». C'est donc l'Esprit-Saint qui est dé- « servent de rien ; mais la foi qui agit par la

signé pas ces mots « Dieu est charité » Donc,


: . « charité ^ » : distinguant ainsi cette de
foi

quand l'Esprit-Saint, qui procède de Dieu, est celle des démons qui croient et tremblent *.
donné à l'homme, il allume en lui l'amour de Donc l'amour qui est de Dieu et Dieu, est pro-
Dieu et du prochain et il est lui-même cet prement l'Esprit-Saint par qui est répandue
amour. Car ce n'est que par Dieu que l'homme en nos cœurs la charité de Dieu, en vertu de
peut aimer Dieu. C'est pourquoi l'Apôtre dit laquelle la Trinité tout entière habite en nous.
peu après « Nous donc, aimons Dieu, parce
: Voilà pourquoi le Saint-Esprit, quoique Dieu,
« qu'il nous a aimés le premier * ». Et l'apôtre est à très-juste titre appelé aussi Don de Dieu.
Paul dit à son tour « La charité de Dieu est : Et ce don, quel peut-il être au fond, sinon la
« répandue en nos cœurs par l'Esprit-Saint qui charité qui conduit à Dieu, et sans laquelle
« nous a été donné - » aucun autre don de Dieu ne conduit à Dieu ?

CHAPITRE XVIll. CHAPITRE XIX.

AUCUN DON DE DIEU NE l'eMPORTE SUR LA CHARITÉ. LES ÉCRITURES APPELLENT LE SAINT-ESPRIT DON
DE DIEU. LE SAINT-ESPRIT EST PR0PRE3IENT APPELÉ
32. Ce don est le plus grand des dons de CHARITÉ, quoiqu'il NE SOIT PAS SEUL CHARITÉ
Dieu. Lui seul sépare les filsdu royaume éter- DANS LA TRINITÉ.
nel des enfants de l'éternelle perdition. D'au-
tres dons sont distribués par l'Esprit-Saint ,
33. Faut-il aussi prouver que les saintes
mais ils sont inutiles sans la charité. Par con- lettres appellent le Saint-Esprit Don de Dieu ?
séquent personne ne peut passer de gauche à Si on y tient, nous trouvons dans l'Evangile
droite, si l'Esprit-Saint ne lui inspire l'amour selon saint Jean ces paroles du Seigneur Jésus-
• I Jean, iv, 7-19. — '
Rom. v, 5. I Cor. xui, 1-3. — ' Gai. v, 6. — ' Jac. li, 19.

S. AuG. — Tome XIL 36


. .

562 DE LA THINITÉ.

Christ : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Or, il connaissance de tout le monde


est à la
« moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, que Seigneur Jésus étant monté au ciel
le
« comme dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive après sa résurrection d'entre les morts, a
« couleront de son sein ». Et aussitôt l'Evan- donné le Saint-Esprit, et que les fidèles rem-
géliste ajoute : « 11 disait cela de l'Esprit que plis de cet Esprit parlaient toutes les langues.
« devraient recevoir ceux qui croiraient en Peu importe que l'Apôtre ait dit « des dons » et
». Ce qui fait dire à l'apôtre Paul « Nous
« lui ^ : non un don il citait ce passage du Psalmiste
:
:

avons tous été abreuvés d'un seul Esprit - ».


« « Vous êtes monté au ciel, vous avez conduit

Mais on demande si c'est cette eau qui a été « une captivité captive, vous avez reçu des
appelée don de Dieu, don qui n'est autre que le « dons pour les hommes ». Car c'est ainsi *

le Saint-Esprit. si nous voyons ici le Eh bien ! que portent beaucoup d'exemplaires, notam-
Saint-Esprit désigné par l'eau, nous trouvons ment chez les Grecs, et c'est la traduction de
ailleurs, dans l'Evangile même, que cette eau l'hébreu : Apôtre a donc dit, comme le Pro-
est appelée don de Dieu. En effet, le Sei- phète, » un don seulement
des dons» et non ;

gneur conversant près du puits avec la femme comme Prophète avait dit « Vous avez reçu
le :

Samaritaine et lui ayant dit « Donnez-moi à : « des dons pour les hommes», l'Apôtre a pré-
« boire », celle-ci lui répondit que les Juifs féré dire: «Il a donné des dons aux hommes»,
n'avaient point de commerce avec les Sama- pour que, de ces deux mots, l'un prophétique,
ritains ; sur quoi Jésus reprit la parole et dit : l'autre apostolique, mais tous les deux appuyés
« Si vous saviez le don de Dieu et qui est celui sur l'autorité divine, il résultât un sens plus
« qui vous dit Donnez-moi à boire, peut-être : complet. Car tous les deux sont vrais le :

« lui en eussiez-vous demandé vous-même, Christ a donné aux hommes, le Christ a reçu
« et il vous aurait donné d'une eau vive. La pour les hommes. Il a donné aux hommes,
« femme lui répondit Seigneur, vous n'avez : comme le chef donne à ses membres; il a reçu
« pas même avec quoi puiser, et le puits est pour les hommes, c'est-à-dire pour ses mem-
« profond d'où auriez-vous donc de l'eau
; bres, pour ces mêmes membres en faveur des-
« vive ? etc.... Jésus répliqua et lui dit: Qui- quels il a crié du haut du ciel « Saul, Saul, :

et conque boit de cette eau aura encore soif; « pourquoi me persécutes-tu ^ ? » et dont il a
« au contraire, qui boira de l'eau que je lui encore dit ailleurs « Chaque fois que vous :

a donnerai, n'aura jamais soif mais l'eau que ; « l'avez fait à l'un de ces plus petits d'entre
« je lui donnerai deviendra en lui une fontaine « mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ^ »
« d'eau jaillissante jusque dans la vie éler- Ainsi donc le Christ a donné du haut du
«nelle*». Or, cette eau vive étant l'Esprit- ciel, et reçu sur la terre. Or, le Prophète et
Saint, d'après l'Evangéliste, l'Esprit-Saint est l'Apôtre ont dit tous les deux «des dons»,
donc le don de Dieu, dont le Sauveur dit: parce que ,
par le don qui est le Saint-Esprit,
« Si vous saviez le don de Dieu et qui est celui bien commun
de tous les membres du Christ,
« qui vous dit Donnez-moi à boire, peut-être : une multitude de dons propres sont distribués
« lui en eussiez-vous demandé vous-même, et à chaque fidèle en particulier. Car tous n'ont
« il vous aurait donné d'une eau vive ». Et ce pas les mêmes;
les uns ont ceux-ci, les autres
qu'il a dit ailleurs Des fleuves d'eau vive : « ceux-là, quoique tous possèdent le don duquel
« couleront de son sein », équivaut à ce qu'il tous les dons particuliers dérivent, c'est-à-dire
dit ici «L'eau que je lui donnerai deviendra
: l'Esprit-Saint. En effet, l'Apôtre ayant énu-
« en lui une fontaine d'eau jaillissante jusque méré ailleurs beaucoup de ces dons, ajoute :

« dans la vie éternelle ». « Or, tous ces dons, c'est le seul et même
34. Paul l'apôtre dit à son tour « A chacun : « Esprit qui les opère, les distribuant à cha-
a de nous a été donnée la grâce selon la niè- « cun comme il le veut'' ». Expression qui se
ce sure du don de Jésus-Christ », et pour faire retrouve encore dans l'épître aux Hébreux où
voir que le Saint-Esprit est ce don du Christ, on lit «Dieu ayant rendu témoignage par des
:

il ajoute pourquoi l'Ecriture dit


; « C'est : «miracles, par des prodiges, par différents
« Montant au ciel, il a conduit une captivité « effets de sa puissance et par les dons que le

« captive il a donné des dons aux hommes * »


;
«Saint-Esprit a distribués'*». Et ici, après

' Jean, vu, 37-39, — ' I Cor. XII, 13. — • Jean, iv, 7-14. — ' Eph. '
Ps. Lxvii , 19. — '
Act. IX , 4. - ' Matt. xxv, 40. — ' I Cor.
iT, 7, 8. XII, 11. — ' Héb. II, 4.
.

LIVRE XV. — LA TRINITE AU CIEL. 563

avoir dit : «Montant au ciel,il a conduit une chant le Christ, l'écrivain ajoute : « Pierre
« captivité captive ; il a donné des dons aux « parlant encore, l'Esprit-Saint descendit sur
« hommes », il ajoute : « Mais qu'est-ce : Il « tous ceux qui écoutaient la parole, et les
« est monté, sinon qu'il est descendu aupara- « fidèles circoncis ,
qui étaient venus avec
cr vant dans les parties inférieures de la terre? « Pierre , s'étonnèrent grandement de ce
« Celui descendu, est le même qui est
qui est « que le don de l'Esprit-Saint était aussi ré-
« monté au-dessus de tous lescieux, afin qu'il « pandu sur les gentils. Car ils les entendaient
a remplît toutes choses. Et c'est lui qui a fait a parlant diverses langues et glorifiant Dieu * »
« les uns apôtres, les autres prophètes, d'au- Plus tard Pierre rendant raison de ce fait,

« très évangélistes, d'autres pasteurs et doc- d'avoir baptisé des incirconcis ,


parce que
« teurs » . Voilà pourquoi il a dit : « Des dons » ;
l'Esprit-Saiut, pour trancher le nœud de la
parce que, comme il le dit ailleurs : «Tous question, était descendu sur eux, même avant
« sont-ils apôtres Tous sont-ils prophètes ? »
? ' qu'ils fussent baptisés, rendant, dis-je, raison
Mais ici il ajoute« Pour la perfection des
: de ce fait à ses frères qui étaient à Jérusalem
« saints, pour Toeuvre du ministère, pour l'é- et qui avaient appris cela avec étonnement,
« dification du corps du Christ^». Voilà la finit en ces termes : « Lorsque j'eus com-
maison qui, comme le chante le Psalmiste, « mencé de leur parler, TEsprit-Saint descen-
« se bâtit après la captivité ^
», parce que cette <s dit sur eux, comme sur nous au commen-
maison du Christ, qui s'appelle TEglise, est ce cément. Alors je me souvins de la parole
construite, formée de ceux qui ont été arrachés « du Seigneur, lorsqu'il disait Jean a baptisé :

à l'empire du démon, dont ils étaient prison- « dans l'eau, mais vous, vous serez baptisés
niers. Or, cette captivité, celui qui a vaincu le « dans l'Esprit-Saint. Si donc Dieu leur a fait
démon, l'a conduite captive. Et, de peur que « le même don qu'à nous, qui avons cru au
le démon n'entraînât avec lui au supplice a Seigneur Jésus-Christ; qui étais-je, moi,
éternel ceux qui devaient être un jour les « pour m'opposer à ce que Dieu leur donnât
membres de ce chef sacré, celui-ci l'a enchaîné « le Saint-Esprit ^ ? » Il y a encore bien d'autres

d'abord avec les liens de la justice, puis avec passages des Ecritures, qui s'accordent à dire
ceux de la puissance. Et c'est le démon même que l'Esprit-Saint est le Don de Dieu, en tant
(jui porte ici le nom de captivité, de celle qu'a qu'il est donné à ceux qui aiment Dieu par
conduite captive celui qui est monté au ciel, lui. Mais il serait trop long de les citer tous.
([ui a donné des dons aux hommes ou qui a Et comment contenter ceux qui ne se conten-
reçu des dons pour les hommes. teraient pas de ceux que nous avons rap-
35. De sou côté, Pierre l'apôtre, comme on portés ?
le ht dans le livre canonique où sont écrits 36. Du reste, puisqu'ils voient que le Saint-

les Actes des Apôtres, entendant les Juifs tou- Esprit a été appelé Don de Dieu, il faut les
chés de componction , dire : « Que ferons- avertir que ces mots « Don de l'Esprit-Saint »,
:

« nous, mes frères ? Faites-le-nous savoir » ,


doivent s'entendre dans un sens analogue à
leur répondit : « Faites pénitence, et que cha- ceux-ci « Par le dépouillement du corps de
:

« cun de vous soit baptisé au nom du Seigneur « chair ^ » En effet, comme le corps de chair
.

« Jésus-Christ en rémission de vos péchés, et n'est pas autre chose que la chair, de même
« vous recevrez le don de l'Esprit-Saint * ». le Don de l'Esprit-Saint n'est pas autre chose

On lit encore dans ce livre que Simon le ma- que l'Esprit-Saint. Il est donc Don de Dieu en
gicien offrit de l'argent aux Apôtres pour ache- tant qu'il est donné à ceux à qui il est donné.
ter d'eux le pouvoir de donner l'Esprit-Saint Mais en lui-même il est Dieu, quand même il
par l'imposition des mains. Pierre lui répon- ne serait donné à personne, parce qu'il était
dit « Que ton argent soit avec toi en perdi-
: Dieu coéternel au Père et au Fils, avant d'être
« tion,parce que tu as estimé que le don de donné à qui que ce soit. Et bien que le Père
« Dieu peut s'acquérir avec de l'argent ^ ». Et et le Fils le donnent, quoique donné, il ne leur

dans un autre endroit du même livre, après est point inférieur : car il est donné comme
avoir raconté que Pierre parlait à Corneille et Don de Dieu, de manière à ce qu'il se donne
à ceux qui étaient avec lui, annonçant et prè- lui-même comme Dieu. En eûet, il estimpos-
sible de nier qu'il soit Maître de lui-même,
' I Cor. sn, 29. — ' Eph. iv, -12. — ' Ps. Cïxvi, 1. — * Act. II,

37, 38. — ' Id. VIII, 18-20. '


Aci. X, 44.46. — ' là. SI, 13-17. — ' Col. li, 11.
mi DE LA TRINITÉ.

puisqu'on dit de lui « L'Esprit souffle oii il


: n'est pas seul charité dans la Trinité, mais que
« veut ' » ; et dans ce passage de l'Apôtre que c'est là son nom propre, comme je l'ai assez
j'ai déjà cité : « Tous ces dons, c'est le seul et démontré. Quant à ces paroles : « Du Fils de
« même Esprit qui les opère, les distribuant à « son amour »,il n'y faut voir d'autre sens
« chacun comme il veut ». Il n'y a point ici que celui de Fils bien-aimé, et, en résumé,
dépendance chez celui qui est donné, supério- de Fils de sa substance. Car l'amour du Père,
rité chez ceux qui donnent, mais parfait ac- qui est dans sa nature d'une ineffable simpli-
cord entre celui qui est donné et ceux qui cité, n'est autre chose que sa nature même et
donnent. sa substance, comme je l'ai dit tant de fois et
37. Donc, si la sainte Ecriture proclame que ne crains pas de le répéter. Conséquemment
« Dieu est charité » si la charité est de Dieu;; le Fils de son amour n'est pas autre chose que
si elle fait que nous demeurions en Dieu et celui qui a été engendré de sa substance.
Dieu en nous, et si nous connaissons par là qu'il
nous a donné de son Esprit donc le Saint- :
CHAPITRE XX.
Esprit est Dieu-charité. Ensuite, si la charité
CONTRE EUNOMllS QUI PRÉTEND QUE LE FILS n'eST
l'emporte sur tous les dons de Dieu et qu'il n'y
PAS FILS PAR NATURE, MAIS PAR ADOPTION. RÉ-
ait pas de don de Dieu plus grand que le
SUMÉ DE CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT.
Saint-Esprit, quoi déplus logique que d'appe-
ler charité celui qui est en même temps Dieu donc un ridicule raisonnement que
38. C'est
et de Dieu ? Et si l'amour dont le Père aime celui d'Eunomius, le père de l'hérésie qui
le Fils et dont le Fils aime le Père, fait voir porte son nom, lequel ne pouvant comprendre
leur ineffable union, quoi de plus convenable ou ne voulant pas croire que le Verbe unique
que d'appeler proprement charité l'Esprit qui de Dieu, par qui tout a été fait *, est Fils de
est commun aux deux? Car la foi saine, le Dieu par nature, c'est-à-dire engendré de la
sens droit nous dictent quel'Esprit-Saint n'est substance du Père, a prétendu qu'il n'est point
pas seul charité dans la Trinité, mais qu'il est le Fils de la substance ou de
nature ou de la
à juste titre appelé proprement charité, pour l'essence de Dieu, mais
de sa volonté, en- Fils
les raisons que nous avons dites. De même tendant par là que la volonté par laquelle Dieu
qu'il n'est pas non plus seul esprit et seul saint engendrerait son Fils ne serait qu'un simple
dans celte même Trinité, puisque le Père est accident, analogue à ce qui se passe chez nous
Esprit et le Fils aussi, puisque le Père est saint quand nous voulons ce que nous ne voulions
et le Fils aussi, ce que toute àme pieuse croit pas d'abord : comme si ce n'était pas une
sans hésiter et cependant c'est avec raison
; preuve de l'inconstance de notre nature, ce
qu'on l'appelle proprement Esprit-Saint. En que la foi nous défend absolument d'admettre
effet, puisqu'il est commun aux deux, il porte en Dieu. Car ce texte « Les pensées se mul- :

proprement le nom de ce qui est commun aux « tiplient dans le cœur de l'homme, mais
deux. Autrement si, dans cette souveraine « la pensée du Seigneur subsiste éternel-
Trinité, l'Esprit-Saint était seul charité, il en « lement * », n'a pas d'autre but que de nous

résulterait que le Fils ne serait pas seulement faire comprendre et croire que. Dieu étant
Fils du Père, mais aussi du Saint-Esprit. En éternel, savolonté est aussi éternelle et par con-
nombreux où on lit que le Fils
effet, les textes séquent immuable comme lui. Or, ce qui se dit
est le fils unique du Père, n'ôtent rien à la des pensées peut avec autant de vérité se dire
vérité de ce que l'Apôtre dit de Dieu le Père : des volontés : les volontés se multiplient dans
« Qui nous a arrachés de la puissance des té- le cœur de l'homme, mais la volonté de Dieu
«nèbreset transférés dans le royaume du Fils subsiste éternellement. Quelques-uns ne vou-
c de son amour ^ ». Il ne dit pas de son Fils, : lant point appeler le Verbe unique fils de la
ce qui serait de la plus parfaite vérité et ce pensée ou de la volonté de Dieu, ont prétendu
qu'il a souvent dit, mais « Du Fils de son : qu'il est la pensée même ou la volonté. Mais il
« amour ». Donc, si l'Esprit-Saint était seul vaut mieux, selon moi, dire qu'il est pensée
charité dans la Trinité, le Fils serait le Fils du de pensée, volonté de volonté, comme il est
Saint-Esprit. Or, comble de l'ab-
si c'est là le substance de substance, sagesse de sagesse,
surdité, il faut conclure que l'Esprit -Saint pour ne pas retomber dans l'absurdité que
» Jean, m, 8. — ' Col. l, 13. '
Jean, i, 3. — ' Prov. xix, 21.
LIVRE XV. — [.A TRINITÉ AU CIEL. 565

nous avons déjà réfutée que le Fils donne: souvenir, à la voir pour la contempler, à l'ai-
la sagesse ou la volonté, vu que le Père n'a ni mer pour y trouver son bonheur, qu'il doit
pensée ni volonté dans sa propre substance. consacrer tout ce qu'il a de vie. Mais, qu'il se
Un hérétique astucieux demandait un jour garde bien de comparer à cette même Trinité
si c'est de bon ou de mauvais gré que le Père et de regarder comme lui étant semblable en
engendre son Fils? Son but était, si on admet- tout point, l'image (|u"elle a créée elle-même,
tait le second cas, d'en déduire une misère in- et qui s'estdégradée par sa propre faute. Nous
finie dans Dieu, et, dans le premier cas, d'en luiavons assez fait voir quelle immense diffé-
tirer cette conclusion nécessaire que le Fils rence il trouvera dans cette imparfaite ressem-
n'est point Fils de la nature, mais de la vo- blance.
lonté. Quelqu'un qui n'était pas moins rusé
, CHAPITRE XXI.
que lui, lui demanda à son tour si c'est de
DE LA RESSEMBLANCE DU PÈRE ET DU FILS DÉCOU-
bon ou de mauvais gré que le Père est Dieu?
VERTE DANS NOTRE MÉMOIRE ET NOTRE INTELLI-
Dans le second cas, il en aurait aussi déduit
GENCE. DE LA RESSEMBLANCE DU SAINT-ESPRIT
que Dieu est infiniment misérable, hypothèse
DANS NOTRE VOLONTÉ OU NOTRE AMOUR.
absolument extravagante, et, dans le premier,
qu'il n'est pas Dieu par nature, mais par vo- montrer que Dieu le
40. J'ai pris soin de
lonté. Que restait-il à l'hérétique, sinon de Père Dieu le Fils, c'est-à-dire le Dieu en-
et
garder le silence et de se voir pris dans ses gendrant qui a exprimé en quelque sorte tout
propres filets? Du reste, s'il faut attribuer à ce qu'il a substantiellement dans son Verbe
l'une des personnes de la Trinité le nom qui lui eslcoéternel, et son Verbe qui est Dieu
propre de volonté, c'est surtout à l'Esprit- et n'a ni plus ni moins en substance que ce
Saint qu'il convient, comme on lui attribue qui est en Celui qui l'a, non faussement, mais
la charité. Car qu'est-ce que l'amour, sinon véritablement engendré, j'ai, dis-je, pris soin
la volonté? de les faire voir, non pas face à face, mais par
39. Je pense que ce que j'ai dit de l'Esprit- ressemblance etenénigme*— autant queje l'ai
Saint dans ce livre, d'après les saintes Ecri- pu et à l'aide de conjectures dans la mé- —
tures, suffit aux fidèles qui savent déjà que moire et rintelligence de notre âme attri- ;

l'Esprit-Saint est Dieu, qu'il n'est point d'une buant à la mémoire tout ce que nous savons
autre substance ni moins grand que le Père même sans y penser, et à l'intelligence la
et le Fils, comme je l'ai démontré dans les faculté « d'informer » notre pensée d'une
livres précédents, toujours selon ces mêmes manière propre et particulière. C'est en effet
Ecritures. En parlant de la création,
nous surtout quand nous pensons à une vérité que
avons aussi aidé de tout notre pouvoir ceux nous avons découverte, que nous sommes
qui aiment à se rendre raison de ces choses, dits comprendre, et, cette vérité, nous la lais-
à comprendre, autant qu'ils le pourront, les sons ensuite dans notre mémoire. Et c'est
perfections invisibles de Dieu par les choses dans ces intimes profondeurs de la mémoire
qui ont été faites \ et surtout par la créature où nous avons d'abord découvert par la pen-
raisonnable ou intelligente, qui a été faite à sée, que le verbe intime, qui n'appartient à
l'image de Dieu; espèce de miroir où ils dé- aucune langue, est engendré comme science
couvriront, s'ils le peuvent et autant qu'ils le de science et vision de vision. Là aussi l'intel-
pourront, le Dieu-Trinité, dans notre mé- ligence qui fait son apparition dans la pensée
moire, notre intelligence et notre volonté. est engendrée de l'intelligence qui était déjà
Quiconque voit clairement ces trois choses dans la mémoire, mais y restait cachée. Du
créées par Dieu même dans son âme, et com- reste, si la pensée n'avait pas elle-même une
prend quelle grande chose c'est pour elle de certaine mémoire, elle ne retournerait pas
l)Ouvoir par là se rappeler, voir, aimer la na- vers ce qu'elle a laissé dans la mémoire, vu
ture éternelle et immuable, se la rappeler par qu'elle s'en irait ailleurs.
la mémoire, la contempler par l'intelligence, 41. Pour ce qui regarde le Saint-Esprit, j'ai
s'y attacher par l'amour : celui-là aperçoit évi- montré que rien, dans cette énigme, n'en
demment une image de la Trinité. C'est à se oûre la ressemblance, sinon notre volonté, ou
rappeler cette très-parfaite Trinité pour s'en l'amour oudilection, qui est la volonté la plus
'
Rom. I, 20. ' I Cor. xiu, 12.
566 DE LA TRINITÉ.

puissante ;
parce que notre volonté, qui fait ma science, verbe et science, tous les deux
partie de notre nature, éprouve des atîections sont à moi. Car c'est moi qui sais, c'est moi
diverses, suivant que nous sommes attirés ou qui dis en mon cœur ce que je sais. Et quand,
repoussés par les objets qui se présentent à réfléchissant, je trouve dans ma mémoire que
elle ou lui sont offerts par le hasard. Mais je comprends déjà, que j'aime déjà quelque i
quoi? dirons-nous que notre volonté, quand chose, cette intelligence et cet amour qui
elle est droite, ne sait que désirer, ni qu'évi- étaient là même avant que j'en formasse ma
ter? Sicile le sait, elle a donc une certaine pensée, je trouve dans ma mémoire même,
science propre qui suppose nécessairement la que c'est mon intelligence, celle par laquelle
mémoire et l'intelligence. Ou bien prèterons- je comprends mon amour, celui par lequel
;

uous l'oreille à celui qui affirmera que la cha- j'aime, et qu'ils ne s'appartiennent pas. De
rité, qui ne fait pas le mal, ne sait pas ce même, quand ma pensée se souvient et veut
qu'elle a à faire? Ainsi donc cette mémoire retourner à ce qu'elle avait laissé dans la mé-
principale où nous trouvons tout prêt et
, moire, le comprendre, le considérer et le dire
comme mis en réserve de quoi occuper notre intérieurement, c'est ma mémoire qui se sou-
pensée, cette mémoire a déjà l'amour, aussi vient, c'est de ma volonté qu'elle veut et non
bien que rintelligence car nous les y trouvons
: de la sienne. Enfin mon amour lui-même,
tous deux quand nous découvrons par la
,
quand il se souvient et comprend ce qu'il doit
pensée que nous comprenons et que nous ai- désirer, ce qu'il doit éviter, se rappelle*par
mons quelque chose, et nous voyons qu'ils y ma mémoire et non par la sienne, comprend
étaient, même quand nous n'y pensions pas ; par mon intelligence et non par la sienne,
et cette intelligence qui se forme par la pen- tout ce qu'il aime avec intelligence. En deux
sée, elle a l'amour, comme elle a la mémoire: mots, on peut dire moi qui, par ces
: c'est
et ce verbe vrai, nous l'exprimons intérieure- trois choses, me souviens, comprends et aime,
ment sans le secours d'aucune langue, quand moi qui ne suis ni mémoire, ni intelligence,
nous disons ce que nous connaissons ; car le ni amour, mais qui possède ces trois choses.
regard de notre pensée ne se retourne vers On peut donc dire que ces trois choses appar-
quelque chose que par la mémoire, et il ne tiennent à la personne qui les possède, mais
prend soin d'y retourner que par l'amour. De non que personne qui les possède soit ces
la
même l'amour qui unit comme père et fils la trois choses. Or, dans la simphcité de cette
vision qui a son siège dans la mémoire et la nature souveraine qui est Dieu, bien qu'il n'y
vision de la pensée qui en est formée, ne ait qu'un seul Dieu, il y a trois personnes, le
saurait ce qu'il doit raisonnablement aimer Père, le Fils et le Saint-Esprit.
s'il n'avait la science de désirer, qui suppose

nécessairement la mémoire et l'intelligence. CHAPITRE XXIII.

ENCORE DE LA DIFFÉRENCE QU'iL Y A ENTRE LA


CHAPITRE XXII.
TRINITÉ QUI EST DANS l'hOMME ET LA TRI-
COMBIEN EST GRANDE LA DIFFÉRENCE ENTRE l'i- NITÉ QUI EST DIEU. ON VOIT MAINTENANT, A
MAGE DE LA TRINITÉ QUE NOUS DÉCOUVRONS l'aide DE LA FOI, LA TRINITÉ A TRAVERS UN
EN NOUS ET LA TRINITÉ ELLE-MÊME. MIROIR, POUR MÉRITER DE LA VOIR UN JOUR
PLUS CLAIREMENT FACE A FACE SELON LA
42. Ces trois choses , mémoire , intelli-
PROMESSE.
gence, amour, se trouvant dans une seule
personne telle qu'est l'homme , on peut
, Autre chose est donc la Trinité substan-
43.
nous dire Elles sont à moi, et non à elles-
: autre cbose l'image de la Trinité dans
tielle,
mêmes ce n'est pas pour elles, mais pour
; un objet étranger. C'est à cause de cette image
moi, qu'elles font ce qu'elles font, ou plu- qu'on donne aussi le nom d'image à l'être
tôt c'est moi qui agis par elles. En effet, je même où sont ces trois choses; comme on
me souviens par la mémoire, je comprends appelle image tout à la fois et le tableau et ce
l)ar l'intelligence, j'aime par l'amour; et qui est peint dessus ; mais le tableau ne porte
quand ma mémoire le
je tourne vers regard le nomd'image qu'à cause de la peinture qu'il
de ma pensée, que je dis en mon cœur ce que présente. Or, dans cette souveraine Trinité,
je sais et que le verbe vrai est engendré de incomparablement supérieure à tout ce qui
.

LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 567

existe , l'indivisibilité est telle que , tandis son imparfaite image, ne sont pas sé-
si elles

qu'on ne peut pas dire qu'une trinité d'hom- parées totalement — vu qu'elles
ne sont pas
mes soit un homme, là on peut dire qu'il y a des corps — diffèrent cependant entre elles
un seul Dieu, et il n'y en a qu'un réelle- pendant cette vie, sous le rapport de l'étendue.
ment; on ne doit pas même dire que cette En effet, bien qu'elles ne soient pas des cho-
Trinité est en un seul Dieu, mais bien qu'elle ses matérielles, nous n'en voyons pas moins
est un seul Dieu. En elle encore, il n'en est que la mémoire est plus grande que l'intelli-
pas commedans l'homme, son image, où une gence chez l'un qu'elle est moindre chez
,

seule personne possède les trois choses mais ;


l'autre que chez un troisième égales ou non
;

il y a trois personnes, le Père du Fils, le Fils entre elles, elles sont surpassées en étendue
du Père et l'Esprit du Père et du Fils. Car, par l'amour. Ainsi ou deux l'emportent sur une,
quoique la mémoire de l'homme, surtout ou une sur deux, ou l'une sur l'autre, et les
celle qui est refuséeaux animaux, c'est-à-dire plus petites cèdent aux plus grandes. Fussent-
celle qui renferme les objets intellectuels, les elles, du reste, égales entre elles et guéries
objets qui ne lui viennent pas par l'entremise de toute maladie, même alors, on ne pourrait
des sens, quoique cette mémoire offre une res- égaler à une chose immuable par nature une
semblance bien faible, il est vrai, incom-
,
chose qui ne devra qu'à la grâce de ne plus
parablement inférieure, mais enfin une res- changer; parce que la créature n'est point
semblance quelconque avec le Père quoique, ;
égale au Créateur, et que par le fait même
également, l'intelligence de l'homme, celle qui qu'elle sera guérie de toute maladie, elle su-
est formée par l'attention de la pensée, quand bira un changement.
on dit ce que l'on sait —
parole du cœur qui 44. Toutefois cette souveraine Trinité, qui
n'appartient à aucune langue —
quoique cette n'est pas seulement immatérielle mais abso- ,

intelligence présente aussi , sauf une im- lument indivisible et véritablement immua-
mense différence, une ressemblance quelcon- ble, nous la verrons bien plus clairement et
que avec le Fils enfin quoique l'amour de
;
avec beaucoup plus de certitude que son
l'homme, procédant de la science, unissant image qui est en nous, quand viendra cette
la mémoire et l'intelligence, et commun à vision face à face qui nous est promise. Ce-
cette espèce de père et de fils, sans être lui- pendant ceux qui voient à travers ce miroir et
même ni père ni fils, quoique cet amour offre en cette énigme —
autant qu'il est donné de
aussi, avec une différence très-grande, quel- voir en cette vie —
ne sont pas ceux qui
que ressemblance avec le Saint-Esprit: cepen- voient dans leur âme ce que nous avons expli-
dant, tandis que dans cette image de la Tri- qué et fait ressortir mais ceux qui voient ;

nité, ces trois choses ne sont pas un homme, leur âme comme une image, afin de pouvoir'
mais appartiennent seulement à un homme, rapporter à Celui dont elle est l'image ce
dans la souveraine Trinité dont celle-ci est qu'ils voient, comme ils le voient, et entre-
l'image, les trois choses n'appartiennent pas voir par conjecture ce qu'ils découvrent par
à un seul Dieu, mais sont un seul Dieu, ne image, puisqu'ils ne peuvent pas encore con-
sont pas une seule personne, mais trois per- templer face à face. Car l'Apôtre ne dit pas :

sonnes. Et c'est une chose merveilleusement Nous voyons maintenant un miroir, mais :

ineffable ou ineffablement merveilleuse que, « Nous voyons maintenant à travers un mi-

tandis que l'image de la Trinité ne forme « roir * »

(ju'une seule personne, la Trinité elle-même CHAPITRE XXIV.


renferme trois personnes, et que cette Tri-
INFIRMITÉ DE l'aME HUMAINE.
nité de trois personnes soit bien plus indi-
visible que la trinité d'une seule personne. Ainsi donc ceux qui voient leur âme comme
En effet, cette souveraineTrinité dans la nature elle peut être vue, qui découvrent en elle la
de la divinité, ou pour mieux dire delà déité, trinité que j'ai envisagée, autant qu'il m'a été
est ce qu'elle est, est immuablement et éter- possible, sous bien des faces, et ne croient
nellement égale elle-même; en aucun
en pas ou ne comprennent pas qu'elle est l'image
temps elle n'a pas été, ou n'a été autrement; de Dieu, ceux-là voient sans doute un
jamais elle ne sera plus, ou ne sera autrement. miroir, mais ils voient si peu à travers ce
Au contraire les trois choses qui sont dans ' I Cor. XIII, 12.

,

568 DE LA TRINITÉ.

miroir Celui qu'il faut y voir pendant cette nus leur ornement et non plus leur fardeau.
vie, qu'ils ne savent pas même que le miroir Car c'a été le bon plaisir du très-bon et très-
qu'ils voient est un miroir, c'est-à-dire une sage Créateur, que l'esprit de l'homme hum-
image. S'ils le savaient, peut-être compren- blement soumis à Dieu domine heureusement
draient-ils qu'il faut chercher et voir, provi- son corps, et que ce bonheur n'ait pas de fin.
soirement et d'une manière quelconque , à 45. Là nous verrons la vérité sans aucune

travers ce miroir Celui même dont il est le nousjouirons de sa contemplation,


difficulté et

miroir, une foi non feinte purifiant les parfaitement éclairés et dégagés de toute in-
cœurs \ pour qu'on puisse un jour voir face certitude. Nous n'aurons plus besoin de rai-

à face Celui qu'on voit maintenant à travers sonnements, mais nous verrons intuitivement
un miroir. Or, en dédaignant cette foi qui pu- pourquoi le Saint-Esprit n'est pas Fils du
rifie les cœurs, que gagnent-ils à comprendre Père, bien qu'il en procède. Au sein de cette

de subtiles discussions sur la nature de l'âme lumière, il n'y a plus de question à résoudre.
humaine, sinon de se faire condamner par le Mais ici j'ai si bien vu par expérience la diffi-

témoignage même de leur intelligence? Ils culté du sujet — et sans aucun doute mes
n'auraient pas ces peines ni tant de difficultés lecteurs studieux et intelligents la verront

d'arriver à quelque chose de certain, s'ils n'é- comme moi — que m'étant engagé dans le

taient enveloppés de ténèbres justement méri- second livre de cet ouvrage *


à m'expliquer

tées, etchargés de ce corps de corruption qui ailleurs, toutes les fois que j'ai voulu montrer
appesantit l'âme ^ Or, qui nous a attiré ce mal- quelque de ressemblance entre la créa-
trait

heur, sinon le péché? Eclairés par une si ture humaine et cette souveraine Trinité, ma
cruelle expérience, ils devraient donc bien parole n'a pu exprimer les idées quelconques
suivre l'Agneau qui ôte les péchés du monde \ que j'avais conçues. J'ai même senti qu'il

y avait dans mon intelligence plus d'efforts


CHAPITRE XXV. que de succès. J'ai trouvé dans l'homme, qui
n'est qu'une personne, une image de cette
c'est seulement au sein de la béatitude qu'on
souveraine Trinité pour mieux faire com-
; et
COMPREND POURQUOI LE SAINT-ESPRIT n'eST
prendre personnes dans l'être
les trois divines
pas ENGENDRÉ ET COMMENT IL PROCÈDE DU
,

sujet à changement, j'ai essayé, surtout dans


PÈRE ET DU FILS.
le neuvième livre, de procéder par degrés
Une dégagés des liens du corps à la fin
fois successifs. Mais trois choses appartenant aune
de cette vie, les fidèles appartiennent à Dieu, seule personne ne sauraient répondre au désir
eussent-ils été d'ailleurs bien moins intelli- de l'homme, et donner une idée juste des
gents que ces philosophes et les puissances — trois personnes divines, ainsi que nous l'avons

jalouses n'ont plus le droit de les retenir. Ces démontré dans ce quinzième livre.

puissances l'Agneau innocent immolé par


,

a vaincues par la justice du sang avant CHAPITRE XXVL


elles, les

de les vaincre par la verlu de la puissance. LE SAINT-ESPRIT PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS, ET


Dès lors, délivrés du pouvoir du démon ces ,
NE PEUT ÊTRE APPELÉ LEUR FILS.
justes sont reçus par les saints anges, affran-
chis enfin de tous les maux par le Médiateur Au surplus, dans cette souveraine Trinité
entre Dieu et les hommes , le Christ Jésus qui est Dieu, il n'y a aucun intervalle de
homme *
;
puisque , d'après le témoignage temps, qui permette de croire ou au moins de
unanime des divines Ecritures, anciennes et demander, si le Fils est d'abord né du Père,

nouvelles, qui ont prédit et annoncé le Christ, postérieurement que le Saint-Esprit


et si c'est

« nul autre nom n'a été donné dans le ciel a procédé des deux. Car celui dont l'Apôtre a
« par lequel les hommes doivent être sau- dit « Parce que vous êtes enfants. Dieu a
:

ce vés ^ ». Purifiés donc de toute tache de « envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils ^ »,

corruption, ils sont établis dans de paisibles est le même que celui dont le Fils a dit :

demeures, jusqu'à ce qu'ils reprennent leurs « Car ce n'est pas vous qui parlez , mais
corps, mais cette fois incorruptibles et deve- « l'Esprit de votre Père qui parle en vous * ».

Beaucoup d'autres témoignages des divines


I Tim. I, 5.
'
Sag. IX, 15.— ^ Jean, i, 29.— " I Tiin. ii, 5.

Act. IV, 12.



Ch. m. - '
Gai. iv, 6. — " Matt. X, 20.
LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 569

Ecritures prouvent que celui qu'on appelle pro- mais « afin que tous ceux à qui j'imposerai

prement Esprit-Saint dans la Trinité est ,


« lesmains, reçoivent l'Esprit-Saint ». Et plus
l'Espritdu Père et du Fils celui dont le Fils ; haut, l'Ecriture n'avait pas dit Simon voyant :

lui-même a dit « Celui que je vous enverrai


: que les Apôtres donnaient l'Esprit-Saint, mais
c(du Père » et ailleurs « Celui que mon
'
; : bien : « Or, Simon voyant que, par l'imposi-
« Père enverra en mon nom * ». Ce qui prouve « tion desmains des Apôtres, l'Esprit-Saint
qu'il procède des deux, c'est que le Fils lui- « était donné ». Aussi le Seigneur Jésus n'a
*

même a dit « Il procède du Père » puis


:
;
pas seulement donné le Saint-Esprit comme
après sa résurrection d'entre les morts, appa- Dieu, mais il l'a encore reçu comme homme ;

raissant à ses disciples, il souffla sur eux et c'estpourquoi on le dit plein de grâce % et de
leur dit Recevez le Saint-Esprit *
: « », pour l'Esprit-Saint ^. On écrit encore de lui en
faire voir qu'il procède aussi de lui. Et c'est termes plus clairs « Parce que Dieu l'a oint :

là celte « vertu » qui « sortait de lui » comme , «de TEsprit-Saint *» non certes avec de ;

on le voit dans l'Evangile, « et les guérissait l'huile visible, mais par le don de la grâce,
a tous * ». symbolisé par le parfum dont l'Eglise oint les
46. Mais pourquoi a-t-il d'abord donné le baptisés. Mais le Christ n'a pas été oint parle
Saint-Esi)rit sur la terre après sa résurrection % Saint-Esprit au momentde son baptême, quand
puis l'a-t-il ensuite envoyé du ciel ^ ? C'est, je le Saint-Esprit descendit sur lui en forme de
fait aimer
pense, parce que la charité, qui nous colombe ' — circonstance où il a daigné figu-
Dieu et le prochain, est répandue en nos rer d'avance son corps, c'est-à-dire l'Eglise
cœurs par ce Don môme pour accomplisse- '', dont les membres reçoivent le Saint-Esprit
ment des deux commandements auxquels se principalement dans le baptême mais il —
rattachent toute la loi et les prophètes *. C'est faut entendre qu'il a reçu l'onction mysté-
ce que leSeigneur Jésus a voulu faire entendre rieuse et invisible, quand le Verbe de Dieu
en donnant deux fois le Saint-Esprit une fois : a été fait chair ®, c'est-à-dire quand la nature
sur la terre^ pour indiquer l'amour du pro- humaine, sans l'avoir mérité par aucunes
chain, et une seconde fois du haut du ciel en bonnes œuvres précédentes, a été unie au
vue de l'amour de Dieu. Que si on peut expli- Verbe-Dieu dans le sein d'une Vierge, de ma-
quer autrement ce double envoi de l'Esprit- nière à ne former avec lui qu'une personne.
Saint, tout au moins nous ne pouvons douter Voilà pourquoi nous confessons qu'il est né
que c'est bien le même Esprit que Jésus a du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Car ce
donné après avoir soufflé et dont il a dit aus- serait le comble de l'absurdité de croire qu'il
sitôt : « Allez , baptisez toutes les nations n'a reçu le Saint-Esprit qu'à trente ans — âge
« au nom du Père, et du Fils^ et du Saint- auquel il a été baptisé par Jean". Nous devons
« Esprit * » paroles où la souveraine Trinité
;
croire, au contraire, que, s'il est venu au

est si formellement indiquée. C'est donc le baptême sans aucune espèce de péché, il n'y
même Esprit qui a été donné du ciel le jour est certainement pas venu sans l'Esprit-Saint.

de la Pentecôte, c'est-à-dire dix jours après En effet, s'il est écrit de son serviteur et pré-
que le Seigneur fut monté au ciel. Comment curseur Jean : « Il sera rempli du Saint-Esprit
donc ne serait-il pas Dieu, celui qui donne « dès le sein de sa mère ^
», parce que, quoique
l'Esprit-Saint? Ou plutôt quel grand Dieu que engendré d'un homme, il a cependant reçu
celui qui donne un Dieu Car aucun de ses ! le Saint-Esprit dès sa formation dans le sein

disciples n'a jamais donné l'Esprit-Saint. Ils maternel ;


que faudra-t-il penser, que faudra-
priaient pour le faire descendre sur ceux à t-il croire de l'Homme-Christ, dont la chair
qui ils imposaient les mains, mais ils ne le n'a point été conçue charnellement, mais spi-
donnaient pas. Et cet usage, l'Eglise le main- rituellement? Et quand on écrit qu'il a reçu
tient encore par ses pontifes. Simon le magi- de son Père la promesse du Saint-Esprit et
cien lui-même, en offrant de l'argent aux Apô- qu'il l'a répandu ^ on nous montre par là
tres, ne dit pas « Donnez-moi aussi ce pou- : même qu'ila les deux natures, la nature
« voir », afin que je donne le Saint-Esprit, humaine et la nature divine, puisqu'il a reçu

' Jean, xv, 26.— » Id. xiv, 26.— ' Jean, xx, 22.— ' Luc, vi, 19. • Act. viu, 19, 18. — ' Jean, i, xiv. — * Luc, xi, 52, iv, 1. —
— ' Jean, xx, 22. ' Act. — ii, 4. — ' Rom. v, 5. — ' Matt. xxii, ' Act. X, 38. —
' Matt. m, 16. — ' Jeau, i, 11. —
^ Luc,
m, 21-23.
37-10. —
' Id. xxvui,
19. _ ^ Id. I, lô. —
' Act. II, 33.
570 DE LA TRINITÉ.
le Saint-Esprit comme homme et l'a répandu Comment donc ne
serait-il pas souveraine-
comme Dieu. Quant à nous, nous pouvons ment absurde d'appeler le Saint-Esprit fils des
recevoir ce don dans la mesure de notre fai- deux, puisque, comme, par sa génération du
blesse, mais nous ne pouvons le répandre sur Père, le Fils possède une essence éternelle et
les autres seulement nous prions Dieu, l'au-
; immuable, de même, par sa procession des
teur du don, de le répandre lui-même. deux, le Saint-Esprit possède une nature éter-
Al. Pouvons-nous donc demander si, quand nelle et immuable? Voilà pourquoi, si nous ne
le Fils est né, le Saint-Esprit avait déjà pro- disons pas que le Saint-Esprit est engendré,
cédé du Père, ou non, et s'il a procédé des nous n'osons cependant le dire non engendré :

deux, après la naissance du Fils, là où il n'y a évitant d'employer cette expression pour ne
pas de temps absolument comme nous avons
; pas laisser croire ou qu'il y a deux pères dans
pu, là où le temps existe, examiner si la la Trinité, ou qu'il y a deux personnes qui ne
volonté procède en premier lieu de l'âme sont pas d'une autre. Car le Père seul n'est
humaine, pour chercher ensuite l'objet qui, pas d'un autre; pourquoi seul il est
voilà
une fois découvert, prendra le nom de fils ; appelé non engendré, sinon dans les Ecritu-
lequel fils étant enfanté ou engendré , la res, au moins dans le langage usuel de ceux
volonté se complète, et trouve le repos en qui discutent un si haut mystère et s'en expli-
atteignant sa fin, en sorte que ce qui était quent comme ils peuvent. Le Fils est né du
désir quand elle cherchait, devienne amour Père et le Saint-Esprit procède principale-
;

quand elle jouit : amour procédant de deux ment du Père, et, sans aucun intervalle de
choses, c'est-à-dire de l'àme qui joue le rôle temps, tout à la fois du Père et du Fils. Or,
de père en enfantant, et de la connaissance on l'appellerait fils du Père et du Fils, si— ce
qui joue le rôle de fils comme étant enfantée? que tout homme de bon sens rejette avec
Non assurément, on ne peut poser de telles horreur —
tous les deux l'avaient engendré.
questions là où rien ne commence avec le L'Esprit des deux n'a donc pas été engendré
temps pour s'achever dans le temps. Ainsi par les deux, mais il procède des deux.
donc, que celui qui peut comprendre que le
Fils est éternellement engendré du Père, com- CHAPITRE XXYIl.
prenne que le Saint-Esprit procède aussi éter-
POURQUOI ON NE DIT PAS QUE l'eSPRIT EST EN-
nellement des deux. Que celui encore qui peut
GENDRÉ ET POURQUOI l'on DIT DU PÈRE SEUL
comprendre , d'après ces paroles du Fils :
qu'il n'est pas ENGENDRÉ ? CE QUE DOIVENT
« Comme Père a la vie en lui-même, ainsi
le
FAIRE CEUX QUI NE COMPRENNENT PAS CES MYS-
« il a donné au Fils d'avoir en lui-même
TÈRES.
« la vie ' » , comprendre, dis-je, que le Père n'a
pas donné la vie à un Fils jusque-là sans vie, 48. Mais, comme dans cette coéternelle,
mais qu'il l'a engendré en dehors du temps, égale , incorporelle , merveilleusement im-
en sorte que la vie que le Père a donnée au muable et indivisible Trinité, il est très-diffi-
Fils en l'engendrant est coéternelle à la vie cile de distinguer la génération de la proces-
même du Père qui l'a donnée que celui-là ; sion, que ceux dont l'intelligence ne saurait
comprenne aussi que, comme il est dans la s'élever plus haut, se contentent de ce que
nature du Père que le Saint-Esprit procède de nous avons dit un jour dans un sermon
lui, de même il a donné à son Fils que le adressé au peuple chrétien et que nous avons
même Saint-Esprit procède aussi de lui, dou- écrit ensuite. Après avoir, entre autres choses,
ble procession également éternelle ; et que, cité des témoignages des saintes Ecritures
quand on que le Saint-Esprit procède du
dit pour prouver que le Saint-Esprit procède des
Père, on l'entend en ce sens que le Père a aussi deux, je disais « Si donc le Saint-Esprit pro-
:

donné au Fils que le Sainl-Esprit procède du « cède du Père et du Fils, pourquoi le Fils

Fils. En effet, si le Fils tient du Père tout ce « a-t-il dit H procède du Père ? Pourquoi,
:
'

qu'il a, il en tient aussi que le Saint-Esprit « pensez-vous, sinon à raison de l'habitude qu'il
procède de lui. Mais, qu'on exclue ici toute « a de rapporter tout ce qui lui appartient à ce-
idéedu temps, qui renferme celle d'antériorité « lui de qui il est? C'est ainsi qu'il a dit Ma :

et de postériorité ; car il n'y en a pas l'ombre. c( doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui
'
Jean, v, 26, ' Jean, xv, 26.
LIVRE XV, — LA TRINITÉ AU CIEL. 571

« m'a envoyé*. Si donc on entend ici qu'il s'a- puissante raison humaine? Appuyés sur une foi
« git de sa doctrine, bien qu'il dise qu'elle n'est inébranlable aux saintes Ecritures, ces témoins
« pas de lui, mais de son Père à combien plus ; infaillibles, qu'ils cherchent par la prière, par
« forte raison doit-on comprendre que le Saint- l'étude etune vie vertueuse à éclairer leur intel-
« Esprit procède aussi de lui, alors qu'il dit : que possible,
ligence, c'est-à-dire à voir, autant
« II procède du Père, sans dire Il ne pro- : des yeux de l'esprit ce qu'ils admettent avec
« cède pas de moi ? Or, celui de qui il tient la certitude de la foi. Qui les empêche de faire
« d'être Dieu —
car il est Dieu de Dieu c'est — cela? ou plutôt qui ne les y exhorte pas?
« aussi celui de qui il tient que le Saint-Esprit Mais s'ils pensent qu'il faut nier ces mys-
« procède de lui par conséquent le Saint-Esprit
: tères, parce que leur aveugle intelligence ne
« lient du Père lui-même de procéder du Fils peut les pénétrer, faudra-t-il que les aveugles
« comme il procède du Père. C'est ainsi qu'on de naissance nient aussi l'existence du soleil ?
« peut comprendre d'une manière quelconque La lumière luit donc dans les ténèbres, et si
« — autant que peuvent comprendre des êtres leurs ténèbres ne la comprennent pas \ qu'ils
« tels que nous — pourquoi on ne dit pas que soient d'abord éclairés par le don de Dieu
« le Saint-Esprit est engendré, mais bien qu'il pour devenir fidèles et qu'ils commencent à
« procède; parce que si on l'appelait Fils, il se- être lumière en comparaison des infidèles ;

« rait Fils des deux, ce qui serait une énorme puis, ce fondement établi, qu'ils soient édifiés
« absurdité. Car pour être flls des deux, il faut vers ce qu'ils croient, afin de mériter de
« avoir un père et une mère, et loin de nous la voir un jour. Car il est des choses que l'on
« pensée de supposer rien de ce genre entre croit avec la certitude de ne jamais les voir.
« Dieu le Père et Dieu le Fils. Rien plus, un fils Par exemple, on ne reverra plus le Christ sur
« des ne procède pas même de son
hommes la croix et cependant si on ne croit pas cet
;

« père et de sa mère en même temps car quand : événement, qui s'est passé, qui s'est vu, mais
« il procède du père dans la mère, il ne procède qu'on doit désespérer de voir se reproduire,
« pas de la mère, et quand il procède de la mère on ne saurait parvenir au Christ tel qu'il doit
« pour paraître au jour, il ne procède pas du être vu pendant l'éternité. Pour ce qui con-
« père. Or, le Saint-Esprit ne procède pas du cerne cette souveraine, ineffable, immaté-
« Père dans le Fils, puis du Fils pour sanctifier rielle et immuable nature qu'il faut voir
« la créature mais il procède à la fois de l'un et
; d'une manière quelconque par les yeux de
« de l'autre, le Père ait donné au Fils
quoique l'intelligence, nulle part le regard de l'àme
« que procède de lui comme du
le Saint-Esprit humaine ne s'y exerce mieux, sous la simple
« Père. En effet, nous ne pouvons pas dire que direction de la règle de foi, que dans ce que
« le Saint-Esprit ne soit pas vie, quand le Père l'homme lui-même a dans sa nature qui l'é-

« est vie et le Fils aussi ;


par conséquent, comme lève au-dessus des autres animaux et qui est
« le Père a la vie en lui-même, et a donné au supérieur aux autres parties de son âme, c'est-

« Fils d'avoir aussi la vie en lui-même, ainsi il à-dire dans son intelligence : car à l'intelli-
« lui donné que la vie procède de lui, comme
a gence il est accordé de voir jusqu'à un certain
« elleprocède du Père ^ ». J'ai transcrit ici ce point dans les choses invisibles ; c'est à elle,
passage de mon sermon mais c'est à des ; faculté intérieure et juge assise sur un siège
fidèles, et non à des infidèles, que je m'a- élevé et honorable ,
que les sens apportent
dresse. toutes les questions à décider, et elle n'a pas
49. Mais ne sont pas capables de voir
s'ils de supérieur à qui elle doive soumission et
l'image créée, de constater combien sont obéissance, si ce n'est Dieu.
vraies ces trois facultés qui sont dans leur 50. Mais au milieu des longues discussions
ùme, qui sont trois sans être trois personnes, auxquelles je me suis livré et où j'ose confes-
qui appartiennent toutes les trois à un homme ser que je n'ai rien dit qui soit digne de cette
qui n'est qu'une personne pourquoi ne : souveraine et ineffable Trinité, mais que la
croient-ils pas ce que les saintes lettres nous science divine est merveilleusement élevée au-
disent de la souveraine Trinité, plutôt que de dessus de moi et que je n'y puis atteindre -
:

demander une explication parfaitement claire au milieu de tout cela, dis-je, où donc, ô mon
d'un mystère qui dépasse notre faible et im- âme, où donc crois-tu être, où es-tu pro-
' Jean, vu, 16.— ' Sur l'Evang. selon S. Jean, traité 99e, n. 8, 9. 'Jean, 5. —
l, Ps. cxx;iVlll, 6.
»
,

n7<3 DE LA TRINITÉ.

sternée, où es-tu debout, en attendant que voir par la pensée n'est pas la même chose
celui qui a pardonné toutes les iniquités gué- que désirer, ou jouir par
volonté c'est ce la :

risse toutes tes langueurs ^ ? Tu reconnais ,


que voit et distingue celui qui en a la faculté.
sans doute, que tu es dans cette hôtellerie mon âme, quoique
Cette faculté, tu l'as eue, ô
où le Samaritain conduisit celui
charitable tu n'aies pu
ne puisses encore exprimer suf-
et

qu'il trouva percé de mille coups par les fisamment par le langage ce que tuas pénible-
voleurs et à demi mort ^ Et cependant tu ment aperçu à travers le brouillard des
as vu bien des vérités, non avec les yeux qui images matérielles qui ne cessent d'obséder
voient les objets sensibles, mais avec ceux que les pensées humaines. Mais cette lumière, qui
demandait celui qui disait : « Que mes yeux n'est pas toi, t'a aussi fait voir qu'il y a une
« voient l'équité ^ ». Oui, tu as vu bien des vé- différence entre les images immatérielles des
as discernées à l'aide de la lu-
rités et tu les objets matériels et la vérité qui apparaît à l'in-
mière même qui te les a fait voir; élève telligence quand nous les avons écartées. Cela
maintenant tes yeux jusqu'à cette lumière et d'autres choses également certaines, cette
même et fîxe-les-y, si tu peux. Là tu verras lumière les a fait briller à ton regard inté-
quelle différence il y a entre la naissance du rieur. Qu'est-ce qui t'empêche donc de la con-
Verbe de Dieu et la procession du Don de Dieu ;
templer elle-même d'un œil fixe, sinon ton
pourquoi le Fils unique a dit que le Saint-Es- infirmité? Et d'où vient cette infirmité, sinon
prit n'est pas engendré du Père autrement — de l'iniquité? Par conséquent, qui guérira
il serait son frère —
mais qu'il en procède. toutes tes langueurs, sinon Celui qui a par-
D'où il suit que l'Esprit des deux étant une donné toutes tes iniquités? Il vaut donc mieux
certaine communication consubstantielle du terminer ce livre par la prière que par la dis-
Père et du Fils, il ne peut loin de nous — cussion.
cette erreur — être appelé leur fils. Mais tu CHAPITRE XXVIII.
ne peux fixer là ton regard, pour distinguer
CONCLUSION DU LIVRE. PRIÈRE. EXCUSES.
nettement, clairement, ce mystère ;
je le sais,
tu ne le peux. Je dis la vérité, je me la dis à 51. Seigneur notre Dieu, nous croyons en
moi-même, je sais ce qui m'est impossible : vous. Père, Fils et Saint-Esprit. La vérité n'au-
cependant ce même regard te découvre en toi rait pas dit : « Allez, baptisez toutes les nations
troischoses où tu peux reconnaître une image « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Es-
de cette souveraine Trinité, que tu ne saurais « prit », ^ vous n'étiez pas Trinité. D'autre
si

encore contempler d'un œil fixe. Il te démon- part, la voix divine n'aurait pas dit: «Ecoute,

tre qu'ily a en toi un verbe vrai, quand il est « Israël le Seigneur ton Dieu est un Dieu
:

engendré de ta science, c'est-à-dire quand « un ^ », si, en même temps que Trinité, vous

nous disons ce que nous savons, bien que n'étiez un seul Seigneur Dieu. Et si vous. Dieu

nous ne prononcions ni des lèvres ni de la le Père, étiez tout à la fois Dieu le Père, et le

pensée aucune parole appartenant à aucune Fils votre Verbe Jésus-Christ et votre Don le
langue; seulement notre pensée se forme Saint-Esprit, nous ne lirions pas dans les
de ce que nous connaissons, puis il se produit lettres de vérité « Dieu a envoyé son Fils ^»
:
;

dans le regard de la pensée une image par- et vous, ô Fils unique, vous n'auriez pas dit

faitement semblable à la pensée même que la du Saint-Esprit « Celui que le Père enverra
:

mémoire renfermait et ces deux choses , « en mon nom * » et encore « Celui que , :

comme qui dirait le père et le fils, sont unies «je vous enverrai du Père^». Dirigeant
par la volonté ou l'amour qui vient se poser mon intention sur cette règle de
foi, je vous

en tiers. ai cherché, autant que je pu ; autant que l'ai

Mais que cette volonté procède de la pensée vous m'avez donné de le pouvoir, j'ai dé-
— car personne ne veut ce dont il ignore ab- siré voir des yeux de l'intelligence, ce que

solument l'existence ou la nature et que — je croyais j'ai discuté longuement, j'ai pris
;

cependant elle ne soit pas l'image de la bien de la peine, Seigneur mon Dieu, mon
pensée par conséquent qu'on retrouve dans
;
unique espérance exaucez-moi ne souf- , ;

cette chose tout intellectuelle la différence frez pas que la fatigue m'empêche de vous

entre la naissance et la procession, puisque '


Matt. XXVIII, 19. —
' Deut. vi, 4.— •*
Gai. iv, 1 Jean, m, 17.—
;

'
Ps. eu, 3. — " Luc, X, 30-31. — » Ps. xvi, 2. '
Jean, xiv, 26. —
' Id. xv, 26.
LIVRE XV. — LA TRINITÉ AU CIEL. 573

chercher; faites au contraire que je cherche ble à vos yeux, mais cherchant refuge dans le
toujours votre présence avec ardeur K Donnez- sein de votre miséricorde. Car, quand ma
moi la force de vous chercher, vous qui m'a- bouche se tait, ma pensée ne reste pas en si-
vez fait vous trouver et m'avez donné l'espoir lence. Si, du moins,
ne pensais qu'à ce qui
je
de vous trouver de plus en plus. Devant vous vous est agréable, je ne vous prierais pas de
est ma force et ma faiblesse conservez l'une, ; me délivrer de l'abondance des paroles. Mais
guérissez l'autre. Devant vous est ma science beaucoup de mes pensées, telles que vous les
et mon ignorance là où vous m'avez ouvert
; connaissez, sont des pensées d'homme, puis-
la porte, laissez-moi entrer où vous me , là qu'elles sont vaines ^ Faites-moi la grâce de
l'avez fermée, ouvrez-moi quand je frappe; n'y pas consentir, de les réprouver même
que je me souvienne de vous, que je vous quand elles me font plaisir et de ne pas m'y
comprenne, que je vous aime. Augmentez en appesantir dans une espèce de sommeil. Et
moi ces deux choses, jusqu'à ce que vous qu'elles ne prennent jamais sur moi assez
m'ayez réformé en entier. Je sais qu'il est d'empire, pour exercer quelque influence sur
écrit a Tu n'échapperas pas au péché dans
: mes actions; mais que, sous votre sauvegarde,
« l'abondance des paroles^». Mais plût au mon jugement soit en sécurité et ma con-
ciel que je n'ouvrisse la bouche que pour prê- science à l'abri. Un sage parlant de vous ,

cher votre parole et chanter vos louanges ! dans son livre intitulé l'Ecclésiastique, a dit :

Non-seulement j'éviterais le péché, mais j'ac- « Nous multiplions les paroles, et nous n'a-
querrais de précieux mérites, même dans l'a- « boutissons pas mais tout se résume en un
;

bondance des paroles. Car cet homme que « mot 11 est lui-même tout ^ ». Quand donc
:

vous avez béatifié n'aurait jamais voulu con- nous serons parvenus jusqu'à vous, « ces pa-
seiller le mal au fils qu'il avait enfanté dans « rôles que nous multiplions sans aboutir» ,
la foi et à qui il écrivait « Annonce la parole, : cesseront, et vous serez seul à jamais tout en
« insiste à temps et à contre temps ^ ». Faut- tous' et nous tiendrons sans fin un seul lan-
;

il qu'on ne peut accuser d'avoir trop


dire gage, vous louant tous ensemble, et unis tous
parlé celui qui annonçait votre parole. Sei- en vous. Seigneur Dieu un, Dieu Trinité, que
gneur, non-seulement à temps, mais encore vos fidèles admettent tout ce qui m'est venu
à contre-temps ? Il n'y avait rien de trop, puis- de vous dans ces livres et, s'il y a quelque ;

qu'il n'y avait que le nécessaire. Délivrez-moi, chose de mon propre fond, pardonnez-le-moi,
Seigneur, de l'abondance des paroles que je vous et les vôtres. Ainsi soit-il !

subis à l'intérieur, dans mon âme si miséra- « Ps. xciii, 11. — ' Eccli. XLUi, 29. — ' I Cor. xv, 28.

' Ps. civ, 4. — ' Prov. X, 19, — " II Tim. iv, 2.

Les dix derniers livres traduits par M. DEVOÏLLE.

FIN DU TOME DOUZIEME.


TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME DOUZIEME.

TRAITÉS DE MORALE.

MANUEL
OU

TRAITÉ DE LA FOI, DE L'eSPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ.

Chapitre premier. L'auteur définit la véritable sa- Chap. XXV. Châtimentsdu péché. il
gesse et la souhaite à Laurentius. 1 — XXVI. La peine attachée au péché d'Adam se
— II. La sagesse de l'homme est tout entière dans la transmet à toute sa race. il
piété. i — XXVII. De l'état de l'homme après le péché
— in. On honore Dieu par la foi, l'espérance et la d'Adam. —
Miséricorde de Dieu envers lui. 11
charité. XXVIII. Sort des bons anges. 11
— IV. Questions posées par Laurentius. — Réponse XXIX. La genre humain qui se relève
partie du
d'.\ugustin. de sa chute remplace les anges bannis du ciel. 12
— V. Réponse à la troisième et à la quatrième ques- XXX. L'homme ne se relève point par ses mérites,
tion. mais par la puissance de la grâce, 12
— VI. De la matière que peut contenir un manuel. XXXI. La foi et les bonnes œuvres sont un don
— VII. Le Symbole et l'Oraison dominicale renfer- de Dieu. 12
ment la foi, l'espérance, la charité. XXXII. La bonne volonté dépend de Dieu. 13
— VIII. Explication générale de la foi, de l'espé- XXXIII. Nécessité d'un médiateur : en quoi con-
rance, de la charité : de leur union indisso- siste la colère de Dieu, 13
luble. 3 — XXXIV. De l'incarnation du Verbe. — Réfutation
— IX. Exposition des principes de la foi, dans l'or- des ApoUinaristes. 14
dre même du Symbole. — Science nécessaire XXXV. Jésus-Christ est tout ensemble Dieu et
au chrétien. homme. 14
— X. De l'origine du mal. XXXVI. La grâce éclate dans l'humanité de Jésus-
— XI. Pourquoi Dieu permet-il le mal? Le mal n'est Christ. 45
que la négation du bien. XXXVII. La naissance de Jésus-Christ, en tant
— XII. Tous les êtres créés sont bons; l'imperfection qu'elle est l'œuvre du Saint-Esprit, est un
de leur nature les assujétit à la corruption. effet de la grâce, 15
— mal sans bien.
XIII. Point de XXXVIII. Jésus-Christ n'est pas le fils du Saint-
— XIV. Le mal naît du bien. Esprit, mais il a Marie pour mère. 15
— XV. Explication de ce passage : « Un bon arbre XXXIX. L'origine ne suppose pas nécessairement
« ne peut porter de mauvais fruits », la fihation. ic
— XVI. La science n'est pas un élément essentiel du XL. La naissance de Jésus-Christ par l'opération
bonheur. du Saint-Esprit révèle la grâce qui a uni le
— XVII. En quoi consiste l'erreur. — L'erreur n'est Verbe à l'humanité dans une seule personne. 16
pas toujours nuisible. — Anecdote. XLI. Jésus-Christ, péché. n
— XVIII. Tout mensonge est un péché, mais la gra- XLII. Le baptême. 17
vité en est relative. — L'intention fait le XLIII. Péchés eû'acés dans le baptême. 17
mensonge. XLIV. Le singuher pour le pluriel et réciproque-
— XIX. L'erreur est toujours un mal, quoique à des ment. 17
degrés différents. XLV. Le péché originel est complexe. 18
— XX. Toute erreur n'est pas un péché. — Réfuta- XLVl. Le péché originel n'est pas le seul qui se
tion du scepticisme de la nouvelle Académie. transmette avec le sang. 18
— XXI. L'erreur, sans être toujours une faute, est XL VII. A quelle génération s'arrête la transmission
essentiellement un mal. des fautes. ig
— XXII. Tout mensonge est un péché. XLVIlI, Le péché originel ne peut être effacé que
— XXIII. La bonté de Dieu est le principe de tous par Jésus-Christ. 19
les biens : le mal vient de la révolte de la XLIX. Le baptême de Jean n'avait pas la vertu de
volonté chez les êtres d'une perfection bornée. dû régénérer. 19
— XXIV, Le mal a une seconde cause, l'ignorance et — L. Jésus-Christ efface tous les péchés. 19
la concupiscence. 10 — LI. Nécessité d'être régénéré en Jésus-Christ. 19
576 TABLE DES MATIÈRES.

Cdap. lu. Le baptême est la figure de la mort et de la CuAP. LXXXIX. Des excroissances du corps : comment
résurrection de Jésus-Christ. 19 se réuniront-elles à l'organisme. 32
— LUI. La croix, la sépulture, la résurrection, l'as- — XC. La taille, les traits n'offriront plus d'irrégu-
cension de Jésus-Christ, symboles de la vie larité. 32
chrétienne. 20 — i XCI. Le corps des saints ressuscitera dans sa sub-
— LIV. Le jugement dernier. 21 slance, désormais indéfectible. 33
— LV. Double sens de l'expression : les \ivants et — XCII. Elat du corps des damnés après la résur-
les morts. 21 rection. 33
— LVL De l'Espril-Saint et de l'Eglise. — Rapports — XCIII. Quels seront parmi les damnés ceux qui
de l'Eglise triomphante et de l'Eglise mili- souU'riront le supplice le plus doux. 33
tante. 21 — XCIV. A vue des châtiments des réprouvés, les
la

— LVIL Bonheur inaltérable de l'Eglise du ciel. 22 saints apprécieront mieux leur bonheur. 33
— LVIII. Hiérarchies des anges. 22 — XCV. Les jugements secrets de Dieu dans le mys-
— LIX. De la forme sous laquelle les anges ont ap- tère de la prédestination, seront alors révélés. 33
paru, 22 — XCVL Dieu fait le bien, même en laissant faire
— LX. Artifices de Satan pour se déguiser en ange le mal. 34
de lumière. 22 — XCVII. La volonté de l'homme peut-elle entraver
— LXI. Jésus-Christ n'est pas mort pour les anges. la volonté de Dieu quand il a résolu de sauver

—En quoi la rédemption touche-t-elle les une âme? 34


anges. 23 — XCVIII. Quoique Dieu puisse convertir tous les
— LXIL Jésus-Christ principe d'union et de paix. 23 hommes, il n'est pas injuste en ne les conver-
— LXIIL La paix du royaume des cieux dépasse tissant pas tous. 35
toute intelligence. 23 — XCIX. Dieu fait grâce par sa bonté infinie, comme
— LXIV. La rémission des péchés. 24 il endurcit sans injustice. — Du principe qui
— LXV. Quels crimes remet l'Eglise. En dehors — nous sépare de lui. 35
de l'Eglise les péchés ne peuvent être remis. 24 — C. Qu'aucun événement n'a lieu en dehors de la

— LXVl. La rémission des péchés a pour but de volonté de Dieu, lors même qu'il la contredit. 36
prévenir le jugement à venir. 24 — CI. La volonté de Dieu, toujours conforme au
— LXVIL Tous les fidèles, quels que soient leurs bien, s'accomplit par les résolutions bonnes
crimes, seront-ils sauvés par le feu? 25 ou mauvaises des hommes. 36
— LXVIIL Du feu purificateur en cette vie. 25 — CIL La volonté de Dieu est toute puissante : il ne
— LXIX. Du feu purificateur dans l'autre monde. 26 fait jamais le mal soit qu'il fasse miséricorde,
— LXX. Sans la conversion, l'aumOne ne peut ra- soit qu'il endurcisse. 37
cheter les crimes. 26 _ CUL Explication de ce passage del'épître à Timo-
— LXXL L'Oraison dominicale efi'ace les fautes lé- thée « Dieu veut le salut de tous les hommes ».
: 37
gères. 26 — CIV. Dessein de Dieu sur Adam, dont il prévoyait
— LXXll. Formes diverses de l'aumône. 26 la faute. 38
— LXXIIL L'aumône la plus noble est de pardonner — CV. De la liberté dans l'état primitif et dans l'état
à ses ennemis. 27 de perfection. 38
— LXXIV, Dieu ne pardonne qu'à ceux qui pardon- — CVL Nécessité de la grâce dans l'état primitif
nent. 27 comme dans l'état actuel. 38
— LXXV, L'aumône ne purifie pas si on ne se cor- — CVII. La vie éternelle, récompense et grâce tout à
rige. 27 la fois. 39
— LXXVL L'aumône consiste tout d'abord à prendre CVIII. Dieu est l'auteur de notre salut. 39
pitié de son âme et à bien vivre. 28 _ CIX. Du séjour des âmes avant la résurrection. 39
— LXXVIL L'aumône n'est efficace qu'à la condition — ex. Dans quelle mesure et pour quelles âmes le

de renoncer à l'iniquité. 28 sacrifice de l'autel et les aumônes sont-ils effi-


— LXXVIIL De certains péchés qui, au jugement des caces ? 39
hommes, sont des actes innocents. 29 _ CXI. Deux cités éternelles après le jugement gé-
— LXXIX. De certains péchés fort graves, quoique néral. 40
légers en apparence. 29 _ CXII. Le supplice des damnés doit être éternel. 40
— LXXX. L'horreur pour le crime s'affaiblit par l'ha- CXIII. Perpétuité de la mort des impies comme
bitude. 30 de la vie des saints, 41
— LXXXl. Deux causes du péché : l'ignorance et la — CXIV. De l'espérance, —
L'Oraison dominicale
faiblesse : nécessité de la grâce pour surmon- renferme tout ce qu'il faut espérer. 41
rer ces obstacles. 30 _ CXV, Des sept demandes de l'Oraison dominicale,
— LXXXII. La pénitence est une grâce de Dieu. 31 d'après saint Matthieu, 41
— LXXXIII. Du péché contre le Saint-Esprit. 31 _ CXVI. Des cinq demandes de l'Oraison dominicale,
— LXXXIV. De la résurrection de la chair. 31 d'après saint Luc accord des deux évangé-
:

— LXXXV. Des avortons. 31 listes. 41


— LXXXYL De l'époque où la vie commence dans — CXVIL La charité : son union avec la foi ell'es-
le sein maternel. 31 pérance. 42
— LXXXVIL Des monstres : Comment ressusciteront- — CXVIII. Des quatre états ou époques de l'humanité. 42
ils? 31 — CXIX, L'esclavage de la loi inconnu à plusieurs. 43
— LXXXVIIL Le corps se recomposera, quelle que — CXX. Mort de l'enfant baptisé, 43
soit la manière dont les éléments auront dis- — CXXL La charité est la fin de tous les préceptes. 43
paru. 32 — CXXII. Epilogue. 43
TABLE DES MATIÈRES, 577

DU COMBAT CHRETIEN.
Traduction de M. THESARD.

Cbapitre premier. La couronne est promise aux vain- Chap. XV. Les trois personnes ne sont pas trois dieux. 51
queurs. — Satan notre enneaii est vaincu avec XVI. Egalité et éternité des personnes divines. 31
l'aide de Jésus-Clirist. 44 — XVII. Divinité du Christ. 51
— II. Vaincre Satan, c'est vaincre ses passions. XVIII. Réalité de l'Incarnation. 52
— m. Princes des ténèbres. 43 XIX. Esprit humain dans Jésus-Christ. 52
— IV. Interprétations des Manichéens. 45 XX. Le Christ est la sagesse même de Dieu. 52
— V, Dans quel sens faut-il entendre que les esprits XXI. Le Christ n'avait pas un corps sans âme. 53
du mal sont dans les hauteurs de l'air. 56 — XXII. Jésus-Christ né d'une femme. 53
— VI. Châtier son corps pour vaincre Satan et le XXIII. Le Fils de Dieu n'est-il qu'une créature? 54
monde. 46 — XXIV. Identité du corps de Jésus-Christ ressus-
— VII. Pour que notre corps nous soit soumis, il cité.

faut nous soumettre à Dieu, de qui dépend XXV. .\5cension. 54


toute créature, de gré ou de force. 47 XXVI. Le Christ assis à la droite de son Père. 55
— VIII. Tout est gouverné par la divine Providence. iS XXVII. Le jugement futur. 55
— IX. Combien le Seigneur est doux. 48 XXVIII. A qui était promis l'Esprit-Saint. 56
— X. Pour nous le Fils de Dieu s'est fait homme. 48 XXIX. L'Eglise cathohque et les Donatistes. 56
— XI. Convenances magnifiques de l'Incarnation. 49 XXX. L'Eglise catholique et les Lucifériens. 57
— XII. Partout la foi chrétienne peut se développer XXXI. L'Eglise et les Cathares. 58
et remporter la victoire. 50 XXXII. La résurrection de la chair. SS
— XIII.Se soumettre à Dieu en toutes choses. 50 XXXIU. Il faut grandir par la foi. 58
— XIV. La sainte Trinité. 51

METHODE
POUR ENSEIGNER AUX CATÉCHUMÈNES LES ÉLÉMEMS DU CHRISTIAMSME
ou
TRAITÉ DU CATÉCHISME.
Traduction de M. CJTOLEUX.

Chapitre premier. But de ce traité. bO Chap. Xlll. Quatrième cause d'ennui : moyens d'y re-
— H, Par quel secret l'auditeur goûte-t-il souvent un médier. De l'usage , adopté dans certaines
discours dont l'orateur est mécontent? Le pré- églises, d'écouter assis la parole divine.
dicateur doit avant tout prévenir remiui et — .XIV. Cinquième et sixième causes d'ennui : des
égayer son élocution. 00 moyens d'y remédier.
— III. En quoi consiste une narration complète au — XV. Nécessité d'approprier son langage aux circon-
point de vue du catéchisme ? Elle doit avoir stances et aux personnes.
pour fin la charité. L'.\ncien Testament pré- — XVI. Discours que l'on peut tenir à un catéchu-
pare Tavénement de Jésus-Christ, destiné à mène. Exorde tiré de la résolution qu'a prise
établir la charité. 62 l'auditeur d'embrasser la foi chrétienne pour
— IV. La venue de Jésus-Christ a eu pour but es- trouver en'jn la paix : les honneurs, les ri-
sentiel d'établir le règne de la charité : c'est chesses, les plaisirs, les spectacles, ne font
à la charité que doit tendre toute narration que troubler cœur. le
empruntée aux Ecritures sur Jésus-Christ. 63 — XVII. Condamnation de ceux qui embrassent la
— V. D faut examiner avec soin le motif qui déter- foi en vue d'un intérêt humain. Le repos —
mine le catéchumène a se faire chrétien. éternel, but du vrai chrétien. Exposition —
— VI. Le catéchiste doit embrasser dans ses instruc- des dogmes, et d'abord de l'Incarnation. 73
tions l'histoire de l'Eglise depuis la création XVIII. Création du monde. Péché ori- —
jusqu'à nos jours. 64 ginel. 76
— VII. Prémunir le catéchumène contre les scandales. — XIX. .Mélange des bons et des méchants dans
Enseignement de la morale. 65 l'Eglise. Les actes comme
les paroles des
— VIII. .Méthode pour instruire les personnes éclai- saints quiprécédé Jésus-Christ, ont un
ont
rées. 66 caractère prophétique.
— IX. Comment instruire grammairiens et les
les — XX. Servitude des Israélites en Egypte. Lear —
orateurs. — Dieu n'entend que le langage du délivrance à travers la mer Rouge, symbole du
cœur. 67 baptême. —
De l'Agneau pascal, figure de la
— X. De l'ennui et de ses causes : premier moyen passion du Christ. — Du doigt de Dieu. —
d'y remédier. 67 De Jérusalem, comme emblème de la cité cé-
— XI. Deuxième cause d'ennui : moyen d'y remé- leste. 78
dier. 69 — XXI. Captivité de Babylone. — Les Juifs n'ont
— XII, Troisième cause d'ennui : des moyens d'y jamais depuis recouvré leur indépendance na-
remédier, 70 tionale. 79

S. AuG. — Tome XII. 37


578 TABLE DES MATIÈRES.
Chap. XXn. Les six époques de l'histoire du monde. — Chap. XXV. Résurrection, — Mort éternelle en enfer.
De l'esprit du Nouveau Testament. Nais- — Vie éternelle au — Se
ciel. tenir en garde
sance, vie, mort de Jésus-Christ. 81 contre les païens, les juifs, les hérétiques, et
— XXIII. Descente du Saint-Esprit. — Conversions même mauvais
les chrétiens faire des :

opérées chez les Juifs et chez les Gentils. 82 bons sa société, sans mettre en eux ses espé-
— XXIV. L'Eglise est une vigne qui se charge de rances, 83
branches et qu'on émonde. —
Les prédictions — XXVI. Expliquer la signification des sacrements. 85
déjà accomplies doivent faire croire à celles — XXVII. Manière plus courte d'instruire un catéchu-
qui ne le sont pas encore, surtout à celle du mène. 8t)
jugeaient dernier. 83

DE LA CONTINENCE.
Traduction de M. Vabié BURLERAUX.

Chapitbe premier, La continence est un don de Dieu. 88 Ca-iP. IX. Notre chair n'est pas substantiellement mau-
— II. La continence du cœur. 88 vaise. 98
— lU. Lutte de la continence contre la chair. 90 — X. Folles assertions des Manichéens. 99
— IV. Se défier de ses propres forces. 92 — XI. Comparaison entre la chair et l'Eglise. 100
— V. Ne pas excuser son péché. 93 — XII. Fausse continence des Manichéens et des hé-
— VI. Dieu tire le bien du mal. 94 rétiques. iOl
— VII. La paix, fruit de la continence et de la jus- XIII. La continence du corps et de l'esprit. 102
tice. —Double nature des Manichéens. 95 — XIV. Ne cesser de lutter contre les vices de la
— Vill. Combien de temps la chair convoite-t-elle chair. 104
contre l'esprit. 96

DE CE QUI EST BIEN DANS LE MARIAGE.


Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

Chapitre premier. Société primitive de l'homme et de Chap. XIV. De la fornication et du mariage. 144
la femme. 106 — XV. Les patriarches et leurs concubines. 115
— H. De la propagation des enfants en dehors du — XVI. User du mariage comme des aliments. 115
péché. 106 — XVII. Les époux d'aujourd'hui et ceux des temps
— III. Trois premiers avantages. 107 primitifs. 116
— IV. Autre avantage dans le mariage : la fidélité — XVIII. La polygamie maintenant défendue. 117
conjugale. 107 — XIX. La continence chrétienne comparée à la fé-
— V. Quand y a-t-il mariage entre l'homme et la condité des patriarches. 117
femme. 108 — XX. Les purifications anciennes. 118
— VI. Du devoir conjugal. 109 — XXI. La continence comme habitude et comme
— VII. Indissolubilité du mariage. 109 acte. 118
— VIII.Le divorce chez les Gentils et chez les Juifs. — XXII. La continence avant et depuis Jésus-

Le mariage est un bien, quoique moindre. 110 Christ, 126
— IX. En quoi consiste la bonté du mariage. 111 — XXIII, La continence et la chasteté conjugale. 121
— X. Objection contre la continence. 111 — XXIV. Trois sortes d'avantages dans le mariage des
— XI. De l'usage contre nature. Combien la virginité chrétiens. 122
l'emporte sur le mariage. 112 — XXV. Les patriarches vengés des calomnies naani-
— XII. Peu de femmes capables de ne penser qu'à chéennes. 122
Dieu. 113 — XXVI. Respect dû aux saints patriarches. Joindre
— XIII. Combien est rare la pureté parfaite dans le l'humilité à la virginité. 123
mariage. 114

DE LA SAINTE VIRGINITE.
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

Chapitre premier. Respect dû aux saints patriarches. 124 Chap. VII. La virginité supérieure à toute fécondité con-
— II. Jésus-Christ, fils d'une vierge et époux des jugale. 126
vierges. 124 — VIII. Pourquoi la virginité doit être honorée. 126
— III. Parenté spirituelle avec Jésus-Christ. 124 — IX. Nulle compensation possible à la virginité per-
— IV. Le vœu de virginité en Marie. 125 due. 127
— V. La plus belle gloire des vierges. 125 — X. N'est-ce pas du mariage que naissent les
— Vl. Privilège spécial de Marie. 126 vierges? 127
TABLE DES MATIÈRES. S79

Chap. XI. La gloire des vierges, c'est d'être consacrées Chap. XXXV. L'humilité apprise à l'école de Jésus-
à Dieu. 127 Christ. 139
— XII. Les vierges, enfants de l'Eglise. 128 — XXXVl. La doctrine de l'humilité facilement com-
— XIII. Si la continence n'est utile que pour la vie prise par les pécheurs. 140
présente. 128 — XXXVII. Beau modèle d'humilité proposé aux
— XIV. La virginité glorifiée au ciel. 128 vierges. 140
— XV. La virginité n'est qu'un conseil et non un — XXXVIII. Là crainte nécessaire aux vierges. 141
précepte. 129 — XXXIX. Fragilité humaine. 142
— XVI. Tribulation de la chair dans le mariage. 129 — XL. Les chutes du prochain sont un avertisse-
— XVIL L'Âpôtre condamne-t-il le mariage? 130 ment pour nous. —
La virginité est un don de
— XVIII. Si l'excellence de la virginité condamne le Dieu. 142
mariage. 130 — XLI. Toutes les vertus sont des dons de Dieu. 143
— XIX. Deux erreurs au sujet de la virginité et du — XLII. C'est Dieu qui donne la continence et la

mariage. 131 sagesse. 144


— XX. L'Apôtre condamne-t-il les noces ? 131 — XLUI. Les vierges ne doivent pas se prévaloir du
— XXI. Résumé de ce qui précède. 132 don de Dieu. 144
— XXII. On doit aimer la virginité surtout par — XLIV. Motif d'humilité pour une vierge. 144
rapport à la vie future. Témoignage de — — XLV, Le centième, le soixantième et le tren-
saint Paul. 132 tième. 145
— XXIII.Témoignage de Jésus-Christ. 133 — XLVI. Excellence de la vie commune pour les
— XXIV. Témoignage d'Isaïe. 133 vierges, 145
— XXV. La récompense éternelle prédite par Isaïe. 134 — XL Vil. Quelle vierge est sûre de pouvoir endurer
— XXVI. Le denier accordé à tous les ouvriers de le martyre? 146
la vigne. 134 — XLVIII. Autre motif d'humilité. 146
— XXVII. Gloire excellente et spéciale réservée aux — XLIX. L'aveu des péchés. 146
vierges, 135 — L, Le péché léger, aggravé par l'orgueil et dé-
— XXVIII. Jusqu'à quel point tous peuvent-ils suivre truit par rhumihté. 147
l'agneau. 133 — LI. Dieu est le gardien de la virginité dans les
— XXIX. Genre d'imitation réservé aux vierges. Au humbles. 147
ciel, point de jalousie, 136 — LU. La pratique de l'humilité, nécessaire aux
— XXX. La virginité, œuvre de surérogation et non vierges. 148
de précepte. 136 — LIII. Les vierges doivent être d'autant plus humbles
— XXXI. L'Iiutiiililé nécessaire aux vierges. 137 qu'elles sont plus saintes. 148
— X.VXII. L'humilité prescrite par Jésus-Christ. 137 — LIV. Les vierges doivent aimer Jésus-Christ de
— XXXIII. L'humilité nécessaire aux chrétiens, mais tout leur cœur. I'i9

surtout aux vierges. 138 — LV. Bonheur d'aimer l'époux divin, 149
— XXXIV. Quelles vierges exhortons-nous à l'humi- — LVl. Conclusion. 149
Uté. 138

AVANTAGES DE LA VIDUITE
ou

LETTRE A JULIENNE, VEDVE.


Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

Chapitre premier. But de l'auteur. 150 Chap. XIII. Parmi les veuves, à laquelle donner la pré-
— IL Les veuves, dans le langage de l'Apôtre. 130 férence? LS?
— III. La viduité, supérieure au mariage. 151 — XIV. Comparaison entre trois veuves. 157
— IV. Les secondes noces permises. 151 — XV, Résumé de ce qui précède. 158
— V. La viduité et le mariage. 152 — XVI. Seconde partie de cet ouvrage. Premier de-
— VI, Si les femmes peuvent être saintes de corps. 152 voir: rendre grâces à Dieu. 158
— Vil, Les saintes femmes de la loi ancienne se ma- — XVII, Erreur des Pélagiens. 159
riaient par obéissance. 153 — XVIII. L'efficacité de l'exhortation vient de la
— VIII. Le mariage avant et après Jésus-Christ. 154 grâce. 160
— IX. Se marier après le vœu de continence est un — XIX. La veuve doit travailler à plaire à Dieu. 160
crime. 155 — XX. Mépris des séductions du monde. 162
— X. Un tel mariage est-il un adultère. 135 — XXI. DéUces spirituelles du veuvage. 162
— XI. Le mariage des vierges relapses est plus qu'un — XXII. Prendre soin de sa réputation. 163
adultère. 156 — XXUI. Attirer à la chasteté. Conclusion. 164
— XU. Des troisième et quatrième noces. 156
580 TABLE DES MATIÈRES.

DES UNIONS ADULTÈRES.


Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

LIVRE PREMIER. Chap. XXIII. On ne saurait, en vue du bien, faire le


mal. 179
Chapitre premier. En dehors de toute cause de for- —
__ XXIV. Rien n'autorise à rompre le vœu de conti-
une femme de se sé-
nication, est-il permis à
nence. 179
parer de son mari, pour vivre dans la con- _ XXV. Résumé de ce qui précède. 180
tinence. 166 _ XXVI. Baptême à conférer aux catéchumènes en
— II. La séparation n'est permise que pour cause de danger de mort. igo
fornication. 16G _ XXVII. Ce que signifie : « Ne pas jeter les perles
— III. Explication des paroles de l'Apôtre, relatives à « aux pourceaux ». isi
la femme qui se sépare d'un mari adultère. 167 — XXVIU. En cas de mort on ne doit pas refuser le
— IV. Mauvaise interprétation des paroles de l'A- baptême, même aux catéchumènes qui vivent
pôlre. 167 dans l'adultère.
— V. Réfutation. 168
jsi

— VI. Opinion de PoUentius sur le mariage après di-


vorce. 168
— VII. En cas de séparation légitime, un nouveau LIVRE SECOND.
mariage est défendu. 169
— VIII. Similitude des conditions de l'homme et de Chapitre premier. Pourquoi ce nouveau livre. 182
la femme. 169 — II. PoUentius croit que lemariage est dissous par
-- IX. Objection de PoUentius. — Réponse. 170 l'adultère comme par la mort. 182
— X. Accord de plusieurs textes. 171 — III. Réfutation. 183
— Xi. Saint Matthieu expliqué par les autres évan- — IV. Si l'on peut assimiler la fornication à la mort. 183
gélistes. 171 — V. Le mariage n'est rompu que par la mort. 183
— Xll. Une femme répudiée reste l'épouse de son — VI De la réconciliation entre époux après l'adul-
premier mari, 172 tère. 184
— XIII. Du divorce entre époux dont l'un est chré- — Vil. Que sont ces maris qui sévissent contre leurs
tien et l'autre inûdèle. 172 femmes adultères ? 184
— XIV. Beaucoup de choses, sans être prescrites par — VIII. En cas d'adultère réciproque, l'homme est
la loi, doivent être faites par charité. 173 plus coupable que la femme. 185
— XV. Œuvres permises mais désavantageuses. 173 — IX. La réconcihation ou la continence. 186
-• XVI. Ce qui est permis et ce qui est désavanta- — X. Vaines réclamations de l'incontinence contre
geux. 174 la foi. 186
— XVII. Ce qui est permis sans être expédient, et ce — XI. Autre objection de PoUentius. 187
qui n'est pas expédient pour n'être pas permis. 174 — Xil. Le désir de la maternité, but unique du ma-
— XYIII. Pourquoi les Israélites ne pouvaient-ils se riage. 188
marier avec les infidèles, tandis que les chré- — XIII.La réconciliation ou la continence. 188
tiens le peuvent. 175 — XIV. Autre objection. 189
— XIX. Rester vierge et conserver une épouse infi- — XV. Le pardon fondé sur des motifs de charité. 190
dèle. 176 — XVI. Nouvelle objection, 190
— XX. Quand les paroles de l'Apôtre ne renferment- — XVII. Autre inconvénient de l'opinion de PoUen-
elles qu'un conseil. 177 tius. 191
— XXI. Mariages contractés et mariages à contracter — XVIIL Choisir entre la continence conjugale et la
avec des infidèles. 177 continence virginale. 192
— • XXII. Divorcer, et épouser une autre femme, pour — XIX, La continence pour les époux séparés. 193
la rendre chrétienne, c'est se rendre coupable — XX, Les hommes doivent être pour les femmes
d'adultère. 178 des modèles de pudeur. 193

DU MENSONGE.
Traduction de M. Vabbé DËVOILLE.

Cdapitre premier. Difficulté du sujet, 193 CuAP. YI. Le mensonge est une iniquité ; U donne la
— II. Les plaisanteries ne sont pas des mensonges. 193 mort à l'âme; on ne peut donc le commettre
— 111. Qu'est-ce que le mensonge? Pour mentir, pour sauver la vie temporelle à qui que ce
faut-il avoir l'intention de tromper et celte in- soit. 200
tention suffit-elle ? 195 — VII. Il ne faut pas même mentir pour conserver
— IV. Le mensonge est-il quelquefois utile ou permis. 196 la chasteté corporelle. Qu'est-ce que le liberti-
— V. Les uns prétendent qu'il faut quelquefois men- nage ? 201
tir.Les autres le nient. Discussion. Exemples — VllI. On ne doit pas même mentir pour procurer
pris dans l'Ancien Testament en faveur du aux autres la vie éternelle. 202
mensonge. 11 n'y en a pas dans le Nouveau — IX. Quelques-uns pensent qu'on peut mentir pour
Testament. On ne peut pas plus justifier le se soustraire à un attentat contre la pudeur.
mensonge par les règles de la vie ordinaire Réfutation de cette opinion. 202
que par les exemples de l'Ecriture. IG3 — X. Il ne faut jamais mentir en matière de religion. 203
TABLE DES MATIÈRES. îiSl

Cdap. XI. Il faut éviter les trensorgcs qui nuisent à un aussi de trois façons. Comment il faut en-
autre ou à soi-nième. Différence entre l'horame tendre la défense de porter ua faux témoi-
qui m-nt et le menteur, 205 gnage. 212
— XII. Peut-on mentir qu nd cela est utile à quel- CHiP. XVîII. Comment il faut entendre un autre passage
qu'un fans nuire à personne ? Le mensonge de l'Ecriture. C'est une erreur de mesurer le

n'tst-il pas toujours un faux témnignage ? 206 mal sur la passion et sur l'habitude. Notre
— XIII. Peut-cn merJir pour ne pas trahir un homi- double Tie. Peut-nn commetlre des péchés lé-

cide ou un innocent qu'on cherche pour le gers pour conserver pureté? la 213
faire mourir? 207 — XIX. La sainteté exige le maintien de trois choses :

— XIV. Huit espèces de mensonges. 203 la pudeur du corps, la chasteté de l'âme et la

— XV. Témoignages divins qui défendent le men- vérité de la doctrine. 215


songe. Préceptes à interpréter d'après la con- — XX. Ilne faut pas mentir pour sauver la pudeur
duite des sauits. £09 du corps. D'où vient le mot de foi. Chasteté
— XVI. Deux bouches, celle de la voix et celle dn de râmc. 215
cœur. N'y a-t-il de défendu que mensonge le — XXI. Conclusion. 11 faut s'interdire les huit espèces
qui fait tort au pn^chain ? Triple sens du pas- de mensonges énumérées plus haut. Co;i.bien
sage de l'ecclésiastique. 210 sont aveugles ceux qui auloiiseut le men-
— XVII. Le veiset 7* du psaume v^ s'interprète songe. 21G

CONTRE LE MENSONGE.
A CONSENTIUS.
Traduction de M. l'abbé DEVOILLE.

Chapitre pbem^er. N-'ius ne devons pas, au prix du Chap. X. Autre chose est de cacher la vérité, autre chose
raensoi;ge, découvrir ceux qui se cachent à est de mentir, Abraham et Isaac justifiés. L'ac-

l'aide du mensonge. 218 tion de Jacob n'était pas un mensonge. La me-


— II. Erreur des Priscillianistes qui emploient le men- ta; bore. L'antiphrase. Pourquoi il y a des tropes
songe pour se cacher. Par là, il n'y aurait plus dans la sainte Ecriture. 229
de martyrs. 219 — XI. Trois manières de discuter contre ceux qui
— III. Il y aurait plus de mal à un catholique de cherc!:ent dans les Ecritures un moyen de jus-
nnentir pour prendre des hérétiques qu'à un tifier leurs mensonges. 231
hérétique de mentir pour échapper aux catho- — XI!. On trouve réellement quelques exemples de
liques. Pieuve de fait. Vouloir surprendre les mensonges dans l'Ancien Testament, mais au-
Priscillianistes par le mensonge, c'est se perdre cun dans le Nouveau. Paul hlâ uant la dissimu-

avec eux. 220 lation de Pierre et de Barnabe. Qu'est-ce que


— IV. Quand on ment sur un point, on ne peut plus le mensonge? 231
être cru sur d'autres. 221 — Xlll. Examen des passages de l'Evangile qui sem-
— V. Le priïcillianiste est moins coupable de mentir blent autoriser le mensonge. 233
pour cacher son hérésie, que le catholique — XIV. Véritables mensonges rappelés dans l'An-
pour cacher la vérité. Un catholique qui se dit cien Testament. Il ne faut pas plus imiter le
priscilliaiiiste fait plus de mal qu'un prisciUia- mensonge de Thamar que la fornication de
niste qui se dit catholique. 222 Juda. 233
— VI. Il n'est jamais permis de renier le Christ de- — XV. Le mensonge est toujours injuste, puisque
vaut les hommes, même par mensorge ou par c'est un péché et qu'il est contraire à la vé-
fiction. ObiCction. Réponse. Il ne suffit pas de rité. Ce n'est pas le mensonge, mais la bonne

confesser le Chiist de cœur; il faut encorene volonté, qui a été récompensée dans les sages-
le point renier de bouche. On tolère ceux qui femmes Egyptiennes et dans Rahab, 234
prêchent la vérité sans y croire, mais non ceux — XVI. L'homme de bien peut-il mentir quelquefois
qui annonceiit la fausseté. 223 pour sauver son prochain? 233
— VJI. On ne doit jamais mentir sous prétexte d'une — XVII. Les sages-femmes .luives et Rahab au-
bonne inlentinn. —
Il y a des actions bonnes raient-elles mieux fait de ne pas mentir ?
ou mauvaises suivant le but qu'on se propose; Règle à suivre à l'occasion des exemples tirés
mais il y en a qui sont mauvaises par elles- de l'Ecriture en faveur des mensonges. 236
mêmes et qu'on ne peut jamais faire à bonne — XVIII. Faut-il mentir pour cacher à un malade ce
intention. 225 qui lui causerait la mort ? Si on permettait le
— VIII. L'intention établit des différences entre les mensonge en ce cas, il serait difficile de lui

pécliés cependant on ne doit pas commettre


;
assigner des limites et de l'empè-^her d'aller
une faute comparativement plus légère ; sou- jusqu'au parjure et au blasphème. Trait vif à
vent elle est plus grave qu'un péthé d'une l'adresse des docteurs de mensonge. 237
autre espèce. 226 — XIX. on ne peut commettre un crime contre
Si
— !X. On ne doit point commettre de péchés de la pudeur pour venir en aide à quelqu'un, on

compensation. Lolh offrant ses filles à la pas- ne peut pas plus proférer un mensonge. En quoi
sion des Sodùmites ne doit pas être imité; ni diffèrent le parjure et le blasphème? 238
David jurant par colère. On ne doit pas faire — XX. Est-il au moins permis de mentir pour le salut

passer dans la pratique toutes les actions des éternel d'un homme ? 239
saints. 227 — XXI. Conclusion, 240

H
582 TABLE DES MATIÈRES.

DU TRAVAIL DES MOINES.


Traduction de M. l'abbé COLLERY.

Chapitbe pnEMiER. Arguiiienls des moines opposants. dispenser la parole de Dieu. Paul avait distri-
— Textes de l'Evangile et de saint Paul sur le bué son temps entre la prédication et le tra-
travail. 241 vail. —
La meilleure administration est celle
— II. Réfutation. — Il faut expliquer les paroles du où tout se fait avec ordre. 256
Seigneur les unes par les autres ; de même, Cdap. XIX. Le travail de saint Paul était vraiment un tra-
les textes de i'Apôlre. 2^i2 vail manuel. 257
— III. Saint Paul fait un précepte du travail cor- — XX. Difliculté : les autres apôtres qui ont vécu
porel. 243 de l'Evangile sans travailler ont-ils péché? —
— IV. Le vrai sens de saint Paul s'explique
_

d'après Réponse : le précepte du travail regarde ceux


SCS autres épitres. 244 qui n'évangéliscnt pas. 257
— V. L'exemple de Jéjus-Cliiist prouve que les Apô- — XXI. Ceux qui veulent être oisifs sont, pour la

1res ont eu la perûiission de se faire accompa- plupart, des convertis qui menaient auparavant
gner par des femmes.
et servir 244 une vie pauvre et laborieuse. 258
— VI. Ce n'est pas aux seuls Apôlre?, mais bien aussi — XXII. Contre les moines oisifs et bavards, dont
à d'autres que le Christ a permis de vivre de l'exemple et la parole détournent les autres du
l'Kvangile. 24b travail. 258
— VIL La faculté de ne point travailler, accordée — XXllI. Les paresseux entendent mal l'Evangile.—
aux Apôtres, doit s'entendre du travail cor- L'auteur les plaisante. Moines qui s'enfer-—
porel. 245 ment, pourn'ètre vus de personne, durant plu-
— VIII. 11 est évident que l'Apôtre parle du travail sieurs jours. —
Le précepte évangélique de
manuel. 246 lie pas songer au lendemain est eu accord avec

— IX. La suite du texte rend la pensée plus évi- le texte de l'Apôtre. 259
dente. 247 — XXIV. Faire des réserves pour le lendemain n'est
— X. Pouiquoi saint Paul ne vit pas de l'Evangile. 248 pas chose défendue par l'Evangile. 2G1
— XI. Ici comme ailleurs, Paul obéit à un sentimcat
— XXV. A quoi sert-il d'avoir abandonné ses occu-
de coumiisération pour les faibles. Il craint, — pations antérieures, s'il faut revenir au travail?
en vivant de l'Evangile, que les faibles ne s'i- — La charité dans la vie commune. — Il con-
magmcnt que l'Evangile se vend. 248 vient que ceux mêmes qui sortent d'une con-
— XII. ElViayé dos dangers que couraient les faibles, dition supérieure, travai lent après leur con-
l'Aiiôtie aima mieux travailler,que de vivre version; à plus forte raison ceux qui oui quitté
de l'Evangile. 230 un genre de vie plus humble. 2G1
— XUl. Quel était le travail manuel de l'Apôtre ? Enu- — XXVI. Comment il faut entendre la maxime ne :

méialion des occupations honnêtes au moyen pas s'inquiéter de la nouriiture ni du vêle-


desquelles on gagne sa vie. 251 ment. — Eu quel sens faut-il prendre l'exemple
— XIV. Quelles heures l'Apôtre consacrail-il au tra- des oiseaux du ciel et des des champs.
lis 2G3
vail? Oisiveté des moines. 231 — XXVII. 11 faut utiliser nos moyens, sous peine de
— XV. En recommandant le travail aux serviteurs de tenter Dieu. 264
Dieu, l'aul veut néanmoins que les fidèles — XXVUl. Tableau frappant des moines oisifs et va-
pourvoient à leurs besoins. Le travail que les gabonds. 265
serviteurs de Dieu doivent préférer est celui — XXIX. Occupations de saint Augustin. — Il pré-
qui n'engendre pas de soucis et s'exerce sans féierait travailler comme les moines, k des
cupidité. 252 heures déterminées. 265
— XVI. C'est exercer un ministère à l'égard des saints — XXX. U est à craindre que la paresse des mauvais
que de leur fournir les choses nécessaires à la ne rakntiise et ne i-âte les bons. 266
vie cor|iorelle en retour des biens spirituels. — — XXXI. Contre moines à longue chevelure.
les 267
Que les serviteurs de Dieu obéissent à Paul en — XXXU. Mauvaise manière dont les moines cheve-
travaillant ; et les bons chrétiens aussi, en lus interprètent l'Ecri'ure. L'Apôtre saint —
]ioiirvoyant à leurs besoins. 253 Paul a fait profession d'une chasteté pai faite.
— XVII. Objection des paresseux : ils vaquent à l'o- — Précepte fait aux hommes de ne point se
laisun, à la psilmodie, à la lecture, à la parole voiler la tète. —
L'âme figurée par l'homme
de Dieu. — permis de chanter des psau-
11 est et la concupiscence par la femme. 268
mes en travaillant. —
La lecture ne sert de — XXXIII. Certains moines chevelu?, saints hommes
rien, si on ne la met en pratique. 235 d'ailleurs, invités il se dépouiller de leur che-
— XVIiI. Autre objection réfutée : la nécessité de velure. 209

DE LA DIVINATION DES DEMONS.


Traduction de M. l'abbé COLLERY.

CuAPiTiiE PREMIER. A quelle occasion fut écrit ce traité. Chap. 111. La divination des démons s'explique par trois

Ce que Dieu permet n'est pas pour cela causes. 273
toujours selon la loi. 271 — IV. Dieu que les démons fassent certaines choses
— IL Dieu a permis, comme tout-puissant, ce qu'il étonnantes, il faut les mépriser. 273
désapprouvait comme infiniment juste. — Livres V. D'où vient que les démons annoncent l'avenir. 274
pontificaux qui réglaient les cérémonies pro- VI. Que, le plus souvent, les démous sont trompés
fanes. — Résumé et éuoucé. 272 ettrompeurs. 275
TABLE DES MATIÈRES. 583

Chap. Vil. Pourquoi les démons tantôt se taisent sur Chap. IX. Les prophètes ont prédit que le culte des dé-
leurs propres malheurs, et tantôt les publient, 2'6 mons disparaîtra pour faire place au culte d'un
— VI.l. Les démons ont pu fjire quelques prédictions seul Dieu. 277
vraies, d'après leurs connaissances des orac'es — X. Les tristes restes des païens vantent en vain
des prophètes; mais ils u'out jamais osé rien leur science et leur sagesse. 278
dire contre le vrai Dieu. 276

DES DEVOIRS A RENDRE AUX MORTS.


Traduction de M. DE FOURS Y.

Chapitre premier. Est-il utile à un morl d'être enseveli Chap. I.X. Pourquoi l'Ecriture loue les soins donnés aux
auprès du tombeau d'un martyr? 2SÛ morts. 286
— II. De quelle uli'.ilé sont les honneurs de la sépul- — X. Des apparitions de morts qui demandent la sé-
ture. Le défaut de sépulture ne nuit pas aux pulture. 286
morts chrétiens. 281 — XI. Un père mort apparaît à son
Augustin ap-fils.

— m. Pourquoi le soin des funérailles et de la sé- paraît en songe au rhéleur Euloge, et lui ex-
pulture est louable. 282 plique un passage de Cicéron. 287
— IV. Le lieu de la sépulture d'un mort ne lui est — XII. Visions des frénétiques. — Vision de Courma
pas utile par lui-même, mais parce qu'il excite le curial. 288
à prier pour le défunt. 283 — X1!I. Les âmes des morts n'interviennent pas dans
— V. En mesure le lieu de la sépulture est
quelle les affaires des vivants. 289
aux uiorls.
utile . 283 — XIV. Objection. 290
— VI. Corps de martyrs brûlés, et leurs cendres jetées — XV. Comment les morts peuvent savoir ce qui se
dans le Khôiie, 284 passe ici-bas. £90
— VII. Le soin de la sépulture vient du sentiment — XVI. Comment les martyrs viennent à notre se-
d'afîeciion que l'tijmme éprouve pour son cours. 291
propre corps. 284 — XVII. Le moine Jean. 292
— Vlll. Les martyrs ont dédaigné le soin de leur sé- — XVIII. Conclusion 293
pulture. 285

DE LA PATIENCE.
Chapitre premier. De la patience de Dieu. 29i sur eux-mêmes des mains criminelles, quand
— II. Eu quoi consiste la vraie patience. Son uti- les chrétiens les recherchent. 293
lité. 294 Chap. XIV. La patience des justes, 299
— III. Grandeur de la patience des méchants. 294 — XV, Source vraie de la patience. 299
— IV. Les hommes vaius louent celte patience. 293 — XVI. Objection, 299
— V. Exemples de patience étonnante : Catilina et — XVII. Réponse. 300
les voleurs. 295 — XVIII. La patience vient de Dieu. oOO
— VI. La cause pour laquelle on souffre constitue XIX. Autre objection réponse. : 301
la différence entre la vraie et la fausse pa- XX. La glace prévenanle. 301
tience, 293 — XXI. La glace a fait les anciens justes. 302
— VII. Les méchants savent tout souffrir pour la vie XXII. Sans la grâce point de juste. 302
temporelle. L'à!ce ne profite pas seule de la XXIII. Patience vraie; patience fausse, 303
mort et des douleurs patiemment supportées; X.XIV, Volonté mauvaise sans l'instigation du dé-
le corps eu a sa part. 296 mon. 303
— VIU. Utilité de la patience pour l'àme et pour le XXV. Dieu seul rend la volonté bonne, 303
corps. 296 XXVI. Que penser de la patience des schisraa-
— IX. La patience de l'àrae. 296 tiques? 304
— X. La patience dans les maux extérieurs. — Les XXMl. Est-elle un don de Dieu? 304
martyrs ont eu l'une et l'autre patience. 297 XXVIII. Dons et dons. 304
— XI. Patience du saint homme Job. 297 XXIX. Eternelle récompense de la patience véri-
— XII. La patience de Job supérieure à celle d'.\dara. 297 table. 303
— XIII. Défaut de palieuce des Donatistes. Ils portent

DU SYMBOLE.
DISCOURS ADRESSÉ AUX CATÉCHUMÈ>ES.
Traduction de M. rabbé BURLERAUX.

Chapitre premier. Le symbole, règle de foi. 306 CoAP. III. Le Fils de Dieu recevant d'une vierge une nais-
— II. Le Fils de Dieu, Notie-Seigneur, est véritable- sance humaine. Sa passion. 308
ment Dieu et tout-pui.-saat. 3C7 — IV. Etie assis à la droite du Père. 311
)81 TABLE DES MATIÈRES.

Cdap. V. Le Saint-Esprit est Dieu. 312 CiiAP. YIIl. Trois moyens différents d'obtenir la rémission
— VI. De la sainte Eglise. 313 des péchés. 313
— VII. Les péchés les plus griefs remis dans le bap- — IX. Do la résurrection de la chair pour la vie éter-

tèino, et les pécliés véniels dans l'Oraison do- nelle. 314


minicale. 113

DE LA DISCIPLINE CHRETIENNE.
Traduction de M. l'abbé DVRLERAVX.

CnAPiTRE PREMIER. Sujet du discours. 315 Cdap. VllI. Diminuer, par l'aumône, le fardeau des ri-
— II. Qu'o5l-ce que bien vivre. 313 chesses. 319
— III. ComnianJciiK ni d'aiuior Dieu et le prochain. 316 — IX. Eviter les pernicieux difcours des avares. 319
— IV. Comment doit s'aimer celui à qui il est or- — X. L'aveuglement des avares. 320
donné d"air>ier son prochain comme lui-même. 3!G — XL un but temporel.
.\pprendi'e les lettres dans 320
— V. AiMOui pernicieux pour le prochain. 317 — XII. la bonne mort préparée par une bonne vie. 321
— Vï. I r. bonheur de l'homme cousisle à aimer Dieu. 317 — Xlll. Les bons et les mauvais auditeurs. 322
— Vi!,. L'envie est uu vice diabolique, issu de l'or- — XIV. Quel est le vérilable maître? 322
gueil. 318

DU CANTIQUE NOUVEAU
ET

DU RETOUR A LA CÉLESTE PATRIK.


Traduction de M. Tabbé BIRLERAVX.

Cn.\piTRE PBF.MiKR, PaôJage de l'ancienne vie à la vie Chap. VI. Erreur des Manichéens. 326
noa.ei'.e. 323 — VIL Erreur des Ariens. 3i>7
— II. Ilàio-.is notre ni.irche vers la patrie. Vllf. Hérésie des Pélajriens. 328
— m. Do la voie terrestre vers la patrie. IX. Réfutation des hérésies. 329
— IV. Difféieiiloi espèoos de voyai:eurs. 325 X. Exhoi talion aux catéchumènes. 329
— V. La vraie et la iuiisse piédicalion. 326

DE L'UTILITE DU JEUNE.
Traduction de M. Vubbé DURLERAUX.

CnAPiTRK PREM'ER. Lo jcùnc est pour les hommes et CuAP. VI. L'harmonie des membres du corps invite les

nui! pour h>s auges. 330 hérétiques à rentrer dans l'unité. 33i
— II. Le jeune nous place enlre les hommes char- — VIL Unité des païens dans le culte des idoles. 334
nels et les auges. 331 — Vlll. Lacharitéc'estla vie;ladissensionc'estlamort. 333
— m. Le jeune nécessaire pour dompter la chair. 331 — IX. Rien n'est h négliger pour ramener les héré-
— IV. Erreur des Manichéens sur la lulte de la chair tiques à l'unité. 336
et de l'esprit. 332 — X. Zèle persévérant pour la conversion des héré-
— V. On duit quelquefois refuser à la chair des plai- tiques obstinés. 336
sirs même permis. 333 — XI. Contre les hérétiques qui déchirent l'Eglise. 337

DE LA RUINE DE ROME.
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

CDAPiTrxE PREMIER. L'cxcmplc de Daniel confessant ses Chap. IV. Les souffrances temporelles comparées à l'enfer. 341
péchés, proposé à ceux dont la ruine de Rome — V. Rome possédait-elle des justes qui pussent lui

soulève les murmures contre Dieu. 339 mériter son salut ? 342
— II. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas épargné Rome, en — VI. Dans quel sens peut-on dire que Dieu épargna
faveur des justes qui l'habitaient? 339 Rome, en considération des justes. 343
— 111. Les malheurs de Job surpassent encore ceux — VIL Constautinople et Rome. 3i3
de la ville de Rome. S'iO — VIII. Utilité des tribulations temporelles. 3ii
TABLE DES MATIÈRES. 585

ŒUVRES DOGMATIQUES.
DE LA TRINITE.
Traduction de MM. DUCHASSAING et DEVOILLE.

A7EHTISSEMKNT, 343 Chap. Vin. A Dieu seul le pouvoir de créer. 304


— IX. Toutes les causes ont leur principe en Dieu. 393
LIVRE PREMIER. — X. Signes sacrés. Eucharistie. 397
— XI. Apparitions divines produites par le ministère

Chapitre premier. Trois sources d'erreurs. — Néces- des anges. Conclusion de ce livre. 399
de purifier Tâme pour étudier la Trinité.
sité 346
— U. Plan de cet ouvrage. 348 LIVRE QUATRIÈME.
— m. Dans quelles dispositions on doit le lire. 348
— lY. Quel est sur la sainte Trinité l'enseignement Préface. 403
de l'Eglise. 349 Chapitre premier. R est bon de connaître ses défauts. 404
— V. Comment trois personnes ne font-elles qu'un — II. L'Incarnation nous (Cspose à connaître la vé-
seul Dieu. 349 rité. 403
— VI. Consubstantialité des trois personnes. 350 — m. L'utilité de la mort et de la résurrection de
— VII. Comment le Fils est-il inférieur au Père et à Jésus-Christ. 403
lui-même. 353 — IV. Le nombre six. 407
— Vlli. Passages de l'Ecriture relatifs à l'infériorité — V. Le nombre six et le temple de Jérusalem. 4U8
du Fils. 324 — VI. Les trois jours qui précédèrent la résurrection. 409
— IX. Il faut souvent appliquer à toutes les per- — VII. Union des fidèles. 410
sonnes ce que l'Ecriture dit de l'une d'entre VIII. Le Christ veut cette union. 410
elles. 337 _ IX. Même sujet. 410
— X. Dans quel sens est-il dit que le Fils livrera la — X. La vie et la mort. 411
souveraineté au Père. 338 _
— XI. Que penser des prodiges opérés par le démon? 411
— XI. Deux nilures dans personne du Fils.
la 359 _
— XII. Principe de vie et principe de morL 411
— XII. Autres passages relatifs aux deux natures. 360 _
— XIII.Mort volontaire de Jésus-Christ. 412
— XUL Dans quel sens le Père ne doit-il pas juger. 363 _
— XIV. Le Christ est la plus pure victime. 415
— XV. Présomption et aveuglement. 415
LIVRE DEUXIÈME. — XVI. Etroitesse de l'enseignement des philosophes. 415
— XVII. Les philosophes et la résurrection. 416
PbÉPACE. 368 — XVIU. But de l'Incarnation. 417
Chapitre premier. Règles d'interprétation. 368 — XIX. Egahté du Fils de Dieu avec son Père. 418
— II. Deux sens également vrais. 369 — XX. Mission du Fils et du Saint-Esprit. 419
— III. L'Esprit-Saint procède du Père et du Fils. 370 — XXI. Révélations sensibles du Saint-Esprit. —Ré-
— IV. Le Fils glorifié par le Père. 370 sumé. kS2,

— V. Le Fils et le Saint-Esprit envoyés par le Père. 371


— VI, Le Saint-Esprit ne s'est pas incarné comme le
LIVRE CI.N'QL'IÉME.
Fils. 373
— Vil. Apparitions divines. 374 Chapitre premier. Dieu est immuable et incorporel. 424
— YIII. Toute la Trinité également invisible. 37o — II. De l'essence divine. 423
— IX. Objections : répoi;ses. 376 — III. Consubstantialité du Père et du Fils. 423
— X. Apparitions de Dieu à Adam, à Abrabam. 377 — IV, Tout accident suppose dans le sujet quelque
— XI. Le chêne de Mambré. 379 changement. 425
— XII. Apparition faite à Loth. 379 — V. Des relations divines. 426
— XIII. Le buisson ardent, 380 — VI. Chicanes des Ariens sur les mots engendré et
— XIV. La colonne de feu. 381 non engendré. 426
— XV. Le mont Sinaï. 381 — VII. Explication de celte doctrine. 427
— XVI. Comment Moïse a-t-il vu Dieu. 3i2 — VIII. Tout ce qui se dit de la nature divine, est
— XVII. Voir Dieu par derrière. 383 propre aux trois personnes de la sainte Tri-
— XVIII. Vision de Daniel. 385 nité. 428
— IX. Des personnes divines. 429

LIVRE TROISIÈME. — X. Tout ce qui se rapporte à la nature divine, se


dit au singulier des trois personnes. 429
Préface. 388 — XL Des relations divines. 430
Chapitre premier. Questions à examiner, 389 — XII. Pauvreté du langage humain pour expliquer

— II. Toute transfoimation corporelle a pour pre- les relations divines. 431

mier principe la volonté de Dieu. Exemple. 390 — XllI. Dans quel sens le mot principe se dit de la

— III. Continuation du même sujet. 391 Trinité. 431


— IV. Empire souverain de Dieu sur toute créature. 391 — XIV. Le Père et le Fils sont le principe de l'Es-

— V. Caractère du miracle. 392 prit-Saint. 432


— VL Même sujet. 393 — XV. L'Esprit-SaiDt était-il un don avant même
— 393 qu'il fût donné? 4o2
Vil. Le miracle et la magie.
586 TABLE DES MATIÈRES.
CflAP. XVI, Tout ce qui se dit de Dieu par rapport ai LIVRE NEUVIÈME.
temps se dit des relations et non de la sub-
stance. 433 Chapitre premier. Comment il faut chercher à con-
naître la Trinité. 454
LIVRE SIXIÈME. — II. Examen des trois éléments qui constituent la
charité.
455
Chapitre premiek. Le Fils est la vertu et la sagesse de — III. Image de la Trinité dans l'âme de l'homme
Dieu le Père. Diffuulté de savoir si le Père qui se connaît et s'aime. L'âme se connaît elle-
n'est pas lui-même sagesse, mais seulement même par elle-même. ^q^
Père de la sagesse. 435 — IV. L'âme elle-même, l'amour et la connaissance
— II. Ce qui peut ou ne peut pas se dire du Père et de soi, sont trois choses égales et qui n'en
du Fils, 436 font qu'une ; elles sont à la fois substance et
— III. L'unité d'essence du Père et du Fils. 4^6 relations inséparables d'une même essence. 4G6
— IV. Suite du même sujet. 437 — V. L'âme, l'amour et la connaissance de soi, sont
— V. Le Saint-Esprit égal en tout au Père et au en même temps distincts et tout entiers l'un
Fils. 438 dans l'autre. 467
— VI. Comment Dieu est une substance simple et — VL Connaître une chose en elle-même et la con-
multiple. 438 naîlre dans l'éternelle vérité. C'est d'après les
— VII. Dieu est Trinité, mais n'est point triple. 439 règles de l'éternelle vérité qu'il faut juger même
-- VIII. Rien ne s'ajoute à la nalure divine. 439 des choses corporelles. 4G8
— IX. une seule personne ou les trois per-
Est-ce — VIL Nous concevons et engendrons la parole inté-
sonnes ensemble que l'on appelle un seul rieurement d'après les types vus dans la vérité
Dieu? 440 éternelle,La parole est conçue par l'amour du
— X. Attributs de cbaque personne d'après saint Créateur ou de la créature. 409
Hilaire. La Trinité représentée. 440 — VIII. Différence entre la cupidité ou la passion et
la charité. 470
LIVRE SEPTIÈME. — IX, Dans l'amour des choses spirituelles, la parole
naît en même temps qu'elle est conçue. D
Chapitre premier. Chacune des trois personnes de la
n'en est pas de même des choses charnelles. 470
Trinité est-elle saçesse par elle-même? Diffi-
— X, La connaissance accompagnée d'amour est-elle
culté de cette qucsiion moyen de seule la parole de l'âme? 470
la résoudre. 442
— II. Le Père et le Fils
;

sont ensemble une seule


— XL L'image ou la parole engendrée de l'âme qui
sagesse, comme une seule essence, bien qu'ils se connaît est égale à l'âme elle-même, 471
ne soient pas ensemble un seul Verbe. 444
— XII. /,a connaissance est engendrée par l'âme, l'a-

— m. Pourquoi les Ecritures attribuent particulière- mour ne l'est pas. L'âme qui se connaît et

ment au Fils sagesse, bien que


s'aime est l'image de la Trinité, 472
la le Père et
le Saint-Esprit soient aussi sagesse, 445
— IV. PourquoiGrecs ont été obligés de dire
les LIVRE DIXIÈME.
trois hypostases et
les Latins trois personnes. 447
— V. En Dieu, substance est un terme abusif, essence Chapitre premier. L'amour de l'âme qui étudie, c'est-
est le mot propre. 449 à-dire désire de savoir, n'est point l'amour de
— VI, Pourquoi, dans la Trinité, ne dit-on pas une ce qu'elle ignore. 474
personne et trois essences. L'homme est fait à — II. Personne ne peut aimer ce qu'il ignore. 47!j
l'jmage et est l'image de Dieu. 450 — III. L'âme ne s'aime pas sans se connaître. 476
— IV. L'âme humaine ne se connaît pas en partie,

LIVRE HUITIÈME. mais tout entière. 477


— V. Pourquoi il est ordonné de se connaître. D'où
Prologue. Résumé de ce qui a élé dit plus haut. Règle viennent les erreurs de l'âme sur sa propre
a suivre dans les questions de foi trop diffi-
substance. 478
cile.'. 453 — VI. Jugement erroné de l'âme sur elle-même. 479
(.'.DAPiTRE PREMIER, la raison démontre qu'en Dieu les •— VIL Opinion des philosophes sur la substance de
trni? personnes ne sont pas plus grandes qu'une l'âme. 479
seule. 4;;3
— VIII. Comment l'âme doit se chercher elle-même.
— II. Pour comprendre comment Dieu est vérité, il
Pourquoi elle se trompe sur son propre
faut écarter de son esprit toute image maté- compte. 480
rielle. 454
— IX. L'âme se connaît par le seul fait qu'elle con-

— III. Dieu est le souverain bien. L'âme ne devient naît l'ordre de se connaître. 480
bonne qu'on se tournant vers Diea. 454
— X. Il est trois choses que l'âme sait d'elle-même
— IV. Pour pouvoir aimer Dieu, il faut le connaître avec certitude : qu'elle comprend, qu'elle existe

par la vraie foi. 456 et qu'elle vit. 481


— V. comment on peut aimer la Trinité sans la con-
— XL Dans la mémoire, l'intelligence et la volonté,
naître. 457 on trouve l'esprit, la science et l'action. La
— VI. Comment l'homme, qui n'est pas encore juste, mémoire, l'intelligence et la volonté sont une
connaît le juste qu'il aime. seule chose, quant à l'essence, et trois choses
458
— VII. Du véritable amour par lequel on parvient à relativement l'une à l'autre. 4C2
la connaissance de la Trinité. Il faut chercher
— XII. L'âme est l'image de la Trinité dans sa mé-
Dieu, en imitant la piété des bons anges. 460 moire, son intelligence et sa volonté. 483
— VIII,Aimer son frère, c'est aimer Dieu. 461
— IX. L'amour du type immuable de la justice est le LIVRE ONZIÈME.
principe de notre amour pour les justes. 462
— X. Il y a, dans la charité, trois caractères qui Chapitre premier. Il y a même dans l'homme exté-
sont comme une empreinte de la Trinité. 463 rieur un vestige de la Trinité. 484
.

TABLE DE'^ ^[ATIÈR£S. oST

Chap. II. n y a dans h


naon lue sorte àè Tiiciié. lhjlP. vi:.
L'éclaircisseme^ par on exemple. iSi
— m Il se forme diss la pensée sue Trinité de h

mémoire, de la Tisioa inièriwre etde la vokwté 3'.2


qd les cnit. 487 Vlii. r; 513
ÏV.CjX!Lent se fait cette imité. 4S7 DL Ce L
V, La ir.n::é de Tbomme extériear s'est pas
l'ixage de Diea. La ifi^^emWance de Oin se
voit jQsqne dans le péché. iSè X.
— VI Comment il entendre le repos et le terme
fant
de la Tolonté dans la tMoo. 489
VII. Antre triniié dans la aiémoire. 490 51Î
vni. DiTerses manières de penser. 491 — Xi
IX. La forme est engendrée par la forme. 493 315
X. L'unagmation ajoute aoi objets ga'eile ù'a pas — X.
vas ce qu'elle a tu dans d'autres. 493
Xi. Nombre, poils et mesure. 494

LTVRE DOUZIÈME.

Chapitbe PBEium. L'homme extérieur et Phomme ia- 517


té rieur. 495 — X'- 5!3
— II. L'iiomme seol, pamû ks animaint, décoroe — X'' :

étenidks des choses daK le moode


les raisons
matériel. 495
— ni. La raison sapérieue qu appartient k ta co»-
templation et la raison inférieure qn appartient — X^
~

a l'action sont dans ta même âme. 493 — X^


— IV. La Trinité et l'image de Diea ne se tramait
que dans la partie de Pâme qu peit cooteoi- 521
pler les choses éiernellfô. 496 — XII
— V. Peut-on T<Hr l^m^e de ta Trinité dans PoioB
de l'bomme et de ta femme, et lear progéni- •2!
ture? *C-<6 — XS.
— VI. D fant rejeter celte opinion. 497
— VII. Comment l'Jiomme est l'image de Diea, ta
femme n'est-elle pas aossi l'image de Dieu T 4&8 522
— VIII. Comment s'efl&ue rimage de Diea. 500
— IX. Suite du même sajet. 500 UMIE QUATORZIEME.
— X. On ne desœitd qie par degrés dae fabiae da
^^*^" 501 CHAPms PVEHrEB.
— XI. L'image de l'animal dans Phomme. 501
— XII. I! se fait an certain mariage fflystériefli dais
l'bomme intérieur. Complaisance dans ses pei- c
sées illicites. 501 — IL î
— XIII. Opinion de ceux qui ont tooIu représen-
ter rime par Phomme et ks sens par ta
fem^.e. 503 :
— Xn .
Différence aitre ta s^esse et ta sdoice. Le — III. r
culte de Diea eoaâsie dans son amoor. Cob-
IV. •:

ment donne ta connai^aace inteOee-


ta sagesse
toeUe des choses étoneUes. 503
— XV. Contre réminiscoce de Platon et de Pjtha-
ta _ v. L
gore. Pythagofe de Samos. Conaaitfltant
ctiercner ta Trinité dans ta sdenee des chos^
_ vj. i

'

tempoieUes. 504

Ln"RE TREIZIEME.

Chapitee paEMiEB. .Vprès les Ec-itures, les iûri-a-


tons de la sagesse «t de la sciéLce.
:;1
— II. La foi vient du cœur et tjn du corrs e'Je : — IX. :

est en même temps coiniLULe et ii£ï.;ticlie


chez tous les cr-yants. — X. <:

— III.Certaines voionîés étani les néaés chez


tous, sont connues de chacun cU parucajer. 509 — XI. :

— I\, Le désir du bcniieur existe cLez tvui, mais les — Xii.


voionîés varient ijeaucoup sur h naiaxc eu
bontiear. 510
— V. Suite dn même sojet. 511
— M. Ponrqnoi; qaand lois désirent kboiiiev, pré-
i-S4

fère-t-OD ce oni
é'(*"ieii* da bf^nhev. >il
588 TABLE DES MATIÈRES.
Chap. XIV. L'âme, en s'aimant convenablement, aime Chap. XII. Philosophie de l'Académie.
554
Dieu; ne l'aime pas, on doit dire qu'elle
si elle — XIII. L'auteur revient sur la différence entre la
se hait elle-même. Qu'elle se tourne vers Dieu science et verbe de notre âme, et
le la science
pour se souvenir de lui, le comprendre, l'ai- et le Verbe de Dieu. 556
mer, et par là même être heureuse. 535 — XIV. Le Verbe de Dieu est égal en tout au Père de
— XV. Quoique l'âme espère le bouheur, elle ne qui il est, 556
se souvient cependant pas de celui qu'elle a — XV. Combien grande est la différence entre notre
perdu, mais bien de Dieu et des lois de la jus- verbe et le Verbe divin. 557
tice. 537 _. XVI. Même quand
nous serons semblables à Dieu,
— XM. Comment l'image de Dieu se réforme dans notre verbe ne pourra jamais être égalé au
l'homme. 538 Verbe divin. 558
— XVII. Comment l'image de Dieu se renouvelle — XVII. Comment l'Esprit-Saint est appelé charité.
dans l'âme, en attendant que la ressemblance Est-il seul charité ? Charité est le nom
de Dieu se perfectionne en elle dans la béati- propre que les Ecritures donnent à l'Esprit-
tude, 539 Saint. 559
— XVllI. Faut-il, d'après les paroles de saint Jean, — XVIII. Aucun don de Dieu ne l'emporte sur la
voir aussi dans l'immortalité du corps, notre charité. 561
future ressemblance avec le Fils de Dieu ? 539 — XIX. Les Ecritures appellent le Saint-Esprit don
— XIX. C'est bien plutôt de notre parfaite ressem- de Dieu. Le Saint-Esprit est proprement ap-
blance avec la Trinité dans la vie éternelle, pelé charité, quoiqu'il ne soit pas seul charité
qu'il faut entendre les paroles de saint Jean. dans la Trinité. 561
La sagesse est parfaite au sein de la béatitude. 540 — XX. Contre Eunomius qui prétend que le Fils
n'est pas Fils par nature, mais par adoption.
LIVRE QUINZIÈME. Résumé de ce qui a été dit plus haut, 564
XXI. De ressemblance du Père et du Fils décou-
la
Chapitre premiei?. Dieu est au-dessus de l'âme, 542 verte dans notre mémoire et notre intelligence.
— II. Il faut chercher sans cesse le Dieu incom- De la ressemblance du Saint-Esprit dans notre
préhensible. Ce n'est pas à tort qu'on cher- volonté ou notre amour. 565
che dans la créature les traces de la irinité. 552 — XXII. Combien est grande la différence entre l'image
— IIL Court résumé de tousles livres précédents. 543 de la trinité que nous découvrons en nous et
— IV. Ce que toute créature nous apprend de Dieu. 544 la Trinité elle-même. 566
— V. Combien il est difficile de démontrer la Trinité — XXIII. Encore de la différence qu'il y a entre la

par la raison naturelle. 545 trinité qui est dans l'homme et la Trinité qui
— VL Comment y a
il Irinité dans la simplicité est Dieu. On voit maintenant, à l'aide de la foi,
même de Dieu. La Trinité divine se déraontre- la trinitéà travers un miroir, pour mériter de
t-elle par les trinilés trouvées dans l'homme la voir un jour plus clairement face à face se-
et comment? 546 lon la promesse. 566
— vn. Il n'est pas facile d'entrevoir la Trinité divine — XXIV. Infirmité de l'âme humaine. 567
d'après les trinités dont nous avons parlé. 547 — XXV. C'est seulement au sein de la béatitude
— VIII. En quel sens l'Apôtre dit que nous voyons qu'on comprend pourquoi le Saint-Esprit n'est
Dieu ici-bas à travers un miroir. 549 pas engendré, et comment il procède du Père
— IX. De l'énigme et des locutions figurées. 550 et du Fils. 568
— X. De la parole de l'âme, daus laquelle nous — XXVI. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils,

voyons le verbe de Dieu comme à travers un et ne peut être appelé leur Fils, 568
miroir et en énigme. 551 — XXVII. Pourquoi on ne dit pas que l'Esprit est
— XI. Il faut chercher une image quelconque du engendré et pourquoi l'on dit du Père seul
Verbe divin dans notre verbe intérieur et qu'il n'est pas engendré? Ce que doivent

mental. Enorme différence entre notre verbe faire ceux qui ne comprennent pas ces mys-

et notre science, le Verbe diviu et la science tères. 570


divine: 353 — XXVIII. Conclusion du livre. Prière. Excuses. 572

riN T>E LA TABLE DES MATIERES.

e-Duc. — Typograpl'ie L. GoitRiN et C'e, rue de la Rochelle, 49-51.


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