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Série : LES QUATRE GÉNÉRATIONS DU LEADERSHIP

1er texte : Présentation du concept et de sa trajectoire historique


François Labelle

Depuis quelques années, le concept de leadership est particulièrement populaire. Mais que
savons-nous vraiment à son sujet ? Le leadership est-il un art ? Une science ? Est-il inné ?

Pour nous aider à mieux saisir ce qu’est le leadership, nous procéderons en quelques étapes
qui sont présentées en une suite de textes :
1. D’abord, nous identifions les principales dimensions du concept. Puis, nous
présentons quelques classements historiques des théories et des modèles au sujet du
leadership. Cet exercice nous permettra ensuite d’exposer notre classification de ces
modèles : les quatre générations du leadership;
2. Dans le deuxième texte, nous survolons la 1re et 2e générations de travaux portant sur
le leadership, soit celle axée sur les traits du leader, et l’autre sur ses comportements.
Ces deux générations partagent leur visée universaliste;
3. Au troisième texte, nous abordons la 3e génération de travaux sur le leadership. À ce
moment, les variables situationnelles sont intégrées à l’analyse;
4. Le leadership transformationnel et quelques modèles inscrits sous ce vocable sont
présentés au quatrième texte;
5. Le dernier texte propose une synthèse et identifie les éléments de convergence entre
les 4 générations.

Comme sources documentaires, nous avons utilisé les ouvrages les plus à jour sur le sujet,
des revues de littérature présentées dans des thèses de doctorat et des textes scientifiques
récents pour tracer le portrait que nous offrons dans cette suite de textes.
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1. Les définitions du concept

En 1974, Stogdill recensait plus de trois cent cinquante définitions de ce qu’est le leadership.
Depuis, d’autres ont été ajoutées à la liste :

1.1 Quelques exemples :


• Le leadership est le comportement d’un individu […] qui dirige les activités d’un
groupe vers l’atteinte d’un objectif commun (Hemphill et Coons, 1957);
• Le leadership est exercé quand des personnes mobilisent des ressources
institutionnelles, politiques, psychologiques et autres pour éveiller et engager les
subalternes et satisfaire leurs motifs (Burns, 1978);
• Le leadership est un processus d’influence sur les activités d’un groupe organisé en
vue de réaliser un objectif (Rauch et Behling, 1984);
• Le leadership est le processus qui donne un sens à l’effort collectif, suscitant
l’adhésion volontaire et le sacrifice afin de réaliser les objectifs (Jacobs et Jaques,
1990);
• Le leadership est le processus qui permet de donner un sens à ce qu’accomplissent les
individus ensemble, ce qui leur permet de comprendre et d’être dévoués (Drath et
Palus, 1994);
• Le leadership consiste en l’articulation d’une vision, sous l’égide de laquelle les
choses peuvent être accomplies (Richards et Engle, 1986);
• Le leadership est une habileté individuelle propre à influencer, motiver et amener les
autres à contribuer au succès et à l’efficacité de l’organisation (House, 1999).
(Tiré et adapté de Yukl, 2002)

À la lumière des multiples définitions existantes, nous pouvons dès lors conclure que :
- Le leadership est un processus où s’exercent des relations d’influence
- Dans un contexte de groupes
- Avec des individus qui partagent des objectifs communs
- Et qui se mobilisent pour réaliser les objectifs ou les changements souhaités.
(Inspiré de Yukl, 2002; Northouse, 2004; Daft, 2005)

Il convient maintenant de survoler la genèse du concept et son développement. Cette façon de


procéder permettra de mieux situer les nouveaux modèles qui émergent dans la littérature
managériale. Sous une appellation ou sous une autre, l’histoire du leadership est souvent
présentée en une suite d’écoles de pensée ou de perspectives à propos du leadership. Dans le
prochain tableau, nous présentons un découpage suggéré par plusieurs auteurs.
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Tableau 1.1
Les théories du leadership
Années Théorie du leadership Les hypothèses Les critiques
Début 1900 La théorie du « grand homme » - On ne devient pas leader, on naît leader - Les recherches scientifiques n’ont
- Les leaders ont des habiletés naturelles pas prouvé que le leadership est
de pouvoir et d’influence héréditaire
- Le leadership est considéré
comme un don réservé à une
certaine élite
1930 L’approche des traits - Un leader possède des qualités - Les situations ne sont pas
- La théorie de la supérieures considérées par cette approche
motivation par - Certains individus possèdent des - Trop de traits sont indéfinis ou
l’accomplissement de habiletés naturelles pour mener abstraits pour être observés ou
McClelland - Les leaders ont des traits de mesurés
personnalité qui les différencient des - Les études ne lient pas
suiveurs adéquatement les traits et
l’efficacité du leadership
- La plupart des études sur les traits
ignorent les variables
modératrices que sont les
comportements du leader et la
motivation des suiveurs
1940 L’approche comportementale - Il existe une « meilleure façon » (one - Les variables situationnelles et
- Les études de best way) de mener les processus groupaux sont
l’Université de l’ Iowa - Les leaders qui expriment un grand ignorés
- Les études de souci à l’endroit des individus et pour - Les études ont failli à la tâche
l’Université du Michigan l’accomplissement des tâches seront d’identifier les situations où
- Les études de efficaces certains comportements
l’Université de l’Ohio spécifiques seraient appropriés
- La grille de Blake et
Mouton
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1950 L’approche situationnelle et de la - Les leaders agissent différemment en - La plupart des théories de la
contingence fonction des situations contingence sont ambiguës, ce
- La théorie de la - Les situations déterminent ceux qui qui rend difficile la formulation
contingence et du leader émergeront comme leader de propositions théoriques
efficace de Fiedler - Différents comportements de vérifiables
- La théorie « path-goal » leadership sont requis pour différentes
de House situations
- Le modèle de leadership
situationnel de Hersey-
Blanchard
- Le modèle de la décision
normative de Vroom,
Yetton et Jago
1970- Les théories néocharismatiques - Le leadership est un processus - Les distinctions entre les
- Les théories du d’influence et d’échange concepts sont à clarifier
leadership charismatique - Le leadership est un processus - Il y a peu de recherches
- Le leadership relationnel empiriques
transactionnel et - Le leadership est un outil de
transformationnel transformation et d’habilitation
- Le leadership basé sur pour les subalternes et la société
les valeurs
(Adapté et traduit à partir des travaux de Anne Khonke Meda, 2005 et des travaux de David A. Jordan, 2005)
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Dans les prochains textes, plusieurs des modèles décrits dans ce dernier tableau sont passés
en revue. Pour l’instant, soulignons que, bien qu’ils soient successifs et plutôt cumulatifs,
certains ressurgissent ici et là dans le cours de l’histoire. Le tableau suivant illustre ce
phénomène.

Tableau 1.2
Une brève histoire des écoles majeures en leadership
Transformationnel

Contingence

Comportements

Traits
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000

Légende Inactif Moyennement actif Très actif


(Tiré et adapté de Antakonakis, Cianciolo et Sternberg, 2004, p. 7.)
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Un autre type de lecture historique est aussi suggéré par certains auteurs. On y pose
l’évolution du leadership en parallèle à l’évolution des environnements internes et externes
des entreprises. Le tableau en page 8 schématise cette évolution. Il combine les dimensions
suivantes : Les conditions de l’environnement (environnement stable ou chaotique);
l’envergure1 de la pratique du leadership (micro ou macro).

Voici, suggéré par Daft (2005), le descriptif de chacun des cadrans du tableau :

Ère 1: Macro leadership dans un contexte stable

La description incluse dans ce cadran correspond à la gouverne des entreprises à l’époque


prébureaucratique (début du 20e siècle au Canada). Les organisations sont petites, familiales
ou amicales, et naviguent dans des contextes stables. Le leader, souvent le père de famille ou
le chef, dirige et contrôle les activités. Il est le héros, celui qui possède une compréhension
des choses supérieure à celle des autres. Il est le « Great Man Leader ».

Ère 2 : Micro leadership dans un contexte stable

C’est l’ère des bureaucraties (1930-1970). Les entreprises sont régies par un ensemble de
règles et procédures. La hiérarchie est implantée comme modèle de direction et de contrôle.
L’archétype est un gestionnaire rationnel et son rôle est bien défini et représenté par
l’acronyme PODC (planifier, organiser, diriger, contrôler). Les employés ne sont pas
embauchés pour « penser », mais pour « faire » ce que les gestionnaires ont planifié pour eux.
Des caractéristiques personnelles (des traits) permettent de distinguer les leaders des suiveurs.

1
L’envergure signifie l’étendue et le niveau auxquels le leadership se pratique : est-ce un leadership entre un
cadre et ses employés ? Ou est-ce un leadership en termes de vision stratégique de l’entreprise ? Lorsque nous
discutons de leadership, nous devons distinguer entre « le leadership DANS l’organisation » et le « leadership DE
l’organisation ».
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Ère 3 : Micro leadership dans un contexte chaotique

Les modèles de gestion des ères 1 et 2 ne pouvaient être appliqués dans l’environnement
caractérisé par ce troisième cadran. Les notions d’équipe de travail, d’aplatissement
hiérarchique (downsizing), et de qualité totale ont peu à peu pénétré le langage
organisationnel et vont influencer le travail des gestionnaires. Ceux-ci deviennent plus
confortables avec les concepts de travail d’équipe, de motivation, d’engagement et de
mobilisation, de communication ouverte, etc. C’est le passage au leadership
transformationnel.

Ère 4 : Macro leadership dans un contexte chaotique

L’utilisation des réseaux de télécommunication provoque une remise en cause des modèles
d’affaires précédents. Les innovations technologiques, la vitesse de diffusion des
informations ainsi que les changements dans les goûts des consommateurs imposent une
transformation constante. Non seulement faut-il travailler en équipe, être mobilisé et engagé,
mais encore faut-il apprendre à apprendre, car le changement est constant. C’est l’ère de
l’organisation apprenante, du « leader apprenant » qui s’ouvre au changement, qui encourage
les employés/partenaires à croître et se développer. Les outils à la disposition du leader ne se
décrivent plus en termes de pouvoir et de contrôle, mais de vision, de valeurs, de relations et
d’éthique.
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Tableau 1.3
L’évolution du leadership
Environnement
Stable Chaotique
Ère 2 Ère 3
Management rationnel Leadership d’équipe
- Théorie du - Habilitation
comportement (empowerment)
- Théorie de la - Qualité
Micro contingence
Arrangements
Arrangements - Organisation
- Hiérarchie verticale horizontale
- Management par - Équipe
fonctions multifonctionnelle
Envergure - Aplatissement
hiérarchique

Ère 1 Ère 4
Le leader : Leadership d’apprentissage
le « grand homme » - Vision partagée,
- Théorie des traits de relations, orientation
personnalité commune
- Facilitation de
Macro Arrangements changement et
- Organisation d’adaptation
prébureaucratique
- Principes Arrangements
administratifs - Organisation
apprenante
- E-business

(tiré de Daft, 2005, p. 595; traduction libre)


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Nous pourrions ajouter d’autres typologies qui classent à leur manière les différents modèles
abordés dans les prochains textes, mais l’ajout d’une classification supplémentaire
n’apporterait que peu d’informations nouvelles au lecteur. Par exemple, Anne Renée-Blais et
Bernard Sinclair-Desgagné utilisent les « 3 C » du leadership (capacités, conduites,
circonstances) (2002), pour classer les divers modèles de leadership. Ces « 3 C »
correspondent aux traits (capacités), aux comportements (conduites) et aux situations
(circonstances) des autres typologies identifiées. C’est en ce sens que nous croyons avoir
atteint une saturation théorique.

C’est aussi pour éviter la multiplication de typologies que nous allons présenter nos modèles
en ordre chronologique, en génération. Nous avons choisi ce terme de génération pour
respecter l’esprit des autres typologies et pour marquer le caractère évolutif et cumulatif des
modèles de leadership. Nous constaterons d’ailleurs au 5e texte de cette suite que les derniers
modèles intègrent certains aspects des premiers.

RÉFÉRENCES
Antonakis, J., Cianciolo, A. T. et R. J. Sternberg. 2004. The nature of leadership. Eds par J.
Antonakis, A. T. Cianciolo et R. J. Sternberg. Thousand Oaks: Sage Publications, 438 p.

Blais, A.-R. et B. Sinclair-Desgagné. 2002. Le leadership en 3C : Capacités, conduite,


circonstances. Rapport Bourgogne, Centre interuniversitaire de recherche en analyse des
organisations (CIRANO), 31 p.

Daft, R.L. (avec l’assistance de Patricia G. Lane).2005. The leadership experience, 3ème
edition, Mason, Ohio: Thomson/South-Western, 681 p.

Jordan, D. 2005. A phenomenological study of transcendent leaders in healthcare. Doctoral


dissertaton, Medica University of South Carolina, Proquest information and learning
company, 395 p.

Meda, A. K., mai 2005. The social construction of ethical leadership, Doctoral dissertation,
Benedictine University, Proquest information and learning company, 174 p.

Northouse, P.G. 2004. Leadership: theory and practice, 3ème edition. Thousand Oaks: Sage
Publications, 343 p.
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Yukl, G.A. 2002. Leadership in organizations, 5ème edition. Upper Saddle River, N.J.:
Prentice Hall, 508 p.

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