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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

Faculté de philosophie et lettres


Langues et littératures françaises et romanes

LA FÉMINISATION
Les féminins qui posent problème

DHAINAUT Emilie Travail réalisé dans le cadre du cours :


MOENS Nolwenn Grammaire descriptive II
(Roma-B-304)

ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008


Introduction

Accord du participe passé, concordance des temps,… La réputation du


français n’est plus à faire : c’est une langue complexe et difficile. La féminisation
n’échappe pas à la règle. Inconstante, variable, voire illogique, elle fut l’objet de
nombreux débats, suivis de diverses tentatives de réformes. Cependant, malgré
décret, arrêté et autres recommandations, certains féminins résistent toujours.

Quels sont ces féminins qui posent problèmes ? En quoi sont-ils


problématiques ? Le sont-ils réellement ? Autant de questions auxquelles ce
travail tentera d’apporter une réponse, au travers d’exemples choisis bien
évidemment pour leur forme féminine à problème mais également pour leur
caractère actuel. Ils seront, dans la mesure du possible, des termes courants qui
confrontent le locuteur de tous les jours à des situations d’énonciation gênantes.
Tirés, pour une grande majorité1, de la liste mise à disposition des internautes par
la Communauté française de Belgique, ils seront parfois vieillis, parfois plus
« jeunes », mais tous, pour une raison ou l’autre, fuient les règles ou la logique.

1
Une infime partie des exemples ne figurent pas dans cette liste et ont été retenus à partir
d’expressions entendues au quotidien.

2
1. Les féminins et leur formation
grammaticale

En tout premier lieu, il est important de rappeler les règles de féminisation


des noms, ce qui pourra nous aider à fournir des explications plus tard dans notre
travail sans devoir rappeler systématiquement les règles grammaticales de
féminisation.

Différents cas de figure s'offrent à nous. Tout d'abord, abordons les


masculins qui se terminent par une voyelle. Si le masculin se termine par un –e, la
forme féminine est identique à la forme masculine. Si le masculin se termine par
la lettre –a ou –o, alors le féminin garde cette forme.

Ensuite, abordons les masculins qui se terminent par une consonne. En


règle générale, au masculin est adjoint un –e pour former le féminin de celui-ci. Il
arrive que des changements orthographiques aient lieu, comme l'apparition d'un –
è ou encore un redoublement consonantique. Par exemple : ouvrier – ouvrière /
pharmacien – pharmacienne.

Lorsque le masculin se termine par –eur, trois cas de figure sont


envisageables:
 -euse pour les noms ayant un rapport sémantique avec le verbe
correspondant
ex. : vendeur – vendeuse
 forme identique s'il n'y a aucun rapport sémantique avec un verbe
ex. : professeur – professeur
 des cas particuliers peuvent apparaître comme pour ambassadrice

3
Lorsque le masculin se termine par –teur, deux cas de figure peuvent
apparaître:
 –teuse pour les noms ayant un lien sémantique avec le verbe
correspondant, à condition que celui-ci comprenne un –t
ex. : acheteur – acheteuse
 des cas particuliers existent comme éditeur – éditrice. Cette forme apparaît
lorsqu'il n'existe pas de verbe correspondant ou lorsque celui-ci ne contient
pas de –t, comme pour directeur – directrice.

Enfin, abordons la féminisation des noms d'origine étrangère. De manière


générale, le mot est francisé et suit les règles de féminisation classique de la
langue française. Pour des termes comme tennisman, le français préfère la formule
joueuse de … à tenniswoman2.

2
Toutes ces règles sont tirées du site officiel de la Communauté Française de Belgique, accessible
à l'url suivant : http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm, consulté le 30 novembre 2007

4
2. L’acceptabilité socioculturelle
2.1. Les féminins

Le premier point sur lequel nous allons nous pencher dans ce travail est
l'acceptabilité socioculturelle que peuvent rencontrer des mots féminisés. Si
certains masculins sont tout à fait acceptés dans nos contrées, il n'en est pas de
même pour leur forme féminine. Pour illustrer plus en profondeur notre propos,
nous nous servirons d'exemples éloquents.

Partons tout de suite d'un premier exemple : assassin. D'après la règle


générale énumérée précédemment, s'agissant d'un masculin se terminant par une
consonne, seul un –e devrait être ajouté. La forme obtenue, selon la règle, est donc
assassine. Un double problème apparaît immédiatement : le féminin assassine a
pour homographe la forme de l'indicatif présent 3e personne du singulier, ainsi
que l'adjectif féminin formé sur assassin. Quant au degré d'acceptabilité du nom
assassine en tant que féminin, il est peu élevé, comme nous le démontrent les trois
exemples suivants :

Cette femme est une assassine. ***


Cette femme est une assassin.
Cette femme est un assassin.

Les 2e et 3e propositions sont celles qui ont le degré d'acceptabilité le plus


élevé à nos yeux, privilégiant de la sorte l'épicène assassin.

Assassin n'est pas le seul mot à poser un problème quant à sa féminisation.


Le terme barbier est difficilement féminisable. Un barbier est « celui dont le

5
métier était de faire la barbe au rasoir à main3 ». Dans le Nouveau Petit Robert
1996, aucune forme féminine n'est attestée pour barbier. D'un point de vue
socioculturel, ce mot, souvent utilisé dans des temps antérieurs au nôtre (le
démontre d'ailleurs le Robert qui spécifie bien que le terme barbier est un terme
ancien), est essentiellement réservé à la gente masculine, une des raisons pour
laquelle l'attestation féminine n'existe pas, même si le féminin barbière, d'un point
de vue formel, est tout à fait acceptable.

Dans la même veine, nous pouvons nous intéresser au terme cocher. En


toute logique, le féminin de cocher devrait être cochère. C'est en tout cas ce que le
site de la Communauté française de Belgique atteste. Le problème rencontré par
ce féminin est double. D'une part, le féminin cochère est peu courant. Un cocher
est « celui qui conduit une voiture à cheval4 », pratique très rare au XXIe siècle,
où tout le monde se déplace en voiture ou en transports en commun. Notons que,
comme pour le métier de barbier, il nous parait plus logique d'attribué ce métier à
la gente masculine. Verriez-vous une femme conduire une voiture à cheval ? Si de
nos jours, cette situation ne nous étonnerait guère, cela paraissait surréaliste au
xixe siècle, à l'heure où l'émancipation féminine n'existait pas telle que nous la
connaissons aujourd'hui. D'autre part, le terme cochère est davantage connu dans
l'expression porte cochère pour désigner une porte dont les dimensions permettent
l’entrée d’une voiture dans la cour d'un bâtiment5. D'ailleurs, le Robert n'explique
le terme cochère que dans ce sens.

Un autre féminin qui pose problème, et dans un registre différent des


exemples précédents, est le féminin de dictateur. Nous trouvons, comme féminin,
dictatrice, suivant la règle de la féminisation des masculins en –teur, énumérée
dans le point 1. Le problème posé ici est lié à l'acceptabilité socioculturelle du

3
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
barbier
4
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
cocher
5
Ibid. s.v. cochère

6
mot. De nouveau, comme pour les exemples précédents, ce terme est davantage
utilisé pour la gente masculine, surtout dans le sens de « dictateur d'un pays », en
référence aux grands dictateurs du XXe siècle comme Hitler, Pinochet, Mao
Zedong, Mussolini ou encore Franco. Le féminin dictatrice est plus
communément utilisé dans des formules comme cette femme est une véritable
dictatrice lorsque nous parlons d'une femme très autoritaire au sein d'un couple.

Dans la même catégorie, prenons l'exemple d'officier. Le féminin officière


est tout à fait correct. D'un premier abord, le terme officière peut nous paraître
difficile à entendre. Pourtant, il n'est pas rare de voir une femme exercer la
fonction de militaire et donc pourquoi pas celle d'officière.

Pour soldat, même si le terme soldate est attesté, son emploi reste
incertain. En effet, l'épicène nous semble plus approprié :

Le soldat Marie
La soldat Marie *
La soldate Marie ***

Passons à un autre registre. Le féminin de valet n'existe pas. À nos oreilles,


le terme *valette, créé selon la règle, semble plutôt étrange. La non-féminisation
du terme pourrait s'expliquer par le fait que valet, au sens de « domestique de
grande maison », est une fonction réservée aux hommes, en tout cas sous cette
forme. Le terme féminin employé pour désigner une domestique de grande
maison est servante, avec l'idée qu'il s'agit d'une personne à gages.

Les cas de maître d'hôtel et de majordome sont aussi problématiques. En


théorie, maître devrait se féminiser en maîtresse, ce qui donnerait une maîtresse
d'hôtel. Cette forme n'est en aucun cas attestée. Si nous nous référons au site de la
Communauté française de Belgique, nous remarquons que maître peut avoir
comme féminin maître, dans le cas des formes composées comme il en est

7
question ici. Une maître d'hôtel semble plus acceptable que une maîtresse d'hôtel.
Quant à majordome, aucun féminin n'est attesté.

Aussi, pour ces deux fonctions, faudrait-il encore voir si beaucoup de


femmes l'exercent ou non.

Il en est de même pour sommelier. Ce terme n'existe qu'au masculin, et sur


le site de la Communauté francophone de Belgique, nous ne trouvons pas
d'attestation féminine. Les femmes ne semblent pas avoir droit au chapitre.

Prenons à présent des exemples de métiers "peu plaisants". Pour le terme


croque-mort, aucun féminin n'est attesté. Si nous regardons de plus près la
formation des féminins des noms composés, nous devrions dire croque-morte. Ce
terme a un degré d'acceptabilité peu élevé :

Cette femme est une croque-morte. ***


Cette femme est une croque-mort. *
Cet homme est un croque-mort.

Nous aurions tendance à valoriser la forme épicène du mot, par rapport à la


forme féminisée selon les règles classiques (voir l'exemple 2).

Si pour l'exemple précité, aucun féminin n'est officiellement attesté, pour


fossoyeur, en revanche, ce n'est pas le cas. Le féminin de fossoyeur, fossoyeuse,
est attesté aussi bien par le petit Larousse illustré de 2006 que par le site de la
Communauté française de Belgique (mais il ne figure pas par contre dans le
Robert). Ce terme de fossoyeuse, bien qu'attesté, peut sonner étrangement à nos
oreilles car nous acceptons plus facilement un homme à ce poste, qu'une femme.

Intéressons-nous durant quelques lignes à des métiers plus "physiques". Le


terme maçonne est attesté par le site de la Communauté française de Belgique.

8
D'un point de vue des règles de féminisation, la forme est tout à fait correcte.
Seulement, voyez-vous une équipe de maçonnes venir construire votre maison ?
Comme il s'agit d'un métier assez physique, il est assez inimaginable de voir des
femmes le réaliser.

Pour le terme carreleuse, de nouveau ce terme est attesté. Le problème


réside encore une fois dans le type de métier. Il serait assez étrange de voir une
femme "carreleuse", en tout cas professionnellement parlant, mais avec la
différence que ce dernier est plus imaginable que maçonne, par l'aspect moins
physique du métier de carreleur.

Dans ces cas, notons que du point de vue formel, aucune anomalie ne peut
être mise en évidence. Seule l'acceptabilité socioculturelle pose un vrai problème.
Le féminin pompière, d'un point de vue formel, est logique. Cependant, le degré
d'acceptabilité est bas, car s'agissant encore une fois d'une activité assez physique,
cette fonction est plutôt réservée aux hommes. Notons que par comparaison avec
maçonne, l'acceptabilité socioculturelle est plus grande dans ce cas-ci.
Les deux derniers termes étudiés dans cette catégorie sont les féminins de marin
et matelot. Le féminin de marin, selon la règle, devrait être marine. Le terme
marine existe déjà mais non pas pour désigner une femme marin mais plutôt pour
désigner « [l']art de la navigation sur mer, l’ensemble des administrations et
services qui régissent l’activité maritime, ensemble des gens de mer 6 ». Ici, nous
retrouvons un problème présent aussi dans le couple médecin/médecine que nous
expliquerons plus tard. Le féminin attesté par le site de la Communauté française
est l'épicène marin.

Marie est une marin.


Marie est une marine. **

6
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
marine

9
Pour matelot, le féminin attesté, toujours selon le site, est matelot ou
matelote. D'un point de vue auditif, une matelot sonne mieux à l'oreille qu'une
matelote.

Marie travaille comme matelot.


Marie travaille comme matelote. **

Cependant, comme nous l'avons vu pour maître d'hôtel et majordome, il


semble que peu de femmes exercent cette fonction, ce qui rend un féminin
difficilement acceptable.

2.2. Les masculins

Comme nous l'avons vu précédemment, il semble que diverses fonctions,


divers métiers soient réservés exclusivement à la gente masculine (barbier, valet),
ou, dans certains cas énumérés, soient plus appropriés aux hommes (pompier,
maçon). Ce phénomène est observable inversement, à savoir que certaines
fonctions, certains métiers semblent entièrement destinés aux femmes. En voici
quelques exemples.

Tout d'abord, le masculin linger est attesté par le site de la Communauté


française. Une lingère est la « femme chargée de l’entretien et de la distribution
du linge dans une communauté, une grande maison7 ». Même si nous voyons
parfois nos pères repasser le linge, il nous est difficilement imaginable de voir une
majorité d'hommes en faire leur métier. Pour cette raison, il nous parait évident
que seule la forme féminine ne pose pas de problème.

7
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
lingère

10
Un autre terme sur lequel nous allons nous pencher quelques instants est
celui de sage-femme. D'après le Robert, la sage-femme est « l’auxiliaire médicale
diplômée dont le métier est de surveiller la grossesse, d’assister les femmes
pendant l’accouchement et de prodiguer les premiers soins aux nouveaux-nés ».
Cependant, notons que la profession de sage-femme est ouverte aux hommes
depuis 1982 sous la forme d'homme sage-femme, même si pour ces fonctions,
nous employons plus communément les termes accoucheur, gynécologue,
obstétricien lorsqu'il s'agit d'un homme (et même d'une femme). Le terme sage-
femme est un peu vieillot. Notons aussi au passage que sage-femme contient le
mot femme, ce qui rend une masculinisation plutôt difficile. *Sage-homme
pourrait éventuellement être envisageable, si nous mettons au masculin le terme
féminin contenu dans le composé sage-femme.

Le cas de nourrice, quant à lui, permet une explication simple et


scientifique sur l'inexistence d'un masculin. La nourrice est celle qui allaite le
bébé et il est impossible pour l'homme d'assurer cette fonction. C'est pourquoi, le
terme nourrice est exclusivement féminin.

Enfin, en dernier lieu, prenons l'exemple de majorette. Majorette n'a pas


de masculin. La définition du Robert l'atteste d'elle-même. Une majorette est une
« jeune fille qui défile en uniforme militaire de fantaisie, et en maniant une canne
de tambour-major ». L'image d'un garçon en minijupe dansant en faisant
virevolter un bâton dans les mains parait plus parodique que réelle.

2.3. Les féminins péjoratifs

Les termes abordés dans cette catégorie sont des termes qui ont un côté
péjoratif clairement marqué s'ils sont sortis de leur contexte. Nous prendrons les
trois exemples suivants: chauffeuse – entraîneuse – maîtresse.
Chauffeuse est le féminin attesté de chauffeur. Le problème, dans ce couple de

11
mots, est que le terme chauffeuse est péjoratif. Chauffeuse peut avoir une
connotation sexuelle s'il est sorti de son contexte. Notons aussi, comme pour les
exemples du point 2, que si le métier de chauffeur existe, il est bien rare de voir
une femme conduire un camion.

Si nous prenons la phrase suivante, sortie de son contexte, Marie est une
entraîneuse, nous pourrions y voir une connotation dépréciative, dans la mesure
où entraîneuse pourrait être pris dans le sens « elle entraîne les autres dans des
chemins différents du droit chemin ». Du point de vue formel et acceptable, le
terme ne pose pas de problème apparent. La formation du féminin est tout à fait
correcte. Aussi, il n'est pas rare de voir une femme entraîner un groupe de
danseuses ou de gymnastes. Le terme entraîneuse en tant que métier n'est en rien
problématique, excepté son côté péjoratif s'il est sorti de son contexte.

Le terme maîtresse (de classe) ne pose problème ni par sa forme, ni pas


son acceptabilité. Cependant, et ce si nous prenons ce mot hors contexte, le côté
péjoratif de maîtresse est entièrement existant. Une maîtresse est une femme avec
qui un mari entretient une liaison extraconjugale.

Pour conclure sur ce point, précisons que, dans un contexte tout à fait
régulier, aucun problème de formation ni même de sens n'est relevé pour les mots
cités.

12
3. Les ambiguïtés sémantiques

La langue française (ou ses usagers, voire ses « protecteurs ») rechigne à


utiliser, pour certains mots tels que médecin ou cafetier, la forme féminine qui
pourrait être qualifiée de « régulière », c’est-à-dire qui se formerait selon la règle
générale de féminisation en français, par l’adjonction d’un –e final au terme
masculin. Ce malaise face à la mise au féminin de ces mots vient du fait que,
féminisés selon les règles traditionnelles, ils deviennent des termes désignant
d’autres réalités : alors qu’un médecin est la « personne habilitée à exercer la
médecine après obtention d’un diplôme sanctionnant une période déterminée
d’études8 », la médecine, elle, est une discipline. Si le cafetier est une « personne
qui tient un café9 », la cafetière est plus souvent perçue comme étant un objet
qu’une femme, bien que ce féminin soit attesté, comme l’indique le site officiel de
la communauté française de Belgique, depuis 1740 « dans la troisième édition du
Dictionnaire de l'Académie française » et « au XIXe siècle, dans les dictionnaires
et notamment chez Balzac10 ».

Bon nombre d’autres mots présentent cette ambiguïté, sans pour autant que
la langue ne les évite systématiquement. Ainsi, le couple cuisinier/cuisinière ne
dérange pas les locuteurs, malgré le double sens du féminin, qui renvoie d’une
part à la « personne qui a pour métier de faire la cuisine ; personne qui fait la
cuisine11 », et d’autre part au « fourneau de cuisine servant à chauffer, à cuire des
aliments12 ». Il en va de même pour la paire chocolatier/chocolatière, où, outre le

8
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
médecin
9
Ibid. s.v. cafetier
10
Site officiel de la Communauté française de Belgique, Service de la langue française, Mettre au
féminin, Liste des noms, cafetier, http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm, consulté le 1er
décembre 2007
11
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
cuisinier
12
Ibid. s.v. cuisinière

13
féminin de chocolatier, « personne qui fabrique, vend du chocolat13 »,
chocolatière définit un « récipient pour le chocolat14 ».

Le même phénomène se présente encore avec jardinier/jardinière


(personne dont le métier est de cultiver des jardins / meuble supportant ou
contenant un récipient où l’on fait pousser des plantes ou arbres d’agréments ;
garniture composée d’un mélange de légumes printaniers cuits)15,
chevalier/chevalière (dans la noblesse, celui qui est au-dessous du baron / bague à
large chaton plat sur lequel sont gravées des armoiries, des initiales)16,
portier/portière (personne qui garde une porte / porte d’une voiture, d’un train)17,
mais, dans ces cas-ci, le blocage se situe peut-être moins dans l’ambiguïté
sémantique elle-même que dans le degré d’acceptabilité socioculturelle
qu’occasionnent de tels féminins. Si l’idée d’un homme tondant la pelouse et
sciant des arbres devenus trop hauts est tout à fait classique, celle d’une femme
exerçant ces mêmes tâches, surtout à titre professionnel, est plus difficilement
envisageable. De même, alors que l’image du chevalier servant est courante, celle
d’une femme à califourchon sur son étalon, prête à affronter monts et marées pour
revenir victorieuse auprès de son amant, est, certes, moins répandue. Et si les
grands hôtels peuvent se targuer d’employer des portiers, les clients seraient peut-
être surpris d’y être servis par une portière…

Cependant, ces féminins inattendus sont, hormis médecine, les formes


reconnues par la Communauté française de Belgique. Dès lors, leur utilisation ne
devrait pas être problématique, puisque « officielle ». Mais ces tournures sont-
elles réellement problématiques, d’un point de vue formel ? Que les locuteurs ne
veuillent pas les utiliser ne viendrait-il pas simplement du fait que la société ne
leur en donne pas l’occasion ? L’existence des cuisinières est indéniable, mais

13
Ibid. s.v. chocolatier
14
Le Robert Mini, sous la direction de Danièle Morvan, Paris, 1995, s.v. chocolatière
15
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
jardinier / jardinière
16
Ibid. s.v. chevalier / chevalière
17
Ibid. s.v. portier / portière

14
qu’en est-il des chevalières et des portières ? La cafetière, reconnue dès 1740,
gérait-elle vraiment l’établissement ou était-elle seulement la femme du cafetier ?
Si, de nos jours, cette fonction pourrait, sans difficulté, s’appliquer aux femmes,
utiliserait-on encore ce terme, déjà vieilli18 au masculin ? La chose est discutable
pour le cas des jardinières : il n’est pas rare en effet que des femmes prennent
soin de leurs plantes, néanmoins, cette activité est plus un passe-temps qu’un
métier et si l’on reconnaît que Madame Untelle a fait de son jardin un vrai coin de
Paradis, fera-t-on vraiment appel à elle pour tailler la haie ?
Le cas du couple médecin/médecine, quant à lui, s’exclut de cette analyse et ce,
pour deux raisons. Tout d’abord parce le terme médecin n’a pas une forme
féminine distincte de la forme masculine. Ensuite parce que, à notre époque, les
femmes exerçant ce métier ne font absolument pas figure d’exception. Il n’est
donc pas déplacé de se demander pourquoi, dans ce cas-ci, alors que le terme
correspond bien à une realia, la langue française ne l’a pas féminisé.

La réponse réside peut-être dans la proximité présente entre médecin et


médecine, proximité moins évidente pour les autres couples. Le médecin est,
d’une certaine manière, inclus dans la médecine, il est la « réalisation humaine »
du concept, de l’ensemble « médecine ». Parallèlement, le blocage de la langue
face à la féminisation de marin en marine découle peut-être de cette même
proximité : le marin fait partie de la marine. Ce lien d’appartenance empêche la
féminisation classique du mot, qui entraînerait des ambiguïtés sémantiques trop
importantes. Les phrases suivantes en témoignent parfaitement (en admettant
médecine comme féminin de médecin) :

1° Le médecin lui a sauvé la vie.


2° La médecine lui a sauvé la vie.

S’il est incontestable dans le premier exemple que c’est bien un homme
qui vient de réaliser cet exploit, le second n’offre pas cette clarté. Une femme

18
D’après Le Nouveau Petit Robert 1996

15
pourrait être à l’origine de cette action, tout comme les connaissances médicales
(le malade s’en est sorti grâce aux progrès de la médecine). Ces observations
s’appliquent aussi au marin :

1° Le marin lui a sauvé la vie.


2° La marine lui a sauvé la vie.

Le premier énoncé ne suggère qu’une interprétation : un homme travaillant


dans le domaine maritime a empêché un homme ou une femme de mourir. Le
second en revanche, si marine est le féminin de marin, en inspire deux. D’une
part, la même explication que la phrase précédente, mais au féminin : une femme
aurait sauvé quelqu’un. D’autre part, celle prenant le terme marine comme
« armée de mer, forces navales19 ». Le sauveteur serait alors, non pas une
personne, mais une institution (la rigueur militaire lui a permis de retrouver des
repères, un équilibre, etc. et de faire quelque chose de sa vie).

Les autres couples ne présentent pas cet obstacle. La jardinière n’est ni la


science que pratiquent les jardiniers, ni l’institution qui les regroupe. La
chevalière n’est pas l’ordre des chevaliers, la cafetière, celui des cafetiers, etc. La
féminisation était donc possible, le contexte dans lequel ces noms seraient
énoncés permettant la désambiguïsation.

Il est à noter que ce phénomène de « signification incertaine » se retrouve


dans l’autre sens : un même mot masculin dispose de deux significations liées
mais distinctes. Les exemples recueillis sont, pour la plupart20,
1) soit des termes vieillis dont le sens s’est spécialisé, dans l’usage, dans
l’appellation d’une seule des deux réalités :

19
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
marine
20
Toutes les définitions de ce paragraphe sont tirées du Nouveau Petit Robert, sous la direction de
Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996

16
 Le courrier, en tant que personne (et dont le féminin est courrière) est
« celui qui précédait les voitures de poste pour préparer les relais, le
porteur de dépêches ». Dans un monde où tout (ou presque) est devenu
« mécanique », une telle fonction ne subsiste plus vraiment. Le courrier se
limite en général à la « ensemble des écrits adressés à quelqu’un (lettres,
cartes, imprimés, etc.) envoyés ou à envoyer ».
 À l’heure actuelle, où l’importance (et la fréquentation) des grandes
surfaces est incontestable, rares sont les gens qui achètent encore leur
vinaigre chez le vinaigrier (« celui qui fait, qui vend du vinaigre » et dont
le féminin est alors vinaigrière). La signification de ce mot s’est
d’avantage cantonnée à son caractère matériel, à savoir « flacon pour
mettre le vinaigre ».
2) soit des termes d’un vocabulaire « spécialisé » :
 Même si le mot tuteur (avec sa signification « tige, armature de bois ou de
métal fixée dans le sol pour soutenir ou redresser des plantes ») est
relativement courant dans le langage usuel, cette définition n’en reste pas
moins spécifique au vocabulaire du jardinage. Son second sens n’en est
pas très éloigné et est, lui aussi, particulier à un lexique précis, celui du
droit : « personne chargée de veiller sur un mineur ou un incapable majeur,
de gérer ses biens et de le représenter dans les actes juridiques ».
 Si personne n’ignore ce qu’est le voilier21 qui vogue sur les mers, peu
nombreux sont ceux qui connaissent également « [l’]homme qui fait ou
raccommode les voiles ».

Les ambiguïtés sémantiques existent donc dans les deux sens. Pourquoi,
dès lors constituent-elles une barrière à la mise au féminin ? Peut-être est-ce parce
que, spontanément, la langue essaie d’aller au plus clair et que cette
« nouvelle tendance » de féminiser les noms, artificielle dans une certaine mesure,
tient compte de cette recherche de justesse dans les propos et évite quelques
féminisations trop « risquées ».

21
« Navire à voile »

17
4. Les épicènes

Un mot épicène est un mot « dont la forme ne varie pas selon le genre22 ».
En français, cette classe est représentée principalement par les noms se terminant
déjà par un –e au masculin : guide, aide, diplomate, architecte, secrétaire,… Les
mots d’origine étrangère sont également, en règle générale, rangés dans cette
catégorie (voir le point 5 « Les féminins des mots d’emprunt »). Mais d’autres
termes, qui ne remplissent aucune de ses deux conditions, s’y trouvent encore :
enfant, clown, mannequin, témoin,… « Terminés au masculin par une consonne
dans l’écriture, [leur] féminin [devrait] se construi[re] par l’adjonction d’un –e
final à la forme masculine », suivant la règle énoncée sur le site officiel de la
Communauté française de Belgique. Pourtant, il n’en est rien.

Les problèmes engendrés par l’éventuelle féminisation des noms enfant et


clown ne se conçoivent pas de manière évidente : une enfante ne dénoterait pas à
côté d’une étudiante ou d’une parente. De même, une clowne pourrait suivre
l’exemple des mots récemment féminisés par l’ajout d’un –e purement graphique
à la forme masculine, dans le but de désambiguïser les termes à l’écrit (voir le
point 6.b)1° : auteure, ingénieure,…). Témoin, quant à lui, pourrait, comme
écrivaine (v. également le point 6.b)1°), jouir d’un –e final et devenir témoine,
forme certes étrange mais qui permettrait au moins de suivre la logique de
féminisation jusqu’au bout.

Le cas de mannequin est peut-être plus complexe. Si le féminin


mannequine « se rencontre parfois23 », cette appellation reste néanmoins
inhabituelle. Mais cette inutilisation ne viendrait-elle pas du fait que, dans

22
Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1996, s.v.
épicène
23
Site officiel de la Communauté française de Belgique, Service de la langue française, Mettre au
féminin, Liste des noms, mannequin, http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm, consulté le
1er décembre 2007

18
l’imaginaire des locuteurs, le mannequin (de même que le top model) est d’abord
une femme ? Jugeant la réalité de cette façon, le francophone ne voit donc pas
l’intérêt de mettre au féminin un mot qui, selon lui, l’est déjà.

De la persistance des épicènes en français se dégagent deux conclusions.


D’abord, qu’une partie d’entre eux sont justifiés, ceux dont la forme « neutre »
empêche une féminisation « classique », les mots se finissant déjà par un –e et
pour lesquels un second –e ne serait pas recevable (ni d’ailleurs une finale –esse,
« [ce] procédé [de création] paraissant vieilli24 »). Ensuite, qu’une autre partie est
épicène sans véritable raison. Pourquoi en effet l’auteure et l’écrivaine ont-elles
droit à leur marque de féminin et pas la clown et la témoin ?

24
Site officiel de la Communauté française de Belgique, Service de la langue française, Mettre au
féminin, Règles, http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm, consulté le 1er décembre 2007

19
5. Les féminins des mots d’emprunt

Le site officiel de la Communauté française de Belgique renseigne que


« les emprunts étrangers ont généralement une forme féminine semblable à la
forme masculine ». Des exemples comme judoka et torero sont donnés pour
illustrer cette note. Cependant, la rubrique « mode d’emploi » de ce même site
indique que d’autres formes « existe[nt] dans l’usage ». Ainsi, au masculin
judoka, correspond également une forme féminine judokate, d’après un mode de
féminisation relativement conforme aux habitudes du français, l’ajout d’un –e
final à la forme masculine (selon l’hypothèse que le mot d’origine étrangère
judoka s’est totalement francisé dans l’esprit des locuteurs sous une forme
*judokat, sur le modèle de scélérat, par exemple, qui donne scélérate au féminin,
les mots finissant par un –a étant rares en français) ; torero peut se féminiser en
torera et suivrait, quant à lui, la règle de féminisation de la langue à laquelle le
français a fait l’emprunt, l’espagnol dans ce cas-ci (à l’instar des couples
espagnols abogado/abogada, medico/medica,…).

Malgré ces particularités, de manière générale, les mots d’emprunt restent


inchangés pour les deux sexes. Gangster, leader, manager, supporter, reporter,…
pourraient donc désigner aussi bien des hommes que des femmes. Si la
Communauté française ne reprend dans sa liste, ni gangster, ni leader et que l’on
est, dès lors, en droit de les supposer épicènes, il n’en va pas de même pour les
autres. Signalés sur le site, les mots manager, supporter, et reporter, pour ne citer
qu’eux, sont, par un système de renvoi, rattachés aux mêmes mots, orthographiés
différemment :
Manager : voir manageur
Supporter : voir supporteur
Reporter : voir reporteur (presse)25

25
À ne pas confondre avec reporteur en imprimerie qui se féminise en reporteuse

20
Ces mots, à l’origine issus d’une langue étrangère, ont été assimilés au
français, à tel point que la graphie s’est modifiée afin de correspondre d’avantage
aux structures de la langue, la proximité des sonorités y aidant certainement. À
partir de ce moment, il n’existe plus de frein à la féminisation régulière de ces
termes et c’est sans grande surprise que les couples manageur/manageuse,
supporteur/supportrice et reporteur/reportrice se forment. De la même manière,
baby-sitter se dédouble en un babysitteur et une babysitteuse, voire chez certains
locuteurs, babysittrice (ce qui peut paraître plus surprenant d’un point de vue
socioculturel, l’image de la jeune fille gardant les enfants du voisin étant plus
répandue que celle du jeune homme ; mais tout à fait régulier du point de vue de
la logique du procédé d’intégration). Le terme speaker, par contre, ne subit pas
cette transformation et pourrait de ce fait être rapproché de gangster et leader, qui
suivent la règle de base et restent identiques au féminin. Mais ce parallèle serait
une erreur : une femme speaker est une speakerine et non une speaker.

Pourquoi certains emprunts gardent-ils leur graphie d’origine et ne se


modifient-t-ils pas au féminin ? Pourquoi d’autres adoptent-ils une orthographe
plus conforme au français et se féminisent-ils selon ses règles ? Et pourquoi,
enfin, speaker prend-il une forme particulière au féminin alors qu’il conserve son
orthographe étrangère ?

La réponse à toutes ces questions se situe peut-être dans la « longévité » de


ces emprunts dans la langue. Pour clarifier ce propos, voici, ci-dessous, une liste
qui reprend chaque exemple précédemment cité, classé selon leur année
d’apparition en français (indiquée entre parenthèses) :

Speaker (1649)
Leader (1822)
Reporter (1828)
Manager (1880)
Supporter (1907)

21
Gangster (1925)

Si aucune raison évidente ne permet, d’un premier abord, de comprendre


en quoi les cas de reporter, manager et supporter diffèrent de ceux de leader et
gangster (en effet, leader et gangster, qui suivent le même schéma, n’apparaissent
pas dans la langue à des moments proches), celui de speaker se détache d’emblée :
c’est, de loin, le plus vieux mot de la série. Cette ancienneté pourrait expliquer le
fait qu’il soit resté tel quel, sans passage à une « orthographe française ». Son
féminin speakerine, apparu en français vers 1950, reste en revanche, un mystère,
notamment par sa formation inspirée de l’allemand26.

Les deux autres groupes, qui ne peuvent se présenter sous une opposition
« plus jeune » contre « plus vieux » (étant donné que leader est relativement
ancien, alors que gangster se trouve être le plus récent de ces termes, et que les
trois autres exemples sont intercalés entre ces deux-ci), doivent peut-être se voir
sous un angle plus morphologique : reporter, supporter et dans une certaine
mesure, manager peuvent en effet se rapprocher de verbes français, ce qui est
impossible pour leader et gangster. Cette ressemblance entre les noms communs
et les verbes a pu encourager la langue à désambiguïser la situation par une
transformation des termes problématiques. Cette opération n’étant pas nécessaire
pour leader et gangster, ils sont restés orthographiés de la sorte et invariable au
féminin.

Une dernière catégorie se dessine dans l’ensemble des mots d’origine


étrangère. Ce sont ceux qui, repris dans la liste de la Communauté française de
Belgique, renvoient également à un autre mot (cf : manager/manageur etc.) mais
complètement différent :
Designer : voir styliste
Sponsor : voir parraineur

26
Rey Alain, Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992, s.v. speaker

22
Cameraman : voir cadreur
Rugbyman : voir joueur de

Aux mots « francophones » correspondent des féminins réguliers :


styliste/styliste ; parraineur/parraineuse ; cadreur/cadreuse ; joueur de/joueuse
de. Cette situation illustre la première recommandation du Conseil supérieur de la
langue française : « De manière générale, lorsque les noms de titre, fonction,
métier sont d'origine étrangère, il est recommandé d'utiliser l'équivalent français
(…) ».

La situation au sein des mots d’origine étrangère semble donc assez claire :
aucune marque spécifique ne différencie le féminin du masculin (gangster,
leader). Parfois le mot d’emprunt continue à varier selon les règles de sa langue
d’origine (torero/torera). Il est conseillé de préférer les mots « d’origine
française » quand ces derniers existent (styliste, parraineur,…), et si ces termes ne
figurent pas dans le lexique, se contenter du mot d’emprunt (gangster, leader), ou
mieux encore, le franciser de manière absolue pour ainsi combler les lacunes de
l’idiome en question, à défaut d’avoir su créer un égal satisfaisant (manageur,
supporteur, reporteur). Quoique peu « naturelle » (et peut-être également peu
usitée), la féminisation de ces derniers mots n’en est pas moins logique et
régulière.

23
6. Les doubles féminins

Alors que le français n’a pas doté une partie de son vocabulaire de mots
différenciés au masculin et au féminin, une autre partie, quant à elle, a reçu, pour
une forme masculine, deux formes féminines correspondantes. Ainsi, mineur
donne mineure ou mineuse ; sculpteur, sculpteuse ou sculptrice. Il convient de
distinguer, au sein de ces doubles féminins, deux sous-catégories. Une première
dans laquelle se rangeraient les noms dont les deux féminins ont des sens distincts
(du type mineur), et ceux dont les féminins sont synonymes (du type sculpteur).

6.1. Sens distinct

L’analyse se bornera ici à l’exemple mineur susmentionné, bien que de


nombreux autres pourraient faire l’objet d’un traitement similaire.

Pourquoi dans ce cas-ci, la langue a-t-elle ressenti le besoin de différencier


les termes au féminin, alors que l’ambiguïté persiste au masculin ? Pourquoi le
locuteur, quand il produit, par exemple, la phrase suivante :

Ce mineur a la vie dure.

ne se préoccupe-t-il pas de préciser s’il s’agit d’un travailleur dans une mine qui
exercerait un rude travail ou d’un jeune homme âgé de moins de dix-huit ans qui
se ferait malmené ; alors qu’il le fait au féminin :

1° Cette mineuse a la vie dure.


2° Cette mineure a la vie dure.

24
Dans le premier cas, la femme est une ouvrière qui travaille dans une
mine ; dans le second, c’est une jeune fille qui n’a pas encore atteint la majorité.
L’ambiguïté est écartée au féminin. Peut-être est-ce simplement dû au fait que,
mineur a donné mineuse, conformément à la règle, étant un terme courant et
populaire. Quant à mineure, sa forme pourrait venir de son lien avec majeur, et de
l’influence que son féminin majeure a pu exercer.

6.2. Sens identique

Toute une série de mots est pourvue de deux formes féminines distinctes
dont le sens analogue en autorise une utilisation indifférente. Quelques exemples,
parmi d’autres : auteur, ingénieur, écrivain, poète, chasseur, docteur, sculpteur,
enquêteur,… qui peuvent toutefois se rassembler en trois grands groupes.

6.2.1. Auteur, ingénieur

Au départ formes épicènes, ces exemples, auxquels peuvent s’en ajouter de


nombreux autres (proviseur, successeur, professeur,…) témoignent de la volonté
de clarté offerte aux femmes. Le Conseil supérieur de la langue française laisse le
choix entre les formes « anciennes », une auteur, une ingénieur et les
« nouvelles », une auteure, une ingénieure qui, grâce à leur –e (muet), écarte toute
confusion à l’écrit. Écrivain, bien que ne finissant pas par –eur, peut également se
classer ici. Le –e final d’écrivaine n’y est assurément pas muet mais le principe
reste le même : accéder à une précision (orale et graphique dans ce cas) de
l’énoncé.

6.2.2. Poète, chasseur, docteur

Tous trois possèdent un féminin « traditionnel » en –esse : une poétesse,


une chasseresse et une doctoresse. Mais l’évolution de la langue tend à les

25
supprimer, au profit de formes plus simples, voire même plus logique. L’usage
retient ainsi : une poète (forme épicène, finissant par un –e, v. le point 4), une
chasseuse27 (mot en –eur auquel « correspond un verbe en rapport sémantique
direct28 ») et une docteure (suivant les modèles d’auteure, ingénieure,… ; v. le
sous-chapitre 1° de cette même rubrique).

6.2.33 Sculpteur, enquêteur

Leurs féminins sont soit sculpteuse et enquêteuse, soit sculptrice et


enquêtrice. Les premiers sont les formes qui suivent la règle : les masculins en
–teur donnent –teuse si le mot peut être rapproché sémantiquement d’un verbe qui
contient un – t – dans sa terminaison. À sculpteur correspond sculpter, à
enquêteur, enquêter. Tout est régulier. Pourtant les féminins en –trice se
rencontrent également et sont reconnus par le Conseil supérieur de la langue
française. Si les locuteurs utilisent ces tournures et ne sont pas dérangés par leur
statut « d’exception », c’est peut-être parce que, pour la plupart, la règle de
féminisation est simplement « les masculins en –teur ont un féminin en –trice »,
sans restriction. Sculpteur et enquêteur font donc naturellement sculptrice et
enquêtrice.

27
Chasseresse « se maintient surtout dans l'usage littéraire, en particulier lorsqu'il est joint à
Diane, nom de la déesse de la chasse. » (note du Conseil supérieur de la langue, sur le site)
28
Site officiel de la Communauté française de Belgique, Service de la langue française, Mettre au
féminin, Règles, http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm, consulté le 1er décembre 2007

26
Conclusion

La féminisation des noms en français pose donc différents problèmes.


Qu’ils soient dus à l’embarras des locuteurs à utiliser des termes inhabituels, peu
courants (par l’absence de réalité à laquelle ils devraient renvoyer), aux
ambiguïtés que crée cet usage, aux règles « à tiroirs », aux exceptions, ils
empêchent d’y voir clair et de s’en sortir aisément parmi toutes ces
considérations. La Communauté française de Belgique a tenté d’y mettre de
l’ordre par un décret et une série de recommandations mais malheureusement,
même si ces démarches offrent une relative égalité hommes/femmes, elles n’ont
pas réussi à atteindre le sommet de leur ambition : certains termes restent épicènes
sans raison, l’accès d’autres à une forme distincte a été paralysé par les limites
mêmes de la langue. Mais le principal frein à une féminisation totale ne serait-il
pas, avant tout, la difficulté des locuteurs à l’accepter ?

27
Bibliographie

1) Dictionnaires

Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Rey Alain, Paris, 1992

Le Robert Mini, sous la direction de Danièle Morvan, Paris, 1995

Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey,


Paris, 1996

Le Petit Larousse Illustré 2006, sous la direction de Philippe Merlet, Paris, 2005

2) Internet

Site officiel de la Communauté française de Belgique, Service de la langue


française, Mettre au féminin, http://www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm

28

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